(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. Vermeire (page 7) procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. A. Vandenpeereboom lit le pmcès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Vermeire présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Le sieur Germain-Joseph Hardy, préposé de la douane à Marcke, né à Gand, de parents français, demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs membres de sociétés flamandes établies à Bruxelles présentent des observations sur la part qui est faite à la langue flamande dans les mesures d'exécution de la loi du 1er juin 1850 sur l'enseignement moyen. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par message, en date du 6 novembre, le sénat informe la chambre qu'il s'est constitué. »
- Pris pour notification.
Il est fait hommage à la chambre :
« 1° Par M. le ministre des finances, de 110 exemplaires d'un recueil de documents et de discussions parlementaires relatifs à l'institution de la Banque Nationale et à l'organisation du service du caissier de l'Etat ; et de 112 exemplaires de la réponse faite au nom de son département aux observations de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale, concernant les intérêts de l'encaisse de 1830 ;
« 2° Par M. Borgnet, recteur de l'université de Liège, de 110 exemplaires du discours qu'il a prononcé à la réouverture des cours de cet établissement. »
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à bibliothèque.
Les sections se sont constituées comme suit :
Première section
Président : M. Julliot
Vice-président : M. Dumont
Secrétaire : M. Vermeire
Rapporteur de pétitions : M. De Pouhon
Deuxième section
Président : M. Cumont
Vice-président : M. de Baillet-Latour
Secrétaire : M. de Brouwer de Hogendorp
Rapporteur de pétitions : M. Van Cleemputte
Troisième section
Président : M. Destriveaux
Vice-président : M. Lange
Secrétaire : M. Cools
Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe
Quatrième section
Président : M. Ch. Rousselle
Vice-président : M. Deliége
Secrétaire : M. A. Dumon
Rapporteur de pétitions : M. Moxhon
Cinquième section
Président : M. Moreau
Vice-président : M. Veydt
Secrétaire : M. Van Iseghem
Rapporteur de pétitions : M. Moncheur
Sixième section
Président : M. Lesoinne
Vice-président : M. Allard
Secrétaire : M. Bruneau
Rapporteur de pétitions : M. Vanden Brande de Reeth
M. le président. - (page 8) L’ordre du jour appelle la discussion du projet d’adresse en répanse au discours du trône.
M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Il me semble qu'il est impossible d'ouvrir la discussion sur le projet d’adresse en réponse au discours du Trône sans que MM. les ministres soient présents. Il n’y a ici que deux membres du cabinet, leurs collègues sont retenus dans une autre enceinte. Je crois qu’il serait sage de suspendre la séance jusqu’à ce que le cainet tout entier puisse y assister.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, le gouvernement est représenté par les ministres présents. D'un autre côté, je ne pense pas que nos collègues soient retenus longtemps au sénat ; ils pourront venir d'une minute à l'autre. Dans tous les cas, je déclare que nous sommes prêts à soutenir la discussion.
Je demande, du reste, qu'on veuille bien faire prévenir nos collègues qui sont au sénat.
M. le président. - M. Dumortier insiste t-il ?
M. Dumortier. - Non, M. le président.
M. de Theux. - Messieurs, nous n'avons eu que bien peu de temps pour examiner le projet d'adresse ; néanmoins nous ne voulons point demander l'ajournement de la discussion. Notre opinion s'est bientôt formée sur le fond de cette adresse ; notre vote sera contraire.
Ce document, messieurs, renferme des sentiments auxquels, certainement, chacun de nous s'associera sans aucune espèce de réserve. Ce sont des sentiments de reconnaissance, de respectueuse affection pour le Roi et l'éloge de la sagesse de son règne.
C'est, messieurs, l'expression de l'attachement sincère à nos institutions fondamentales. C'est aussi la reconnaissance solennelle du bon esprit de la nation.
Tous ces sentiments, messieurs, nous les partageons avec votre commission, sans aucune réserve et nous nous y associons complètement.
Mais, messieurs, nous ne pouvons suivre la commission dans l'éloge qu'elle fait de plusieurs lois qui ont été votées contre nos observations et malgré notre vote contraire.
Parmi ces lois, messieurs, il en est que nous avons combattues comme étant peu en harmonie avec l'esprit de. notre Constitution : ce sont les dernières lois sur l'enseignement public.
Il en est une autre que nous avons combattue comme n'étant point basée sur un principe de justice distributive. c'est la nouvelle législation sur les céréales, qui constitue l'agriculture dans un état de défaveur comparativement aux autres industries.
Nous pouvons encore moins, messieurs, reconnaître que cette loi ait eu pour les intérêts agricoles le résultat que le discours du Trône et la commission d'adresse semblent lui attribuer, à savoir, la situation favorable de l'agriculture, et un prix rémunérateur plus fort pour nos cultivateurs que dans d'autres pays.
Nous croyons qu'on a voulu établir une comparaison avec le prix des céréales en France. Quant à nous, nous ne pouvons pas admettre que cette différence de prix soit la conséquence de la libre importation des blés étrangers en Belgique ; nous croyons que cette différence tient à d'autres causes ; nous n'entendons pas les discuter en ce moment, parce que cet objet mériterait un examen très approfondi.
Quant à la situation prospère de l'agriculture, c'est une opinion que nous croyons isolée, et nous pouvons affirmer que nous n'avons pas entendu un seul cultivateur faire l'éloge de la situation prospère de l'agriculture ; au contraire, nous avons entendu des plaintes fréquentes et nombreuses sur la situation des cultivateurs.
Quant à l'abondance des récoltes, je crois qu'il convient d'être encore plus réservé à cet égard ; car si mes informations sont exactes, la récolte du seigle a été très peu productive. Il en est de même de la récolte des pommes de terre. Et ce qui vient à l'appui de notre opinion, ce sont les prix assez élevés de ces deux denrées alimentaires. Or, les prix plus élevés qui résultent, non pas de l'exportation de ces denrées, mais d'une production peu abondante, ne constituent pas un avantage pour les cultivateurs ; en outre, mieux vaut pour le cultivateur d'avoir des prix moins élevés et une récolte beaucoup plus abondante. Je crois que c'est là la vérité.
Je ne puis non plus m'associer au regret, exprimé par votre commission, que le sénat n'ait pas adopté la loi sur les successions en ligne directe ; j'ai pour cela de très bonnes raisons ; dans deux discussions solennelles, j'ai combattu cette loi, et les discussions qui ont eu lieu dans une autre enceinte n'ont fait que me confirmer dans mon opinion, contraire à cette loi.
Il est un paragraphe de l'adresse qui me paraît peu en harmonie avec l'expression d'attachement à nos institutions ; c'est celui où il est dit : « La chambre, émanation la plus libre et la plus large des corps électoraux, croit être l'interprète de la volonté nationale, etc. » On paraît croire que la chambre entend être un interprète tellement prépondérant que lorsqu'elle s'est prononcée sur une question de cette gravité, un dissentiment de la part de l'autre chambre ne peut avoir que de funestes résultats, et la mettre en opposition avec la volonté de la nation.
J'aime à croire cependant que telle n'est pas la pensée de la commission ; car s'il en était ainsi, nous dirions que c'est une critique formelle de notre Constitution. Car ne n’est pas en vain, sans motifs, que le congrès national a exigé pour la composition du sénat deux conditions qu'il n'a pas exigées pour l'élection des membres de la chambre, à savoir un âge plus avancé et un cens d'éligibilité. Nous croyons que le vote de chacune des deux chambres a exactement la même valeur, et que, lorsqu'un dissentiment se manifeste entre les deux chambres dont le consentement est nécessaire pour la formation de la loi, comme l’une et l’autre émanent de la volonté des électeurs, nous pensons que ce qu’on peut conclure de ce dissentiment c’est qu’il y a doute sur la volonté réelle de la nation.
Dès lors, dans notre opinion la conséquence pratique d'un dissentiment entre les deux chambres serait quand il s'agit d'une matière aussi importante, d'une lui qui dans mon opinion ne devrait être adoptés qu'avec l'assentiment certain d'une grande majorité de la nation, la conséquence pratique serait de ne pas insister davantage sur l'adoption d'une loi à l'égard de laquelle il y a tout au moins doute dans la volonté de la nation.
L'on ne pourrait pas s'appuyer, dans cette circonstance, sur ce fait, qu'il y a accord entre le gouvernement et cette chambre. Le sénat n'est pas seulement institué pour servir d'appui au gouvernement ; il a été institué comme corps législatif à l'effet de servir de contre-poids et à la volonté du cabinet et à la volonté de la chambre des représentants. S'il en était autrement, la constitution d'un sénat électif serait un non-sens ; ce serait une institution véritablement en désaccord avec la volonté intime du Congrès, si le sénat devait plier devant la volonté manifestée du gouvernement et de la chambre des représentants.
Dans les pays où il en est ainsi, on permet au gouvernement de briser la volonté de l'assemblée haute en augmentant le nombre de ses membres. C'est ce qui s'est vu en Angleterre ; c'est ce qui s'est également vu dans les pays où il existe un sénat qui n'est pas électif, mais dont les membres sont à la nomination du gouvernement.
Comme corps électif, le sénat peut donc librement discuter et voter toutes les lois que nous discutons, et votons. Notre volonté ne peut pas violenter la sienne ; de la même manière que nous voulons que le sénat respecte nos prérogatives, nous devons respecter les siennes.
Il est un autre paragraphe de l'adresse où l'on semble redouter une désunion ou dissentiment dans la nation.
Ces conséquences, nous ne pouvons pas les attribuer à un dissentiment portant sur une loi, quelle qu'en soit la portée. Aussi longtemps qu'on respectera les institutions et les lois, la nation restera unie, nous n'aurons rien à craindre sur son existence, à l'intérieur du moins ; le danger ne pourra venir que du dehors.
Nous croyons que la véritable garantie de l'union et de l'existence de la nation est dans le respect immuable de la Constitution, dans la fidèle observation des lois. Les dissentiments qui peuvent se manifester soit entre les diverses fractions des corps politiques, soit entre des individus, n'ont pas la portée qu'on semblerait craindre. S'il en était ainsi, nous dirions que c'est à tort que nos contradicteurs, et même les membres du cabinet, ont préconisé les avantages d'une dissidence fortement prononcée entre les partis ou entre les opinions de la minorité et de la majorité.
Quant à nous, nous n'irons pas aussi loin que certains membres du cabinet et de la majorité. Je voudrais voir le gouvernement faire quelques efforts pour rattacher les opinions dissidentes et marcher ainsi dans la voie vraie, large que le Congrès national a ouverte, dans le sentiment de l'union dont il s'est constamment inspiré.
Entre les diverses nuances du Congrès l'on s'est mis d'accord sur les dispositions qui ont obtenu l'assentiment national.
