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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 22 mars 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de Wyneghem demandent une modification au tracé du canal projeté qui, reliant l'Escaut à la Meuse, doit traverser cette commune/ »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Loos, qui vient de perdre sa sœur, demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur

Discussion générale

M. Van Grootven. - Messieurs, dans une de nos dernières séances, deux de nos honorables collègues, MM. Pierre et Orban, nous ont dépeint sous des couleurs bien sombres, mais malheureusement trop vraies, la situation de la province de Luxembourg. Ils ont appelé l'attention spéciale du gouvernement sur cette partie du pays dont la position actuelle est des plus affligeantes.

Je rendrai cette justice à M. le ministre de l'intérieur, qu'il était allé au-devant du but si louable de l'interpellation des représentants du Luxembourg. Des rapports officiels indiquant la gravité du mal lui étaient à peine parvenus, que déjà un employé supérieur de son département parcourait cette province si rudement éprouvée. Ce fonctionnaire avait pour mission de s'entendre avec les autorités communales et provinciales sur les moyens les plus salutaires pour porter remède à un état de choses intolérable peur ces patriotiques et laborieuses populations.

Dans le but d'atténuer tant de privations, le gouvernement vient réclamer de la législature un crédit extraordinaire de 100,000 francs, destiné à l'amélioration de la voirie vicinale. Je lui sais gré de la présentation de ce projet de loi. Donner du travail à l'ouvrier, améliorer les voies de communication, voilà, sans contredit, de bonnes et d'utiles dépenses qui auront pour effet d'amoindrir, il n'est pas permis d'en douter, la crise qui désole cette province. Mais, dans mon opinion, ce remède, qui est bon à un double point de vue, est insuffisant. Il ne saurait soulager à toutes les misères qui affligent en ce moment le Luxembourg.

Il y a à pourvoir, messieurs, n'hésitons pas à le dire (la faute n'en est à personne), à l'alimentation d'une majeure partie de cette population ouvrière et indigente. Vous n'ignorez pas qu'au manque absolu de travail, cette ressource indispensable et précieuse de bien-être, est venue se joindre une autre calamité plus grande encore, une crise alimentaire. L'ouvrier ne peut plus se procurer du pain, le prix en est trop élevé, et les pommes de terre manquent complètement aux habitants, dont elles sont l'unique aliment.

Ce n'est pas, à mes yeux, avec un crédit de fr. 100,000 qu'il est possible d'améliorer d'une manière efficace une situation aussi pénible ; alors que les communes pauvres de cette partie du pays doivent intervenir pour fr. 240,000 dans les dépenses.

En effet, messieurs, connaissez-vous l'importance du sacrifice que la ville de Gand s'est imposé en 1847 ? Elle a dépensé à cette époque au-delà de 225,000 francs pour donner le pain à un prix réduit à sa population ouvrière. Et vous voulez sauver le Luxembourg avec 100,000 fr. ! Non, messieurs, il faut des remèdes plus énergiques. Je prie le gouvernement d'ouvrir une nouvelle enquête pour constater toute l'étendue du mal, et de nous soumettre ensuite les mesures les plus propres pour le combattre.

Déjà, un de nos honorables collègues, M. de Perceval, aux sentiments généreux duquel nous rendons hommage, a proposé en section centrale d'augmenter le crédit d'une somme de fr. 50,000, destinée à l'achat de pommes de terre pour la plantation, à distribuer par les administrations communales aux plus nécessiteux. J'appuie cette proposition. Elle constitue une mesure utile et prévoyante, et elle ne peut manquer de produire les plus heureux résultats.

Si je convie le gouvernement à faire plus, si j'insiste avec tant de force, messieurs, pour l'adoption d'autres mesures encore qui pourront porter remède à la misère qui désole le Luxembourg, c'est que je ne saurais oublier avec quelle générosité la législature est venue à notre secours dans des années de grande détresse ; et c'est comme représentant d'une des provinces qui ont été si cruellement éprouvées aux époques calamileuses auxquelles je fais allusion, que j'insiste pour que le gouvernement fasse en faveur du Luxembourg ce qu'il a cru devoir faire en faveur des Flandres.

M. Rodenbach. - Messieurs, je donnerai mon assentiment au projet de loi présenté par le ministre de l'intérieur tendant à accorder un crédit de 100 mille francs pour la voirie vicinale du Luxembourg. Je crois que cela sera d'une utilité incontestable puisqu'on aura le moyen de donner de l'ouvrage aux malheureux ouvriers pour passer cette année.

Mais je suis de l'avis de l'honorable député de Malines, M. de Perceval, que cela ne suffira pas pour faire cesser leur misère, car ils devront dépenser pour vivre, au fur et à mesure qu'ils la recevront, la journée de travail que leur procurera l'ouverture de chemins vicinaux.

La récolte des pommes de terre n'a été l'année dernière dans le Luxembourg que le quart de ce qu'elle est ordinairement, elle n'a été que de 500 mille hectolitres, tandis que dans les années ordinaires elle est de 2 millions d'hectolitres.

Si les ouvriers sont obligés de dépenser leur salaire pour vivre, ils ne pourront pas acheter de pommes de terre pour la plantation, et l'année prochaine ce précieux tubercule leur manquant encore, la misère pèsera sur eux comme aujourd'hui.

J'appuie donc la proposition de M. de Perceval, tendant à augmenter le crédit de 50 mille francs pour faire des distributions de pommes de terre.

C'est quand la récolte de ce précieux tubercule ne réussit pas, que les classes ouvrières souffrent le plus. Nous l'avons vu dans nos années les plus calamiteuses.

Quand dans les Flandres les ouvriers mouraient de faim, c'était par suite du manque d'ouvrage, mais surtout du manque des pommes de terre ; la gêne et le malaise se font encore beaucoup sentir aujourd'hui dans nos populations flamandes, qui payent aujourd'hui encore les pommes de terre le double de ce qu'ils les payaient avant les années calamileuses et avant la maladie des pommes de terre.

Les 100 kilog. se vendaient alors environ 3 fr. 50 c, et aujourd'hui on les vend 6 et 7 francs.

C'est encore là une des causes de la souffrance de nos Flandres où il y a aussi de la misère quoiqu'il n'y en ait pas pour le moment autant que dans le Luxembourg, car la moitié de la population ouvrière n'a pas assez de pommes de terre ni de pain pour ses besoins.

Je voterai donc pour le subside demandé par le gouvernement et l'augmentation de 50 mille francs proposée par la section centrale pour achat de pommes de terre. Une distribution de pommes de terre pour la prochaine plantation sera plus utile aux nécessiteux du Luxembourg que les cent mille francs destinés à la voirie vicinale.

M. de Mérode. - Le subside qu'on propose en ce moment d'accorder aux souffrances des habitants du Luxembourg où les récoltes ont manqué comme dans les terres hautes de l'Allemagne, n'est pas d'une grande importance quant à la somme fixée par la section centrale ; msis la cause même de cette dépense mérite de sérieuses réflexions.

Sous tous les ministres, quels qu'ils fussent, j'ai insisté sur la nécessité de l'esprit prévoyant dans la question des finances de l'Etat ; j'ai combattu les prodigalités, soit en travaux publics extraordinaires, exagérés, soit en pertes pour l'Etat, résultant des générosités inutiles qu'on lui faisait faire pour voiturer les personnes et les choses, et pourquoi, messieurs ? Est-ce par misanthropie que j'ai constamment opposé toute la résistance dont j'étais capable à des dilapidations irréfléchies, charlatanesques des deniers publics ? Non certes.

C'est parce que je me suis mis en contact sérieux avec les misères profondes, les besoins impérieux du peuple ; parce que j'ai toujours été convaincu par l'évidence que la première des nécessités pour l'homme, c'est, dans l'ordre matériel, l'aliment indispensable à la vie, puis le vêtement, puis l'abri. Dans l'ordre moral, le culte divin, l'instruction sur les devoirs essentiels qu'enseigne la religion.

Aujourd'hui, nous sommes appelés seulement à émettre un vote d'intérêt matériel le plus grave. Il ne s'agit donc ni de libéralisme, ni de catholicisme. Il s'agit de la part d'assistance que l'Etat prend à sa charge en faveur d'une foule d'habitants d'une de ses provinces exposés aux rigueurs de la faim.

Quand je compare ce sacrifice à celui des millions absorbés depuis plusieurs années pour les voyageurs et promeneurs, ceux qu'on se propose de leur livrer encore, j'éprouve une pénible impression et le besoin impérieux de l'exprimer dans cette triste circonstance qui se présente.

