(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 389) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Jacques Fixmer, ancien professeur au collège de Ruremonde, prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le sieur Germain, ancien officier au 4ème bataillon de tirailleurs francs, cantonnier garde-route à Mons, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la décoration de l'Ordre de Léopold. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le comice agricole des 3ème et 10ème districts du Limbourg demande que le traité de commerce conclu avec les Pays-Bas ne soit approuvé par la chambre que moyennant une augmentation de droits d'entrée sur le bétail. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du traité.
« L'administration communale de Rupelmonde prie la chambre de ne pas approuver l'article 5 du traité de commerce conclu avec l'Angleterre relatif à l'assimilation du sel de source au sel brut. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le traité.
M. Coomans (pour une motion d’ordre). - Si je ne me trompe, la chambre n'a pas encore pris de décision relativement au projet de modifications douanières, que d'honorable ministre des finances a déposé avant-hier sur le bureau. Comme ce projet doit être renvoyé aux sections, il importerait que le renvoi fût prononcé sans autre retard.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est fait.
M. Coomans. - Les Annales parlementaires n'en disent rien.
Dans tous les cas, je demanderai que les sections s'en occupent le plus tôt possible. Il faut que nous ayons le temps de discuter l'œuvre de M. le ministre, sur laquelle il y a mainte observation à présenter.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est certain que ce projet ne peut pas être discuté et voté par la chambre avant le 1er janvier. Le -gouvernement a annoncé déjà qu'il demanderait les pouvoirs nécessaires pour appliquer par arrêté royal les mesures comprises dans le projet de loi.
M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, lorsqu'un projet de loi est soumis à notre examen, nous avons la faculté d'en ajourner la discussion, d'y introduire des amendements, de faire subir enfin à ce projet les modifications que nous croyons utiles au pays.
Mais lorsqu'il s'agit d'examiner un traité, la position n'est plus la même. Tout ajournement est impossible, car une clause du traité fixe le délai endéans lequel les ratifications doivent être échangées. Aucun changement, aucun amendement ne peut y être introduit, car un traité est un contrat international que la volonté des deux parties contractantes peut seule modifier, et dès lors il ne nous reste qu'à rejeter ou à approuver le traité en son entier.
Pour savoir, messieurs, si un traité est oui ou non avantageux au pays, c'est-à-dire s'il faut l'approuver ou le rejeter, il faut l'examiner dans son ensemble, comparer la valeur des concessions faites par nous et des avantages qui nous ont été accordés, rechercher si les grands intérêts matériels du pays ont été sauvegardés ; il faut examiner enfin si, pour obtenir des concessions en faveur de l'une des sources de la prospérité nationale, on n'impose pas à d'autres de rudes et pénibles sacrifices.
Si j'examine le traité soumis à nos délibérations sous le rapport industriel, je reconnais qu'il est avantageux au pays. En effet, les concessions faites en 1846 sont maintenues ; plusieurs réductions alors consenties sont renforcées encore, enfin le tarif néerlandais est abaissé sur plusieurs articles nouveaux. Parmi les pétitions adressées à la chambre par les industriels du pays, presque toutes demandent que la chambre approuve le traité ; je pense donc que nos intérêts industriels sont convenablement sauvegardés, et que si on ne se plaçait qu'à ce point de vue unique le traite en discussion obtiendrait un vote approbatif.
Mais eu est-il de même, si on examine le traité sous le rapport commercial ?
Ainsi que le gouvernement le déclare lui-même, le traité nouveau élargit la brèche faite au régime des droits différentiels par le traité de 1846.
Est-ce un bien, est-ce un mal ? C'est là une grave question que je ne discuterai pas en ce moment et dont j'abandonne l'examen à ceux de mes honorables collègues qui sont plus versés que moi dans la pratique des affaires commerciales. Toutefois, en attendant que cette question soit résolue, je conserve des doutes sérieux sur la valeur du traité au point de vue de nos intérêts commerciaux ; je me demande, en outre, si les avantages obtenus et les sacrifices imposés se répartissent également et équitablemcnt entre les divers centres commerciaux du pays.
De nombreuses réclamations contre le traité vous ont été adressées par un grand nombre de chambres de commerce. Le conseil communal de notre métropole commerciale l'attaque, la chambre de commerce de la même ville le signale comme contraire aux intérêts du commerce. J'hésite à considérer comme non fondée l'appréciation faite par des corps si compétents en matière commerciale.
Reste l'intérêt agricole. L'agriculture est, sans contredit, la première et la plus importante de nos industries, elle est la source principale de la richesse nationale. L'agriculture enfin, procure, je ne dirai pas l'aisance, mais du travail et des moyens d'existence à la majeure partie de notre population.
Les intérêts de l'agriculture ont-ils été pris en considération lors des négociations du traité ? Quelles faveurs a-t-on stipulées pour elle ? Qu'a-t-on obtenu enfin ? Je n'hésite pas à répondre.... Rien.
Non seulement, messieurs, l'industrie agricole n'obtient par le traité en discussion aucune faveur nouvelle, non seulement toutes les concessions importantes faites à la Néerlande par le traité de 1846 sont maintenues, mais de plus nous lui faisons une concession nouvelle que je considère comme aussi nuisible à notre agriculture qu'avantageuse à celle de ce pays.
Depuis longtemps la Néerlande cherchait à obtenir la faculté de faire transiter librement et sans droit spécial son bétail par notre chemin de fer vers la France. Cette faculté toujours refusée, elle l'obtient par le traité nouveau, en compensation sans doute des avantages industriels qu'elle nous accorde.
Je le demande, est-ce équitable, est-ce juste ?
J'ai dit, messieurs, que parmi les concessions faites en 1846 à la Néerlande au pointde vue de nos intérêts agricoles, plusieurs sont d'une importance réelle.
Le traité en discussion maintient en effet l'autorisation d'introduire une quantité de 15 millions de kilog. de céréales récoltées dans les duchés de Limbourg et de Luxembourg au quart des droits fixés par le tarif général.
En 1850, 65 millions de kilog. de grains de toute espèce ont été importés en Belgique, le quart environ de cette quantité pouvait donc être importé avec une réduction de 75 p. c. sur les droits fixés par notre tarif douanier. Durant la même année, 31,500,000 kilog. de froment ont été importés, et plus de 10 millions de kilog. de froment récoltés dans les duchés de Luxembourg et de Limbourg n'ont acquitté que le quart du droit fixé par la loi du 22 février 1850.
Le droit établi par cette loi en faveur de notre agriculture se trouve donc réduit de fait par les traités. Le droit sur le froment étranger est fixé par le tarif à 1 fr. les 100 kilog. ; en réalité il n'a été que de 70 à 75 centimes environ et en moyenne.
Les concessions faites sous ce rapport à la Néerlande ne sont donc pas sans importance.
L'aricle. 25 du traité en discussion, maintient encore la réduction de droits d'entrée sur le bétail accordée par le traité de 1846.
Je l'avoue, messieurs, dans les circonstances actuelles et en présence du tarif établi par la loi générale, cette concession est de peu de valeur.
Et en effet, le chiffre des droits établis par cette loi est loin d'atteindre le taux fixé par le traité de 1846.
Je pense même que si le gouvernement, usant de la faculté que lui donne le traité, consentait à porter le droit d'entrée sur le bétail au chiffre fixé par le traité, notre agriculture obtiendrait sous ce rapport une protection suffisante, et que pareille proposition serait reçue avec sympathie par nos populations agricoles.
J'appelle sur ce point toute l'attention du gouvernement et de la commission permanente de l'industrie à laquelle diverses pétitions en ce sens ont été renvoyées. Car aujourd'hui le bétail sur pied se vend à vil prix, et cependant le prix de la viande est loin de baisser dans la même proportion.
J'espère que dans un bref délai droit sera fait à nos réclamations ; s'il en était autrement, il ne nous resterait qu'à user de notre droit d'initiative.
Messieurs, tandis que nous avons accordé par des traités des réductions notables de droits d'entrée sur la plupart des produits agricoles étrangers, nous n'avons obtenu des puissances avec lesquelles nous traitons aucun avantage en faveur de notre agriculture indigène.
La France, par exemple, qui fut longtemps pour nous un marché avantageux, maintient ses droits élevés et presque prohibitifs sur la plupart de nos produits agricoles. Aujourd'hui que l'on traite avec cette puissance, je pense que le gouvernement doit faire de grands efforts pour obtenir quelques conditions favorables à notre agriculture, telles qu'une réduction de droits d'entrée sur le bétail, les grains, le houblon, etc.
J'appelle encore sur ce point toute l'attention de M. le minisire des affaires étrangères et du gouvernement.
J'ai dit que toutes concessions nuisibles à notre agriculture et antérieurement accordées sont maintenues par le traité, que de nouvelles concessions, plus nuisibles encore sont faites ; l'article 12, en effet, accorde le libre transit du bétail hollandais par notre che min de fer.
J'avoue que j'ai été étonné de trouver cette stipulation dans le traité ; (page 390) car j'avais pensé que le gouvernement, dans les négociations, n'aurait pas perdu de vue ce qui s'est passé lors de la discussion de la loi du transit.
En 1819, lorsque le cabinet soumit à la chambre le projet de loi sur le transit, le principe du libre transit du bétail par chemin de fer et consacré par le traité en discussion était déposé dans le projet.
Ce principe rencontra une grande opposition dans cette chambre et au-dehors. Un amendement fut proposé, longuement discuté et adopté enfin à une très grande majorité.
De son côté, le sénat vota l'amendement qui fait aujourd'hui partie de la loi du 6 août et le principe du libre transit du bétail par chemin de fer se trouva ainsi définitivement repoussé.
N'ai-je donc pas raison de dire, messieurs, que j'ai été étonné de voir que l'on veut aujourd'hui, par un traité, c'est-à-dire presque forcément, introduire dans notre législature un principe que la législature a rejeté il y a deux ans à peine.
Je ne chercherai pas à démontrer combien le libre transit du bétail par notre chemin de fer est préjudiciable à notre agriculture, je ne répéterai point les motifs qui ont été donnés en 1849.
A cette époque, cette importante question a été longuement discutée, toutes les opinions sont aujourd'hui faites sur ce point et je pense qu'elles ne se sont pas modifiées depuis 1849 ; ce qui était vrai alors, l'est encore aujourd'hui, car, messieurs, c'est une erreur de prétendre que le marché français soit désormais perdu pour nous et que ce pays puisse pourvoir à ses propres besoins, grâce au progrès que son agriculture a faits.
La situation est aujourd'hui la même qu'en 1849. Nos exportations vers la France, bien que peu importantes encore, y ont néanmoins augmenté depuis lors ; pour s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur le tableau général de notre commerce avec les pays étrangers.
Nos exportations de bétail vers la France ont été :
En 1848 de 8,822 têtes dont 5,665 de gros bétail
En 1849 de 10,467 têtes dont 6,820 de gros bétail
En 1850 de 12,137 têtes dont 7,242 de gros bétail.
Le marché français n'est donc point perdu pour nous, il serait longtemps pour nos éleveurs un débouché utile si une législation sage accordait à notre agriculture la protection qu'elle mérite.
Je le répète, messieurs, les arguments invoqués en 1849 contre le libre transit du bétail ont aujourd'hui encore toute leur valeur.
Permettez-moi de rencontrer brièvement quelques-uns des arguments que les partisans du libre transit font valoir chaque fois que cette question est discutée.
El d'abord on invoque les intérêts du trésor.
Sans doute le transport du bétail étranger par chemin de fer augmente comme tous les transports les recettes de l'Etat.
Mais je le demande, faut-il donc favoriser le trésor de l'Etat au préjudice de l'agriculture ? Si l'on comparaît, messieurs, le chiffre des pertes que le libre transit du bétail hollandais occasionne, à celui des bénéfices que les transports procurent à l'Etat, on reconnaîtrait facilement qu'il n'y a nullement compensation.
Et d'ailleurs, si le principe du libre transit est un principe qui doit être introduit dans notre législature immédiatement, pourquoi ne l'étend-on pas à certaines matières pondéreuses telles que la houille, le fer, et dont le transport produirait certes plus que celui du bétail ?
On me répondra que l'on ne peut généraliser aujourd'hui ce principe, qu'il en résulterait de grands inconvénients, enfin que certaines relations internationales nous commandent à cet égard une réserve toute spéciale.
Je pense que le principe du libre transit du bétail peut avoir des inconvénients tout aussi grands que le transit des produits pondéreux auxquels je fais allusion.
Si un jour, à une époque rapprochée peut-être, le bétail hollandais encombrait les marchés français au point de faire une concurrence sérieuse au bétail indigène, que ferait alors le gouvernement de ce pays dont la législation douanière est essentiellement protectionniste ? Il élèverait le chiffre de son tarif, et notre agriculture, par suite de la concession que nous aurions faite aujourd'hui, serait gravement lésée, car le marché français sur lequel nous luttons déjà à grande peine nous serait complètement fermé.
Dans une autre circonstance l'honorable ministre des finances disait : « Pendant que le transit a été libre (1843 et 1844), nos exportations ont considérablement augmenté. C'est un fait ; mais la cause de cette augmentation peut-elle être le libre transit ? Peut-on soutenir que nous avons plus exporté vers la France par le motif que le bétail hollandais a fait sur le marché français, à notre bétail, une concurrence plus rude ? Et n'est-ce pas à d'autres causes tout à fait passagères et exceptionnelles, qu'il faut attribuer cet accroissement temporaire de nos exportations de bétail ? Quant à moi, je pense que le chiffre de nos exportations eût été en 4843 et 1844 plus important encore si les éleveurs hollandais n'avaient eu la faculté de faire transiter vers la France à la même époque un nombre considérable de têtes de bétail.
Du 23 septembre 1843 au 7 juin 1844, c'est-à-dire en huit mois, 1,600 têtes de gros bétail hollandais ont été transportées en transit par notre chemin de fer.
Du 1er janvier au 7 juin 1844 (5 mois) 1,074 têtes de gros bétail ont transité, il est doute probable que ce chiffre se fût élevé à 2,500 têtes pour l'année entière si l'arrêté du 7 juin n'eût pas révoqué celui du 23 septembre précédent.
Ce chiffre est important ; il s'élève au cinquième de nos exportations de bétail vers la France en 1844.
Il est permis de croire encore que si le transit eût été maintenu, l'importation de bétail hollandais eût augmenté chaque année et que des relations suivies eussent été établies, probablement aujourd'hui nous serions exclus d'un marché où longtemps nous avons trouvé notre principal débouché.
Depuis la promulgation de la loi du 6 août 1849 le transit a été à peu près nul. Il a été de 181 têtes en 1850.
Mais faut-il en conclure que l'importation du bétail hollandais en France a été nulle aussi ? Je ne le pense pas. Qu'arrive-t-il en effet aujourd'hui ? Les droits d'entrée en Belgique sur le bétail sont insignifiants. Les marchands.au lieu de payer le droit de transit, acquittent le droit de douane, ils présentent ensuite le bétail sur nos marchés et exportent en France celui qui n'est pas vendu en Belgique. Ce fait explique jusqu'à un certain point le peu d'importance du transit et l'accroissement de nos exportations en 1850.
Mais il n'en sera plus ainsi, messieurs, si, comme je l'espère, les droits d'entrée sur le bétail sont portés à la hauteur du chiffre autorisé par le traité ; le transit alors deviendra important et le chiffre de nos exportations décroîtra chaque année ; bientôt le marché français sera perdu pour nous.
Mais, dira-t-on, le marché intérieur et le marché anglais vous restent. Sur l'un et l'autre de ces marchés, le bétail hollandais fait au nôtre une concurrence sérieuse. En 1850 nous n'avons exporté que 1,000 têtes environ de gros bétail (bœufs, etc.) en Angleterre qui reçoit à des conditions plus avantageuses le bétail hollandais.
Il en est de même d'une partie importante du marché intérieur, car les droits de douane à payer sur le bétail hollandais en destination pour la province de Liège atteignent à peine les frais de transport du bétail flamand vers ces mêmes localités.
Messieurs, je me résume et je termine. Je pense que le traité accorde à la Belgique quelques avantages industriels ; que sous le rapport commercial il n'en est pas de même ; enfin qu'il lèse gravement nos intérêts agricoles.
Toutes les concessions antérieurement faites à la Néerlande, non seulement sont maintenues, mais en lui garantissant le libre transit du bétail par notre chemin de fer, nous faisons une concession nouvelle aussi avantageuse à l'agriculture néerlandaise que nuisible à la nôtre.
