(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse)
(page 791) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Des habitants de Guygoven demandrnt l'exécution d'un chemin de fer d'Ans à Hasselt par Glons et Tongres et d'Ans à Maestricht par Glons, d'après le tracé du sieur Renard, et d'un chemin de fer de Hasselt à Maestricht par Bilsen et Tongres, suivant le projet du sieur Delaveeye. »
M. de Renesse. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Les sieurs Canivet-Gravez demande que la vente des articles de mercerie et des objets de première nécessité soit assujettie à un contrôle. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Cousin-Baguet, Rivière et autres maîtres de carrières demandent que le chemin de fer projeté de Braine-le-Comte vers Enghien-et Grammont par Rebecq, soit considéré comme ligne principale et l'embranchement de Rebecq à Tubise comme ligne accessoire. »
M. Ansiau. - Je demande le renvoi da cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Tubize aux Acren par Enghien. »
- Adopté.
« Des habitants du canton de Laroche prient la chambre de rejeter tout projet de loi tendant à augmenter la durée du servies militaire et notamment la proposition de fixer cette durée à dix années. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée.
« L'administration communale de Hove prie ia chambre d'adopter le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout. »
« Même demande de l'administration communale de Hemixem et des habitants de Tongerloo. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des membres de la garde civique de Gand déclarent adhérer à la pétition tendant au maintien de l'organisation actuelle de la garde civique. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi qui modifie l'article i24 de la loi sur la garde civique.
« L'administration communale de Meir déclare protester contre toute assertion qui tendrait à faire croire que les habitants de cette commune ont eu l'intention de renoncer à l'exécution du canal de Turuhout à St-Job in 't Goor et demande l'achèvement immédiat de ce canal. »
« Même demande de l'administration communale de Minderhout. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer de Turnhout.
« Des électeurs à Basse-Bodeux demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »
« Même demande des électeurs à Durnal, Spontin et Deurle. »
- Renvoi à la commission des pétitions, pour le mois de mars.
« Des électeurs à Grammene demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »
« Même demande des électeurs à Vlierzeele, Vosselaere. »
- Même disposition.
« Le baron de Vivario propose des modifications à la loi électorale. »
- Même disposition.
« Des habitants de Leuze demandent qu'il ne soit apporté aucun changement à la loi électorale. »
- Même disposition.
« Le sieur Ferdinand de Cunchy, propriétaire à Villers-sur-Lesse, né à Hardinghen (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les sieurs Carbonnelle Nerinckx et Bouquelle, distillateurs à Tournai, déclarent adhérer aux observations présentées par les distillateurs de Gand sur le projet de loi relatif aux distilleries. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Par dépêche du 25 février M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre trois exemplaires du texte français du sixièmee volume de la seconde série de la Bibliothèque rurale. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. de Perceval. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le crédit de 111.000 fr. au département des travaux publics.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La chambee en fixe la discussion à la suite de l'ordre du jour.
M. Mascart. - Messieurs, au nom de la commission des pétitions, j'ai l'honneur de présenter le rapport sur les deux pétitions suivantes :
« 1° Le comice agricole d'Eecloo prie la chambre de revenir à la législation de 1842 sur les distilleries ou d'adopter les propositions qui lui ont été soumises par les distillateurs agricoles. »
« 2° Le comice du premier district agricole du Brabant déclare adhérer à la pétition relaîive aux distilleries qui a été adressée à la chambre par le comice agricole de Nivelles. »
Conformément h une décision prise antérieurement par la chambre, sur des pétitions relatives au même objet, votre commission vous propose le renvoi de celles-ci à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les distilleries et le dépôt sur le bureau pendant ia discussion.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - Messieurs, au nombre des objets qui figurent à l'ordre du jour, se trouve ma proposition relative à l'expulsion de certains locataires. La discussion de ce projet ne peut être entamée cette semaine ; d'un autre côté je ne pense pas pouvoir assister aux séances de lundi et mardi étant retenu pour affaires à Namur. Je prie, en conséquence la chambre de bien vouloir fixer la discussion de ma proposition à mercredi de la semaine prochaine.
- Adopté.
M. le président. - La parole est à M. Prévinaire.
M. Prévinaire. - Messieurs, contrairement à l'opinion qui a été exprimée hier par un gand nombre de membres, je viens féliciter le gouvernement d'avoir présenté le projet de loi en discussion.
Je considère ce projet comme un acheminement à un ordre de choses plus équitable que celui qui résulte de la législation douanière en vigueur.
Qj'mi ne s'y trompe pas, les entraves que l'on veut maintenir dans une proportion plus forte que celle que le projet de loi consacre, peuvent être excessivement agréables à ceux qu'elles ont en vue d'avantager ; ainsi l'agriculture qui cependant, selon moi, est très peu intéressée dans la question, les fabricants de papiers, quelques fabricants d'étoffes de laine commune, les fabricants de noir animal et quelques autres industries dont on a parlé hier et dont je me dispense de faire l'énumération, se trouveront parfaitement bien du régime que les amendements ont eu pour but de faire revivre.
Mais par contre, les propriétaires de bois se féliciteront-ils quand, en vue de favoriser la production de certaines qualités de fer, on aura mis un droit élevé sur l'exportation des charbons ? Les paysans, qui aujourd'hui encore se livrent à la fabrication des toiles de lin, se trouveront-ils parfaitement bien des restrictions apportées à la sortie de lins ou à celle des étoupes qui sont un des résidus de leur fabrication ?
Enfin, à côté de quelques industriels que les amendements ont pour but d'avantager, il y en a d'autres qui sont évidemment menacés. La portée de ces amendements se résume ainsi : à prendre dans la poche des uns pour verser dans celle des autres.
Je ne puis consentir à prêter mon appui à un tel résultat. Je me considère ici comme le représentant des intérêts généraux du pays, et à ce titre, je ne veux que d'un système juste et équitable pour tous ; car dans mon sens, c'est une atteinte portée au droit de propriété que de dire à un homme, que ce soit un industriel ou un propriétaire : Vous possédez tel objet, vous ne le vendrez qu'a tel prix cm vous devrez subir une retenue au profit du trésor. C'est une atteinte formelle au droit de propriété. C'est ce que vous faites pour les propriétaires d'écorces et autres objets dont vous entravez la sortie ; vous faites cela pour avantager quelques autres propriétaires du pays. C'est une injustice flagrante.
Cette législation fût-elle justifiable au point de vue de la justice distributive. pourrait-elle se justifier au point de vue économique, alors qu'elle aurait pour effet de faire réaliser à l'intérieur pour ces objets une valeur moindre que celle qu'on pourrait obtenir a l'extérieur ? L'intérêt économique veut que l'on cherche à réaliser la valeur la plus considérable d'un produit quelconque.
Dans la séance d'hier les incroyables paroles suivantes ont été prononcées :
« Mon principe à moi est celui-ci : quand mes voisins sont libéraux à mon égard, je suis libéral pour eux ; quand je vois des prohibitions chez mes voisins, je me garde bien de leur vendre mes matières premières pour qu’ils en fassent de fabricats et m’empêchent d’en faire. »
Ces paroles sont incroyables, je le répète.
il faudrait, d'après l'honorable membre qui les a prononcées, refuser de vendre à une nation étrangère toutes les matières premières qu'elle (page 792) ne produit pas ou dont la production est insuffisante chez elle, de crainte de lui fournir le moyen de produire d'autres fabricats en concurrence avec notre industrie.
A ce compte, nous devrions refuser du charbon, du fer, du lin brut, des fils de lin à la France, car tous ces produits sont de nature à développer les moyens de production industrielle de la France, ainsi que l'expérience l'a prouvé.
Que deviendraient l'Angleterre et l'Europe entière si ce système préconisé par l'honorable membre était appliqué par les Etats-Unis ; s'ils s'avisaient, par les considérations invoquées, de prohiber ou d'entraver la sortie du colon en laine ?
Fort heureusement qu'ils s'en gardèrent bien, comme nous nous sommes bien gardés d'entraver l'exportation de la plupart de nos produits.
Je demande, messieurs, que la chambre reste fidèle à ses antécédents en continuant à abolir ces droits restrictifs de l'exportation qui sont une véritable atteinte au droit de propriété.
Je ne demande pas qu'on aille au-delà du projet du gouvernement. Je veux tenir compte des intérêts engagés et des considérations reproduites dans le rapport de la section centrale. On nous a parlé de bigarrures que présente notre législation douanière ; mais cela est inévitable quand s'opère une transformation graduelle du système prohibitif vers le système de la liberté commerciale.
On a prononcé hier le mot libre échange, mot peu compris et dont on se sert comme d'un épouvantail : le libre échange serait, dans l'opinion de l'honorable membre, la ruine du pays ; cet honorable membre oublie que c'est grâce à la liberté des transactions commerciales que nos industries les plus considérables subsistent.
Que serait l'extraction du charbon, la fabrication du fer, la clouterie, la verrerie, la draperie, la fabrique d'armes, la filature du lin et le tissage de la toile sans l'exportation, c'est-à-dire sans la possibilité d'échanger ces produits contre d'autres, qui constituent une nécessité ou un agrément pour les consommateurs du pays ? Loin de cacher mes sympathies pour le libre échange, ou, en d'autres termes, pour le principe de la liberté commerciale, je les proclame hautement. Est-ce à dire que je veuille de l'application du principe envers et contre tous, au détriment du pays, en aveugle ? Nullement.
En vous pariant hier du principe du libre échange, M. le ministre des finances me paraît avoir renfermé la question dans des limites trop restreintes.
