Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 février 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 559) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Sivry, présentant des observations sur le projet de Code forestier, prie la chambre d'exiger le concours des administrations communales dans toutes les opérations forestières concernant les bois communaux, de ne point rendre obligatoire l'estimation préalable des agents forestiers pour les ventes des bois, de dispenser les adjudicataires du dépôt de l'empreinte de leurs marteaux, de laisser aux communes la faculté d'essarter les bois. »

M. de Chimay. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Le renvoi est ordonné.


« Plusieurs habitants d'Ocquier demandent que cette commune fasse partie du canton de Nandrin. ».

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Antoine-Jean-Bernard Imminck, adjudant sous-officier au 8ème régiment de ligne, né à Oostmarsum (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. le ministre de la guerre transmet à la chambre des explications sur une requête du sieur Deridder, Pierre, soldat réformé de l'armée des Pays-Bas, tendant à obtenir une pension pour infirmités contractées dans le service. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Le sieur Louis-Joseph Petersen prie la chambre de lui faire obtenir le subside de 200 fr. qui est accordé aux blessés de septembre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Peers et M. Destriveaux, au nom de la commission des naturalisations, déposent des rapports sur diverses demandes en naturalisation.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et en met la discussion à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur le Code forestier

Discussion générale

M. David. - Les considérations que déjà l'on a fait valoir avant moi me permettent d'être extrêmement court ; je n'abuserai pas longtemps de votre attention.

Je désire, avec les orateurs qui m'ont précédé, que l'on restitue aussi librement que possible aux conseils communaux et aux administrations des établissements publics, la part d'action que leur promettait la loi communale de 1836 dans l'administration des bois et forêts qui leur appartiennent. Tous mes efforts au sein de votre commission ont tendu vers ce but, et j'appuierai tous les amendements qui seront présentés à cet effet pendant la discussion. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui militent en faveur de l'émancipation progressive des communes et qui condamnent le système de centralisation par le gouvernement, elles ont été développées dans la séance d'hier par d'honorables collègues. Je n'ajouterai qu'une seule considération, qui, je crois, ne manque pas de toute valeur.

En examinant l'étendue des divers bois et forêts soumis au régime forestier, vous remarquerez, messieurs, que sur les 160,010 hectares constituant les propriétés boisées domaniales, communales et des établissements publics, 124,336 appartiennent aux communes et établissements publics, et que 33,674 hectares seulement forment le domaine boisé de l'Etat. La part de l'Etat, qui n'est déjà que le quart de la masse, tend chaque jour à se réduire davantage par suite des aliénations décrétées par plusieurs lois précédentes ; elle finira par ne plus comprendre, dans un avenir assez rapproché, et cela au grand avantage du trésor public, que deux ou trois massifs compactes, qui ne nécessiteraient alors qu'une administration forestière très restreinte, si les forêts communales et des établissements publics étaient soustraites à sa gestion et ne restaient que sous la surveillance de quelques agents supérieurs qui consulteraient les députations permanentes chaque fois que ces corps auraient à donner leur avis sur des affaires d'intérêt forestier communal et des établissements publics.

Le régime sanctionné par le projet de loi aura donc pour résultat inévitable de mettre bientôt la plus forte part des frais de l’administration forestière à la charge des communes et des établissements publics dont l’état financier laisse cependant déjà tant à désirer presque dans tout le pays.

Je pense donc qu'à côté de la question constitutionnelle, de savoir si l'administration d'une forêt communale est d'intérêt communal oui ou non, conformément à l'article 108 de la Constitution, vient se placer une question d'économie dans les frais de surveillance et d'administration pour les communes et établissements publics, question qui ne doit pas être perdue de vue.

La rédaction du projet de Code forestier se ressent d'un bout à l'autre de la composition trop forestière de la commission qui l'a élaboré ; c'est ainsi que ces messieurs, habitués à ne traiter que des ventes et adjudications de lots de taillis ou futaie d'une grande étendue et d'une valeur considérable, ont tellement multiplié les pénalités, les formalités, les conditions onéreuses et les entraves inutiles, à mon sens, que les petites coupes par lot, d'une valeur de 40 à 100 francs, souvent inférieure même, exposées aux enchères par les communes et établissements publics, ne trouveront que difficilement acheteur et à des prix défavorables pour les propriétaires. De ce côté, donc, messieurs, l'administration forestière doit être avertie par M. le ministre des finances qu'elle aura à corriger ce que la loi a de trop absolu et d'inutile dans la rédaction du cahier des charges de vente à proposer aux communes et établissements publics.

Voici un exemple de l'influence d'une clause excessive dans un cahier des charges : En novembre dernier l'administration forestière expose en vente une coupe aux environs de Verviers, elle met pour condition qu'aucune charrette ne pourra être chargée si un garde n'est présent. Dans la crainte d'être à chaque instant entravés et retardés dans leur exploitation, parce que les gardes ne pourraient se multiplier à l'infini et se trouver à côté de dix obtenteurs à la fois, aucun amateur ne s'est présenté et la coupe a dû être réexposée en vente lundi dernier. Ce fait m'a été annoncé par des obtenteurs habituels des coupes de bois domaniaux, je ne sais jusqu'à quel point il est véritable.

Un point qui, d'après moi, n'intéresse en aucune façon la conservation des bois et forêts est celui du plus ou du moins d'élévation des amendes à fixer pour les délits forestiers, et je viens en conséquence réclamer de M. le ministre de la justice de vouloir, avant la discussion des articles qui comminent les pénalités, réviser ces pénalités et amendes à l'effet de réduire considérablement les minimums des peines et laisser ainsi plus de marge aux tribunaux correctionnelles.

Avec un système de pénalités trop rigoureux, deux choses arrivent, messieurs, ou les jugements des tribunaux sont exécutés, ou ils sont modifiés par le recours en grâce.

Quand ils sont exécutés, ils entraînent dans bien des cas la ruine complète des délinquants et de leurs familles, et loin de corriger les coupables, ils les entraînent, après les avoir frappés de misère et de dénuement, vers l'abîme du paupérisme ; souvent de la récidive, dans le vol, peut-être du crime.

Mais ce qui heureusement arrive le plus souvent, c'est que les recours en grâce sont favorablement accueillis par notre Roi, dont le cœur est si compatissant, et qu'ainsi une forte partie des amendes est remise aux condamnés.

Dans ces cas, messieurs, la rigueur première des lois a été sans effet, et l'enquête à laquelle donne lieu un recours en grâce, a surchargé l'administration de correspondance, de perte d'un temps utile, de tenue d'écritures dans une quantité de bureaux. Ces inconvénients viendraient à disparaître si les minimums des pénalités étaient considérablement réduits et j'engage M. le ministre de la justice à bien vouloir examiner de nouveau les taux des amendes et les pénalités pour les diminuer.

Une innovation fâcheuse et qui constitue jusqu'à un certain point une atteinte au droit de propriété, est introduite dans le Code que nous discutons ; la défense de bâtir dans un certain rayon des forêts domaniales, qui, d'après la jurisprudence belge, n'était pas même admissible d'après les articles 17 et 18 du titre XXVII de l'ordonnance de 1669, parce que ces articles n'ont jamais été publiés en Belgique, la défense de bâtir, dis-je, est étendue au pourtour des forêts communales et des établissements publics. C'est frapper d'interdit pour ainsi dire et en tout cas d'une grande dépréciation une incalculable étendue de propriétés. Je désirerais donc qu'au moins cette mesure ne fût applicable qu'aux forêts domaniales seulement.

Je pense, messieurs, que si l'administration forestière veut mettre du bon vouloir et des procédés comme cela a eu lieu jusqu'à présent à l'égard des communes et des établissements publics, les conflits à naître seront assez rares, et comme ils devront dans presque dans tous les cas être soumis à la députation permanente et au Roi, je pourrai voter la loi, si même les amendements que je désirerais y voir introduire venaient à être rejetés par vous. J'aurai l'honneur de déposer moi-même quelques amendements.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Que le projet qui vous est soumis en ce moment soit susceptible de quelques modifications dans (page 560) ses détails, qu’il ne soit pas parfait sous tous les rapports, c’est ce que je puis très bien admettre. Mais que le gouvernement se soit rendu coupable de toytes les énormités que l’honorable M. Orban a voulu lui reprocher gier, c’est ce que je me permettrai de contesrer. A en croire l’honorable membre, le projet viole la Constitution ; il méconnaît l'esprit de la loi de 1836 ; le gouvernement abuse de sa force ; il vous propose une législation pire que celle qui existe aujourd'hui, plus draconienne même que l'ancienne législation forestière.

Examinons très rapidement ce qu'il j a de fondé dans ces différents griefs.

Je ne sache pas que la Constitution, en émancipant les communes, ait voulu consacrer le principe que l'autorité supérieure n'aurait plus sur leurs actes aucune espèce de surveillance. Je ne pense pas que la Constitution ait voulu que la commune pût désormais user et abuser des propriétés qui lui appartiennent, sans qu'aucune administration supérieure put venir contrôler ses actes.

Si la Constitution devait recevoir cette singulière interprétation, la loi communale serait, depuis son premier article jusqu'au dernier, une violation de la Constitution. Il n'y a pas un seul acte important que la commune puisse poser sans l'intervention d'une autorité supérieure, soit de la députation, soit du Roi. Eh bien, messieurs, dans le projet qui vous est présenté, nous ne faisons qu'appliquer le principe déposé dans la loi communale. Nous le conservons d'une manière plus étendue en raison de la nature particulière de la propriété qu'il s'agit d'administrer, et je démontrerai tantôt que cette nature particulière de la propriété boisée doit entraîner une surveillance plus active, une intervention plus puissante de la part de l'autorité supérieure que lorsqu'il s'agit des autres propriétés communales.

