(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 247) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
- La séance est ouverte.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Maertens fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Plusieurs électeurs de la commune de Frasnes demandent l'établissement d'un bureau électoral dans chaque chef-lieu de canton. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habilants de Rupelmonde prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'exemption de droits en faveur des actes concernant l'expulsion de certains locataires. »
« Même demande de plusieurs habitants de Stekene, Seneffe, Haeltert, Deynze, Evergem, Sinay.
- Même renvoi.
« Quelques habitants de Bruxelles prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif à la répression des offenses envers les chefs des gouvernements étrangers. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Les employés des monts-de piété prient la chambre de les exempter du service de la garde civique. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique.
« M. d'Henry fait hommage à la chambre de trois exemplaires de sa brochure intitulée : « Nomenclature de personnes belges décédées en pays étrangers. »
- Dépôt à Ja bibliothèque.
M. le président. - L'article premier du projet de loi, auquel le gouvernement se rallie, est ainsi conçu :
« Art. 1er. Quiconque, par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques, qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, se sera rendu coupable d'offense envers la personne des souverains ou chefs des gouvernements étrangers ou aura méchamment attaqué leur autorité, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cent francs à deux mille francs.
« Le coupable pourra, de plus, être interdit de l'exercice de tout ou partie des droits mentionnés à l'article 42 du Code pénal, pendant deux ans au moins et cinq ans au plus. »
M. le président. - La discussion est ouverte sur cet article et sur les amendements suivants :
Amendement de M. Moreau consistant à substituer les mots « d'injures ou d'outrages » à celui « d 'offenses ».
Amendement de MM. Orts et Pierre consistant à retrancher les mots : « en aura méchamment attaqué leur autorité », ainsi que le paragraphe 2.
Amendement de M. le ministre des travaux publics consistant à ajouter au commencement du deuxième paragraphe les mots : « dans le cas de récidive, prévu par l'article 58 du Code pénal ».
MM. Anspach et Pierre ont, en outre, demandé sous forme d'amendement le rejet du deuxième paragraphe.
M. Pierre. - (page 265) La proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre n'est pas nouvelle : je l'ai faite dans la section à laquelle j'appartenais. Celle-ci l'accueillit, comme le constate le rapport de la section centrale qui, elle, ne l'a point admise. Ne pouvant abandonner cette proposition, car elle me semble dominer le projet, j'ai dû la reproduire à la chambre.
De son adoption ou de son rejet dépendra mon vote sur la loi.
Nous n'avons, selon moi, à réprimer que les offenses envers la personne des souverains étrangers ; rien de plus. Pour ma part, je ne voterai rien de plus.
Sauvegarder l'autorité étrangère en Belgique, où elle n'existe pas me paraît un luxe de répression à la fois inutile et antinational.
Je repousserai cette disposition, ainsi que celle contenue au paragraphe 2 de l'article premier. Je ne vous répéterai point ce que vous ont dit à cet égard les honorables MM. de Perceval et Orts. Ils vous ont démontré que la pénalité comminée était draconienne, exorbitante.
C'est aussi un véritable anachronisme, en présence des adoucissements que nous avons tout récemment introduits dans notre législation pénale. J'ose espérer que vous repousserez également, messieurs, cette disposition, dont l'énormité est, à mon avis, hors de doute pour le cas auquel elle s'appliquerait.
Il y a dans le projet en discussion, deux expressions qu'il importe de définir le plus précisément, le plus exactement possible : cette définition est de la plus grande importance. Nous avons apaisement quant à l'une d'elles. Il est entendu que le terme « offenses » équivaudra à ceux d'injures ou d'outrages. Il a été maintenu uniquement pour la forme, parce qu'il est mieux en rapport avec la qualité et le rang de la personne qui en est l'objet. La déclaration la plus explicite sur la signification de ce mot est consignée au rapport de la section centrale. Cette explication catégorique était de rigueur.
Toutefois, je préférerais beaucoup la modification qu'a proposée dans la dernière séance M. Moreau. Il vaut infiniment mieux être franc, net, précis, que de chercher une sorte de détour pour dire ce que nous voulons exprimer. J'appuie donc cette proposition. Si, contre mon attente et contrairement à mon amendement, le mot « autorité » passait dans la loi, il ne serait pas moins nécessaire que sa valeur fût bien déterminée. Rien n'est plus vague que cette expression. Elle prête à l'extension la plus illimitée, à l'arbitraire le plus incroyable.
Je ne me dissimule pas que la définition rigoureusement légale d'un mot est chose très difficile, souvent même entourée de certains dangers.
Cela est incontestable, en thèse générale, mais cela l'est infiniment plus encore dans le cas particulier qui nous occupe. Il y a certes peu de mots dans la langue française, qui soient aussi difficiles à définir que celui-là, surtout tel qu'il figure dans la loi. J'ouvre le Dictionnaire de l'Académie. Je trouve quatre grandes colonnes d'un in-folio, imprimées en caractères petits et serrés, employés exclusivement à la définition du mot « autorité ». N'est-il pas évident que les interprétations les plus variées, les plus nombreuses peuvent lui être attribuées, puisque l'Académie a dû entrer dans d'aussi longs développements pour définir ce mot ?
N'insérons pas dans la loi une expression pleine de périls par son élasticité. Elle porterait, comme vous l'a dit si chaleureusement, si patriotiquement l'honorable M. de Decker, le coup de mort à toute libre discussion sur les divers principes, sur les différentes formes de gouvernement.
Evitons un pareil écueil, évilons-le, d'autant plus que l'étranger nous convie à nous y jeter tête baissée, sans se soucier de nos légitimes susceptibilités, ni de nos institutions constitutionnelles. Oui, quoi que l'on dise, la loi est et restera un douloureux sacrifice pour notre amour-propre national. Ecartons tout ce qui n'est pas absolument indispensable.
Je ne conteste pas la triste nécessité que nous imposent de malencontreuses circonstances ; je déclare cependant qu'un grand effort de patriotisme et de dévouement à mon pays pourra seul me décider à voter la loi ; mais, messieurs, si ma proposition n'était pas admise dans ses deux parties i stinctes, ma conscience de représentant d'un peuple libre et indépendant ne me permettrait pas de souscrire à un tel sacrifice, qui répugnerait au cœur de tout ami ferme et sincère des libertés belges, soucieux de la dignité nationale.
(page 247) M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je crois rester dans les usages de la chambre, en présentant, à l'occasion de l'article premier de la loi en discussion, et qui renferme le principe de la loi elle-même, quelques considérations qui déterminent l'adhésion que je donne au projet de loi.
La loi en discussion (on l'a déjà dit ; je tiens à le répéter) n'est pas une loi contre la presse.
Si tel pouvait être son caractère, si elle pouvait avoir pour effet même éloigné d'amoindrir ou de restreindre une seule de nos garanties constitutionnelles, non seulement le gouvernement ne l'aurait pas présentée, mais j'ose affirmer qu'il ne se rencontrerait, dans cette chambre, personne pour la défendre ou pour la soutenir.
La loi en discussion ne blesse aucun principe constitutionnel ; elle ne touche, par aucun point, à aucune des bases constitutionnelles qui ont été déterminées quant à la presse.
Cette liberté a été placée si haut par les fondateurs de la Constitution, que non seulement elle se trouve a l'abri du pouvoir, mais qu'elle est même en dehors de l'action du pouvoir législatif. Le côté constitutionnel est donc hors de cause.
Mais pour donner mon adhésion à la loi, il me fallait davantage : il me fallait le concours d'une double condition, que je demande à toute loi en cette matière.
Si la loi n'avait été que juste, je l'eusse repoussée. Si elle avait été seulement nécessaire, si elle avait eu pour base unique la sûreté de l'Etat, je l'eusse repoussée encore, parce que, au-dessus des nécessités gouvernementales je place le respect des principes, le respect des règles immuables de la justice et du droit. Si je donne mon adhésion à la loi, c'est qu'elle est à la fois juste et nécessaire. Elle est même doublement juste au point de vue des règles du droit international, elle n'est que la consécration d'un principe que nulle part dans le monde civilisé on n'a songé à méconnaître.
Elle dérive des devoirs réciproques qui unissent les nations entre elles et constitue le fondement du droit européen. A cet égard, je dois le dire, j'ai été extrêmement surpris d'entendre un honorable membre reprocher à la loi de faire plus que n'ont fait, en cette matière, les législations étrangères.
La loi que nous vous proposons est plus libérale qu'aucune autre ; elle est plus libérale que la loi de 1816 ; elle est plus libérale parce qu'elle définit mieux le délit ; elle est plus libérale parce qu'elle ne réprime pas toutes les catégories d'offenses prévues par la loi de 1816 ; elle est plus libérale parce qu'elle admet l'application de l'article 463 du Code pénal qui ne figure pas dans la loi de 1816 ; elle est plus libérale parce que au point de vue de la plainte elle introduit des tempéraments à la loi de 1816.