D'après lui, la question ne se viderait qu'entre l'industrie belge et l'industrie étrangère ; il a oublié un troisième intérêt très considérable, celui du consommateur. Quand le régime prohibitionniste place le consommateur dans la position de devoir payer, pour un objet de consommation, un prix élevé en raison de l’exclusion de la concurrence étrangère, vous violez la justice à l'égard du consommateur, vous portez atteinte au droit de propriété en le forçant à donner pour ses besoins une partie de son avoir, de sa propriété plus forte qu'elle ne devrait être sous le régime de la libre concurrence.
- Un membre. - C'est de la théorie.
M. Prévinaire. - Ce n'est pas de la théorie, c'est une vérité. Comment ! lorsque, par exemple, une aune de drap coûte, de ce côté de la frontière, 10 francs et, de l'autre, 11 francs, vous ne violez pas les droits du consommateur, vous ne portez pas atteinte à la propriété ! Je vais expliquer comment et quand on ne viole pas ces droits du consommateur, comment on ne porte pas atteinte à la propriété.
Quand le système est uniforme, homogène, vous donnez une sur-value à tous les produits, et artificiellement vous élevez la valeur de tous les objets ; comme chacun est en même temps producteur et consommateur, tous obtiennent une part de cette sur-value que vous créez artificiellement. Mais si votre système n'est pas homogène, vous êtes à l'état de violence à l'égard d'une certaine catégorie de producteurs. Cela existe aujourd'hui pour l'agriculture, je suis d'accord avec les honorables membres qui ont réclamé en sa faveur, je demande qu'on abaisse les droits sur les produits manufacturés, comme on l'a fait pour les produits agricoles.
Quand le système protecteur est homogène, il n'a pas d'inconvénient, il offre des compensations relatives à ce qu'on exige de vous ; du moment qu'il n'est plus homogène, vous devez le supprimer pour rentrer dans la justice et l'égalité.
M. Delehaye. - C'est inconséquent, et ce n'est pas adroit.
M. Prévinaire. - C'est très conséquent et très adroit.
Je m'appuye, en faveur de mon opinion, sur des faits qui se sont passés dans la ville de Gand. Grâce à une mesure introduite sous le cabinet précédent, plusieurs industriels de Gand ont remonté leurs ateliers, en empruntant à l'étranger leurs moyens de production les plus perfectionnés.
Ce fut là une heureuse conséquence de la loi et de son application par le cabinet précédent ; ces industriels ont trouvé à se pourvoir à l'étranger, promptement et à bon marché, d'outils inconnus dans le pays, et ont imprimé à leur fabrication une impulsion nouvelle et des plus favorables.
Ils sont en position de fabriquer des fils de coton, des tissus de colon à aussi bon marché que l'étranger.
L'honorable M. Delehaye nous disait, il y a quelques années, en faveur du régime prohibitionniste, qu'il créait inévitablement le bon marché par la concurrence qu'il excitait. Cela s'est vu pour les fers, mais il n'en a point été de même pour les filés, et si ce résultat avait été atteint, qu'est-il besoin encore de droits protecteurs ?
Je maintiens que la fabrication à laquelle j'ai fait allusion ne s'est point développée sensiblement, qu'elle s'est plutôt transformée, grâce à une application de la liberté des transactions et qu'elle est aujourd'hui en mesure de lutter avec l'étranger.
Si l'on s'était renfermé dans la protection absolue, jamais on n'aurait atteint ce résultat, car l'industrie n'aurait pu se procurer les outils nécessaires.
Cette question des outils reviendra.
Après cette digression générale dans le domaine du principe du projet de loi, j'arrive aux amendements.
Je déclare que je voterai contre tous les amendements, parce que, dans ma manière de voir, il y a déjà une transaction dans le projet de loi. Je conçois très bien que M. le ministre des finances ne veuille pas aller au-delà.
Je crois qu'il faut tenir compte des faits, ne pas précipiter les choses, mais marcher résolument dans la voie où nous sommes depuis plusieurs années.
En ce qui concerne les os, je viens aussi combattre la proposition qui a été faite hier. Si les entraves à la sortie des os sont une nécessité dans l'intérêt de l'agriculture, il y a quelque chose de plus à faire que le statu quo ; c'est la sortie du bétail sur pied qu'il faut restreindre ; car ce bétail, ce sont des os sur pied.
Entravez la sortie du bétail et vous conserverez les os nécessaires à l'agriculture.
M. Delehaye. - Et que ferez-vous de l'excédant de la viande ?
M. Prévinaire. - On ferait ce qu'on fait à Hambourg, on la salerait.
Si vous admettez que la sortie des os doive être entravée dans l'intérêt de l'agriculture, il faut l'entraver par tous les moyens, en prohibant la sortie des bestiaux. Ainsi vous serez conséquents.
Quant aux chiffons de laine, c'est encore au nom de l'intérêt agricole que l'on réclame des restrictions à la sortie. Je conçois cela, pourvu que ce ne soit pas au détriment des industries auxquelles ils appartiennent. De quel droit diriez-vous à une industrie : Il y a là des déchets ; ceci m'appartient, parce que je m'appelle agriculture ! Ce serait une injustice, et pas autre chose. La loi serait violente et injuste.
Ainsi voilà les deux articles qui ont fait le plus spécialement l'objet de la discussion.
Vient l'amendement de l'honorable M. Manilius qui tend à autoriser le gouvernement à faire revivre par arrêté royal certaines clauses que le gouvernement avait été autorisé à faire disparaître.
Je crois, messieurs, que ce serait aller à l'encontre de la présentation du projet de loi qui nous occupe que d'autoriser le gouvernement à prendre une disposition semblable. Comment ! le gouvernement vient vous dire : Je ne veux pas prendre sur moi la responsabilité de ces mesures douanières, je vous présente un projet de loi. Et vous l'armeriez ensuite de manière à ce qu'il pût modifier la loi votée ! Cela est impossible. Modifiez ou adoptez la loi qui vous est soumise, mais que le gouvernement n'y puisse toucher ensuite.
Il importe, dans l'intérêt de l'industrie, que les mesures qui se rattachent au régime douanier aient un certain caractère de fixité et que le gouvernement soit affranchi de la responsabilité que ferait peser sur lui la latitude qu'on veut lui accorder.
Je bornerai là, pour le moment, mes observations.
M. Visart. - (page 799) Je n'ai, messieurs, qu'une observation à faire.
Hier l'honorable ministre des finances nous a dit que la betterave détruisait les assolements ; je crois que cette pensée pourrait être mal comprise et qu'elle a besoin d'une explication.
Sans doule, la betterave est nuisible à l'assolement, pour la culture de la betterave elle-même ; mais elle n'est point contraire à la culture des autres tubercules et des céréales ; il y a des plantes beaucoup plus effritantes ; ainsi le lin, et MM. les représentants des Flandres le savent particulièrement, ne peut se remettre sur la même terre qu'à des intervalles de six à sept ans ; il en est de même du trèfle ; il faut un intervalle moins grand que celui-là, c'est-à-dire trois à quatre ans, pour le blé et la betterave.
L'honorable ministre a dit que le canton de Pérnwelz avait érigé trop de fabriques sur le même point ; il est vrai que l'on y a commis cette faute ; cela y augmente le prix de la main d'oeuvre et celui de la betterave; mais les fabricants se pourvoient, pour une forte part, à une grande distance ; de même que pour les os que l'on y fait assez facilement arriver du pays entier et surtout des Flandres ; et ils ne se sont pas plaint, particulièrement du changement projeté à la loi, qui, du reste, leur serait très préjudiciable, comme aux raffineries, aux fabriques de colle, aux boutonniers et à d'autres intérêts que l'on a cités. Je pense donc que nous devons accepter l'amendement qui tend à maintenir la protection, motivée par les tarifs de nos voisins, que la loi actuelle accorde à ces nombreux foyers, d'activité par 50 francs aux 1,000 kilog., droit bien inférieur à celui de la France.
(page 792) M. de La Coste. - Messieurs, s'il fallait, à l'occasion du projet de loi qui nous occupe, examiner les questions que vient de toucher un honorable député de Bruxelles, le champ de la discussion serait très vaste. Je compte, quant à moi, me renfermer uniquement dans l'objet spécial de nos délibérations actuelles.
Messieurs, je pense que les droits de sortie doivent être envisagés sous différents points de vue ; qu'il y a plusieurs distinctions à faire. Il y des droits de sortie qui n'ont été introduits que pour faciliter l'établissement des statistiques et procurer en même temps un très léger bénéfice au trésor. Quant à ceux-là, si le gouvernement trouve des motifs pour les supprimer, il ne peut y en avoir pour s'opposer à cette suppression.
Il y a, au contraire, des droits de sortie qui sont établis pour la protection de certaines industries, et à cet égard, il me semble qu'il y a encore une deuxième distinction à faire : les uns ne s'appliquent qu'à de simples déchets, les autres atteignent de véritables industries. Ce n'est point là une distinction capricieuse, arbitraire ; elle est fondée sur la nature des choses. Ainsi, par exemple, la production des os, dont on a beaucoup parlé, n'est l'objet spécial d'aucune industrie. Examinons, s'il vous plait, quelle industrie peut être intéressée à leur sortie.
Est-ce l'élève du bétail ? Je ne le pense pas. Si vous augmentiez ou diminuiez les droits de sortie sur les os, je ne pense pas que le prix du bétail éprouverait une augmentation ou une diminution sensible, et d'autant moins que si cela pouvait produire une légère augmentation elle serait aussitôt détruite par la concurrence du bétail étranger. Je crois donc que les éleveurs sont sans intérêt dans la question.
