(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 405) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 11 heures et demie.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance de mercredi ; la rédaction en est approuvée.
M. Vermeire présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Plusieurs négociants et industriels de l'arrondissement de Charleroy prient la chambre de donner son assentiment au traité de commerce conclu avec les Pays-Bas. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du traité.
« Quelques armateurs et pécheurs à Blankenberghe prient la chambre de ne pas approuver le traité de commerce conclu avec les Pays-Bas.»
- Même renvoi.
« La chambre de commerce et des fabriques de Louvain prie la chambre de ne pas approuver les stipulations du traité de commerce conclu avec l'Angleterre relatives à l'assimilation du sel de source avec le sel brut. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le traité.
M. de Breyne, obligé de s'absenter pour affaires de famille, demande un congé.
M. de Haerne. - Messieurs, avant de prendre la parole dans ce débat important, je désire faire connaître ma position et mes antécédents, par rapport aux traités pris en général.
Je n'ai voté contre aucun traité présenté précédemment, depuis le trailé conclu avec la France, jusqu'au traité conclu avec le Zollverein, contre lequel cependant un grand nombre de mes honorables collègues de la Flandre s'étaient élevés, et qu'ils ont repoussé par leur vote. J'ai accepté également le traité conclu avec la Sardaigne.
Je dois le dire, messieurs, il me répugne, au point de vue politique, sutoul dans certaines circonstances, de voter contre une convention de commerce.
Si je viens donc m'élever contre le traité soumis à vos délibérations, c'est parce que j'ai la conviction intime, que la part qu'on nous y fait n'est pas proportionnée aux sacrifices que nous faisons.
Cependant je vous avoue que j'éprouve une certaine peine à repousser le traité par un vote négatif. Peut-être même m'abstiendrai-je. Toutefois je dois avouer que plus j'étudie le traité, plus je suis porté à le rejeter.
Pour justifier cette opinion, la chambre me permettra d'entrer dans quelques détails.
Je ne parlerai pas, quoique je puisse dire que certaines allusions pourraient m'y autoriser, de la position dans laquelle je me trouve vis-à-vis de la Flandre, vis à-vis de mon district. Je crois qu'à cet égard, d'après l'opinion presque générale chez nous, il y a à peu près balance entre les intérêts engagés dans la convention hollando-belge.
Le public s'attache aux faits présents, nous devons de plus envisager les principes, l'avenir.
Toutefois, messieurs, s'il fallait m'élever, au point de vue de l'intérêt général, contre les intérêts de localité, je ne balancerais pas à le faire et mes antécédents sont là qui le prouvent. On m'a reproché dans le temps, même sur ces bancs, de ne pas avoir assez tenu compte des intérêts de ma localité dans certaines questions qui s'étaient présentées, entre autres dans la question du droit sur les étoupes.
J'ai répondu à ce reproche que je prenais au sérieux mon mandat de représentant de la nation tout entière. Oui, messieurs, il faut qu'il y ait solidarité entre les intérêts des diverses localités ; c'est à ce prix seul que la nationalité belge peut exister. Il faut qu'on se fasse, au besoin, des sacrifices mutuels ; sans cela, adieu l'indépendance du pays !
Je suis encore le même aujourd'hui, messieurs, et je juge le traité dans ses rapports généraux avec les grands intérêts du pays.
Pour bien apprécier le traité qui nous est soumis, il ne suffit pas, messieurs, de placer d'un côté les avantages et de l'autre les sacrifices ; il faut encore, selon moi, examiner les effets qu'a produits le traité de 1846, et voir si ces effets ont été assez grands pour que nous eussions pu faire les sacrifices que nous avions faits en 1846, si nous avions pu prévoir les résultats obtenus. J'ai voté pour le traité de 1846, mais si les résultats n'ont pas répondu à mon attente, il est évident que je ne pourrais plus voter ce traité de nouveau, s'il nous était présenté dans les mêmes conditions.
Eh bien, messieurs, quand j'examine d'un côté le traité de 1846 et quand je le compare de l'autre au mouvement ascensionnel général de notre industrie, de notre commerce, je dois le dire, les résultais de ce traité n'ont pas répondu à mon attente. En effet, messieurs, comme le gouvernement l'a constaté dans l'exposé des motifs et dans les annexes, il y a un accroissement dans les exportations de Belgique en Hollande depuis le traité, et, je l'avoue, cette augmentation a été très notable ; mais là n'est pas la question : on doit voir quel était déjà, avant la conclusion du traité, le mouvement progressif, le mouvement d'expansion de la prospérité belge, et l'on doit voir si alors même que le traité n'aurait pas été fait, nos exportations en Hollande n'eussent pas été en croissant et jusqu'à quel point elles auraient pu s'accroître.
Je crois, messieurs, que le traité nous a été favorable, mais je crois qu'on en exagère les avantages, puisque d'année en année nous faisions des progrès dans nos exportations vers la Hollande, avant 1846.
Permettez-moi, messieurs, de vous citer à cet égard quelques chiffres. Je pourrai vous faire voir par les documents que le gouvernement lui-même a fournis, que la progression depuis 1842 jusqu'en 1845 a été très notable. Je dirai même que l'année 1845, pour certains produits, a été plus importante que l'année 1850.
Ainsi l'année 1845 a donné lieu, pour les colonnades, à une exportation de 8,600,000 francs, tandis qu'en 1850 nous n'avons exporté que pour 8,111,000 fr.
M. Manilius. - Les valeurs ont changé.
M. de Haerne. - La proportion est la même, quant au poids. En 1845, l'exportation a été de 770,061 kilog. ; en 1850, de 731,194 kilogrammes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Il faudrait prendre la moyenne.
M. le président. - N'interrompez pas.
M. de Haerne. - En ce qui me concerne, ces interruptions me plaisent, parce qu'elles tendent à s'éclairer, mais je conviens qu'au point de vue de la chambre M. le président a raison.
Je dis donc, messieurs que l'accroissement a été notable d'année en année, avant la conclusion du traité ; mais comme le fait observer M. le ministre des affaires étrangères, il faut voir la moyenne, il faut voir les résultats généraux. Eh bien, je vais les examiner à l'instant.
Les résultats de nos exportations en Hollande pendant les années 1842, 1843, 1844 et 1845, ont été, en moyenne, de 26,675,300 fr. En 1847, en 1849, en 1850 et j'omets à dessein l'année anormale de 1848, la moyenne de nos exportations a été de 37,858,000 fr. Il y a eu 41 p. c. d'augmentation dans nos exportations vers la Hollande.
Mais quelle a été notre exportation générale, tant dans la première que dans la seconde période ? Pendant la première période, notre exportation générale vers tous les pays, a été de 151,991,000 francs ; pendant la seconde période, elle a été de 231,251,000 francs, augmentation 53 p. c. Ainsi nos exportations générales ont augmenté de 53 p. c, tandis que les exportations vers la Hollande, malgré le traité, n'ont augmenté que de 41 p. c.
Si maintenant nous examinons nos exportations directes, nos exportations favorisées par les droits différentiels dans les pays transatlantiques, nous trouvons une augmentation plus sensible encore.
Les pays hors d'Europe et le Levant ont donné lieu, pendant la première période, à une exportation de Belgique, de 9,495,000 francs, et pendant la seconde période, à une exportation de 27,257,000 francs ; augmentation, grâce en grande partie à nos droits différentiels, 180 p. c. C'est là l'effet de cette expansion générale de l'esprit industriel de la Belgique que je constatais tout à l'heure.
Ces chiffres démontrent que, même sans le traité, il y aurait eu un progrès notable dans nos exportations vers la Hollande.
Ceci s'explique assez naturellement quand on fait attention aux droits peu élevés de douane qui existent en Hollande.
Vous pourriez douter peut-être de la progression que j'ai indiquée tout à l'heure. Eh bien, voici des détails : (tableau non repris dans la présente version numérisée).
Les chifires, depuis le traité de 1846, sont inférieurs à celui de l'année 1845.
Quant à la progression d'année en année, avant le traité, elle est à peu près la même pour les toiles et d'autres tissus encore.
J'avoue que, dans la seconde période, le chiffre total de nos exportations est beaucoup plus fort ; mais dans la première période, la progression annuelle est beaucoup plus considérable pour certains produits.
J'ai voté pour le traité de 1846, malgré les sacrifices qu'il nous imposait. Maintenant que nous connaissons les résultats de ce traité, et quand nous les comparons aux résultats généraux obtenus dans les exportations de Belgique, je ne sais si je devrais encore voter pour le même traité.
A plus forte raison, je ne puis pas accepter le traité qui vous est soumis. Il me serait impossible de trouver, dans les avantages qui nous sont faits, uue compensation aux sacrifices qu'on nous impose ; je ne pourrais (page 406) pas accepter ces avantages, en compromettant de la manière dont on le fait, nos relations directes, relations qui se sont accrues non pas de 41 p. c. mais de 180 p. c. J’entends dire souvent dans cette chambre et en dehors, que les droits différentiels ne sont pas la seule cause des exportations directes ; mais je réponds que le traé de 1846 n'a pas été non plus la seule cause de nos exportations en Hollande ; cependant d'un côté je trouve 41 et de l'autre 180 p. c. d'augmentation.
Permettez-moi, messieurs, d'entrer dans quelques détails quant au traité soumis à vos délibérations. Il nous impose le sacrifice d'une grande partie de nos droits différentiels, le sacrifice qui résulte du transit du bétail et d'autres articles ; il nous promet moins que le précédent traité sous le rapport de l'industrie, puisqu'il nous prive de toute garantie quant à la position privilégiée sur le marché hollandais.
Quant au commerce, il nous fait des promesses, des faveurs qui sont illusoires devant le système colonial de la Hollande, auquel on n'a pas assez réfléchi et sur lequel s'appuie la marine hollandaise ; les opérations de la marine sont complexes, elles comprennent et l'aller et le retour. Si la Hollande conserve à sa marine un avantage de 50 p. c. sur les droits de douane pour ses exportations vers ses colonies, cet avantage doit se faire sentir dans les retours, et la concurrence, pour ceux qui ne jouissent pas du même avantage, devient impossible avec son pavillon.
Par ces raisons, le traité paraît beaucoup moins acceptable que le précédent.
Permettez-moi de répondre à une objection qui a été faite quant à l'industrie. On a dit : De deux choses l'une : si vous n'acceptez pas le traité, ou vous aurez le droit commun, ou vous aurez des représailles. En cas de représailles, système fâcheux qu'il faut éviter autant que possible, nous avons les mêmes armes. Quant au droit commun, si l'expérience démontrait qu'il n'est pas suffisant pour maintenir l'exportation de nos produits à un taux normal, On pourrait recourir au moyen dont a fait usage le ministère quand il à vu nos exportations s'abaisser, moyen auquel j'ai applaudi avec tout le pays ; je veux parler du système des primes momentanées ; vous auriez un avantage de plus de 800,000 fr.,' qui nous reviendraient par suite de l'augmentation de recettes sur les produits provenant de la Hollande.
C'est un système momentané ; mais on l'a fort applaudi en d'autres circonstances, en 1848 et en 1849. Ce système ne serait pas onéreux, les 8 à 900,000 fr. reçus en plus en feraient les frais. Le sacrifice que nous faisons des droits différentiels demande à être bien examiné.
Que M. le ministre me permette ici de rectifier une inexactitude dans laquelle il est tombé involontairement.
Il a cité le nom d'un de mes meilleurs amis, d'un ami défunt, il n'a pas été impartial à son égard.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - J'estimais beaucoup M. l'abbé de Foere.
M. de Haerne. - Vous avez dit d'abord que M.de Foere s'était mis à la tête de ce mouvement, qu'il avait donné l'impulsion. C'est son éloge à mes yeux.
Mais ensuite vous avez fait entendre que le ministère d'alors n'a fait que suivre la voie qui lui était indiquée par mon honorabler ami. Or, messieurs, cette question des droits différentiels a fait l'objet d'un examen extrêmement approfondi, d'une enquête poursuivie dans tout le pays. Cette enquête a été faite non seulement auprès des corps constitués, mais auprès de particuliers qu'on a convoqués dans les principales villes commerciales du pays ; presque partout on'a demandé l'établissement des droits différentiels.
Voilà ce qu'il aurait fallu ajouter : c'est que c'était le système proclamé par tout le pays... (interruption), par tout le pays à quelques exceptions près. Je citerai toutes les chambres de commerce à l'exception de deux, et la chambre de commerce de Côurtray entre autres a été unanime à cet égard.
Les industriels qui ont figuré dans cette circonstance ont été presque unanimes dans le pays pour demander les droits différentiels. On pouvait différer quant à l'application, quant à l'élévation des chiffres, quant à certaines bases, à certaines catégories ; mais pour le fond, tout le monde, on peut le dire, voulait l'établissement des droits différentiels.
MaedH-. - Voulez-vous me permettre une explication sur l'incident ?
M. de Haerne. - Volontiers.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je regretterais extrêmement d'avoir dit quelque chose qui pût faire tort à la mémoire d'nn homme que je respectais beaucoup, de l'honorable abbé de Foere. Mais voici ce que j'ai dit :
J'ai dit que l'auteur ou le promoteur du système des droits différentiels était M. l'abbé de Foere. Je crois que c'est là un fait incontestable.
J'ai dit ensuite que puisqu'il en était l'auteur et le promoteur, le ministre n'en avait été que l'éditeur. Je crois que c'est là un fait vrai : ce n'est pas le ministère de cette époque qui a été le promoteur des droits différentiels dans le pays.
J'ai ajouté encore que si l'honorable M. de Foere avait connu les changements qui ont été apportés dans les législations anglaise et néerlandaise, il est probable qu'il n'eût pas persisté dans son système.
Je n’en ai pas dit davantage. Par conséquent, je ne puis pas admettre que j'aie été inexact ou que j'aie dit un seul mot qui peut porter atteinte à la méimore de l'honorable abbé de Foere.
M. de Haerne. - Je répondrai immédiatement à ce que vient de dire M. le ministre, quant à l'opinion de mon honorable ami défunt sur les modifications du « Navigation act », et sur les conséuences qui en résulteraient pour nous.
Je puis assurer M. le ministre qu'il se trompe ; M. de Foere m'a dit, depuis l’établissement du nouveau système en Angleterre, que ce changement ne devait pas nous empêcher de maintenir notre système, parce que nous étions dans une position toute différente. Voilà quel était le fond de son opinion.
Je n'admets pas que l'ancien ministère n'ait été que l'éditeur du système des droits différentiels. Il a présenté le système. Il a différé avec mon honorable ami sur certaines conséquences, sur l'application de certains principes ; mais au fond il était d'accord avec lui ainsi que la chambre de commerce d'Anvers qui avait un système différent encore de celui du ministère et de l'honorable M. de Foere. Mais enfin on a fini par s'entendre.
Messieurs, en fait de droits différentiels, il faut dire qu'il n'y a rien de systématique chez les nations, comme en général en matière d'industrie, les nations ne font pas de théorie. On peut afficher des théories, imaginer des républiques de Platon en cette matière comme en toute autre ; mais ce n'est pas ainsi qu'agissent les nations. En géuéral, les nations procèdent d'après les faits.
Ainsi donc, les droits différentiels sous ce rapport suivent les destinées des pays divers, les destinées traditionnelles, les destinées historiques qui leur sont tracées d'après leur position géographique et' les circonstances diverses au milieu desquelles chaque pays se trouve placé.
Voilà comment les droits différentiels ont été établis chez les diverses nations.
On nous dit : Les villes hanséatiques, les villes du Nord n'ont pas les droits différentiels. Cela n'est pas étonnant. Non, elles n'ont pas de droits différentiels sérieux ; mais leur système protecteur n'en est pas moins réel. Pourquoi ces villes s'attachent-elles peu à la protection maritime. ? Parce que leur marine n'a pas besoin d'être protégée. Le bois y est pour rien ; la main-d'œuvre y coûte peu de chose ; les vivres pour les équipages sont à très bon marché, leur position est excellente pour la navigation. L'expérience a démontré, que pour ces villes du Nord, comme pour les villes d'Amérique, la protection du pavillon n'était pas nécessaire. Voilà pourquoi on n'a pas suivi, quant au système de la protection, d'autres nations qui ne se trouvent pas dans la même position.
Mais, nous dit-on, quelles sont les nations qui protègent leur pavillon ? C'est l'Espagne ; c'est la France. Comme si ce n'était rien que l'exemple de ces deux nations.
Messieurs, nous ferions très bien d'y regarder d'un peu plus près, avant de faire de l'anglomanie, avant de nous comparer à l'Angleterre. Nous ne sommes dans la position de l’Angleterre sous aucun rapport.
Du reste, quant à l'Angleterre, elle est loin d'abandonner les droits différentiels, comhie j'aurai l'honneur de le démontrer tout à l'heure, et c'est un point essentiel dans le débat, puisqu'on cite sans cesse l'exemple de l'Angleterre.
Quant à la Hollande, je dis qu'elle s'appuie sur le système colonial. Il est donc facile, pour ce pays, d'abandonner, sous d'autres rapports, les droits différentiels.
Messieurs, je me trouvais dernièrement en Angleterre, et m'attendant au traité anglo-belge, je me suis adressé à un membre de la chambre des communes qui a eu la complaisance de me fournir les documents statistiques qui ont été publiés par cette chambre cette année, au mois de mars. Ce sont donc des documents officiels.
D'abord, il est connu que l'Angleterre s'est réservé le cabotage, qui fait les deux tiers de son mouvement commercial, qui a, pour l'Angleterre une valeur immense, parce qu'il infue aussi sur la navigation générale.
Remarquez bien la position magnifique de l'Angleterre, la position qui lui est faite par la nature pour servir de lien commercial entre l'ancien et le nouveau monde. Le Royaume-Uni a deux îles ouvrant sur ses côtes 121 ports, sillonnées par des fleuves et des canaux qui donnent lieu à un mouvement intérieur des plus considérables.
Eh bien, l'Angleterre croit devoir se réserver le cabotage et vous comprenez, d'après sa configuration géographique, ce que c'est que le cabotage dans ce pays.
L'honorable ministre des affaires étrangères nous disait, avant-hier, que les progrès du pavillon étranger en Angleterre, depuis le nouveau système, avaient été très notables. C'est très vrai, mais il y a autre chose à remarquer ; il y à remarquer que le mouvement du pavillon étranger dans les relations des nations étrangères avec l'Angleterre, non pas dans l'intercourse des colonies anglaises avec l'Angleterre, mais dans les relations libres, dirai-je, entre l'Angleterre et les pays étrangers, ce mouvement a été en croissant depuis 1846 jusqu'en 1850, et c'est précisément parce que l'Angleterre a vu depuis longtemps que sur ce terrain-là elle pouvait lutter avantageusement avec le pavillon étranger, qui est protégé directement ou indirectement dans chaque pays particulier et qui, à raison de cette protection, peut concourir très avantageusement avec le pavillon anglais.
C'est pourquoi l'Angleterre a fait le sacrifice de cette partie de sa navigation. Elle accordait des faveurs réelles aux nations étrangères, (page 407) mais la perte qu'elle faisait sous le rapport de la marine, n'était pas à grande, parce que, après tout, cette partie de sa navigation lui échappait d'année en année.
Voici, messieurs, des chiffres officiels, qui vont vous convaincre de la vérité de ce que j'ai l'honneur de vous avancer.
De 1816 à 118, pour les douze grands ports de la Grande-Bretagne, Londres, Bristol, Liverpool, Southampton, Hull, Newcastle, Leith, Glascow, Greenock, Dublin, Belfast et Cork (je prends les douze grands ports de l'Angleterre, parce que je n'ai pas pu me procurer les chiffres officiels pour les autres), à partir de 1816, les navires britanniques, de 1816 à 1818, ont été en moyenne, par année, de 12,606. Les navires étrangers, en moyenne, ont été de 3,978. Et, dans la deuxième période, de 1846 à 1848, les navires britanniques ont été de 25,017, les navires élrangersde 15,507. Il y a, d'un côté, augmentation de 12,600 à 25,000, à peu près cent pour cent, et, de l'autre, augmentation de 3,000 a 15,000, à peu près 200 p. c.
Quant au tonnage, nous avons la même proportion. Dans la première période, le tonnage britannique a été de 2,556,000 ; le tonnage étranger de 768,230 ; dans la deuxième période, le tonnage britannique a été de 6,556,000 ; le tonnage étranger de 2,406,000 ; c'est-à-dire que, d'une période à l'autre, avant la réforme du « navigation act », le tonnage britannique a augmenté de 183 p. c, et le tonnage étranger, en concurrence avec le tonnage britannique, a augmenté de 213 p. c.
Ainsi, messieurs, vous voyez que ce que l'Angleterre a abandonné, lui échappait lentement. Elle s'est dit : Puisqu'il en est ainsi, faisons ce sacrifice : éblouissons le monde par un prestige de liberté commerciale, qui ébranlera le système protecteur dans d'autres pays et réagira favorablement sur les manufactures anglaises.
J'avoue que l'augmentation a continué pour le pavillon britannique et pour le pavillon étranger, depuis les modifications apportées à la législation maritime en 1849. Ceci était prévu par l'Angleterre.
Messieurs, il faut bien le dire, l'Angleterre avait les yeux ouverts non pas sur les pays du continent, qui lui font, après tout, une faible concurrence quant à la marine, mais sur ce colosse qui se dresse de l'autre côté de l'Atlantique, sur l'Union américaine.
Elle a vu la Californie attirant par ses mines récemment découvertes, le mouvement de tous les points du globe. Elle a vu les nouveaux chemins de fer reliant le Mississipi à travers les montagnes Rocheuses au Pacifique. Elle a vu l'isthme de Panama s'ouvrir à la marine américaine.
Elle a compris que le moment n'est peut-être pas éloigné où la Chine et le Japon entreront dans le mouvement des nations chrétiennes.
Elle a compris le rôle que pouvait jouer l'Amérique, en proclamant la liberté des pavillons, et elle s'est dit : Il est temps de donner une nouvelle impulsion au monde, de s'emparer du mouvement nouveau qui s'annonce, et de ne pas se laisser devancer.
Après cela, messieurs, l'Angleterre ne s'est pas trompée ; elle a sacrifié, comme je le disais, une partie de sa manne, mais c'était pour donner un nouveau développement à la grande industrie, l'industrie manufacturière dans laquelle elle tient incontestablement le sceptre du monde, Voyons jusqu'à quel point elle a réussi sous ce rapport. Les faits sont réellement frappants.
L'accroissement des exportations de l'Angleterre depuis les modifications apportées à l'acte de navigation, cet accroissement est prodigieux.
Je prends encore une fois les douze ports sur lesquels j'ai pu recueillir des renseignements offieiels.
Les exportations ont été en moyenne dans les proportions suivantes : Pendant 1847, 1848, 1849, les exportations des douze ports précités ont été, en moyenne, de 55,467,615 liv. st. ; en 1850, elles se sont élevées à 67,251,757 liv. st.
Ainsi les exportations des douze principaux ports de l'Angleterre l'emportent, en 1850, de 11,784,142 liv. st. sur ce qu'étaient les exportations des mêmes ports pendant les trois années antérieures.
Et, chose remarquable, c'est que Liverpool, qui, comme vous le savez, est le principal port pour l'exportation des produits manufacturés, a vu accroître ses exportations d'une manière beaucoup plus considérable que les autres ports. Les exportations de Liverpool ont été, en 1850, de 34,891,147 liv. st., tandis que les exportations générales des onze autres ports n'ont été que de 32,359,910 liv. st.
Ainsi les exportations de Liverpool, exportations qui consistent principalement en produits manufacturés, ont été plus fortes que celles des onze autres ports. Elles ont été doubles à peu près en valeur des exportations de Londres, quoique le tonnage d'exportation de Liverpool soit à peu près le même que le tonnage de Londres, preuve que l'industrie anglaise a fait d'immenses progrès. C'était le but que voulait atteindre l'Angleterre ; elle l'a atteint.
Il n'est donc pas étonnant, messieurs, d'après ces résultats, que l'Angleterre qui ne procède jamais d'après les théories mais d'après les faits, que l'Angleterre a pu modifier son acte de navigation, et accorder aux nations étrangères des faveurs réelles, en matière de navigation, mais qui lui étaient beaucoup moins nuisibles qu'on ne le croirait au premier abord.
J'ai dit tout à l'heure, messieurs, que l'Angleterre malgré ces modifications profondes, apportées au système commercial, est loin d'abandonner ses droits différentiels. C'est un point que j'ai à démontrer et sur lequel j'appelle l'attention toute particulière de la chambre.
Vous savez, messieurs, ql'avant 1849, les droits différentiels en Angleterre étaient prohibitifs et en même temps, chose remarquable, beaucoup plus compliqués qu'en Belgique.
On parle souvent des complications du système belge et on attribue à ces complications des entraves qui gênent les relations commerciales.
Eh bien, je ferai remarquer qu'il y avait en Angleterre des entraves de toute espèce. Ainsi vous aviez des catégories d'après les provenances, des catégories d'après les pavillons ; vous aviez des lois différentes dans les colonies, vous aviez un régime particulier pour l'île de Man, pour l’île de Jersey, pour l'île de Guernesey, droits de ports différents ; c'était un véritable dédale. Et cependant, messieurs, c'est au milieu de ce dédale que l'Angleterre a pris l'essor que nous connaissons.
Eh bien, messieurs, l'Angleterre a modifié ce système, mais elle maintient encore d'abord une surtaxe dans le cas où il n'y a pas réciprocité. C'est bien évidemment renoncer à ce que l'on entend ici par liberté du commerce, car, enfin ,si le free trade est une bonne chose, pourquoi cette réciprocité ? En deuxième lieu, l'Angleterre se réserve le cabotage, comme on l'a déjà dit.
En troisième lieu, elle maintient une différence de législation pour certaines colonies. Ainsi, dans l'Inde anglaise, par exemple, pays qui a plus de 100 millions de consommateurs, il y a une surtaxe de 5 p. c. sur les produits étrangers par rapport aux produits de l'Angleterre.
En quatrième lieu, il y a un droit différentiel très notable sur les produits coloniaux en faveur des colonies anglaises. Les produits des colonies anglaises donnent lieu à un droit différentiel de provenance coloniale. Ces droits différentiels sont en général élevés et roulent sur un bon nombre d'articles. Il y en a 12 principaux qui sont très importants, et je vais faire voir, par quelques exemples, quels sont les résultats de ces droits différentiels.
Vient d'abord le cacao qui paye un droit différentiel ; lorsqu'il vient des possessions britanniques, il paye un penny par livre ; lorsqu'il vient de pays étrangers il paye deux pence ou le double.
L'étain des possessions britannique paye par 100 livres ou par quintal 3 schellings ; il paye 6 schellings lorsqu'il vient de l'étranger.
Les mélasses des possessions britanniques payent 5 s. 9 d., et de l'étranger, 5 sch. 3 d. Ces droits sont beaucoup plus élevés que ceux qui existent dans notre pays.
Le riz des possessions britanniques paye 5 d. et celui des colonies étrangères un schelling (plus du double).
Le gingembre, 5 sch. des possesssions britanniques, et 10 sch. de l'étranger.
La cassia lignea, un penny la livre des possessions britanniques et 3 pence de l'étranger. Pour la cannelle, même proportion.
Le rhum, matière très encombrante et qui donne lieu en Angleterre à un mouvement immense, le rhum paye 8 s. 2 d. par gallon (ce qui fait environ 222 fr. par hectolitre), lorsqu'il vient des possessions britanniques, et 15 sch. par gallon ou environ 400 fr. par hect. lorsqu'il vient d'autres pays.
Pour le sucre, même proportion, droits différentiels quant aux sucres raffinés à 3 et 4 degrés ; ensuite quant aux sucres raffinés, un drawback excédant d'un à deux schellings par quintal le droit du sucre brut venant des possessions britanniques ; donc une prime d'exportation pour les navires britanniques.
Le suif paye encore des droits différentiels très élevés quant à la faveur accordée au suif des possessions britanniques : un penny pour les possessions anglaises ; un schelling 6 pence pour les autres provenances.
Il en est de même du bois. J'appelle l'attention de la chambre sur ce point. On a dit que le système différentiel n'avait jamais pu atteindre en Belgique, quant au bois,le but qu'on avait eu en vue.
Lorsqu'on fait attention aux droits différentiels, quant aux provenances coloniales et aux autres sur cet article en Angleterre, on ne doit pas s'étonner du résultat que nous avons obtenu en Belgique.
La comparaison, pour ce qui concerne les droits que paye le bois en Angleterre et en Belgique, donne lieu à un calcul, parce que le droit, en Angleterre, se perçoit à la mesure. Cette mesure se nomme « load » ou charge et fait 50 pieds cubes, et en Belgique, le droit se perçoit d'après le tonneau.
J'ai établi le poids spécifique du bois d'après l'encyclopédie ; j'ai fait ensuite le rapprochement du poids et de la mesure, pour avoir un terme homogène de comparaison.
Ainsi pour les bois en général, il a fallu prendre une moyenne ; je passerai sur cette moyenne, et je vous citerai le sapin seul. Le sapin commun paye en Belgique pour un poids de 925 kilog. correspondant à la mesure anglaise, francs 4,62 lorsqu'il est importé par navire étranger, fr. 1,85 lorsqu'il est importé par navire belge ; tandis qu'en Angleterre, la même quantité de bois paye 10 schellings ou fr. 12,30 lorqu'il vient de l'étranger, et 2 schellings lorsqu'il vient des colonies anglaises.
Voila de véritables droits différentiels ; et qu'on dise après cela que l'Angleterre arbore le drapeau de la liberté commerciale. Belle liberté, en effet, quand on a une protection pareille !
Vous croirez peut-être que ces droits n'ont pas été efficaces, quant à la protection des produits des colonies anglaises. Eh bien, les chiffres, sous ce rapport, sont encore très significatifs ; et c'est au moyen de ce droit différentiel de provenance que le pavillon anglais a pu lutter de plus de moitié avec le pavillon du Nord et le pavillon américain ; (page 408) l'Angleterre a reçu en 1851 490,742 « loads » de ses possessions presque excluvement sous pavillon britannique, et 356,207 « loads » d'autres contrées ; tandis que le pavillon belge s'est presque entièrement effacé devant le pavillon du Nord, pour ce qui regarde l'importation du bois.
Maintenant, la question n'est pas de savoir, s'il faut élever les droits sur les lois importés en Belgique au même taux où ils existent en Angleterre ; c'est là une question d'application, mais le principe n'en est pas moins vrai, et la Belgique doit l'appliquer d'après ses convenances, comme fait l'Angleterre.
Vous voyez donc, messieurs, que ces droits réellement différentiels de provenances coloniales sont généralement plus élevés que les nôtres et souvent plus distancés de catégorie à catégorie, c'est-à-dire plus protecteurs.
La faveur que l'Angleterre accorde à certaines provenances de ses colonies est indirectement une faveur pour ses autres produits coloniaux, parce qu'on doit nécessairement compléter la cargaison, et les produits favorisés attirent toujours d'autres produits pour le complément de la cargaison. C'est donc une faveur générale qu'on fait aux produits du sol des colonies anglaises.
Ce droit différentiel que je viens d'établir, est même un droit différentiel de pavillon par la force des choses ; vous allez vous en convaincre.
Quand j'examine les documents statistiques officiels que j'ai cités tout à l'heure, et qui émanent de la chambre des communes, je vois qu'en 1850, à la suite des modifications apportées au « navigation act », le pavillon étranger dans le mouvement d'intercourse qui existe entre l'Angleterre et ses colonies, n'est intervenu que dans la proportion de 8 p. c.
Il est facile de comprendre quelle en est la cause. D'abord, j'ai parlé de certaines législations particulières qui favorisent les colonies. Ensuite vous avez les transports des troupes, des cotons, des fonctionnaires dans les colonies : tout cela doit favoriser le pavillon anglais. Outre cela, un droit de faveur est accordé aux produits des colonies anglaises, comparativement aux produits des autres pays transatlantiques ; vous voyez que ce droit vient en même temps favoriser le pavillon anglais ; et voilà comment ce pavillon jouit d'un droit différentiel, déguise, si l'on veut, mais réel.
Vous l'avez dû comprendre par les faits que j'ai cités et qui parlent haut.
D'un côté, je vous ai signalé le pavillon étranger progressant continuellement en Angleterre dans une proportion plus notable que le pavillon anglais lui-même pour les relations entre l'Angleterre et les autres pays ; mais d'un autre côté, pour ce qui regarde l'Angleterre et ses colonies, le pavillon étranger est presque nul, puisqu'il n'intervient dans ce mouvement d'intercourse que dans la proportion de 5 p. c.
Voilà comment l'Angleterre entend la liberté commerciale ! Allons-nous après cela nous laisser traîner à la remarque d'un pays qui est trop grand pour qu'on aille lui attribuer des théories dont les hommes d'Etat rient tous les premiers en Angleterre ?
Messieurs, en fait de droits différentiels, j'ai déjà eu l'honneur de dire que chaque pays doit se régler d'après ses convenances. La Belgique qui n'a pas de colonies n'a pas d'autres ressources que le système des droits différentiels, sinon tel qu'il existe maintenant pour les détails, au moins à peu de chose près, quant aux bases ; nous n'avons pas d'autre ressource si nous voulons comme les autres nations protéger à notre manière le pavillon national.
On argumente de la complication. Mais c'est inévitable. Il faut des degrés, des catégories différentielles, pour pouvoir faire des concessions dans le but de conclure des traités sans abandonner la protection due à l'industrie et au pavillon national. Est-ce qu'on ne consacre pas d'ailleurs une nouvelle complication dans le traité conclu avec la Hollande ? Les articles 1, 2, 3 et 4 ne forment-ils pas des catégories de droits différentiels ? La relâche à Cowes est réduite à fort peu de chose quant à la protection, mais le principe est encore conserve jusqu'à certain point ; et il y a de ce chef une catégorie, une complication par conséquent.
Nous sacrifions, et c'est un grand sacrifice, nous sacrifions directement par le traité les provenances directes et le pavillon, sur 35 articles ; de l'aveu de tout le monde, mais on dit qu'on a fait disparaître la faveur en généralisant la mesure.
Je dois répondre ici à ce que disait M. le ministre des affaires étrangères, à propos d'une pétition qui nous avait été adressée par le conseil communal d'Anvers, à savoir qu'on semblait avoir renoncé en quelque sorte dans cette requête à ce premier grief qui était réparé par la généralisation de la mesure.
J'ai lu et relu la pétition du conseil communal d'Anvers, et je n'y ai rien trouvé de semblable ; il est vrai que le conseil communal ne s'étend pas sur ce grief, mais il s'en réfère à ce qu'avait dit la chambre de commerce de la même ville.
Le conseil communal n'abandonne pas, il appuie, au contraire, les plaintes de la chambre de commerce.
Quand on généralise la mesure, on met, il est vrai, les provenances directes sur le même pied que celles des entrepôts de Hollande et en cela on diminue le mal, mais on admet en même temps la concurrence des autres entrepôts d'Europe, en abandonnant le privilège du pavillon national, et en cela on rend la position plus précaire.
On rend donc les difficultés plus grandes à certains égards en généralisant, puisqu'on appelle de nouveaux concurrenlt.
On paralyse d'ailleurs entièrement des relations directes ; par la mesure prise, quant à la relâche à Cowes. Cette mesure est fatale.
Quoique je me sois déclaré dans ma section comme dans la s-etion centrale partisan du traité anglo-belge sauf les réserves que j'ai faites quant à la question du sel, je dois dire que si la mesure relative à la relâche telle qu'elle est établie dans le projet de loi qui nous a été soumis en dernier lieu, avait été comprise dans le traité anglo belge, malgré les avantages que je trouve dans ce traité, je ne pourrais pas l'accepter, car cette mesure fait disparaître les avantages des relations directes, c'est un entrepôt flottant qu'on établit à Cowes ; les armateurs arrivent dans l'île de Wight avec des cargaisons des pays transatlantiques pour se diriger suivant leurs convenances ; ils viendront vous fournir les denrées coloniales dont vous avez besoin, et se garderont bien d'exporter vos marchandises en retour. La seule protection, c'est que l'on n'est pas admis à charger ni à décharger à Cowes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que tout le monde demande depuis longtemps à Anvers.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Cette mesure n'est pas comprise dans le traité.
M. de Haerne. - Je le sais ; je veux dire que si la mesure concernant la relâche à Cowes était comprise dans le traité anglo-belge, ce serait une raison pour le repousser, et que si elle était comprise dans le traité hollando-belge, j'y trouverais un motif de plus pour ne pas l'accepter.
On me dit : Anvers l'a demandée ! Oh ! je comprends cela parfaitement ; depuis 1844 j'ai pris quelqne part à la discussion de cette question. Il y a à Anvers une opinion qui demande cela. C'est l'opinion de la consignation.
Je sais très bien que vous avez calmé certaines appréhensions du port d'Anvers, sinon à dessein, du moins par le résultat ; c'est un moyen de triomphe que vous vous êtes ménagé, que la mesure relative à la relâche ; mais je la repousse, non pour le pavillon belge, muais pour le pavillon étranger, au nom de la grande navigation directe, de la navigation pour compte propre, défendue aujourd'hui en premier lieu par le port d'Anvers et au nom de l'industrie du pays à laquelle la navigation directe doit être favorable.
L'opinion favorable aux commissionnaires était très forte en 1844 ; mais l'opinion contraire a grandi depuis lors. En 1844, les deux intérêts ont fini par s'entendre ; je désirerais qu'ils s'entendissent encore, mais je dis que la relâche, comme l'entend le ministère, ne peut entrer dans, les principes que nous avons toujours proclamés.
Ici, après tout cela, il nous reste quelque faveur de pavillon, je l'avoue, sur dix articles ; mais remarquez qu'on a fait aussi des brèches aux droits différentiels quant à ces articles ; les tabacs, les cotons, les riz, sont importés par le pavillon américain assimilé ; quant au riz qui vient des Indes orientales, d'après le traité anglo-belge, le pavillon anglais sera assimilé.
M. Van Iseghem. - Ce n'est pas un mal !
M. de Haerne. - Soit, mais en relâchant à Cowes les navires anglais obtiennent une faveur gratuite non inscrite dans le traité, ce qui établit une concurrence nouvelle contre le pavillon belge qui devrait seul jouir de cette faveur.
Il nous reste les sucres, les huiles, le soufre.
Je vous avoue que l'ensemble des droits différentiels me paraît tellement amoindri que je crois que la protection pour le pavillon national et pour les relations directes est devenue à peu près illusoire et que le moment viendra où, pour en finir, l'on demandera l'abrogation de la loi générale pour ne pas avoir l'air d'être protégé alors qu'on ne l'est pas ; mais les conséquences de ces innovations iront plus loin qu'on ne le pense généralement, comme j'aurai l'honneur de m'en expliquer tout à l'heure.
J'accepterais certains sacrifices s'il y avait des compensations. Vous ne devez pas croire qu'on tient aux droits différentiels à cause des droits différentiels, mais on y tient pour les avantages qui en résultent, et on les échange en partie contre de plus grands avantages ; mais ces droits, je l'ai déjà dit, ont été échelonnés pour permettre de faire des concessions, sans abandonner la protection.
Il est cependant notoire, incontestable que ces droits nous ont été avantageux ; cela est prouvé par les faits, et je n'abuserai par des moments de la chambre, en faisant des répétitions.
Pour ce qui regarde le pavillon national il a fait des progrès immenses, et en 1851 il y a eu augmentation de neuf mille tonneaux ; mais qu'il me soit permis cependant de faire une simple observation pour ce qui regarde la navigation belge sous le régime des droits différentiels en concurrence avec la navigation hollandaise vers l'Angleterre. C'est encore un extrait des documents officiels de l'Angleterre que j'aurai l'honneur de vous soumettre.
La navigation hollandaise est beaucoup plus puissante que la nôtre ; elle est à peu près double en importance vers l'Angleterre.
Lorsqu'on compare les époques différentes, on doit dire que la navigation belge vers l'Angleterre a maintenu la concurrence contre le pavillon anglais dans la même proportion que le pavillon hollandais a maintenu la concurrence contre le même pavillon anglais ; et cela, malgré la surtaxe qui pesait en Angleterre sur le pavillon belge, et cela sous le régime des droits différeniels. C'est un fait qui me paraît très frappant.
Je pourrais citer les chiffres, mais je craindrais de fatiguer l'attention (page 409) de la chambre, je ne veux pas trop m'étendre ; à moins qu'il y ait contestation, je m'en dispenserai.
