(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. A. Vandenpeereboom (page 1981) procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur De Boë prie la chambre d'étendre aux Belges reçus licenciés dans les universités étrangères, l'article 66 de la loi sur l’enseignement supérieur. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs fabricants, industriels, négociants et propriétaires à Herenthals demandent que l'embranchement du chemin de fer de Lierre soit raccordé à la station de Duffel. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.
« Plusieurs négociants, propriétaires et habitants d'Hansbeke demandent l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise, pour l'écoulement des eaux de la Lys. »
M. Sinave. - Je fais la même demande que pour la pétition analysée hier. La section centrale ayant déposé son rapport sur cette question, je prie la chambre d'ordonner le dépôt de la requête sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La discussion générale a été close hier. L'article premier est ainsi conçu :
« Premier paragraphe. Travaux à exécuter par des compagnies, moyennant garantie, par l'Etat, d'un minimum d'intérêt.
« Article premier. Le gouvernement est autorisé à conclure avec les compagnies dites de l'Entre-Sambre-et-Meuse, du Luxembourg et de la Flandre occidentale, des conventions définitives basées sur les clauses et conditions mentionnées dans les conventions provisoires, annexées à la présente loi sous les lettres A, B et C. »
Cet article comprend donc trois objets distincts : la convention relative au chemin de fer de l'Entre-Sambre-ct-Meuse, la convention relative au chemin de fer du Luxembourg, la convention relative au chemin de fer de la Flandre occidentale.
Nous nous occuperons d'abord de la convention relative au chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse.
M. Malou. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Dans le cours de la discussion générale, j'ai indiqué l'intention de demander à la chambre de diviser le projet de loi selon la nature des objets qu'il comprend.
Je proposerai à la chambre d'opérer cette division en six projets distincts, savoir ::
1° Projet de loi relatif aux anciennes concessions ;
2° Projet de loi relatif aux concessions nouvelles ;
5° Projet de loi relatif aux canaux et rivières ;
4° Projet de loi relatif aux ports et canaux, et aux écluses du canal de Charleroy ;
5° Projet de loi relatif aux chemins de fer, y compris l'embranchement de Lierre ;
6° Prisons, hygiène et bâtiments d'école.
Messieurs, les motifs de cette proposition ont déjà été indiqués par d'honorables amis et par moi-même dans le cours de la discussion générale. Ces motifs avaient déjà été indiqués précédemment, en 1845, lorsque le gouvernement avait cru devoir comprendre dans une même proposition plusieurs objets distincts.
Il est évident, je crois n'avoir pas besoin d'insister beaucoup sur ce point, que lorsque le gouvernement propose à la chambre un projet comme celui-là, la liberté des voles de chacun de nous n'existe qu'à une condition : c'est que l'on puisse se prononcer par un vote définitif, comme sur une loi, sur chacun des objets ou du moins sur certaines catégories d'objets compris dans le projet. S'il en est autrement, cette liberté est purement nominale ; nous n'avons réellement pas le droit, nous n'avons pas le pouvoir de nous prononcer en toute liberté sur les mesures qui sont proposées.
Aussi en 1845, je rappelle cet antécédent, lorsque l'honorab'e M. Rogier demandait la division, le gouvernement qui avait déjà lui-même pris l'initiative dans l'exposé des motifs, n'a fait aucune difficulté de l'accorder.
Je pense que ma proposition ne sera pas combattue, et pour cela même je m'abstiens de la développer d'une manière plus étendue.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai déjà eu occasion, dans la discussion générale, de rencontrer les observations que l'honorable M. Malou avait fait valoir à l'appui de la proposition qu'il vient de soumettre à la chambre.
J'ignore quelle peut être la portée de cette proposition. L'honorable M. Malou entend-il repousser par la question préalable l'ensemble du projet de loi ?
