Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 novembre 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vermeire (page 43) procède à l'appel nominal à 3 heures.

La séance est ouverte.

M. A. Vandenpeereboom donne lecture du procès-verbal delà dernière séance. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Raikem (Romain) adresse à la chambre plusieurs exemplaires d'un mémoire du sieur Jadot, et demande une modification à l'article 161 du Code civil. »

- Distribution aux membres et renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 112 exemplaires du compte rendu des séances du congrès d'hygiène qui s'est réuni à Bruxelles en septembre dernier. »

- Distribution et dépôt à la bibliothèque.


« Par 25 messages en date du 10 novembre, le sénat informe la chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de loi de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

« Par message en date du 12 novembre, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi qui ouvre au département de la justice un crédit supplémentaire de 450,000 fr., le projet de loi qui rectifie la limite séparative, entre les communes d'Ixelles et de Saint-Gilles, Brabant et le projet de loi qui ouvre au département de l'intérieur un crédit de 55 mille francs.

- Pris pour notification.


« M. de Steenhault, retenu près de sa mère atteinte par un accident qui met sa vie en danger, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Mercier, appelé près de son père malade, demande un congé. »

- Accordé.

Projet d'adresse

Formation de la délégation au roi

M. le président. - J'ai l'honneur d'informer la chambre que la grande députation chargée de présenter au Roi l'adresse de la chambre sera reçue par S. M. demain à midi et demi. On se réunira au palais de la Natio'n à midi.

M. Loos. - Une affaire urgente m'appelant à Anvers demain, il me sera impossible d'accompagner la députation. Je prie le bureau de vouloir bien procéder à mon remplacement.

M. le président. - Nous allons procéder au tirage au sort d'un membre de la députation en remplacement de M. Loos.

Le sort désigne M. de Man d'Attenrode.

- Un membre. - Il n'est pas présent.

- Un autre membre. - Il est à Bruxelles.

M. le président. - A son défaut le sort désigne M. Rodenbach.

- La chambre fixe ensuite la séance de demain à 2 heures.

Projet de loi modifiant le code pénal

Discussion générale

M. Lelièvre. - Messieurs, depuis longtemps, la révision du Code pénal de 1810 est l'objet des vœux des hommes de la science. L'on convient généralement que les peines établies par les dispositions en vigueur ne sont plus en harmonie avec les besoins de l'époque, et qu'elles sont contraires au but élevé que doit se proposer la législation répressive. C'est ainsi que ceux-là mêmes qui maintiennent la peine de mort, sont d'avis que les peines accessoires comminées contre le parricide ne constituent qu'une cruauté inutile. D'un autre côté, l'on doit reconnaître qne l'exposition publique imprime au condamné une tache indélébile, qui, non seulement est un obstacle à son amendement, mais ne lui permet pas même de rentrer honorablement dans la société ; que, par conséquent, elle doit disparaître de la loi, non moins que la flétrissure, comme réprouvées l'une et l'autre par les règles d'une saine législation.

Il est aussi hors de doute que les principes de nos lois pénales en vigueur sur la tentative et sur la complicité sont vicieux, et ne peuvent être maintenus. En effet, d'après le Code de 1810 la tentative est dans tous les cas assimilée au crime, alors même que l'agent n'a pas encore accompli tous les actes nécessaires à la consommation du fait, par conséquent alors même qu'il n'a pas fait preuve de la même perversité que révèle le crime consommé, et que du reste il ne s'est pas produit un dommage moral aussi considérable. Le Code pénal confond ainsi dans une répression égale deux faits essentiellement différents, à raison de leur gravité et de leurs conséquences pour la société.

De même nos lois actuelles frappent dans toutes les hypothèses le complice de la même peine que l'auteur du crime ou du délit, de sorte que celui qui n'a pas participé directement à l'exécution du fait délictueux et qui certes a fait preuve d'une perversité moins marquée que l'auteur du crime est néanmoins frappé de la même peine.