Nous faisons bon marché des droits différentiels, ou plutôt, on fera bon marché de toutes les lois de protection, en proclamant le libre échange. Peut-être faudra-t-il un jour entrer dans cette voie. Lorsqu'on se sera trop avancé, il faudra bien marcher en avant ; il est cependant bon de faire des réflexions sur les conséquences de ce nouveau système qu'on nous prône tous les jours.
Je viens de vous établir que l'Angleterre, malgré sa position, malgré ses capitaux, ses colonies, n'a pas pu lutter contre le pavillon étranger, dans l'intercourse qui existait entre l'Angleterre et les pays étrangers, et nous croyons pouvoir soutenir cette concurrence ! Il y a de la naïveté à le dire. (Interruption.)
C'est de la naïveté, je ne veux pas dire autre chose ; mais on me comprend.
- Un membre. - C'est de la duperie.
M. de Haerne. - C'est de la duperie, si vous le voulez ; mais sans intention.
On parle d'Anvers avant 1830. On dit, Anvers prospérait avant 1830 mais elle était placée quant aux colonies sur le même pied que la Hollande ; tandis qu'aujourd'hui il y a une surtaxe de 50 p. c. sur les produits autres que les produits hollandais.
Il y a là une immense différence ; car il faut toujours combiner l'aller et le retour de ces deux opérations qui en définitive en navigation n'en font qu'une seule.
Les sacrifices que nous faisons quant à la navigation sont immenses.
Je ne m'appesantirai pas sur ceux qui nous seront imposés en matière d'agriculture. D'honorables préopinants sont entrés dans des détails trop circonstanciés, trop judicieux, et ils ont cité des faits trop péremptoires pour que je revienne sur cette matière.
Cependant qu'on me permette de répondre à une objection que l'on fait sans cesse.
L'on nous dit. : Depuis que l'Angleterre a aboli son système prohibitionniste il y a eu une direction toute nouvelle donnée aux exportations du bétail hollandais. Ce bétail n'affluera plus sur les marchés belges, ni sur les marchés français, mais il ira se placer sur les marchés d'Angleterre.
Nous avons vu d'abord que les conséquences du régime inauguré en Angleterre ne sont pas telles qu'on voudrait le faire croire. Mais je ferai une simple remarque.
C'est que l'Angleterre, dans tous les traités d'assimilation qu'elle vient de conclure, (ces traités sont nombreux comme vous le savez) s'abstient d'admettre des concessions de droits de douanes. Elle fait des concessions sur le pavillon ; mais quant aux droits de douanes, elle n'y touche pas,
Elle a abaissé, il est vrai, les droits de douanes sur un grand nombre d'articles, elle les a supprimés sur d'autres ; mais elle ne se lie pas à cet égard par un traité ; de manière que du jour au lendemain, cet état de choses peut être changé.
Je sais bien qu'on me dira que c'est impossible. Mais, en matière de douane, tout est possible.
Je suppose un changement de cabinet, l'avènement d'un cabinet composé de protectionnistes, c'est-à-dire d'hommes voulant un système protecteur véritable et non la prohibition d'autrefois.
Je fais une grande différence, soit dit en passant, entre la protection et la prohibition. Autant la protection est favorable, autant la prohibition est nuisible. Il faut que la protection s'étende, sans aller trop loin, qu'elle stimule, sans amollir. La prohibition amollit et énerve l'induslrie.
Un système intermédiaire pourrait très bien s'établir en Angleterre, par suite d'un changement, je ne dirai pas dans le ministère, mais dans l’opinion, système qui tendrait à établir des droits protecteurs modérés sur un grand nombre d'articles. Les plaintes de l'agriculture et de certaines industries autorisent à le croire.
Serait-ce si étonnant, lorsque, comme l'a fait remarquer un honorable préopinant, nous voyons les bois étrangers, importés sous pavillon étranger, frappés de droits différentiels triples de ceux qui pèsent sur les bois importés sous pavillon national, en Belgique, malgré l'intérêt immense qu'a l'Angleterre à attirer les bois étrangers, pour la construction des navires ; et cela en faveur de l'agriculture encore protégée sous ce rapport.
Pourquoi donc, après cela, n'y aurait-il pas un certain droit sur le bétail ? Je n'en serais guère étonné.
Alors tout ce qui a été dit de ce changement des relations générales pour nous rassurer sur les conséquences du transit du bétail hollandais, disparaîtrait ; le bétail hollandais affluerait sur notre marché et, en transit par la Belgique sur le marché français, dans une proportion d'autant plus forte que l'élève du bétail aura été plus encouragée en Hollande par l'ouverture préalable du débouché anglais ; l'ouverture de ce débouché à la Hollande y a considérablement développé les herbages.
Je n'en dirai pas davantage quant à l'agriculture. Mais j'ai encore quelques observations à faire sur la question industrielle.
Je dirai d'abord, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire en passant, qu'il est évident que le bouleversement du système des droits différentiels et les entraves apportées aux relations directes doivent encore incontestablement influer sur l'industrie en général, paralyser nos exportations vers les pays transatlantiques, vers les pays lointains.
Il en résulte, au point de vue général, comme l'ont très bien dit la chambre de commerce et le conseil communal d'Anvers, un mal, un désavantage qui atteindra tous les produits du pays.
Voilà le principal grief que je trouve dans le traité au point de vue industriel. C'est ici que l'intérêt commercial se lie intimement à l'intérêt industriel.
Que répond-on ? On dit que les plaintes sont exagérées. On parle de la céruse, et l'on croit avoir tout dit.
Puisqu'on en a parlé, j'en parlerai aussi. La question est de savoir si c'est une industrie intéressante qui mérite d'être protégé ; elle est protégée en Angleterre bien plus qu'en Belgique ; en France, le droit protecteur sur cet article est excessif ; en Prusse, le droit est de 55 fr. par 100 kilog. ; c'est une industrie nouvelle en Belgique depuis 1830 ; il ne faut pas la décourager, alors qu'on s'évertue à introduire des industries nouvelles dans le pays. La Hollande produit quatre fois plus qu'il ne faut pour sa consommation. Voilà le danger.
Si l'on ne se liait pas par un traité, je dirais que le danger n'est pas très grand. Mais remarquez qu'on se lie en établissant un droit qui permettra toujours à la Hollande de déverser son trop plein en Belgique. Elle y sera engagée d'autant plus que les relations maritimes, les relations par canaux et rivières seront rendues plus faciles par le traité.
On pouvait se contenter peut-être du droit existant dans le passé ; mais ce droit ne suffira pas contre une concurrence étrangère qui pourra écraser par son trop-plein et détruire cette industrie belge ; et cependant on se sera lié par le traité pour 8 ans. C'est plus de temps qu'il n'en faut pour tuer une industrie à peine acclimatée.
En matière d'industrie, je trouve dans le traité un autre grief auquel M. le ministre des affaires étrangères a fait allusion dans l'une de ses annexes. C'est par rapport à la convention de commerce à conclure avec l'Espagne. Il y a dans le traité hollando-belge une clause qui nous sera nuisible sous ce rapport.
Il ne faut jamais considérer un traité comme un acte isolé ; il faut le considérer dans ses rapports avec les traités existants et avec les traités à conclure. C'est l'ensemble du système qu'il faut envisager. Je n'hésite pas à dire qu'il y a une clause qui nous sera défavorable pour le traité à conclure avec l'Espagne et pour le régime de faveur que nous pourrions obtenir de cette nation ; c'est la clause d'après laquelle on dit que les faveurs qui seront accordées à d'autres nations seront partagées par la Hollande.
M. le ministre des affaires étrangères dit que dans le traité de 1846 il n'y avait qu'un écart d'un centime à 2 fr. 50, quant au sucre par exemple ; si je ne me trompe, entre le droit que paye le sucre arrivant par navire belge et le droit que devait payer ce même article arrivant par pavillon hollandais, et que par conséquent la faveur que nous pouvions accorder à l'Espagne pour traiter avec elle et obtenir des avantages pour notre industrie linière, était très peu de chose.
Messieurs, il est à remarquer que cet avantage est déjà réel, lorsqu'on considère que nos droits différentiels sont en général très modérés. Mais on peut très bien combiner les droits de douane avec les droits d'accise et alors on pourrait faire une très large concession à l'Espagne si la chose était nécessaire, si nos intérêts l'exigeaient. Je crains de nous lier, à cet égard, non seulement quant au sucre, mais quant aux autres produits coloniaux pour le cas où nous pourrions faire un traité avec l'Espagne, On nous dit que l'Espagne ne nous ferait pas de faveurs sans l'accorder aussi à l'Angleterre. Je ne suis pas de cet avis. Des faits récents vous font voir que l'Espagne prend des mesures qui ne plaisent pas toujours à l'Angleterre. Je crois que si nous offrions des faveurs réelles à l'Espagne quant à son pavillon auquel elle tient beaucoup par esprit national et par tradition, et quant à ses produits coloniaux, l'Espagne serait très disposée à entrer en négociation avec nous.
Je dirai un mot du traité à conclure avec le Zollverein. Car encore une fois, tous les traités se tiennent et quand on pose un acte dans un traité il faut réfléchir aux conséquences qui peuvent en rejaillir pour la conclusion d'autres conventions.
Eh bien, on accorde à la Hollande plusieurs faveurs dont le Zollverein pourra jouir sans nous accorder le moindre retour, et d'autres avantages qui tendent à exclure le pavillon allemand.
Ainsi, en ce qui concerne le transport des bois, il est certain qu'en acceptant au traitement le plus favorable les bois venant des entrepôts hollandais, vous allez nuire aux provenances du Zollverein et rendre les transactions plus difficiles.
Vous avez ensuite les faveurs qui sont accordées à la Hollande et qui rejaillissent indirectement sur le Zollverein, en fait de transit, par exemple, qui rendront encore une fois nos transactions beaucoup plus difficiles avec l'Allemagne.
S'ensuit-il que le traité avec le Zollverein ne sera pas conclu ? Non, messieurs. Permettez-moi une observation. Dans les cataclysmes qui menacent de temps en temps les industries de la Belgique, qui menacent tantôt une industrie, tantôt l'autre, les produits de Liège surnagent toujours, et il y a du fer dans le traité avec le Zollverein ; je suis sûr qu'on ne le brisera pas.
Mais ce sera peut-êlre en faisant des sacrifices très grands ; ce sera aux dépens des industries flamandes qu'on négociera ; vous savez que les Flamands ont déjà eu peur du traité avec le Zollverein ; plusieurs de mes honorables collègues de Gand peuvent en dire quelque chose, et que sera-ce si les sacrifices s'accroissent pour pouvoir obtenir les faveurs (page 410) qu'on demandera pour le fer ? Ces sacrifices nouveaux retomberont de tout leur poids sur la Flandre directement ou indirectement.
Par contre-cup, les faveurs que vous accorderez au Zollverein, la France viendra les exiger à son tour dans le traité franco-belge qui doit être négocié dans peu de mois, et ainsi, par une seconde réaction, difficultés nouvelles pour l'industrie flamande.
Voilà la perspective que j'ai l'honneur d'indiquer à l'attention de mes honorables collègues des Flandres, elle ressort à l'évidence du traité hollando-belge.
C'est ainsi que les choses s'enchaînent dans un traité, et c'est pour cela que je recule devant l'acceptation du traité que nous discutons.
Un mot pour ce qui regarde les produits soumis à un tarif commun.
Vous savez que l'on a dit dans certaines feuilles, et l'on a répété dans cette chambre, qu'il y avait un danger sous ce rapport, en ce sens, que si la Hollande vient à appliquer ce tarif commun à d'autres nations, on pourra introduire avec avantage certains produits de ces nations, d'abord en Hollande, ensuite en Belgique.
On a répondu que c'était impossible.
Moi-même, messieurs, je n'ai pas cru d'abord la chose possible.
J'en ai même fait l'observation critique à un de mes honorables amis, à M. le comte de Liedekerke, qui avait émis cette opinion. Nous n'étions point d'accord sur ce fait, mais depuis lors j'ai réfléchi ; j'ai fait quelques recherches, et je trouve qu'il a parfaitement raison.
Voici sous quel rapport il a eu raison, c'est que je trouve que dans la catégorie des produits soumis à des droits communs, il y en a qui, étant doublés, sont inférieurs encore aux droits actuels perçus en Belgique, et par conséquent, il y aura un avantage pour ces pays étrangers, ces pays tiers, de passer par la Hollande et de payer deux fois le droit ; puisque en payant deux fois ce droit, ils payeront encore moins qu'en entrant directement en Belgique.
Je vais vous citer des chiffres ; ce ne sont pas des suppositions, ce sont des faits réels que je vais poser.
Je cite l'article bières.
Les bières en cercle, d'après le tarif actuel, payent 12 fr. 70 c. l'hectolitre. D'après le tarif hollandais, ils payeront 5 fr. Doublez, vous avez 10 fr., donc vous aurez une faveur de 2 fr. 70 c. Les bières anglaises, par exemple, le porter, l'ale, que l'on commence à boire de plus en plus en Belgique (la chose est incontestable, il y en a des dépôts à Bruxelles), ces bières arriveront par Rotterdam dans l'heureuse ville de Liège qui en aura le dépôt.
M. Orts. - On fait la contrefaçon en Belgique.
M. de Haerne. - Oui, je le sais, mais il n'en est pas moins vrai que les tableaux officiels constatent une importation de bières anglaises de plus de 400 hectolitres en cercles seulement, sans compter les autres importations. On récolte du vin en Belgique ; cela n'empêche pas l'importation des vins étrangers.
Mais lorsque nous examinons les importations par bouteilles, c'est bien plus fort. Nous avons pour cent bouteilles un droit de 22 fr. 30 c. Par le traité le droit sera de 5 fr, 75. c. Doublons ce droit ; nous avons une marge de 11 fr. par cent bouteilles. Pour les bières en cruchons, la faveur est encore plus grande. La marge est de 15 fr. les 100 cruches.
Je trouve les mêmes inconvénients pour d'autres articles, les meubles par exemple.
Les meubles ont une faveur de 4 fr. alors même qu'on double le droit établi par le traité.
Les verres à vitres sont aussi dans ce cas.
Je trouve quelque chose d'à peu près semblable pour ce qui regarde les cartes à jouer.
Il en résulte, messieurs, que la Hollande peut faire aux nations étrangères des avantages que nous ne pourrons empêcher, avantages qui seront tout à notre détriment et que nous ferions mieux d'accorder nous-mêmes à titre d'équivalents.
Voilà ce que fera la Hollande. Elle frappera monnaie sur notre dos et c'est ainsi qu'on verra les produits étrangers au lieu d'arriver directement en Belgique, passer par la Hollande, y être déclarés en consommation, et être ensuite introduit, dans notre pays, après avoir acquitté le double droit, puisqu'il y aura encore un avantage, tous frais compris.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et cela se fera sans frais ?
M. de Haerne. - Il y a aussi des frais quelquefois égaux, parfois plus élevés dans les transports directs. Une telle stipulation me semble tenir du ridicule. Etablir des faveurs semblables, dans un traité, c'est un tour de force, mais qui ne fait pas honneur à notre cabinet ; tout l'honneur en revient à la Hollande. (Interruption.)
Je regrette, messieurs, d'avoir été un peu long, mais si je n'avais pas été interrompu j'aurais déjà terminé.
On dit qu'il y a eu de l'opposition en Hollande, et on en tire un argument en faveur du traité. Mais, messieurs, un traité peut être mauvais pour les deux parties à différents points de vue. Certainement les Hollandais se sont dit : Puisque la Belgique rend générales la plupart des faveurs qu'elle nous accorde, pourquoi les acheter ?
Il y a eu aussi quelques intérêts industriels qui se sont crus lésés. Cela explique l'opposition que le traité a rencontrée en Hollande.
Maintenant, messieurs, si l’on sacrifie les relations directes, en grande partie, comme on le fait, pour ce qui concerne l'exportation de nos produits manufacturés, je dois le dire, il en résulte de grands inconvénients pour l'avenir. Ne vous faites pas illusion sur le système dans lequel nous entrons : nous entrons pleinement dans la voie du libre échange, et une fois que nous y serons engagés, il ne sera plus possible de reculer.
Il viendra un moment où les protectionnistes eux-mêmes voudront marcher dans ce sens, car lorsqu'un principe est appliqué à la plupart des articles, il devient quelquefois utile de le généraliser, ou au moins de l'étendre. Permettez-moi, messieurs, de vous soumettre une observation que j'ai faite depuis le commencement de ce débat. En ce qui concerne les tissus, par exemple, qui dans leur généralité, font la première industrie du pays, après l'industrie agricole, et qui se lient même intimement aux intérêts de l'agriculture, parce que le tissage se fait, en grande partie, à la campagne Eh bien, messieurs, lorsqu'on aura sacrifié l'intérêt agricole d'un côté et l'intérêt commercial de l'autre, cette industrie du tissage demandera aussi qu'on fasse quelques sacrifices en sa faveur et en faveur de l'agriculture à laquelle elle se rattache cette industrie du tissage demandera quoi ? Elle demandera l'importdtion libre du fil, en compensation des pertes qu'elle aura faites par la suppression des relations directes, il arrivera un moment où l'on sera entraîné dans ce mouvement et je ne sais pas jusqu'à quel point je pourrai y résister moi-même ; car alors les conditions seront interverties, l'intérêt général sera déplacé.
J'ai été protectionniste et je le suis encore quand on conserve le principe et qu'on l'applique à tous les grands intérêts du pays, quand on maintient la balance entre les diverses industries ; mais quand on fait pencher cette balance d'un seul côté, quand l'équilibre est rompu, il faut aussi changer de position, parce que sans cela on entrerait souvent dans un système de duperie.
Un dernier mot, messieurs, l'expérience a prouvé l'efficacité de la loi différentielle sous tous les rapports. Nous allons entrer dans un système nouveau. A l'expiration du traité la comparaison entre les deux régimes s'établira par les faits. Les résultats du passé ne seront pas perdus, ils serviront de leçon pour l'avenir.
Je me résumé en disant que les sacrifices que l'on faits ne sont point compensés par les avantages que nous offre le traité ; je l'ai établi, je crois, par des arguments qui résultent non pas de théories, mais de faits positifs de chiffres officiels. J'ai émis une opinion consciencieuse et je déclare ne pas pouvoir accepter le traité.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, au point où en est arrivée la discussion, je crois qu'il est utile d'entrer dans l'examen approfondi de quelques-unes des objections principales qui ont été présentées par les adversaires du traité.
Je commencerai cependant par signaler à la chambre un fait qui mérite toute son attention. En 1846, un traité fut conclu avec les Pays-Bas. Ce traité favorisait principalement les intérêts industriels ; il faisait aussi une brèche aux droits différentiels toute au profit de la Hollande ; ce traité, discuté dans les chambres, fut admis à la presque unanimité. L'opposition, à cette époque, était fort vive quant aux questions politiques.
Cette opposition, qui ne plaçait pas la politique dans ies intérêts matériels, se rallia à la majorité, elle vota le traité. Aujourd'hui, messieurs, en 1851, un traité est conclu avec les Pays-Bas ; il contient les mêmes avantages industriels que celui de 1846 ; il en ajoute de nouveaux ; il appelle notre navigation à jouir des avantages accordés par les lois votées en 1850 dans les Pays-Bas. Il n'apporte que des changements sages et prudents dans notre législation commerciale.
Et cependant, messieurs, les mêmes hommes qui applaudissaient au traité de 1846, qui exaltaient cette œuvre diplomatique, viennent aujourd'hui combattre le traité de 1851.
Où veulent en venir nos adversaires ? Veulenl-ils que nous ayons une nouvelle rupture avec les Pays-Bas, une lutte commerciale, que nous entrions dans la même voie où nous nous sommes trouvés en 1846, dans une guerre de représailles si désavantageuse aux deux pays ? Croient-ils donc qu'après cette rupture, nous arriverions nécessairement à un traité extrêmement avantageux, où l'on ne fera pas la moindre brèche aux droits différentiels, où aucune concession ne sera faite par la Belgique, où le transit du bétail ne sera plus accordé, c'est-à-dire où l'on n'accordera plus 8 francs de réduction sur le transit du bétail ? Messieurs, ce serait là une profonde erreur. Que les partisans des droits différentiels se le tiennent pour dit : s'il y avait rupture avec la Hollande, si l'on en venait à des mesures de représailles, ce qui arriverait inévitablement, il ne faut pas croire qu'un nouveau traité n'accorderait rien sur les droits différentiels ; savez-vous ce qui arriverait ? On ne pourrait traiter qu'avec l'abrogation complète des droits différentiels ; cela est positif.
Un honorable député de Dinant se livrait, dans la séance d'avant-hier, à une longue dissertation sur les bienfaits du régime protecteur. Mais, tout en se proclamant le défenseur, au moyen du régime protecteur, de l'industrie, il ne songeait donc pas que si ses conclusions étaient adoptées par la chambre, elles porteraient un coup funeste à nos intérêts industriels ? qu'elles assureraient la perte probable du marché le plus important pour notre industrie, celui sur lequel nous exportons plus de produits fabriqués que sur tout autre ?
L'honorable préopinant s'est apitoyé sur le sort d'une tréfilerie tuée, dit-il, par les Anglais qui ont perfidement inondé le marché belge de fils de fer à 25 p. c. de perte. Eh bien, le rejet du traité ne sera-t-il pas bien plus funeste à tous nos intérêts industriels que le fait signalé par l'honorable préopinant ?
D'ailleurs le fait, comme l'a dit M. le ministre des finances, n’était pas exact, pusqu'il y a dans le pays une tréfilerie qui soutient parfaitement la concurrence.
(page 411) Je ne sais quel est le système de l'honorable M. de Liedekerke, que je regrette de ne pas voir ici ; mais si nous devons en juger par ses dicours et par quelques-uns de ses votes, le système de politique commercialcede l'honorable préopinant serait d'abord la protection. Maïs il ne nous a pas dit quelle était cette protection.
Est-ce la prohihition ou la protection plus ou moins modérées ? Je l'ignore ; mais enfin ce qu'il veut, ce sont des droits plus élevés que les droits actuels sur les denrées alimentaires. Dernièrement, lui qui se pose en protecteur de l'industrie, a cependant voté contre la loi des travaux publics. Ainsi, son système se résumerait en ceci : établir des droits plus élevés sur les denrées alimentaires, et s'opposer au développement de nos voies de communication.
Cependant il doit savoir que toute la question de l'industrie est maintenant dans le bas prix des salaires et dans l'économie des transports ; donc en définitive, avec le système auquel je fais allusion, nous aurions le prix élevé des salaires, et nous restreindrions nos moyens de transport ; nous conserverions le marché intérieur, mais nous perdrions nos débouchés extérieurs ; c'est un système semblable qu'on pourrait à coup sûr qualifier de déplorable.
Messieurs, quand on écoute avec attention les discours des honorables préopinants qui sont opposés au traité, on est surpris de la pauvreté des objections qu'on lui oppose ; je le dis en toute sincérité, sans vouloir blesser personne. Nous allons passer eu revue ces objections, en laissant de côté les exagérations et les déclamations.
Veuillez d'abord remarquer, messieurs, que les honorables membres qui attaquent le traité, se placent presque toujours à un point de vue exclusif ; ils prennent une des concessions isolément ; ils la blâment ; ils ne s'occupent pas des avantages que le traité nous accorde, et leur conclusion est qu'il faut rejeter le traité.
Par exemple, ceux qui ont attaqué la disposition qui concerne le bétail, se sont renfermés exclusivement dans cette question ; ils ont prétendu que par suite des faveurs qui étaient accordées à la Hollande, en ce qui touche le bétail, le traité ne pouvait pas être accepté.
Eh bien, voyons, en définitive, quelle est la valeur de cette concession. On a confondu à tort, dans la discussion, la loi des denrées alimentaires, acte du pouvoir législatif, et qui devait rester tout à fait en dehors du débat, avec les clauses du traité.
Messieurs, le traité ne stipule qu'à l'égard du transit. Ainsi, il fait disparaître pour les têtes de gros bétail le droit de 8 francs, et celui de 4 francs pour la seconde catégorie.
J'admets que ce soit là une concession ; mais à coup sûr cette concession est bien peu importante : 8 fr. par tête de bétail. Peut-elle exercer une influence réelle sur la concurrence engagée sur le marché français ? D'après les renseignements qui m'ont été donnés, la valeur d'une tête de gros bétail, destinée à être exportée de Hollande sur le marché français, est à peu près de 300 ou de 350 francs ; cela fait donc de 2 à 3 p. c. Voilà la concession que nous avons faite.
Ensuite on ne songe pas qu'il y a une protection naturelle, qui consiste dans les frais de transport, dans l'éloignement du marché hollandais. Or, comme le transit n'est permis que par le chemin de fer, et que le prix de transport de chaque tête de bétail d'Anvers à Mouscron est de 17 fr. 40 c., c'est là une protection, bien supérieure aux 8 fr. que nous faisons disparaître par le traité.
Mais il y a plus : en présence de la législation actuelle, et l'honorable M. de Renesse, qui a attaqué le traité à ce point de vue, en est convenu, les exportateurs hollandais préfèrent payer le droit d'entrée au droit de transit.
En effet, le droit d'entrée est de 4 centimes par kil., de sorte que la taxe pour un poids de 200 kil. donne une somme de 8 fr. Les exportateurs hollandais ont ainsi l'avantage de pouvoir tenter la vente de leur bétail sur les marchés de la Belgique avant d'arriver à l'exportation en France. Aussi voyons-nous qu'aujourd'hui on n'exporte presque plus de bétail de Hollande en France par le transit. Je n'ai pas les chiffres sous les yeux ; mais je puis dire que cette exportation en transit est réduite à fort peu de chose.
M. Vandenpeereboom a cité aussi ce qui s'est passé en 1849. Le gouvernement avait proposé la liberté du transit. Cette proposition a été repoussée, et que disait-on alors pour la faire repousser ? C'est qu'il ne fallait pas établir la liberté du transit, parce qu'on se désarmait vis-à-vis des Pays-Bas.
Voilà l'opinion qui a exercé une influeuce réelle snr le vote de la chambre, de sorte que l'argument que présentait dernièrement l'honorable M. A. Vandenpeereboom, et qui était tiré de ce qui s'était passé en 1840, est sans valeur aujourd'hui. Nous n'avons fait que ce qui nous était conseillé en 1849.
Je n'entrerai pas dans l'examen des faits qui se sont passés antérieurement à 1849. Je dirai seulement qu'à l'époque même où le transit a été libre, de 1843 au 7 juin 1844, nos exportations, bien loin de diminuer en France, ont, au contraire, augmenté. Ainsi, quand nous avions la liberté du transit, nos exportations en gros bétail augmentèrent vers la France.
Je puis citer encore une autorité dans la question, c'est l'honorable M. Coomans lui-même qui, dans son projet, proposait la liberté du transit du bétail, etc.
M. Coomans. - Avec beaucoup d'autres choses.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Mais enfin vous proclamiez la liberté entière du transit.
M. Coomans. - Avec toutes sortes de compensations.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je doute que la compensation fût en faveur du bétail.
Voilà pour le bétail ; je passe au transit du poisson. J'avoue que j'ai été surpris de voir l'honorable M. Peers attacher une si grande importance à cette question, qui, selon moi, n'en a pas. Savez-vous ce que nous exportons en poissons en pays étranger ? Pour 9 mille francs par an. En supposant, ce qui ne sera pas, que le poisson hollandais se substitue au poisson belge, nous pourrions perdre une exportation de 9 mille francs ! Ensuite la Hollande a d'autres voies pour arriver en Allemagne, indépendamment de ses voies navigables ; des chemins de fer qui la relieront avec l'Allemagne, seront bientôt terminés.
Mais pour cette question nous avons eu une autre lutte à soutenir, les plénipotentiaires néerlandais voulaient un abaissement nouveau des droits d'entrée. C'était un des grands intérêts pour la Hollande ; au lieu de consentir à une réduction, nous avons maintenu les anciens droits et obtenu une réduction pour les quantités à importer ; on n'était pas arrivé au chiffre fixé par le traité de 1846, me dit-on ; cela est vrai, mais l'abaissement du chiffre est toujours une garantie pour l'avenir. La situation faite à la pêche par le nouveau traité est donc meilleure, et je suis en droit de dire qu'il n'y a rien de sérieux dans les reproches qui nous sont adressés.
On nous a reproché ensuite d'avoir abandonné l'article 15 de l'ancien traité qui concerne la faculté d'importer 800 mille tonneaux de Java. Il me suffira d'appeler votre attention sur celle question pour faire voir que cette concession n'était d'aucune valeur. La chambre de commerce d'Anvers n'a jamais varié sur ce point ; elle avait déjà fait connaître qu'elle n'attachait pas d'importance à cette question. En 1848, voici comment elle s'exprimait :
« Ce qui a fait augmenter les arrivages des Grandes-Indes, c'est le développement qu'a pris dans ces dernières années la consommation du riz de Bengale. On aurait tort de l'attribuer à la concession que la Hollande nous a faite de pouvoir exporter de ses colonies pour la Belgique 8,000 tonneaux de produits divers à des droits réduits ; car l'expérience a démontré que cette concession a été d'une très faible importance pour notre pays jusqu'à présent. »
Et dans la pétition qu'elle vous a adressée il y a quelques jours, voici ce qu'elle disait :
« Que l'expérience avait démontré que cette concession, en présence du monopole de la Société de Commerce des Pays-Bas était inefficace ; qu'elle n'était d'aucune valeur pour la Belgique. »
De l'aveu du commerce d'Anvers, cette concession est donc sans valeur, à moins que maintenant on la trouve efficace, uniquement parce que nous l'avons demandée.
Un orateur disait avant-hier que nous avions maintenant des navires de long cours, que si nous n'avions pas pu jusqu'ici profiter de cette faveur, nous allions en tirer un grand avantage.
Eh bien, en 1850, nous avions autant de navires de long cours qu'aujourd'hui, l'importation favorisée a été de 22 tonneaux !
Voilà ce que nous avons abandonné, 22 tonneaux ! Aussi notre commerce n'y tenait pas et il n'a fait entendre aucune réclamation. Je pourrais citer d'autres autorisés, mais je crois que c'est inutile en présence du chiffre que je viens d'indiquer.
On vous a parlé aussi, messieurs, du danger d'un tarif commun. Cette objection m'a, je l'avoue, singulièrement surpris. Quant à moi, j'ai toujours trouvé que l'article 21 est une des clauses les plus favorables qui aient été introduites dans le traité nouveau.
Ainsi les marchandises favorisées d'un tarif commun portent sur une exportation de 3 milliens 555 mille francs, tandis que les marchandises hollandaises auxquelles s'appliquent le tarif commun ne sont importées chez nous que pour une valeur de 185 mille fr.
Il est donc évident que cette clause est toute à notre avantage ; je crois que le principe déposé dans le traité du 20 septembre est un principe fécond et qu’il serait à désirer qu’on pût l’introduire dans les traités avec les puissances qui nous avoisinent.
Il est vrai que l'honorable M. de Liedekerke et après lui l'honorable M. de liaerne ont découvert que cette disposition est pleine de dangers ; que les marchandises venant de l'Angleterre et d'autres lieux pourront en payant double droit s'introduire sur notre marché et faire concurrence à notre industrie.
M. de Haerne. - J'ai présenté cela comme un inconvénient.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je n'y trouve pas même d'inconvénient ; d’abord il faudrait payer un droit d'entrée en Hollande ; des frais de transport jusqu'à la frontière belge ; ensuite le droit d'entrée en Belgique. Ce n'est pas tout ; il a été stipulé que des formalités seront prises pour constater l'origine des marchandises. Ces formalités seront très rigoureuses ; il faudra que ces marchandises importées des Pays-Bas en vertu de l'article 21 soient accompagnées d’un (page 412) certificat d'origine. Quelle crainte peut donc encore agiter les honorables préopinants ?
On a parlé aussi dans le courant de la discussion, des tabacs. Eh bien ! Pour cet article, il y a, pour Anvers, une amélioration sur le traité de 1846. D'après le traité de 1846, le tabac de provenance, et arrivant par canaux et rivières ne payait qu'un droit intermédiaire. Par exemple, pour le tabac de la Havane, le droit n'était que de fr. 16-50 ; d'après le traité, il sera maintenant de fr. 17-50. Cela provient de ce que en vertu de la loi qui est soumise à la chambre les 10 p. c. sont abolis. Par conséquent, au lieu de payer fr. 16-50, on en payera fr. 17-50. Il y a donc sous ce rapport une augmentation au profit d'Anvers.
Je ne parle pas des 180,000 kilogrammes qui sont en dehors de la question.
Maintenant, la plus forte objection, celle qui a soulevé tant d'opposition à Anvers, est tirée des articles 14 et 15.
J'ai promis d'entrer dans quelques détails à cet égard.
Comme il y a beaucoup de chiffres et que je dois entrer dans des développements assez étendus, on me pardonnera si j'abuse un peu de l'attention de la chambre.
Vous le savez, cette objection consiste dans l'assimilation des arrivages par canaux et rivières aux arrivages par mer.
Je n'examinerai point ici la question de principe. Je me placerai uniquement au point de vue des intérêts d'Anvers.
C'est le deuxième paragraphe de l’article 15 du traité du 20 septembre qui est si vivement attaqué.
D'après cette clause, les arrivages des Pays-Bas, par canaux et rivières, doivent être assimilés aux arrivages par mer pour l'application de l'article 4 de la loi du 21 juillet 1844, c'est-à-dire que les importations des Pays-Bas par rivières et canaux doivent partager la déduction de 10 p. c. accordée aux importations maritimes, aussi longtemps que celles-ci en jouiront. Ainsi, sous l'empire du traité, les marchandises auxquelles s'appliquait l'article 4 de la loi de 1844, devront payer les mêmes droits, soit qu'elles arrivent par mer, soit qu'elles arrivent des Pays-Bas par rivières et canaux.
Ainsi l'assimilation des arrivages par rivières et canaux aux arrivages par mer, voilà ce qui a surtout excité les alarmes du commerce anversois. Je n'hésite pas à dire qu'on se les serait épargnées en très grande partie, si on avait été au fond des choses, au lieu de se borner à s'en faire ou plutôt à en accepter une idée vague et confuse.
Pour l'intelligence de cette question, je diviserai en quatre catégories les marchandises qui peuvent nous venir des Pays-Bas, par rivières et canaux.
Première catégorie. Objets manufacturés (article 7 de l'arrêté royal du 21 juillet 1844). Voici le système actuel :
Par mer : pavillon belge : droit intégral ; pavillon hollandais : droit intégral (plus 10 p. c., sous pavillon étranger non assimilé)
Par navires et canaux : pavillon belge : droit intégral plus 10 p. c. ; pavillon hollandais : droit intégral plus 10 p. c.
Par terre : droit intégral.
Les fabricats anglais venant par mer et les fabricats d'Allemagne ou de France, venant par terre, entrent en Belgique au droit intégral. Les fabricats néerlandais, au contraire, pour autant qu'ils ne jouissaient pas de réductions spéciales de tarif en vertu des traités, devaient, auparavant, payer 10 p. c. de plus, et pour la seule raison qu'au lieu de venir par mer ou par voie de terre proprement dite, ils arrivaient par canaux et rivières. C'était donc, en définitive, les engager à fuir la voie d'Anvers, et si la suppression de cette surtaxe de 10 p. c. sur les fabricats néerlandais peut être une faveur faite à l'industrie des Pays-bas, certes, ce n'est point au préjudice du commerce anversois.
Deuxième catégorie : Marchandises non comprises parmi les objets manufacturés et non comprises non plus parmi les articles qu'embrasse la loi du 21 juillet 1844. Voici le système existant :
Par mer : pavillon belge : droit intégral moins 10 p. c. ; pavillon hollandais (assimilé pour l’intercourse par le traité de 1846) : droit intégral moins 10 p. c..
Par navires et canaux : pavillon belge : droit intégral ; pavillon hollandais : droit intégral.
Par terre : droit intégral.
Ces marchandises ne sont point non plus de celles qui composent en général, le commerce d'entrepôt et de commission et ou peut, avec raison, demander pourquoi elles ne payeraient pas le droit intégral à l'entrée par mer comme à l'entrée par rivières et canaux, comme à l'entrée par terre ? Pourquoi ces marchandises, qui ne sont pas des denrées exotiques, seraient-elles frappées d'une surtaxe de 10 p. c. quand elles arrivent de Hollande, surtaxe qui ne frapperait pas les similaires d'origine anglaise, par exemple ? Ici encore, il s'agit d'une question industrielle plutôt que commerciale et on ne voit pas en quoi la place d'Anvers pourrait en souffrir sérieusement.
Nous arrivons aux marchandises comprises dans le système des droits différentiels. Ce sont évidemment celles-là qui font l'objet réel du débat.
Troisième catégorie. Marchandises comprises dans la loi du 21 juillet 1844 et à l'égard desquelles les droits différentiels sont conservés par le traité.
Café, tabacs, sucre, coton, riz, bois d'ébènisterie et de teinture, fruits, huile d'olive, soufre brut.
Importation annuelle moyenne de 1845-1850, 66,000 tonneaux.
D'après le nouveau traité et les mesures complémentaires, les importations directes à Anvers conservent sur les arrivages de Rotterdam par n'importe quelle voie, les primes suivantes : (détail non repris dans la présente version numérisée)
Le traité maintient donc les droits différentiels sur la plus grosse partie des marchandises coloniales comprises dans la loi du 21 juillet, et cela de manière que les importations maritimes directes conservent leur avantage antérieur sur les provenances des entrepôts néerlandais.
Voilà le point capital, au point de vue du moins des partisans du système des droits différentiels.
Quatrième catégorie. Marchandises comprises dans la loi du 21 juillet 1844 et à l'égard desquelles les droits différentiels sont supprimés.
(page 413) Ce sont les 30 ou 35 marchandises qu'énumère le paragraphe premier de l’article 14 du traité du 20 septembre.
Quelle est la vraie importance commerciale de ces articles, qui sont toute la base de la discussion ?
Le tonnage total des marchandises comprises dans la loi du 21 juillet 1844 représente, en moyenne, environ 170,000 tonneaux (mises en consommation).
J'ai dit que les dix articles sur lesquels des droits différentiels sont conservés prennent, dans ce chiffre, 66,000 tonneaux.
Il faut en distraire les bois de construction et les graines oléagineuses, c'est-à-dire les principales provenances du Nord, et voici pourquoi : Déjà, en 1844, les auteurs de la loi des droits différentiels ont douté s'il fallait y comprendre ces provenances, et la chambre d'Anvers elle-même était d'avis contraire.
Les faits ont, depuis, démontré que le pavillon belge, malgré nos nos droits différentiels, ne prend point part à leur transport.
En 1850, le pavillon belge a importé 332 tonneaux de bois de construction sur une importation totale de 45,000 tonneaux et 390 tonneaux de graines oléagineuses, sur une importation totale de 42,000 tonneaux.
Mais, fait-on observer, ce n'est pas la question de pavillon qui importe en ceci, c'est la question de provenance.
Je réponds que la question de provenance ne court pas plus de risque que l'autre.
En effet, nous recevons aujourd'hui les bois de construction et les graines oléagineuses en très grande partie des pays du Nord ; et, en quantité relativement faible des Pays-Bas (imp. des Pays-Bas : 750 tonneaux de bois et 416 de graine de lin et de chanvre, plus 2,764 tonneaux de graines de colza, navette, etc. ; mais ces dernières d'origine néerlandaise).
Or, quels droits ont été, dans la pratique, appliqués à ces marchandises ? Les provenances du Nord et les provenances des Pays-Bas ont acquitté généralement les mêmes droits. Qu'on ouvre la statistique officielle, on en trouvera la preuve. Aussi, en fait les droits différentiels n'existaient pas pour les provenances du Nord.
Eh bien ! que fera le régime nouveau ? Il appliquera aux bois et aux graines venant du Nord les mêmes droits qu'aux bois et graines venant des Pays-bas. C'est déjà ce qui, en général, a lieu aujourd'hui.
On peut donc soutenir, avec raison, que la question de provenance ne sera point changée, en fait, par la suppression des droits différentiels sur ces articles. On peut prédire, avec non moins de certitude, que les bois et les graines continueront à nous venir du Nord et non des Pays-Bas. Les relations sont établies, et ce serait aller contre la nature des choses de supposer que, pour venir de Suède ou de Russie en Belgique, ces marchandises iront s'entreposer à nos portes, alors que cela ne leur assurerait aucun avantage de tarif et qu'elles ont aujourd'hui l'habitude de venir directement sur notre marché.
