(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 39) procède à l'appel nominal à trois heures et un quart.
M. Dumon donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Maertens présente l'analyse d'une pétition adressée à la chambre.
« Le sieur Cnapelynck-Maraut demande que tout détaillant de pipes venant de France soit soumis à une patente spéciale de 20 à 30 francs. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vanderborght, fondeur en caractères et imprimeur, prie la chambre de lui accorder une indemnité de 50,000 fr. si elle adoptait la convention littéraire conclue avec la France. »
- Même renvoi.
M. le président. - Vous avez chargé le bureau de composer la commission qui sera chargée d'examiner les divers projets de loi présentés hier et relatifs à des délimitations de communes. Le bureau a composé cette commission de MM. Orban, Jacques, Pierre, Closset, Lesoinne, Deliége et Julliot.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à l'amendement présenté par la commission ?
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Non, M. le président. J'aurai à présenter quelques observations. Si la commission peut y répondre, je pourrai peut-être me rallier à cet amendement ; mais pour le moment je ne puis l'accepter.
M. le président. - En ce cas,la discussion est ouverte sur le projet du gouvernement.
- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la délibération sur les articles.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je demande, par motion d'ordre, que l'on donne la priorité dans la discussion à l'article 4. Si cet article était modifié comme le propose la commission, il faudrait aussi apporter un changement à l'article premier.
- La proposition de M. le ministre est adoptée.
(page 40) « Art. 4. Jusqu'au 31 décembre 1852, les pièces d'un quart de franc seront reçues dans les caisses publiques, pour leur valeur nominale, en payement des impôts et revenus de l'Etat, et pourront être échangées chez les receveurs des contributions.
« Après ce délai et jusqu'à l'époque qui sera fixée par le gouvernement, elles y seront reçues au taux de vingt centimes. »
La commission propose un amendement ainsi conçu :
« Les pièces d'un quart de franc seront reçues dans les caisses publiques pour leur valeur nominale, m payement des impôts et revenus de l'Etat, et pourront être échangées chez les receveurs, savoir : les pièces frappées à l'étranger jusqu'au 20 décembre 1852 et les pièces frappées en Belgique jusqu'au 31 mars 1853.
« Après ce délai et jusqu'à l'époque qui sera fixée par le gouvernement, les pièces frappées en Belgique y seront reçues au taux de vingt centimes. »
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, le gouvernement en vous présentant son projet de loi, avait l'intention de retirer de la circulation les pièces d'un quart de franc fabriquées en Belgique, en exécution de la loi belge, et ne s'était pas préoccupé des pièces d'origine française, qui ont perdu en France et, par conséquent, en Belgique un cours légal ; votre commission vous propose d'étendre aux pièces d'un quart de franc, d'origine française, la faveur que fait l'article 4 du projet de loi aux pièces fabriquées en Belgique.
Avant de me rallier aux amendements de votre commission, j'ai besoin de lui présenter quelques objections, de lui communiquer quelques craintes.
Examinons d'abord quelle est l'obligation de la Belgique à l'égard des pièces françaises. Cette obligation est inscrite dans la loi monétaire belge de 1832. L'article 23 porte : « Les monnaies décimales françaises d'or et d'argent seront reçues dans les caisses de l'Etat pour leur valeur nominale. » Ainsi, messieurs, le trésor public prend l'obligation, mais rien que cela, d'accepter les pièces décimales françaises aussi longtemps qu'elles seront en circulation en France ; aussi longtemps qu'elles auront le caractère de monnaies française. C'est une espèce de tolérance légale, si le mot était permis, des pièces françaises ; mais ce n'est pas leur nationalisation.
En d'autres termes la loi se borne à dire que les pièces de monnaie françaises seront reçues dans les caisses du trésor public aussi longtemps qu'elles conserveront leur valeur de monnaie française. Or, messieurs, qu'est-il arrivé en France à l'occasion des pièces d'un quart de franc ? Par un décret du mois d'avril ces pièces ont été déclarées démonétisées à dater du 1er octobre.
Ainsi, d'après le texle que je viens d'avoir l'honneur de vous lire, il y avait obligation pour le trésor belge d'accepter en payement des impôts publics toutes les pièces d'un quart de franc françaises jusqu'au 1er octobre ; mais, après le 1er octobre, le trésor belge n'a plus, rigoureusement parlant, aucune obligation à remplir envets les porteurs des pièces françaises.