Il faut, dans l'administration des forêts, faire deux parts. Il faut distinguer entre ce qui constitue d'un côté la surveillance, la police, la conservation, et d'autre part, la disposition, la distribution des produits qui constitue l'acte d'administration le plus important. Remarquez-le bien, il n'est pas un seul acte qui soit posé, en ce qui concerne l'administration des propriétés boisées, sans que la commune intervienne ; s'agit-il de surveillance, de police, de conservation, la commune intervient pour proposer, donner son avis ; s'agit-il de la disposition, de la distribution des produits, c'est la commune qui décide. Ainsi, loin d'exclure la commune de toute participation, on maintient sa participation dans la partie la plus importante de l'administration de ses propriétés boisées, la disposition, la distribution des produits.

Quel est le motif qui exige que la surveillance de l'administration centrale s'exerce d'une manière plus puissante quand il s'agit de forêts que quand il s'agit d'autres propriétés ? L'honorable M. Orban disait qu'on était arrivé à cette distinction par une espèce de jeu de mots, parce qu'on avait prétendu que l'administration des forêts était une affaire d'intérêt général, qu'à ce titre cela ne tombant pas sous l'application de la Constitution, le gouvernement devait intervenir.

Si c'est un jeu de mots, ce n'est pas le gouvernement actuel qui l'a inventé ; il remonterait au ministère de 1836. En 1836, l'honorable M. d'Huart disait que ce n'était pas là un intérêt communal, et c'est à ce titre qu'il combattait la proposition de restituer de plano aux administrations communales la libre disposition de leurs bois. M. d'Huart disait ensuite, répondant à M. l'abbé Andries, que celui ci n'envisageait pas la question sous le rapport de l'intérêt général, qu'il n'en faisait qu'une question d'intérêt communal, bien que tous les gouvernements eussent compris que l'intérêt général était en cause dans l'administration des forêts et que tous eussent pris des mesures pour la surveiller. Voilà l'opinion du gouvernement en 1836, qui était composé d'hommes pour lesquels l'honorable M. Orban a beaucoup de sympathie.

Il est pour moi une raison sur laquelle j'appelle l'attention de la chambre, et qui me paraît décisive dans la matière, c'est la nature spéciale de la propriété forestière qui ne vaut, en général, que par la superficie ; c'est que le fonds est en quelque sorte l'accessoire de la superficie, que la superficie vaut quelquefois cinq, six et sept fois le sol ; c'est que la valeur de la propriété n'est conservée que par le bon aménagement ; c'est précisément, parce que la valeur réside dans la superficie, que le sol de la propriété boisée n'est que l'accessoire, que vous devez prendre la même précaution et des précautions plus sérieuses pour la superficie que pour le sol lui-même.

Ainsi vous avez un hectare de bois qui vaudra 2 mille francs, le sol n'aura qu'une valeur de 200 à 300 fr., une sapinière vaudra après un certain temps 10 mille francs l'hectare ; le sol ne vaudra que 300 à 400 fr.

Et il y aurait une singulière anomalie à ce qu'on vînt dire que le Roi dût intervenir pour la vehte d'un hectare de terre valant 2 ou 3 cents francs, tandis qu'on laisserait à la libre disposition de la commune la superficie valant 4 ou 5 fois le sol.

Voilà pourquoi, pour les propriétés boisées, il faut prendre des mesures aussi sévères, aussi prévoyantes que quand il s'agit de l'aliénation du sol même, et du moment que les administrations communales ne doivent pas pouvoir vendre des immeubles, elles ne doivent pouvoir exploiter des bois qu'avec l'intervention et la surveillance de l'autorité supérieure.

Maintenant, il y a une autre raison pnur laquelle des limites doivent être apportées à l’action des communes, en ce qui concerne l'exploitation des bois, et qui dérive de ce que je viens de dire : les communes ont, en général, de très grands besoins, et comme la superficie des bois constitue une valeur très grande, les administrations communales seraient constamment entre le désir d'aller rechercher des ressources dans les bois, et la nécessité d imposer des taxes communales, entre la nécessité de sacrifier l'avenir au présent et celle d'imposer les habitants des communes pour parer aux dépenses de l'administration communale, et c'est parce que les communes, nées de l'élection, ne résisteraient pas à la tentation de sacrifier l'avenir au présent, que des précautions doivent être prises pour l'exploitation des bois et forêts, mesures qui ne sont pas nécessaires pour les autres propriétés de la commune.

La commune est propriétaire d'un hectare de terre ordinaire, elle ne pourra pas en tirer autre chose que le revenu ordinaire, elle ne pourra que le louer, tandis que la superficie d'un bois est une tentation continuelle pour elle.

Ainsi, quand on raisonne de ce qui se passe au sujet des propriétés ordinaires pour en tirer argument quant à l'exploitation des bois, on confond des choses qui n'ont aucun rapport entre elles ; on ne tient pas compte de la grande différence entre les propriétés boisées et les autres propriétés que les communes peuvent avoir à administrer.

L'honorable M. Orban nous disait hier que nous abusions de notre force, et il insinuait très charitablement que c'est parce que nous étions en présence de petites communes, de communes faibles qui n'ont que leur droit pour défense.

Tout cela pourrait faire très bon effet dans une discussion politique. Je conçois parfaitement que l'honorable M. Orban, qui voit baisser, dans tous les grands centres de population, l'influence que, sans doute, il voudrait voir prédominer, tienne à représenter le ministère comme étant à genoux devant ces communes, et sacrifiant toutes les petites localités : mais c'est là un hors-d'œuvre évident dans la discussion du Code forestier, qui ne paraît pas devoir donner lieu à une discussion de ce genre.

Je prie l'honorable M. Orban d'être persuadé d'une chose, c'est que le gouvernement n'a pas plus envie d'abdiquer son droit vis-à-vis des grandes communes qu'il n'a renoncé à défendre les intérêts des petites communes, lorsqu'il croit que la justice l'exige.

Je n'ai pas besoin d'aller chercher bien loin un exemple. Je le trouve dans le projet même qui est en discussion en ce moment.

M. Orban. - Témoin l'incident récent avec le bourgmestre de Bruxelles, où vous avez si bien soutenu les droits du gouvernement contre le représentant d'une grande ville.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Quelle est cette affaire ? Car je ne comprends pas.

M. Orban. - La destitution de l'administrateur de la sûreté publique.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, vous devez comprendre qu'il m'est impossible de discuter en ce moment le fait dont vient de parler l'honorable M. Orban. Quand cet honorable membre voudra faire une interpellation à ce sujet, je discuterai ce fait, et je dirai, dès maintenant, à l'honorable M. Orban, que M. Hody n'a pas été destitué et que je n'ai pas eu à soutenir le bourgmestre d'une grande commune contre l'administrateur de la sûreté publique.

Je prierai l'honorable M. Orban, s'il veut avoir une discussion sur ce fait, de faire une motion d'ordre lorsque la discussion générale sera close, et je lui donnerai sous ce rapport tous ses apaisements. Il remettra, s'il le veut, cette interpellation jusqu'à la discussion du budget de la justice ; mais dès maintenant, je proteste de la manière la plus formelle contre les allégations de l'honorable M. Orban, inexactes de tous points ; et, je le répète, je n'ai jamais eu à défendre le bourgmestre de Bruxelles, comme je n'ai jamais eu à destituer l'administrateur de la sûreté publique.

Je disais, messieurs, qu'il ne me fallait pas aller très loin pour trouver un exemple prouvant que le gouvernement sait parfaitement défendre les intérêts des petites communes lorsque ces intérêts doivent être défendus, lorsque la justice l'exige.

Une des questions certainement les plus importantes qui se rattachent au projet actuel, c'est la question du droit d'usage, et hier, quand l'honorable M. Orban prenait la parole, je pensais que c'était tout au moins pour combattre les propositions de l'honorable M. Moncheur.

Eh bien, dans cette question, qui est vitale pour les communes usagères, l'honorable M. Orban trouve-t-il que l'intérêt de ces communes usagères n'a pas été défendu ? que le gouvernement les a sacrifiées ? Alors que le gouvernement lui-même était propriétaire, qu'il avait intérêt à admettre les bases qui étaient proposées, il n'a pas voulu faire décider par la loi ce qui doit être du domaine de la jurisprudence, il a refusé de laisser consacrer des principes qui évidemment auraient été des plus défavorables aux communes usagères.

Ainsi donc, messieurs, laissons de côté ces reproches qui ont bien (page 561) plutôt un caractère politique, qu'ils ne se rattachent à la discussion de la loi.

Du reste, si nous abusons de notre force, nous avons trouvé des devanciers ; et ici j'ai à examiner si, comme le disait hier l’honorable M. Orban, en 1836 tout le monde était d'accord pour restituer aux communes la libre administration de leurs bois ; j'ai à examiner si nous violons l'esprit de la loi communale, de la législation de 1836.

Messieurs, je ne sais pas où l'honorable M. Orhan a étudié l'esprit de la législation de 1836. Je ne sais où il a été trouver l'accord qu'il nous dit avoir existé à cette époque pour restituer aux communes cette libre administration.

Ce qu'il y a de bien certain, c'est que ce n'est pas dans le Moniteur qu'il l'a étudié.

Il y a eu, dit-on, accord entre tout le monde pour restituer aux communes la libre administration de leurs biens. Entre qui cet accord a-t-il existé ? Est-ce entre le gouvernement et les chambres ? Non, messieurs, entre le gouvernement et les chambres il n'y avait pas accord, et je tiens ici en mains un mémoire déposé par l'honorable M. d'Huart, alors ministre des finances, et qui combattait sous tous les points de vue la proposition qui était faite ou les tendances qui existaient de consacrer le système qu'on préconise aujourd'hui. Ainsi on le combattait au nom de l'intérêt général, au nom des avantages que les communes retirent de l'administration forestière, au nom des inconvénients d'une administration forestière provinciale, au nom de la constitutionnalité, etc.

