(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 83) M. Ansiau fait l'appel nominal à 3 heures et un quart.
M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Gibbs prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le sieur Degraux, peintre d'histoire à Bruxelles, demande à être relevé de la déchéance de la naturalisation, qu'il a encourue en laissant expirer le terme fixé par la loi pour faire sa déclaration. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par message en date du 19 novembre, le sénat informe la chambre qu'il a amendé le projet de loi qui ouvre des crédits supplémentaires au département de l'intérieur. »
M. le président. - Les amendements introduits dans ce projet ne consistent que dans la substitution d'une année à une autre, la chambre juge-t-elle nécessaire de renvoyer le projet une commission ?
- - Plusieurs membres. - On pourrait le voter immédiatement.
M. Jacques. - Le changement ne consiste que dans la rectification de l'année à laquelle on rattache les crédits. Je pense qu'on peut passer au vote.
M. Delfosse. - Il est toujours prudent de renvoyer à une commission. La commission examinera.
M. le président. - Veut-on renvoyer le projet à la commission qui l'a examiné la première fois ?
- Cette proposition est adoptée.
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé à votre commission les amendements présentés par M. le ministre de la justice pour remplacer les articles 67, 68 et 69 du projet concernant la récidive. Ces amendements forment deux articles ainsi conçus :
« Art. 67. Il y a tentative punissable lorsque la résolution de commettre un crime ou un délit a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d'exécution de ce crime ou de ce délit, et qui n'ont été suspendus ou n'ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur. »
« Art. 68. La tentative de crime est punie de la peine immédiatement inférieure à celle du crime même, conformément aux articles... »
En proposant ces amendements, M. le ministre a été mù par le désir de remplacer la définition de la tentative, contenue dans l'article 2 du Code pénal actuel et de punir de peines différentes la tentative et le crime consommé, en faisant disparaître l'assimilation établie entre ces deux degrés par la législation actuelle.
Les deux commissions avaient déjà cherché la réalisation de la même idée. Les deux commissions avaient reconnu les différences incontestables qui séparent le crime consommé, le crime que dans les écoles on appelle manqué et la tentative. M. le ministre a déclaré ne pouvoir se rallier ni à l'une ni à l'autre des rédactions proposées par les commissions.
Il a fait observer que la rédaction primitive du gouvernement contient, dans l'article 73, la définition d'une tentative qui n'est pas punissable, et que le projet primitif arrive à une assimilation de la tentative et du crime manqué dans les cas où la peine de mort et celle des travaux forcés à perpétuité devront êlre appliquées ; de sorte que la distinction entre le crime consommé, le crime qu'on appelle manqué et la tentative ne se continue pas ; elle s'arrête, lorsqu'il s'agit d'appliquer les deux peines les plus graves ; et le crime manqué et la tentative reçoivent alors l'application de la même peine. Un reproche semblable peut être adressé à la rédaction présentée par votre commission.
Pour remédier à cet inconvénient, M. le ministre propose de placer dans l'article 67 une définition unique comprenant tout à la fois la tentalive proprement dite et l'infraction manquée ; il demande en outre que l'on écrive dans l'article 68 le principe, que la tentative de crime sera punie de la peine immédiatement inférieure à celle du crime, conformément à la gradation des peines que vous avez admise dans les articles précédents.
Après en avoir délibéré, votre commission, à l'unanimité, a cru pouvoir donner son assentiment à ces modifications.
L'assimilation du crime manqué à la tentative est évidemment favorable au crime manqué ; elle n'est pas défavorable à la tentative, puisque la disposition nouvelle laisse subsister pour l'une et l'autre de ces variétés le principe, que la tentative est punie de la peine immédiatement inférieure à celle du crime ; de sorte que M. le ministre est parvenu par sa rédaction à descendre le crime manqué d'un degré, et à réaliser ainsi, par une assimilation du crime manqué et de la tentative, à réaliser mieux l'idée de ceux qui désirent établir une ligne de démarcation plus tranchée entre la consommation du crime et l'infraction non suivie d'effet.
