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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20 août 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1995) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de Charleroy, Dampremy et Marchienne-au-Pont demandent que le projet de loi de travaux publics comprenne l'élargissement de la partie du canal de Charleroy, comprise entre la troisième écluse et la Sambre à Dampremy. »

« Même demande de plusieurs propriétaires, locataires et conducteurs de bateaux naviguant sur la Sambre. »

- Renvoi à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.


« L'administration communale de Wavre-Sainte-Catherine demande que l'embranchement du chemin fer de Lierre soit raccordé à la station de Duffel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.


« Les membres du conseil communal et plusieurs habitants de Rochefort présentent des observations contre la pétition des habitants de Marche, qui demandent que le chemin de fer du Luxembourg passe par Marche pour se diriger sur Saint-Hubert. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Jabbeke demandent l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise, pour l'écoulement des eaux de la Lys. »

« Même demande de plusieurs habitants d'Assebrouck, Denterghem, Vinchem, Hooghlede, Vive-Saint-Bavon, Lampernisse et Emelghem. »

M. Sinave. - Immédiatement après le discours que j'ai prononcé avant-hier concernant les travaux à exécuter dans la Flandre occidentale, notamment ceux pour l'approfondissement du canal de Gand à Bruges, l'honorable ministre de l'intérieur, sur mon interpellation, a formellement déclaré que le canal de Gand à Bruges sera approfondi, bien que les pétitions dont il s'agit ici deviennent dès lors sans objet. J'en propose le dépôt sur le bureau pendant la discussion.

- Cette proposition est adoptée.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Tournay

M. le ministre de l'intérieur transmet à la chambre, avec les pièces à l'appui, les procès-verbaux relatifs à l'élection de M. le comte Ferdinand Visart de Bocarmé, représentant réélu par le collège électoral de l'arrondissement de Tournay.

- Renvoi à une commission de vérification de pouvoirs désignée par la voie du sort et composée de MM. Lange, Reyntjens, Van Cleemputte, d'Hont, Ch. Rousselle et Destriveaux.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. de Haerne dépose un rapport au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi de crédit supplémentaire au département de la justice pour continuation des travaux à la maison de correction de Saint-Bernard.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.

Rapport sur des pétitions

M. Veydt., au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique, fait le rapport suivant sur une pétition. (Nous publierons ce rapport.) (Ce rapport n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

M. Coomans. - Je ferai remarquer qu'il importe que le gouvernement examine la demande de la population d'Assche avec beaucoup d'attention cl de bienveillance.

On a objecté contre le tracé par Assche la difficulté d'établir une voie ferrée sur un sol accidenté, qui exigerait certains travaux d'art assez coûteux. Mais il est clair, messieurs, qu'il n'est pas plus difficile de faire traverser le chemin de fer par Assche ou par ses environs, qu'il ne l'est de l'exécuter dans le Luxembourg, pays beaucoup plus montagneux. Je demande donc que le gouvernement et au besoin la chambre examinent la réclamation des pétitionnaires avec le désir d'y faire droit, Assche est un bourg populeux qui a considérablement souffert par suite de l'établissement des railways de l'Etat, et qui a certainement droit à une compensation.

D'ailleurs, messieurs, Assche ne demande pas que le chemin de fer projeté dévie en sa faveur ; au contraire, ce bourg intéressant est naturellement sur la route de Bruxelles à Alost, et le chemin de fer le traverserait infailliblement si l'on décrétait le tracé le plus court.

M. Veydt, rapporteur. - Messieurs, les observations de l'honorable M. Coomans rentrent dans les vues de la section centrale ; toutefois je crois devoir lui faire observer que l'administration communale elle-même reconnaît l'inaccessibilité du centre d'Assche pour le chemin de fer. Tout ce qu'on désire, c'est que le chemin passe à 2 kilomètres de distance seulement. C'est afin d'apprécier s'il peut être fait droit à cette demande que la section centrale a conclu au renvoi au gouvernement.

M. Bruneau. - Il ne s'agit pas seulement de savoir si la commune d'Assche est accessible pour le chemin de fer. Le chemin de fer doit être aussi rapproché que possible de la vallée de la Dendre. Plus il s'approche d'Assche, plus il s'éloigne de Ninove. Je ne m'oppose pas au renvoi à M. le ministre des travaux publics. Mais je voulais faire remarquer qu'il y a une autre question que celle de savoir si le chemin de fer doit se rapprocher du point culminant où se trouve la commune d'Assche. Au reste cette commune demande seulement qu'on se rapproche d'elle autant que possible.

- Les conclusions de la section centrale sont adoptées.


M. Veydt, rapporteur présente le rapport sur plusieurs autres pétitions. (Nous publierons ces rapports.) (Ces rapports ne sont pas repris dans la présente version numérisée).

Les conclusions proposées sur ces diverses pétitions sont adoptées.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion des articles

Paragraphe premier. Travaux à exécuter par des compagnies, moyennant garantie, par l'Etat, d'un minimum d'intérêt

Article premier. Paragraphe 2

La discussion est ouverte sur le littera B de l'article premier relatif à la concession du chemin de fer du Luxembourg et sur les amendements à ce littera qui sont ainsi conçu :

Amendements présentés par MM. Thibaut, de Liedekerke et Moncheur : « Le chemin de fer du Luxembourg aura trois embranchements obligés : le premier sur Dinant ; le deuxième vers l'Ourthe et le troisième sur Baslogne. »

Amendement présenté par M. Moncheur : « Pour la section du chemin de fer de Gembloux à Namur, le gouvernement, d'accord avec la compagnie du Luxembourg, pourra adopter le tracé par la vallée de l'Ornoz, tel qu'il, avait été fixé par la loi du 21 mai 1845. »

Sous-amendement présenté par M. Moxhon à l’amendement de M. Moncheur : « Si le gouvernement ne peut amener la compagnie à adopter cette modification, il sera autorisé à traiter avec une compagnie pour l'exécution de la section de Jemeppe à Gembloux, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c.sur une somme qui n'excédera pas 2,500,000 francs. »

Amendement présenté par M. Jacques : « La convention définitive avec la compagnie du Luxembourg comprendra, à la fin de l'article 5, le paragraphe additionnel dont la teneur snit :

« La ligne de Namur à Arlon pourra être dirigée par Marche au lieu de Rochefort ; et l'embranchement vers l'Ourthe pourra, de Marche à Deulin, être remplacé par un canal. Ces modifications n'auront lieu qu'autant qu'il en résulte une économie notable dans les frais de construction. »

Disposition additionnelle présentée par M. Orban : « Dans le cas où la société du Luxembourg viendrait à encourir la déchéance, pour l'un ou l'autre des molifs indiqués aux article 6, 17 et 18 de la convention entre elle et le gouvernement, ou si elle ne justifiait point, à l'époque prévue à l'article 6, des facultés nécessaires pour remplir ses engagements, il sera pourvu à l'exécution du chemin de fer de Bruxelles à Arlon par l'Etat. »

Paragraphe additionnel présenté par M. de La Coste : « Néanmoins, le gouvernement se réserve de prendre au besoin les mesures nécessaires pour mettre en rapport le service de ces lignes et celui des embranchements qui seraient concédés à d'autres sociétés. »

Amendement présenté par MM. Dechaups et Pirmez : « Le gouvernement est autorisé à exécuter, aux frais du trésor public, à l'aide d'un crédit de 6 millions qui lui est alloué à cet effet, la section de chemin de fer de Gembloux vers Charleroy, selon le tracé établi par la convention du 22 janvier et la loi du 22 mars 1846, ou bien à contracter avec une compagnie, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital n'excédant pas 6 millions, aux clauses et conditions stipulées dans les conventions annexées au présent projet de loi, en abandonnant à la compagnie la partie du cautionnement dont le trésor est en possession et les ouvrages exécutés. »

M. Delfosse. - Ce dernier amendement se rattache à l’article 3.

M. le président. - M. Dechamps rattache-t-il cet amendement à l'article premier ou à l'article 3 ?

M. Dechamps. - Nous préférerions que cet amendement se rattachât à l'article premier. La chambre sait que dans la convention avec la compagnie (page 1996) du Luxembourg, les sections de Louvain à Wavre et de Gembloux à Charleroy sont indiquées. Seulement la compagnie du Luxembourg a deux années pour décider si elle usera du droit de préférence qui lui est accordé.

Je crois donc qu'il vaut mieux rattacher à l'article premier l'amendement que nous avons eu l'honneur de présenter. La discussion en sera plus facile. C'est en parlant du chemin de fer du Luxembourg que les considérations que nous aurons à faire valoir à l'appui de notre amendement trouveront mieux leur place.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est assez indifférent que l'amendement se rattache à l'article premier ou à l'article 3. Je ferai cependant une observation à l'honorable membre et je pense qu'il s'y rendra. Il est vrai que dans la convention avec la société du Luxembourg on a réservé à cette compagnie l'option d'exécuter la ligne de Louvain à la Sambre. Mais depuis lors, des faits nouveaux se sont produits ; une compagnie s'est présentée pour exécuter le chemin de fer de Louvain à Wavre. Si cette proposition n'était pas adoptée, l'objet de l'amendement relatif au chemin de fer de Gembloux à Charleroy deviendrait quant à présent sans objet, n'aurait plus tout au moins le degré d'utilité qu'on peut y attacher, lorsqu'il s'agit de toute la ligne de Louvain à Charleroy.

Je pense donc que la section centrale ayant fait une proposition relative à la ligne de Louvain à Wavre, il vaudrait mieux rattacher l'amendement à l'article 3, qui s'occupe de cet objet.

M. Dechamps. - L'observation de M. le ministre des finances est juste. Mais je demanderai s'il y aurait un inconvénient à rattacher à l'article premier l'amendement de la section centrale relatif à la section de Louvain à Wavre et de Wavre à Manage, et simultanément l'amendement que nous proposons ; ce serait l'ancien projet de Louvain à la Sambre, qui serait rattaché au projet du chemin de fer du Luxembourg.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois que c'est sans intérêt.

M. Dechamps. - Je le reconnais et je n'insisterai pas si le gouvernement s'y oppose.

M. Delfosse. - L'amendement de M. Dechamps devrait se rattacher à l'article premier s'il était bien certain que le projet dût être exécuté par la compagnie du Luxembourg ; mais, comme il est possible qu'il soit exécuté soit par l'Etat, soit par une autre compagnie, il est préférable de le rattacher à l'article 3. Il faut le rattacher au même article que le chemin de fer de Louvain à Wavre ; vous ne pouvez pas le rattacher à l'article premier où il s'agit d'un travail à exécuter par la compagnie du Luxembourg. C'est, du reste, peu important ; le résultat sera le même, mais il me semble qu'il est plus logique de rattacher le projet dont il s'agit, à l'article 3.

M. Dumortier. - Il me semble, messieurs, que nous pouvons très bien résoudre toutes ces difficultés, en réservant les observations relatives à l'article 16 jusqu'à ce que nous ayons voté la proposition du gouvernement concernant le chemin de fer de Nivelles. Ainsi que l'a dit M. le ministre des finances, des faits nouveaux se sont produits depuis la présentation du projet de loi. Je proposerai d'ajourner toute discussion sur l'article 16 de la convention jusqu'à ce qu'on ait statué sur l'amendement relatif au chemin de fer de Louvain et de Nivelles.

M. le président. - M. Dechamps est d'accord pour renvoyer la discussion de son amendement à l'article 3.

J'accorderai maintenant la parole aux auteurs des différents autres amendements qui se rattachent au deuxième paragraphe de l'article premier et qui n'ont pas encore été développés.

M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - Je pense qu'on pourrait également rattacher à l'article premier l'amendement que je viens de déposer, et qui est ainsi conçu :

« Il est également autorisé à traiter avec la compagnie du Luxembourg ou toute autre, qui se présenterait pour l'exécution d'un chemin de fer de Gembloux à Jemeppe, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital qui n'excédera pas 2,500,000 francs. »

M. Delfosse. - Cela se rattache à l'article 3.

M. Moxhon. - Je demande que mon amendement soit aussi rattaché à l'article 3.

M. le président. - Il en serait de même alors de l'amendement de M. Moncheur. (Adhésion.) Il ne reste donc plus que quatre amendements sur le paragraphe 2 de l'article premier.

M. Thibaut. - Messieurs, je me propose de me renfermer strictement dans les développements nécessaires pour faire apprécier l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau, de concert avec deux de mes honorables amis.

Mon honorable collègue, M. de Liedekerke, se réserve de répondre aux objections qui pourraient être présentées contre l'amendement qui nous est commun.

Avant d'exposer à la chambre les motifs d'intérêt national et de justice sur lesquels repose notre proposition, permettez-moi, messieurs, de vous en expliquer le sens en peu de mots.

Nous demandons que Dinant soit rattaché au chemin de fer du Luxembourg. Nous demandons que l'obligation de relier Dinant à ce chemin de fer fasse partie intégrante du cahier des charges de cette compagnie. Nous n'indiquons pas le tracé à suivre pour atteindre ce but de la manière la plus utile pour tous les intérêts. Nous laissons au gouvernement, une fois le principe admis, le soin de s'entendre avec la compagnie, après avoir fait les enquêtes et les études nécessaires. Nous dirons seulemeut, avec les délégués officiels et sérieux de la population dinantaise, avec son conseil de régence, avec les industriels et les commerçants qui envisagent d'une manière sage et réfléchie l'avenir et la prospérité de la ville, que le tracé le plus avantageux pour elle et pour tout l'arrondissement, c'est sans contredit celui qui ferait passer la ligne principale sur le territoire de Dinant même, pour remonter ensuite vers Ciney ; que le tracé par la vallée de la Meuse jusqu'au confluent du Boucq avec l'embranchement d'Yvoir à Dinant satisferait encore toutes les opinions. Et pour ce tracé, messieurs, les études sont faites ; le parcours ne serait pas sensiblement plus long et la dépense serait moindre que par ce qu'on appelle la ligne directe de Namur à Ciney.

Enfin, nous dirons encore : Si ces deux tracés auxquels nous tenons principalement, sont repoussés, donnez-nous un embranchement quelconque, mais ne nous laissez pas périr dans un isolement complet.

Tel est, messieurs, le sens de notre amendement.

Vous le savez, messieurs, le projet du chemin de fer du Luxembourg a subi des phases très diverses. Décrété en principe par la loi du 26 mai 1837, abandonné en 1842 parce que la science n'avait pas encore révélé les moyens de vaincre les difficultés qui s'opposaient à son exécution, le chemin de fer du Luxembourg fut enfin en 1845 l'objet d'une première convention entre le gouvernement belge et une compagnie étrangère. Il ne s'agissait cependant alors que d'une ligne qui, partant du vallon de la Meuse, entre Namur et Dinant, devait se diriger par Ciney vers Arlon. Le point de départ était fixé à Yvoir au confluent du Boucq à 8 kilomètres environ de Dinant. C'est la direction que nous réclamons encore aujourd'hui, si la ligne principale ne passe pas à Dinant même.

L'avant-projet de 1845 donna lieu à des études nombreuses ; les ingénieurs du gouvernement et de la compagnie ne se bornèrent pas à étudier le tracé désigné par la convention ; leur travail comprit en outre le tracé direct de Namur à Ciney et le tracé de Dinant à Ciney. L'exécution des trois tracés fut reconnu possible. Mais il fut constaté, comme vous pouvez le voir dans le rapport de M. de Moor en date du 3 mars 1846 que le tracé direct entre Namur et Ciney serait très coûteux à établir et d'une exploitation dispendieuse.

Les choses étaient en cet état, messieurs, lorsque l'honorable M. d'Hoffschmidt prit possession du portefeuille des travaux publics. Cet honorable ministre ne tarda pas à s'arrêter à des résolutions, je regrette de devoir le dire, qui compromirent les intérêts de la ville de Dinant, et de ces résolutions est sortie la convention sur laquelle nous discutons et qui porte un coup mortel à la prospérité de Dinant.

L'honorable M. d'Hoffschmidt signa, sous la date des 15 et 20 février 1846, la seconde convention entre le gouvernement belge et la compagnie du Luxembourg. Au chemin de fer de la Meuse à Arlon fut substitué un chemin de fer du Luxembourg partant de Bruxelles. Les intérêts des riverains de la Meuse, en amont de Namur, furent oubliés ; mais pour compensation, l'honorable ministre des travaux publics stipula un embranchement sur l'Ourthe par Marche, et un embranchement de 4 à 6 lieues de parcours sur Bastogne pour Bastogne. De ces deux embranchements, veuillez-le remarquer, messieurs, il n'était pas le moins du monde question dans la première convention. D'après cette première convention, Dinant devait être inévitablement relié à Namur par un chemin de fer dans la vallée de la Meuse, et au Luxembourg par la ligne d'Yvoir à Arlon. C'est la position que nous réclamons aujourd'hui. La seconde convention, au contraire, laisse Dinant isolé, perdu, à 18 kilomètres du chemin de fer, tandis qu'il lui rattache Marche et Bastogne.

C'est contre cette convention que mon prédécesseur, l'honorable M. Pirson, représentant du district de Dinant, fit entendre dans cette enceinte des protestations énergiques. Voici comment il s'exprimait :

« Je suis fondé à dire que le ministre signataire de la convention du 20 février 1846, ne s'est pas montré le défenseur intelligent et consciencieux des vrais besoins du pays, et je le prouverai. »

Que devons-nous dire, nous, messieurs, qui représentons aussi le district de Dinant en présence de la convention signée par l'honorable M. Van Hoorebeke ?

L'honorable ministre, averti par la discussion de 1846 qu'il a sans doute lue, connaissant par les pétitions que le conseil communal de Dinant lui fit parvenir directement, par celles qui furent adressées à la chambre, par les instances de la députation du conseil provincial de Namur, par nos propres réclamations, le ministre des travaux publics négocia avec les compagnies ; il leur accorde d'immenses avantages, et alors qu'il pouvait reparer l'erreur, pour ne pas dire l'injustice commise à l'égard de Dinant, il a consenti à tout ce qui peut aggraver la position de cette ville.