Le projet renferme d'autres améliorations sous plusieurs, rapports. Il consacre le système pénitentiaire qui s'écarte des anciennes idées en matière pénale et tend à produire le perfectionnement moral des hommes que par une nécessité sociale la loi a dû frapper ; il corrige ce que le Code de 1810 présentait de défectueux en ce qui concerne plusieurs de ses prescriptions, et à ce point de vue, ilest évident que le projet réalise un progrès incontestable.

Toutefois, il m'est impossible de m'y rallier à tous égards. C'est ainsi que je désirerais que, sans abolir irrévocablement la peine capitale, l'on fît pendant quelque temps l'expérience des conséquences de sa suppression de fait.

Quant à moi, je pense que cette peine n'est pas nécessaire. Celui qui se livre au crime envisage moins la gravité de la peine que l'espoir de l'impunité. S'il avait, au moment du fait, la certitude d'être frappé de la peine des travaux forcés à perpétuité, il ne commettrait pas le crime dont d'ordinaire la passion qui l'entraîne ne lui permet pas d'entrevoir les conséquences.

Ceux qui maintiennent la peine capitale devraient en démontrer la nécessité actuelle par des faits historiques irrécusables.

Or, sur ce point, le rapport de la première commission et celui sur lequel la chambre est appelée à délibérer, sont entièrement muets. Il y a plus, il est un fait qu'on ne contestera pas, c'est que dans les contrées où on a supprimé la peine de mort, l'expérience n'a pas révélé la nécessité de la rétablir. La suppression n'a pas eu pour résultat de multiplier les crimes. Dans notre pays où pendant plusieurs années après la révolution de 1830 aucun individu n'a été exécuté, l'on ne s'est jamais aperçu qu'il y eût accroissement du nombre des faits entraînant la peine capitale. La nécessité de cette peine n'est donc pas établie.

En principe, cette pénalité est contraire à la proportion qui doit exister entre la peine et le délit, elle est repoussée par la loi du talion sainement entendue. Celui qui commet un homicide même avec préméditation, n'enlève à la société que l'un de ses membres, tandis que la peine capitale a pour conséquence de ravir au délinquant son existence entière. La répression n'est donc pas en harmonie avec le dommage qu'a éprouvé la société.

D'un autre côté que l'on veuille bien réfléchir que le but de la loi pénale est complètement atteint du moment que le délinquant est réduit à l'impossibilité de nuire, et par conséquent la peine capitale est moins l'exercice du droit de défense appartenant à la société que la consommation d'une véritable vengeance contraire au caractère et à la dignité de la loi.

Mais, messieurs, je ne voudrais que le rapport de la première commission qui a préparé le projet pour y rencontrer écrite en termes formels la condamnation de la peine de mort dans l'état actuel de nos mœurs. Elle considère cette pénalité comme tellement contraire à l'humanité et aux sentiments intimes de la conscience de tous qu'elle en propose l'exécution non publique.

Nous repoussons, s'écrie-t-on avec une généreuse indignation, cette boucherie qui se fait aux yeux du peuple. Or, comme il est impossible de songer sérieusement à une exécution qui ne soit pas environnée de la plus grande publicité, il en résulte que le système de la première commission appliqué avec ses légitimes conséquences conduit nécessairement à la suppression de la peine elle-même.

Mais, messieurs, comment est-il possible de maintenir dans nos lois une peine de telle nature qu'elle rende les erreurs judiciaires irréparables ? Que serait-il arrivé si l'arrêt de la cour d'assises du Brabant prononçant la peine de mort contre les malheureux Bonne, Geens père et fils, avait été exécuté ? L'expérience démontre que par un concours inexplicable de circonstances les charges les plus graves peuvent peser sur l'innocence.

Eh bien, la justice permet-elle à la société de faire aux citoyens une position telle qu'il ne soit plus possible de réparer l'erreur déplorable d'une condamnation imméritée, provoquée souvent par d'injustes préventions auxquelles l'innocent même ne peut quelquefois se soustraire ?