D'ailleurs, ces modifications ne présentent pas le moindre danger. Le juge pourra toujours tenir un compte satisfaisant des différences que la théorie signale entre la tentative proprement dite et le crime manqué, puisque la faculté de diminuer les peines en raison des circonstances atténuantes permettra d'admetlre cette différence dans la pratique en faveur de la tentative proprement dite.
En conséquence, votre commission, à l'unanimité, propose l'adoption des deux articles qui ont été présentés par M. le ministre de la justice.
Dans la séance d'hier, j'ai également eu l'honneur de présenter deux articles destines à remplacer, dans un ordre nouveau, les articles 71 et 72 du projet, qui déterminent les peines applicables à la récidive.
Voici, messieurs, ces articles :
L'article 71 serait remplacé par une disposition qui deviendrait l'article 72. Cette disposition serait conçue dans les termes suivants :
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime puni de la détention ordinaire de cinq-à dix ans, pourra être condamné à la détention de dix à quinze ans.
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime puni de la détention ordinaire de dix à quinze ans, pourra êlre condamné à la détention extraordinaire.
« Si le crime emporte la détention extraordinaire, le coupable sera condamné au maximum de cette peine. »
L'article 72, qui deviendrait l'article 71, serait ainsi conçu :
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime emportant la réclusion, pourra être condamné aux travaux forcés de dix à quinze ans.
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime emportant les travaux forcés de dix à quinze ans, pourra être condamné aux travaux forcés de quinze à vingt ans.
« Si le crime emporte les travaux forcés de quinze à vingt ans, le coupable sera condamné au maximum de la peine. »
Ces dispositions ont pour but de combiner le système de répression applicable à la récidive avec l'échelle de peines que vous avez adoptée dans une séance précédente ; elles forment donc, pour ainsi dire, une conséquence nécessaire de vos résolutions antérieures sur la gradation des pénalités.
Aussi n'ont-elles rencontré aucune opposition dans le sein de la commission qui, à l'unanimité, vous propose de les adopter.
Nous arrivons à un troisième point. L'honorable M. Lelièvre demande le remplacement de l'article 73 par la disposition dont la teneur suit :
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle ou à un emprisonnement correctionnel de plus d'une année, aura commis un délit, pourra être condamné à une peine double du maximum porté par la loi contre le délit. »
Une discussion s'est établie sur l'utilité du retour proposé par l'honorable M. Lelièvre au principe admis par le Code pénal de 1810 sur la récidive de crime ou de délit à délit. On répond à l'honorable M. Lelièvre que la législation actuelle ouvre la porte à de graves inconvénients en ne permettant au juge l'application de la peine de récidive correctionnelle que lorsque la première coiilamiutiou excède une année d'emprisonnement.
En effet, ou le juge élèvera la première peine, afin d'assurer la répression d'une récidive qu'il peut prévoir, ou bien la loi se trouvera désarmée devant des récidives qui se succéderont dansles limites fixées par la loi actuelle, que l'honorable M. Lelièvre reproduit dans son amendement.
L'une et l'autre branche de cette alternative nous paraît également (page 84) déplorable. Le législateur doit combiner les dispositions relatives à la récidive correctionnelle de telle façon que le juge n'ait aucune préoccupation autre que celle qui doit résulter des faits sur lesquels il est appelé à prononcer.En vain prétendrait-on qu'une condamnation de moindre importance pourra, d'après l'article 73 du projet, donner application à la peine de la récidive contre un délit d'une minime gravité, car l'appréciation des espèces peut être en toute sûreté laissée au juge. Le double du maximum porté par la loi est facultatif pour les cours et les tribunaux.
Si la disposition de la loi qui vous est présentée était impérative, l'on concevrait les craintes qu'éprouve l'honorable M. Lelièvre. Mais cette disposition toute facultative reçoit encore une atténuation par la disposition du projet qui permet au juge, en raison de circonstances atténuantes, de diminuer la quotité des peines correctionnelles et de les réduire aux plus petites proportions.
En conséquence, par trois voix contre une et une abstention votre commission vous propose le rejet de cet amendement.
Une dernière question restait à décider.
Dans une séance précédente, la chambre avait laissé en suspens l'article 26 du projet, en chargeant sa commission de lui présenter un rapport spécial sur cet article. Depuis cette décision, un précédent est intervenu qui ne pouvait plus laisser de doute à la commission sur la résolution qu'elle avait à prendre relativement à cet article.