Le projet de la commission exprime l'opinion que la discussion prochaine sur l'organisation de l'armée sortira cet heureux résultat, que l'armée sera désormais assise sur des bases fortes et définitives. J'insiste sur ce mot, car il me paraît quelque peu présomptueux, à une époque où tout est mis en discussion et où les questions une fois résolues sont renouvelées bientôt. Et, en effet, comment pourra-t-on raisonnablement espérer une constitution définitive de l'armée des prochaines discussions qui vont s'ouvrir ? Nous croyons que plus l'on discutera sur l'organisation de l'armée, plus on fournira d'éléments pour une discussion nouvelle.
Nous ne pouvons pas en fixer les termes, mais nous pouvons prédire que la discussion prochaine ne sera point la dernière. Toutefois nous pensons que l'armée trouvera à toute époque des défenseurs éclairés et généreux, non seulement dans le gouvernement, mais dans les deux chambres, et que cette institution restera assise sur l'estime, sur la reconnaissance du pays, parce que l'armée est une des sauvegardes principales de son indépendance et de la paix intérieure.
Ainsi, tout en désirant que l'armée soit constituée d'une manière définitive, que désormais elle soit à l'abri de dangers, nous ne pourrions, en sincérité de conscience, dire que telle est notre opinion sur le résultat des discussions prochaines.
Nous avons en très peu de mots parcouru les principales dispositions du projet d'adresse. J'ai déclaré que mon intention était de voter contre. Les motifs que nous avons exprimés nous paraissent plus que déterminants pour justifier cette résolution.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion sur les paragraphes.
« En se retrouvant, après deux années, au milieu de nous, Votre Majesté (page 9) a pu constater que nos sentiments de reconnaissance et de respectueuse affection n'ont rien perdu de leur force. »
- Adopté.
« Nous n'avons pas oublié, nous n'oublierons jamais que c'est non seulement à la solidité de ses institutions et à l'excellent esprit de ses habitants, mais aussi à la sagesse de son Roi, que la Belgique doit la situation prospère et tranquille qui la recommande à l'estime des autres nations. Nous sommes heureux d'apprendre que nos rapports avec les puissances étrangères en ressentent les bons effets et que le gouvernement de Votre Majesté continue d'entretenir avec elles les relations les plus bienveillantes. »
- Adopté.
« Votre Majesté a bien voulu rappeler quelques lois d'un haut intérêt votées dans nos deux dernières sessions, les unes ayant pour but d'affermir le crédit public et privé, les autres d'améliorer le sort des classes laborieuses et de répandre de plus en plus les bienfaits de l'instruction. Il n'a dépendu ni de Votre Majesté ni de nous que la dernière session ne fût plus fructueuse encore. »
M. Dechamps. - Messieurs, je demanderai la suppression de la dernière phrase de ce paragraphe : « Il n'a dépendu ni de Votre Majesté ni de nous que la dernière session ne fût plus fructueuse encore. »
Messieurs, la commission d'adresse nous a dit qu'il était très désirable, dans les circonstances actuelles, de voir l'harmonie se maintenir, ou se rétablir entre les grands pouvoirs de l'Etat.
La commission d'adresse a émis des vœux ardents pour que la difficulté qui a motivé la dissolution du sénat, vienne à se résoudre dans un esprit de modération et de prudence.
Ces conseils de modération et de prudence sont bons et j'y adhère complètement, mais à la condition que chacun en fasse son profit, à commencer par la commission elle-même.
La commission qui nous donne ces conseils, et qui nous parle de la grave responsabilité qu'encourraient ceux qui troubleraient la situation paisible et forte dont jouit la Belgique, doit prêcher d'exemple ; il ne faut pas que des passages de l'adresse aient un caractère, même lointain, d'agression, de reproche ou de leçon, à l'égard de l'autre assemblée dont nous devons respecter l'indépendance aussi scrupuleusement que la nôtre.
Il me paraît qu'il est indispensable de faire disparaître de l'adresse toutes les phrases qui pourraient, contre l'intention de ses rédacteurs, sans doute, avoir l'apparence même du caractère dont je parle.
Or, le passage dont je demande la suppression est précisément de ceux-là :
« Il n'a pas dépendu du gouvernement, dit la commission, ni de la chambre que la session ne fût plus fructueuse. » Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'il a dépendu du sénat qu'elle fût plus fructueuse. Evidemment il y a là un reproche peu déguisé dont il faut que la chambre s'abstienne, si l'on veut réellement maintenir ou rétablir l'harmonie désirable entre les pouvoirs de l'Etat.
Je propose donc, messieurs, la suppression de ce paragraphe, qui est ou bien inutile ou bien d'une nature provocante et peu conciliable avec les conseils de prudence que la commission a cru devoir donner.
M. Delfosse, rapporteur. - Messieurs, on nous convie à la modération, à la conciliation. Nous y sommes tout disposés, et nous croyons en avoir donné des preuves daus le projet d'adresse. Ce n'est pas votre commission qui fera entendre un langage provocateur, et cependant nous avons à nous plaindre de paroles offensantes prononcées dans une autre eiceinle.
Un homme qui, par sa position et son âge, aurait dû donner l'exemple de la modération et de la conciliation, s'est livré contre la chambre à une sortie aussi violente qu'injuste. On a donné à entendre que la chambre des représentants serait servile et complaisante. La chambre des représentants n'est ni servile ni complaisante. Lorsqu'elle appuie le ministère (elle ne l'appuie pas toujours), c'est qu'elle croit que l’intérêt du pays l'exige. Je proteste hautement contre le langage qui a été tenu. Beaucoup d'entre nous ne payent pas le cens d'éligibilité ; nous n'en avons pas moins la prétention d'être aussi indépendants que MM. les sénateurs.
Les paroles, je le sais, ont été rétractées, mais elles n'auraient pas dû être prononcées. Les membres des deux chambres se doivent des égards et une bienveillance mutuelle. On n'aurait pas dû l'oublier ; j'espère qu'on ne l'oubliera plus.
Quand nous avons rédigé notre adresse, messieurs, nous avons tâché d'oublier ces paroles offensantes ; nous avons cherché à éviter tout ce qui pourrait être blessant pour l'autre chambre.
Le passage de l'adresse que l'honorable M. Dechamps voudrait faire disparaître n'a pas le caractère que l'honorable membre lui attribue. Il nous est bien permis, à nous, de dire, conformément à la pensée royale, que si l'ensemble de lois indiqué dans le paragraphe suivant avait été voté, la session eût été plus fructueuse ; c'est notre opinion, opinion consciencieuse, nous avons le droit de l'exprimer.
Accusons-nous pour cela le sénat ? En aucune manière, messieurs. Nous respectons les prérogatives du sénat, nous aimons à croire que le sénat n'est, comme nous, mû dans ses votes que par l'intérêt du pays ; nous ne blâmons pas, dans l'adresse, le vote qu'il a émis, mais nous maintenons le nôtre.
Je sais bien que la minorité n'est pas du même avis que nous, puisqu'elle a voté contre ces lois, la minorité ne veut pas de ces lois, nous les trouvons bonnes, il est tout naturel que nous le disions, en nous associant à la pensée du discours du Trône.
Que la minorité ne veuille pas nous suivre sur ce terrain, qu'elle présente un amendement pour faire disparaître de l'adresse le passage qui lui déplaît, je le conçois parfaitement, mais je ne concevrais pas que la majorité se ralliât à la minorité pour désavouer en quelque sorte son œuvre.
Je demande le maintien du passage dont l'honorable M. Dechamps propose la suppression.
M. Dumortier. - L'honorable préopinant vient de donner de la manière la plus claire, la plus explicite, les motifs pour lesquels la phrase, dont l'honorable M. Dechamps demande la suppression, doit être modifiée. Il nous a dit que les membres des deux chambres se doivent de mutuels égards ; eh bien, c'est précisément pour cela qu'il ne faut pas que la chambre vienne, dans une adresse, déverser un blâme, soit direct, soit indirect, sur l'autre assemblée. Nous n'avons pas ce droit. Et que diriez-vous, messieurs, si le sénat venait, dans une adresse, déverser le blâme sur la chambre ? Mais vous trouveriez que c'est la chose la plus inconvenante possible, et vous auriez raison.
On nous dit qu'un sénateur s'est servi d'expressions qui ne conviennent pas à l'honorable M. Delfosse. Je n'ai point connaissance de ces expressions ; mais supposons qu'un honorable sénateur les ait prononcées, eh bien, l'honorable M. Delfosse peut se lever pour répondre ; mais ce n'est pas un motif pour que la chambre tout entière par un acte collectif, par un acte de sa souveraineté, vienne déverser le blâme sur une assemblée souveraine comme nous.
Si un membre de l'assemblée parallèle à la nôtre s'exprime d'une manière qui vous paraît peu convenable, levez-vous pour critiquer les paroles que vous désapprouvez, c'est votre droit ; mais ici vous voudriez que la chambre tout entière insérât dans son adresse une phrase attentatoire à la liberté du sénat pour blâmer des paroles qui, si elles ont été prononcées, ne l'ont pas été'par le sénat. Si le sénat a rejeté l'impôt sur les successions, il a fait en cela un acte de souveraineté ; M. Delfosse a le droit de le regretter, mais la chambre n'a pas le droit de le blâmer ; le sénat est libre.
Je crois, messieurs, que ce n'est que par une préoccupation que je déplore, qu'une phrase de ce genre a été insérée dans le projet d'adresse. Aujourd'hui plus que jamais et alors surtout qu'on désire voir l'harmonie régner entre les différentes branches du pouvoir législatif, il importe d'éviter des expressions blessantes pour la chambre qui siège à côté de nous.
Je le répète, si le sénat se permettait des expressions semblables, je serais le premier à les relever ; mais c'est précisément parce que je tiens aux prérogatives de l'assemblée des représentants de la nation, que je m'oppose à ce qu'il soit porté atteinte aux prérogatives de l'autre chambre.
Il ne s'agit pas ici de majorité ou de minorité, c'est une question de haute convenance sur laquelle la majorité et la minorité peuvent très bien s'entendre.
Je demande donc, messieurs, le retranchement de cette phrase qui n'ajoute rien à notre adresse et qui pourrait devenir une cause de discorde entre deux assemblées qui doivent, avant tout, s'entendre pour faire les affaires du pays.
M. Dechamps. - L'honorable M. Delfosse vient de nous dire qu'il était naturel que la minorité n'acceptât pas l'adresse que la majorité croyait convenable de faire en réponse au discours du Trône, que c'était là le rôle de la minorité qui ne pouvait pas trouver bonnes les lois qu'elle a combattues et qui sont rappelées dans le projet d'adresse. Mais, messieurs, ce n'est pas du tout là le sens ni la portée des observations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre. Ce n'est pas à ce point de vue que je me suis placé.