(page 248) On a invoqué la législation du Piémont. A-t-on cité les dispositions de cette loi, a-t-on parlé de la loi de 1852, qui introduit un jury spécial, un jury politique ? Non, on n'en a pas dit un mot. On a cité la législation anglaise qui punit le libelle, et on a prétendu, qu'en vertu de cette législation, on ne pouvait traduire un prévenu qu'à raison d'une offense envers la personne du chef de l'Etat.
Le mot « libelle », en Angleterre, a une signification plus générale. Il ne comprend pas seulement les attaques contre la personne du souverain, mais aussi contre l'autorité.
Voici ce que je lis dans un ouvrage sur la législation anglaise :
« En général toute diffamation ayant pour but d'injurier ou d'avilir un individu ou l'Etat ; de ternir la réputation ou de calomnier les sentiments d'une personne ; d'exciter à la mésestime, au mépris ou à la haine du gouvernement est un libelle. »
Considérée au point de vue de sa légitimité intrinsèque, la loi est encore inattaquable ; elle déclare légalement punissables des actes qui le sont moralement partout, qui le sont aux yeux de toute conscience humaine ; considérée au point de vue des causes qui l'ont provoquée, la loi est nécessaire ; elle n'est pas l'effet d'une pression que le gouvernement nie, mais la conséquence fatale, douloureuse de violences et d'excès que tout le monde a pu constater. Je sais que ces motifs extrêmement simples, quant à moi, suffiraient pour déterminer mon adhésion au projet en discussion ; mais comme il arrive souvent, on place la question ailleurs, on se laisse aller à des exagérations de pensée et de parole.
Un honorable membre, à la conviction et au talent duquel je rends hommage, a parlé d'humiliation et de péril pour nos institutions. Cette pensée d'humiliation, je la repousse comme imprudente et en désaccord avec les sentiments de l'honorable membre lui-même. Quant au péril de nos institutions, s'il pouvait se présenter, je pense que le patriotisme des pouvoirs publics et la sagesse de la nation suffiraient pour le conjurer.
Mais, messieurs, le péril pour les institutions d'une nation jeune, enviée et extérieurement faible, il peut venir de l'oubli de nos devoirs comme nation, de notre impuissance à faire respecter l'autorité des gouvernements étrangers, autorité dont nous pourrions avoir besoin pour notre défense propre. Savez-vous où est, selon moi, la principale force, la principale garantie de nos institutions ? Elle est dans notre modération, dans notre sagesse et notre tolérance pour les institutions des autres peuples, quelles qu'elles soient.
La principale force de nos institutions est encore dans notre attachement au principe parlementaire et dans notre ferme résolution de maintenir en Belgique une majorité de gouvernement et de l'asseoir sur les bases solides et incontestée des convictions communes. C'est par là que nous apprendrons aux autres à aimer nos institutions et à pratiquer des libertés dont nous sommes si justement fiers.
Il n'y a pas, messieurs, dans la loi que nous discutons, autre chose que ce que la conscience universelle flétrit, que ce que les honnêtes gens de tous les partis flétrissent : la diffamation, l'injure. Il n'y a dans la loi que nous discutons que la répression, la répression, remarquez-le bien, sous le contrôle des pouvoirs publics, sous le contrôle d'une magistrature libre et indépendante, sous la sauvegarde d'un jury libre et national, la répression de ce qui porte avec soi le caractère d'un acte coupable, le caractère d'un acte criminel.
Qu'on ne vienne donc pas parler de la critique des actes d'un gouvernement, de la critique des institutions d'un gouvernement, de ce qui se fait, de ce qui se dit ailleurs.
Cela n'est pas dans la loi. Ce serait, en vérité, faire une injure au patriotisme de la chambre, au patriotisme du jury et de la magistrature que de supposer que des critiques présentées quant aux actes d'un gouvernement, aux institutions d'un gouvernement, et ne touchant pas à l'autorité même, puissent tomber sous l'incrimination de la loi.
Comment ! nous voulons rendre à une loi incontestée la force obligatoire qui lui manque ; nous voulons lui rendre la vie qui pour ainsi dire lui échappe, et de gaieté de cœur, nous irions provoquer, par notre propre aveuglement, la désobéissance d'une loi nouvelle qui froisserait le sentiment national. Mais il faut supposer au gouvernement plus de logique, plus d'intelligence.
Comme mon honorable collègue, M. le ministre de la justice, vous le démontrera dans le cours de cette séance, si le mot « méchamment », « attaque méchante de l'autorité », est maintenu, c'est que la signification de ce mot a été fixé par une jurisprudence constante et que même c'est un des éléments constitutifs qu'il faut sonmettre à l'appréciation du jury. Le jury est spécialement et formellement interrogé sur la question de savoir si les actes dirigés contre un gouvernement ont le caractère coupable, ont le caractère criminel que porte avec lui le mot « méchant ».
Quant à moi, je n'en veux pas dire davantage ; je vote la loi, je la vote à regret, mais je la vote en acquit d'un devoir que ma conscience ne me reprochera pas dans d'autres temps.
M. Lelièvre, rapporteur. - L'honorable M. Moreau demande que le mot « offense » soit remplacé par les expressions « injures ou outrages ».
Nous combattons cet amendement qui ne saurait être admis.
D'abord le mot « offense » est le terme légal qui est employé dans la loi du 28 septembre 1816 ; sous ce rapport, il faut le maintenir.
En second lieu, le mot « offense » figure aussi dans la lo, française de 1819 ; or, jamais, en France, il n'a donné lieu au moindre inconvénient.
Sous ce rapport, nous ne voyons aucun motif d'adopter une autre expression, d'autant plus qu'elle se trouve consacrée par notre propre législation.
Ce qui tranche, du reste, tout doute à cet égard, c'est que le projet en discussion est conçu dans les mêmes vues que la loi du 6 avril 1847.
Or, cette loi se sert du mot « offense » ; donc il faut maintenir la même expression, dans la loi actuelle, afin de maintenir l'harmonie entre les diverses parties de la législation.
Du reste, tous les auteurs, les plus libéraux qui ont commenté la loi française de 1819 conviennent que le mot « offense » est le mot propre dans l'occurrence actuelle et qu'il exprime parfaitement la pensée du législateur.
En France, lors de la discussion de la loi de 1819, c'est la commission de la chambre des députés qui a proposé de remplacer par le mot « offense » les expressions : « imputations ou allégations offensantes ou injures » qui se trouvaient écrites dans le projet. De Grattier nous enseigne également que le mot « offense » caractérise avec justesse le genre de délit dont il s'agit.
Enfin substituer une autre expression à celle dont il s'agit, c'est réellement faire naître des difficultés sérieuses dans l'exécution de la loi. Les mots « outrages et injures » n'étant pas définis, ils donneront naturellement lieu à diverses interprétations au moyen desquelles on cherchera à paralyser la loi. Cela est tellement évident que lorsque le Code pénal a parlé d'injures et d'outrages, il a eu soin de définir ces mots.
C'est ainsi qu'il punit seulement les outrages envers les magistrats, lorsqu'ils tendent à inculper l'honneur et la délicatesse de ces fonctionnaires, article. 222 du Code pénal.
De même dans l'article 375 du même Code, les injures supposent une imputation de vices déterminés. Par conséquent, les mots « injures et outrages » sont loin de présenter un sens précis.
Le mot « offense » exprime une idée que tous comprendront et que le jury saura du reste apprécier dans les circonstances particulières qui se rencontreront dans les cas qui lui seront soumis.
Le législateur belge a si bien compris les inconvénients auxquels les expressions de l'amendement peuvent donner lieu, que dans la loi du 6 avril 1847 il a eu soin de remplacer par le mot « offense » ceux « d'injure et de calomnie » exprimés dans le décret du Congrès du 20 juillet 1831.
Nous croyons donc devoir maintenir le mot « offense » comme étant celui qui énonce le mieux la nature spéciale du délit qu'il s'agit de réprimer.
Nous voulons certainement une loi sérieuse ; or, pour atteindre ce but, il est évident qu'il ne faut pas employer dans la législation des expressions qu'on a précisément supprimées parce qu'elles avaient donné lieu à des difficultés que le législateur de 1847 a cru devoir faire disparaître.
Evidemment, ce serait introduire dans nos lois des anomalies regrettables que de revenir à des qualifications que nos lois existantes ont cru devoir proscrire.
Sous ce rapport, je crois devoir, au nom de la section centrale, combattre l'amendement de M. Moreau.
M. Devaux. - Messieurs, ce ne sont pas des paroles de réaction que je veux mêler à ces débats ; la réaction est fille d'une exagération contraire. Ennemi de toute exagération politique, je suis par cela même ennemi de la réaction.
Aujourd'hui comme il y a vingt ans, le gouvernement parlementaire est toujours pour moi, je ne dirai pas le gouvernement le plus parfait, la perfection n'est pas de ce monde, mais le gouvernement le moins imparfait qui ait régi les sociétés humaines.