Fidèle à votre décision au sujet de l'article 42, votre commission a l'honneur de vous proposer la rédaction suivante de l'article 26 :
« Art. 26. Tous arrêts de condamnation à la peine de mort, à celle des travaux forcés, de la réclusion et de la détention extraordinaire, emporteront pour le condamné la destitution de titres, grades, fonctions, emplois et offices publics dont il est revêtu.
« La cour d'assises pourra prononcer également la destitution contre le condamné à la détention ordinaire. »
Indépendamment de ces décisions la commission a résolu de vous proposer un certain nombre d'amendements que j'aurai l'honneur de développer ultérieurement pendant la discussion du projet et à mesure que les articles suivants du projet seront soumis à vos délibérations.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, nous nous occuperons d'abord de l'article 26. M. le rapporteur vient de vous faire connaître la nouvelle rédaction proposée par la commission,
- Cette nouvelle rédaction est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - M. le ministre de la justice a proposé de remplacer les articles 67, 68 et 69 par les dispositions suivantes :
« Art. 67. Il y a tentative punissable lorsque la résolution de commettre un crime ou un délit a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d'exécution de ce crime ou de ce délit, et qui n'ont été suspendus ou n'ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur. »
« Art. 68. La tentative de crime est punie de la peine immédiatement inférieure à celle du crime même, conformément aux articles... »
- Ces deux articles sont successivement mis aux voix et adoptés.
« Art. 70. Des dispositions spéciales de la loi déterminent dans quels cas et de quelles peines sont punies les tentatives de délit. »
- Adopté.
M. Delfosse. - M. le rapporteur vient de faire un rapport très important. 1Ila été impossible de le saisir à la lecture. Ne serail-il pas prudent, comme il s'agit de questions très graves, d'attendre que ce rapport ait paru aux Annales parlementaires ? Chacun de nous pourrait le lire avec attention.
M. le président. - Nous venons de voter les articles sur la tentative.
M. Delfosse. - Oui, M. le président.
Mais remarquez que les amendements sur la tentative avaient été déposés hier par M. le minisire de la justice et imprimés ; chacun de nous avait pu les examiner.
M. Lelièvre. - Les principales dispositions sont votées.
Quant aux dispositions sur les récidives, elles n'ont présenté aucune difficulté. Je pense qu'on peut continuer la discussion.
M. Delfosse. - L'honorable M. Lelièvre faisait partie de la commission.
Si cependant la chambre se croit suffisamment éclairée, je n'insiste pas.
M. le président. - M. Roussel a proposé de rédiger de la manière suivante l'article 71 qui deviendrait l'article 72 :
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime puni de la détention ordinaire de cinq à dix ans, pourra être condamne à la détention de dix à quinze ans.
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime puni de la détention ordinaire de dix à quinze ans, pourra être condamné à la détention extraordinaire.
« Si le crime emporte la détention extraordinaire, le coupable sera condamné au maximum de cette peine. »
- La commission adopte cette rédaction,
M. Roussel, rapporteur. - Je dois répéter, messieurs, que c'est la conséquence nécessaire des résolutions antérieurement prises relativement à l'échelle des peines.
La gradation devient uniforme et conforme aux résolutions précédentes de la chambre.
- L'article est adopté.
« Art. 72 (devenant l'art. 71, proposé par Ad. Roussel). Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime emportant la réclusion, pourra être condamné aux travaux forcés de dix à quinze ans.
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime emportant les travaux forcés de dix à quinze ans, pourra être condamné aux travaux forcés de quinze à vingt ans.
« Si le crime emporte les travaux forcés de quinze à vingt ans, le coupable sera condamné au maximum de la peine. »
- Adopté.
« Art. 73. Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle ou correctionnelle aura commis un délit, pourra être condamné à une peine double du maximum porté par la loi contre le délit.
Il pourra également être placé par le jugement ou l'arrêt sous la surveillance spéciale de la police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »
M. Lelièvre a proposé l'amendement suivant :
« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle ou à un emprisonnement correctionnel de plus d'une année, aura commis un délit, pourra être condamné à une peine double du maximum porté par la loi contre le délit. »
- La commission n'adopte pas cet amendement.