Je parlerai tantôt de la convention conclue avec la société de l'Entre-Sambre-et-Meuse, mais voyons la convention du 30 juin conclue avec la compagnie du Luxembourg. L'article 5 autorise la compagnie à ne faire des ouvrages d'art, à n'acquérir les terrains, que pour une voie simple, tandis que la convention de 1846 supposait une voie double.

L'article 7 assure à la société un minimum d'intérêt sur toute la somme qui sera consacrée à l'exécution du tronc principal et des embranchements entre Namur et Arlon. Et ce minimum d'intérêt, sera pris sur le (page 1997) produit des impôts. En faisant des conditions si belles, il n'était pas permis d'oublier l'intérêt général du pays.

Ohî je comprends jusqu'à un certain point que lorsque l'Etat ne devait pas intervenir pécuniairement, le ministre qui discutait avec la compagnie le cahier des charges pouvait se croire à l'abri de reproches, alors même qu'il favorisait certaines localités et en délaissait d'autres ; mais lorsque vous engagez le trésor public, lorsque vous forcez les contribuables d'une ville que vous ruinez, à payer les faveurs que vous faites à d'autres, lorsque vous les forcez à vous fournir les verges dont vous les frappez, vous devez sentir votre propre conscience s'élever contre vous ; et nous, nous avons le droit de vous dire à notre tour : Ministre, vous n'avez pas été le défenseur intelligent et consciencieux des vrais besoins du pays : ministre, vous n'avez pas su être juste, lorsque tout vous faisait un devoir de l'être ; vous n'avez pas su être impartial, lorsque votre position de député de la Flandre vous donnait pour cela toutes les facilités désirables.

Car aujourd'hui vous ne pourrez vous retrancher derrière la volonté de la compagnie. La position est toute différente de ce qu'elle était en 1846. L'intervention pécuniaire de l'Etat est promise : le trésor public subsidiera la compagnie. C'est donc aussi l'intérêt national qu'il faut consulter avant tout pour établir le cahier des charges, ce sont les règles de la justice distributive qu'il faut suivre, quand on octroie des embranchements.

Messieurs, c'est au nom de l'intérêt national, c'est au nom de la justice distributive que nous demandons que Dinant soit relié au chemin de fer du Luxembourg.

Je ne puis mieux faire, ce me semble, que d'employer, dans l'intérêt de Dinant, les arguments à l'aide desquels l'honorable M.d'Hoffschmidt a justifié l'embranchement de Bastogne.

Que disait l'honorable M. d'Hoffschmidt dans la discussion de la loi du 18 juin 1846 ?

Voici, messieurs, ses paroles :

« Que serait-il advenu, s'il n'y avait pas en un embranchement du chemin de fer vers Bastogne ? C'est que cet arrondissement n'aurait pas profité du chemin de fer, mais aurait perdu tout son commerce, toutes ses relations.

« Maintenant cet embranchement de Bastogne serait-il si onéreux pour la société ? Vous avez pu remarquer qu'il ne coûtera que 416,000 fr. par lieue et que tout l'embranchement coûtera 1,962,000 fr. Eh bien, je ne pense pas que la compagnie puisse considérer cette somme si faible comme un sacrifice, car se sera toujours un affluent assez important de la ligne principale.

« La ligne principale ne peut pas être, en quelque sorte, une espèce de tronc sans rameaux. Il faut qu'elle ait des affluents pour que non seulement ils portent la vie dans toute la province, mais aussi pour que le chemin de fer soit alimenté par ses produits et ses voyageurs. »

Je veux croire, messieurs, que l'honorable M. d'Hoffschmidt avait raison de s'exprimer ainsi : mais j'ai dix fois plus raison que lui, quand je dis à mon tour : Sans un chemin de fer, Dinant est complètement victime des conventions que vous avez faites. Sans un chemin de fer, Dinant placé entre le railway deSambre et Meuse et le railway du Luxembourg, est condamné à une décadence rapide. Dinant, cette ville industrielle et commerçante, la deuxième ville de la province de Namur, verra son commerce s'éteindre, ses fabriques se déplacer, ses usines chômeront, ses magasins seront vides, sa population ouvrière sans travail. Avec un chemin de fer, au contraire, une nouvelle ère de prospérité s'ouvre pour cette ville et les communes qui l'entourent, sans nuire à personne.

J'ai dix fois plus raison que l'honorable M. d'Hoffschmidt, quand dans la supposition d'un embranchement vers Dinant, je dis que la faible somme qu'il coûterait ne peut être considérée par la compagnie comme un sacrifice, car Dinant sera pour le chemin de fer l'affluent le plus considérable entre. Namur et Arlon.

Oui, messieurs, la ligne principale ne peut être en quelque sorte une espèce de tronc sans rameaux ; mais si des embranchements doivent porter la vie dans toute la province du Luxembourg, il ne faut pas que ce soit en la retirant d'une partie de la province de Namur. S'il est nécessaire que des produits belges alimentent le chemin de fer du Luxembourg, pourquoi cette exclusion des produits variés et abondants de l'industrie dinantaise ?

Messieurs, je n'ai pas l'intention de rien dire au désavantage de Bastogne. Je suis heureux, au contraire, que l'embranchement sur Bastogne ait été compris dans la convention de 1846. Mais je dois vous démontrer que si Bastogne a droit à un embranchement, Dinant a encore plus de droit encore à obtenir soit la ligne principale, soit un embranchement.

Voulez-vous, messieurs, comparer Dinant et Bastogne sous le rapport des chiffres de leur population ? Prenez le recensement le plus récent :

Bastogne a une population de 2,581 habitants, Dinant 6,702, Bouvignes, qui n'en est séparé que par la Meuse, 972 et Anseremme, qui est aux portes de Dinant, 851, soit 8,563 habitants

Le canton de Bastogne a une population de 8,175 habitants. Le canton de Dinant 21,313 habitants. Le canton d'Houffalize intéressé à l'embranchement de Bastogne, 8,731. Les cantons de Beauraing et de Gedinne dont l'intérêt se confond avec celui de Dinant, 21,544

Bastogne et Houffalize réunis présentent une population de 16.906 habitants. Dinant, Beauraing et Gedinne 42,862

La station de Dinant peut compter, en outre, sur un supplément considérable de mouvement, par le voisinage de la ville de Givet, dont toutes les relations avec la Belgique ont lieu par Dinant.

Voulez-vous, messieurs, consulter la statistique industrielle, vous vous convaincrez de plus en plus, de l'importance de Dinant et de ses environs.

Dinant et ses environs sont couverts d'usines. A Anseremme, à Dinant. À Bouvignes, à Hour, à Warnant-Moulins, à Yvoir, à Annevoie, sur une ligne de deux lieues à peine, sont établis des fourneaux, des forges, des fenderies, des platineries, des fonderies de cuivre, des moulins à farine, à l'huile, à écorces, des papeteries, des scieries, des polissoirs de pierre et de marbre, etc., etc.

Des coups d'eau puissants et la vapeur, mettent toutes ces usines et tous ces établissements en activité.

A Yvoir seul, il y a douze raffineries, une platinerie, une fenderie, deux makas, deux moulins à l'huile et deux moulins à farine.

A Dinant, voué trouvez de nombreuses tonneries, des brasseries, des sonneries, des fabriques de pierres meulières, de tabac, de chicorée, de colle forte, de chandelles, de savon, des marbreries et des fours à chaux, etc.

A Dinant, il se fait un commerce considérable de denrées coloniales, de bois de construction et de perches de houillères, d'écorces, de charbon, de houille, de grains et farines, d'ardoises, de cuirs, de tissus, de vins, de marbre, de fer, de cuivre ouvré, etc.

Dinant cet l'entrepôt entre les Ardennes et la Belgique, entre une grande partie du Luxembourg et les autres provinces.

Je crois être généreux, en ne comparant pas le commerce et l'industrie de Bastogne au commerce et à l'industrie de Dinant.

J'appelle maintenant l'attention de la chambre sur une considération étrangère au commerce et à l'industrie. Je veux parler de la valeur stratégique de Dinant. Dinant est un point fortifié qui protège une partie de nos frontières et des populations répandues sur une vaste étendue de territoire ; n'est-il pas important, au point de vue de la défense du pays, et de la sécurité de ses habitants, de relier Dinant au railway national à Namur ? Je ne fais qu'indiquer cette considération ; chacun de vous, messieurs, saura l'apprécier.

Dinant est aussi le siège d'un tribunal de première instance et d'une foule d'administrations, c'est là une considération qui doit avoir une grande influence sur vos esprits, pour vous déterminer à doter Dinant d'un chemin de fer, qui permettra à une partie des habitants de l'arrondissement de se rendre au chef-lieu en tout temps, facilement et sans grands frais.

Un jour Dinant put croire que les concessions de chemin de fer dans le Luxembourg et dans l'Entre-Sambre-et-Meuse même ne lui seraient pas préjudiciable. Un jour Dinant put croire qu'il allait être relié par chemin de fer à la capitale de la province, au Luxembourg et à l'Entre-Sambre-et-Meuse. Ce fut lorsque le gouvernement signa la première convention avec la compagnie du Luxembourg et accorda à la société de l'Entre-Sambre-et-Meuse, à titre d'extension, les lignes de Florennes à la Meuse et d'Oret à la Sambre. Cette ligne eût mis les usines des environs de Dinant en communication facile avec le bassin houiller de Charleroy et les gîtes métallurgiques de l'Entre-Sambre-et-Meuse.

Que lui reste-t-il maintenant de ces espérances ? Rien, absolument rien. La compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse qui crée une voie nouvelle pour Charleroy vers le département des Ardennes est déchargée, par l'article 19 de la convention du 1er juillet 1851, de l'obligation de construire la ligne de Florennes à la Meuse et d'Oret à la Sambre. La compagnie du Luxembourg est autorisée à suivre la ligne directe de Namur à Ciney, sans y rattacher la ville de Dinant.

Dinant est oublié, en 1851 comme en 1846, dans la répartition des travaux publics. Mais lorsque le trésor devra payer aux compagnies la différence entre le produit du chemin de fer et le minimum d'intérêt garanti par l'Etat, les agents du trésor n'oublieront pas qu'il y a des contribuables à Dinant. L'industriel et le commerçant victimes de la concurrence payeront en outre les frais de cette concurrence. Est-ce là, messieurs, de la justice ?

Je sais, messieurs, que la section centrale a fait quelque chose en faveur de Dinant. Elle propose de garantir un minimum d'intérêt sur 1,500,000 fr. à une compagnie qui se présentera pour établir un chemin de fer de Dinant à Ciney.

Cet acte est un encouragement pour moi à soutenir avec ardeur l'amendement que mes honorables collègues et moi nous avons déposé. Car la section centrale a du moins reconnu la justice des réclamations de Dinant, et je l'en remercie. Mais je ferai remarquer deux choses aux honorables membres de la section centrale. D'abord, leur proposition implique le tracé direct de Namur à Ciney, car la société du Luxembourg ne se préoccupant pas de l'embranchement vers Dinant, paraît avoir opté pour ce tracé, tandis que si cette société devait exécuter l'embranchement de Dinant, elle prendrait peut-être la direction de Namur à Ciney par Dinant même, ou tout au moins elle en reviendrait au tracé primitif par Yvoir et la vallée du Boucq et alors Dinant aurait l'avantage d'être en communication d'un côté avec Namur, de l'autre avec le Luxembourg.

En second lieu, l'exécution d'un embranchement dans les termes (page 1998) adoptés par la section centrale reste très problématique. Aucune autre compagnie que celle du Luxembourg ne peut l'exécuter, et si l'on suppose qu'elle l'exécutera au moyen de la faveur d'un minimum d'intérêt, pourquoi ne pas lui en faire ure obligation ?

Mais je prévois l'objection qui me sera faite. C'est la seule qui est sérieuse, c'est la seule que je rencontrerai.

Une obligation nouvelle quelconque, me dira-t-on, imposée à la compagnie, compromet la convention.

N'en croyez rien, messieurs, l'honorable M. d'Hoffschmidt, je l'espère du moins se chargera du soin de vous rassurer. N'est-ce pas cet honorable ministre en effet qui a dit que la comgagnie du Luxembourg ne considérait pas la dépense d'un embranchement sur Bastogne comme un sacrifice ? Or la dépense de cet embranchement comparée avec la dépense d'un embranchement d'Yvoir vers Dinant, sera double pour un mouvement vingt fois moindre.

Nous compromettrions la convention ? Si cela était, messieurs, si la discussion démontre qu'il en est ainsi, il nous resterait un devoir pénible à accomplir ; mais quoi qu'il pût m'en coûter, je le remplirai. Si Bastogne ou Marche ou Dinant doit être sacrifié, je demanderai au nom de la justice, au nom de l'intérêt du plus grand nombre, au nom de l'intérêt général et du trésor public, que Dinant obtienne avant tout ce qui lui est dû.

M. Jacques. - Messieurs, la section centrale reconnaît qu'il peut y avoir des modifications utiles à introduire dans les conventions avec les compagnies. Voici en quels termes elle s'en explique à la page 9 de son rapport :

« Les conventions, soumises comme annexes, ont fourni matière à de longues négociations. Si l'on croit qu'il y ait lieu de revenir sur quelques clauses, d'y apporter des changements, de nouvelles négociations devront être ouvertes, et le gouvernement ne se refuse pas à les ouvrir.

« Mais elles n'ont de chances de succès que pour autant qu'elles n'allèrent aucune disposition fondamentale, et il faudra, dans la plupart des cas, laisser une certaine latitude d'agir. En ce qui le concerne, M. le ministre déclare qu'il ne négligera rien pour faire accueillir les modifications.

« Il est convenu que la section centrale indiquera celles qui lui paraîtront utiles. Si, pendant la discussion publique, il est démontré qu'il y en a d'essentielles, elles pourront devenir l'objet d'amendements aux articles du projet de loi. »

J'ai cru utile de répéter ce passage du rapport de la section centrale, parce qu'à la fin de la séance d'hier, il s'est élevé une discussion qui aurait été prévenue si on avait fait attention à ce passage du rapport. Je n'ai donc fait que répondre à l'appel de la section centrale, en venant soumettre un amendement aux délibérations de la chambre.

J'ai eu l'occasion, dans la discussion des dernières lois d'impôt, de présenter quelques observations et de faire connaître mes vues à l'égard des travaux publics ; je n'y reviendrai qu'en quelques mots.

Je pense que les voies de communication, routes, canaux, chemins de fer, sont les améliorations les plus importantes, dans l'ordre matériel, qu'un bon gouvernement puisse procurer à la nation ; je pense que, dans ces sortes de travaux, l'intervention de l'Etat peut aller très loin, sans risquer de devenir plus nuisible qu'utile.

Aussi ajouterai-je à ce que nous disait l'autre jour M. le ministre des finances, à savoir que depuis 1830, la Belgique avait exécuté de grands travaux pour 250 millions, sans que maintenant les contribuables dussent fournir plus de 2 millions par an pour couvrir la rente du capital employé ; j'ajouterai à cela une observation : c'est que si l'on n'avait pas commis de faute dans la construction des travaux publics ; si l'on n'en avait pas commis dans l'exploitation du chemin de fer, les contribuables, au lieu de devoir fournir chaque année deux millions, à l'effet de couvrir le déficit du chemin de fer, n'auraient pas à payer un centime de ce chef. Si l'on n'avait fait que les terrassements indispensables ; si l'on s'était dispensé de construire certains tunnels ; si l'on n'avait pas donné à certains travaux d'art, à certaines stations un caractère monumental, on aurait pu opérer des économies considérables, au moins de vingt millions, sur les frais de construction ; on aurait pu aussi par des tarifs mieux combinés obtenir un produit plus considérable sur le transport des voyageurs et sur celui des marchandises. Dernièrement nous avons réglé le tarif des voyageurs ; il reste à pourvoir à la révision du tarif en ce qui concerne les marchandises.

Enfin des mesures d'administration pourraient appeler au chemin de fer des transports qui n'y sont pas encore arrivés, qui s'exécutent encore d'une aulre manière.

En réunissant ces divers moyens d'économie d'une part, et d'augmentation de recette d'autre part, je suis fondé à dire que le chemin de fer aurait pu ne rien coûter aux contribuables.

J'ajouterai que si la Belgique s'était décidée à exécuter successivement d'ici à 1860 les divers travaux publics qui font l'objet du projet de loi, je pense qu'en apportant toutes les économies possibles dans les frais de construction, et en ayant soin de diriger l'exploitation d'une manière convenable, les contribuables n'auraient pas à fournir plus de deux millions par an pour compléter la rente du capital d'exécution.

Peisonne plus que moi ne désire la construction du chemin de fer du Luxembourg. Si je ne suis pas grand admirateur des mesures que le gouvernement a proposées pour y parvenir, c'est que je crains que ces mesures ne restent inefficaces, qu'elles ne conduisent pas au but, qu'elles ne fassent que reculer de quelques années le terme fixé pour la déchéance de la concession ; je crains aussi que la société du Luxembourg, qui n'a pas rempli les engagements qu'elle avait contractés en 1846, ne remplisse pas, malgré les nouvelles faveurs qu'on lui accorde, les engagements qu'elle va contracter en 1851. Et si même ces engagements sont remplis, je pense que l'exécution de la convention sera plus onéreuse au trésor public que ne l'aurait été la construction par l'Etat.

Je pourrais justifier cette opinion, mais je serais amené à présenter d'assez longues considérations, et je crois faire chose agréable à la chambre en passant sur ce point sans m'y arrêter, d'autant plus que les deux modes d'exécution ne sont pas à discuter maintenant. La section centrale s'est occupée, à la page 131 de son rapport, de la pétition du conseil communal de Marche. Voici dans quels termes elle en rend compte :

« Le conseil communal de Marche demande que le chemin de fer du Luxembourg touche à cette ville.