D'un autre côté des considérations d'un ordre supérieur imposent au corps social le devoir de ne rien négliger pour obtenir l'amélioration du condamné, l'amendement de celui qui s'est livré au crime. La peine capitale est un obstacle à ce but élevé, et, sous ce rapport encore, je la repousse énergiquement

Mais, messieurs, au point de vue même de la morale et des principes religieux, n'est-il pas plus conforme à la religion de laisser le criminel dans un état qui permette encore de le voir revenir à des sentiments meilleurs que de le lancer impénitent dans l'éternité ?

Je conçois du reste que quand il s'agit d'un intérêt social aussi grave l'on hésite à prendre à cet égard une résolution définitive ; mais je pense que le gouvernement, en vertu du droit de grâce, pourrait au moins faire l'expérience de la suppression de fait de la peine de mort. Quant à (page 44) moi, j'avoue qu'il m'est impossible d'être satisfait de la proposition de votre commission, de se borner à envoyer le condamne à l'échafaud transporté dans une voiture cellulaire ? Une réforme aussi insignifiante ne me paraît pas en harmonie avec ce que réclament si hautement la justice et l'humanité.

Il est plusieurs autres dispositions que je crois devoir combattre. C'est ainsi qu'en matière correctionnelle la détention préventive, si dans certains cas on juge à propos de la maintenir, doit nécessairement être décomptée de la peine d'emprisonnement prononcée par la décision définitive. Rien ne me paraît plus équitable ; quel que soit le motif qui ait fait détenir préventivement un individu, il est certain qu'en réalité celui-ci a subi un emprisonnement préalable de la même nature que la peine elle-même, il est donc juste que celle-ci soit réduite dans une juste proportion. Sans cela la détention préventive serait une aggravation notable de la condamnation.

Les dispositions du projet sur la récidive me semblent aussi laisser beaucoup à désirer. La commission propose par l'article 78 de décréter qu'en cas de nouveau crime, le maximum de la peine portée par la loi devra être prononcé contre le coupable. Or à mon avis, cette disposition est exorbitante ; il est préférable de laisser ce point à l'arbitrage des juges qui apprécieront le nouveau fait d'après les circonstances, que de sanctionner une règle uniforme qui dans certains cas pourrait donner lieu à des inconvénients et entraîner une peine qui ne serait pas en harmonie avec la gravité du nouveau crime.

Je n'envisage pas comme heureuse l'innovation énoncée en l'article 81 du projet. Celui qui a été condamné à une peine correctionnelle, quelle qu'elle soit, fût-ce même une simple amende, peut, en cas de nouveau délit, être condamné du chef de récidive. Je ne saurais approuver pareille disposition, et je préfère beaucoup les prescriptions du code pénal en vigueur qui n'admettent la récidive en matière de délit que lorsque l'agent a été condamné antérieurement à un emprisonnement de plus d'une année. On conçoit qu'en matière de délits on ne doive admettre la récidive que lorsque le fait antérieur a un certain caractère de gravité. Admettre le contraire, c'est donner aux juges un pouvoir qui, pouvant donner lieu à un trop grand arbitraire, n'est pas en harmonie avec les principes du droit criminel.

Les dispositions relatives au concours de plusieurs infractions doivent aussi, selon moi, être modifiées. Il ne peut être question d'imposer au juge, dans les cas des articles 87 et 88, l'obligation d'infliger le maximum de la peine la plus forte. Le maximum peut souvent être disproportionné avec la nature des faits et circonstances et, sous ce rapport, il doit être purement facultatif et laissé à l'arbitrage des tribunaux.

Comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, les articles du projet concernant la complicité réalisent une amélioration réclamée depuis longtemps ; mais une disposition que je réprouve avec énergie, c'est celle qui frappe d'une peine correctionnelle les individus qui, cédant à un sentiment d'humanité, auraient recelé une personne condamnée pour crime. Pareille prescription répugne à nos mœurs, elle a même un caractère odieux, surtout lorsqu'on l'applique à des crimes politiques, que la loi doit réprimer, mais qui n'ont rien d'infamant aux yeux de l'opinion publique.

L'assemblée constituante de France avait pensé qu'il était impossible de prescrire aux citoyens de faire une chose répugnant à l'honneur et à la délicatesse, et en conséquence elle avait abrogé les ordonnances de Moulins et de Blois prononçant des peines à raison d'un fait semblable à celui prévu par l'article 73 du projet.