Voici comment un auteur illustre, .M. de Chateaubriand, dépeint la privation de nourriture qu'il avait subie dans sa jeunesse comme émigré en Angleterre :

« Cinq jours s'écoulèrent, la faim me dévorait. J'étais brûlanl, le sommeil m'avait fui, je suçais des morceaux de linge que je trempais dans l'eau, je mâchais de l'herbe et du papier ; quand je passais devant des boutiques de boulangers, mon tourment était horrible. Par une rude soirée d'hiver je restai deux heures planté devant un magasin de fruits secs et de viande salée, avalant des yeux tout ce que je voyais, j'aurais mangé non ssulemeut les comestibles, mais leurs boîtes et corbeilles. «

Le même parle précédemment de ses voyages à piel, sac au dos, à travers l'Ardenne, pays dont nous nous occupons précisément en ce jour, mais la description qu'il en fait est bien loin d'être d'un aussi pénible effet, et cependant il était malade.

Nous allons, messieurs, dans une granie détresse donner en travaux 130 mille francs au Luxembourg. Mais plus tard nous payerons annuellement (page 912) un million d'intérêts pour le transport de rares voyageurs et marchandises à travers le désert qui sépare Namur d'Arlon. Un million ! c'est-à-dire deux fois la recette de la contribution foncière de tout ce pays ! C'est ainsi que nous traitons la locomotion déjà facile par beaucoup de routes ordinaires qui traversent cette contrée et n'y empêchent pas la disette, en comparaison des secours destinés à porter à celle-ci quelque remède.

Pour la faim, nous livrerons 150 mille francs une fois payés ; pour le transport en voiture sur rails à bon marché, nous nous créons par année plus de dix fois cette charge. Je sais bien qu'on me dira que ces munificences extraordinaires vont d'abord profiter à bon nombre d'ouvriers, je l'accorde ; cependant, ces espèces de travaux à la Sésostris passent comme les récoltes surabondantes que la terre fournit de temps à autre, qui mettent les denrées à vil prix pendant un certain temps, et n'empêchent pas plus tard la famine. L'art de vivre consiste à ménager, à échelonner ses ressources, et non pas à les précipiter comme des avalanches.

Qu'il survienne incessamment pour le pays dans son ensemble une calamité pareille à celle qui afflige le Luxembourg (cela s'est vu et se verra encore), quand nous aurons de toutes parts lancé nos millions par centaines en travaux accomplis, dont il nous restera les intérêts à solder, que ferons-nous pour soulager les multitudes affamées. Je l'ignore.

Je m'en inquiète avec une vive sollicitude. Tout récemment nous étions saisis d'une autre question de prévoyance, celle de la défense du pays ; pour nous endormir à son égard et nous enlever le vote de 130 millions de travaux publics pyramidaux qui pèseront ultérieurement sur les contribuables, on nous a offert l'édredon des commissions d'examen.

Aujourd'hui l'oreiller se transforme en fardeau de plusieurs millions qu'il faudra ajouter aux 25 millions sur lesquels on devait nous bercer pendant trois ans, par les réductions successives du budget de la guerre, reconnues imprudentes aujourd'hui.

Vous voyez donc bien, messieurs, combien il faut nous défier des fausses confiances, des faux calculs, de présomptions de fortunes illusoires, et de plus ne jamais oublier les malheurs éventuels qui peuvent accabler les populations d'un pays tout entier.

Tel est le but des réflexions que ne m'a point dictées l'esprit de parti, croyez-le bien, mais le désir de faire prévaloir ultérieurement l'esprit de prévoyance contre l'étourderie politique et sociale. De ce que je viens de dire, il n'est pas difficile de conclure que je suis loin de m'opposer au supplément de cinquante mille francs ajouté au crédit primitivement demandé et que je l'adopte.

M. Orban. - Je ne suis pas porté à exagérer en quoi que ce soit l'action du gouvernement. Je sais que le rôle que doit exercer la charité dans les calamités privées comme dans les calamités publiques doit toujours être le principal ; qu'il me soit permis de demander si l'intervention du gouvernement dans la circonstance actuelle est suffisamment étendue et efficace. La position du Luxembourg, vous la connaissez tous ; depuis le mais de janvier, la récolte des pommes de terre y est complètement épuisée pour la classe malheureuse ; la récolte des céréales a été aussi très mauvaise tant sous le rapport de la quantité que de la qualité.

Le grain se vend cher et il est de si mauvaise qualité que c'est à peine si dans plusieurs parties de la province on peut en faire du pain. Ajoutez à cela que dans le moment actuel la terre est encore couverte de neige, et qu'il y a impossibilité d'y faire aucun travail manuel productif. Vous devez comprendre dès lors quelle doit être la misère du Luxembourg.

En présence d'une pareille situation, M. Van Grootven vous l'a fait toucher du doigt, vous pouvez juger combien un faible subside de 100 mille fr. qui ne doit pas même agir directement et immédiatement, combien ce subside est insuffisant, je dirais presque dérisoire.

Comparez ce qu'on nous propose de faire maintenant avec ce qui s'est fait en 1845 et vous verrez combien sont faibles les sacrifices qu'on vous propose de faire aujourd'hui. En 1845, 4 millions ont été donnes au gouvernement pour le pays entier. Cela suppose, pour la province de Luxembourg, une somme plus considérable que celle qu'on lui accorde aujourd'hui ; et cependant je n'hésite pas à dire que les besoins sont plus considérables aujourd'hui qu'en 1845.

En 1848, le fléau sévissait sur toute la Belgique ; toute la Belgique était atteinte par la mauvaise récolte des pommes de terre et des céréales. La situation était donc extrêmement compliquée, en ce sens que vous ne pouviez venir en aide aux classes malheureuses, sans imposer des sacrifices au pays tout entier, qui devait ainsi se venir en aide à lui-même.

Aujourd'hui, par une faveur, dont nous devons remercier la Providence, la récolte a été favorable dans toutes les provinces, excepté dans une seule, la province de Luxembourg... (interruption), et peut-être dans quelques localités exceptionnelles des autres provinces. Mais les honorables collègues qui m'interrompent me permettront de rappeler que c'est un fait constaté dans le discours du Trône et daus l'adresse de la chambre.

M. Coomans. - C'est une erreur.

M. Orban. - Il ne fallait pas alors laisser passer cette assertion. Dans tous les cas, c'est un fait qui a été sanctionné par la majorité de l’assemblée.

Aujourd'hui, c'est seulement la province la plus faible en population, en importance, qui a besoin de votre aide et qui vous la demande. Il ne serait pas convenable, il ne serait pas digne de vous, il ne serait pas de l'honneur du pays, de subvenir à ses besoins d'une manière aussi insuffisante.

Et ne croyez pas, messieurs, qu'il y ait de l'exagération dans le tableau qu'on vous fait de la situation du Luxembourg ; ne croyez pas qu'on cherche à exploiter une détresse imaginaire ; nulle part moins que dans le Luxembourg on n'a l'habitude de tendre la main. La nécessité peut seule réduire à une telle extrémité.

On l'a dit avec raison, il n'y a, dans le Luxembourg, dans les circonstances ordinaires, ni riches ni pauvres. Chacun vit dans une médiocrité qui n'est ni l'indigence ni la fortune. Et si aujourd'hui l'on s'adresse à vous, il faut pour cela une misère extrême, une détresse exceptionnelle, telle que le secours de l'Etat est devenu indispensable.

Permettez-moi de le dire, il y a malheureusement une autre cause à la misère du Luxembourg que la mauvaise récolte des pommes de terre et des céréales. Sans doute, ce sont là les causes les plus immédiates et les plus récentes.

Mais il en est un autre que je me permettrai de signaler et qui vous expliquera pourquoi le Luxembourg ne se suffit pas aujourd'hui à lui-même : c'est la détresse des classes aisées, des propriétaires cultivateurs, détresse résultant de la longue stagnation où se trouve le commerce de bétail.

Dès 1850, la commission provinciale d'agriculture signalait au gouvernement la situation déplorable des cultivateurs du Luxembourg causée par l'avilissement de prix du bétail.

En 1851, ces plaintes se sont renouvelées avec une intensité plus grande. Aujourd'hui l'on m'écrit que, depuis six mois, c'est à peine si le Luxembourg a vendu au dehors une seule tête de bétail.

Voilà ce que m'affirme un des cultivateurs les plus éclairés du Luxembourg, dont je vous citerais le nom, si vous pouviez apprécier, comme moi, l'autorité que ce nom donne aux assertions que je mentionne ici.

Cette détresse où se trouvent les cultivateurs, la classe aisée, est le véritable motif de la demande de crédit qui occupe la chambre ; car, je n'hésite pas à le dire, quels que soient les besoins des classes inférieures, si la province du Luxembourg était dans une situation normale, prospère, analogue à celle où elle se trouvait il y a 5 ou 6 ans, si l'on pouvait vendre le bétail, se procurer des ressources n'importe par quel moyen, cette province ne s'adresserait pas à vous, comme elle le fait aujourd'hui.