M. Lelièvre. - Mon amendement diffère du projet de la commission en ce que, selon moi, il n'y a récidive en matière de délit que lorsque l'individu a été précédemment condamné pour crime ou correctionnellement à un emprisonnement de plus d'une année. D'après le projet, au contraire, l'individu condamné pour délit à une peine même très légère peut, en cas de nouveau délit, être condamné comme récidif.
Je pense qu'il est indispensable que le premier fait ait un certain caractère de gravité, et cela est nécessaire pour établir une démarcation salutaire entre les différentes condamnations.
Le Code pénal actuel a établi le système de mon amendement. En matière de délit, n'est considéré comme récidif que celui qui a été condamné antérieurement à un emprisonnement de plus d'un an.
Le projet de loi relatif à la juridiction des consuls consacre le même principe dans son article 77.
Le système contraire aurait pour conséquence d'abandonner au juge le pouvoir exorbitant de punir du chef de récidive l'individu qui aurait commis antérieurement un délit de peu d'importance, un simple délit de chasse par exemple ; les tribunaux n'auraient aucune règle fixe sur un objet aussi grave et la jurisprudence des divers corps judiciaires ne serait pas uniforme à cet égard.
Et puis, messieurs, n'est-il pas rationnel que le juge trouve dans la loi même un principe clairement exprimé, indiquant quand il peut y avoir lieu à l'application des peines de la récidive ?
Le système contraire donnerait lieu à une véritable anomalie ; c'est ainsi que dans l'article en discussion la moindre peine correctionnelle est mise sur la même ligne qu'une peine criminelle pour constituer un individu en état de récidive.
La logique, les principes sanctionnés par nous dans la loi sur la juridiction des consuls et la véritable doctrine appuient mon amendement.
On dit que cet amendement peut donner lieu à des inconvénients ; mais je conteste cette allégation et cela est si vrai qu'en France lors de la revision du Code pénal en 1832, on a cru devoir maintenir la disposition à la suppression de laquelle je crois devoir m'opposer.
Nous-mêmes avons déposé le même principe dans le projet de loi sur la juridiction des consuls, la chambre sera conséquente avec elle-même en adoptant mon amendement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'amendement qui nous est soumis par l'honorable M. Lelièvre a déjà fait l'objet d'un examen très attentif de la part de la commission ; elle l'a rejeté à l'unanimité des membres présents, et je crois que c'est à très bon droit.
Voici, messieurs, les inconvénients du système de l'honorable M. Lelièvre. Le premier de tous, c'est que vous faites échapper à la peine de la récidive tous les délits pour lesquels la loi comminera un emprisonnement de moins d'un an. Je suppose que la loi déclare l'abus de confiance punissable d'uu emprisonnement d'un mois à un an ; comme jamais la peine ne pourra excéder un an, il en résultera que pour cette espèce de délit il n'y aura jamais de récidive possible.
Cependant vous pouvez avoir de ces délits (et ils sont très nombreux) pour lesquels il est indispensable que la peine soit augmentée en cas de récidive.
Voilà, messieurs, une anomalie qu'il serait très difficile de justifier. Voici, après cela, un danger que présente le système proposé par M. Lelièvre. Si vous décidez que la récidive n'existera qu'en raison de (page 85) la durée de la première peine, le juge aura une tendance à augmenter la première peine pour pouvoir, en cas de délit, appliquer la peine de la récidive.
Aujourd'hui qu'arrive-t-il ? Il arrive que les tribunaux, très souvent (et cela doit vous avoir frappé tous) condamnent à un an et un jour et cela dans le but que je viens d'indiquer.
Cela n'est pas possible dans notre système, qui n'offre d'ailleurs aucune espèce d'inconvénient.
S'il y avait, messieurs, obligation pour le juge, d'appliquer une peine supérieure en cas de récidive, alors l'honorable M. Lelièvre aurait raison, mais nous laissons une latitude au juge ; ce sera à lui d'examiner s'il faut aller jusqu'au double du maximum. Evidemment, il ne s'agit pas d'appliquer la peine de la récidive dans le cas où un individu qui a été condamné pour un délit de chasse, aurait commis plus tard un crime d'une autre nature. Ce n'est pas de cette manière que la loi sera appliquée.