Le Code pénal crut devoir revenir à l'ancienne législation, et ce fut sous son empire que les Anglais qui avaient reçu pendant quelques heures dans leur résidence à Paris M. de Lavalette, condamné à mort pour crime politique, furent condamnés aux peines comminéés par l'article 248 du Code pénal. Les prévenus déclarèrent à l'audience qu'ils se seraient crus déshonorés, s'ils avaient refusé un asile au malheureux qui était venu le réclamer.

C'est cependant pareille disposition que l'on reproduit dans le projet. Pour moi je la repousse parce qu'elle répugne à nos mœurs, parce qu'elle est contraire aux sentiments d'honneur et aux sentiments hospitaliers, qui caractérisent la nation belge, parce qu'elle tend à supprimer chez l'homme des sentiments généreux et à ériger l'indélicatesse et l'égoïsme en devoir légal.

Il me reste à présenter quelques observations sur la doctrine du projet relativement aux circonstances atténuantes.

A mon avis, la question de savoir s'il existe des circonstances atténuantes doit être résolue par le jury. Appelé à reconnaître l'existence du fait, il est naturel qu'il doive aussi s'expliquer sur les circonstances de nature à modifier la culpabilité.

Le fait ne se conçoit pas, isolé des circonstances dont il est entouré ; il va de soi dès lors qu'il rentre dans les attributions du jury de décider qu'effectivement le crime est atténué par les diverses circonstances soumises à son appréciation.

Mais c'est au jury qu'est soumise la question d'excuse : eh bien ! les circonstances atténuantes constituent en réalité une véritable excuse dont le résultat est d'entraîner une réduction de la peine légale. Dès lors il est naturel que l'on défère au jury le soin d'en reconnaître l'existence.

La justice même exige qu'il en soit ainsi. L'expérience prouve que le jury à qui on enlève le droit de déclarer qu'il existe des circonstances atténuantes en faveur de l'accusé préférera souvent prononcer un verdict de non-culpabilité que d'émettre une déclaration affirmative, sans avoir l'assurance que la cour reconnaîtra l'existence de considérations de nature à mitiger la peine.

Et puis, si l'on maintient la législation actuelle qui réduit à trois le nombre des juges siégeant à la cour d'assises, est-il possible de faire dépendre le sort de l'accusé d'une voix qui décidera s'il doit subir la peine de mort ou seulement celle des travaux forcés à temps ? A ce point de vue, la composition actuelle des cours d'assises, réduite sur le pied de la loi de mai 1849, ne présente pas les garanties suffisantes, et il est infiniment préférable que, conformément à son institution, le jury composé de douze membres soit appelé à résoudre cette question de fait.

Je sais qu'on ne manquera pas de nous opposer que semblable disposition a donné lieu dans un pays voisin à des inconvénients, mais, à mon avis, c'est faire le procès à l'institution même du jury qui fait partie de nos libertés constitutionnelles. Celui qui peut le plus peut le moins, et du moment qu'on défère au jury la mission de reconnaître souverainement l'existence du fait, comment se défierait-on de lui lorsqu'il s'agit de statuer sur l'existence de simples circonstances de nature à modifier le fait et à en atténuer la gravité ?

Du reste, messieurs, les dispositions du projet en ce point et celles adoptées par votre commission me paraissent défectueuses en plusieurs points. Elles ne confèrent pas aux juges un pouvoir suffisant de modérer les peines lorsque des circonstances atténuantes sont reconnues.

Je préfère sur ce point la loi de mai 1849, dont l'exécution a produit les meilleurs fruits, sans donner lieu à aucun inconvénient sérieux. D'après cette loi, le juge, au lieu de prononcer la peine de la réclusion, peut la réduire à un emprisonnement non moindre de huit jours. La peine des travaux forcés à temps peut être réduite à un emprisonnement de six mois. Le projet est loin de conférer aux juges la même latitude, et cependant l'expérience a démontré que ce pouvoir modérateur est indispensable pour que la peine soit proportionnée au fait commis dont la gravité dépend de circonstances essentiellement variables.

