(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 373) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. Ansiau lit le procès-verbal de îa séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« L'administration centrale de Philippeville demande que le gouvernement établisse, dans les bâtiments militaires de cette ville, des institutions publiques et entre autres un dépôt de mendicité, en compensation des pertes que la ville doit éprouver par suite du démantèlement de la place, ou qu'il soit autorisé à faire à cette commune abandon des terrains militaires. »
M. de Baillet-Latour. - La pétition de l'administration communale de Philippeville est très fondée en droit et en équité. Il s'agit d'une question très grave de laquelle dépend pour ainsi dire l'existence de la ville, et il y a urgence de la résoudre dans le plus bref délai possible. Je demande donc le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. Je me réserve de donner quelques explications à la chambre le jour où le rapport sera discuté.
- Cette proposition est adoptée.
« Des habitants de Ramscappelle demandent la révision de la loi sur la milice. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La société concessionnaire des chemins de fer de Namur à Liège et de Mons à Manage présente des observations sur la tarification des marchandises expédiées par transports mixtes sur le chemin da fer. »
- Sur la proposition de M. Lesoinne, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi qui fixe les prix de transport des marchandises sur le chemin de fer de l'Etat.
« Dépêche de M. la ministre de la justice accompagnant l'envoi d'une demande de naturalisation et des renseignements y relatifs. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le président. - La discussion continue sur l'article 101. La parole est à M. Osy, chargé, par la section centrale, de faire rapport sur l'amendement de M. Loos.
M. Osy. - Pour bien éclairer la chambre, la section centrale a cru convenable d'indiquer les divers chiffres auxquels a été fixé l'article 101.
Le gouvernement avait proposé 167,000 francs.
La section centrale, d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, avait rétabli l'ancien chiffre de 125,000 fr. Elle l'avait seulement augmenté pour un subside aux sociétés musicales, de 4,000. Total, 129,000 fr.
L'honorable M. Loos propose le chiffre de 200,000 fr. L'augmentation est donc de 71,000 fr. »
Le gouvernement s'était rallié au chiffre de 129,000 francs, proposé par la section centrale, parce qu'il avait été bien entendu que tout l'arriéré serait couvert par un crédit supplémentaire, de manière que la somme que nous mettons à la disposition du gouvernement serait sans aucun engagement, soit par achats, soit par commandes. Voilà comment le ministre s'était rallié au chiffre de 129,000 francs, proposé par la section centrale.
Dans la section centrale, M. le rainisre de l'intérieur a eu la complaisance de nous fournir un éat pour nous démontrer combien les dépenses relatives aux beaux-arts sont allées en augmentant.
L'article « beaux-aux » porté au budget de 1844 était de 90,000 fr. Il est resté à ce chiffre jusqu'en 1846.
Au budget de 1847 il a été porté à 102,000 fr et en 1848 à 124,500 fr. Il est resté à ce chiffre les trois années suivantes.
Au budget de 1852, il a été porté à 125,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur nous a également communiqué la note suivante des crédits supplémentaires alloués depuis 1844 ; la voici :
En 1844 néant, en 1845 15,800 fr. (comprenant 7.200 fr. pour subside pour l'érection de la statue de Marguerite d'Autriche, à Malines), en 1846 néant, en 1847 néant, en 1848 21,867 fr., en 1849 néant, en 1850 50,000 (comprenant une affectation spéciale pour achat de tableaux à la galerie du roi Guillaume II.) En 1851, 32.700 fr. (sur lesquels il y avait une somme de 25,000 fr. pour la statue de Godefroid de Bouillon). Voilà la position exacte du passé.
Officiellement, il ne nous a pas été donné le chiffre des crédits supplémentaires qui seront nécessaires pour 1852. La section centrale engage M. le ministre de l'intérieur à vous donner quelques explications à ce sujet dans la discussion actuelle.
La section centrale s'est également occupée de l'article 19 de la loi de comptabilité. Mais elle a pensé que si la discussion sur ce point devait s'ouvrir dès maintenant, soit en section centrale, soit en séance publique, il pourrait en résulter encore un long retard pour l'adoption du budget de l'intérieur dont la discussion a déjà pris beaucoup de temps. Elle a donc cru convenable de ne pas entrer dans des détails sur cet article 19, d'engager le gouvernement à l'examiner et à nous dire à une autre occasion quelle est son opinion à cet égard.
Messieurs, la section centrale, après avoir encore entendu M. le ministre de l'intérieur, qui s'est rallié au chiffre primitif de 129,500 fr., à la condition que le budget actuel n'aura aucune charge à supporter du chef des engagements antérieurs, qui devront faire l'objet d'un projet de loi spécial, la section centrale, à l'unanimité des six membres présents, propose le rejet de la proposition de l'honorable M. Loos.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Comme on vient de vous l'exposer, messieurs, la section centrale n'a pas donné son adhésion à l'amendemenl qui a été proposé hier par l'honorable M. Loos. J'ai besoin d'expliquer à mon tour la position du gouvernement tant vis-à-vis du chiffre primitif proposé par le gouvernement, et réduit par la section centrale, que vis-à-vis du chiffre récemment indiqué par l'honorable M. Loos.
Permettez-moi quelques observations pour bien dessiner les rôles.
Dans la section centrale, on s'est trouvé en présence d'un chiffre que le gouvernement considérait comme indispensable pour assurer le service. Mais en même temps, on a fait remarquer au gouvernement qu'il y avait à se préoccuper surtout de l'insuffisance des crédits antérieurs et a liquider les arriéres, que si l'on faisait, par exemple, au gouvernement la position bien nette en le dégageant entièrement de cet arriéré que le ministre de l'intérieur qui m'a précédé espérait probablement éteindre à l'aide d'un crédit normal plus considérable, le gouvernement pourrait peut-être se contenter du chiffre réduit indiqué par la section centrale ; telle était l'observation faite en section centrale.
Je n'ai pas hésité à reconnaître que pour donner à l'administration une allure tout à fait régulière, il fallait dégager la comptabilité de l'exercice 1853, de tout ce qu'elle peut avoir d'embarrassant ; qu'il fallait commencer par liquider ses comptes et libérer entièrement le budget de 1853 de tout ce qui pouvait le gêner par l'arriéré non soldé des exercices antérieurs.
La section centrale est entrée en plein dans ce système, je partage aussi l'opinion de la section centrale que ce qui importe essentiellement en cette matière, c'est de ne pas dépasser, sans un besoin absolu, la limite des credits.
Sur tous ces points je suis donc entièrement d'accord tant avec la section centrale qu’avec l’opinion exprimée dans la chambre elle-même. En thèse générale, les crédits ne doivent pas être dépassés ; on doit s'y renfermer scrupuleusement, à moins qu'il ne se présente des cas extraordinaires où il est indispensable de faire une dépense en dehors des crédits. Certaines commandes sont des cas de cette nature. Lorsqu'on s'expliquera sur le sens de l'article 19 de la loi de comptabilise, ou verra comment on s'y prendra pour faire face à des commandes inévitables d'objets d'art. Cela dit, la section centrale faisait au gouvernement une position fort simple, c'était d'adhérer à la proposition de la section centrale, qui consiste à maintenir les crédits anciens, sauf à liquider complètement l’arriéré.
C'est à quoi j'ai adhéré, me réservant, lorsque j'aurai une plus grande expérience de la situation générale et lorsque je viendrai vous apporter le budget de 1854, ce qui ne tardera pas, de vous dire ce qu'il me semble qu'il est convenable de faire pour donner aux beaux-arts une dotation suffisante. J'ai entendu hier, avec beaucoup de bonheur, des paroles généreuses prononcées, dans l'intérêt des arts, sur plusieurs bancs de cette chambre. On a dit, avec raison, qu'il est temps de faire aux beaux-arts une position telle, qu'on puisse encourager convenablement les artistes. A mon avis, il ne s’agit pas de savoir si l'on dépensera 10,000 ou 15,000 francs de plus ou de moins, mais bien de savoir si le gouvernement a l'intention de ne pas dépasser les crédits alloués.
Eh bien, je crois que c'est à ce résultat qu'il faut arriver en thèse générale. Ensuite, quand vous discuterez le budget de 1854, vous venez si le crédit actuel est suffisant ou non. Quant à moi, je cro:is franchement qu’il ne l'est pas, et vous partagerez cet avis, si vous voulez faire aux beaux-arts une position qui réponde quelque peu à la renommée qu’ils font à (page 374) leur tour à la Belgique. Mais vous apprécierez difficilement aujourd'hui jusqu'où doit s'étendre la dotation des beaux-arts, parce que vous êtes encore sous l'influence des crédits supplémentaires qui doivent être présentés.
Mais, quand ces crédits supplémentaires seront adoptés, la situation sera éclaircie et la chambre pourra examiner en toute liberté d'esprit s'il ne serait pas désirable d'aller jusqu'à la proposition de M. Loos pour faire taire les réclamations ultérieures et en finir une bonne fois avec cette question de dotation. Je ne sais pas jusqu'à quel point, dès aujourd'hui, cette proposition a chance d'être prise en considération par la chambre, mais le gouvernement ne peut qu'applaudir à tous les efforts qui seront faits pour donner aux encouragements des beaux-arts une importance réelle et digne de la Belgique.
Or je le demande, messieurs, est-avec une somme qui atteint à peine 40,000 fr. qu'on peut acheter des tableaux de nature à jeter quelque lustre sur le pays ? Est-ce avec une pareille somme qu'il est possible de donner aux artistes des encouragements et de garnir nos musées de ces tableaux de maîtres dont M. Dumortier a parlé hier et que, pour la gloire de la Belgique, nous devons chercher à multiplier dans nos galeries historiques ?
Je ne pense pas, d'après les conclusions de la section centrale, qu'il puisse être question de s'occuper aujourd'hui de l'interprétation à donner à l'article 19 de la loi de comptabilité.
Evidemment, cette question est d'une grande importance ; quoique j'aie déjà recueilli quelques documents propres à m'éclairer à cet égard, il est prudent de la réserver et de faire ce qu'indiquait hier l'honorable M. de Theux, c'est à-dire de se livrer à l'appréciation générale des besoins des différents départements en combinant ces besoins avec les prescriptions de la loi de comptabilité. Le retard sera d'ailleurs très court. Avant la discussion du budget de 1854, la chambre pourra être saisie en même temps du véritable sens à donner à l'article 19 de la loi sur la comptabilité et des exceptions qu'il faudra nécessairement admettre au principe posé dans le paragraphe premier de cet article, exceptions que le gouvernement appliquera à l'exécution de certains marchés qui peuvent intéresser les arts aussi bien que les travaux d'utilité publique.
Ce n'est donc, messieurs, que sous la réserve des explications que je viens d'avoir l'honneur de vous donner, que vous apprécierez l'adhésion que j'ai pu donner au chiffre réduit de 129,000 fr. proposé par la section centrale.
Quant aux crédits supplémentaires qui vous seront demandés très prochainement, ils embrassent tout le passé et l'avenir, en tant que des engagements sont pris, ainsi tout ce qui jusqu'en 1852 a été l'objet d'engagements contraclés, mais qui n'a pu être liquidé sur le budget de cet exercice y sera compris ; on y comprendra également tout ce qui depuis 1852 et même antérieurement a trait à des engagements qui embrassent l'avenir.
C'est ainsi que je comprends pour le gouvernement la possibilité de marcher provisoirement avec le crédit que vous voterez pour 1853.
Voilà ce que j'avais à dire pour le moment sur la proposition de l'honorable M. Loos et sur l'attitude que j'ai prise dans le sein de la section centrale.
M. de Muelenaere. - Je demanderais M. le ministre de l'intérieur s'il ne pourrait pas nous indiquer dès à présent le montant du crédit qui sera nécessaire pour couvrir l'arriéré relativement aux beaux-arts.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Le chiffre total du crédit supplémentaire à demander pour toute espèce d'engagements pris, ayant trait tant au passé qu'à l'avenir, s'élève à la somme de 232,000 fr. Ces engagements embrassent une période de plusieurs années antérieures à 1832 jusqu'à 1854 compris.
M. Rogier. - M. le ministre, ne pourriez-vous pas donner le détail ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je donnerai plus utilement ce détail, quand le projet de crédits supplémentaires sera soumis à la chambre. Je craindrais de commettre quelques erreurs aujourd'hui.
En terminant, je reviens à cette observation que, quel que soit le chiffre, il y a nécessité absolue de tracer une ligne de démarcation entre le passé et l'avenir, de liquider tout le passé, et de faire une dotation convenable au chapitre des beaux-arts, afin qu'on ne la remette plus chaque année en question. C'est un point sur lequel j'espère que nous sommes tous d'accord, et qui rencontrera d'autant moins d'opposition, à mon avis, que vous n'aurez plus aucune préoccupation ni sur le passé, quant aux engagements pris, ni sur les engagements que le gouvernement prendrait plus tard en dehors des limites des crédits ordinaires.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, vous venez d'entendre les conclusions de la section centrale ; elles tendent à rejeter la proposition d'augmentation de crédit faite hier par un honorable député d'Anvers. Membre de cette section centrale, il me semble convenable d'attendre que ces conclusions soient combattues pour prendre ma part dans le débat.
D'ailleurs, M. le ministre de l'intérieur, d'après les paroles qu'il vient de prononcer, continue à s'associer au chiffre de la section centrale. J'ai entendu avec plaisir, qu'il ne s'est pas rallié à l'augmentalion proposée par l'honorable M. Loos. Il a déclaré cependant qu'à son point de vue le crédit est insuffisant. Quant à moi, je ne puis partager cette opinion, je pense que ce crédit est suffisant et qu'il n'y a pas lieu de l'augmenter. Il suffit, et pour s'en convaincre, il ne faut que parcourir avec un peu d'attention le compte rendu de l'emploi du crédit destiné aux beaux-arts pour l'exercice 1851.
Que résulte-t-il de cet examen ? C'est qu'une grande partie des dépenses faites l'ont été en faveur d'objets qui intéressent fort peu les beaux-arts. On a subsidié des éditeurs d'ouvrages sans valeur ; on a souscrit à des publications dénuées de mérite, et quant aux beaux-arts, on a accordé maintes faveurs à ceux qui ont mis le plus d'instances dans leurs sollicitations ; et ceux qui sollicitent ne sont pas toujours ceux auxquels les encouragements devraient être décernés. Enfin on a pris des engagements sans stipuler ni les prix, ni la dimension des ouvrages.
Je n'hésite donc pas à le déclarer, parce que c'est ma conviction, si les crédits avaient été appliqués avec discernement, dans le véritable intérêt des beaux-arts, je dis qu'ils eussent suffi pour satisfaire à tous les besoins.
Je m'arrête ici, messieurs, parce que je tiens à ne pas entrer plus avant dans le débat, d'après la résolution qui a été prise hier. Nous y reviendrons d'ailleurs lors de la discussion du crédit supplémentaire.
M. Coomans. - Messieurs, je combattrai en deux mots l'amendement de M. Loos.
Il est facile, il est beau de vanter les arts, il est doux de protéger les artistes, et la glorieuse réputation du ministre Mécène est fort enviée par ses successeurs, constitutionnels ou non. Les arts et les artistes récompensent leurs bienfaiteurs par des marques d'une reconnaissance durable, aussi sont-ils les convives les mieux placés au festin du budget. Quoi qu'en dise l'honorable M. Loos, ils n'ont pas été oubliés en Belgique. Sept millions de francs environ leur ont été alloués depuis 1830, et la voirie vicinale n'a guère reçu davantage. Aucune industrie n'a été mieux traitée, et je doute que d'autres peuples se soient montrés, sous ce rapport, plus magnifiques que nous. Si la Bavière a fait davantage sous un prince artiste, l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse, la Hollande ont fait moins, et de pareils exemples ont de quoi nous consoler.