C'est celui qui prévient le plus d'abus, qui respecte le plus les droits des individus et favorise le plus le développement de leurs facultés et la dignité des caractères.
Je ne dis pas que toutes les nations y soient également aptes, mais s'il en est qui ont de la peine à y plier leur caractère et leurs mœurs, j'e les plains, car dans ma conviction profonde, à l'époque où nous vivons il n'y a pas de stabilité réelle, pas de progrès solide, pas de sécurité durable hors de ce régime.
Ce que je dis du gouvernement parlementaire, je le dis de la liberté de la presse que je regarde comme la plus fondamentale de toutes les libertés. Sans la liberté de la presse il n'est point de liberté complètement garantie ; avec elle, on est sûr, si on ne possède pas toutes les autres, de les conquérir toutes un jour.
La liberté de la presse a ses dangers sans doute comme celle du langage, mais quand je la considère dans ses résultats en Belgique, après une expérience de vingt-deux ans, je me crois autorisé à dire qu'elle a fait au pays un bien immense et qu’elle n’a eu en réalité que des inconvénients secondaires.
J'ai entendu l'autre jour un orateur se plaindre des persécutions de la presse à l'égard des particuliers ; si les particuliers n'ont pas assez de garanties contre elle, qu'on nous en demande pour eux ; on ne leur en a jamais refusé.
Mais, disons-le, sous un régime comme le nôtre, il faut à tout le monde un peu d'énergie, un peu de virilité dans les mœurs.
Si les particuliers ont à se plaindre de la presse, s'ils sont sensibles à des attaques injustes, ils ont deux armes pour se défendre, la presse (page 249) elle-même et puis les tribunaux, qui, si je ne me trompe, ne leur ont jamais fait défaut.
Quant à la presse politique, de laquelle seule il s'agit ici, je dis que la Belgique en a recueilli d'immenses bienfaits : il ne faut pas seulement en juger (ce serait déjà beaucoup) par tous les abus qu'elle a empêchés, par le régime si tolérant, si doux, si régulier dont nous jouissons, il faut encore reconnaître cette salutaire influence dans l'esprit politique qui anime aujourd'hui le pays entier.
C'est à la liberté de la presse qu'on doit en très grande partie la différence qui existe entre nos mœurs publiques d'aujourd'hui et celles d'il y a trente ans.
Se rappelle-t-on bien ce qu'était la Belgique à cette époque ? La Belgique était morte à toute espèce d'esprit public ; on a dit quelquefois que la vie politique s’était réfugiée dans les institutions communales. La commune était sans vie il y trente ans comme la province, comme l'Etat ; partout le sentiment public était engourdi ; les impôts, le recrutement avaient seuls le privilège de triompher de l'indifférence générale.
Il y avait des élections, mais elles se passaient dans l'ombre et au milieu de l'apathie publique. La législation électorale n'était pour ainsi dire point connue. Lorsque dans ma jeunesse j'ai voulu connaître pour la première fois le système électoral en vigueur, je ne sais à combien de personnes j'ai dû m'adresser avant d'en rencontrer une qui pût me l'expliquer.
Les règlements électoraux, car ce n'était pas une loi, ne se trouvaient nulle part ; ils n'étaient pas dans le commerce ; quelques années plus tard pour en répandre la connaissance, mes amis et moi, nous les avons fait réimprimer.
Lorsqu'on procédait aux élections pour la seconde chambre des états généraux, on ignorait dans le pays le jour où elles avaient lieu, et parfois huit jours se passaient avant que les journaux eux-mêmes en fussent informés.
Comparez à cela la situation morale de la Belgique actuelle, cette séve qui circule d'un bout du pays à l'autre, cet esprit public toujours éveillé, cette communauté de sentiment et d'opinion qui, franchissant toutes les barrières des localités, s'est établie entre toutes les provinces, cet esprit national qui, en s'affermissant tous les jours, vient tout ennoblir et tout seconder.
Eh bien, cette immense différence morale entre les deux époques, nous la devons en grande partie à la presse. C'est elle qui, en faisant circuler les mêmes idées dans tout le royaume, en appelant sans cesse l'attention sur les intérêts communs et les institutions communes, a fait le miracle.
Qu'on ne dise pas que la presse n'a qu'une puissance dissolvante. En Belgique elle a fait autre chose que détruire, elle a créé, elle a uni, elle a vivifié.
Et cependant nous avons été dans la pratique plus loin que le Congrès. Car le Congrès avait décidé que les délits seraient punis, et nous, dans la pratique politique, nous avons presque laissé la porte libre aux abus. La presse a été si peu dangereuse, nous avons ressenti si peu d'inconvénients que nous lui avons donné pour ainsi dire le droit de mal faire. Pourquoi ? C'est que dans ce pays il y a au fond de la nation un bon sens qui résiste à tout, devant lequel il semble que la presse perde cette puissance d'égarement dont ailleurs on a vu de funestes exemples.
Mais si notre gouvernement a pu pousser la tolérance si loin ; si, pour son propre compte, il a pu supporter des abus dont il ne redoutait pas le danger, pouvons-nous, lorsque ces abus viennent à attteindre des gouvernements étrangers, exiger d'eux la même tolérance ?
Comment, si l’abus existe, pourrions-nous leur refuser la faculté de demander que nos propres tribunaux en fassent justice ?
Messieurs, toute la question est là ; si réellement il y a abus envers un des gouvernements étrangers, il est de notre devoir de lui accorder les moyens d'en avoir raison.
Messieurs, reconnaissons bien notre position en Europe, il ne faut ni l'affaiblir, ni la méconnaître. Nous rencontrons aujourd'hui en Europe des appuis sincères et solides. Les dernières années ont décidé pour nous une chose de bien haute importance, à savoir que la question de l'indépendance de la Belgique est une question irrévocablement européenne.
Nous trouvons aujourd'hui un appui ferme et sincère même chez les puissances dont les institutions s'éloignent le plus des nôtres. De ce côté, pas la moindre atteinte encore n'a jamais été portée à notre dignité de nation ; aujourd'hui encore, si l'on a exprimé des désirs, si l'on nous a donné des conseils, toutes les formes, tous les égards ont été observés ; il faut le reconnaître, messieurs, c'est là de la sagesse ; répondons-y par de la sagesse à notre tour, nous qui sommes si sages dans la direction de nos affaires intérieures.
Disons hautement que nos institutions nous les conserverons intactes, mais disons aussi que ces institutions nous ne voulons pas qu'elles soient hostiles à ce que d'autres nations ont droit de vouloir chez elles, disons que nous n'avons pas la ridicule prétention de faire la police de l'Europe et de servir de citadelle aux mécontents de tous les pays.
Messieurs, je demande à la loi, ainsi que je vous l'ai dit, de ne punir que les abus ; et sous ce rapport, je puis accepter l'article premier tel qu’il est. Je trouve dans le jury une garantie suffisante pour l'accusé. S'il ne s'agissait que de l'accusé, je ne ferais pas d'autres observations, je voterais silencieusement l'article premier. Mais je préférerais des expressions plus précises. Je le désirerais, non pour l'accusé, je le répète, à mon avis il est suffisamment garanti ; mais je le préférais pour le gouvernement et dans l'intérêt de ses relations avec les gouvernements étrangers.
Ce qui est important, à mon avis, c'est que la loi sorte d'ici entourée d'une grande force morale ; c'est qu'elle soit acceptée dans le pays comme un véritable acte de justice. C'est que, la regardant comme telle, le jury n'éprouve aucune répugnance à l'appliquer. C'est pourquoi je souhaite qu'elle réunisse une grande majorité et même, ce qui ne me paraît pas impossible, la presque unanimité des voix.
Ce qui, à mes yeux, importe pour le gouvernement, c'est bien moins tel degré d'extention qu'on donne à la qualification des délits, tel degré de pénalité, que la certitude de voir la loi appliquée. Pour moi, c'est avec le désir sincère de la voir appliquée s'il y a lieu, que je la vote, et j'espère que dans cette application le jury se montrera non pas sans doute passionné ou exagéré, mais juste et ferme.
Je désire aussi que la loi soit claire pour les puissances étrangères ; je voudrais en toute sincérité, en toute loyauté, que les puissances étrangères ne se trompassent pas sur la portée de la loi, qu'elles n'y vissent que ce que le jury y voit lui-même, et qu'elles ne lui demandassent pas ce qu'il ne pourra pas leur donner ; c'est pourquoi je voudrais des expressions qui ne pussent être diversement interprétées.
Messieurs, si cette précision plus grande que je désirerais dans l'article premier n'y était pas introduite, je le répète, je ne rejetterais pas l'article lui-même qui, à mon avis, n'a d'inconvénients que pour le gouvernement et suffit aux accusés.