Sera-ce, par hasard, le prix de la viande qui diminuera si l'on peut tirer plus de parti des os ? Je ne le crois pas non plus, et l'expérience a (page 793) prouvé que toutes les fois qu'on a cru, par des mesures semblables, diminuer le prix de la viande on n'a obtenu aucun résultat. Cela tient à l'organisation et à la nature spéciale de la profession des bouchers,ert lorsque l'on a voulu opposer à l'espèce de monopole qu'ils exercent, des mesures tendant à diminuer le prix de la viande, on a toujours échoué.
Néanmoins, messieurs, je dois avouer franchement que l'inquiétude que l'on manifeste,quant à la diminution des droits sur la sortie des os, me semble un peu exagérée ; voici pourquoi : c'est que l'exportation des os diminue d'elle-même sensiblement. Ainsi, de 1843 à 1850, l'importation des os s’est accrue de 990 kilog. à plus de 34,000 kilog. et au contraire, l'exportation a diminué de 1,317,000 kilog. à 49.838 kilog.
Il paraît qu'en 1851 elle a un peu augmenté mais enfin il y a une diminution considérable ; et probablement une légère réduction des droits n'apporterait pas un grand changement.
Mais, messieurs, l'honorable M. T'Kint de Naeyer a fait une observation très juste, c'est qu'il faudrait, à l'égard des déchets, une législation uniforme, un principe rationnel et, comme l'a dit M. Prévinaire, il faudrait une législation homogène. Or, je n'ai pas encore pu parvenir à comprendre pourquoi, tandis qu'on cherche à maintenir les os dans le pays par un droit de sortie, d'autres déchets de même nature tels que les cornes et les sabots du bétail seraient laissés entièrement libres à la sortie. Il y a cependant des industries qui sont intéressées à les retenir ; telles sont celles qui produisent des sels ammoniacaux, telle est la fabrication du prussiale de potasse, et je vous avoue que je ne puis m'expliquer la différence de traitement que parce que, d'un côté, il y a une industrie puissante et qui sait faire valoir ses droits et ses prétentions.
Je disais qu'il y avait une distinction à faire entre les déchets et les produits de l'industrie ou de l'agriculture. Ainsi, par exemple, je ne puis pas assimiler les écorces et les charbons à des déchets ; les écorces et les charbons sont l'objet d'une culture ou d'une industrie. Pour qu'il y ait du charbon, il faut qu'on fasse du charbon, il faut qu'on cultive des bois taillis. Pour qu'il y ait des écorces, il faut qu'il y ait des baies à écorce, comme on les appelle dans le Luxembourg, ou du bois pélard, comme on l'appelle dans le pays flamand.
Les écorces font en grande partie la valeur du bois. Les fluctuations de la valeur du bois sont en grande partie la conséquence des fluctuations du prix des écorces et de l'exportation des écorces.
On a dit que les écorces et les charbons devaient faire l'objet de négociations.
Lorsque le gouvernement fait une semblable déclaration, on est obligé de s'y rapporter. Je désire donc que le ministère tire grand parti de cet objet pour les négociations ; je désire qu'il obtienne par ce moyen de larges concessions, et je l'engage à être aussi très facile à en accorder sur ce point ; car, après tout, ce ne sera là qu'une justice, et comme l'a très bien dit M. le ministre des finances, il est très dur pour une industrie d'être privée de tirer parti de ses produits, et cela au profit d'une autre ; je ne pense pas que les localités auxquelles je m'intéresse particulièrement aient ici un intérêt très spécial parce qu'elles ont le débouché de l'Angleterre ; mais je pense qu'il y a là un principe de justice, un principe général à appliquer.
Je remarque, d'ailleurs, que les inquiétudes des industries qui profitent de ces dispositions sont aussi très peu fondées. En effet, l'exportation des produits de nos tanneries n'a fait que s'accroître : l'importation du côté de l'Allemagne notamment n'a fait que diminuer depuis quelques années. L'exportation des écorces de son côté diminue ; c'est donc un produit qui est en souffrance et qui se trouve placé dans une position défavorable vis-à-vis d'autres industries qui sont en voie de prospérité.
D'après Ir déclaration qu'a faite M. le ministre, je ne puis proposer une réduction du droit sur les écorces ; mais je désire qu'elle soit le résultat des négociations qu'on annonce, ainsi que sur le charbon de bois.
Je ne puis appuyer les amendements qui ont été proposés, quant aux écorces, tant pour ces motifs, que parce qu'il serait contraire au traité avec le Zollverein d'établir le droit au poids. La section centrale en a déjà fait l'observation, et je crois que cette observaîion peut être présentée avec encore plus de force, car le traité dit positivement qui la sortie des écorces aura lieu à certains bureaux, au droit de 6 p. c. ad valorem, et il ne dépend pas de nous de remplacer le droit ad valorem par un droit au poids.
Il est évident que par là on n'a pas d'autre intention que de rendre le droit plus pesant ; car si on n'avait pas cette intention, on ne ferait pas de proposition.
Ainsi, il y aurait violation du traité, et puisqu'on désire que nous restions en termes de négociation, il ne faut pas commencer par porter atteinte au traité.
Je ferai observer, d'ailleurs, que la commune de Stavelot pour laquelle on témoigne ici de l'intérêt et qui y a des droits pour sa fabrication importante et prospère ; que cette commune est intéressée elle-même à ce que la sortie des écorces ne soit pas entravée ; car la ville de Slavelot est le principal marché d'écorces du côté de l'Allemagne et elle est intéressée à ce que ce marché soit florissant.
M. Julliot. - Je devais me rendre aujourd'hui en province pour mes affaires, mais à la séance d'hier deux honorables collègues, hommes importants par la position qu'ils occupent à juste titre parmi nous, ont émis de si singulières et de si dangereuses idées à propos du projet de loi en discussion, que j'ai cru de mon devoir de postposer mon voyage pour avoir l'occasion de protester contre le système préconisé, qui, s'il était appliqué en grand, aurait pour résultat inévitable de blesser tous les intérêts à la fois tout en ayant la prétention de les concilier.
Les honorables MM. Verhaegen et Osy, peu d'accord sur les vérités politiques, ont, par exception à mon point de vue, choisi le terrain d'une erreur pour être une fois d'accord.
Quand on a prononcé les mots « travail national » et « matière première », tout paraît dit.
Dans toutes les discussions économiques, on tient si peu compte des principes, que je trouve des adversaires de toutes les couleurs et de toutes les tailles ; on ne sait plus finalement à qui s'en prendre. J'ai donc choisi ceux dont la parole peut entraîner le plus de voix dans le vote.
C'est vous dire, messieurs, que je n'entreprendrai pas de réfuter tous les disciples de l'école de M. de Saint-Cricq, qui sont ici ; ils sont trop nombreux, ce sont tous les théoriciens du travail national quand même, ceux par exemple qui trouvent que la Belgique éprouverait un énorme malheur si demain le charbon se trouvait en quantité suffisante à fleur de terre ; car, dans ce cas, une masse de travail national cesserait de se produire. Comme si les capitaux circulants disponibles ne se porteraient pas immédiatement sur un autre point en attirant le travail sous une autre forme !
En ce qui me concerne, je crois que le malheur théorique de ces messieurs se résumerait en un accroissement de richesse de vingt millions par an pour la Belgique et j'accepterais la trouvaille.
Vous avez encore les théoriciens de la matière première dont je demande avec instance la définition, qu'on ne me donnera pas, car elle est insaisissable.
En effet, prenons par exemple, la laine ; sa production a certes coûté du travail ; néanmoins on vous dit que c'est une matière première ; or, la terre produit la récolte, la récolte le mouton, le mouton la laine, la laine le fil, le fil l'étoffe, l'étoffe l'habit ; ce dernier est la matière première du chiffon, celui-ci engraissa la terre et vous ramène au mouton et à la laine, etc. Où maintenant est la matière première ? où commence-t-elle et quand cesse-t-elle de l'être ? Car chacune de ces transformations a occasionné ce que vous appelez une portion du travail national.
Vous voyez que quand vous recevez un habit de Paris, vous importez une matière première pour vos loques sur lesquelles vous vous attendrisse tant ; prouvez-moi le contraire en abandonnant leur défense. Et ce qui est vrai pour la laine, est vrai pour beaucoup d'autres objets.
Messieurs, ce ne sont pas les agriculteurs qui font tout ce bruit pour la sortie des os ; s'il n'y avait qu'eux d'engagés nous n'aurions pas tant de brillants discours ; ce sont les fabricants de sucre qui remuent imprudemment les os, sans s'apercevoir qu'ils attirent en même temps notre attention sur le drawback, que nous étudierons à son tour.
Il est encore une autre phalange économique qui fleurit principalement dans les Flandres, et dont nos honorables collègues MM. Vander Donckt et Rodenbach sont les adeptes, si hier j'ai compris leurs arguments.
Ce sont les protecteurs de l'agriculture, cette mère nourricière de toutes les autres industries, qu'on veut protéger d'une main et terrasser de l'autre ; car hier, l'honorable M. Vander Donckt a voulu des droits élevés sur la sortie des chiffons en même temps qu'il voulait des droits de sortie sur le lin, afin que le paysan vendît plus mal son lin en raisoa de ce que le fabricant vendrait cher son fabricat.
Or, la première proposition était amour pour l'agriculture, la seconde était haine.
C'était vouloir emprunter la loi d'une part pour diminuer le profit du chiffonnier en faveur de l'agriculture, et d'autre part punir l'agriculture au profil du fabricant.