Maintenant, je demanderai au gouvernement comment il se fait qu'on n'ait pas cherché à tirer parti des travaux du chemin de fer, pour obvier à la crise qui se présente aujourd'hui. Cette misère n'était pas inconnue au gouvernement depuis les derniers mois de l'année dernière, elle avait été signalée par la députation provinciale, et avait fait antérieurement l'objet de plusieurs dépêches du gouverneur. On avait fait connaître au gouvernement la mauvaise récolte des pommes de terre, et signalé la disette qui devait en résulter au printemps, Le mal était donc connu.

Maintenant, vous vous rappelez que, lorsqu'on a présenté le projet de loi de travaux public ?, on a dit que c'était pour parer à la crise qu'on prévoyait pour 1852. Ces prévisions ne se sont heureusement pas réalisées quant au pays en général.

Mais elles ont été dépassées pour une seule province ; et l'on a pas trouvé moyen de la faire profiter des travaux votés en sa faveur. Je demande comment cela est possible. Si les prévisions du gouvernement s'étaient réalisées, si au lieu d'un point isolé où nous avons à déplorer cette calamité, le pays entier avait à en souffrir, qu'eût donc fait le gouvernement ?

Ceci est d'autant plus grave que la compagnie du Luxembourg travaille dans d'autres parties du pays. Le gouvernement n'avait-il donc pas assez d'influence sur elle pour obtenir que les travaux fussent entamés sur les points où ils étaient nécessaires et impérieusement réclamés ?

Je terminerai, messieurs, ces considérations par un simple conseil que je me permettrai de donner à M. le ministre de l'intérieur.

Les ressources, messieurs, sont bien faibles et ne doivent agir que dans un temps malheureusement un peu éloigné. Il s'agirait cependant d'en tirer le meilleur parti possible et le parti le plus immédiat, car l'emploi le plus immédiat sera le meilleur. Je me permettrai donc de conseiller au gouvernement de renoncer, en ce qui concerne les chemins vicinaux, à la marche habituelle, qui consiste à adjuger les travaux, à les faire exécuter par entreprise ; au moins je lui demanderai de n'user de ce mode que partiellement et en ce qui concerne les chemins de grande communication.

Ceux-ci, il convient de les adjuger, mais pour les autres, pour les travaux relatifs à la petite vicinalité. je crois qu'il conviendrait que les travaux fussent exécutés en régie et sous la direction des administrations communales ; voici pourquoi l'exécution en régie ne suppose pas des cahiers de charges ni des devis préalables ; elle permet d'aborder les travaux promptement et d'agir sur les différents points où les circonstances l'exigent le plus impérieusement. Si, au contraire, il y a un entrepreneur, il exécutera les travaux de la manière qui lui sera la plus avantageuse : il emploiera ses chevaux, ses domestiques, les ouvriers les plus habiles et les plus forts, ceux, en un mot, qui lui seront le plus utiles. Or, les ouvriers les plus valides ne sont pas toujours les plus nécessiteux. Les administrations communales, elles, pourront choisir les ouvriers qui se trouvent réellement dans le besoin.

(page 913) Je recommande ces considérations à la solicitude de M. ministre de l'intérieur.

M. Thibaut. - Messieurs, je ne viens pas m'opposer à la demande de crédit en faveur des malheureux du Luxembourg ; mais je ne puis oublier que le Luxembourg n'est pas un pays tellement isolé, que le sol et la culture du Luxembourg ne sont pas tellement différents du sol et de la culture des cantons voisins, que les habitants du Luxembourg puissent se trouver dans une détresse très grande sans que les habitants des cantons voisins éprouvent les mêmes privations et les mêmes douleurs. Messieurs, une partie de l'arrondissement de Dinant, et notamment le canton de Gedinne, et une partie des cantons de Rochefort et de Beauraing, sont sous tous les rapports dans la même position que le, Luxembourg. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il a réclamé un rapport sur l'état de ces populations, et s'il est disposé à prendre en leur faveur une disposition analogue à celle qu'il a proposée pour le Luxembourg.

M. Osy. - Je n'avais pas demandé la parole, mais les dernières observations de l'honorable M. Thibaut m'engagent à faire une interpellation à M. le ministre de l'intérieur.

Pour ce qui est du crédit demandé pour le Luxembourg, certainement je le voterai, ainsi que la proposition faite par l'honorable M. de Perceval, mais je crois que le gouvernement ferait! très bien de mettre le subside de 50,000 fr., pour les plantations de pommes de terre, à la disposition de la députation de la province, qui saura beaucoup mieux que M. le ministre, en faire la répartition.

M. de Perceval. - C'est inséré dans le texte de la loi.

M. Osy. - Mais l'honorable M. Thibaut vient de nous dire que ce n'est pas seulement dans le Luxembourg qu'il y a des besoins, qu'il y en a aussi dans l'arrondissement de Dinant, et c'est à ct te occasion que je veux adresser une interpellation à M. le ministre de l'intérieur. S'il y a effectivement de semblables besoins dans la province de Namur, je suis vraiment étonné que depuis huit ou dix mois cette province n'ait pas de gouverneur.

Vous vous rappelez qu'en 1847 on s'est fort hâté de mettre beaucoup de fonctionnaires de côte ; je crois que dans les circonstances actuelles, il est plus que temps de ne pas laisser vacantes des fonctions aussi élevés que celles dont il s'agit. C'est au mois de juin que l'honorable M. Pirson a donné sa démission, et il n'a consenti à rester en fonctions pour présider la session du conseil provincial que sur les instances du gouvernement. Voilà donc une province importante qui n'a pas de gouverneur ; je suis persuadé que celui qui aujourd'hui préside la députation permanente de cette province est un homme fort honorable sous tous les rapports ; mais il me semble qu'il y a lieu de ne pas confier les fonctions de gouverneur à un membre de la députation ; ce n'est pas à un membre de la députation qui est l'élu du peuple, que le gouvernement pourrait peut-être donner des instructions et faire des demandes confidentielles, comme il est souvent dans le cas d'en faire, et sous ce rapport, je suis étonné que les fonctions de gouverneur dans cette province restent si longtemps vacantes. Je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien s'expliquer sur ce point.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous avons à nous occuper d'un crédit extraordinaire destiné à faire face aux besoins extraordinaires qui se sont révèles dans la province du Luxembourg.

Le ministère, fidèle aux principes qu'il a toujours suivis, a demande le moyen de venir en aide aux populations, non pas par l'aumône, mais par le travail. Il lui a paru que, dans les circonstances actuelles, les travaux qui se présentaient comme susceptibles de l'exécution la plus facile et la plus prompte, étaient les travaux de la voirie vicinale. Le crédit destine à la voirie vicinale du royaume étant insuffisant, nous avons demandé un crédit extraordinaire de 100 mille francs pour cette destination.

Lorsque récemment je disais à la chambre que quelque parti que l'on prît, quelque système qu'on voulût établir, le gouvernement et les chambres ne parviendraient pas à se soustraire à la nécessite des crédits extraordinaires,on ne s'attendait pas à me voir venir réaliser aussi promptement cette déclaration assez triste que je faisais à la chambre.

Un honorable député du Luxembourg a eu tort, selon moi, de qualifier le crédit demandé de dérisoire (interruption).

J'aime à croire que le subside sera suffisant. Dans tous les cas, je pense étre d'accord avec les intentions de la chambre, en ménageant les întérêts du trésor. Je suis personnellement très bien disposé en faveur du Luxembourg. Si l'on me démontrait que la somme de 100,000 fiancs fût insuffisante, j'insisterais auprès de la chambre pour une augmentation de crédit ; mais on n'a pas démontre que l'allocation fût insuffisante. C'est, d'ailleurs, la somme indiquée par la députation permanente. Au crédit extraordinaire, il faut ajouter une somme de 50,000 francs que le Luxembourg obtiendra dans la répartition du crédit général affecté à la voirie vicinale. Voilà donc 150,000 fr. pour l'année 1852.

A cette oecaion l'on est revenu sur le chemin de fer ; on a demandé pourquoi le gouvernement n'avait pas fait travailler immédiatement au tracé du chemin de fer du Luxembourg.

Si le système de concession présente des avantages, il présente aussi des inconvénients dans les circonstances comme celles-ci. Si le gouvernement avait l’entreprise, il pourrait exécuter les travaux là où les circonstances les rendraient plus urgents qu’ailleurs, mais il ne lui appartient pas de diriger les travaux des sociétés particulières. Il ne peut pas les forcer avant les époques fixées à commencer des travaux. Je ne doute pas que mon honorable collègue des travaux publics n'insiste auprès des compagnies, pour que les travaux soient exécutés le plus promptement possible. En attendant ces travaux, mon honorable collègue en a fourni d'autres à la province de Luxembourg ; la part des subsides pour les routes a été augmentée.