Le gouvernement a saisi la chambre d'un projet de loi qui forme un tout indivisible ; ce projet de loi a été renvoyé à l'examen des sections ; la section centrale a soumis à la chambre son rapport sur le projet de loi. Que demande l'honorable M. Malou ? Veut-il user de son droit d'initiative ? Veut-il soumettre à la chambre une série de projets de lois, ou veut-il interdire au gouvernement de soumettre à la chambre un projet d'ensemble ? Le gouvernement a présenté un projet unique ; il a pensé qu'il était essentiel lorsqu'il s'agissait dans un projet de loi aussi important, de tenir compte des divers intérêts qui se trouvent engagés dans le débat. Et le gouvernement a suivi en cela l'exemple qui a été donné en 1837 et en 1842.
Si en 1845 cet exemple n'a pas été suivi, c'est parce que les divers projets sont venus coup sur coup. Cela est si vrai que lorsque la commission spéciale examinait le projet du chemin de fer de Mons à Manage, le gouvernement vint saisir cette commission de deux autres projets qui n'avaient pas même été soumis à la chambre.
La question soulevée par l'honorable M. Malou a été résolue dans d'autres pays. En France, en 1833 lorsque l'on proposa divers travaux dont l'importance était de 100 millions, on présenta un seul projet de loi.
En 1840 lorsqu'il s'agissait d'une série de travaux, on présenta également un seul projet, et voici en quels termes s'exprimait alors l'organe du gouvernement, M. le ministre des travaux publics, qui se trouvait appuyé dans ses raisonnements par l'honorable M. Berryer et l'honorable M. Gustave de Beaumont, rapporteur :
« La chambre est saisie par le gouvernement, non pas de cinq projets de loi, mais d'un seul. La liberté de discussion existe complètement. Rien n'empêche que le scrutin secret ne soit demandé sur chacun des articles de la loi. La présentation que nous avons faite est conforme à tous les précédents. Non seulement il est arrivé souvent, en matière de navigation, d'améliorations de rivières, de routes, que des projets, se rapportant tous à la même nature de travaux, ont été présentés dans un même projet ; mais il est arrivé souvent que des travaux divers embrassant une longue série d'articles ont été compris dans une seule et même loi. Je citerai à ce sujet la loi des 100 millions de 1833. Et cette loi, il faut le dire, a été un bienfait pour le pays. Elle a été votée par les chambres aux acclamations du public. On aurait pu dire qu'une sorte d'assurance mutuelle existait dans toutes les localités ; car le but du gouvernement a été de les satisfaire. Je dois dire franchement que tel est le caractère de toute loi d'intérêt public. »
La chambre passa à l'ordre du jour sur la proposition d'un de ses membres, M. Luneau.
Eh bien, messieurs, le projet de loi que le gouvernement a soumis à la chambre embrasse également une série de travaux, et le gouvernement a cru que ces divers travaux ne formaient dans leur ensemble qu'un tout indivisible.
Du reste, il me semble qu'à la proposition de M. Malou vient se rattacher une question constitutionnelle. C'csl celle de savoir jusqu'à quel point un membre de cette chambre peut, sans avoir recours à la question préalable, qu'il faudrait repousser en cette circonstance, démembrer et mutiler un projet de loi pour le transformer en une série de projets de loi, alors surtout que la liberté du vote est pleinement sauvegardée par la division dans le vote des articles.
M. Malou. - Messieurs, je n'ai nullement entendu proposer la question préalable sur le projet du gouvernement ; je sais que la chambre n’a pas le droit de voter la question préalable lorsque le gouvernement use de son initiative ; mais j'ai demandé que la clnmbre déclarât qu'il y a lieu de diviser en plusieurs projets distincts le tout indivisible, pour me servir de l'expression de M. le ministre des travaux public, le tout indivisible que le gouvernement a cru devoir présenter.