Du reste, je dois avouer que dans plusieurs modifications qu'elle a cru devoir apporter aux dispositions du projet, votre commission ne m'a pas parue heureuse. C'est ainsi que lorsque la loi commine la peine des travaux forcés à temps, elle n'autorise le juge en cas de circonstances atténuantes qu'à prononcer le minimum de la peine, tandis que les circonstances peuvent être telles qu'elles exigent une commutation en un simple emprisonnement.

D'un autre côté la commission pense qu'il faut étendre le droit de réduire les peines même en ce qui concerne les délits prévus par les lois spéciales, comme s'il était permis de s'occuper de ces dernières lois, alors qu'il ne s'agit que de la législation générale. Pareille disposition aurait d'ailleurs pour conséquence d'apporter des modifications importantes aux lois des douanes et accises, et de conférer aux tribunaux le droit de réduire ces peines de manière à les rendre complètement illusoires.

Lorsqu'il s'est agi à la chambre en mars 1849 de la loi promulguée quelques mois plus tard, l'honorable M. Orts avait proposé un amendement dans le même sens ; la chambre le rejeta conformément à mes observations et à celles présentées par M. Tesch.

Il est impossible d'atteindre, par un article général, toutes les lois spéciales dont les dispositions ont souvent leur source dans des considérations d'une nature particulière qui n'ont aucune analogie ayee les principes du droit commun, et sous ce rapport, l'article 119 du projet doit être restreint aux matières traitées dans le Code pénal, à l'instar de l'article 463 de l'ancien Code, et de l'article 6 de la loi du 15 mai 1849.

Je disais tout à l'heure que je ne puis donner mon assentiment à plusieurs amendements admis par la commission. Je signale entre autres celui introduit dans l'article 94 du projet.

La commission propose de punir de la réclusion celui qui a recelé des choses enlevées à l'aide d'un crime punissable de la mort, des travaux forcés à perpétuité ou à temps, s'il est convaincu d'avoir eu, au temps du recel, connaissance des circonstances auxquelles la loi attache les peines de ces trois genres ; mais à mon avis le projet restreignait avec raison cette pénalité particulière, à l'instar de l'article 63 du Code pénal en vigueur, à des cas très graves dans lesquels une peine perpétuelle était prononcée. Je ne puis donc me rallier à la disposition qui étend cette peine sévère à l'hypothèse où il ne s'agit que d'un crime puni de la peine des travaux forcés à temps.

Je me réserve de présenter d'autres observations lorsqu'il s'agira de la discussion des articles en détail. De la solution que recevront certaines questions essentielles dépendra le vote que j'émettrai sur le projet de loi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si l'honorable M. Lelièvre avait critiqué la nécessité d'une réforme, s'il avait critiqué les bases de celle que nous proposons, ce serait ici le lieu de discuter son opinion ; mais comme il donne, en général, son approbation au projet et qu'il se borne à en critiquer trois ou quatre articles, je crois que la discussion de ses idées doit arriver à chacun de ces articles. Ce serait faire deux discussions que de s'occuper maintenant de questions qui se présenteront nécessairement lors du vote des articles.

Je pourrais d'autant moins suivre l'honorable membre, qu'il est des points sur lesquels je suis d'accord avec lui. Je n'ai pas encore dit que je me ralliais à tous les amendements de la commission.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close.

M. le président. - (page 45) Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements de la commission ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je m'expliquerai dans le cours de la discussion, cependant je ne m'oppose pas a ce qu'elle s'ouvre sur le projet de la commission. J'indiquerai successivement les modifications que je n'adopte pas.

Discussion des articles

Livre premier. Des infractions et de la répression en général

Chapitre premier. Des infractions
Article premier

« Art. 1er. L'infraction que les lois punissent d'une peine criminelle est un crime.

L'infraction que les lois punissent d'une peine correctionnelle est un délit.

L'infraction que les lois punissent d'une peine de police est une contravention. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. (Projet du gouvernement). Nul crime, nul délit, nulle contravention ne peuvent être punis de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils fussent commis.