Les faits attestent donc, à l'évidence, que, ni comme question de pavillon, ni comme question de provenance, les droits différentiels n'ont agi d'une manière efficace sur le commerce des bois de construction et des graines oléagineuses. L'expérience ne permet pas de douter qu'à droits égaux, ces articles continueront de nous venir des mêmes lieux et de la même manière.
Or, dès lors, qu'on retranche les provenances du Nord, ou plutôt les deux principales d'entre elles du tonnage de la loi du 21 juillet 1844, on trouve que le reste se divise à peu près ainsi : 66,000 tonneaux pour les 10 articles conservés ; 20,000 pour les 35 articles supprimés.
Ce sont là des moyennes prises sur une période de six années.
Examinons donc de plus près ce chiffre de 20,000 tonneaux.
Dans ce chiffre, la part des importations favorisées sous pavillon belge n'a guère été que de 4,700 tonneaux. Ainsi, nul intérêt pour la navigation nationale.
Mais ce n'est pas de la question de pavillon que l'on se préoccupe surtout à Anvers ; c'est, comme je l'ai déjà dit, de la question de provenance.
Nous ne recevrons plus les 35 marchandises que de Rotterdam ; c'est Rotterdam qui en approvisionnera les deux tiers de notre marché, et non plus Anvers ! Voilà le langage que l'on tient.
Voyons encore une fois les faits.
Les Pays-Bas nous livrent aujourd'hui, pour notre consommation, de 5,000 à 6,000 tonneaux des marchandises dont il s'agit.
Cette part s'augmentera-t-elle et au détriment de qui ?
Les 53 marchandises nous viennent ou de provenance directe, ou d'entrepôts européens autres que les entrepôts néerlandais ; ou, enfin, des entrepôts des Pays-Bas.
Eh bien, je n'hésite pas à le dire, les provenances directes, parce qu'elles payeront les mêmes droits que les provenances des Pays-Bas, ne cesseront point de prendre leur ancienne part dans l'approvisionnement de notre marché. Prétendre le contraire, ce serait prétendre que nous ne recevrons plus de retours des pays transatlantiques et que, partout, nous ne vendions plus rien a ces pays, ce serait prétendre aussi que les prix du marché d'Anvers seront, perpétuellement et pour tout, supérieurs aux prix du marché de Rotterdam ou d'Amsterdam. Ce sont là des exagérations qui doivi nt tomber devant le simple exposé des faits. Il y a pius : Je soutiens que les provenances directes augmenteront et voici pourquoi :
Beaucoup de bâtiments étrangers arrivant d'Amérique ne s'éloignent de nos ports que parce que notre système de relâche les empêche de recevoir la Belgique pour destination. J'invoque, à cet égard, le témoignage des négociants d'Anvers eux-mêmes, dont vous avez entendu, naguère encore, les plaintes contre le régime actuel de la relâche. Or il n'y aura plus, pour toutes ces marchandises, ni droits différentiels, ni restrictions de relâche.
La part des entrepôts européens décroîtra-t-elle ? D'abord, je demanderai où serait le mal, si nous recevions un peu plus de marchandises de Rotterdam et un peu moins de Hambourg ou de Liverpool ? Rotterdam peut devenir d'une importance sérieuse pour l'expédition de nos produits, à cause des occasions fréquentes et économiques qu'il offre au commerce d'exportation.
Mais je persiste à croire que les grands entrepôts européens ne sont pas à ce point dominés par Rotterdam ou Amsterdam, qu'ils ne pourront plus rien envoyer en Belgique parce qu'ils devront acquitter les mêmes droits que les entrepôts néerlandais. Ces derniers vont être délivrés d'une surtaxe égale au dixième des droits d'entrée, surtaxe qui, dans la plupart des cas, ne représentait qu'une fraction tellement minime de la valeur des cargaisons, qu'elle descendait, par exemple, pour les cuirs dont on a tant parlé, jusqu'à 1/70 et 1/130 p, c. de la valeur de la marchandise, c'est-à-dire qu'il y avait à faire venir un tonneau de cuirs d'Angleterre plutôt que de Rotterdam, un bénéfice de 10 centimes pour les cuirs verts, de 15 centimes pour les cuirs secs, évalués officiellement à 7 et à 13 francs le tonneau ! On ne peut rien ajouter à de pareils chiffres.
D'un autre côté, pour tous les articles auxquels le traité de 1846 accordait un traitement intermédiaire, le nouveau traité rétablit l'égalité. Il y a donc perte d'un côté, gain de l'autre, et en somme, on peut dire avec raison, que la position des entrepôts néerlandais à l'égard des autres entrepôts européens ne sera point dans l'ensemble modifiée de manière à faire prévoir que les premiers vont hériter de tout ce qui appartenait aux derniers.
Il en est, du reste, de cette question de 10 p. c. comme de beaucoup d'autres qui se rattachent à ce débat. On les a enflées à plaisir. Veut-on savoir à combien se montait annuellement la perte du trésor du chef de la remise de 10 p. c. accordée aux importations maritimes, sous le régime antérieur ? A environ 50,000 fr. !
Peut-on sérieusement soutenir que parce que les importations maritimes vont être privées d'une remise de 50,000 fr., et par suite assimilées aux importations par rivières et parterre, peut-on soutenir qu'elles vont céder le marché belge à ces dernières ?
Evidemment, non. J'ajouterai que notre cabotage même ne peut s'en plaindre, d'une part, parce qu'il ne tire qu'un faible profit de la remise de 10 p. c. et, d'autre part, parce que, par suite des traités, il devrait la partager avec tous les pavillons étrangers.
La part actuelle des entrepôts néerlandais est, ai-je dit, de 5 à 6 mille tonneaux.
La consommation moyenne totale du pays est de 20,000 tonneaux.
Raisonnons dans l'hypothèse que la consommation demeurera fixée à ce chiffre, car si elle s'accroissait en même temps qu'augmenteraient les arrivages de Rotterdam, Rotterdam y gagnerait peut-être, mais Anvers ne perdrait rien et les consommateurs au contraire en retireraient le principal profit.
Des organes du commerce anversois veulent bien admettre que Rotterdam n'approvisionnera ni Anvers même, ni le Brabant, ni les provinces, enfin, situées derrière le marché anversois.
Ce qui va être enlevé à Anvers, ce sont les marchés latéraux, si on peut parler ainsi, c'est Gand, d'un côté, Liège et les contrées riveraines de la Meuse, de l'autre.
Supposons, ce qui est beaucoup trop concéder, que les marchés latéraux représentent la moitié de la Belgique. Ils absorbent donc, à eux seuls, 10,000 des 200,000 tonneaux qui forment la consommation totale du pays.
Eh bien ! ces 10,000 tonneaux vont-ils être exclusivement livrés par Rotterdam et la Hollande ? Je dis que non, et pour deux motifs.
Le premier, c'est que la célérité, la régularité et la fréquence des occasions, les relations établies, la nature des échanges feront que toujours la province de Liège tirera d'Anvers plutôt que de Rotterdam uue partie de son approvisionnement en marchandises coloniales.
Le second, c'est qu'il n'y a point, entre les conditions de transport entre Rotterdam et Liège, d'une part, Anvers et Liège, de l'autre, cette dilference que l'on s'est plu à invoquer avec plus de bruit que de vérité.
Représentons-nous deux marchandises similaires déchargées, l'une à Rotterdam, l'autre à Anvers.
Les marchandises ne s'expédiani point de Rotterdam à Liège comme elles arrivent, c'est-à-dire par cargaisons entières, il faut les entreposer. La mise en entrepôt et le chargement à Rotterdam coûtent de 20 à 25 cents par 100 kil.
Le fret de Rotterdam à Liège pour les denrées exotiques est de 65, 70 et 75 cents par 100 kilog. Il faut y ajouter 10 cents quand il ne s'agit pas de charges complètes.
Le transport de Rotterdam à Liège est exposé à certains risques. L'assurance est de 5 cents par 100 kilog.
Déchargement à Liège, 9 centimes par 100 kilog.
(page 414) Mise à l'entrepôt, 10 centimes par 100 kilog.
Portage à l'entrepôt et camionnage au chemin de fer, 25 centimes par 100 kilog.
Il s'agit jusqu'ici des expéditions qui se font par la Meuse.
Quant aux expéditions par le canal de Maestricht à Bois-le-Duc, elles n'ont aucun tarif fixe. On paye d'après la nature des marchandises, et selon les circonstances. Voici les détails ;
Fer en barres et laminé, fl. 8
Teintures lourdes, fl. 10
Teintures légères, fl. 13
Café, fl. 13
Riz, fl. 13
Tabacs en feuilles, fl. 14
Cuirs secs, fl. 19
Coton en balles, fl. 19
le tout par last de 2,000 tonneaux.
Et non compris l'assurance, qui est de 3/4 à 1 p. c. de la valeur. La réduction des péages sur le canal de Maestricht fera baisser ces chiffres de 26 cents pour tout le parcours hollandais.
D'Anvers à Liège, le transport par chemin de fer coûte :
Tarif n°2. Café, sucre, tabac, denrées coloniales, etc. 1 fr. 30 c. par 100 kilog.
Tarif n°3. Sel, fers, bois de construction, etc., 84 centimes par 100 kilog.
Prise à domicile, 15 centimes.
Remise à domicile, 15 centimes.
Les marchandises arrivant à Anvers pour être envoyées à Liège peuvent être déclarées en consommation et dès lors échapper à la nécessité d'être entreposées. Que si même elles passaient par l'entrepôt, elles seraient à cet égard dans le même cas que leurs rivales de Rotterdam.
Lorsque les marchandises de Rotterdam arrivent à Liège sans destination certaine, elles doivent nécessairement s'y entreposer, tandis qu'on peut les faire venir d'Anvers à Liège pour ainsi dire du matin au soir.
Il y a, d'ailleurs, entre les deux routes, d'autres différences encore parmi lesquelles je ne citerai que l'état des voies fluviales pendant certaines saisons de l'année, tandis que la voie ferrée est toujours également libre et rapide.
Si les frais de place sont plus élevés à Anvers qu'à Rotterdam, on voudra bien reconnaître, sans doute, que ce n'est pas au gouvernement seul qu'il appartient d'y remédier, et cette différence est, du reste, plus que corrigée par d'autres circonstances que j'ai déjà indiquées.
Récapitulons.
A. Fret de Rotterdam à Liège pour les denrées exotiques, telles que café, tabacs, cuirs, etc. fr ? 1-36 à fr. 2-00 par 100 kilog.
B. Fret d'Anvers à Liège fr. 1-30 par 100 kilog.
Je laisse de côté, de part et d'autre, les frais accessoires, les chances diverses, la tapidilé différente, la régularité des services, les relations établies, etc., toutes circonstances qui sont, en général, à l'avantage d Anvers, et je dis, quant au marché de Liège :
Que pour les marchandises comprises dans le tarif n°3 de notre chemin de fer, Anvers conserve sur Rotterdam une supériorité incontestable.
Et que pour les marchandises comprises dans le tarif n°3 du chemin de fer, Anvers peut lutter contre Rotterdam.
Je ne me contenterai pas de ces inductions, quelque précises qu'elles soient. J'ai parlé de marchandises diverses. Je vais en prendre une en particulier et je choisirai précisément celle dont on a fait le plus de bruit, les cuirs ! Eh bien, voici deux comptes simulés, dressés, l'un à Anvers, l'autre à Rotterdam, il n'y a pas dix jours, et par deux maisons dont nul ne pourrait récuser la compétence et que je nommerai au besoin (Kreglingcr-Serruys).
Je lis textuellement :
Compte simule des différents frais de transport d'un tonneau (1,000 kil.) de cuirs non apprêtés de Rotterdam à Liège.
Déchargement du navire de mer, fl. 0 50
Mise en entrepôt (tarif), fl. 0 70
Magasinage (un mois, tarif), fl. 0 60
Assurance et incendie 11/600 à 3/4 00/00 p. 3 mois, fl. 0 45
Sortie ou délivrance de l'entrepôt (tarif), fl. 0 50
Rechargement pour Liège, fl. 0 50
Fret de Rotteidam à Liège, fl. 9 50
Assurance 4/600 à 3/4 00/00 p. le voyage, fl. 0 45
fl. 13 50, soit fr. 27 85.
N. B. Il n'est pas fait mention du timbre des polices d'assurance, qui coûte 1 fl.
Compte simulé des divers frais de transport d'un tonneau de cuirs et peaux non apprêtés d'Anvers à Liège, dans la double hypothèse d'un entreposage pendant un mois et d'un transport direct.
Transit direct. 1000 kilog.
Débarquement à quai, 17 centimes par 100 kilog., 1 70
Pesage de la douane 5 c, par 100 kilog. 0 50
Chargement sur waggons, 5 c, par 100 kilog. 0 50.
Trajet d'Anvers à Liège par chemin de fer, 14 60
Total, fr. 17 30
Transit après entreposage :
Débarquement à quai, 17 c les 100 kilog., 1 70
Pesage de la douane, 5 c. les 100 kilog., 0 50
Transport à l'entrepôt, 8 c. les 100 kilog., 0 80
Emmagasinage pour un mois, 12 c. les 100 kilog., 1 20
Chargement sur waggons, 10 c. les 100 kilog. 1 00
Trajet d'Anvers à Liège, par chemin de fer, 14 60
Total fr. 19 80
Donc, pour un tonneau de cuirs destinés à Liège. Anvers l'emporte sur Rotterdam de fr. 8.05, s'il y a entreposage des deux côtes, et de fr. 10.55, s'il y a entreposage à Rotterdam seulement.
Et on soutient cependant que le commerce des cuirs va se déplacer, qu'il va quitter Anvers pour aller s'établir à Rotterdam.
Mais, dira-t-on, il ne faut pas seulement s'occuper des conditions respectives des transports de Rotterdam et d'Anvers à Liège, il faut tenir compte aussi des prix des mêmes marchandises, d'un côté, sur le marché de Rotterdam, de l'autre, sur le marché d'Anvers.
Je répéterai encore une fois, qu'il ne s'agit point des grands articles coloniaux, pour lesquels Anvers conserve des droits différentiels en faveur des provenances directes.
Quant aux autres marchandises, on ne peut admettre, on ne peut démontrer que le niveau du marché d'Anvers doive être, d'une manière générale et permanente, plus élevé que celui de Rotterdam. On ne saurait établir le contraire qu'à l'aide d'hypothèses que rien ne justifie d'une manière absolue, et si le fait était vrai, ce n'est point à des restrictions, ce n'est point à des surtaxes de 10 ou de 20 p. c, qu'il faudrait recourir pour protéger Anvers avouant son infériorité, c'est à la liberté qu'il faudrait en appeler. J'ai pour moi, en parlant ainsi, et la raison et l'histoire commerciale.
Je m'aperçois que j'ai omis de parler du marché de Gand et des Flandres.
Le fret de Rotterdam à Gand varie de 5 à 6 florins par last, ce qui fait 53 et 63 centimes par 100 kilogrammes.
Le transport des denrées coloniales d'Anvers à Gand, coûte :
Par chemin de fer 35 centimes.
Par eau 25 centimes
Il me semble qu'il suffit de citer ces chiffres. La réduction des péages sur le canal de Terneuzen porte sur des droits très bas.
J'aborde une autre face de la discussion.
Rotterdam, dit-on, ne viendra pas seulement nous faire concurrence sur notre marché intérieur, il nous ravira jusqu'à notre commerce de transit, par les voies que lui a ouvertes le traité du 20 septembre.
C'est encore là une de ces assertions qui ne sauraient tenir devant les faits.
Oui, notre commerce de transit est menacé ! Mais ce n'est point de la manière que l'on indique. Bientôt le Havre sera relié à Strasbourg par une voie ferrée non interrompue ; bientôt de nouvelles communications s'établiront entre les ports hollandais et le coeur de l'Allemagne. Déjà les eaux hollandaises sont dégrevées de tout péage et de tout droit de transit, et ces causes ne demeurent point sans effet. Le fret de Rotterdam à Cologne est tombé à un taux qui doit attirer notre plus sérieuse attention.
Devant cette situation, que fallait-il faire ? Le premier conseil que nous donnait notre position, c'était de lever le plus tôt et le plus complètement possible, les restrictions qui gênent encore notre commerce de transit. Certes, ce n'est pas assez, mais ce premier remède, dont Anvers naguère encore, pressait l'adoption, on en fait aujourd'hui un sujet de reproche. C'est l'un des griefs principaux contre nos traités avec les Pays-Bas et l'Angleterre.
Voyons donc si, au point de vue des intérêts d'Anvers, le traité du 20 septembre aura les fâcheux effets qu'on lui attribue, à l'avance, en matière de transit.
Rotterdam expédiera-t-il en transit par Anvers ? Il faudrait, pour l'admettre, supposer que, malgré les frais de déchargement, d'entreposage et de rechargement qu'exige le passage des marchandises par Rotterdam, malgré les frais de transport de Rotterdam à Anvers et qui sont de 2 à 3 florins par tonneau pour les marchandises pondéreuses et de 8 à 10 florins pour les marchandises encombrantes, Anvers serait à ce point inférieur à Rotterdam qu'il se laisserait faire la loi jusque chez lui-même ; il faudrait, en un mot, désespérer de l'avenir de notre métropole commerciale ! Si Anvers ne craint pas que Rotterdam vienne approvisionner le marché d'Anvers même, il ne doit pas craindre que Rotterdam usurpe le transit par Anvers.
Faut-il ajouter que les marchandises destinées au transit sont libres de droit d'entrée en Belgique, et qu'il en était ainsi avant comme après le traité du 20 septembre ?
Rotterdam expédiera-t-il en transit par la Meuse jusqu'à Liége, et de là, par les chemins de fer ?
Il n'y a, à cela, qu'un léger empêchement ! C'est que le parcours de Liège à Cologne coûte plus que le parcours entier de Rotterdam à Cologne.
(page 415) Le transport de Liége à Cologne, par chemin de fer, coûte fr, 1-25 par 100 kilogrammes.
Le fret pour les matières pondéereuses de Rotterdam à Cologne n'est que de 80 à 90 centimes par 100 kilogrammes.
Voilà pour le transit des marchandises destinées à la Prusse.
Les marchandises destinées aux pays situés au-delà du territoire prussien acquittent, en sus du fret ci-dessus indiqué, 55 centimes du chef des péages du Rhin.
Mais nous avons omis de compter, quant au transit par Liège :
a. Le fret de Rotterdam à Liège, fr. 1 36
b. Assurance, fr. 0 10
c. Déchargement à Liège, fr. 0 09
d. Entreposage, id., fr. 0 10
e. Portage et camionage, id., fr. 0 52
f. Déchargement à Cologne, transport au Rhin, embarquement, fr. 0 25
g. Frais de commission, fr. 0 25
Total, fr. 2 67
Ainsi, d'une part, fr. 0.90 plus 0.55, soit fr. 1 45
De l'autre, fr. 1.25 plus 2.67, soit fr. 3 92
Ou fr. 14.50 par tonneau, d'un côté, fr. 39.20 par tonneau, de l'autre.
J'ai posé la question à Rotterdam, à Cologne, à Aix-la-Chapelle. Partout la réponse a été la même. Le transit de Rotterdam par Liège n'est point dans les choses praticables, et il serait facile de prouver que ce que j'ai dit de Cologne, l'on peut le dire des places intermédiaires entre Cologne et la frontière belge. Le chemin de fer de Düsseldorf à Aix-la-Chapelle sera achevé en 1852 et celui de Maestricht en 1853.
C'est une chose fâcheuse à dire, sans doute, mais nous ne gagnerions rien à nous dissimuler la vérité ; la voie des eaux hollandaises et du Rhin l'emporte, pour le transit des matières pondéreuses, sur notre chemin de fer. Mais que peut-on faire pour remédier à une semblable situation ?
Nous avons commencé par le plus pressé. Nous avons, dans la mesure de ce qui était immédiatement possible, levé les prohibitions et les droits de transit qui existaient encore chez nous. Nous avons supprimé les droits différentiels qui écartaient de nos ports beaucoup plus de cargaisons qu'ils n'en appelaient. Nous avons proposé de favoriser, à l'aide du crédit de l'Etat, l'établissement en Belgique de nouvelles voies ferrées qui, au point de vue du transit, auront une importance appréciée de tout le monde. Il reste encore d'autres moyens, dont je ne citerai que les deux suivants, entre lesquels nous avons l'alternative.
Abaisser encore les péages de notre chemin de fer.
Ou faire ce qui a réussi à Rotterdam ; établir, entre Anvers et Cologne, un service de remorque à vapeur qui profite des réductions et des suppressions de péages dont jouit aujourd'hui la voie fluviale.
Or, la création de ce service était impossible aussi longtemps que les formalités de transit n'étaient pas levées en Hollande.
Le traité, sans aliéner aucune partie de nos droits et en les réservant, au contraire, dans leur intégrité, le traité lève cet obstacle ; et croit-on que devant l'évidence des faits, devant la gravité et l'imminence du danger qui nous menace et qui, surtout, menace Anvers, on nous sache gré de cette stipulation ? Nullement !
On nous fait un grief de l'une des dispositions les plus véritablement utiles du traité, d'une clause qui va rendre possible l'une des mesures les plus urgentes que nous ayons à prendre, savoir l'établissement d'un remorquage entre Anvers et Cologne.
Je crois pouvoir borner là, messieurs, cette revue des objections de la chambre de commerce d'Anvers.
Trois points dominent le débat :
1. Il ne fallait pas supprimer les droits différentiels sur les 35 marchandises énumérées à l'article 14 du traité.
2. Il fallait, dans tous les cas, conserver aux importations maritimes une protection contre les arrivages par rivières et canaux et par terre.
3. Le transit va prendre la voie de la Meuse et de Liège au lieu de la voie d'Anvers.
Le gouvernement a systématiquement agi en abolissant les droits différentiels sur les 35 marchandises en question, il n'est nullement disposé à se reconnaître un tort quelconque à cet égard.
Je ne crois pas, du reste, qu'à moins d'être entraîné par une opinion préconçue, ou aveuglé par l'amour paternel, on puisse aller jusqu'à prétendre que dans la position qui nous était faite et devant les négociations que nous avions à conduire avec les Pays-Bas et surtout avec l'Angleterre, nous devions rigoureusement nous abstenir de toucher au système établi en 1844. Voilà pour le premier point.
Le troisième point concerne le transit par Liège. Je n'y reviendrai pas. Les faits font raison de cette critique.
Reste le deuxième point, et c'est, je crois, celui sur lequel se concentrent aujourd'hui les représentations du commerce anversois. Eh bien, laissant de côté tout autre moyeu d'influence, je n'ai voulu interroger devant vous que les faits, et le bon sens et nous sommes arrivés à cette conclusion qu'Anvers, non seulement conservera son marché immédiat, mais pourra très avantageusement soutenir la lutte sur les marchés latéraux.
L'on avait attaqué le traité de 1846, l'on attaque le traité de 1851. J'ai démontré que les accusations actuelles ne font pas plus fondées que les accusations anciennes et que des compensations antérieurement refusées sont, au contraire, aujourd'hui accordées.
Le traité du 20 septembre se dégagera, à Anvers même, des préventions dont on l'a un moment entouré et qui ne soit pas toutes dues à des préoccupations commerciales ; on lui rendra meilleure justice à mesure qu'on en saisira mieux la véritable portée, et je ne crois pas me tromper en prédisant que ce jour n'est pas éloigné.
Messieurs, après ces considérations, je crois que je n'ai pas besoin de m'occuper des critiques exagèrées, des hyperboles dirigées contre le traité. Ainsi l'on a parlé de la fermeture de l'Escaut, du traité de Munster, de la décadence commerciale de la Belgique, de la suppression complète de son commerce. Les faits et la raison publique ont fait justice de toutes ces critiques qui ne méritent pas une réfutation. J'en appelle à l'impartialité de la chambre.
J'espère qu'avant d'accueillir tout ce qui a été dit contre le traité, elle voudra bien, pour l'apprécier, ne tenir compte que des faits.
Il me reste une tâche à remplir : c'est de faire valoir les avantages du traité.
Jusqu'à présent, on ne s'est guère occupé que des concessions que nous avons faites : on a passé très rapidement sur les avantages que la Belgique va retirer de cet acte international : on me permettra à mon tour d'examiner le côté avantageux du traité.
Il me semble d'abord qu'on a fait bon marché de ce que nous obtenons par le traité la garantie de la jouissance de tous les bénéfices résultant des lois du 8 août 1850 ; nous sommes en jouissance de ces avantages ; cela est vrai ; mais nous n'avons aucune garantie à cet égard. Dans les lois du 8 août 1850 se trouve déposé le principe de la réciprocité, et le droit d'user de représailles est abandonné au gouvernement, sans qu'il ait besoin de recourir à la législature.
Ainsi du moment où le traité de 1846 viendrait à cesser, nous serions exposés à être frappés de mesures de représailles ; nous perdrions donc les avantages assurés à notre navigation et pour le transit par les lois libérales de la Hollande. Je vais résumer ces avantages :
1° Nous jouissons d'une complète assimilation au pavillon hollandais ;
2° De l'exemption complète de tout droit de transit ;
3° De la suppression des péages sur le Rhin et l'Yssel ;
4° De l'assimilation par terre et par rivières et canaux aux importations maritimes, ce qui a exhaussé de 10 p c. les droits d'entrée sur les produits anglais et autres importés par mer.
5° De l'abaissement du tarif néerlandais sur une série d'articles servant aux constructions maritimes et dont nous livrons une partie.
Pour les relations entre la mère patrie et les colonies hollandaises, je conviens que le monopole en est encore acquis à la Maatschappij. Le traité nous accorde cependant une garantie d'une haute importance : c'est qu'aucune nation ne sera traitée plus favorablement que la Belgique sur le marché des colonies hollandaises. C'est ce qui ne résultait pas du traité de 1846. Or, il peut arriver qu'un traité soit prochainement conclu avec le Zollverein ; si une stipulation favorable aux produits de l'Allemagne était introduite dans cet arrangement international, nous en jouirions en vertu du traité du 20 septembre.
Pour l'agriculture, messieurs, les avantages sans doute ne sont pas considérables dans le traité actuel. Mais on serait injuste cependant de les passer complètement sous silence. Ainsi il y a une réduction très forte sur l'entrée des cendres de foyer en Belgique, à la sortie de Hollande ; réduction qui très favorable aux intérêts agricoles.
Nos exportalions en produits agricoles dans les Pays-Bas s'élèvent au chiffre d'environ deux millions, ce qui n'est pas non plus à dédaigner.
L'agriculture n'est donc pas complètement désintéressée dans les stipulations du traité du 20 septembre. Je crois que les dédommagements qu'elle y trouve compensent certainement le tort fort hypothétique que peut lui faire la suppression du droit de 8 francs sur le transit du bétail.
Pour le transit, messieurs, je me bornerai à faire remarquer que si nous accordons des avantages, en compensation nous obtenons la liberté entière du transit en Hollande, je l'ai déjà fait remarquer à la chambre, par les eaux intérieures à l'entrée par terre, par les canaux et rivières et par mer. Il n'y a plus la moindre restriction.
Pour ce qui concerne la réduction sur les canaux, l'avantage est aussi de notre côté au point de vue financier.
Sur le canal de Maeslricht à Bois-le-Duc, le montant des droits en 1850 s'est élevé à 65,000 fr. environ dans les Pays-Bas, et à 33,00 fr. en Belgique.
Il y aura donc en Belgique une diminution de 16,500 fr. ; mais il est à remarquer que déjà par suite des réductions que nous accordons à l'importation des matières premières et à l'exportation, en vertu de la loi que vous avez votée récemment, cette réduction devient insignifiante, tandis que nous obtenons une réduction de 32,500 francs sur la partie néerlandaise.
Et il est à remarquer que les transports s'effectuent si pas complètement, au moins pour la plus grande partie, de Liège vers la Hollande, tandis que les transports de la Hollande vers Liège ne sont pas très considérables. Si donc le traité donne lieu à des retours pour cette navigation, ce sera un avantage pour la navigation liégeoise.
(page 416) Pour le canal de Gand à Terneuzen, il y a à peu près égalité dans la réduction qui sera faite sur la recette concernant la partie belge et sur la recette concernant la partie néerlandaise.
Mais là encore s'applique cette observation, que déjà nous accordons une faveur pour les exportations de nos produits et pour les importations de matières premières.
Enfin, messieurs, les articles évidemment les plus importants sont ceux qui concernent notre industrie. Je crois nécessaire d'entrer dans quelques détails à cet égard.
Nous avons déjà indiqué, dans son ensemble, l'importance du marché néerlandais pour nos produits manufacturés, la progression remarquable de nos produits sur ce marché, le haut intérêt pour notre industrie de le conserver intact, à l'abri de tout trouble, de tout danger. Je vais maintenant vous citer quelques détails.
(Le ministre des affaires étrangères donne ensuite (pages 416 à 418) le détail, pour plusieurs provinces et plusieurs villes industrielles, de l’influence de la modification des tarifs sur un certain nombre de produits. Ce détail n’est pas repris dans la présente version numérisée).
(page 418) Voilà, messieurs, quels sont les nombreux intérêts industriels qui sont avantagés par le traité. Si vous rejetiez le traité, comme l'opposition vous y convie, vous compromettriez tous ces intérêts, car non seulement vous rentreriez dans le droit commun, où des nations rivales profiteraient des faveurs que vous auriez niaisement abandonnées ; mais vous ne pourriez échapper à une guerre de représailles. Or, savez-vous quels sont les dommages matériels qui ont été la conséquence de la rupture commerciale de 1846, qui a duré 6 mois ? En voici un aperçu :
Pour les houilles, l'exportation qui avait été dans les six mois de 1845 de 95,246 tonneaux, tombe pour la même période de 1846, à 27,975 tonneaux.
Les exportations de fonte ouvrée ont diminué de moitié ; les exportations en fer battu, de 301,403 kil. qu'elles étaient en 1845, sont tombées à 95,274 kil.
L'exportation de nos clous, qui pendant les six mois de 1845, était de 2 millions de kil., est tombée à moins de 800,000 kil. dans la période correspondante.
La réduction sur nos tissus de coton a été de 100,000 kil. ; l'exportation de nos verres à vitre est tombée de 800,000 à 400,000 kil.
J'appelle toute l'attention de la chambre sur ce point. Il ne faut pas seulement envisager ici les réductions que nous obtenons sur le tarif, mais il faut surtout peser les conséquences déplorables qui pourraient résulter du rejet d'un acte aussi important. C'est à la chambre à apprécier si elle veut renouveler l'expérience funeste de 1846.
M. Manilius. - Messieurs, dans la situation où se trouve la discussion, le désir de la chambre doit me faire un devoir d'être plus bref que les deux honorables préopinanls qui viennent de parler. Je tâcherai de satisfaire à ce juste désir de la chambre.
Messieurs, les dernières paroles qu'a prononcées l'honorable ministre des affaires étrangères sont à mes yeux les plus concluantes de tout le discours que je viens d'entendre.
L'honorable ministre vous a dit : Il faut prendre le traité dans son ensemble ; il faut considérer que quand il y a un traité avec une puissance voisine, vous êtes toujours dans une position meilleure que lorsque vous êtes à l'état de représailles comme vous l'avez été il y a quelques années.
Messieurs, après avoir bien médité, après avoir bien examiné le rapport de la section centrale, le travail extrêmement important de l'honorable M. Malou, je suis arrivé à la même conclusion, qu'ily a réellement beaucoup à désirer de la part de la Belgique vis-à-vis de la Hollande, mais que beaucoup d'avantages aussi lui sont faits ; et, en fait de traité, il est impossible que chacune des parties contractantes ne cède pas quelque chose. Ou vous n'aurez jamais de traité, ou certaines clauses laisseront à désirer pour l'une ou l'autre des deux parties contractantes.
Il va donc sans dire que je ne puis adopter les conclusions du rapport de la section centrale.
Messieurs, en ce qui concerne les parties regrettables du traité, celles sur lesquelles d'honorables préopinants ont récriminé, je dois faire de mon côté une recommandation au gouvernement. Il est regrettable pour la Belgique qui a été si longtemps liée à la Hollande, qui a eu en commun avec elles les colonies, qu'aujourd'hui après deux traités, nous n'ayons pas encore une meilleure position.
Vous venez d'entendre M. le ministre des affaires étrangères vous dire : Je regrette que nous n'ayons pas obtenu davantage, mais nous avons gagne. Nous avons gagne quoi ? D'être reçu dans les colonies sur le même pied que toutes les autres nations !
Après un premier traité, j'espérais que nous aurions pu avoir mieux : je regrette que l'on n'ait pas obtenu davantage. Mais je déclare que j'ai confiance dans le cabinet, que je suis persuadé que dans les occasions qui vont se présenter et qui doivent nécessairement se présenter vis-à-vis d'une nation avec laquelle nous sommes en si bonne intelligence, nous parviendrons à obtenir quelques avantages qui à mes yeux nous sont légitimement dus. Il s'agit de défendre nos intérêts ; je crois que le cabinet le fera ; car j'ai la conviction qu'il comprend parfaitement nos intérêts.
Messieurs, pour ce qui est de la question des droits différentiels, de pavillon de provenance, etc., je ne m'étendrai pas sur ce point ; je m'en réfère complètement à ce que j'ai dit lors de la discussion de ces importantes lois. En 1844, je m'en suis expliqué largement, sans connaître les résultats que nous connaissons aujourd'hui. Je suis d'autant plus en droit de m'en référer à ce que j’ai dit alors, que les faits constatés me donnent complètement raison, cependant j'ajouterai que l'on ne peut pas me considérer comme défavorable à la protection du pavillon, car chaque fois que vous pourrez protéger notre navigation, j'y donnerai les mains, mais je vous ferai défaut chaque fois que l'industrie nationale devra souffrir d'une protection mal assise.
Messieurs, j'ai dit tout à l'heure que j'avais grande confiance dans le cabinet pour les négociations ultérieures à suivre avec d'autres pays. Nous sommes à la veille d'avoir à traiter avec l'Allemagne, avec la France ; eh bien, messieurs, je le déclare franchement, je ne demande rien de plus au ministère que de mettre la même sagacité dans ces négociations, que celle qu'il a mise dans les négociations avec la Hollande.
Je n'en fais pas un grief au ministère, je vois, au contraire avec le plus grand plaisir combien il a défendu avec soin les provinces minéralogiques et métallurgiques. Ce sont là d'immenses intérêts pnur le pays, ce sont des produits qui donnent lieu à une main-d'œuvre considérable, La houille, messieurs, n'a aucune valeur autre que celle qui lui est créée dans le pays ; la houille n'est qu'à prendre ; elle ne coûte rien, mais avant de l'avoir il faut dépenser énormément, et cette dépense, c'est de la main-d'œuvre. Eh bien, messieurs, la houille, je dois le dire, a été défendue avec la plus grande sollicitude ; tout a été réservé pour elle ; pas même le transit n'a été accordé aux houilles étrangères.
Pour la métallurgie, c'est la même chose. Le fer a été défendu au même degré que la houille. Eh bien, nos immenses hauts fourneaux exigent également une grande main-d'œuvre et répandent beaucoup de bien-être dans le pays.
Mais il n'est pas jusqu'à des articles de minime importance qui n'aient été l'objet de toute la sollicitude du négociateur. Je citerai pour exemple certaines pierres calcaires et les ardoises.
J'ai vu avec étonnement que les ardoises du Luxembourg n'ont nullement été sacrifiées ; rien n'est modifié en ce qui concerne le transit des ardoises.
On a bien fait un sacrifice quant au transit du bétail, mais c'est peu de chose.
Qu'est-ce, en effet, que 8 francs, dit M. le ministre, pour une tête de gros bétail ? Ce n'est rien : on paye déjà 17 francs par le chemin de fer pour le transit ordinaire ; 8 fr. de plus ou de moins ne font rien ; je crois même que 17 francs sont trop pour une tête de bétail et que le chemin de fer laisse transiter le bétail a des conditions beaucoup plus raisonnables.
Eh bien, messieurs, lorsqu'on traite si légèrement le transit d'un objet si important, non pour une seule province mais pour le pays entier, car l'élève du bétail intéresse tout le pays et ce n'est pas à titre de Flamand que j'en prends la défense, lorsqu'on traite avec tant de légèreté, dis-je, le transit du bétail, je comprends parfaitement le motif pour lequel on a été si tenace à conserver la prohibition du transit des ardoises : j'ai fait des recherches et j'ai trouvé que nous avons livré à la Hollande en 1850, pour 814 fr. d'ardoises, qui sont menacées du transit des ardoises françaises.
Eh bien, messieurs, lorsqu'on met tant de soin à défendre un intérêt pareil, comment peut-on traiter avec tant de légèreté une autre industrie ? (Interruption.) Du reste, messieurs, c'est une comparaison qui me fait conclure que ce que MM. les ministres comprennent bien, ils le font bien et j'ai l'espoir que quand ils comprendront bien certains autres intérêts, ils les défendront avec le même soin.
Ne croyez pas, messieurs, que j'en veuille au ministère de bien défendre les intérêts qu'il comprend ; au contraire, je l'en félicite.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et les tissus ; vous n'en dites rien ?
M. Manilius. - Je m'étonne qu'on veuille me faire aller plus loin. Je demande que quand vous arriverez aux tissus, quand vous négocierez avec la France, avec l'Allemagne, avec l'Angleterre, vous apportiez à ces négociations autant de soin que vous en avez apporté à vos négociations avec la Hollande pour la houille et le fer. Je demande surtout que vous n'accordiez pas le libre transit au « twist », car l'on ne dit pas fil de coton, on dit « twist », pour mieux cacher la chose.
Que dit-on ? On dit, et c'est une invention de M. Dechamps, on dit : C'est pour favoriser le chemin de fer ; l'Allemagne a grand besoin de cet objet ; il en passe beaucoup par la Belgique et ils prennent le parcours le plus long : ils se dirigent par Ostende. J'ai fait plus, ajoutait à cette époque l'honorable M. Dechamps, j'ai abaissé le tarif et cet objet manufacturé, je l'ai mis parmi les objets les moins taxés. Vous le voyez, messieurs, pour des objets de très peu de poids on abaisse le tarif pour favoriser le chemin de fer et pour des objets pondéreux on agit en sens contraire.
Maintenant, messieurs, puisqu'on veut que j'aille plus loin, ce que je n'aime pas de faire, je dirai pourtant que la section centrale a demandé à M. le minislre des affaires étrangères comment il se faisait qu'on ne laissât pas transiter les fers ; M. le ministre des affaires étrangères a répondu à la section centrale que c'était tout naturel, que le traité avec l'Allemagne s'y opposait, attendu qu'une zone était réservée à nos fers, et que nécessairement le fer anglais ne pourrait pas aller leur faire concurrence.
Quant à la houille, on a demandé également pourquoi on ne laissait pas transiter la houille vers la France ; M. le ministre des affiires étrangères a répondu que la Belgique avait en France des zones pour les houilles, et que ce serait les compromettre que de laisser transiter les houilles.
MM. les ministres comprennent si bien ces intérêts qu'ils ne se contentent pas seulement du marché intérieur, mais qu'ils veulent encore des zones sur le marché extérieur. Ils ont certainement raison, et j'applaudis de tout cœur à leur sollicitude ; mais j'espère que lorsqu'il s'agira des tissus et des autres objets manufacturés, les ministres montreront la même sollicitude, auront pour ces produits les mêmes égards/
(page 419) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et vos tissus ?
M. Manilius. - Nous sommes en Hollande sur le pied le plus favorisé ; mais nous avons à lutter là contre l'Angleterre qui y paye les mêmes droits que nous. Vous n'êtes dune pas recevable, M. le ministre de l'intérieur, à faire cette interpellation ; la question ne me touche pas plus que les autres questions ; je réclame seulement les mêmes soins ; je réclame ce que vous réclamez par l'article 22 ; je veux que tous les intérêts soient traités de la même manière. Je demande que plus tard, quand vous examinerez les autres questions qui doivent se rattacher au système commercial que vous êtes en train de manier, vous ayez pour les grands intérêts du pays la même sollicitude que vous avez montrée pour ceux dont il s'agit dans l'article 22.