- Un membre. - La Bavière a beaucoup dépensé pour les arts.
M. Coomans. - Je le reconnais, mais c'est la liste civile surtout qui a fait des sacrifices.
- Un membre. - Le budget de la Bavière est plus généreux que le nôtre.
M. Coomans. - J'en doute ; je n'y ai pas trouvé de chapitre pour les beaux-arts. La royauté y a été chargée de favoriser les arts.
Puisqu'on m'appelle sur ce terrain, je dirai que je voudrais que la couronne fût mise à même en Belgique d'encourager largement les beaux-arts. C'est là un de ses apanages. Si vous trouviez bon, par conséquent, d'effacer du budget de l'intérieur les 129,000 fr. qui y figurent pour les beaux-arts, et de reporter cette somme, même doublée et triplée, à la liste civile, j'approuverais de tout cœur un pareil changement.
- Un membre. - C'est une bonne idée.
M. Coomans. - Nous y reviendrons un autre jour.
Messieurs, du jour où vous avez refusé d'augmenter la somme des subsides affectés à la voirie vicinale, vous vous êtes ôté à vous-mêmes le droit d'élever les dépenses de luxe. Quoi ! les trois quarts de nos concitoyens réclament 20 à 30 millions encore pour améliorer leurs moyens de circulation, et vous avez cru que la situation financière du pays ne permettait pas de voter une bagatelle de 100,000 fr. pour cet objet de première nécessité ! Vous distribuez d'une main avare les subsides pour l'instruction primaire, vous maintenez des impôts onéreux et vexatoires, vous rognez les appointements des fonctionnaires, vous comptez un million de pauvres parmi vos concitoyens, vous ne trouvez pas un écu pour des milliers de braves villageois que les grêles du moins de juillet ont réduits à la misère, et vous voulez accroître la dotation des artistes ! Je n'y consentirai point.
Serai-je traité de visigoth et de barbare, moi qui aime les arts et qui compte beaucoup d'artistes parmi mes amis ? Peut-être ; j'ai bien été appelé affameur du peuple, moi qui rêve pour tout le monde la poule au pot. Mais je répondrai que je vois moins de barbarie à renvoyer les artistes à la bourse des amateurs, qu'à mettre à la charge de la charité privée des villages entiers ruinés par des accidents de force majeure. Je compléterai ma justification par l'histoire que voici.
Dans notre belle capitale vit un bourgeois, maître, depuis vingt-deux ans, d'une assez jolie fortune, qui le mettrait fort à l'aise, lui et sa famille, s'il en faisait un emploi raisonnable. Malheureusement pour lui, ou plutôt pour elle, il gaspille, en dépenses de fantaisie, le plus clair de ses revenus. Il fait dorer ses lambris, et la pluie traverse son toit mal entretenu. Il ne pave pas sa cour, qui est un cloaque, et des statuettes de marbre ornent son vestibule. Il a un bibliothécaire et pas de cuisinier. Ses enfants ont des maîtres de musique et courent les rues en haillons. Ses filles chantent et ne savent pas coudre. Il plaint l'aumône que lui arrachent des infortunés, et achète au poids de l'or l'esquisse du rapin qui le flatte. Ne trouvez-vous pas, messieurs, que notre homme est ridicule, insensé ? Et pourtant je ne vous donne pas là un portrait de fantaisie ; je l'ai peint d'après nature. Vous connaissez tous ce bourgeois gentilhomme : il est domicilié à deux pas d'ici, rue de la Loi, et s'appelle le gouvernement belge.
M. de Mérode. - Je ne pense pas que l'on consente, pour le (page 375) moment, à augmenter le chiffre des beaux-arts, puisque les crédits sont déjà dépassés de beaucoup par les dépenses accomplies.
Pour encourager le talent naissant des artistes, l'Etat ne se chargeait pas autrefois d'encouragements coûteux ; cependant nous avons eu des artistes tels que Van Dyck, Rubens, et autres précédents et postérieurs.
Aujourd'hui cependant, je comprends qu'on veuille aider des jeunes gens, qui montrent de très bonnes dispositions, parce qu'ils se trouvent assez fréquemment dans une situation très gênée, qu'ils ont à peine de quoi vivre. Mais ils n'ont pas des prétentions élevées. Il suffit qu'on leur alloue ce qui leur est nécessaire pour se vêtir, pour sa loger, pour vivre.
Ceux qui coûtent beaucoup au gouvernement sont plutôt les peintres déjà formés, qui se font par les talents bien connus de très belles positions. C'est à ceux-là qu'on achète des tableaux extrêmement chers, car, si je suis bien informé, ces artistes demandent, pour un seul tableau, des sommes considérables avec lesquelles ont obtiendrait plusieurs jeunes gens doués de dispositions réelles et très heureuses.
Je pense donc que l'allocation de 129,000 fr. suffit pour encourager les jeunes artistes.
Que si l'on voulait ici créer quelque chose de vraiment national, en fait de beaux-arts, la chose principale serait de multiplier un peu les statues équestres des hommes historiques les plus fameux.
Nous n'en avons ni à Liège, ni à Mons, ni à Tournay, ni à Gand. Cependant les sujets les plus marquants ne manquent pas aux souvenirs du pays et feraient un excellent effet sur l'esprit du peuple, s'ils figuraient sous ses yeux, comme Godefroid de Bouillon à Bruxelles. C'est aux environs de Liège que sont nés Pépin le Bref et Pépin d'Heristal, et le vainqueur des Sarrasins à la bataille de Poitiers, Charles Martel. Les représentations majestueuses de ces grands hommes frapperaient les populations, exciteraient leur amour-propre national lorsqu'elles les auraient constamment sous les yeux.
Dans ce palais, un tableau qui s'étend du plancher au plafond, représente Marie de Bourgogne, tombant de cheval à la chasse. Malheureusement, elle a péri par suite de cette chute. Cet événement a uue grande importance dans l'histoire. Cependant ce n'est pas un sujet qui soit de nature à réveiller dans le peuple l'amour de la nationalité. De pareils tableaux coûtent beaucoup, et quand ils sont faits, on est obligé de les réléguer dans des corridors où personne ne peut les voir. Il serait préférable de donner au crédit des beaux-arts, la destination que je viens d'indiquer, si l'on jugeait à proposde l'augmenter. Quant au besoin d'encourager les artistes dignes d'être soutenus lorsqu'ils débutent et qui ne demandent qu'une rémunération modeste, avec le budget tel qu'il est, je crois qu'on peut y satisfaire suffisamment.
Nous devons, ainsi je le crois, voter l'article tel qu'il est sans augmentation, parce qu'il y aura toujours de l'imprévu. S'il se présente, en effet, une bonne occasion, comme dernièrement la vente de la galerie du maréchal Soult, on demandera un crédit supplémentaire. L'occasion de ces dépenses éventuelles ne manquera pas.
M. Orban. - Il me semble que la proposition de l'honorable M. Loos aurait plutôt besoin d'être défendue que d'être attaquée. Comme je ne suis pas inscrit pour la défendre, je ne crois pas devoir insister pour le moment. Seulement je déclare qu'en votant le chiffre proposé par la section centrale, je ne me rallie en aucune manière aux considérations qu'a fait valoir M. le ministre de l'intérieur, que je n'entends nullement m'engager à voter pour les exercices subséquents l'augmentation du crédit dont on déclare pouvoir se passer aujourd'hui.
Quand vous voterez le budget de 1854, vous serez encore plus disposés à rejeter la proposition de l'honorable M. Loos qu'aujourd'hui. Dans l'intervalle vous aurez vu le projet de de crédits supplémentaires. Je ne doute nullement que vous ne comprendrez jamais aussi bien combien sont exagérés les crédits portés au budget que quand vous saurez au juste l'usage qui en a été fait.
(page 385) M. Loos - J'avais peu d'espoir de voir la section centrale se rallier à ma proposition. La section centrale qui avait déjà proposé à la chambre une réduction importante sur l'article « beaux-arts », ne pouvait accepter la proposition que j'ai faite de l'augmenter. Toutefois, je tiens à constater que la plupart des membres de cette chambre reconnaissent que le crédit est insuffisant. Cela résulte évidemaaent de leurs paroles.
Ainsi le dernier orateur que vous avez entendu, l'honorable comte de Mérode, tout en disant qu'il n'est pas favorable à une augmentation de crédit, voudrait cependant, dans un intérêt de nationalité et pour développer l'esprit public, qu'on érigeât beaucoup de statues équestres comme celle de Godefroid de Bouillon.
M. le ministre de l’intérieur vous l'a dit, il lui resta environ 40 mille francs par an pour faire des commandes ; et vous voulez qu'avec cette modique somme on élève des statues équestres et on commande de grands tableaux d'histoire ! Cela n'est pas raisonnable.
De deux choses l'une : n'encouragez pas le gouvernement à faire des dépenses ou ne lui refusez pas les moyens de les payer. D'après M. Coomans, qui se dit grand ami des arts et des artistes, il ne faudrait pas faire de dépenses pour les arts avant que vous n'ayez consolé toutes les infortunes, fait disparaître toutes les plaies qui affligent l'espèce humaine ; il faudrait qu'il n'y eût plus un pauvre en Belgique avant de faire la commande d'un tableau ou d'une statue. Dans cette disposition d'esprit je crains bien que vous ne puissiez jamais faire quoi que ce soit pour les arts.
Si ce que vous dites pour les arts on venait à l'opposer à certaines situations très brillantes aujourd'hui et que vous appliquiez à celles-ci le même principe, qu'il ne faut plus rien faire pour elles tant qu'il y aura un pauvre en Belgique, bien des institutions péricliteraient.
Quelques-uns prétendent que nous faisons assez pour les arts, trop peut-être. Ceux-là, je n'espère pas les convertir. Mais à ceux qui se targuent d'aimer beaucoup les arts et qui voudraient qu'avec 40,000 francs le gouvernement trouvât moyen d'encourager en même temps la peinture, la sculpture, la gravure, je dirai que pour croire aux sentiments qu'ils proclament, je voudrais d'autres témoignages que des paroles de sympathie.
Si j'examine ce qu'on fait pour d'autres institutions, j'en rencontre que je considère aussi comme très utiles, pour lesquelles j'ai toujours voté, mais dont l'utilité cependant pourrait être contestée avec plus de raison. Ainsi les haras ; on dit que c'est dans l'intérêt de l'agriculture ; je dis qu'il y a dans cette dépense autant de luxe que d'utilité. Et cependant on se montre à leur égard plus généreux que pour les arts.
Quand je vois figurer une somme de 178 mille francs pour l'école vétérinaire et le matériel de cette école, je dis que ce chiffre posé en présence de celui de la dépense que nous faisons pour les arts, je trouve que les arts sont mal partagés. Je trouve qu'il y a injustice à leur égard. Je l'ai déjà dit dans la séance d'hier. Tous les autres pays du continent donnent aux beaux-arts plus d'encouragements que nous. En effet, si on parcourt l'Allemagne, on trouve que le moindre petit royaume, le moindre petit duché fait plus que la Belgique qui se vante d'avoir dans son sein les artistes les plus éminents. La Bavière, dit-on, n'a pas de crédit à son budget pour les arts ; cette dépense est faite par la liste civile.
Cela peut être vrai, mais la liste civile de Bavière est à peu près de 3 millions de florins ou 6 millions de francs.
Quand vous voudrez doter la liste civile aussi largement, elle pourra traiter les arts avec munificence.
Le gouvernement anglais, a-t-on dit, ne fait rien pour les arts. Jusqu'ici il en a été peut-être ainsi, mais l'Angleterre se repent de n'avoir rien fait pour les arts ; elle est arrivée à reconnaître qu'elle est devancée par toutes les nations, et que les arts excercent une grande influence sur l'industrie ; elle commence par porter pour cet objet une allocation qui est, je crois, de 235,000 l. st. L'Angleterre, entrant dans cette voie, aura bientôt dépassé les autres nations, sinon par le nombre des artistes nationaux, du moins par la prospérité des arts dans ce pays.
Je l'ai dit en commençant, je n'attendais pas beaucoup d'appui de la part de la section centrale qui déjà n'avait montré que trop de parcimonie pour les arts. S'il est un appui sur lequel je comptais, c'est évidemment celui de M. le ministre de l'intérieur, qui mieux que personne a pu reconnaître l'insuffisance du crédit mis à la disposition de son département. J'avais donc espéré qu'il accepterait ma proposition, qu'il l'appuierait de son influence dans cette enceinte. Il s'est borné à applaudir, dit-il, aux efforts que l'on tente pour améliorer cette partie du service public. Mais ce n'est pas seulement avec des applaudissements que vous encouragerez les artistes. Je crois qu'il faut des moyens plus efficaces, plus réels que ceux-là.
J'espère que d'ici la discussion de son prochain budget, M. le ministre de l'intérieur aura pu faire des réflexions qui le détermineront à venir appuyer plus efficacement les nouvelles tentaives que je compte faire alors pour obtenir uen majoration de crédit en faveur des beaux-arts. En attendant je suis bien obligé de retirer mon amendement.
(page 375) M. le président. - La parole est à M. Osy.
M. Osy. - L'honorable M. Loos retirant son amendement, je crois inutile de prolonger cette discussion. Je réserve les observations que j'aurai à faire pour le moment où nous nous occuperons des crédits supplémentaires.
M. Dumortier. - Hier l'honorable M. Osy a voulu combattre l'opinion que j'avais émise sur l'article en discussion. Vous avez dû remarquer qu'en combattant cette opinion, il n'a fait pour ainsi dire que la reproduire entièrement.
Mais l'honorable M. Orts me paraît partisan de deux choses éminemment vicieuses : la première, c'est d'éparpiller presque entièrement le crédit en subsides, la seconde, c'est de continuer à disséminer tous les ouvrages d'art que nous avons acquis depuis vingt ans.
Depuis 1830, messieurs, l'Etat a dépensé sur ce chapitre un million, peut-être un million et demi. Une partie de ce fonds a été donnée pour encourager les jeunes artistes, et cela est au mieux, je suis le premier à y applaudir. L'autre partie est destinée aux acquisitions. Eh bien, je pense que lorsqu'il s'agit d'acquérir des œuvres d'art, le gouvernement ne doit faire que des acquisitions qui honorent le pays.
Nous ne faisons pas des acquisitions pour meubler les ministères ; nous faisons des acquisitions pour meubler nos musées, pour donner à l'étranger une idée des arts en Belgique et en second lieu pour donner aux artistes eux-mêmes des modèles qui puissent leur servir d'études. Or, c'est ce qui n'arrive pas en réalité. Car je ne sais où l'on pourrait trouver les œuvres d'art que nous avons acquises depuis vingt ans. Je ne les connais pas.
Je sais fort bien qu'il y en a jusque dans les tribunaux. Mais je dis qu'ils sont là éminemment déplacés, qu'un tribunal n'est pas une place pour y avoir des œuvres d'art, qu'il est nécessaire de réunir ces œuvres pour que les étrangers, pour que les artistes puissent avoir sous les yeux tout ce que nos grands maîtres ont produit de mieux. Si le plan de l'honorable M. Orts est de maintenir cet éparpillement des œuvres d'art, quant à moi, je le désapprouve complètement ; je ne puis me rallier à une semblable manière de voir.
J'engage M. le ministre de l'intérieur à apporter le plus grand soin à l'emploi de ce fonds. Un des meilleurs emplois qu'il puisse en fairr, c'est de donner des encouragements aux églises et aux villes qui ont certains moyens de finances, pour acquérir ou faire faire des objets d'art, des tableaux, par exemple.