On vient de dire que si le chemin de fer de l'Etat n'absorbait pas des sommes considétables, il y aurait moyen de venir plus efficacement en aide à ceux qui souffrent de la faim, ainsi que l'a dit l'honorable M. de Mérode, faisant encore intervenir ici les chemins de fer.

Le chemin de fer est appelé à jouer dans le Luxembourg un rôle très grand, très utile, très efficace pour les populations ; je considère que ce que nous faisons aujourd'hui ne sera plus nécessaire dans l'avenir lorsque le chemin de fer sera construit dans le Luxembourg lorsque les voyageurs et les marchandises pourront être transportes à bon compte sur le chemin de fer. Je préviens l'honorable M. de Mérode que si notamment dans le Luxembourg les tarifs étaient élevts ils iraient contre le but même de l'établissement du chemin de fer. il faudra bien se résigner à transporter les personnes et les choses à bon compte. Pour que le chemin de fer ait une utilité efficace, générale, il faut qu'il puisse être parcouru par les populations pauvres.

Au surplus, je trouve d'autant moins opportune cette attaque contre le tarif du chemin de fer, que la chambre a donné satisfaction en ce point à l'honorable comte de Mérode. Les tarifs ont été rehaussés, et lorsque la chambre sera saisie des comptes rendus du chemin de fer, elle pourra apprécier si elle a bien fait de rehausser les tarifs pour les classes inférieures, si par là on n'a pas restreint le nombre des voyageurs qui voyagent non pour leur agrément mais pour leur utilité.

C'est précisément parce que le chemin de fer manque au Luxembourg que, dans cette circonstance-ci, le Luxembourg a besoin de ressources extraordinaires.

Messieurs, je n'avais pas d'abord proposé de subside extraordinaire pour l'achat de pommes de terre destinées à la plantation ; mais je m'étais occupe aussi de ce côté de la question, et déjà j'avais écrit au gouverneur du Luxembourg en lui donnant des instructions ayant pour but de procurer aux cultivateurs dénués de ressources des pommes de terre pour la plantation. Mais les pommes de terre doivent être achetées ailleurs que dans la province, puisqu'elle y manquent, et nous tâcherons que ces acquisitions se fassent de la manière la moins onéreuse pour le trésor. Il est bien entendu que si l'on ne demande pas le concours pécuniaire des communes, elles devront au moins aider l'administration à faire transporter ces tubercules. La somme de 50,000fr. sera probablement suffisante pour l'acquisition des plants de pommes de terre.

L'on nous a recommandé de faire cette répartition par l'intermédiaire de la députation. Est-ce qu'on s'imagine que le ministre de l'intérieur distribue lui-même ces tubercules ? Le gouvernement agit par des intermédiaires, le gouverneur et la députation. Cette recommandation est donc tout à fait dérisoire. Mais, dit-on, pour la province de Namur un de ces intermédiaires manquerait au gouvernement. Si quelques communes de la province ont eu une mauvaise récolte de pommes de terre, c'est apparemment parce que la province manquait de gouverneur !

Ce serait étendre beaucoup, convenez-en, la responsabilité du gouvernement que d'attribuer le manque de la récolte des pommes de terre à l'absence du gouverneur ; si encore la récolte des pommes de terre avait manqué dans toute la province ! Mais dans quelques communes seulement, c'est aller trop loin. La province de Namur ne manque pas au surplus de gouverneur, elle a à sa tête un membre de la députation, homme d'expérience, qui connaît tous les besoins de la province ; le service administratif ne souffre aucunement de l'absence du gouverneur définitif.

Si des besoins doivent appeler la sollicitude du gouvernement, le gouverneur provisoire me les fera connaître aussi bien qu'un gouverneur définitif nouveau venu dans la province, qui pour un temps connaîtrait moins les besoins de la province que le gouverneur provisoire. Je ne pense pas qu'il entre dans les intentions de l'honorable M. Osy de forcer ici la main au gouvernement.

Il s'agit de savoir si la province souffre de l'état actuel des choses.

Or, un membre de la députation remplit les fonctions de gouverneur et le service administratif ne se ressent aucunement de l'état actuel des choses. Le gouvernement n'a pas intérêt à laisser des fonctions ouvertes ; aussitôt qu'il trouvera qu'il y a lieu de faire occuper définitivement celles de gouverneur de la province de Namur, il y pourvoira, mais le gouvernement n'a pas d'engagement à prendre dans cette enceinte pour cet objet.

Je n'insisterai pas sur le crédit, aucune objection n'a été faite, tout le monde est dispose a l'accueillir.

Je tâcherai d'en disposer avec la prudence et la circonspection requise ; je ne sais si j'aurai le bonheur de ne pas encourir de reproche ; je ferai mes efforts pour qu'il en soit ainsi ; les discussions dont nous sortons m'ont commandé plus de circonspection encore que par le passè.

Je dois remercier un des orateurs appartenant à la province de la Flandre orientale ; il a bien voulu constater que les efforts tentés par l'administration pour donner par le travail plus de bien-être aux populations des Flandrs n’ont pas été inutiles.

(page 914) Je le remercie d'avoir fait cette déclaration qui a été toute spontanée de sa part, je l'en remercie avec d'autant plus de plaisir.

M. Pierre, rapporteur. - Jamais, messreurs, la tâche d'un rapporteur n'a été plus facile que la mienne en ce moment. Le projet en discussion a reçu l'accueil le plus sympathique sur tous les bancs de cette enceinte. Je n'ai donc rien à ajouter au rapport que j'ai eu l'honneur de vous soumettre. Je ne puis cependant me dispenser de remercier le gouvernement et la chambre de l'empressement bienveillant et unanime avec lequel l'un et l'autre sont venus en aide aux souffrances du Luxembourg : il leur en sera reconnaissant.

- La discussion est close.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

« Article 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit extraordinaire de cent mille francs (fr. 100,000), pour être appliqué à l'amélioration de la voirie vicinale dans la province de Luxembourg. »

La section centrale propose l'amendement suivant :

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit extraordinaire de 150 mille francs, pour être appliqué comme suit :

« A. 100 mille francs à l'amélioration de la voirie vicinale dans le Luxembourg ;

* B. 50 mille francs à des subsides aux communes de la même province pour achats de pommes de terre, destinées exclusivement à la plantation, à distribuer par celles-ci aux plus nécessiteux. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me rallie à cet amendement en demandant la suppression des mots : « par celles-ci » au paragraphe B.

- Cet article ainsi amendé est adopté.


« Art. 2. Ce crédit sera prélevé sur l'excédant de ressources prévu pour l'exercice 1852, et formera l'article … du budget du ministère de l'intérieur pour cet exercice. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

Il est adopté à l'unanimité des 63 membres qui ont répondu à l'appel. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu à l'appel : MM. Mercier, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Pierre, Rodenbach, Rogier, Roussel (Adolphe), Rouselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thiéfry, T’Kïnt de Naeyer, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Allard, Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, de Denterghem, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Perceval, De Pouhon, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, Dumon (Auguste), Frère-Orban, Julliot, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Lesoinne, Massart, Liefmans et Verhaegen.

Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice 1853

Discusison générale

M. de Perceval. - Messieurs, le droit de grâce, la faculté de pardonner, constitue une des plus belles prérogatives du pouvoir exécutif, et c'est aussi le plus noble attribut de la puissance.

Des hommes, des enfants du pays, qui ont cédé un jour à des entraînements irréfléchis, ont été frappés par la justice. Ils subissent, les uns dans l'exil, les autres dans une forteresse du royaume, un châtiment dont je désire ardemment voir arriver le terme. Cette rigueur qui continue à peser sur eux, n'est-elle pas inutile, messieurs ? Car la Belgique jouit de la sécurité la plus complète, et leur expiation a eu une assez longue durée.

Je demande donc de nouveau, ainsi que je l'ai fait depuis deux ans, l'amnistie pour des compatriotes plus malheureux que coupables. Rendez-les à la liberté, à leurs foyers, à leurs familles ; l'opinion publique applaudira à cet acte de clémence auquel les circonstances actuelles donnent de l'opportunité.

Je m'arrête ici, messieurs. La chambre comprendra la réserve que je m'impose en l'entretenant de ce droit de grâce dont elle peut bien conseiller l'usage, mais que, d'après la Constitution, elle n'a pas la faculté de pratiquer.