Maintenant, à côté de ce strict droit vient se placer une question, je dirai presque d'équité ; faut-il que le possesseur belge de pièces d'un quart de franc françaises supporte la perte à résulter de la démonétisation, ou bien est-ce le trésor public ? Votre commission propose d'imposer cette perte au trésor belge, et elle propose en faveur des pièces de fabrication françaises deux mesures différentes, d'abord l'échange chez tous les rcceveurs du pays et, en second lieu, l'admission jusqu'au 20 décembre prochain dans la caisse de l'Etat.
Je demanderai, en premier lieu, à la commission si elle ne craint pas de poser ici un principe en quelque sorte tout nouveau, c'est-à-dire le principe qui consiste à imposer à la Belgique l'obligation de subir la perte de toutes les monnaies décimales françaises qu'on pourrait démonétiser un jour ?
Aujourd'hui il ne s'agit que des pièces d'un quart de franc, la perte peut ne pas être forl grande, sauf le cas d'un abus que je signalerai tantôt, mais enfin ne faut-il pas craindre d’admettre le principe d'après lequel le trésor public devrait supporter la perte qui pourrait résulter de la démonétisation de toutes les pièces décimales françaises quelle que fût leur valeur ?
Aujourd'hui, je le répète, il ne s'agit que des pièces d'un quart de franc ; mais si l'on venait, par exemple, à démonétiser les pièces de 2 francs ou de 5 francs de tel ou tel millésime, la perte pour le trésor belge pourrait s'élever fort haut.
Ce principe, messieurs, je doute que je voulusse même l'admettre d'une manière illimitée s'il s'agissait de monnaies belges ; car veuillez bien le remarquer, en Belgique, depuis la dernière loi monétaire, le monnayage est libre.
Je comprends très bien que dans les pays où le monnayage est, en quelque sorte un droit régalien, un droit appartenant exclusivement à l'Etat, l’Etat se porte à tout jamais garant de la valeur des monnaies, et que si quelque jour il les démonétise, il constitue le trésor public passible de toute la perte provenant de la démonétisation ; mais peut-il en être ainsi dans un pays où chacun est libre de battre monnaie, où il ne faut pas même être Belge pour avoir ce droit, où un Américain peut l'exercer comme tout autre ?
En un mot, messieurs, ce serait une question fort grave à examiner s'il s'agissait d'accepter le principe absolu, même quant aux monnaies belges ; à plus forte raison quand il s'agit de monnaies étrangères et que la démonétisation procède du fait de nos voisins.
Maintenant, messieurs, voici l'abus auquel je faisais allusion. Comme je viens de le dire, les pièces d'un quart de franc sont démonétisées en France depuis le 1er octobre dernier.
Elles n'y ont plus cours légal ; on peut seulement, et par exception, les donner en payement des contributions jusqu'au 1er janvier prochain.
Il résulte de là, et je vous rends, messieurs, attentifs à ce fait, qu'à l'heure qu'il est, les caisses du gouvernement français ou de la Banque, peu importe, renferment plusieurs millions de francs de pièces d'un quart de franc.
Je suppose que vous disiez que tout le monde peut venir échanger les pièces françaises d'un quart de franc pour la pleine valeur dans nos caisses publiques. Il est évident que, sans que le gouvernement français ait rien à se reprocher et même sans qu'il le sache, un spéculateur peut faire arriver en Belgique ces millions de pièces retirées de la circulation en France. Voici comment :
Ces pièces ne se trouvant plus entre les mains du gouvernement français qu'à l'état de petits lingots, je suppose qu'un spéculateur se présente et qu'il offre au gouvernement français un peu plus que la valeur intrinsèque, 23 ou 24 centimes, par exemple ; je suppose que le gouvernement consente à lui céder cette masse de pièces retirées de la circulation. Ce spéculateur arrive en Belgique, et l'on serait obligé de lui donner 25 centimes pour chaque pièce qu'il présenterait jusqu'au 20 décembre prochain ! C'est là un abus qu'il est permis de redouter, et c'est ce motif qui m’a décidé à ne pas accepter, pour le moment, la faculté pleine et entière de présenter à l'échange, jusqu'au 20 décembre prochain, les pièces françaises d'un quart de franc.