Je ne blâme pas le gouvernement d'avoir proposé siapensée comme il l'entend ; mais je fais remarquer à la chambre qu'elle a le droit, sans prononcer la question préalable, de diviser le projet, afin que nous ayons tous une véritable liberté dans le vote que nous sommes appelés à émettre.
(page 1982) Ainsi, messieurs, à côté du droit du gouvernement, que je ne conteste pas, vient se placer le droit de la chambre. On peut diviser un projet de loi que le gouvernement a présenté ; on le peut et on le doit, surtout lorsque ce projet contient en lui-même quinze ou vingt projets différents.
Si l’on ne prononce pas cette division, chacun de nous est placé, lors du vote sur l'ensemble du projet, dans cette alternative : ou de repousser certaines dispositions qui lui paraissent bonnes ou d'en adopter un nombre beaucoup plus grand qui lui paraissent mauvaises. En d'autres termes, nous sommes tous en présence d'une situation qui ne nous accorde aucune liberté réelle pour notre vote.
M. Delfosse. - Aux termes de la Constitution et du règlement, la division est de droit lorsqu'elle est demandée ; mais c'est la division des articles ou des amendements, et non la division ou la séparation d'un projet de loi en plusieurs projets.
L'honorable M. Malou demande la division du projet de loi en plusieurs projets, au nom de la liberté du vote. Que le projet de loi soit divisé ou ne le soit pas, la liberté du vote sera la même.
Si l'on suppose que les membres de la chambre se préoccupent uniquement des intérêts généraux du pays, ils admetteront ou rejetteront librement chaque article du projet, tout comme ils admettraient ou rejetteraient librement chaque projet séparé.
Si l'on suppose, au contraire, que les membres de la chambre se préoccupent aussi des intérêts de localités, cette préoccupation agira sur eux dans tous les cas, dans le cas de division, comme dans le cas où le projet de loi resterait indivisible.
Le projet de loi n'étant pas divisé, les membres de la chambre qui se préoccupent d'intérêts de localité, voteront même pour des travaux qui ne leur paraîtraient pas utiles. Ils seront dominés, c'est là ce que l'honorable M. Malou redoute, par la crainte que ceux qui s'intéressent à ces travaux ne rejettent la loi lors du vote sur l'ensemble.
Mais ce que l'honorable M. Malou redoute arriverait même dans le cas le projet de loi serait divisé, si l'on suppose que des membres de la chambre sont sous l'influence de l'esprit de localilé.
En effet, ces collègues voteraient pour chaque projet séparé, afin que les projets qui intéressent les localités dont ils sont les représentants réunissent aussi un nombre de voix suffisant.
Ou l'esprit de localité n'exerce aucune influence sur nous, et alors nous pouvons voter librement, consciencieusement sur chaque article d'un projet d'ensemble comme sur chaque projet de loi séparé.
Ou l'esprit de localité nous domine, et alors l'espèce de contrainte que M. Malou redoute, pèsera sur tous nos votes, peu importe qu'ils s'appliquent à des projets séparés ou à des articles d'un même projet.
Ainsi, la proposition de M. Malou n'a aucune espèce de portée, en ce qui concerne la liberté du vote.
Mais elle a cette portée dangereuse qu'elle pourrait conduire à des résultats qui ne conviendraient pas à la majorité.
Dans le système du gouvernement, vous avez deux épreuves, deux garanties. Pour que le projet passe, il faut non seulement que chaque article, mais, en outre, que l'ensemble convienne à la majorité de la chambre.
Dans le système de M. Malou, chaque projet, une fois voté, devient définitif. Il est possible que bien des membres auront voté pour ce projet dans l'espoir qu'une part équitable serait faite aussi à d'autres parties du pays ; cet espoir ne s'étant pas réalisé, le projet voté en quelque sorte conditionnellement, sous la condition tacite d'une juste réciprocité, ne réunirait plus un nombre de voix suffisant. La majorité de la chambre ne voudrait plus de ce projet, et cependant elle devrait le subir.