M. Rodenbach. - Messieurs, à propos de la discussion du budget de la justice, je crois devoir faire une interpellation à M. le ministre relalivement à la destitution d'un greffier de la justice de paix de Furnes nommé Foulon. Ce père de famille a été destitué et a vu sa carrière brisée sans avoir été entendu. Je pense qu'on pourrait trouver peu d'exemples d'un fait aussi arbitraire dans des pays constitutionnels. Je comprends que quand il y a des faits patents, des faits officiels, des preuves irrécusables à charge d'un fonctionnaire public, on peut le révoquer ; mais ce n'est pas ici le cas ; au contraire, si j'en dois croire une pétition dont la chambre est saisie et à laquelle sont joints des documents et des certificats délivrés par le juge de paix de Furnes, par le bourgmestre de cette ville et par plusieurs autres autorités et notables. Foulon est un homme de capacité et de moralité, c'est aussi l'opinion de M. Clep, député de Furnes, qui est à même de donner sur le fonctionnaire révoqué des renseignements positifs et avantageux.

Je ne viens pas pour le moment soutenir dans cette enceinte le sieur Foulon ; je désire préalablement entendre les explications de M. le ministre ainsi que celles de ses contradicteurs.

Cependant, je le répète, destituer un homme sans lui avoir laissé la faculté de se justifier et sans qu'il y ait des preuves accablantes contre lui, me paraît bien dur, et quand même l’ex-greffier aurait commis quelque pécadille, encore ne faudrait-il pas le condamner sans l’entendre, car l’extrême justice est presque de l’injustice.

M. Clep. - Messieurs, convié par des honorables collègues à donner quelques éclaircissements sur un acte récent du département de la justice, posé dans mon district, je pense que la chambre pourrait bien autrement apprécier que M. le ministre, les reproches qui ont été si habilement incriminés contre un fontionnaire public.

Je dois déclarer de la chambre que M. Foulon, dont s'agit, a exercé les fonctions de greffier à la justice de paix de Furnes avec une rare capacité, la plus grande aptitude et la plus grande probité.

La révocation de ce fonctionnaire a fait la plus pénible impression dans l'arrondissement, parce que le sieur Foulon a été frappé sans avertissement, sans avoir été entendu, sans motif connu et que la destitution y est attribuée à un esprit de parti sous prétexte de nécessité politique.

Elle y est encore envisagée, comme ayant été sollicitée par des fonctionnaires publics de l'arrondissement. La chambre comprendra ma position et la réserve dont je me fais un devoir. Je ferai donc abstraction du côté politique que peut avoir la destitulion et je n'en parlerai que sous le point de vue des griefs articulés contre le sieur Foulon comme fonctionnaire.

Nous savons tous, messieurs, qu'un ministre est le seul juge des griefs formulés contre les fonctionnaires révocables de son département, mais la destitution dont s'agit porte un caractère si particulier sous le rapport du peu de valeur de charges, elle a eu tant de retentissement dans le district et la province ; et elle porte un cachet si singulier, qu'il n'est pas mal que cet acte du département de la justice soit apprécié par la chambre.

Se disant arbitrairement destitué, le sieur Foulon s'est adressé à moi, probablement parce que je suis le seul .représentants du district de Furnes. Je l'ai accompagné au ministère de la justice où, en ma présence,M. le ministre a déclaré que la politique est étrangère à la mesure prise à son égard et lui a donné connaissance des motifs qui ont amené sa destitution.

Voici ces griefs, messieurs.

M. le ministre a accusé le sieur Foulon, sans pouvoir le prouver, d'avoir écrit dans les journaux contre ses supérieurs.

Le sieur Foulon l'a dénié. Seulement, disait-il, avec ses accusateurs et à leur demande, il a été leur collaborateur au journal « le Veurnambacht » et par deux lettres insérées dans un autre journal, il a repoussé les attaques les plus infâmes dirigées contre lui par le « Veurnambacht » et répétées dans un autre journal.

Mais cette réponse, quoique faite cependant en légitime défense, n'a pas même été à l'adresse de son supérieur M. le président du tribunal, elle était à l'adresse de M. Vandevelde, son ci-devant collaborateur du journal.

Si véritablement la réponse, a été acerbe, la faute doit en être attribuée à l'attaque qui a été expliquée et démontrée calomnieuse.

M. le ministre a fait un autre grief au sieur Foulon, du projet d'une prétendue lettre, sans date ni adresse, resté sans suite, dont les expressions incriminées sont même conditionnelles ; projet de lettre qui, l'on ne sait comment, a disparu avec d'autres papiers de chez le sieur Foulon et a passé enlre les mains de M. le président, son accusateur.

Je m'abstiendrai de toute réflexion sur ce prétendu deuxième grief, car vraiment l'on ne saurait comment qualifier de semblables procédés de la part d'un supérieur envers son subordonné.

M. le ministre a fait un troisième grief au sieur Foulon, de deux lettres outrageantes par lui écrites, dans un accès de fièvre, en octobre 1849, à M. le juge de paix de Furnes.

Mais ces deux lettres, vu les circonstances dans lesquelles elles ont été écrites et qui y ont donné lieu, ont été bientôt considérées comme non avenues. Il ne peut rester le moindre doute à cet égard, pour quiconque veut se donner la peine de lire le certificat du même juge de paix, le plus honorable pour le sieur Foulon ; un autre certificat du médecin qui a traite M. Foulon durant sa fièvre pour ainsi dire cérébrale ; et enfin une attestation signée à l'envi par les principaux fonctionnaires et les habitants les plus notables de la ville de Furnes, qui tous se sont empressés de rendre justice aux sentiments d'honneur et de probité du greffier de la justice de paix.

Ces pièces se trouvent jointes sous les numéros 2 et 4, à la suite de la requête du sieur Foulon qui a été adressée en imprimé comme à moi, je crois, à tous les membres de la chambre.

Sans l'animosité connue, qui depuis quelque temps existe entre M. le président et le sieur Foulon, il est très probable que ces deux anciennes lettres envisagées entre les parties elles-mêmes, comme non advenues, n’eussent jamais été déterrées ; s’il y avait lieu de les incriminer, pourquoi le faire après deux ans de date, alors qu’il a su que M. le président les a connues dès leur origine ?

Et quant à un autre prétendu grief, de l'envoi d'un article à l’ « Impartial », journal conuu de Bruges, M. Foulon s'est joint à des personnes plus plus notables de Furnes, pour réclamer le redressement des erreurs de faits avancés par ledit journal ; ainsi ce grief encore est aussi sans valeur.

Les autres reproches que M. le ministre a faits au sieur Foulon sont (page 915) plutôt de tendance et ils sont si peu significatifs, que je me dispenserai de les examiner.

Voila, messieurs, après la destitution, les griefs qui ont été communiqués en ma présence, par M. le ministre au sieur Foulon.

Avant de terminer, je crois essentiel de faire remarquer que je ne sache pas que M. Foulon se soit jamais mêlé à une lutte électorale, ou à des écrits politiques.

Enfin, messieurs, quelque enveloppe qu'on ait donnée à ces griefs et prétendus griefs, quelle que soit l'habileté que l'on ait mise à les incriminer, il en résultera toujours pour tout homme non prévenu, que la religion de M. le ministre a été surprise ou que le ministre a frappé avec une légèreté et une rigidité sans exemple en Belgique. Et en effet, messieurs, si sur des faits sans importance réelle ou plutôt sur des tendances habilement incriminées par son ennemi ou par un rival politique, un ministre se permet de destituer un fonctionnaire honorable sans l'avertir, sans l'entendre et sans motif connu, quel sera le fonctionnaire belge qui n'est pas exposé de lire à son réveil dans le Moniteur l'arrêté de sa destitution, arrêté qui pourrait se solliciter dans l'ombre par la délation et l'espionnage.

Messieurs, il m'a été très pénible d'avoir été amené à parler devant la chambre sur cet incident. Je l'ai fait avec ménagement autant que possible.

Mais pouvais-je rester impassible, pouvais-je me dispenser de m'expliquer sans détours et sans faiblesse sur tout ce qu'il est indispensable de connaître pour apprécier le peu de valeur des griefs de cette malencontreuse destitution, alors surtout que M. le ministre, je le répète, sans entendre l'inculpé, a frappé, brisé impitoyablement toute la carrière, tout l'avenir d'un honorable fonctionnaire qui se trouve réduit à l'indigence, et qui assurément ne méritait pas cette rigueur extrême du ministre.

M. le ministre eût dû plus sonder la source de ses rapports, et se montrer moins prévenu. Je m'abstiendrai de toute réflexion ultérieure. La chambre appréciera.

M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne m'attendais nullement à voir attaquer dans cette enceinte un honorable magistrat du district de Furnes. Je ne m'occuperai pas du sieur Foulon, que je ne connais point. Je me bornerai à dire qu'après avoir lu la requête rédigée en termes inconvenants et très compromettants, à mes yeux, pour l'ex-fonctionnaire lui-même, puisqu'il y avoue en quelque sorte les faits qui lui sont reprochés, je dis qu'après avoir lu cette requête, je me félicite de ne pas connaître le pétitionnaire.