Messieurs, je voterai la loi sans éprouver la moindre humiliation comme membre de la législature belge. Accorder aux gouvernements étrangers le droit d'obtenir justice de nos tribunaux, ce n'est point s'humilier, c'est plutôt rendre hommage à nos propres institutions. Je ne vote pas la loi par crainte du courroux d'un de nos voisins. La Belgique, si elle sait remplir tous ses devoirs de nation avec sagesse et prudence, me paraît assez forte et de ses propres ressources et de l'appui qu'elle rencontre en Europe, pour n'avoir à craindre aucune puissance isolée.
Je ne vote pas la loi non plus en vue des intérêts matériels et des négociations pendantes.
J'aurais même préféré qu'elle ne fût votée qu'après les négociations, car si les deux pays doivent désirer une bonne entente commerciale, je ne vois pas que la Belgique doive être la plus pressée de sortir de la situation actuelle. Celle situation que le gouvernement pourrait alléger encore, n'est assurément pas pesante à tel point qu'il y ait urgence pour nous d'en sortir. Ce qui s'est passé depuis quelques mois, le calme avec lequel la Belgique a supporté les coups qu'on a cru lui porter, a dû prouver à tous que les intérêts industriels de la Belgique sont en réalité beaucoup plus indépendants de ses voisins, que ceux-ci qui ne le croyaient et que peut-être elle ne l'avait cru elle-même.
M. Verhaegen. - Après les brillants et patriotiques discours que vous avez entendus dans cette discussion, je crois inutile d'entrer dans de nouveaux développements, car les convictions sont faites et je ne veux pas prendre inutilement le temps de la chambre.
Je ne prends la parole que pour motiver en deux mots le vote que je me propose d'émettre.
Mû par les considérations qu'ont fait valoir les honorables M.M. Orts et de Decker, j'adopte le principe de la loi, mais non les diverses dispositions qu'il renferme.
Je voterai donc pour tous les amendements qui ont été présentés, et si ces amendements venaient à être rejetés je voterais contre l'article premier et même contre l'ensemble du projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Les paroles pleines l'élévation et de sens que vient de prononcer l'honorable M. Devaux, sont de nature à nous rassurer tous sur le sort de la presse par rapport à la loi actuellement en discussion. Je m'associe, pour ce qui me concerne, et je crois pouvoir dire la même chose pour tous mes honorables collègues, à l'appréciation que l'honorable orateur a faite des services rendus par la presse libre dans notre pays et de l'influence que cette presse a exercée sur le développement de l'esprit public, et la puissance de notre nationalité.
J'ai vu dans ce discours la réponse péremptoire à certaines plaintes exagérées qui ont été articulées dans cette enceinte et auxquelles, pour ma part, je ne puis m'associer.
Ces appréciations ont été sans doute de nature à dissiper les derniers scrupules que certains membres pouvaient conserver sur les principes de la loi ; ces principes dont j'ai établi l'universalité et la perpétuité dans une précédente séance se trouvent à l'abri de toute contestation.
Mais l'honorable M. Devaux, en annonçant qu'il votera la loi, a exprimé le désir que quelques expressions fussent mieux définies, mieux déterminées.
Je vais essayer, tout en déclarant que le projet, tel qu'il a été présenté par la section centrale, avec l'amendement introduit par M. le ministre des travaux publics, reste le nôtre ; je vais essayer de définir les expressions qui ont été critiquées, et de combattre les amendements qui ont été présentes.
Je ne sais s'il est dans l'intention de la chambre que je passe successivement en revue dans un seul discours, les différentes parties de l'article et les amendements qui s'y rattachent.
M. le président. - C'est votre droit ; la discussion est ouverte sur l'article premier et tous les amendements proposés à cet article.
(page 250) M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je vais donc passer en revue successivement les divers amendements. Le premier esl celui proposé par l'honorable M. Moreau ; il consiste à substituer les mots « injures et outrages » au mot « offense ».
On dirait, à entendre les plaintes que l’existence de ce mot « offense » dans la loi a dictées à l'honorable orateur, que nous nous sommes servi d'un mot étrange, inconnu dans le langage des lois. Cependant il n'est pas de mot plus usité, plus ancien que le mot « offense » pour caractériser les faits que nous cherchons à réprimer.
C'est un mot consacré dans la langue du droit, et quand on fait des lois, c'est apparemment de cette langue qu'on doit se servir. Ce mot est précisément celui dont se sert un publiciste célèbre que j'ai cité dans une précédente séance, celui dont se sert de Vattel dans son « Traité du droit des gens ». Dans le chapitre premierdu livre II, il développe cette pensée, qu'on doit s'abstenir de toute offense envers les souverains et princes étrangers, parce que les offenser c'est s'exposer aux conséquences qu'il indique.
Tout le monde possède ce livre et peut le feuilleter ; il y verra ce mot qui a été aussi admis, à l'unanimité, en 1819, par la chambre des députés en France ; on l'a admis pour des raisons que les commentateurs ont assez fait connaître.
Ce mot était admis dans le projet de Code pénal qui a été soumis, en 1834, à la chambre.
L'honorable M. Lebeau était alors ministre de la justice. Le mot « offense » a été accueilli par lui comme s'appliquant à la généralité de toutes les offenses envers les souverains étrangers.
Il était admis dans le projet de loi qui a été élaboré par M. le ministre de la justice, en 1841, sous la présidence d'un de mes honorables prédécesseurs M. Leclercq : « Les offenses publiques dirigées contre les souverains étrangers, disait l’exposé des motifs, seront spécialement prévues ; il est nécessaire de réprimer ces faits nuisibles ou compromettants pour le pays ; la loi de 1816 n'est relative qu'à ceux qui le commettent par la voie de la presse ; d'autres moyens, par exemple, des discours tenus dans des assemblées publiques peuvent servir à les commettre. » La commission entendait d'ailleurs ne punir que les offenses sérieuses et graves.
C'est évidemment ce que nous vouions tous.
Le mot « offense » a été admis et expliqué par la section centrale de 1847. La chambre peut recourir au rapport de cette section qui se trouve dans le recueil de ses documents.
Il a été expliqué par M. le ministre de la justice d'alors, non pas, comme l'a dit l'honorable M. Moreau, dans le sens d'une simple irrévérence, acception qui ne pouvait, du reste, s'appliquer que dans le cas où les mots « offenses par discours, cris ou menaces » auraient été maintenus dans la loi, mais dans le sens que nous donnons nous-même à ce mot. En effet, voici ce que disait (p. 1273 des Annales parlementaires) M. d'Anethan ministre de la justice.
« J'aurais dit hier qu'une simple irrévérence envers la royauté pouvait amenerl'individu qui se la serait permise devant la cour d'assises. J'ignore, messieurs, de quelle manière mes paroles seront rendues au Moniteur, puisque le compte rendu n'a pas encore paru ; mais si elles devaient avoir la portée que leur ont attribuée les honorables membres auxquels je réponds, je devrais les rétracter ; jamais, en effet, il n'est entré dans ma pensée de dire qu'une simple irrévérence, qu'un simple manque d'étiquette pourrait attirer sur quelqu'un les peines que nous voulons comminer contre les personnes coupables de véritables les offenses. Et comment aurais-je pu tenir ce langage en présence du projet de la section centrale auquel je me suis rallié ?
« La magisture appelée à prononcer d'abord et les jurys ensuite décideront s'il y a une offense assez grave pour attirer une poursuite ou une condamnation. »
Messieurs, le Code pénal de Bavière, de 1813, qui est le point de départ de la réforme pénale allemande et de la réforme pénale française et belge, emploie le mot « offenses » dans son article 300.
Le code pénal révisé de France de 1832 emploie cette expression dans son article 86 : « Cette expression (dit Chauveau) comprend les attaques que la loi du 17 mai 1819 qualifie d'outrages, de diffamation et d'injures quand elles s'adressent à d'autres personnes. »
La nouvelle loi de Sardaigne du 28 mars 1848, renforcée, comme vous le savez, par un système de jury spécial, au commencement de cette année, se sert également du mot « offenses » : « loi sur les offenses contre les souverains ou les chefs des gouvernements étrangers. » C'est exactement la même qualification que la loi française de 1819, et que la nôtre.
Enfin, votre section centrale, en expliquant le mot « offense », a dit qu'elle le considère comme synonyme d'injures ou outrages. « Elle a a maintenu l'expression « offense » (ajoute-t-elle dans son rapport) parce qu'elle est mieux en rapport avec la qualité et le rang de la personne qui est l'objet de l'outrage. »
Cette observation a été reproduite chaque fois qu'il s'est agi de l'offense. C'est un mot qui répond à l'idée de respect inséparable des personnes investies du caractère de la souveraineté active ; lorsqu'un mot est ainsi admis dans la langue du droit, qu'il est compris et expliqué dans son acception spéciale, il faut l'admettre.
Il faut l'admettre d'autant plus que l'appréciation de l'offense, comme l'appréciation de l'injure ou de l'outrage (l’un n'est pas plus défini que l'autre), est déférée chez nous à une magistrature éclairée et indépendante.