J'ai dit et je répète que la profession de foi de la commission d'adresse est celle-ci : que dans les circonstances actuelles, il est utile, nécessaire pour tous, que l'harmonie règne entre les grands pouvoirs de l'Etat. La commission émet des vœux pour que la modération et la prudence président à la solution qui sera donnée à nos difficultés politiques. Eh bien, je dis que, pour être fidèle à cette profession de foi, pour prêcher d'exemple, il faut que dans l'adresse on ne laisse pas des germes d'excitation et d'antagonisme, ii faut que l'adresse n'ait aucun caractère de provocation, de leçon et de blâme.
L'honorable M. Delfosse affirme que l'adresse n'a pas ce caractère, que l'intention de la commission n'a pas été d'être blessante à l'égard du sénat ; eh bien, que l'honorable rapporteur me permette de le lui dire, je n'accuse pas ici les intentions des membres de la commission. Mais, à son insu probablement, plusieurs paragraphes de l'adresse ont ce caractère de reproche et de leçon que nous n'avons pas le droit d'adresser à un autre pouvoir de l'Etat et que celui-ci pourrait légitimement nous renvoyer. Tel est, par exemple, le sens du paragraphe dont je demande en ce moment la suppression.
Lorsque la commission avance qu'il n'a dépendu ni de Sa Majesté ni de la chambre, que la dernière session ne fût plus fructueuse encore, cela ne veut rien dire, ou cela veut dire qu'il a dépendu du sénat que la session fût plus fructueuse. Le sens me paraît clair : c'est un blâme, et il serait bien facile au sénat d'y répondre d'une manière embarrassante pour ceux qui le lui adressent. Cette réponse, je m'abstiens de la faire, pour rester modéré.
(page 10) Permettez-moi d'indiquer d'autres phrases qui ont encore ce caractère.
Ainsi, la commission dit qu'elle (la chambre) forme des vœux ardents pour que cette difficulté puisse se résoudre bientôt dans cet esprit de modération et de prudence dont nous croyons avoir donné l'exemple.
Eh bien, par cette espèce de vanterie politique qui a l'inconvénient de n'être pas modeste, on peut comprendre que nous avons l'intention d'insinuer que la chambre des représentants a donné un exemple de modération que le sénat n'a pas suivi.
Troisième phrase : « Troubler la situation paisible et forte dans laquelle la Belgique s'est maintenue depuis quatre années, ce serait encourir une bien grave responsabilité. »
Le conseil est sage, et si la commission a entendu le donner à tout le monde, à la chambre comme au sénat, à la majorité comme à la minorité, sans oublier surtout le gouvernement, je suis prêt à l'accepter ; mais si on rapproche cette phrase des autres paragraphes, je crains encore que le sénat ne puisse y trouver un sens plus ou moins blessant pour lui.
Il me reste à parler d'un dernier paragraphe dont la suppression, je pense, ne fera aucune difficulté : c'est celui dont a parlé l'honorable M. de Theux, celui où la commission dit que la chambre des représentants est l'émanation la plus libre et la plus large des corps électoraux.
La commission a inséré cette phrase dans son projet, en réponse à une autre phrase qui se trouvait dans le projet primitif du sénat, et que le sénat a spontanément supprimée, parce qu'on lui donnait une portée qui n'était pas dans l'intention du sénat ; le sénat avait voulu, et il en avait le droit, mentionner, dans son adresse, l'élection du 27 septembre, dont il avait reçu le baptême récent, mais sans vouloir soulever la question de prépondérance politique entre les deux chambres. Je dirai que la phrase, critiquée avec raison par l'honorable M. de Theux, et qui pourrait fournir le thème d'un long et dangereux débat, a ce grave inconvénient, de donner des encouragements à des idées malheureuses qui ont été jetées dans l'opinion politique et qui ne tendent à rien moins qu'à la révision de la Constitution.
Je pense qu'après la suppression, faite par le sénat, de la phrase dont on a parlé, personne, dans cette chambre, ne voudra maintenir celle qui se trouve dans le paragraphe de la commission d'adresse.
C'est uniquement dans un intérêt de conciliation que je parle en ce moment ; c'est plutôt dans l'intérêt de la majorité que dans celui de la minorité qu'il faut faire disparaître de l'adresse toutes les phrases qui pourraient avoir un caractère, même apparent, d'agression et d'antagonisme à l'égard du sénat.
M. de Decker. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de faire partie de la commission ; comme rien ne constate aux yeux du public et de la chambre les divergences d'opinion qui se sont manifestées dans le sein de la commission, et les motifs sur lesquels ces divergences d'opinion se sont appuyées, je crois devoir quelques mots d'explication sur la part que j'ai prise au paragraphe actuellement en discussion.
Je me suis opposé à la rédaction des paragraphes 3 et 4, tels qu'ils sont conçus, précisément pour les motifs que mes honorables amis viennent de faire valoir. Je croyais que la situation est déjà assez grave, qu'elle présente assez de dangers pour l'avenir même de nos institutions, pour que la chambre se gardât bien d'attiser en aucune façon le feu des passions politiques.
Mon opinion, et ici je rencontre l'observation que faisait l'honorable M. Delfosse, mon opinion a été celle de la majorité de mes collègues, relativement au projet de loi qui constitue le conflit entre le gouvernement et le sénat. Ainsi, on peut être parfaitement d'accord avec la majorité de cette chambre, on peut avoir voté avec conviction, comme je l'ai fait, toutes ces lois qui, aujourd'hui, rencontrent de l'opposition dans le sénat ; et s'opposer cependant à ce que la chambre des représentants pose un acte d'agression contre l'autre chambre.
C'est précisément là ma position. D'une part, j'entends bien rester fidèle à nos convictions, comme j'y resterai fidèle dans l'avenir ; mais je crois, d'autre part, que nous devons à notre caractère de législateurs de faire preuve de toute la modération et de toute la prudence nécessaires pour ne pas augmenter les chances de conflit qui existent déjà.
C'est pour ce motif que je m'étais opposé, au sein de la commission, à toutes les phrases qui pouvaient avoir un caractère de reproche, d'agression contre une autre chambre dont nous devons respecter la complète indépendance.
Et, à ce sujet, je dirai que la phrase dont l'honorable M. Dechamps a demandé la suppression, n'avait pas été indiquée, le premier jour, comme devant figurer dans le projet. La commission a eu deux séances : dans la première, elle a discuté les bases de l'adresse ; dans la deuxième, elle s'est occupée de l'examen de la rédaction, telle que l'avait préparée l'honorable rapporteur.
Je n'ai assisté qu'à la première séance, croyant que c'était là la séance importante, puisqu'il s'agissait d arrêter les bases de l'ensemble de l'adresse. Je n'ai pas pris part à l'examen de la rédaction, mais je puis constater et je suis persuadé qu'aucun membre de la commission ne me démentira, je puis constater qu'il n'avait été nullement question de cette phrase qui rencontre peu de sympathie sur quelques bancs. C'est un motif de plus pour moi de rester fidèle au rôle que j'ai joué dans le sein de la commission, et de demander avec mes honorables amis qu'on veuille supprimer, dans ce paragraphe, ce bout de phrase qui n'ajoute rien à l'expression des sentiments de la chambre et qui peut être interprété comme un reproche désagréable adressé à nos collègues d'une autre enceinte.
J'arrive à la phrase qui termine le paragraphe suivant et qui est encore relative au conflit entre les deux chambres. Dans cette phrase on fait une menace indirecte au sénat, lorsqu'on dit : « Les circonstances actuelles rendent plus que jamais désirable l'harmonie entre les pouvoirs de l'Etat ; troubler la situation paisible et forte dans laquelle la Belgique s'est maintenue depuis quatre années, ce serait encourir une bien grave responsabilité. » Je me suis encore opposé à cette phrase, non pas pour le fond même de l'idée qu'elle exprime ; car je suis de l'opinion de l'honorable rapporteur sur la nécessité de l'harmonie qui doit régner plus que jamais entre les pouvoirs de l'Etat ; pour ma part, je désire ardemment de voir continuer cette harmonie, et je serais désolé de la voir cesser, surtout par la faute de la chambre.
Du reste, ce n'est pas seulement par respect pour l'autre pouvoir législatif qu'au sein de la commission comme maintenant je désirais voir disparaître de l'adresse des termes impliquant un reproche, ayant un caractère de blâme ; c'est encore parce que je crois que nous ne devons pas désespérer, quelque tendue que soit la situation, de voir encore une transaction s'opérer.
Cette transaction, je la désire du fond de mon coeur, car on se tromperait étrangement si l'on croyait que mon vote contre l'adresse implique le désir de voir renverser le cabinet actuel, d'y voir substituer un autre cabinet. J'irai plus loin ; je dirai que je verrais difficilement comment on pourrait le remplacer dans les circonstances actuelles. C'est un excellent motif pour ne pas chercher à substituer un autre cabinet à celui qui existe. C'est encore là un motif pour que nous devions rédiger l'adresse en vue de permettre un dernier effort de transaction entre le gouvernement et le sénat.
Voilà, messieurs, le double but que je me proposais quand je demandais qu'on écartât de l'adresse toute phrase pouvant être interprétée comme un acte d'agression ou de blâme contre le sénat. Cette pensée est encore la mienne aujourd'hui.
M. Delfosse, rapporteur. - Ce n'est pas parce que des paroles offensantes ont été prononcées, dans une autre enceinte, contre la chambre des représentants, que nous avons inséré, dans l'adresse, la phrase dont on demande la suppression.
L'honorable M. Dumortier n'aurait pas dû oublier que j'ai déclaré, au contraire, que la commission n'avait tenu aucun compte, lors de la rédaction de l'adresse, de l'impression pénible que ces paroles avaient produite.
Si le passage, dont se plaint l'honorable membre, se trouve dans l'adresse, c'est que nous avons tenu à faire connaître que nous maintenons le vote que nous avons émis à la session dernière.
Le Roi a exprimé le regret qu'un dissentiment partiel n'ait pas permis de donner suite aux lois votées par la chambre. Nous nous sommes associés à cette pensée royale ; nous avons cru de notre devoir de le faire ; mais avons-nous par là blâmé le sénat ? Le sénat a usé de son droit dans sa plénitude ; nous usons du nôtre en exprimant en termes convenables le regret que le sénat n'ait pas partagé notre opinion. L'expression de ce regret, la déclaration que nos convictions ne sont pas changées, ne peuvent être considérées comme une atteinte aux prérogatives du sénat. Nous respectons les prérogatives du sénat, comme nous entendons que le sénat respecte les nôtres.
On a mêlé à la discussion deux autres paragraphes, on a trouvé mauvais que nous avons dit, et cependant c'est la vérité, que la chambre des représentants est l'expression la plus libre du vœu des électeurs.
Quand nous avons inséré ce passage, nous avions sous les yeux le projet d'adresse du sénat, projet qui plaçait cette assemblée au-dessus de la chambre des représentants par le motif que le sénat était le produit d'une élection récente.