Si vous me comprenez bien, vous comprendrez que je m'associe entièrement à vos principes ; je veux être libre-échangiste, comme vous l'êtes. Continuez sur le même pied ; rien de mieux ; soyez prudents, soyez sages conservateurs, prévoyants des grands intérêts du pays. comme vous l'êtes maintenant. C'est tout ce que je veux.
Je vais dire pourquoi je désire qu'on reste conservateur, qu'on soit sage et prévoyant. L'honorable M. de Liedekerke, dans un beau et long discours, a dit, entre autres, qu'un fabricant avait été ruiné par l'introduction en masse de produits étrangers similaires, soit par jalousie, soit par la crainte de voir implanter cette industrie dans le pays, et vous savez que nos voisins savent agir en pareille occurrence.
Je demande que le gouvernement ait toujours les yeux ouverts sur les dangers dont sont menacés constamment les grands foyers d'industrie, aussi bien ceux qui se trouvent sous le sol que ceux qui se trouvent sur sa surface. Je ne demande ni plus ni moins que cela, et c'est à cette fin que j'ai rappelé l'exemple cité par l'honorable M. de Liedekerke.
Vous voyez donc, messieurs, qu'à l'aide de l'étude approfondie de tout ce qui se rattache au traité, il ne m'a pas été difficile de me rallier au ministère.
Je donnerai un vote approbalif au traité qui est soumis en ce moment à notre approbation parce que j'approuve l'esprit de son ensemble et que j'espère pour l'issue de sa spécialité. J'ai dit.
M. Dechamps. - Messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères s'étonnait tout à l'heure de l'opposition vive que rencontrait le traité du 20 septembre en dehors de la chambre et dans la chambre elle même ; il rappelait l'unanimité qui avait accueilli le traité de 1846.
D'abord, j'aurai l'occasion de démontrer plus tard que la différence entre les deux traites justifie assez la différence des positions prises aux deux époques. Mais il est une chose que M. le ministre oublie : c'est qu'il ne s'agit pas seulement ici du traité du 20 septembre. Le traité se rattache directement à la réforme de notre législation commerciale tout entière.
Messieurs, trois choses sont aujourd'hui en discussion : le traité du 20 septembre, auquel se lie le traité anglais par les principes ; la loi des droits différentiels de 1844 que l'on veut reformer, et, selon moi, que l'on va détruire ; en troisième lieu, la réforme de notre tarif douanier, dont les principes ont été clairement indiqués par M. le ministre des finances, dans un discours que j'appellerai le manifeste de la politique commerciale du ministère.
Ce champ est très vaste. Je n'ai pas la prétention et je n'aurais pas du reste la force de le parcouiir tout entier ; mais cependant on ne peut pas toucher à ces questions-là, sans y entrer plus ou moins profondément. J'aurai donc besoin de toute l'attention de la chambre qui me paraît déjà bien fatiguée, et de beaucoup de bienveillance. La difficulté de ce débat, pour moi, messieurs, c'est que nous ne sommes pas en présence d'un ensemble de mesures, de projets présentés, d'actes précis et formulés. La réforme agricole, elle est accomplie, nous la connaissons ; la réforme commerciale et maritime est préjugée par les traités ; une loi nous a été présentée la veille de cette discussion, après la conclusion des deux traités. Evidemment ce pro|et, qui a la prétention d'être désormais notre législation commerciale, auiail dû précéder les traites et non les suivre. Les traités sont les corollaires de la législation du pays, mais la législation du pays ne peut jamais être le corollaire des traités.
Pourquoi n'avons-nous pas imité en ceci ce qu'a fait la Hollande ? En 1850, la Hollande avait révisé sa législation générale, elle l'avait établie d'après des principes fixes dictés par les intérêts du pays. C’est lorsque la législation fut adoptée, que les Pays-lias renouvelèrent ou négocièrent les traités.
Nos propres antécédents auraient dû nous éclairer. Avant 1840, la législature a refusé d'examiner les traités conclus avec les Etats Unis, avec la France et le Mexique, parce qu'ils ne reposaient pas sur la législation commerciale qui n'était pas fixée ; elle a voulu que le vote de la législation générale précédât l'examen des traités.
Aujourd'hui qu'allez-vous faire ? Serez-vous libres demain, après l'acceptation des traités, dans l'appréciation des lois de réforme commerciale que le ministre vient de nous présenter comme conséquences des traités conclus, dans le but de les expliquer, d'en faire disparaître les anomalies, de les corriger ?
Les traités seront acceptés, non pas qu'on les trouve bons et excellents ; beaucoup de membres les regardent comme insuflisants ou mauvais ; mais les considérations politiques, la crainte d'une rupture exerceront une grande influence sur les votes.
Qu'arrivera-t-il quand nous discuterons le projet de législation générale ? Votre vote sera-t-il libre ?
Ces lois seront l'annexe, le post-scriplum des traités ; on aura fait une loi défectueuse pour corriger des traités défectueux, et cette loi vous sera imposée, parce que le rejet rendrait plus mauvaises les conditions des traités.
On a procédé d'une manière contraire à l'ordre logique, aux antécédents posés par les autres nations et par la Belgique elle-même.
La réforme industrielle, la révision des tarifs est annoncée par M. le ministre des finances. Les principes de cette réforme nous sont assez connus, pour que l'industrie ait le droit de s'en alarmer, mais on le soustrait à notre examen en l'ajournant ; on divise les projets ; on laisse à ceux qui ne sont pas encore atteints des espérances, des illusions qui paraissent acceptées par nos collègues de Gand ; on évite ainsi les coalitions de mécontentements entre l'agriculture, le commerce maritime et les industries, si on les avait frappés tous à la fois par une seule réforme.
Je crains bien que les représentants de nos centres industriels qui ont donné les mains à la réforme agricole et qui aujourd'hui acceptent la réforme maritime, n'aient à se repentir bientôt de cet abandon du principe de la protection qu'ils espèrent conserver pour eux. Une ligue se formera contre l'industrie, ligue de l'agriculture et du commerce maritime sacrifiés.
Ce qui s'est passé en Angleterre se renouvellera ici, mais en sens contraire. Dans le Royaume-Uni, la réforme a d'abord frappé l'industrie ; M. Cobden, dont l'industrie des toiles peintes avait été atteinte par la réforme et qui était alors protectionniste comme l'est mon ami M. Coomans, a levé le drapeau de la ligue des céréales et de l'abolition de l'acte de navigation, parce que le libre échange, disait-il, n'est une vérité qu'à la condition d'être conséquent et de s'appliquer à tout le monde.
L'industrie anglaise a demandé des compensations à l'agriculture et au commerce maritime ; en Belgique, l'agriculture et la navigation exigeront des compensations par l'abaissement des tarifs de douanes, et je prévois que nos libre-échangistes se joindront alors à l'agriculture et à la navigation pour hâter cette œuvre de démolition.
Je viens de dire qu'en Angleterre on avait commencé par la réforme industrielle, par l'abaissement des tarifs ; la liberté des céréales et l'abolition de l'acte de navigation n'ont été que les conséquences de cette première mesure.
Ici on a procédé d'une manière opposée : on a commencé par frapper l'agriculture par tous les côtés à la fois : liberté des céréales, libre entrée du bétail, système d'impôts pesant sur la propriété ; aujourd'hui on propose la réforme commerciale, demain à moins d'être illogique et injuste, ce sera la réforme industrielle. C’est contre cette politique commerciale que je viens m'élever aujourd'hui.
Voici le plan que je me propose de suivre dans ce discours : M. le minisire des finances a attaqué le régime des douanes actuel dans son ensemble.
Je défendrai ce système qui existe depuis 20 ans ; je tâcherai de faire aussi rapidemmeiit que possible l'histoire de cette politique commerciale écrite dans de magnifiques résultats ; aux assertions sans preuves de M. le ministre des finances, j'opposerai des faits irrécusables contre lesquels toute théorie vient se briser.
Je serai amené ensuite à examiner la législation différentielle de 1844 à laquelle se rattache directement le traite du 20 septembre,
J'ai eu l'occasion de le dire déjà, M. le ministre des finances condamne notre passé commercial comme il condamne notre passé politique.
La Belgique n'a que vingt années d'existence nationale ; ce jeune peuple a acquis cependant une constitution tellement robuste et virile que presque seul sur le continent il a su résister à la secousse de 1848 qui a ébranlé tant de nations et se créer une prospérité matérielle sans cesse croissante ; il a su grandir et se développer, sous l'influence d'institutions qui paraissent mortelles pour d'autres peuples.
Cette force nationale et politique, d'après M. le ministre des finances, c'est malgré la politique ancienne, malgré les lois et les institutions anciennes qu'elle a été acquise ; cette prospérité matérielle, c'est en dépit de notre régime commercial qu'elle a été achetée !
Cet argument vous paraîtra étrange ; mais c'est une réserve que M. le ministre des finances tient entre les mains pour l'avenir : si, ce que je crains, la politique qu'il pratique amène, dans l'avenir, l'affaiblissement politique et commercial du pays, il pourra dire : C'est malgré ma politique que ces fâcheux résultats ont été produits.
Je me trompe peut-être, messieurs ; mais il m'avait paru, à la lumière du simple bon sens, qu'après cette grande époque d'un travail de nationalisation de 18 ans, qu'après avoir fondé une constitution et une dynastie, créé toutes nos lois organiques et fondamentales ; qu'après cette époque de travail difficile et glorieux, l'intérêt du pays conseillait d'inaugurer une époque, non pas d'immobilité, à coup sûr, mais de conservation et de stabilité. (Interruption.) Il fallait améliorer toujours sans doute, non en ébranlant et en détruisant, mais améliorer en affermissant, en consolidant ce qui existait.
Or, qu'a-t-on fait, que persiste-on aà faire ? On a inauguré, précisément à cette époque, une politique de reforme et d'instabilité. Presque toutes nos lois organiques, institutions électorales et parlementaires, organisation militaire, système d'impôts, enseignement public, système agricole, législation commerciale et industrielle, toutes ces lois organiques, c'est-à dire fondamentales, inhérentes à la constitution même du pays, toutes ces lois sont ou menacées, ou ébranlées, ou détruites. (Interruption).
Je comprends que lorsqu'il s'agit, comme en Angleterre ou dans (page 420) d'autres pays, d'institutions vieilles de plusieurs siècles, je comprends là des ministères de réforme, une politique nouvelle ; et comme aujourd’hui en Angleterre, après plusieurs siècles, chaque citoyen de ce pays ne passe qu'en se découvrant avec respect devant les anciennes institutions de son pays, auxquelles on ne touche qu'avec des ménagements infinis ; mais chez nous, proclamer la nécessite de réformer, de détruire nos institutions organiques qui datent les unes de 6 ans, les autres de 10 ou 15 ans, c'est soumettre à une trop dangereuse épreuve l'avenir du pays.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qui a commencé ?
M. Dechamps. - Vous répondrez. Vous appelez cela réformer, et non pas révolutionner nos institutions ! Messieurs, ne disputons pas sur les mots ; laissons à l'avenir le soin de les définir et de les apprécier ; mais ce que je sais bien, c'est que lorsque la France, il y a soixante ans, en est venue non pas après dix-huit années d'existence comme nous, mais après quatorze siècles de monarchie, d'unité et de gloire nationale, en est venue à jeter la pierre à son passé, à renier sa politique ancienne, toutes ses institutions anciennes, à briser avec son histoire et ses traditions religieuses et politiques, à vouloir tout changer pour tout détruire, ce que je sais c'est que de ce moment le caractère national a été faussé, tué, c'est que la mobilité des institutions est devenue effrayante, c'est qu'on a cherché vainement à fonder quoi que ce soit sur le sol mouvant des révolutions,c'est que la révolution est devenue l'hôte permanent de la France, et que la liberté civile, la liberté politique, le gouvernement tempéré ont échoué tristement sur l'écueil du suffrage universel et de la République. (Interruption.)
Ces observations générales trouvaient naturellement leur place dans cette discussion. Je vais les appliquer plus directement à la question commerciale qui nous occupe ; car l'industrie et le commerce ont besoin avant tout, de stabilité et de sécurité, et c'est en me plaignant de l'instabilité à laquelle on veut livrer notre régime commercial, que j'avais le droit et le devoir de signaler à la chambre le système d'instabilité politique qu'a arboré le ministère.
M. le ministre des finances a condamné notre passe, notre politique commerciale. Dans le discours qu'il a prononcé, il a cherché à caractériser les principes et les résultats de cette politique commerciale.
Les principes ont été déclarés faux, les résultats mauvais. Voilà, en quelques mots, le discours de l'honorable ministre des finances ; principes faux, résultats mauvais. M. le ministre des finances n'a pas donné un seul mot de justification, d'atténuation pour adoucir la rigueur de ce jugement.
Le système actuel, a dit M. le ministre des finances, est essentiellement protectioniste. Or, nous savons ce que veut dire ce mot dans la bouche de l'honorable M. Frère. La protection, a-t-il dit, c'est le masque de la prohibition. Au point de vue industriel, les résultats ont été fâcheux, l'influence des droits qu'il appelle exagérés a été fâcheuse. Le régime commercial actuel a eu pour effet d'entraver le développement d'une foule de nos industries, de comprimer l'essor de diverses industries secondaires, d'enfouir des capitaux, de faire renchérir les produits, de diminuer enfin une concurrence ruineuse sur le marché intérieur.
Voilà, messieurs, pour l'industrie.
Le blâme à l'égard de notre législation maritime a été bien plus absolu encore. Le système de 1844 est étrange ; il a gouverné cependant l'Europe commerciale presque tout entière pendant bien des siècles ; cette législation est un dédale de complications inextricables. M. le ministre oublie que le traité hollandais, par exemple, va augmenter ce dédale de complicaiions, puisque ce traité consacre un tarif spécial pour tous les objets dénommés dans le traité. L'effet du système de 1844 a été de restreindre les marchés et les moyens de transport, d'éloigner le commerce maritime de nos ports, de provoquer des représailles.
L'honorable M. Frère, dans son opposition au système de 1844, a cru même pouvoir recourir à l'ironie et au persiflage : il nous a parlé des complications du système comme étant nécessaires sans doute a ce qu'il a appelé ironiquement la grandeur de cet édifice.
Le système de M. le ministre des finances est le libre choix des marchés et des moyens des transport ; c'est donc l'abrogation complète de tout système de droits différentiels que cependant M. le ministre des affaires étrangères prétend soigneusement conserver par le traité.
L'honorable ministre des finances croit à la nécessité, à l'opportunité de la révision de notre tarif douanier par trois motifs différents. Le premier c'est une raison théorique ; M. le ministre des finances est partisan de la liberté commerciale. Le second est un motif politique. Il croit qu'il est du devoir de l'opinion libérale qui est aujourd'hui aux affaires d'accomplir la réforme douanière.
Le troisième motif, c'est l'exemple donné par l'Angleterre et par les Pays-Bas, c'est le mouvement imprimé par la réforme anglaise de 1849, mouvement auquel toute l'Europe devra bientôt céder.
Je ne m'occuperai pas de la raison de théorie, par un motif très simple, c'est que je ne comprends absolument pas la définition que l'on donne du libre échange et de la protection.
Quand l'Angleterre abaisse ses tarifs, quand la France les maintient, quand l'Allemagne les élève, ces divers pays procèdent-ils en vertu d'une théorie quelconque ? Mais évidemment non. Ils examinent la situation diverse des intérêts du pays, élèvent abaissent ou maintiennent leurs tarifs selon la loi et les exigences de ces intérêts.
Huskisson et Peel auraient été protectionistes en France, comme M. Thiers serait probablement libre échangiste en Angleterre.
Messieurs, duand une industrie est trop protégée, quand la protection lui devient inutile et, dès lors, dangereuse, elle s’endort et vous entravez les progrès de cette industrie. Si vous ne la protégez pas assez contre la concurrence étrangère, vous la découragez d’abord, et vous la ruinez ensuite Voilà le fait : hors de cela, il n’y a que des phrases.
Il ne faut donc pas venir dire que l'on dût suivre le mouvement imprimé à l'Europe, qu'il faut que l'opinion libérale exécute ou accomplisse une réforme libérale. Il faut examiner chacune des industries du pays, l'une après l'autre, et se demander quel est le taux précis de la protection dont chacune a besoin et qui permettra son développement. Il y a là place paur une théorie.
Le motif politique de l’honorable minisre des finances, est-il plus sérieux ? L’honorable M. Frère, établissant une corrélation entre le libéralisme en matière politique et le libéralisme en matière commerciale, croit que c’est à l’opinion aujourd’hui aux affaires qu’il appartient d’exécuter cette réforme.
Messieurs, je ne sais pas comment cet appel sera entendu par beaucoup d'amis politiques du cabinet actuel ; j'attends le dévouement ministériel de plusieurs de mes honorables collègues à cette dure épreuve. Vous savez comment la métropole commerciale du pays, Anvers a répondu à cet appel, d'une voix presque unanime, et je suis convaincu, comme tous vous devez l'être après le discours que vient de prononcer l'honorable M. Manilius, que lorsque la réforme s'étendra à nos produits industriels, une réponse aussi unanime et aussi énergique se fera entendre dans tous nos grands centres manufacturiers.
Le troisième motif de M. le ministre des finances est sinon plus sérieux du moins plus spécieux : il faut suivre l'exemple de l'Angleterre. Il est impossible que la Belgique s'isole du grand mouvement imprimé par l'Angleterre et les Pays-Bas et qui finira par entraîner toute l'Europe.
Messieurs, je ne conseille à personne, par le temps qui court, de se faire prophète, mû ne d'un avenir prochain ; le démenti des événements arrive trop tôt. Mais où M. le ministre des finances a-t-il aperçu ce mouvement qui doit entraîner toute l'Europe ? La France a-t-elle supprimé ses 52 prohibitions, a-t-elle abaissé les droits de 50, de 80, de 100 p. c. qui protègent ses grandes industries !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai parlé des lois de navigation.
M. Dechamps. - Vous avez parlé de la réforme anglaise qui embrasse l'agriculture, l'industrie et le commerce.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Des lois de navigation.
M. Dechamps. - C'est qu'alors vous seriez illogique ; si vous n'appliquez pas votre système à l'industrie, et j'espère que vous commettrez cette inconséquence, vous serez injuste.
Je demande donc si la France supprime ses prohibitions et ses droits élevés, son droit de 120 p. c. sur les céréales, son système de droits différentiels si exclusif. Messieurs, la France, pour les quatre cinquièmes, est protectionniste. Un économiste distingué, qui siégeait dans la dernière assemblée de France, me disait : Dans cette nombreuse assemblée, nous sommes trente économistes, c'est-à-dire trente partisans de la liberté du commerce.
L'appel fait par l'Angleterre, mais nous le savons tous, la France commerciale et industrielle y a répondu par l'organe de M. Thiers dans un discours mémorable (interruption à gauche), dans un discours mémorable à coup sûr, auquel on n'a pas répondu. (Nouvelle interruption.)
Les rires que j'entends de ce côté ne sont pas intelligents et sont moins encore une réponse.
Je dis que la France commerciale a parlé par son organe. Voilà comment la France se laisse entraîner dans ce mouvement auquel toute l'Europe va obéir !
Pour l'Allemagne, quel est le système du Zallverein prussien ? Mais le tarif prussien, avant 1846, était beaucoup plus élevé que le nôtre. Qu'a fait le Zollverein en 1846 ? Il a diminué les droits sur les fils de coton et de soie, sur les fils et les tissus de lin. Au congrès douanier de Berlin et aux diètes de 1848 et de 1849, on a fait des propositions nombreuses pour élever encore le tarif des douanes.
L'Autriche, qui a supprimé quelques prohibitions, mais qui a eu soin de les remplacer par des droits élevés, l'Autriche conserve un tarif tellement restrictif, qu'il forme un des obstacles à l'entrée de l'Autriche dans l'union douanière allemande.
Mon honorable ami, M. de Liedekerke, vous l'a dit : il y a deux peuples qui s'avancent à pas de géant, dans la carrière industrielle, c'est la Russie d'un côté et les Etats-Unis de l'autre. Le premier de ces pays est une monarchie absolue, l'autre une démocratie. Tous deux se placent cependant sous le même drapeau commercial, ils demandent le progrès de leur industrie à la protection.
Ce fait n'indique pas tout à fait, ce me semble, la relation que M. le ministre des finances veut établir entre les idées libérales en matière politique et les idées libérales en matière commerciale. Je n'aperçois nulle part, jusqu'à présent, l'indice de ce mouvement qui doit entraîner l'Europe, et dans lequel on nous convie de nous précipiter.
Mais l'Angleterre, mais les Pays-Bas ? Eh bien, voyons.
Le système anglais, l'honorable ministre des finances vous l'a rappelé ce n'était pas la protection modérée, comme chez nous, c'était la prohibition absolue, le monopole colonial. Cent trente-cinq prohibitions de tarif, exclusion de la navigation étrangère. Voilà quel était le (page 421) régime de l'Angleterre ; il ne fallait pas, il faut en convenir, une grande hardiesse pour y toucher.
C'est sous l'influence de ce régime qui a régi l'Angleterre pendant plusieurs siècles, que ce pays a acquis cette prospérité aux proportions gigantesques qui lui permet aujourd'hui de se passer, à certain degré, de protection, de ne craindre aucune concurrence et de prêcher le libre échange aux nations crédules du continent. Seulement, pour le dire en passant, je trouve que l'Angleterre libre échangiste devrait parler de la protection avec plus de respect et de reconnaissance qu'elle le fait ; car c'est à la protection poussée jusqu'à la dernière puissance, qu'elle doit sa grandeur commerciale.
Mais enfin quelle est cette réforme de 1819 ?
Au point de vue industriel, on a baissé le tarif sur les matières premières que l'Angleterre ne produit pas.
L'Angleterre a supprimé ou abaissé les droits sur les 3 ou 4 grandes industries spéciales, les houilles, le fer, le coton, qu'elle produit dans des conditions locales de supériorité telles qu'elle n'a à craindre aucun danger de concurrence. Mais l'Angleterre a eu soin de conserver un tarif protecteur plus gros, plus volumineux que le nôtre, sur la plupart des industries qui avaient encore besoin de protection.
L'honorable ministre des finances vous l'a indiqué, la protection est encore de 15, de 20, de 30 p. c. sur beaucoup de produits industriels de l'Angleterre.
L'Angleterre garde encore 28 prohibitions ou restitutions, tandis que depuis 1848, nous avons aboli toutes les nôtres.
Au point de vue de la navigation, du système maritime, l'Angleterre a-t-elle fait comme nous ? a-t elle condamné et aboli sa législation commerciale après 4 ou 5 années d'existence, lorsque les résultats ne pouvaient pas encore être connus et appréciés ?
Messieurs, l'Angleterre, après plus de deux siècles de monopole maritime et commercial, l'Angleterre a admis en 1824, un système de libre entrepôt, comme nous l'avons fait depuis longtemps. En 1826, sous l'inspiration de Huskisson, elle a admis, quoi ? Le principe des traités de réciprocité, pour le commerce d'intercourse, comme nous l'avons admis nous-même depuis la loi de 1844.
L'Angleterre a mis 30 ans, de 1820 à 1850, à étudier sa réforme commerciale. Comptez le nombre consi3érable d'enquêtes qui séparent l'enquête parlementaire de 1820 de celle ordonnée en 1847, sur la motion de M. Ricardo, et d'où la réforme est sortie, et vous serez frappés, comme moi, de l'opposition radicale qui existe entre la conduite sage et prudente de l'Angleterre et la conduite du cabinet qui veut renverser une législation qui date de six années... (interruption) sans avoir consulté personne, comme on me le rappelle à mes côtés.
Voilà, messieurs, comment a procédé l'Angleterre. Voyons maintenant ce qu'est cette réforme de 1849, sous le rapport maritime.
La réforme de 1849 est très habile, mais elle n'est pas autre chose, en définitive, que la réforme de Huskisson opérée en 1820. En 1826, l'Angleterre maintenait son système différentiel et colonial, mais elle offrait aux autres nations la réciprocité.
En 1849, que fait l'Angleterre ? Elle semble abolir son système de protection maritime ; mais, par les articles 10 et 11 de l'acte de navigation, elle a soin d'armer son gouvernement du droit de rétablir demain cette protection contre les nations qui n'admettraient pas la réciprocité. Vous voyez donc que c'est identiquement la même chose qu'en 1826.
En 1826, elle disait : Je maintiens le système, mais j'admets la réciprocité. En 1849, elle dit : J'abolis l'acte de navigation, mais à condition de réciprocité. C'est une autre forme, mais, au fond, c'est le même résultat.
Voilà, messieurs, le principe ; quels sont les faits ?
M. le ministre des finances l'a reconnu, l'Angleterre, en réservant à sa navigation son immense cabotage, a réservé les deux tiers de tout son mouvement maritime.
Or, comme elle maintient encore des privilèges dans ses colonies, il est évident qu'à la faveur de sa supériorité maritime, elle a d'excellentes chances de conserver une bonne part de l'autre tiers. L'Angleterre entre pour moitié dans le mouvement maritime avec les deux pays dont elle a le plus à craindre la rivalité, l'Amérique et les Etats du Nord.
Vous le voyez donc, messieurs, l'Angleterre donne des formes et des apparences, mais elle garde les faits et si le ministère nous apporte une réforme commerciale qui réserve à notre navigation, je ne dirai pas les deux tiers, mais la moitié de notre mouvement maritime...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous en avez beaucoup plus par votre proposition.
M. Dechamps. - Je ne comprends pas cette interruption, car la loi de 1844 que vous renversez, ne lui a réservé, en fait, que le quart de notre mouvement maritime.
Si donc le ministère nous apporte une telle réforme, je consens à le suivre sous un tel drapeau de liberté commerciale.
Cependant, messieurs, la réforme plus apparente que réelle de 1849 a été trouvée en Angleterre hardie et téméraire. M. Thiers a affirmé à la tribune française qu'on ne s'attendait pas à voir l'abolition de l'acte de navigation sortir du fourreau du libre échange, que les esprits étaient très partagés encore en Angleterre sur les résultats de cette mesure.
Pour moi, messieurs, si j'étais Anglais, j'applaudirais à la réforme de 1849, excepté pourtant à la réforme agricole qui peut être fatale aux institutions politiques.
L'Angleterre n'a été ni hardie, ni téméraire ; elle a obéi à une impérieuse nécessité.
Deux motifs l’y ont forcée : la chambre le comprendra facilement, l'Angleterre a plus de 160 millions de producteurs coloniaux qui consomment annuellement 200 millions de produits anglais ; or, le marché restreint de la Grande-Bretagne ne pourrait pas suffire à absorber cette immense quantité d'importations coloniales : que devait faire l'Angleterre ?
Elle devait à tout prix s'ouvrir les marchés du continent, et pour cela empêcher les nations qui n'ont pas un système de protection maritime de l'établir, et tâcher d'amener l'abandon de ce système là où il existe, si le continent avait adopté des droits de faveur pour les provenances directes, qu'aurait fait l'Angleterre de ses importations coloniales, et dès lors comment aurait-elle pu continuer son commerce d'échange avec ses colonies ? C'était impossible.
Messieurs, elle avait un autre motif pour adopter la réforme : depuis 1840 et avant, les colonies indépendantes, le Brésil, par exemple, disaient à l'Angleterre : Nous sommes pour vous un marché important et vous excluez de votre marché notre sucre et notre café ; si vous continuez à maintenir vos privilèges coloniaux contre nous, nous frapperons vos produits de droits différentiels. Cette question, vous le savez, messieurs, a été agitée au Brésil. L'enquête de 1840 en Angleterre prouve à quel point les industries pressaient le gouvernement de se relâcher de son monopole colonial, pour ne pas perdre l'important débouché du Brésil.
Mais encore une fois, que ferait l'Angleterre avec son marché restreint, de ses importations de café et de sucre Brésil, qui viennent s'ajouter aux immenses importations de l'Océan indien, qu'en ferait-elle si le continent ne les recevait pas et préférait les importer directement lui-même ? Il fallait donc à tout prix conseiller ou exiger la liberté du commerce, et pour le faire il fallait prêcher d'exemple.
Voilà, messieurs, tout le secret de la politique anglaise.
Maintenant, voyons les Pays-Bas.
J'avoue, messieurs, que je ne puis me défendre d'un mouvement d'impatience, lorsque j'entends vanter le régime libéral du code commercial des Pays-Bas.
Sous le rapport de la protection industrielle, la Hollande possède très peu d'industries viables, et la protection serait une absurdité. Mais au point de vue maritime, je ne connais pas de régime aussi restrictif que le régime néerlandais, même depuis la loi libérale de 1850.
La Hollande a supprimé ses droits différentiels de 10 p. c, mais enfin quel effet pouvaient avoir ces 10 p. c, appliqués à un tarif de douane, de 2, 3, 4 et 6 p. c au maximum ?
L'exposé des motifs publié en Hollande reconnaît que c'était là une prime normale, et la Hollande a pu y renoncer sans causer de préjudice à sa navigation.
La seule navigation importante pour la Hollande, c'est sa navigation coloniale. M. le ministre des affaires étrangères a évalué la navigation coloniale à la moitié de tout le mouvement maritime des Pays-Bas.
La Hollande ne participe, dans le mouvement maritime de Pays-Bas avec l'Amérique, que pour 5 p. c ; avec l'Angleterre, que pour 20 p. c. et avec la France, que pour 40 p. c.
Ainsi, la seule navigation importante pour la Hollande, c'est la navigation entre la mère patrie et les Indes.
Et cependant la Hollande n'a pas abandonné le reste ; elle a fait des réserves ; par la loi du 8 août 1850, elle n'admet l'assimilation, comme l'Angleterre, que sous la condition de la réciprocité, et elle menace de rétablir les droits différentiels à l'égard de toutes nations qui maintiendraient des privilèges coloniaux ou des droits différentiels.
Voici ce qu'a fait la Hollande en 1849, la veille du jour où elle allait accomplir cette réforme ? En 1849, le gouvernement des Pays Bas a renouvelé pour 25 ans le contrat avec la Société de Commerce, avec la Handels-Maatschappy. Or, vous savez ce que c'est que ce contrat avec la Société de Commerce : c'est la consacration d'un monopole colonial complet : monopole des achats et des ventes ; monopole de navigation pour les importations dans la mère-patrie et pour les exportations de la mère- patrie vers les colonies ; monopole du transport des troupes ; droit différentiel de sortie de 50 p. c. ; droit de 100 p. c. en faveur des fabricats néerlandais ; aucune précaution n'est omise pour rendre absolu le régime de protection coloniale.
Pendant 20 années, la Société de Commerce a payé à la navigation néerlandaise des frets de 300, de 200 et de 150 fr. par tonneau ; elle lui a payé annuellement en moyenne de 12 à 13 millions de francs.
Aujourd'hui encore le fret que la Société de Commerce accorde est de plus de 100 fr. par tonneau. Et c'est la Hollande qui nous donne des leçons de liberté commerciale et qui parle de notre système artificiel de 1844 qui accordait des droits différentiels de 15 et de 20 fr. par tonneau à notre navigation !
M. le ministre des finances a reconnu que la Hollande s'était réservé ainsi d'une manière exclusive la moitié de tout son mouvement maritime. Or, je le répète encore, l'Arrgleterre s'est réservé les deux tiers ; la Hollande s'est réservé la moitié ; et la Belgique, par la loi de 1844, ne s'est réservé que le quart du mouvement maritime,
Maintenant que j'ai exprimé la valeur réelle des réformes introduites en Angleterre et dans les Pays-Bas, et que j'ai rappelé à la chambre comment les autres nations paraissaient peu disposées à suivre l'exemple de l'Angleterre très peu contagieux jusqu'ici, permettez-moi de vous parler du système belge qui nous régit depuis 20 ans.
(page 422) Quel est ce système ? Pour le définir, je me borne à rappeler quelques mots d’un discours de M. le ministre des affaires étrangères en 1844 :
« En Belgique, disait l’honorable M. d’Hoffschmidt, on a constamment adopté un système de protection modérée, une espace, de juste milieu entre la protection et la prhibition. Beaucoup de nos industries ne sont pas suffisamment protégées. »
Sur ce dernier point, je diffère un peu avec M. le ministre des affaires étrangères ; je ne dis pas d'une manière absolue qu'aucune industrie ne peut être protégée plus qu'elle ne l'est aujourd'hui ; mais en général nous sommes arrivés au maximum de la protection. Mais enfin cette définition est vraie.
Notre système douanier et commercial est essentiellement modéré. Si le gouvernement belge a élevé successivement, prudemment, les droits protecteurs sur quelques grandes industries, sur les fers, sur les tissus de coton, sur les tissus de lin, sur les tissus de laine, sur les machines, etc., il ne faut pas oublier que parallèlement, le gouvernement a adopté en 1836 et en 1842, un système de libre transit, en 1846, un système de libre entrepôt ; nous avons devancé la Hollande de bien loin dans cette voie de liberté commerciale.
Depuis longtemps, on a abaissé, on a supprimé les droits nombreux sur les matières premières ; depuis 1838, nous avons levé toutes nos prohibitions, et depuis lors le gouvernement a résisté aux exigences de plusieurs industries qui demandaient le rétablissement de la prohibition et la recherche à l'intérieur ; il s'est refusé à tomber dans l'exagération du tarif protecteur.
Je ne vois là nulle part le masque de la prohibition.
Quels ont été les résultats de ce système commercial modéré ? Je vous demande la permission de vous en retracer l'histoire aussi rapidement que possible. Pour cela, j'aurai besoin cependant d'entrer dans des détails que je m'efforcerai d'abréger, parce que la chambre est fatiguée.
Je ne puis pas entrer dans une semblable matière, sans citer des faits, et quelques chiffres généraux, Les résultats, je puis le dire, seront écrasants, et j'avertis M. le ministre des finances qu'il n'aura pas d'autre ressource, d'autre argumentation à m'opposer que de dire : c'est malgré le système que ces résultats ont été produits !
Écoutons M. le ministre des finances :
« Un des principaux et des plus fâcheux résultats de notre régime, a été de provoquer les spéculateurs à enfouir dans certaines industries.les capitaux hors de proportion avec les bénéfices probables, de renchérir d'abord proportionnellement le prix des produits par l'absence de concurrence ; de comprimer l'essor de diverses industries secondaires, d'entraver le développement d'une foule d'industries, pour aboutir enfin à l'intérieur, à une concurrence ruineuse. »
Telle est l'appréciation que fait M. le ministre des finances du régime commercial du pays depuis 20 ans. M. le ministre avait mille documents sous la main, il n'en fournit aucun ; il ne pose aucun chiffre, il n'articule aucun fait, il se borne à des assertions.
Mais si tout cela est vrai, le commerce extérieur a dû nécessairement décroître, nos exportations, par suite du renchérissement de nos produits, ont dû diminuer, si les capitaux se sont enfouis et perdus, la production a dû baisser et le pays a dû s'appauvrir.
Voyons comment les faits répondent à de telles assertions.
Je ferai d'abord connaître les résultats généraux ; puis je prendrai les principales industries protégées, en indiquant la date de chaque protection, et je ferai voir la coïncidence exacte et merveilleuse qui existe entre ces dates de la protection et les progrès réalisés par chacune de ces industries.
Je diviserai ces vingt années, depuis 1831 jusqu'à 1850, en quatre périodes quinquennales, de 1831 à 1835, de 1836 à 1840, de 1841 à 1845 et de 1846 à 1850.
Quel a été le mouvement de notre commerce général ?
Première période : 1831 à 1835 moyenne 320 millions.
Deuxième période : 1836 à 1840 moyenne 401 millions
Troisième période : 1841 à 1845 moyenne 552 millions
Quarième période : 1846 à 1850 moyenne 765 millions
Progression entre les périodes extrêmes : 140 p. c.
Si je rapproche les deux années 1851 et 1850, je troure 202 millions en 1851 et 912 millions en 1850, c'est-à-dire que le mouvement de notre commerce général a doublé en 10 ans et qu'il a quintuplé en 20 ans.
Parcourons les mêmes périodes pour nos exportations, au commerce spécial :
Première période 114 millions,
Deuxième période 141 millions
Troisième période 162 millions
Quatrième période 212 millions
Progression : 96 p. c.
Si je compare les années 1840 et 1850, je trouve que nos exportations se sont élevées du chiffre de 140 millions où elles étaient en 1840, au chiffre de 264 millions en 1850 ; c'est-à-dire qu'elles ont presque doublé en dix ans.
Or, savez-vous quel a été le progrès des exportations en Angleterre et en France ? Elles ont doublé en vingt ans ; en Belgique elles ont doublé en dix ans. (Interruption.)
Voilà comment notre commerce général est tombé, comment nos exportations ont diminue et comment le mouvement industriel a été entravé !
M. le ministre des finances voit-il dans les faits que je viens de citer un indice de décadence commerciale ? En présence de ces faits, où est l'urgence, l'opportunitè de ces réformes qui ébranlent quand elles ne détruisent pas i
Je conçois de telles nécessiteés quand il y a malaise et souffrance, quand des plaintes fondées parviennent de tous côtés au gouvernement ; mais en présence d'une situation aussi prospère, quand le commerce et l'industrie ne vous demandent que la stabilité, je ne comprends pas cette impatience de réformes faites au nom d'idées théoriques.
Je vais maintenant prendre séparément nos principales industries protégées : la houille, la fonte, les tissus de coton, de laine et de lin, les machines, la clouterie, les verreries et cristalleries. Nous allons vérifier si la protection a comprimé l'essor de ces industries :
La houille est protégée depuis 1830.
La production a été en moyenne :
de 1831 à 1833, de 1,575,000 tonneaux ;
de 1836 à 1840, de 3,390,000 tonneaux ;
de 1841 à 1845, 4,330,000 tonneaux ;
de 1846 à 1850, 5,230,000 tonneaux.
La progression a été de plus de 100 p. c.
L'exportation a été :
de 1831 à 1833, de 734,000 tonneaux ;
de 1836 à 1840, de 749,000 tonneaux ;
de 1841 à 1845, 1,208,000 tonneaux ;
de 1846 à 1850, 1,627,000 tonneaux.
Progression, 125 p. c.
Ce développement de la production et des exportations a-t-il amené le renchérissement de la houille ainsi fortement protégée ; a-t-il provoqué l'avilissement des salaires ? Non, messieurs, les prix sont descendus, par le seul effet de la concurrence intérieure, de 10 et 11 fr. à 7-50, et le sort des ouvriers s'est plutôt amélioré.
La fonte a été protégée par les lois du 1er mars 1331 et du 8 février 1844.
En 1830, il y avait 5 hauts fourneaux. Depuis lors le nombre des hauts fourneaux à feu varie de 30 à 50, selon des circonstances diverses.
L'exportation a été :
de 1831 à 1833, moyenne de 3,800,000 tonneaux ;
de 1836 à 1840, moyenne de 7,500,000 tonneaux ;
de 1841 à 1845, moyenne de 34,700,000 tonneaux ;
de 1846 à 1850, moyenne de 65,400,000 tonneaux.
Progression : 1,530 p. c.
Vous aurez remarqué, messieurs, que l'exportation de la fonte a pris surtout un essor remarquable depuis l'année de la protection : 1844. Le traité allemand du 1er septembre y a saus doute contribué, mais le traitement différentiel obtenu dans le Zollverein n'est-il pas aussi une protection ?
Quant aux salaires, j'ai un tableau sous les yeux, duquel il résulte que la journée d'ouvrier est restée à peu près la même, sauf pendant les années exceptionnelles de 1845 et 1846 ; le prix de vente est tombé depuis ces années de 10 à 12 fr. à 7 fr.
Pour l'industrie cotonnière, la protection date de l'arrêté du 13 octobre 1844.
Prenons pour point de départ l'année 1844 :
Avant la protection, en 1843, l'importation du colon en laine était de 7,500,000 kilog.
En 1844, l'importation fléchit à 7,200,000 kilog.
En 1845, année de la mise en vigueur de l'arrêté, elle s'élève à 8,700,000 kilog.
Pour atteindre en 1849 et en 1850 une moyenne de 11,600,000 kilog.
Progression : 61 p. c.
Pendant la plus grande prospérité dont l'industrie cotonnière a joui sous le royaume des Pays-Bas, l'importation des cotons bruts ne s'est pas élevée à plus de huit millions de kilog.
Les exportations qui se composent presque entièrement de toiles peintes, n'étaient avant la protection de 1841 à 1844, que de 500,000 kilog. Dès 1845, elles s'élèvent à 854,000 kilog., et dépassent le chiffre de 1 million de kilog. en 1849 et en 1850.