Nous prétendons être chargés du rôle de régler les profits de chaque travailleur ; en 1848, nous reculions avec horreur devant l’organisation du travail, et quand nous ne pouvons pas nous-mêmes l'organiser sur une petite échelle et dissimulée par la loi, nous ne faisons pas de bien.
Notre système économique est le plus bigarré de toute l'Europe ; ce n'est pas par principe qu'on procède, c'est le hasard, l'habileté désintéressés qui en décide.
En effet, le gouvernement nous présente un ensemble destiné à faciliter le travail et les échanges par l’application des bons principes, et par une transition dont il faudrait lui laisser l'appréciation, il vous a déjà dit que les droits de sortie sont des impôts que quelques Belges lèvent sur d'autres Belges. Tout cela n'y fait rien, les réclamations pleuvent, les favorisés veulent conserver les faveurs.
Le rafiiueur de sucre veut empêcher la vente des os, le tisserand la vente du lin et de la laine, le cloutier celle du fer, et le tailleur d'habits celle des étoffes ; et si les réclamations ne s'adressent pas à tous les articles, c'est que parmi nos électeurs les uns sont plus remuants que les autres.
L'honorable M. Verhaegen l'a pris de plus haut, il a comme toujours dédaigné les détails, il a attaqué la question au cœur.
L'honorable député de Bruxelles a repoussé avec indignation la théorie du free-trade. Ce sont des théories de dupe a-t-il dit, et nous ne voulons pas l'être. Le Moniteur fait dire à l'honorable nombre qu'il repousse la théorie du libre échange ; mais cela ne peut être qu'à une faute typographique, car l'orateur s'est donné comme chaud théoricien du (page 794) libre échange, en déclarant qu'il admettait la liberté du commerce vis-à-vis des nations qui donnaient la réciprocité ; ce qui, en effet, constitue seul le libre échange, car, alors que des deux côtés l'échange est libre, il y a libre échange ; mais alors que l'entrée n’est libre que d'un côté sans qu'il y ait réciprocité, ce n'est pas le libre échange, c'est le free-trade où la libre entrée chez nous sans nous occuper de ce que font les voisins ; ces deux situations ne sont jamais confondues par les économistes ; ce ne peut donc être qu'une faute typographique, et une preuve que parfois, MM. les typographes nous en font dire de hasardées à de rares intervalles.
Mon honorable cont'adicteur ne peut ignorer combien l'ordre moral est en cohésion avec l'ordre des intérêts matériels.
Des entraves politiques et la liberté commerciale, cela ne s'est jamais vu.
Mais aussi des libertés politiques avec des entraves commerciales et industrielles est un état qui ne peut durer.
L'une liberté doit entraîner l'autre, ou la première disparaîtra.
Vous n'avez pas besoin de parcourir les cinq parties du monde pour découvrir un pays où les institutions politiques et économiques sont homogènes, et cela seul donne une position forte.
Ne perdez pas de vue que la liberté comme l'entrave sont des unités qui ne se laissent pas couper en deux, comme nous avons la prétention de le démontrer par nos actes législatifs.
La liberté, messieurs, n'est autre chose que l'absence de toute entrave qui n'est pas nécessaire au maintien de l'ordre social ; or que peut faire la loi qui vous est soumise à votre ordre social ? Rien ; si ce n'est le déplacement de quelques écus dans la poche des électeurs que nous connaissons, pris sur d'autres que nous ne connaissons pas. Voilà le fond de toute la question.
On ne me convaincra pas que, pour l'artisan, la liberté de perdre son temps dans un cabaret en lisant une gazette contre le gouvernement soit plus utile à sa famille et à son pays, que la liberté de tirer de son travail le plus de rémunération possible. Non cela n'est pas vrai.
Je recommande à toutes les couches de la société et principalement à nos gouvernants un peu moins de politique de plein vent et un peu plus d'économie politique dans les bureaux et les ateliers, et nous ne serons pas longtemps sans découvrir que l'abondance de toutes les chses est préférable à la disette, que la liberté donne l’abondance, et la restriction la disette.
Messieurs, il me reste à régler en peu de mois un petit compte avec l'honorable baron Osy, le représentant de notre métropole commerciale.
Cet honorable membre comprend parfaitement tout ce qu'il y a de prospérité pour un pays dans la facilité et la multiplicité des échanges. Néanmoins je dois avouer qu'il fait dans cette discussion quelque peu fausse route. Comment ! l'honorable député d'Anvers plaide pour l’agriculture contre le commerce ! Mais si les chiffons et les os intéressent tant l'agriculture, le fer et le charbon les intéressent bien davantage ; et si vous favorisez l'agriculture par les chiffons et les os, vous devez la favoriser par le fer ; chaque fois que les prix de celui-ci augmentent, vous devez demander des droits de sortie et en entraver l'échange pour en faire baisser les prix.
C'est le seul moyen d'être logique. Or, voici donc le principe que défend cet honorable orateur : une prime pour construction de navires n'est pas à dédaigner, il les a défendues dans le temps ; puis une prime pour garder les navires construits à l'ancre, en imposant à la sortie les objets dont les prix s'élèvent par la demande de l'étranger et qui en cas de liberté fourniraient des transports en échange, tandis que dans son système il y aurait entrave et par conséquent moins de navigation.
Messieurs, ne vous méfiez pas tant de mes principes, ils ne sont pas dangereux ; je ne suis ni free-trader ni libre-échangiste, je suis avant tout partisan d'un principe avouable, qui est l'égalité devant la loi ; je veux la libre sortie de nos produits parce que les droits de sortie ne pèsent que sur des Belges.
Je veux des droits à l'entrée s'élevant jusqu'à dix pour cent pour certains articles sur nos produits similaires à ceux de nos voisins ; je veux des droits même élevés sur les produits dont nous ne fabriquons pas les similaires ; en un mot, je veux l'absence du monopole et la plus forte recette douanière possible, afin de diminuer d'autant les impôts perçus à l'intérieur qui pèsent bien plus lourdement sur le contribuable que ceux perçus à la douane. Je veux la douane au point de vue fiscal, rien de plus.
Ayons foi dans M. le ministre des finances, il ne nous fera que de bonnes lois, car il comprend parfaitement les questions économiques qui se rattachent à son ministère.
Je voterai le projet tel qu'il est présenté.
M. Moreau. - Messieurs, quoique le projet de loi proclame la libre sortie de cent espèces de marchandises et plus, il n'a cependant donné lieu qu'à peu de critiques dans cette chambre et hors de cette enceinte, car les observations qui vous ont été présentées ne concernent que quelques matières premières.
D'où cela provient-il, messieurs, si ce n'est de ce que le principe qui sert de base au projet de loi est vrai et juste ?
Aujourd'hui, messieurs, l'on ne croit plus, comme l'a dit un honorable député d'Anvers, qu'en réservant exclusivement certaines matières premières pour les fabriques indigènes, on leur procure plus facilement ce dont elles ont besoin pour travailler ; l'on ne croit plus que, par ce moyen, on ruire en même temps les établissements similaires étrangers, en les privant de matériaux indispensables.
Jadis l'Angleterre, partageant cette idée fausse, avait prohibé la sortie de ses laines ; mais les faits, l'expérience, plus puissants que ces raisonnements, sont venus lui démontrer l'ineflicacité de ces mesures.
Les entraves, messieurs, apportées à la sortie des laines anglaises, n'ont pas empêché la Belgique et la France de fabriquer de bons draps, et l'Angleterre, reconnaissant que par cette prohibition elle n'avait fait que se porter préjudice, l'a fait disparaître de sa législation douanière.
Eh bien, messieurs, ce qui est vrai pour la laine l'est également pour toute espèce de matière première. Et pourquoi en est-il ainsi, messieurs, pourquoi ces mesures restrictives ne profitent-elles pas aux industriels en faveur desquels on les préconise ?
La raison en est bien simple, c'est que la prohibition ou les droits de sortie nuisent aux transactions commerciales, c'est qu'elles diminuent les choses qui peuvent ni faire l'objet, c'est enfin qu'elles restreignent les échanges des produits, échanges qui sont l'aliment le plus actif de l'industrie et du commerce.
Les industriels ont sans doute le plus grand intérêt à se procurer les matières premières au plus bas prix possible ; or, vous en conviendrez, pour faire baisser les prix, rien de plus avantageux que l'extension des relations commerciales, rien de plus avantageux que la libre concurrence, qu'en un mot de laisser prendre à l'industrie et au commerce tout le développement dont ils sont susceptibles.
J'ai dit, messieurs, que le principe qui sert de base au projet de loi était vrai ; j'ai ajouté qu'il était juste ; peu de mots suffiront pour le démontrer.
Vous direz sans doute avec moi que celui-là qui dépouillerait l'un d'une chose pour la donner à l'autre, commettrait un acte répréhensible aux yeux de la morale. Vous ne voteriez pas sans doute une loi qui me forcerait à me défaire, à un prix que vous fixeriez, du produit de mon travail, du fruit de mes labeurs.
Eh bien, messieurs, voter l'établissement des prohibitions ou des droits de sortie, je dis que c'est faire à peu près la même chose, si pas d'une manière directe, du moins d'une manière indirecte.
Car en réalité, si, alors que je puis, au-delà de la frontière, obtenir un franc de plus, par exemple ,d'une chose que j'ai créée par mon travail, vous m'obligez à la vendre pour un franc de moins à un industriel indigène, n'est-ce pas me prendre cette somme pour l'attribuer à l'industriel ? Que m'importe de quelle manière j'en suis privé ? Et croirez-vous vous justifier en prétendant que des raisons d'intérêt général me commandent de faire ce sacrifice à la chose publique ? J'en doute beaucoup ; car, prenez-y garde, semblable maxime poussée trop loin pourrait avoir des conséquences que certes vous n'adopteriez pas.