Ainsi, messieurs, en 1836, pas plus qu'aujourd'hui, le gouvernement n'avait en vue d'admettre le système qu'on veut préconiser en ce moment.

. Indépendamment de cela, que l'on consulte les discussions qui ont eu lieu à cette époque, que l'on relise ce que disait le ministre des finances. Voici différents passages du discours qu'il a prononcé dans la séance du 22 février :

« Ensuite il semblerait, à entendre l'honorable préopinant, que l'administration des bois communaux peut se faire par tout le monde, qu'un bourgmestre dans une commune peut dire : Il faudra couper tel bois, il faudra le repeupler de telle essence. Or, l'administration forestière exige des connaissances particulières. Il faut, messieurs, de l'expérience, une étude spéciale pour bien gérer la conservation des bois communaux.

« Il est vraiment étonnant que les réclamations contre l'ordre de choses existant nous arrivent, en ce moment, de la part d'un député des Flandres. Ces provinces sont si peu intéressées dans la question, que je ne conçois pas que l'on élève la voix pour changer ce qui existe en ce qui les concerne.

« Les députés de la province de Luxembourg se garderont bien, je pense, de réclamer la disposition que d'autres voudraient voir introduire dans la loi communale. Ils comprennent la nécessité de la législation actuelle et leur opinion doit peser dans la balance. Car les communes de la province de Luxembourg ont à elles seules plus de bois que toutes les autres communes. »

Voilà, messieurs, ce que disait l'honorable M. d'Huart. Voici un passage du même minisire, relatif à la nomination des gardes par les communes. Je ne voudrais pas, messieurs, censurer aussi vertement les administrateurs des « petites communes », pourt lesquelles M. Orban a tant de sollicitude, je ne voudrais pas les censurer aussi vertement que le faisait à cette époque l'honorable M. d'Huart. Voici ses expressions :

« En ce qui concerne les gardes des bois communaux que l'honorable M. Dubus voudrait voir nommer et révoquer par les conseils communaux, il est certain que si un tel pouvoir était dévolu à ces conseils, il n'y aurait plus de surveillance, il n'y aurait plus de répression de délits dans les bois communaux (et tous ceux qui savent ce qui se qui se passe dans les communes n’en doutent pas), aucun garde n’oserait faire son devoir, attendu qu’il aurait à l’exercer contre des membres du conseil communal lui-même dont il tiendrait l’existence.

« Les administrateurs communaux sont souvent entraînés aujou d'hui déjà à commettre des délits dans les bois communaux ; où seraient donc les garanties pour la répression des délits forestiers, s'ils avaient les gardes dans leur dépendance ? »

Voilà, messieurs, comment l'honorable M. d'Huart, en 1836, stigmatisait, en quelque sorte, tous les conseils communaux des petites communes, les déclarant délinquants, combattait le système défendu par l'honorable M. Orban.

Voilà donc, messieurs, le désaccord qui existait entre le gouvernement et les chambres. Dans les chambres mêmes, y avait-il accord ? Mais vous trouverez des députés qui n'admettaient pas du tout ce système, entre autres l'honorable M. Jullien de Bruges qui déclarait qu'il n'entendait pas donner aux corps communaux l'administration des bois parce qu'il s'y trouverait des individus que les exploiteraient à leur profit. Ce sont les termes dont il se servait.

Ainsi, messieurs, cet accord n'existait ni entre le gouvernement et les chambres, ni dans les chambres même.

Il y avait accord en 1836 sur un point, c'est qu'il fallait une surveillance très grande de la part d'une autorité supérieure, en ce qui touchait les bois et forêts. Mais on n'était pas d'accord sur la question de savoi si ce serait la députation permanente qui exercerait cette surveillance, ou s'il y aurait à côté de la deputation une administiation forestière provinciale ou l'administration forestière centrale, telle qu'elle existait. Mais jamais, en 1836, on n'a été d'avis de restituer aux communes la liberté illimitée qu'on reclame aujourd'hui pour elles.

Messieurs, l'honorable M. Orban, dans son ardeur agressive, a cru devoir aller jusqu'à très malmener la commission qui a élaboré le projet de loi. A l'en croire, la commission a été dominée par l'élément forestier.

M. Orban. - C'est un fait.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je démontrerai que ce n'est pas un fait ; c'est une invention ; vous avez sans doute beaucoup d'imagination, mais je ne sais sur quelles données positives repose chacune de vos allégations.

La commission a été formée de commun accord entre les ministres de l'intérieur, de la justice et des finances ; chacun de ces ministres a nommé deux membres ; le ministre de l'intérieur a designé deux personnes pour représenter les intérêts communaux ; j'étais une des deux personnes désignées par le ministre de l'intérieur.

Dans l'opinion de l'honorable M. Orban, j'ai très mal rempli ma tâche ; j'étais indigne de ce mandat ; j'en ai un amer regret, j'en ai un cuisant chagrin ; mais je tâcherai de m'en consoler, alors surtout que l'honorable M. Moncheur disait hier que j'avais trop bien rempli ma tâche (interruption), du moins en ce qui concerne les usagers ; je n'ai donc pas complètement échoué.

M. Moncheur. - Faire trop, c'est un défaut. Sur la question des usagers j'ai dit que votre système était injuste.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - D'un côté, on me reproche de n'avoir rien fait, de l'autre on me reproche d'avoir fait trop ; je me borne à constater que ces deux reproches sont contradictoires.

Je disais donc que M. le ministre de l'intérieur avait désigné deux personnes pour représenter les droits des communes et des provinces ; j'ignorais que l'honorable M. Orban eût le monopole de la défense de ces droits.

M. le ministre de la justice a nommé deux magistrats qui, par leur séjour dans les provinces dont les forêts sont en quelque sorte la principale source de richesse, étaient parfaitement à même de discuter ces questions ; M. le ministre des finances a désigné deux inspecteurs généraux. Ainsi il n'est pas exact de dire que la commission était dominée par l'élément forestier ; il y avait dans la commission quatre membres qui n'appartenaient pas à cet élément, contre deux inspecteurs forestiers. La majorité donc n'appartenait évidemment pas à l'élément forestier.

Mais à côté de cette commission, la chambre a nommé la sienne. On ne peut reprocher à cette commission d'avoir été dominée par l'élément forestier, et cependant on a approuvé le travail de la première commission que le gouvernement avait fait sien dans ses dispositions les plus importantes et les plus essentielles.

Les critiques que l'on a faites contre la composition et contre le travail de la première commission ne sont rien moins que fondées.

Comment M. Orban a-t-il justifié son allégation que notre système est plus dur que la législation actuelle ? Il a trouvé que sous le régime actuel, en vertu des arrêtés de 1815 et 1819, les boqueteaux de moins de quinze hectares et éloignés de plus d'un kilomètre étaient soustraits à l'action de l'administration forestière. J'avoue que je ne pense pas que l'on puisse aller chercher là un grief.

Le gouvernement a posé un régime général, c'est que tous les bois des communes seraient soumis à la surveillance de l'administration forestière. Passant immédialement à l'exemption pour les bois qui se trouvent dans la catégorie de ceux que les arrêtés de 1815 et 1819 soustraient a l'action de l'administration forestière et au contrôle de l’autorité royale, la commission fit quelques difficultés ; l'honorable rapporteur me les a communiquées, et je n'ai pas hésité à lui dire que le gouvernement ne tenait pas le moins du monde à cette mesure, que son intention était de replacer dans l'administration des communes tous les boqueteaux de cette nature, là où cette mesure n'entraînerait pas plus de dépenses que sous l'administration de la province.

On a trouvé un autre article du projet, qui aggrave le régime actnel. Aujourd'hui, en vertu de la loi de 1836, les conseils communaux présentent deux candidats pour les places de gardes forestiers ; c'est, parmi ces deux candidats que le ministre des finances choisit.

Par le projet en discussion, la deputation permanente qui est chargée de surveiller les intérêts communaux et sur laquelle le pouvoir n'a aucune action, la députation, dis-je, a le pouvoir d'ajouter deux candidats lorsqu'elle trouve que les candidats présentés par la commune ne réunissent pas les qualités requises ; c'est dans l'intérêt même des communes que cela est introduit. On ne pourrait pas accuser la députation d'aller chercher des candidats pour plaire au gouvernement.

Ainsi donc le régime proposé n'aggrave en rien la position des communes telle qu'elle existe aujourd'hui.

L'honorable M. Orban disait hier qu'en France la commune avait le choix des gardes. Cela n'est pas exact.

En dernière analyse ce sont les préfets qui décident, et loin d'avoir moins de droits que le gouvernement n'en a par le projet, ils en ont beaucoup plus.

M. Orban. - Qui est-ce qui nomme ?

M. Orts. - Les préfets.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ainsi, voici en ce qui concerne le choix des gardes.

Ces choix doivent être agréés par l'administration forestière ; c'est en dernière analyse le préfet qui décide entre les candidats proposés par l'administration forestière et le maire. Les choix du maire doivent être (page 562) soumis à l'administration forestière en cas de dissentiment. Le préfet prononcera. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'en dernière analyse le préfet nomme qui il veut.

En Belgique, ce sera le gouvernement ; mais son choix sera circonscrit dans une liste de deux candidats quand l'administration provinciale trouvera que les candidats présentés réunissent les qualités nécessaires.

Quant au nombre de gardes, il est déterminé en France par le maire, non par le conseil comme le prétendait l'honorable membre, mais sous l'approbation du préfet, c'est-à-dire que c'est le préfet qui fixe ce nombre, de sorte que toute l'autorité, tout le pouvoir est reporté au préfet.

Quant au salaire, il est réglé par les préfets. Voilà la législation française.