Je n'ignore pas que les primes allouées en 1849 et en 1850 ont pu exercer une utile influence momentanée sur ces exportations, mais ces primes ont été supprimées en 1851, et je ne pense pas que l'exportation ait sensiblement baissé.
La concurrence intérieure a suffi pour provoquer un abaissement successif dans le piix de vente des tissus teints et imprimés. Cette industrie ne s'est relevée du découragement dans lequel elle s'est longtemps trouvée, qu'après l'arrêté de protection de 1844.
J'indiquerai plus sommairement les résultats aussi remarquables que nos statistiques constatent en ce qui concerne les autres industries protégées depuis 20 ans : les draps, les tissus de laine, les machines, les clous, les verreries et les cristalleries.
La draperie est l'une de nos industries qui a pris le plus d'accroissement. La protection, il est vrai, est modérée pour certaines qualités, mais nos fabriques de draps sont anciennes, elles ont été abritées longtemps, du côte de la France, par la prohibition, et c'est presque la seule (page 423) de nos industries qui est fondée sur d'assez grands capitaux pour qu'elle puisse faire directement elle-même le commerce d'exportation.
Pour l'exportation de nos draps, il a été reconnu depuis longtemps que le chiffre de nos statistiques pour ces exportations, pendant la période de 1831 à 1835, est erroné ; il n'est nullement en rapport avec le chiffre très faible de nos importations de laine brute, pendant la même époque. Je néglige donc cette période. Voici les résultats des trois autres :
de 1836 à 1840, 527,000 kil.
de 1841 à 1845, 686,000 kil.
de 1846 à 1850, 712,000 kil.
Progression, 35 p. c.
La fabrication des tissus de laine n'avait pas pu se développer avant l'arrêté du 14 juillet 1843. Les importations de tissus de l'Angleterre entravaient surtout ce développement. Depuis l'exécution de cet arrêté, et quoique la France ait été exceptée par le traité de 1845, cette fabrication s'est étendue d'une manière remarquable ; elle a servi, dans les Flandres et à l'aide des ateliers d'apprentissage, à y implanter un grand nombre d'industries nouvelles età substituer le travail de la laine au travail du lin qui y dépérit.
Avant l'arrêté de protection du 14 juillet 1845, le chiffre des importations de tissus de laine étrangers était en moyenne de 530,000 kil.
Ce chiffre, dans la période de quatre ans qui suit l'arrêté, descend à 480,000 kil., pour tomber, dans la période de 1848, 1849 et 1850, à 300,000 kil.
La diminution est de 42 p. c.
Les exportations de nos tissus de laine n'étaient, avant 1842, en moyenne, que de 48,000 kil. En 1848, 1849 et 1850, elles montent à 60,000 kil.
L'augmentation est de 25 p. c.
Les machines et mécaniques ont été protégées par l'arrêté royal du 15 octobre 1844.
La moyenne des exportations, avant la protection, n'atteignait pas le chiffre de 2,000,000 kil. Depuis 1845, Cette moyenne a dépassé 2,600,000 kil., Et en 1850, le chiffre des exportations a été de 4,120,000 kil.
L'exportation a plus que doublé.
La protection sur les clous remonte à 1831, de même que tous nos articles de fer. Il est peu d'industries qui aient autant progressé, dans ces dernières années.
Les exportations qui n'étaient de 1831 à 1835 que de 3,000,000 kil. se sont accrues de 1846 à 1850 jusqu'au chiffre de 4,150,000 kil.
La progression est de 35 p. c.
Pour les verres à vitres, la protection n'a été régularisée que par la loi de 1838. C'est seulement en 1840, qu'un tarif prolecteur fut accordé à la cristallerie.
Je réunis les deux branches qui ne forment qu'un double rameau d'une souche commune. Je trouve qu'en 1840, l'exportation ne s'élevait encore qu'à la somme de fr. 4,400,000.
De 1841 à 4845, la moyenne s'élève à 7,100,000 fr.
De 1846 à 1850, cette moyenne est de 14,000,000 de fr.
En 1850, l'exportation a atteint le chiffre de 16,400,000 fr. C'est une progression sur l'année 1840, de 300 p. c.
Je pourrais étendre encore ce compte rendu industriel, mais ces faits suffisent et parlent assez haut. Si je ne mentionne pas ici la première de toutes nos industries, l'industrie agricole, c'est parce que la réforme pour elle est accomplie. Je vous ai dit comment cette grande industrie avait été frappée de tous les côtés à la fois, par la liberté des céréales, par la libre entrée du bétail et par le système d'impôt qu'on cherche à faire prévaloir.
D'autres membres vous ont fait connaître combien, sous le régime des protections de 1834 et de 1835, la richesse agricole avait augmenté, combien le capital-bétail s'était accru. Une expérience se fait depuis quatre ans ; nous en attendrons les résultats.
J'entends une objection, on me dira : Mais l'industrie linière ; elle succombe sous une protection exagérée.
Avant l'examen des faits, j'ai une réponse directe à faire : l'industrie linière succombe-t-elle sous une protection élevée ? Evidemment non, puisque à côté de nous, en France, pendant le même temps, l'industrie linière se relève sous l'influence d'une protection successivement augmentée, et parvient à une prospérité qui est l'une des causes de la ruine de cette industrie de nos Flandres qui voit le marché français se fermer de jour en jour pour elle.
Examinons cependant les faits d'une manière plus attentive : la loi de protection est de juillet 1844. La moyenne de l'exportation, pendant les trois années qui ont précédé la protection, était de 11,000,000 fr.
En 1834, dès l'année de la protection, l'exportation s'est élevée de 14 à 28 millions, c'est-à-dire que l'exportation a double. Ce chiffre de 28 millions s'est maintenu jusqu'en 1838. Alors sonl arrivées.la crise des procèdes et en même temps l'aggravation du tarif français. Ces deux faits ont rendu la protection impuissante.
Le remède à cette situation se trouve dans la formation d'une société de commerce que l'abolition des droits différentiels, de la protection maritime rend tout à fait impossible désormais.
Voici un fait tout aussi remarquable que tous ceux que j'ai cités ; je veux parler de la filature du lin à la mécanique.
Le régime e la protection date de 1840 ; voyons le résultat :
De 1830 à 1839 la moyenne de l’exportation est de 1,360,000 fr.
Dès 1840, année de la protection, elle s’élève à 2250,000 fr., pour atteindre, de 1841 à 1850, la somme de 3,400,000 fr.
Voilà l'histoire, en faits et e chiffres, du régime douanier de la Belgique, depuis 20 ans.
Voilà le système qu'on veut modifier, réformer, et que l'on court le risque de compromettre et de détruire. Résumons ces résultats :
M. le ministre des finances affirme que le développement industriel a été entravé. Or, le mouvement commercial a doublé en dix ans, il a quintuplé en vingt ans
Les capitaux ont été enfouis, prétend l'honorable M. Frère, ils se sont perdus, et la concurrence à l'intérieur est devenue ruineuse : les faits répondent que la production a été sans cesse croissant, que les capitaux ont donc continuellement afflué vers les industries protégées et qu'au lieu de la ruine, c'est, en général, la prospérité qu'elles ont trouvée.
M. le ministre des finances avance encore que les produits ont renchéri par l'absence de concurrence. Le renchérissement des produits ne peut se concilier évidemment avec l'accroissement des exportations. Or, que disent les faits ? Les exportations ont doublé en dix ans. J'ai montre la coïncidence étonnante qni existait entre la date des protections accordées et les progrès réalisés par nos industries ; j'ai fait connaître que la progression dans les exportations, entre les périodes extrêmes, a été de 50, 100, 200, 300 et jusqu'à 1,500 p. c. J'ai ajouté que sous l'aiguillon de la concurrence intérieure, les prix de vente avaient diminué au profit des consommateurs et que le sort de l'ouvrier, s'il laissait encore beaucoup à désirer, était cependant amélioré.
Ainsi donc, messieurs, à chaque assertion de M. le ministre des finances les faits répondent par un éclatant démenti. En signalant tous ces fails, ai-je la prétention de soutenir que la protection amène des résultats favorables, infaillibles, qu'il ne faille, en aucune circonstance, modifier notre tarif de douane, que la même protection doive s'appliquer à toutes les industries, qu'il soit nécessaire de la maintenir à l'égard d'industries assez robustes pour s'en passer ?
Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit. Je n'ai pas besoin d'entrer dans de pareilles considérations ; mon but a été de ruiner par sa base la doctrine de M. le ministre des finances, de renverser ses appréciations, et de prouver que nous pouvons rester fiers de notre passé commercial, comme nous pouvons l'être de notre passé politique.
Je suis arrivé à l'examen spécial du traité du 20 septembre et de la législation différentielle de 1844, que ce traité a pour effet de renverser. En défendant cette législation, j'aurai donc combattu d'avance le traité conclu avec les Pays-Bas.
Messieurs, la loi des droits différentiels de 1844 n'a établi qu'une protection modérée, plus modérée en fait que les lois de liberté commerciale, adoptées en Angleterre et en Hollande.
La prime de protection maritime créée par la loi de 1844, n'est que de 15 à 20 francs par tonneau ; les droits sur les matières importées directement par navires belges ou assimilés, ont été abaissés ; l'exclusion de la marine étrangère n'est écrite nulle part. L'effet de cette loi a été de faire participer notre navigation pour un quart dans notre mouvement maritime, tandis que l'Angleterre libre-échangiste réservait les deux tiers à sa navigation ; et la Néerlande libérale, plus de moitié.
Messieurs, cette loi modérée de 1844 n'a été mise en vigueur que partiellement. Pour les matières premières, on a ajourné l'exécution à l'année suivante. Pour les sucres, la loi ne devait être mise à exécution qu'en quatre années ; elle ne l'a été qu'en 1849. Pour les provenances de la Méditerranée et d'au-delà du cap Horn et de Bonne-Espérance, elle n'a été mise que successivement à exécution.
Des exceptions assez notables ont été introduites par rapport au café et au tabac ; des traites de réciprocité en ont atténué les effets, Permettez-moi d'ajouter, messieurs, que depuis 1848 le ministère, dont les doctrines étaient connues, a suspendu sur cette loi une continuelle menace d'abrogation. L'exposé du gouvernement hollandais le dit clairement. Dans cet exposé, on nous dit que le rapport présenté par le gouvernement belge à la chambre sur le résultat du système des droits, différentiels fait assez connaître que « la plus longue période d’existence de cette loi a été parcourue. »
Ainsi donc, messieurs, si ce système mis en vigueur successivement, affaibli par des exceptions et des traités et sur lequel une menace d'abrogation pèse depuis 1848, si cette loi n'avait produit aucun résultat, je dis que vous n'auriez aucune conclusion légitime à en tirer ; et pour moi, ce qui m'étonne, c'est que dans de telles conditions, il ait produit d'aussi bons résultats en aussi peu de temps.
Messieurs, sur les résultats de la loi de 1844, j'aurai bien peu de chose à dire. Le rapport si remarquable présenté par mon honorable ami, M. Malou, n'a laissé évidemment qu'à glaner après lui.
La section centrale a rectifié les bases du rapport incomplet qui a été présenté par le gouvernement et qui s’arrêté à l’année 1848. Quels sont les résultats ?
La loi de 1844 voialit atteindre quatre buts.
Le premier était de donner au gouvernement des moyens de négociations. Le ministère le reconnaît, ce but a été amplement atteit, et sans la loi des droits différentiels, je l’ai prouvé dans des discussions (page 424) antérieures, les traités que nous avons conclus avec l'Allemagne et avec les Pays-Bas était impossibles, radicalement impossibles.
Le second but était de favoriser les exportations vers les contrées hors d'Europe, par des relations directes et régulières avec les pays de production. Ces exportations ont doublé.
Le troisième but à atteindre était de former à Anvers un grand marché colonial de première main par les faveurs accordées aux provenances directes au détriment des arrivages des entrepôts européens.
Les importations coloniales des entrepôts d'Europe ont fléchi de 27 à 23 millions ; les importations directes ont augmenté dans la proportion de 51 à 76 millions. D'un autre côté, la grande navigation sous papillon belge a doublé. Voila les faits.
Avant la loi des droits différentiels et dans les premières années pendant lesquelles cette loi n'a pu produire aucun effet, les importations directes et les importations coloniales venant d'Europe se partageaient à peu près d'une manière égale ; et veuillez remarquer que même, d'après nos anciennes statistiques, on considérait comme importations directes les provenances des ports de relâche. Mais enfin, en ne tenant même aucun compte de ce fait, les importations directes et les importations coloniales d'Europe s'équilibraient. Eli bien ! quel a été l'effet de la loi ? C'est que les importations directes forment aujourd'hui les 90 p. c. du total de nos importations coloniales.
Ainsi les importations vers les contrées transatlantiques ont doublé et les importations ont augmenté dans la proportion de 90 p. c.
Messieurs, permettez-moi d'ajouter un dernier fait qui ne se trouve pas consigné dans le rapport de la section centrale, parce que le gouvernement n'a pas fourni les documents nécessaires pour constater ce fait curieux.
La loi des droits différentiels n'avait pas pour but principal de favoriser l'exportation de toutes les matières ; elle devait avoir surtout pour effet de favoriser l'exportation des produits fabriqués. Dans le rapport du gouvernement on n'a pas mentionné la nature des exportations. Or, voici les résultats ; j'attire l'attention de la ehambre sur ce point.
En 1840, l'exportation des produits fabriqués hors d'Europe était de 8 millions de francs. Cette exportation tombe, en 1842 et en 1843, à 6 millions de francs.
En 1846, la première année où la loi des droits différentiels a pu exercer quelque peu d'influence, ces exportations de produits fabriqués.se relèvent au chiffre de près de 10 millions de francs pour atteindre, en 1849, à 20 millions, et, en 1850, à 23,400,000 francs,.La proportion relativement aux exportations totales, monte de 9 p. c. à 23 p. c.
Esl-il vrai, comme l'avance M. Frère, que nos exportations vers les marchés d'Europe ont pris un accroissement plus considérable encore ?
Voyons : nos exportations en produits fabriqués vers les marchés d'Europe ont été en moyenne de 1840 à 1843, de 64 millions de francs. En 1849 et en 1850, elle ne s'est élevée en moyenne qu'à 72 millions. La proportion relativement aux exportations totales, descend donc de 90 p. c. à 77 p. c. pour les exportations vers l'Europe. Ce fait renverse l'assertion à laquelle M. le ministre des finances semblait tenir le plus.
Je demande à la chambre, lorsque nous avons discuté la loi de 1844 et en tenant compte de tous les ménagements qu'on a mis à l'exécuter, si quelqu'un de nous aurait pu prévoir de tels résultats !
Messieurs, en défendant la législation de 1844, j'ai d'avance combattu le traité du 20 septembre. Car le traité du 20 septembre a pour effet d'ouvrir, selon l'aveu du gouvernement, une large brèche à la législation commerciale de 1844, et selon nous, elle a pour effet de détruire entièrement ce système.
Le seul argument dans lequel le gouvernement peut se réfugier, en restant logique dans la défense du traité du 20 septeoabre, est celui-ci : C'est que le système de 1844 est mauvais : c'est qu'il est urgent de s'en débarrasser.
A ce point de vue il est clair que le traité est bon. Et il aurait été meilleur encore, si on avait tout cédé à la Hollande, même sans rien obtenir en retour. (Interruption.)
Je comprends maintenant la signification d'un mot échappé à M. le ministre des finances : le traité est excellent ! s'est-il un jour écrié. A ses yeux, cela est vrai, puisque les concessions faites sur la loi des droits différentiels ne sont pas pour lui des concessions. M. Frère pourrait rendre le traité plus excellent encore en accordant à la Hollande le retrait complet de la législation de 1844.
Messieurs, lorsqu'un ministère, partisan de la liberté commerciale, négocie un traité, c'est d'abord une contradiction dans laquelle il tombe, mais il a un expédient facile pour triompher de toute difficulté.
Des réductions de'droits, des suppressions de protection maritime, agricole ou industrielle, ne sont pas, à son point de vue, des faveurs qu'il accorde à un autre pays, ce sont des faveurs qu'il concède au sien ; il sert les intérêts nationaux.
Pour un ministère partisan de la liberté commerciale, le meilleur traité est celui qui concède le plus, le plus mauvais est celui où l'on cède le moins.
C'est là une excellente recette pour la facilité des négociations.
Messieurs, si je n'avais à voter que sur le traité pris isolément, j'hésiterais peut-être comme bien de mes collègues ; je me laisserais peut-être entraîner par l'influence des considérations politiques certainement importantes, par la crainte qu'on a manifestée de voir nos relations avec la Hollande subir une interruption, même momentanée. J'apprécie ces considérations, et, je le répète, si je n'avais devant moi que le traité peut être j'y cèderais. Mais le traité n'est pas un acte isolé, c’est un système ; M. le ministre des finances a voulu qu'on ne s'y trompât point, et avant la discussion il a eu soin d'exposer son système commercial complet afin que l'on sût bien que le traité n'est pas un acte isolé, qu'il n'est que le premier acte de tout un système, non seulemeut de réforme commerciale, mais aussi de réforme du tarif douanier.
Ainsi, mesieurs, ceux qui approuvent ce système doivent accepter le traité ; mais, quant à moi, il m'est impossible d'y donner mon adhésion puisque j'y vois le premier ou plutôt le second pas fait dans une voie que je considère comme dangereuse.
Je n'ai pas besoin de dire à la chambre à quel point je suis partisan d'une alliance intime avec les Pays-Bas. Je répéterai un mot que j'ai prononcé en 1846 ; j'avais espéré que le royaume des Pays-Bas eût pu être reconstitué, jusqu'à un certain point, par le côté commercial.
J'avais considéré le traité de 1846, que l'on reconnaît maintenant avoir été favorable aux deux pays, je l'avais considéré comme incomplet, mais comme un premier jalon posé pour arriver à un traité élargi.
Le traité de 1846 renfermait trois articles que j'appellerai articles-principes : les articles 15, 17 et 24. Les articles 15 et 17 consacraient une dérogation au système colonial des Pays-Bas, et l'article 24 était la garantie de tout le traité par rapport aux concessions industrielles obtenues. L'article 15 permettait à la Belgique d'importer à un droit de privilège une certaine quantité de produits coloniaux de Java. Je sais bien que la navigation belge n'a guère profité de ce privilège, mais la faute en est-elle au traité ? Cela résulte de ce que le temps a manqué à notre navigation au long cours, qui ne comprend que de 3 à 4 navires, pour se développer. Mais il fallait attendre ce développement, et cette concession obtenue en 1846 pouvait être importante dans l'avenir.
Ce n'est pas M. le ministre des finances qui pourra le nier, puisqu'il convie aujourd'hui notre navigation de prendre part, sans aucun privilège, au commerce de l'océan Indien.
L'article 17 était plus important encore : Il établissait non seulement la possibilité mais la prévision plus ou moins prochaine de notre admission privilégiée aux colonies ; la compensation à cette grande faveur était écrite d'avance dans l'article 17.
Sans doute, ce n'était qu'un principe ; la sanction immédiate manquait ; mais c'était, je le répèle, un jalon posé pour arriver à un traité futur agrandi.
Messieurs, n'était-ce rien que ce principe posé, cette prévision de notre admission aux colonies, écrite dans le traité ? L'Angleterre ne l'a pas cru ; elle a vivement réclamé ; elle a compris que ce principe viendrait tôt ou tard à se réaliser par une union commerciale intime entre la Hollande et la Belgique. L'Angleterre n'a pas voulu laisser debout un pareil principe ; elle a protesté, et la Hollande malheureusement a cédé.
Par le traité de 1846, la porte était ouverte à un traité à larges bases ; aujourd'hui cette porte est fermée : aujourd'hui la Hollande déclare que désormais il faut renoncer à traiter avee les Pays Bas pour notre admission privilégiée dans les colonies, soit directement, soit par la nationalisation accordée à nos produits.
J'ai dit que l'artcle 24 était la garantie de tout le traité au point de vue des concessions industrielles. On objecte que sous le traité de 1846, les Pays-Bas pouvaient par des négociations et des traités avec d'autres pays et contre des équivalents, accorder à d'autres les concessions industrielles que le traité de 1846 nous avait faites.
Messieurs, ces équivalents étaient bien difficiles à obtenir de l'Angleterre, de la France ou du Zollverein.
L'Angleterre et la France, ayant à cette époque toutes les deux un système colonial privilégié, ne pouvaient pas accorder les équivalents réels ; il leur était interdit d'accepter, comme nous le faisions, les produits coloniaux néerlandais à des droits de faveur.
Le Zollverein, qui n'a pas de droits différentiels, ne pouvait faire qu'une chose : admettre les Pays-Bas au droit commun, Les équivalents étaient donc bien difficiles aussi à donner de la part du Zollverein.
Ce n'était pas là, messieurs, le danger que nous avions à courir. Le danger, et il est le même aujourd'hui encore, c'était de voir la Hollande étendre aux autres pays, par mesure générale, les concessions industrielles qui nous étaient accordées.
Le principe qui domine toute la législation des Pays-Bas, l'exposé du gouvernement et le rapport de M. Van Hall en sont la preuve, le principe qui domine la législation des Pays-Bas, c’est de ne pas avoir de traités, c'est de placer toutes les nations sous l'empire de leur législation générale.
En Hollande l'opinion dominante est contraire aux traités et l'opposition que le traité a rencontrée aux états généraux n'a pas en d'autre cause ; M. Van Hall l'exprime dans son rapport. Le reproche adressé au traité par la commission des rapporteurs en Hollande, c'est d'être en opposition avec la législation de 1850. N'est-ce pas le même reproche que nous faisons ici au gouvernement, de renverser par le traité notre législation générale de 1844 ?
Ainsi, messieurs, le principe de la Hollande, c'est d'admettre toutes les nations au droit commun.
En 1846, si l'article 24 n'avait pas été écrit dans le traité, que serait-il arrivé ? La Hollande aurait adopté sa réforme commerciale du 8 août 1850, et les réductions du tarif, mentionnées dan notre traité, fussent devenues le lendemain d'application générale, en vertu même du principe de la réforme. La Hollande aurait ainsi évité toute difficulté avec le Zollverein, avec l'Angleterre et les autres pays. Nous aurions été dans le (page 425) droit commun et toutes nos concessions eussent été gratuitement données.
Aujourd'hui, messieurs, permettez-moi de vous le dire, vous courez le même danger.
Le gouvernement belge, pour expliquer le traité, a présenté un projet de loi, d'après lequel les concessions faites à la Hollande par le premier paragraphe de l'article 14, vont être étendues à toutes les autres nations.
La Hollande sera placée dans le droit commun.
Eh bien, messieurs, n'est-il pas possible, probable, que le gouvernement des Pays-Bas, suivant l'exemple dont nous prenons l'initiative, suivant le principe de sa législation, use, pour satisfaire aux réclamations de l'opposition des états généraux, use de la faculté dont vous-même avez usé, et dise : « Je vais rendre d'application générale les concessions qui ont été faites à la Belgique. » J'attire l'attention de la chambre sur ce point du débat. Pour moi, c'est là le motif principal de mon opposition au traité ; je regarde comme probable que d'ici à peu de temps les concessions industrielles faites à la Belgique dans le traité du 20 septembre seront rendues par la llollande communes à toutes les autres nations.
Quel sera le résultat de cet état de choses ? Examinons : Il restera à la Hollande : l'exception des 7 millions de café, l'exception pour les tabacs, les droits de faveur pour les sucres de Java, pour les cotons de Surinam, pour les tabacs hors d'Europe ; le gouvernement des Pays-Bas conservera la garantie éventuelle d'un traitement différentiel pour les céréales, pour le bétail ; il conservera les faveurs du traité pour la pêche et les avantages du transit. La Belgique, que conservera-t-elle ? Rien ! Elle ne jouira que du droit commun pour les concessions industrielles.
Rappelez-vous la note Rochussen de 1844 ; quel est le but que la Hollande a poursuivi depuis un grand nombre d'années dans ses négociations diplomatiques avec la Belgique ? Cette note vous le dit assez. La Hollande nous disait : Votre législation des céréales, votre loi sur le bétail, vos lois sur la pêche, votre loi des droits différentiels de 1844, ce sont des actes d'hostilité contre les Pays-Bas ; ces actes doivent entraîner des mesures de représailles.
Le gouvernement belge s'est toujours élevé énergiquement contre cette prétention exorbitante qui ne tendait à rien moins qu'à faire consacrer notre abdication en fait de législature commerciale. Eh bien, si l'éventualité dont j'ai parlé se réalise, la Hollande aura précisément atteint son but si longtemps poursuivi ; elle l'aura atteint sans rien acheter par des concessions.
Par le traité de 1846, nous avions réservé, pour une telle éventualité, la faculté de renoncer au traité ; par le traité de 1851, nous n'avons plus ce droit de renonciation ; nous sommes liés pour cinq ans.
Messieurs, j'ai été bien long. Il me reste peu de chose à dire. Je voulais faire l'examen du traité, au point de vue de quelques-uns de ses détails ; mais le rapport de la section centrale est tellenuent complet que je puis me dispenser d'insister.
La seule objection qu'ait faite M. le ministre des affaires étrangères est celle-ci : « Nous conservons la loi des droits différentiels dans ses bases principales ; » de son côté, M. le ministre des finances déclare que son intention est bien de l'abolir.
Messieurs. M. le ministre des affaires étrangères nous assure que les articles concédés à la Hollande par l'article 14 ne comprennent qu'un tonnage de 20,000 tonneaux ; il reste en dehors, pour les articles réservés, 66,000 tonneaux, Vous voyez donc, ajoute-ton, que l'importance de ce qu'on sacrifie est accessoire.
D'abord, messieurs, pour une navigation commerciale qui a besoin de développements, qui naît à peine, le sacrifice de 20,000 tonneaux, quand on n'en conserve que 66,000, c'est déjà beaucoup.
Mais ce chiffre n'est pas exact à mes yeux : on a déduit les bois du Nord et les graines oléagineuses. Les bois du Nord comportent 40,000 tonneaux, et les graines 20,000. La vérité est donc que l'on sacrifie 80,000 tonnes pour n'en garder que 66,000.
On va me répondre que les bois et les graines sont importés par les navires du Nord, sans laisser d'espoir de concurrence à notre navigation.
Messieurs, la question n'est pas tout entière dans l'intérêt de la navigation ; la première question pour moi est de conserver des moyens efficaces de négociation. Or, il est évident qu'en renonçant aux droits différentiels sur les bois et sur les graines, vous accordez gratuitement aux pays du Nord, à la Russie, par exemple, les faveurs à l'aide desquelles vous auriez pu obtenir des concessions réciproques.
L'importance des articles réservés suffit-elle pour que nous puissions abandonner sans inconvénient tous les autres ?
Sans doute le café, le sucre, le coton et le riz sont des articles de commerce importants.
Mais l'exception qu'on a dû introduire en 1844, en faveur du café Java, a altéré, jusqu'à un certain point, la force du droit différentiel en ce qui concerne les introductions de cafe brésilien.
Pour les sucres, il y avait une condition sans laquelle tout droit différentiel sera impuissant, c'est une législation commerciale sur les sucres. Cette législation a existé ; elle est condamnée et je vois clairement que dans la lutte engagée entre le sucre indigène et le sucre exotique, c'est le sucre indigène qui triomphe définitivement. Il ne faut donc pas fonder trop d'espoir sur les importations de sucre, pour alimenter notre commerce maritime.
Pour le coton et le riz, par le traité avec les Etats-Unis, ils seront importés, en majeure partie, par la navigation américaine. Ce n'est pas là un mal ; je ne le regrette pas ; mais au point de vue de la navigation du pays, on ne peut pas dire que ce sera un aliment pour la navigation nationale.
Messieurs, il ne faut pas donner à ma pensée une portée exagérée. Je ne nie pas l’importance commerciale de ces articles, même dans ces limites restreintes ; mais ce que je veux dire, c'est que nous avions besoin de répartir les taxes différentielles sur un plus grand nombre d'articles de notre tarif, précisément à cause de tous ces faits qui ont altéré l'efficacité de la protection en ce qui concerne les articles principaux que j'ai cités.
Pour moi, la question décisive, c'est la relâche à Cowes. Je ne veux pas discuter ce point, j'aurai l'occasion de l'examiner plus tard.
La restriction apportée au système de relâche a eu pour effet de diminuer peut-être le commerce de consignation secondaire, mais de développer à Anvers dans une grande proportion le commerce de compte propre, le seul qui serve à nos exportations.
S'il y a presque unanimité aujourd'hui à Anvers pour réclamer contre le traité et la suppression des droits différentiels, c'est précisément parce que l'influence du commerce de compte propre a prévalu.
Je crains que ce traité ait pour conséquence de nuire aux négociations qu'on pourrait entamer avec d'autres pays.
Je cite en passant le Zollverein et les Etats-Unis. Le traité avec le Zollverein a pour base l'assimilation maritime ; Cette assimilation est la seule concession faite au Zollverein par le trailé du 1er septembre. Or, cette assimilation n'est une concession, que si elle n'est pas partagée par tout le monde, si le Zollverein en jouit seul.
La Prusse attachait un haut prix, en 1844, à la faveur que nous lui avons faite sur les bois. Aujourd'hui que cette faveur disparaît, par le traité avec la Hollande, je me demande quelle concession il vous reste à offrir pour conserver le traitement privilégié accordé à notre métallurgie sur le marche du Rhin.
Vous serez forcé, à défaut de concession maritime, de donner des faveurs industrielles et de frapper ainsi quelques-unes de nos industries. Des observations analogues sont applicables aux Etats-Unis.
Pour le transit, je suis étonné de la manière dont M. le ministre défend cette partie du traité. Depuis 1834 une lutte très vive a été engagée entre la Hollande et nous, pour nous emparer du transit vers l'Allemagne ; nous avions devancé la Hollande ; nous avions construit, dans ce but, des chemins de fer dès 1834 ; en 1836 nous avons proclamé la liberté du transit ; nous avons créé des entrepôts francs en 1846 ; nous avons fait un trailé avec le Zollverein qui avait pour but de favoriser le transit vers l'Allemagne et de faire du port d'Anvers un véritable port du Rhin. Tandis que la valeur des marchandises transitées par la Hollande ne s'élevait qu'à 46 millions de florins, c'est-à-dire 100 millions de francs, le transit belge avait atteint une valeur de 227 millions.
La Hollande s'est alarmée de ce résultat. Qu-'a-t-elle fait alors ? La Hollande a aboli ses droits de transit, elle a suspendu ou supprimé les péages sur le Rhin et l'Yssel ; il ne restait plus qu'à obtenir le libre transit par la Meuse et par nos chemins de fer vers la France, pour prendre conlre la Belgique une éclatante revanche. Cette revanche est prise ; le traité du 20 septembre lui donne ce qui lui manquait, et M. le ministre des affaires étrangères cile les suppressions de transil comme l'une des clauses favorables du traité !
Messieurs, une chose me frappe, et c'est ma dernière réflexion. Il y a quelques années, la Belgique était parvenue, comme j'ai eu l'occasion de le dire déjà, à faire des traités différentiels avec la France, l'Allemagne et les Pays-Bas. Ces traités nous donnaient une place privilégiée sur ces trois marchés européens : en France pour nos fers, nos houilles et notre industrie linière ; en Allemagne pour la métallurgie ; sur le marché des Pays-Bas pour les tissus de lin, de coton et de laine, pour nos clous, nos verres à vitres et plusieurs autres objets de nos manufactures. Aucune autre nation n'avait obtenu une telle position sur les marchés voisins ; c'était là une confédération avec la France, avec l'Allemagne et la Hollande qui valait bien, me semble-t-il, la confédération maritime avec l'Angleterre, la Sardaigne et la Suède dans laquelle M. le ministre des finances nous engage d'entrer.
Ce marché privilégié, nous allons le perdre en Hollande, où le droit commun nous attend, je le crains.
Je ne crois pas que le ministère ait l'espoir de voir renouveler le traité allemand du 1er septembre, avec les avantages obtenus en 1845. Nos relations européennes s'affaiblissent donc au moment où l'on nous dit que nous avons grandi politiquement dans l'estime de l'Europe.
En regard de cette situation, voyez le mouvement qui se fait autour de nous.
Le Zollverein va s'agrandir par l'accession du Hanovre et des villes hanséatiques. La Hollande, par son traité, va faire également partie de cette grande confédération commerciale. Une question avait été posée en Allemagne : quel sera le port le plus important pour l'Allemagne, des villes hanséatiques, de Rotterdam ou d'Anvers ?
Tous les efforts de la Belgique, depuis vingt ans, ont eu pour but de faire accepter Anvers comme le port du Rhin, pour la province rhénane et pour les Etats du Sud. Aujourd'hui nous perdons tout le terrain conquis et nous allons droit à la dépossession d'Anvers par ses rivales. Avant 1844, on se plaignait de notre isolement commercial ; je crains bien, si la politique que suit le ministère triomphe, que nous retournions à cet isolement. (Interruption.)
M. Loos (pour un fait personnel). - Voici les paroles que l honorable M. Dechamps a prononcées :
(page 426) « Le dévouement ministériel de quelques-uns de mes collègues est mis à une cruelle épreuve ; je ne sais s'il y résistera, mais ce que je sais, c'est que la métropole commerciale a protesté et que d'après le discours que vous venez d'entendre (celui de l'honorable M. Manilius), l'un de nos grands centres d'industrie ne manquera pas de le faire quand le moment sera venu d'entamer la réforme industrielle. »
Ces paroles étaient trop directement à l'adresse des députés d'Anvers pour que je pusse me dispenser d'y répondre.
- Plusieurs membres. - Il n'y a pas là de fait personnel.
M. Loos. - Permettez, messieurs. J'ai déjà dit dans une autre circonstance que je ne reconnaissais à personne le droit de suspecter le moins du monde l'indépendance de mes opinions. Je n'avais pas besoin de cet provocation de l'honorable M. Dechamps pour me déterminer. J .suis inscrit depuis 3 jours pour parler contre le traité.
M. Malou. - C'est précisément là ce qui prouve qu'il n'y a rien de personnel pour vous dans les paroles de M. Dechamps.
M. Loos. - Je ne demande pas à l'honorable M. Malou sa manière de voir.
M. Orban. - Le dévouement n'exclut pas l'indépendance.
M. Loos. - Je soutiens le ministère, quand ma conscience approuve ses propositions. Je vote contre ses projets quand ils ne me paraissentpas acceptables au point de vue des intérêts du pays. Je désire pour l'honorable M. Dechamps que sa conscience n'ait pas à lui reprocher plus de votes de parti ou de complaisance que ma conscience ne m'en reproche à moi-même.
M. Dechamps (pour un fait personnel). - Je suis étonné de la réclamation de l'honorable M. Loos. Dans ce que j'ai dit il n'y avait rien de personnel, rien surtout pour lui.
M. Van Grootven (pour une motion d’ordre). - Je demande que la séance soit suspendue et reprise ce soir à huit heures.
M. Bruneau. - Appuyé ! Il y a 18 orateurs inscrits. Nous n'en avons entendu que quatre dans cette séance. Si nous n'avons pas de.séance du soir, nous ne finirons jamais.,
M. Malou, rapporteur. - Je propose de fixer la prochaine séance à demain 10 heures du matin. Une séance du soir est impossible. Si l'on ne veut pas qu'on discute sérieusement, qu'on le dise. Mais il est évident que l'attention de la chambre est fatiguée après 6 heures de séance.
M. Rodenbach. - Demandez la clôture. Ce sera plus tôt fait. Je m'oppose formellement à ce qu'il y ait une séance du soir. Il y a près de six heures que nous sommes ici. Nous avons prêté une grande attention ; il y a eu des discours très remarquables. J'appuie la proposition qu'a faite l'honorable M. Malou de fixer la prochaine séance à demain dix heures du matin.
M. de Theux. - Je demande que la séance soit fixée à neuf heures et demie pour commencer à dix heures précises.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'attention de la chambre sera tout aussi fatiguée demain matin qu'elle pourra l'être ce soir. Mieux vaudrait se réunir ce soir.
M. le président. - La chambre devra dans tous les cas se réunir demain ; car il sera présenté un projet de loi que la chambre devra voter avant de se séparer.
Ensuite la commission du Code forestier doit se réunir demain ; sans quoi la chambre n'aurait rien à l’ordre du jour après les vacances.
Je ne préjuge rien ; mais j'ai du faire cette observation dans l'intérêt des travaux de la chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je comprendrais que la chambre s'abstînt d'une séance du soir si elle pouvait siéger tous les jours jusqu'à mardi. Mais elle n'est pas libre de le faire.
M. Malou. - Pourquoi ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous voudrez bien accorder au sénat un jour ou deux pour examiner le traité. Il faut qu'il soit saisi du traité au plus tard lundi.
Si vous renvoyez la séance à demain 10 heures du matin, la fatigue de la journée sera plus grande qu'aujourd'hui. De manière que l'objection qu'on fait aujourd'hui sera encore plus forte demain. Après avoir entendu trois ou quatre discours, on peut bien en entendre d'autres. Un long discours peut fatiguer l'orateur, mais non les auditeurs.
Je crois qu'indépendamment de la séance du soir, on devra avoir une séance demain.
M. le président.- Il sera donc entendu que la discussion ne sera pas close aujourd'hui.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Delfosse. - On ne peut décider maintenance que la chambre fera ce soir. On doit seulement décider s'il y aura ou non séance du soir.
M. Coomans. - Il est, je crois, entendu que la clôture ne sera pas prononcée ce soir.
M. le président. - La proposition n'est plus ainsi.
M. Coomans. - Je la fais.
M. le président. - Il s'agit seulement de décider si la chambre se réunira ce soir à 8 heures.
La chambre décidera dans la séance de ce soir si la discussion sera continuée à demain.
M. Cools. - Je demande la parole sur la position de la question.
- Plusieurs membres. - Non ! non ! aux voix !
M. Cools. - J'ai la parole sur la position de la question et c'est ce que vient de dire l'honorable M. Delfosse qui m'oblige à la demander.
L'honorable M. Delfosse dit qu'on ne peut décider en ce moment ce qu'on fera ce soir ; or, je rappellerai tous les antécédents de cette chambre.
Très souvent, lorsqu'une discussion importante est engagée et qu'on est encore dans la discussion générale, la chambre a décidé qu'elle ne clôturerait pas tel ou tel jour.
M. Coomans. - Je demande la parole.
M. le président. - La discussion est close.
M. Coomans. - Je vous la demande pour un rappel au règlement.
Messieurs, le règlement exige que tous les membres de cette assemblée soient convoqués à nos séances. Or, il est évident que beaucoup de nos honorables collègues ne se trouvent pas ici ; ils peuvent donc ignorer qu'il y a une séance du soir.
J'insiste sur ce point,. Aucn membre de la représentation belge ne peut souffrir que l'on fasse des lois sans son concours. Ce serait un véritable escamotage.
Je demande que l'on observe le règlement et qu'on ne vote pas ce soir sur une question d'une pareille importance, à moins que notre honorable président ne soit certain que tous les membres de l'assemblée seront avertis.
M. le président. - Je dois faire remarquer à M. Coomans que la séance n'est que suspendue jusqu'à 8 heures ; le règlement n'est pas en jeu.
Il était libre à tous les membres de rester à leur poste jusqu'à la fin de la séance. (Aux voix ! aux voix !)
M. de Mérode. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. Dumortier. - Je demande la parole sur la position de la question. L'honorable M. Delfosse a complètement changé la question.
M. de Mérode. - On n'a jamais imaginé d'appeler prolongation de séance une séance du soir. C'est une séance nouvelle. C'est encore une manière d'escamoter le règlement qui n'a jamais eu lieu.
Il faut appeler les choses par leur nom. C'est une véritable séance du soir que vous demandez et vous ne pouvez pas lui donner un autre nom.
M. le président. - Cette discussion est parfaitement inutile. Ceux qui ne veulent pas de séance du soir répondront non. Je mets aux voix la suspension de la séance jusqu'à 8 heures.
- L'appel nominal est demandé.
56 membres répondent à l'appel nominal.
34 membres répondent oui. ;
22 répondent non.
En conséquence, la chambre décide que la séance est suspendue jusqu'à 8 heures.
Ont répondu oui : MM. Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Bruneau, Cans, David, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, Delfosse, Deliége, De Pouhon, de Steenhault, de T'Serclaes, Devaux, d'Holffschmidt, Frère-Orban, Jouret, Julliot, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rogier, Sinave, Tesch, Thiéfry, Tremouroux et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. Vandenpeereboom (Alphonse), Van Renynghe, Clep, Cools, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Percaval, de Royer, de Theux, Dumortier, Landeloos, Malou, Mercier, Moncheur, Orban, Rodenbach, Roussel (Adolphe).