Ainsi donc, messieurs, les prohibitions et droits de sortie ne sont pas conformes aux principes de l’équité, les intérêts des producteurs ne doivent pas vous être moins chers que ceux des industriels qui consomment ces produits. Je le répète, vous ne pouvez nuire à l'un pour être favorable à l'autre ; tel ne doit, tel ne peut être le rôle d'un législateur sage et éclairé.
Si ce que je viens d'avancer est vrai, messieurs, vous comprenez qu'il faut que vous ayez des motifs bien puissants pour voter le maintien de quelques prohibitions ou des droits de sortie ; vous comprenez que vous ne pouvez même les tolérer que dans des cas très exceptionnels, en faisant toutefois tout ce qui est en votre pouvoir pour en diminuer les inconvénients.
C'est donc en me plaçant au point de vue que je viens d'indiquer que je dois examiner les observations et les amendements qui vous ont été présentés.
Le premier amendement concerne les chiffons de laine pour lesquels on demande le maintien de la prohibition de sortie.
Les chiffons de laine, a-t-on dit, forment des engrais utiles à l'agriculture.
Ils sont en même temps la matière première d'une industrie importante, celle de la fabrication de la laine artificielle qui sert à la confection de certaines étoffes.
Quant à moi, messieurs, sans vouloir nier que l'on emploie utilement ces déchets en agriculture et dans l'industrie, je suis loin de croire que cette matière première ait l'importance qu'on lui donne.
Ainsi, quoi qu'en disent d'honorables membres, l'usage n'en est pas général, cette espèce d'engrais n'est employé que dans la culture de terrains de certaine qualité.
Quoi qu'il en soit, je prétends que, soit que vous mainteniez la prohibition, soit que vous la leviez, l'agriculture n'aura pas moins de chiffons de laine à sa disposition.
En effet, la laine artificielle faite avec ces chiffons est libre à la sortie, à entendre certains orateurs, elle est même très recherché sur le marché intérieur et à l'étranger ; or qu'importe à l'agriculture que cette matière disparaisse du pays sous la forme de chiffons, ou qu'elle en sorte métamorphosée en laine artificielle ?
Si réellement l'agriculture a un besoin si pressant pour sa prospérité de ces chiffons, vous devez, pour être conséquents, faire en sorte qu'ils ne soient exportés sous quelque forme que ce soit ; c'est-à-dire que vous devez nécessairement prohiber la sortie des laines arlificielles, car, ne vous faites pas illusion, vous aurez beau inscrire dans vos lois des mesures restrictives, on saura les éluder, et vous ne retiendrez pas dans le pays les chiffons de laine, si on a intérêt de les faire sortir du pays en les transforment en laine artificielle.
(page 795) D'un autre côté des pétitionnaires ont prétendu, comme un honorable député d'Anvers, que dans 16 ou 20 fabriques de laine artificielle, on consomme annuellement 7 1/2 millions et plus de chiffons de laine, ayant une valeur d'un million 608 mille fr. Cette manipulation, a-t-on ajouté, donne aux ouvriers un salaire de 2 millions.
J'ai tout lieu de croire, messieurs, que ces renseignements sont bien inexacts, qu'ils sont singulièrement exagérés.
Le salaire, dit-on, des ouvriers est de 2 millions ; eh bien, en supposant que chacun d'eux reçoive annuellement 150 à 200 fr., vous trouvez par le calcul que les 16 à 20 fabriques où l'on fait usage des chiffons de laine renferment 10 à 13 mille ouvriers, soit pour chacune 550 à 800 ouvriers. Et savez-vous ce que triturerait chaque ouvrier par jour ? Tout au plus 2 kil. de chiffons pour produire 1 1/2 kil. de laine artificielle.
Je ne doute nullement que si l'honorable député d'Anvers avait fait comme moi ces calculs bien simples, il aurait reconnu que les faits rapportés dans la réclamation qu'il a appuyée étaient inexacts et que les fabriques dont il a parlé sont loin d'avoir l'importance qu'il leur a donnée.
Du reste, messieurs, admettons même, si vous le voulez, que ces industriels emploient une aussi grande quantité de chiffons ; eh bien, s'il en est ainsi, ils doivent s'approvisionner de chiffons de laine dans les ports libres où la sortie en est permise, et en effet, il est entré en 1851 environ 200,000 kil. de drilles.
Dans ce cas, s'ils désirent que cette importation prenne de l'extension, ils sont intéressés, d'après les principes que nous avons proclamés tantôt, à ce que la prohibition de cette matière première soit levée.
Car, nous le répétons, rien ne fait davantage baisser les prix que la faculté laissée aux commerçants de pouvoir disposer des marchandises qu'ils importent sans entraves et comme ils le jugent convenable pour le mieux de leurs intérêts.
Il en est, messieurs, des chiffons de laine comme d'un autre déchet utile aux fabricants de draps de Verviers ; ces derniers emploient, pour la confection des lisières et de quelques étoffes, certaine espèce de poils ; on avait voulu prétenduement les protéger, en établissant de gros droits sur la sortie de ces poils. Eh bien, ils sont venus naguère vous demander de ne plus les protéger de cette manière, ils ont insisté pour que ces droits de sortie soient supprimés, parce qu'ils ont reconnu avec raison que le marché intérieur serait mieux approvisionné si les marchands de cette matière première n'étaient pas entravés dans leurs spéculations par des droits de sortie élevés.
Ainsi donc, messieurs, de deux choses l’une, ou cette matière première est de quelque importance pour certaine industrie et l'agriculture, ou elle ne l'est pas.
Dans le premier cas, la levée de la prohibition de sortie sera favorable ; dans le second cas, elle ne peut nuire à de bien grands intérêts.
En tout cas, il n'est pas exact de soutenir, comme le fait l'honorable député d'Anvers, que les fabricants de certaines étoffes soient intéressés au maintien de la prohibition de sortie des chiffons de laine, puisque les laines artificielles provenant de la manipulation de ces chiffons peuvent sortir librement du pays, et sans doute je le répète à eux, il importe peu aussi que ces drilles s'exportent bruts ou sous la forme de laine artificielle.
Messieurs, les considérations que je viens de vous présenter s'appliquent également à l'amendement de l'honorable M. Verhaegen, qui demande le maintien du droit actuel de sortie sur les os.
Ma tâche est d'ailleurs ici simplifiée ; on n'a rien répondu, selon moi, aux observations présentées par M. le ministre des finances et tirées de ce que le noir animal peut s'exporter librement, et de nouveaux procédés employés pour la clarification du sucre.
Je me contenterai donc de vous présenter quelques observations.
La loi de 1837 avait fixé le droit de sortie sur les os à 30 fr. par 1,000 kil. ; alors il était regardé comme suffisamment protecteur.
Mais quelques années après en 1843, on a porté ce droit à 50 fr. par 1,000 kil. ; on croyait alors que les pays voisins avaient un besoin absolu de cette matière première, et que l'augmentation du droit de sortie n'en diminuerait pas l'exportation et serait très profitable au trésor.
Or, messieurs, on s'est trompé et il est arrivé, ce qui se pratique presque toujours dans de telles circonstances, c'est que l'exportation légale, si je puis le dire, a considérablement diminué, tandis que l'exportation frauduleuse a pris de grandes proportions. Ce sont les raffineurs de sucre qui le disent eux-mêmes dans des pétitions qui vous ont été adressées.
El, en effet, il est notoire que cette fraude se fait sur une échelle assez grande à la frontière.
Ainsi, messieurs le trésor public, d'un côté, a perdu, et les industriels qui emploient les os n'ont pas profité de l'augmentation des droits. Que vous diminuiez donc ou que vous augmentiez les droits de sortie, le statu quo continuera à exister ; seulement il rentrera plus ou moins d'argent de ce chef dans les caisses du trésor.
Aussi, messieurs, ces considérations ont frappé votre commission d'industrie. Dans plusieurs de ses rapports elle a insisté pour que l'on diminue les droits sur la sortie des os.
Les pays voisins ont aussi tellement reconnu l’inefficacité des droits de sortie élevés sur cette matière, qu'ils ont abaissé les droits, et je ne sache pas que les raffineurs de la Hollande et de la Prusse aient eu à souffrir de ces mesures. Nous devons donc les imiter, et il n'y a pas de motifs assez puissants pour empêcher même de malheureux chiffonniers ou des domestiques de disposer de leurs marchandises pour le mieux de leurs intérêts.
Un troisième amendement est celui concernant les écorces à tan.
Aujourd'hui, messieurs, aux termes du tarif de 1822, l'exportation desdites écorces n'est permise que par les frontières maritimes : toutefois un arrêté royal peut en autoriser la sortie aux frontières de terre moyennant un droit à régler d'après les circonstances locales.
L'article 23 du traité avec le Zollverein a aussi autorisé la sortie de cette denrée par trois bureaux moyennant le payement d'un droit de 6 p. c. à la valeur.
D'un autre côté, le gouvernement a souvent fait usage de la faculté précitée ; il a promis, par arrêté royal du 8 août 1847, la sortie de ces écorecs par 16 bureaux moyennant des droits qui tantôt sont de 6 p. c. à la valeur, tantôt de 1 fr. 20 par 100 kil.
Le projet de loi, messieurs, a pour but de modifier la disposition en quelque sorte arbitraire du tarif de 1822. Les écorces à tan exportées par quelques bureaux que ce soit des frontières de terre ne seront plus assujetties qu'à un droit unique de 6 p. c. ad valorem.