On a soin de prendre dans le Code français quelques articles qui semblent être favorables à la thèse que l'on soutient, mais on laisse de côté l'ensemble de la législation. Ainsi on ne citera pas l'article 100 du Code français où l'on déclare que les ventes des coupes ordinaires et extraordinaires se feront par les agents de l'administration forestière, en présence du maire ou d'un adjoint, sans que leur absence entraîne la nullité de l'opération, c'est-à-dire qu'on vend sans l'intervention de l'administration communale.

On ne lit pas l'article 102 qui charge l'autorité administrative de déterminer la quotité de bois dont les établissements publics peuvent avoir besoin, et qu'ils doivent employer tel qu'il leur est remis sans pouvoir le vendre ou l'échanger. On ne parle pas non plus des articles relatifs aux bois des particuliers et de la servitude qu'ils imposent, notamment pour la marine ; ces articles on les passe sous silence, on préfère prendre un article où il est question des maires nommant des gardes pour en argumenter et prétendre que la législation que nous proposons est plus sévère que la législation française. Si nous proposions une législation semblable à celle-là, c'est alors que nos adversaires auraient le droit de faire l'opposition qu'ils font en ce moment.

J'ai après cela quelques mots a répondre à d'autres orateurs qui ont pris la parole dans la séance d'hier.

L'honorable M. Jacques admet que l'administration forestière soit chargée du balivage et de la constatation des délits, mais non de régler les aménagements et les coupes extraordinaires qui sont les actes les plus importants de l'administration forestière. C'est un système qui tend à sauvegarder la propriété en détail et de la compromettre en gros. Le balivage et la constatation des délits sont choses secondaires. Quand on permettra de faire des coupes à tout âge, à l'âge de 10 ou 12 ans, vous aurez beau surveiller les délits ; si l'aménagement est ainsi fait, le bois sera ruiné.

Remarquez qu'il y a dans l'administration forestière autre chose que des coupes à faire, il y a des bois à repeupler ; et une chose qui a été démontrée à satiété dans toutes les discusions sur cette matière : ne sait pas administrer, repeupler une forêt qui veut, il faut certaines connaissances qui manquent souvent aux administrations communales. Il faut une administration forestière qui s'occupe spécialement de cet objet et qui doit avoir les connaissances requises pour arriver à améliorer les forêts.

Les forêts doivent être cultivées, et ce ne sont pas les administrations communales qui peuvent toujours le faire convenablement.

Les honorables MM. Lelièvre et Moncheur ont critiqué le projet pour ce qui ne s'y trouve pas, parce qu'on n'a pas inséré dans le projet les bases du cantonnement. J'ai donné dans l'exposé des motifs les raisons qui ont engagé le gouvernement à ne pas réglementer cette matière. Nous avons imité le législateur français de 1827 ; si nous nous sommes abstenus de nous occuper de cet objet, c'est en vertu d'un principe incontestable, qu'il appartient à la loi de réglementer l'avenir, et qu'il ne lui appartient pas de réglementer le passé ; le passé lui échappe.

Tous les titres qui existent, les possessions qui les remplacent, qui en tiennent lieu, il n'appartient pas au législateur d'en détruire les effets ; c'est ce que nous aurions fait en nous occupant des bases du cantonnement.

Quant aux contributions, ces honorables membres voudraient qu'on insérât dans la loi que les usagers sont tenus de contribuer aux frais de garde et au payement des contributions.

Si l'on veut établir qu'à l'avenir les usagers seront, dans le silence des titres, tenus de participer aux contributions et frais de garde, je n'y vois pas d'inconvénients ; j'admets le système qui déclarerait applicable l'article 635 du Code civil ; pour l'avenir, j'y applaudis, mais les usagers exonérés par leur titre de toute contribution, des frais de garde, etc., qui ont joui de leur droit d'usage depuis 30 ans sans payer ces charges, vous ne pouvez pas les astreindre à en payer en vertu de cette loi, vous poseriez un principe contraire au droit, vous porteriez atteinte à des droits acquis, tout au moins vous trancheriez par la loi des questions qu'au pouvoir judiciaire seul il appartient de résoudre.

Vous ne pouvez pas plus imposer aux usagers de jouir de telle ou telle manière, que vous n'avez le droit d'interprétation des titres et d'appréciation de la possession. Ce sont là des questions qui pour le passé doivent être laissées à la décision des tribunaux.

Voilà pour quels motifs nous nous sommes abstenus. C'est par respect pour les principes.

Je demanderai aux honorables MM. Moncheur et Lelièvre, en vertu de quel droit ils diraient aux usagers qui n'ont jamais payé de conlributions ou qui en ont été affranchis par leurs titres, qu'ils auront à en payer à l'avenir.

Si l'on veut réserver tous les droits résultant du titre ou de la possession, j'admettrais l'amendement. Mais alors votre article ne trouvera plus d'application ; car d'un coté nous déclarons qu'il n'y aura aucun droit d'usage dans les bois et forêts soumis au régime forestier, et je ne pense pas que beaucoup de propriétaires soient disposés à consentir à l'avenir des droits d'usage dans leurs forêts et les droits alors sont réglés par le titre ou la possession.

Quant à l'honorable M. de Mérode, il doit être très grand partisan du projet, car il veut que nous allions plus loin, que nous limitions les droits des propriétaires. Je crois bien que si nous faisions la proposition indiquée par cet honorable membre, d'empêcher le défrichement des bois des particuliers, nous serions véhémentement soupçonnés de communisme. Je lui en laisserai donc l'initiative.

Je viens de passer en revue les objections faites contre le projet.

Ce projet, ainsi que je l'ai dit en commençant, peut être imparfait dans queliques détails, mais il aura réalisé une grande amélioration -.c'est de réunir des dispositions éparses, d’établir l'uniformité dans la législation, de mettre les pénalités en rapport avec nos mœurs et avec la gravité des délits.

Malgré les critiques auxquelles on s'est livré, je suis persuadé que le projet sera accueilli comme un bienfait dans les parties du pays où les forêts ont quelque importance.

M. Moncheur. - Dans tout ce que vient de dire M. le ministre de la justice, je n'ai trouvé aucune réponse sur un des points les plus importants que j'ai traité hier, à savoir, celui de la réciprocité du droit d'exercer le cantonnement et pour les usagers et pour les propriétaires. L'honorable ministre de la justice se réserve probablement de traiter cotte question quand l'article 82 sera mis en discussion. Je ne reviendrai donc pas non plus sur cet objet. Mais j'éprouve le besoin de dire que l'honorable ministre de la justice s'est étrangement mépris, lorsqu'il a pensé que j'ai dit hier que, dans le sein de la commission qui a rédigé le projet, il avait trop bien défendu les intérêts des communes.

J'ai dit au contraire que l'intérêt des communes avait été, en général, méconnu par la commission, en ce sens qu'on avait entamé par le projet ce qui était d'administration au profit de la simple surveillance.

Or, ainsi que je l'ai dit hier, et que l'a répété à l'instant M. le ministre de la justice, il y a deux choses à distinguer : l'administration et la surveillance des bois communaux. L'administration de ces bois a été laissée par la loi communale dans les attributions du conseil, tandis que la surveillance en a été attribuée à l'autorité supérieure. Mais il est extrêmement difficile de trouver la juste limite de démarcation qui existe entre la surveillance et l'administration des bois communaux.

Ainsi, M. le ministre de la justice a déclaré que pour tout ce qui concernait la disposition et la distribution des fruits des propriétés boisées des communes, c'était aux communes elles-mêmes à en décider.

Je prends acte de ces paroles, mais je voudrais alors qu'on en fît découler toutes les conséquences ; c'est ce qu'on ne fait pas. Ainsi, j'appelle distribution des fruits ou des coupes de bois communaux, le partage des bois d'affouage entre les habitants de la commune. Eh bien ! sur ce point, le projet limite le pouvoir du conseil, de manière à froisser d'anciens usages qu'il eût dû respecter. Il lui dit : Vous ne ferez le partage que de telle manière et non de telle autre, quoique la coutume ait établi celle-ci chez vous.

Certes, si M. le ministre de la justice a été de l'avis de la majorité de la commission, sous ce rapport, il n'a pas trop fait pour les communes.

Quant à la question des usagers, j'ai cherché à vous prouver hier, messieurs, que M. le ministre professe un système qui est contraire aux vrais principes et à la justice. A cet égard, je dois combattre le projet, et je ne suis pas seul de mon avis, puisque j'ai, pour mon opinion, à peu près tous ceux qui se sont occupés de cette question.

J'ai pour moi l'unanimité des deux chambres françaises, l'unanimité des membres de la commission gouvernementale, excepté M. le ministre de la justice, et quatre membres sur cinq, je pense, de la commission de la chambre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une question très peu importante, j'en dirai la raison.

M. Moncheur. - C'est sans doute à cette question que vous avez fait allusion, quand vous avez dit que je vous reprochais d'avoir trop fait en faveur des communes.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, c’est pour tout ce qui concerne les droits des usagers, car la question relative au cantonnement est une des moins importantes à mon point de vue.

M. Moncheur. - Je la considère, quant à moi, comme très importante, mais si vous n'êtes pas de cet avis, vous ferez d'autant plus facilement le sacrifice de votre opinion, et nous serons d'autant plus vite d'accord.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non ! C'est une question d'art.

M. Moncheur. - Messieurs, quant au point de savoir si le Code forestier doit ou non déterminer sur quelles bases doit avoir lieu l'évaluation du cantonnement, je crois que l'affirmative n'est pas douteuse, et qu'il faut adopter la disposition proposée par la commission gouvernementale, cette disposition serait parfaitement légitime et n'exercerait aucun effet rétroactif.

(page 563) Je n'insiste pas sur ce point à présent ; mais j'y reviendrai plus tard.