« Néanmoins, si la peine établie au temps du jugement et celle qui était portée au temps de l'infraction sont différentes, on appliquera toujours la peine la moins forte. »

« Art. 2. (Projet de la commission). Nul crime, nul délit, nulle contravention ne peuvent être punis de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils fussent commis.

« Néanmoins, si la peine établie au temps du jugement, dans l'intervalle entre l'infraction et le jugement ou celle portée au temps de l'infraction sont différentes, la peine la moins forte est toujours appliquée. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je commence par déclarer que je ne me rallie pas à l'addition proposée par la commission des mots : « dans l'intervalle entre l'infraction et le jugement. » J'en demande la suppression.

Messieurs, cet article consacre un principe qui a été admis avant même qu'il ne fût écrit dans la loi. Ce principe est celui qui veut que lorsqu’une législation succède à une autre législation et que la législation existante au moment où le jugement du condamné a lieu, est moins sévère que la législation existante au moment où il a commis l'infraction, ce soit la peine la moins sévère qu'on lui applique. Sous ce rapport nous sommes parfaitement d'accord avec la commission.

La commission a supposé une hypothèse qui ne peut se présenter que très rarement et elle a voulu en donner la solution dans la loi. C'est le cas du concours de trois législations différentes. C'est le cas où, par exemple, un individu ayant commis une infraction, une loi moins sévère, succéderait à la loi existant au moment de l'infraction et cette seconde loi serait remplacée, à son tour, par une troisième loi qui rétablirait une peine plus sévère et qui existerait au moment du jugement. Voilà le cas que la commission a supposé.

Je crois, avec la commission, que si une semblable hypothèse se réalisait il faudrait appliquer le principe qui est consacré par l'article 2 c'est-à-dire appliquer la seconde loi, la loi la moins sévère, car l'existence dé cette loi constitue un droit acquis à l'accusé, et qu'une troisième loi n'a pas pu venir lui enlever.

L'addition proposée par la commission me semble donc n'être que l'application à un cas spécial d'un principe admis et pouvoir, par conséquent, disparaître sans inconvénient.

M. de Muelenaere. - Si la commission est d'accord avec M. le ministre de la justice pour la suppression de ces mots, je n'ai rien à dire ; mais si l'on tient à les conserver, je pense qu'il est indispensable d'adopter une autre rédaction que celle du projet, qui ne me paraît ni claire ni conforme aux règles logiques des idées. Il me semble qu'il faudrait y substituer la rédaction que j'ai déposée sur le bureau. Mais je préférerais que la commission consentît à la suppression des mots dont a parlé M. le ministre de la justice. Je crois qu'en général il est inutile de prévoir une hypothèse qui ne se présentera presque jamais.

M. Lelièvre. - Cette disposition exige une explication. Si la peine établie au temps du jugement, dans l'intervalle entre l'infraction et le jugement, et celle portée au temps de l'infraction sont différentes, la peine la moins forte est toujours appliquée. Il doit être bien entendu qu'il s'agit là du jugement au moment où il devient définitif et irrévocable. Ainsi, si par exemple pendant l'instance en cassation, survient une loi qui mitigé la peine, le condamné doit profiter du bienfait de la loi nouvelle. C'est le principe qui a été adopté par la loi de 1832, par laquelle certains crimes qualifiés tels par le Code pénal sont dégénérés en simple délits. La cour de cassation devait renvoyer aux tribunaux correctionnels les causes dont elle était saisie, et dans lesquelles une peine criminelle avait été prononcée.

En matière criminelle, du moment que le jugement de condamnation, n'est pas passé en force de chose jugée, le bénéfice d'una loi mitigeant la peine doit profiter au prévenu. C'est dans ce sens qu'il faut interpréter l'article en discussion. Mais je demande, pour éviter tout doute que le gouvernement veuille bien s'expliquer à cet égard. M. le ministre déclarant que l'article doit recevoir l'interprétation dans le sens de mes observations, il est fait droit à ce que je désirais.