Je me suis demandé si, pour atteindre le but, très louable, du reste, qu'a en vue la commission, il n'est pas possible de trouver un autre moyen. Que pense-t-on, par exemple, en ce qui concerne les pièces françaises, de la faculté qui serait donnée au gouvernement d'accepter en payement des impôts, jusqu'au 20 décembre, les pièces françaises d'un quart de franc ?
Si cette faculté, remplaçant une disposition impérative, était inscrite dans la loi, le gouvernement donnerait à ses agents des instructions telles que si l'on venait échanger des masses extraordinaires de pièces françaises d'un quart de franc, et il est permis de supposer cette fraude, le trésor fût mis à l'abri de pertes considérables.
J'arrive aux pièces de fabrication belge ; le gouvernement avait stipulé, dans l'intérêt des porteurs de ces pièces, deux facultés ; l'une de les donner en payement des impots jusqu'au 31 décembre pour leur valeur nominale, et l'autre, de les échanger tous les jours et pendant le même temps chez les receveurs des contributions. La commission pense que cela ne suffit pas, qu'il faut étendre cette double faculté jusqu'au 1er avril prochain ?
Messieurs, je crois que la commission ne tient pas assez compte de la facilité que donne à tous les possesseurs des pièces belges d'un quart de franc, la faculté de l'échange. C'est un droit presque nouveau que le gouvernement inscrit dans une loi de ce genre.
Il n'y a qu'un exemple où la législature ait autorisé l'échange ; c'est lorsqu'il s'est agi de retirer de la circulation les livres sterling momentanément admises. Et pourquoi ? Parce que là vous faisiez une obligation qui était écrite en toutes lettres dans la loi.
Malgré cette obligation légale, dérivant d'une loi spéciale, pensez-vous qu'on a donné plusieurs semaines, plusieurs mois pour faire les échanges ? Et il s'agissait, non pas de simples pièces d'un quart de franc, mais de pièces de 24 francs ; ou a donne trois jours, qu'on a prolongés de deux autres jours, en tout donc cinq jours, pendant lesquels est rentrée toute la masse d'or en circulation dans le pays. Ici il n'est pas question d'un intérêt si élevé, car il ne s'agit que de pièces dont personne ne possède des sommes très importantes, et cependant ce n'est pas trois jours qu'on donne aux intéressés, mais plus d'un mois.
Je crois que la commission, je le répète, n'a pas assez tenu compte des facilités pour tous les possesseurs de pièces belges, d'aller trouver le premier receveur venu et d'en opérer l'échange.
Maintenant on me dira peut-être : « Mais quel inconvénient peut offrir la prolongation du délai jusqu'au 1er avril ?» Je vais vous le dire. Ce n'est pas une fraude, cette fois-ci, que je crains, mais c'est une perte que l'équité ne nous oblige pas de supporter. En effet, des six cent et quelques mille francs qui ont été frappés eu Belgique, je suis convaincu que la moitié au moins est à l'étranger.
Maintenant que l’on dédommage tout possesseur belge, rien de plus juste, rien de plus équitable, quoique ce ne soit peut-être pas un droit absolu. Nous le proposons nous-mêmes ; mais où se trouve-t-il écrit que la Belgique doive supporter la perte des pièces d’un quart de franc belges mises en circulation à l’étranger ; y a -t-il un exemple semblable qui nous soit donné par quelque autre pays ? Non sans doute.
Voici ce qui va arriver. Une fois le 1er janvier venu, les pièces de 25 centimes en France ne seront plus depuis longtemps admisesni dans les caisses de l’Etat, ni dans la circulation ; elles ne seront plus reçues qu’au taux de 20 centimes, en France.
La conséquence à tirer de là, c’est que toutes les pièces de 25 centimes belges circulant aujourd’hui en France iront chez les changeurs qui n’auront rien de plus empressé que de venir en Belgique faire l’échange de ces pièces belges.
Je sais qu’en définitive la Belgique n’aura fait que retirer les pièces belges. C’est vrai, mais il n’en est pas moins vrai que vous aurez fait un (page 41) avantage aux possesseurs de ces pièces à l'étranger. Est-ce une obligation, est-ce même une chose que l'équité exige ? Quant à moi, j'en doute beaucoup.