C'est ainsi qu'en créant successivement par des traités un régime privilégié tantôt pour un pays tantôt pour un autre, nous nous trouverons dans l'impossibilité d'accorder à notre agriculture une protection réelle. La loi que nous ferions dans ce but serait sans effets par suite des nombreuses concessions exceptionnelles faites par les traités, car l'exception serait devenue le droit commun et le droit commun une exception inopérante.
(page 394) M. T'Kint de Naeyer. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir, se plaçant au point de vue agricole, a combattu le traité parce qu'il favorise le transit du bétail hollandais. Mon honorable ami, M. Delehaye, vous a fait voir, dans la séance d'hier, la véritable valeur de cette concession. La question du bétail, messieurs, se représente fort souvent, depuis quelque temps, dans nos débats ; et cela s'explique parfaitement, en présence du malaise très réel de l'industrie des éleveurs. A diverses reprises, j'ai engagé le gouvernement à rechercher les moyens de leur venir en aide d'une manière efficace.
Une enquête consciencieuse ferait tomber beaucoup d'idées fausses et nous serions peut-être amenés à reconnaître que des mesures douanières sont impuissantes pour améliorer la situation dont on se plaint.
Nos honorables adversaires, dans cette discussion, chercheraient sans doute, comme ils l'ont fait dans d'autres circonstances, à nous mettre en opposition avec nous-mêmes, à nous représenser comme invoquant tantôt les principes de la liberté, tantôt ceux de la protection. Nous n'avons pas de système. Je n'ai ni la prétention ni le désir de présenter à la chambre une théorie ; j'ai peu de foi, je l'avoue, dans les théories, de quelque côté qu'elles se produisent.
Je crois que, pour examiner le traité du 20 septembre, on doit le rattacher aux divers intérêts du pays et aux faits qui ont dominé les négociations, il faut demander aux intérêts ce que leur développement légitime exige, et aux faits ce qui est possible dans ces exigences.
Si le traité concilie ces deux termes de la question, son adoption ne saurait être sérieusement contestée.
Voyons ce que demande l'industrie : en général, une protection sage, éclairée, non celle qui est plus nusible aux uns qu'utile aux autres, mais celle qui permet au travail national d'exister ; pas de bouleversement, pas de mesures inintelligentes, pas de principes trop absolus ; l'élargissement du débouché extérieur ; c'est-à-dire un moyen de répartir les frais généraux sur une production plus considérable et, par conséquent, de vendre à meilleur marché.
Le traité, que fait-il ? Il maintient, renforce ou étend au profit du travail national les réductions de tarif qui nous ont été obtenues en 1846 ; il nous assure, dans toutes les éventualités, le traitement le plus favorisé.
Et ce point, messieurs, est très important, car ce n'est pas seulement avec la Belgique que la Hollande doit traiter ; elle a ouvert des négociations avec des pays qui sont nos rivaux en industrie ; il nous importait au plus haut degré d'empêcher que ces pays n'obtinssent sur le marché hollandais une position plus avantageuse que la nôtre.
L'intérêt en cause que représente notre débouché industriel sur le marché hollandais est de 21,739,000 fr. Il s'agit pour l'industrie linière du quart de ses débouchés à l'étranger, soit 2,437,080 fr. sur une somme totale de 9,499,823 fr. ; pour l'industrie cotonniere, de la moitié de ses débouchés, 5,134,110 fr. sur 9,595,187 fr. ; pour les tissus de laine, de 3,902,605 fr. ; pour la houille, de 3,316,000 fr. ; pour les fers forgés, clous, etc., de 2,449,000 fr. ; pour les verres à vitre, de 1,394,000 fr. ; pour les papiers, de 426,000 fr. ; pour les dentelles, de 295,000 fr.
J'omets les autres produits, tels que les acides, les bières, les porcelaines, dont l'exportation peu importante encore, semble devoir grandir grâce à de nouvelles réductions de tarif. Il y a là un résultat positif, certain, qui est à l'abri de toute controverse.
Et cependant, qu'il me soit permis de le faire remarquer, plusieurs de nos industries n'ont retrouvé qu'une partie des débouchés qui leur étaient garantis à l'époque où elles se sont élevées. On ne tient aucun compte de ces circonstances, on oublie que le marché de Java, la plus riche colonie du monde, nous était pour ainsi dire exclusivement réservée, et l'on nous reproche sans cesse la protection qui nous a été accordée.
Les relations lointaines sont utiles, il faut les encourager, mais ne serait-ce pas lâcher la proie pour l'ombre que s'exposer à perdre un marché qui touche au nôtre, où nous envoyons nos fabricats relativement sans frais, où les opérations sont promptement réalisées et où enfin, grâce aux relations formées et au goût des consommateurs, nous pouvons le mieux soutenir la concurrence avec nos rivaux ?
L'intérêt industriel devait donc peser de tout son poids, devait peser fatalement sur le traité, comme cela avait déjà eu lieu en 1846.
L'honorable M. Malou, dans son rapport, cédant à une préoccupation bien naturelle, sans doute, s'est principalement attaché à établir un parallèle entre le traité de 1846 et celui qui nous est soumis.
La comparaison devait être favorable au négociateur de 1846, mais l'honorable rapporteur ne s'est guère préoccupé des circonstances au milieu desquelles les négociations actuelles ont eu lieu ; il s'est encore bien moins inquiété des conséquences d'un rejet. Je disais que les circonstances ne sont plus les mêmes. Les nations qui marchent à la tête du commerce ont abandonné, en partie du moins, les mesures restrictives qui leur ont servi à conquérir le premier rang ; elles invitent les peuples à réformer un système dont elles ont été naguère les premiers et les plus ardents promoteurs et dont elles ont le plus habilement et le plus complètement recueilli les fruits.
En voyant les autres jeter au loin l'arme dont ils s'étaient si bien servis, la Belgique devait-elle suivre imprudemment, aveuglément l'exemple qui lui était donné ? Personne ne le soutiendra, et cependant il était facile de prévoir, que tout traité nous était désormais interdit avec les puissances dont je viens de parler, à moins de leur faire des concessions commerciales et de toucher à notre système de droits différentiels.
Avec les Pays-Bas il y avait d'autres complications ; plusieurs bases du traité de 1846 faisaient défaut.
La loi de 1844 a-t-elle atteint son véritable but, a-t-elle développé les intérêts généraux du pays à ce point qu'il soit même interdit de faire servir les accessoires à nous acheter des avantages selon moi infiniment moins contestables ?
Le haut commerce, comme le disait hier M. le ministre des affaires étrangères, n'a pas toujours été aussi favorable au système qu'il semble défendre aujourd'hui ; il y eut une époque où il réclamait la liberté, où il demandait la suppression des entraves qui gênaient ses mouvements à l'intérieur et à l'extérieur.
On disait alors que tout obstacle aux transactions libres entrave les combinaisons d'affaires, que les navires donnent la préférence aux ports où la législation est la plus simple, qu'ils s'éloignent de ceux qui sont soumis à une foule de lois exceptionnelles.
Les spéculateurs étrangers les plus habiles craignent de se tromper.
La loi de 1844 a été une espèce de transaction au profit du pavillon national. Cette loi a créé des intérêts très respectables sans doute, mais sous la réserve de l'intérêt supérieur du pays. La marine, messieurs, est-elle complètement sacrifiée, comme on essaye de le soutenir ? Fallait-il maintenir le statu quo, s'exclure des ports hollandais, et, ce qui est beaucoup plus important, des ports de l'Angleterre et de ses colonies ?
M. Coomans. - Nos navires ne vont pas en Hollande ; il n'y en a eu qu'un seul l'an dernier.
M. T'Kint de Naeyer. - Nos navires ne vont pas en Hollande, me dit-on ; mais rien ne nous dit qu'ils ne pourront pas y aller à l'avenir. D'un autre côté, n'y a-t-il pas une corrélation intime entre le traité des Pays-Bas et le traité avec l'Angleterre ?
Il faut donc envisager dans leur ensemble les avantages offerts à la marine, en compensation de quelques sacrifices qui lui sont imposés. Si l'on voulait traiter avec l'Angleterre, il fallait bien se résigner à faire les mêmes concessions aux Pays-Bas. Les intérêts étaient différents, mais les prétentions étaient naturellement les mêmes.
D'ailleurs, changeons-nous radicalement notre législation ? Enlève-t-on toute protection au pavillon belge ? Mais nous avons conservé les dix articles fondamentaux des droits différentiels ; nous obtenons en Hollande et en Angleterre une assimilation complète, cette assimilation nous ne la donnons pas.
Je n'ai pas la prétention de mieux connaître les intérêts des armateurs que les armateurs eux-mêmes ; mais cependant il me semble que tous les armateurs ne sont pas d'accord sur ce point.
Ainsi, à Ostende il y a aussi des armateurs, et je ne sache pas qu'aucune pétition émanant d'armateurs d's tende soit parvenue à la chambre. Je ne puis croire qu'il importe aujourd'hui aux armateurs de rester dans l'isolement. S'ils perdent quelques privilèges sur un marche restreint comme le nôtre, ils sont appelés à participer au grand mouvement (page 395) d'affaires de pays immenses d'où ils sont aujourd'hui complétement exclus.
La majorité de la section centrale a cru devoir rattacher l'examen du traité à la divination de la politique commerciale du cabinet.
Je ne la suivrai pas sur ce terrain ; je me bornerai aux actes connus. Accepter le cartel qui nous est offert des deux côtés au nom de la liberté des échanges, ce serait jouer un véritable rôle de dupe ; nous devons prendre de ce système ce que nous pouvons supporter, ce qui est réellement nécessaire pour assurer d'une manière générale notre prospérité et par conséquent notre indépendance.
Je ne pense pas, messieurs, que jusqu'à présent il y ait un ministre qui soit disposé à nous dire comme sir Robert Peel le faisait en 4846 : « Est-ce qu'un pays tel que le nôtre peut redouter la concurrence étrangère ? Qu'avez-vous à craindre ? Considérez vos avantages matériels, toutes les ressources de vos manufactures, les mines de charbon et de fer qui abondent sur votre territoire ; voyez ces avantages acquis ; vous avez un capital décuple de celui de toutes les nations. Que craignez-vous donc ? »
Je crois que nous avons un rôle plus modeste à remplir ; le bon sens nous conseille de ne rien improviser, de ne rien brusquer, comme le disait hier mon honorable ami M. Manilius, de sacrifier le moins possible. L'Angleterre, en réduisant la protection à ce qui se défendait déjà par soi-même ; les Pays-Bas en maintenant systématiquement pour ses colonies la protection poussée jusqu'au monopole, nous indiquent la voie que nous avons à suivre. En matière de réforme, les faits l'emporteront toujours sur les théories, si souvent les théories ne servent à masquer les faits.
Pourquoi, l'Angleterre, permettez-moi, messieurs, d'insister un instant sur ce point, pourquoi l'Angleterre a-t-elle aussi profondément remanié sa législation commerciale ?
Deux raisons l'y ont portée : la conservation, plus encore que le progrès.
La conservation, j'entends par là les efforts qu'un peuple doit faire au milieu des changements que le temps amène, pour maintenir les moyens de prospérité et d'existence qui lui sont propres. Assurer l'ordre à l'intérieur, diminuer le paupérisme, c'était évidemment empêcher les désordres, les changements qui bouleversent la société.
L'Angleterre est très riche en moyens de prospérité ; mais elle renferme aussi de nombreux éléments de dissolution. A côté de tant de grandeur et de puissance, il y avait un abîme ; cette vérité, les grands hommes d'Etat de l'Angleterre l'ont parfaitement comprise. Ils ont bien jugé la position de leur pays, celle des autres nations.
Ils en ont conclu ; que ce qui avait fait la prospérité de l'Angleterre à une autre époque ne suffisait pas pour soutenir l'édifice.
Que s'était-il passé, messieurs ? La science appliquée aux arts industriels, l'industrie en général avait fait des progrès extrêmement remarquables sur le continent. La vie y était à meilleur marché. Le coût de la fabrication devait nécessairement s'en ressentir. Là est la leçon que l'Angleterre a suivie.
Elle a cherché à rétablir l'équilibre là ou la balance lui était défavorable. En abaissant ses tarifs, en dégrevant ses matières premières, en diminuant les charges qui pesaient sur le peuple, l'abondance et le bon marché de toute chose était désormais assuré. Le continent devait en ressentir le contre-coup.
Lorsque l'on sait, messieurs, à quel point le paupérisme était arrivé en Angleterre, lorsque l'on sait combien il était urgent d'assurer la subsistance d'une population ouvrière aussi considérable, d'empêcher les révolutions qui pouvaient être la conséquence d'une perturbation générale dans les affaires, on comprend que sir Robert Peel n'ait pas hésité à rompre avez son vieux parti puisque le salut de l'Angleterre était en question.
L'Angleterre, messieurs, ne sacrifie jamais rien à un intérêt étranger. Mais elle s'arrête encore moins devant des intérêts privés, lorsqu'il s'agit de la prospérité du plus grand nombre. C'est ainsi que la loi sur les céréales a été rappelée, malgré les efforts de la propriété foncière ; c'est ainsi que l'acte de navigation a été aboli, malgré les armateurs.
L'avenir appartient à la concurrence. L'Angleterre voit parfaitement que c'est dans cette voie seule qu'il peut y avoir encore progrès pour elle. La concurrence sera la lutte des capitaux. Une nation qui a accumulé des capitaux immenses par le travail intérieur, par le travail de deux siècles, ne doit pas reculer sur le terrain du libre-échange ; elle ne doit pas reculer, parce que la liberté convient aux forts.
L'Angleterre ne pouvait plus rien gagner au statu quo, elle a donc ouvert ses ports, elle n'a voulu exclure personne du transport de ses fabricats, parce qu'à une époque où la concurrence est grande, où les bénéfices diminuent, les moyens qui permettent d'éviter les frais, ceux par lesquels on obtient une économie sur les transports, ont une importance extrême. Elle fait ce qu'elle peut, et elle le fera de plus en plus pour devenir le marché de tous les produits, de toutes les marchandises.
Telle est, messieurs, la politique qui a été suivie par l'Angleterre. Pour l'imiter, la Belgique doit-elle aussi consulter ses forces et son intérêt ? Ainsi, pour l'agriculture elle a pu se rallier à un système libéral, d'abord parce que c'était devenu plus impérieux par l'initiative même que l'Angleterre avait prise à cet égard, ensuite parce que l'agriculture belge, qui ne suffit pas aux besoins de la consommation du pays, peut recevoir, par d'autres moyens en dehors des tarifs, des compensations réelles. Ainsi pour le commerce et la marine, la réforme commerciale de l'Angleterre, encore une fois des nécessités nouvelles, l'agriculture, l'industrie, le commerce même commandaient de maintenir, de consolider et d'étendre les relations croissantes que la Belgique entretenait avec les Pays-Bas et avec l'Angleterre.
Des traités avec ces deux puissances étaient des nécessités évidentes et incontestables ; que fallait-il donc de plus à l'Angleterre ? Des compensations industrielles ! C'était livrer votre industrie à la concurrence la plus inégale.
Que fallait-il donnera la Hollande ? Des compensations commerciales puisque ce sont les seules possibles avec un pays qui n'est producteur que secondairement.
On aurait donc, d'une main, fait des concessions industrielles à l'Angleterre, de l'autre, des concessions commerciales à la Hollande : n'était-il pas plus sage d'accorder des concessions commerciales aux deux pays ? Cela me paraît juger le traité sur le terrain industriel ; ne vous le dissimulez pas, messieurs, ni vos forces, ni vos intérêts ne vous permettent l'abaissement de la protection. Aussi longtemps que les conditions de travail sont inégales, la lutte est impossible, l'un pays deviendrait victime de l'autre. Quoi que l'on puisse dire les faits font taire la théorie, la réalité enchaîne les principes, la concurrence intérieure est illimitée et la question du travail c'est celle de l'existence même des populations.
Je voterai, messieurs, pour le traité.