Le meilleur système est celui qui permet à la majorité de faire prévaloir son opinion. La chambre doit donc se rallier au projet du gouvernement et repousser la proposition de M. Malou.
M. Dumortier. - L'honorable membre qui vient de parler a donné le meilleur argument qu’on puisse invoquer contre le système qu’il a défendu ; il a démontré jusqu’à la dernière évidence, qu’un vote de coalition d’intérêts contre le trésor public, c’est-à-dire un vote sur l'ensemble vincule le député lui-même. Que dit-il, en effet, en finissant ? En votant sur autant de projets de loi séparés qu'il y a d'objets distincts dans la loi, on n'aura pas la garantie que chacun des projets de loi sera voté.
M. Delfosse. - Je n'ai pas dit cela !
M. Dumortier. - Voici ce que vous avez dit : Les députés voteront pour l'ensemble du projet, de peur qu'on ne rejette les travaux auxquels ils tiennent ; et, dans le sens contraire, on n'a pas cette garantie...
M. Delfosse. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Dumortier. - Les députés voteront pour l'ensemble de crainte qu'on ne rejette la proposition à laquelle il tient. Mais vous voyez donc que c'est un vote forcé, qu'il n'existe plus de liberté du vote, que c'est un vote d'accumulation que vous voulez pour faire passer les parties du projet qui ne conviendraient pas à la majorité !
Car, il ne faut pas s'y tromper, le système de l'honorable M. Delfosse n'aurait qu'un seul résultat : c'est de forcer les députés qui tiennent à avoir un système donné, à voter pour les propositions qui ne leur conviendraient pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On peut rejeter les articles.
M. Dumortier. - Eh bien ! c'est là justement la démonstration la plus évidente des dangers qui résultent d'un système semblable. Mais si le système de l'honorable M. Delfosse était vrai, pourquoi donc, je vous le demande, faites-vous chaque jour des lois ? Il y aurait un système ; beaucoup plus facile : ce serait de réunir toutes les lois qu'on fait en une session, en une seule. Car c’est là la conséquence finale et inévitable du système de l'honorable M. Delfosse.
Je dis, quant à moi, que lorsqu'un intérêt se présente en faveur d'un district, les élus de ce district se présentent ici comme les défenseurs des intérêts de ce district ; qu'au contraire, dans le système du vote cumulé, la majorité étant formée d'avance, la chambre étant juge et partie, il n'y a plus de discussion possible.
Messieurs, le système de l'honorable M. Delfosse est un système complètement illibéral, puisqu'il porte atteinte à la liberté du député, puisque le député en définitive, de crainte de voir échapper le travail que demande son district, est forcé de voter les travaux que son district repousse, que le pays entier repousse.
Il n'y a donc plus de liberté du vote, comme vous l'a dit l'honorable M. Malou ; il y a contrainte réelle, il y a oppression réelle exercée sur la majorité de l'assemblée. Une pareille chose ne doit pas exister dans un gouvernement de liberté, surtout sous un ministère qui se donne pour libéral, qui met en avant les maximes du libéralisme.
Messieurs, la première maxime du libéralisme, c'est la liberté du député, la liberté avec toutes ses conséquences. Laissez à chacun de nous la liberté de son vote qui est une des meilleures garanties que nous accorde la Constitution.
Dans une séance précédente j'avais demandé, à propos de la loi sur les distilleries, à introduire un amendement portant que l'abonnement pour le débit des boissons distillées était rapporté.
Que m'a objecté l'honorable minisire des finances ? Il a objecté que la loi qui était faite, était une loi relative à l'impôt sur les distilleries et que nous ne pouvions pas venir introduire dans cette loi un article relatif au droit de débit des boissons distillées, encore que ce droit de débit ne fût qu'une dépendance de la loi que l'on votait. L'honorable ministre a demande la question préalable sur ma proposition.
J'invoque le même principe. Je dis que la loi renferme des matières qui n'ont aucune connexilé entre elles.