Mais si d'une part je parais me montrer sévère à l'égard des possesseurs de pièces qui sont à l'étranger, d'autre part je consens à étendre aux pièces étrangères circulant dans notre pays le dernier paragraphe de l'article qui primitivement n'était conçu que pour les pièces belges. Ce paragraphe porte que toutes les pièces de 25 centimes, qu'elles soient fabriquées en France ou en Belgique et qui dans le délai fixé n'auraient pas été retirées du commerce par l'échange, ou par le payement des impôts, que toutes ces pièces, dis-je, continueront à être admises dans la circulation et dans le trésor public d'une manière indéfinie au taux de 20 centimes.
Et, en effet, je ne vois aucun inconvénient, et je vois un avantage à étendre cette faculté indéterminée même aux pièces d'un quart de franc françaises. A l'heure qu'il est, on calcule que,terme moyen, la perte est de 3 à 4 p. c. sur les pièces d'un quart de franc. En portant la valeur par le dernier paragraphe, pour toutes les pièces qui ne seront pas rentrées, à 20 centimes, on n'expose jamais la Belgique à une perte, puisqu'il faudrait pour cela que la valeur intrinsèque des pièces d'un quart de franc descendît à 20 centimes, c'est-à-dire diminuât de 25 p. c., ce qui est impossible.
Jamais leur valeur intrinsèque ne descendra jusque-là. De sorte que la Belgique, et c'est ici l'avantage que je vais signaler, aurait à la fois l'avantage d'avoir en circulation des pièces dont elle n'aurait pas payé le monnayage puisqu'elles seraient françaises et de ne faire supporter à ceux qui n'auront pas usé de la loi actuelle qu'une perte de cinq centimes.
Voilà, messieurs, les observations que j'avais à présenter sur l'article 4. Si un membre de la commission parvient à me démontrer que je me suis trompé, que j'ai exagéré la perte à laquelle le trésor serait exposé, je me rallierais aux amendements qui ont été présentés, dans le désir de mettre les contribuables à l'abri de la perte qui pourrait résulter pour eux de la démonétisation ; dans le cas contraire, j'aurai l'honneur de proposer une modification à la rédaction de la commission.
M. Mercier, rapporteur. - Messieurs, des doutes se sont élevés au sein de la commission sur la véritable portée de l'article 4. Des membres ont pensé que cet article s'appliquait à toutes les pièces d'un quart de franc ayant cours légal dans notre pays, qu'elles aient été frappées en Belgique ou à l'étranger. On a objecté, à la vérité, que par suite d'un décret récent ces pièces avaient été démonétisées en Frsnce, et que depuis le 1er octobre elles n'avaient plus cours forcé ; mais comme en vertu du même décret elles sont encore reçues dans les caisses publiques de ce pays jusqu'au 31 décembre, et que d'un autre coté la loi belge porte simplement que les monnaies décimales françaises seront reçues dans les caisses de l'Etat, la majorité de la commission a cru être d'accord avec le gouvernement sur ce point, qu'aux termes du projet toutes les pièces d'un quart de franc, tant françaises que belges, devaient être reçues et échangées jusqu'au 31 décembre. Sa pensée n'a donc été autre que de prolonger les délais pour la démonétisation des pièces belges et de le rapprocher, au contraire, pour les pièces frappées à l'étranger, afin d'éviter toute perte.
D'après les explications que vient de donner M. le ministre des finances, il paraît qu'il n'en est pas ainsi, et que le gouvernement n'entendait recevoir et échanger que les pièces belges. Je reconnais qu'il pourrait y avoir de l'inconvénient à s'imposer l'obligation d'échanger également les pièces frappées à l'étranger ; mais il n'en est pas moins vrai que si l'article 4 était maintenu dans ses termes actuels, on pourrait soulever la question de savoir si l'on ne serait pas tenu, en vertu de l'article 23 de la loi du 5 juin 1832, de recevoir dans les caisses de l'Etat et d'échanger, jusqu'au 31 décembre, les pièces françaises tout aussi bien que les pièces belges.
Une disposition paraît donc nécessaire pour les exclure, si telle est l'intention de la chambre.
Quant à la proposition de M. le ministre de recevoir indéfiniment les pièces d'un quart de franc pour 20 centimes, comme il ne peut en résulter aucun inconvénient, aucune perte pour le trésor, je n'ai pas d'objections à présenter à ce qu'elle soit introduite dans la loi.
M. Malou. - Je crois qu'il serait inutile de discuter les considérations de droit présentées par M. le ministre des finances ; les questions qui touchent à la circulation monétaire doivent être examinées à un autre point de vue, qu'il s'agisse de la monnaie frappée dans le pays ou d'une monnaie étrangère à laquelle la loi a donné la nationalité.