M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, en présence de la déclaration de l'honorable ministre de la justice, le but de l'amendement, c'est-à-dire proclamer la justice de la conséquence que nous avons assignée au principe, ce but est atteint.

En présence de cette déclaration, je ne vois plus l'utilité de l'amendement de la commission. Nous sommes donc prêts à laisser disparaître l'addition que la commission avait faite à cet article. Cependant, je dois faire remarquer que l'honorable comte de Muelenaere s'est mépris sur la possibilité de l'espèce dans laquelle cette disposition nouvelle pourrait s'appliquer.

L'honorable comte de Muelenaere n'a peut-être point réfléchi à la fréquence des cas où les prescriptions sont interrompues, où, par conséquent, la coexistence de plusieurs lois se présente. Grâce à l'activité des parquets, laquelle empêche les prescriptions de s'accomplir, il n'est guère possible que ce mode d'extinction des peines fasse échapper un prévenu ou un accusé à l'application de la loi qui doit l'atteindre, de sorte que le Code pénal étant normal, c'est-à-dire s'appliquant dans ses principes généraux à toutes les autres lois, la difficulté se produira, surtout en ce qui concerne certaines lois spéciales soumises cependant au Code pénal, dans la règle de leur application relative.

Mais comme il nous est complètement indifférent qu'un principe soit consacré au moyen d'une déclaration publique au sein de la législature ou par sa consignation dans la loi elle-même, nous consentons à la suppression des mots dont il s'agit.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je pense que l'on pourrait adopter la rédaction suivante :

« Paragraphe premier. (Comme au projet.)

« Paragraphe 2. Néanmoins, si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l'infraction, on appliquera toujours la peine la moins forte. »

M. de Muelenaere. - J'ai lu avec attention les observations qui ont été consignés dans le rapport à l'appui de la proposition faite par la commission, et je persiste à croire que le cas auquel on fait allusion se présentera assez rarement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il s'est présenté une fois depuis l'existence du Code.

M. de Muelenaere. - (erratum, page 51) Il est évident que lorsqu'on a apporté un adoucissement aux peines criminelles, cet adoucissement dans les trois hypothèses doit bénéficier au coupable.

M. Veydt. - Messieurs, il y a à l'article 2 un second amendement, qui est de rédaction seulement, et cette rédaction me semble préférable à celle du premier projet.

En effet, mieux vaut dire : la peine la moins forte est toujours appliquée et « on appliquera toujours la peine la moins forte ». Je demande à M. le ministre de la justice s'il n'est pas de mon avis ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On peut en effet dire « néanmoins si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l'infraction, la peine la moins forte est toujours appliquée. »

- L'article 2 rédigé comme le propose M. le ministre est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Les infractions commises sur le territoire du royaume par des Belges ou par des étrangers sont punies conformément aux dispositions des lois belges. »

M. Orts. - Je demanderai à M. le ministre de la justice si, pour mettre la loi générale en rapport avec certaines lois spéciales, il ne serait pas utile d'ajouter après les mots : « Sur le territoire du royaume » ceux-ci : « ou à bord des bâtiments nationaux. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La loi maritime prévoit ce cas ; je ne pense donc pas que l'addition proposée par l'honorable membre soit utile.

M. Orts. - Voici l'utilité.de ma proposition : la loi maritime punit les délits maritimes, les délits commis par des personnes faisant partie de l'équipage ; mais si, par exemple, un passager vole un autre passager, ce délit n'est pas prévu par la loi maritime.

M. Roussel, rapporteur. - Le cas est prévu par l'article 4 : « dans les cas déterminés par la loi, les infractions commises hors du territoire du royaume par des Belges ou des étrangers contre l'Etat belge ou contre des Belges sont punies en Belgique, suivant les dispositions des lois belges. » Si le navire dont il s'agit se trouve sur le territoire belge, l'article 3 est applicable ; s'il se trouve hors du territoire du royaume, c'est l'article 4 qui sera appliqué.

- L'article 3 est adopté.