Il s'y trouve en effet des travaux à exécuter par l'Etat, des travaux à concéder avec la garantie d'un minimum d'intérêt, des travaux qui n'ont aucune espèce de rapports avec d'autres, comme des prisons, des écoles, l'hygiène publique, toutes choses qui ne se rapportent aucunement avec les travaux publics productifs ou improductifs, les travaux à exécuter dans l'intérêt du commerce.
Il y a, dans le projet, des objets qui hurlent de se trouver ensemble, qui n'ont aucune espèce de connexité. Je demande quel rapport il y a entre un subside pour construction de prisons et la concession de chemins avec la garantie d'un minimum d'intérêt ; quel rapport il y a entre un subside pour l'hygiène publique et la construction d'un canal ou d'un chemin de fer par l'Etat, avec la canalisation de la Meuse, par exemple.
Il faut convenir qu'il n'y aucune espèce de rapports entre ces objets. Vouloir cumuler dans un vote unique des objets aussi divergents, c'est évidemment vouloir vinculer les votes de l'assemblée.
On semble nous faire une faveur, en nous disant qu'il y a deux espèces de divisions, que nous pouvons demander la division des articles. Mais l'honorable M. Delfosse n'a pas réfléchi à la faveur qu'il nous accorde. La division des articles est de droit.
M. Delfosse. - C'est ce que j'ai dit.
M. Dumortier. - Ce que nous demandons, c'est qu'il y ait un vote qui mette chacun de nous en présence de sa seule conscience et non en présence des intérêts de son voisin. Il faut que la liberté de conscience soit une vérité, et elle ne l'est pas dans le vote vinculé que demande l'honorable M. Delfosse.
Non, il n'y a plus liberté de conscience, quand moi, représentant d'un district en faveur duquel une dépense juste, une dépense équitable est promise, je me vois forcé de voter des dépenses que ma conscience repousse. Il n'y a plus de liberté de conscience, plus de liberté du vote, plus d'indépendance parlementaire.
Messieurs, en 1845, lorsque mon honorable collègue et ami M. Dechamps vint présenter à la chambre divers projets de loi de concessions, projets de loi de concessions, remarquez-le bien, qui n'entraînaient aucune intervention du trésor public, les honorables membres de la gauche, les membres qui siègent sur les bancs où se trouve l'honorable M. Delfosse, se sont tous levés pour demander la division.
L'honorable M. Rogier, aujourd'hui ministre de l'intérieur, alla même jusqu'à demander la division d'une concession, la division de la concession du chemin de fer de Jurbise et du chemin de fer de Hasselt en deux votes. Voila jusqu'où a été la demande de division.
L'honorable M. Rogier demandait alors cette division et il faisait remarquer avec infiniment de raison que voter par une seule et même loi toutes ces concessions, c'était vinculer la conscience du député, c'était s'opposer à un vote consciencieux, à un vote libre et indépendant.
Eh bien ! je demande la même chose que l'honorable M. Rogier en 1845. En 1845 j'ai demandé avec lui un vote séparé sur tous ces projets. Je reste conséquent ; je demande un vote séparé pour chacune des dépenses dont il s'agit dans le projet actuel.
La discussion, d'ailleurs, ira beaucoup plus vite, puisque vous n'aurez (page 1983) qu'un vote sur chaque question, que vous n'aurez pas de vote définitif. Vous devrez aller plus vite ; le moyen, c’est de faire un projet de chaque dépense, les votes que vous émettrez devenant ainsi définitifs ; tandis que si vous voulez un vote cumulatif sur l'ensemble de ce projet, il est évident que vous forcez la majorité des membres de cette assemblée à voter des dépenses que leur conscience repouse, que les intérêts de leur district peut-être repoussent. Voilà où vous arrivez, et il n'est pas bien, quand on parle au nom des principes du libéralisme, de mettre les députés dans une pareille position.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je tiens à dire quelques mots pour justifier la marche qui a été adoptée par le gouvernement, et qui m'a paru fort simple, fort rationnelle ; quant à moi, je ne la supposais pas de nature à soulever la moindre contestation dans cette assemblée.