Il est certain que si une partie du subside était employée de cette manière, il se trouverait triplé, en supposant que le gouvernement intervînt, comme il le fait ordinairement, pour un tiers. Je crois que ce mode est le plus efficace, le plus utile. Vous ne portez à votre budget qu’une faible somme ; mais cette somme se trouverait triplée par un pareil emploi. Il arriverait alors que beaucoup de villes, beaucoup d'églises chercheraient à acquérir, à faire faire des œuvres d'art qui donneraient de l'ouvrage aux artistes qui s'occupent de la grande peinture. Comme vous le savez, vous n'avez plus ces riches églises, ces riches abbayes qui faisaient vivre les artistes. Eh bien, le meilleur mode que le gouvernement, puisse adopter, c'est d'intervenir par des subsides auprès des administrations locales et surtout auprès des églises, pour encourager la grande peinture, qui est la base de la peinture dans tous les pays et en Belgique surtout où elle a eu, pour ainsi dire, son plus vif éclat.
M. de Muelenaere. - Comme l'honorable député d'Anvers a retiré sa proposition et que le gouvernement et la section centrale sont d'accord sur le chiffre pétitionné, je ne dirai plus rien sur cet objet en lui-même. Mais nous avons pu remarquer tous que depuis quelque temps nous avons des discussions longues et sérieuses sur l'interprétation de l'article 19 de la loi de comptabilité. Il est très désirable, dans l'intérêt de nos débats, que ce dissentiment cesse ; car il existe sur ce point un véritable dissentiment entre le gouvernement et la majorité de la chambre.
Dès lors je demande, pour mettre un terme à des discussions fâcheuses, que M. le ministre de l'intérieur veuille bien faire une étude approfondie de la question et que, lorsqu'il s'agira du vote prochain des crédits qui nous seront demandés pour couvrir l'arriéré, M. le ministre nous dise dans quel sens le gouvernement entend exécuter l'article 19, et quelle est la restriction dont le principe déposé dans cet article lui paraît susceptible.
Alors si le gouvernement et la chambre ne sont pas d'accord, une proposition devra être faite, car il me semble indispensable que la loi soit interprétée d'après son texte et son esprit de manière qu'il ne puisse plus s'élever de doute à cet égard. La loi de comptabilité est une loi de la plus haute importance, mais elle ne peut produire ses effets qu'à la condition qu'on la respecte et que personne ne puisse impunément transgresser l'une ou l'autre de ses dispositions.
M. Le Hon. - J'avais demandé la parole pour proposer l'ajournement de l'augmentation de crédit, objet de l'amendement de M. Loos.
Je me fondais sur ce motif que l'efficacité des encouragements dépend non seulement de l'importance relative des ressources, mais encore du système de leur emploi. Or, le système actuel d'application de ce crédit me semble défectueux.
L'amendement étant retiré, je me réserve de traiter ce sujet ultérieurement.
Je ne veux, pour ce moment, que recommander aux réflexions de M. le ministre de l'intérieur l'exemple d'un Etat voisin. Penlant la dernière exposition ouverte en ce pays, je me suis enquis des moyens d'encouragement, de l'application des crédits affectés aux beaux-arts, et surtout du système d'achat des œuvres exposées.
Ce système m'a paru différer essentiellement de celui qui se pratique chez nous, et surtout de ce mode de répartition que recommandait hier un honorable député de Bruxelles.
J'avais appelé l'intérêt du directeur général des expositions sur le tableau d'un artiste distingué de notre pays. D'après les explications que j'en ai reçues, voici les règles invariablement suivies par le département des beaux-arts, en France.
Le gouvernement n'achète que des œuvres choisies par le jury parmi celles qu'il a mises sur la première ligne.
Les ouvrages achetés de cette manière (et le nombre en est petit) sont placés au palais du Luxembourg, musée permanent des tableaux de l'école moderne.
Après ce premier choix, la direction des beaux-arts, qui est distincte en France de la direction des expositions, fait, parmi les autres œuvres remarquables, quelques achats destinés à orner les édifices publics des grandes villes, les grands centres de population devant profiter dans une convenable mesure des progrès auxquels concourent les sacrifices du trésor public.
Je conçois l'utilité de cet emploi d'un des beaux-arts : mais ce que je (page 376) ne conçois pas, c'est qu'on s'imagine qu'on encourage, qu'on stimule le progrès, lorsque à l'aide d'une somme de 100,000 fr. ou de 200,000 fr., si vous voulez, on irait, par un esprit de justice distributive fort mal entendu, choisir, dans une exposition, de petits tableaux que ne recommanderaient ni le genre de peinture, ni le mérite de l'œuvre, pour aider efficacement au progrès dans les arts. J'estime fort les subsides accordés par la commune, la province et l'Etat, aux jeunes gens qui se sont éminemment distingués dans les académies. Mettez-les en position de faire de fortes études à l'école des grands maîtres jusqu'à ce qu'ils puissent se produire dans les expositions.
Là est ouvert un grand concours où les prix et les distinctions appartiennent aux ouvrages qui font honneur à l'art belge ou sont reconnus d'une supériorité relative. Acheter des productions faibles et médiocres où ne s'annonce aucun avenir, c'est encourager non le culte éclairé de l'art, mais le désir de peindre sans vocation, d'exposer pour vendre.
Quelles grandes oeuvres ont produites les vingt-deux années que nous avons traversées ? Le nombre en est petit. L'inauguration de la royauté belge, où trouver un tableau qui la produise aux jeux du peuple ? Nous avons cependant de grands talents, et la peinture historique surtout jette beaucoup d'éclat sur un pays ; elle transmet à la postérité les faits mémorables qui sont les titres d'honneur, je pourrais dire la noblesse des nations.
Nous avons des artistes déjà illustrés par de grandes compositions, et leurs pinceaux n'ont retracé encore aucun des événements, aucune des solennités qui ont marqué l'ère de notre indépendance.
Les écrits sont nombreux sur ce sujet ; les tableaux manquent complètement. A mon sens, si des subsides importants sont consacrés aux beaux-arts, c'est particulièrement à la peinture historique qu'il faut en affecter la plus grande partie. C'est là que sera l'histoire de la Belgique pour les yeux du peuple comme elle l'est dans les livres pour le souvenir ou l'intelligence des classes aisées.
Je me réserve d'entrer ultérieurement, plus avant dans ces considérations.
Aujourd'hui je me borne à les soumettre à l'attention de M. le ministre de l'intérieur pour qu'il puisse en faire l'objet de ses réflexions lorsqu'il s'occupera de son budget de 1851.
Remarquez, mesieurs (et c'est la dernière observation que je veux faire), remarquez que dans le règlement qui était encore en vigueur il y a quelques années, et que l'administration précédente a fini par modifier, il y avait un article d'après lequel il fallait, pour qu'un tableau fût acheté par le gouvernement, que l'artiste en fît la demande par écrit.
Ce n'était donc pas le mérite seul de l'ouvrage, abstraction faite des considérations personnelles, qui fixait sur l'artiste l'attention et la préférence du gouvernement ; c'était, semblerait-il, un choix à faire entre des peintres... (Interruption.) Cela m'est certifie de très bonne part.
M. Ch. de Brouckere. - Ce n'est pas cela. Mais il faut bien savoir si les tableaux sont à vendre, s'ils ne sont pas déjà vendus.
M. Le Hon. - L'article dont je parle existe ; il est différent de celui que cite M. de Brouckere. En 1837 un artiste beige, peu connu alors, arriva à Paris ; il exposa au salon un tableau dont Job était le personnage principal.
Le mérite de cette œuvre obtint l’attention et les éloges. L'intendant général de la liste civile écrivit à son auteur M. Gallait, et lui demanda s'il consentait à vendre son tableau au gouvernement qui lui destinait une place au musée du Luxembourg. L'artiste accepta avec reconnaissance une proposition si dignement faite et qui honorait son début d'une si haute distinction.
Voilà, messieurs, dans quelles formes et dans quel esprit un gouvernement doit encourager les beaux-arts. Mais je ne comprends pas qu'on fasse par un article de règlement, cette prescription à tous les artistes. Si vous désirez vendre votre tableau au gouvernement, vous aurez à en adresser la demande au directeur des beaux-arts, etc., etc., etc. Je dis qu'il y a des convenances utiles à observer, même alors qu'on veut du bien aux arts et aux artistes.
Je finis en livrant les observations qui précèdent au sérieux examen de M. le ministre de l'intérieur, l'amendement de M. Loos ayant été retiré.
M. Devaux. - J'avais demandé la parole pour engager M. le ministre de l'intérieur à vouloir bien, dans les subsides de son budget, faire une part à un art qui n'en a pas eu une grande jusqu'à présent et qui, cependant, est en voie d'un beau développement en Belgique ; je veux parler de la composition musicale. Pendant longtemps nous n'avons eu que des exécutants, des exécutants célèbres qui ont porté la renommée de la Belgique dans toutes les parties de l'Europe ; mais le moment est venu où nous avons des compositeurs déjà célèbres et d'autres qui le deviendront.
La composition musicale est peut-être le seul des arts qui, en Belgique, ne produise rien : le compositeur ne vend pas ses œuvres ou les vend à peu près pour rien ; il n'a que des frais d'exécution. Aussi y a-t-il des compositeurs très distingués en Belgique, qui gardent en porte-feuille, l'un de la musique religieuse, l'autre une symphonie, l'autre un drame lyrique. Qu'arrivera-t-il ? Les musiciens finissent par se dénationaliser et par être plus connus à l'étranger que daus leur pays. Pour remédiera cela, en partie au moins, il ne faut pas beaucoup d'argent, il ne faut pas la même somme que pour acheter de grands tableaux. Je dirai qu'il ne faut peut-être que des centaines de francs au lieu de milliers de francs ; mais je recommande cet art à M. le ministre de Pinte rieur ; je suis persuadé que le moment est arrivé où la composition musicale peut répandre un grand lustre sur la Belgique et que le gouvernement peut y aider avec très peu de ressources ; le prédécesseur de l'honorable M. Piercot a fait quelques pas dans cette carrière ; j'engïge M. le ministre de l'intérieur à en faire quelques autres encore ; on a trop négligé un art qui doit être très cher à M. le ministre de l'intérieur, si je dois en juger par la localité d'où il vient.
M. Rogier. - Messieurs, je viens d'entendre que la Belgique, pour bien faire, devrait imiter le système qu'on paraît avoir récemment établi dans un pays voisin. Ce système consisterait à n'acheter que les tableaux des maîtres et à négliger tout le reste.
Toujours, je pense, dans le pays qu'on a cité, tout en achetant les tableaux des maîtres, on avait encouragé aussi les œuvres des débutants. C'est là le système belge. La Belgique, sous ce rapport, n'a rien a imiter. A la suite des expositions, lorsque des pages d'un grand mérite ont été exposées, il est souvent arrivé au gouvernement de les acheter. Quand il ne les a pas achetées, c'est que le budget était insuffisant.
L'on dit qu'il faut orner nos musées des œuvres de nos artistes les plus éminents. Oui, sans doute ; mais alors il ne faut pas que la somme annuelle portée au budget, et qui s'applique et aux peintres et aux sculpteurs, soit aussi médiocre ; une œuvre capitale suffit à l'absorber tout entière Il est véritablement ridicule d'exiger du gouvernement qu'il n'achette que de grandes pages, et de lui attribuer pour toute ressource un crédit qu'une seule œuvre capitale, soit peinte, soit sculptée, emporte.
Je dis que le système du gouvernement, dans les limites de ses ressources restreintes, a été celui qu'a indiqué l'honorable député de Tournay : acheter quelques œuvres capitales et encourager celles des débutants. Personne ne peut songer à blâmer le gouvernement des encouragements qu'il accorde aux débutants. Tous nos grands peintres ont commencé par là, ils ont débuté par recevoir des subsides du gouvernement, et ils se sont successivement formés et émancipés.
J'apprends avec plaisir que M. le ministre de l'intérieur partage ma manière de voir en ce qui concerne l'insuffisance de l'allocation du budget. Sans doute, s'il n'impute pas sur le budget de 1853 les engagements antérieurs à cet exercice, le budget de 1853 pourra lui offrir une somme suffisante pour les besoins de l'année. Mais je pense qu'il reconnaîtra que, pour 1854, il fait faire quelque chose de plus, si l'on veut éviter l'inconvénient des crédits supplémentaires.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je serai très court ; je désire compléter les explications que vient de donner l'honorable M. Rogier.
J'ai dit tout à l'heure à l'honorable M. Le Hon, que jamais dans le règlement, on n'avait dit que les artistes qui voulaient vendre leurs tableaux devaient en faire la demande ; je lui ai expliqué quels étaient les renseignements qu'on demandait, et il a mal compris le but, en venant citer l'exemple d'un de nos artistes que la liste civile de France est allée trouver chez lui. On demande aux artistes de déclarer s'ils veulent vendre leurs œuvres, non au point de vue des achats à faire par le gouvernement, mais parce que la commission directrice de toutes nos expositions, sous tous les ministères, s'est toujours chargée de la vente des tableaux des artistes au public ; on leur demande si leurs œuvres sont à vendre, et la commission se fait en quelque sorte leur commissionnaire.
Il y a une autre raison pour laquelle la commission fait cette demande aux artistes : c'est qu'elle achète elle-même des tableaux ; elle les achète avec les souscriptions qu'elle recueille parmi les visiteurs. Voilà pourquoi cela se trouve formulé dans tous les programmes, et je ne trouve là rien d'humiliant ni d'offensant pour les artistes.
Messieurs, on vous dit qu'il faut acheter les œuvres des grands artistes, et qu'il ne faut pas attendre qu'ils en fassent la demande. Eh bien, c'est encore ce que le gouvernement a voulu faire ; le gouvernement a voulu acheter, à l'exposition de 1851, le plus beau des tableaux qui ont été exposés. J'ai été moi-même chargé de cette mission par le gouvernement ; l'achat n'a pas eu lieu, ce n'est pas à cause du prix, mais à cause d’une des clauses de vente, portant que le tableau ne serait livré que dans deux ans.
Le second tableau capital de l'exposition, le Tintoret peignant sa fille morte, bien qu'il fût l'œuvre d'un étranger, eût été acquis, s'il y avait eu des fonds.
On ajoute qu'il ne faut pas encourager les jeunes talents. Mais, messieurs, il n'est pas aujourd'hui un grand artiste qui n'ait pas été encouragé dans ses débuts. On a une vie bien dure à mener avant d'être peintre d'histoire ou sculpteur. On comprend que des paysagistes, des miniaturistes, des peintres de genre, à mesure qu'ils font des progrès, vendent leurs tableaux ; mais un peintre d'histoire, un sculpteur, mènent une véritable vie d'esclave avant de s'élever. Il faut donc encourager ces jeunes artistes ; or, quels sont les encouragements qui leur ont été donnés ? 5,500 francs qui ont été distribués exclusivement entre des sculpteurs et des jeunes gens qui avaient fait preuve de grande aptitude dans les toiles historiques. Voilà la seule chose... (Interruption.)
On a critiqué ce qu'a fait le gouvernement ; je dis ce que le gouvernement a fait ; cela date de 1833 ; j'ai été commissaire de l'exposition dès l'année 1833 ; je ne sais pas quel était le ministre d'alors : cela m'importe fort peu.