Il faut se préoccuper de ce qui peut arriver quand on les retire et prendre garde d'altérer la confiance que le public doit avoir dans la monnaie que la loi a garantie.
Dire, par exemple, que nous ne sommes pas légalement tenus à supporter une perte du chef des monnaies étrangères qui ont cours légal en Belgique, c'est évident. Mais il s'agit de savoir s'il n'est pas dans l'intérêt bien entendu du pays, que ces monnaies ne puissent pas être tout d'un coup dépréciées entre les mains des porteurs belges qui se sont fiés à nos lois.
C'est là qu'est pour moi la véritable question. La loi de 1832 quia fondé notre système monétaire l'a rendu commun au système français : ainsi depuis 20 ans les monnaies françaises ont cours en Belgique ; tous les porteurs belges ont dû croire qu'il n'y avait aucune différence entre ces monnaies et les monnaies belges.
Aujourd'hui, d'après l'interprétation donnée par M. le ministre des finances, il se trouverait que le porteur de pièces de 25 centimes frappées en France subirait une perte qu'il n'aurait pas été en son pouvoir d'éviter.
En envisageant la question au point de vue de la confiance qu'il faut maintenir dans les monnaies garanties par l'Etat aussi bien que dans les monnaies frappées par lui, je voudrais que le gouvernement se ralliât à l'amendement de la commission, c'est à-dire que l'on fixât un délai plus ou moins rapproché, dans lequel les porteurs pussent se défaire sans perte de ces monnaies, qui ont cours légal en Belgique.
En fixant la date du 15 ou du 20 décembre (car ces deux dates ont été proposées) il est évident qu'on aurait un temps suffismt pour placer ces pièces en France, sans supporter une autre perte que celle de 4 p. c, qui paraît être la moyenne de la perte, d'après ce qu'a dit M. le ministre des finances.
Sans doute, comme l'a dit M. le ministre des finances, le monnayage est libre, tout le monde peut faire frapper en Belgique de la monnaie ayant cours légal. Mais je ne crois pas qu'il résulte de cette liberté du monnayage que le gouvernement belge puisse dire qu'il n'est pas responsable de la monnaie ainsi frappée, et que le jour où il veut la démonétiser, la perte doit être supportée par les porteurs. Je crois que l'estampille nationale apposée aux monnaies implique garantie.
Rappelez-vous que pour les pièces de 25 centsfrappées avant 1830, on n'a pas voulu que les porteurs fussent exposés à des pertes ; cette démonétisation a eu lieu aux frais du trésor. Il en a été de même pour les monnaies provinciales qui ont été démonétisées sous le ministère de M. Mercier, et qui, d'après leur titre, ont imposé pour la plupart une perte au trésor, parce qu'on a voulu maintenir la confiance dans les monnaies garanties par l'Etat.
Nous avons fait plus : quand, en 1848, nous avons adopté momentanément certaines monnaies étrangères, on a décidé par la loi même que les porteurs, lorsque la démonétisation, dès lors prévue, aurait lieu, pourraient échanger ces monnaies aux caisses de l'Etat. C'est ce qui a eu lieu : on a donné un délai très court, il est vrai ; mais les motifs n'étaient par les mêmes qu'aujourd'hui. M. le ministre des finnuces, pour la démonétisation des souverains, a profité d'une circonstance où le change était favorable à cette démonétisation.
La monnaie d'or n'était pas entrée dans la circulation comme la monnaie d'argent, et surtout comme la petite monnaie y est entrée. On a pu fixer un délai très courl et ramasser en peu de jours presque toute la monnaie d'or.
Mais il y avait une autre excuse pour ce fait : c'est que la brièveté du délai était une nécessité absolue.
Si l'on avait accordé un long délai, le change pouvait varier et la quantité de souverains qui a été fabriquée en Angleterre et qui circule sur le continent est tellement considérable que la spéculation aurait pu faire de grandes opérations et constituer le trésor en perte bien au-delà des bénéfices qu'il avait pu trouver dans la circulation momentanée des souverains anglais.
En est-il de même ici ? De quoi s'agit-il ? En n'adoptant pas une mesure dont je ne discute pas la légalité au point de vue du droit absolu, mais dont je conteste l'utilité au point de vue de la confiance qu'il faut maintenir dans le public, s'agit-il de faire encourir une perte considérable au pays ? Supposons qu'il y ait encore en circulation en Belgique une somme égale à la totalité de la somme qu'on a fabriquée en Belgique.