Messieurs. Je pense également, quoi qu'en ait dit M. le ministre, que la loi doit décider, en termes formels, que les usagers supportent une part des contributions foncières proportionnée à l'importance de leurs droits. La loi doit le faire pour tarir une source de procès.

La question est simple : c'est celle de savoir si le principe général du Code civil est applicable aux usagers des forêts, comme à tous ceux qui ent des droits d'usufruit, d'usage ordinaire ou d'habitation. Les uns prétendent que ce principe général ne leur est pas applicable, parce que le Code civil avait soustrait aux principes généraux tout ce qui concernait les bois et forêts, pour placer cette matière spéciale sous l'empire de lois ou règlements particuliers faits ou à faire, et que ces lois ou règlements particuliers sont muets sur ce point, de sorte qu'il y a lacune. D'autres pensent le contraire.

Dans ce conflit d'opinions, la jurisprudence a établi, je le sais, d'une manière assez positive que le principe général du Code civil doit être appliqué aux forêts comme à l'usager d'un champ, ou à celui qui a un droit d'habitation. Mais, tant que la loi ne se sera pas prononcée, la question pourra renaître et donner lieu à de nouveaux procès.

Comme c'est une question simple, la commission du gouvernement, présidée par un honorable magistrat de la cour de cassation, avait cru et je crois aussi, qu'il serait bon de la décider d'une manière formelle par la loi.

Messieurs, la distribution des fruits est un objet, dit M. le ministre de la justice, dont décident les communes. Cependant, dans le projet, on voudrait proscrire d'une manière absolue un mode de jouissance auquel les communes tiennent le plus, et qui peut, quand ce mode de jouissance est convenablement surveillé, produire de grands avantages ; je veux parler de l'essartage. Il y a des contrées où les essartages sont faits sans inconvénients, sans abus, sans détérioration pour les bois et où ils constituent une ressource considérable pour les habitants. Or, le projet du gouvernement voudrait abolir tous ces essartages, du moins si l'on s'en rapporte à l'exposé des motifs plutôt qu'aux termes de l'article 103, qui sont un peu ambigus sur ce point.

Votre commission vous propose de ne pas adopter cet article. J'appuie sa proposition, mais si on la rejetait, ce serait là encore un des points sur lesquels je trouverais que l'intérêt des communes n'aurait pas été suffisamment défendu.

M. Orts, rapporteur. - Je ne veux relever qu'une erreur échappée à l'honorable M. Moncheur, et qui en définitive est le seul exemple que l'on ait réussi à citer jusqu'à présent pour démontrer que le projet actuel enlève quelque chose aux communes quant à la libre disposition des produits réguliers et normaux de leurs bois.

L'honorable M. Moncheur a cité comme disposition restrictive l'article 47 du projet qui traite du choix à faire entre la vente des bois ou leur distribution en nature comme affouage.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, il s'agit de l'article 103.

M. Moncheur. - Et de l'article 49.

M. Orts. - Vous avez parlé de l'affouage et de l'essartage ensuite.

Quant à l'article 47, quant à l'affouage, je lis : « Les conseils communaux et les administrations des établissements publics décident si les coupes doivent être délivrées en nature, pour l'affouage des habitants et le service des établissements, ou si elles doivent être vendues, soit en partie, ou en totalité. Leur délibération sera soumise à l'approbation de la députation du conseil provincial. »

Eh bien, messieurs, voici le seul changement que la législation introduit. Aujourd'hui c'est la députation du conseil provincial qui seule fait tout, les communes n'interviennent pas. Nous donnons au contraire à la commune, dans l'article 47, le droit de déterminer librement le choix et nous n'admettons l'intervention de la députation permanente qu'en cas de réclamation d'un habitant, ce qui nous paraît parfaitement juste.

Plus loin, nous avons agi de même quant au second article, dont parlait tout à l'heure M. le ministre de la justice. Pour les essartages, le projet de loi, et l'exposé des motifs, et le rapport de la première commission, sont positifs ; pour les essartages on maintenait, dans le projet du gouvernement, ce qui existe maintenant, ce qui est toléré par les administrations provinciales qui ont exclusivement cet objet dans leurs attributions, et la commission législative a étendu davantage la part de l'administration, c'est-à-dire que nous avons encore une fois fait plus pour les communes que la législation existante.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la commission ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La discussion peut s'ouvrir sur le projet de la commission.

Titre premier. Du régime forestier

Articles premier et 2bis

« Article 1er. Sont soumis au régime forestier, et seront administrés conformément aux dispositions de la présente loi :

« 1° Les bois et forêts qui font partie du domaine de l'Etat ;

« 2° Les bois et forêts des communes, des sections de communes et des établissements publics, d'une contenance de cinq hectares au moins, ou situés à moins d'un kilomètre de bois soumis au régime ;

« 3° Les bois et forêts dans lesquels l'Etat, les communes ou les établissemenls publics ont des droits de propriété, indivis avec des particuliers.

« Le Roi peut néanmoins, à la demande des conseils communaux ou des administrations des établissements publics, et sur l'avis de l'administration forestière, soumettre au régime forestier les boqueteaux d'une contenance de moins de cinq hectares, et éloignés de plus d'un kilomètre des bois et forêts désignés au présent article. »

M. le ministre propose de supprimer le dernier paragraphe et de le remplacer par un article 2 bis ainsi conçu :

« Sont exceptés des dispositions de l'article premier les boqueteaux appartenant à des communes, à des sections de communes ou à des établissements publics, d'une contenance de moins de cinq hectares et situés à plus d'un kilomètre de bois soumis au régime forestier.

« Le Roi peut néanmoins soumettre ces boqueteaux à ce régime, à la demande des propriétaires et sur l'avis de l'administration forestière. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, le gouvernement avait proposé de déclarer, par le paragraphe 2 de cet article, que tous les bois et forêts des communes, des sections de communes et des établissements publics seraient soumis au régime forestier. Par le paragraphe dernier, il laissait au Roi le droit de soustraire à ce régime les boqueteaux d'une contenance de moins de cinq hectares et éloignés de plus d'un kilomètre de bois soumis au régime forestier. Il appartenait au Roi de décider si ces boqueteaux seraient ou non soumis au régime forestier.

La commission a pensé qu'il valait mieux maintenir le régime actuel qui consacre d'une manière générale l'exception, qui, d'après le dernier paragraphe, était laissée à la décision du Roi.

Admettant les raisons qu'a fait valoir votre commission, je propose un article 2 bis qui consacre sa manière de voir. Ma rédaction, je crois, vaut mieux que celle qui est proposée et qui laisse quelque doute, ou qui au moins est assez obscure. Ma rédaction déclare quels sont les bois qui sont soustraits au régime forestier.

L'article premier sera la règle ; l'article 2 sera l'exception.

Je propose donc de maintenir les quatre premiers paragraphes de l'article premier du gouvernement ainsi conçus :

« Sont soumis au régime forestier, et seront administrés conformément aux dispositions de la présente loi :

« 1° Les bois et forêts qui font partie du domaine de l'Etat ;

« 2° Les bois et forêts des communes, des sections de communes et des établissements publics ;

« 3° Les bois et forêts dans lesquels l'Etat, les communes et les établissements publics ont des droits de propriété, indivis avec des particuliers. »

Je propose de supprimer le cinqiuième paraggraphe et de faire un article 2bis conçu comme je l'ai indiqué.

M. Delfosse. - Je voulais faire observer que si la proposition de M. le ministre de la justice était admise, il faudrait faire disparaître du n°2° les mots qui se trouvent en italique. Mais nous sommes d'accord, puisque M. le ministre reprend les quatre premiers paragraphes de l'article du gouvernement. On peut admettre la rédaction de M. le ministre ; cependant la rédaction de la commission ne me paraît pas obscure.

Il y a, messieurs, un léger changement à faire au n°3°. Il faut dire : « ou les établissements. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, il faut dire : « ou ».

- La proposition de M. le ministre de la justice est adoptée.

Article 2

« Art. 2. Les bois appartenant aux particuliers ne sont point soumis au régime forestier, sauf aux propriétaires à se conformer à ce qui sera spécifié à leur égard dans la présente loi. »

- Adopté.

Titre II. De l'administration forestière

Articles 3 à 5

« Art. 3. L'organisation de l'administration forestière, le mode de nomination de ses agents et préposés, le taux des traitements, indemnités et frais seront réglés par le gouvernement, dans les limites tracées par les dispositions suivantes. »

- Adopté.


« Art. 4. Les agents forestiers sont nommés et révoqués par le Roi.

« Le ministre, sous l'autorité duquel est placée l'administration forestière, peut les suspendre pour le terme d'un an au plus.

« On entend, par agents, les employés du grade de garde général et au-dessus. »

- Adopté.


« Art. 5. Les brigadiers et gardes forestiers des bois de l'Etat et de ceux qu'il possède par indivis, sont nommés et révoqués par le ministre. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. Les gardes reconnus nécessaires à la surveillance des bois des communes et des établissements publics, sont nommés par le ministre, sur la présentation de deux candidats, faite par les conseils communaux, ou par l'administration de ces établissements, sur l'avis de la députation du conseil provincial et de l'administration forestière.

Si la députation juge que les candidats présentés ne réunissent pas les qualités nécessaires, elle y suppléera en ajoutant deux nouveaux candidats.

(page 564) « A défaut par les communes et établissements publics de présenter leurs candidats dans le mois de la vacance de l'emploi, la présentation sera faite par la députation permanente du conseil provincial, sur la demande de l'administration forestière, qui émettra également son avis sur les candidats présentés.

« Elle devra faire son rapport dans les trois mois de la vacance. Passé ce délai, le ministre pourra passer outre à la nomination sans présentation,

« Lorsque les gardes sont chargés de la surveillance des bois de plusieurs communes ou établissements publics, la présentation sera faite par chacune des administrations intéressées.