(page 377) M. Le Hon. - Messieurs, l'honorable M. de Brouckere s'est fait à plaisir le thème de la réponse qu'il vient de vous présenter. Il a supposé que je voulais qu'on achetât exclusivement les grandes toiles et qu'on n'encourageât pas les jeunes artistes ; je n'ai pas tenu, je n'ai pas pu tenir un langage si contraire à ma pensée.
Non seulement, je suis d'avis d'encourager la vocation artistique des jeunes gens qui se distinguent à leurs débuts et qui sortent ensuite avec quelque succès de la grande épreuve de l'exposition ; mais je vous ai cité un exemple....
M. de Brouckere. - Vous avez dit que c'était un concours.
M. Le Hon. - Je vous ai cité un artiste belge peu connu alors, dont le tableau, remarqué en 1837, au salon de France, a été acheté par le gouvernement français et placé dans le palais du Luxembourg. J'ai hautement approuvé cette distinction comme une intelligente application d'un bon principe. Je suis d'avis qu'il faut donner des subsides à de jeunes artistes qui ont montré d'heureuses dispositions pour la peinture sérieuse, et les encourager encore à leurs débuts, quand ils donnent des espérances et révèlent du talent.
Je me suis borné à faire allusion à un certain nombre de petits tableaux qui meublent des ministères et n'ont réellement aucune destination.
M. Ch. de Brouckere. - Ils sont gagnés dans des loteries.
M. Le Hon. - Ils ne le sont pas tous : et je suis convaincu que si l'on voyait une série des œuvres achetées depuis dix ans, on en trouverait de peu dignes des encouragements de l'Etat. Je suis favorable autant que personne à un système d'encouragement efficace, et je le pratique moi-même en faveur des jeunes artistes d'avenir. Mais, ce que je regarde comme un abus, comme un système vicieux, c'est un emploi des ressources du crédit par voie de répartition entre des œuvres médiocres, emploi qui stimulerait des artistes sans vocation à peindre et à exposer.
C'est dans ce sens que j'ai invité le gouvernement à conserver aux expositions le caractère et la haute utilité d'un concours.
- Plusieurs membres. - La clôture !
- La discussion est close.
L'article 101 est mis aux voix et adopté.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je ferai à la chambre une proposition qui consiste à intercaler entre l'article 101 et l'article 102 un article nouveau comme charge extraordinaire pour des réparations urgentes à faire au temple des Augustins. Vous savez que cette proposition a été faite en section centrale, mais que cette section n'a pas cru devoir l'admettre.
Je dois insister auprès de vous pour que vous adoptiez cette dépense qui a un caractère d'urgence que personne ne méconnaîtra, j'espère. Le temple des Augustins est consacré à des solennités nationales ; son état intérieur exige des réparations urgentes qui n'intéressent pas seulement la sûreté du public, mais surtout la dignité de cet édifice.
Il y a eu un premier travail duquel il résulte qu'il y a des dispositions intérieures à modifier et un renouvellement de la plus grande partie du mobilier indispensable. Ceux de vous, messieurs, qui ont visité quelquefois ce local ne contesteront pas la nécessité de la dépense. Mais pour vous parler avec plus de certitude, j'ai voulu par moi-même m'assurer de l'état des lieux. Or, cet état est tel qu'il est impossible de méconnaître qu'il ne répond pas aux convenances ni à la dignité même des solennités qui s'y célèbrent. Vous savez que les solennités sont honorées de la présence du Roi et des grands corps de l'Etat.
Nous devons les y recevoir dignement.
Il a donc paru nécessaire au gouvernement de demander un crédit s'élevant à 13 mille francs, consacrés à effectuer des améliorations à l'intérieur de l'édifice. Un devis a été préparé par des agents du gouvernement, j'aurais pu le communiquer à la chambre, mais cela m'a paru complètement inutile. La somme d'ailleurs n'est pas assez considérable pour que ma proposition rencontre de l'opposition.
M. Delfosse. - Cette proposition n'est pas nouvelle ; elle avait été faite en section centrale.
M. Osy. - En l'absence de l'honorable rapporteur de la section centrale, je prends la parole pour combattre la proposition...
- Plusieurs membres. - Le rapporteur vient d'arriver.
M. Osy. - En ce cas, je prendrai la parole en mon nom.
En section centrale, M. le ministre de l'intérieur avait parlé d'une dépense à faire pour l'ancienne église des Augustins, où l'on fait les solennités publiques. Nous avons engagé M. le ministre à ajourner cette dépense, nous avons cru que cette année nous ne devions pas augmenter le budget et que si réellement les dépenses étaient nécessaires, on pourrait les faire supporter par le budget de 1854. La section centrale, du reste, ne s'est pas beaucoup occupée de cette affaire, car elle ne connaissait pas les devis et ne pouvait donc pas se prononcer.
J'engage M. le ministre à ne pas insister pour que nous votions cette dépense et à la faire figurer au budget de 1854 ; alors la nouvelle section centrale examinera l'opportunité de cette dépense. S'il ne s'agissait que de l'église elle-même et qu'elle menaçât ruine, je dirais qu'il faudrait faire la dépense ; mais il s’agit surtout d'y apporter des embellissements et de l'orner ; or, si, depuis quelques années, elle a pu servir comme elle est, je crois que nous pouvons encore très bien continuer à l'employer dans l'état où elle se trouve, au moins pendant quelque temps.
Si M. le ministre ne retire pas sa proposition, je voterai contre, parce qu'il est impossible que nous votions des dépenses sans connaître les devis.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Non seulement je ne pourrai retirer ma proposition, mais je dois insister pour que la chambre l'adopte.
Je fais appel aux souvenirs des membres de la section centrale ; j'ai exposé l'affaire devant cette section, je lui ai donné des explications, la chose y a été parfaitement discutée, mais la section centrale a émis l'idée qu'il n'y avait pas lieu a accepter ma demande cette année. Je lui ai répondu que pour donner à la chambre une conviction bien complète de la nécessité de cette dépense ; je me proposais d'aller moi-même vérifier l'état des choses. C'est ce que j'ai fait depuis, et quand j'ai vu l'état de dégradation dans lequel se trouve le temple dont il s'agit, j'en ai été douloureusement affecté.
Je ne me serais jamais douté, que dans la capitale on trouverait un édifice appartenant à l'Etat, dans un état aussi fâcheux de dégradation et aussi peu digne des pouvoirs qui s'y rendent.
Pour parler des choses d'une manière convenable, il faut savoir comment elles se trouvent. Il fait aller les voir, c'est une peine que j'ai prise et j'adjure tous ceux qui n'auraient pas tous leurs apaisements à cet égard de se rendre sur les lieux et d'examiner.
Ils en reviendront, comme moi, avec une pensée pénible, et ils diront avec moi qu'il n'y a pas à hésiter sur la nécessilé de voter les fonds demandés.
M. Ch. de Brouckere. - La somme que demande M. le ministre est très faible, cependant je dois l'engager à ne faire que ce qui est rigoureusement indispensable. Car il est impossible que les solennités publiques confirment à avoir lieu dans ce local.
Quand vous affecteriez beaucoup d'argent à approprier le temple des Augustins, vous n'en feriez jamais un bien convenable pour les cérémonies publiques. C'est une église et ce qu'il y aurait de mieux à faire, serait de rendre cet édifice au culte.
On est sur le point de construire un local pour les solennités publiques. Si j'avais su que M. le ministre allait présenter cet amendement, j'aurais eu l'honneur de l'informer qu'il était question d'ériger un grand monument ; et si le gouvernement voulait seulement donner à la ville de Bruxelles les deux tiers de ce qu'il en coûte tous les ans pour approprier des locaux pour les solennités publiques, soit en capital, soit en rente, la ville de Bruxelles se chargerait de faire un monument non seulement pour les fêtes publiques, mais pour les expositions industrielles et agricoles, les grands concours de musique, etc.
Qu'on ne lui donne rien de ce qui a été dépensé sur les crédits extraordinaires, mais seulement les deux tiers de ce que cela coûte depuis vingt ans à vos budgets. Il ne s'agit pas, comme je l'entends dire, d'un local provisoire, mais d'un local définitif. Je ne m'oppose pas à l'allocation de treize mille francs, mais je demande qu'on on fasse l'usage le plus modéré possible, qu'on se borne à faire les grosses réparations.
M. Veydt, rapporteur. - Messieurs, il a été peu question d'un crédit pour la restauration du temple des Augustins ; la section centrale a engagé M. le ministre de l'intérieur à le remettre au moins au budget de 1854.
Ce que vient de lire l'honorable préopinant me prouve que c'est le parti qu'il convient de prendre.
Ensuite, messieurs, je suis d'avis que la place d'une pareille dépense est plutôt au budget des travaux publics. Une proposition y est précisément faite, pour la première fois, afin d'avoir un crédit extraordinaire de 200,000 francs pour des travaux de construction ou d'amélioration à des bâtiments de l'Etat. Le gouvernement demande pour 1853 une première allocation de 60,000 fr. S'il y a réellement lieu d'exécuter des travaux aux Augustins, le budget de l'intérieur ne devrait pas en être chargé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il m'est parfaitement égal où l'on trouve les fonds. Je ne sais cependant si je serai fort bien accueilli au budget des travaux publics où l'on veut me renvoyer. Ce que je connais, ce sont les précédents. Or c'est dans le chapitre des beaux-arts qu'on a trouvé jusqu'ici les fonds nécessaias pour l'ameublement et la décoration du temple des Augustins. Je ne comprends pas ce que les travaux publics auraient à faire dans une question de mobilier et de décoration, car il ne s'agit ici que de réparation intérieure et de changement de dispositions dans une autre partie de cet édifice...
J'entends dire que le budget des travaux publics ne contient aucun article sur lequel on puisse imputer ces dépenses ; quoi qu'il en soit, ce qu'il importe, c'est qu'il y ait quelque chose de certain, c'est que le département des travaux publics auquel ou veut m'envoyer, ne me renvoie pas à son tour au budget de l'intérieur.
Quant à l'édifice nouveau dont on vient de parler, si on peut créer un monument destiné aux beaux-arts au moyen de la faible dépense qu'on indique, j'en serai charmé, je rends hommage à l'offre que vient de faire à cet égard l'honorable préopinant, car nous devons tous désirer qu'il s'élève.
Enfin dans la capitale de la Belgique un palais consacré aux arts. La ville de Bruxelles qui a déjà fait tant et de si belles choses saura, j'espère, conduire cette pensée à bonne fin. Je comprends que le gouvernement doit venir en aide à l’exécution d'un projet aussi nouveau ; mais il s'écoulera du temps encore avant que ce monument puisse être construit deux, trois, peut-être quatre ans seront nécessaires.
M. Ch. de Brouckere. - Un an !
(page 378) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je vous fais mon compliment, si vous pouvez construire en un an un monument desliné aux arts. Je le désire vivement ; mais quoi qu'il en soit, je dois m'occuper des prévisions les plus ordinaires ; or dans les cas ordinaires, un monument des arts ne s'érige pas en un ou deux ans, et en attendant il faut que le gouvernement entretienne ce qu'il possède aujourd'hui, et jusqu'à l'époque où le temple des Augustins sera rendu à sa destination première, il faut bien qu'il soit entretenu dans un état décent.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 102. Académie royale d'Anvers : fr. 27,500. »
- Adopté.
« Art. 103. Conservatoire royal de musique de Bruxelles : fr. 45,000. »
La section centrale propose une augmentation de 3,000 fr. à titre de charges extraordinaires.
M. de Perceval. - La section centrale propose une augmentation de 3 mille francs, je désire que cette somme reçoive sa destination ; si je suis bien informé, le but de cette augmentation est de pourvoir à l'enseignement de l'orgue et d'élever le traitement minime alloué au professeur distingué qui donne le cours.
Je propose, en conséquence, de diviser cette somme comme suit :
Enseignement de l'orgue, 1,500 francs.
Dépenses diverses (enseignement de l'orgue), 1,500 francs.
Ce qui fait la somme de 5,000 francs.
M. Lebeau. - Je propose de porter le chiffre de cet article à 50,000 fr. C'est une augmentation de 5,000 fr. sur le chiffre du gouvernement ; de 2,000 sur celui de la section centrale.
Je ne crois pas que cette proposition puisse rencontrer les objections qui ont été faites à celle de l'honorable M. Loos : d'abord elle est infiniment plus modeste ; ensuite elle n'a pas, comme celle de l'honorable M. Loos, une apparence d'improvisation, qui, je crois, a exercé sur l'opinion des membres de la chambre plus d'influence que le fond de la proposition elle-même.
Pour prouver que la mienne n'est nullement improvisée, il me suffira de retracer très rapidement les faits.
Voici ce qu'on lit dans le rapport de la section centrale :
« M. le ministre de l'inlérieur a fait observer qu'à l'époque de la présentation du projet de budget (10 février 1852) les commissions administratives des conservatoires de Bruxelles et de Liège n'avaient pas fait connaître les augmentations de crédit qu'elles jugent nécessaires. Il communique le rapport du Conservatoire de Bruxelles, dans lequel sont expliquées toutes les raisons propres à justifier un supplément de subvention de 10,000 francs, et il informe la section centrale que la commission de surveillance de Liège a appelé l'attention du gouvernement sur plusieurs modifications que l'organisation du personnel du Conservatoire exige et d'où résulte un léger accroissement de dépenses. »
L'attention de M. le ministre de l'intérieur avait donc été appelée par la commission du Conservatoire sur la nécessité d'une augmentation plus considérable que celle qui est proposée. La commission du Conservatoire ne l'avait fait qu'après avoir examiné très mûrement les propositions du directeur. La commission administrative, qui n'a assurément aucune raison pour pousser à des dépenses exagérées, avait adressé ce travail à M. le ministre de l'intérieur. La section centrale, après l'avoir examiné, accueillit la proposition d'un de ses membres d'augmenter le subside de 3,000 fr.
La réduction de 7,000 fr. sur des dépenses qui ont été approuvées, dans le plus grand esprit d'économie, par la commission administrative, est beaucoup trop forte, et ferait manquer le but que la section centrale a voulu atteindre.
Permettez-moi, par suite de ma position particulière qui me permet de voir de près ce qui se passe au Conservatoire de Bruxelles, de vous présenter brièvement quelques observations à l'appui de mon amendement.
Depuis bientôt dix ans, aucune augmentation de subside n'a été accordée au Conservatoire de Bruxelles.
Le Conservatoire de Liège a reçu l'année dernière et recevra cette année un nouvel accroissement de subside. Je me ferai un devoir de le voter cette année, comme je l'ai voté l'année dernière, parce que je crois que cette somme recevra une excellente destination. Mais il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures. Il ne faudrait pas qu'au même moment le Conservatoire de Bruxelles fût éconduit, ou qu'on lui accordât une augmentatalion tellement minime que le but que la section centrale voulait atteindre fût manqué.
Voici quel serait le résultat de l'adoption de la proposition de la section centrale, si la proposition était adoptée : L'allocation du conservatoire de Bruxelles serait portée à 48.000 fr. Avec la mienne, l'allocation serait portée à 50,000 fr.
Je ne sais si je dois arrêter la pensée de la chambre sur la rondeur du chiffre, qui donnerait en quelque sorte à la dotation du conservatoire royal de Bruxelles un caractère de permanence. On a, en général, une certaine prédilection dans la législature pour les chiffres ronds. Nous avons vu leur influence dans des circonstances plus graves que celles-ci.
Mais, même avec cette somme de 50,000 fr., la commission du conservatoire croit qu'il sera encore, avec une sévère économie, difficile de pourvoir à toutes les dépenses.