L'amendement de l'honorable M. Lelièvre présenterait des inconvénients beaucoup plus graves que ceux qu'il reproche au projet. Je persiste à combattre cet amendement.
M. Lelièvre. - M. le ministre prétend que mon système a des inconvénients sérieux, et vraiment je ne puis partager son avis. Tout ce qui résultera de mon amendement, c'est que celui qui commet un nouveau délit ne pourra être condamné au double du maximum de la peine que dans le cas où il aurait été condamné antérieurement à un emprisonnement de plus d'une année.
Remarquez que s'il a été condamné à un emprisonnement de moindre durée, il peut toujours être frappé du maximum, et certes cela est bien suffisant. En conséquence, la vindicte publique n’a rien à redouter de mon amendement, puisque l’application du maximum est toujours facultative.
On dit, en second lieu, que le juge majorera la première peine, afin de pouvoir appliquer à un fait ultérieur la peine de la récidive ; mais, indépendamment qu'on ne peut supposer pareille intention à un juge impartial, cette majoration serait insignifiante, puisqu'il suffirait d'ajouter un seul jour à la peine d'une année de prison.
Mais, messieurs, les inconvénients du système que je combats sont bien autrement graves.
D'abord on laisse aux juges un pouvoir exorbitant, celui d'appliquer le double du maximum de la peine au nouveau délit, par cela seul qu'un premier délit insignifiant aurait été commis. Dans ce système, le juge n'a plus aucune règle certaine pour déclarer un individu en état de récidive, son pouvoir n'est circonscrit par aucune limite. Or, on sait que la meilleure législation criminelle est celle qui laisse le moins à l'arbitraire du juge.
Il est donc essentiel que la loi elle-même, surtout en matière de délits, indique clairement une règle invariable dont le juge ne puisse s'écarter. Sans cela un individu pourrait être considéré comme récidif par un tribunal tandis qu'un autre individu qui aurait commis une faute antérieure plus grave ne serait pas considéré comme récidif par un autre tribunal. Le système que je combats aurait donc pour conséquence d'établir une variation déplorable dans la jurisprudence des différents tribunaux.
Et puis, messieurs, en matière de délit, la raison veut qu'il n'y ait récidive que lorsque le fait antérieur a eu certain caractère de gravité et révélait ainsi déjà de la perversité chez le nouveau délinquant. Celui qui n'a commis qu'une première faute insignifiante ne peut en cas de nouveau délit être réputé récidif ni en droit, ni en équité, et cependant on veut autoriser le juge à lui infliger le double du maximum de la peine prononcée contre le nouveau délit.
Vous déclarez récidif celui qui après avoir commis un crime commet ensuite un nouveau délit, eh bien, la raison n'exige-t-elle pas que si le premier fait est un délit, il se rapproche au moins d'un crime, c'est-à-dire qu'il ait quelque peu de gravité ?
Pour moi, messieurs, je ne pense pas que la qualité de récidif puisse dépendre d'une condamnation à une amende ou à quelques jours de prison ; je ne veux pas laisser aux juges la latitude exorbitante de doubler le maximum du nouveau délit et sous ce rapport je persiste avec confiance dans mon amendement.
M. Delfosse. - On doit reconnaître qu'il y a quelque chose de fondé, de sérieux dans les observations de l'honorable M. Lelièvre. La meilleure loi est celle qui laisse le moins à l'arbitraire du juge, et il me paraît qu'ici on lui en donne trop. Un individu aura été condamné pour un délit peu grave à huit jours d'emprisonnement, et parce qu'il aura subi cette condamnation, le juge pourrait le condamner à dix années d'emprisonnement pour un second délit que la loi punirait d'un emprisonnement d'un à cinq ans ! C'est là un pouvoir exorbitant que je ne puis admettre.
J'engagerai cependant l'honorable M. Lelièvre à modifier son amendement, en ce sens que la limite d'une année serait réduite à six mois.