Enfin, ne craignons pas de le repéter, un mot qui a été, comme celui-ci, reçu dans la langue du droit commun, doit être maintenu, parce que les monuments de législation comparée, de doctrine et de jurisprudence en facilitent la juste interprétation.
Voilà les motifs qui nous ont déterminé à insérer dans la loi le mot « offense », nous croyons opportun de le maintenir, inutile de le remplacer par une autre expression ; les explications sur ce mot étant nombreuses et claires, et leur emploi ne présentant, dans la pratique, aucun inconvénient, au contraire, la radiation de ce mot pourrait offrir des inconvénients d'interprétation dans la pratique.
Je dirai quelques mots sur l'interdiction des droits civils. Nous avons à cet égard indiqué une rédaction qui fait que les calomniateurs, les diffamateurs de profession ou les repris de justice seront seuls exposés à voir appliquer l'interdiction des droits énoncés en l'article 42 du Code pinal.
L'interprétation de la première rédaction pouvait donner lieu à une équivoque ; nous avons effacé cette équivoque en adoptant une nouvelle rédaction, et sur les trois membres de la section centrale qui avaient voté contre la rédaction, deux l'acceptent maintenant. MM. Delehaye et le rapporteur de la section centrale (M. Lelièvre) ont déclaré que le changement que le gouvernement avait apporté à cet article les satisfaisait complètement. Reste donc un seul membre de la section centrale, qui se déclare non satisfait de la nouvelle rédaction.
Je dois dire qu'il serait vraiment dangereux d'insister pour la radiation complète de cette disposition. La peine n'atteindra désormais, je l'ai démontré, que les calomniateurs de profession, ou les repris de justice.
Ensuite cette peine, renfermée dans cette limite que je vous indique quant aux personnes, reste facultative.
L'interdiction peut se faire en tout ou en partie, il ne s'agit pas de l'application dans tous les cas de l'interdiction de tous les droits énoncés dans l'article 42 du Code pénal, puisqu'une partie seulement de ces droits peut être interdite par le juge.
Vous remarquerez également que, dans le droit commun, en matière de diffamation, dans les cas graves, lorsqu'il s'agit de calomniateurs de profession, on applique cette loi d'individu à individu.
Messieurs, on a dit que cette disposition ne s'appliquerait en général qu'à ce qu'on appelle des hommes de paille, qu'à ceux qui se déclareraient, par complaisance ou pour de l'argent, auteurs ou responsables d'articles poursuivis.
Messieurs, la cour d'assises a, on en conviendra, quelque discernement ; elle verra à qui elle a affaire. Si le prévenu est un auteur sérieux, elle appliquera l'interdiction lorsque cet auteur sérieux l'aura méritée et se trouvera dans le cas prévu par la loi.
Si elle voit que le prévenu est réellement un homme de paille, elle s’abstiendra d’appliquer une disposition que le prévenu n’aura pas méritée, ou qui n’aura aucune espèce d’effet ou d’action sur le prévenu reconnu coupable ; de sorte que l’objection à cet égard reste sans valeur.
On a dit aussi, messieurs, que l'application de cette disposition établissait une inégalité considérable entre la Belgique et l'étranger.
Je dirai d'abord, messieurs, que le Belge qui se mettra dans le cas de subir l'application de la loi aura, par sa conduite, compromis d'une manière beaucoup plus sérieuse le pays par les conséquences que peut avoir l'abus de la diffamation contre les souverains étrangers, que ne peut le faire un étranger. Il y a beaucoup plus de solidarité d'esprit public, si je puis m'exprimer ainsi, de la part d'un Belge qui diffame un gouvernement étranger, que de la part d'un étranger qui diffame ce même gouvernement ; de sorte que, à cet égard, il y a, suivant moi, un degré de culpabilité plus marqué dans le Belge qui expose notre gouvernement aux conséquences fâcheuses que le projet de loi a précisément pour but d'éviter.
Mais l'étranger, messieurs, ne se trouve pas affranchi des conséquences accessoires qui remplacent l'interdiction des droits civils pour le Belge. Ainsi, lorsque l'étranger a obtenu l'autorisation d'établir son domicile en Belgique, il peut voir cette autorisation retirée, et il peut être renvoyé du pays. Lorsqu'il n'aura pas reçu l'autorisation d'établir son domicile en Belgique, la loi sur les expulsions lui sera applicable ; et vous conviendrez qu'un écrivain attaché à un journal ou un imprimeur exploitant une industrie, verra ses intérêts compromis par un arrêté d'expulsion qui pourrait l'atteindre lorsqu'il aurait gravement compromis le repos du pays ou bien les relations que notre pays veut entretenir avec les gouvernements amis ou alliés.
Dans les explications que je viens de vous fournir, je vois la justification complète de l'idée de prononcer l'interdiction des droits civils contre ceux qui se seraient rendus coupables des faits qu'il s'agit aujourd'hui de prévenir.
Nous avons, messieurs, reconnu dans une précédente séance que l'interdiction ne s'applique d'ordinaire qu'à des cas graves. Eh bien, nons avons réalisé dans le texte de la loi ce que la pratique nous enseignait déjà, et pour dissiper toute espèce de doute sur l'application de la loi aux cas graves aux prévenue vraiment coupables et méchants, nous avons dit que le cas de récidive légale serait le seul où les pénalités accessoires pourraient être appliquées.
Je dirai en terminant, messieurs, que la commission qui, en 1841, avait élaboré un projet de loi, ne trouvait pas cette interdiction exorbitante ; elle l'avait prononcée pour un terme de 5 à 10 ans, chaque fois que la peine aurait été supérieure à six mois de prison. Vous voyez que l'esprit de cette rédaction répond exactement à l'esprit du gouvernement, (page 251) et que les cas graves étaient les seuls où l'interdiction pût être appliquée.
Voilà, messieurs, les observations que j'avais à présenter sur les deux amendements qui sont relatifs à la substitution du mot « outrage » au mot « offense » et à la suppression totale du second paragraphe de l'article premier.
Nous pensons que les explications que nous venons de fournir sur ces points dissiperont de légitimes scrupules et entraîneront l'adhésion au projet de quelques membres qui hésitaient à la lui accorder.
Il nous reste, messieurs, à nous expliquer sur les mots : « aura méchamment attaqué leur autorité ».
On reproche à cette expression d'être vague et d'entreprendre réellement sur la liberté de discussion. Le gouvernement n'en croit rien, et je vais avoir l'honneur de communiquer à la chambre quelques considérations qui ont déterminé le gouvernement à proposer à la chambre le maintien de cette disposition et par conséquent le rejet de l'amendement qui consiste à supprimer les mots : « aura méchamment attaqué leur autorité ».
Pourquoi d'abord avons-nous introduit cette disposition dans la loi ? On dit qu'elle n'existe dans aucune autre législation, que nous allons plus loin que les lois des autres pays.
Messieurs, nous avons introduit cette disposition comme une atténuation de la loi de 1816 ; voilà, en conscience, pourquoi elle se trouve dans le projet.
Mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, vient de vous démontrer que la loi de 1816, dans les trois séries de faits qu'elle prévoit, allait beaucoup plus loin que le projet actuellement en discussion.
Messieurs, les mots : « attaque méchante contre l'autorité » sont-ils donc encore une fois, des mots inconnus dans le langage des lois, inventés par nous ? Ce que j'ai dit tantôt pour le mot « offense », je puis le répéter ici pour le mot : « aura méchamment attaqué l'autorité ». Car enfin, ce mot se trouve dans les lois qui ont précédé le décret du 20 juillet 1831. La loi du 1er juin 1830, dont le décret de 1831 a copié les termes, se sert des mots : « méchamment et publiquement attaqué l'autorité ». Et remarquez bien que le projet du gouvernement, en 1830, ne renfermait pas les mots : « méchamment et publiquement ». Ils ont été introduits dans la loi par les sections, c'est-à-dire par la représentation nationale, comme une garantie et comme circonscrivant d'une manière plus nette et plus précise le mot « attaque » et le domaine de la poursuite du chef des attaques.
Le décret du Congrès national du 20 juillet 1831 a textuellement conservé l'article premier de la loi du 1er juin 1830, et il a donné aux mots « attaqué méchamment » la consécration que nous espérons qu'ils recevront aujourd'hui, parce qu'une longue pratique a prouvé que l'on n'abusait pas de ces mots et que la jurisprudence les a expliqués.
Il y a, messieurs, de l'avantage à choisir les mots dont les lois se servent ordinairement : la jurisprudence sert à les expliquer. Ainsi, je lis dans l'arrêt de la cour de cassation, du 22 décembre 1846, que l'honorable M. Lelièvre a cité dans son rapport, un considérant qui donne de ce mot une interprétation qui nous paraît catégorique :
« Il résulte du mot « méchamment » que l'intention criminelle forme un caractère spécial et distinct des autres éléments du délit et doit être spécialement soumis au jury. »
Dans quelles circonstances la cour de cassation a-t-elle prononcé cet arrêt ? On avait omis dans l'acte d'accusation et dans les questions soumises au jury le mot « méchamment » qui se trouve dans le décret du 20 juillet 1831 ; et sur le pourvoi du prévenu, qui avait été condamné, la cour de de cassation a dit que le mot « méchamment » est substantiel dans la qualification du fait.