Selon l'honorable préopinant, la liberté des membres de la chambre n'existerait pas. Il faut avouer, messieurs, que la liberté des membres de la chambre tiendrait à bien peu de chose, si elle était ici engagée. S'il fallait en croire les honorables membres qui ont demandé la division, leur liberté n'existe plus, si la loi qui leur est proposée est écrite sur une seule feuille de papier ; si l'on transcrit le projet sur vingt-cinq feuilles de papier, ils redeviendront libres à l'instant même.
Je dis que la même liberté existe dans les deux cas.
Admettons pour un instant que le gouvernement ait suivi le système que vous préconisez - je vous en démontrerai tout à l'heure les conséquences - admettons que le gouvernement ait déposé 25 projets de loi isolés. Ils auront été déposés sur le bureau en même temps ; ils auront été examinés en sections ; la discussion de ces projets de loi aura lieu isolément. Est-ce que vous croirez avoir empêché ce que vous nommez cette coalition d'intérêt, c'est-à-dire l'assurance que l'on a de part et d'autre que des projets qui conviennent également aux diverses localités qui ont leurs représentants dans cette enceinte seront respectivement appuyés par les députés appartenant aux localités intéressées ? Est-ce sérieux de supposer que cette coalition ne se formera pas ? Cela est complètement inadmissible.
On aurait donc le même résultat dans les deux hypothèses. Mais, messieurs, lorsque nous présentons un projet de loi d'ensemble, nous croyons faire beaucoup mieux, nous croyons répondre davantage aux véritables besoins du pays et aux véritables règles du gouvernement représentatif. Nous présentons un projet qui comprend des travaux applicables à tout le pays. Nous couvions tous les représentants du pays à examiner, à discute rces travaux. Ainsi le pays est mis à même de voir ce que l'on fait sur tous les points. Pour apprécier si, en effet, le gouvernement a des vues d'ensemble ou des vues isolées, des vues étroites, des vues partiales, pour apprécier quelle est véritablement la pensée du gouvernement, il faut que la chambre soit saisie d'un projet comprenant tous les travaux. Mais si nous venions présenter des projets isolés, si nous proposions aujourd'hui un travail pour telle localité, demain un travail pour telle autre localité, je dis que dans ce cas la pensée qui dirige le gouvernement ne serait plus appréciée, ne serait plus appréciable ni pour la chambre ni pour le pays.
Messieurs, l'inconvénient que l'on signale ne peut pas se présenter assurément lorsqu'il s'agit de voter les articles : lorsqu'il s'agit de voter les articles il y a liberté complète ; on peut diviser chaque article ; ceux qui ne veulent pas adopter telle ou telle proposition sont parfaitement libres de la rejeter. Lorsque le vote d'ensemble arrive, la liberté existe également. Les membres de la chambre ont alors à apprécier si les dispositions qu'ils rencontrent dans le projet de loi sont en plus grand nombre dans le sens de leurs idées que dans un sens contraire. Or, c'est ce qui se présente toujours lorsqu'il s'agit d'une loi en plusieurs articles.
Si votre proposition était admissible, si elle avait une ombre de raison en sa faveur, qu'arriverait-il ? C'est qu'il serait impossible de présenter un projet de loi, par exemple, sur le Code pénal ou sur le Code civil. (Interruption.) Mais c'est infiniment plus grave que ceci même ; dans un projet relatif au Code pénal, par exemple, vous trouverez un système complet touchant les pénalités, l'emprisonnement, question très grave ; eh bien, vous direz : Je ne suis pas libre de mon vote ; je n'admets pas votre système sur l’emprisonnement ; je repousse l’emprisonnement cellulaire ; mais il y a dans le projet une foule d’autres dispositions que j’approuve ; je suis gêné, ma liberté n’existe plus ; lorsque je serai appelé à voter, je serai obligé de rejeter votre projet ou bien d’accepter des dispositions que je repousse.