« Ces gardes peuvent être suspendus et révoqués par le ministre. La révocation ne sera prononcée que sur l'avis des conseils communaux ou des administrations intéressées. »

M. Orts, rapporteur. - Il y a une faute d'impressiou au paragraphe final : il faut dire : « Les gardes » au lieu de : « Ces gardes ».

M. Deliége. - Je propose par amendement de rédiger ainsi le quatrième paragraphe.

« Elle devra faire son rapport dans les trois mois de cette demande. »

Voici, messieurs, les motifs de cet amendement : le troisième paragraphe de l'article en discussion dit :

« A défaut par les communes et établissements publics de présenter leurs candidats dans le mois de la vacance de l'emploi, la présentation sera faite par la députation permanente du conseil provincial sur la demande de l'adminislralion forestière, qui émettra également son avis sur les candidats présentés. »

Le paragraphe 4 ajoute : « Elle devra faire son rapport dans les trois mois de la vacance. Passé ce délai, le ministre pourra passer outre à la nomination sans présentation, »

Si vous laissez le paragraphe 4 tel qu'il est proposé, la députation ne pourra faire sa présentation que sur la demande de l'administration forestière ; si cette administration ne fait aucune demande, le ministre pourra nommer, après les trois mois de la vacance, sans que la députation ait été appelée à exercer, sans qu'elle ait pu exercer le droit qui lui est conféré par le paragraphe 3.

C'est pour obvier à cet inconvénient que je propose de remplacer les mots « de la vacance » par les mots : « de cette demande ».

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne vois pas d'inconvénient à admettre la modification que propose l'honorable M. Deliége. Il était bien entendu que le délai ne pouvait courir que depuis que la vacance aurait été notifiée à la députation.

M. Delfosse. - On a changé l'ordre des paragraphes : le paragraphe 4 de la commission était le paragraphe 6 du projet du gouvernement ; il faut donc au lieu de « elle », dire : « la députation permanente ». Elle pourrait se rapporter à l'administration forestière.

M. Orban. - Je demanderai à M. le ministre à qui il appartient maintenant, d'après le projet de loi, de fixer le nombre de gardes nécessaire à la surveillance d'un bois communal.

- Plusieurs membres. - C'est dit dans l'article 7.

M. Orban. - Je crois que l'article 7 ne répond pas à la question que je soulève. L'article 6 décidait que la fixation du nombre de gardes nécessaire pour la surveillance d'un bois communal appartenait à l'administration forestière ; mais d'après la rédaction nouvelle on fait disparaître la mention de l'administration forestière et l'on se borne à parler du nombre de gardes reconnu nécessaire, sans dire quelle est l'autorité à laquelle il appartient de déclarer quel est ce nombre de gardes.

Maintenant l'article 7 dit :

« Dans le cas où les communes et les établissements publics se refuseraient à établir un nombre de gardes suffisant. »

Ainsi, messieurs, lorsqu'une commune se refusera à établir un nombre de gardes suffisant, il y sera pourvu par le gouvernement ; mais comment reconnaîtra-t-on qu'une commune se refuse à établir un nombre de gardes suffisant ? Il faut d'abord que le nombre ait été préalablement déterminé.

Vous ne pouvez pas dire que la commune est en demeure de remplir son obligation, si ses obligations n'ont pas été fixées, si ce nombre de gardes nécessaire n'a pas été déterminé préalablement.

C'est donc là un point à déterminer avant tout et qui doit l'être par l'article en discussion.

Il y a évidemment une lacune. Si, en supprimant la mention de l'administration forestière, vous avez voulu investir la commune de ce droit, il faut le déclarer, formellement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'avoue que je ne puis pas comprendre que l'observation de l'honorable M. Orban tombe sur un point essentiel. J'ai même beaucoup de peine à comprendre l'objection.

L'article 6 porte que les gardes reconnus nécessaires à la surveillance des bois des communes et des établissements publics sont nommés par le ministre, etc. L'article 7 dispose que dans le cas où les communes et les établissements publics se refuseraient à établir un nombre de gardes suffisants, le gouvernement statuera après avoir entendu... etc. Que résulte-t-il de la combinaison de ces deux articles ? C'est que le gouvernement indiquera, par exemple, pour chaque commune le nombre de gardes qu'il croira nécessaire et qu'il consultera les diverses autorités ; que si les communes ont pris l'initiative, et que le gouvernement juge que le nombre de gardes n'est pas suffisant, il fera ses observations aux communes et consultera l'administration forestière et la députation permanente.

Si le conseil communal admet les observations du gouvernement, accueille ses propositions sous ce rapport, le gouvernement établira le nombre de gardes qu'il avait indiqué ; si, au contraire, les communes déclarent que ce nombre dépasse les besoins, et que le gouvernement trouve que les communes ont tort, il décidera en dernière analyse quel est le nombre de gardes nécessaire.

Voilà ce qui résulte de l'économie du projet ; mais la commission a voulu exprimer d'une manière plus explicite, qu'il faudrait prendre l'avis du conseil communal, de l'administration forestière et de la députation permanente. Voilà ce que la commission a ajouté ; mais le fond du système reste le même.

M. Orts, rapporteur. - Je voulais présenter l'explication que vient de donner M. le ministre de la justice ; je pense qu'après cette explication, le sens de l'article doit être parfaitement clair.

M. Orban. - Messieurs, il résulte des explications données par M. le ministre de la justice qu'en dernière analyse le droit de fixer le nombre de gardes appartiendra au gouvernement. Mais il n'en est pas moins nécessaire de savoir à qui il appartient en premier lieu de fixer le nombre de gardes, puisque ce n'est en quelque sorte qu'en appel que le gouvernement statue lui-même. Si c'est à la commune que vous avez voulu l'attribuer, en le retirant à l'administration forestière, il faut l'exprimer.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, je croyais qu'après avoir entendu l'explication donnée par M. le ministre de la justice, on ne pouvait plus conserver le moindre doute sur le sens de l'article ; mais puisque l'honorable M. Orban insiste, je vais lui expliquer à mon tour ce qui, dans la pensée et de la commission et du gouvernement, se passera, en présence du cas que la disposition prévoit.

La commune ou l'administration forestière, lorsqu'il y aura des gardes à nommer, prendra l'initiative. Si l'administration forestière est plus vigilante que la commune, elle s'adressera à la commune et lui dira : « Vous avez besoin de deux gardes forestiers (par exemple) ; présentez des candidats. » Si, au contraire, la commune est plus vigilante que l'administration forestière, elle fera ses propositions au gouvernement.

Si maintenant devant cette initiative, dans l'un ou l'autre cas, il n'y a pas accord entre la commune et l'administration forestière, le gouvernement prend l'avis des corps indiqués dans l'article 7 et statue en dernier ressort. Je ne comprends pas qu'une difficulté soit possible.

Ou a supprimé dans le premier paragraphe de l'article 6 les mots : « Les gardes que l'administration forestière reconnaît nécessaires », pour y substituer ceux-ci : « Les gardes reconnus nécessaires », parce que la rédaction primitive paraissait à la commission exclure toute espèce d'intervention de la commune dans la reconnaissance du nombre de gardes nécessaire à la surveillance de ses bois. On n'y parlait que de l'administration forestière seule ; nous avons voulu donner une garantie de plus aux communes ; et ici, encore une fois, nous avons voulu, non pas amoindrir les droits des communes, mais les élargir.

Devant cette explication, je crois que l'honorable M. Orban doit maintenant être satisfait ; ou il est bien difficile à satisfaire.

M. Orban. - Messieurs, ce qui résulte des explications données par M. le ministre de la justice et par l'honorable rapporteur, c'est que le droit de fixer le nombre des gardes nécessaires à la surveillance des bois, qui était attribué par la loi française aux communes, et par le projet primitif du gouvernement, à l'administration forestière, ne l'est plus maintenant à personne.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, on perd de vue qu'il ne s'agit pas d'organiser une nouvelle administration forestière, qu'il en existe une actuellement. Or, quels sont les cas qui peuvent à l'avenir se présenter ? Que le gouvernement ou la commune trouve le nombre des gardes insuffisant ou trop nombreux. Dans l'un et l'autre cas, chaque administration pourra prendre l'initiative. L'administration forestière pourra consulter s'il faut réduire ou augmenter ; l'administration communale pourra proposer également de réduire ou d'augmenter ; quand surgira une semblable contestation, n'importe de quelle part, le gouvernement entendra les autorités indiquées et il statuera.

M. Delfosse. - L'honorable M. Orban s'est montré dans la discussion générale le chaleureux défenseur des communes ; maintenant que nous sommes aux articles, il combat une proposition de la commission, qui est favorable aux communes.

Pourquoi la commission a-t-elle fait disparaître quelques mots qui se trouvaient dans le projet du gouvernement ? Parce que ce projet consacrait l'omnipotence de l'administration forestière. C'était l'administration forestière qui fixait seule, sans même prendre l'avis de la commune, le nombre de gardes à nommer. Nous n'avons pas voulu de cette omnipotence, nous avons préféré le droit commun. D'après notre projet, le conseil communal délibérera sur le nombre de gardes à nommer ; mais le gouvernement décidera en dernier ressort.

Il y a une disposition de la loi communale qui porte que lorsqu'un conseil communal ne pourvoit pas, d'une manière suffisante, aux dépenses obligatoires, la dépense nécessaire est portée d'office au budget. C'est la marche qui sera suivie.

Nous avons, je le répète, voulu rester dans le droit commun ; nous (page 565) avons maintenu le système de la loi communale. Il est donc étrange que l’honorable M. Orban, qui s'est constitué le défenseur de cette loi, vienne se plaindre.

M. Orban. - Je n'ai nullement entendu blâmer la commission d'avoir attribué un droit nouveau à la commune ; au contraire, je lui en suis fort reconnaissant ; mais je voudrais qu'elle ne se fût pas bornée à vouloir ce droit pour la commune, et qu'elle l'eût écrit d'une manière expresse dans la loi.