(page 398) M. de Liedekerke. - Messieurs, le discours prononcé par M. le ministre des finances, dans les séances des 26 et 27 novembre, a singulièrement agrandi ce débat. L'honorable préopinant a, en effet, attaqué tout notre passé commercial, il en a contesté les bons effets, l'utilité, et élevant sa réprobation jusqu'au système protectionniste tout entier, il l'a condamné en fait et en théorie. C'est là, messieurs, un acte grave, car un tel discours, partant du banc ministériel, venant d'un ministère qui occupe depuis quatre ans et plus le pouvoir, que la force des circonstances peut y maintenir longtemps encore ; un tel discours, qui n'est suivi d’aucun acte, d'aucune résolution qui met tout en question et qui ne résout rien, est fait pour répandre l'agitation dans toutes les classes du pays et pour y soulever les plus vives, les plus sérieuses inquiétudes. C'est là peut-être un nouvel art de gouverner ; mais, à coup sûr, je crois que ce n'est point celui que justifient ni les traditions gouvernementales, ni la sagesse du bon sens. Placés sur un tel terrain et en face d'une question aussi importante, provoqués, pour ainsi dire, directement par le discours de l'honorable ministre, il doit être permis à ceux qui ne partagent ni les opinions, ni les sentiments du ministère, d'expliquer à leur tour quelles sont les raisons de leur profond dissentiment.
Il y a longtemps, messieurs, que l'on traite les idées protectionnistes de vieilleries surannées, qu'on nous engage avec plus ou moins d'aménité à abandonner, parce qu'elles ne sont pas à la hauteur des idées nouvelles et qu'elles nous rendent impropres à l'avenir. Il y a longtemps que l'on dit que les idées protectionnistes ne sont conçues que dans un but d'égoïsme, afin de créer des privilèges et de les perpétuer. Eh bien, c'est là, dans ma conviction, une erreur profonde. Non, il n'est pas juste de dire que la protection soit à ce point entachée d'égoïsme. On se trompe quand on la représente comme un but ; car elle n'a jamais été qu'un moyen, celui de développer toutes les forces productives d'un pays, celui de mettre en relief toutes ses valeurs morales, matérielles et intellectuelles, et de vivifier toutes les semences de richesse que la Providence peut avoir mises en lui.
Est-ce qu'un pays, ainsi qu'un particulier, peut ne consulter que son intérêt, son bénéfice immédiat ? Ne doit-il point songer à son avenir ? Ne doit-il point ambitionner de se suffire autant que possible à lui-même et de consolider ainsi, tout à la fois, sa position matérielle et la dignité de son indépendance ? Je vous le demande à tous. Est-ce que les peuples sont nés à la même heure au progrès et à la civilisation ? Ne sont-ils point descendus dans cette grande voie à des époques diverses ? Est-ce que nous n'en voyons pas qui se sont élevés depuis longtemps au plus haut degré de richesse, de prospérité et de grandeur, tandis que d'autres en sont encore à d'humbles débuts et à d'obscurs commencements ?
Eh bien, messieurs, quel rôle joue ici la protection ? Elle intervient pour combler cette distance, pour racheter cette différence ; elle est, pour ainsi dire, le salaire de l'éducation industrielle d'un peuple, le principe tutélaire à l'abri duquel les peuples attardés dans la carrière de la civilisation atteignent ceux qui les y ont devancés.
On vous parle de système naturel, de loi naturelle, on vous parle du laisser faire du laisser passer, qui n'est, après tout, que le fatalisme appliqué à l'économie politique. L'école, la théorie nous dit : Achetez partout où vous trouvez au meilleur marché ; laissez donc toute liberté aux échanges.
Mais qui donc est resté fidèle à ce système naturel, quel peuple l'a appliqué ? Sera-ce l'Angleterre ? Est-ce en vertu du système naturel et des pures lois de la nature que l'Angleterre, qui fabriquait des cotonnades en 1785 pour une valeur de 23 millions, en fabriquait 30 années après pour une somme de plus de 700 millions ? Pourquoi donc, si l'Angleterre fabrique des cotonnades, l'Allemagne et la Belgique n'en fabriqueraient-elles pas au même droit ? Ne peuvent-elles se procurer au même titre la matière première ? Est-ce que le travail de leurs ouvriers ne vaut pas le travail des ouvriers anglais ? Est-ce que la houille, le fer, la vapeur, les machines, tous les grands éléments de l'industrie, ne deviendront pas des instruments aussi productifs entre leurs mains qu'entre celles de l'étranger ?
Le nier, le contester, ce serait faire injure aux droits, à la vocation de tous les peuples, ce serait méconnaître leur dignité, et les dons que la Providence leur a départis.
On ne cesse de nous offrir le plus touchant tableau des charges et des sacrifices qu'on impose aux consommateurs ; comme si l'intérêt du consommateur et celui du producteur n'étaient pas synonymes et ne se confondaient pas ? Comme si la protection qui est accordée au producteur lorsqu'elle est sage, éclairée, raisonnable, ne tournait pas au profit de l'ouvrier industriel !
Est-ce que les pays dont les productions sont les plus variées et les plus abondantes, ne sont pas les plus prospères ? Est-ce que les contrées, même douées de grandes richesses naturelles, lorsque leur production est bornée, ne sont pas les plus pauvres ? Mais comment voudriez-vous qu'un pays placé à côté d'une nation qui a des fabriques infinies, qui a des capitaux abondants et à bon marché, des débouchés assurés, une marine immense, un génie industriel prodigieux, comment serait-il possible qu'il se développât et grandît ? Sans protection, renoncez-y à jamais, car le géant tuerait l'enfant.
On a souvent accusé l'agriculture d'être entichée de la protection, d'être disposée à la réclamer sans cesse. C'est là une de ces banalités qu'on fait accepter à force de les répéter, mais c'est une grande erreur. L'agriculture, dans la situation naturelle et normale des choses, n'a pas besoin de protection.
Les produits du sol, les fruits de l'agriculture, peuvent se passer de protection ; il n'en est pas qui se balancent mieux par les besoins de la consommation. Ils se placeront aujourd'hui, ils se placeront demain, avec plus ou moins d'avantage, à des prix plus ou moins élevés ; mais il sera bien rare qu'ils ne trouvent pas à s'employer.
La protection, qui l'a demandée dans tous les pays, à toutes les (page 399) époques ? Qui la réclame ? C'est l’industrie ; car elle doit faire l'avance ds grands capitaux ; elle est excuse à des risques immenses, à une concurrence redoutable, à des éventualités pleines d'angoisses ; elle doit constamment aspirer à de nouveaux progrès ; elle le doit pour se tenir au niveau des autres nations, et elle ne peut les accomplir en présence d'une supériorité souvent avérée que lorsqu'elle est suffisamment abritée. On payera peut-être les fabricats, pendant un temps, un peu plus cher, je le concède ; mais bientôt, soyez-en convaincus, la concurrence intérieure ramène les prix au taux des profits communs. Sans doute par une conséquence juste, naturelle, à l'évidence de laquelle nul ne peut se refuser, l'agriculture acquiert des droits à une protection raisonnée, variable, et sous certaines réserves, elle peut prétendre aux mêmes faveurs qui sont accordées aux autres grands intérêts nationaux. Messieurs, on a dépeinl l'intétêt agricole et l’intérêt industriel comme étant ennemis l'un de l'autre. Ce n'est pas ma manière de voir. Non, messieurs, ces deux intérêts ne sont pas ennemis ; l'intérêt agricole, cette grande branche de la propriété publique, l'intérêt industriel et manufacturier sont faits pour s'entendre.
Quel est le plus grand consommateur des produits manufacturiers et industriels ? N'est-ce pas l'agriculteur ? Quel est pour lui le marché le plus important, celui qu'il faut sauvegarder avant tout ? C'est votre marché intérieur. Et à son tour, que fait l'industrie ? Elle accumule etl fait circuler les capitaux, elle creuse les canaux et trace les routes, elle hausse la valeur de toutes les propriétés ; elle accroît la population et par là même la consommation, et augmente ainsi le prix de la terre.
C'est donc par l'union, la marche harmonieuse de ces deux eminentes branches de la richesse publique que se développent la grandeur et la prospérité d'une nation.
C'est pour cela que depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, c'est pourquoi j'ai toujours combattu comme je combattrai énergiquement à l'avenir le système dangereux, aviugle, qui les divise, qui les excite l'un contre l'autre, créant un régime pour l'industrie, et un autre régime, d'autres lois pour les intérêts fonciers.
On me demande : Où donc s'arrête la protection ? quelles limites lui tracez-vous ? Quelles bornes je lui assigne ? Ce sont celles que la nature elle-même lui a imposées, et qui sont infranchissables, celles qui naissent de la spécialité des qualités et des aptitudes du sol et du climat.
C'est ici en effet qu'éclate dans toute sa grandeur l'œuvre de Dieu. On vous parlait il y a un moment de la concurrence pour les exportations vers les contrées lointaines.
Eh bien, c'est ici que se manifeste dans toute sa force le principe que j'avance. Dans les régions enflammées où l'homme vit sous l'ardeur desséchante des tropiques, il n'a ni le courage de l'activité, ni le sentiment du travail ; il se contente d'y guider la nature assez fertile pour centupler ses passagers efforts... Mais dans les régions tempérées que nous habitons, l'homme doué du sentiment de sa dignité, de l'activité de la pensée, de la vivacité des conceptions, plein de persévérance et d'ardeur, multiplie ses efforts et se livre à ces luttes admirables, d'où naissent les progrès de la civilisation, sa prospérité, et le bien-être de l'humanité.
J'appelle l'attention de la chambre sur cette distinction ; car cette division du globe tend à se marquer et à se consolider de plus en plus. Tandis que la puissance industrielle et la richesse manufacturière de l'Europe et des contrées placées sous des latitudes similaires, grandiront journellement, que leurs produits se mulplieront pour être consommés par des peuples lointains et indolents, ceux-ci nous fourniront en échange ces matières et ces denrées coloniales, qui servent aux jouissances des classes riches, à la consolation et au soulagement des classes pauvres ! Voilà ce qui résulte de l'observation des faits. C'est que, partout où l'industrie s'est développée, la consommation des denrées s'est accrue dans une proportion analogue.
Et, messieurs, pouvons nous espérer d'entrer tous aux mêmes conditions dans cette lice, ouverte à l'activité de l'univers ? Non, messieurs, et c'est pour cela que des lois sages, protectrices, doivent, autant que possible, égaliser toutes les conditions ; c'est pourquoi, il ne faut pas non plus si facilement déserter nos échanges, ncs rapports, nos relations directes ; il ne faut pas surtout les sacrifier à des intermédiaires qui, s'ils le pouvaient, finiraient par effacer notre nom de la carte géographique, nous plongeraient dans un oubli,où se perdrait jusqu'au sentiment de votre décadence !
Messieurs, l'honorable ministre des finances, vousa tracé dernièrement un tableau brillant de la situation de l'Angleterre et de ses colonies, de l'accroissement de leur population, du développement fabuleux de leurs richesses.
J'avoue que j'ai été singulièrement surpris d'entendre citer l'exemple de l'Angleterro, pour soutenir les doctrines du libre échange ; car s'il est un pays qui ait pratiqué avec une sévérité extrême le système de la protection et même de la prohibifinn, c'est assurément l'Angleterre.
Depuis les temps les plus reculés, elle l'a pratiqué avec une constance et une énergie infatigable. Ainsi elle demandait sous Edouard III à l'Espagne des troupeaux de moutons, et peu après, elle défendait l'importation des laines espagnoles ; plus tard, elle attirait chez elle des ouvriers flamands pour la fabrication des draps, et dès que cette industrie eut jeté quelques racines chez elle, elle excluait les draps étrangers et condamnait ses habitants à se vêtir d'étoffes indigènes. En 1720, au dire d'Anderson, lorsque son commerce commençait à se déployer et que ses possessions dans les grandes Indes prenait de l’extansion, elle défendait à ses négociants.et à ses armateurs d'importer des cotonnades en Angleterre, afin de stimuler chez elle cette même industrie.
Plus tard, quand il s’est agi de l’industri des toiles, indistrie récente, de quelle protection ne l’a-t-elle pas entourée ? J'ai ici sous la main la série des mesures, des lois, des droits, de primes qu'elle accordait à cette industrie, qu'elle voulait créer, implanter chez elle. Je vous en épargne l'inventaire, mais s'il passait sous vos yeux, vous y trouveriez le raffinement de la protection.
Il en a été de même des soieries. On vous a parlé du système de navigation de l'Angleterre, eh bien, elle en a maintenu les rigueurs pendant deux siècles ; elle a persisté pendant tout ce temps dans ces lois si exclusives ; elle ne s'est pas bornée à en faire une expérience de 4 ou 5 ans, elle n'a pas bafoué les lois à peine décrétées dont on n'avait pu, faute de temps, apprécier la valeur.
Pourquoi a-t-elle aboli la loi de navigation qu'elle avait maintenue pendant deux siècles et qui, en 1850, lui donnait non un tonnage de 3 ou 4 millions de tonneaux, mais de 12,400,000 tonnes, le plus puissant par conséquent de l'univers ? Parce qu'elle y était contrainte par des faits nouveaux.
Cependant, à l'heure qu'il est, les doutes sont très grands en Angleterre sur la valeur de cette mesure. Le salaire des ouvriers avait baissé.
Je vous signale ce fait qui, au point de vue des classes ouvrières, dont certains hommes politiques voudraient trop souvent se réserver l'exclusive défense, est assez curieux, c'est que depuis l'abolition delà loi sur les céréales, les salaires des ouvriers sont plus faibles, de sorte que le profit de l'abaissement du prix de la nourriture n'a, en définitive, tourné qu'au seul avantage des grands manufacturiers. Le travailleur n'en a point bénéficié, du moins pas généralement.
Après avoir vu tomber le prix des matières premières, l'Angleterre est au moment d'abolir les droits différentiels sur les bois venant de ses colonies. Elle, leur a encore, vous savez, donné la liberté du commerce, et par une conséquence rigoureuse il a fallu aussi leur accorder la liberté de navigation. L'une était impossible sans l'autre.
Est-ce que M. Huskisson, cité dans le discours de M. le ministre des finances, a suivi une autre loi que celle des faits ? Ainsi, quand il a diminué la protection immense dont jouissait la fabrication des soieries, que disait-il aux fabricants ?
Vous avez joui d'une protection assez longue, mais désormais trop considérable, qu'on peut ramener à un chiffre moins élevé sans que votre industrie périclite, sans qu'elle doive craindre de succomber devant l'étranger.
Ce qu'il avait prévu est arrivé ; l'industrie des soieries n'a pas souffert, et grâce à de nouveaux efforts, elle s'est maintenue, conservée intacte. Sir Hubert Peel lui-même, qu'a-t il fait ? Mon Dieu ! il a suivi en 1842, en 1846 la maxime que les ministres de George 1er plaçaient dans sa bouche, « que rien ne contribue autant au développement 4c la richesse publique que l'exportation des objets manufacturés, l'importation des matières premières et l'exclusion des fabrieats étrangers. » Il a aboli les droits qui frappaient les matières premières et les substances alimentaires ; il a conservé ceux qui atteignaient la consommation du riche, les eaux-de-vie, les boissons distillées et les tabacs.
Il a sans doute, après cent ans d'une vie industrielle puissante, réduit les droits sur quelques produits manufacturés étrangers, mais il a maintenu un tarif où figurent bien des droits protecteurs sur les soieries, les velours, les bronzes, les cristaux ; partout enfin où la concurrence n'était plus à craindre, il a effacé des droits inutiles. Il les a maintenus là où ils paraissaient nécessaires.
L'Angleterre a fait un raisonnement fort simple, très judicieux, que tout peuple, dans sa position privilégiée, eût pu faire : elle s'est dit que ses progrès dans l'industrie étaient tels, que nul ne pouvait, pour le moment, rivaliser avec elle, que dès lors la protection avait atteint son but. Placés sur ce terrain, nous proclamerons le free-trade, nous demanderons aux autres nations d'ouvrir leur marché à nos fabricats inférieurs, ceux qui conviennent aux classes populaires ; nous inonderons ainsi leurs marchés, nous arrêterons la plupart des industries indigènes, et nous prendrons en échange, à notre goût, selou nos convenances, quelques-uns de leurs produits naturels.
Voilà ce qu'est la doctrine du free-trade dans la bouche de l'Angleterre, et au fond de ce système, je ne vois qu'un piège plein d'artifice dont les nations du continent ne tarderaient pas à être victimes !
Messieurs, les théories n'ont de valeur que quand elles s'appuient sur des faits. Il n'est donc pas sans utilité de jeter les yeux sur quelques faits concernant tes nations nouvelles, en industrie du moins. Il y a vingt-cinq ans, l'Allemagne ne pouvait pas être considérée comme une nation industrielle ou manufacturière, elle était divisée par une infinité de douanes et de frontières industrielles. Un jour, elle comprit ses intérêts, effaça ses frontières, renversa ses douanes, afin de se constituer plus fortement vis-à-vis de l'étranger et de diminuer les frais de la consommation intérieure.