Mais je ne puis passer sous silence les faits avancés par l'honorable M. Clep, qui, interpellé à l'improviste par son honorable collègue M.Rodenbach, assis à ses côtés, lui a répondu par un discours écrit, dont vous avez pu mesurer les proportions étendues.

Je dois relever et repousser les attaques dont le premier magistrat de l'arrondissement de Furnes a été l'objet. Je pense d'autant moins devoir me dispenser de répondre à ces attaques que cet honorable magistrat ne peut se défendre ici.

Messieurs, M. Vandevelde est, à Furnes même, l'objet des attaques les plus violentes ; il nous serait difficile d'en saisir la portée dans cette enceinte où les luttes politiques sont placées d'ordinaire sur un terrain beaucoup plus convenable ; mais dans les petites villes des Flandres, ces luttes de partis se traduisent le plus souvent en luttes personnelles, et lorsque les journaux refusent d'insérer certaines injures, les attaques se réfugient alors dans les libelles, dans les écrits anonymes les plus inconvenants.

Je tiens ici un écrit de cette espèce adressé à un fonctionnaire qui réside dans une localité des Flandres où les luttes politiques sont des plus ardentes ; cette lettre contient des expressions tellement injurieuses que je n'en puis donner lecture à la chambre.

Je suis étonné, messieurs, qu'un honorable membre de cette chambre se place sur un semblable terrain pour attaquer un fonctionnaire qui jouit de l'estime des personnes les plus considérées de la localité et qui a reçu à plusieurs reprises des marques non équivoques de la sympathie de ses concitoyens.

En effet, M. Vandevelde a représenté le canton de Furnes au conseil provincial jusqu'à ce que la loi sur les incompatibilités soit venue mettre obstacle à la continuation de son mandat. Aujourd'hui encore il est l'un des membres les plus actifs et les plus zélés du conseil communal de Furnes.

Enfin, messieurs, on ne peut lui faire qu'un seul reproche, c'est d'appartenir à l'opinion que professe la majorité de cette chambre, d'avoir été de cette opinion à l'époque où elle était en minorité ; eh bien, messieurs, je ne vois pas que ce soit là un si grand crime.

On m'objectera peut-être qu'il est peu convenable pour un magistrat de quitter son siége pour s'occuper de politique.

C'est cependant ce que nous voyons assez souvent : avant la réforme parlementaire, il y aviit dans cette chambre d'honorables magistrats qui, eux aussi, siégeaient à la gauche ou à la droite de cette chambre, et aujourd'hui encore nous voyons un magistrat placé à la tête du premier corps judiciaire du royaume, lancer dans le public un écrit politique qui attaque dans sa base tout notre édifice constitutionnel. Et cependant je suis convaincu qu'aucun membre de la droite ne sera disposé a attaquer ce magistrat parce qu'il a cru devoir lancer dans le public cet écrit politique.

Messieurs, déjà plusieurs fois, dans cette enceinte, des attaques violentes ont été dirigées contre des fonctionnaires, et ce qui m'étonne, c'est qu'en général ces attaques partent des bancs où siègent d'honorables collègues qui se prétendent les défenseurs absolus et exclusifs du principe d'autorité.

Il me paraît que ces honorables membres devraient comprendre qu'en frappant incessammeut les agents de l'autorité, en mettant de côté ce grand principe quand il s'agit de luttes politiques, ils attaquent le principe lui-même et le déconsidèrent aux yeux de nos populations.

M. Clep (pour un fait personnel). - Messieurs, je dois déclarer à la chambre, que je n'ai pas entendu accuser M. Van de Velde, le président du tribunal de Furnes.

Seulement je me suis trouvé dans la nécessité de dire et faire connaître tout ce qu'il était indispensable de savoir, pour laisser apprécier par la chambre le peu de valeur des griefs incriminés avec la plus grande habileté contre un honorable fonctionnaire public et qui ont amené sa destitution.

Et puisque j'ai la parole, je ferai encore remarquer que M. Foulon a constamment dénié d'avoir écrit pour des journaux et que rien n'a prouvé les allégations qu'il y ait écrit ou envoyé des articles ou y ait participé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, comme on semble faire de la destitution du sieur Foulon une espèce d'incident, je prends la parole dès maintenant pour donner des explications. Je maintiens toutefois le droit du gouvernement de démissionner un fonctionnaire, sans avoir à en rendre compte à la chambre. Je donne ces explications, parce que je veux démontrer et à l'honorable membre qui m'a interpellé, et à la chambre que, dans la décision qui a été prise, il n'y a aucune espèce de motif secret, ni même aucune espèce de motif politique ; il n'y a eu qu'un motif hiérarchique qui m'a déterminé à destituer le sieur Foulon.

La politique ne doit pas se mêler aux affaires de la magistrature.

L'honorable M. Clep, qu'il me permette de le lui dire, vient de poser un fait qui doit nous rendre très circonspects, nous ministres. L'honorable M. Clep est venu chez moi avec le sieur Foulon. En présence de M. Clep, quelques explications ont été échangées et je ne m'attendais guère à les voir reproduire ici en pleine chambre ; si à l'avenir les choses doivent se passer ainsi ; si, lorsqu'un député nous fait l'honneur de venir chez nous, nous sommes exposés à voir nos moindres conversations reproduites dans cette enceinte et publiées dans le pays, il est bon que nous le sachions d'avance afin que nous puissions mesurer nos paroles.

Je fais cette observation, bien que je n'aie pas à retirer une seule des choses que j'ai dites au sieur Foulon en présence de M. Clep. Du reste, je suis convaincu que d'autres membres de la chambre n'imiteront pas M. Clep. M. Clep fera exception. Mais nos rapports pourraient en souffrir si de pareils faits devaient se reproduire.

Qu'est-ce qui a déterminé la destitution du sieur Foulon ? Je ne serai pas long.

Des attaques très grossières, très injurieuses, très outrageantes, paraissaient quotidiennement dans un journal, contre les principaux fonctionnaires de l'arrondissement de Furnes. Voilà le fait. Ces attaques m'ont été signalées par différents fonctionnaires de la province, et on me désignait en même temps le sieur Foulon comme auteur de ces attaques.

La preuve que le sieur Foulon en était réellement l'auteur m'a été fournie, et indépendamment de cette preuve, j'ai pu voir que le sieur Foulon avait antérieurement gravement manqué à son supérieur immédiat, l'honorable juge de paix de Furnes, et qu'il avait attaqué d'autres fonctionnaires, en 1847, lorsqu'il se prétendait catholique ou libéral, car je ne sais pas bien quel rôle il a joué dans les élections de cette époque ; je ne sais pas même s'il s'en est mêlé. (Interruption.)

Prétendez-vous que le sieur Foulon s'est mêlé des élections, dans tel ou tel sens ? Quant à moi, je n'en sais rien.

Mais, messieurs, j'ai vu un greffier du juge de paix insultant le président du tribunal, le commissaire d'arrondissement, les principaux fonctionnaires de sa localité.

Or, tant que je serai ministre, je ne permettrai jamais pareille chose. J'ai donc destitué le sieur Foulon, parce que j'avais la preuve qu'il était l'auteur de ces attaques. (Interruption.) Conteste-t-on cela ? (Nouvelle interruption.) Conteste-t-on que le sieur Foulon qui avait envie d'être nomme greffier de la justice de paix à Bruges, et qui croyait que le président du tribunal et le commissaire d'arrondissement y faisaient opposition, a écrit une lettre... (Interruption.)

Peu m'importe que la lettre ait été envoyée ou non, elle n'en contient pas moins la pensée du sieur Foulon. Eh bien, il est dit dans cette lettre que si le président du tribunal et le commissaire d'arrondissement faisaient de l'opposition au sieur Foulon, sa plume et un journal qui s’appelle, je pense, « het Boterkuipje », étaient là pour le venger et lui donner satisfaction.

Or, ce même journal que le sieur Foulon indiquait pour recevoir ses articles et comme devant le venger du président du tribunal et du commissaire d’arrondissement, ce même journal contient les articles injurieux publiés contre ces fonctionnaires et viendrez-vous prétendre que le sieur Foulon n’a pas écrit ces articles ?

M. Clep. - Ce sont des suppositions.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, ce ne sont pas des suppositions. Il écrit que si le président et le commissaire d’arrondissement lui font de l'opposition, sa plume et tel journal serviront à le venger, et au même moment, ce même journal publie les articles les plus injurieux pour ces fonctionnaires. Voilà le fait, messieurs, je vous le signale.

D'ailleurs, messieurs, je n'ai besoin que de la requête adressée à la chambre par le sieur Foulon. Cette requête, depuis le premier mot jusqu'au dernier, n'est qu'un tissu d'outrages et d'injures qui prouve ce dont le pétitionnaire est capable.

Et à côté de cela, contesterez-vous aussi les outrages adressés au juge de paix de Furnes ?