Ce sera cependant pour elle un devoir de l'essayer. Nous avons l'espoir que le conseil provincial, à qui, depuis peu de temps, nous devons un léger subside, viendra un peu plus largement au secours du conservatoire, sinon l'an prochain, au moins dans l'une des prochaines années. L'insuffisance qu'il peut y avoir encore dans les moyens de faire face aux dépenses du conservatoire pourrait ainsi être comblée.
Je puis assurer que la plus sévère économie préside aux délibérations de la commission du conservatoire. Ainsi l'on a pris la résolution, d'après le vœu du gouvernement, de ne plus porter le maximum d'aucun traitement exceptionnel au-delà de 5,000 fr. Il y avait plusieurs traitements de 4,000 fr. qui ont disparu. Il est vrai que cette résolution n'a pas été et ne restera pas sans inconvénients. Ainsi elle nous a privés d'un professeur de chant tellement distingué, que sa réputation, je dois le dire, va bien au-delà de la Belgique.
Le départ volontaire de M. de Beriot, motivé par des raisons de santé, a fait disparaître un autre traitement de 4,000 fr.
C'est alors que la commission du conservatoire de Bruxelles a résolu de ne plus proposer au gouvernement de porter le maximum des traitements les plus élevés au-delà de 5,000 fr. Beaucoup sont inférieurs à ce chiffre ; car l'échelle est très étendue.
Nous craignons toutefois que cette décision ne nous prive d'un artiste belge, illustre à l'égal du grand violoniste que nous avons perdu, et avec lequel on est en négociation pour remplacer M. de Beriot.
L'impossibilité où nous avons été d'allouer un traitement supérieur à 1,500 fr. nous a privés du concours d'un autre violoniste extrêmement distingué, de M. Léonard, qui parcourt en ce moment l'Allemagne et la Russie, où il recueille des palmes et des écus. Peut-être rentrerait-il au Conservatoire, où il a laissé les plus honorables souvenirs et bien des regrets à ses élèves, si l'on pouvait lui assurer une situation un peu meilleure. Il en a du moins exprimé le désir à la commission en quittant Bruxelles.
L'augmentation proposée permettra de faire droit à la demande de l'honorable M. de Perceval, demande que j'appuie, de maintenir au Conservatoire l'enseignemenl de l'orgue dans les mains de l'artiste éminent qui en est chargé. Si l'opinion de la commission administrative confirmait la mienne, le traitement de ce professeur pourrait être augmenté de 1 500 fr., et porté ainsi au maximum des traitements exceptionnels dès que le gouvernement le voudrait, et son intention ne saurait paraître douteuse.
Je n'ai pas besoin, messieurs, de vous dire quel est l'artiste qui dirige la classe d'orgue au conservatoire royal de musique. Son nom, nous n'avons pas le droit de l'ignorer, car, il est déjà célèbre à l'étranger, il a déjà été l'objet des suffrages, je puis ajouter de l'admiration des sommités de l'art musical dans la ville même de Paris. C'est nommer M. Lemmens ; je puis donc dire, pour ce qui me regarde, qu'il n'est pas possible, sans le blesser dans sa dignité, plus encore que dans ses intérêts, de ne pas placer cet artiste distingué au premier rang parmi les professeurs du conservatoire. Or, de ce chef, il emportera à lui seul la moitié du chiffre renfermé dans l'amendement de l'honorable M. de Perceval.
Par suite des économies que nous avons dû faire, de la parcimonie avec laquelle nous avons dû rétribuer certains emplois, nous avons encore perdu un très bon professeur de basson. Cet instrument, isolé, n'est pas toujours des plus gracieux, c'est vrai, mais il est indispensable dans les orchestres. Cette classe de basson est vacante depuis deux ans. Le titulaire se trouvant mal rétribué est retourné à Paris et nous n'avons pu le remplacer ; la classe est faite par un répétiteur à 200 francs, je crois.
Nous avons cré une classe d'accompagnement dont l'utilité a été généralement reconnue. La plupart des personnes qui se livrent à l'exercice du piano, surtout les personnes du sexe, habituées à jouer seules, sont presque dans l'impossibilité d'accompagner les autres instruments ou le chant. L'habitude de jouer seul fait qu'on n'a pas de sûreté dans la mesure et qu'on est peu habitué à la lecture de la musique.
Enfin, messieurs, nous avons dernièrement eu le bonheur d'attacher au conservatoire un professeur de piano, un artiste belge, jeune encore, pouvant encore se perfectionner, mais qui déjà a parcouru avec succès une partie de l'Allemagne et a recueilli de nombreux et brillants suffrages. Nous l'avons attaché au conservatoire, savez-vous à quelle condition ? Nous lui avons alloué 1,200 fr., et il a hésité quelque temps pour savoir s'il ne nous enverrait pas un refus. Certes, on ne peut espérer de le conserver longtemps à de telles conditions.
Voilà, messieurs, dans quelle situation se trouve le Conservatoire royal de musique.
Je sais les objections que m'ont faites plusieurs honorables membres avec lesquels j'ai eu l'honneur déjà de m'entretenir de la situation du conservatoire, et qui m'ont montré beaucoup de bon vouloir pour cette institution. Ils ne m'ont pas caché cependant que, selon eux, le personnel paraissait beaucoup trop nombreux. Eh bien, permettez-moi, en déclinant ici ma compétence, de mettre sous vos yeux quelques lignes d'un homme dont vous ne récuserez pas la haute autorité, d'un homme qui, au point de vue de l'érudition et de la critique musicales, passe pour une des plus grandes autorités, ici et à l'étranger ; je veux parler du directeur de notre conservatoire. Voici sa réponse à l'objection :
« Il y a, dit M. le ministre... (car le ministre n'a pas moins disputé d'abord le terrain contre ces réclamations que vous ne pourriez le faire ici), y a, dit M. le ministre, dix classes de solfège ; ne pourrait-on (page 379) en diminuer le nombre ? Non, car si ce nombre était inutile, je ne l'aurais pas établi. Lés élèves de tous les instruments, de chant, les organistes, les harmonistes, les compositeurs, tout le monde enfin qui se livre à l'étude de la musique doit non seulement commencer par le solfège, mais même s'en occuper longtemps, parce que ce moyen est le seul par lequel on peut devenir habile lecteur et véritablement musicien. C'est par le solfège que j'ai changé la situation de la musique et que j'ai formé cette quantité d'excellents professeurs répandus partout et qui font aujourd'hui une réforme de l'art dans les provinces ; c'est par le solfège que nous avons acquis ces orchestres où toute musique, quelle qu'en soit la difficulté, est exécutée sans arrêt, sans hésitation, à première vue ; c'est par le solfège, enfin, que les choristes, chose inouïe autrefois, chantent aujourd'hui sans hésitation leur partie dans une première répétition.
« A l'égard des violons, il y a sept classes : en supposant douze élèves dans chacune, c'est quatre-vingt-quatre. Or, il y en a quarante dans l'orchestre ; le reste, après un an ou deux d'études, ne peuvent y être admis : ils sont destinés à remplacer les autres au fur et à mesure de la sortie de l'école. D'ailleurs, vu l'état actuel de la musique, il faut énormément de violons. Tous les orchestres de Bruxelles sont composés de violons formés dans le conservatoire, à l'exception de quelques vieillards qui se chargent d'y faire toutes les fautes de l'exécution. Nous en avons fourni aux écoles de musique de Mons, Tournay, Bruges et Namur ; il y en a à l'Opéra, à l'Opéra-Comique et au Théâtre-Italien de Paris, dans la musique particulière de la reine d'Angleterre et au Théâtre Italien de Londres, ainsi qu'à celui de Covent-Garden. Enfin des violonistes sortis du conservatoire sont à l'Ile-Maurice, à Bourbon, à la Nouvelle-Orléans, au Brésil, au Chili et dans l'Inde. Ce sont des existences faites à des Belges. Au surplus, je n'admets pas tout ce qui se présente, car si je ne choisissais dans tout ce qui me paraît le mieux organisé, il y aurait deux cents élèves de violon au conservatoire.
« Je ne trouverais certes pas d'inconvénient à supprimer deux classes de répétiteurs de piano pour les femmes, car ces classes font le tourment le plus constant de ma vie, par les sollicitations qui m'arrivent de toutes parts et auxquelles il m'est impossible de satisfaire, car j'ai refusé 150 personnes depuis le 1er octobre. Cependant, messieurs, prenez-y garde. Cette suppression fera bien des mécontents dans le monde. A chaque instant je reçois des lettres de personnages haut placés pour des admissions d'élèves de cette catégorie. Des représentants viennent eux-mêmes me solliciter à ce sujet ; les gouverneurs de province, les bourgmestres, tout le monde s'en mêle, etc., etc. »
Messieurs, ceci paraît avoir un côté risible pour quelques membres ; mais je crois que cela a un côté très honorable pour le pays. Ce sont en quelque sorte des missionnaires artistiques, qui propagent le nom belge dans toutes les contrées.
J'abrège, messieurs, parce que le temps presse et qu'en vérité le chiffre n'est pas assez important pour mériter tant de développements.
Ensuite, permettez-moi de vous dire qu'on se trompe beaucoup, quand on croit que le conservatoire royal de Bruxelles est une institution purement communale. Non seulement le conservatoire royal de musique n'est pas une institution communale, il n'est pas même une institution provinciale ; c'est une institution nationale. Nous avons des élèves de toutes les provinces et en très grand nombre ; nous en avons même de la province de Liège.
Cette institution a d'ailleurs un caractère essentiellement populaire. Au conservatoire royal de Bruxelles, on n'admet pas d'amateurs, c'est-à-dire que toutes les admissions sont gratuites. On n'y admet en général que des artistes pauvres, que des jeunes gens dont quelques-uns, souvent les plus heureusement doués, sont tellement dénués de moyens d'existence qu'ils ne peuvent fréquenter le conservatoire qu'à l'aide des subsides de leurs villes, de leur province, quelquefois de l'Etat, mais sur tout des provinces et des villes.
Messieurs, je croirais abuser des moments de la chambre si, par suite de ma position particulière, prenant trop à cœur les intérêts de l'institution que je défends, je prolongeais ces observations déjà trop longues cl que ma vive sollicitude pour l'établissement auquel je suis attaché comme administrateur peut à peine excuser.
Jusqu'à présent, messieurs, nous avons dépensé plus de paroles que d'argent pour les beaux-arts. Nous ne devrions pas oublier cependant quel éclat les arts de tout genre ont jeté sur notre pays depuis longtemps ; nous ne devrions pas oublier qu'à cet égard la Belgique doit se rappeler que noblesse oblige. Quand un pays compte parmi ceux de ses artistes qui appartiennent aux générations passées, des noms comme Rubens, Van Dyck, Grétry et tant d'autres, je le répète, il doit, sous peine d'ingratitude et de déchéance, se souvenir sans cesse de cet axiome-là encore si national : noblesse oblige.
M. Coomans. - En général, la musique que le gouvernement paye ne profite qu'aux villes, ou du moins aux classes supérieures de la société. Ainsi il forme des violonistes, des flûtistes et autres instrumentistes qui donnent, en Belgique et à l'étranger, des concerts aux amateurs payants. Je ne m'y oppose pas, mais puisque l'Etat entretient un conservatoire, plusieurs conservatoires, je ferai remarquer qu'il y a en Belgique environ 5,000 orgues, servant aux besoins religieux de plusieurs millions de nos compatriotes. Malgré les louables efforts faits dans les écoles normales de l'épiscopat pour former de bons organistes, la plupart de ces artistes et de leurs instruments laissent beaucoup à désirer. Je recommande donc à M. le ministre l'examen de la question de savoir s'il n'y a pas lieu de développer l'enseignement de l'orgue et de se procurer un bon instrument modèle à placer dans une des églises de la capitale.
M. de Perceval. - Il faudrait 60,000 fr.
M. Coomans. - La somme est bien forte, et je le regrette, car nous possédons un excellent professeur d'orgue, M. Lemmens, à l'éloge duquel je m'associe volontiers. Du reste, je me garde de faire une proposition formelle, je me borne à indiquer une lacune, en exprimant le désir qu'elle soit comblée le plus tôt possible, dès que l'état de nos finances le permettra. Je voterai l'augmentation de crédit demandée pour l'orgue, par M. de Perceval.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je n'ai pas l'habitude de vous entretenir de la commune de Bruxelles, de vous parler en faveur de ses institutions. Cependant son nom a été très souvent prononcé dans la discussion de ces derniers jours à propos de l'arrangement fait avec l'archevêque. J'ai eu la discrétion de me taire ; mais comme on a parlé de mystère, je mets à votre disposition les pièces du dossier en tant qu'elles émanent du conseil ou de moi. Je disais que je n'ai pas l'habitude de vous entretenir beaucoup de la commune de Bruxelles, cependant je dois appuyer l'amendement de l'honorable M. Lebeau.
La commune de Bruxelles n'a aucun autre établissement d'instruction publique de l'Etat, que le conservatoire. L'instruction primaire, l'instruction moyenne ne jouissent pas à Bruxelles comme ailleurs d'une part des subsides portés au budget. La ville de Bruxelles reçoit en tout 6,000 fr. pour son académie, car l'école de gravure est une charge qu'elle a acceptée. Voilà tout ce qu'elle obtient avec les dépenses du conservatoire, et cela pour une population de 225,000 âmes.
On vient demander une augmentation de 5,000 fr., ce sera en tout et pour tout 50,000 fr. que nous aurons pour l'instruction publique.
Eh bien, messieurs, le conservatoire de Bruxelles, réellement, a produit tant d'artistes d'un grand mérite, tant d'artistes de premier ordre qu'en vérité je ne pense pas qu'on veuille lui marchander celle légère augmentation.
L'honorable M. Coomans vient de parler d'un professeur d'orgue, et M. de Perceval a même fait une proposition que je l'engage à retirer, dans la forme où elle est, parce que nous ne votons pas ici un article en deux ou trois paragraphes ; il s'agit, au contraire, d'un article global dont les explications forment 5 ou 6 littéras. M. Coomans vous a parlé d'un professeur d'orgue. Certainement ce professeur est un homme du plus haut talent, cela a été reconnu par les artistes, reconnu par l'autorité compétente en pareille matière, je parle de l'autorité ecclésiastique.
Il n'y a pas huit jours tous les journaux ont publié une lettre de l'archevêque, adressée à M. Lemmens pour le remercier de son Journal d'orgue.
Eh bien, messieurs, il est impossible que nous conservions un artiste si éminent si nous ne le mettons pas au même niveau des meilleurs professeurs. M. Lebeau a parlé d'un traitement de 3,000 fr. ; mais il aurait dû dire que c'est là un traitement exceptionnel. Il n'y a que quatre professeurs qui en jouissent, et ce sont quatre sommités qui peuvent gagner en un seul concert à l'étranger plus que les 3,000 fr. que nous leur donnons.
Les professeurs, en général, n'ont que 1,000 fr. ; quand ils excellent on va jusqu'à 2,000 fr., mais la moyenne est au-dessous de 1,500 fr. Or dans une ville comme Bruxelles ce ne sont pas là des traitements. A Paris de pareils traitements suffisent par une raison fort simple, c'est qu'il s'y trouve une population d'un million d'émes et qu'à Paris le titre de professeur au Conservatoire est une espèce de passe-port au moyen duquel on entre partout.