Comme principe commercial, industriel, elle adopta celui de défendre ses produits indigènes, les fers, la houille, les draps, les cotonnades contre les produits similaires étrangers. L'Angleterre s'en est effrayée ; elle est venue lui due : Prenez mes draps, mes cotonnades, moi je prendrai vos bois, vos céréales, vos vins. L'Allemagne a refusé ; elle n'a pas accepté ce marché. Qu'en est-il résulté ? Grâce à la protection, son industrie, ses manufactures se sont développées, et son ascendant industriel est tel qu'elle est, à l'heure qu'il est, considérée comme la troisième puissance industrielle du monde.
La fabrication des draps, du fer, des tissus de laine, des scieries, des cotonnades a pris un accroissement prodigieux, et le ministre (page 400) Angleterre, Abercromby, constatait que depuis le Zollverein la consommation des cotonnades anglaises sir es grands marchés de Leipzig, de Francfort, avait, dès 1839, diminué de plus d'un tiers, tandis que les revenus des douanes n'ont pas cessé de s'accroître. De 56 millions qu'ils étaient en 1834, ils se sont élevés à 96 millions en 1843. Je ne veux pas fatiguer la chambre d'autres chiffres bien plus concluants, je les abandonne.
Maintenant si l'Allemagne n'avait pas adopté et ces sages défenses, qu'en serait-il résulté ?
Elle eût exporté ses céréales, ses bois, ses vins ; mais bientôt elle se serait trouvée en lutte avec les produits de la Bamtique et de la Pologne et quelquefois avec les blés d'Odessa, et l'Allemagne verrait régner chez elle, en souveraine absolue, l'Angleterre important chez elle tous ses produits industriels et manufacturés.
Assurément cela n'eût pas été favorable à sa richesse.
Il y a un autre pays sur lequel le libre échange fondait ses plus chères espérances. C'étuit un pays libre nouveau où l'on pouvait introduire et réaliser tel système qu'on voulait, pays riche, industriel, démocratique et républicain, ce qui n'est pas toujours peut-être ce qu'il peut y avoir de mieux pour la liberté sérieuse.
Eh bien, messieurs, toutes les fois que l'Amérique a voulu appliquer les principes de liberté de commerce, le free-trade de vos prédilections, le thermomètre de sa richesse a baissé tandis qu'il s'est relevé quand elle est revenue au système de protection. Aussi à différentes époques en 1789, en 1804 et en 1816, elle a diminué, haussé, baissé de nouveau ses tarifs pour en revenir enfin à un système éminemment protecteur.
Dans le dernier discours prononcé par le président, on a vu qu'il considérait le système protecteur existant aujourd'hui comme la sauvegarde de la prospérité américaine. Et si l'Angleterre conçoit pour son avenir quelques appréhensions, c'est de ce côté, croyez-le, que naissent ses craintes les plus sérieuses.
Messieurs, ce qui m'a le plus frappé dans l'exposé des motifs, dans le discours prononcé par M. le ministre des finances, c'est qu'après avoir trace un brillant tableau de la situation de l'Angleterre et de la Hollande, il n'ait pas dit un mot de notre pays. Il y avait cependant des détails assez intéressants à nous donner sur les développements que le commerce et l'industrie avaient pris de 1815 à 1830 et de 1830 à 1850.
L'honorable ministre des finances avait attaqué tout notre système industriel et commercial, il l’a incriminé et rendu même responsable d'une foule d'industries secondaires qu'il aurait éveillées dans le pays.
Il semblerait que tout ce passé, toutes ces lois si sages, promulgués en présence des sollicitations directes des grands intérêts du pays, fût un vain ou futile ouvrage !
Mais que veut le ministère ? Veut-il que nous renversions nos douanes, nos barrières et toute protection ? Veut-il nous ramener vers l'ancien système hollandais ? C'est lui cependant qui, il y a trente ans, ne l'oublions pas, divisa si profondément les provinces du nord et celles du midi ; c'est ce système dont l'honorable rapporteur disait dans son remarquable rapport, que tous les députés du nord avaient voté pour lui tandis que tous ceux du midi l'avaient repoussé. C'est ce système qui, triomphant dans la nuit du 30 avril, faisait dire à l'un des plus éloquents, des plus courageux défenseurs des intérêts belges, qu'on voulait « froidement consommer le fratricide de la vieille et loyale Belgique. »
A quoi tendait alors la Hollande ? Elle visait à tout immoler à son intérêt commercial. L'intérêt commercial, à cette époque du moins, était un intérêt national, entendu sans doute d'une manière bien exclusive ; mais enfin c'était un intérêt national. Aujourd'hui à quoi nous conviez-vous ? Vous nous conviez à tout sacrifier à l'intérêt de l'étranger. Mais le roi Guillaume lui-même avait si bien senti la faiblesse, l'impuissance de ce système pour le royaume des Pays-Bas, qu'il n'a point tardé à protéger les houilles, les fers, les cotonnades. Il avait, par une loi du 20 août 1823, prohibé quelques-uns des produits les plus importants de la France et frappé plusieurs autres d'un droit élevé.
En 1824, il avait constitué, dans l'intérêt industriel, manufacturier et commercial de ce pays, le privilège colonial. Voilà ce que le roi Guillaume avait fait pour porter remède à une législation si préjudiciable et si dangereuse pour les intérêts des provinces méridionales du royaume. Tout cela, messieurs, a disparu en 1830 ; à cette perte d'un marché colonial, à cette perte d'un marché intérieur plus considérable, sont venus se joindre les désastres inévitables qui se rattachent à toute révolution. Vous étiez, après 1830, libres de constituer tel régime économique et douanier que vous vouliez ; vous aviez pleine liberté ; eh bien, quelque homme public, quelque parti politique, quelque intérêt est-il venu reclamer le libre échange ?
Est-ce qu'une seule voix a demandé, dans l'intérêt du pays, d'établir ou de fonder le free-trade ? Eh non, messieurs, et les lois qui ont été promulguées depuis lors, les lois de 1831, les lois de 1834, de 1835, de 1838, toutes celles qui sont dues en un mot à l'ordre des idées matérielles indiquent le besoin u'une protection sage, éclairée et libérale.
Messieurs, nous avons entendu hier un honorable députe de Gand ;.aujourd'hui nous avons entendu un autre représentant de la même localité ; est-ce que ces honorables représentants de la grande et industrieuse cité de Gand seraient disposés à abandonner la protection ?
N’est-ce point elle qui a fait grandir et progresser leur industrie cotonnière ? N'est-ce pas la protection qui l'a fécondée ? Avant la loi continentale, avait-elle quelque valeur ? Ne se bornait-elle pas alors, ainsi que Mulhouse, aux impressions des tissus ? Avait-elle jamais songé à faire en grand les fils et les tissus de coton ? Cette grande industrie n'a-t-eîle pas beaucoup souffert après 1815 ? Sa prospérité ne s’est-elle pas relevée grâce surtout aux importations privilèges qu'elle faisait dans les colonies ? Est-ce que, après 1830, vingt-cinq députés de la représentation nationale, constatant la détresse de la fabrication cotonnière, ne demandaient pas avec énergie une protection plus élevée pour elle ?
Est-ce que M. Nothomb ne l'a pas reconnu lui-même plus tard ? N'a-t-il pas fallu introduire, au profit de cette industrie surtout, la loi de 1843 sur la répression de la fraude ? N'a-t-il pas fallu augmenter la protection pour certains tissus imprimé en 1844 ? Ainsi, vous le voyez, cette branche de la production nationale a constamment demandé ïa protection, n'a pu vivre que par elle.
M. Coomans. - Et l'estampille.,
M. de Liedekerke. - Je vous abandonne l'observation, mais elle ne fait que renforcer mes paroles.
Est-ce que l'industrie métallurgique est prête à abandonner les avantages dont elle jouit ? N'a-t-il pas fallu porter de 2 fr. 50 à 5 fr. la protection donnée à la fonte des fers en gueuse ? Est-ce que les propriétaires de hauts fourneaux, consultés, seraient disposés à renoncera cette faveur ? N'a-t-il pas fallu prohiber l'importation de la mitraille de fer, parce qu'on introduisait de la fonte étrangère déguisée sous l'apparence de mitraille ? Et cependant l'industrie métallurgique fait d'incessants, de nombreux progrès ; et ses produits ne sont inférieurs à aucune fabrication étrangère. Et elle a raison, cette grande et intéressante industrie, car elle a affaire à des concurrents redoutables, et chaque jour les débouchés européens se resserrent pour elle.
La main-d'œuvre chez nous est inférieure à la main-d'œuvre de l'ouvrier anglais ; les minerais, moins abondants, sont parfois d'une qualité supérieure aux minerais de l'Angleterre ; ils équivalent souvent à ceux de la Suède. Eh bien, malgré ces avantages, nous ne pouvons pas lutter avec les fabricats de fer inférieurs de l'Angleterre ; pourquoi ? Parce que la métallurgie anglaise est dans des conditions de production supérieures aux nôtres. Ainsi, le fer et la houille y sont la plupart du temps à côté l'un de l'autre, le minerai et le combustible sont presque confondus, et l'on trouve réunis dans les mêmes bassins tous les éléments de la fabrication, le calcaire qui sert de fondant et l'argile réfractaire.
Enfin, les moyens de transport ont pris un développement incroyable, notamment dans le grand bassin du pays de Glascow et de Galles. Rien n'est plus admirable que la rapidité, la facilité et le bon marché de la circulation que l'association industrielle y a fondée à son profit. Dans notre pays, au contraire, les frais de transport figurent pour une part infiniment trop forte dans les frais de revient.
Admettez un instant la liberté, ou du moins une imprudente modération du droit ; permettez aux fers anglais de pénétrer sur votre marché ; savez-vous ce qui arrivera ? Vous allez le voir. Vous savez que la production industrielle de l\Angleterre est quelque chose de prodigieux ; vous n'ignorez pas que l'industrie anglaise accumule souvent forcément dans ses magasins des réserves immenses ; c'est ce qu'on nomme over-slock.
Eh bien, à certains moments donnés, elle veut absolument se débarrasser de ces approvisionnements, et elle est prèle à exporter à 20, 30 et 40 p. c. de perte.
C'est une crise, mais elle la préfère à l'encombrement qui la gêne. Consentez donc à une réduction de droit, que s'en suivra-t-il ? C'est qu'on inondera le pays de produits anglais et que nos grandes industries, le fer, la houille, seront sinon renversées, du moins singulièrement ébranlées !
Permettez-moi de vous citer un exemple qui est à ma connaissance, qui est emprunté à ma province.
Il s'était établi dans le Luxembourg deux fabriques de fil de fer ; mais comme on n'y faisait pas tous les numéros et qu'elles ne satisfaisaient qu'imparfaitement à la consommation, pour cette raison, puis faute d'une protection suffisante, elles succombèrent. Ailleurs, il s'éleva une autre fabrique du même genre, à Couvin ; elle faisait tous les numéros de fil de fer ; elle travaillait avec une admirable perfection ; et elle vendait à 5 p. c. au-dessous du prix des produits similaires anglais.
Eh bien, l'industrie anglaise, qui sait très bien ce qui se passe dans les autres pays, s'aperçut de la concurrence, et savez-vous ce qu'elle fit ? Elle nous inonda de produits similaires à 25 p. c. au-dessous de son prix de revient, et cette fabrication belge fut anéantie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est assez fortl !
M. de Liedekerke. - C'est parce que c'est assez fort que je le cite.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a une seule tréfilerie en Belgique, et elle soutient très bien la concurrence anglaise.
M. de Liedekerke. - Je répète qu'il y en avait une à Couvin, et qu'elle a succombé parce que, bien qu'elle vendît ses produits à 5 p. c. au-dessous du prix, elle n'a pas pu soutenir la concurrence de la manufacture similaire anglaise qui vendait à 25 p. c. au-dessous du prix. (Interruption.)
Je m'étonne de l'interruption ; je cite un fait, je dis que des faits semblables peuvent se reproduire, qu'ils se reproduiraient infailliblement. Une autre tréfilerie s'est établie, c'est possible.
Les conditions de son établissement sont meilleures peut-être, elle se (page 401) trouve jointe à d'autres industries, mais le fait que j'ai cité ne saurait être contesté. Cela peut exciter quelques sourires aux bancs des ministres. Mais ce qui est positif, c'est que ces faits ne sont pas acceptés si gaiement par les grands manufacturiers, les industriels qui sont engagés dans d'importantes fabrications et dans l'industrie métallurgique. Ils en connaissent les dangers, et je suis convaincu que si l'on interrogeait les propriétaires de hauts fourneaux, les administrateurs des établissements métallurgiques, il n'en est pas un seul qui ne vous sîgnalât le danger d'ouvrir vos ports aux fers anglais ; ils vous diront que la puissance de fabrication de l'Angleterre est telle qu'à un moment donné, elle peut inonder de produits similaires un pays aussi rapproché d'elle que le nôtre, et suffoquer ainsi vos industries et vos manufactures !
On parlait hier de la houille. Mais il n'est pas douteux que les villes du littoral, que les Flandres, que Gand peut-être peuvent parfaitement recevoir les houilles anglaises. Elles y trouveront de l'avantage. La houille anglaise pénétrera dans notre pays ; elle s'y avancera jusqu'à la limite où le prix des transports devenant trop élevé et grossissant son prix de revient, elle ne pourra plus se débiter en concurrence avec la nôtre. J'admets ce fait ; je le veux bien. Mais quelle en sera la conséquence ? N'aurez-vous pas, en admettant la houille anglaise, énervé votre industrie houillère ? N'aurez-vous pas découragé les industriels qui ont de grands capitaux enfouis dans cette exploitation si difficile, si dispendieuse ? Ignorez-vous que cette industrie indigène qui produit pour 50 millions de valeurs, et qui a le grand tort de ne donner que 210,000 fr. au trésor, se sentira affaiblie dans son essor ?
Eh bien, que peut-il arriver dans l'avenir ? A quoi serez-vous exposés ? Je vais vous le dire.
Lorsque sir Robert Peel, en 1846, a introduit son système du libre échange, il a maintenu un droit d'exportation sur la houille anglaise. Qu'un jour l'Angleterre s'effraye pour son industrie et pour ses propres manufactures de l'exportation trop considérable de ses houilles, elle les frappera d'un droit plus élevé à la sortie. Qu'il éclate une guerre ou qelque autre cause qui atteigne les exportations maritimes, la houille se payera à un prix exorbitant ou elle n'arrivera pas.
L'industrie indigène qui doit suffire au besoin de la consommation, ne le pourra plus, ou elle se fera payer très cher et ce sera fatal pour vos industries et pour tous les consommateurs.
Vous le voyez, quand on discute l'utilité des lois économiques, il faut calculer les chances de l'avenir.
Permettez-moi de vous lire l'extrait d'une note qui m'a été remise par un grand industriel qui est à la tête d'une manufacture n'employant pas moins de mille ouvriers.
Permettez-moi de vous lire cet extrait que l'on ne taxera pas sans doute d'avoir le tort d'une invention de mon imagination. C'est un homme pratique qui parle sur des faits qui lui sont connus, qui dirige d'immenses capitaux engagés dans une importante industrie. Eh bieu, que dit-il ?
« Il serait plus vrai de dire que c'est la conviction d'une continuation de protection constante et prolongée pour la consommation intérieure qui a encouragé les fabricants belges à faire des efforts et des sacrifices pour se créer des relations à l'étranger et à mettre leur fabrication sur un pied assez avantageux pour soutenir la concurrence à l'extérieur.
« Si la Belgique ne jouissait pas de droits suffisamment protecteurs et qu'elle eût à soutenir à l'intérieur la concurrence que les grands pays lui font à l'extérieur où elle ne jouit d'aucune faveur spéciale, son commerce d'exportation, au lieu d'augmenter, s'amoindrirait certainement.
« Quelques personnes, dans de bonnes intentions sans doute, parlent sans cesse du libre échange ; c'est son esprit qui les domine. En l'acceptant comme elles l'entendent, c'est-à-dire en laissant tout entrer sans exiger que ceux dont on admet les produits admettent aussi les nôtres aux mêmes conditions, on ne tardera pas à reconnaître que, pour les industries principales, il n'y a pas d'existence possible en Belgique. »
J'ai l'avantage d'exciter les sourires d'un de mes honorables collègues que nous connaissons comme un des défenseurs les plus ardents, les plus constants et les plus logiques du libre échange. Mais l'honorable membre me permettra de lui dire que si j'ai le plus grand respect pour ses connaissances et pour son expérience pratique qui ne l'est pas cependant quant au free-trade dont l'honorable membre n'a pas expérimenté les douceurs, je puis aussi avoir les plus grands égards pour l'opinion d'un grand fabricant, d'un industriel important qui est à la tête de vastes intérêts, et qui peut connaître quelle est la valeur, quelle est la portée de la protection nécessaire pour pouvoir soutenir la concurrence contre l'étranger.