Il est substantiel parce qu'il faut, non point une attaque simple ou une attaque vive, non point une critique, encore moins une appréciation des actes du gouvernement étranger, il faut que l'attaque ait été faite avec des intentions criminelles, ce qui est un des caractères spéciaux et distinctifs du délit d'attaque contre l'autorité.
Voilà, messieurs, une interprétation qui est acquise au projet du gouvernement, voilà l'interprétation qui rend l'intelligence du mot que je discute en ce moment, claire et précise, et voilà, je le répète, l'avantage qu'il y a à conserver les mots dont le législateur a l'habitude de se servir et que les tribunaux ont eu l'occasion d'appliquer.
Ces mots, messieurs, ont été également expliqués en 1847 par l'honorable M. d'Elhoungne. Aux Annales parlementaires, page 1271, je vois le développement de cette idée de M. d'Elhoungne que l'attaque méchante est caractérisée par l'intention criminelle. C'est ce que votre section centrale a également reconnu.
Messieurs, on suppose l'absurde lorsque, comme l'honorable M. de Brouwer ou l'honorable M. David, on prétend qu'il sera fait usage de la loi pour réprimer la simple discussion, la simple critique, l'appréciation plus ou moins sévère des actes d'un gouvernement étranger. On oublie, en définitive, la sagesse des hommes, l'intérêt des princes et l'existence de juges indépendants, lorsque l'on exprime ces craintes : il est de toute évidence que ce qui est dans le domaine d'une discussion ordinaire et convenable, ce qui n'est point une attaque méchante, en définitive, restera hors du domaine de la loi, et que jamais le juge ne sera appelé à appliquer la loi, lorsque l'intention méchante ou criminelle n'aura pas été préalablement examinée et proclamée par le jury.
Nous ne saurions pas, dit-on, définir ce que nous protégeons en interdisant l'attaque contre les souverains étrangers. Messieurs, dans le système de la loi telle que le gouvernement vous l'a présentée, nous protégeons la personne des souverains étrangers, laquelle est investie de fait et de droit, comme le disait Mackintosh devant le jury -nglais, d'une inviolabilité en quelque sorte fondamentale. Cette personne d'un souverain étranger peut être outragée ou offensée par ui langage insultant ou diffamatoire. C'est ce que nous voulons réprimer d'abord : de même que nous voulons punir l'attaque méchante contre son autorité personnelle, contre l'autorité que les puissances reconnaissent, dont on peut sans doute discuter ou apprécier le fondement ou l'origine ; mais qu'on ne peut attaquer dans une intention méchante ou criminelle, ou dans le but avéré ou systématique de l'ébranler ou de la détruire.
Il ne s'agit pas des actes du gouvernement : la critique de ces actes, l'appréciation des changements que subissent les empires, l'appréciation des altérations qu'on apporte aux institutions, tout cela reste en dehors de la loi.
Il s'agit, nettement, de maintenir le respect de l'autorité des chefs de gouvernements étrangers, c'est-à-dire, d'empêcher que la méchanceté ou la haine ne s'attaque à la personne d'un souverain dans ce qui constitue son inviolabilité politique.
Voilà, messieurs, ce que nous entendons par attaque « méchante » contre l'autorité d'un prince, d'un souverain, d'un chef de gouvernement étranger. Il y a là une spécification, et il est impossible, pour des gens raisonnables et pratiques, en présence de l'appréciation que le jury est appelé à faire, de trouver les dangers et les abus qu'on a signalés et qu'on n'a signalés qu'en se mettant à côté de la réalité et en supposant absurdes ou odieuses toutes les poursuites qu'on pourrait intenter en vertu de la loi.
Messieurs, je crois avoir justifié les intentions du gouvernement lorsqu'il vient vous déclarer par mon organe que le texte actuellement soumis à la chambre, tel qu'il a été amendé successivement par la section centrale et par le gouvernement dans la deuxième partie de l'article premier, est parfaitement acceptable et ne porte aucune atteinte à la liberté de discussion.
Nous ne nous croyons pas coupables d'avoir mis en oubli les traditions immortelles du Congrès national, que M. Devaux vient de rappeler avec tant de succès dans cette enceinte ; nous sommes convaincus, au contraire, que le projet de loi répond à des nécessités réelles, à des abus souvent signalés et que la loi aura pour effet de réprimer sinon de prévenir.
- La clôture est demandée.
M. Devaux (sur la clôture). - Je demande la permission de donner lecture d'un amendement.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, je donnerai la parole à M. Devaux.
M. Devaux. - Ainsi que je le disais, messieurs, si les amendements sont écartés, je n'en adopterai pas moins l'article ; mais je crois qu'il pourrait être encore amélioré, il l'a été déjà beaucoup, et, dans cette intention, je demanderai qu'aux mots : « ou qui auront méchamment attaqué leur autorité, on substitue : « ou qui auront provoqué au renversement de leur autorilé. »
Ces expressions sont plus précises et, en même temps, je crois qu'elles atteindraient les faits à l'occasion desquels, peut-être, la loi est faite et qui ne sont pas très clairement prévus par la disposition proposée. « Provoquer au renversement de leur autorité » me paraît un fait que la loi doit prévenir et ces expressions sont beaucoup plus précises que celles d' « attaquer méchamment ». L'attaque méchante, du moment qu'il y a injure, outrage, est prévue par le mot « offense » ; mais il reste quelque chose, c'est l'attaque dirigée contre l'autorité avec l'intention de la renverser, c'est la provocation directe au renversement de l'autorité.
M. Rogier (sur la clôture). - Messieurs, je demanderai à la chambre la permission d'expliquer en peu de mots les motifs de mon vote. Si la chambre désire clore, je n'insisterai pas. L'amendement de mon honorable ami, M. Devaux, semble, d'ailleurs, de nature à changer quelques opinions ; je me serais prononcé contre la seconde partie de l'article premier, bien que disposé à voter pour la loi ; mais je ne verrais pour ma part aucune difficulté à me rallier à l'amendement de mon honorable ami, qui dit clairement ce que nous voulons tous, et qui donne à mon sens la vraie signification de la loi.
M. le président. - On avait demandé la clôture ; la chambre a autorisé M. Devaux à donner lecture d'un amendement ; si maintenant la clôture n'était pas prononcée, la parole serait d'abord à M. Moreau qui était inscrit, et puis à M. Rogier.
M. Roussel. - Il est impossible de clore maintenant ; un amendement a été présenté ; il faut bien le discuter.
M. Lebeau. - C'est clair comme le jour !
- La clôture est mise aux voix et n'est pas prononcée.
M. le président. - La parole est à M. Moreau.
M. Moreau. - Je la cède à M. Rogier.
M. Rogier. - Messieurs, je me propose de donner un vote affirmatif à la loi présentée ; je la voterai sans répugnance, si l'amendement de l'honorable M. Devaux est adopté, et j'engage le ministre à s’y rallier.
Messieurs, je voterai la loi qui nous est proposée, sans pour cela être inconséquent avec le vote que j'ai émis en 1847 lors de la présentation du projet de loi qui avait pour but de modifier la loi du 20 juillet 1831.
En 1847, ceux qui ont repoussé la loi présentée alors, l’ont fait par (page 252) un motif bien simple : ils trouvaient la loi de 1831 entièrement suffisante ; ils croyaient que la loi, faite par la législature qui avait suivi le Congrès, reflétait fidèlement l'esprit même de la Constitution ; que cette loi, dis-je, était suffisante ; qu'il n'était pas nécessaire d'en faire une nouvelle. Voilà les motifs qui nous engagèrent, quelques-uns de mes honorables amis et moi à voter contre la loi.
Mais la loi de 1831 ne s'occupait que des délits commis par la presse vis-à-vis du gouvernement de notre pays ; elle ne s'occupait pas des délits commis par la presse vis-à-vis des gouvernements étrangers, et pour ces délits, nul dans cette chambre ne contestera la nécessité d'une répression.
A mes yeux, nous avions aussi une législation suffisante pour ce genre de délits : c'était la loi de 1816. Cette loi n'a été révoquée par aucune autre loi postérieure ; cette loi, aucun tribunal ne s'est refusé à l'appliquer. Il y a eu à la vérité des acquittements. Le jury appelé à se prononcer sur certains faits a répondu qu'il n'y trouvait pas de délit ; mais les juges n'ont pas eu à s'expliquer sur l'applicabilité de la loi de 1816. Qusnt à nous, nous avons toujours considéré cette loi comme applicable, nous en avons demandé l'application ; les juges n'ont pas eu à se prononcer sur la loi elle-même, le jury ayant répondu d'une manière négative. On sait, d'ailleurs, dans quelles circonstances le jury, ayant été interrogé, a répondu d'une manière négative.