« L'embranchement projeté du chemin de fer du Luxembourg, de Rochefort au canal, touche à peu près la ville de Marche, et il est probable qu'un autre tracé donnerait lieu à des dépenses plus considérables.

« Quoi qu'il en soit, la section centrale propose le renvoi de la pétition à M. le minisire des travaux publics et le dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion. »

C'est sans doute par inadvertance que la section centrale a classé la pétition de Marche dans la catégorie B. des travaux non compris dans le projet de loi, car cette pétition n'a pour objet que des modifications de tracé au chemin de fer du Luxembourg et à l'embranchement vers l'Ourthe et la convention qui est annexée à l'article premier du projet de loi comprend à la fois ce chemin de fer et cet embranchement. La pétition ne concerne donc que des travaux qui font partie du projet de loi.

Quoiqu'il en soit, pour que le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics soit quelque chose de sérieux (et je ne puis pas supposer que la section centrale ait voulu faire quelque chose qui ne soit pas sérieux), il faut que le gouvernement puisse faire droit à la pétition ; il faut que le gouvernement, après avoir reconnu la convenance, l'utilité, la nécessité des modifications qui font l'objet de la demande de Marche, puisse adopter ces modifications de commun accord avec la compagnie sans être obligé de venir présenter un nouveau projet de loi pour se faire autoriser à déroger à quelques-unes des stipulations du cahier des charges de 1846.

L'article 5 de la nouvelle convention avec la compagnie du Luxembourg, article qui a été rappelé par l’honorable M. Thibaut, autorise déjà diverses dérogations à ce cahier des charges de 1846. Voici dans quels termes cet article est conçu :

« La compagnie aura la faculté de n'exécuter la route, entre les stations, que pour une seule voie de railway. Les terrassements, ouvrages d'art et acquisitions de terrains, pourront également être effectués dans cette hypothèse de l'exécution d'une route à simple voie seulement. Le système des pentes, rampes et courbes à appliquer, sera réglé par la compagnie, de concert avec l'administration des ponts et chaussées. »

D'après l'article 2 du cahier des charges de 1846, les acquisitions de terrains et la construction des ouvrages d'art devaient se faire dès l'origine dans l'hypothèse de la double voie, non seulement sur la ligne principale mais sur tous les embranchements ; vous venez de voir que l'article 5 de la nouvelle convention ne prescrit les acquisitions de terrains et la construction des ouvrages d'art et de tous les ouvrages quelconques que pour une seule voie.

D'après les articles 2 et 14 du cahier des charges de 1846, le rayon des courbes et le système des pentes et rampes devaient être arrêtés par le ministre des travaux publics, d'après les bases rigoureuses qui avaient servi aux études de l'avant-projet. D'après l'article 5 de la nouvelle convention, les pentes et les courbes ne doivent plus être réglées que par le simple concert du gouvernement et de la compagnie.

Il y a là des moyens d'obtenir des économies très sérieuses. Sous ce rapport, je ne puis que donner mon adhésion à ces changements ; mais, pour que le gouvernement puisse faire droit à la pétition de Marche, il faut qu'on autorise le gouvernement à déroger à un autre article du cahier des charges de 1846 ; il faut qu'il puisse, de concert avec la compagnie, diriger le tracé sur Marche, au lieu d'aller sur Rochefort, et remplacer l'embranchement vers l'Ourthe par un canal de Marche à Deulin.

Or, l'article premier du cahier des charges de 1846 porte que le tracé de la ligne du Luxembourg sera construit sur Arlon, par Ciney, Rochefort et Recogne, et que l'embranchement vers l'Ourthe sera établi par un chemin de fer.

Voilà donc les deux points du cahier des charges auxquels il faut pouvoir déroger. C'est dans ce but que j'ai déposé un amendement.

Quoique le cahier des charges de 1846 indique Rochefort comme point de passage obligé, il a été reconnu que le tracé pouvait être dirigé par Ciney, Marche et Recogne, aussi bien que par Ciney, Rochefort et Recogne ; les deux tracés sont praticables. Le premier s'écarte sur la droite pour passer à Rochefort, chef-lieu de canton de la province de Namur ; le second s'écarte sur la gauche pour passer près de la ville de Marche, chef-lieu d'arrondissement du Luxembourg.

Le trace par Rochefort peut avoir une lieue de moins que l'autre, mais il exige un embranchement de quatre lieues de St. Remy à Deulin pour communiquer au canal de l'Ourthe ; tandis que si l'on approuvait le tracé par Marche il faudrait pour mettre le canal de l'Ourtlhe en communication avec le chemin de fer que la simple canalisation de la petite rivière de Marche sur une étendue de moins de deux lieues de Marche à Deulin.

(page 1999) Enfin, comme résultat final, le tracé par Rochefort avec l'embranchement de St-Remy à Deulin coûtera près de trois millions de plus que le tracé par Marche avec le canal de Marche à Deulin. J’ai donc cru pouvoir saisir la chambre de l’amendement que j’ai déposé afin que l’on puisse ajouter cette économie aux économies que l’article 5 de la nouvelle convention permet déjà de réaliser.

Permettez-moi, messieurs, de vous relire cet amendement.

« La convention définitive avec la compagnie du Luxembourg comprendra à la fin de l'article 5, le paragraphe additionnel dont la teneur suit :

« La ligne de Namur à Arlon pourra être dirigée par Marche au lieu de Rochefort ; et l'embranchement vers l'Ourthe pourra, de Marche à Deulin, être remplacé par un canal. Ces modifications n'auront lieu qu'autant qu'il en résulte une économie notable dans les frais de construction. »

Vous voyez, messieurs, que je ne demande pas à la chambre de statuer elle-même sur la modification du tracé.

La seule chose que je lui demande, c'est qu'elle veuille bien laisser au gouvernement la faculté d'accueillir la pétition de Marche, si, après l'examen que l'on aura fait des localités, on reconnaît que cette pétition est fondée.

Je ne demande même pas que l'on accorde cette faculté au gouvernement avec la possibilité d'arriver à une augmentation de dépense, comme cela se pratique souvent en pareil cas, mais seulement sous la condition, sous la clause formellement exprimée dans la loi, que les modifications que je réclame ne pourront être autorisées qu'autant qu'il en résulte une économie notable dans les frais de construction.

Ainsi, au lieu de réclamer de la compagnie du Luxembourg ou du gouvernement, une faveur quelconque, un sacrifice quelconque, en faveur d'une ville chef-lieu d'arrondissement du Luxembourg ; c'est, au contraire, une économie que je viens offrir, et une économie très considérable.

M. Delfosse. - C'est un cadeau que vous faites.

M. Jacques. - Deux motifs m'ont fait un devoir de déposer l'amendement que j'ai soumis à la chambre. Le premier, c'est l'économie dont j'ai parlé ; le second, c'est qu'en adoptant la modification que je propose, l'on augmentera considérablement l'utilité générale du chemin de fer du Luxembourg et du canal de l'Ourthe.

Il me reste à donner quelques développements à l'appui de ces deux motifs.

Quant à l'économie, si je me bornais à affirmer à la chambre que le tracé par Marche sera moins coûteux que le tracé par Rochefort, on n'ajouterait pas foi à mes paroles. Heureusement, je puis constater l'économie par les documents mêmes de la chambre. C'est dans ces documents que j'ai trouvé les devis présentés en 1846 par M. l'inspecteur de Moor pour le chemin de fer du Luxembourg.

C'est aussi dans ces documents que j'ai trouvé le travail général de 1842, de M. l'inspecteur général Vifquain sur les voies navigables. Ce n'est qu'en me servant des calculs présentés par ces deux fonctionnaires supérieurs de l'administration des ponts et chaussées, que j'ai trouvé que le chiffre de l'économie à réaliser est d'environ trois millions.

D'abord pour le tracé par Rochefort, j'ai trouvé, au n°170 des documents de la chambre pour la session de 1845-1846, que les devis des frais de construction tant pour le chemin de fer de Ciney à Grupont, que pour l'embranchement vers l'Ourthe de St-Remy à Deulin, sont calculés avec tous les détails dans le travail de M. l'inspecteur de Moor. Voici le relevé de ces devis :

Section de Ciney par Forzée à Rochefort, 4,623,395 fr.

Section de Rochefort par Jemelle à Grupont, 1,220,598 fr.

Embranchement de Saint-Remy à Deulin, 1,801,321 fr. 93.

Total, 7,645,314 fr. 93.

Voyons maintenant quelle serait la dépense pour le tracé par Marche.

L'on trouve dans le travail de M. l'inspeceur de Moor le devis de la section de Ciney par Haversin, Hogne, Aye et Saint-Remy à Rochefort. Ce devis s'élève à 3,333,726 fr. M. de Moor, après être arrivé de Ciney par Haversin, jusqu'à Hogne, dans la vraie direction de Marche, s'est replié de Hogne par Aye et Saint-Remy sur Rochefort, parce que Rochefort lui avait été indiqué comme un point de passage obligé. Voici dans quels termes M. de Moor s'exprime sur les deux tracés dans sou rapport du 8 février 1846 :

« De Ciney à Rochefort, points obligés du tracé, il en a été étudié deux, l'un qui passe par Haversin et Aye près de Marche, a 28,700 mètres de longueur ; l'autre fort direct n'a que 19,300 mètres. Mais le premier, dont l'exploitation rentrera dans le système général de locomotion qu'il faudra adopter pour le Luxembourg, est estimé à 3,333,726 francs, tandis que le second quoique plus court coûterait cependant 4,623,385 fr. soit environ 1,300,000 en sus. »

Placons-nous maintenant dans l'hypothèse, qu'il nous est permis de ne point passer à Rochefort. Arrivés de Ciney par Haversin à Hogne dans la direction de Marche, nous ne retournerons pas à Hogne par Aye et St. Remy à Rochefort, comme M. de Moor a dû le faire ; mais nous continuerons le chemin de fer sur Marche pour aller rejoindre le trace général, dans la vallée de l'Homme, près de village de Jemelle, et qui ne nous coûtera pas plus que pour retourner à Rochefort, et ce qui nous conduira cependant à 3,000 mètres plus avant que Rochefort dans la dïirection d'Arlon.

De Jemelle à Grupont, il ne reste qus les trois quarts da la section de Rochefort à Grupont.

Ainsi pour le tracé de Ciney par Marche à Grupont, la dépense de sa ligne principale s'élablit comme suit :

Section de Ciney par Haversin, Hogne et Aye à Jemelle ; même dépense que pour la section de Ciney, par Haversin, Hogne, Aye et Saint-Remy à Rochefort : fr. 3,333,726 fr.

Section de Jemelle à Grupont (3/4 de 1,220,598 fr.) : fr. 915,448 fr. 50

Total : fr. 4,249,174 50.

Quant à l'embranchement vers l'Ourthe, je prends les bases de l'évaluation dans le travail de M. l'inspecteur général Vifquain sur les voies navigables. On lit dans ce rapport à la page 174 que le canal de Liége à Laroche a un développement de 118,637 mètres ou un peu plus de 23 1/2 lieues.

On trouve, à la page 266, que, d'après les renseignements fournis par la compagnie du Luxembourg, les travaux déjà exécutés entre Liége et Laroche avaient coûté un million, et que les travaux qui restaient à faire étaient évalués à trois millions.

Mais, à la page 457, où M. l'inspecteur Vifquain présente ses observations personnelles sur ce qui restait à faire, il en évalue la dépense à 4,633,000 francs : ce qui réuni à la somme d'un million déjà dépensée, donnerait, pour les 23 1/3 lieues, un total de 5,633,000 francs ou à peu près 240,000 francs par lieue. Mais dans la vallée de Marche à Deulin, qui est moins accidentée et moins exposée à des eaux torrentielles, il en coûtera moins que pour construire un canal de même dimension dans la vallée de l'Ourthe.

Or comme M. l'inspecteur Vifquain n'évaluait le coût du canal dans la vallée de l'Ourthe qu'à 240,000 francs, par lieue, je suis fondé à ne compter, sur le même taux, pour la canalisation de la rivière de Marche à Deulin, qu'une somme totale de 480,000 fr. pour les deux lieues.

En unissant les deux sommes dont je viens d'indiquer les éléments, je n'ai pour la construction du chemin de fer par Marche et pour la construction du canal de Marche à Deulin qu'une somme de 4,729,174 fr. 50 c. Il y aurait donc en adoptant le tracé par Marche, avec le canal de Marche à Deulin, une économie de 2,916,000 fr. sur le tracé par Rochefort accompagné de l'embranchement de Saint-Remy à Deulin.

Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que malgré cette forte économie, cette combinaison, loin de nuire à l'utilité générale du chemin de fer et du canal, leur sera au contraire, très favorable. Le chemin de fer, en pénétrant dans la province de Luxembourg à Marche, traversera cette province dans toute son étendue et reliera ses trois chefs-lieux d'arrondissement judiciaire, Marche, Neufchâteau et Arlon.

Le chemin de fer en passant par Marche au lieu de passer à Rochefort, restera mieux au milieu de cette portion du territoire belge, qui s'étend au sud-est entre la France, à droite depuis Givet jusqu'à Longwy et la confédération germanique à gauche, depuis Malmedy jusqu'à Luxembourg. En effet, Marche se trouve à peu près à égale distance de Givet et de Malmedy, comme Neufchâteau se trouve à égale distance de Sedan et de Wiltz, comme Arlon se trouve à égale distance de Montmedy et de Diekirch. Or, un chemin de fer qui traverse une pareille portion du territoire, acquiert un degré d'utilité d'autant plus grand qu'il se trouve mieux à égale distance des deux frontières dans toute l'étendue de son parcours.

Une observation que je crois devoir présenter à la chambre, c'est que le trajet de Namur à Arlon par Marche ne demandera pas plus de temps que le trajet de Namur à Arlon. Car s'il y a par Marche quelques kilomètres de plus, le tracé par Rochefort a des rampes plus fortes qui nécessiteront des ralentissements de vitesse dans la marche des convois, et ces ralentissements de vitesse feront perdre facilement les cinq ou six minutes qu'il faudrait pour parcourir les quelques kilomètres de plus par Marche. Sous ce rapport donc, il n'y a aucun intérêt à adopter le tracé par Rochefort.

Quand il s'agit de l'emplacement d'une station principale du chemin de fer du Luxembourg, il vous paraîtra sans doute plus convenable de la placer dans la ville de Marche, chef-lieu d'arrondissement de la province de Luxembourg, que de la mettre au bourg de Rochefort qui n'est qu'un chef-lieu de canton de la province de Namur.

Quand il s'agit de construire un chemin de fer pour rattacher la province de Luxembourg au reste de la Belgique, la ville de Marche a des droits incontestables à ne pas rester à l'écart. Si cette ville n'est plus maintenant que la seconde du Luxembourg, qu'il me soit permis de rappeler que, jusqu'à 1794, sous les dominations espagnole et autrichienne, Marche était l'égale d'Arlon, et que de 1794 à 1830, sous les gouvernements de France et des Pavs-Bas, la ville de Marche, chef-lieu d'arrondissement judiciaire, avait alors un rang supérieur à Arlon, qui n'était qu'un simple chef-lieu de canton.

Cinq routes de l'Etat et de la province partent de Marche, pour rayonner sur les communes et les cantons voisins ; et ce rayonnemont se trouve complété par les embranchements qui viennent y former divers chemins de grande communication.

Marche est donc le point le plus convenable que l'on puisss choisir dans la contrée pour une station principale du chemin de fer du Luxembourg. La ville de Marche a d'ailleurs sur son territoire et sur le (page 2000) territoire voisin de la commune de Waha un grand nombre de fours à chaux en pleine activité et de vastes carrières de pierre de taille. Les milliers de voitures qui viennent chaque année chercher la chaux et la pierre de taille y amènent du bois, des ardoises, des avoines et des pommes de terre. Le chemin de fer, en passant par Marche, absorbera tous ces transports et les multipliera dans des proportions colossales. Je doute qu'il y ait un autre point du Luxembourg qui puisse fournir immédiatement un aliment anssi considérable au chemin de fer.

Ce que je viens de dire des voies de communication qui aboutissent à Marche et des principales marchandises qui circulent sur ces routes, doit vous faire comprendre deux choses : d'abord que Marche convient mieux que Rochefort pour la station principale du chemin de fer ; en second lieu que Marche convient infiniment mieux que le hameau de Deulin pour l'embarcadère du canal. Deulin n'a ni routes, ni chemins praticables, ni ouvriers pour le transbordement de marchandises. Le canal de l'Ourthe gagnera donc beaucoup s'il vient communiquer à Marche avec le chemin de fer à l'aide d'un embranchement de canal au lieu d'un embranchement de chemin de fer.

Je termine en appelant l'attention de la chambre sur les trois économies annuelles et permanentes que l'on peut ménager au chemin de fer du Luxembourg en adoptant mon amendement : économie de l'intérêt d'un capital de trois millions qu'il faudra en moins pour les frais de construction ; économie en ce que les frais d'entretien d'un canal de deux lieues de Marche à Deulin coûtera moins que les frais d'entretien d'un chemin de fer de quatre lieues de Saint-Remy à Deulin ; enfin, économie de toute la dépense d'exploitation de cet embranchement, puisque si le chemin de fer passe par Marche, on n'aura pas besoin de ce chemin de fer accessoire. Ces trois économies présenteront un chiffre de 200,000 à 300,000 fr. par an. J'espère que la chambre ne voudra pas priver le gouvernement de la faculté que je veux lui accorder d'obtenir cette économie, et qu'après un mûr examen, elle croira que la proposition que je fais doit être adoptée.

M. le président. - MM. de Liedekerke et Thibaut présentent un amendement qui est la conséquence de celui qui a été développé ; il est ainsi conçu :

« Convention avec la société du Luxembourg. Art. 7 du cahier des charges : substituer la somme de 24,000,000 à celle de 22,500,000 fr. »

La parole est à M. Orban pour développer son amendement.