Messieurs, j'aborde la discussion du traité.
Une considération me frappe d'abord, c'est que c'est à l'occasion de l'article du traité fait avec une puissance étrangère que l'on nous propose de bouleverser, le mot n'est pas trop fort, toute notre législation commerciale. C'est là véritablement quelque cliose d'inouï. Est-ce que d'autres pays ont donc procédé d'une manière si bizarre, si étrange ?
Est-ce que la Hollande a attendu qu'elle eût un traité avec vous pour innover dans sa législation commerciale et pour y introduire des modifications profondes ? Non, messieurs, la Hollande a commencé par discuter, par approfondir ses intérêts, par changer sa législation au point de vue de ses besoins nationaux, de ses intérêts généraux, et ces modifications introduites, elle a dénoncé les traités qu'elle croyait nuisibles, puis elle s'est engagée dans des négociations avec l'étranger.
Mais dans quelle situation placez-vous la chambre par la conduite que vous avez adoptée ? Si elle veut conserver toute sa liberté, il faut qu'elle refuse le traité qui lui est proposé. Car le jour où elle aura accepté le traité maintenant soumis à nos délibérations, elle se sera liée aux modifications, aux changements radicaux que le gouvernement veut introduire dans notre système commercial. Eh bien, je dis que c'est là saper l'indépendance parlementaire, que c'est empêcher les intérêts divers qui sont engagés dans cette question, de faire entendre leurs réclamations et la voix de leurs intérêts !
Comment ! vous avez négocié pendant six, pendant huit mois avec la Hollande, et pendant tout ce temps, vaus n'avez pas mis le pays une seule fois à même de délibérer sur ses propres intérêts ! Pendant huit mois vous n'avez pas pu saisir le pays ou le parlement d'un projet venant modifier la loi dans le sens que vous déclarez aujourd'hui, soudainement, à l'improviste, non seulement nécessaire, mais urgent ! Comment ! il s'agissait de l'intérêt de votre principale métropole commerciale ; son avenir était mis en jeu, et vous ne l'avez pas consultée une seule fois ! Je me trompe, je rectifie mon assertion, on l'a consultée, savez-vous sur quoi ? Sur l'assimilation des briques hollandaises et des briques belges.
Messieurs, le traité de 1846 concerve à la Hollande tous ses avantages et tous ses privilèges. Mais ceux de la Belgique sont affaiblis et étrangement réduits.
J'écarte la concession qui avait été faite et qui est conservée sur le bétail, la concession qui avait été faite sur les céréales. Mais le traité de 1846 concédait à la Hollande l'importation de 7 millions de kilogrammes de café au droit des provenances directes sous pavillon belge et de 180,000 kilogrammes de tabac. Il y avait une exception pour les bois sciés et non sciés venant du Zollverein, pour le sucre venant des Indes orientales, et enfin il admettait à un droit de faveur 17 ou 18 articles qui étaient frappés de droits différentiels.
Mais, messieurs, ces faveurs semblaient bien insuffisantes à la Hollande. Car, d'après l'exposé des motifs hollandais, que voyons-nous ? Je cite textuellement les paroles :
« Ils restaient dans une position sensiblement défavorable, par rapport à l'importation directe sous pavillon belge des pays de production. »
Messieurs, c'était une immense faveur accordée à la Hollande que de mettre les entrepôts hollandais sur la même ligne pour certains produits que les pays de production. C'est une concession contraire aux grandes règles commerciales ! Assimilez, si vous le voulez, les pavillons ; allez jusque-là si vous êtes décidé à ravir au pavillon national toute protection, mais conservez intact, au nom des intérêts généraux, le commerce direct.
Aussi, il faut le reconnaître, messieurs, le négociateur de 1846 avait fait à la Hollande une concession, toute restreinte qu'elle fùt, que j'appellerai énorme et dont le principe dangereux se découvre maintenant. Mais il avait cependant attaché à cette concession une restriction : le droit n'était qu'un droit intermédiaire, et pour la plupart des articles un droit presque nominal. Il avait également maintenu des équivalents, c'est-à-dire que la Belgique s'était réservé vis-à-vis des colonies hollandaises des avantages spéciaux que le traité actuel a laissés tomber. Je sais qu'on en fait bon marché, je sais qu'on traite la faculté d'exporter 8,000 tonnes de Java avec une sorte de dédain.
Elle est, dit-on, sans importance pour notre pays, car quel usage en a-t-il fait ? Cependant si cette faveur n'a pas produit tous ses résultats au moment où elle fut accordée, je vous rappellerai ce que l'honorable M. Vermeire disait hier. C'est que la Belgique n'avait pas alors des navires d'un tonnage assez grand pour entreprendre des voyages de long cours ; mais depuis lors notre marine s'est accrue et des navires ont été construits qui sont propres à ces expéditions maritimes.
Ces relations commerciales n'ont pas pu s'établir instantanément, cela se voit sans cesse, mais qui peut préjuger l'avenir. Mais qui oserait affirmer qu'elles n'eussent pu, en se développant, prendre des proportions considérables ?
M. le ministre des finances disait naguère que les propriétés privées livrent maintenant une masse de produits coloniaux beaucoup plus considérable au commerce étranger, qui trouve ainsi de nouvelles facilités pour ses chargements. N'est-ce pas reconnaître que la faveur accordée à la Belgique de pouvoir exporter 8,000 tonnes de Java au même droit que les navires néerlandais aurait pu maintenant recevoir toute sa valeur et qu'en l'abandonnant on a fait une véritable perte, que c'est une regrettable lacune à notre égard, dans le traité nouveau ?
Le traité de 1851 conserve à la Hollande toutes les anciennes concessions et en ajoute d'immenses. On a rattaché aux 18 articles ou plutôt aux 16 articles primitifs sur lesquels avait été concédé un droi tde faveur intermédiaire, 20 articles nouveaux, que la Hollande pourra introduire de ses entrepôts chez nous, par mer, par les rivières et par les canaux, au taux des importations directes sous pavillon belge du lieu et selon le mode le plus privilégié du tarif belge.
Ainsi vous aurez mis le port de Rotterdam, les ports hollandais, exactement sur la même ligne que le port d'Anvers. Mais c'est là un des moindres torts, et je soutiens que vous créez en faveur de la ville de Rotterdam des avantages que vous n'avez point maintenus pour la ville d'Anvers.
(page 402) Quelle sera, en effet, la situation de Rotterdam ? Elle offrira d'abord un marché plus considérable, plus varié, plus étendu que le marché anversois. Elle pourra donc importer de ses entrepôts aux mêmes conditions que les navires belges et que les navires étrangers qui viendront des pays de production.
Elle pourra de plus pénétrer directement dans un grand nombre de nos provinces, dans la province de Liège, de Limbourg, de Luxembourg, elle pourra y introduire par les eaux intérieures, par les canaux et rivières, qui sont les voies de circulation les plus sûres et les plus économiques, tous ces produits et faire de Liège un nouvel entrepôt à son profit. Enfin elle aura le marché hollandais et conservera les exportations vers l'Allemagne. De sorte qu'elle aura un triple avantage que vous venez consolider encore par des concessions faites à l'égard du transit.
J'aurais compris qu'on eût mis Rotterdam sur la même ligne qu'Anvers pour les importations maritimes, mais lui accorder des avantages dont vous priverez, par la force des choses, votre métropole commerciale, c'est là ce qui est inexplicable. Et voilà cependant ce que vos imprévoyantes négociations nous condamnent à discuter ! Dans quel autre pays un tel principe a-t-il été inauguré ? Dans quel autre pays existe-t-il pour l'étranger de telles concessions ? Nulle part ; je défie qu'on me cite des précédents à cet égard. L'Angleterre a su conserver son cabotage. Croyez-vous que l'Angleterre admît une barque étrangère à circuler dans ses eaux intérieures ? La France, votre voisine, permettrait-elle à Anvers de fournir de denrées coloniales le département du Nord ? de faire concurrence au port du Havre, au port de Dunkerque ? Non, messieurs, jamais.
Le régime des eaux intérieures, la circulation sur les canaux et rivières a toujours été mise sur une autre ligne, gouvernée par d'autres lois que la navigation maritime. Assimilez, si vous le voulez, les voies maritimes ; mais, au moins, ne sacrifiez pas à un pays étranger la circulation sur les canaux, sur les fleuves, sur les eaux intérieures ; car cela tient à sa vie intime, à l'essence même de ses grands intérêts nationaux. C'est là, messieurs, un véritable triomphe pour la Hollande ; elle aura enfin obtenu ce qu'elle poursuivait depuis tant d'années.
Depuis longtemps elle a reconnu qu'Anvers, situé sur un fleuve magnifique, doué de richesses et du génie commercial, était pour elle un concurrent extrêmement redoutable. Aussi chaque fois qu'elle a pu abaisser Anvers, elle l'a fait.
Lors du traité de Munster, soutenue par la coalition des intérêts protestants, elle a enchaîné l'Escaut. Plus tard, lorsque Ostende, en 1720, a voulu établir la compagnie Orientale, il a fallu que celle-ci, après avoir obtenu quelques brillants succès, cédât à l'ascendant d'une coalition diplomatique suscitée par la Hollande.
Lorsque Joseph II, écoutant les inspirations généreuses d'une patriotique fierté, voulût affranchir l'Escaut, n'a-t-il pas dû céder aussi aux efforts de la diplomatie et abandonner cette liberté ? Enfin, vous-mêmes n'avez-vous pas dû racheter l'Escaut, et aujourd'hui ne remboursez-vous pas les péages à la Hollande elle-même ? Eh bien, messieurs, cela ne lui suffit pas. Elle veut plus encore. Ce qu'elle ambitionne, c'est d'attirer à elle toutes les relations, tous les échanges directs ; ce qu'elle veut, c'est qu'Anvers cesse d’être un marché principal de matières premières et de denrées coloniales ; ce qu'elle veut, c'est de s'ériger en pourvoyeur, en fournisseur de toutes les matières premières, de toutes les denrées coloniales nécessaires à notre consommation ; c'est qu'Anvers ne les reçoive que de la deuxième main.
Eh bien, jamais, il faut le reconnaître, jamais par aucun acte, par aucune négociation, par aucun traité, elle ne fut plus près devoir se réaliser les conseils de sa politique.
Comme si l'intérêt commercial et l'intérêt industriel n'étaient pas solidaires, comme si ce n'étaient pas deux piliers d'un même édifice, dont on ne peut renverser l'un sans ébranler l'autre ! Cette solidarité des grands intérêts nationaux, ou la méconnaît aujourd'hui ; le ministère, qui en devrait être le premier soutien, la déserte, et je vous avoue, messieurs, que je suis confondu de songer qu'il faut la rappeler ici et songer à sa défense.
M. le ministre des affaires étrangères faisait hier bon marché du système des droits différentiels.
L'honorable préopinant, tout en attaquant avec une ironie pleine de bonhomie et de douceur le système des droits différents, s'est cependant montré prêt à en conserver une partie. L'honorable ministre des affaires étrangères, tout en incriminant et en poursuivant le système différentiel de traits médiocrement meurtriers, a trouvé bon de le réserver pour une dizaine d'articles.
Mais il y a bien plus, l'honorable préopinant aurait vivement désiré de maintenir le traité de 1846, qui maintenait encore le système différentiel avec une bien autre rigueur, car dans son exposé des motifs, M. le ministre des affaires étrangères a eu soin de dire que le gouvernement du Roi n'a négligé aucune démarche, aucune tentative afin qne le traité de 1846 ne fût pas dénoncé. Les droits différentiels ne sont donc pas si dignes d'imprécations qu'on voudrait bien le faire croire.
Mais on a recours à des chiffres ; en vérité il n'y a pas ici grand-chose de nouveau à dire ; les chiffres sont presque tous connus ; nous voyons que les droits différentiels out eu une influence extrêmement heureuse sur le développement de notre navigation et de notre commerce international.
Ainsi, on a soutenu que l'importance des 35 articles sur lesquels on fait des concessions à la Hollande, ne s'élève qu'à 20,000 tonnes. C'est là une erreur ; car pour arriver là, il faudrait défalquer l'important article des graines oléagineuses et celui des bois ; ces deux articles à eux seuls forment 85.768 tonnes, et alors même le chiffre dépasserait 25,000 tonnes, mais le chiffre véritable des concessions faites sur les articles que comprend le traité, s'élève à plus de 109,000 tonnes.
Quand on parle de la situation d'Anvers, on croît s'absoudre en disant qu'elle se trouverait désormais dans une position analogue à celle qu'elle avait avant la loi de 1844. Mais celle-ci n'a-t-elle pas été faite en grande partie pour tirer notre navigation et nos rapports transatlantiques de la situation inférieure où ils étaient alors ? Jusqu'en 1839 la séparation de la Hollande équivalait jusqu'à un certain point à des droits différentiels. En 18-4, la loi des droits différentiels est venue changer ce que le traité de 1843, relatif au régime des eaux intérieures, aurait pu avoir de funeste pour Anvers.
En 1844, quel était le chiffre de nos importations des pays hors d'Europe ? Il était de 57,398,925 kilogrammes, pour quelques-uns des principaux articles d'importation tels que bois d'ébénisteric, café, riz, tabac, etc. ; en 1849, voyez la progression, le chiffre est de 85,594,822 kilogrammes ; sur les quatre grands articles : café, coton, riz, sucres, les importations des pays d'Europe s'élevaient de 1839, 1843 à 21,238,820 kil. ; en 1850, le chiffre est descendu à 13,645,936 kil. ; par contre, les importations des pays hors d'Europe, qui n'étaient de 1839 à 1843 que de 28,734,594 kil., se sont élevés en 1850 à 59,030,731 kil.
Donc, sous le régime des droits différentiels, les importations des pays hors d'Europe prenaient des proportions considérables, s'élevaient jusqu'à un chiffre double, tandis que les importations des pays d'Europe allaient en décroissant. Le but de la loi a été évidemment de développer, autant que possible, les rapports transatlantiques. Ainsi, à ce point de vue, la loi des droits différentiels a produit des effets très heureux.
En 1844, l'importation de café était de 13,340,207, et en 1849, elle ne s'élevait qu'à 14,017,127 ; en 1844, l'importation du tabac était de 2,349,099, en 1849, de 2.209,866.
Ici les chiffres indiquent une situation stationnaire ; il n'y a aucune progression ; et pourquoi ? Par la raison très simple ; c'est que ces deux articles étaient ceux sur lesquels vous aviez fait des concessions à la Hollande. Ces concessions avaient pour ainsi dire immobilisé l'échange direct des produits, c'est-à-dire que sous ce rapport les importations des marchés transatlantiques n'avaient pris aucun accroissement notable.
Enfin je citerai un dernier exemple qui est frappant et que j'emprunterai au tabac.
Le tabac est un des articles sur lesquels on a fait des concessions à la Hollande.
En 1844, nous importions 5,379 boucauts de tabac. (C'est l'année de la loi Mercier) ; en 1848, 8,308, en 1846, 10,646.
C'est l'année du traité avec la Hollande, vous allez voir quelle sera la décroissance des importations.
De 1846 à 1850 le chiffre va toujours en diminuant ainsi : en 1847 5,115 ; en 1848 4,390 ; en 1849 4,902 ; en 1850 2,068.
M. Loos. - Grâce à la loi Mercier.
M. de Liedekerke. - La loi de M. Mercier a eu une certaine influence, je ne le nie pas, mais elle n'a pas eu la même influence que le traité de 1846 :la loi de M. Mercier a légèrement diminué les importations, mais elles se relevaient et c'est surtout le traité de 1846 qui a porté une atteinte grave à l'importation des tabacs, car c'est depuis ce moment-là que son chiffre va toujours en diminuant dans des proportions excessives et qu'il arrive enfin à celui de 2,068 boucauts, qui est inférieur à l'importation de 1828, tandis que pour les autres articles transatlantiques, excepté le café, vos importations avaient toujours été en augmentant. Voilà le progrès.
J'ai encore une observation à présenter.