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement a annoncé qu'il demanderait les pouvoirs nécessaires pour être autorisé à appliquer, par arrêté royal, les dispositions contenues dans le projet de loi qu'il a déposé il y a quelques jours. Je dépose cette proposition pour que l'on puisse statuer demain après le vote sur le traité.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera imprimé et distribué.
M. Dumortier. - Je demande le renvoi de ce projet de loi à l'examen des sections.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas besoin de combattre une pareille proposition, on sent bien qu'elle n'est pas sérieuse. La chambre se trouve dans l'impossibilité de statuer sur le projet de loi que j'ai déposé il y a quelques jours et qui devrait être appliqué immédiatement après la mise en vigueur du traité s'il est adopté.
J'ai annoncé l'intention de demander à la chambre le pouvoir d'appliquer par arrêté royal ces mêmes dispositions ; je dépose le projet de loi ; c'est mon droit.
M. Dumortier. - Je propose le renvoi aux sections et je demande l'appel nominal.
(page 427) M. le président. - La chambre n'est plus en nombre. Elle s’occupera de cette proposition dans sa séance du soir.
- La séance est suspendue à 8 heures.
La séance est reprise à 8 heures et un quart.
(page 427) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'imiterai, en commençant, les honorables préopinants : je déclarerais comme eux que je tâcherai d'être bref (interruption) ; mais j'essayerai aussi de faire mieux qu'eux, sous ce rapport au moins ; je m'efforcerai de concentrer en peu de paroles la réponse que je viens faire au discours de l'honorable M. Dechamps. Je ne sais si j'y réussirai.
La tâche, au point de vue de la brièveté, sera en effet fort difficile, car, aux yeux de l'honorable préopinant, le débat n'avait pas sans doute assez d'importance par lui-même : il a voulu l'agrandir encore, en y introduisant la question politique.
L'honorable M. Dechamps nous a reproché avec amertume de condamner toute la politique ancienne, de la répudier, et il nous a signalés en quelque sorte, comme des révolutionnaires, ébranlant nos institutions, portant atteinte à toutes nos lois organiques.
L'honorable M. Dechamps est bien oublieux ! Lorsque nous sommes arrivés aux affaires, lorsque le pays, avant nous, a condamné toute cette politique ancienne, qu’elle était la première mission qui nous était confiée ? Mais c'était de réparer les atteintes qui avaient été portées par la politique ancienne à nos lois fondamentales. Nous sommes venus précisément pour réparer les brèches qui avaient été faites à nos libertés communales. Nous sommes venus pour faire une réforme parlementaire qui, certes, était bien nécessaire ; réforme que nous avions annoncée avant les événements de 1848, réforme que nos adversaires combattaient alors mais qui, depuis ces événements, a rencontré nos contradicteurs d'aujourd'hui, comme ses plus ardents promoteurs, à ce point qu'ils en ont exagéré tous les principes et toutes les conséquences.
Nous sommes venus, messieurs, pour rétablir l'ordre dans les finances qui nous avaient été léguées dans un état de délabrement que vous connaissez. Le déficit était-il par hasard, pour nos honorables adversaires, une oeuvre de conservation ?
Nous venions lutter contre la réaction qui s'était manifestée dans la majorité de cette époque contre nos institutions libérales. Sur la question capitale qui a si longtemps divisé cette chambre, sur la question de l'enseignement, quelles idées, quels principes venions-nous apporter ? Des principes contraires à ceux qui avaient été professés jusque-là, c'est vrai ; nous venions déclarer qu'à notre avis, il y avait dans la Constitution une prescription impérieuse, qu'il y avait obligation pour l'Etat d'organiser par la loi l'enseignement public, et ces principes étaient diamétralement opposés à ceux qui avaient été préconises par nos honorables adversaires.
L'honorable M. Dechamps, dans un rapport fameux, avait déclaré, dès 1835, que l'organisation de l'enseignement public était une affaire temporaire et accidentelle, que cet enseignement public, l'enseignement supérieur surtout ne devait être organisé que d'une manière momentanée et pour subsister jusqu'à l’époque où les établissements libres auraient pu seuls occuper la place.
Et c'est à nous, messieurs, que l'honorable M. Dechamps impute une politique violente, semant partout le trouble et la désorganisation !
Qui donc avait porté atteinte à nos institutions ? Qui les dénaturait ? Qui cherchait à les ébranler ! Qui avait modifié nos lois organiques ! Qui méconnaisait, sur un point fondamental, le texte et l'esprit de la Constitution ? Nos adversaires assurément.
N'est-ce pas pour les arrêter sur la pente fatale où ils s'étaient engagés que nous sommes venus ? Loin d'être violente, notre politique n'était-elle pas toute de réparation et de conservation ? N'est-ce pas celle que le pays avait demandée ? N'est-ce pas celle que le pajs nous avait imposée ? Est-ce que le programme que nous avons apporté au pouvoir, programme à la fois sage, progressif, pacifique, et qui était connu depuis longtemps, celui de l’opinionlibérale, n’était point parfaitement connu, lorsque les électeurs vous ont renversé du pouvoir ?
L'honorable membre accuse aussi le cabinet d'ébranler toute la politique commerciale de l'ancienne majorité ; et dans quel moment, nous dit-il, le gouvernement se met-il à l'œuvre ? C'est au moment où l'industrie est dans un état prospère, où le commerce fleurit. Il n'y a ni opportunité ni nécessité d'opérer ainsi. Bien plus, et ceci surtout est grave aux jeux de l'honorable membre, nous arrêtons des projets de réforme, et au lieu de les proposer d'abord, nous négocions ; ces réformes viendront comme conséquence des traités ; dès lors elles seront imposées à la chambre qui n'aura plus la liberté de les discuter.
C'est, sous une autre forme, laflin de non-recevoir qui est consignée dans le rapport de la section centrale ; c'est l'opinion qui a été exprimée par quelques orateurs : il faudrait ajourner l'examen du traité jusqu'à ce qu'on pût discuter les projets du cabinet.
Mais, messieurs, une seule observation fait crouler toutes les objections accumulées par l'honorable M. Dechamps. Supposez pour un instant que le gouvernement n'eût annoncé aucun projet de réforme ; que je n'eusse pas prononcé un discours à l'occasion de la prise en considération du projet de loi de l'honorable M. Coomans, qu'auriez-vous à examiner ? Le traité et ses conséquences.
Est-ce qu'on se croirait engagé, pour avoir apprécié le traité et ses conséquences, à voter désormais toute espèce de propositions, relatives à notre législation douanière, qu'il conviendra au gouvernement de vous soumettre ? Qui peut le prétendre sérieusement ?
Vous avez à apprécier ce traité ; vous savez quelles en sont les conséquences, et quelles sont les réformes qui découleront dc cet acte international.
Ces réformes en elles-mêmes sont-elles attaquables ? Ne sont-elles pas justifiées au plus haut degré d'évidence ? Ne le reconnait-on pas au genre d'opposition même dont le traité est l'objet ? Car, que vous dit-on : « Ce sont moins les propositions que vous soumettez maintenant que celles que vous faites pressentir, que nous combattons par anticipation. » Or quelle injustice plus grande que de condamner des projets que l'on ne connaît pas ?
Et puis, chose étrange, la loi sur les droits différentiels a été faite, de l'aveu de ses auteurs, afin de donner au gouvernement un moyen de négocier des traités. Apparemment on n'entendait pas qu'on pût conserver la loi des droits différentiels en négociant des traités ; on savait qu'il faudrait en abandonner une partie.
C'est ce que nous avons fait et c'est ce qu'avaient fait nos préedécesseurs. Certaines concessions avaient été consenties sur les droits différentiels en traitant en 1846 ; nous avons dû faire certaines concussions sur les droits différentiels, en traitant en 1851. Rien de plus facile que d'apprécier la portée de cet arrangement, abstraction faite de tous les projets qu'on prête au cabinet.
Mais est-il nécessaire, est-il opportun d'introduire des réformes dans notre législation commerciale ? Je ne rappellerai pas toutes les raisons, que j'ai fait valoir, pour démontrer cette nécessité, dans mes discours du 26 et du 28 novembre. Mes adversaires ne prennent pas la peine de les discuter. Mais à cette objection que l'industrie se développe, que le commerce grandit, ma réponse est facile. Est-ce que l'industrie et le commerce de l'Angleterre n'étaient pas au plus haut point de prospérité lorsque les plus profondes modifications ont été introduites dans les tarifs et les lois de ce pays ? Est-ce que les résultats n'ont pas justifié toutes les prévisions de ceux qui ont inauguré ces grandes réformes ?
L'opposition ne cherche ici évidemment que des prétextes ; c'est une pure tactique parlementaire, c'est de la part de nos adversaires saisir l'occasion qu'ils croient propice, d'essayer de jeter l'inquiétude dans les esprits, d'alarmer l'industrie et le commerce, de faire accroire, malgré les déclarations du cabinet, qu’il veut jeter la perturbation dans les intérêts matériels.
Oh ! c'est là ce que veulent nos adversaires. A la veille de la lutte électorale, ils voudraient bien que les industriels commençassent à s'alarmer, qu'il y eût une de ces coalitions dont parlait l'honorable M. Dechamps, et que pour les intérêts matériels prétendument menacés, on oubiât les intérêts moraux et politiques que nous avons aussi mission de défendre. C'est là ce que voudraient nos adversaires ; mais ils ne réussiront pas, parce qu'il leur faudrait travestir non seulemcnt nos intentions, ce qui est de tous les jours, mais altérer des déclarations expresses, formelles, que nous ne cesserons pas de répéter.
Ainsi l'honorable M. Dechamps, nonobstant la réfutation que j'ai déjà faite, dès le 28 novembre dernier, des imputations qu’il dirige contre nous, les répète avec la même assurance dans l’espérance, sans doute, de rencontrer quelques hommes simples qui consentiront à les admettre. L’honorable M. Dechamps n’a fait qu’emprunter le langage de l’honorable M. Coomans, et ma réponse à ce dernier ne suffit-elle pas encore aujourd’hui ?
« Vous êtes partisans de la liberté commerciale, vous la voulez ; vous êtes des théoriciens ; votre code, c’est un livre d’économie politique. A l’œuvre donc ; démolissez, détruisez tout ce qui existe. Si vous ne le faites, vous êtes en contradiction.
« Je conçois, ai-je répondu, qu’en adoptant ce thème, l’honorable membre se donne une position facile pour nous combattre. Mais le ministère n’a jamais préconisé le système absolu qu’on lui prête, car il (page 428) serait impossible à un gouvernement quelconque d'en poursuivre la réalisation.
« Le gouvernement étudie notre législation, il en constate les vices, il les signale. Il veut des réformes ; il dit quelles seront ces réformes. Mais il ne prétend pas qu'il faut détruire sur-le-champ, maintenant, tout ce qui existe. »
Voilà les déclarations que j'ai faites et que je fais encore aujourd'hui.
L'honorable M. Dechamps, comme l'honorable M. Coumans, doivent donc renoncer à l'illusion qu'ils parviendront à alarmer les intérêts matériels, à les soulever contre la politique du cabinet.
Il y a un autre motif dans l'attitude que prennent nos adversaires. Cette occasion leur paraît opportune pour exalter la politique ancienne ; ils se posent fièrement devant nous, ils nous demandent quelle est notre politique commerciale, quelles soit nos idées, nos vues ; ils parlent avec amour de leur système, de celui qui a fait jusqu'à ce jour, si je dois le croire, la prospérité de la Belgique. L'honorable M. Malou a même déclaré dans son rapport que la politique commerciale qui a été pratiquée depuis 1830 était, selon lui, une réaction contre le système mis en vigueur par la loi de 1822, un de nos griefs, dit-il, contre la Hollande, une réaction contre le premier acte de suprématie du Nord sur le Midi.
Messieurs, il est vrai que lorsque la loi de 1822 fut mise en vigueur, elle excita une très vive répugnance dans le pays ; il est vrai qu'elle fut repoussée par les députés du midi presque à l'unanimité, admise par les députés du nord.
Il est vrai qu'on l'a reprochée à ceux qui l'avaient votée comme un fratricide, pour répéter l'expression de l'honorable M. de Liedekerke ; mais il est vrai aussi qu'après huit années d'expérience bien des erreurs étaient dissipées, bien des préjugés avaient disparu, car lorsque la révolution de 1830 éclata, si grande, si magnifique, au nom des intérêts moraux et politiques, elle souleva contre elle tous les intérêts matériels.
Tous les grands centres industriels et commerciaux étaient opposés à la révolution, et vous écrivez dans votre rapport que la législation de 1822 était le premier grief de la Belgique contre le gouvernement hollandais ! Vous avez travesti l'histoire.
Cette législation était tellement admise, la politique commerciale inaugurer en 1821 et 1822 était tellement appropriée aux besoins du pays que ni le gouvernement provisoire, ni le congrès qui connaissaient les griefs de la Belgique, ne posèrent un acte de réaction contre la loi de 1822. Au point de vue agricole, le gouvernement provisoire décréta le libre commerce des grains ; une seule mesure de protection tout à fait exceptionnelle fut prise par le congrès à raison des circonstances,de la position fâcheuse où se trouvait l'industrie métallurgique : un tarif spécial sur les fers fut établi ; mais, tant il est vrai que le congrès ne voulait pas revenir à un système protecteur, prohibitif, il stipula que la loi ancienne serait remise en vigueur le 1er janvier 1832. Les intérêts engagés prévalurent ultérieurement.
C'est à partir de 1834 qu'un revirement s'opère dans la politique commerciale qui avait été suivie jusqu'alors. A partir de cette époque, on voit poindre cette politique revendiquée par nos honorables adversaires. A les entendre ils ont tout fait, ce système est éclos tout d'une pièce de leur tête, il est dû à leur sagesse et leurs profondes méditations.
Mais, messieurs, à qui doit on les diverses lois que l'on considère comme l'arche sainte à laquelle il est interdit de toucher ? Nous savons quels sont les auteurs de ces lois. En agriculture, votre maître c'est l'honorable M.Eloy de Burdinne ; en industrie, vos maîtres sont MM.Desmet et Rodenbach ; en matière de navigation, l'auteur du grand système commercial qu'on invoque, c'est l'honorable abbé de Foere, voilà vos maîtres.
M. Coomans. - Ils ont fait beaucoup d'élèves.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne vous en félicite pas.
Et parce que nous ne reconnaîtrons pas la suprématie des théories de M. Eloy de Burdinne en fait d'agriculture, nous serons traités comme des révolutionnaires ; parce que nous n'admettrons pas avec M. Desmet que la salive flamande a une vertu particulière, nous serons considérés comme des impies ; parce que nous n'admettrons pas avec l'abbé de Foere qu'en établissant des droits différentiels au profit du petit nombre de navires que possède la Belgique sous prétexte qu'ils transporteraient alors nécessairement les produits de notre industrie dans les pays transatlantiques, dussent-ils ne pas les vendre, nous serons condamnés impitoyablement comme hérétiques et traités avec ce dédain superbe qu'affectent nos honorables contradicteurs !
Aucune de ces grandes lois, comme on les nomme, n'est due à l'initiative du gouvernement ou d'un des chefs de l'ancienne majorité. Elles ont été repoussées, au contraire, par plusieurs d'entre eux. La loi des céréales due à l'initiative de M. Eloy de Burdinne fut combattue par le gouvernement ; la loi sur l'industrie linière, qui, comme je l'ai dit, est due aux deux honorables membres que j'ai nommés, fut combattue par le gouvernement ; dans le vote le cabinet s'est abstenu, M. de Mérode seul a voté pour son adoption.
Quant à la loi due à l'initiative de M. de Foere, que cet honorable membre a soutenue, préconisée, de 1834 à 1844, c'est seulement à cette dernière époque que les esprits de quelques-uns d'entre vous se sont soudainement illuminés ! Il a fallu dix ans à l'honorable abbé de Foere pour vous faire comprendre que cette loi devait assurer la prospérité de la Belgique, s'il faut en croire l'honorable M. Dechamps, il a fallu dix ans pour vous donner cette conviction ! La vérité était bien obscure pour que vous ayez mis tant de temps à la proclamer.
Cependant, bien loin d'avoir voulu persévérer à subir le joug de certains intérêts dans cette chambre, le gouvernement tout au contraire essaya de revenir à un système plus libéral.
En 1823, le gouvernement des Pays-Bas avait pris des mesures douanières contre la France. Ces mesures n'avaient pas été adoptées par le Nord contre le Midi, mais elles avaient été accueillies à l'unanimité par les états généraux. En 1836, M. de Theux vint proposer de rapporter cette loi, il rencontra une grande oppositîon dans cette chambre ; toutes les sections furent opposées au projet ; la section centrale s'indigna de ce qu'une pareille proposition pût être faite ; il fallut deux années à M. de Theux pour la faire accepter, elle ne fut adoptée qu'en 1838. Je reconnais qu'il se rencontra alors dans cette chambre des hommes qui surent tenir un langage conforme aux véritables principes. A toutes les récriminations voici ce qu'un honorable membre répondait ;
« L'industrie nationale doit être protégée, mais seulement autant que de besoin. On doit permettre à l'industrie étrangère une concurrence modérée, car il en résulte des avantages réels pour notre industrie, qui tend toujours à se perfectionner, et des avantages pour le consommateur. D'un autre côté, les droits modérés sont les seuls qui puissent se percevoir, sans donner ouverture à une fraude immorale et ruineuse pour le trésor, les seuls aussi qui puissent maintenir les rapports commerciaux avec les pays voisins. La Belgique a besoin d'adopter un système large, car elle a beaucoup d'objets d'échange ; si elle s'isolait par son tarif, elle serait bientôt isolée aussi des autres nations par leurs tarifs. »
En présence dus honorables MM. Eloy, Desmet, Rodenbach, de Foere, c'était là sans doute un langage hardi, presque révolutionnaire ; celui que probablement j'aurais tenu, car il est tout à fait conforme aux idées exprimées par moi devant la chambre dans un discours si longuement et si élégamment attaqué par l'honorable M. Dechamps. Savez-vous qui parlait ainsi ? qui tenait ce langage ? C'était, je ne sais si j'ose le dire, c'était l'honorable M. deTheux... (Interruption.) Et vous l'avez bien entendu, messieurs, il faut de la protection à l'industrie, mais seulement autant que de besoin ; il faut des droits modérés à la Belgique, elle doit avoir un système libéral ; elle ne doit pas s'isoler, car si elle s'isolait par ses tarifs elle étoufferait, elle serait bientôt isolée par les tarifs des autres nations.
Voilà ce que répondait l'honorable M. de Theux à ceux qui l'accusaient de n'avoir pas de système en matière de douanes ; voila quelle était, du moins, nous devons le croire, cette politique de nos adversaires, et c'est un malheur sans doute fort grand pour cette politique d'avoir abouti en agriculture à la fameuse proposition des vingt et un, et d'avoir dû subir, pour l'industrie et le commerce la loi du 21 juillet 1844.
- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans mon discours du 26 novembre, j'ai dit quelques mois, les seuls, je dois le supposer (car ce sont ceux-là seuls qui ont été relevés) qui ont surtout vivement frappé l'honorable M. Dechamps. J'ai dit : « Un des principaux et des plus fâcheux résultats de ce régime, régime que nos honorables adversaires appellent modéré avec des droits de 60, 70, 80 p.c, un des principaux et des plus fâcheux résultats de ce régime, a été de provoquer les spéculateurs à enfouir dans certaines industries des capitaux hors de proportion avec les bénéfices probables ; de renchérir d'abord proportionnellement le prix des produits par l'absence de concurrence, et la nécessité de servir l'intérêt des capitaux engagés ; de comprimer par cela même l'essor de diverses industries secondaires, pour aboutir enfin à l'intérieur, sur le marché réservé, à une concurrence ruineuse. »
C'est là ce qui a servi de texte à l'honorable M. Dechamps. Quoi ! me dit-il, on a enfoui des capitaux dans des industries, l'on a fait renchérir les produits ! Mais voyez donc ce qui s'est passé. Nous avons exporté de plus en plus ; de plus en plus nous avons livré des produits à l'étranger. Comment donc pouvez-vous tenir un pareil langage ? On a empêché des industries secondaires de s'élever, mais les industries, au contraire, ont continué à fleurir.
Je ne veux, pour répondre à l'honorable M. Dechamps, que prendre une seule industrie, j'en pourrais prendre dix, j'en prends une seule pour justifier chacune de mes paroles. Je prends l'industrie métallurgique.
Est-il vrai ou non que, par suite du régime douanier, cette industrie, en possession exclusive du marché intérieur, a d'abord pendant un certain temps renchéri ses produits outre mesure ? Cela est-il contestable ?
N'est-il pas arrivé qu'à raison même de ces hauts prix, les capitaux croyant trouver des profits considérables dans cette industrie, s'y sont principalement engagés ? N'est-il pas arrivé qu'un nombre immense d'établissements s'est élevé ? Et bientôt la concurrence entre ces divers établissements n'est-elle pas devenue ruineuse sur le marché intérieur ? Quand avez-vous exporté du fer ? Lorsque la concurrence avait tellement abaissé nos prix à l'intérieur, que nous pouvions lutter en certaine mesure sur quelques marchés étrangers. Est-ce qu'un pareil état de choses a été heureux pour la Belgique ? En a-t-elle retiré de grands avantages ? Les capitaux enfouis dans ces diverses industries ne donnent plus aujourd'hui qu'un très faible intérêt et quelquefois même aucun profit. Cette perte réelle n'est-elle pas un mal pour le pays ? Voilà, messieurs, ce que j'ai dit, voilà ce qui est évident pour tout hommes qui a étudié les faits.
L'honorable M. Dechamps prend texte de ces mêmes paroles pour faire de la situation actuelle de la Belgique, au point de vue industriel et commercial, un tableau très brillant et que personne assurément ne sera tenté de contester. Il nous a dit que c'était grâce au régime que la Belgique avait suivi que cet état de choses se présentait ! Qui croira que c'est grâce à un tarif douanier qui est un véritable dédale, à des lois restrictives, à une foule de lois qui élèvent les prix des choses, la loi sur les (page 429) droits différentiels surtout, car l'honorable membre rapporte tout à cette loi, qu'il faut attribuer la situation que nous voyons aujourd'hui !
En 1820, cinq cents navires seulemînt, si je ne me trompe, ont visité le port d'Anvers ; en 1829 il y en avait mille. Serait-on recevable à attribuer nécessairement, exclusivement, forcément à la législation cette augmentation de cent pour cent qui s'était manifestée ? Quel éloge pour la loi de 1822, quelle critique pour la loi de 1844, car je ne sache pas que celle-ci ait produit de pareils effets !
En faisant de mauvaises lois on doit entraver, sans doute, le développement naturel de l'industrie ou du commerce. Cela n'est pas contestable. Mais les plus mauvaises lois n'empêchent pas que les relations naturelles, forcées, inévitables ne continuent, bien qu'elles s'opèrent alors dans des conditions plus onéreuses. Le commerce se développe, mais indépendamment de la loi des droits différentiels ; nos exportations, je le prouverai par des chiffres, quoique l'honorable M. Deehamps m'en ait porté le défi, nos exportations se développent nonobstant une mauvaise loi ; si cette loi n'existait pas, nos exportations auraient un plus grand développement. En effet, tandis que nos exportations directes vers les pays transatlantiques que la loi de 1844 voulait favoriser, ne s'accroissaient que de huit millions, nos exportations vers les pays d'Europe, que la loi a pour but de contrarier, augmentaient de 47 millions de francs. Est-ce péremptoire, est-ce évident ? C'est un point sur lequel je reviendrai tantôt.
L'honorable M. Dechamps dit : L'Angleterre, en modifiant sa législation, avait un but secret, et ce but secret l'honorable membre nous l'a révélé ; vous vous en souvenez tous, messieurs, on pourrait le résumer dans le vieux mot bien connu : la perfide Albion. C'est une perfidie de l'Angleterre. L'Angleterre, en réformant sa législation, voulait accroître au détriment des autres nations les profits qu'elle fait dans l'industrie et le commerce.
L'Angleterre, l'honorable M. Malou le dit également dans son rapport, n'a rien cédé. Elle n'a cédé que ce qu'elle ne pouvait pas empêcher qu'on lui prît ; elle n'a donné aucune espèce d'avantages. Voyons jusqu'à quel point une pareille affirmation est vraie ; voyons jusqu'à quel point il est vrai de prétendre que l'Angleterre, dans sa réforme, n'a fait aucun avantage autre que ceux qu'elle ne pouvait refuser. Et par exemple, les exportations de la Belgique vers l'Angleterre ont augmenté depuis la réforme de 82 p. c. Elle aurait donc pu nous refuser, en ne modifiant pas sa législation, les avantages qu'elle nous a concédés.
Et nos exportations ont augmenté vers l'Angleterre même pour nos produits fabriqués, alors que nos cargaisons sont grevées de surtaxes, alors que nous sommes dans des conditions détestables pour commercer avec ce pays. Que sera-ce donc des relations de la Belgique avec l'Angleterre, lorsque le traité conclu par le cabinet actuel aura été mis à exécution ?
Messieurs, c'est la loi des droits différentiels qui est l'objet de la prédilection, de tout l'amour de nos honorables adversaires, et en particulier de l'honorable M. Dechamps.
Mais quel était le but de la loi des droits différentiels ? Aujourd'hui on en parle comme d'une loi faite pour la protection de la marine marchande belge.
Lorsqu'en 1844, on prétendait qu'en effet tel était le but de la loi, ses auteurs s'en défendaient ; ils déclarèrent à vingt reprises différentes que tel n'était pas le but exclusif de cette loi ; que son but véritable c'était de favoriser les exportations des produits industriels belges. La protection donnée à la marine marchande, c'était le moyen qu'on voulait employer pour favoriser les exportations de produits fabriqués.
M. Coomans. - C'est cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous verrons tout à l'heure
M. Coomans. - Il y avait plusieurs buts.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On voulait également faire servir la loi comme moyen de négocier des traités.
« On croit que le système proposé, disait l'honorable rapporteur, a pour but unique de donner à notre navigation une plus grande extension et même un développement exagéré, tandis que le but direct et avoué de ce système est une plus grande exportation de nos produits et que notre navigation commerciale, protégée dans ses cargaisons de retour contre la navigation étrangère, n'est que le moyen d'atteindre ce but. »
Et qu'arrive-t-il, messieurs, lorsque après sept années d'expérience on s'aperçoit que le but est complètement manqué, que nos exportations directes au long cours s'accroissent dans une proportion insignifiante, que notre marine marchande, qui devait aussi prendre des proportions fabuleuses, reste à peu près stationnaire, on oublie le but principal de la loi ; on ne s'occupe plus que du moyen. La loi n'est plus destinée à favoriser les exportations des produits de l'industrie ; la loi est une loi de protection pour la marine nationale, comme dit l'honorable M. Coomans.
Je dis que le but a été complètement manqué. Les faits le constatent.
De 1845 à 1848 les exportations vers les pays hors d'Europe se sont accrues de 8 millions de fr. Il y a certaine minière d'exprimer les chiffres, comme disait tout à l'heure l'honorable M. Coomans en m'interrompant. Quand on veut les faire paraître bien gros, on dit : Nos exportations vers les pays d'outre-mer ont augmenté de près de 100 p. c. Elles étaient de 9 millions, elles sont de 17 millions. Quand on dit que c'est de 8 millions seulement qu'elles se sont augmentées, cela paraît beaucoup plus mince. Mais quand on dit 100 p. c, cela fait beaucoup plus d'effet.
Or, dans le même temps, vous savez, messieurs, je l'indiquais tout à l'heure, de combien se sont accrues nos exportations vers les pays d'Europe ? Pendant que nos relations directes s'augmentaient de 8 millions, nos exportations vers les pays d'Europe se sont accrues de 47 millions de francs.
Et pourtant, messieurs, la loi du 21 juillet 1844, de l'aveu de ses auteurs, a été faite pour transformer nos relations, pour substituer à nos relations avec les pays d'Europe des relations avec les pays transatlantiques.
Ainsi la loi des droits différentiels a complètement manqué son but. Les faits, les intérêts ont été plus forts que la loi. Les relations avec les pays d'Europe se sont accrues de 47 millions ; les relations avec les pays hors d'Europe de 8 millions seulement. Vous direz de 100 p. c. si vous voulez ; mais de 8 millions seulement, voila la vérité.
Et à quel prix a-t-on obtenu ce faible accroissement de 8 millions ? Croyez-vous qu'il faille en faire honneur à la loi des droits différentiels ? Eh bien je le nie.
Indépendamment de la loi des droits différentiels, vous avez donné des subsides pour l'établissement de comptoirs dans les pays transatlantiques. Vous avez subsidié des lignes de navigation directe pour transporter à fret réduit vos produits dans les pays transatlantiques.
Indépendamment de cela, vous avez fait ce qui était un autre but de la loi, vous avez fait des traités de commerce, qui probablement ont aussi produit quelques petits effets.
Ne suis-je donc pas autorisé à dire que, sous le rapport des exportations, le but de la loi des droits différentiels a été complètement manqué ?
Il n'est pas, en effet, donné de comprendre, à moins qu'on n'ait le bonheur d'être illuminé sur cette question, et je ne le suis pas ; il n'est pas donné de comprendre comment en augmentant les frais, en apportant des obstacles à l'arrivée des navires dans nos ports, nous aurons plus de moyens d'exporter nos produits. C'est là cependant le résultat inévitable de la loi des droits différentiels. Elle est fondée sur ce paradoxe que l'on pourrait formuler ainsi :
« Vous manquez de navires pour importer les objets dont vous avez besoin et pour exporter vos produits ; nous allons grever les navires étrangers de surtaxe, et comme conséquence vous aurez plus de moyens d'exporter vos produits ! » C'est là la loi des droits différentiels. (Interruption.) Vous vous récriez ?.....Mais quelle est notre marine ? C'est ce qu'il importe de savoir pour bien apprécier cette loi.
Depuis quelques années, la douane évalue approximativement et d'une manière assez exacte le degré de chargements des navires qui entrent dans nos ports et qui en sortent. Vous avez pu voir à la suite de la statistique commerciale de 1850 certain tableau qui indique les résultats constatés.
Notre marine se composait, au 1er janvier 1851, de 156 navires jaugeant 33,315 tonneaux. En 1850, ils ont fait 821 voyages, soit 5 voyages par navires. En admettant, ce qui ne s'est jamais présenté, qu'à chaque voyage le chargement fût complet, en une année les 156 navires peuvent transporter 166,175 tonneaux.
Or, en 1850 les marchandises importées par mer représentent (commerce général) une quantité de 257,000 tonneaux et les marchandises exportées (commerce général) une quantité de 194 mille tonneaux, ensemble 451 mille tonneaux.
La quantité que peuvent transporter nos navires, la marine nationale, étant de 166,173 tonneaux, il y a une différence de 284,825 tonneaux qui constitue la part qu'il faut nécessairement abandonner à la marine étrangère.
Eh bien, on nous assure, on nous jure qu'en frappant de surtaxes les navires dont nous avons un besoin indispensable, sans lesquels nous ne pourrions pas transporter ces 284,825 tonneaux, on nous assure qu'en les frappant de surtaxes, le transport se fera à meilleur marché. (Interruption.)
Mais, messieurs, si, au lieu de prendre la quantité que nos navires peuvent charger, hypothèse dans laquelle je viens de me placer, nous prenons la quantité qu'ils ont transportée réellement, ce sera bien plus significatif encore.
En 1850 les transports se sont élevés en totalité à 451,108 tonneaux. Les navires belges ont pris part dans cette quantité pour 105,399 tonneaux, de sorte que les navires étrangers ont dû transporter 346,000 tonneaux.
Et pourtant notre commerce s'est développé, nos exportations ont pris un grand accroissement ; cet accroissement a même été plus marqué dans ces dernières années qu'à aucune autre époque. Que fait l'honorable M. Dechamps ? Il dit : C'est à cause de la loi des droits différentiels, c'est cette bienheureuse loi des droits différentiels qui a produit un pareil résultat ! Mais est-ce que l'on ne faisait rien avant le 21 juillet 1844 ? Est-ce que la Belgique était restée stationnaire ? N'y avait-il eu aucun accroissement dans les exportations ? De 1831 à 1844, nos exportations ont été considérables, elles se sont accrues dans une proportion fort importante. En sortant d'une révolution, durant un état de guerre, au milieu de crises de tout genre, l'industrie n'a pas cessé de se développer. (page 430) De 1831 à 1844, les exportations (commerce général) ont augmenté du chiffre de 104,580,000 à celui de 283,540,000. L’augmentation a été de 178,960,000.
En 1845, les exportations (commerce général) étaient de 309,612,000 ; en 1850, elles ont étè de 470,115,000 ; l'augmentation a été de 160,303,000 francs, c'est-à-dire moindre que dans la période précédente, plus longue, il est vrai, mais qui avait été marquée par une révolution, par un changement radical, complet dans le pays et par l'état de guerre que nous avions dû subir.
Quant au commerce spécial, en 1831 nos exportations ont été de 96,555,000 ; en 1844, elles se sont élevées à 174,585,000 fr. ; augmentation, 78,030,000.
En 1845, nos exportations ont été de 184,682,000 ; en 1850, elles ont été de 263,647,000 ; augmentation, 78,965,000, c'est-à-dire une proportion encore analogue.
En 1831, le transit était de 8,025,000 ; en 1844, il a été de 108,955,000, augmentation, 100,930,000.
En 1845, le transit a été de 124,930,000 ; en 1830 il a été de 206,468,000 ; augmentation, 81 millions.
Vous semble-t-il que l'industrie et le commerce étaient stationnaires avant 1844 ? Et que vaut ce procédé commode qui consiste à relever les chiffres de notre commerce pour en faire honneur à la loi de 1844 ?
L'honorable M. Malou, dans son rapport, et l'honorable M. Dechamps après lui, ont signalé particulièrement nos exportations vers les pays hors d'Europe et le Levant ; j'ai tout à l'heure déjà rencontré cette observation. J'ai à citer encore quelques chiffres
De 1844 à 1850, les exportations par mer ont augmenté de 24,741,000 francs, cela est vrai, mais nos exportations vers les pays d'Europe se sont accrues de 84,765,000 fr., là où précisément les droits différentiels faisaient obstacle, là où ils devaient nuire, c'était leur but, car ils tendaient à substituer un commerce à l'autre.
On a aussi dit, en faveur des droits différentiels, messieurs, qu'ils avaient eu cet avantage au moins qu'on avait réduit notablement les droits qui grevaient certaines matières premières. C'est l'observation qu'a faite l’honorable M. Malou et qu'a répétée également l'honorable M. Dechamps. C'était en vue de favoriser le développement de notre industrie.
Mais on a oublié de vous dire que les réductions étaient nominales parce qu'elles étaient faites au profit des navires belges lorsqu'ils importaient des marchandises sur lesquelles portaient les réductions ; mais comme les navires font défaut, des droits plus élevés atteignaient ces mêmes marchandises, transportées par navires étrangers.
On a réduit les droits sur quelques matières premières, mais à l'égard d'autres on les a augmentés. Pour les bois de construction, par exemple, le droit a été porté de 60 centimes à 2 francs par tonneau ; pour les cuirs d'Amérique, l'augmentation a été tellement forte que la loi de 1844, élaborée pendant 10 ans, a dû être immédiatement modifiée. Une loi du 16 mai 1847 a dû réduire les droits pour les sucres bruts. Pour les graines, le chanvre et les graisses, on a dû suspendre la loi de 1844, par celle du 2 janvier 1847, relativement à certaines provenances. Il en a été de même pour beaucoup d'autres matières premières.
Un autre bénéfice a été procuré au pays, toujours par la loi des droits différentiels ; c'est que ce système est le plus favorable au port d'Anvers. Il paraît qu'au nom du port d'Anvers, les honorables opposants prétendent que les droits différentiels sont là en grand honneur. Mais, en 1838, la chambre de commerce d'Anvers, dont vous invoquez le témoignage, en 1838, la chambre de commerce d'Anvers a protesté contre les droits différentiels.
En 1839 elle a réitéré ses protestations. Elle l'a fait encore en 1840. Il est vrai qu'en 1844 il y a eu un moment d'hésitation ; mais en face de la loi et la loi volée, Anvers a protesté contre cette législation. (Interruption.) Anvers a protesté contre le système des droits différentiels contenus dans la loi du 21 juillet 1844.
M. Coomans. - Pas contre le principe.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle a protesté. Le commerce d'Anvers vient, il y a peu de jours, de réclamer de la manière la plus instante, ce qu'elle n'a pas cessé, au surplus, de demander, des modifications relatives à la relâche à Cowes.
Nous venons de proposer ces modifications, et quand Anvers les réclame, c'est l'honorable M. Dechamps qui se lève pour réclamer ; c'est l’honorable M. Malou qui proteste ; ces honorables membres affirment que tout est perdu, qu'il n'y a plus de droits différentiels, si l'on accueille les demandes que fait le commerce d'Anvers.
Mais qui donc défend cette loi ? qui la soutient ? Gand proteste, Liège proteste, Anvers proteste ; je ne vois plus pour défendre cette loi que les honorables MM. Dechamps et Malou ; car je ne puis ranger au nombre des défenseurs de la loi l'honorable M. Coomans qui a demandé la suppression de 35 articles de la loi des droits différentiels, articles que nous proposons d'abolir : ce qui ne l'empêche pas de protester contre le traité.
Je conçois que quelques-uns de nos armateurs, par suite d'une fausse appréciation de leurs véritables intérêts, peuvent réclamer en faveur du système des droits différentiels. Mais le commerce tout entier, mais Anvers peut-il protester eu faveur de la loi ? Ce qu'il faut à Anvers, c’est le plus de navires possible dans ses bassins, la plus grande masse possible de marchandises dans ses entrepôts. Or, est-ce en excluant les navires étrangers qu’Anvers attirera un grand nombre de navires dans ses bassins, et dans ses entrepôts une grande quantité de marchandises ? Tous ses armateurs ne sont pas de l'opinion qu'il faut protéger, à l'aide des droits différentiels, la marine nationale ; les armateurs qui sont de cet avis, sont en petit nombre.
Il s'agit de 156 navires ; combien de personnes dans le pays possèdent ces navires ? 80 personnes, et leur fortune n'est pas attachée à la loi des droits différentiels ; ils vivaient avant 1844. ils vivront bien si quelque jour cette loi vient à disparaître, et à plus forte raison lorsque, par suite du traité, 35 articles, d'une importance de 20,000 tonneaux, auront été effacés de notre législation commerciale.
Si quelque chose, à mon sens, peut nuire à Anvers, c'est la loi de 1844. Interposées comme elles le sont entre l'Ouest de l'Europe et la mer du Nord, la Hollande et la Belgique se disputent l'approvisionnement de l'Allemagne. C'est là la lutte séculaire entre Anvers et Rotterdam. Or, croit-on que ce soit mettre Anvers dans de bonnes conditions de concurrence que d'empêcher les navires étrangers d'arriver dans son port tandis qu'ils entreront dans le port de sa rivale ? Croit-on qu'Anvers soit mis par là en mesure d'approvisionner l'Allemagne, de soutenir la concurrence qui devient de jour en jour plus vive ? Est-ce que la réforme des lois hollandaises n'a pas pour but d'arriver à soutenir, par d'autres moyens qu'aux temps anciens, cette même lutte de rivalité pour l'approvisionnement de l'Allemagne ? N'est-ce pas dans ce but que la Hollande abolit ses lois de transit, favorise la circulation par ses eaux intérieures ? N'est-ce pas par ce motif que la Hollande cherche à s'unir à l'Allemagne par un chemin de fer ?
Et lorsque la Hollande se trouvera dans ces conditions, lorsque Rotterdam aura conquis ces avantages qui lui manquent aujourd'hui, croit-on qu'Anvers pourra rester dans la même situation ? Pour moi, je suis convaincu que c'est d'Anvers que partira la demande de l'abolition complète de la loi des droits différentiels...(Inlerruption.) Cela ne tardera pas, me dit l'honorable bourgmestre d'Anvers.