M. Orban. - Messieurs, en venant vous proposer en faveur du Luxembourg quelque chose de plus que le projet de loi, en venant vous demander au lieu de l'exécution éventuelle du chemin de fer du Luxembourg par une société, l'exécution par l'Etat dans le cas où la société ne pourrait pas l'exécuter, je suis heureux de pouvoir invoquer le témoignage de plusieurs orateurs de cette chambre qui ont parlé avec d'autant plus d'autorité qu'ils ont combattu le projet de loi en général et se sont placés à un point de vue entièrement désintéressé. Je veux parler des honorables M. Rolin, M. Cools et de l'honorable M. Lebeau qui, tout en combattant le projet du gouvernement, ont accordé au chemin de fer du Luxembourg une importance et une mention toute spéciale.

L'honorable M. Cools, vous vous le rappelez en effet, tout en déclarant que le gouvernement allait trop loin en beaucoup de choses, lui a reproché en ce qui concerne le chemin de fer de Luxembourg de ne pas aller assez loin, de n'avoir pas assez fait pour lui. Vous auriez dû intervenir, vous a-t-il dit, directement et avec les fonds de l'Etat.

L'honorable M. Lebeau, dans le discours qu'il a prononcé hier et dans lequel il s'est livré à de si hautes considérations sur le caractère général de ce projet qu'il n'a pas cru pouvoir apprécier, vous a cependant déclare qu'il serait disposé à faire quelque chose pour rattacher le Luxembourg aux chemins de fer de l'Etat.

C'est en se fondant sur des motifs patriotiques, sur des motifs d'intérêt général, que ces messieurs ont émis cette manière de voir.

Eh bien, j'ose dire que cette manière de voir devrait être celle de la chambre tout entière. Car elle n'est pas seulement fondée sur un motif de patriotisme et de convenance générale, elle est fondée sur le droit le plus strict et le plus légitime.

En 183, messieurs, quand, faisant un nouveau pas dans la voie ouverte par la loi de 1834, on compléta le réseau des chemins de fer de l'Etat, il fut décrété que chaque province y serait rattachée par un embranchement.

Cette promesse a été remplie pour tout le monde, pour tous, excepté pour le Luxembourg, qui, depuis quinze ans, est resté privé du bénéfice de la loi commune.

Et cependant, messieurs, l'obligation qui, à cette époque, était jusqu'à un certain point éventuelle, est devenue depuis une obligation positive. En effet, dans la loi de 1837, il y avait une restriction ; elle consistait en ce que la disposition concernant le Luxembourg était subordonnée à la possibilité de l'exécution.

Longtemps, messieurs, on a pu croire que cette possibilité n'existait pas, et c'est dans cette incertitude qu'on a voté la loi des deux millions a laquelle fait allusion l'honorable M. Manilius ; mais depuis lors elle a été constatée, car le chemin de fer du Luxembourg a ete concédé, et aujourd'hui, vous offrez une nouvelle consécration à cette possibilité, puisque vous proposez encore l'exécution, par la compagnie après approbation des plans qui ont été dressés.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, la différence entre le chemin de fer du Luxembourg et les autres travaux qui vous sont proposes, c'est que ceux-ci ont un caractère facultatif en quelque sorte, tandis que celui-là repose, au contraire, sur un droit formel et positif. Cette considération, messieurs, nous explique suffisamment les motifs pour lesquels je viens aujourd'hui réclamer en faveur du chemin de fer du Luxembourg une garantie qui n'existe point pour les autres, la garantie que si ce chemin de fer n'est pas exécuté par la compagnie, il le sera par l'Etat.

Voyez en effet, messieurs, la position que nous fait la loi qui vous est soumise : nous sommes exposés de nouveau, nous qui avons des droits tout particuliers, à voir la loi commune rester sans exécution, en ce qui concerne la part des avantage qu'elle nous promet.

Une partie des projets qu'elle renferme s'exécuteront avec les fonds de l'Etat,etassurément l'achèvement de ceux-là est assuré. Car si les sommes votées se trouvent insuffisantes, on saura bien rouvrir de nouveau le trésor de l'Etat en leur faveur. D'autres travaux s'exécutent au moyen de la garantie d'un minimum d'intérêt, et bien que sous ce rapport leur position semble être analogue à celle du chemin de fer du Luxembourg, mais, messieurs, l'analogie n'est qu'apparente.

Ainsi, les chemins de fer de la Flandre occidentale et de l'Entre-Sambre et Meuse, sont dans une tout autre position que le chemin de fer du Luxembourg ; leurs lignes principales sont exécutées ; il ne reste plus à exécuter que des parties tout à fait accessoires ; là il est évident que l'offre d'un minimum d'intérêt est d'autant plus de nature à engager les sociétés à terminer les travaux, que le gouvernement a le droit de déposséder les sociétés, dans le cas où elles ne rempliraient par leurs engagements, La garantie d'un minimum d'intérêt est donc là une chose qui aura une influence décisive.

Restent, messieurs, les chemins de fer exécutés par des sociétés sans garantie d'intérêt. Eh bien, je dis encore que ces lignes ont des chances d'exécution que n'a pas le chemin de fer du Luxembourg. En effet, quelles sont ces lignes ? C'est celle de Bruxelles à Gand et celle de Bruxelles à Namur. Or l'exécution de ces lignes est assurée, car elle a pour elle quelque chose de mieux que la garantie d'un minimum d'intérêt, c'est la garantie de très bons produits.

Le chemin de fer du Luxembourg, qui n'est point en voie d'exécution, qui par lui-même ne présente pas les avantages attachés aux lignes que vous avez concédées sans garantie d'intérêt, se trouve donc exposé, si ma proposition n'est pas adoptée, à faire encore une fois seul naufrage, après que tous les autres seront arrivés au port.

Ma proposition est d'autant plus acceptable, que si le chemin de fer du Luxembourg peut être considéré jusqu'à certain point comme ne présentant pas pour une société des avantages directs et immédiats, il est en revanche d'une immense utilité pour le pays, pour l'Etat, pour le trésor.

Je ne parlerai pas des produits indirects que le chemin de fer doit rapporter à l'Etat. On vous en a suffisamment entretenus, dans les documents si complets qui vous ont été soumis sur cette question.

Qu'il me soit cependant permis de dire que si la province de Luxembourg, avec ses magnifiques forêts, dont les produits sont la plupart du temps sans valeur, avec son sol si varié et si attrayant, avec ses cours d'eaux nombreux et si favorables à la fécondation du sol et à la création d'industries, avec ses bruyères incultes et si faciles à transformer en terres fertiles, au lieu de se trouver à l'extrémité de la Belgique et en dehors du mouvement des affaires, se trouvait plus rapprochée de vous ; que si la distance qui la sépare de vous se trouvait réduite dans une notable proportion, comme elle le serait par l'effet du chemin de fer, elle ne devînt bientôt une des provinces les plus intéressantes, si pas les plus riches de la Belgique.

Je ne m'attacherai pas, messieurs, à développer cette vérité qui l'a été suffisamment par d'autres et ailleurs. Je veux seulement appeler l'attention de la chambre sur un autre point, sur un intérêt plus direct que l'Etat possède dans cette question.

Si nous sommes intéressés personnellement, nous Luxembourgeois, et vous tous, à l'exécution de ce chemin de fer, je dois dire que l'Etat y est en quelque sorte personnellement intéressé plus que qui que ce soit.

En effet l'Etat est le plus grand propriétaire de la province du Luxembourg. L'Etat y possède des forêts représentant une valeur de plus de 25 millions de francs. Or, il est évident que l'exécution du chemin de fer va donner à ces forêts une valeur peut-être double de celle qu'elles possèdent maintenant.

Cette considération à elle seule n'est-elle pas un argument presque décisif en faveur de l'exécution du chemin de fer par l'Etat ?

Je n'insisterai pas davantage. Cependant je poserai à la chambre cette alternative : ou bien les sociétés concessionnaires exécuteront le chemin de fer du Luxembourg, et en ce cas, vous pouvez admettre sans difficulté ma proposition qui n'entraînera alors pour l'Etat aucune charge nouvelle ; ou bien les sociétés n'exécuteront pas leurs engagements, soit qu'à l'époque à laquelle elles devront commencer les travaux elles n'aient pas réuni les capitaux nécessaires, soit qu'aux différentes époques déterminées par le cahier des charges, elles n'aient pas rempli leurs obligations ; voudriez-vous alors, qu'après le nouvel effort que vous allez faire pour compléter le système des chemins de fer dans le pays, après les nouveaux sacrifices que vous allez imposer dans ce but aux contribuables, aux habitants de ma province comme aux autres, voudriez-vous, dis-je, que le Luxembourg seul restât encore une fois à l'écart par une exception aussi injuste qu'humiliante ? Telle ne peut être votre intention, et je suis convaincu que vous adopterez mon amendement.

(page 2001) M. le président. - La parole est à M. de La Coste pour développer l'amendement qu'il a déposé.

M. de La Coste. - Messieurs, si l'amendement de l'honorable M. Orban était admis ou plutôt si la chambre était inclinée à mettre dès à présent à la charge de l'Etat la construction du chemin de fer du Luxembourg, il y aurait un parti bien simple à prendre pour tout ce qui constituait la concession de la société de Louvain à la Sambre : ce serait de revenir aux conditions que la société du Luxembourg a proposées en 1849 ; à cette époque, pourvu qu'elle fût débarrassée de la construction de la ligne de Namur vers Arlon et des embranchements, elle consentait à se charger de la ligne de Bruxelles à Namur, de l'embranchement de Louvain et de celui de Charleroy, sans aucun concours de l'Etat.

Mais, messieurs, je vais raisonner dans l'hypothèse que le projet de la section centrale soit admis.

Messieurs, je ne considère pas ce qui reste de la ligne de Louvain à la Sambre et la ligne du Luxembourg, comme des lignes rivales ; je les considère comme des lignes qui doivent se prêter un mutuel secours, comme des lignes solidaires, il serait dans leur intérêt de s'entendre ; mais vous savez que cela n'arrive pas toujours ; ceux qui ont intérêt à s'entendre ont des rivalités, des dissidences.

Ces dissidences peuvent porter ici sur deux points, sur le tracé et sur l'exploitation.

Quant au tracé, celui de la ligne de Wavre à la Sambre, qui se composait d'une section de Louvain à Wavre, d'une section de Wavre à Gembloux, et ensuite d'un embranchement sur Namur et d'un autre sur Charleroy, ce tracé a été étudié dans le but de le mettre également en rapport avec la direction de Bruxelles à Wavre ; ce tracé est donc conçu dans l’intérêt commun de la ligne de Bruxelles à Namur, et de tous les embranchements.

Et maintenant, messieurs, par le nouveau cahier des charges, il est dit que dans le délai d'un an, à partir du jour de la publication du nouvel arrêté royal pour la concession à intervenir, la compagnie devra faire parvenir au gouvernement les plans du tracé qu'elle suivra jusqu'à la frontière française et jusqu'au Grand-Duché de Luxembourg.

Ainsi tous les tracés sont remis en question. Il dépendra donc des tracés adoptés de rendre la ligne de Wavre à Louvain infiniment plus onéreuse et de rendre la ligne de Gembloux à Charleroy, et l'embranchement de Jemeppe, d'une exécution presque impossible. Les plans primitifs avaient été faits dans la vue de combiner ces différents embranchements.

Il dépendra également de ce tracé d'éloigner la route principale de Wavre. Quoique cette ville ne soit pas dans mon arrondissement, je crois cependant devoir prendre sa défense ; la position de Wavre deviendrait pire que si un chemin de fer ne traversait pas l'arrondissement de Nivelles.

C'est ainsi que dans la ville de Hal les propriétés ont perdu en valeur dans une proportion très considérable : ce qui peut être constaté à l'administration de l'enregistrement. Au reste, quant à ce point, je ne propose rien ; je me borne à ces observations ; ce sera au gouvernement à y avoir égard, et je pense qu'il ne peut pas manquer de maintenir au moins les choses dans un état qui rende possibles des embranchements dont l'exécution éventuelle est annoncée dans la nouvelle convention elle-même ; et en même temps qui ne mette pas la ville de Wavre dans la position fâcheuse que j'ai indiquée, ce qui, je crois, n'est pas dans l'intention de la chambre.

Quant au service, je répète que les deux lignes ont intérêt à s'entendre ; mais elles peuvent chercher aussi à rendre plus ou moins difficiles certaines parties de leur exploitation ; la société du Luxembourg pourrait mettre quelques entraves à la circulation des marchandises venant par la section de Louvain à Wavre.

Il est donc important qu'il soit pris à cet égard des mesures. Je conviens qu'il y est plus ou moins pourvu par les articles 39, 48 et 57 de l'ancien cahier des charges ; je suppose que ces articles n'éprouveront aucune altération ; je ne vois pas qu'il y soit dérogé par la nouvelle convention.

Cependant l'article 57 donne aux nouvelles concessions qui pourraient aboutir à celle du Luxembourg, la faculté de faire déclarer des parties de la ligne du Luxembourg communes aux deux lignes et d'y faire circuler des convois ; il me semble que c'est là une mesure qui serait fort dispendieuse pour les nouvelles sociétés concessionnaires.

Il me semble qu'il serait préférable que le gouvernement pût intervenir, établir des coïncidences et veiller à ce que les sociétés ne cherchassent pas à se nuire réciproquement. Ceci n'est pas seulement utile aux futurs concessionnaires de Louvain à Wavre et de Gembloux à Charleroy, mais pour toutes les lignes concédées dans des conditions analogues ; voilà l'objet de mon amendement.

Je n'en dirai pas davantage à cet égard ; je laisse au ministre à juger s'il a ou s'il n'a pas besoin du moyen que je lui offre ; s'il croit être assez armé par les articles de l'ancien cahier des charges, s'il prend la responsabilité de ces combinaisons, de ces coïncidences que l'expérience pourra démontrer être indispensables, en un mot s'il n'adopte pas mon amendement, je l'abandonne dès à présent, je ne veux pas augmenter le nombre des victimes.

M. le président. - Un nouvel amendement vient d'être présenté par M. Malou.

« La société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg est dispensée de construire les embranchements.

« La garanùc par l'Etat d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sera réduite proportionnellement.

« Les obligations contractées par la société, soit pour le chemin de fer, soit pour le canal de l'Ourthe, sont indivisibles. »

M. Malou. - Je m'attacherai à être très bref.

D'abord, je crois de toute justice que la proposition de M. Orban soit considérée comme une proposition générale ; si l'on veut déclarer que la garantie de l'Etat donnée à plusieurs entreprises, cette garantie ne suffisant pas pour amener l'exécution des travaux, l'Etat doit intervenir, ce n'est pas au chemin de fer du Luxembourg seul, mais à tous les travaux concédés, que le principe doit être appliqué.

Je pourrais à cet égard invoquer les paroles prononcées par l'honorable M. d'Elhoungne dans une séance précédente. C'est une question de bonne foi.

Je demande que la discussion de cette proposition soit jointe à celle de la proposition de M. Rousselle de disjoindre le paragraphe 3, et de celle que j'ai faite relativement a la simultanéité des travaux. Ces trois propositions sont inspirées par la même pensée de faire en sorte que les uns ne soient pas traités au comptant et les autres à crédit, pour qu'il n'y ait pas de mécompte. Je me borne à cette simple observation, je me réserve d'examiner plus tard s'il convient d'engager l'Etat dans cette proportion.

L'intervention du gouvernement pour le chemin de fer du Luxembourg, parce qu'on le représente comme la première section d'une grande ligne internationale qui doit nous mener par la ligne la plus courte à Trieste et plus tard aux Indes. Si la ligne du Luxembourg ne se présentait pas comme une section d'une ligne internationale, il n'y aurait pas de discussion sérieuse possible pour engager pour un terme aussi long, pour une somme aussi forte la garantie de l'Etat. Si c'est là le seul motif qui puisse justifier le vote de la chambre en faveur du Luxembourg, pourquoi engager l'avenir de nos finances pour construire quelques embranchements dont le produit sera pour longtemps insignifiant ?

L'honorable M. Rogier en 1846 appelait un de ces embranchements une sorte de gracieuseté, un acte de courtoisie en faveur du ministre qui a accordé la concession.

Voici les paroles de l'honorable M. Rogier ; je les cite parce qu'elles servent en partie de développement à l'amendement que j'ai présenté, et pour l'autre partie elle renforce la thèse soutenue par l'honorable M. Thibaut.

« L'article 3 du cahier des charges nous présente un embranchement partant de Neufchâteau vers Bastogne. Messieurs, malgré soi on a été porté à voir dans cet embranchement une sorte de gracieuseté, si l'on veut, en faveur du ministre qui a accordé la concession. Car certes, on ne voit pas trop comment, refusant d'une manière absolue un embranchement vers le district si important, si populeux, si industriel de Dinant, on accordait cependant un embranchement vers Bastogne qui ne semble pas promettre en revenus et en avantage la même importance que présenterait le district de Dinant.

« L'amendement de l'honorable M. de Mérode ferait cesser et pour le ministre lui-même signataire de la convention, le préjugé fâcheux que cet embranchement, poussé par une sorte de complaisance vers Bastogne, a fait naître, sans l'esprit de beaucoup de monde, et pour ma part, à la place de l'honorable M. d'Hoffschmidt, j'appuierais l'amendement de l'honorable M. de Mérode. »

En 1846 l'honorable M. d'Hoffschmidt ne s'est pas rendu au conseil que lui donnait l'honorable membre aujourd'hui son collègue de faire l'héroïque sacrifice de son embranchement de celui à Dinant. Je n'espère pas qu'il le fasse davantage aujourd'hui.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Pas plus que vous ne renoncez à celui de Poperinghe.