Le système des droits différentiels n'a été qu'imparfaitement appliqué ; il ne l'a été qu'en 1846 ; les événements de 1848 sont survenus ; vous avez constamment menacé et affaibli par là l'essor du système des droits différentiels, de sorte que ce système n'est après tout qu'à l'état d'essai mutilé qui n'a pas eu le temps de faire ses preuves et auquel vous venez aujourd'hui porter une dernière atteinte.
Si ce système avait été appliqué dans toute son étendue, sincèrement, complètement, il aurait probablement produit des résultats considérables, puisque, tout maltraité qu'il a été, il en a déjà offert de si beaux, au point de vue de nos relations industrielles. Mais ceux-là mêmes doivent périr, tant le sentiment de la destruction fait d'incessants ravages.
Messieurs, la partie du traité qui me paraît la plus acceptable, est celle qui concerne l'industrie.
Je reconnais que, sous ce rapport, nous avons obtenu quelques concessions nouvelles ; qu'on a abaissé quelques-uns des droits compris dans le traité de 1846 et qu'on a ajouté quelques articles nouveaux, disons-le, assez insignifiants du reste. Mais à côté de cela on nous a condamnés pour plusieurs articles à un tarif commun.
(page 403) Or, le tarif commun permet à l'industrie hollandaise de venir faire concurrence à la nôtre sur notre propre marché. On dit que cela n'a pas une grande importance. Mais il est probable que l'industrie hollandaise a certains produits qui peuvent, rivalisant avec les produits similaires belges, arrivera des importations qui leur seront nuisibles.
Je trouve qu'il y a dans cette concession du tarif commun un certain danger, car il pourra être appliqué d'une manière générale à d'autres pays ; et dès lors les produits étrangers similaires, inférieurs aux nôtres comme prix, et il s'en trouve en Allemagne, pourront être facilement importés de ces pays en Hollande et de la Hollande en Belgique. Ce sera donc à la fois la concurrence hollandaise et celle de l'étranger que nous aurons à redouter.
L'importance de toutes les concessions qui ont été faites à notre industrie en 1846, l'importance de celles qui lui sont maintenues ou qui sont augmentées en 1850, empruntaient leur valeur... à quoi ? A la faculté, au droit de dénoncer le traité, pour le cas où ces avantages différentiels n'eussent pas été maintenus. Il n'y a que des droits protecteurs très faibles en Hollande ; ils atteignent 6 p. c. et ne valent guère plus de 5 p. c., parce que les déclarations des valeurs ne sont jamais ni très exactes ni très consciencieuses.
Les négociateurs de 1846 avaient parfaitement compris cela. Que disaient-ils ? Les réductions de droit que consacre le traité s'appliquant à un tarif modéré empruntent leur importance à la position différentielle que nous posséderons sur le marché hollandais à l'égard d'autres nations. C'était donc ce caractère différentiel qui constituait tout l'avantage qu'on nous accordait. Aussi l'article 24 prévoyait trois cas, celui où des avantages spéciaux seraient accordés à d'autres pays, celui où sur des objets similaires à ceux qui étaient contenus dans le traité on ferait de plus amples concessions à d'autres pays, et enfin le cas où l'on rendrait d'application générale les concessions qui nous étaient faites.
Dans ce dernier cas, on pouvait dénoncer le traité. C'était, messieurs, la sanction des concessions industrielles (les plus importantes pour nous) que nous faisait la Hollande. Celles-ci méconnues, nous pouvions nous dégager de tous les avantages, de tous les privilèges que nous avions concédés aux Pays-Bas.
Cette dernière clause, la plus précieuse pour nos intérêts comme pour notre dignité, a disparu.
La Hollande, vis-à-vis de laquelle vous vous êtes réservé, dites-vous, le droit de déclarer applicables aux autres nations les concessions que vous lui faites sur trente-cinq articles de votre tarif différentiel, la Hollande se croira en droit de déclarer d'application générale, les faveurs qu'elle a faites à votre induslrie.
Sous quel régime serez-vous alors ? Sous le régime du droit commun ; c'est-à-dire que vous rivaliserez avec les produits anglais et allemands, et que vous aurez perdu tout traitement différentiel. Où est alors la valeur et l'importance du traité pour vous ? Que vous reste-t-il ? Rien, absolument rien. Mais la Hollande, elle, conservera tous les grands avantages de navigation auxquels elle tient tant, et avec raison, toute cette liberté que vous lui concédez, pour arriver au sein de vos provinces, et d'où doit sortir la ruine de votre plus grande place de commerce ! Quant à moi, je vois ce que vous aurez perdu, je cherche en vain ce que vous aurez gagné !
Je n'insisterai pas beaucoup sur cette question de l'industrie. La discussion sous ce rapport peut se borner à peu de mots, car du moment que vous n'avez plus de sanction pour maintenir les concessions faites à votre industrie, cette partie du traité n'a plus d'importance ; elle peut séduire quelques esprits, fournir matière à quelques arguments, mais elle n'a plus de valeur réelle et fondamentale pour l'avenir.
Quant au transit, je suis partisan d'un système extrêmement libéral ; je crois qu'ici la plus grande liberté est une chose désirable, heureuse, et l'on peut dire que la Belgique a toujours donné à tout le monde des exemples éclatants sous ce rapport. La première, elle a proclamé un régime libéral en fait de transit. Mais ce principe n'est pas absolu, et je le soumets à quelques réserves. La liberté du transit qui viendrait nuire à quelque branche importante de notre production nationale ne serait plus qu'une triste liberté. Un transit qui aurait pour effet d'affaiblir le mouvement de nos ports nationaux et d'offrir à leur détriment la perspective de bénéfices considérables aux ports étrangers serait un véritable abus.
Pour le bétail et le poisson, que fait-on ? En 1846, on avait refusé le transit pour le bétail et le poisson ; on avait cru qu'il fallait protéger ces deux grandes industries indigènes. L'on avait fait une seule concession ; c'est relativement à l'entrée du bétail et du poisson. On a d'abord, quant au bétail, accordé une réduction graduée sur le droit d'entrée ; on a réduit plus tard le droit à 4 et à 2 centimes, et par la loi du 6 août 1849, on a fixé le transit à 8 francs par tête pour le gros bétail et à 4 francs pour le petit. Vous voyez que la protection a toujours été en diminuant, et maintenant on donne toute facilité au bétail hollandais pour traverser notre territoire et aller faire concurrence à nos produits sur le marché français.
Hier l'honorable M. Delehaye, traitant assez légèrement cette importante branche de notre industrie agricole, disait que cela n'avait aucune importance. Pourquoi ? Parce que d'après l'honorable membre, le marché français se restreint de jour en jour. L'aveu est précieux. S'il en est ainsi, c'est donc une raison de plus pour le réserver à notre exportation nationale. Il me permettra de lui rappeler que l'opinion d'hier, il ne l'a pas toujours professée ; il me permettra de le faire souvenir qu'au mois de mai 1844, il était adversaire déclaré du transit du bétail, et qu’avec 25 membres de cette chambre, il a signé une proposition ayant pour but de renverser la mesure prise par M. Mercier relativement au libre transit du bétail. L'honirabte membre a sans doute de graves motifs pour modifier son opinion, mais s'il faut choisir entre ces deux opinions bien opposées, je souhaiterais que l'honorable préopinant pût se décider pour la première des deux qui me paraît beaucoup plus conforme aux intérêts sérieux de l'agriculture.
M. le ministre des affaires étrangères vous dit dans l'exposé des motifs : Le transit du bétail hollandais vers la France n'est pas à craindre, parce que la plus grande partie s'exporte vers l'Angleterre. Il y a à cet égard un fait sur lequel j'appellerai l'attention de la chambre : avant l'abolition des lois sur les céréales, le prix normal s'élevait à 50 sch. par quarter de blé, aujourd'hui il n'est plus que de 38 ou 40 sch. Par suite de cette diminution de prix, une grande quantité de terres inférieures, qui étaient consacrées à la culture, sont maintenant converties en pâturages.
A l'avenir, l'élève du bétail pourrait donc, en Angleterre, prendre un développement nouveau. Ne peut-il pas se faire que l'exportation de la Hollande par notre frontière, qui s'est élevée à 11,000 têtes, ne s'élève alors à des proportions plus considérables encore ? Vous aurez donc mis à la disposition de la Hollande toutes les voies de transport qui devaient servir à augmenter la prospérité nationale, pour venir vous faire concurrence et nuire à vos propres exportations sur un marché qui est à votre porte.
Je ne ferai pas de longues observations sur le transit concédé pour les poissons ; le gouvernement dit que nos exportations vers l'Allemagne sont stationnaires et que le transit du poisson hollandais sera sans inconvénient pour notre pêcherie nationale. Mais si les exportations sont stationnaires, j'aurais cru qu'il fallait tâcher de défendre notre industrie et non de l'affaiblir en concédant des facilités nouvelles à la pêcherie étrangère.
Il paraît que nous n'avons pas la même manière de prendre la défense des intérêts du pays, et d'encourager leur développement, et il semble que la pêcherie nationale, qui avait si vivement protesté contre la pensée du transit du poisson en 1846, doive se soumettre aujourd'hui au régime défavorable qu'on lui impose.
Je vous disais tantôt, messieurs, que la liberté du transit était nuisible quand il favorisait une place commerciale étrangère au détriment d'un de nos ports nationaux.
Rotterdam obtient des facilités de transit qui nuiront beaucoup à Anvers : Rotterdam pourra établir à Liège un système d'entrepôt qui causera un préjudice considérable aux exportations qu'Anvers fait vers nos provinces et vers l'Allemagne. J'ai reçu une lettre qui indique d'une manière bien précise les résultats de la liberté de transit que vous accordez. Quel a été le but, la pensée de l'établissement de notre vaste réseau de chemins de fer ? Après la scission du royaume des Pays-Bas, nous songeâmes à nous constituer à l'état de rivaux commerciaux de la Hollande, et à faire d'Anvers une espèce de port de l'Allemagne ; nous voulûmes doter notre pays d'un transit considérable, favoriser Anvers et sa navigation, et appeler chez nous des importations importantes. Eh bien, en concédant la liberté de transit à l'étranger ; comme vous le faites par vos rivières, par vos fleuves, par vos chemins de fer, vous nuisez directement à ce grand but du railway national, vous dénaturez un des grands éléments de sa prospérité.
Je me sens trop épuisé pour prolonger ce débat, et d'ailleurs je n'ai que trop longtemps occupé l'attention de la chambre ; mais permettez-moi la lecture de l'extrait d'une lettre qui émane d'un des hommes de notre pays les plus versés dans les affaires commerciales. Voici ce qu'il dit : « ... Un négociant de Rotterdam reçoit une cargaison de marchandises, qui convient à la fois à la consommation belge, aux marchés du Rhin, aux pays qui seront desservis par le nouveau chemin de fer du Luxembourg et à la Suisse. Il aura un agent à Liège, il fera transborder la cargaison à Rotterdam sur des allèges, et l'ira entreposer à Liège. »
Je vous rappellerai, messieurs, que le gouvernement reconnaît que les frais de transport de Rotterdam à Liège, et ceux d'Anvers à Liège s'équilibrent à peu près. C'est déjà un désavantage pour Anvers. Mais il n'est pas douteux que, lorsqu'une navigation régulière se sera établie et que la concurrence en naîtra, il n'est pas douteux qu'il ne survienne une forte diminution dans le prix des transports.
C'est un résultat qui a été constaté partout. Ainsi nous avons vu tomber le fret de Londres à Anvers de 14 sch. à 7 sch. ; ainsi une navigation régulière vers le Levant a produit l'énorme diminution de 80 fl. à 10 fl. par last ; il faut tenir aussi compte, pour la navigation entre Rotterdam et Liège, des nombreux bateaux charbonniers qui retournent aujourd'hui à vide et qui feront concurrence à la navigation régulière. Tous ces avantages sont au détriment des intérêts commerciaux d'Anvers, et tendent à stimuler, à activer ceux de Rotterdam, et à faire de Liège sa succursale commerciale.
« De là il exploitera le Limbourg, la province de Liège, celles de Namur, du Hainaut, à des conditions plus favorables que ne pourrait le faire le marché d'Anvers, puis Cologne, le Rhin par le chemin de fer du Luxembourg dès que cette nouvelle voie ferrée sera livrée à la circulation. C'est une magnifique position centrale qui sera exploitée par le commerce néerlandais au lieu de l'être par le commerce belge. »
Messieurs, j'aurais encore de nombreuses observations à faire sur les clauses du traité. Mais le rapport de l'honorable M. Malou, si plein de détails lumineux, me dispense de prolonger cette discussion, Je me féliciterais si j'ai pu fixer votre attention sur les points principaux de ce (page 404) malheureux traité. Car en le considérant dans son ensemble et dans chacune de ses parties, je ne vois partout que faiblesse et oubli de nos intérêts les plus précieux. Les avantages, les privilèges concédés à la Hollande par le négociateur de 1846 sont notablement accrus ; ceux, au contraire, que la Hollande nous avait faits, sont diminués, affaiblis, et n'ont revêtu qu'un caractère précaire.
Messieurs, en examinant la ligne de conduite que sait le gouvernement à l'égard de nos intérêts matériels, j'ai certainement lieu de concevoir de sérieuses, de profondes inquiétudes.
Tout n'est là aussi que hasard et témérité ; on crée comme à plaisir un régime d'incertitude, et l'on nous pousse vers l'inconnu ou plutôt, non, je me trompe, on nous livre à de trop déplorables réalités. L'intérêt agricole est, je ne dirai pas immolé, mais mis hors du droit commun.
N'a-t-on pas, en effet, créé pour lui un régime tout spécial ?
Aujourd'hui, on porte une atteinte directe et funeste aux grands intérêts commerciaux du pays. Et récemment, l'un des organes du cabinet faisait entendre de menaçantes prophéties contre l'intérêt industriel. L'intérêt industriel vient aujourd'hui, enivré d'illusions qui ne seront que trop passagères, soutenir le traité et le ministère ; mais qu'il s'en souvienne : le régime du libre échange qui atteint l'intérêt commercial et l'intérêt agricole, finira tôt ou tard, par l'irrésistible force des choses, par le frapper lui-même. Et alors se lèveront pour l'industrie aussi des jours de deuil !
Messieurs, au bout de cette politique ministérielle, je ne vois que ruines, que désastres et confusion. Ne pourrions-nous donc pas faire cesser un instant nos divisions et écarter les dissentiments qui nous séparent pour arrêter le pouvoir sur cette pente fatale et dangereuse ? Je crois qu'il en serait grand temps. Quant à mon vote sur le traité, il sera négatif, parce que je suis persuadé que la main qui le signera aura signé la déchéance et l'abdication commerciale de la Belgique !
(page 390) M. Van Grootven. - En me prononçant pour l'adoption du traité conclu avec les Pays-Bas, je n'envisage, messieurs, que le traité lui-même au point de vue des intérêts et de la situation du pays. Je n'entends pas suivre la majorité de la section centrale et les adversaires du traité qui m'ont précédé dans leurs efforts pour élargir outre mesure ce débat. Je ne crois pas qu'il s'agisse de décider en principe toute une politique commerciale, dont le germe serait déposé dans le traité soumis à la chambre.
Pour ma part, je réserve toute ma liberté d'appréciation à l'égard des mesures ultérieures que le gouvernement croira devoir proposer.
J'accepte la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères, « que les études du gouvernement se poursuivent dans un esprit de prudence et de ménagement pour tous les intérêts. » Cette déclaration que M. le ministre des finances a confirmée en principe lorsque nous avons discuté la prise en considération de la proposition de l'honorable M. Coomans, me rassure et me suffit pour être convaincu que l'industrie nationale n'a ni révolution économique ni réformes radicales à craindre : alors surtout que les plus importantes des matières premières de l'industrie, le charbon et le fer jouissent de la protection la plus complète.
A ce sujet qu'il me soit permis de dire que l'industrie cotonnière si souvent attaquée dans cette enceinte devrait être mise hors de cause quand il s'agit de toucher au tarif. Vous n'avez pas oublié, messieurs, que les événements inattendus de 1830 ont fait perdre à la fois à cette grande fabrication son principal et privilégié débouché, la Hollande et les Indes, et son tarif protecteur. Ce ne fut qu'en 1844, après avoir relevé le tarif pour toutes les branches du travail national qu'on accorda à l'industrie gantoise une protection contre l'Angleterre et la Suisse. Ce n'est donc pas l'industrie cotonnière que l'on devrait menacer sans cesse.