Il est vrai que vous avez la ressource de la « fièvre chaude » ; mais les greffiers de justice de paix ne doivent pas avoir la fièvre chaude, et quand des fonctionnaires ont une fièvre chaude qui les porte à injurier leurs supérieurs le gouvernement doit leur appliquer le remède héroïque de la destitution.

M. de Mérode. - Comment a-t-on eu la lettre ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une chose dont je n'ai pas à m'occuper. Elle m'a été fournie par les autorités de la Flandre occidentale. (Interruption.) Pardonnez-moi l'expression, mais ne chicanons pas : il s'agit de savoir si le sieur Foulon est, oui ou non, l'auteur des articles très injurieux qui ont été publiés contre ses supérieurs.

Eh bien, il y a une lettre, qu'elle ait été envoyée ou qu'elle ne l'ait pas été, peu importe, est-ce qu'il en résulte que les attaques dirigées sontre les magistrats de l'arrondissement de Furnes ont été bien réellement écrites par le sieur Foulon ? Voilà toute la question. Et à l'appui de ce fait, j'en ai trouvé bien d'autres : j'ai au dossier une lettre des plus outrageantes pour le juge de paix, lettre qui, à elle seule, aurait suffi pour motiver la destitution du sieur Foulon. (Interruption.)

Je crois que ces explications sont suffisantes et que la chambre pensera avec moi que quand de semblables faits se produisent, ils doivent être immédiatement réprimés.

M. Clep. - M. le ministre vient de dire que j'ai été dans son cabinet avec M. Foulon.

Ceci demande quelques mots d'explications.

Comme je l'ai déjà dit, après la destitution, j'ai accompagné M. Foulon au cabinet de M. le ministre où il a appris les motifs de la mesure extrême qui avait été prise à son égard.

Le sieur Foulon a été admis à se justifier par écrit.

Quatre semaines ou un mois par après, à la prière du sieur Foulon je suis retourné au cabinet pour m'informer si la justification avait été trouvée admissible.

Mais, soit que le mémoire n'avait pas même été lu ou qu'il y eût parti pris pour éviter tout examen ou toute explication, M. le ministre a commencé par me dire : Le petit Foulon......et puis, à moi : « Vous autres hommes de parti. »

Là-dessus j'ai répondu que je croyais pouvoir me compter parmi les représentants les plus indépendants de la chambre, et me suis retiré du cabinet.

Ainsi il n'a pas dépendu de moi que les éclaircissements fournis à la chambre n'aient pas été appréciés au cabinet du ministre.

La chambre pourra maintenant juger si c'est M. le ministre ou moi qui s'est montré prévenu ou homme de parti dans cette affaire.

M. Rodenbach. - Il me paraît, messieurs, que la mesure hiérarchique de M. le ministre de la justice a été plus ou moins violente. M. le ministre accuse M. Foulon d'avoir écrit dans les journaux contre ses supérieurs, mais jusqu'à présent il n'a pas cité une seule preuve.

Il a parlé d'une lettre qui contiendrait un aveu de la part du sieur Foulon. Mais si je suis bien informé, cette lettre était écrite à un membre de la chambre des représentants ; le sieur Foulon disait à ce membre de la chambre qu'il aurait pu se venger dans tel ou tel journal. Savez-vous comment on est parvenu à avoir cette lettre qui n'était pas même une lettre ? Ce n'était qu'un projet de lettre sans signature. Ce projet a été enlevé dans le bureau du greffier destitué ! Ainsi on enlève un projet de lettre dans le bureau d'un greffier, ce projet entre dans les mains des autorités ; les autorités envoient une pareille missive à un ministre, et le ministre peut, sans avoir des preuves officielles, sans s'appuyer sur des faits irrécusables, le ministre peut prendre-sur lui, par mesure hiérarchique, de destituer un fonctionnaire, de briser sa carrière, de mettre un père de famille dans le cas de ne plus pouvoir gagner sa vie.

Je dis que cette affaire est très sérieuse ; ce qu'on a fait ne me paraît pas constitutionnel.

J'attendrai du reste, pour m'expliquer davantage, que la commission ait fait son rapport sur la pétition du sieur Foulon. Cette pétition fût-elle rédigée en termes aussi violents et aussi passionnés qu'on le dit, encore devrait-on le pardonner à un malheureux père de famille qui vient d'être destitué. Mais jusqu'à présent je ne vois pas que M. le ministre de la justice ait eu d'autre motif, pour justifier cette mesure rigoureuse, qu'une lettre escamotée, une lettre volée. (Interruption} L'honorable M. Clep me confirme, et j'en dois croire sur parole cet honorable député de Furnes, l'honorable M. Clep me confirme que le projet de lettre a été réellement soustrait de cette manière.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable M. Rodenbach prétend qu'on a escamoté, volé la lettre dont il parle ; l'honorable membre devrait le prouver. Quant à moi, je proleste contre cette singulière imputation.

Je prie l'honorable M. Rodenbach ou l'honorable M. Clep de vouloir bien donner lecture de la pétition qui a été adressée à la chambre, et la chambre pourra se convaincre que cette pétition n'est que la reproduction des injures qui, avant la destitution du sieur Foulon, ont été adressées dans certains journaux, aux magistrats et aux fonctionnaires de l'arrondissement de Furnes.

M. le président. - L'incident est terminé.

La parole est à M. Thiéfry dans la discussion générale.

M. Thiéfry. - J'ai appelé, il y a trois ans, l'attention de M. le ministre de la justice sur l'obligation des hospices d'accorder des seconrs aux indigents des communes étrangères, et sur le défaut de remboursement de ces secours. J'ai dit alors que les hospices de Bruxelles étaient en avance de ce chef d'une somme de 286,000 fr. M. le ministre est convenu qu'il existait une lacune dans la loi communale, et il annonçait l'intention de la combler ; cependant aucun projet n'a été présenté aux chambres ; je n'en ferai pas de reproche à l'honorable M. Tesch, qui n'est pas resté inactif depuis son entrée au ministère ; mais je lui signalerai de nouveau ce fait, en ajoutant que les sommes dues aux hospices de Bruxelles au 1er janvier 1852, s'élèvent à 425,000 fr. Je citerai entre autres les communes suivantes :

Kockelberg, de la province de Brabant, doit 20,000 et n'a fait aucun payement depuis 25 ans.

Uccle, de la province de Brabant, doit 23,000 fr. et n'a fait aucun payement depuis 11 ans.

Herffelinghe, de la province de Brabant, doit 11,000 fr. et n'a fait aucun payement depuis 20 ans.

Nederbrakel, de la Flandre orientale, doit 42,000 fr. et n'a fait aucun payement depuis 12 ans.

Je n'en indiquerai pas d'autres, cela me paraît inulile.

Il est plus que temps de mettre un terme à ces abus, sinon la perturbation va s'introduire dans les administrations de bienfaisance ; pour le prouver, je signalerai quelques mesures que le conseil général des hospices de cette ville a dû prendre bien à regret.

Il a élé obligé de défendre l'entrée de l'hôpital aux malades de deux communes voisines de Bruxelles, qui ne payent pas les frais d'entretien depuis 11 et 12 ans.

Il a prévenu 4 communes qu'il allait sous quinze jours faire transporter dans leur village les aliénés entretenus par les hospices, et dont on ne rembourse pas les frais depuis 3, 4, 12 et 20 ans.

Il a écrit a dix autres que si elles ne payaient par les frais d'entretien des insensés avant trois mois, ceux ci seraient également transférés dans leur village.

La responsabilité des méfaits que pourront commettre ces aliénés retombera entièrement sur l'administration de ces communes.

Il résulte du refus obstiné de remboursement, que ce sont les villes seules qui supportent ces charges, et on comprendra facilement que les hospices de Bruxelles ne veuillent pas se ruiner pour entretenir les indigents de toutes les communes du royaume.

M. Thibaut. - Messieurs, je désire attirer l'attention de la chambre sur un objet tout différent de celui dont vient de l'entretenir l'honorable M. Thiefry. C'est de l'arrêté du 20 décembre 1851 que je vais m'occuper.

Cet arrêté a excité des réclamations de la part des intéressés.

Messieurs, vous vous rappelez que cet arrête du 20 décembre fixe le taux des honoraires des notaires pour les actes dont l'objet n'a qu'une valeur ou un prix de 500 francs et au-dessous : L'arrêté ne permet pas aux notaires de demander plus d'un p. c, sans toutefois que leurs honoraires puissent être en dessous de 3 francs.

Messieurs, il est un fait qu'il importe de constater : c'est que dans plusieurs cantons, la plupart des actes reçus par les notaires n'ont pas une importance de 500 francs. Ce taux même est, je crois, trop élevé, pour constituer la moyenne dans toute la province du Luxembourg et dans quelques cantons de la province de Namur.