Il ne faut pas, parce que, dans certaines circonstances, le jury n'a pas prononcé de verdict de culpabilité, se livrer à des accusations contre le jury lui-même. Il y a eu des acquittements, mais il y a eu aussi des condamnations par le jury. Si des excès de presse, excès que je déplore et condamne hautement, étaient dans des circonstances normales traduits devant le jury, je ne doute pas que les citoyens belges appelés à faire leur devoir, ne prononçassent des condamnations, comme ils l'ont fait en plusieurs circonstances.
Il n'est pas vrai de dire que l'on se trouve en Belgique désarmé contre la presse ; il ne faut pas que les citoyens se plaignent, si eux-mêmes n'ont pas le courage d'appeler la justice à leur défense ; il ne faut pas théoriquement accuser le jury de ne pas protéger les citoyens, lorsque les citoyens eux-mêmes manquent à leur propre défense. Si l'on persévère dans des attaques injustes contre les fonctionnaires ou contre les citoyens, que les fonctionnaires, les citoyens qui s'en offensent, persévèrent et provoquent des décisions judiciaires : ils finiront par obtenir justice, parce que le sentiment de la justice est, en définitive, un sentiment populaire en Belgique.
Si je n'avais pas cru que la loi de 1816 continuât d'exister, comme membre du gouvernement, je n'aurais pas hésité à faire ce que nos successeurs sont venus faire.
Il est évident qu'il faut pour les gouvernements étrangers les mêmes garanties contre les excès de la presse que celles que la législature qui a suivi le Congrès a établies pour le gouvernement même du pays. Je ne blâme donc pas nos honorables successeurs qui n'ont pas partagé notre opinion sur l'applicabilité de la loi de 1816 d'être venus nous proposer une législation nouvelle.
Ce que je leur demande, c'est d'entourer cette nouvelle législation de la plus grande autorité possible, de réunir sur cette loi le plus grand nombre de voix possible. Nous ne leur demandons rien qui porte atteinte à l'essence même du projet de loi ; nous leur demandons qu'ils fassent des concessions qui permettent à un certain nombre de membres de s'y rallier.
De cette manière, la loi aura plus d'autorité dans le pays ; elle aura plus de chance d'être appliquée par le jury. Si, au contraire, elle se présente avec la défaveur d'un grand nombre de voix qui auront voté contre le projet, craignez alors que cette loi au lieu d'être venue en aide au gouvernement, ne soit peut-être pour lui une source de nouveaux embarras.
J'engage donc MM. les ministres, eux qui dans cette discussion ont fait preuve d'un esprit de conciliation auquel nous rendons hommage, je les engage à vouloir bien examiner s'il ne leur est pas possible de se rallier à l'amendement proposé.
M. le président. - Je viens de recevoir une lettre de M. le ministre de l'intérieur qui m'annonce qu'un Te Deum sera chanté le 16 de ce mois à midi, à l'occasion de l'anniversaire du Roi. Je propose à la chambre d'y assister en corps, comme les années précédentes.
- La chambre décide qu'elle assistera en corps à ce Te Deum.
M. Orts. - Je veux dire à la chambre quelques mots de l'amendement proposé par M. Devaux. Je n'ai pas pu saisir la portée de cet amendement autrement qu'à la simple lecture ; si je ne me trompe, il contient la phrase que voici : « ceux qui auront provoqué directement. »
M. le président. - Pardon ; voici l'amendement. « Ceux qui auront provoqué au renversement de leur autorité. »
M. Orts. - Le mot « méchamment » disparaît, on ne demande pas même la provocation directe. A mon avis, cet amendement est pire que le projet de loi. Il présente moins de garantie à la liberté de discussion et aux acCcsés, que le projet du gouvernement, que j'ai combattu. D'un autre côté, si cet amendement n'a pas cette portée, s'il s'adresse à des faits plus graves, il est inutile.
Conspirer en Belgique le renversement d'un gouvernement étranger ou de son autorité, est un crime puni aujourd'hui par notre Code pénal de la peine du banissement, article 84 si ne je me trompe, et en vertu de l'article premier de la loi du 20 juillet 1831, quiconque aura provoqué par la presse à commettre un délit, en est réputé complice et sera puni de la même peine que l'auteur.
Je crois donc l'amendement dangereux ou inutile : je ne le voterai pas.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je ne veux dire qu'un mot et rappeler à votre esprit les discussions qui eurent lieu en France relativement au mot « provocation ». Il n'y a point de lois plus dangereuses que celles qui punissent la provocation ; ce sont des lois de tendance. J'aime beaucoup mieux le projet tel qu'il est rédigé avec le mot « méchamment qui détermine la criminalité, l'intention criminelle.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je voulais faire des observations semblables à celles que les honorables MM. Orts et de Brouckere viennent de faire.
On a reproché aux mots « méchamment attaqué leur autorité » d'être vagues. J'ai cherché à les définir en m'appuyant sur une jurisprudence établie sur ces mots. Je crois les avoir définis. La provocation au renversement, dans l'espèce, est un mot beaucoup plus vague que celui dont le gouvernement s'est servi. J'ajouterai que dans les dernières délibérations du cabinet, nous nous sommes préoccupés de l'opportunité de doncer à la loi une adhésion plus générale et plus unanime.
Cette préoccupation nous a animés lorsque au sein de la section centrale nous avons développé les motifs qui nous déterminaient à supprimer les mots « paroles, écrits ou menaces » qui se trouvent cependant dans toutes les législations spéciales sur cette matière.
Eh bien, messieurs, ces motifs nous ont déterminés, après mûr examen, à résister aux amendements qui avaient été proposés, afin de donner à notre loi le cachet de généralité qu'elle doit avoir et de donner à la loi une signification reconnue.
Voilà les motifs pour lesquels nous ne pouvons nous ralier à l'amendement de l'honorable M. Devaux.
M. Devaux. - Mon intention était de rendre la loi plus précise aux yeux de ceux qui l'ont combattue. J'ai plus formellement exprimé mon opinion dans les quelques mots que j'ai dits. C'est bien certainement la provocation directe que je voulais atteindre, je m'en suis exprimé ainsi ; je ne l'avais pas écrit dans mon amendement parce que je le trouvais inutile. Mais je ne me serais pas opposé à ce qu'on l'ajoutât. Je voulais que l'on fût convaincu que la loi ne punissait pas la discussion purement théorique du principe ou de la légitimité d'un pouvoir étranger.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Pas du tout ; nous avons dit positivement le contraire.
M. Devaux. - Oui, vous, MM. les ministres ; mais d'autres se sont exprimés différemment.
Je crois que toute discussion théorique doit être admise ; il ne faut donc proscrire que l'attaque en termes violents ou outrageants ces attaques, vous les trouvez déjà dans le mot « offenses ». Mais ce que vous n'avez pas puni par votre loi, c'est une provocation au renversement direct de l'autorité. Quant à l'article 84 du Code pénal, il existe, c'est vrai ; mais la loi de 1816 existait aussi ; ne pourrait-il, quant à son application, avoir le même sort ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Pas du tout.
M. Devaux. - Au moment où l'on révise la législation sur la presse dans ses rapports avec les gouvernements étrangers, il serait prudent de ne pas laisser de lacune. Au reste je n'insiste pas. J'ai dit que je voulais me rallier au projet de loi le plus de voix possible ; si l'on ne veut pas de l'amendement, on ne le votera pas et j'accepterai l'article tel qu'il est rédigé.
M. le président. - M. Devaux, retirez-vous votre amendement ?
M. Devaux. - Non, M. le président.
M. le président. - Y ajoutez-vous le mot « directe » ?
M. Devaux. - Je le veux bien.
M. Malou. - Les expressions qui se trouvent dans le projet ont déjà une signification légale ; elles se trouvent dans le décret de 1831. Sous le prétexte de préciser, ou le désir de préciser, l'honorable M. Devaux, par sous-amendement vous propose d'adopter une disposition tellement dangereuse, tellement vague, que moi, qui me sens disposé à adopter l'article du projet du gouvernement, je ne pourrais en aucun cas accepter la proposition de M. Devaux.
On demande où peut aller le droit de discussion, en présence du projet du gouvernement ; on demande, par exemple, si des discussions purement théoriques peuvent être considérées comme attaques menaçantes contre l'autorité. Evidemment non ; une discussion théorique, scientifique ne constitue pas une menace.
- La discussion est close.
M. le président. - Il y a des membres de la chambre qui ont proposé le rejet du paragraphe 2. Je crois que nous devons nous occuper d'abord de l'amendement de M. Moreau qui consiste à substituer les mots « d'injures ou d'outrages » à celui « d'offense » ; puis de l'amendement de MM. Orts et Pierre qui demandent la suppression des mots « et aura méchamment attaqué leur autorité », et enfin de l'amendement de M. Devaux.