Ceci posé, il est facile non seulement d'expliquer l'attitude que toutes les chambres de commerce, ces organes naturels de l'industrie, ont prise vis-à-vis du traité, mais les considérations qui militent pour son adoption par la chambre.
Vous n'ignorez pas, messieurs, que l'industrie belge a traversé avec résignation des moments bien difficiles. La ville que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte n'est pas sortie encore d'une situation très tendue, par suite d'une baisse considérable dans le prix de la matière première, et du resserrement tout naturel du crédit et des affaires.
(page 391) Aujourd’hui sans doute, une amélioratio se manifeste, les prix tendent à se relever ; mais à Gand, comme partout, l’incertitude des événements extérieurs pèse encore de tout son poids sur les affaires commerciales et industrielles.
Je vous le demande, messieurs, dans la situation actuelle, que serait le rejet du traité demandé par la majorité de la section centrale ? Ce serait, comme nous l'a très bien dit hier l'honorable ministre des affaires étrangères, une crise dont il serait difficile de prévoir les conséquences, de calculer la portée.
Les Pays-Bas, il faut bien le dire, sont après la France, le Zollverein et l’Angleterre, le plus important débouché de nos exportations. Le marché de la Hollande et des colonies a une immense importance pour notre commerce et notre industrie.
Le mouvement commercial avec ce pays, nous a dit M. le ministre, a été en 1850 de 77,000,000 de fr., valeur permanente. Nos exportations ont été de 40,000,000 et dans ces exportations, les objets fabriqués figurent pour la somme énorme de 27,000,000, parmi lesquels je me permets de signaler en première ligne, ceux de nos grandes industries flamandes du lin et du coton.
Nos exportations suivent une progression ascendante avec les Pays-Bas, puisque de 29,500,000 en 1846 elles ont atteint en 1850 le chiffre de 40 millions.
J'envisagerais non seulement une rupture avec les Pays-Bas comme déplorable dans le présent ; mais en relâchant les liens commerciaux qui unissent les deux pays, je pense qu'on compromettrait gravement les intérêts de l'avenir, nos négociations commerciales à ouvrir avec d'autres puissances.
Cette considération générale et d'autres encore que mon honorable ami M. Delehaye a fait valoir dans une séance précédente, me paraissent de nature à faire réfléchir les adversaires les plus ardents du traité. Quant à moi, je n'hésite pas à dire que le moment ne peut être plus mal choisi pour courir les aventures du rejet de l'acte important soumis à notre approbation. Je sais bien, messieurs, que les diverses clauses du traité ne sont pas toutes également satisfaisantes, mais elles présentent cependant un ensemble de concessions qui grandiront encore nos rapports avec les Pays-Bas et développeront nos exportations vers ce royaume. Je partage l'opinion de M. le ministre à cet égard.
Sous le rapport industriel, le traité de 1851 maintient à peu près tous les avantages obtenus en 1846 ; il en ajoute même pour plusieurs de nos produits. Les ouvrages en fer, la clouterie, les tissus de lin, de coton, de soie, de laine ; la verrerie, la bonneterie, les fils de lin, les acides, les ardoises, les porcelaines, etc., etc., conservent ou obtiennent un abaissement de tarif.
Il est vrai, et cette clause est importante, que le gouvernement néerlandais ne s'oblige plus à laisser aux produits belges, un tarif exceptionnel, comme dans le traité de 1846. Mais la réciprocité existe, puisque les concessions commerciales de la Belgique ont le même caractère. Du reste, le traité garantit à nos produits les faveurs de la nation la plus favorisée : sans traité, la Belgique ne jouirait pas même de cette position, à laquelle la possession actuelle du marché donne son plus grand prix.
Ce que je regrette le plus vivement de voir effacé du traité de 1851, c'est le principe d'un droit différentiel à Java au profit de la Belgique comme le stipulait le traité de 1846. Cette concession que nous avons faite est importante, elle est toute à l'avantage de l'Angleterre qui réclamait et défavorable à la Belgique.
L'honorable ministre des affaires étrangères nous disait dans la séance d'hier que les négociations avaient duré six mois et que plusieurs fois elles avaient été sur le point d'être rompues. Je suis porté à croire, messieurs, que la concession à laquelle je viens de faire allusion aura été de celles qui auraient pu motiver cette rupture. C'est qu'en effet cette concession est d'une importance majeure. Aussi nous étions en droit, me paraît-il, de réclamer de la Néerlande cette faveur exceptionnelle stipulée du reste dans le traité de 1846, puisque nous lui accordons l'admission privilégiée de 7 millions kil. de café Java en Belgique. Il est vrai que c'est l'avantage le plus saillant du traité au profit de la Hollande.
Je crains, messieurs, contrairement à l'opinion émise hier, que le gouvernement n'ait pas attaché assez d'importance à la question du poisson. Cette question est vitale pour tout le littoral de la Hollande.
En réduisant le maximum fixé pour les importations des produits de la pêche néerlandaise, on n'a pas fait grand-chose, puisqu'on leur accorde le chiffre des importations opérées jusqu'ici.
Les orateurs qui m'ont précédé ont traité longuement la question du transit du bétail ; il ne me reste plus rien à ajouter. Je déplore avec l'honorable M. Vanderpeereboom cette concession faite à la Hollande.
Je n'ai examiné le traité qu'au point de vue industriel, et je n'étendrai pas plus loin mes observations, laissants à d'autres le soin de traiter la question commerciale.
Je voterai en faveur du traité.
M. le président. - M. Osy était inscrit après M. Van Grootven ; mais cet honorable membre n'ayant pas pu se rendre à la séance, il a cédé son tour de parole à M. Malou.
M. Malou. - Mon honorable ami M. Osy, éloigné de la chambre par de douloureuses circonstances de famille, m'a prie d'exprimer en son nom le regret qu'il éprouve de ne pouvoir protester, et comme représentant belge et comme député d'Anvers, contre la déplorable politique commerciale du cabinet.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce sont là ses expressions ?
M. Malou. - Ce sont ses convictions et les mienes que j’exprime en ce moment. Je pourrais prendre le tour de parole de l’honorable membre, mais ayant, en queque sorte, déjà parlé comme rapporteur de la section centrale, je ferai mieux d'attendre que la discussion soit plus avancée, pour développer les motifs des convictions que je ne fais qu'indiquer maintenant.
M. Clep. - Messieurs, je n'ai pas la prétention d'examiner dans tous ses détails l'acte international que le gouvernement soumet à votre sanction. Je laisse à d'autres plus experts que moi dans ces matières, le soin de scruter les questions industrielles et commerciales proprement dites. Je me bornerai à expliquer sans détour et sans faiblesse, brièvement ma manière de voir sur l'une des questions de ce traité qui concerne plus particulièrement mon arrondissement.
Vous savez tous, messieurs, que l'élève et la vente du bétail gras et maigre forme l'une des branches les plus importantes de l'industrie agricole, et que depuis quelques années, cette industrie se trouve dans la plus vive souffrance.
La cause principale de cette détresse provient surtout de la concurrence du bétail hollandais en Belgique, et en partie du transit de ce bétail sur la France où également il nous fait concurrence. Et la cause du bas prix de notre bétail se trouve dans le droit d'entrée et celui de transit, par trop réduits, qui se perçoivent depuis quelque temps, sur le bétail de la Hollande.
Cette concurrence hollandaise nous est tellement nuisible en France et en Belgique, que le bétail belge ne peut plus se vendre à un prix tant soit peu rémunérateur.
A cette ruineuse concurrence, il s'est joint d'autres faits non moins malheureux pour nos cultivateurs. Naguère encore et malgré un droit d'entrée très élevé, notre bétail avait un débouché très considérable en France. Mais depuis 4 à 5 ans, on a construit dans ce pays un grand nombre de nouvelles fabriques de sucre de betteraves et de distilleries, qui s'occupent aussi de l'engraissement du bétail : le gouvernement eût donc dû éviter avec le plus grand soin tout ce qui peut tendre à restreindre ce débouché.
Dans la douloureuse position qui leur était déjà faite et pouvant évidemment élever suffisamment de bétail pour la consommation du pays, il ne restait à nos agriculteurs qu'une dernière lueur d'espoir. C'était que le traité qui se négociait avec la Hollande défendrait le transit vers la France et la concurrence hollandaise en Belgique, ou tout au moins, qu'il eût stipulé un droit d'entrée très élevé.
Mais dès que ce malencontreux traité a été connu, il a jeté le découragement et la consternation parmi nos agriculteurs. Car loin qu'il y soit stipulé des droits protecteurs, le transit est déclaré libre et le minime droit d'entrée de 2 et 4 c. a été maintenu ; bien plus, le gouvernement s'est même engagé pour l'avenir à ne point élever ce droit à plus de 7 1/2 c. par kilo, chiffre encore absolument insuffisant pour amoindrir, sur nos marchés, la concurrence hollandaise.
Si le gouvernement ne pouvait prohiber l'entrée du bétail hollandais, ce qu'il devait faire, c'était de stipuler un droit d'entrée au moins aussi élevé que celui que notre bétail doit payer pour entrer en France, et d'adopter le même mode de perception (qu'en France), c'est-à-dire le droit uniforme par tête de bétail maigre et gras, car c'est le prix du bétail maigre qui sert de base pour la vente du bétail gras.
C'est là, messieurs, la protection la seule efficace à accorder à notre bétail, et elle est devenue d'une nécessité indispensable, depuis que nos agriculteurs perdent chaque jour de plus en plus le grand débouché de la France.
Messieurs, l'on doit convenir que le gouvernement actuel prend peu ou point de souci pour l'industrie agricole. L'intérêt des cultivateurs est sacrifié dans chaque circonstance. Depuis peu d'années les céréales des pays étrangers viennent sur nos marchés faire une concurrence ruineuse aux produits de notre sol. Des droits de succession en ligne directe frappent exclusivement la propriété immobilière et les rentes hypothécaires, et aujourd'hui c'est le tour du bétail, auquel le traité hollando-belge inflige une concurrence insoutenable.
L'adoption de ce traité sera, je dois le dire, le coup de mort de l'industrie agricole, surtout dans l'arrondissement de Furnes où naguère le commerce du bétail avait maintenu encore une honnête aisance, dans cette vaste contrée dite autrefois le riche pays du Furnes-Ambacht.
Je n'ajouterai plus qu'un mot, c'est que la détresse des cultivateurs sera encore la continuation de l'appauvrissement des autres industries et professions qui s'exercent également dans les campagnes.
Messieurs, je ne saurais m'associer à de semblables mesures, et je voterai le rejet du traité.
M. Allard. - Je ne m'attendais pas à prendre la parole dans ce débat ; j'y suis forcé par un fait qui s'est passé à la chambre de commerce de Tournay.
Vous vous rappelez, messieurs, que dans la séance du 13 de ce mois, une pétition émanant d'un grand nombre de fabricants et de commerçants de la ville de Tournay a été adressée à la chambre. J'ai demandé alors son impression dans les Annales parlementaires, et le renvoi à la commission chargée d'examiner le traité avec la Hollande. A l'observation que la chambre n'avait ordonné l'impression aux Annales parlementaires que pour les pétitions émanant des corps constitues, j'ai répondu qu'il n'y avait pas de chambre de commerce dans toutes les villes, que lorsque les chambres de commerce ne pétitionnent pas, il était naturel que les commerçants le fissent.
(page 392) J’avais dit, messieurs, en demandant l'impression aux Annales parlementaires, que cette pétition n'avait aucun caractère politique, que j'étais charmé de voir que tous les partis avaient un même but, l'adoption du traité de commerce avec la Hollande.
Ouï, messieurs, tous les partis figurent sur cette pétition, tous n'ont qu'un but, l'adoption du traité.
Ce qui me fait prendre la parole, c'est la conduite de la chambre de commerce de Tournay dans cette circonstance. En effet tandis qu'elle voit arriver ici des pétitions de Tournay, Leuze, etc., villes très importantes par leurs fabriques et leur commerce, pétitions en faveur du traité avec la Hollande, lorsqu'elle voit que la chambre des représentants refuse l'insertion de ces pétitions dans les Annales parlementaires parce qu'elles n'émanent pas de corps constitués, elle reste muette ; chargée de défendre les intérêts industriels et commerciaux de l'arrondissement de Tournay, elle ne donne pas signe de vie ! Quant à moi, je n'avais pas besoin de connaître l'opinion de mes commettants, j'avais apprécié les avantages que le traité fait à l'arrondissement de Tournay, si un doute s'était élevé dans mon esprit, relativement aux huiles de baleine, il est levé par le projet de loi relatif aux modifications douanières qui a été soumis à la chambre il y a quelques jours, en effet, je vois à l'article 5, que le droit sur les huiles de baleine, de cachalot, de chien marin et de sperma céti est fixé à 12 fr. 30 c. l'hectolitre. Ce droit me paraît suffisant pour garantir les huileries.
Mais, messieurs, que doit penser la législature du silence de la chambre de commerce de Tournay, qui représente un des arrondissements le plus industriels du pays ? Est-elle favorable, oui ou non, au traité ? Son silence, après l'envoi des pétitions de Tournay, Leuze et des grands centres de production, peut faire croire qu'elle y est opposée.
Je viens de recevoir d'un honorable membre de cette chambre de commerce, à la tête de la fabrique la plus importante de Tournay, une copie du rapport lu à la chambre du commerce, par le président, au nom de la commission chargée d'examiner le traité entre la Belgique et la Hollande.
Ce rapport dont je vais vous donner lecture, je dois le dire, me paraît rédigé dans l'esprit de parti, qui ne devrait jamais s'implanter au sein d'une chambre de commerce, qui ne doit s'occuper que d'intérêts matériels.
Ces intérêts ont été négligés, pour faire place à une petite niche, passez-moi l'expression, à l'adresse du ministère. Voici ce rapport :
« La commission que vous avez nommée pour l'examen du nouveau traité avec la Hollande, s'est réunie lundi.
« Elle a lu attentivement le traité, et une considération qui l'a d'abord frappée, c'est que les nouvelles conventions sont favorables au Hainaut et particulièrement à l'arrondissement de Tournay.
« Les droits sur la bonneterie, les tissus, les fils de coton et de laine sont baissés d'une manière assez sensible.
« Dans cette position la commission s'est demandé si la chambre de commerce de Tournay devait faire des efforts pour rompre un traité qui est avantageux à notre arrondissement.
« La bonneterie qui occupe tant de bras dans notre arrondissement trouve des débouchés qui lui sont indispensables pour alimenter sa fabrication. C'est même le seul pays étranger où nos exportations sont possibles.
« Ces débouchés sont tellement favorables, que votre commission a appris que plusieurs fabricants se sont réunis et que s'ils concevaient une crainte sur l'adoption du traité, ils feraient une pétition aux chambres pour réclamer sa ratification.
« Dans cette position la chambre de commerce de Tournay peut-elle poser un acte contre lequel viendrait protester l'industrie la plus importante de notre arrondissement ? Votre commission ne l'a pas pensé.
« Aussi vous propose-t-elle, à l'unanimité, de rester neutre dans le débat et de réserver la manifestation d'une opinion quelconque pour un moment plus opportun.
« Votre commission vous propose une entière neutralité, parce qu'elle est persuadée aussi que le gouvernement aurait pu mieux faire et qu'elle ne croit pas que vous deviez par un acquiescement, donner au ministère une arme dont il tirerait parti pour faire son éloge.
« Anvers se plaint haut de ce que la marine hollandaise va lui faire une rude concurrence par suite de la clause du traité qui accorde au pavillon hollandais la même faveur qu'au pavillon national. Mais l'on doit comprendre que dans toute convention commerciale, chacune des parties contractantes est bien forcée de faire des concessions. Il faut d'ailleurs considérer que si la mesure dont on vient de parler porte préjudice au commerce d'Anvers, elle sera avantageuse pour les villes de Liège et de Gand auxquelles elle offre de plus grandes facilités pour l'importance des denrées coloniales et pour l'exportation des houilles et des produits manufacturés. »
Vous voyez, messieurs, que j'avais raison de dire que la majorité de la chambre de commerce de Tournay s'est laissée entraîner dans une voie déplorable ; en effet, pour ne pas donner une arme au ministre dont il pourrait tirer parti pour faire son éloge, elle a gardé un silence qui peut être fatal aux intérêts qu'elle représente.
Je m'appuie sur les arguments de ce rapport, pour motiver mon vote, le traité est favorable au pajs en général, et en particulier à l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter. Je voterai pour.