Messieurs, c'est à un point de vue local en quelque sorte que nous venons d'examiner cette loi, si exaltée dans la première partie de cette séance ; si nous nous plaçons à un point de vue plus général, si nous ne nous laissons pas effrayer, comme l'honorable M. Dechamps, par les perfidies d'Albion ; si nous examinons avec calme les réformes introduites par les lois anglaises, nous nous demandons comment un homme préoccupé des intérêts vitaux de la Belgique, de son avenir industriel et commercial, peut se refuser à reconnaître qu'il est impérieusement nécessaire d'opérer de profondes réformes dans notre législation ?
Que vous dit en un mot l'Angleterre ? Vos navires sont frappés d'une surtaxe dans mes ports, ils n'auront plus à subir cette surtaxe ; vous commercerez librement avec moi ; je ne vous ouvre pas seulement mes possessions européennes, je vous livre l'Inde tout entière. C'est-à-dire, messieurs, plus de 100 millions de consommateurs ! Et pour chercher quelques débouchés à Guatemala ou vers quelques côtes désertes d'Afrique, vous garderez vos droits différentiels, et vous refuserez ce marché ! Or, l'Angleterre consent à vous admettre au bénéfice de sa législation nouvelle, moyennant la concession à faire sur 35 articles de votre loi des droits différentiels ; elle vous admet à commercer librement sur le même pied qu'elle, sans plus d'entraves qu'elle, avec ses possessions dans l'Inde.
L'honorable M. de Haerne, héritier sous ce rapport des idées de M. de Foere, nous a dit ce matin que l'Angleterre avait conservé les droits différentiels dans l'Inde et pour les provenances de l'Inde au profit de sa navigation. Cela est vrai, mais ce que l'honorable membre n'a pas dit, c'est que par une loi du 25 mars 1848, les pavillons assimilés jouissent des mêmes avantages que les navires anglais.
M. de Haerne. - C'est une erreur.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous pouvez lire la loi que je vous cite.
M. de Haerne. - Voyez les journaux anglais d'il y a huit jours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les produits jouissaient d'une réduction, c'est ce que vous avez signalé ; je vous réponds que les navires étrangers assimilés ont été admis sur le même pied que les navires anglais ; un acte du 8 mars 1850 a étendu l'assimilation au cabotage.
Messieurs, la législation de 1844 pourquoi a-t-elle été faite ? Au dire de ses auteurs, parce que les autres pays avaient des droits différentiels. Pouvez-vous ne pas avoir des droits différentiels, disait-on, quand l'Angleterre, les Etats-Unis, la France, la Suède, la Sardaigne, la Hollande, le Danemarck, toutes les puissances maritimes enfin ont des droits différentiels ? Vous ne pouvez pas vous isoler, vous devez prendre la même position que ces puissances.
Aujourd'hui qu'arrive-t-il ? Les réformes anglaises imprimant une direction nouvelle au commerce du monde, convient toutes les nations maritimes à modifier les lois qui régissent leur navigation. Déjà les Etats-Unis, la Suède, le Danemark, la Sardaigne, la Hollande et d'autres pays encore, répondent à l'appel de l'Angleterre. et quand l'Espagne hésite, que la France seule semble résister, l'honorable M. Dechamps me reproche d'avoir osé dire que le mouvement imprimé par l'Angleterre finirait par entraîner l'Europe entière. Ce système des droits différentiels est abandonné par la plupart des nations maritimes ; quelle raison avez-vous encore pour le défendre ? C'est par imitation que la loi de 1844 a été introduite dans notre législation.
Voici à ce sujet une des prédictions de l'honorable abbé de Foere. On objectait que nonobstant les lois restrictives les navires étrangers avaient (page 431) pris une grande part dans le mouvement de la navigation anglaise ; il répondait que l'objection faite par un corps qui n’a jamais en les sympathies de l'honorable abbé de Foere, je veux parler de la chambre de commerce d'Anvers, il répondait que l'objection prouvait seulement que l'autorité qui la produisait avait peu étudié l'esprit de la législation anglaise.
« Sans doute, disait M. l'abbé de Foere, si ces droits n'avaient point existé en Angleterre, la navigation étrangère aurait acquis dans ses ports un accroissement plus considérable. Cette observation prouve que son auteur a peu étudie l'esprit, le but et les immenses succès de la législation commerciale et maritime de l'Angleterre. Nous ne pensons pas que jamais il soit entré dans la pensée d'aucun homme d'Etat en Angleterre ni d'aucun membre du parlement, de proposer la suppression des droits, ou plutôt de la prohibition (car c'est le terme propre) d'importer en Angleterre des marchandises par des navires qui n'appartiennent pas aux lieux de provenance. L'Angleterre connaît trop, pour son industrie, l'immense importance de son système de relations directes. C'est à ce système qu'elle doit en grande partie les prodigieux succès de son commerce extérieur, jamais elle ne s'en départira. »
C'est cette conviction, messieurs, qui nous a valu la loi de 1844. Mais par un malheur inouï, il se trouve que la prédiction ne s'est pas réalisée. Pendant qu'on élaborait péniblement la loi de 1844, on était occupé à détruire en Angleterre le navigalion-act qui y a péri pour toujours.
Ce n'est qu'après nous être bien pénétrés de la nécessité impérieuse pour la Belgique de modifier la loi de 1844 que nous avons traité avec d'Angleterre et avec les Pays-Bas. Mais l'honorable M. Dechamps aurait eu, à ce qu'il paraît, un tout autre système.
Il nous fait un grief de n'avoir pas proposé notre réforme de tarif et des lois de navigation avant de traiter. Je ne sais pas s'il y a réfléchi, il a pris légèrement cette objection dans le rapport de M. Malou, qui n'y avait pas pensé davantage.
Nous étudions notre législation, nous constatons les réformes que nous pouvons, sans inconvénients, y introduire, et nous traitons avec les puissances qui nous offrent des concessions en échange des changements que nous pouvons apporter à notre système commercial ; MM. Dechamps et Malou sont d'avis que nous aurions dû d'abord supprimer nos lois commerciales et traiter ensuite.
Nous avons trouvé qu'il était plus simple de vendre ces concessions et d'obtenir en retour des avantages de la part de ces puissances. Nous avons usé de la loi suivant le vœu de ses auteurs. C'était un des grands mérites de la loi des droits différentiels, si j'en crois ses partisans, d'être faite en vue de protéger la marine marchande et la navigation directe sauf à faire des traités pour supprimer cette protection. De quoi peuvent-ils se plaindre lorsque nous avons offert certaines concessions, sur les droits différentiels, afin d'obtenir en échange des avantages incontestables pour le pays ?
Nous ne sommes pas de ceux qui pensent d'ailleurs, que quand ils traitent avec une autre puissance, ils ont seuls connaissance des véritables interêts du pays et surtout qu'ils traitent avec des négociateurs qui n'entendent rien aux intérêts qu'ils sont appelés à défendre ; nous ne sommes pas de ceux qui viennent raconter que dans le traité qu'ils ont conclu, ils n'ont rien donné, rien cédé, tandis qu'ils ont obtenu beaucoup de faveurs, grâce sans doute, à leur habileté et à l'inintelligence de ceux qui ont traité avec eux.
Nous avions devant nous des négociateurs qui connaissaient les intérêts de la Hollande, comme nos négociateurs avaient une parfaite connaissance des intérêts de la Belgique. Nous avons fait des concessions justes, légitimes pour obtenir en retour des concessions équivalentes. Nos concessions portent d'abord sur notre loi des droits différentiels ; les autres ont, je le reconnais, une certaine importance ; mais ne nous donne-t-on rien en retour ? Le traité de 1846 était industriel avant tout, c'est ainsi que le qualifiait M. Dechamps. Par le traité de 1851, nous avons tout ce que le traité de 1846 nous donnait sous le rapport industriel ; nous avons étendu les avantages du tarif, nous avons obtenu des concessions nouvelles en faveur de l'industrie. Voilà le traité de 1851, sans entrer dans aucun détail, voilà la vérité.
On chercherait en vain à la méconnaître. La chambre de commerce d'Anvers elle-même le déclare hautement dans son rapport, et il n'y a que M. Malou, un peu myope cette fois, qui n'ait pas su énumérer les divers avantages que le traité fait à la Belgique ; mais il y a certaines personnes qui ont pu mieux les découvrir que l'honorable M. Malou ; ce sont les intéressés ! N'est-il pas étrange, inconcevable, que lorsqu'un pays tout entier se prononce en faveur d'un traité, lorsque tous nos centres industriels réclament son adoption, n'est-il pas étrange que l'on entende les honorables MM. Dechamps et Malou protester contre ce traité ! Et toute l'opposition parle au nom de deux intérêts :le transit du bétail et l'assimilation des importations par rivières et canaux aux importations par mer. Voilà toute l'opposition, elle n'est pas ailleurs.
Je dis qu'elle n'est pas sérieuse ; elle est futile.
Que signifie l'objection tirée de la concession faite pour le transit du bétail, en présence de la loi qui a fixé à 4 centimes par kilogramme pour le gros bétail, le droit d'entrée en Belgique ?
Et, quant à l'assimilation des importations par canaux et rivières pour les 35 articles des droits différentiels, véritablement je ne puis pas comprendre que beaucoup d'honorables négociants d'Anvers se soient laissés induire à ce propos à faire une opposition aussi vive contre le traité. Cette assimilation est juste en principe, mais peu importante dans ses résultats, et d'une utilité pratique fort secondaire dans l'état actuel de nos relations. Les documents communiqués à la section centrale, et qui n'ont pas été contestée, le prouvent suffisamment.
Et c’est pour les deux motifs que je viens de signaler, que nous rencontrons une opposition aussi vive, aussi passionnée ! C'est pour de tels griefs que l'on ne craint pas d'exposer le pays à une guerre de tarifs, toujours fatale à l'industrie et au commerce et qui troublerait profondément nos relations avec un pays auquel nous livrons annuellement des produits pour plus de 40 millions de francs. Telle n'est pas, à mon sens, la ligne que doivent suivre ceux qui ont à coeur les véritables intérêts de la Belgique.
J'aurais encore beaucoup d'observations à présenter pour justifier l'acte international que nous soumettons à votre approbation, mais la chambre doit être fatiguée ; elle doit avoir hâte d'en finir ; je m'arrête.
M. le ministre de la guerre (M. Anoul) présente un projet de loi relatif à la fixation du contingent de l'armée et de la milice, pour l'année 1852.
- La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen de la section centrale qui a examiné le budget de la guerre.
M. le président. - Puisque la discussion est interrompue, nous pourrions statuer sur le renvoi du projet de loi présenté par M. le ministre des finances.
- Plusieurs membres. - A une commission spéciale !
M. Malou. - Puisque nous adoptons une réforme commerciale, implicitement en même temps que le traité, nous devrions adopter sans examen le projet de loi si le traité est approuvé. C'est en dehors du règlement, dira-t-on peut-être ; mais il y a tant de choses singulières dans tout ce qui se passe, que celle-ci ne gàterail rien.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qu'y a-t-il de singulier ?
M. le président. - Il n'y a ici rien de contraire au règlement. Le gouvernement a usé de son droit en présentant un projet de loi. C'est à la chambre à décider si ce projet sera renvoyé aux sections ou à une commission spéciale.
Quelqu'un demande-t-il la parole ? (Non ! non !)
- La chambre consultée renvoie le projet de loi à une commission spéciale à nommer par le bureau.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande que la commission fasse un prompt rapport.
J'avais annoncé depuis longtemps que ce projet de loi serait présenté, puisqu'il est certain que la chambre ne pourra s'occuper du projet de loi avant le 1er janvier, et qu'il est indispensable que les dispositions du projet de loi soient appliquées en même temps que celles du traité.
L'honorable M. Malou a donc tort de s'étonner de la présentation de ce projet de loi : il aurait dû s'étonner quand je l'ai annoncé.
M. Malou. - Mais je ne suis pas le moins du monde étonné.
M. le président. - La commission sera nommée séance tenante ; elle sera convoquée demain matin et fera son rapport à la séance.
M. le président. - La parole est à M. de Brouckere inscrit pour le projet.
M. de Brouckere. - Messieurs, il ne reste plus rien debout de l'argumentation de l'honorable M. Dechamps, mais vous avez entendu, dans votre dernière séance, une longue apologie du système prohibitif. Je n'ai pas la prétention de suivre l'honorable orateur pas à pas ; ce serait abuser de mes forces, ce serait surtout abuser de l'attention bienveillante que vous m'avez prêtée quelquefois.
L'honorable membre en effet n'a pas procédé par voie démonstrative ; il a posé carrément une série de paradoxes, qu'il serait extrêmement long de réfuter un à un. Mais il y a certaines assertions dont il est utile, au point de vue du public, de montrer l'inanité. Il y a certains aveux dont je crois que nous devons prendre acte.
Ainsi, en premier lieu, l'honorable membre nous a dit : « On a souvent accusé l'agriculture d'être entichée de la protection. C'est là une grave erreur. L'agriculture, dans la situation naturelle et normale des choses, n'a pas besoin de protection. » Nous le retiendrons, l'agriculture n'a pas besoin de protection.
Plus loin, messieurs, on nous a dit que « c'est par l'union de l'industrie agricole et de l'industrie manufacturière, par la marche harmonieuse de ces deux éminentes branches de la richesse publique que se développent la grandeur et la prospérité d'une nation. »
Nous sommes parfaitement d'accord. Il faut que la marche des deux grandes branches de l'industrie humaine soit harmonisée. Mais il y si deux manières d'établir l'harmonie, et je crois que l'honorable membre et moi, nous différons essentiellement sur la manière d'établir cette harmonie. Nous allons voir laquelle des deux est la plus logique.
Probablement, quand on préconise le système prohibitif, si l'on veut l'harmonie ,on est réduit à cette argumentation : l'industrie a besoin de protection ; il faut de l'harmonie ; donc il faut accorder la protection à l'industrie agricole qui n'en a pas besoin.
(page 432) C'est un système extrêmement expéditif. Nous, nous procédons d'une manière beaucoup plus lente et beaucoup plus logique.
L'agriculture, on l'admet, n'a pas besoin de protection. Eh bien, pour établir l'harmonie, nous demandons aussi qu'il n'y ait pas de protection pour l'industrie manufacturière.
M. Malou. - Est-ce l'opinion de M. le ministre des finances ?
M. de Brouckere. - M. le ministre et moi, nous sommes du même avis et j'en suis fort heureux.
Mais nous ne procédons pas par secousses violentes. Ce n'est pas de notre faute si vous avez placé l'industrie dans une voie fausse ; ce n'est pas de notre faute, si vous avez renverse le système de 1822, le système sous lequel la Belgique a prospéré pendant dix ans, et nous ne pouvons pas revenir brusquement de ce système. Mais nous tendrons les mains, toutes les fois que, sans perturbation dans le pays, vous marcherez dans la voie libérale.
Messieurs, on a préconisé le système prohibitif ; je ne veux pas me servir d'un autre mot, quoique mes adversaires ne prononcent que le mot de protection. Je démontrerai tout à l'heure que, qui dit protection dit prohibition. Il n'y a pas de protection possible sans prohibition. Il ne faut pas équivoquer sur les mots : protection, c'est prohibition.
Messieurs, savez-vous jusqu'où l'on veut aller dans le système protecteur ? Voici comment s'exprimait l'honorable comte de Liedekerke :
« On me demandera où s'arrête la protection ? Quelles limites je lui trace, quelles bornes je lui assigne ? Ce sont celles que la nature elle-même lui a posées et qui sont infranchissables. C'est ici, en effet, qu'éclate dans toute sa grandeur l'œuvre de Dieu. »
Messieurs, il n'y a pas un libre-échangiste au monde qui n'admette cette doctrine. Il n'y en a pas un qui n'y applaudisse. Quoi ! on nous demande que la protection ne s'étende qu'aux limites posées par la nature, à celles qui sont infranchissables.
Où se révèle donc la grandeur de l'oeuvre de Dieu ? Mais, messieurs, dans la diversité des climats, dans la diversité des sols, dans la richesse naturelle, dans l'aptitude de l'homme. Nous préconisons cette protection. Nous demandons que vous respectiez l'œuvre de Dieu. Je voudrais bien assister à une démonstration qui aboutirait à prouver que ce Dieu qui a dit : Aimez-vous les uns les autres, que ce Dieu est pour quelque chose dans l'emploi de la force brutale qui arrache une province à un pays et la fait passer du système de liberté au système de prohibition ou du système de prohibition au système de liberté.
Je voudrais bien savoir si on peut appeler des limites infranchissables, celles que nous écrivons dans des tarifs et que nous disputons kilogramme par kilogramme, et franc par franc. Sont-ce là des limites arbitraires ou des limites infranchissables ?
Et cependant, messieurs, ne croyez pas que la pensée de l'honorable membre ressemble en rien à la nôtre.
Il nous l'avait révélée dès le début, car il nous avait dit : Laisser faire et laisser passer, ce n'est après tout que le fatalisme appliqué à l'économie politique.Oui, comme laisser faire et laisser passer en matière de conscience, c'est le fatalisme religieux. Oh ! voudriez-vous, y a-t-il un de nos honorables adversaires qui voulût que l'on violentât la conscience individuelle parce que la liberté, c'est du fatalisme ? Et pourquoi donc, dans l'ordre matériel, croyez-vous pouvoir violenter la volonté, l'usage des facultés individuelles ?
M. de Liedekerke. - Et que faites-vous de la révélation et des lois de Dieu ?
M. de Brouckere. - Elle existe. Dieu l'a tracée partout ; dans l'ordre moral comme dans l'ordre matériel ; et je vais vous en donner la preuve en peu de mots.
M. de Liedekerke. - Attaquez Dieu.
M. de Brouckere. - Je n'attaque pas Dieu, au contraire, c'est parce que je respecte ce que Dieu a fait que je veux la liberté.
Y a-t-il quelqu'un dans cette enceinte qui conteste que le respect de la propriété est le fondement de la société ? Quelqu'un conteste-t-il cela ? Eh bien, tous ceux qui admettent que le respect de la propriété est le fondement de la société, tous ceux-là sont économistes ; car toute atteinte à la propriété est un pas vers le socialisme. Or, messieurs, de toutes les propriétés, la propriété la plus sacrée, la propriété la plus inviolable, c'est la propriété de soi-même.
Dieu, et je le dis avec, orgueil, Dieu nous a créés avec des facultés et avec des besoins. Si nos facultés sont une propriété inviolable, laisser faire, c'est nous laisser user librement de nos facultés. Si nous avons le droit inviolable de faire, en vertu du droit de propriété, nous avons le droit inviolable de disposer ; c'est le laisser passer.
Je voudrais bien que l'on nous dît où il y a du fatalisme dans cette doctrine. Et je dis encore : hors de là, il n'y a plus que socialisme.
Messieurs, d'où vient cette confusion ? De ce qu'on a comparé l'individu à la société ; de ce qu'on s'est mépris sur le but, sur l'objet de la société.
La société n'est instituée que pour maintenir, pour conserver la propriété, expression de la liberté de l'homme. C'est là son seul but, c'est sa seule fin.
On s'est étayé, messieurs, pour préconiser le système protecteur, et remarquez bien que quand je défends le système de liberté je défends le traité, car je n'accepte le traité que parce que c'est un acheminement vers la liberté ; on s'est étayé de l'Angleterre, de l'Allemagne et de l'Amérique et on a été fort malheureux dans ces trois citations.
L'Allemagne qu'on nous cite comme exemple, était autrefois à peine industrielle ; elle occupe aujourd'hui le troisième rang, pourquoi ? Parce que toutes les peuplades, toutes les nations qui constituent l'Allemagne, se sont réunies et ont établi la liberté commerciale chez elles. Et que fait l'Allemagne aujourd'hui ? Si elle n'établit pas la liberté dans le monde entier, elle l'étend chez elle, puisqu'elle cherche à faire entrer dans le Zollverein, l'Autriche et le Hanovre.
C'est à cause de ce système libéral qua l'Allemagne a pris le rang de troisième puissance industrielle.
L'Amérique du Nord. Je ne sais vraiment pourquoi l'on est allé chercher le système protecteur au-delà des mers ! Est-ce que le gouvernement américain ne tire pas tous ses revenus des droits d'entrée ? Or, si les droits d'entrée sont productifs, c'est qu'ils ne protègent pas l'industrie.
Il est impossible qu'un droit protecteur produise ; dès qu'il produit il ne protège plus : les produits entrent, par conséquent il n'y a plus de protection. Plus le trésor perçoit et moins les droits sont protecteurs. Les Américains ont établi une échelle de droits, qui va jusqu'à 50 p. c, mais comment l'ont-ils établie ? Ils ont calculé ce que chaque marchandise pouvait payer sans que la consommation en fût entravée. Ils ont taxé à 50 p. c. un objet qu'on ne pouvait pas produire chez eux quand même il y aurait un droit de 60 p. c. L'objet entre sans entraves, mais il paye au trésor ce qui est nécessaire pour acquitter les services publics.
On s'est étayé de l'exemple de l'Angleterre et on vous a dit, chose curieuse : L'Angleterre n'est entrée dans le système de liberté que quand elle a été assurée qu'elle avait la supériorité en toutes choses, que personne ne pouvait plus lui faire aucune concurrence. On a oublié de nous dire avec quoi l'Angleterre se paye les produits qu'elle vend, si elle n'en achète pas. Messieurs, ce n'est pas à vous que je parlerai du rôle de la monnaie, mais vous savez que de tous les pays c'est l'Angleterre qui a le moins de matières d'or et d'argent.
Ce n'est donc qu'avec des produits étrangers qu'elle peut se payer. Par conséquent, ici encore on a frappé à faux.
Messieurs, l'honorable orateur auquel je réponds, venant aux faits, tenant aux chiffres, et les posant à la manière de l'honorable M. de Haerne, à la manière de l'honorable M. Dechamps, sans s'inquiéter de toutes les circonstances auxquelles ces chiffres sont dus, en tire les conclusions qui lui conviennent. Je vais examiner un de ces faits dont on tire des inductions.
Un honorable membre vous a parlé d'une tréfilerie qui avait existé dans le Luxembourg et qui est tombée, puis d'une autre qui avait été érigée à Couvin, et qui était beaucoup mieux entendue, parce qu'elle produisait toute espèce de fils ; il a ajouté qu'on l'avait laissée périr sous la concurrence des produits anglais qui inondaient notre marché.
Que penseriez-vous, messieurs, d'un homme qui sans capital ,et sur un terrain où il serait impossible de faire arriver la fumure, voudrait cultiver du lin ou de la garance ? Certes, vous ne chercheriez pas à le protéger aux dépens du pays tout entier.
Cé serait une protection payée extrêmement cher, et d'ailleurs inefficace devant la concurrence intérieure.
Eh bien, c'est l'histoire de Couvin. Il y a 40 ans que Couvin meurt périodiquement et qu'il se trouve... je ne sais pas de quelle expression je me servirai... des imprudents, des étourdis qui chaque fois y ont englouti des capitaux inutilement.
Je dirai mieux, c'est qu'à Couvin on fait du fer au bois et que la plupart des fils de fer doivent être faits avec du fer traité au coke. Indépendamment de ce défaut de fabrication, les acquéreurs n'avaient pas payé leur acquisition faute de capitaux ; et comment voulez-vous dès lors qu'ils eussent les capitaux circulants nécessaires pour faire vivre une industrie quelconque ?
Mais, messieurs, il y a une tréfilerie dans la province de Liège et celle-là est en pleine prospérité.
Le marché belge d'ailleurs n'est pas du tout inondé de fils de fer anglais, mais le gouvernement a permis l'entrée en entrepôt de ces fils de fer à la condition d'exporter les produits qui en proviendraient.
Il a fourni la matière première à une main-d'œuvre très importante pour une partie du pays. On fait, par exemple, avec ce fil de fer, des pointes de Paris, dont nous avons besoin pour compléter les assortiments de clous que nous envoyons à l'étranger. Le gouvernement vient ainsi en aide à une industrie belge des plus florissantes.
L'honorable M. de Haerne vous a démontré, par des chiffres, que le traité de 1846 avait été fatal à la Belgique. L'honorable M. Dechamps, au contraire, et toujours par des chiffres, vous a démontré que le traité de 1846 avait sauvé l'industrie belge, l'avait amenée à un grand degré de prospérité. Comment raisonne M. de Haerne ?
Le traité a été nuisible parce que, avant 1846, nous importions en Hollande pour 8,600,000 francs, je pense, de cotonnades, et qu'en 1850 nous n'en avons plus importé que pour huit millions.
On ne se donne pas la peine d'examiner les causes qui ont pu produire cette différence, on a un parti pris d'avance et chaque fois qu'un chiffre est favorable on s'en empare... (Interruption.)
Voici un autre chiffre. Le traité de 1846 nous a été défavorable parce que le commerce avec la Hollande, depuis 1846, n'a augmenté que de 41 p. c. tandis que le commerce général a augmenté de 54 p. c. C'est (page 433) encore une fois le traité qui en a été la cause. Puis l’honorable M. Dechamps soutient, au contraire, que depuis le traité, l’industrie manufacturière a fait d’immenses progrès.
L’honorable M. Dechamps vous dit : L’Angleterre n’a rien changé à son système. Vous vous apyez de mots : elle appelle aujourd’hui règle ce qu’elle appelait autrefois exception. Autrefois, aucun navire ne pouvait entrer en Angleterre sur le pied d’égalité ; aujourd’hui, en principe, on peut entrer, mais l’Angleterre peut suspendre ce droit. Il y a donc une différence immense.
L’honorable M. de Haerne, et M. le ministre des finances vient de rencontrer cette objection, vous a soutenu, d’une part, que l’Angleterre avait maintenu son système de droits différentiels, et dans une autre partie de son discours - c’est un malheur d’être long, car on ne se souvient pas à la fin de ce qu’on a dit au commencement, - dans une autre partie de son discours, il vous a dit que si l’Angleterre n’avait pas maintenu son système, c’était parce que déjà elle voyait les Etats-Unis lui faire concurrence, qu’il n’y avait plus moyen de maintenir le système. Mettez-vous donc d’accord avec vous-même : ou le système n’exixte plus, et nous avons raison ; ou il existe encore, et alors ne venez pas nous dire pourquoi on l’a aboli.
Quoi ! l’Angleterre ne maintient pas le système qu’elle croyait bon, parce que la concurrence des Etats-Unis la gênait.
M. de Haerne. - Vous ne m’avez pas compris.
M. de Brouckere. - L’Angleterre avait un système ; si ce système était bon, utile pour elle, elle devait le renforcer, pour écarter la concurrence des Etats-Unis.
Messieurs, l’un des motifs pour elsquels on s’oppose au traité et M. le ministre l’a dit tout à l’heure, c’est la question du transit. Les plus grands antagonistes vous déclarent qu’ils sont partisans de la liberté la plus illimités, en matière de transit ; mais ils demandent une exception pour les bestiaux. Je comprends que les propriétaires fonciers plaident leur cause. Mais vous admettrez qu’un fabricant de drap puisse dire à son tour : « Je suis partisan du système de transit le plus libéral possible, mais je ne l’admets pas pour les draps. » Que deviendra le principe, si chacun de mande une exception, tout en admettant le principe.
C’est d’abord parce que le transit prend de nouvelles propositions que je donne mon assentiment au traité ; la secone, c’est parce que je vois les droits différentiels disparaître, et la troisième enfin, c’est parce que nous n’aurons plus de privilège sur le marché hollandais ; nous concourrons librement sur ce marché, mais nous concourrons avec les autres nations ; c’est le free-trade hors de chez nous.
On vous a dit que l’industrie belge pouvait lutter à armes égales sur le marché extérieur ; cette déclaration se trouve dans un note qui a été remise à l’honorable M. de Liedekerke par un industriel qui emploi mille ouvriers. Sous ce rapport donc, nos adversires ne peuvent pas repousser le traité ; mais on ajoute qu’on en peut soutenir la lutte sur le marché intérieur ; ce qui est assez particulier, car chez soi, on jouit d’avantages naturels qu’on ne retrouve pas au-dehors.
M. le ministre des finances a cité tout à l'heure ce qui s'était passé pour la production métallurgique ; il a oublié une chose essentielle : c'est qu'on ne perfectionne jamais à l'abri des droits protecteurs, quand on est maître du marché, quand on travaille sans aucun souci. Nous devons nos progrès métallurgiques à la crise, au trop plein. Nous vendions nos fontes d'affinage à 13 francs, il y a peu d'années. Aujourd'hui nous serions fort heureux, si nous pouvions vendre la même qualité de fonte à 7 fr. 50 c. ; c'est-à-dire à 60 p. c. du prix que nous obtenions autrefois. Je le répète donc, c'est précisément pour tous les défauts qu'on reproche au traité, c'est parce que c'est un acheminement vers la liberté commerciale, que je voterai affirmativement.
M. le président. - Le bureau a composé, ainsi qu'il suit, la commission qui sera chargée d'examiner le projet de loi présenté aujourd'hui par M. le ministre des finances : MM. Delehaye, de Muelenaere, Loos, Ch. Rousselle, de Theux, Lesoinne, Orts.
M. Sinave. - Vingt-cinq orateurs m'ont précédé ; en théorie surtout, le traité et les conséquences qui s'y rattachent ont été successivement examinés dans tous les détails et sous toutes les faces. Il reste donc sous ce rapport peu ou rien à ajouter. Je vais me restreindre à quelques observations générales sous le point de vue pratique.
Quand on attaque le mal, il importe peu de connaître le nom du ministre qui l'a fait naître.
Déjà j'ai eu l'occasion de faire remarquer à la chambre que dans mon opinion les intérêts matériels de la Belgique, depuis 1850, n'ont pas été dirigés par le pouvoir avec ce décernement et cette intelligence que le pays était en droit d'attendre de ses hommes d'Etat. De l'intervention du gouvernement dans cette branche importante de la prospérité nationale, il n'est pas résulté ce développement heureux qu'on remarque dans certaines autres branches également soumises à son action.
En ce qui concerne les intérêts matériels, je sais que je m'adresse à des convertis qui ont arboré le drapeau du libre-échange. En théorie, nous sommes tous des libres-échangistes ; c'est l'état normal que tous nous réclamons pour un avenir plus ou moins éloigné, mais où on n'est plus d'accord c'est sur l'opportunité de l'application de ce système. L'Angleterre a vécu plusieurs siècles sous un système extrême de protection et même de prohibition, des capitaux immenses se sont dirigés vers son industrie et son commerce ; aujourdhui ses moyens de production industrielle excèdent celles de toutes les autres nations réunies. Aussi ses produits industriels sous le système protecteur ont acquis un degré de perfectionnement inconnu dans aucun autre pays, elle possède une marine marchande d'au-delà trente mille navires, elle possède les trois quarts des consommateurs du globe ; il est facile de comprendre qu'il est impossible à aucune nation de concourir avec elle sur aucun marché quand on sait que l'Angleterre occupe par la puissance de sa marine militaire tous les points du globe accessibles au négoce et c'est au moyen de ses baïonnettes qu'elle force l'introduction de ses produits dans les divers pays.
Je l'ai déclaré dans cette enceinte : tant que le despotisme odieux de l'Angleterre dominera sur toutes les mers, la pratique du libre échange sera impossible, et si la Belgique veut agir avec la prudence qui convient à sa position politique, elle suivra un tout autre système que celui où on veut l'entraîner.
On dit : L'Angleterre a changé de système ; oui, sans doute, au lieu de déclarer franchement la guerre aux peuples dont la prospérité peut nuire à la sienne, elle fait la guerre en pleine paix ; tous les moyens sont bons pour susciter et pour maintenir la discorde sur le continent, en vue de détruire toute industrie et de détourner les peuples de toute idée de spéculation pour rester, elle seule, en paisible possession, sans concurrence, du commerce du monde.
Si l'Angleterre présente à ses concurrents un système plus libéral, c'est qu'elle dépasse de plus d'un siècle les autres nations en productions industrielles et commerciales. Si elle ne se trouve point dans la même condition pour ses produits agricoles, c'est que tous ses efforts sont impuissants par son territoire trop restreint, un développement proportionné aux besoins de sa population est impossible, c'est là la grande plaie de l'Angleterre, elle est forcée de recourir à l'étranger pour maintenir à un prix convenable le salaire de la classe des travailleurs et de maintenir sa supériorité industrielle et commerciale, c'est avec ses lois sur les céréales qu'elle entend forcer et tromper les peuples qui seraient assez aveuglés pour se laisser prendre à ce piège grossier.
Aueun pays du monde ne peut lutter avec l'Angleterre. En voulez-vous une nouvelle preuve ? Le gouvernement des Etats-Unis de l'Amérique du Nord, fier de la situation prospère de cette immense république, avait cru un instant qu'on pouvait soutenir la concurrence avec l'Angleterre ; mais l'illusion n'a pas été de longue durée, et déjà le gouvernement des Etats-Unis est convaincu de l'impuissance de son commerce et de son industrie pour pouvoir continuer la lutte ; cependant on n'avait pas encore admis, il s'en faut, le libre échange. Ce gouvernement décrète en ce moment le rétablissement du système des droits différentiels, soit un renforcement de protection pour son commerce et de son indusirie.
La Belgique, de 1830 jusqu'à 1844, n'a pas jugé convenable d'établir un système commercial, ce qui est dans l'opinion de beaucoup d'hommes compétents, une faute irréparable.
Si la Belgique de 1830 avait franchement adopté un système convenable au pays, le commerce maritime aurait obtenu au moins un développement proportionné aux autres Etats de second ordre. Sans une forte marine marchande nationale, il ne peut exister des maisons de commerce qui s'occupent spécialement de l'exportation des produits industriels. Le haut commerce, proprement dit, le pays l'a perdu en 1830 ; ce sont les armateurs qui opèrent pour leur propre compte, qui ont l'avantage du fret, et qui, pour former les valeurs en vue d'acheter les cargaisons de retour, s'occupent avec persévérance de l'exportation des fabricats et cherchent à introduire, d'après le goût et l'usage du consommateur, un débit permanent dans le pays avec lequel ils sont en relation. En comptant sur l'étranger, ou en faisant des consignations à des maisons étrangères, on doit s'attendre à des mécomptes continuels.
En 1844, la législature après une enquête approfondie décréta le système des droits différentiels. Je ne dirai pas que ce système, tel qu'il a été décrété, soit parfait ; mais il y avait moyen de le perfectionner en vue d'obtenir un développement plus prompt et plus efficace. Il est devenu inutile de s'occuper encore de ces moyens puisqu'on entend démolir tout le système.
Enfin le pays avait, en 1844, sanctionné un système, aujourd'hui on accuse avec violence ce système de rester presque improductif ; on me permettra de répliquer que cette accusation n'est nullement fondée, qu'elle est même injuste. Nous savons tous, tout au moins nous pouvons le savoir, que quel que soit un système commercial, on ne peut l'assimiler en aucune manière à un système d'impôts qui devient productif immédiatement après sa promulgation.
Pour pouvoir juger d'un système commercial, il faudrait le laisser fonctionner au moins pendant vingt-cinq à trente ans. En effet, sur quoi est basé la réussite ? C'est uniquement sur la stabilité des principes et la confiance qu'on accorde au gouvernement.
Soyons juste, disons-le avec franchise, car au moment même où le (page 434) système de 1844 fut décrète, que faisait le gouvernement ? Il venait de traiter avec la Hollande l'introduction à droit réduit pour une quantité équivalente à la moitié de la consommation de la Belgique, soit huit millions de cafe à importer de la Hollande en Belgique.
En présence de ce seul fait qui a été suivi par bien d'autres, quelle confiance pouvait-on avoir encore dans les principes du gouvernement ? La conséquence a été foudroyante, elle a paralysé à l'instant même la possibilité de toute importation directe des lieux de provenance, c'est à-dire de Java, non pas seulement par le pavillon belge, mais par tous les pavillons ; c'était donc une mesure aussi funeste au commerce national transantlantique qu'au commerce en général.
On rendait par la même raison nulle la faculté de pouvoir profiter de la stipulation favorable d'importer directement en Belgique les huit mille tonneaux de sucre de Java.
Cela n'empêche pas qu'on est venu nous persuader qu'on n'a attaché aucune importance à cette faveur, comme si le commerce belge avait eu la possibilité ou avait été mis en possession d'en profiter.
Je dois faire remarquer qu'indépendamment des faits que je viens de citer que, dans toutes relations diplomatiques avec le gouvernement des Pays-Bas. incontestablement la Belgique a été constamment la dupe de la Hollande. J’affirme ce fait, ce ne sont point de vaines paroles. Je suis prêt à administrer la preuve de ce que j’avance si la chambre veut me le permettre ; je me bornerai à la citation d’un seul fait qui est très curieux.
La Belgique paye annuellement une somme de cinq cent mille francs à la Hollande, gratuitement, pour se garantir la libre communication des voie snavigables avec le Rhin pour les eaux intérieures de la Hollande. On m’objectera que la Belgique ne paye rien à titre gratuit à la Hollande, que c’est seulement le service de la rente d’un capital qui a été retenu de la somme totale de la dette et qui est resté en possession de la Belgique. En apparence cela est vrai, mais en réalité cela n’est pas vrai. Je vais démontrer en peu de mots que notre diplimatie a été inhabile pour ne pas en dire davantage ; nous payons une rente de cinq cent mille francs annuellement, mais de notre propre capital, voilà le fait.
Par la liquidation finale et lorsque tout avait été terminé avec la Hollande, la Belgique restait devoir par solde de compte à la Hollande à peu près cent quatre-vingts millions qu'on devait payer en numéraire ; mais au lieu de payer le tout en numéraire, la Hollande, sous le prétexte d'être favorable à la Belgique dont le trésor ne promettait pas de payer la somme précitée.proposa de recevoir en payement des obligations belges a deux et demi pour cent ; la diplomatie croyait avoir fait un coup de maître, accepta l’offre et on fixa le cours a cinquante Le ridicule de cet opération fut reconnu plus tard et on sollicita de la Hollande la résiliation de cette promesse, comme la Hollande ne possédait d'autres droits contre son débiteur que de demander le payement en numéraire ; la Hollande s'y refusa d'abord ; néanmoins elle a finalemmt accepté de recevoir la moitié en numéraire et l'autre moiiié de la somme en obligations, comme je viens de le dire, en deux et demi, pour cent, à cinquante ; mais la Hollande avtit déjà négocié la somme totale à soixante à un banquier de Paris. Ainsi la Belgique s'est constituée volontairement par la faute de la diplomatie dans une perte de dix millions de francs. On ne manquera pas de dire : il y avait promesse de fait, mais c'est précisément le reproche qu'on était en droit d'infliger pour avoir fait cette promesse.
Pour donner la preuve de la réalité du fait que je viens de citer, on doit seulement se donner la peine d'examiner le budget de cette époque des Pays-Bas ; on y trouvera au chapitre des recettes éventuelles un article spécial sous la dénomination : Bénéfice sur la somme arrêtée et due pour solde à charge de la Belgique, la somme de quatre millions quatre cent mille florins des Pays-Bas ; ce qui constate, comme je viens de le dire, une perte sèche de dix millions de francs, que la Belgique pouvait éviter par une négociation par elle-même de la totalité de la somme, puisque le banquier de Paris avait contracté pour la totalité des 180 millions à soixante.
Incontestablement la Belgique paye à la Hollande la rente annuelle de cinq cent mille francs de son propre capital.
Aussi, pendant plusieurs années, l'école faite par la diplomatie belge a été en Hollande l'objet de plaisanteries aux dépens de la Belgique.
Je n'ignore pas combien il élait difficile au ministère actuel de revenir ou de faire redresser dans la négociation du nouveau traité les fautes du passé commises en 1846. Cependant, je crois qu'il y avait moyen de négocier des conditions acceptables, et, à défaut, je n'hésite pas de déclarer, quoi qu'en ait dit un honorable membre de la députation de Gand, M. Delehaye, qu'il vaut mieux rejeter le traité que de l'accepter. Cet honorable membre s'est adressé aux députés de la Flandre occidentale, et il a dit : « Prenez, garde de rejeter le traité, les habitants de la Flandre occidentale possèdent une notable partie du territoire hollandais de ce côté de l'Escaut, on ne peut prévoir ce qu'il pourrait survenir. Si vous rejetez le traité, vous vous attirez une grande responsabilité. »
Si j'ai pu dire que la diplomatie des Pays-Bas a rendu la Belgique dupe en plusieurs circonstances, on ne doit pas moins rendre une justice éclatante à la probité du gouvernement des Pays-Bas ; il est incapable, et jamais il ne portera la moindre atteinte à la propriété particulière, n'importe tous les événements qui pourraient surgir. Du reste, la Hollande est au moins aussi pacifique que nous, et il y va de son intérêt. Si jamais l'étranger pouvait en vouloir à l'indépendance de la Hollande, ce n'est point chez elle que le sort des armes en déciderait, mais bien chez nous comme en 1815. La Belgique constitue la force de la Hollande, elle est son rempart naturel, et si le traité venait jamais à être rejeté par la chambre, on peut être sans la moindre crainte, aucune mesure aggressive ne serait prise, et les deux gouvernements reprendraient une nouvelle négociation toute aussi amicale que la première et on finirait par s’entendre sur nos intérêts communs tout eu faisant disparaître les objets en litige.