Que peut-il en résulter, au pis aller ? Il ne peut en résulter qu'une perte insignifiante pour le trésor ; la quantité de pièces de 25 centimes qui viendra de cette façon dans les caisses de l'Etat ne peut évidemment pas constituer plus d'une perte de quelques centaines de francs, peut-être de quelques milliers de francs.
Je ne crois pas qu'il y ait à craindre une importation en masse et par spéculation, des pièces de 25 centimes. Si ce danger était sérieux, il suffirait, pour l'annuler, d'abréger encore le délai pour les pièces étrangères, et comme l'a dit M. le ministre lui-même, une mesure administrative pourrait être prise pour que l'échange en masse et par spéculation ne pût avoir lieu. Si un amendement en ce sens était déposé et reconnu nécessaire, je l'appuierais volontiers.
Mais j'insiste pour que nous n'adoptions pas de principe fondé sur le droit rigoureux et de nature à ébranler la confiance du public dans la monnaie nationale ou dans la monnaie à laquelle vous avez donné la nationalité en l'adoptant en vertu de la loi.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Voici l'amendement que propose l'honorable M. Van Hoorebeke. Je ne le présente pas moi-même, pour ne point soulever une question que je désire examiner et sur laquelle on pourrait ne pas être d'accord : c'est celle de savoir si, n'étant pas membre de la chambre, je puis présenter un amendement. Je fais mes réserves à cet égard.
Je crois me rappeler que des ministres de la guerre, qui n'étaient pas membres de ia chambre, ont présenté des amendements, mais je ne veux pas, au milieu de cette discussion, soulever une question incidente.
M. Rodenbach. - Souvent des ministres qui n'étaient pas membres de la chambre ont présenté des amendements.
(page 42) M. le ministre des finances (M. Liedts). - D'après les dernières observations de l'honorable M. Malou, je crois qu'il se ralliera à l'amendement dont je vais donner lecture :
a Jusqu'au 30 décembre 1852, les pièces d'un quart de franc fabriquées en vertu de la loi du 5 juin 1832, seront reçues dans les caisses publiques, pour leur valeur nominale, en payement des impôts et revenus de l'Etat, et pourront être échangées chez les receveurs des contributions.
« Le gouvernement pourra également admettre en échange chez les receveurs des contributions en payement des impôts et revenus de l'Etat, jusqu'au 20 décembre 1852, les pièces de fabrication française.
« Après ces délais respectifs, les pièces de 25 centimes mentionnées aux deux alinéas précédents seront reçues dans les caisses de l'Etat et dans la circulation au taux de 20 centimes. »
M. le président. - Vous venez d'entendre l'amendement que propose M. Van Hoorebeke. M. le ministre des finances ne le présente pas lui-même, parce qu'il désire que la question de savoir si un ministre qui n'est pas membre de la chambre peut présenter des amendements, soit réservée. La quesiion ne se présente donc pas en ce moment.
Quelqu'un demande-t-il la parole ?
M. Mercier, rapporteur. - Je crois pouvoir déclarer que la commission se rallie à cet amendement, qui remplit le but qu'elle s'était proposé et fait en même temps éviter certains inconvénients signalés par M. le ministre des finances.
- Personne ne demandant plus la parole, l'article 4, modifié comme le propose M. le ministre des travaux publics, est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. A partir du 1er janvier 1853, les pièces d'un quart de franc cesseront d'avoir cours légal. »
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Après les mots : « d'un quart de franc », il faudrait ajouter : » fabriquées en vertu de la loi du 5 juin 1832 ».
M. le président. - Je suppose que M. Van Hoorebeke fait encore cet amendement sien ? (Signe d'assentiment de M. le ministre des travaux pnblics.)
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Vous remarquerez, messieurs, que je limite l'article premier aux pièces d'un quart de franc fabriquées en vertu de la loi belge, parce que, conséquent avec moi-même, je soutiens que les pièces d'un quart de franc françaises, ayant perdu toute valeur monétaire en France, rigoureusement parlant, aux termes de l'article 23, l'obligation de les recevoir dans les caisses de l'Etat, a cessé.