Article 4

« Art. 4. Dans les cas déterminés par la loi, les infractions commises hors du territoire du royaume par des Belges ou des étrangers contre l'Etat belge ou contre des Belges sont punis, en Belgique, suivant les dispositions des lois belges. »

(page 46) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je maintiens la rédaction du projet du gouvernement.

M. le président. - L'article 4 du projet du gouvernement est ainsi conçu :

« Art. 4. Les infractions commises hors du territoire du royaume par des Belges ou par des étrangers, seront punies, en Belgique, d'après les dispositions des lois belges, dans les cas déterminés par la loi. »

M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, l'addition faite par la commission aurait l'inconvénient d'amener immédiatement une discussion sur la nature des infractions commises hors du territoire du royaume, sur les personnes qui pourraient en être auteurs, et sur celles aux droits desquelles l'infraction aurait porté atteinte ; nous pensons dès lors qu'il serait plus convenable de reporter cette discussion, s'il y a lieu, à toute autre partie du Code où il s'agira de l'une de ces infractions. Le principe général est reconnu par tout le monde ; il ne peut pas donner lieu à contestation ; il est d'ailleurs sanctionné par l'article 4 du gouvernement. Par conséquent nous croyons devoir nous rallier également à la rédaction du gouvernement.

M. Lelièvre. - La rédaction du gouvernement est préférable à celle proposée par la commission. Cette dernière présente une lacune en ce qu'elle ne s'applique pas aux infractions commises à l'étranger par des Belges contre un étranger, infractions dont, en certains cas, la loi de 1836 autorise les tribunaux belges à connaître. Il doit en être ainsi, il n'est pas possible que tandis que nous ne pouvons livrer à un gouvernement étranger nos nationaux, ceux-ci puissent échapper aux conséquences d'un crime qu'ils auraient commis dans un pays voisin avec lequel nous entretenons des relations d'amitié. Ce serait accorder une scandaleuse impunité, à raison des faits les plus graves.

Je pense donc qu'il faut maintenir les principes de la loi de 1836, qu'il ne saurait du reste être question d'abroger, alors que nous nous occupons des principes généraux de la législation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je demande le maintien de l'article 4 du projet du gouvernement par la raison très simple que l'article 4 du projet de la commission entraînerait l'abrogation de la loi de 1846 qui punit certains faits commis hors du territoire par des Belges contre des étrangers, législation que je n'entends pas du tout abandonner.

- L'article 4 du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.

Article 5

« Art. 5. Les dispositions du présent Code ne s'appliquent pas aux infractions punies par les lois et règlements militaires. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. Dans toutes les matières qui n'ont pas été réglées par le présent Code et qui sont régies par des lois et règlements particuliers, les cours et les tribunaux continueront de les observer. »

M. Lelièvre. - Messieurs, je présume que l'article 6 doit être entendu dans le sens qu'a donné la jurisprudence à l'article 484 du Code pénal. On considère comme matières non réglées par le Code en discussion, toutes celles à l'égard desquelles celui-ci ne contient pas un système complet ; en conséquence il ne suffirait pas de quelques dispositions éparses sur une matière quelconque pour que celle-ci soit réputée avoir été réglée par le projet en discussion.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, le gouvernement n'entend maintenir en vigueur que les dispositions des règlements qui auront force obligatoire au moment où le Code pénal sera promulgué : c'est ce qu'indiquent les mots « continueront à être observés ».

- L'article 6 est adopté.

Chapitre II. Des peines
Section I. Des diverses espèces de peines
Article 7

M. le président. - Nous passons à l'article 7 qui détermine les peines applicables aux infractions.

M. Bruneau. - Comme cet article est un des plus importants de la loi et que la chambre est en ce moment très peu nombreuse, je demande que cette discussion soit remise à demain.

- Adopté.

Projets de loi fixant les limites séparatives de certaines communes

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau deux projets de loi, ayant pour objet de fixer les limites séparatives de deux communes.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces deux projets de loi qui seront imprimés et distribués, ainsi que les exposés des motifs qui lès accompagnent.

La chambre les renvoie à l'examen d'une commission spéciale qni sera nommée par le bureau.

La séance est levée à 4 1/2 heures.