Si le sénat devait être placé (erratum, page 30) au-dessus de nous par un tel motif, il serait le plus souvent bien au-dessous puisqu'il est élu pour huit ans. Si le corps le plus récemment élu avait par cela le plus d'importance, le sénat en aurait presque toujours moins que la chambre.
L'honorable M. Dechamps a eu tort de mêler dans la discussion plusieurs paragraphes, chaque chose viendra en son temps ; quand ce paragraphe sera en discussion, la commission s'expliquera ; je me borne pour le moment à rappeler que nous avons voulu opposer à un acte agressif de la commission du sénat une réponse peremptoire tirée de la Constitution même.
M. Dechamps a dit une chose très vraie : l'adresse doit, autant que possible, être rédigée de manière à réunir les suffrages de la majorité et de la minorité ; mais, quoi que nous fassions, nous ne pouvons espérer d'atteindre ce résultat.
Il est des lois dont nous devons prendre la défense, il est encore d'autres points essentiels que la minorité repousse ; quand nous ferions la concession qu'on nous demande en ce moment, nous n'obtiendrions pas les suffrages de la minorité ; je doute que le paragraphe final, qui promet un concours loyal au gouvernement, soit admis par la minorité. Si ce paragraphe est adopté, et il doit l'être, l'honorable M. de Decker pas plus que ses amis ne voterait pour l'adresse. Nous ne pouvons donc pas espérer, à moins d'abdiquer toutes nos opinions, de réunir les suffrages de la minorité. Il faut bien que nous nous en passions.
(page 11) Personne n'est plus disposé à faire des concessions que moi, mais non des concessions gratuites qui ne conduisent à rien.
Je ne saurais le dire trop hautement dans les circonstances actuelles, un acte de faiblesse de la part de la Chambre serait une abdication. La chambre doit se montrer digne en même temps que conciliante. J'espère que le sénat ne repoussera pas l'appel à la conciliation, qu'il ne se montrera pas trop absolu.
Il a le droit incontestable de voter contre les propositions qui lui sont faites ; nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas l'empêcher d'exercer ce droit, mais nous pouvons dire qu'il est désirable que l'union entre les grands pouvoirs de l'Etat ne soit pas troublée, et nous ne la troublons pas en déclarant que les lois que nous avons votées nous paraissent encore bonnes.
Déclarer qu'on persiste dans une opinion, ce n'est pas blâmer ceux qui professent une opinion contraire. Le sénat peut avoir honorablement, consciencieusement un avis contraire au nôtre. Le sens du paragraphe est que la chambre n'a pas changé d'avis sur l'utilité des lois qui ont amené un dissentiment fâcheux. rien de plus.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement est étranger à la rédaction du troiisème paragraphe de l'adresse, qu'il approuve d'ailleurs au fond.
La chambre tout entière, je pense, rendra justice à l'esprit de modération et à la convenance avec laquelle l'adresse tout entière est rédigée. Les rédacteurs de l'adresse annonent, d'accord avec le gouvernement, l'intention bien sincère de voir l'harmonie maintenue entre les grands corps de l'Etat ; la commission se joint au gouvernement pour faire un appel à la modération.
Il faut le dire, messieurs, l'adresse qui avait d'abord été proposée dans une autre enceinte n'annonçait pas de la part de ses auteurs de semblables dispositions ; à l'appel fait à la modération par le gouvernement on ne donnait aucune espèce de réponse ; des phrases même avaient un caractère de provocation vis-à-vis de cette chambre ; l'observation en a été faite dans la dernière séance de l'autre assemblée ; les membres de cette honorable assemblée ont reconnu que la rédaction laissait beaucoup à désirer et l'adresse a été renvoyée à la commission.
Un nouveau texte vient de m'être communiqué ; je regrette dans l'intérêt de cette discussion que ce nouveau texte ne soit pas imprimé. La chambre y trouverait la preuve que la commission d'adresse du sénat y témoigne de sentiments qu'elle s'était s'abstenue d'exprimer dans la première rédaction.
A ce point de vue je serais d'avis que si, sans rien retrancher, sans modifier en rien le fond de l'adresse, l'on pouvait s'accorder sur une autre rédaction, cela serait désirable, non pas pour réunir un plus grand nombre de voix sur ce paragraphe, mais en vue du but supérieur que nous voulons atteindre.
L'ensemble de l'adresse pose nettement la chambre des représentants dans la véritable situation que la Constitution lui fait.
La phrase qui a provoqué le dernier paragraphe proposé par votre commission d'adresse, cette phrase a disparu de l'adresse du sénat. Il est probable que le sénat adoptera la rédaction nouvelle que sa commission vient de lui présenter dans un but de conciliation et de modération qu'elle avait négligé dans sa première rédaction.
Je demande si la rédaction suivante ne pourrait pas remplacer celle qui nous est proposée.
Ne pourrait-on pas dire : « Nous regrettons, ainsi que Votre Majesté, que la dernière session n'ait pas été plus fructueuse encore. » Ainsi nous ne nous plaçons pas d'un côté et le sénat de l'autre.
M. Delfosse. - Je me rallie bien volontiers au changement indiqué par M. le ministre de l'intérieur. Je ne vois pas de différence entre les deux phrases.
M. Vilain XIIII. - C'est toujours frapper un mort. Il est mort ce sénat.
- La discussion est close.
L'amendement de M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.
Le paragraphe est adopté avec ce changement de rédaction.
« Un ensemble de lois nous avait été proposé dans le double but de rétablir l'équilibre de nos finances et de procurer au pays des travaux publics dont l'exécution, élément de sécurité, importe surtout à sa prospérité matérielle ; nous avions, après un examen consciencieux et approfondi, adhéré à ces mesures d'une incontestable utilité. Un dissentiment partiel n'a pas permis d'y donner suite ; nous faisons, comme Votre Majesté, des vœux ardents pour que cette difficulté puisse se résoudre bientôt dans cet esprit de modération et de prudence dont nous croyons avoir donné l'exemple, et conformément à l'intérêt du pays qui a été et sera toujours notre unique mobile. Les circonstances actuelles rendent plus que jamais désirable l'harmonie entre les pouvoirs de l'Etat ; troubler la situation paisible et forte dans laquelle la Belgique s'est maintenue depuis quatre années, ce serait encourir une bien grave responsabilité. »
M. Dechamps. - Je demanderai la suppression de la dernière phrase de ce paragraph ; j'en ai dit les motifs tout à l'heure.
M. Devaux. - Si j'ai bien compris l'honorable M. Dechamps, il demande deux choses, la suppression des mots : « troubler la situation paisible et forte dans laquelle la Belgique s'est maintenue depuis quatre années, ce serait encourir une bien grave responsabilité», et puis la suppression des mots : « la modération et la prudence dont nous croyons avoir donné l'exemple. »
M. Dechamps. - Non ! Je n'insiste pas pour la suppression de ces derniers mots.
M. Devaux. - Pour moi, je demande le maintien de la dernière phrase ; je crois que la pensée qu'elle contient mérite d'être exprimée dans notre adresse. Nous sommes dans des circonstances assez graves, non pas la Belgique seule, mais l'Europe entière, pour qu'un instant on jette les yeux en dehors du parlement belge. Je demande donc que ce paragraphe soit maintenu ; il n'a rien d'injurieux, il est général, c'est un conseil pour tout le monde, pmr nous aussi bien que pour le sénat ; pour le pouvoir aussi bien que pour nous. Je crois que ces paroles sont convenables et qu’elles n’ont rien de blessant.
L'intention de la commission (l'honorable M. de Decker peut l'attester) a été que l'adresse ne contînt rien de blessant pour le sénat, mais qu'en même temps elle maintînt le droit et la dignité de la chambre ; c'est ce que fait ce paragraphe, et je me serais opposé de même au second retranchement qu'avait demandé l'honorable M. Dechamps, s'il y avait persisté.
Sans doute, nous devons éviter tout ce qui peut amener un froissement par un langage irritant, et, sous ce rapport, nous ne devons pas imiter ce qui a été fait ; mais je crois que nous devons maintenir le paragraphe tout entier.
A l'occasion de ce paragraphe, il doit être permis de défendre la majorité contre des inculpations extrêmement graves qui lui ont été adressées dans une autre enceinte et au-dehors.
Depuis deux mois, le pays se trouve dans une crise politique, et, chose assez singulière, la chambre des représentants y reste tout à fait étrangère.
Je veux dire deux mots pour défendre mon vote et le vote de la majorité contre des inculpations auxquelles elle a été en butte.
Messieurs, je crois que nous avons fait acte de modération et non acte de servilisme, comme on l'a dit, et de complaisance, lorsque nous avons adopté la loi sur les successions. Je crois que nous avons fait acte raisonnable et prudent.
Le gouvernement, messieurs, de son côté, faisait acte raisonnable, acte de modération, lorsqu'il renonçait au serment que nous n'avons pas voulu accepter. Et c'est lorsque la chambre venait précisément de rejeter le serment, qu'on l'accusait d'avoir mis de la complaisance à accepter une concession du gouvernement.
Messieurs, nous avons accepté l'impôt des successions, non pas comme un impôt dont il faut s'enthousiasmer, mais comme un impôt qui n'était pas onéreux et auquel on pouvait aisément se résigner ; impôt qui, dans son origine, n'avait certainement rien de suspect ; impôt qui était né, comment ? li avait été provoqué dans cette enceinte, par qui ? Par les honorables MM. de Mérode et Osy, deux honorables membres qui ne sont pas certes hostiles à la propriété. Il avait été présenté par qui ? Par l'honorable M. Veydt, que certainement personne ne soupçonnera d'une antipathie bien vive contre la propriété.
Voilà, messieurs, comment le projet a été introduit. Et qu'est-il devenu ce projet ? Lorsqu'il avait été présenté, des répugnances très vives s'étaient élevées contre le serment et contre les recherches du fisc relativement aux charges et au passif des successions.
Eh bien ! le serment a été retranché, et une disposition a été introduite pour permettre de déclarer l'actif des successions sans déduction du passif.
Dès lors n'était-il pas juste (et fallait-il de la complaisance, de la servilité pour cela ?) n'était-il pas juste que les répugnances tombassent avec la cause qui les avait excitées ?
Et qu'est-il resté de la loi ? Qu'est-ce que la loi des successions, telle qu'elle a été sanctionnée par nos votes ? C'est, messieurs, une loi de peu d'importance, un impôt peu onéreux, un impôt devenu presque insignifiant.
Certainement, c'est toujours une chose fâcheuse qu'un impôt. Mais celui-ci qu'est-il en effet ? Un impôt de 75 centimes pour 100 francs ; c'est à-dire que sur une succession de 10,000 fr., c'est un impôt de 75 fr. une fois payé. Je vous le demande, messieurs, est-ce là ce qui mérite de faire tant de bruit ?