M. Malou. - J'ai cité les paroles de l'honorable M. Rogier pour démontrer que, dans l'opinion de cet honorable membre, les embranchements du chemin de fer du Luxembourg n'avaient pas un caractère d'utilité générale assez prononcé pour qu'il y ait lieu de les concéder purement et simplement ; aujourd'hui on propose, non plus de les concéder purement et simplement, mais d'engager pour cinquante ans la garantie de l'Etat. Il s'agit d'engager les finances de l'Etat, car l'embranchement de Bastogne ne peut produire, ne produira peut-être jamais les frais d'exploitation. S'il fallait le démontrer, j'invoquerais les faits cités hier relativement au chemin de fer d'Entre-Samhre-et-Meuse.

- Un membre. - Pourquoi les avez-vous concédés ?

M. Malou. - Parce qu'il ne s'agissait pas d'engager l'Etat. Pour entrer dans une autre ordre d'idées, vous invoquez sans cesse ce qui s'est fait en 1846 ; alors il ne s'agissait pas, je le répète, d'engager l'Etat ; si on proposait d'accorder un nouveau terme, je le concéderais encore, mais c'est tout autre chose de faire une concession ou d'engager l'Etat pour cinquante ans pour créer un ouvrage d'utilité publique ou plutôt d'utilité privée.

Je ne suis mû par aucune pensée d'hostilité contre telle ou telle localité, mais dans cet immense débat d'intérêts ouvert devant vous, quand pour la première fois nous appliquons ce principe qui renferme tant de dangers, ne devons-nous pas chercher à en restreindre l'application ?

Or, je demande que l'on me démontre qu'il y a des motifs d'intérêt général d'accorder dès à présent la garantie de l'Etat en faveur des embranchements du chemin de fer du Luxembourg.

Je propose donc à la chambre par la première partie de mon amendement de dispenser la compagnie de construire ces embranchements.

(page 2002) M. Coomans. - Elle aurait la faculté de les faire si elle le voulait.

M. Malou. - Assurément ! Si la compagnie juge qu'il est utile à ses intérêts, après avoir canalisé l'Ourthe, de rattacher le chemin de fer au canal de l'Ourthe en passant par Marche, elle pourra le faire. Le gouvernement pourrait être autorisé à lui accorder cette concession.

Mais ce que je demande, c'est que pour ces embranchements que l'on présente comme devant être d'un grand intérêt pour la compagnie, on ne lui donne pas en outre la garantie de l'Etat pour cinquante ans.

Les difficultés que les compagnies rencontreront pour réunir les capitaux sont connues de chacun de nous. Si, en simplifiant le travail qui leur est indispensable, nous parvenons à réduire le capital d'exécution, nous avons exercé en même temps une réaction très favorable, très heureuse sur l'exécution des lignes principales.

Ainsi, en dispensant la compagnie du Luxembourg de réunir le capital nécessaire pour les embranchements, nous donnons à l'exécution de la ligne internationale du Luxembourg une garantie nouvelle d'exécution.

Ainsi, en défendant cette thèse je crois, qu'il me soit permis de le dire, servir mieux les véritables intérêts du Luxembourg que ceux qui défendent les embranchements.

J'ai à ajouter quelques mots sur le dernier paragraphe de mon amendement.

D'après la convention, la compagnie aurait en Belgique deux concessions distinctes, et les obligations qu'elle contracte envers l'Etat sont divisées par la convention, c'est-à-dire que si, par exemple, la compagnie croyait de son intérêt de réunir les moyens d'exécuter le canal de l'Ourthe, et si elle ne faisait rien ; si elle refusait d'exécuter le chemin de fer du Luxembourg, elle ne pourrait pas, d'après la convention, être déclarée déchue en ce qui concerne la canalisation de l'Ourthe ; ce qui est contraire au principe général de notre droit, principe d'après lequel toute personne est obligée sur l'ensemble de ses biens à exécuter l'obligation qu'elle a contractée. Cette division des engagements contractés par la compagnie vient encore diminuer les chances d'exécution du chemin de fer du Luxembourg.

C'est parce que je tiens à ce que la compagnie puisse exécuter la ligne principale, que j'ai déposé l'amendement qui est soumis à l'examen de la chambre ; amendement qui déclare indivisibles les engagements de la compagnie.

Pour repousser cette partie de l'amendement, pour le considérer comme une condition résolutoire de tous les engagements, on devrait me prouver que la compagnie ne tiendra pas ses engagements, car si la compagnie peut les tenir, si elle a les capitaux nécessaires, à quoi bon demander la division des obligations qu'elle contracte ? De sorte qu'en demandant la division on ne peut la justifier qu'en posant en fait que la compagnie ne tiendrait pas les engagements qu'elle contracte.

Je crois avoir justifié les deux parties de mon amendement.

M. le président. - Tous les amendements ont maintenant été développés. La discussion s'ouvre sur le littera B de l'article premier et sur les amendements y relatifs.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je ne me proposais pas de prendre une large part à cette discussion, à cause d'abord de la bienveillance avec laquelle le projet du gouvernement, en ce qui concerne le chemin de fer du Luxembourg, a été accueilli par les sections et par la section centrale, et ensuite à cause de la lassitude déjà manifestée par la chambre. Mais, après le discours que vous venez d'entendre, la chambre comprendra que je ne puis pas garder le silence.

Je ne demande pas la moindre faveur pour les embranchements du chemin de fer du Luxembourg, ni pour mes commettants. Je ne demande à la chambre que de la justice distributive, de l'équité, de l'impartialité.

Les embranchements sont-ils une chose nouvelle ? Mais pas le moins du monde. Cette question a été déjà discutée en 1846. Les deux embranchements ont été déclarés obligatoires par la loi qui accorde la concession ; ils le sont encore. Cette proposition a réuni une grande majorité. L'honorable préopinant et mon honorable collègue et ami, M. Rogier, ont voté tous deux pour les embranchements du chemin de fer du Luxembourg.

M. Coomans. - Sans la garantie par l'Etat d'un minimum d'intérêt.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Oui, mais je vous dirai ce que vous disait, il y a quelques jours, l'honorable M. d'Elhoungne. Si en 1846 vous croyiez ces embranchements aussi désavantageux, pourquoi les concédiez-vous ? Est-ce un piège que vous tendiez à la compagnie ? Si vous les considériez comme aussi mauvais que vous le dites, vous ne deviez pas les concéder, et la ligne principale non plus ! Quant à moi. je ne partage pas votre opinion.

Je les ai votés parce que je les crois utiles à la province de Luxembourg et à l'intérêt général qui est composé,je pense, de l'ensemble des intérêts particuliers.

Pourquoi a-t-on voulu des embranchements au chemin de fer du Luxembourg ? On a eu un double but en vue dans l'exécution de cette grande voie de communication.

D'abord, on a eu en vue un but international ; cela est vrai. Mais on a eu aussi en vue un but d'intérêt provincial qui est d'une haute importance, qui est une question vitale pour une grande province. L'honorable mambre laisse de côté ce grand intérêt pour n'envisager que l'intérêt international. Mais qu'il jette les jeux sur les différentes sections du chemin de fer, exécutées ou exécuter, et il verra si l'intérêt provincial on local n'y joue pas le plus grand rôle. Si l'on avait admis le système de M. Malou, que serait-il arrivé ? Que la moitié de la province de Luxembourg aurait été privée du bienfait du chemin de fer. Il y a des parties de la province de Luxembourg qui eussent été à dix et même à quinze lieues de la ligne principale.

On n'aurait donc pas atteint le but qu'on s'était proposé, c'est-à-dire, l'amélioration de la province de Luxembourg. Mais on serait allé plus-loin : on aurait enlevé à ces parties delà province leurs avantages communaux, les transports et le transit dont elles jouissent actuellement. Le transit des marchandises, la circulation principale, pour le commerce intérieur et extérieur, passent maintenant par les villes de Marche et de Bastogne.

Si vous vous borniez à la ligne principale, non seulement vous les priveriez de tous les bienfaits que vous voulez accorder au Luxembourg par le chemin de fer ; mais vous leur enlèveriez même tout leur commerce ; de sorte que votre projet sera un malheur pour ces populations.

Messieurs, ne serait-il pas étrange, en vérité, d'adopter maintenant cette résolution ? Comment, en 1846, quand l'Etat n'intervenait pas, vous avez décrété les embranchements du chemin de fer ! Et c'est quand l'Etat intervient, qu'il retirerait ses bienfaits !

Et comment justifieriez-vous ce revirement ? Par des raisons d'une mesquine économie !

Ne serait-ce donc pas aller tout à fait à l'inverse de l'esprit de justice distributive qui a dicté le projet de loi ?

Tandis que vous accordez des embranchements à de nombreuses localités : au chemin de fer de la Flandre occidentale, ceux de Thielt et de Poperinghe ; que déjà vous en avez voté hier plusieurs qui ne sont pas plus importants que ceux du Luxembourg, en faveur de l'Entre-Sambre-et-Meuse ; que vous allez probablement voter d'autres embranchements encore et même un embranchement au canal de la Campine qui coûtera 2,600,000 fr ; et pendant que vous accorderiez ces faveurs à ces localités, vous les retireriez à d'autres qui auraient des drois acquis ! Certes, la chambre ne voudra pas avoir deux poids et deux mesures en adoptant la proposition de l'honorable préopinant.

On parle toujours des localités. Mais ce ne sont pas seulement les localités qu'il faut avoir en vue, ce sont les parties du pays qui sont traversées par le chemin de fer.

Ainsi si vous priviez le Luxembourg des deux embranchements dont il est question, vous priveriez deux grands arrondissements qui ont ensemble 200,000 hectares, c'est-à-dire autant que la province du Limbourg, de toutes les améliorations qu'ils sont en droit d'attendre.

L'embranchement de Marche a un autre avantage encore. Il est destiné à relier le canal au chemin de fer. Si vous n'avez pas l'embranchement de Marche qui doit se prolonger jusqu'à l'Ourthe, vous n'obtenez pas ce résultat si utile de faire arriver le produit de Liége et des localités environnantes sur le chemin de fer du Luxembourg. C'est là une considération puissante, c'est un avantage incontestable dont il ne faut priver ni Liége ni le Luxembourg.

On est toujours dans le vague dans cette discussion. On parle de grands sacrifices, de garanties énormes ; examinons attentivement, sans parti pris, quelles sont les charges qui pourront résulter pour le gouvernement de la construction des embranchements.

L'embranchement de Bastogne coûtera, d'après les derniers rapports qui ont été faits, 1,200,000 fr. Il existe deux projets : l'un, d'après lequel l'embranchement aurait 6 lieues et coûterait 1,800,000 fr. ; l'autre, d'après lequel l'embranchement aurait 4 lieues et coûterait 1,200,000 fr. Mais comme il est évident que c'est l'embranchement le plus court qui sera adopté, la dépense ne sera que de 1,200,000 francs, c'est-à-dire 300,000 fr. par lieue, Et cela n'est pas étonnant. Cet embranchement sera construit sur le plateau des Ardennes ; il n'y aura presque pas de travaux d'art à exécuter ; le bois et le fer y sont à bon marché. Du reste, je pourrais citer beaucoup de chemins de fer qui n'ont pas coûté plus de 300,000 fr. par lieue. M. l'ingénieur de Moor et M. l'ingénieur Splingard sont parfaitement d'accord sur le coût de cet embranchement. Je pourrais, si je ne craignais d'abuser de vos moments, en donner la preuve par des calculs incontestables.

C'est donc une affaire de 1,200,000 fr. Or, une garantie de 4 p. c. sur 1,200,000 fr., c'est 48,000 fr., voilà l'immense sacrifice que ferait l'Etat, en supposant que ce chemin de fer ne rapportât rien !

Eh bien, j'admets que l'Etat doive faire ce sacrifice. Mais n'en fait-il pas d'autres beaucoup plus importants ? N'accorde-t-il pas des primes pour la navigation transatlantique qui vont au-delà de 100,000 fr. ? N'accorde-t-il pas des primes pour certaines industries qui dépassent aussi de 100,000 fr. ? Le chemin de fer de l'Etat ne laisse-t-il pas un déficit ? Il n'y aurait donc rien d'étonnant à ce que, pour améliorer la moitié d'une grande province, l'Etat consentît à ce sacrifice de 48,000 fr. Mais pour arriver à ce sacrifice il faudrait supposer que ce chemin de fer ne rapportera rien.

Or, ce chemin de fer exploité économiquement, construit économiquement comme tout le chemin de fer du Luxembourg, produira au contraire des résultats plus avantageux que ceux qu'attendent d'honorables membres.

J'aurais voulu pouvoir entrer dans plus de détails à cet égard et démontrer qu'à cause de ces deux éléments très économiques, c'est-à-dire un coût très faible pour la construction et une exploitation à des frais peu élevés, ce chemin de fer produira des résultats avantageux, comme (page 2003) ceux des Etats-Unis, par exemple, qui traversent des contrées fort arides et produisent cependant presque tous plus de 5 p. c.

Mais je ne veux pas trop prolonger cette discussion. Il suffira donc que l'embranchement dont il s'agit produise un bénéfice brut de 19.000 francs par lieue pour couvrir toute la dépense d'exploitation et les 4 p. c. Or, quand on connaît l'activité commerciale qui règne dans ces petites localités, on doit être persuadé que ces résultats ne manqueront pas d'être obtenus au bout d'un petit nombre d'années. Cela ne me paraît pas douteux.

Le chemin de fer de l'Etat rapporte 125,000 francs par lieue. C'est donc être très modeste que d'attendre 19,000 fr. par lieue de ces embranchements, et cela suffira pour obtenir le résultat que nous devons désirer, c'est-à-dire pour que la garantie de l'Etat ne soit pas appliquée.

Ainsi, messieurs, la proposition de l'honorable Malou aurait pour résultat d'enlever en quelque sorte des droits acquis, de blesser la justice distributive, de léser la moitié du Luxembourg, d'obliger le gouvernement à faire une nouvelle convention avec la compagnie, car il faudrait négocier relativement au chiffre de la garantie, de remettre ainsi tout le chemin de fer en question, tout cela pour arriver à ce résultat, de faire une économie éventuelle de 48,000 fr. ! Car je suppose que l'on ne pense pas à renoncer à l'embranchement de Marche qui doit joindre le canal au chemin de fer.

Messieurs, j'ai maintenant un mot à répondre à l'honorable M. Thibaut qui a rappelé le discours que j'ai prononcé en 1846. J'étais au sénat lorsqu'il a parlé, je ne sais pas précisément ce qu'il a dit, mais je suppose que l'honorable membre ne m'a présenté, pas plus en 1846 que maintenant, comme hostile à un embranchement sur Dinant.

En 1846, j'ai répondu à l'un de ses honorables prédécesseurs, M. Pirson, et j'ai démontré de la manière la plus évidente, que j'avais fait des démarches auprès de la société concessionnaire pour l'engager à faire un embranchement sur Dinant ; mais la compagnie s'y est refusée, parce que je crois qu'il y a de grandes difficultés de terrain qui ont été constatées dans le temps par des ingénieurs envoyés sur les lieux.

M. Thibaut. - Je préférerais faire celui-là plutôt que celui de Bastogne.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - C'est votre opinion. Mais ce n'était pas l'opinion de la compagnie concessionnaire. Il paraît qu'il existe des difficultés de terrain telles que la construction de cet embranchement ne peut avoir lieu sans des frais énormes.

Voilà, messieurs, les motifs qui ont été allégués à cette époque.

Je crois que l'honorable M. Thibaut ferait bien de se rallier à la proposition de la section centrale.

C'est le meilleur moyen, je crois, d'arriver au résultat qu'il désire. La section centrale fait une proposition qui tend à autoriser le gouvernement à concéder l'embranchement dont il s'agit, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt sur 1,500,000 fr. Dans tous les cas je trouve qu'il est étrange de voir combattre un embranchement au profit d'un autre.

Je crois, messieurs, que si cet embranchement est utile, il n'y a pas besoin de sacrifier les intérêts d'autres localités pour justifier sa construction.

L'arrondissement de Dinant, du reste, profite grandement du chemin de fer du Luxembourg. Le chemin de fer ne passe pas à la vérité à Dinant, mais il passe à Ciney et à Rochefort.

Voilà deux localités très importantes de l'arrondissement qui a envoyé l'honorable M. Thibaut dans cette enceinte qui jouiront de tous les bienfaits du chemin de fer. Je crois qu'il y a beaucoup d'arrondissements qui seraient satisfaits d'être ainsi sacrifiés.

Je reconnais, du reste, que Dinant est une localité importante ; je n'ai pas contre elle le moindre sentiment d'hostilité ; je désire qu'elle ait son embranchement. Mais si l'amendement de ses honorables représentants était adopté, il aurait l'inconvénient de remettre en question la convention. Il faudrait une négociation nouvelle, et il pourrait arriver que cette négociation n'aboutît pas. Or, il importe avant tout que la ligne principale soit exécutée.

Messieurs, je n'entrerai pas dans la question principale, c'est-à-dire celle des produits probables du chemin de fer international. Mais je n'ai pas entendu sans surprise l'honorable M. Orban appuyer cette opinion émise par des membres de la chambre, que le chemin de fer de Luxembourg ne produira pas des revenus suffisants et immédiats. C'est bien mal défendre les intérêts de ce chemin de fer. Je ferai remarquer à l'honorable membre que le document émané de la députalion permanente du Luxembourg, document qu'il a cité avec éloge, prouve précisément le contraire de ce qu'a dit l'honorable M. Orban. Or, c'est le seul devis estimatif des produits du chemin de fer qui ait été fait. J'appelle sur ce document l'attention de tous les membres de la chambre ; ils y verront que le chemin de fer du Luxembourg est appelé à un très bel avenir, même financièrement parlant. Dans tous les cas, je ne pense pas qu'il soit bien de venir déclarer ici, sans avoir bien approfondi la question, que ce chemin de fer ne sera probablement pas productif. C'est le meilleur moyen d'empêcher son exécution.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, j'examinerai brièvement les divers amendements qui sont proposés.