M. Lelièvre. - Je consens à cette modification.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne puis accepter ni l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, ni le sous-amendement de l'honorable M. Delfosse. Le système qu'on veut introduire dans la loi a de très graves inconvénients, comme je l'ai démontré.
L'honorable M. Delfosse dit : « Vous allez laisser beaucoup d'arbitraire au juge. » Mais cet arbitraire existe à un bien plus haut degré dans différents autres articles du projet de loi. Est-ce que la latitudo entre le maximum et le minimum que vous avez par le Code actuel n'est pas autrement grande que celle que vous donnez par l'article en discussion ? Ainsi pour les travaux forcés à temps, le juge avait une latitude de 15 ans ; aujourd'hui, avec les circonstances atténuantes, vous donnez aux juges la latitude de descendre de plusieurs degrés.
El aujourd'hui, par le Code même que vous discutez, les juges pour les peines criminelles temporaires auront une échelle de cinq ans qu'ils pourront parcourir arbitrairement. Cette latitude n'existera même pas toujours aussi grande ici, car il y a peu de délits correctionnels qui entraînent une peine de cinq ans. La plupart de ces délits ne sont punis au maximum que d'une peine de six mois, d'un an ou de deux ans. De sorte que dans la plupart des cas la latitude laissée au juge sera de six mois, d'un an ou de deux ans au-dessus de la peine ordinaire.
Maintenant, voici en quoi le système que je combats présente des inconvénients. C'est qu'au lieu de provoquer l'indulgence du juge, vous allez, au contraire, provoquer son excessive sévérité. Quand le juge se trouvera disposé à n'appliquer que trois ou quatre mois, il appliquera la peine de six mois et un jour, pour que si ultérieurement l'individu retombe dans la même faute, on puisse lui appliquer la peine de la récidive. Voilà où est le danger de ce système.
M. Delfosse. - Je sais bien que la loi laisse une certaine latitude aux juges ; cela est nécessaire, mais il ne faut pas aller trop loin. Vous autorisez dans certains cas le juge à prononcer un emprisonnement d'un à cinq ans : pourquoi cette limite de cinq ans, pourquoi n'allez-vous pas à dix ? Vous avez probablement de bonnes raisons pour cela. Ces raisons que vous admettez, que vous trouvez plausibles en règle générale, disparaissent-elles, lorsqu'il s'agit d'un individu condamné à quelques jours d'emprisonnement ? N'y a-t-il pas, dans ce cas même, des précautions à prendre, des dangers à éviter ?
M. le minisire de la justice craint que, dans notre système, le juge ne soit porté à élever les peines pour pouvoir ultérieurement appliquer la peine de la récidive. Je ne puis partager cette crainte.
Le juge manquerait à son devoir, si, au lieu de prononcer une peine proportionnée au délit, il prononçait une peine plus forte, en vue d'une récidive possible ; le juge doit supposer que la première peine produira son effet, qu'elle servira de leçon. M. le ministre de la justice raisonne comme s'il s'agissait de crimes et non de délits sans gravité. En fait de crimes, la récidive est probable ; en fait de délits, surtout de délits peu importants, elle l'est beaucoup moins.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'arbitraire qu'on veut éviter existe, et quoi que fasse l'honorable M. Delfosse, il existera toujours. Si vous croyez que le juge puisse aller jusqu'à appliquer, sans aucune espèce d'intelligence, le double du maximum, vous devez admettre aussi que le juge, pour se réserver le double du maximum en cas de récidive, ira au-delà de 6 mois ; vous n'évitez donc pas l'arbitraire. Et vous avez cet autre inconvénient de ne pas soumettre à la peine de la récidive différents délits pour lesquels il doit y avoir une peine supérieure, s'ils se répètent de la part des condamnés.
M. Orts. - Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il est entendu, dans le système de l'article, qu'il y aura récidive, en matière correctionnelle, alors que la première peine ne sera pas même la peine de l'emprisonnement, sera une peine d'amende correctionnelle, par exemple.
Un très honnête homme peut être condamné à une amende correctionnelle, par suite de négligence ; si la disposition s'appliquait même à cette peine-là, je ne lui donnerais certes pas mon assentiment.