Cet impôt, je conçois qu'on y répugne, je conçois qu'on en préfère un autre ; mais dans tous les cas n'était-ce pas pour le parlement une petite affaire, et n'était-ce pas voir les choses avec des verres grossissants que de donner à celle-ci les proportions qu'elle a reçues ?
Messieurs, je n'ai pas le bonheur d'être un bien grand propriétaire ; mais enfin l'aisance dont je jouis, je la dois exclusivement à la propriété immobilière. Je dirai même quoique chose de plus ; je la dois à l’hérédité. Car les affaires publiques ne m'ont pas laissé le temps d'augmenter ma fortune.
(page 12) Eh bien ! messieurs, si j'avais eu à me prononcer sur la loi des successions, non pas comme représentant, non pas comme citoyen, mais comme propriétaire, et dans le seul intérêt des propriétaires, je me serais encore prononcé en faveur de cette loi.
Et pourquoi ? Pour deux raisons principalement.
La première, c'est que cette loi des successions, on n'en perdra plus le souvenir ; c'est que le jour viendra encore où vous aurez besoin d'impôts nouveaux ; il viendra dans cinq ans, dans dix ans, peut-être plus tôt. Eh bien, le jour où vous en aurez besoin, que vous diront ceux que vous voudrez atteindre ? Ils vous diront : Prenez la loi des successions.
Si vous voulez augmenter l'impôt personnel, les classes moyennes vous diront : Prenez la loi des successions ? Si vous voulez augmenter l'impôt des patentes, les industriels vous diront : Prenez la loi des successions Si vous voulez augmenter les douanes, les commerçants vous diront : Prenez la loi des successions ! Si vous vous adressez aux accises, ceux qui exercent des industries frappées de l'accise vous diront : Prenez la loi des successions. Et ainsi les réclamations en faveur de la loi des successions feront le tour des contribuables. Et qu'arriverait-il ? C'est que cette loi des successions nous reviendrait non pas avec un droit de 0,75 pour 100, mais avec un taux plus onéreux. Elle arriverait peut-être dans de ces moments où l'on ne résiste guère à ces réclamations, à une époque où l'on accorde les dégrèvements, où l'on abaisse le cens électoral, où l'on abolit le timbre des journaux, où l'on fait des concessions de toute espèce. Eh bien ! comme propriétaire, j'aime mieux accepter aujourd'hui un impôt modéré que d'en subir un beaucoup plus grave dans l'avenir.
Ma seconde raison, messieurs ; je crois que la propriété en Belgique n'est, grâce à Dieu, pas encore menacée de grands dangers ; mais ailleurs elle est menacée, et nous nous trouvons dans un temps de contagion morale, à l'influence de laquelle nous ne pouvons espérer échapper toujours. Eh bien, dans une situation de choses semblables, je crois que la propriété, comme les plus belles institutions sociales, comme la royauté, comme d'autres institutions encore, est tenue d'être prudente, que la prévoyance n'est pas de trop dans sa conduite, et je crois que dans les circonstances actuelles, la propriété doit se montrer par son beau côté, faire comprendre sa grande utilité sociale et craindre jusqu'à l'apparence de l'égoïsme et de l'avarice.
Voilà, messieurs, les deux raisons pour lesquelles, comme propriétaire, et alors même que je n'aurais pas été représentant je me serais prononcé pour la loi des successions.
Messieurs, je conseille au gouvernement beaucoup de modération, et je crois même que le gouvernement n'a pas besoin à cet égard de mes conseils ; la ligne de conduite qu'il a suivie au sénat, celle qu'il suit en ce moment me le prouvent. Mais, messieurs, je ne voudrais pas, tout en suivant avec lui une ligne de modération raisonnable, humilier la chambre devant une autre chambre. Ainsi tout à l'heure on doit encore vous demander un retranchement. Eh bien, je m'opposerai peut-être à ce retranchement comme à celui qu'on vous propose en ce moment. On vous proposera de retrancher les mots : « émanation la plus libre et la plus large des corps électoraux ».
Messieurs, si on veut seulement supprimer une espèce de réponse au projet d'adresse du sénat, je consens à la suppression. Mais si on attache à la suppression le sens que l'on condamnerait ce que ces mots veulent dire, alors je n'y consentirais pas. Si l'on attachait à ces mots le sens de la théorie que vient d'exposer l'honorable M. de Theux, comme je n'accepte pas cette théorie, je combattrais le retranchement.
L'honorable M. de Theux vient de soutenir que les deux chambres sont absolument égales, qu'elles ont une influence égale. Eh bien, je dis que cette doctrine renverse l'esprit de nos institutions ; je dis qu'elle est contraire à l'esprit et à la lettre de notre constitution.
Messieurs, comme je ne veux rien mêler d'irritant dans ce débat, je m'abstiendrai d'en faire la démonstration. Si l'honorable M. de Theux le désire, je pourrai la faire un autre jour, et même aujourd'hui, s'il l'exige. Mais désirant rester dans les bornes de la modération, je n'irai pas plus loin à cet égard. Seulement j'engagerai le gouvernement, tout en étant modéré, à ne pas oublier que cette doctrine n'est pas la vraie, et que la vraie doctrine, c'est que, tout en résonant aux deux chambres une indépendance égale et entière, l'influence politique prépondérante, dans tous les pays constitutionnels, appartient à la chambre qui est élue pour représenter tous les intérêts du pays.
M. de Decker. - Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans la défense qu'il vient de vous présenter de la loi des successions en ligne directe. Vous voudrez bien vous rappeler que, sous ce rapport, je n'en suis plus à devoir faire mes preuves. J'ai été un des plus énergiques défenseurs de cette loi dans cette enceinte. Tout ce qui a été fait et dit depuis notre dernière session n'a en rien changé mes convictions à cet égard. Je suis convaincu que cette loi, examinée avec un esprit de calme, et dégagée de toute espèce de considérations étrangères au sujet, serait admise comme une loi juste.
Maintenant, messieurs, j'arrive à l'espèce d'interpellation que l'honorable M. Devaux m'a tout à l'heure adressée. Oui, messieurs, tous les membres de la commission d'adresse ont été unanimes pour dire que les paragraphes de l'adresse relatifs au conflit avec le sénat, devaient être rédigés dans un esprit de modération ; mais les honorables membres voudront bien se rappeler aussi que j'ai fait observer que la dernière phrase du paragraphe en discussion donnait une espèce de démenti à cette déclaration, qu'elle avait un caractère agressif, un caractère de blâme, auquel je ne pouvais pas m'associer.
Comment l’honorable M. Devaux s'explique-t-il le maintien de cette fin de phrase ? Elle s'applique à tout le monde, dit-il. Sans doute, messieurs, si vous voulez appliquer cette phrase à tout le monde (et c'est l'observation que j'ai présentée au sein de la commission), si vous voulez faire peser sur le gouvernement et sur la chambre, autant que sur le sénat, la responsabilité du trouble qu'on pourrait apporter dans l'harmonie existante entre les pouvoirs de l'Etat, alors j'y souscris complètement. Mais, ainsi que je l'ai fait observer au sein de la commission d'adresse, cette phrase paraît être adressée exclusivement au sénat, et telle pourrait être l'interprétation qui y serait donnée par l'opinion publique et par la chambre ; c'est pour cela que je n'ai pas pu m'associer à cette menace indirecte adressée au sénat.
L'honorable M. Devaux nous parle des dangers extérieurs qu'un avenir prochain peut nous réserver ; il nous dit que c'est là un motif de plus pour insister sur cette responsabilité lourde qui pèserait sur ceux qui troubleraient l'harmonie entre les pouvoirs de l'Etat. Je suis d'accord avec l'honorable membre ; mais si la perspective des éventualités de 1852 impose des devoirs de modération au sénat, elle impose aussi des devoirs de modération au gouvernement, et surtout au gouvernement.
Ainsi, je trouve dans la prévision de ces dangers extérieurs qui nous attendent peut-être, un motif de plus de nous montrer calmes, et de nous exprimer, dans nos rapports avec une autre branche du pouvoir législatif, avec une sage modération.
J'en viens donc à la phrase en discussion. Si elle veut dire que la responsabilité dont on parle pèserait sur tout le monde, si on déclare publiquement à la tribune que cette phrase n'a aucun caractère particulièrement agressif contre le sénat, alors je ne vois aucune espèce de difficulté à l'admettre.
M. de Mérode. - Je ne sais pas pourquoi mon nom est venu figurer dans cette discussion. Il s'agit d'une phrase qui pouvait paraître peu convenable vis-à-vis du sénat et non de l'impôt de succession en lui-même ; chacun est libre de se féliciter de l'avoir rejeté ou voté pendant la dernière session. J'étais parmi les partisans du refus, quoi qu'on m'ait très faussement attribué une ancienne opinion différente, parce que j'avais un jour énoncé l'idée qu'un tel droit serait acceptable peut-être, s'il atteignait l'héritier unique affranchi de tout partage, condition spéciale qui ménageait les familles, tandis que le projet du gouvernement atteint les parts des héritiers quel que soit leur nombre, quel que soit les frais et difficultés grandes que leur impose la division des biens. Je ne recommencerai donc pas à ce sujet une justification étrangère au réel débat du moment. J'en viens à son véritable objet.
L'accord des pouvoirs parlementaires ne consiste point dans une similitude absolue d'opinions entre les chambres sur des questions auxquelles il est peu raisonnable de donner une gravité qu'elles ne comportent pas.
En effet, un droit, sur les successions du père aux enfants, si rigoureusement qualifiée par la première section centrale de cette chambre même, n'est ni tellement séduisant, ni tellement indispensable au bonheur public, que la conformité de la résistance du sénat à la résistance qui s'est ici produite contre le nouvel impôt doive être présentée comme un péril national.
Le vrai péril est dans la suppression de la liberté du sénat, dans la confiscation de l'indépendance d'un corps reconnu nécessaire aux institutions constitutionnelles en tout pays où elles ont quelques racines ; confiscation faite au profit du pouvoir ministériel que la gauche, devenue majorité, ne nous avait pas accoutumés ci-devant à traiter avec tant de docilité, tant d'humble soumission.
M. Dumortier. - Messieurs, si la phrase en discussion est une leçon pour tout le monde, si elle signifie que non seulement la chambre mais encore le gouvernement doivent en prendre leur profit, je serai le premier à y donner mon vote ; mais, je dois le dire, les explications que vient de donner l'honorable M. Devaux, membre de la commission d'adresse, donnent à cette phrase une portée diamétralement opposée. A la suite de ces explications elle aurait uniquement pour but d'adresser au sénat un reproche de n'avoir pas voté une loi d'impôt qu'il a cru devoir repousser et une quasi-menace pour le cas où il ne la volerait pas. Eh bien, messieurs, je ne puis en aucune manière m'associer à une pareille rédaction ; je ne puis pas voter une phrase qui serait interprétée de cette manière. Ainsi que je le disais tout à l'heure, si nous voulons que le sénat respecte nos prérogatives, commençons par respecter les siennes.