Je pense que la chambre admettra avec moi, qu'il ne s'agit plus de revenir sur l'utilité du chemin de fer du Luxembourg ; elle a été reconnue en 1837, et en 1846 le chemin de fer du Luxembourg a été voté à la presque unanimité des membres de cette chambre. Il me paraît hors de doute qu'au point de vue politique le gouvernement a un intérêt direct, puissant à rattacher l'importante province du Luxembourg au réseau national et à l'arracher à l'isolement où elle se trouve aujourd'hui. Au point de vue international, l'importance de ce chemin de fer est également incontestable, surtout quand on voit les efforts que font les nations étrangères, la Hollande et la Prusse, pour détourner le transit de la ligne actuelle d'Anvers à Cologne.

La chambre sait qu'il existe en ce moment-ci des conventions ou des projets de conventions entre la Prusse et la Hollande, qui ont pour objet de rattacher la ville de Rotterdam directement à Utrecht.

D'Utrecht à Arnhem il y a un chemin de fer qui en se prolongeant sur la ligne de Cologne à Minden à un point de jonction qu'on appelle Oberhausen, établirait une communication directe entre Rotterdam et Cologne. Le développement de cette ligne ne serait que d'environ 52 lieues, c'est-à-dire de quelques lieues plus courte que la ligne d'Anvers à Cologne qui a, je pense, 48 lieues de longueur.

D'autre part, la chambre sait aussi que si le mouvement du transit a subi un accroissement considérable depuis l'ouverture du chemin de fer rhénan, que si ce mouvement, qui était en 1843, valeur des marchandises transitées 65 millions, s'est élevé, en 1849, à 227 millions, il y a eu, dans ces derniers temps, une diminution qui ne peut être attribuée qu'aux efforts persévérants que font la Hollande et la Prusse pour attirer à elles le courant du transit. Ainsi l'abolition du droit fixe sur le Rhin néerlandais équivaut, pour les marchandises non spécialement favorisées, à une réduction de plus de 8 fr. par tonneau sur le prix du transport. En outre la Prusse abolissant l'octroi sur la partie du même fleuve jusqu'à Cologne, ce serait un nouvel avantage de près de 19 francs par tonneau à ajouter aux faveurs déjà stipulées. N'est-il pas des lors évident que si l'on veut assurer une route plus directe, plus économique aux transports vers l'Allemagne méridionale, le haut Rhin, la Suisse, il faut se hâter d'adopter la concession du chemin du Luxembourg. La haute utilité de ce chemin est en dehors de toute contestation.

Elle ne peut rencontrer ici de contradicteurs sérieux, et je ne m'y arrêterai pas davantage.

J'aborde immédiatement les divers amendements proposés et qui, tous, ont pour objet de modifier, dans une certaine mesure, la convention et les bases de la convention conclue avec la compagnie du chemin de fer du Luxembourg.

Le premier amendement est celui qui a été déposé par les honorables MM. de Liedekerke, Moncheur et Thibaut. Il a pour objet, messieurs, une modification radicale à la convention conclue en 1846 avec la compagnie du Luxembourg. En effet, messieurs, l'article premier du cahier des charges, annexé à l'arrêté du 18 juin 1846, portait :

« Le chemin de fer du Luxembourg aura deux embranchements obIigés : l'un vers l'Ourthe, l'autre sur Bastogne. » Aujourd'hui les honorables membres proposent une modification qui consisterait à imposer à la compagnie l'obligation de faire un troisième embranchement, mais ils ne s'expliquent pas sur la direction qu'il conviendrait de donner à cet embranchement. Ainsi la chambre ignore s'il s'agit d'un embranchement de Dinant sur Ciney ou d'une nouvelle ligne à faire de Namur sur Dinant.

Il est évident que quelle que soit la pensée des honorables membres, la mesure qu'ils proposent aurait pour effet d'imposer à la compagnie une obligation dont elle ne veut pas. Du reste, la section centrale a été au-devant du désir des honorables membres, puisqu'elle propose de rattacher la ville de Dinant au chemin de fer, par un embranchement sur Ciney que nous discuterons bientôt.

Lorsque, en 1846, on a indiqué cette direction partant de Namur, et se dirigeant sur Dinant, la compagnie du Luxembourg s'y est opposée formellement ; elle n'en a pas voulu, précisément par le motif qu'a indiqué mon honorable collègue des affaires étrangères C'est qu'à partir de Dinant, la dépense serait devenue énorme, à cause des difficultés de terrain, et en second lieu qu'il y aurait eu un parcours plus long. Voilà les motifs qui ont engagé la compagnie du Luxembourg à repousser cette direction.

Le deuxième amendement est celui de l'honorable M. Jacques. Il est incontestable qu'au point de vue de la dépense, qu'au point de vue même des frais de locomotion il y aurait avantage à adopter la direction nouvelle proposée facultativement par l'honorable député de Marche. L'honorable M. Jacques désirerait que la ligne de Namur à Arlon, au lieu de passer par Ciney, allât directement sur Marche, en laissant cependant cette ville à une distance d'environ 2,000 mètres, je pense, de la station à établir.

Il y aurait évidemment, dans cette direction nouvelle, économie pour la compagnie, mais il y aurait aussi un allongement de parcours d'environ 9,400 mètres, près de deux lieues.

Si vous adoptiez cette direction, il est évident que pour les relations de marché avec Rochefort et Arlon, il n'y aurait pas le moindre avantage ; il n'y aurait avantage que dans la direction de Ciney, c'est-à-dire que Marche se trouverait ainsi rapprochée de Ciney de 2,000 mètres, ce qui peut se traduire, en temps, par environ 4 minutes.

La seconde partie de l'amendement consisterait à substituer un canal à l'embranchement de Marche vers l'Ourthe. D'après les informations que j'ai reçues des ingénieurs, je puis dire que cette partie de l'amendement de l'honorable M. Jacques est parfaitement inexécutable, qu'on ne pouvait pas faire un canal de Marche à l'Ourthe. Dans ces circonstances (page 2004) l'amendement me paraît sans objet, il n'y aurait pas toutefois d'inconvénient à se rallier à une modification qui consisterait à laisser au gouvernement, d'accord toutefois arec la compagnie, la faculté de modifier le tracé de ligne de Namur sur Rochefort, et passant par Marche.

Le troisième amendement qui a été soumis à la chambre est celui que vient de développer l'honorable M. Orban. Cet amendement consisterait à imposer à l'Etat, dans la pensée de l'honorable membre, une dépense qui éventuellement pourrait s'élever environ à 40 ou 42 millions ; cependant je dois prévenir l'honorable M. Orban que son amendement ne répond pas au but qu'il poursuit.

Cet amendement ne peut, en aucun cas, être autre chose qu'un engagement moral. En 1837, le gouvernement avait également adopté en principe l'exécution d'un chemin de fer dans le Luxembourg ; cela n'a pas empêché la chambre de voter en 1845 une concession qui avait ce chemin de fer pour objet, de manière que si la chambre adoptait même l'amendement de l'honorable M. Orban, il n'y aurait pour la province de Luxembourg qu'un engagement purement moral, qui ne pourrait se traduire en un engagement définitif qu'à la suite d'une nouvelle résolution de la chambre.

Il y aurait un autre et très grand inconvénient à adopter l'amendement de l'honorable M. Orban : c'est que cet amendement est de nature à affaiblir la confiance qu'on doit mettre dans le caractère sérieux de l'entreprise ; il laisse supposer que le gouvernement en traitant avec la compagnie n'a pas fait une chose sérieuse.

Or, sur ce point le gouvernement peut le dire ici hautement, la confiance que la compagnie lui inspire, est entière, ce n'est qu'à la suite de longues négociations, à la suite de nombreuses propositions qui lui ont été soumises par la compagnie, que le gouvernement a réussi à traiter sur les bases indiquée dans la convention provisoire.

Ainsi, bien avant que cette convention fût signée, à la date du 19 février 1850, la compagnie du Luxembourg soumettait au gouvernement des propositions que le gouvernement, il est vrai, a déclarées inacceptables, mais qui n'en témoignaient pas moins du désir sincère dont était animée la compagnie d'accomplir ses engagements.

Plus tard, la compagnie revenant encore sur ses propositions, soumettait au gouvernement de nouvelles conditions ; elle lui demandait à être chargée de la ligne de Bruxelles à Namur et s'engageait même à faire au gouvernement une avance de 15 à 16 millions pour l'exécution de la ligne de Namur à Arlon, preuve évidente que les capitaux ne manquent pas à cette compagnie. Enfin, dans la dernière convention qui a été conclue, la compagnie n'a pas fait la moindre difficulté à ce qu'on lui imposât l'obligation d'exécuter les embranchemenis ; de manière qu'à cet égard tous les bruits qui ont circulé, les observations qui ont été présentées dans les sections, manquent complètement d'exactitude.

Il n'y a donc aucun motif sérieux pour adopter l'amendement de l'honorable M. Orban, mais il y aurait des motifs puissants puur le repousser dès à présent.

J'ajouterai une autre considération, c'est que cet amendement entraînerait pour conséquence l'adoption d'une foule d'autres amendements qui seraient très robablement présentés par les honorables membres, intéressés à l'exécution des travaux auxquels cette promesse morale devrait être faite également.

Après les développements dans lesquels est entré M. le ministre des affaires étrangères, je crois inutile de revenir sur l'amendement proposé par l'honorable M. Malou, et qui tendrait à dispenser la compagnie de construire les embranchements.

Depuis hier, nous assistons à un singulier spectacle ; d'honorables membres proposent que le gouvernement fasse ce dont les compagnie ne veulent pas, et ils ne veulent pas ce dont les compagnies veulent (Interruption.) Hier l'honorable M. Malou proposait la construction de la section d'Oret qui devait coûter 12 millions et dont la compagnie ne veut pas, et aujourd'hui l'honorable M. Malou vient proposer de décharger la compagnie du Luxembourg des embranchements qu'elle veut construire.

Au reste, il ne s'agit pas de considérer si au point de vue du produit direct, les lignes accessoires méritent les critiques ou les éloges dont elles sont l'objet ; il s'agit de se placer à un point de vue plus élevé ; il s'agit d'envisager ces embranchements au point de vue des avantages qui doivent en résulter pour les populations mises en contact avec la ligne principale.

Depuis 1830, on a consacré à la création de nouvelles voies de communication 30 à 40 millions ; eh bien, pouvait-il entrer dans l'esprit de personne de contester l'utilité de ces voies de communication ? Peut-il entrer dans la pensée de personne de supputer ce qu'elles ont rapporté directement au trésor, ce qu'ont produit, en intérêts, les capitaux qui y ont été affectés ?

Une autre considération qui n'est pas sans importance, c'est que le gouvernement s'est encore demandé quelle serait l'influence des embranchements sur le reseau : eh bien, cette influence est incontestable.

L'honorable M. Malou propose également de rendre indivisibles les obligations de la compagnie du Luxembourg ; mais il perd de vue que les travaux auxquels il fait allusion, que le canal de l'Ourthe a fait l'objet d'une concession spéciale ; que la compagnie avait toujours entendu que cette affaire restât entièrement distincte et séparée ; la compagnie pour la canalisation de l'Ourthe est substituée aux droits de l'ancienne compagnie ; elle n'était pas obligée, je pense, de fournir de ce chef un cautionnement ; n'est-il pas rationnel qu'on laisse à la compagnie les droits qui lui ont été garantis par l'acte de ses prédécesseurs ?

Il y a même une garantie de plus pour le gouvernement, puisque les travaux du canal qui pourra être exécuté, serviront, en quelque sorle, à l'égard de la compagnie, de gage pour l'exécution des autres travaux qu'elle est obligée de poursuivre.

L'amendement de l'honorable M. Delfosse est réellement sans utilité ; l’l'honorable membre demande que le gouvernement se réserve de prendre, au besoin, les mesures nécessaires pour mettre en rapport le service des chemins et celui des embranchements qui seraient concédés à d'autres compagnies. Il s'agit ici d'une affaire qui intéresse directement les compagnies elles-mêmes. Les compagnies, à cet égard, sont les premières à mettre dans la marche des convois toute l'activité, tous les soins désirables.

Elles sont intéressées à se mettre en rapport l'une avec l'autre, pour qu'il n'y ait pas la moindre irrégularité dans les convois. Le gouvernement, quand il s'agit de compagnies auxquelles il assure la garantie d'un minimum d'intérêt, s'est réservé le droit de régler de commun accord avec ces compagnies la marche des convois. Quand il s'agit an contraire de lignes auxquelles cette garantie n'est pas accordée on comprend que le gouvernement ne puisse pas intervenir directement dans cette question qui intéresse les compagnies.

M. le président. - Deux amendements ont été déposés, l'un par l'honorable M. Dumortier, l'autre par MM. Dechamps, Pirmez et Dumont.

Ils sont ainsi conçus :

« Il est expressément entendu que, quels que soient les résultats du décompte des recettes et des dépenses effectuées par les compagnies autorisées par la présente loi, avec garantie du minimum d'intérêt, l'Etat ne pourra être tenu de payer à ces compagnies une somme plus forte que celle représentant 4 p. c. des capitaux maximum fixés dans la présente loi et les conventions y annexées.

« Le gouvernement est autorisé à prêter, pour le terme de cinq ans, à la compagnie du chemin de fer de Charleroy à la frontière de France, la somme de 1,800,000 fr.

« La compagnie desservira l'intérêt de cette somme au taux de 5 p. c. l'an.

« Tout l'actif de la société sera affecté, comme garantie, au remboursement dudit emprunt en capital et intérêts. »

Ces amendements ne se rapportent pas à l'article en discussion ; ils seront imprimés et distribues.

M. Trémouroux. - D'après le cahier des charges, le chemin de fer du Luxembourg doit passer par Wavre ; pour atteindre celle ville, il doit décrire une courbe dont Wavre est le sommet. La société du Luxembourg, pour éviter ce léger détour à ses convois, est autorisée à construire une ligne de raccordement qui, partant du point où commencerait cette courbe en deçà de Wavre, aboutirait au point où elle finirait au-delà de cette ville, de manière que la ligne principale formerait un arc dont le raccordement serait la corde.

Ce raccordement si on n'y prend garde peut devenir très nuisible à Wavre, car les lignes de chemin de fer qui passent à portée de petites localités, ainsi que vient de le dire l'honorable M. de La Coste, peuvent leur nuire considérablement quand elles ne sont pas traversées par les convois. Ce serait ici le cas. Cetlt ligne de raccordement passera à environ 3 ou 4 kilomètres de Wavre.

Si le gouvernement ne prenait aucune mesure pour l'empêcher, la société ferait passer tous ses convois par cette ligne de raccordement et la ligne de Wavre ne servirait pour ainsi dire pas.

Je m'étais entendu avec mes honorables collègues de l'arrondissement de Nivelles pour présenter un amendement afin de sauvegarder les intérêts du commerce de Wavre ; nous l'avons soumis à M. le ministre, il nous a annoncé qu'il le combattrait comme pouvant faire obstacle à la convention définitive. Ne voulant apporter aucune entrave à l'exécution des travaux projetés, nous avons renoncé à toute présentation d'amendements. Je me bornerai à adresser une question à M. le ministre.

Comme je le disais en commençant, d'après le cahier des charges le chemin de fer du Luxembourg doit passer par Wavre. Cette ville a eu des craintes sur l'exécution de cette prescription. Le conseil provincial s'en est occupé, mais l'honorable ministre des travaux publics nous a rassurés en nous promettant à plusieurs reprises que le cahier des charges serait exécuté, que le chemin passerait par Wavre ; mais nous voudrious qu'on pût aussi nous rassurer sur d'autres points ; que le gouvernement prescrive quelques mesures pour que la ligne de raccordement ne devienne pas la ligne principale et qu'une partie notable des convois passe par Wavre. Nous désirerions que M. le ministre pût nous donner cette assurance et de plus celle que la station principale sera placée à Wavre et non sur la ligne de raccordement.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Aux termes de l'article premier du cahier des charges, le chemin de fer du Luxembourg devait atteindre Wavre et être relié, au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux.

Aux termes du cahier des charges de la concession de Louvain à la Sambre, le chemin de fer de Louvain à la Sambre passait à la gauche de Wavre, et le chemin du Luxembourg devait aller rejoindre le chemin de Louvain à la Sambre à Wavre ; mais pour conserver le tracé le plus direct, le chemin du Luxembourg avait été autorisé à se raccorder à un point intermédiaire entre Wavre et Gembloux.

(page 2005) Ces obligations restent entières, il n'y a rien d'innové, la convention nouvelle ne déroge à la convention ancienne que sur des points formellement réservés. Il est vrai qu'une discussion s'est engagée sur ce point au sein du conseil provincial, c'est par suite d'une erreur provenant de la négligence commise dans la confection du plan joint à l'exposé des motifs.

La direction sur Wavre était mal indiquée ; elle était même laissée à l'écart. Les déclarations données par un honorable membre de l'assemblée provinciale qui fait en même temps partie des conseils de la compagnie du Luxembourg ont donné toute satisfaction et les commettants de l'honorable M. Tremouroux peuvent se rassurer entièrement, c'est-à-dire que les obligations comprises dans l'article premier du cahier des charges seront complètement et littéralement remplies.

Il faudra que le chemin du Luxembourg atteigne Wavre. Il sera seulement loisible à la compagnie de se raccorder sur la ligne de Wavre à Gembloux.

Je prie l'honorable membre de ne pas insister sur les observations qu'il avait formulées sous forme d'amendement provisoire. Le gouvernement, dans la mesure de son action, veillera aux intérêts des localités qu'il s'agit de rattacher à la ligne à construire.

Je fais encore une observation, c'est que la compagnie du Luxembourg est intéressée à avoir non seulement des convois de grande vitesse sur la ligne principale, mais des convois de petite vitesse, vers les stations qui doivent lui apporter un surcroît de trafic.