M. Peers. - Messieurs, je ne me le dissimule pas, la position que nous a faite l'acte synallagmatique arrêté entre la Hollande et la Belgique le 20 septembre dernier est de nature à en rendre la solution très difficile.
En examinant avec la plus scrupuleuse attention toutes les questions qui se rattachent au traité, on est toujours forcément amené à conclure que, pris sous tous les points de vue, il enlève en quelque sorte à la Belgique un droit qu'une concurrence plus habilement exercée pouvait seule nous arracher.
Ce droit, que je regarde comme une des plus belles prérogatives pour chaque pays, pouvait dans un temps donné recevoir des modifications conformes aux circonstances favorables qui se seraient présentées.
Ces concessions s'harmonisant avec les progrès que nous ne désespérons pas de faire encore dans cette branche essentielle de l'industrie agricole, se seraient octroyées sans occasionner la moindre perturbation, elles auraient au contraire donné naissance à une émulation qui ne pouvait être que favorable à son développement.
Je veux parler, messieurs, de l'article 12, § 4, qui est pour la Belgique une question hérissée d'une foule de points insolubles.
Ce paragraphe consacre un principe qui pourrait nous être autrement préjudiciable que l'abaissement des droits à l'entrée, voire même leur abolition, et va beaucoup plus loin ; il nous rendra l'accès des marchés étrangers impossible du moment que nous ne pourrons plus lutter à armes égales avec des concurrents qui, il ne faut pas se le cacher, ont des avantages très marqués sur les producteurs belges.
Possesseurs de nombreux troupeaux, les éleveurs de la Néerlande nourrissent avec moins de frais que les éleveurs de la Belgique ; ils peuvent livrer à des prix inférieurs aux nôtres et la matière première et celle qui est destinée à la consommation immédiate ; aussi le prix rémunérateur est-il comparativement supérieur à celui que nos industriels obtiennent.
L'élève comme l'engraissement sont abandonnés aux soins de la nature, de nombreux et bons pâturages poussent cette énorme quantité de bétail à un prompt développement, le prix de revient est calculé d'après celui de la valeur du terrain que chaque tête occupe, et en fin de compte, il y a une différence de 25 p. c. entre l'élève qui s'est faite en Hollande et celle qui s'est faite en Belgique.
Une lutte aussi inégale, il faut en convenir, messieurs, devrait être prise en considération. Si elle tirait sa source de l'ignorance, je serais le premier à la condamner.
Le premier, je m'élèverais pour demander un remède prompt et efficace à un mal qui, s'il était curable, n'offrirait pas le moindre danger aux mesures qui nous sont soumises ; mais toute la question est là ; car, pourquoi, m'objectera-t-on, ne produisez-vous pas à des prix aussi avantageux que vos voisins ? Cette demande, je le sais, se fait tout naturellement.
Qu'il me soit permis d'y répondre et d'aller au-devant de cette objection qui saute de prime abord aux yeux. Voici pourquoi nous ne pouvons pas produire à des prix aussi avantageux que la Hollande.
Le bétail, comparativement moins nombreux en Belgique, est aussi plus divisé, chaque agriculteur possède son petit troupeau plutôt de rente que d'élève, il ne soumet ses animaux à l'engrais que lorsqu'ils ne peuvent plus lui rendre aucun service ; rarement possesseur d'herbages en état de pousser au fin gras, c'est à l’étable et par conséquent à un prix très élevé qu'il soumet les sujets qu'il se propose de livrer à la boucherie.
L'élève ne pouvant aussi que s'y faire exceptionnellement à l'herbe, il en résulte qu'avant d'être arrives à l'âge adulte, les jeunes animaux ont exigé de dépenses assez notables. En résumé, messieurs, personne de nous n'ignore que l'élève et l'engraissement à l'herbe entraîne à des frais infiniment moindres que ceux qui sont pratiqués à l'aide de la stabulation. Ce premier régime est généralement suivi en Hollande, le second est forcément adopté par les éleveurs de la Belgique, qui, ils ne le savent que trop bien, n'est qu'une question secondaire de la réussite de leur entreprise ; si celle des engrais ne prédominait pas, en peu d'années l'engraissement du bétail en Belgique par le régime de la stabulation serait entièrement abandonné.
Messieurs, par une fatalité dont j'ai réellement de la peine à me rendre compte, en voyant les intentions bienveillantes, je dirais plus, excellentes même, du gouvernement pour une province qui naguère a été éprouvée si cruellement, je me trouve encore forcément amené sur le terrain des plaintes non moins légitimes que celles que je viens de passer en revue ; il s'agit encore de ce même paragraphe 49 de l'article 12 du traité. Malgré les chaleureuses paroles prononcées dans la séance d'hier par M. le minisire des affaires étrangères, et surtout malgré les énergiques protestations de mon honorable collègue et ami M. Delehaye qui ne partage plus aujourd'hui comme en 1844, voire même si je ne me trompe en 1849, les craintes qu'il manifestait alors contre l'envahissement du principe en matière de transit, même à titre onéreux ; malgré, dis-je, cette défense si bien établie, je ne puis avoir la même confiance dans une concession qui nous donnait à titre gratuit et qui aura pour résultat l'achèvement de la ruine de notre pêche nationale qui se fait le long des côtes. L'extension des voies de communication est certes un moyen très efficace pour relever sinon faire prospérer cette industrie déjà si maltraitée par la convention du 29 juillet 1846.
Mais en présence de cette foule d'avantages dont jouiront nos voisins, sera-t-il encore possible de faire la concurrence en pays étranger avec (page 393) quelque espoir d'obtenir un prix rémunérateur ? Je ne le pense pas. Aussi le transit du poisson de mer frais en franchise de tout droit peut-il être regardé comme l'exclusion sur les marchés étrangers des produits de la pêche nationale.
Maintenant, si le gouvernement tient à la relever un peu de l'agonie dans laquelle se trouve cette industrie, il faut qu'il mette tout en œuvre pour faciliter l'accès de ses produits dans les grands centres de population ; de cette manière il lui restera peut-être encore une lueur d'espérance, et à l'aide de cette protection indirecte qui en somme ne serait qu'autant d'actes de bonne administration, elle pourra se relever de sa ruine qui est imminente.
M. le président. - La parole est à M. Reyntjens.
- Un membre. - Ne pourrait-on pas entendre maintenant un orateur favorable au traité ?
M. le président. - Dans ce cas, la parole est à M. Delehaye.
M. Coomans (pour une motion d’ordre). - J'entendrais avec beaucoup de plaisir une seconde fois l'honorable M. Delehaye, mais à la condition qu'il soit bien entendu que tous les orateurs inscrits auront leur tour de parole. La chambre comprendra qu'il serait injuste d'entendre les orateurs favorables au traité et de refuser la parole à ceux qui y sont opposés.
M. le président. - La chambre décidera ; M. Delehaye est maintenant le premier orateur inscrit pour le traité.
M. Delehaye. - J'avais demandé hier, eu égard au nombre d'orateurs inscrits contre le traité, que l'on accordât successivement la parole à deux ou trois de ces honorables membres. On n'a pas adopté cette proposition, et j'ai été forcé de parler en quelque sorte malgré moi. Aujourd'hui plusieurs orateurs ont cité des passages de discours que j'ai prononcés en 1844 et en 1849 ; je tiens beaucoup à prouver à la chambre que ces deux discours se concilient parfaitement avec mon opinion actuelle.
Je ne serai pas long, cependant je serais très heureux d'entendre les orateurs inscrits contre le traité.
M. le président. - Ainsi vous renoncez pour le moment à la parole ?
M. Delehaye. - Oui, M. le président, j'y renonce pour le moment.
M. Malou, rapporteur. - Il résulte du discours de l'honorable M. Allard que le gouvernement a reçu, depuis que cette discussion est commencée, l'opinion de quelques chambres, de commerce, du moins de celle de Tournay.
M. Allard. - Non, on me l'a envoyée aujourd'hui.
M. Malou. - Mais elle sera envoyée au gouvernement.
M. Allard. - Non, on ne veut pas, dit-on, lui donner une arme.
M. Malou. - Je demande si les chambres de commerce ont été appelées à délibérer sur le traité, depuis qu'il est présenté à la chambre ; et si elles ont délibéré et que des extraits de leurs délibérations aient été envoyés au gouvernement, je demande qu'ils soient communiqués à la chambre. Je connais une chambre de commerce qui s'est occupée de cette question et qui se proposait d'envoyer son avis au gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, les chambres de commerce n'ont nullement été appelées à délibérer, après la conclusion du traité. Mais plusieurs chambres de commerce se sont adressées à la chambre, comme le sait l'honorable M. Malou. Elles se sont réunies spontanément comme l'a fait la chambre de commerce d'Anvers et les délibérations qui ont été prises par elles ont été envoyées à la chambre.
Quant à la chambre de commerce de Tournay, je ne sache pas qu'elle vous ait envoyé une adresse.
L'honorable M. Allard vient de vous citer une délibération dont il a donné lecture ; mais elle lui a été envovée directement, et comme je crois qu'il l'a lue en entier, la chambre pourra en prendre connaissance dans les Annales parlementaires.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole sur la motion d'ordre, la parole est à M. Van Renynghe inscrit contre le traité.
M. Van Renynghe. - Messieurs, les objections que j'avais l'intention de faire valoir contre le traité en discussion, ayant été rencontrées et sagement développées par d'honorables collègues, je n'abuserai pas des moments de la chambre en les reproduisant.
Mais devant les justes et nombreuses réclamations qui vous ont été adressées par différentes localités importantes du pays, et surtout de la Flandre occidentale, contre l'insuffisance du droit qui frappe, à son entrée eu Belgique, le bétail étranger, comme mandataire de cette province, je me trouve tout spécialement obligé de les appuver de toutes mes forces et d'élever ma voix pour obtenir une plus grande protection en faveur de l'agriculture qui est sacrifiée de nouveau par ce traiteé
La Hollande, a raison des facilites qu'on lui accorde, ne fait pas seulement une concurrence désastreuse à nos éleveurs sur nos marches, mais même sur ceux de France, qui jadis étaient uniquement approvisionnés par nos produits.
Que fait le nouveau traité ? Au lieu d'améliorer cet état de choses, il achève la ruine d'une des branches les plus importantes de notre industrie agricole.
Que voulez-vous que devienne cette branche, écrasée qu'elle est, d'un côté, par une trop grande liberté accordée à la Hollande qui, sous beaucoup d'autres rapports, se trouve dans des conditions infiniment plus favorables que nous, et d'un autre côté, par des droits énormes que la France impose ?
Messieurs, ce que je ne puis comprendre, c'est qu'on veuille toujours frapper davantage la propriété foncière, tandis qu'on diminue sa valeur, en prenant des dispositions qui en déprécient les produits.
Veuillez réfléchir, messieurs, que d'une telle situation peut résulter un malaise général ; car la vie de nos populations dépend absolument d'une agriculture dont les intérêts soient mieux sauvegardés qu'ils ne l'ont été jusqu'ici.
Pour ces motifs, je déclare voter contre le projet de loi.
M. le président. - La parole est à M. Rodenbach.
M. Rodenbach. - Je me proposais de parler sur l'agriculture et notamment sur la question du bétail. Mais comme plusieurs de mes honorables collègues ont traité cette question, je renonce pour le moment à la parole.
M. le président. - La parole est à M. de Haerne.
M. de Haerne. - Je ne renonce pas à la parole, mais je remarque que beaucoup de bancs sont dégarnis et que l'heure est assez avancée. D'un autre côté, j'ai des observations assez longues à faire, et il me serait impossible de terminer aujourd'hui. Je crois que ce serait se donner une peine inutile que de commencer un discours dont je devrais remettre la plus grande partie à la séance prochaine.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je crois de mon devoir de faire remarquer à la chambre que l'échange des ratifications est fixée au 31 de ce mois. Ainsi il importe que la discussion marche le plus promptement possible. Il y a encore beaucoup d'orateurs inscrits. C'est une raison pour continuer la séance. Il n'y a plus d'orateurs inscrits pour le traité, mais le règlement n'exige pas absolument que l'on entende alternativement un orateur pour et un orateur contre. En effet, si un semblable principe était admis, on ne terminerait jamais une discussion.
Je crois qu'il importe que l'on continue la discussion jusqu'à l'heure ordinaire de la séparation de la chambre.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je suis étonné que M. le ministre des affaires étrangères demande que l'on hâte la discussion. Il a dépendu du gouvernement qu'elle vînt beaucoup plus tôt. Ainsi, le traité du 20 septembre nous a été présenté le 14 novembre, c'est-à-dire 10 jours après l'ouverture de la session. Il me semble que l'on avait eu le temps de préparer plus tôt l'exposé des motifs. Il nous a été distribué seulement le 22, c'est-à-dire 8 jours après la présentation ; et maintenant, pour étouffer, en quelque sorte, cette discussion, on nous met en présence de la date fatale du 31 décembre. On pouvait très bien obtenir une prorogation plus longue pour laisser aux deux chambres, devant une question de cette importance, la liberté pleine et entière de leur appréciation.
On veut, au contraire, nous faire voter, sous le coup de la menace d'une date fatale, toute la réforme d'une législation de 18 années.
Eh bien, cela ne s'est vu nulle part. Ce n'est pas là du gouvernement constitutionnel, c'est pis que de l'absolutisme, parce qu'il emprunte la forme du gouvernement constitutionnel.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je commence par faire remarquer à la chambre que je n'ai menacé personne, pas même l'honorable rapporteur de la section centrale. Je me suis borné à présenter une observation qu'il était de mon devoir de faire. Car il ne dépend pas seulement d'une des parties de retarder le jour de l'échange des ratifications. Je suis donc très surpris de l'observation de l'honorable membre. La chambre est libre d'agir comme elle l'entend ; mais elle a sa responsabilité comme le gouvernement a la sienne.
Nous avons présenté le traité du 20 septembre le 14 novembre dernier, il y a par conséquent six semaines que nous avons donné à la chambre toutes les facilités pour se livrer à l'examen de cet acte important.
Nous n'entendons pas entraver la discussion. Mais nous faisons une observation pour ceux surtout qui approuvent le traité.
Je comprends que peu importe à l'honorable M. Malou, qui est contraire au traité, que la loi soit votée avant l'époque des ratifications, mais pour tous ceux qui sont favorables à cet acte, qui y voient un grand intérêt pour le pays qui s'est déjà montré favorable à cette question, pour les grands intérêts industriels qui sont compris dans ce traité, il importe que la chambre se hâte autant qu'elle peut le faire.
Or, qu'est-ce que j'ai demandé ? C'est le prolongement de la discussion jusqu'à l’heure habituelle ; et voila pourquoi l'honorable membre vient parler d'absolutisme et de menace. En vérité c'est trop étrange.
On devine des lors la nature des sentiments qui existent contre le traité ; ils se manifestent par les paroles que nous venons d'entendre et j'espère que la chambre en tiendra compte.
M. de Theux. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
La chambre doit certainement désirer une discussion sérieuse et approfondie. Il est évident que plusieurs orateurs sont pris à l’improviste et qu'ils sont dans l’impossibilité de parler aujourd'hui. Eh bien, je (page 394) propose que la chambre, pour en finir cette semaine, se réunisse vendredi à 11 heures du matin. De cette manière on pourra finir samedi, assez tôt pour que les membres de la chambre puissent rentrer dans leurs foyers.
M. Coomans. - Puisqu'on insinue sur les bancs du ministère que c'est nous qui cherchons à entraver le débat, je déclare que la chambre n'est pas en nombre, et je demande l'appel nominal afin qu'on sache quels sont les membres de l'assemblée qui sont absents.
M. le président. - M. de Theux demande que la séance soit levée et la discussion remise à vendredi à 11 heures du matin ; je vais mettre aux voix cette motion d'ordre.
M. Allard. - Je demande en outre qu'il y ait une séance du soir vendredi et samedi.
M. le président. - Je mettrai aux voix la proposition de M. de Theux ; on pourra statuer vendredi sur celle de M. Allard.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- La proposition de M. de Theux est mise aux voix par appel nominal et adoptée à l'unanimité des 55 membres présents.
Ces membres sont : MM. Vanden Branden de Reeth, Van Hoorebeke,Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Visart, Allard, Boulez, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Coomans, David, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode,de Mérode (Félix), de Mérode-Weslerloo, de Muelenaere, de Pitteurs, de Royer, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dumont (Guillaume), Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Lebeau, Lesoinne, Loos, Malou, Mascart, Moncheur, Moreau, Orban, Orts, Peers, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Rolin, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer et Verhaegen.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.