Des notaires m'ont adressé à ce sujet quelques observations desquelles il résulte qu'un assez grand nombre d'entre eux ne pourront pas, à la suite de cet airété du décembre 1851, se faire un revenu de 500 à 600 francs par an.

Vous concevez que cette position est extrêmement désagréable pour un fonctionnaire qui doit tenir un certain rang dans la société, qui remplit des fonctions auxquelles les exigences publiques attachent avec raison une certaine dignité.

Qu'en résulte-t-il, en effet ? C'est que dans les locaftés où les actes reçus par les notaires n'ont pas en moyenne une importance de 500 francs, les notaires se trouveront places dans une double alternative également déplorable : ou bien ils se renfermeront dans le tarif, et alors, ils seront en quelque sorte ruinés ; ou bien ils demanderont plus que le tarif ne leur alloue, et en ce cas ils risqueront d'être confondus avec cette classe de personnes qui font un appel à la générosité des passants ; c'est une position qui ne convient pas le moins du monde aux notaires.

(page 917) Je pense qu'il y avait d'autres moyens d'atteindre le but que M. le ministre de la justice a eu en vue par l'arrêté du 20 décembre.

Il suffisait, par exemple, de simplifier les formalités auxquelles les actes des notaires sont soumis, et ainsi on eût diminué les frais ; ou bien encore, on pouvait établir une espèce de pro Deo pour les personnes peu fortunées ou pauvres qui doivent avoir recours aux notaires. Si on avait établi ce pro Deo, je conçois que les notaires se fussent facilement résignés à se conformer aux injonctions de M. le ministre de la justice. Mais remarquez que cet arrêté prescrit un taux uniforme pour tout le monde ; que le notaire ait affaire à un client riche ou à un client pauvre, il ne pourra demander qu'un pour cent.

Je prie M. le ministre de la justice de revoir l'arrêté du 20 décembre, et d'y introduire les modifications dont il est susceptible, pour donner satisfaction aux justes réclamations des notaires.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Thibaut appelle mon attention sur l'arrêté du 20 décembre, relatif à la taxe des actes notariés. Par la loi hypothécaire nous avons déclaré qu'à l'avenir tous actes de mutation de droits immobiliers devront être passés devant notaire. Nous leur avons ainsi donné le monopole de ces actes. Il fallait, en raison de cet avantage que l'on accordait aux notaires, prendre quelques mesures. J'ai fait un tarif provisoire quia fixé les émoluments à 1 p. c. pour tous les actes n'excédant pas cinq cents francs en déclarant toutefois que cette somme ne devait pas être inférieure à 3 fr. J'admets très volontiers que ce tarif est très bas, qu'il frappe principalement une partie des notaires de l'arrondissement de Dinant et surtout de la province de Luxembourg.

Mais quand on discute un arrêté semblable, il faut le mettre en rapport avec toutes les autres dispositions relatives au notariat.

Il faut d'abord remarquer qu'en Belgique les notaires sont nommés par le gouvernement et que les notaires n'ont pas eu à acquérir des charges comme en France, ils n'ont pas, par conséquent, à payer pour leur étude une somme considérable dont ils doivent d'abord retirer les intérêts. C'est déjà un grand avantage. D'un autre côté toutes les lois que nous faisons tendent à améliorer la position des notaires.

M. Thibaut. - Oui, en ville.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non seulement en ville, mais partout ; je vais le démontrer.

Par la loi hypothécaire que je vous ai citée, nous avons déclaré que tous actes emportant mutation de droits immobiliers devaient être passés par-devant notaire.

L'honorable M. Thibaut ne contestera pas qu'il y a dans sa province et dans d'autres provinces des cantons où il se passent au moins autant d'actes sous seing privé qu'il se passe d'actes notariés. De sorte que, si d'un côté j'ai réduit le salaire qu'ils pouvaient exiger jusqu'à présent des parties pour lesquelles ils dressaient des actes, d'un autre côté nous avons aussi doublé le nombre des actes, de sorte que je suis convaincu qu'il y a beaucoup de notaires qui, bien loin de perdre par le tarif, gagneront en raison du plus grand nombre d'actes qu'ils auront à passer.

Il y a encore d'autres modifications qui sont très favorables aux notaires.

D'après la loi sur les expropriations, toute vente par suite de saisie immobilière doit être faite par devant notaire, ainsi nous enlevons aux avoués certains émoluments pour en gratifier les notaires. Eh bien ! en raison des avantages qui sont faits au notaire, je crois que le gouvernement a le droit de leur imposer, je ne dirai pont des conditions onéreuses, mais qu'il a le droit de limiter leurs honoraires. Je ne puis pas admettre que pour des actes de dix, de vingt ou de trente francs, le notaire puisse percevoir une somme équivalente à 60 p. c. de la valeur de l'objet.

Ce que nous avons fait ne peut pas porter grande atteinte aux notaires, l'honorable M. Thibaut doit le reconnaître ; car, jusqu'à présent je n'ai taxé que des actes dont la valeur n'excède pas 500 fr.

Il y a encore différentes choses à faire, mais tout ce que nous avons fait jusqu'à présent tend plutôt à améliorer la position des notaire qu'à l'amoindrir.

L'honorable M. Thiéfry m'a interpellé au sujet des sommes dues aux hospices par différentes communes et dont les hospices ne peuvent pas obtenir le recouvrement. Je reconnais qu'il y a une lacune dans la loi, il y aura une mesure à prendre qui rentre plutôt dans les attributions de mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur que dans les miennes. Les députations ont le droit de mandater sur la caisse des communes quand celles-ci refusent de payer leurs dettes ou les obligations que la loi leur impose, mais nulle autorité n'a le droit d'imposer aux communes la création de ressources ; quand il n'y a rien dans la caisse de la commune, la députation peut bien mandater sur la caisse, mais le mandat reste sans effet, elle n'a pas le droit d'imposer des centimes additionnels aux communes ; le gouvernement ou la députation n'a pas le droit de dire : Si vous n'avez pas d'argent, frappez des centimes additionnels ou recourez à un autre moyen. C'est une mesure générale qu'il faudra prendre. (Interruption.)

Je ne sais pas si on a usé d'un moyen quelconque pour forcer des communes à créer des ressources. Je ne le crois pas, et je ne pense pas que ce soit possible. Je ne veux pas, du reste, trancher le doute s’il existe.

Il y a une mesure à prendre qui doit porter non seulement sur les dettes des communes vis-à-vis des hospices, mais sur toutes les dettes et obligations imposées par la loi, quand les communes ne veulent pas faire de ressources pour couvrir les dépenses obligatoires qu'elles résultent de jugements ou de la loi.

M. de Perceval a parlé du droit de grâce. La chambre comprendra la réserve que j'apporterai dans ma réponse.

J'ai déjà eu à m'expliquer sur une interpellation semblable. J'ai dit que le gouvernement était aussi porté à l'indulgence, à la clémence que qui que ce soit ; mais qu'il avait des devoirs à remplir, que la sécurité publique avait ses exigences, que du moment où nous croirions celles-ci satisfaites, nous n'hésiterions pas à proposer au Roi des mesures de clémence, convaincus que son cœur miséricordieux s'empresserait de les adopter.

Je n'ai pas d'autre réponse à faire ; on comprend, au surplus, que le droit de grâce, attribut essentiel du pouvoir royal, ne peut s'exercer sons la pression ou l'influence d'une discussion dans la chambre.

M. Thibaut. - Je demande la permission de répondre quelques mots à M. le ministre. Je pense que les notaires de ville et de pays riches sont plus ou moins favorisés par les lois nouvelles dont on vous a parlé ; mais il n'en est pas de même pour les notaires de campagne, surtout dans le Luxembourg et dans une partie de la province de Namur. Dans ces localités, les actes de notaires portent généralement sur des objets de mince importance, et il y aura presque toujours lieu d'appliquer le tarif du 20 décembre.

Les notaires cependant devront consacrer leur temps à la rédaction de ces actes, faire de nombreuses démarches qui ne donnent droit à aucun émolument, et engager leur responsabilité, le tout pour des honoraires de 3 à 5 francs, qui couvriront à peine les frais. Le nombre de ces actes est donc assez indifférent.

On me fait remarquer aussi que maintenant les notaires seront chargés des ventes par expropriation qui antérieurement étaient faites par la justice. Mais dans les localités dont je viens de parler il n'y a jamais ou presque jamais d'expropriation. Cette partie de la législation nouvelle n'offre donc que très peu d'avantages aux notaires des campagnes, en compensation des réductions de tarif qu'on leur a imposées.

Je prie M. le ministre d'examiner de nouveau la question, de rechercher s'il n'y aurait pas lieu, par exemple, de permettre aux notaires d» recevoir les actes en brevet quand ils ont une minime importance ou d'établir le pro Deo.

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.