L'intérêt de la compagnies est donc de desservir complètement d'une manière utile la station de Wavre. Et quant au gouvernement, dans la limite de l'influence qu'il peut avoir, il est évident qu'il ne négligera rien pour assurer à cette localité l'avantage du chemin de fer direct de Bruxelles à Namur.

M. Pierre. - Messieurs, je ne viens pas me livrer à de nouveaux efforts, pour vous démontrer l'utilité du chemin de fer du Luxembourg ; elle est trop incontestable pour avoir désormais besoin d'une pareille démonstration. Le gouvernement, en comprenant le projet d'exécution de ce railway dans l'ensemble des grands travaux publics qu'il nous a soumis, a été l'organe des vœux du pays. Longtemps cette question fut mal comprise ; on s'obstinait à ne voir dans le chemin de fer destiné à relier le Luxembourg à la Belgique, rien autre chose qu'une grande communication d'un intérêt exclusivement local, d'un intérêt purement luxembourgeois. C'était une grave et profonde erreur, chacun le sait aujourd'hui.

Cependant, messieurs, je vous dois dire que, selon moi, à ce seul point de vue de l'intérêt local et particulier, la province que j'ai l'honneur de représenter eût encore eu le droit le plus légitime de réclamer cette équitable réparation. Ne verse-t-elle pas chaque jour dans la caisse de l'Etat sa quote-part dans les charges publiques, sans avoir la ressource de retirer un profit quelconque de toutes les dépenses budgétaires, dont les autres provinces ont l'avantage exclusif ? L'argent servant à payer l'impôt sort du Luxembourg et n'y rentre pas, il y disparaît de la circulation. Ailleurs, au contraire, il ne sort pas, il ne fait que se déplacer. Il change de main sans appauvrir celui qui le verse, car il lui revient sous toutes les formes. Il ne faut pas s'étonner que cette province soit pauvre et qu'elle reste pour ainsi dire stationnaire, au milieu des progrès incessants qui se réalisent de toutes parts autour d'elle. Cet état de choses, en se prolongeant, aurait pour résultat certain de mettre bientôt à leur comble la misère et la ruine du Luxembourg. Jeté à l'écart à 30 et 40 lieues de distance du centre du pays, il est enserré dans une véritable impasse.

Cet isolement le condamne fatalement à une sorte d'ilotisme industriel et commercial. Il est évident que tout mouvement d'affaires y est radicalement impossible. Il n'est permis d'y voir naître la prospérité qu'à une seule condition. Le marasme affligeant et délétère, dans lequel languit cette vaste province, ne cédera qu'à un seul remède, c'est la démolition de l'espèce de mur de la Chine, qui élève entre lui et la Belgique une barrière actuellement infranchissable. Le canal de Liége à Laroche et le chemin de fer direct de Bruxelles à Arlon atteindront ce but tant désiré. Et, messieurs, si le Luxembourg souffre autant, n'est-ce pas à l'oubli, je dirai même à l'abandon, dont il a été jusqu'ici victime, qu'il faut en attribuer une des causes principales ? Si je m'exprime ainsi, c'est que cette cause n'est pas la seule. Il en est une autre qu'il me peine de rappeler à votre souvenir et que je ne puis me remémorer sans une douloureuse émotion.

En offrant la moitié de cette belle province en holocauste à sa nationalité, la Belgique n'a-t-elle pas contracté une dette d'honneur, une dette sacrée que, dont il est plus temps qu'elle se libère ? Ne doit-elle pas être fière de pouvoir enfin nous offrir une compensation à un tel sacrifice, qui ne peut s'estimer au poids de l'or, car ce sont des frères que l'on nous a enlevés ? En reculant jusqu'à nous le rayon du Zollverein, on a beaucoup réduit et paralysé l'action commerciale et industrielle, qui déjà alors n'était point assez vivace. Le malaise qui se produisait a été considérablement aggravé.

Le morcellement a eu pour effet, non seulement de nous enlever la moitié de la population, mais encore de nous fermer un important débouché. La production de la partie cédée différant essentiellement de la nôtre, de nombreux et fréquents échanges en résultaient.

La douane allemande a brise ces relations. Sillonnée de canaux et de voies ferrées, la Belgique pourrait-elle plus longtemps avec indifférene nous en voir totalement dépourvus ? L'expérience de chaque jour prouve que ce sont pour un peuple des artères indispensables à la vie. Pourquoi, nous Luxembourgeois, en resterions-nous privés ? N’avons-nous pas le droit imprescriptible de revendiquer notre part de vie et d action dans la grande famille belge, dont nous sommes jusqu'à présent les enfants deshérités ?

Si, pour corroborer mes allégations, j'avais besoin d'invoquer a mon aide des autorités, elles ne me feraient point défaut. Elles sont tellement nombreuses, que j'ai réellement l'embarras du choix. Qu'il me suffise de vous donner lecture de l'avis émanant de la chambre de commerce de Bruges ; il m'a paru l'un des plus remarquables. Voici les termes dans lesquels il est conçu :

« Bruges, le 23 avril 1850.

« Messieurs,

« Nous avons reçu votre dépêche du 6 février dernier, 4ème division, n°2021-45, tendant à obtenir divers éclaircissements relativement à la question du chemin de fer du Luxembourg.

« A cet effet, vous nous posez diverses questions, que toutes nous sommes incompétents à résoudre, du moins quant au tracé projeté vers l'Allemagne, notre localité n'ayant malheureusement que trop peu de relations directes avec votre province, qui, par le défaut de bonnes voies de communication, est à peu près étrangère aux Flandres.

« Cet isolement du Luxembourg constitue néanmoins un fait des plus déplorables ; aussi pensons-nous que l'on ne saurait trop se hâter de procéder à la construclion immédiate du railway partant de Bruxelles, par Namur et Arlon sur Luxembourg. De cette manière votre province serait au moins reliée avec le reste du pays, et plus tard on pourrait pousser cette voie vers l'Allemagne.

« En résumé, nous considérans cette construction comme une dette sacrée que la Belgique doit à une partie de son territoire, dont les droits et les titres ont été trop longtemps méconnus ; c'est vous dire, messieurs, que le projet dont vous nous entretenez rencontre toutes nos sympathies et que nous considérons tout ajournement comme la perpétration d'un acte d'injustice flagrante, qu'il incombe au gouvernement de réparer sans retard.

« Le président,Louis Delescluze,

« Le secrétaire, S. Sinave. »

Cette pièce peut se dispenser de commentaire. L'énergie employée par la chambre de commerce de Bruges, pour caractériser les fâcheuses conditions dans lesquelles végète le Luxembourg, prouve combien est sincère et intime sa conviction à cet égard.

En résumé, ne s'agit-il que de l'intérêt spécial de la province, il est évident que la Belgique lui doit légitimement le chemin de fer qu'elle réclame et attend avec la plus vive impatience. Quoique cela soit incontestable, je suis heureux de rencontrer les exigences et les besoins du Luxembourg, d'accord avec l'intérêt général du pays. Celui-ci exige non moins impérieusement la construction immédiate de cette voie ferrée. Le moindre retard dans cette construction porterait un coup mortel à notre commerce international. Les contrées du Rhin supérieur, la Suisse et le nord de l'Italie sont d'importants marchés, dont aucune autre nation ne peut disposer mieux que nous. Si nous voulons empêcher nos voisins de s'en emparer, à notre détriment, il ne faut pas nous laisser devancer par eux. Il y a péril en la demeure. Un courant commercial ne s'improvise pas du jour au lendemain. Il faudrait peut-être bien des années et bien des sacrifices pour regagner plus tard le terrain que l'imprévoyance nous aurait fait perdre. Gardons-nous de nous exposer à d'aussi funestes conséquences.

Ces marchés représentent plus de 13 millions de consommateurs, que le railway luxembourgeois nous assure, et que, sans lui, nous perdrions inévitablement. Reliant la mer du Nord avec la mer Adriatique, celle nouvelle communication ouvrira à nos ports d'Anvers et d'Ostende l'approvisionnement de l'Europe centrale. Elle deviendra aussi l'immense courant de toutes les relations avec le Levant. Elle fera de notre pays, traversé dans sa plus grande étendue, le chemin direct de l'Angleterre vers les Grandes Indes, qui comprennent à elles seules plus de cent millions d'habitants. On sait que l'Angleterre et ses colonies constituent les plus grands centres des richesses du monde. Devenir le point intermédiaire obligé entre de telles contrées, jouir du mouvement incessant qui existe entre elles et l'activer encore par la facilité qu'offrira l'ouverture de cette voie internationale, c'est jouir d'un avantage dont la portée est incalculable.

Les plus brillantes prévisions que nous puissions concevoir à ce sujet seront, suivant toute probabilité, dépassées plus tard par la réalité.

Une ère nouvelle est réservée à la Belgique de ce côte. Ce sera pour elle un élément fécond et inattendu de prospérité. Dans cette question l'avenir cornmercial du pays et celui des ports d'Anvers et d'Ostende, surtout, sont directement en jeu. Il leur importe qu'elle reçoive la solution la plus immédiate ; le moindre retard compromettrait gravement notre commerce d'exportation et de transit vers l'Allemagne.

Le fruit de tous les efforts que nous avons faits depuis quinze ans pour donner à ce commerce une extension de plus en plus large, serait bientôt complètement perdu. Il est impossible de se le dissimuler, de Rotterdam et d'Amsterdam à Manheim les frais de transport seront toujours beaucoup plus élevés sur le Rhin que sur le chemin de fer dont nous nous occupons. En aucune saison la circulation n'y sera interrompue. Sur le Rhin, au contraire, en été l'abaissement des eaux entrave la navigation ; l'hiver y porte très souvent un préjudice plus considérable encore.

Parlerai-je de l'économie de temps, dont l'importance ne peut être (page 2006) méconnue. Partant d'Anvers la marchandise en deux jours sera parvenue à Manheîm, tandis que partant de Rotterdam ou d'Amsterdam il lui faut douze à quinze jours, y compris le chargement pour arriver à Manheim. Si, pour obtenir un résultat aussi avantageux, de grands sacrifices étaient nécessaires, la Belgique ne pourrait hésiter à se les imposer au plus vite Il faut le dire, elle doit s'estimer d'autant plus heureuse que, pour atteindre ce but, elle ne devra faire qu'un sacrifice très restreint. Encore est-il permis d'espérer qu'il ne sera pas de longue durée. Tout porte à croire que dans un délai peu éloigné le chemin se suffira à lui-même et que la garantie du minimum d'intérêt ne sera plus que nominale. Ce chemin devenant européen, aucune autre ligne ne pourra lui être comparée. Une appréciation actuelle de ses produits ne pourrait être que très conjecturale.

Quoique le chiffre en soit problématique, tout concourt à faire présager son importance et son élévation. A partir de la mise en exploitation de la ligne, ce chiffre ira chaque année en progressant. Le mouvement, qui s'établira sur cette grande communication internationale, exercera une influence efficace sur les recettes du réseau des voies ferrées de l'Etat et leur procurera une notable majoration.

Il serait vrai de dire que le pays sera doté gratuitement de ce railway. S'il doit, pendant les premières années, servir un minimum d'intérêt, il y trouvera une compensation plus que suffisante dans l'accroissement considérable des revenus publics.

Je ne pense point être téméraire en disant qu'en un quart de siècle, cette province aura doublé de valeur. Vous avez, sans doute, lu, messieurs, le remarquable travail auquel s'est livrée la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg sur cette intéressante question. Il me dispense d'accompagner de détails les considérations générales que j'ai l'honneur de vous soumettre.

Malgré l'extrême réserve qui a présidé à toutes les données statistiques contenues dans ce travail, on y arrive à une conclusion frappante ; elle mérite votre attention.

Le chemin de fer, en transformant la province, aura, en dix ans, augmenté de 128 millions de francs sa fortune foncière. Le revenu annuel s'accroîtra de près de 6 millions, et les contributions de toute nature procureront annuellement douze cent mille francs (erratum, p. 2036) de plus au trésor public.

Outre la plus-value du sol, et de tous ses produits naturels, on peut être certain qu'une foule de commerces et d'industries, jusqu'ici inconnus dans le Luxembourg, y surgiront instantanément.

Pourquoi en serait-il autrement ? La nature n'a-t-elle pas amplement pourvu cette province de tous les éléments nécessaires pour rendre une contrée prospère ?

Il suffit de les vivifier et ils sortiront à l'instant de leur torpeur léthargique. D'inertes qu'ils sont aujourd'hui, ils deviendront demain riches de production et de fertilité.

En peu d'années les échanges qui s'effectuent actuellement entre le Luxembourg et les autres provinces du royaume seront décuplés. Combien n'avons-nous pas de produits qui ne le cèdent en bas prix ni en qualité aux produits similaires d'aucun autre pays ? Toute la Belgique en profitera désormais aussi avantageusement que nous-mêmes. Le mouvement général du commerce de l'intérieur du pays sentira incontestablement les salutaires effets de cette nouvelle communication. Une moitié de la province de Namur, jusqu'ici privée d'un chemin de fer, en profitera d'une manière aussi directe que le Luxembourg et prospérera dans les mêmes proportions. Cette grande communication procurera au bassin houiller de Charleroy un débouché considérable.

Le bois acquérant dans le Luxembourg un prix relativement trop élevé, sera échangé contre de la houille. Les usines de la frontière française viendront également faire leurs approvisionnements de ce combustible moins coûteux. Elles offrent un placement qui n'est point à dédaigner ; elles comprennent 30 hauts fourneaux, 44 forges et 34 usines à traiter le fer. Leur consommation a de très grandes proportions ; mais, quel accroissement ne prendra-t-elle pas, si la houille peut arriver à ces usines à des prix réduits !

On le comprend aisément quand on sait quels frais énormes occasionnent aux établissements sidérurgiques l'achat des bois, leur carbonisation, leur transport détaillé et tous les accessoires que ces opérations comportent.

Un auguste personnage a dit : « L'espace manque à la Belgique, l'espace est dans le Luxembourg. » Cette province n'a point effectivement une population en rapport avec son étendue territoriale ; malgré la mutilation qu'elle a subie, elle représente le septième de la Belgique.

Beaucoup de terrains y sont incultes. Il ne faut, pour les livrer à la culture, je dirai plus, pour les rendre riches et fertiles, que des bras et des capitaux. Les terres que l'on voit se couvrir de belles et abondantes récoltes et qui ne sont cultivées que depuis très peu de temps en sont une preuve irréfragable.

Que d'efforts tentés depuis vingt ans dans cette province pour l'amélioration et la fertilisation du sol ! Les dépôts de chaux établis et multipliés récemment ont produit un excellent effet ; mais que peut-on attendre de moyens aussi restreints, aussi peu puissants, alors qu'il s'agit de régénérer, de vivifier cette contrée de fond en comble ?

Le gouvernement pourra diminuer les subsides qu'il affecte à cette destination. Quoique privée de l'assistance pécuniaire de l'Etat, une grande partie du Luxembourg se pourvoira de cette substance fertilisante à meilleur marché qu'aujourd'hui.

Oui, je n'hésite pas à le dire, la Belgique peut opérer là toute une opération nouvelle, ce sera pour elle une véritable conquête. En agriculture comme en toute autre industrie, il ne suffit pas de produire, il faut être certain de pouvoir se défaire avantageusement de ses produits. C'est précisément ce qui manque au Luxembourg, c'est ce qui impose à ses progrès agricoles une borne d'une fixité désespérante.

La conformation accidentée du terrain, les droits de barrière et la trop grande distance qui nous sépare des centres de consommation ne nous permettent pas d'y conduire nos produits. De tels transports seraient tellement coûteux que force nous est d'y renoncer. Non seulement ce surcroît de frais de transport nous empêche d'écouler nos produits, mais les objets que nous recevons de l'intérieur du pays sont réciproquement grevés de cette onéreuse surcharge. Denrées coloniales, articles fabriqués et céréales, en temps de disette, quant à celles-ci, tout ce qui nous vient de la Belgique est soumis à cette lourde augmentation de prix.

Les mercuriales des marchés régulateurs vous disent assez chaque semaine dans quelle infériorité nous nous trouvons vis-à vis tous les autres marchés. Je vous en citerai un seul exemple. Vers la fin de décembre 1849, l'hectolitre de pommes de terre se vendait à Arlon 2 fr. 9 c, tandis qu'à Namur il se vendait 4 fr. 11 c. Qu'une semblable disproportion de prix existe entre deux provinces qui se touchent, cela n'est-il pas incroyable et ne prouve-t-il pas mieux que tout ce je pourrais vous dire dans quelle situation anormale est placé le Luxembourg ?

De pareils faits n'ont pas besoin de commentaire. L'heure de la réparation est venue. Pour oser élever la voix contre son opportunité et son urgence, il faut avoir un triste courage. Je n'en féliciterai pas les adversaires du projet. La chose qui doit le plus étonner, c'est que cette province ne soit pas depuis longtemps reliée au réseau des chemins de fer du pays.

Il n'a certes jamais été possible de douter de la haute utilité de cette jonction. Les immenses avantages qu'elle était destinée à procurer n'ont pu, à aucune époque, faire question. Il est (erratum, p. 2036) inconcevable que la loi du 26 mai 1837, décrétant cette jonction, n'ait point reçu son exécution. Quatorze années se sont cependant écoulées depuis lors. Il n'est pas sans intérêt de rappeler le motif d'un pareil retard. On objecta l'impossibilité, on fit plus, on la décréta par la loi du 29 septembre 1842. Heureusement, aujourd'hui ce mot est rayé du dictionnaire des nations.

Cette radiation devait, du reste, médiocrement intéresser le Luxembourg ; c'était à tort qu'on avait déclaré son railway impossible. Est-il nécessaire d'en fournir d'autre preuve que les plans et devis de ce grand travail, dressés tant par des ingénieurs distingués de l'Etat que par les ingénieurs non moins capables de la compagnie concessionnaire ? Ces études ne démontrent-elles pas qu'aucune autre ligne n'aura été construite à meilleur marché, dans des conditions plus favorables ? Il est constaté, par exemple, qu'il y aura dans le Luxembourg très peu de remblais aussi considérables que ceux exécutés de Bruxelles à Boitsfort.