Ici la population n'est pas assez nombreuse, et la population riche n'est pas assez musicienne, pour que les professeurs puissent compter beaucoup sur les leçons qu'ils donnent en dehors du conservatoire. J'ai l'honneur d'assister quelquefois aux séances de la commission, quoique ce soit comme une cinquième roue ; on m'appelle président d'honneur et vous savez quelles sont les attributions d'un président d'honneur ; mais j'ai pu voir comment ces messieurs procèdent. Ce n'est pas la plus stricte économie, c'est réellement de la parcimonie ; on discute quelquefois pendant deux heures avant d'accorder 100 francs à un professeur lorsqu'il a obtenu d'excellents résultats.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je n'ai qu'un seul mot à dire pour expliquer la pensée du gouvernement sur cette question. Quand elle a été examinée en section centrale, je ne possédais pas assez de documents pour me former une opinion complète sur l'augmentation de 5,000 francs, mais depuis lors, je me suis convaincu que, tant pour l'organisation du cours d'orgue, que pour compléter quelques traitements, il est indispensable d'accorder cette augmentation. Le gouvernement ne peut donc qu'insister et se joindre à l'honorable M. Lebeau pour que la chambre permette au Conservatoire de compléter l'enseignement de la musique.
M. de Brouckere. - Je partage l'opinion émise par les honorables députés de Bruxelles, de Huy et de Malines.
Je suis aussi de leur avis que cet homme d'un mérite éminent doit obtenir une augmentation de traitement ; je veux parler du professeur d'orgue. Cette branche de l'art musical doit être encouragée.
L'honorable député de Huy a fait l'éloge de la commission administrative du conservatoire de musique de Bruxelles ; je rends hommage au mérite administratif des membres de cette commission. Je dois cependant dire qu'ils ont peut-être été excessivement sévères envers un artiste d'un mérite incontestable, je veux parler de l'honorable professeur (page 380) Geraldy. On a exigé de lui, pour la somme minime qu'il recevait, qu'il résidât à Bruxelles pendant toute l'année ; on l'a empêché de se rendre à Liège et à Paris, où il pouvait augmenter son revenu. (Interruption.) Je tiens ces détails de l'artiste lui-même. Au reste, si la commission n'a pu retenir M. Geraldy, c'est très probablement parce qu'elle n'avait pas de fonds suffisants.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, nous avons été jusqu'à ce jour fort généreux pour la musique dramatique, pour la musique profane ; aussi nos efforts n'ont pas été stériles, le pays s'honore d'avoir donné le jour et l'enseignement à plusieurs artistes du premier rang.
Mais après avoir fait beaucoup pour la musique qui impressionne les sens, qu'avons nous fait pour celle qui parle au cœur ? Je dis : En quelque sorte rien.
Cependant la musique religieuse occupe le premier rang, cela est incontestable d'après l'avis des hommes de l'art.
Cependant la musique religieuse est celle qui s'adresse le plus aux populations parce qu'il y a place pour tout le monde dans la vaste enceinte de nos temples.
C'est la musique religieuse qui, en Allemagne, a développé ce goût si remarquable pour l'harmonie.
Je constate donc que nous avons trop peu favorisé la musique religieuse et j'en constate de plus le triste résultat.
Ce genre de musique est dans une décadence complète. Le sentiment en est en quelque sorte perdu.
La musique d'opéra a détrôné dans nos temples la musique si calme, si grave de Palestrina.
Je voterai donc avec plaisir l'augmentation proposée par l'honorable député de Malines. Bien que je ne sois pas le partisan de toute dépense qui tend à augmenter l'intervention de l'Etat, cette intervention me semble ici légitime, et voici pourquoi ; l'Etat a aliéné à son profit les biens des maîtrises, il me semble qu'il est juste que l'Etat se substitue aux services que les fondations étaient chargées de rendre à la musique d'Eglise.
D'ailleurs cette dépense ne sera pas stérile. Les élèves qui se formeront trouveront à se placer dans les 2,700 paroisses du pays.
Je viens d'entendre avec plaisir l'honorable M. Lebeau adresser un juste tribut d'éloges au savaut professeur d'orgue que nous avons entendu naguère. Je craindrais d'atténuer ce qu'il nous a dit en y ajoutant quelque chose.
J'ajouterai seulement que cet artiste a fondé une école d'orgue basée sur le plain-chant catholique. Sa méthode a été adoptée par les conservatoires de Paris, de Madrid et de Bruxelles.
Nous accordons à la musique profane, en réunissant le conservatoire de Liège à celui de Bruxelles, plus de 60,000 francs, il me semble que c'est faire bien peu de chose pour la musique d'église que de lui allouer 3,000 fr.
Au conservatoire de Bruxelles le violon a une dotation d'environ 9,000 fr.
Quel est cependant l'avenir des nombreux élèves qui se forment au moyeu de ce subside ? Les orchestres de théâtres, les cafés-concerts et peut-être un sort moins brillant encore.
Messieurs, vous n'hésiterez donc pas à voter 5,000 francs pour une école de musique qui est d'un intérêt si général pour nos populations et qui offre un avenir assuré aux élèves qui en sortiront.
M. de Perceval. - Messieurs, il est évident pour moi, et cela résulte de la discussion même à laquelle nous venons d’assister, que ma proposition est très opportune ; mais j’avoue qu’elle peut être considérée comme quelque peu irrégulière dans la forme. Du reste mon but est atteint, par suite de la déclaration qui a été faite par M. le ministre de l’intérieur et dont je prends acte. L’honorable M. Piercot a déclaré qu’une somme de 3,000 fr. serait employée pour faire face aux frais que nécessite l’important enseignement de l’orgue. J’ai voulu provoquer cette déclaration, et j’ai l’intime conviction que M. le ministre de l’intérieur veillera à ce qu’elle reçoive sa pleine et entière exécution.
Je ne persiste plus dans ma proposition qui, dès lors, devient inutile, et je la retire.
M. Deliége. - Messieurs, je n'ai que quelques mots à dire.
J'appuierai la proposition, faite par l'honorable M. Lebeau, d'augmenter le subside destine au conservatoire de Bruxelles. J'espère cependant qu'on sera juste à l'égard de tout le monde. L'honorable M. Lebeau vient de parler du conservatoire de Liège ; vous remarquerez que le crédit affecté à ce conservatoire suffit à peine pour rétribuer les professeurs de la manière la plus étroite.
- Un membre. - Il y a un article spécial pour le conservatoire de Liège ; il sera mis tout à l'heure en discussion.
M. Deliége. - Je crois pouvoir parler du conservatoire de Liège, alors que l'honorable M. Lebeau en a parlé.
Si, messieurs, prenant en considération l'état de nos finances et les augmentations incessantes qu'on vient proposer, on refuse le subside au conservatoire de Bruxelles, je renoncerai alors à ma proposition.
Evidemment de la manière dont nous marchons, nous allons vers un déficit. Aujourd'hui on vient vous proposer 100,000 francs de plus au budget de l'intérieur ; on a proposé une augmentation de 200,000 fr. dans le budget des travaux publics ; dans peu de jours nous avons le budget de la guerre, et là encore nous aurons de très grandes augmentations. Messieurs, nous devons en finir avec les augmentations.
Si cependant ou augmente le crédit affecté au conservatoire de Bruxelles d'une somme de 5,000 fr., je crois pouvoir développer les moyens qui me paraissent de nature à engager la chambre à se montrer également juste envers le conservatoire de Liège.
M. Lebeau. - Messieurs, j'ai fait remarquer, et ce n'est pas du tout dans un sens défavorable au conservatoire de Liège, que ce conservatoire avait déjà eu une augmentation ; que je l'avais votée ; que je voterais encore celle de cette année. Est-ce là un langage de rivalité étroite ; Voila ec que j'ai dit.
- La clôture de la discussion est prononcée.
L'article 103, telle qu'il est amendé par M. Lebeau, est adopté.
« Art. 104. Conservatoire de Liège : fr. 22,000 fr. »
M. Deliége. - Messieurs, voici les motifs qui m'ont engagé à proposer une augmentation de 2,000 francs en faveur du conservatoire de Liège :
Vous remarquerez d'abord que quand les deux conservatoires ont été formés, ils se trouvaient placés sur la même ligne ; aujourd'hui vous accordez 50,00 fr. au conservatoire de Bruxelles, et celui de Liège n'a que 22,000 fr. ; vous remarquerez que les meilleurs professeurs du conservatoire de Liège n'ont que des traitements très minimes, des traitements de douze cents ou de quinze cents francs. Ce sont là des traitements absolument inférieurs à ceux qu'on devrait leur accorder.
Vous savez qu à Liège on a toujours cultivé la musique et que les meilleurs artistes en sont sortis ; ceiui que l'honorable M. Lebeau vient de citer, l'honorable M. Léonard, est un enfant de Liège. Il faut être juste à l'égard de tout le monde. Or, accorder 22,000 fr. pour Liège et 50,000 francs pour Bruxelles, il n'y a pas là de justice distributive.
Messieurs, une chose qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'à Liège on a eu jusqu'ici plusieurs anciens professeurs qui se contentaient d'un traitement très minime. Il faudrait en avoir d'autres, et les personnes qui se présentent pour les remplacer ont des prétentions beaucoup plus élevées, si vous ne les rétribuez pas convenablement, vous décrétez la mort du conservatoire de Liège.
M. T’Kint de Naeyer. - Pendant que la ville de Bruxelles se plaint de n'avoir qu'un subside de 50 mille francs, Liège de n'avoir qu'un subside de 20 mille francs, je me permettrai de recommander à l'attention de M. le ministre de l'iutérieur le conservatoire de Gand, qui jusqu'à présent, n'a reçu qu'un modeste subside de trois mille francs. Je demanderai si, au milieu des augmentations générales que la chambre paraît disposée à voter, il reste bien entendu que la somme de 3,000 fr. sera conservée au conservatoire de Gand. Je serais heureux d'en recevoir l'assurance de M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il n'est pas question ici d'enlever à qui que ce soit des droits acquis. Ces trois mille francs dont on vient de parler ont été accordés jusqu'à présent, le gouvernement n'a nullement l'intention de les retirer.
M. T’Kint de Naeyer. - Ils ne figurent pas au budget.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Ils y figurent dans un article global. Du reste, il est à remarquer que la différence de situation qui exisie entre les conservatoires de Bruxelles, de Liège et de Gand s'explique par ce fait, que les deux premiers sont des institutions nationales ; tandis que le conservatoire de Gand est une institution communale. Voila ce qui explique la différence dans l'allocation des fonds.
M. A. Vandenpeereboom. - Je crois devoir m'opposer à la proposition de l'honorable M. Deliège, qui consiste à demander une augmentation de subside pour le conservatoire de Liège. J'avais demandé la parole pour faire des observations dans le même sens, en ce qui concerne le conservatoire de Bruxelles, mais la discussion ayant été close, je n'ai pu les présenter.
Nous donnons en ce moment, messieurs, un singulier spectacle. Quand il s'agit de musique, tout le monde n'a que des éloges à donner, puis on vote des augmentations de dépenses ; quani il s'agit d'agriculture, de chemins vicinaux, on donne aussi des éloges, mais on refuse les crédits demandés ; cependant, messieurs, ii ne faut pas avoir deux poids et deux mesures.
M. Lesoinne. - Je demande la parole.
M. A. Vandenpeereboom. - J'ajouterai que les orateurs qui ont pris la défense des conservatoires, en voulant prouver trop, ont prouvé que ce.s établissements n'avaient pas besoin de subsides.
L'honorable M. Lebeau nous a dit que les artistes de nos conservatoires parcouraient une brillante carrière dans les quatre parties du monde ; il a dit que nous avions des artistes musiciens belges en Afrique, dans l'Inde, en Orient, enfin.
Eh bien moi, messieurs, je crois que, si le conservatoire a produit de si heureux résultats, il faut eu conclure qu'il est très bon ; je ne vois donc pas la nécessite de l'améliorer, et d'augmenter le chiffre proposé.
M. de Mérode. - On ne peut pas comparer une augmentation très faible de deux mille francs reclamés pour le développement et l'amélioration de l'enseignement musical pour l'orgue avec des sommes importantes qui seraient applicables à l'amélioration de la voirie vicinale. Mais je m'opposerai à ce que l'on veuille absolument mettre le conservatoire de Liège sur la même ligne que celui du Bruxelles, de manière que chaque fois qu'on jugerait à propos de donner un subside au conservatoire de Bruxelles, il serait à propos de faire la même chose pour celui de Liège. Il n'est pas nécessaire d'établir à Liège tout ce que l'on établit à Bruxelles. Chacun peut avoir, dans telle ou telle circonstance, besoin d'un subside un peu plus considérable, et il ne (page 381) faut pas en conclure qu'immédiatement ce subside doive être généralisé. Sinon en doublant et en triplant les propositions de dépenses, on les fait échouer par l'obligation de reculer devant elles.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Nous avons tous le désir d'éviter des malentendus. On donne à la discussion une portée qu'elle n'a pas, qu'elle ne peut pas avoir.
Il ne s'agit pas le moins du monde ici d'assimiler le conservatoire de Liège à celui de Bruxelles, comme le prétend l'honorable M. de Mérode, il n'y a pas la moindre prétention du conservatoire de Liège à créer en ce moment un cours d'orgue parce que Bruxelles en a un ; il n'a pas la moindre prétention à se voir assimilé à celui de Bruxelles, qui a une dotation de 50 mille francs alors que le conservatoire de Liège n'en a qu'une de 22 mille francs. Il s'agit uniquement aujourd'hui d'examiner la proposition de la section centrale d'abord.
La section centrale pense que pour donner aux professeurs du conservatoire de Liège une position supportable, il faut ajouter 2,000 fr. à sa dotation.
Il ne s'agit pas d'autre chose. Rien de plus modeste comme vous le voyez. Voilà pourquoi la section centrale a abondé dans le sens du gouvernement et a porté l'allocation du conservatoire de Liège à 22,000 fr. chiffre auquel le gouvernement s'est rallié.
M. Lesoinne. - J'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. Vandenpeereboom est venu comparer l'allocation dont il s'agit ici à celle qui est demandée pour les chemins vicinaux. Je ne comprends pas cette espèce d'antagonisme que l'on cherche toujours à établir entre les villes et les campagnes. Ce que nous devons examiner ici, c'est de savoir si les dépenses sont justes et équitables. Quand je suis arrivé dans cette chambre, l'allocation pour les chemins vicinaux n'était que de 150,000 francs, nous l'avons portée à cinq cent mille francs, et s'il y avait eu cette année des fonds disponibles, je me serais joint à l'honorable membre pour porter cette allocation à six cent mille francs, et je l'aurais votée de grand cœur. Mais il s'agit d'une dépense minime et réellement utile qui s'applique à des besoins également respectables et qui méritent aussi notre sollicitude.
J'espère que la chambre adoptera la proposition de la section centrale et qu'elle votera l'allocation de 22,000 fr.
M. de Man d'Attenrode. - Il me reste une observation à faire concernant une mesure d'ordre applicable, d'ailleurs, à tous les conservatoires. Cette mesure d'ordre tend à prévenir beaucoup d'inconvénients. Si mes renseignements sont exacts, et j'ai lieu de les croire tels, il est des cours qui sont donnés simultanément, et dans une même salle, aux jeunes gens des deux sexes. J'entends parler ici du cours de chant. Il me semble qu'il serait convenable de procéder au Conservatoire comme dans les écoles communales.
Puisqu'il y a deux professeurs de cbant, rien ne serait plus facile que de changer l'un du cours des jeunes gens, et l'autre du cours des jeunes personnes.
J'espère que la commission administrative voudra bien prendre note de cette observation qui tend à maintenir l'ordre dans nos cours de musique.
Je termine par une dernière observation, la voici : Quand il s'agit du renouvellement du personnel enseignant, il est désirable qu'on tienne non seulement compte du mérite de l'artiste qui se présente, mais qu'on ait égard aussi à sa réputation de moralité.