Quant à moi, messieurs, j'avais regardé comme bonne cette disposition qui tend à simplifier notre tarif et à le rendre uniforme.
En effet, qu'arrive-t-il aujourd'hui ? C'est que chaque fois qu'on insiste près du gouvernement pour obtenir un arrêté royal autorisant la sortie des écorces par tel ou tel bureau, on le porte, même pour des intérêts purement privés.
C'est ainsi, entre autres, qu'un arrêté royal du 5 mars 1847 a autorisé un particulier du Luxembourg à exporter par le bureau de Geichel, 62,500 kilog. d'écorces non moulues, dans un délai de 3 mois et moyennant le droit de 6 p. c. à la valeur.
Vous voyez donc, messieurs, que le projet de loi ne fait en quelque sorte que consacrer un état de choses qui existe actuellement.
L'amendement de l'honorable M. Orban est donc loin d'avoir une bien grande portée, beaucoup d'importance.
Quelle sera la conséquence de l'amendement ? D'un côlé, quelques cultivateurs qui vendent en détail ces produits et ne font pas des affaires assez importantes pour pouvoir les expédier vers la Prusse par le bureau de Francorchamps, seront forcés de se défaire de leurs marchandises sur le marché intérieur.
Mais, d'un autre côté, d'autres cultivateurs de cette même catégorie qui auraient mis leurs marchandises en vente à Stavelot, continueront à ne pas y aller, lorsqu'ils verront qu'ils ne peuvent transporter directement leurs écorces en Prusse, s'ils ne peuvent s'en défaire à Stavelot.
Ainsi les marchandises retireront peut-être quelque bénéfice de cette mesure, mais les tanneurs, qui se fournissent en général chez les marchands, n'en profiteront guère.
Car, veuillez-le remarquer, les marchands d'écorces ne seront pas tenus de vendre sur place lorsqu'il y auront intérêt ; ils continueront à les faire passer par Franconchamps pour les expédier vers la Prusse.
Il est donc vrai de dire que le projet de loi ne peut causer un préjudice bien notable aux tanneurs, et d'un autre côté que la fermeture du bureau de Chaîneux est sans importance puisque aucune modification essentielle ne sera apportée à l'état actuel des choses.
Et cette observation répond à l'objection que l'on tire du traité avec le Zollverein et qui consiste à prétendre qu'on accorde gratuitement à la Prusse une nouvelle faveur.
Il n'en serait pas ainsi, messieus. La Prusse peut évidemment recevoir par le bureau de Francorchamps et les autres bureaux les écorces dont ses tanneries ont besoin : elle a obtenu sous ce rapport tout ce qu'elle désirait ; les fortes exportations, avant comme après l'adoption du projet de 1oi, se feront toujours par ces bureaux.
En résumé, messieurs, pour mon compte, je ne vois pas de grands inconvénients à maintenir, quant aux écorces, l'état actuel des choses.
M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, comme la proposition que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau de la chambre avec plusieurs de mes honorables collègues, se rattache au principe même du projet de loi qui est soumis à vos délibérations, je crois devoir la développer dans la discussion générale.
Peu de mois suffiront d'dtord, pour prouver que c'est à tort qu'on a voulu soutenir que cette proposition n'avait aucune connexité avec le projet de loi que nous discutons. Il est évident que ce projet contient plusieurs dispositions qui touchent aux intérêts de l'agriculture et qui sont de nature à modifier sa position, en ce qui concerne notamment l'acquisition des engrais, des matières fertilisantes. Par conséquent, quoi de plus naturel que de chercher à introduire dans ce même projet, des dispositions destinées à accorder à l'agriculture une compensation et surtout une compensation qui est une conséquence du principe même qui forme la base du projet de loi ?
La connexité, messieurs, est encore incontestable quand on prend en considération qu'après tout nous ne demandons autre chose si ce n'est de mettre les dispositions de notre législation intérieure en harmonie avec les principes qu'on nous propose de consacrer dans notre législation douanière ?
En effet, messieurs, alors que nous abolissons à la frontière les droits de sortie, n'y aurait-il pas une véritable anomalie à maintenir dans le régime de nos octrois municipaux des mesures restrictives du même genre ? Et je dirai que cette anomalie serait d'autant plus criante, qu'elle aurait pour résultat de créer un régime tout-à-fait exceptionnel (page 796) au détriment de la plus importante de nos industries, au détriment de l'agriculture.
La loi dont le gouvernement demande l'adoption est destinée à affranchir de toute taxe fiscale l'exportation des cendres, des tourteaux, du produit des vidanges, des engrais de ferme, des résidus de fabrique de sucre, etc., en un mot de toutes les substances le plus éminemment nécessaires à la production agricole. Les cultivateurs étrangers pourront donc venir chercher librement en Belgique toutes ces matières fertilisantes, sans être soumis au payement d'aucun droit de sortie !
Je demande si sous l'empire d'une législation qui fait cette position au cultivateur étranger, on peut encore admettre que le cultivateur belge continue à être assujetti, en Belgique même, au payement d'une espèce de rançon, alors qu'il fait enlever les ordures de nos villes pour les transformer en denrées alimentaires ?
Messieurs, il y aurait là une contradiction qui doit disparaître quoique l'on fasse, car elle serait réellement injurieuse pour notre agriculture nationale.
Messieurs, si nous examinons le système de nos taxes municipales, nous trouvons qu'il est fondé sur un principe d'éternelle justice, qui veut que les charges soient supportées par ceux qui sont appelés à jouir des avantages. Il en résulte que ces taxes doivent frapper exclusivement les objets consommés dans l'enceinte des villes ; il en résulle encore qu'elles ne peuvent être perçues qu'à l'importation et jamais à l'exportation. Aussi cette règle est constamment suivie, sauf une seule et unique exception ; et cette exception unique consiste à frapper une matière indispensable à l'agriculture, indispensable à la production du blé qui doit nourrir vos populations.
Pour maintenir cet état de choses, il faudrait qu'on s'obstinât à refuser à l'agriculture le droit d'être traitée sur le pied d'égalité avec les autres industries.
Mais il y a dans nos villes une foule de déchets qui sont utilisés par nos industries ; vous avez des os, les débris d'animaux abattus, des chiffons de laine, des drilles, les déchets des fabriques de lin et de coton, la vieille ferraille, etc. ; il y a une foule d'autres objets presque sans valeur que l'industrie transforme en de nouveaux produits d'une valeur réelle. Est-il jamais venu à l'esprit de personne d'imposer ces objets à la sortie des villes ?
Si une pareille idée avait pu se faire jour, je n'hésite pas à dire qu'à l'instant même elle eût été frappée de réprobation ; on aurait dit avec raison que c'est une chose exorbitante que de grever d'une taxe, dans l'intérieur même du pays, les matières premières de nos industries, c'est-à-dire les sources, les éléments de leur production.
Pourquoi ne pas agir de même à l'égard de l'agriculture ? Pourquoi la placer seule parmi toutes les industries en dehors de la protection du droit commun ? Pourquoi créer pour elle un régime tout à fait exceptionnel ?
Messieurs, dans la séance d'hier, un honorable député de Gand a soutenu que la mesure dont nous réclamons l'abolition ne peut porter aucun préjudice à l'agriculture. A l'appui de cette opinion, l'honorable membre a cité cette circonstance que lui et ses honorables collègues du conseil communal de Gand ont mûrement réfléchi et longuement délibéré sur la matière, et qu'après un examen soigné, consciencieux et pénétrant, ils ont décidé en pleine connaissance de cause et de matière, que l'agriculture n'avait rien à y voir et que la ville prenait la chose tout entière à sa charge et pour son compte.
Messieurs, j'ai une très haute idée des lumières, des connaissances administratives et financières du conseil communal de Gand. Mais quand il s'agit des intérêts du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, j'ai l'habitude de consulter avant tout ceux qui sont investis spécialement de la mission de représenter et de défendre ces intérêts-là. Je dirai que j'ai surtout pour principe de consuler les hommes qui, par une longue pratique des affaires, se sont identifiés avec les intérêts qui sont en cause.
Eh bien, qu'est-il arrivé ? C'est que du moment que la mesure dont nous parlons était seulement projetée, il y a eu des réclamations énergiques de la part du comice agricole, et lorsque la décision adoptée par la régence de Gand a été sanctionnée par l'autorité supérieure, le mécontentement a été très vif parmi tous les agriculteurs ; je dirai même que ce mécontentement s'est manifesté par des paroles d'une véritable indignation.
Or, pourquoi quand il s'agit des intérêts agricoles, ne procède-t-on pas de la même manière qu'a l'égard des intérêts industriels ou commerciaux ? Pourquoi ne reconnalt-on pas que les agriculteurs aussi sont les meilleurs juges de leurs intérêts ?
Messieurs, il est réellement impossible de soutenir avec une apparence de raison qu'une taxe établie sur un objet quelconque est chose indifférente pour celui qui doit nécessairement se procurer cet objet, qui ne peut s'en passer qu'au grand détriment de l'industrie qu'il exerce ; car, à ce compte, il faudrait dire aussi que l'élévation des tarifs de douane n'intéresse aucunement le consommateur belge, que le droit ne frappe le producteur étranger.
Cette doctrine je l'ai entendu professer autrefois dans cette enceinte, mais je suis extrêmement étonné de la voir reproduire par un homme aussi éclairé et aussi profondément versé dans la science économique que l'honorable député de Gand.
On nous dit que l'agriculture n'est pas lésée, parce que la vente des vidanges est forcée, parce que les possesseurs ne peuvent pas faire autrement que vendre. Je vais rencontrer cette objection. On est forcé de vendre, cela est vrai jusqu'à certain point, mais il ne faut rien exagérer.