- L'article est mis aux voix et adopté avec les changements de rédaction qu'on y a proposés.

Article 7

« Art. 7. Dans le cas où les communes et les établissements publics se refuseraient à établir un nombre de gardes suffisant, le gouvernement statuera après avoir entendu l'administration forestière, le conseil communal ou le corps intéressé, et pris l'avis de la dépulation perma nente du conseil provincial. »

- Adopté.

Article 8

« Art. 8. Le ministre, après avoir entendu les communes ou les établissements publics intéressés, décide s'il y a lieu de confier à un seul individu la surveillance d'un canton de bois appartenant à ces communes ou établissements et d'un canton de bois appartenant à l'Etat.

« Dans ce cas, la nomination appartient au ministre. »

M. Orban. - Il me semble que puisque la commission s'est montrée si libérale pour les communes dans l'article 7, elle aurait dû introduire une modification dans le même sens pour l'article 8 ; car, s'il y avait des motifs pour reconnaître à la commune l'aptitude nécessaire pour fixer le nombre de gardes indispensable à la surveillance de ses bois, il doit y avoir les mêmes motifs de lui reconnaître la faculté d'apprécier les cas où il serait utile et convenable de réunir sous le rapport de la surveillance les bois communaux aux bois de l'Etat. La chose est d'autant plus essentielle que dans le cas dont il s'agit, lorsque la réunion des bois communaux avec les forêts de l'Etat aura été décidée, la commune se trouvera entièrement dépouillée de toute intervention dans la nomination des gardes préposés à la surveillance commune.

Pour les bois réunis des communes et du gouvernement, les gardes chargés de la surveillance sont nommés exclusivement par le ministre, sans même que les conseils communaux aient le droit de présenter des candidats. Je pense que l'on aurait dû, par analogie, et à plus forte raison, attribuer aux conseils communaux les mêmes droits que ceux qui leur sont dévolus par l'article 7.

M. Lelièvre. - Je pense que, pour satisfaire à l'observation de l'honorable M. Orban, il suffirait d'exiger qu'on prît l'avis de la dépulation du conseil provincial, comme dans le cas de l'article 7. En conséquence je propose par amendement de dire : « Et sur l'avis de la députation ». De cette manière les communes et les établissements publics auront une garantie dans l'avis de la députation que le ministre devra demander préalablement.

M. le président. - M. Lelièvre propose d'ajouter, après « avoir entendu... » « et la députation du conseil provincial. »

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, la commission a été parfaitement conséquente avec son système en proposant l'article 8. En effet, qu'a-t-on voulu à l'article 7, quand il s'agit de déterminer le nombre des gardes qu'on croit nécessaire à la surveillance des bois communaux ? On a exigé et le gouvernement a accordé l'avis, l'intervention de la commune et de l'établissement public propriétaire.

Dans l'article 8 le gouvernement proposait l'avis préalable des communes et des établissements publics, pour la réunion de bois appartenant aux communes et aux établissements publics, sous une même et unique surveillance.

Nous avons uni dans les deux articles, ce que nous trouvions uni dans un seul.

Les deux articles sont parfaitement d'accord ; ils ne présentent rien d'illogique.

L'honorable M. Orban était dans l'erreur quand il croyait que l'esprit qui a dicté l'un, contrarie l'esprit qui a dicté l'autre. Je ne verrais pas d'inconvénient à faire encore intervenir ici la députation, mais si vous renvoyez à son avis préalable des objets d'une aussi minime importance, si vous lui renvoyez tout, vous allez donner à ces corps un surcroît de travail qui n'est pas désirable dans l'intérêt de la bonne administration et de la prompte expédition des affaires.

Nous n'avons pas cru convenable de renvoyer à l'avis de la députation l'objet de l'article 8, parce que déjà l'article 8 donnait une garantie supérieure à l'état de choses existant. Depuis l'an IX de la Republique, de l'ancienne, les choses se passent de la manière suivante : L'administration décide seule, sans prendre l'avis de personne, s'il y a lieu de réunir un bois communal ou d'établissement public, pour l'administration et la surveillance, aux bois de l'Etat.

Jamais aucune commune n'a réclamé contre de pareilles décisions. Elles ont amené la réunion de 51 triages de bois. Si l'on désire faire intervenir une fois de plus la députation, je n'y vois pas d'autre inconvénient que celui de surcharger ces corps de détails destinés à absorber un temps qui peut être mieux employé.

M. Delfosse. - Je trouve qu'il y a d'autant moins d'inconvénient de faire droit à la demande de M. Orban, que le cas se présentera rare-ment, cela ne donnera pas beaucoup de travail à la députation.

M. David. - J'ai à proposer un léger changement de rédaction. Au lieu de : « un seul individu », je propose de dire : « un seul garde.»

- L'article 8 est mis aux voix et adopté avec les deux amendements proposés.

Articles 9 et 10

« Art. 9. Nul ne peut exercer un emploi forestier s'il n'est âgé de vingt-cinq ans.

« Néanmoins le Roi peut, dans des cas particuliers, accorder des dispenses d'âge à ceux qui ont accompli leur vingt et unième année. »

- Adopté.


« Art. 10. Les agents et préposés de l'administration forestière ne pourront entrer en fonctions qu'après avoir prêté serment devant le tribunal de première instance de leur résidence, et avoir fait enregistrer leur commission et l'acte de prestation de leur serment au greffe des tribunaux dans le ressort desquels ils doivent exercer leurs fonctions.

« Dans le cas d'un changement de résidence, qui les placerait dans un autre ressort, en la même qualité, il n'y aura pas lieu à une nouvelle prestation de serment. Mais la commission et l'acte de prestation de serment seront enregistrés sans frais au greffe des tribunaux de leur nouveau ressort. »

- Adopté.

Article 11

« Art. 11. Les gardes des bois des communes et des établissements publics sont en tout assimilés aux gardes des bois de l'Etat et soumis à l'autorité des mêmes agents. »

M. Coomans. - Je demande la parole pour faire observer que, dans certains articles, on se sert des mots « bois et forêts », tandis que dans d'autres on se sert du mot « bois » seulement.

- Plusieurs voix. - C'est la même chose !

M. Coomans. - Je voudrais savoir s'il est bien entendu que le mot « forêt » est synonyme de « bois ». Ainsi dans l'article 11 on ne parle que de bois, à l'article 12 « de bois et forêts », à l'article 19 de « bois » seulement ainsi qu'à l'article 21. Si le mot « forêt » est inutile dans un article, il l'est également dans les autres. C'est une simple remarque que j'ai voulu faire.

- L'article 11 est adopté.

Article 12

« Art. 12. Les gardes des bois et forêts, soumis au régime forestier, ont qualité pour constater les délits commis dans les bois des particuliers, lorsqu'ils en sont requis par les propriétaires. »

M. Orban. - Je me demande si l'article 12, tel qu'il est rédigé, implique pour le propriétaire de bois le droit de requérir l'intervention d'un garde de l'Etat pour la constatation des délits commis dans ses propres bois. C'est là une induction qu'on peut tirer de l'article tel qu'il est rédigé.

Si telle est l'intention qu'on a eue, je demanderai s'il est juste, s'il est convenable que les particuliers aient le droit de requérir l'intervention des gardes des bois de la commune ou de l'Etat pour constater des délits commis dans des bois particuliers. Je ne pense pas que cela puisse être, Les particuliers ont leurs gardes comme les communes et l'Etat. Les bois particuliers sont en très grand nombre. Si le droit de requérir les gardes de l'Etat pour la constatation d'un délit appartient à uu propriétaire, il n'y a pas de raison pour qu'il n'appartienne à dix, et alors on conçoit que la surveillance des bois de l'Etat et des communes puisse se trouver compromise.

C'est probablement par ce motif que, dans la législation française, ce paragraphe qui se trouvait dans la législation antérieure n'a pas été reproduit.

Il y a une deuxième partie de la disposition sur laquelle je ferai une observation. C'est celle-ci : « lorsqu'ils en sont requis par les propriétaires. » Je pense que cette faculté doit, au contraire, être accordée aux gardes dans tous les cas possibles, et surtout pour la constatation des délits, pour lesquels le propriétaire n'a fait aucune réquisition ; par exemple des délits de chasse ou de port d'armes commis dans un bois particulier.

Evidemment ce ne sera pas le propriétaire qui requerra la constatation de ces délits, et cependant le garde doit avoir le droit de les constater.

M. Lelièvre. - Je désirerais savoir si l'article 12 est limitatif, c'est-à-dire si les gardes des bois et forêts soumis au régime forestier n'ont qualité que pour constater les délits commis dans les bois des particuliers. En conséquence je demande si ces gardes pourront également constater les délits portant atteinte aux propriétés rurales. Il est nécessaire de bien préciser les attributions des fonctionnaires qui instrumenteront en exécution de la présente loi afin qu'on ne puisse élever aucune contestation à cet égard.

Si les attributions des gardes étaient restreintes aux délits commis dans les bois, je désire savoir s'ils auront droit de constater tous délits quelconques commis dans les bois, par exemple les délits de chasse qui ne sont qu'une atteinte portée à la propriété envisagée comme propriété rurale ; ou bien les gardes auront-ils le droit de constater seulement les délits portant atteinte à la propriété en tant que boisée ? Il est indispensable que l'intention de la loi soit nettement exprimée pour éviter des débats sur la valeur des procès verbaux. C'est dans ce but que je demande à M. le ministre ou au rapporteur des explications claires et précises.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Orban a demandé d'abord si chaque particulier aura le droit de requérir les gardes des bois et forêts soumis au régime forestier, pour constater les délits qui auraient été commis dans ses propriétés. Tels ne sont ni le texle, ni l'esprit de l'article 12, qui se borne à déclarer que les gardes auront qualité pour constater ces délits. Il n'est pas dit qu'ils seront tenus d'obtempérer à la réquisition des propriétaires.