On ne doit pas oublier qu'il s'agit de l'enseignement de la jeunesse, et que l'exemple exerce sur elle une grande influence.
- La discussion est close.
Le chiffre de 24,000 fr., proposé par M. Deliége, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
Le chiffre de 22,000 fr. est adopté.
« Art. 105. Musée royal de peinture et de sculpture. Personnel : fr. 5,900. »
- Adopté.
« Art. 106. Musée royal de peinture et de sculpture. Matériel et acquisitions ; frais d'impression et de vente du catalogue : fr. 21,900. »
A cet article, M. le ministre a demandé une augmentation de 9,087 fr. 29 c. à titre de charges extraordinaires.
La section centrale a admis cette demande.
M. Veydt. - Je me permets de revenir sur mon observation de tout à l'heure, lorsqu'il s'est agi d'un crédit pour des travaux d'appropriation au temple des Auguslins. Je persiste, messieurs, à la croire fondée.
La proposition primitive du budget était de fr. 21,900. La section vous a proposé d'y ajouter 9,087 fr. à la colonne des charges extraordinaires.
Cette somme est demandée principalement pour mieux approprier à sa destination une galerie du musée historique, en lui procurant un jour plus convenable. La lumière, au lieu de venir des deux côtés, pénétrera dans la salle par des lanterneaux placés dans la partie supérieure de la toiture. Evidemment, messieurs, ce sont des travaux de construction ou d'amélioration. Ils doivent être imputés sur l'article spécial du budget des travaux publics, dont j'ai parlé. Dans la note explicative, insérée au projet de budget de ce département, l'on cite particulièrement les musées de l'Etat parmi ces diverses propriétés, auxquelles on fera des améliorations. La place de la dépense dont il s'agit est là bien mieux qu'au budget de l'intérieur.
Autre chose est d'une somme de 1,500 fr. destinée à l'acquisition d'objets qui sont propres à figurer au musée historique. Cette somme trouve convenablement sa place à cet article.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je ne puis que répéter ce que j'ai dit, qu'il importe peu quel sera le département qui fournira la somme ; mais ce qu'il importe, c'est que le déparlement des travaux publics ne se trouve pas en présence d'une insuffisance. Or, le département des travaux publics, qui ne s’est pas attendu à cette charge nouvelle, trouvera une lacune. Il ne s'agit pas d'économie à faire, mais de se demander si le budget des travaux publics est en mesure de faire face à la dépense, ou de s'entendre avec le chef de ce département pour qu'il ajoute à son budget la somme nécessaire ; il est évident que comme il n'a pas pu dans ses prévisions faire état de cette dépense, il devra grossir d'autant les allocations qu'il demande.
A quoi bon dès lors ajourner le vote de cette dépense dont l'examen est complet ? Cela ne se représentera plus ; vous êtes éclairés sur la destination de la somme ; rien de plus simple que de la voter et de remettre à l'avenir le soin de classer autrement des dépenses de cette nature, s'il était reconnu qu'elles ne concernent pas le département de l'intérieur.
M. Veydt, rapporteur. - C'est à regret que j'insiste.
Pourquoi voter au budget de l'intérieur un crédit qui ne cadre pas avec la plupart de ses autres dépenses, quand il y a ailleurs un article qui a été formulé précisément pour le but qu'on veut atteindre ? On ne peut contester que l'application ne soit juste.
Il n'est pas à craindre non plus que l'on ait déjà déterminé l'emploi de l'allocation, car elle apparaît pour la première fois, et le département des travaux publics attendra sans doute le vote de la législature pour en disposer. Il y aura donc moyen de faire, dès l'année prochiine, les changements désirés au local du musée historique.
J'ai l'honneur de proposer à la chambre de retrancher fr. 7,587 29 c. de l'article en discussion et de porter fr. 21,900 comme dépense ordinaire et fr. 1,500 à la colonne des charges extraordinaires pour des objets à acquérir au musée.
M. Vilain XIIII. - A quoi bon, dit M. le ministre, renvoyer au budget des travaux publics pour le payement d'une somme destinée à l'amélioration des bâtiments du musée ? Il y a une autre raison que celle de la régularité que vient d'invoquer l'honorable rapporteur, c'est une raison d'économie. La dépense faite par le département de l'intérieur coûtera davantage que si elle est faite par le département des travaux publics.
En effet le département des travaux publics a à sa disposition un personnel d'ingénieurs habitués à faire des travaux ; le département de l'intérieur n'a personne, il devrait prendre un architecte qu'il payera qui n'est pas attaché au département ; il y aura donc plus de frais pour le département de l'intérieur que pour le département des travaux publics. Ce n'est donc pas seulement par motif de régularité, raiis encore par motif d'économie que la proposition de M. le rapporteur me paraît devoir être admise.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Pour en finir il s'agit de savoir qui payera. Mon collègue m'informe qu'il s'entendra avec moi. On peut considérer la discussion comme terminée sur ce point.
- L'article 106, tel qu'il est proposé par M. Veydt, est mis aux voix et adopté.
« Art. 107. Musée royal d'armures et d'antiquités. Personnel : fr. 3,800 »
- Adopté.
Art. 108. Musée royal d'armures et d'antiquités. Matériel et acquisitions ; frais d'impression et de vente du catalogue : fr. 8,000. »
- Adopté.
« Art. 109. Entretien du monument de la place des Martyrs, des jardins et des arbustes. Salaire des gardiens : fr. 2,500. »
La section centrale propose de réduire le chiffre au taux de l'année dernière, 2,000 fr.
M. de Man d'Attenrode. - Le gouvernement s'y rallie-t-il ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Le gouvernement s'y rallie.
- Le chiffre de 2,000 fr. est adopté.
« Art. 110. Monuments à élever aux hommes illustres de la Belgique, avec le concours des viiles et des provinces. Médailles à consacrer aux événements mémorables : fr. 15,000. »
La section centrale propose de réluire l'allocation à 10,000 fr. chiffre de l'année dernière.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Ce crédit est de tout point insuffisant ; il est impossible qu'avec ce crédit on donne des encouragements suffisants aux villes qui ont des monuments à élever aux hommes illustres qui ont honoré leur pays.
L'expérience de plusieurs années a été faite. Il est impossible, si l'on reste renfermé dans les limites actuelles, qu'on puisse arriver à une justice distributive un peu équitable. Je dois donc insister pour que la (page 382) chambre accorde au gouvernement l'augmentation de 5,000 fr. qu'il a demandée à l'article 110.
Le crédit, dans ses limites actuelles, se trouve déjà non pas dépensé, mais engagé pour 1853 par les encouragements à donner à la construction des monuments de Roland de Lattre à Mons et de Thierry Martens, à Alost.
Il est évident que des demandes d'autres subsides arriveront et que le gouvernement sera entièrement dépourvu de fonds si vous ne majorez pas le crédit. Il se trouvera donc dans l'impossibilité d'accueillir les demandes de même nature qui lui seraient faites par d'autres villes.
Ce sont ces considérations qui ont porté le ministre de l'intérieur à demander une augmentation de 5,000 fr. Cela intéresse toutes les villes de la Belgique. La chambre appréciera si le gouvernement doit être mis à même de faire entre elles une équitable répartition.
M. Rogier. - Cette augmentation n'est pas improvisée ; elle fait partie du budget, et se justifie d'elle-même. Il s'agit de subsides aux villes qui élèvent des monuments à leurs grands hommes.
Tout à l'heure, on vient de parler, au nom de l'art, de ces manifestations les plus élevées ; en a dit qu'il fallait élever aux grands hommes, non pas des statues ordinaires, mais des statues équestres. Je suis aussi de cet avis. Mais si vous voulez que le gouvernement puisse aider les villes à faire de beaux monuments, tl faut que les subsides s'élèvent à la hauteur de vos sentiments.
Ici, il s'agit de 15,000 fr. à répartir entre plusieurs villes qui ont pris des engagements envers le gouvernement pour élever des monuments à des hommes illustres. Si vous réduisez le subside, vous empêcheres le gouvernement de seconder le mouvement municipal, qui s'arrêtera s'il n'est pas encouragé.
Je crois que la section centrale a été un peu sévère, en n'accordant pas l'augmentation de 5,000 fr. demandés. Je me joins à M. le ministre de l'intérieur pour engager la chambre à allouer le chiffre de 15,000 fr.
M. Osy. - La section centrale propose le rejet de l'augmentation de crédit ; je crois qu'elle a raison. Continuons d'accorder la même somme que précédemment. Mais n'exagérons pas. Je ne conçois pas que l'on veuille tout faire à la fois.
Je m'oppose à l'augmentation de crédit proposée.
M. Magherman. - Il est impossible que la chambre s'engage dans cette voie d'augmentations continuelles que ne compense jamais aucune réduction. Où cela nous mènera-t-il ? Nos ressources seraient insuffisantes pour y pourvoir. Nous devons arrêter le gouvernement sur cette pente qui serait fatale au pays, et nous prononcer systématiquement contre les augmentations de dépenses.
- Le chiffre de 15,000 francs est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 110 est adopté avec le chiffre de 10,000 francs.
« Art. 111. Subsides aux provinces, aux villes et aux communes, dont les ressources sont insuffisantes pour la restauration des monuments, et subsides pour la conservation d'objets d'arts appartenant aux administrations publiques, aux églises, etc. : fr. 40,000. »
La section centrale propose de réduire le chiffre de cet article à 35,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je demande la parole, pour engager la chambre à maintenir le chiffre proposé par le gouvernement, il n'y a pas de dépense qui se justifie mieux. La plupart de nos villes sont intéressées à la conservation de leurs monuments. C'est une question qui intéresse la gloire nationale, et puisque nous ne faisons plus de monuments nouveaux, tâchons au moins de conserver les anciens, Les fonds dont le gouvernement dispose ne sont pas assez considérables pour que les villes obtiennent une part d'encouragement suffisante. Ce crédit est presque entièrement engagé. En voici l'emploi présumé pour 1853.
Tous ces monuments figurent dans le tableau des subsides accordés aux villes et communes. Ainsi, est absorbée la somme de 36,800 fr. affectée aux dépenses ordinaires.
Mais indépendamment de cela, il y a chaque année des demandes pour d'autres monuments. Si l'on n'accorde rien de plus le gouvernement sera obligé de repousser toutes les réclamations nouvelles. Cette considération me semble justifier la proposition de porter le crédit à 40,000 francs.
M. Veydt. - L'argument prouve trop ; car si vous l'admettez, vous ne voterez pas seulement 40,000 fr., vous voterez des sommes plus considérables encore.
M. de Mérode. - J'appuie les observations de l'honorable ministre de l'intérieur. Les monuments existants sont bien moins coûteux que ceux qu'il faudrait créer à nos frais. Cependant, trop souvent, ils périclitent faute d'entretien. Il ne faut pas les laisser tomber. La somme de 40,000 fr. ne me paraît pas trop élevée. Je pense qu'il convient de l'allouer.
M. Veydt, rapporteur. - La section centrale a été d'accord sur l'utilité du crédit ; elle l'a confirmée, en quelque sorte, en proposant d'élever l'article au chiffre rond de 35,000 francs, et ce comme dépense permanente.
L'utilité est donc bien avérée, bien reconnue ; mais on va trop loin en l'invoquant pour justifier une augmentation plus forte. On pourrait soutenir, par ce seul argument, qu'il y a lieu de voter une somme double ou triple.
Pourquoi ne point continuer à marcher avec des ressources égales à celles des années précédentes ?
On a déjà fait bien des choses ; on a du temps pour faire le reste. Cinq mille francs de plus ne permettraient pas d'aller beaucoup plus vite. Chaque localité, qui a un monument intéressant à restaurer, aura son tour d'être subsidiée. Il n'est pas nécessaire d'accroître les charges du budget. Je crois, messieurs, que la proposition de la section centrale mérite d'être accueillie par la chambre.
M. Rodenbach. - Messieurs, le subside dont nous nous occupons est distribué presque toujours aux grandes villes, et dans la nomenclature que vient de citer M. le ministre, je n'ai entendu que les noms de grandes villes. Cependant plusieurs petites communes ont aussi des mouuments à réparer. Je pourrais vous citer dans la Flandre occidentale et particulièrement dans l'arrondissement de Roulers, plusieurs communes renfermant des édifices dont la commission des monuments, qui s'est rendue sur les lieux, a reconnu le caractère monumental. J'appelle l'attention de M. le ministre sur ce point. Je demande que l'on soit juste, que l'on n'ait pas deux poids et deux mesures, que les grandes villes ne soient pas toujours protégées au détriment des petites villes et des campagnes.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, j'espère que vous appuierez le chiffre proposé par la section centrale ; j'y tiens surtout, afin de poser une limite à ce système, qui existe au département de l'intérieur, et qui tend à grossir annuellement le chiffre des dépenses.
Si vous ne prenez pas résolument le parti d'arrêter ce système par vos votes, je ne sais où cela nous mènera.
Le crédit que l'on nous demande est d'une utilité incontestable. Mais y a-t-il lieu de l'augmenter ? Je ne le pense pas. Nous avons beaucoup fait depuis 1830, tous nos monuments sont en voie de restauration.
Cette activité ne se ralentira pas, si vous refusez l'augmentation proposée. Ces travaux utiies se poursuivront comme dans le passé. : Je ferai d'ailleurs une autre observation. Le crédit dont nous nous occupons n'est pas le seul que nous votons pour la réparation de nos édifices ; nous allouons aussi des fonds au budget de la justice pour la réparation dee monuments religieux. Ces deux crédits réunis me paraissent suffire.
M. Vilain XIIII. - Il y a une grande différence à faire entre l'article que nous avons voté tout à l'heure et celui que nous discutons. J'ai voté contre l’augmentation qui avait été demandée par M. le ministre de l'intérieur, parce qu'il s'agissait de monuments à créer, de monuments tout à fait neufs en l'honneur de nos grands hommes. Il m'a semblé qu'à cet égard il fallait aller lentement, que sans cela il pourrait arriver qu'au bout de quelques années, nous n'eussions plus de grands hommes à représenter sur nos places publiques. Nous avons le temps.
Mais il n'en est pas de même des monuments existants, des monuments que nos ancêtres nous ont laissés. Il est impossible de les laisser tomber. C'est l'histoire ancienne en monuments, l'histoire ancienne que le peuple peut le mieux comprendre.
Il ne faut pas oublier, messieurs, que sous les gouvernements précédents, sous le gouvernement français, sous le gouvernement de Pays-Bas, il n'a été pour ainsi dire rien fait pour la réparation de nos anciens monuments.
C'est depuis que nous avons recouvré notre indépendance, qu'on a senti le besoin de les restaurer. Les crédits que vous votez pour cet objet seront nécessairement limités par les besoins.
Quand vos monuments seront restaurés, il va sans dire que le crédit disparaîtra du budget ; de sorte que si nous votons 10,000 fr. de plus cette année, ce sera 10,000 fr. de moins que vous aurez à accorder dans l'avenir.
Un mot de réponse maintenant à l'honorable M. Rodenbach. Je tiens en main l'état officiel que M. le ministre de l'intérieur a bien voulu me remettre. Ce n'est pas seulement pour les grandes villes que le crédit est dépensé ; les petites villes en ont aussi leur part.
Ainsi pour les Halles d'Ypres (je ne sais si Ypres accepte la qualification de grande ville) on accorde 7,000 fr. Pour l'hôtel de ville de Léau (c'est bien là une petite ville), 1,500 fr. Pour l'hôtel de ville de Hal, qui est aussi une petite ville, 3,000 fr. Pour l'hôlel de ville de Lésines, 400 fr. Pour la chapelle des Augustins à Huy, 900 fr. Ce sont là aussi de petites villes. (Interruption.)