Il y a nécessite de vendre, miis cette nécessité ne se manifeste pas de telle manière que tout le monde soit obligé de vendre pour ainsi dire le même jour ; il y a toujours eu et il y aura encore une certaine latitude qui permet de stipuler un prix et des conditions. Mais ce qu'il importe aussi de prendre en considération, c'est que l'achat est également forcé ; les cultivateurs des environs de Gand ne peuvent se passer à aucun prix des vidanges qui forment un des éléments constitutifs et essentiels de leur système de culture.
Je sais qu'ils ont dit, dans un premier moment de mécontentement et de colère, qu'ils ne viendraient plus à Gand et qu'ils laisseraient, à MM. les membres de la régence eux-mêmes, le soin de débarrasser la ville de ses matières fécales. Mais, malheureusement, il leur est impossible d'exécuter cette menace. L'agriculture, dans un rayon de 2 lieues de la ville de Gand, se trouve dans l'impossibilité absolue de se passer de cet engrais, de sorte que, contrairement à ce qu'on dit, ce sont les acheteurs qui sont aussi à la merci des vendeurs et qui sont forcés de subir les conditions qu'on leur fait.
Il est encore possible que, d'ici à quelques mois, il n'y aura pas d'augmentation de prix quant aux vidanges ; mais cela ne peut pas durer, parce que les cultivateurs froissés peuvent bien montrer pendant quelque temps moins d'empressement ; mais, à la longue, leur mauvaise humeur devra se dissiper, et ils seront obligés d'offrir les mêmes prix qu'auparavant, sauf l'aggravation résultant de la taxe. Si, d'ailleurs, il était vrai que le prix dût subir une réduction, il en résulterait qu'on apporterait moins de soin à conserver cette substance ; il s'en perdrait beaucoup plus qu'aujourd'hui, et, sous ce rapport encore, l'agriculture serait lésée.
Je crois que les cultivateurs ont parfaitement compris leur intérêt et que leurs réclamations étaient fondées.
Il est regrettable qu'on n'y ait pas eu égard.
On nous dira que cette mesure, après tout, procure un revenu considérable à la ville. Mais les droits de sortie que nous allons abolir procuraient aussi un revenu considérable à l'Etat. C'est une somme de 170 mille francs que le trésor va perdre ; c'est quelque chose dans notre situation financière. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas être juste. Cette considération ne devrait donc pas arrêter les administrations de nos villes, elle ne devrait pas les empêcher d'être justes aussi envers l'agriculture.
Je finirai par une dernière observation. Notre proposition ne tend aucunement à blâmer les actes posés par l'administration actuelle ou par les administrations précédentes. Quand les droits actuellement établis ont été autorisés, au moins ils n'étaient pas en opposition aussi flagrante avec les principes posés dans notre législation douanière ; je crois d'ailleurs que l'adoption de notre proposition rendrait service au gouvernement en le mettant à l'abri d'obsessions incessantes, dont on ne fait que trop souvent usage autour de lui et auxquelles il est difficile de résister.
Messieurs, vous aurez remarqué aussi que notre proposition est formulée de manière à laisser au gouvernement toute la latitude nécessaire. Nous ne voulons pas apporter une perturbation brusque dans les finances des villes.
Ce que nous voulons c'est la proclamation du principe que de tels droits ne pourront plus être autorisés, et que ceux qui sont autorisés seront abolis aussitôt que possible, le gouvernement restant maître de fixer le délai suivant les exigences et les nécessités de l'administration.
(page 799) M. Manilius. - Je ne combattrai pas la proposition faite par plusieurs honorables membres de faire un article additionnel à la loi relative aux octrois. Mais sans la combattre je ferai observer à la chambre que cet article supplémentaire n'a rien à faire dans la loi en discussion.
Libre à ces honorables membres de formuler un vœu, une proposition, même d'engager le gouvernement à prendre des mesures, à refuser, par exemple, d'approuver les délibérations des communes qui veulent frapper de droits certaines matières. Mais cette loi n'a rien de commun avec ces matières, bien qu'il y ait un article où celles-ci pourraient passer dans le commun des objets qui ont à peu près la même qualification.
Loin de m'opposer au projet de loi en principe, je suis un de ceux qui y applaudissent, et j'y applaudis d'autant plus que j'envisage cette loi comme un redressement de grief.
Notre système douanier, qui est d'origine déjà très éloignée de nous, a été maintes fois modifié, tantôt à la demande de certains intérêts, tantôt à la demande d'autres intérêts. Mais c'est surtout le gouvernement qui y a apporté les plus fortes brèches, depuis qu'il est chargé de l'exploitation du chemin de fer ; pour attirer le plus grand nombre de colis, de marchandises à transporter sur notre chemin de fer, rien ne lui a coûté.
Une loi a rendu le transit libre, mais il y avait quelques exceptions réservées pour certains produits manufacturés ; on a encore obtenu de faire disparaître ces exceptions. Au commencement de cette session, nous avons converti en loi un arrêté royal dont le but était d'admetlre pour ces produits le libre transit, ou du moins un droit illusoire d'un centime par 100 kil., tandis qu'auparavant il y avait un droit de dix centimes par un kilogramme. On a prétendu que si l'on avait voulu maintenir ce dernier droit, les produits auraient passé par la mer du Nord vers la Baltique sans passer notre territoire. On a donc supprimé les droits sur tous les produits étrangers, et nos marchandises qui doivent aller dans les ports de la Baltique ou vers le Zollverein ou la Hollande payent un droit de sortie cent fois plus fort que le droit de transit payé chez nous par les produits étrangers.
Voilà les griefs principaux qui vont disparaître par le projet en discussion.
Je vous citerai les articles, si vous le désirez, messieurs.
La loi que vous avez faite en dernier lieu a été portée dans l'intérêt des soieries de France. Or, tous les ans, nous faisons des dépenses pour l'industrie séricicole; nous avons dépensé plusieurs millions pour l'encourager. Nous avons un établissement modèle, des manufactures payées par le fonds de l'industrie, et par les fonds qui ont été votés spécialement lors de l'avènement de l'ancien ministère ; tous les ans on distribue des mûriers. Tout cela est en partie perdu, puisqu'on permet à la frontière le passage, à 1 centime de droit, de ces marchandises pour la sortie ou le transit (ce qui est de même) alors que nous, avec nos produits nationaux, nous devons payer un franc de droits. C'est inconcevable, et cependant cela est.
Ce qui est vrai pour les soieries est vrai pour tous les tissus, les cotons, les lins. Je citerai les fils de coton dont a parlé tout à l'heure un honorable député de Bruxelles ; il a dit que nous avions obtenu des avantages par l'emploi des nouvelles mécaniques qui nous avaient permis d'acquérir une supériorité sur l'étranger et de livrer à meilleur marché que lui. Ce qu'a dit là l'honorable député de Bruxelles prouve qu'il ne s'occupe plus beaucoup d'industrie, qu'il n'examine plus les statistiques. Un million de kilogrammes cotons filés a passé le territoire gratuitement, et est allé se placer à nos portes ave: exemption de tous droits de transit, tandis que nous n'avons pu placer là que 80,000 kilog. produit national, pour lesquels nous avons payé 5 centimes de droits, tandis que les produits anglais n’ont rien payé. Voilà de l’économie politique de nouvelle façon.
Il est vrai que le chemin de fer a gagné quelque chose. Mais la protection nous a manqué ; elle a disparu par la suppression des droits de transit.
Ces modifications faites subitement, sens avoir été coordonnées, sans tenir compte de l'économie de la loi de 1822, ont été fort inconséquentes et ont fait tort à l'industrie du pays ; car toucher au tarif, c'est toucher à l'existence du pays ; les tarifs ont été primitivement portés pour protéger un revenu ; mais, dans l’état actuel de la civilisation, le tarif est un moyen de favoriser son travail national.
Et cela est tellement vrai qu'il n'y a pas un pays qui ne se pique d'honneur de favoriser son travail national.
M. Coomans. - Cela est rétrograde.
M. Manilius. - Cela est rétrograde; je veux bien l'être de cette manière.
Messieurs, l'Angleterre, qui sans doute aussi sera très rétrograde, a le plus grand soin, lorsqu'elle touche à une partie quelconque de son tarif, qu'il n'y ait jamais même un traitement égal pour l'étranger et pour ses nationaux, et je défie les plus adroits de ceux qui étudient les lois, de venir dire qu'il y a une partie du tarif anglais où le droit des nationaux soit méconnu au point qu'ils soient rançonnes à côté de l'étranger. Le gouvernement anglais a réduit ses droits ; il les a réduits à un minimum de 10 p. c. sur les matières pour lesquelles ii n'y avait pas de danger pour les producteurs anglais ; il a établi des droits de transit excessivement légers. Mais il a maintenu des droits de transit et il les a entourés d'une telle foule d'entraves qu'il n'est pas possible de transiter par l'Angleterre, et je vais expliquer comment.