Au point de vue politique, il importe d'amoindrir l'esprit de provincialisme. Effacer les dislances, c'est le moyen le plus sûr de faire disparaître les anciennes tendances des populations vers l'unité provinciale, c'est assurer la fusion de toutes nos provinces en un tout homogène, compacte et vraiment national. Si ces considérations sont exactes pour le pays en général, elles le sont bien plus pour le Luxembourg en particulier. L'état d'isolement, dans lequel il végétait, eût fini par le désaffectionner à la Belgique et par lui faire regretter de n'être point incorporé à l'Allemagne, comme l'est la partie grand-ducale cédée. Le chemin de fer seul rendra impossibles de tels regrets.

J'aime à croire que partisans et adversaires du projet en discussion, nous sommes unanimes pour vouloir consolider notre nationalité et développer la prospérité du pays. Je ne sache pas cependant que rien puisse être plus préjudiciable à cette consolidation et à ce développement que l'affligeant dualisme provincial auquel nous assistons. Ce dualisme se produit avec l'acharmement du désespoir. On semble comprendre que la loi, en lui enlevant sa principale raison d'être, aura pour effet de l'anéantir ou tout au moins de lui porter un coup dont il se relèvra difficilement. La question, examinée sous cette face et dégagée de toute réoccupalion de parti, devrait emporter d'emblée l'assentiment de tous.

Un même sort avait frappé en 1839 le Limbourg et le Luxembourg.

Combien a été différent le lot de chacun d'eux !

La canalisation de la Campine, l'organisation d'un vaste système d'irrigations, la construction d'un chemin de fer par l'Etat et celle d'un autre chemin de fer par une compagnie concessionnaire présentent un ensemble d'avantages d'une valeur numéraire supérieure à celle du chemin de fer de Namur à Arlon. Voilà ce qu'a obtenu le Limbourg ; loin de moi la pensée de le jalouser : je me borne ici uniquement à une constatation ; la communauté du malheur politique, dont ces deux provinces ont été victimes, les rend trop sympathiques l'une à l'autre, pour que je songe à porter envie au Limbourg.

J'applaudis de cœur à toutes les améliorations qui lui ont été accordées ; je désire vivement lui en voir obtenir d'autres encore. L'équité distribuée n'exige-t-elle pas que le Luxembourg obtienne enfin aussi son lot et qu'un terme soit mis à l'inégalité choquante dont il a le droit de se plaindre ?

Je n'ai plus qu'un mot à ajouter.

L'honorable baron Osy a émis de doutes sur l'exécution de la voie (page 2007) ferrée du Luxembourg. Il a dit qu'il ne croyait pas la société en mesure de réaliser les fonds nécessaires. Il s'est étayé principalement sur ce qu'un grand nombre d'actions étaient déchues. Malgré que j'aie pour la capacité financière de l'honorable membre le plus profond respect, je ne puis me dispenser de relever son erreur. Elle est trop évidente pour qu'il me soit difficile d'en avoir raison. De ce que des actions soient tombées en déchéance, en résulte-t-il que l'opération soit discréditée ? Pour juger pertinemment une affaire, il ne suffit pas de la voir au jour où elle se discute ; il faut remonter à son origine, avant d'examiner sa situation présente.

Le 18 juin 1846 est la date de la première concession : c'était une époque d'engouement pour les chemins de fer et en général pour les spéculations financières les plus hardies. Elle eut sa réaction, que vinrent compliquer les crises les plus graves. Pour la compagnie de Luxembourg ce fâcheux revirement dans le crédit public fut encore aggravé par une autre cause. Un procès s'éleva entre elle et le gouvernement, faut-il s'étonner que dans un semblable état de choses beaucoup d'actionnaires aient perdu confiance et aient préféré abandonner leurs versements faits que d'en faire de nouveaux ? Non, assurément. Mais aujourd'hui cette opération apparaît sous un jour bien différent. Les actions déchues constituent d'abord un bénéfice réel au profit de actionnaires actuels et serviraient au besoin de primes pour attirer des nouveaux actionnaires, le procès est mis à néant et l'Etat garantit un minimum de 4 p. c. d'intérêt sur la partie de Namur à Arlon. La situation de cette compagnie devient donc infiniment plus favorable, et parfaitement rassurante. Elle nous garantit l'arrivée de capitaux suffisants. Les hommes honorables et jouissant, à juste titre, de la plus haute considération, qui président à cette grande affaire, sont, comme vous l'ont dit la section centrale et M. le ministre des affaires étrangères, une autre garantie très puissante.

Je pense que les craintes manifestées sur ce point par l'honorable M. Osy et par quelques autres orateurs, qui ont parlé dans le même sens, sont dénuées de fondement. Elles ne reposent sur aucun motif sérieux, qui puisse les justifier. La compagnie concessionnaire du Luxembourg exécutera ses engagements, j'en ai la ferme conviction. De tous les projets de travaux compris dans la loi en discussion, le railway luxembourgeois est un de ceux qui ont reçu de la part des sections le meilleur accueil : j'en tire un excellent augure. Il me permet d'espérer que la chambre sera à peu près unanime en faveur de ce projet ; j'attends le vote avec une parfaite confiance.

Je termine en exprimant mon opinion sur l'amendement présenté par l'honorable M. Orban. S'il n'était pas de nature à compromettre l'ensemble du projet, je lui donnerais, sans aucun doute, mon assentiment. A mon avis, la garantie du minimum d'intérêt constitue implicitement l'engagement moral de construire le chemin de fer du Luxembourg aux frais de l'Etat, en cas d'inexécution par la compagnie concessionnaire. Mais si nous introduisions dans la loi cet amendement, toutes les autres provinces intéressées aux travaux qu'elle comprend, n'exigeront-elles pas la même garantie ? Cela n'est pas douteux. Dans ce cas, le gouvernement peut-il admettre un engagement d'une telle portée, une garantie dont les conséquences seraient aussi considérables ? Non, évidemment. M. le ministre des travaux publics vient d'ailleurs de le déclarer, en démontrant que cet amendement n'aboutirait de fait qu'à une garantie morale et à rien autre chose.

Tout en faisant réserve expresse et formelle des droits du Luxembourg à l'obtention de son railway, même subsidiairement aux frais de l'Etat, je ne puis contribuer à compromettre le sort général du projet. Je regrette que cette réserve, selon moi, sage et prudente, ne me permette pas de voter en faveur de l'amendement de mon honorable collègue M. Orban.

M. le président. - M. Dumortier vient de déposer un amendement, par lequel il demande 1° que le chiffre garanti et le taux de la garantie soient inscrits dans l'article premier de la loi, comme ils le sont dans les articles 3 et 4 du projet de la section centrale ; 2° que la garantie de 4 p. c. porte sur toute la ligne et non sur celle seulement au-delà de la Meuse.

La parole est à M. Dumortier, pour développer cet amendement.

M. Dumortier. - La proposition que je viens d'avoir l'honneur de déposer sur le bureau a d'abord pour but de faire inscrire dans la loi le chiffre pour lequel vous autorisez la garantie d'un minimum d'intérêt et, en effet, il est à remarquer que, dans le projet tel qu'il est présenté par la section centrale, je pense, d'accord avec le gouvernement, à l'article premier, le chiffre de la garantie et la fixation de l'intérêt de la garantie ne sont point stipulés, tandis qu'ils le sont dans les articles suivants. Il me semble qu'il est impossible que la chambre ne sente pas la nécessité de voter elle-même, et par un vote positif, direct, le chiffre de la garantie d'un minimum d'intérêt qu'elle entend consacrer.

En effet, la Constitution porte que toutes les recettes et les dépenses de l'Etat sont votées par les chambres. La chambre doit donc voter ici les dépenses ; si elle ne les votait pas, il n'y aurait rien de voté, par conséquent, il n'y aurait point d'engagement de la legislature. Il ne suffit pas, en pareil cas, d'un engagement implicite, il faut des engagements explicites.

De deux choses l'une, ou bien la convention liera l'Etat, ou bien elle ne le liera pas.

Ou le gouvernement pourra y apporter des modifications, ou il ne le pourra pas. Si la convention lie l'Etat, il faut, aux termes de la Constitution, qu'elle soit volée par la chambre. Si, au contraire, la convention ne lie pas le gouvernement, savez-vous à quel résultat vous pouvez arriver ? Vous pouvez avoir ce résultat que le gouvernement pourrait, dans la convention, modifier le chiffre.

Si mon amendement n'était pas adopté, ce serait une véritable délégation du pouvoir législatif. On a beaucoup parlé contre ces délégations, je ne pense pas que nous puissions les permettre. Je pense que, sous ce rapport, nous serons tous d'accord. Il s'agit d'appliquer à l'article premier le principe que la section centrale propose pour les autres articles. Si l'on n'adopte pas ma proposition, que l'on vote les conventions. Si la chambre ne le fait pas, elle délègue son pouvoir, or, c'est impossible. Dans une matière de cette importance, en matière d'impôts vous n'avez pas le droit de faire une pareille délégation.

Maintenant il y a un autre point sur lequel je dois appeler l'attention de la chambre. Dans le projet de concession qui vous est soumis (car ce n'est qu'un projet de concession), vous avez un article 7 ainsi conçu :

« Art. 7. L'Etat n'aura pas à intervenir dans les résultats financiers quels qu'ils soient de la ligne de Bruxelles à Namur. Quant à la deuxième ligne, celle de Namur à Arlon, avec ses embranchements et extension, l'Etat garantira à la société, et ce, pendant un terme de cinquante ans, un minimum d'intérêt annuel de 4 p. c, portant exclusivement sur le capital dépensé pour la construction, capital qui, au point de vue de la garantie d'intérêt ne pourra dépasser la somme de 22,500,000 fr. »

Je me demande pourquoi l'on exclut ainsi les résultats financiers de la ligne de Bruxelles à Namur qui doit réduire à rien les recettes de la ligne de l'Etat. Il est bien certain qu'une fois cette ligne directe construite, vous n'avez qu'une chose à faire : enlever les rails, revendre les terrains, car les recettes que vous ferez ne couvriront pas les frais d'exploitation. Quand la ligne actuelle est de 25 lieues et la nouvelle de 15 lieues, il est évident que la route de 25 lieues est perdue. Il y aura de ce chef un grand déficit pour le trésor public. Je demande après cela s'il ne serait pas juste que les reveuus de la ligne qui produit de tels résultats contribuassent à diminuer les charges que l'Etat aura à supporter par suite de sa garantie d'un minimum d'intérêt.

Je n'ai plus qu'un mot à dire sur les embranchements,

En 1837, j'ai proposé le chemin de fer du Luxembourg. C'était une ligne politique pour faire voir aux habitants des parties cédées que nous ne voulions pas les abandonner. Je ne recule pas devant la dépense, c'est la ligne pour laquelle j'ai le plus de sympathie ; mais la ligne principale est déjà un immense sacrifice. Remarquez que c'est une dépense de 22,500,000 francs. Cette ligne absorbe à elle seule la moitié de toute la somme affectée aux concessions. Mais je ne comprends pas des embranchements vers Bastogne, ville de 2,500 âmes, vers Marche, ville de 2,000 âmes. Lorsque vous avez cinq lieues et sept lieues à faire pour arriver à de telles localités, il est évident que le revenu de ses sections ne couvrira pas les frais d'exploitation.

Car il ne faut pas se faire illusion.

Je voterais de grand cœur le chemin de fer du Luxembourg par raison politique ; mais je ne me fais pas illusion sur ses résultats. Ces résultats seront nuls pour la recette.

On a souvent parlé des travaux de M. Desart. Eh bien, si l'on prenait les calculs de M. Désart, sur la population et sur les revenus des chemins de fer, il en résulterait que la ligne du Luxembourg ne devrait pas transporter trois personnes par jour.

Messieurs, il est évident que nous faisons déjà un grand sacrifice pour la province de Luxembourg. Il ne faut pas multiplier ces sacrifices au point de créer des embranchements pour des localités de 2,000 à 2,500 habitants. Je crois que le Luxembourg sera fort heureux d'avoir le tronc principal, et que le meilleur moyen de le lui assurer, c'est de ne pas mettre à la charge de la compagnie des embranchements qui, on ne peut le méconnaître, lui seraient très onéreux.

Je finis par un seul mot.

L'honorable M. Pierre vient de vous dire, qu'à son avis la garantie d'un minimum d'intérêt constituait l’engagement de la construction par l'Etat, si la compagnie ne parvenait pas à construire ce chemin de fer. L'honorable M. Pierre ne peut prétendre que l'Etat prend un pareil engagement. La meilleure manière d'ailleurs d'avoir l'exécution du chemin de fer, c'est de ne pas vouloir ce qui n'est pas rationnel. Or quand vous voulez des embranchements pour de petites localités qui ne peuvent pas rapporter, vous mettez la société qui demande la concession dans l'impossibilité de faire votre chemin de fer. Je suis meillleur Luxembourgeois que vous lorsque je demande qu'on se borne à faire le tronc principal, parce que par là j'en rends d'autant plus possible l'exécution, tandis que vous, en voulant avoir trop, vous pourriez finir par n'avoir rien. Car qui trop embrasse mal étreint.

- La clôture est demandée.

M. de Liedekerke. - J'aurais désiré répondre quelques mots aux observations que deux ministres ont présentées sur l'embranchement que nous proposons. Cependant je conviens que je ne me sens guère le courage de demander à la chambre d'étendre la discussion après un débat aussi long. Je crois que je n'aurais aucune chance d'être accuelli en demandant sa prolongation.

Si donc la chambre désire clore, je crois que je m'y opposerais en vain. Qu'il me sois permis d'observer qu'il s'agit ici cependant d'un intérêt grave et sérieux qui touche à l'avenir d'une localité digne de votre sollicitude, et profondément lésée par le projet de loi.

(page 2008) M. Orban. - Messieurs, j'attache la plus grande importance à mon amendement. Je n'ai été entendu qu'une fois et M. le ministre des travaux publics m'a répondu. Je désirerais être admis à répliquer quelques mots.

Je conçois que la chambre après une discussion aussi longue éprouve quelque fatigue. Mais la multiplicité des affaires qui ont été traitées aujourd'hui vous prouve la nécessité d'un débat. Nous avons traité une foule de questions qui à elles seules demanderaient une discussion approfondie. De ce que ces affaires sont réunies dans un débat unique, il n'en résulte pas qu'elles ne doivent pas être sérieusement examinées. Quant à moi je le déclare, je regarderais la discussion de mon amendement comme insuffisante, si on ne me permettait de répondre quelques mots aux observations présentées par M. le ministre des travanx publics.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Nous avons d'abord l'amendement de MM. Thibaut, de Liedekerke et Moncheur.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je crois qu'il faudrait voter sur cet amendement par division. Car je suppose qu'on rejette cet amendement ; il n'en résulterait pas que les embranchements qui en vertu de la concession sont obligatoires ne seront pas exécutés. Si toutefois la chambre entend que par le vote de l'amendement il ne sera rien préjugé sur cette question, je n'insiste pas.

M. le président. - Il est évident qu'il n'y aura rien de préjugé, que la chambre ne décidera que la question nouvelle que soulève l'amendement.

- L'amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

M. le président. - Par suite de ce vote, l'amendement présenté à l'article 3, par MM. de Liedekerke et Thibaut vient à disparaître.

- L'amendement de M. Jacques est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

M. le président. - La chambre a maintenant à se prononcer sur l'amendement de M. Orban.

M. Malou. - J'ai fait dans le cours du débat la proposition de joindre l'examen de cet amendement à l'examen de la proposition de l'honorable M. Rousselle.

M. le président. - La proposition n'a pas été faite.

M. Malou. - Je la fais en ce moment.

M. le président. - Il est trop tard ; la discussion a été close.

M. Malou. - J'ai la conscience d'avoir fait cette demande tout à l'heure.

M. le président. - Il n'est pas arrivé de proposition au bureau.

- L'amendement de M. Orban est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. de La Coste est mis aux voix ; il n'est pas non plus adopté.

M. le président. - Nous en venons à l'amendement de M. Malou.

M. Malou. - Je demande avec quelques honorables amis l'appel nominal sur le premier paragraphe de mon amendement.

M. Orban. - Je demande que l'on vote par division sur l'embranchement de Bastogne et sur celui de Marche.

M. le président. - Cette division n'est pas possible : les embranchements ne sont pas désignés dans l'amendement.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur la première partie de l'amendement de M. Malou ; en voici le résultat :

78 membres prennent part au vote.

24 adoptent.

54 rejettent.

En conséquence la chambre n'adopte pas.

Ont voté l'adoption : MM. Delescluse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, De Pouhon, de T'Serclaes, G. Dumont, Dumortier, Malou, Orts, Pirmez, Rodenbach, A. Roussel, C. Rousselle, Thibaut, Vermeire, Clep, Coomans, H. de Baillet, de Brouwer de Hogendorp, Dedecker, de Denterghem, de Haerne.

Ont voté le rejet : MM. Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, A. Dumon, Faignart, Fière-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orban, Peers, Pierre, Reyntjens, Rolin, Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Veydt, Allard, Anspach, Boulez, Bruneau, Cans, Cumont, David, de Breyne, de Broux et Verhaegen.

- La deuxième partie de l'amendement de M. Malou est ensuite mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Dumortier.

M. Dumortier. - Je retire momentanément la première partie de ma proposition, sauf à la reproduire à la fin de l'article.

M. le président. - Cela n'est pas possible, les amendements doivent être mis aux voix avant l'article.

- L'amendement de M. Dumortier est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

La deuxième partie de l'article premier est mise aux voix et adoptée.

- La séance est levée à 5 heures.