Je ne veux rien dire de désobligeant pour ces villes ; je veux seulement constater que tout le crédit n'est pas dépensé dans les grandes localités.
-La discussion est close.
Le chiffre proposé par le gouvernement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
Le chiffre proposé par la section centrale est adopté.
« Art. 112. Commission royale des monuments. Personnel : fr. 1,400. »
- Adopté.
« Art. 113. Commission royale des monuments. Matériel ; frais de déplacement : fr. 4,600. »
- Adopté.
(page 383) « Art. 114. Frais des commissions médicales provinciales ; service sanitaire et service des épidémies : fr. 39,500. »
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, j'ai demandé la parole, non pas à propos du crédit, puisque l'on n'en propose pas, mais à propos du libellé concernant le monument qu'on veut élever sur la place du Congrès.
M. le président. - Cet article ne figure pas au budget.
M. de Man d'Attenrode. - Il y a un libellé pour mémoire sans doute afin que nous n'en perdions pas le souvenir.
M. le président. - Ce n'est que dans les développements et non au budget.
M. de Man d'Attenrode. - Soit, mais je désire présenter une observation sur cet objet.
Je demande au gouvernement qu'avant de prendre des engagements, il veuille bien communiquer à la chambre ses projets quant à la dépense. Si mes renseignements sont exacts, et j'ai lieu de les croire tels, l'administration est en voie de négocier le prix de cinq des statues qui doivent orner le monument, et je vais vous dire quels sont ces prix. On demande pour le modèle en plâtre de la statue principale, qui représentera la Constitution, la somme de 22,000 fr ; et 18,000 pour le modèle en plâtre de chacune des 4 statues qui doivent orner les quatre coins du monument ; ce qui, outre les 22,000, fait encore 72,000.
Il faudra ensuite que les modèles soient exécutés soit en bronze, soit en marbre.
Le massif du monument avec les décorations indispensables coûtera encore des sommes considérables. Il paraît qu'il s'agit de faire venir des pierres de Wurtemberg.
Je crois que ce monument peut être évalué à environ 900,000 fr. Je vous dirai, messieurs, que l'expérience m'a rendu prudent.
Nous avons été amenés à voter petit à petit, et presque malgré nous, environ 600,000 fr. pour le monument de la place des Martyrs, qui, selon moi, ne vaut pas cette forte somme ; je tiens à ce qu'il n'en soit plus de même pour le monument de la Constitution.
M. Rogier. - Je demande à répondre un mot à l'honorable M. de Man.
M. le président. - La parole est à M. Rogier.
M. Rogier. - Il a été convenu que le monument du Congrès national ferait l'objet d'une loi spéciale. Ce monument a été consacré non seulement par une grande solennité à laquelle tous les pouvoirs publics ont pris part, mais encore par un vote de la chambre ; un premier crédit a été alloué et le gouvernement s'est réservé de demander le reste des fonds par une loi spéciale.
Le gouvernement a cherché à réunir les fonds nécessaires à la construction de ce monument, au moyen de souscriptions particulières, ces souscriptions ont amené un résultat, mais il n'est pas suffisant pour couvrir la totalité des frais.
On vient de parler d'une statue en plâtre qui coûterait 22,000 fr.
M. de Man d'Attenrode. - La statue principale.
M. Rogier. - La statue principale coûtera peut-être plus de 22,000 fr.
Mais rien n'est décidé à cet égard. Voici la situation de cette affaire où je l'ai laissée. J'ai demandé aux sculpteurs les esquisses des statues qui doivent faire corps avec le monument ; après les esquisses viendront les modèles, puis l'exécution soit en pierre, soit en bronze, selon ce qui sera décidé par les chambres ; mais la seule mesure que j'ai prise, c'est de commander les esquisses : or le prix de ces esquisses n'est pas déterminé. Quand les esquisses auront été soumises à la commission des monuments, celle-ci fera un rapport au gouvernement, on connaîtra le prix des modèles, le prix des statues définitives et le gouvernement viendra faire une proposition aux chambres.
Jusqu'à présent, rien n'est décidé, quant aux matériaux des statues. La colonne sera en pierre, précisément pour éviter la dépense trop considérable qu'aurait entraînée l'emploi du bronze.
J'aurais désiré que les souscriptions eussent reçu une adhésion unanime. Cela est regrettable, cela est triste à dire, mais cela est : il y a eu dans une partie de la presse la conspiration du silence contre ce monument national, et la presse opposante n'a pas daigné annoncer la souscription pour la colonne du congrès.
M. le président. - Je regrette qu'une discussion se soit engagée sur un article qui ne figure pas au budget.
M. Orban. - Messieurs, il s'agit encore ici d'une de ces questions de régularité, de prérogative parlementaire sur lesquelles nous sommes trop souvent appelés à nous prononcer. Le monument élevé au Congrès est malheureusement un nouveau témoignage du peu de respect professé par le précédent ministère pour les prérogatives de la chambre et du peu d'égard que l'on avait pour elle.
Assurément c'est une belle et noble pensée que celle d'élever un monument à l'assemblée mémorable qui a fondé notre nationalité ; mais je demande si cette pensée n'eût pas été plus convenablement, plus dignement remplie par le pouvoir législatif que par un membre du ministère qui s'en est attribué à lui seul l'initiative et l'honneur.
Voilà, messieurs, pour la question de dignité et de convenance. Voyons maintenant quant à la légalité et à la régularité du procédé. Que vient-on de vous dire ? On vient de vous dire à l'instant qu'un projet de loi sera soumis à la chambre pour régulariser cette affaire. On reconnaît donc qu'un projet de loi est nécessaire pour décréter ce monument qui doit être payé sur les fonds de l’Etat. Mais ne dirait-on pas que le monument est encore à créer, qu’il est encore en projet, que vous êtes libres ou pas de l’admettre ? Cependant nous le voyons déjà s’élever sur l’une de nos places publiques et l’on vient de vous entretenir des marchés faits pour les statues qui doivent en faire l'ornement. Est-ce là, je vous le demande, prendre au sérieux les prérogatives de la chambre, et les prescriptions de la loi ?
On a dit, je le sais, que les frais seraient couverts au moyen de souscriptions, mais on pouvait savoir d'avance que c'était là se bercer d'une illusion, et que la dépense serait en définitive supportée par le trésor.
Assurément, messieurs, qu'il eût été désirable et digne du but que l'on se proposait de subvenir à la dépense au moyen de souscriptions particulières, librement consenties. Un pareil concours eût rendu le monument doublement national. Mais je le déclare hautement, je ne puis attribuer ce caraclère aux souscriptions qui ont été recueillies provoquées par l'administration.
Autant les souscriptions particulières eussent été désirables, autant les souscriptions communales me paraissent déplacées dans cette circonstance. Que signifient en effet ces libéralités consenties par les conseils communaux sur les fonds de la commune ? Au lieu d'user de son influence comme il l'a fait pour décider les communes à concourir à une dépense qui ne les concerne pas, M. le ministre de l’intérieur devrait au contraire user de son influence sur les conseils communaux pour les engager à se montrer en toute circonstance économes de la fortune dont sont les administrateurs.
Quel caractère, quelle signification peut avoir une libéralité de cette espèce ? Quand on veut être généreux, libéral, on doit l'être de sa propre fortune et non de celle d'autrui, a plus forte raison de celle dont on est l'administrateur.
M. Rogier. - Ceci est encore de l'opposition rétrospective, et il faut réellement être possédé du besoin, de récriminer pour choisir un semblable terrain et pour y porter une discussion qui d'ailleurs n'est plus de saison.
Si, en effet, l'ancien ministère, comme on le dit avec une vivacité que je laisse à la chambre le soin d'apprécier, si l'ancien ministère avait manqué à la dignité de la chambre, dont l'honorable membre se pose le champion, la chambre a bien tardé à s'apercevoir de cette of fense. Il y a deux ans qu'une proposition a été faite à la chambre, dans le budget de l'intérieur, pour la colonne du Congrès, et la chambre en votant le crédit a parfaitement compris qu'aucune atteinte n'avait été portée à sa dignité.
Il s'agit, messieurs, d'une idée sur laquelle tout le pays a été d'accord, sauf quelques rares exceptions de la part d'esprits toujours mécontents ou malveillants. Les membrrs du Congrès national, les membres des anciennes chambres, les membres des chambres d'alors, sont venus inaugurer le monument ; il n'y a eu aucune espèce de plainte ; et c'est trois ans après qu'on vient découvrir que le ministère de cette époque a porté atteinte aux prérogatives de la chambre en soumettant au Roi l'arrêté qui a décrété ce monument !
Je veux ajouter un seul mot quant aux souscriptions : On vient de blâmer les souscriptions faites par les administrations communales pour la colonne du Congrès. Où est le mal que les communes aient concouru à l'érection d'un monument national ? Les communes sont restées maîtresses de leur vote et de leur souscription ; elles ont été, il est vrai, sollicitées à porter une somme à leur budget ; c'est ce qu'elles ont fait pour la plupart. Celles qui n'ont pas voulu le faire, n'ont pas été forcées. Mais heureusement qu'il y a dans nos communes des sentiments patriotiques qui se mettent au-dessus des passions de parti. La plupart des conseils communaux se sont associés à la pensée du gouvernement, et ont porté suivant leurs ressources, dans leur budget, une somme répartie sur une ou plusieurs années ; les villes ont donné plus, les communes rurales moins. Mais, je le repèle, toutes les communes ont été parfaitement libres.
M. Orban (pour un fait personnel). - Messieurs, on prétend trouver de la contradiction entre les observations que j'ai présentées, et la conduite que d'honorables collègues et moi, nous aurions tenue antérieurement, en assistant à l'inauguration du monument en l'honneur du Congrès national ; ce qui supposait de notre part l'approbation de ce projet. Nous n'avions rien à biàmer à cette époque, puisque l'arrêté ministériel déclarait que la dépense serait faite au moyen de souscriptions particulières. Ce n'est que du jour où l'on est venu réclamer les fonds du trésor que le droit d appréciation a commencé pour nous, et ce droit j’en use en ce moment.
On me reproche de faire en ce moment de l'opposition rétrospective. Comment ! messieurs, il s'agit d'une dépense qui n'est pas encore votée, qui n'est pas même proposée, mais qui est annoncée au budget, où elle doit figurer longtemps, et je fais de l'opposition rétrospective ! Dites plutôt que je fais de l'opposition préventive et vous serez dans le vrai. En tout cas, le droit dont j'use est incontestable.
- La chambre, consultée, ferme la discussion sur cet incident.
L'article 114 est adopté.
« Art. 115. Encouragements à la vaccine. Service sanitaire des ports de mer et des côtes. Subsides aux élèves sages-femmes. Subsides aux communes en cas d'épidémie ; impressions et dépenses imprévues : fr. 26,300. »
- Adopté.
(page 374) « Art. 116. Académie royale de médecine : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 117. Conseil supérieur d'hygiène publique. Jetons de présence et frais de bureau : fr. 4,200. »
- Adopté.
« Art. 118. Subsides pour les établissements publics de la commune de Spa : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 119. Traitements temporaires de disponibilité ; charges extraordinaires : fr. 10,859 16. »
- Adopté.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, il est un principe que personne ne pourra contester dans cette chambre, e'est que pour avoir droit à un traitement de disponibilité, il faut avoir eu droit dans le passé à un traitement, quand on était en activité. Or, qui voyons-nous dans l'état des traitements de disponibilité qui nous a été distribué ? Nous y voyons figurer d'abord pour 1,890 fr. un ancien officier de garde civique qui ne jouissait pas d'un traitement quand il était en activité. Car ni la loi sur la garde civique ni le budget de l'intérieur n'accordent de traitements aux officiers des états-majors de la garde civique. La loi de 1848 ne leur alloue que des indemnités.
D'ailleurs, pourquoi accorder cette faveur à un seul officier ? Si elle est due à une personne, elle est due à bien d'autres encore.
Nous y voyons encore figurer pour 750 fr. un maître de manège jouissant d'un traitement d'attente, comme si un maître d'équitation, quand il était en activité, pouvait être considéré comme un fonctionnaire ayant droit à une pension.
J'espère que ces faveurs disparaîtront du budget ; aucune loi ne les légitime.
L'état mentionne encore un commissaire d'arrondissement, qui émarge un traitement de disponibilité de 2,100 fr. depuis 1849. Si cet ex-fonctionnaire n'est pas disponible, comme je le suppose, ce traitement d'attente doit être supprimé bientôt.
Un traitement de disponibilité ne peut se prolonger convenablement pendant plusieurs années.
C'est d'ailleurs une appréciation qui doit être abandonnée au gouvernement ; aussi j'espère que M. le ministre de l'intérieur ne reculera devant aucune mesure réclamée par la justice etl es ménagements qu'exige le bon emploi des deniers des contribuables.
M. Rogier. - Messieurs, l'honorable M. de Man a découvert et appris à la chambre que les officiers de la garde civique de recevaient pas de traitement. Cela est parfaitement exact ; mais il y a certains officiers qui recevaient un traitement...
M. de Man d'Attenrode. - Ils ne peuvent pas avoir de traitement.
M. Rogier. - C'est vrai ; comme officiers de garde civique, ils ne peuvent pas avoir de traitement ; mais ils peuvent en recevoir en d'autres qualités ; or, l'officier supérieur dont il s'agit, homme très respectable, était attaché depuis 1831 à l'état-major de l'inspection générale, où il remplissait des fonctions administratives auxquelles était attribué on traitement de 3,780 francs.
J'ai supprimé cette place ; j'ai donc fait une économie ; j'en ai fait beaucoup d'autres, quoique vous en disiez, M. de Man ; l'officier dont il s'agit ne reçoit plus maintenant que 1,890, au lieu de 3,780 fr. Voilà l'opération qu'on a signalée comme une nouvelle dilapidation. Si l'on veut rétablir ce fonctionnaire dans ses anciennes attributions, on lui rendra son traitement de 3,780 fr.
Mais il y a un autre méfait : on a donné un traitement de non-activité à un professeur de manège.
Messieurs, l'école vétérinaire avait un professeur d'équitation au traitement de 1,500 fr. J'ai trouvé qu'on pouvait supprimer cette place, et j'ai mis le titulaire dans la même position que les autres fonctionnaires dont les emplois ont été supprimés. Il en résulte une économie de 750 fr. Veut-on rendre à ce professeur son ancienne position, on aura à lui payer. 1,500 francs.
Voilà donc les deux nouvelles fautes que j'ai commises et qu'on est venu ajouter aux autres.
Reste un commissaire d'arrondissement dont le commissariat a été supprimé et qui touche un traitement de disponibilité. Le commissaire n'a pas encore été remplacé. C'est une question que j'abandonne à M. le ministre de l'intérieur. S'il trouve utile de remplacer ce fonctionnaire, libre à lui. Je n'ai pas d'observation à faire sous ce rapport.
- Personne ne demandant plus la parole, l'article 119 est adopté.
« Art. 120. Dépenses imprévues non libellées au budget ; fr. 9,900. »
- Adopté.
La chambre fixe le second vote du budget de l'intérieur à lundi prochain.
M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il y a sur le bureau de la chambre une pétition du conseil provincial d'Anvers qui vous fait connaître que depuis l'inondation du polder de Lillo, il y a encore environ deux cents personnes sans habitations et réduites à la dernière misère. Je conviens que le gouvernement a fait quelque chose pour ces malheureux, mais je le prierai de bien vouloir examiner la demande du conseil provincial, et à cet effet, je demanderai le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.
- La chambre ordonne le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.
La séance est levée à 4 heures et demie.