Je citerai en premier lieu que le traité actuel aura le même effet désastreux comme celui de 1846. Pour le littoral, c'est-à-dire pour la pêche nationale, déjà celui-ci avait provoqué de la part de l'industrie du littoral de nombreuses réclamations à la chambre. Vingt fois et plus les députés de la Flandre occidentale ont pris la parole pour apprécier les réclamations d'Ostende, Nieuport et Blankenberghe ; aussi à plusieurs reprises des députations se sont adressées au gouvernement et à Sa Majesté, en vue d'obtenir justice.
Quelle a été constamment la réponse du gouvernement ; on a dit : Vos réclamations sont fondées, elles sont de nature à être prises en considération,mais pour le moment on ne peut y faire droit, parce qu'on se trouve en présence du traité avec la Hollande ; il faut nécessairement attendre la Hollande. J'affirme ce fait, ce ne sont point de vaines paroles. Je suis l'expiration du terme qui est de six années. La Hollande a dénoncé le traité ; mais voilà que le gouvernement vient présenter à la législature un nouveau traité au grand désappointement des intérêts de la pêche nationale.
On remarque que bien loin d'avoir pris en considération leurs justes réclamations qu'on avait reconnues comme légitimes, on a conclu un nouveau traité qui aggrave encore leurs malheureuse position en stipulant une nouvelle condition plus onéreuse, celle de permettre le transit du poisson hollandais par le chemin de fer pour aller se mettre en concurrence avec notre pêche nationale sur les marchés étrangers.
L'exportation est évaluée à 9,000 francs, ce chiffre peut ne pas être très exact ; il n'existe aucun droit à l'exportation, les déclarations ne se font que pour la forme. Si le transit était de peu de valeur, pourquoi la Hollande, comme on vient de le dire, a exigé avec tant d'instance pour obtenir ce transit, c'est là une démonstration contraire à ce qu'on nous a exposé.
Le transit du poisson hollandais est accordé sans aucun droit ; voyons les conditions auxquelles on accorde le transit de la houille ; c'est avec un droit de sept francs le mille kilogrammes soit à 75 p. c. de la valeur, le prix de revient aux fosses étant de 8 francs. On a demandé la réduction à 40 centimes les mille kilogrammes, le gouvernement s'y est refusé comme une concurrence nuisible à nos bassins houillers à l'étranger.
On ne peut pas appeIer un avantage la réduction de la quantité de poisson à importer en consommation en Belgique, puisque la nouvelle quantité n'a pas été dépassée à l'importation durant les six dernières années.
Le nouveau traité frappe plus spécialement la flotte de pêche de la ville de Blankenberghe qui est loin de pouvoir soutenir la concurrence hollandaise ; elle ne peut plus soutenir la concurrence avec Ostende et Nieuport, par une raison toute simple ; ces villes sont des ports de mer, elles peuvent perfectionner à volonté l'industrie de la pèche par la construction d'une qualité de bâtiments infiniment plus convenables.
La ville de Blankenberghe se trouve par continuation privée d'un port de refuge, ce qui place cette localité dans l'imposibilité de faire construire et d'employer des bâtiments pontés et à quilles qui leur sont indispensables pour perfectionner aussi leur industrie à l'égal des autres localités que je viens de citer et, privé d'un port de refuge, tous leurs bâtiments sont forcés d'échouer journalièrement sur l'estran, exposés à tous les dangers de la mer occasionnés par la tempête. Par le coup de veut que nous venons d'éprouver le mois de novembre dernier, Blankenberghe a perdu plusieurs de ses bâtiments qui ont été complètement détruits sur la côte, et, ce qui est plus est, tous les bâtiments ont éprouvé de fortes avarices. Ces pertes on doit les évaluer au-delà de la production de la pèche de toute l'année.
Aussi cet état de choses ne peut continuer ; si on est décidé à ne pas procurer un port de refuge à Blankenberghe, on doit le déclarer sans détours. Cette circonstance est la cause que le nombre des bâtiments diminue d'année en année.
On me répondra peut-être comme a fait un honorable membre de cette chambre qui, lorsque dans une autre occasion j'ai fait entendre dans cette enceinte mes regrets sur la décadence de la marine marchande belge, disait qu’on aurait mieux fait en 1830 de chasser du pays tous les navires marchands belges. Peut-être se propose-t-on d’appliquer ce système à la flotte de pêche de Blankenberghe ; il resterait cependant à examiner si le remède ne serait pas pire que le mal lui-même.
L'honorable M. Delehaye a fait bon marché de la pêche nationale. Je demanderai à mon tour à cet honorable membre de nous déclarer, avec la franchise qui le caractérise, s'il accepte sans restriction le libre échange, c'est-à-dire l'importation libre de tout droit en Belgique des fabricats étrangers.
Je ferai la même question aux membres qui représentent l'industrie métallurgique et aux membres qui représentent les bassins houillers.
Les pertes que le littoral est forcé de subir par le traité en discussion m'obligent comme représentant cette localité de ne pas donner un vote favorable.
On a maintenu l'importation de la Hollande en Belgique à un droit réduit (page 435) réduit les sept à huit millions de café, ce qui constitue une perte annuelle au trésor de cinq cent mille francs.
Il est bon que toute la chambre sache de quelle manière cette importation en Belgique s'opère. C'est ordinairement au 1er janvier qus les administrations des douanes reçoivent l'autorisation d'accepter les déclarations des négociants, et personne ne peut comprendre que déjà, à l'ouverture des bureaux, les huit millions de cafe sont déclarés en entier ; c'est donc un monopole complet, où la généralité des négociants ne peut en aucune manière participer. Les monopoleurs profitent seuls des avantages des droits réduits que le trésor est forcé de perdre. On sait que ce monopole existe avec l'autorisation du gouvernement pour les trois villes : Anvers, Liège et Gand, ce qui est contraire au principe d'égalité proclamé par la Constitution.
Il ne faut pas conclure de mes paroles que je réclame pour mon arrondissement la moindre part dans cette distribution. Je repousse toute participation à ce commerce que j'appelle interlope, et que j'ai considéré comme la ruine du commerce transatlantique.
D'après la déclaration qui nous a été faite, nous pouvons nous attendre à voir bientôt le gouvernement belge à l'œuvre ; il convient donc d'attendre, aussi je n'en dirai pas davantage sur la question d'une révision radicale et complète de notre régime douanier.
Je termine en faisant des vœux sincères pour que le gouvernement soit bien inspiré pour assurer une prospérité nouvelle au pays.
M. Orts. - Messieurs, le travail conclu avec la Hollande présente, comme tout traité de commerce, deux points de vue et deux aspects. C'est d'abord un traité : par conséquent une occasion de nouer plus intimement des relations amicales avec un peuple plus ou moins voisin. C'est ensuite une convention commerciale, une occasion de discuter des intérêts réciproques commerciaux, industriels et agricoles, de chercher à arriver, sur ce terrain, à une conciliation honorable et fructueuse pour les deux parties contractantes.
Le traité avec la Hollande a été vigoureusement attaqué et vigoureusement défendu, quant au second de ces aspects. Je crois devoir attirer l'attention de la chambre quelque peu et très brièvement sur le premier côté de la question qui me paraît avoir un très haut intérêt pour la Belgique, dans les circonstances où nous sommes.
Ne l'oublions pas : le traité actuellement en discussion, comme relation plus intime avec un pays voisin, et comme relation commerciale, a une incontestable connexité avec d'autres conventions de ce genre prochainement soumises à votre appréciation.
On vous a dit, attaquant le traité hollandais sur le terrain des intérêts matériels, on vous a dit, ne l'oubliez pas, qu'on combattait le traité, parce qu'il avait derrière lui d'abord le traité avec l'Angleterre, et puis d'autres traités que le gouvernement viendra présenter plus tard. Si ce n'était cette considération, l'honorable M. Dechamps lui-même hésiterait à le rejeter.
Eh bien, messieurs, comme les relations de peuple à peuple deviennent plus intime, comme les liens politiques se resserrent lorsque les alliances sont fondées sur la solidarité des intérêts matériels, je crois que nous devons examiner avant tout s'il y a utilité de nous lier davantage avec la Hollande et avec l'Angleterre, surtout dans les circonstances actuelles. Cette utilité est évidente. Deux mots suffiront pour le prouver, car si je rappelle l'utilité de cette union, ce n'est point qu'on la méconnaisse, c'est parce qu'elle me paraît un peu oubliée.
Nous sommes trois peuples voisins sur le continent européen ; trois peuples qui n'avons l'un envers l'autre aucune appréhension légitime de prépondérance et qui ne sommes divisés par aucun principe politique.
Ces trois peuples intéressés à s'appuyer les uns les autres sont trois peuples qui ont grandi sous l'influence d'un régime libéral et parlementaire par la pratique des libertés politiques les plus larges, les mieux comprises. Ils sont, à peu près, les derniers gouvernements parlementaires de la vieille Europe. Jamais, on en conviendra sans peine, ces peuples n'ont eu plus de raisons pour resserrer leur union qu'à l'heure qu'il est. Or, messieurs, les alliances solides sont celles qui se fondent sur les intérêts ; les alliances qui se fondent sur les idées, sur les sympathies politiques, qui sont plutôt des sentiments qu'autre chose, sont des alliances éphémères, il faut en nouer d'autres.
Il faut, de plus, que nos alliés sentent qu'ils doivent, au point de vue de leur intérêt personnel, autant que nous, s'occuper du maintien de notre existence politique comme puissance indépendante ; que cette existence importe à la conservation des relations commerciales fructueuses qu'ils noueront avec nous.
Par ces raisons que vous comprenez, quoique la réserve défende d'insister, nous devons, messieurs, accepter et serrer les mains amicales que nous tendent la Hollande et l'Angleterre.
Je n'ai point dit toutefois que des alliances de cette espèce ne pouvaient se payer trop cher. Loin de là, si les conditions d'une transaction onéreuse se rencontraient dans un traité, je ne l'adopterais pas.
A ce point de vue, le traité avec la Hollande mérite-t-il les critiques que vous avez entendues ? Examinons. Il vous a été dit au nom de l'opposition et aux applaudissements de tout le monde, je veux dire de ceux qui dans cette chambre en partagent les opinions :
En définitive, ce n'est pas le traité en lui-même que l'on combat ; les sacrifices qu'il stipule, s'il venait seul, nous effrayeraient moins ; mais nous n'en voulons pas, parce qu'il est le précurseur d'une politique commerciale nouvelle, de réformes que nous repoussons comme un malheur pour le pays.
Ces objections, comment les a-t-on justifiées ? D'abord, en se plaçant à un point de vue excessivement élevé, au point de vue de la politique générale du pays.
Vous demandez, dit-on, le traité avec la Hollande et les conséquences qu'il comporte, parce que vous vous croyez appelés à réformer tout, dans quelque ordre d'idées et d'intérêts que ce soit ; vous avez touché à l'organisation politique, à l'armée, à la commune, à l'impôt, à l'agriculture : vous vous attaquez maintenant au commerce, à la navigation, en attendant le tour de l'industrie.
Messieurs, je ne m'arrête pas à ce qui a été répondu à cette objection par M. le ministre des finances. Je ne veux pas redire ce qui a été très bien dit avant moi. Mais permettez moi une objection unique. Quand on a fait appel à un passé qui n'est pas le nôtre, pour condamner, au nom de l'histoire, la politique de bouleversement, il m'est venu à l'esprit une réflexion ; je veux vous la communiquer, ce sera ma seule réponse.
Oui, il est dangereux de toucher étourdiment à son passé politique, commercial, industriel, ou dans quelque ordre que ce puisse être des intérêts populaires. Mais il est dangereux mille fois d'être obstiné ; il est dangereux, après une longue expérience, de ne pas faire un pas en avant. Quand l'honorable M. Dechamps a montré la France cédant à l'esprit de boulversement pour inaugurer il y a trois quarts de siècle, l'ère des révolutions, non encore close, je me suis souvenu que depuis ces trois quarts de siècle, les révolutions éclataient dans l'histoire des peuples à des époques périodiques ; que par une sorte de fatalisme, elles arrivaient à échéance tous les 15 ans. Mais je me suis souvenu aussi et avec fierté, que pour la première fois en 1848 cette étape de la civilisation s'est marquée dans l'histoire d'un peuple unique par des réformes et non plus par des révolutions Ce peuple, c'est le peuple belge. Et pourquoi ? Parce que l'esprit de réforme siégeait en 1848 dans les conseils du gouvernement du pays.
On vous a dit encore : On cède à l'appât de vaines théories, on veut faire de l'économie politique, de la science, et l'on oublie qu'il faut faire les affaires du pays. Vous avez entendu suffisamment les membres du cabinet vous dire avec quelle réserve, quelle discrétion, quel respect des faits accomplis ils voulaient procéder dans la voie du progrès. Si l'on voulait faire de la théorie pure, on ferait ce que les adversaires du cabinet lui reprochent de ne pas faire, on ferait une loi, non pour, mais contre l'intérêt du pays. Si nous étions des théoriciens, nous proclamerions quelque chose comme ce libre échange absolu qui n'est professé ni pratiqué par personne, nous présenterions ces lois qu'on reproche au gouvernement de ne pas présenter, quand elles ne se rattachent pas à un fait précis et actuel.
Mais en procédant ainsi nous ferions chose maladroite, injuste, nous prendrions la plus mauvaise voie pour arriver à notre but. Je n'en veux pour preuve que l'aveu de l'honorable M. Dechamps : si vons arriviez, disait-il il y a peu d'heures, avec une législation complète ne s'appliquant à aucun fait précis, avec un système général et abstrait, vous succomberiez devant la coalition des mécontentements.
Cette coalition, que vous voudriez voir arriver par tactique, nous l'écartons par tactique aussi ; mais notre tactique est la légitime défense : elle suit la vôtre. Nous voulons démolir pièce à pièce le système mauvais établi avant nous. La protection ressemble à ces vieilles fortifications du moyen âge qui étouffent encore certaines villes et les empêchent de se développer comme le voudrait le progrès moderne.
Eh bien, il faut que ces vieilles fortifications disparaissent ; elles sont un obstacle, une entrave ; il faut les démolir.
Mais que penseriez-vous de celui qui, sans tenir compte des habitants qui se trouvent aux environs de ces murs, des habitations qui se sont établies devant ou derrière, voudraient à l'instant même les faire sauter par la poudre au risque de détruire sous les éclats habitations et habitants.
Ce serait l'acte d'un fou. Mieux vaut démolir pierre à pierre, parce que chaque pierre que nous retirons de l'édifice...
M. Dumortier. - De quel édifice ?
M. Orts. - De l'édifice de la protection... Parce que chaque pierre que nous en retirons nous donne pour alliés à venir ceux qui s'opposaient à son enlèvement.
M. de Liedekerke. - Il faut vous hâter.
M. Orts. - Si vous vouliez nous aider, au lieu de nous entraver, nous irions plus vite. Acceptez le traité avec la Hollande ; nous aurons fait un grand pas ; nous aurons ruiné l'une des principales bases de la protection ; nous aurons ruiné les droits différentiels.
En agissant ainsi, nous ne ferons, on l'a dit à satiété, que céder à un mouvement qu'on a qualifié à juste titre d'européen. Mais ce mouvement n'existe nulle part, dit l'honorable M. Dechamps ; l'honorable M. de Liedekerke l'avait dit avant lui.
On a eu beau dire aux deux orateurs que je viens de citer qu'après les actes posés par l'Angleterre et par la Hollande, nous ne faisions que nous soumettre à ce à quoi nous ne pouvions nous soustraire ; ils n'étaient pas convaincus ; ils soutenaient que l'Angleterre et la Hollande n'avaient fait, par ces actes, que couvrir d'un masque nouveau leur système protecteur.
L'Angleterre a abandonné son système protecteur en matière de douane et d'industrie, devenue parfaitement certaine que le bénéfice de la protection lui demeurait entièrement acquis, alors même qu'elle supprimerait les lois sur lesquelles la protection s'était fondée.
C'est là chose qu'un dit et qu'on répète depuis longtemps, et (page 436) chose qu'on réfute depuis aussi longtemps qu’on a commencé à le dire.
Mais il semblerait que les réfutations n'existent pas. Les erreurs se débitent avec la même force qu'avant la réfutation. J'ai lu, j'ai entendu dire et répéter à la tribune des pays étranger, par M. Theirs entre autres, dans cet irréfutable discours dont a parlé l'honorable M. Dechamps, que sir Robert Peel (comme l'honorable M. Dechamps l'a dit de Cobden) était au fond un véritable protectionniste.
La suppression de l'acte de navigation et du monopole colonial, l'abaissement des droits sur une foule d'articles du tarif anglais, tout cela est de la protection déguisée, de la comédie.
Protectionnistes et free traders anglais s'entendent comme larrons en foire, pour piper l'Europe crédule.
Un mot de réponse et un fait.
Si tout cela n'est que comédie, si Robert Peel et Cobden ne sont que des comédiens, que doit-il être résulté de l'adoption en Angleterre du système libéral ?
L'Angleterre, après la réforme, a dû rester fermée comme avant aux produits étrangers.
Prenons, s'il vous plaît, la comparaison des importations en Angleterre.
La première réforme de Robert Peel a eu lieu dans le courant de 1842. Si les importations ont diminué ou sont demeurées stationnaires depuis lors, j'admets qu'il y a là une comédie, je passe condamnation, je vois en Robert Peel un protectionniste, en Cobden un probibitionniste si l'on veut.
En 1842, il a été importé en Angleterre pour une valeur de 65 millions 204,000 liv. sterl.
En 1850, 100,460,000, c'est-à-dire après huit années d'abaissement du tarif et de suppression des privilèges coloniaux et maritimes, il est entré en Angleterre 35,000,000 de livres st. en plus.
Où est maintenant la comédie ? On me demande d'où viennent ces données ! Ces chiffres sont puisés dans le recueil le mieux renseigné sous le rapport des faits commerciaux anglais et que c'était tantôt l'honorable M. de Haerne à l'appui de ses assersions, dans le journal « l'Economiste ».
Il est donc certain, messieurs, que le changement fait par l'Angleterre l'a été de bonne foi ; les résultats sont là. L'Angleterre est entrée franchement dans la voie où nous venons aujourd'hui forcément la suivre.
Mais, a dit l'honorable M. de Liedekerke, si l'Angleterre est entrée dans cette voie ce n'a pas été un fait heureux pour elle ; lorsqu'elle a abaissé chez elle les barrières de la protection, ç'a été au détriment de la classe ouvrière.
Les salaires ont baissé et la réforme du libre échange profile, non aux classes laborieuses, mais aux entrepreneurs de travail, aux industriels.
Si une erreur aussi fatale pouvait s'accréditer, ce que nous demandons, messieurs, serait mal reçu par le pays, et le pays aurait raison de le mal recevoir. Mais, je me hâte de le proclamer, si c'est là un des préjugés les plus dangereux, c'est en même temps un préjugé fondé sur la plus incroyable appréciation des faits.
Le salaire a-t-il baissé ? J'en doute, mais peu importe. S'il y a abaissement des salaires, il y a, en même temps j'en suis certain, ce corollaire rassurant que tous les produits à consommer sont à meilleur marché. L'abaissement des salaires alors n'est pas un mal, car, si avec 2 fr. l'ouvrier peut se procurer deux fois autant de produits qu'autrefois avec 3 fr., une réduction de salaire d'un franc lui fera une condition meilleure dans la proportion de un à trois.
Or, voilà tout au moins ce qui s'est incontestablement passé en Angleterre.
- Un membre. - C'est inexact.
M. Orts. - C'est inexact ? Je vais le prouver et par des chiffres dont je voulais faire grâce à la fatigue de la chambre si l'interruption n'était pas venue.
Si la condition des classes ouvrières avait été empirée par l'abaissement des salaires, quatre choses seraient arrivées : d'abord cet abaissement eût influé sur le paupérisme, cette plaie nationale de l'Angleterre. Le nombre des pauvres valides et adultes qui ne sont pauvre que parce que le travail manque, eût surtout été plus grand. Or, de 1849 à 1851, le nombre des pauvres sur un total de près de 800,000 secourus par la charité publique a été réduit de 78,648 ; c'est-à-dire de 9 p. c. en deux années. Le nombre des pauvres adultes et valides décroît plus rapidement encore ; la proportion spéciale pour cette classe est de 272 p. c. Voilà ce qui s'est produit sous le régime de la liberté commerciale quant au paupérisme.
M. Coomans. - C'est à cause du 24 février.
M. Orts. - Mettons le 24 février hors de cause, J'ai d'autres chiffres.
On parle de février 1848. Je prendrai ces chiffres de plus loin pour faire une autre observation qui fortifie mon appréciation.
Si le salaire baisse dans la classe ouvrière, la criminalité augmente, car elle grandit presque toujours en proportion directe des souffrances de la société. Or, quelle était la criminalité en Angleterre en 1841, sept années avant février 1848 ?
En 1841 le nombre des délits en Angleterre était de 27,760. En 1850 il était tombé à 26,813. C'est peu de chose, dira-t-on, qu'une diminution de 1,000 délits sur un chiffre aussi considérable. Mais de 1841 à 1850, comptez quelle est l'augmentation de la population générale de l'Angleterre, et vous verrez que la proportion est magnifique, que c'est un des plus beaux résultats des réformes inaugurées dans ce pays,
Et ici je fais un appel à l'honorable M. Coomans qui se préoccupe si fort du prix des céréales. Qu'il veuille bien comprendre le résultat que j'indique quant au rapport que peut exercer sur la criminalité le haut prix et le bas prix des céréales ; il verra que dans cette période de 1841 à 1850, la criminalité baisse chaque fois que le prix des céréales baisse, et que le chiffre de la criminalité s'élève chaque fois que le pain est cher.
Et remarquez : lorsqu'on détaille ces chiffres, que j'ai abrégés autant que possible, on voit que le chiffre qui diminue dans cette série que je viens d'indiquer, c'est le chiffre des attentats contre la propriété. Les attentats contre les personnes restent les mêmes. Preuve nouvelle, que la condition matérielle de l'ouvrier, de la classe pauvre, s'est améliorée considérablement en Angleterre.
Et le résultat de la réforme s'est-il arrêté là ? Mais en même temps que le prix des céréales a baissé, le prix de la viande a diminué aussi ; et la consommation de plusieurs autres produits, que le peuple consomme quand il peut les payer, a augmenté dans une proportion rapide.
De 1842 à 1850, la consommation du sucre a augmenté de 60 p. c. ; la consommation du thé et du café de 30 p. c, celle du cacao de 31 p. c ; toutes substances que l'Anglais consomme quand il peut le faire.
Les caisses d'épargnes, et c'est par là que je termine l'appréciation des résultats qu'ont amenés les réformes, les dépôts des caisses d'épargnes se sont élevés de 1841 à 1845, dans les quatre premières années de la réforme, de 100,000,000 de fr.
Aussi, messieurs, cette appréciation dangereuse que je combats ici, mais elle est repoussée par les hommes qui ont étudié l'Angleterre de plus près.
Dans une discussion récente, un honorable membre de la droite citait et opposait à M. le ministre des finances l'autorité d'un homme d'Etat français, connu par la profonde étude qu'il a faite de l'Angleterre et des causes de prospérité et de décadence de cet empire à diverses époques de son histoire. M. Léon Faucher, que l’on citait pour l'appréciation de nos lois financières, écrivait au mois d'avril de cette année dans la Revue des Deux Mondes : « Aucune expérience n'a été plus féconde et aucune politique n'a plus complètement atteint son but. L'ère ouverte par sir Robert Peel marque le point culminant de la prospérité publique en Angleterre. Jamais l'industrie ne fut plus active, ni l'ouvrier mieux rétribué. »
Laissons donc de côté cette mauvaise objection que l'expérience anglaise n'est pas utile, qu'elle ne profite pas surtout à ceux pour qui nous devons tenter toutes les expériences en vue d'améliorer leur condition.
L'expérience anglaise, messieurs, a été également citée par l'honorable M. Dechamps. Se plaçant à un point de vue plus général, rappelant une opinion émise dans cet irréfutable discours de M. Thiers, discours qui fit échouer la proposition libérale de M. Sainte Beuve au mois de juillet dernier devant l'assemblée nationale, il vous a dit : Mais que prouve ce qui se passe en Angleterre ? La France, pays de protection, a grandi. La prospérité commerciale s'est développée. Et l'on vous a fait la même histoire pour la prospérité commerciale en Belgique, que celle que M. Thiers avait faite pour la France. Puis on en est arrivé à cette conclusion que le mouvement des affaires avait beaucoup plus grandi en France sous le régime du tarif protecteur, qu'il n'avait grandi en Angleterre et en Belgique sous des tarifs plus modérés.
Messieurs, pour en finir avec la valeur de l'irréfutable discours de M. Thiers qui paraît être d'un grand poids pour les adversaires du projet en discussion, car tous les membres de la droite ont applaudi à l'éloge qu'en a fait l'honorable M. Dechamps, je veux réfuter à titre d'exemple cet argument de M. Thiers, emprunté et développé par l'honorable M. Dechamps.
M. Thiers a montré que la France avait marché plus vite en 20 ou 30 années que n'avait marché l'Angleterre. Et dans ces 20 ou 30 années il a compris, pour faire sa comparaison, les quelques années pendant lesquelles avait fonctionné en Angleterre le régime libéral de sir Robert Peel, sans tenir compte de ce qui c'était passé dans les années antérieures, sous le régime de la protection, puis il a fait un total de tout cela.
Eh bien, voici ce qui en est, et cela répondra un peu à l'histoire du commerce belge faite par l'honorable M. Dechamps. Si, au lieu de prendre 30 années, M. Thiers s'était placé sur le véritable terrain des faits, s'il avait comparé équitablement le mouvement progressif de la France de 1842 à 1850 ; s'il avait pris la période parallèle pour l'Angleterre, c'est-à-dire le mouvement commercial de ce pays, depuis l'époque où la nouvelle législation anglaise et la réforme des lois de navigation ont pu fonctionner, il serait arrivé à des résultats tout différents et qui démontrent une chose : c'est que si la protection (et je remercie le ciel qu'il en soit ainsi) n'étouffe pas complètement l'élan et le progrès chez les nations, lorsque la protection disparaît, l'élan est plus considérable et le progrès plus certain.
En effet, voici ce qui résulte de la comparaison rétablie sur ces bases, les seules justes.
En 1842, les importations et les exportations réunies de la France atteignent, d'après la statistique officielle, 2,082,300,000 fr. Voilà le chiffre que M. Thiers eût dû prendre pour point de départ ; puis il a pris le chiffre de 1850 qui donne 2,565,000,000.
En Angleterre en 1842, le chiffre était, et M. Thiers l'a accepté dans (page 437) les détails de ses calculs, de 20,169,000 livres sterling. En 1850 il était de 93,118,000 livres sterling ; que signifient ces chiffres ?
Ils signifient, lorsque vous réduisez les francs en livres sterling pour avoir une comparaison plus exacte et plus facile, que, dans l'espace de 8 années, le mouvement des affaires en France a augmenté de 19,319,000 liv. sterl., tandis que le commerce anglais, sous l'empire des réformes de sir Robert Peel, s'est élevé de 67,513,000 livres sterl. ; ce qui fait cinq fois le progrès de la France dans le même espace. Il y a loin de là à la comparaison de M. Thiers, qu'il n'avait obtenue qu'en mettant dans le bilan de l'Angleterre les mauvaises années du système protecteur avec les bonnes années du système de réforme.
S'il s'était borné, ce qu'il fallait faire pour être juste, à comparer les 8 dernières années des deux pays il serait arrivé à un résultat qui écrase même le progrès que signalait ce matin l'honorable M. Dechamps pour la Belgique.
Car le mouvement commercial de l'Angleterre a été cinq fois plus progressif que celui de la France, et on se flattait ce matin que le mouvement belge dépassait quelque peu en vivacité d'allure, le mouvement français tel que l'avait décrit M. Thiers. Mais les journaux anglais ont répondu mieux encore à M. Thiers. Les exportations françaises sont calculées, dans les statistiques, en valeurs officielles, tandis qu'en Angleterre le mouvement commercial est traduit dans les statistiques en valeurs réelles et déclarées. De sorte que de ce chef il y a une différence extrêmement favorable à l'appréciation anglaise et qui, si vous en tenez compte dans la comparaison entre les deux pays, vous conduit à cette conclusion que le mouvement anglais a été 8 fois plus considérable que le mouvement de la France.
Mais, dit-on, laissons là l'Angleterre qui, en fait de réformes, n'y va point bon jeu bon argent pour me servir d'une expression vulgaire ; laissons là l'Angleterre ; toutes les autres nations suivent le système de la protection. Les peuples qui avaient adopté le système du libre échange, l'ont abandonné pour en revenir au système protecteur. On a déjà répondu partout, messieurs, à cette observation en citant une foule d'autres pays arrivés à une haute prospérité commerciale sans avoir jamais entendu parler de tarifs protecteurs ou de mesures prohibitives quelconques. On a cité cent fois la Suisse, aujourd'hui puissance industrielle du premier ordre. (Interruption.) Vous ne contesterez pas que la Suisse soit un des pays les plus redoutés pour sa concurrence de toutes les grandes puissances industrielles du monde ? On a cité les Etats-Unis. Mais on répond alors, la Suisse après être devenue une puissance industrielle du premier ordre, les Etats-Unis après s'être élevés si haut, ont eu leur instant de repentir. Ils ont reculé vers les droits protecteurs.
Messieurs, la réponse est une mauvaise appréciation de plus que l'on a trouvée dans l'irréfutable discours de M. Thiers, mais qui, encore une fois, a été réfutée, tout comme l'avait été l'argument foudroyant de M. Thiers, sa comparaison de tout à l'heure, entre les progrès commerciaux de l'Angleterre et ceux de la France.
La Suisse, dit-on, suit aujourd'hui le système protecteur. Un instant, messieurs ; la Suisse, en 1843, a, pour la première fois, introduit un tarif de douanes, mais chacun sait que tout tarif de douanes n'est pas nécessairement un tarif protecteur. Il y a des tarifs qui consistent dans un simple droit fiscal sans influence sur la production. L'honorable M. de Brouckere vous le rappelait, il n'y a qu'un instant.
Or, la Suisse a introduit en 1843 ce qu'elle appelle elle-même un péage, dénomination qui suffit pour caractériser le droit perçu ; ce péage n'est qu'un simple droit de balance. Prenez le tarif, vous y verrez un droit qui ne peut exercer aucune influence sur les relations commerciales, qui n'est pas plus protecteur que le droit de patente. La Suisse avait donc établi ce droit léger, en 1843, comme une simple mesure fiscale. Mais plusieurs cantons, qui avaient des besoins d'argent, ont ajouté un péage particulier à leur profit au péage fédéral, et ce ne sont précisément pas les cantons industriels, car ce sont les plus pauvres, et les cantons industriels sont les plus riches.
En 1849, c'est bien récent, en 1849 ou a généralisé les péages en augmentant un peu le péage fédéral et en supprimant les autres. Depuis, en Suisse, tout le monde vous dira comme tout le monde s'est empressé de l'écrire de Suisse à M.Thiers, que le tarif de 1849, quoique supérieur au tarif de 1843, n'en est pas moins purement fiscal. Ce tarif, vous le trouverez analysé, messieurs, dans un très bon mémoire publié à Genève en 1851 par M. Odier-Casenave, après avoir été lu à la société d'utilité publique de cette ville. (Interruption.) Le tarif est là tout entier, commenté et discuté.
Lisez et vous verrez que, contrairemtnt à ce qui a été dit par M. Thiers et par M. de Liedekerke, il n'a rien de commun avec une mesure de protection douanière. Je crois, messieurs, que la meilleure chose que l'on puisse faire quand on veut parler d'un pays étranger, c'est de consulter ce pays lui-même par ses écrivains nationaux. C'est du reste, je le répète, ce qu'ont répondu à M. Thiers les journaux suisses, et si vous consultez même les journaux français qui ont suivi de quelques jours l'irréfutable discours de M. Thiers, « les Débats », « la Patrie », vous y trouverez une foule de réclamations arrivant qui des Etats-Unis, qui de la Suisse, qui de la Sardaignc, qui de tous les points du globe invoqués un peu trop à la légère par l'illustre orateur.
Un mot maintenant des Etats-Unis pour prouver que l'on connaît exactement les Etats-Unis comme on connaît la Suisse, alors qu'on s'en arme contre nous.
Les Etats-Unis ne deviennent pas, assure-t-on, protectionnistes, ils le sont depuis 60 ans.
Messieurs, le premier tarif protecteur aux Etats-Unis, est de 1828. (Interruption,)
Le tarif de 1828 est le premier tarif protecteur qui ait existé aux E'ats-Unis. Or en 1828 les Etats-Unis étaient, Dieu merci, une puissance industrielle qui complaît pour quelque chose dans le monde des affaires. Le premier tarif tint jusqu'en 1835, il fut remplacé par un tarif libéral. En 1842, on revint sur ses pas et l'on fit un tarif protecteur. Le tarif protecteur de 1842 subsista jusqu'en 1846, époque où il fut remplacé par le tarif beaucoup plus modéré sous lequel les Etats-Unis vivent aujourd'hui. (Interruption.)
On me parle du dernier message, j'y viens.
Je sais que le président, dans son message, proclame qu'il verrait avec plaisir les chambres revenir sur ce tarif ; mais ce qu'il n'a pas encore fait, c'est de soumettre à la législation des propositions dans ce sens, et j'incline fortement à croire qu'il n'en fera rien. Le dire du président sous ce rapport ne peut être, à mon sens, qu'une réclame électorale, rien de plus. Car malheureusement, messieurs, aux Etats-Unis comme ailleurs les questions de tarif sont devenues des questions politiques au lieu de rester ce qu'elles sont, des questions économiques.
Pour justifier ma prévision, qu'on me permette de citer un fait, un fait récent passé aux Etats-Unis.
Lorsqu'on en revint là à un système plus libéral, tous les protectionistes des deux assemblées, M. Meredith en tête, soutinrent que jamais, au grand jamais, les Etats-Unis ne pourraient arriver à nouer les deux bouts de leurs comptes financiers avec les droits de douanes tels qu'ils étaient fixés par le tarif de 1846. Comme l'a dit l'honorable M. de Brouckere, les droits de douane font la grosse part des revenus de l'Etat, mais, la chose était grave et le déficit prédit un sérieux péril. Qu'en est-il avenu ?
En 1850 la douane a rapporté 48,000,000 de dollars ; c'est-à-dire un excédant de 16 millions de dollars sur ces sinistres prédictions. Le président, croyez-moi, respectera le tarif libéral qui porte de tels fruits.
Je finis, messieurs, car j'irais réellement trop loin, si je prenais une à une toutes les erreurs commises à propos d'exemples pris en dehors de notre pays. Je dis seulement à la chambre : Ne nous effrayons pas de cette tentative vers un système un peu plus large en matière de concessions douanières, de concessions commerciales. En définitive, l'exemple de ce qui s'est passé autour de nous, nous convie à marcher en avant. Depuis quelques années, quatre puissances ont inauguré en matière d'intérêts matériels une politique plus large, plus libérale que celle qu'elles suivaient aux époques antérieures.
L'Angleterre est entrée dans cette voie depuis 1842 ; la Hollande a suivi plus récemment, mais depuis longtemps déjà elle avait un tarif douanier très modéré ; la Sardaigne a marché vers le même but. La Belgique, à son tour, depuis 1847, a fait un temps d'arrêt très marqué dans le régime protecteur et maintenu la libre entrée des denrées alimentaires. On craint que cette marche ne compromette des intérêts sérieux chez nous. Voyons ce qui s'est produit ; et plaçons-nous pour voir à un point de vue général.
Dans tous les pays de l'Europe, où le contre-coup des événements de 1848 s'est fait sentir, ces événements ont eu précisément leur principal levier dans le malaise matériel ou dans le désir du bien-être matériel plus grand chez les classes inférieures de la société, c'est-à-dire chez le plus grand nombre. Les doctrines dangereuses qui se sont produites à cette occasion étaient précisément appliquées à l'ordre des intérêts matériels, car on s'est peu révolutionné en 1848 pour des réformes purement politiques, on voulait des réformes sociales. Or, quelles sont les puissances qui ont échappé à ce mouvement de 1848 ? Ce sont les quatre puissances que je viens de citer, celles qui avaient pris sur 1848 l'avance dans la voie du progrès.
M. Malou. - Et la Russie.
M. Orts. - Je suis heureux de l'interruption, car j'avais oublié la Russie, en signalant le mouvement général de l'esprit européen vers l'abaissement des tarifs douaniers.
Et en effet, messieurs, depuis ces derniers temps, la Russie marche d'un pas très décidé vers une voie de réforme libérale des tarifs. Je ne dis pas que l'empereur de Russie soit libre-échangiste comme M. Cobden, mais, proportion gardée, la Russie marche d'un pas très ferme dans la voie où nous entrons. Un seul fait va le prouver :
L'empereur de Russie avait chez lui une ligne internationale de douanes entre la Pologne et la Russie : il l'a supprinée ; c'était déjà faire du libre échange, de même que le Zollverein était un essai de libre échange en Allemagne ,comme l'a dit très justement l'honorable M. de Brouckere. (Interruption.) Comment ! mettre les produits de toutes les parties de l'Allemagne sur un même marché de consommateurs ; supprimer les douanes intérieures entre la Saxe, les provinces rhénanes, la Prusse, la Hesse, Bade, etc., ce n'est pas faire du libre échange ? L'empereur de Russie fait la même chose chez lui : il réunit les producteurs et les consommateurs de son empire sous un même régime douanier, et s'il a élevé quelque peu certains articles du tarif russe, il a abaissé considérablement tous les articles du tarif polonais qui était un tarif prohibitif.
Il y a plus que compensation en faveur de la liberté des échanges.
J'ai donc raison de dire que l'empereur de Russie fait des réformes dans le sens de celles que nous voulons accomplir. (Interruption.)
(page 438) On a beau assigner à ces actes des motifs politiques, il n'est pas moins vrai que l'empereur a adopté en définitive un régime plus libéral que celui qui existait antérieurement ; quelles que soient les raisons de sa politique, il a fait un pas.
J'avais donc des raisons de dire avant cette digression involontaire que les puissances qui ont marché dans la voie des réformes, antérieurement aux événements de 1848, ont résisté à la pression de ces événements, y ont résisté seules, et n'ont pas subi l'influence des mauvaises passions que ces mêmes événements soulevaient contre les intérêts matériels, tels qu'ils étaient réglés dans les autres pays.
Et si l'on me demande maintenant quelle puissance magique a empêché des faits, si propres à effrayer les esprits, de se produire chez ces quatre puissances, je répondrai - et je termine par là - je répondrai en citant les paroles d'un homme d'Etat éminent dirigeant aujourd'hui la politique commerciale d'un de ces heureux pays. M. le comte de Cavour, membre influent du ministère actuel de la Sardaigne, de ce pays marchant d'une manière si nette dans la voie des réformes, écrivait au moment de prendre la direction des affaires, à l'un de ses amis, au directeur de l'école de commerce et d'industrie de Nice, une lettre publiée par les journaux français et italiens de l'époque. J'y lis cette phrase sur laquelle j'engage les adversaires de la réforme douanière et commerciale à réfléchir, car elle nomme la fée qui conjure les révolutions.
« Il n'y a qu'un seul moyen d'éviter le progrès des doctrines antisociales, et ce moyen c'est la liberté.
« Prêchons la liberté d'enseignement et surtout la liberté industrielle et commerciale et nous ferons plus contre les rêves du socialisme que les canons et les persécutions. »
Messieurs, je m'arrête ici ; j'avais à répondre aux orateurs qui m'ont précédé par faits et chiffres sur la valeur réelle du régime des droits différentiels ; je fais le sacrifice de mes observations à la fatigue légitime de la chambre.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à minuit moins un quart.