On n'est jamais plus fort dans ses droits que lorsqu'on respecte les droits de son voisin. Si vous portez aujourd'hui atteinte aux droits de votre voisin, ne soyez pas surpris qu'un jour il porte atteinte aux vôtres. Or, si cela arrivait, il y aurait une lutte dont il serait impossible de prévoir les conséquences. Comment ! je lis ceci dans le paragraphe en discussion : « Les circonstances actuelles rendent plus que jamais désirable l'harmonie entre les pouvoirs de l'Etat, » et c'est lorsque vous invoquez le besoin de cette harmonie entre les pouvoirs de l'Etat, que vous venez faire au sénat des reproches de ne point avoir voté la loi sur les successions !
Je le demande, est-ce là prêcher d'exemple ? Est-ce que les paroles que je viens de rappeler ne sont pas diamétralement en opposition avec celles que vous proposez d'y ajouter ?
Quant à moi, messieurs, je suis opposé à la loi sur les successions, je l'ai combattue et je crois avoir eu bien grandement raison puisque, peu de temps après, le ministère est venu déclarer qu'elle n'avait point l'assentiment du pays.
(page 13) La prévision du ministère s’est réalisée ; le pays, à une immense majorité, a déclaré qu’il ne voulait pas de cette loi. (Interruption)
Cela est incontestable, et hors de doute.
Vous n’avez qu’à prendre le Moniteur et faire l’addition des voix, et vous le verrez de la manière la plus claire. (Interruption).
On dit 8,000 voix ; j'en ai compté 7,000. Or qu'est-ce que le gouvernement représentatif ? C'est le gouvernement du pays par le pays, et lorsque le pays déclare qu'il ne veut pas du droit sur les successions en ligne directe, il convient au moins que jamais une assemblée parlementaire ne cherche à l'imposer à une autre assemblée qui le repousse. Votre phrase est donc inconstitutionnelle puisque non seulement elle porte atteinte aux prérogatives de l'autre assemblée, mais qu'elle aurait encore pour résultat direct d'anéantir le principe unique de tout gouvernement représentatif, à savoir que le gouvernement représentatif n'est autre chose que le gouvernement du pays par le pays.
Je pense, pour mon compte, que ce n'est pas ainsi qu'on doit entendre la phrase, telle qu'elle se trouve dans le projet d'adresse : je lui attribuais une portée plus large et plus sage : j'y voyais une invitation au gouvernement de ne plus présenter au sénat une loi que le pays repousse. Voilà comment j'interprétais la phrase, et voilà comment j'étais prêt à y donner mon assentiment ; mais si on voulait lui donner une portée contraire, je ne pourrais pas l'admettre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable préopinant vient de soutenir que le pays, dans les dernières élections, s'était prononcé contre la loi des successions à une immense majorité. J'ignore où l'honorable préopinant a puisé ses chiffres ; je n'ai pas fait la supputation, voix par voix, de tous les suffrages obtenus par les nouveaux sénateurs ; tout ce que je sais, c'est qu'à Bruxelles, à Anvers, à Gand, à Liège, à Mons, à Verviers, à Charleroy, etc., les électeurs se sont prononcés en faveur de la loi des successions, soit en renversant les honorables sénateurs qui avaient combattu cette loi, soit en maintenant ceux qui avaient accepté la loi entière ou telle qu'elle avait été amendée au sénat.
Pour soutenir dans cette enceinte que le pays s'est prononcé contre la loi des successions à la suite de la dissolution du sénat, il faudrait supposer que plusieurs des honorables sénateurs qui avaient accepté les amendements au sénat, se seraient prononcés dans un sens contraire vis-à-vis des électeurs.
Mais, messieurs, si les sénateurs qui ont accepté la loi des successions, telle qu'elle a été amendée au sénat, sont conséquents avec eux-mêmes, avec leur vote, nous sommes en droit de dire que le pays s'est prononcé en faveur de la loi des successions, et qu'elle a renvoyé une majorité favorable à cette loi.
Le pays a renvoyé une majorité favorable à l'impôt, et c'est là, messieurs, une preuve éclatante de l'excellent esprit qui anime ses habitants et auquel le Roi, dans le discours du Trône, rend hommage. Il est sans exemple peut-être qu'un pays constitutionnel ait été appelé à se prononcer en faveur d'un impôt. C'est parce que le cabinet actuel avait confiance dans le pays, dans le patriotisme et le bon sens des électeurs, qu'il n'a pas craint de les interroger dans cette situation grave, et nous sommes en droit de soutenir que les électeurs ont donné raison au gouvernement.
Messieurs, ce n'est pas en présence d'un tel résultat que nous serions, quant à nous, disposés à nous associer à des reproches relatifs à des les faits passés. Nous croyons que l'adresse, telle qu'elle nous est proposée, ne renferme rien de blessant pour l'autre assemblée.
L'honorable rapporteur vient de le dire : en recommandant de respecter la situation tranquille du pays, la commission n'a pas entendu adresser de reproche direct au sénat ; j'en suis convaincu. Ce n'est pas vainement que le gouvernement, que les organes de la majorité parlementaire annoncent l'intention de persévérer dans la voie de modération qu'ils ont suivie jusqu'ici.
En ce qui concerne cette loi sur l'opportunité et la justice de laquelle le pays a été interrogé et a répondu, le gouvernement n'a-t-il pas fait preuve du plus grand désir de conciliation dans cette enceinte et dans l'autre ? Nous sommes toujours dans les mêmes dispositions ; le gouvernement, dans le discours du Trône, manifeste cette intention ; il a fait un appel aux sentiments de modération, et nous avons la ferme espérance que l'obstacle malheureux que nous avons rencontré dans l'ancienne assemblée n'existera plus dans l'assemblée nouvelle.
Il ne dépendra pas de nous que cet obstacle ne vienne à disparaître ; et je crois que ceux-là mêmes qui se sont opposés à l'ensemble des mesures que nous avons proposées, rendront hommage aux efforts que le gouvernement a faits pour atteindre ce grand but d'utilité publique. On aura pu combattre les lois, par lesquelles nous serons parvenus à ce résultat, mais on viendra plus tard rendre grâce aux efforts de ceux qui auront concouru à l'amener.
Tout à l'heure, j'avais cru rencontrer un reproche adressé trop directement au sénat ; j'ai proposé un changement de rédaction, et l'honorable rapporteur s'est empressé de s'y associer.
M. Delfosse, rapporteur. - C'est la même chose.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce sera, si vous le voulez, la même pensée, mais exprimée dans des termes plus radoucis.
Si, dans la phrase actuelle, je voyais la reproduction d'un nouveau reproche, je la combattrais ; plus la chambre est forte, plus sa prépondérance dans la direction des affaires publiques est incontestable, plus elle doit user d’une langage modéré à l’égard du sénat ; mais, je le répète, je ne vois rien, dans la phrase en discussion, qui soit de nature à blesser les susceptibilités du sénat ; et, pour ma part, j'adopterai la rédaction telle qu'elle est proposée par la commission d'adresse.
M. Delfosse, rapporteur. - Messieurs, la phrase dont on demande la suppression exprime une pensée dont personne ne peut contester la vérité et l'utilité dans les circonstances actuelles. N’est-il pas désirable pour tous que la situation paisible et forte dans laquelle le Belgique s'est maintenue depuis quatre années ne soit pas troublée ? Personne ne peut soutenir que cela ne soit pas très désirable.
On me demande à qui cela s'applique ? Il suffit de lire pour voir que cela s'applique à tout le monde ; l’énonciation est générale. Je ne comprends pas qu'on mette ce point en doute : « Troubler la situation paisible et forte dans laquelle la Belgique s'est maintenue depuis quatre années, ce serait encourir une bien grave responsabilité. »
Qui peut nier cela ? Et qui peut prétendre que ce passage ne s'applique qu'au sénat ? Voulez-vous que j'en fasse à l'instant même l'application à la chambre des représentants ? Je suppose que le sénat adopte l'amendement de MM. Forgeur et de Marnix, et que la chambre des représentants, se montrant trop absolue, maintienne son projet primitif et refuse de se rallier à l'amendement du sénat.
Dans ce cas, elle troublerait la situation paisible et forte dans laquelle la Belgique s'est maintenue depuis quatre années, et elle encourrait une très grave responsabilité. Pour dire toute ma pensée, je crois aussi que si le sénat se montrait trop absolu et ne tenait aucun compte de l'opinion de l'immense majorité de la chambre des représentants, il troublerait la situation paisible et forte dans laquelle la Belgique s'est maintenue depuis quatre années, et qu'il encourrait une très grave responsabilité.
La phrase s'applique à tout le monde, chacun peut en prendre sa part.
M. Dumortier. - Voici comme je comprends l'explication que vient de donner l'honorable M. Delfosse : quiconque ne votera pas les lois présentées par le gouvernement troublera la paix publique. Voilà la traduction simple de l'interprétation donnée par le rapporteur à la phrase dont il s'agit. Le vote qui veut, quant à moi je ne serai jamais assez ministériel pour voter une pareille chose.
-L'amendement est mis aux voix, il n'est pas adopté.
Le paragraphe 4 de la commission est ensuite mis aux voix et adopté.
« Nous nous occuperons avec tout le zèle et toute l'attention possibles des lois nouvelles qui nous seront présentées et des projets dont l'examen ou le vote a été suspendu dans la dernière session. La législation sur la juridiction consulaire, la législation forestière, les projets relatifs à la détention préventive, à l'expropriation forcée, enfin la réforme du Code pénal et la nouvelle loi sur la contribution personnelle ont, comme la loi sur le crédit foncier, déjà votée par la chambre des représentants, une importance que nul ne peut méconnaître. »
M. Delfosse. - Je demande la pirole, non comme rapporteur, mais en mon nom personnel.
Le ministère annonce la présentation de lois nouvelles ; j'ignore si parmi ces lois se trouve comprise la loi sur l'enseignement primaire ; je ne veux pas susciter d'embarras au gouvernement, mais il est de mon devoir de rappeler que cette loi nous a été promise dans le discours du Trône de l'avant-dernière session ; tant qu'elle n'aura pas été présentée, le ministère n'aura pas rempli son programme en ce qui concerne l'indépendance du pouvoir civil.
- Le paragraphe 5 est mis aux voix et adopté.
« La loi sur la bienfaisance publique, dont Votre Majesté nous annonce la présentation prochaine, sera aussi de notre part l'objet du plus sérieux examen. »
- Adopté.