C'est donc une faveur que nous faisons à ces pièces par l'article 4 qui vient d'être adopté. En effet, cet article 23 de la loi monétaire ne donne aux pièces françaises une valeur quelconque dans les caisses de l'Etat belge qu'autant qu'elles conservent une valeur monétaire en France. Je croit donc qu'il suffit de dire : « A partir du 1er janvier 1853, les pièces d'un quart de franc, fabriquées en vertu de la loi du 5 juin 1832, cesseront d'avoir cours légal. »
M. Malou. - Je crois, messieurs, qu'il vaudrait mieux laisser l'expression générale qui se trouve dans le projet. En voici le motif. La quesiion que l'honorable ministre des finances indique est très grave, très délicate. J'indique immédiatement la conséquence du principe, c'est que les lois étrangères auraient effet sur notre circulation monétaire, et que nos lois intérieures seraient modifiées de plein droit par un acte intervenu à l'étranger. Eh bien, c'est là un principe qui ne peut pas servir de point de départ à une loi belge. Par la loi de 1832, nous avons adopté les monnaies frappées en France sous le régime des lois alors en vigueur ; si maintenant telle ou telle partie de cette législation est modifiée en France, s'ensuit-il que notre loi belge, qui admettait, par exemple, les pièces de 25 centimes, est modifiée de plein droit ? Je ne le crois pas. Quelle raison y a-t-il pour restreindre l'article premier et décider ainsi la question dont je viens de parler ? Cela est complètement inutile : il suffit de dire que les pièces de 25 centimes cessent d'avoir cours légal en Belgique.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, si vous n'ajoutez pas les mots que je viens d'indiquer, il y aura défaut d'harmonie entre l'article premier et l'article 4 que vous avez adopté.
En effet, vous avez admis que les pièces d'un quart de franc d'origine française ne pourront être admises dans la circulation et à l'échange que jusqu'au 20 décembre, afin que le trésor public ait le temps de les faire rentrer en France moyennant une légère commission.
Ainsi, à dater du 20 décembre, les pièces d'un quart de franc ne jouiront plus ni de la circulation ni de l'admission dans le trésor public, et cependant, d'après l'article premier, ce n'est qu'à dater du 1er janvier qu'elles cesseront d'avoir cours légal ; il y aurait donc entre le 20 décembre et le 1er janvier, une époque où je ne sais quel sort leur serait réservé.
Dans tous les cas, et laissant de côté la quesiion que j'ai signalée, je crois qu'il n'y a aucun inconvénient à dire dans l'article premier que les pièces belges cesseront d'avoir cours légal à dater du 1er janvier, attendu que quant aux pièces françaises l'article 4 indique que c'est seulement jusqu'au 20 décembre qu'elles seront reçues et dans la circulation et dans le trésor public.
-L'amendement de M. Van Hoorebeke est mis aux voix et adopté. L'article premier, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Il sera frappé des pièces d'argent de vingt centimes. Le poids en sera de un gramme. »
- Adopté.
« Art. 3. Toutes les dispositions de la loi du 5 juin 1832, relatives au titre, au diamètre et à la tolérance du poids des pièces d'un quart de franc, ainsi qu'aux limites dans lesquelles elles sont admissibles dans les payements, sont rendues applicables aux pièces de vingt centimes. »
- Adopté.
La chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.
Les amendements introduits aux articles 1 et 4 sont successivement mis aux voix et définitivement adoptés.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 69 membres présents.
Ce sont : MM. Orban, Orts, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (Ch.), Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (E.), Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Allard, Anspach, Boulez, Brixhe, Clep, Closset, Coomans, Dautrebande, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Breyne, de Cbimay, de Decker, de Haerne, Delehaye, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, Dumon, Jacques, Janssens, Jouret, Julliot, Lange, Laubry, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier et Delfosse.
M. Roussel (pour une motion d’ordre). - Je demande que M. le ministre de l'intérieur veuille bien s'expliquer sur la question de savoir quand nous pourrons aborder la loi sur les brevets d'invention.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Mon honorable prédécesseur me fait remarquer que le projet renferme plusieurs questions importantes ; la chambre comprendra que je dois avoir le temps d'examiner ces questions pour me former une opinion. Du reste, j'ai demandé communication du dossier, et je pourrai sans doute, à la prochaine réunion de la chambre, faire connaître le jour auquel l'assemblée pourra aborder la discussion du projet de loi sur les brevets d'invention.
- La chambre décide qu'elle se réunira en séance publique mardi 9 novembre, à trois heures.
La séance est levée à quatre heures et demie.