(page 566) Je conviens que si chaque propriétaire avait le droit de requérir les gardrs des bois et forêts soumis au régime forestier, ils seraient constamment distraits de leurs fonctions pour surveiller des propriétés particulières.

La question de savoir si les gardes peuvent constater d'autres délits que des délits forestiers, se trouve résolue par le Code d'instruction criminelle, qui les range parmi les officiers de police judiciaire.

Quant à la question de savoir si les gardes ont qualité pour dresser des procès-verbaux de délits de chasse dans une propriété particulière, il faut distinguer. Si c'est un délit de port d'armes, le garde peut évidemment le constater, en sa qualité d'officier de police judiciaire. Mais s'il s'agit d'un simple délit de chasse, consistant à avoir chassé sur les terres d'autrui sans la permission du propriétaire, le garde ne peut le constater d'office ; car ce délit n'existe que quand le propriétaire porte lui-même plainte. Il faut donc maintenir les mots : « lorsqu'ils en sont requis par les propriétaires. »

M. Cools. - Je veux faire une simple observation.

Il me semble que s'il est un individu intéressé à la répression des délits, c'est bien le propriétaire, pour les délits commis sur sa propriété.

M. Coomans. - Surtout pour ces délits.

M. Cools. - Soit !

M. le ministre de la justice dit qu'ils n'ont pas qualité pour constater ces délits.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai dit le contraire.

M. Cools. - J'admets qu'on leur donne qualité. Mais pourquoi ajouter : « lorsqu'ils en sont requis par les propriétaires » puisqu'ils ne doivent pas obtempérer à la réquisition des propriétaires ? Ces mots me semblent donc parfaitement inutiles, et j'en demande la suppression.

M. Orban. - Je conçois en effet difficilement qu'un garde constate des délits, lorsqu'il en est requis, si l'on n'admet pas le droit de requérir. Le mot « requérir » semble impliquer le droit de réclamer l'intervention du garde. Comme nous sommes d'accord en principe avec M. le ministre de la justice, il devrait se prêter à une modification de l'article. Il ne serait pas possible de supprimer le dernier membre de phrase, puisque certains faits ne prennent le caractère de délit que par la plainte du propriétaire. Mais je crois qu'il est nécessaire de modifier les expressions finales pour que l'on ne puisse pas en induire le droit, pour les particuliers, d'employer en quelque sorte les gardes de l'Etat à leur service.

M. Orts, rapporteur. - Je crois que nous touchons à toute autre chose que l'objet spécial qui nous occupe, si nous devons modifier les termes de cet article.

En effet, il semblerait, d'après les opinions qui viennent d'être émises que les gardes forestiers auraient dans leurs attributions la recherche, non seulement des délits forestiers, mais de tous les délits portant atteinte à la propriété foncière ou rurale sans distinction de territoire.

Or, c'est là une question très grave, objet de controverses sérieuses, se rattachant non au Code forestier, mais à l'article 16 du Code d'instruction criminelle.

L'article en discussion est le maintien de la législation existante, qui a en sa faveur cinquante années d'expérience, sans réclamation contre les attributions données aux gardes.

Je comprends l'article en ce sens qu'un garde forestier est requis par un propriétaire de bois, à l'effet de constater un délit, que son garde particulier pourrait constater, mais ce garde se trouve par accident empêché de constater le délit au moment où il est perpétré. Le garde forestier de l'Etat ou des communes pourra, dans ces circonstances, s'il le veut bien, s'il trouve que cela ne nuit pas à son service, rendre un bon office à la propriété privée, dans la limite de la surveillance de la propriété forestière.

Vous iriez, je pense, en décidant autre chose jusqu'à modifier les dispositions de l'article 16 du Code d'instruction criminelle. La police forestière est confiée à des officiers de police spéciaux qui sont les agents forestiers ; leur compétence et leur pouvoir ne s'étendent qu'au territoire pour lequel ils sont assermentés, et à la nature de délits qu'ils ont spécialement mission de surveiller et de poursuivre.

Je pense donc que le plus prudent est de rester dans les limites de la législation actuelle. Quand nous nous occuperons de la révision du Code d'instruction criminelle, nous pourrons examiner à fond la question qui a été soulevée.

M. Moncheur. - La pensée qui a dicté l'article 12 est très sage. Il est bon que les gardes forestiers aient qualité pour constater les délits commis dans les bois des particuliers. Mais je voudrais savoir si le finale de cet article « lorsqu'ils en sont requis par le propriétaire » peut donner la faculté aux propriétaires de faire une réquisition générale ; si dans le cas où un propriétaire aurait donné à un garde une commission verbale, ou aurait demandé à un garde de bois et forêts de l'Etat de veiller à ses bois, cela donnerait au garde aussi, d'une manière générale, qualité pour faire des procès-verbaux.

M. Lelièvre. - Il résulte des explications données par M. le ministre et M. le rapporteur qa'iîs ne sont pas d'accord sur l'étendue des attributions régîlées par notre article. Suivant M. le ministre, le garde forestier peut même constater les délits ruraux ; suivant le rapporteur, il ne peut constater que les délits forestiers. Ce doute ne peut subsister ; en effet, au moment où nous conférons aux gardes forestiers des bois soumis au régime forestier les nouvelles attributions énoncées en notre article, il est essentiel de déterminer leur portée afin qu’il ne puisse s’élever aucune difficulté à cet égard.

Il n'est pas possible qu'un législateur prudent adopte une disposition équivoque qui permettra immédiatement après la mise à exécution de la loi d'élever des difficultés sur son esprit et son interprétation. Il est donc indispensable de déterminer clairement le sens de l'article. Dans le cas qui nous occupe, les gardes pourront-ils constater des délits portant atteinte aux bois en tant que propriété rurale, par exemple, un délit de chasse ? Il ne peut convenir à un législateur prudent de laisser indécise une pareille question en présence de la disposition de notre article sous peine de voir surgir des difficultés sérieuses sur son œuvre et sur la qualité de fonctionnaires dont les attributions doivent être nettement tracées par les considérations les plus puissantes d'ordre public.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, si l'honorable M. Lelièvre voulait bien lire l'article qui est en discussion, il verrait qu'il n'y a sous ce rapport aucune espèce de doute, que nous n'entendons pas le moins du monde décider par cet article la question de savoir si le garde forestier pourra verbaliser pour des délits commis sur des propriétés rurales.

Que porte l'article 12 ? « Les gardes des bois et forêts soumis au régime forestier ont qualité pour constater les délits commis dans les bois des particuliers lorsqu'ils en sont requis par les propriétaires. »

M. Lelièvre. - Pourra t-il constater un délit de chasse dans les bois des particuliers ? Voilà ce que je demande et ce qui exige une solution.

M. Orts. - Il pourra faire sur réquisition dans le bois du particulier, ce qu'il peut faire d'office dans les bois soumis au régime forestier.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous ne touchons en rien à l'article 16 du Code d'instruction criminelle ; nous le laissons intact : nous ne voulons pas trancher la question de savoir quel est le droit que laisse cet article aux officiers de police judiciaire. Mais nous maintenons la disposition qui existe et qui donne au garde qualité pour constater un délit dans un bois particulier lorsqu'il en est requis par le propriétaire.

Comme le disait l'honorable M. Orts, il se peut que le garde d'un propriétaire soit empêché, soit absent, qu'un délit se commette et que le propriétaire veuille le faire constater immédiatement, en faire faire la recherche. Eh bien, si le service du garde le permet, il pourra le faire.

L'honorable M. Moncheur nous a demandé si l'on pourrait donner une réquisition générale. Messieurs, il est assez difficile de répondre à cette question. Si vous entendez par cette réquisition générale faire du garde de l'Etat un garde particulier, je vous dirai non, parce qu'il y a des dispositions qui ne permettent à un garde forestier de l'Etat d'être garde particulier que pour autant que cela soit approuvé par l'administration supérieure. Ainsi vous ne pouvez, par la réquisition générale que vous donneriez, échapper à d'autres dispositions de la loi.

Je ne pense donc pas que cette réquisition générale qui ferait du garde de l'Etat un garde particulier, puisse être donnée. Tel n'est pas le sens de l'article. Le sens de l'article, je le répète, c'est de donner au garde de l'Etat la faculté, au propriétaire la facilité, lorsqu'il sera d'accord avec le garde, de constater un délit qui ne pourrait être constaté par le garde particulier.

M. Thibaut. - Il me reste encore des doutes sur la véritable portée de l'article 12. Je voudrais savoir, par exemple, si le procès-verbal rédigé par un garde forestier sur une propriété particulière, serait considéré comme nul ou non valable, s'il n'était pas prouvé qu'il y a eu réquisition du propriétaire. Le garde doit-il mettre sur son procès-verbal qu'il a été requis par le propriétaire de dresser procès-verbal ou de faire des recherches, et ce, sous nullité du procès-verbal ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si le propriétaire ne donne pas suite au procès-verbal, tout sera dit. Mais il en sera autrement s'il y donne suite.

M. Orts, rapporteur. - Cette difficulté n'en est pas une. Si le procès verbal existe et si le propriétaire intente des poursuites, le procès-verbal à la main, ou laisse intenter des poursuites sans s'y opposer, il y a une présomption évidente que la réquisition a été faite, que la poursuite a lieu dans son intérêt et avec son consentement, et je ne crois pas que le délinquant ait le moindre droit à se plaindre de la marche suivie dans ce cas. Si le propriétaire s'oppose à la poursuite, tout tombe et la difficulté ne peut se présenter.

- La discussion est close.

L'article 12 est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures et demie.