- Plusieurs membres. - C'est cela.
- L'amendement de M. Moreau est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
(page 253) M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Orts
- Plusieurs voix. - L'appel nominal !
Il est procédé au vote par appel nominal.
En voici le résultat :
91 membres répondent à l'appel.
60 répondent non.
31 répondent oui.
En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu non : MM. Veydt, Vilain XIIII, Visart, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans, de Baillet-Latour, de Brouckere, Dechamps, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Muelenaere, de Pitteurs, de Renesse, de Ruddere, de Sécus, Desmaisières, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dumon, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Loos, Maertens, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Roussel (A.). Rousselle (Ch.), Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoortere, Van Renynghe et Vermeire.
Ont répondu oui : M. Allard, Ansiau, Anspach, Closset, Dautrebande, David, de Brouwer, de Decker, Deliége, de Naeyer, de Perceval, Dequesne, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, Dumortier, Jacques, Janssens, Lejeune, Lesoinne, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Rogier, Thiéfry, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Van Overloop, Verhaegen et Delfosse.
M. le président. - Vient maintenant l'amendement de M. Devaux.
M. Devaux. - Après le vote qui vient d'avoir lieu, les opposants ayant manifesté l'intention de ne pas se rallier à mon amendement, je crois devoir le retirer
- L'ensemble du paragraphe premier est mis aux voix et adopté.
M. le président. - On passe au paragraphe 2.
A ce paragraphe, M. le ministre des travaux publics a proposé un amendement consistant à ajouter au commencement les mots : « Dans le cas de récidive prévu par l'article 58 du Code pénal, le coupable pourra, etc. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Je mets aux voix l'ensemble du paragraphe ainsi conçu : « Dans le cas de récidive prévu par l'article 58 du Code pénal, le coupable pourra de plus être interdit de l'exercice de tout ou partie des droits mentionnés à l'article 42 du Code pénal pendant 2 ans au moins, et 5 ans au plus. »
Le deuxième paragraphe de l'article premier, avec l'amendement de M. le ministre de la justice est mis aux voix et adopté par 56 voix contre 34.
Ont voté pour : MM.Veydt, Vilain XIIII, Visart, Ansiau, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans, de Baillet-Latour, de Brouckere, Dechamps, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, de Ruddere, de Sécus, Desmaisières, de Theux, d'Hoffschmidt, Dumon, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Maerlens, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle (Ch.), Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoorlere, Van Renynghe et Vermeire.
Ont voté contre : MM. Allard, Anspach, Closset, Dautrebande, David, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, Deliége, de Perceval, Dequesne, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, Dumortier, Jacques, Janssens, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Rogier, Roussel (A.), Thiefry, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Van Overloop, Verhaegen et Delfosse.
L'ensemble de l'article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Nul ne pourra alléguer, comme moyen d'excuse ou de justification, que les écrits, imprimés, images ou emblèmes ne sont que la reproduction de publications faites en Belgique ou en pays étrangers. »
- Adopté.
« Art. 3. La poursuite aura lieu sur la demande du représentant du souverain ou du chef du gouvernement qui se croira offensé.
« Cette demande sera adressée au ministre des affaires étrangères et ne sera pas jointe aux pièces du procès.
« La dépêche de ce ministre sera seule visée dans le réquisitoire du ministère public. »
M. Malou. - Dans le rapport de la section centrale, on avait posé en principe que, dans aucune circonstance, le gouvernement belge ne pourrait s'abstenir de donner suite à la plainte. Dans la discussion, au contraire, on a reconnu qu'il pourrait se présenter des circonstances exceptionnelles où le gouvernement belge aurait le droit de ne pas donner suite à la plainte. Pour qu'il n'y ait pas de doute sur le sens de la loi, au lieu de dire : « La poursuite aura lieu sur la demande, etc., » je propose de dire, comme dans le Code pénal et dans le décret de 1831 : « La poursuite n'aura lieu que sur la demande, etc. » Ce qui suppose que le gouvernement, lorsqu'un intérêt belge, à son point de vue, ne permettra pas de donner suite à la plainte, auria le droit, d'après la loi, de ne pas y donner suite.
M. Lelièvre, rapporteur. - Le rapport énonce que le gouvernement étranger sera seul juge du fondement des poursuites, sans que le gouvernement belge puisse se dispenser de transmettre la plainte aux magistrats compétents.
Il doit en être ainsi en règle générale ; en effet, il importe que le gouvernement du pays reste entièrement étranger à l'introduction de semblables actions. Sans cela, il partagerait la responsabilité de la poursuite, et en cas d'acquittement, l'odieux qui en serait la conséquence ne manquerait pas de rejaillir sur lui.
Voilà le principe général. Il est bien entendu qu'il en serait autrement si le gouvernement belge pensait que la poursuite est de nature à troubler la tranquillité du pays ou à produire des conséquences fâcheuses pour la Belgique. En ce cas, il y a une exception tracée par la nature même des choses. Du moment que les intérêts généraux du pays sont en jeu, le gouvernement belge a des devoirs qu'il ne peut méconnaître en aucune circonstance.
Il est dès lors évident que l'article 3 doit être entendu dans le sens que lui attribue l'honorable M. Malou.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Pour mettre un terme aux scrupules sur cette question, je déclare accepter l'amendement de M. Malou.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, je déclare l'article adopté.
M. de Perceval. - Il y a opposition.
M. le président. - Puisqu'il en est ainsi, je mettrai l'article aux voix.
- L'article 3, mis aux voix, est adopté avec l'amendement de M. Malou, auquel le gouvernement s'est rallié.
« Art. 4. La procédure tracée par les articles 4, 5 et 7 de la loi du 6 avril 1847 sera suivie pour les délits prévus par la présente loi.
« La disposition suivante, qui remplace l'article 6 de la même loi du 6 avril 1847, est applicable aux mêmes délits :
« Le prévenu, arrêté en vertu de l'article 5 de la loi du 6 avril 1847, pourra obtenir sa mise en liberté provisoire sous caution, en s'adressant soit à la cour d'assises, soit au tribunal correctionnel du lieu où siégeait cette cour, si la session est close. La caution à fournir sera débattue contradictoirement avec le ministère public.
« S'il existe des circonstances atténuantes, la cour d'assises pourra modifier les peines énoncées à l'article premier de la présente loi, conformément à l'article 6 de la loi du 15 mai 1849. »
- Adopté.
« Art. 5. Les poursuites seront prescrites par le laps de trois mois à partir du jour où le délit aura été commis ou de celui du dernier acte judiciaire. »
- Adopté.
« Art. 6. La loi du 28 septembre 1816 (Journal officiel, n°56) est abrogée. »
- Adopté.
La chambre décide qu'il sera procédé, séance tenante, au second vote.
Les amendements introduits dans les articles 1 et 3, soumis à un second vote, sont définitivement adoptés.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de la loi ; en voici le résultat :
89 membres répondent à l'appel nominal.
68 votent pour le projet.
21 votent contre.
1 (M. le président) s'abstient.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont voté l'adoption : MM. Veydt, Vilain XIIII, Visart, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Ruddere, de Sécus, Desmaisières, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dumon, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Loos, Maertens, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moxhon, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (C), Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoorlere, Van Renynghe, Vermeire.
Ont voté le rejet : MM. Allard, Closset, David, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, Deliége, de Perceval, de Steenhault, Destriveaux, Dumortier, Jacques, Janssens, Lejeune, Lesoinne, Moreau, Orts, Pierre, Thiéfry, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Verhaegen.
M. le président. - Je dois, aux termes du règlement, faire connaître à la chambre les motifs de mon abstention.
Je n'ai pas voté contre la loi, parce que je reconnais qu'on ne peut pas (page 254) laisser impunément injurier et outrager les souverains et les chefs des gouvernements étrangers.
Je n'ai pas voté pour la loi, parce que mon adhésion était subordonnée à l'adoption des amendements proposés, et notamment de l'amendement de M. Orts.
M. de Decker. - Les motifs que vient de donner M. le président à l'appui de son abstention, m'engagent à demander un instant la parole.
M. le président dit qu'il n'a pas voté contre la loi parce qu'il reconnaît qu'on ne peut pas laisser impunément injurier les souverains étrangers. Je tiens à déclarer que ceux qui ont, comme moi, voté contre la loi n'ont pas, plus que M. le président, entendu laisser sans répression les injures et les outrages contre les chefs des gouvernements étrangers.
M. de Perceval. - Evidemment.
M. Dumortier. - Bien certainement.
- - Plusieurs membres. - C'est entendu.
M. de Decker. - Si c'est entendu, mon but est atteint.
M. le président. - Je n'entends pas juger le vote de mes collègues. J'explique mon abstention, parce que le règlement m'y oblige.
- La séance est levée à 4 heures et demie.