« L'état satisfaisant des récoltes est un bienfait dont nous ne saurions trop remercier la Providence. Elles assurent à toutes les classes de la population une nourriture abondante, tout en laissant aux cultivateurs une rémunération plus forte que dans beaucoup d'autres contrées. »
M. Coomans. - Je ne m'oppose pas au vote des deux paragraphes proposés par la commission ; seulement, je les trouve incomplets. Pour remplir une lacune importante, je demanderai à la chambre la permission d'ajouter un paragraphe complémentaire, ainsi conçu :
« L'importation du bétail et des céréales dépasse continuellement le chiffre de nos exportations, grâce à l'application presque complète du principe de la liberté des échanges à l'agriculture. Si cet état de choses favorise les consommateurs des centres industriels et commerciaux, les producteurs agricoles, à qui la concurrence étrangère impose des sacrifiées, attendent impatiemment que le même principe soit étendu aux autres branches de l'industrie nationale, afin que le bon marché des vêtements, du fer et de la houille les indemnise du bas prix des denrées alimentaires. »
Quand on parle tant de justice, d'équité, de sincérité, de logique, il faut en montrer dans sa conduite. Depuis plusieurs années on proclame très haut les bienfaits du libre échange, mais on se garde bien de mettre cette théorie au pratique, du moins se borne-t-on à l'appliquer à l'agriculture.
On a promis des compensations à l'agriculture et les prétendues compensations qu'on lui a données sont inefficaces. Tout ce qu'on a donné à l'agriculture (je parle des écoles et des (page 14) expositions, l'industrie et le commerce l'ont dans une bien plus forte mesure ; ce que l'agriculture n'a pas, c'est la protection douanière ; ce qu'elle désire, ce qu'elle exige à bon droit, c’est l'égalité devant la douane.
J'ai une raison particulière pour présenter mon amendement ; c'est que dans le tableau indiquant les projets arriérés, distribués naguère, ne figure pas le projet que j'ai eu l'honneur de présenter relativement à la réforme douanière.
J'y vois figurer d'autres projets ajournés, notamment celui sur les incompatibilités de l'honorable M. Delfosse, dont je regrette de n'avoir plus eu de nouvelles J'en vois encore d'autres moins importants inscrits au tableau ; mais le mien n'y est pas. Je m'en plains à qui de droit, pour que cette omission, résultat d'une erreur, soit réparée ; car loin de moi de supposer qu'on ait songé à confisquer la prérogative parlementaire.
On annonce la prochaine présentation de quelques projets de loi attendus ou promis depuis longtemps. L'occasion est bonne pour rappeler au gouvernement les engagements qu'il a pris relativement à la réforme douanière, et pour démontrer au pays que ce n'est pas une mystification qu'on a voulu se permettre à l'égard de l'agriculture.
Je l'ai déclaré dans d'autres circonstances ; je ne demanderai pas le retrait de la loi sur les denrées alimentaires, par plusieurs raisons dont l'une est péremptoire, c'est que je serais cconduit.
Mais ce que je puis demander, c'est la justice, c'est que mes honorables adversaires réalisent leurs propres promesses et qu'on ne continue pas à placer l'agriculture dans un état exceptionnel, qui n'existe dans aucun autre pays d'Europe.
Nos travailleurs ruraux sont d'autant mieux fondés à se plaindre de la partialité de la législature, que les récoltes n'ont pas été abondantes cette année, et que le bétail (qui constitue la moitié de leur richesse) se vend toujours à vil prix.
On s'est beaucoup prévalu de l'exemple donné par feu Robert Peel, relativement à la liberté des échanges, en ce qui concerne les céréales et le bétail. On nous a dit : Vous devez vouloir ce que voulait Robert Peel. Eh bien, je demande aujourd'hui l'application des principes de Robert Peel que vous avez vous-mêmes préconises. Je ne vous demande pas de l'appliquer dans toute leur rigueur. Lorsque M. Peel a fait décréter la libre importation du blé étranger, il a presque aboli en même temps les droits protecteurs dont jouissaient les manufactures et les usines, il a pu être imprudent, mais il a été loyal et juste.
Le projet de loi que j'ai eu l'honneur de présenter l'été dernier atteste une grande modération, puisque je laisse encore une protection douanière de 20 p. c. à toutes les manufactures, à toutes les fabriques, tandis qu'aujourd'hui l'agriculture ne jouit que d'une protection (si l'on peut appeler cela protection) de 3 et 1 /2 p. c, chiffre bien minime comparativement à la protection de 50, de 100 et de 150 p. c. de la valeur dont jouissent toutes les autres industries.
M. Delfosse. - Je prie l'honorable M. Coomans de croire que je n'ai pas renoncé à ma proposition sur les imcompatibilités. J'ai réuni deux fois la commission. Elle a demandé des renseignements.
L'honorable M. Orts, secrétaire de la commission, m'a dit qu'il ne les avait pas encore reçus. J'étais d'un autre côté occupé à présider la section centrale du budget des travaux publics, cela m'a pris beaucoup de temps.
Je puis assurer à l'honorable M. Coomans que je réunirai la commission aussitôt que les renseignements demandés nous seront parvenus.
M. le président. - L'honorable M. Coomans voudra bien se rappeler que sa proposition n'a pas été prise en considération. La discussion sur la prise en considération avait été fixée, lorsque se rendant à Ostende, il a demandé qu'elle fût renvoyée à la session suivante. C'est ce qui explique l'erreur commise au greffe, erreur qui sera rectifiée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En ce qui concerne la question spéciale agitée entre MM. Coomans et Delfosse, je dirai que les renseignements me sont parvenus et que je vais les adresser à la commission chargée d'examiner la proposition de M. Delfosse. Elle les recevra demain ou après-demain.
Un honorable préopinant ne manque jamais l'occasion d'adresser des reproches au gouvernement sur les conséquences de la loi qui a réglé le régime de nos denrées alimentaires. Il le somme périodiquement de mettre à exécution les principes du libre échange, dont il aurait fait, dit-il, son programme et sa doctrine et qu'au gré de l'honorable M. Coomans, il tarde beaucoup trop à réaliser.
Je dois de nouveau répéter à l'honorable M. Coomans que le gouvernement n'a jamais annoncé l'intention d'établir le libre échange en Belgique. Le cabinet actuel s'est engagé aux trois choses que voici : à ne pas jeter la perturbation dans notre régime économique par des changements inopportuns à la législation douanière, à s'opposer en même temps à toute aggravation de tarif, à faire prévaloir un régime libéral, quant aux denrées alimentaires.
Voilà ce qui a été annoncé, promis, réalisé.
M. Coomans. - C'est une mystification. Je demande la parole.
M. le président. - L'expression n'est pas convenable ; j'engage l'honorable membre à la retirer.
MiRSI. - Je sais que vous appelez cela une mystification, que vous le répétez sur tous les tons, à toute occasion. Vous parlez de sincérité. Nous manquerions de sincérité. Mais, permettez-moi de vous le dire, vous êtes, vous, partisan du régime répressif, prohibitif en matière de douane. Et que faites-vous ? Au lieu de poursuivre, avec la constance qui doit appartenir à un homme politique sérieux, le triomphe de ce système, que vous considérez comme nécessaire à la prospérité du pays, vous vous jetez à corps perdu dans le système contraire.
Dans votre opinion, le système du libre-échange doit porter de mortelles atteintes à la prospérité du pays, et cependant tous vos efforts, toute votre influence, vous les employez aujourd'hui à le faire triompher. Vous vous mettez à la tête d'une espèce de ligue en faveur de la liberté commerciale.
Cela est-il conséquent ?
Cela est-il sincère ?
M. Coomans. - Oui.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et si vous atteignez le but de vos efforts, vous aurez vous-même, selon ce que vous pensez, consommé la ruine du pays que vous annoncez périodiquement depuis la loi des céréales.
Persistez dans votre système propre : tâchez de le faire triompher. Prouvez, en toute occasion que c'est le système qu'il faut à la Belgique, non seulement pour son agriculture, mais encore pour son industrie. Alors vous serez sincère et conséquent.
Suivre la voie contraire, c'est faire preuve d'une grande légèreté, ou d'une absence complète de sincérité.
Vous parlez de mystification. Mais quel serait le mystifié, si le système que vous préconisez aujourd'hui venait à triompher ? Vous seriez vous-même, à votre compte, le premier mystifié.
L'honorable préopinant va beaucoup trop loin : il ne lui suffit pas d'appliquer le libre échange à tout le pays ; il veut l'appliquer à toutes les villes du pays.
D'un trait de plume, il a proposé la suppression des octrois municipaux. Voilà de la réforme en grand. Et cependant, il est probable que l'honorable préopinant est d'avis que les octrois municipaux sont utiles comme mesure de protection pour l'industrie des villes.
M. Coomans. - Jamais je n'ai été de cet avis.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis autorisé à croire que cette protection que vous jugez utile aux frontières du pays ne vous semble pas moins utile aux portes des villes.
M. Coomans. - C'est tout différent.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans vos deux propositions, vous avez été en complet désaccord avec les principes que vous professez.
Nous, nous n'allons pas aussi vite que voudrait nous faire aller l'honorable M. Coomans. Nous saurons lui prouver qu'un gouvernement libéral et progressif saura faire obstacle aux entreprises de cette espèce, alors même qu'elles seraient le résultat de convictions et non le résultat d'une pure tactique.
En ce qui concerne notre législation douanière, nous avons reconnu qu'il y a des modifications importantes à y introduire. Nous nous en occupons. Des propositions seront faites, mais je le répète, dans un sage esprit de conservation. Nous nous garderons bien (à une époque surtout comme celle-ci) de venir jeter la perturbation dans notre industrie.
Les modifications seront faites dans un sens libéral ; car nous sommes partisans de la plus grande liberté possible dans les relations commerciales et industrielles. Mais elles seront aussi dans un sens conservateur. Nos industriels peuvent se rassurer. On ne parviendra pas à tourner contre nous les industriels du pays.
Ils savent, messieurs, tout l'intérêt que nous leur portons et ils nous ont donné en montes circonstances des preuves manifestes de sympathie.
Quant aux effets de la loi sur les denrées alimentaires, le discours du trône n'a pas voulu provoquer de nouvelles discussions à ce sujet. Il se borne à constater deux choses : d’abord une récolte satisfaisante, et ensuite un prix rémunérateir plus élevé que dans d’autres pays. Nie-t-on ces deux choses ? Conteste-t-on que le prix de nos céréales soit plus élevé que le prix des céréales sur les marchés français ?
M. Coomans. - Il y a d'autres pays que la France.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a d'autres pays que la France ; il y a les marchés du Nord ; pour eux encore vous ne pouvez contester, vous ne pouvez nier la vérité des paroles du discours du Trône.
C'est donc à tort que s'adressant aux habitants des campagnes, on signale le prix peu élevé de leurs céréales comme étant le résultat de la loi des denrées alimentaires.
Je le répète, la situation actuelle présente ce résultat avantageux que toutes les classes de la nation jouissent d'une nourriture abondante, et que d'un autre côté, le producteur est mieux rémunéré, je parle notamment des céréales, que dans d'autres contrées où existe cependant une législation soi-disant protectrice.