Pour transiter par l'Angleterre, il faut avoir besoin de se diriger vers les régions où se rend l'Angleterre avec les produits de ses manufactures, par exemple la Chine. Eh bien, il faut adopter les mènes formes d'emballage, les mêmes formes d'empaquetage, etc., ou vous ne pouvez lutter avec l'Angleterre, mais à ces conditions ; vous n'êtes pas recevable autrement. Voilà encore une preuve de cet esprit de nationalité, de la préoccupation des hommes d'Etat de l'Angleterre de ne jamais méconnaître la nécessité de conserver le travail à leurs nationaux. Car enfin, messieurs, le travail national, c'est tout ; c'est l'existence, la richesse du pays. Quand vous n'aurez plus que des portefaix, des hommes pour faire le chargement et le déchargement des marchandises, vous réduirez le pays à l'état de la Hollande, qui n'a que des canaux et des ports, el où il y a des débardeurs qui sont sur la rive à attendre les marchandises étrangères, et des spéculateurs qui s'occupent des moyens de transport, qui ont de grands vaisseaux pour parcourir les mers et des moyens de roulage vers l'Allemagne. Vous aurez tout cela ; mais vous n'aurez plus d'industrie.
Messieurs, lorsque en 1822 on a changé le tarif, quel en a été le motif ? C'est que le pays avait changé : la Hollande avait un tarif propre à protéger le genre de travail que je viens de vous dire, elle a protégé les transports. Mais lorsqu'un nouveau territoire a été uni à la Hollande, on a reconnu qu'il fallait examiner ; nos cris ont été entendus. On est revenu sur ce tarif de laisser faire, de laisser passer. Les hommes d'Etat de ce pays ont dit : Nous nous sommes enrichis d'un territoire ; nous nous sommes enrichis aussi de bras qui produisent beaucoup. Nous avons d'immenses usines dans ce beau pays. Il faut changer notre tarif. Et on a changé le tarif de manière à contrebalancer convenablement les deux intérêts, à ne pas sacrifier les moyens de transports et à ne pas sacrifier non plus l'intérêt des producteurs.
Vous le voyez donc, ce tarif de 1822 avait été établi dans cet esprit que je viens de vous indiquer et qui est celui qui a prédominé dans tous les pays du monde. Je regrette de devoir le dire, nos ministères, depuis quelque temps, n'ont pas eu le même soin. S'iis avaient eu le même soin, les griefs que je me félicite de voir aujourd'hui réparer n'auraient pas existé.
Vous comprenez, messieurs, d'après les explications que je viens de vous donner, que je dois applaudir des deux mains au projet que nous discutons et qui aura pour effet de nous mettre sur le même rang que les étrangers.
J'ai cru devoir entrer dans ces considérations afin que vous compreniez comment il se fait que quoique étant porté à protéger l'industrie nationale, je puis admettre l'existence du transit libre. C'est, je le répète, parce qu'on veut nous mettre sur le même pied que l’étranger.
Mais, est-ce à dire pour cela que je veux de toute la loi ? Non, messieurs, j'ai eu l'honneur de déposer un amendement qui doit, en cas de besoin, servir de correctif à plusieurs de ses dispositions.
Sans vouloir blâmer la chambre, je dois dire qu'elle n'est pas toujours très attentive en ces sortes de questions. Car, si elle avait été attentive lors de l'ouverture de la session, elle n'aurait pas permis cette loi de transit contre laquelle je viens de me récrier. Mais enfin ces sortes de lois sont étudiées par le gouvernement ; il donne des raisons en leur faveur ; le rapporteur les appuie avec beaucoup de vigueur ; les membres de la chambre se contentent des motifs qui leur sont donnés ; s'il en est (page 800) quelques-uns qui veulent réclamer, personne ne les écoute ; et ce n'est que plus tard qu'on s'aperçoit des erreurs qui ont été commises.
C'est ce qui est arrivé. J'ai moi-même prévenu le gouvernement de la faute qui avait été commise, et le gouvernement a reconnu qu'il y avait effectivement là un grief qu'il fallait faire disparaître.
Je suis donc au fond pour le projet de loi, mais je ne suis pas pour la complète et entière suppression des droits de sortie. J'ai entendu développer divers amendements. Il en est plusieurs que je dois nécessairement soutenir ; et si la chambre ne les acceptait pas, je trouverais encore une consolation dans mon amendement.
Ces amendements consistent en (on vous a déjà donée de nombreux détails que je ne veux pas répéter) plusieuis matières premières qui doivent servir à des manipulations en grand, à la fabrication d'objets d'un grand prix.
Or, tout homme qui s'attache à conserver la main-d'œuvre dans le pays doit employer tous les moyens possibles pour conserver la matière première ; cela est tellement vrai que tous les tarifs des peuples qui nous avoisinent renferment ces exceptions. Lorsque nous avons fait nos tarifs, nous ne connaissions pas même les progrès des industries dont il s'agit. On nous a parlé de résidus de laine ; quand nous avons fait le tarif, la chose était bien éloignée. La Hollande a copié purement et simplement ce qu'avaient fait les hommes d'Etat des autres pays qui avaient recherché les moyens d'assurer protection à leurs nationaux ; eh bien, la loi de 1822, qui a été faite de cette manière, a produit une foule de bons résultats.
Puisqu'on veut aujourd'hui supprimer les droits de sortie, je ne m'y oppose pas, mais je crois qu'il faut maintenir les exceptions faites en faveur de ces industries qui ont tant progressé et qui, dans un temps donné, pourraient être privées de leurs matières premières.
Ces exceptions, messieurs, ne portent que sur des produits d'une toute faible valeur, comparativement à leur masse ; qui nous dit que si vous supprimez brusquement tous les droits vous ne verrez pas les accapareurs charger ces matières soit sur les waggons du chemin de fer, soit sur les navires qui font le cabobge avec l'Angleterre ?
M. le minisire des finances a dit, que l'entrée étant libre et la sortie n'étant que faiblement imposée en Hollande et dans d'autres pays . on pourra toujours se procurer la matière première dont il s'agit. Messieurs, cela n'est pas certain ; pour qu'on puisse se procurer une chose, il faut qu'elle existe ; or, elle n'existe dans ces autres pays que dans la proportion de l'usure ; puis, nous ne sommes pas les seuls qui employions des déchets ; on les emploie également dans les pays dont vous parlez.
Messieurs, si les amendements qui ont été déposés jusqu'ici n'avaient pas de succès, je crois que ma proposition présenterait au moins cet avantage de laisser au gouvernement un moyen préventif contre tout accaparement; c'est tout ce que je demande. Je veux seulement donner une garantie aux fabricants, que cette matière première ne peut pas leur manquer par suite d'une subtilité de nos voisins.
Je prie le gouvernement de bien y réfléchir et de voir s'il n'y a pas réellement quelque chose à faire sous ce rapport.
On a parlé, messieurs, de protecteurs, d'arriérés, etc. Il y a bien longtemps que nous nous sommes expliqués à cet égard. Quand j'ai fait mon entrée dans cette enceinte, j'ai été promptement appelée à me prononcer sur ce que j'entendais par protection, par libre échange, par laisser faire, laisser passer. Je suis ami du laisser faire et du laisser passer, en tant qu'on me laisse faire et qu'on me laisse passer, mais du moment que je me présente à la frontière, avec mes produits nationaux, le premier que je rencontre est un douanier qui me visite et qui me dit : Vous ne pouvez pas conserver cela, même pour échantillon ; c'est prohibé. Je me tourne d'un autre côté, on me dit : Vous ne pouvez pas circuler ou bien il faut prendre une patente et payer des impôts prohibitifs. Si je vais en Angleterre, je rencontre des formalités qui m'entravent de toute manière.
Mais, messieurs, s'il en est ainsi, ne sommes-nous pas en droit de modérer un peu cet amour ardent que nous éprouvons pour la liberté du commerce ?
Je suis libéral, messieurs, mais quand on ne l'est pas du tout dans les pays qui nous environnent, il faut bien que nous ne nous laissions pas entièrement annihiler par ceux qui étudient les combinaisons économiques de notre pays pour en profiter exclusivement.
Dans les pays qui nous entourent, messieurs, on ne touche jamais qu'avec la plus extrême réserve au tarif des douanes ; lorsqu'il s'agit d'y introduire les moindres modifications, ce sont des études approfondies, des délibérations de conseillers spéciaux, des examens de toute nature ; je voudrais qu'il en fût de même chez nous, et j'engage les hommes d'Etat, pui s'occupent de ces matières, à se défier de tous les conseils irréguliers qu'ils reçoivent, car, en définitive, c'est par tous ces grands conseillers d'anti-chambre que de semblables mesures sont toujours inspirées. Ils disent : « Chacun doit pouvoir faire de son bien ce qu'il veut ; pas de protection, pas de privilèges. » Mais, messieurs, alors il faut étendre ce principe à toute espèce de marchandises, et il y en a beaucoup ; toute chose est marchandise, l'homme lui même le devient quelquefois. La grande marchandise, la marchandise la plus précieuse, la plus indispensable, c'est l'or, c'est l'argent monnayé. Eh bien, le privilège d» battre monnaie est accordé au gouvernement exclusivement.
Mais examinons la question de protection pour le commerce d'argent, y en a-t-il une plus grande que celle de pouvoir fabriquer de la monnaie coursable au moyen de papier que l'on qualifie national ?
J'ai dit.
(page 796) M. le président. - La parole est à M. Orban.
M. Orban. - Je n'ai pas demandé la parole pour développer mon amendement ; je me propose de le développer, lorsque la chambre sera arrivée à la discussion des articles. Quant à ce que j'avais à dire en ce moment, je consens à l'ajourner également à la discussion des articles, si on veut clore aujourd'hui la discussion générale.
M. le président. - Il y a encore quatre orateurs inscrits.
- Un membre. - Laissons parler les orateurs inscrits. (A demain !)
M. le président. - Messieurs, M. le ministre des finances ne pouvant assister à la séance de demain, je propose de remettre à vendredi la suite de la discussion du projet de loi portant suppression de droits et de prohibitions de sortie.
- La séance est levée à quatre heures et demie.