M. le président. - On pourrait dire :« Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle ou à un emprisonnement correctionnel, aura, etc. »
M. d'Hondt. - J'allais faire l'observation que vient de présenter M. le président. Si M. le ministre de la justice est d'accord que la récidive ne s'appliquera pas à une peine inférieure à l'emprisonnement correctionnel, je renoncerai à la parole.
Cependant je dirai à M. le ministre de la justice qu'il est dans l'erreur, lorsqu'il a déclaré que l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, ayant été soumis à la commission, avait été rejeté par elle à l'unanimilé ; c'est une erreur : cinq membres étaient présents ; 3 membres ont rejeté l'amendement, un membre l'a adopté, et un membre s'est abstenu. J'ai cru devoir faire cette observation, pour que cette prétendue unanimité ne pût pas exercer une certaine in fluence sur les membres de la chambre.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il va de soi que M. Lelièvre auteur de l'amendement l'a soutenu. Après mes observations vous ne l’avez plus appuyé. Il y avait donc bien unanimité.
M. Lelièvre. - Je ne puis me contenter de l'amendement de M. le ministre qui admet la récidive par cela seul que le prévenu aurait été condamné à un emprisonnement, fùt-il même d'un jour. Mais, messieurs, dans le langage habituel et d'après les règles du bon sens a-t-on jamais consideré pareil individu comme se trouvant en état de récidive ? Evidemment non. Mais on peut être condamné à quelques jours de prison pour des faits commis sans intention criminelle, pour une simple faute, blessures par imprudence, etc., et l'on voudrait cependant que cette circonstance suffît pour autoriser le juge à prononcer la peine attachée à la récidive.
Il m'est impossible de me rallier à pareille doctrine qui est en (page 86) opposition avec les principes admis par la chambre et le sénat, dans le projet de loi dont j'ai parlé. Ce n'est pas tout, messieurs, n'est-il pas nécessaire que le délinquant, par la hauteur de la première condamnation, soit averti qu'il sera constitué en état de récidive s'il commet une seconde faute ?
Or, si vous ne fixez pas d'après quelle peine appliquée en premier lieu l'individu est constitué en pareil état, vous n'avez pas l'avantage assez notable de donner au condamné un avertissement salutaire de nature à lui faire comprendre les conséquences d'un premier délit. S'il n'a encouru la première fois qu'une peine insignifiante, jamais il ne pourra se considérer en réalité comme se trouvant en position de voir porter la peine d'un nouveau délit au double du maximum.
Enfin, messieurs, remarquez bien que tout se borne à décider : Si du chef d'un délit insignifiant commis antérieurement, on autorisera le juge, non pas à appliquer le maximum au nouveau délit, mais bien le double du maximum. Or, nul doute que pour qu'on puisse doubler le maximum, cela suppose que la première faute a été très grave, et sous ce rapport le principe de mon amendement est conforme aux principes qui déterminent la juste proportion entre les délits et les peines.
- La discussion est close.
M. le président. - Je mets aux voix le sous-amendement de M. Delfosse.
M. Delfosse. - Je n'ai pas proposé de sous-amendement. J’ai engagé l'honorable M. Lelièvre à modifier son amendement, et c'est ce qu'il a fait.
M. le président. - C'est la même chose. Au lieu d'une année, M. Lelièvre met six mois. C'est l'amendement ainsi modifié que je mets aux voix.
- Cet amendement est adopté.
« Art. 74. Les peines de la récidive seront appliquées, conformément aux articles précédents, à celui qui aura été condamné antérieurement par un tribunal militaire pour un fait qualifié crime ou délit par les lois pénales ordinaires et à une peine prononcée par ces mêmes lois.
« Si, pour ce fait, il a été condamné à une peine portée par les lois militaires, les cours et tribunaux, dans l'appréciation de la récidive, n'auront égard qu'à la peine que le fait énoncé dans le premier jugement devait entraîner d'après les lois pénales ordinaires. »
- Adopté.
M. le président. - Plusieurs amendements aux articles 75 et suivants ont été présentés par le rapporteur d'accord avec le gouvernement ; ils seront imprimés et distribués. Juge-t-on à propos de les renvoyer à l'examen de la commission ?
- - Plusieurs voix. - Non ! non !
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.