Voilà ce qu'on ne devrait pas se lasser de répéter aux habitants des campagnes ; on devrait leur démontrer que leur salut n'est pas dans une législation prohibitive, qu'ils peuvent vivre avec une législation libérale. Mais c'est un autre système que l'on suit ; on cherche à aveugler nos campagnards sur les intentions du gouvernement, sur les effets d'une loi votée par un parlement où domine une majorité libérale. On voudrait, auprès de nos campagnards, peu éclairés, il faut bien le dire, sur (page 15) certaines questions, rejeter les conséquences de ce qui pourrait leur arriver de fâcheux sur le gouvernement, sur la majorité actuelle.
Mais le jour se fera aussi dans les campagnes ; il s'y introduira successivement et on finira par y comprendre que pour eux comme pour les habitants des villes, il n'y a qu'un seul intérêt, et qu'il importe que toutes les denrées, que tous les produits soient fournis au meilleur compte possible.
Nous aurons encore probablement, messieurs, dans le cours de cette session, plus d'une fois l'occasion de revenir sur toutes ces questions. Je le répète, un travail considérable se prépare dans les départements ministériels et notamment au département des finances, dans le but d'introduire dans notre régime douanier des modifications importantes qui amélioreront ce régime, mais qui n'auront pas pour effet de jeter la perturbation dans l'existence de nos industries.
M. le président. - La parole est à M. Orts.
M. Orts. - J'avais demandé la parole sur un incident qui se trouve vidé par les paroles de M. le ministre de l'intérieur ; c'était relativement à la proposition de l'honorable M. Delfosse.
M. Coomans. - D'après l'honorable ministre, ou je suis excessivement léger, ou je ne suis pas sincère. Permettez-moi de prouver en deux mots que ce dilemme ne m'est pas applicable. Rien ne me sera plus facile.
Non, messieurs, je ne suis pas partisan du libre échange. Il y a plus, je suis persuadé qu'il ne s'appliquera jamais, et je n'en ai jamais demandé l'application. Le projet de loi que j'ai eu l'honneur de vous développer, il y a trois mois, l'atteste clairement. Vingt pour cent de protection douanière, est-ce là du libre échange ? Nullement. Même aux veux de l'honorable ministre des finances, qui, dans une autre circonstance, disait que la protection était le masque de la prohibition, je dois passer pour un protectionniste, sinon pour un prohibitionniste. Vingt pour cent de protection, mais c'est encore une protection très forte relativement à l'agriculture qui ne jouit pas d'une protection de 4 p. c.
Voilà pourtant ce que j'accorde, 20 p. c. Je ne suis donc pas libre-échangiste ; je suis protectioniste. Mais ce que je suis, avant tout, c'est juste. Qu'on soit libre-échangiste ou protectioniste, je le conçois également, mais d'abord il faut être juste ou logique, ce qui est la même chose en ce point-ci.
Or, il est injuste, radicalement injuste d'imposer la concurrence étrangère aux trois quarts des travailleurs nationaux, alors que vous mettez à l'abri de cette concurrence le quart restant, alors que vous mettez les travailleurs manufacturiers si bien à l'abri de la concurrence exotique, que vous leur assurez jusqu'à 150 p.c. de protection douanière.
Ainsi donc s'il y a, selon moi, du danger à appliquer le libre échange, si je dois même reconnaître que pour certaines industries il résulterait quelque inconvénient de la réduction des droits protecteurs au taux général de 20 p. c, il y a, et c'est ma conviction profonde, un bien plus grand danger à mettre les agriculteurs, les travailleurs, auxquels je m'intéresse surtout, hors du droit commun.
Voilà pourquoi je demande sans cesse que vous ayez le courage, que vous ayez la sincérité, puisque vous prononcez ce mot, d'appliquer non pas la théorie radicale du libre échange, mais quelque chose qui en approche. Voilà pourquoi je désire que vous ayez la sincérité, la loyauté, d'appliquer chez nous les principes que vous vantez chez les autres, ce que vous imposez violemment et exceptionnellement aux agriculteurs. Vous vantez le libre échange à propos de l'agriculture au point d'insinuer que c'est à cause de cette application du libre échange que les denrées alimentaires de Belgique se vendent plus cher qu'en France. (Interruption.) Vous avez insinué que c'est à cause des facilités accordées à la libre importation des produits étrangers qu'en Belgique les céréales se vendent plus cher qu'en France. Si tel n'est pas le sens de vos observations, je ne sais ce que votre argumentation signifie.
Tout ce que je veux, messieurs, c'est une sorte d'égalité, non pas une égalité absolue ; je prouve que je ne demande pas une égalité absolue devant la douane, puisque si vous abaissez à 20 p. c. la protection dont jouissent les manufactures, j'accepte la loi actuelle qui ne donne que 3 1/2 p. c. à l'agriculture ; de manière que j'accorde aux manufactures, aux fabriques, aux usines une protection sextuple de celle dont je me contente pour le travail rural. Y a-t-il quelque chose de si énorme dans mes réclamations ?
N'est-il pas inique, messieurs, d'obliger les agriculteurs à se défaire à bas prix de leurs denrées, quand on les oblige en même temps à acheter les vêtements, les fers, la houille et cent autres objets plus cher qu'ils ne pourraient se les procurer si l'importation des produits similaires de l'étranger étail libre ? Vous expropriez, en quelque sorte, l'agriculture nationale au profit des consommateurs urbains ; vous lui devez de ce chef une compensation efficace ; il n'en existe pas d'autre que l'abaissement des droits de douane. Lorsque nos agriculteurs pourront acheter à bon marché les produits fabriqués dont ils ont besoin, ils se consoleront peut-être de l'avilissement de leur bétail et de leurs céréales.
Je m'étonne que l'honorable ministre, pour démontrer que je suis ou léger ou peu sincère, ait parlé des octrois. Voyez l'étourderie, dit l'honorable ministre ; le député de Turnhout nous a proposé d'un trait de plume de supprimer la majeure partie des ressources des villes.
Voyez combien il est léger ou peu sincère ! Mais, messieurs, tout ce que j'ai fait, c'est de copier le projet de loi rédigé par l'honorable M. Rogier, il y a trois ans et demi. J'ai copié littéralement le projet de l'honorante ministre, projet qu'il voulait mettre à exécution à partir du 1er juin 1848. Ce projet, je l'ai fait mien. Il exprimait mes vieilles convictions (on peut appeller vieilles des convictions de 17 ans quand on n'en a que 38). Ce projet, je l'ai accueilli avec plaisir, avec reconnaissance. Je n'ai pas voulu, comme on l'a insinué, mettre un bâton dans les roues du char ministériel, il est assez embourbé comme cela. J'ai réclamé la réforme des octrois, parce que je crois cette mesure utile, juste, urgente, indispensable. Après cela je m'étonne que l'honorable ministre cherche à démontrer que ja suis ou léger ou peu sincère, parce que je fais exactement ce qu'il a fait lui-même.
A vrai dire, j'ai fait moins que lui, j'ai été moins pressé, plus modéré, moins léger, s'il le veut, car j'ai proposé cette réforme pour le 1er janvier 1852, tandis que l'honorable M. Rogier voulait qu'à dater du 1er juin 1848, son projet de loi, devenu le mien, fût mis à exécution en Belgique, Maintenant, n'ai-je pas le droit de demander qui de nous deux a été léger ou peu sincère ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je n’aurais point parlé de légèreté ou de peu de sincérité si ce smots n’étaient constamment dans la bouche de l’honorable préopinant quand il parle du ministère. Je suis forcé de le dire, l’honorable préopinant a émis une opinion très hasardée quand il a dit que j’ai déposé un projet de loi relatif à la suppression des octrois. Je voudrais que l’honorable membre dît quel jour, dans quelle séance j’ai déposé un semblable projet.
M. Coomans. - L'honorable minisire n'a pas présenté ce projet dans cette enceinte, il l'a déposé entre les mains d'une commission qu'il a instituée lui-même, et s'il le désire, je donnerai lecture des arguments dont il s'est servi à cette époque pour démontrer qu'il y avait de graves dangers à ne pas supprimer les octrois à partir du 1er juin 1848.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai lu ce matin dans un journal de Bruxelles la même assertion. Il y a coïncidence entre le discours de l'honorable préopinant et l'article de ce journal.
M. Coomans. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On me représente dans ce journal comme un grand partisan de l'impôt progressif, de l'impôt sur le revenu. Mon collègue des finances voudrait absorber la propriété par l'impôt ; moi je voudrais absorber le revenu.
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je fais allusion à l'article du journal.
M. Coomans. - Nous répondrons.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'étais donc surpris de lire ce matin dans un journal l'assertion qui vient d'être reproduite par l’honorable M. Coomans, Voici comment les choses se sont passées. Une commission chargée d'examiner cette grave question des octrois qui déjà, à une autre époque, avait fait l'objet d'un premier examen, une commission présidée par l'honorable bourgmestre de Bruxelles, avail été instituée, sur ma proposition, à une époque antérieure à la révolution de 1848.
Elle fut réunie quelques jours après cette catastrophe. Un chef de division avait préparé un projet où, en effet, l'on proposait la suppression des octrois quant aux denrées alimentaires. On venait de supprimer l'octroi à Paris dans un moment d'entraînement. Cette proposition fut émise, comme avant-projet, à la commission des octrois, qui fut chargée de l'examiner et de la modifier comme elle le jugerait convenable. Il y a loin de là, messieurs, au dépôt d'un projet de loi ayant pour but la suppression des octrois. Je dirai qu'en principe, je suis partisan de la suppression des octrois ; je désirerais beaucoup que les relations des habitants du même pays ne fussent point gênées par ces douanes intérieures. Je ne suis point partisan des octrois, mais jusqu'à ce qu'on ait trouvé le moyen de procurer aux communes des ressources équivalentes, je maintiendrai les octrois parce que je pense que l'indépendance des communes est essentiellement liée à leurs ressources financières et que le jour où vous enlèveriez celles-ci aux communes, vous leur enlèveriez en même temps toute liberté d'action.
Il est donc faux que j'aie présenté dans cette enceinte un projet de loi ayant pour but de supprimer les octrois. Qu'un avant-projet ait été remis en février 1848 entre les mains de la commission des octrois, cela est vrai, je ne le nie pas ; que ce projet ait été l'objet de l'examen de la commission, cela est encore vrai ; mais je demande s'il y a dans ce fait rien qui ressemble à celui qui a été avancé par l'honorable préopinant.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. le président. - Nous devrions régler l'ordre du jour de demain. Nous'avons la révision du premier livre du Code pénal.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demanderai que cet objet ne soit mis qu'à l'ordre du jour d'après-demain.
M. le président. - Nous avons le droit sur les mélasses et les exemptions du droit d'enregistrement.
M. Delfosse. - Ce dernier projet est assez important ; il vaudrait mieux mettre après la proposition sur les mélasses, les feuilletons de pétitions et de naturalisations.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 5 heures.