Cette alternative, messieurs, se présentera chaque fois que vous serez saisis d'un projet composé de divers articles.
Les budgets sont dans le même cas ; voulez-vous demander qu'on divise le budget des travaux publics parce qu'il renferme des propositions pour le chemin de fer, des propositions pour les canaux, des propositions pour les rivières, des propositions pour les ports et côtes ? Si le système de l'honorable M. Malou est vrai, il faut appliquer aux budgets la division qu'il propose ; vous ne pouvez plus voter les budgets tels qu'ils vous sont soumis ; vous devriez y introduire tout autant de divisions qu'en propose l'honorable M. Malou dans le projet de loi actuel.
Il y a dans le projet, dit l'honorable préopinant, des choses qui n'ont aucune affinité entre elles : conçoit-on qu'on appelle la chambre à voter en même temps et sur les prisons et sur les canaux, et sur des projets d'hygiène publique ? Mais, messieurs, l’affinité, c'est qu'il s'agit de travaux à exécuter par l'Etat, de travaux à exécuter par des tiers avec le concours de l'Etat ; tous sont des travaux publics. Voilà ce qui fait l'unité du projet.
Au surplus, messieurs, avec le système de l’honorable M. Malou, vous arrivez à l'absurde, vuus arrivez à ce résultat de n'avoir plus que des lois en un seul article, sous prétexte qu'il ne faut pas réunir des choses qui paraîtront avoir entre elles de la dissemblance.
Ainsi, je prends la proposition de l'honorable M. Malou lui-même ; elle est la critique de ce que vient de dire l'honorable préopinant. Il veut que l'on réunisse en un seul projet de loi nos propositions paur les prisons, les travaux d'hygiène et les écoles. Je demande à l'Innorable préopinantee qu'il y a de commun entre l'hygiène publique et les écoles ?
M. Coomans. - Divisez encore.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela ; nous arriverons à l'absurde. Continuez, vous aurez pour les prisons une loi, pour l'hygiène une loi. Et comme le dit à mes côtés l'honorable M. d'EIhoungne, il faudra même autant de projets qu'il y aura d'écoles ; car il s'agit de construire des écoles sur tous les points du pays. Vous pourrez venir dire que vous n'êtes pas libre ; que vous voudriez bien d'une école pour telle localité, que vous n'en voulez pas pour telle autre, précisément ce que vous dites quant aux travaux projetés.
Ainsi à quelque point de vue qu'on se place, que ce soit à celui de la liberté, de l'utilité ou de l'unité du projet, il est impossible d'admettre cette division.
Je n'insiste pas sur la question constitutionnelle. Cependant, elle a bien sa gravité. Le gouvernement a le droit de présenter des projets ; chaque membre peut aussi faire des propositions de loi. Le gouvernement a proposé un projet.
Quel est le droit de la chambre ? Si nous consultons la Constitution, nous y trouvons que la chambre a le droit d'amender et de diviser les articles et les amendements proposés. Mais je ne sache pas que la chambre puisse diviser les projets de loi, mutiler la pensée du gouvernement, faire différentes lois d'une seule que le gouvernement a présentée.
Mais je n'insiste pas sur ce côté plus ou moins discutable da la question.
Je crois que les considérations que j'ai fait valoir en faveur de l'unité du projet de loi suffiront pour déterminer la chambre.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dumortier. - Messieurs, la discussion actuelle est d'une extrême importance. (Interruption.) Il est possible, messieurs, qu'elle ne vous paraisse pas telle ; mais elle nous paraît à nous une discussion de la plus haute importance. Il s'agit de savoir si la chambre aura ou non la liberté du vote. (Nouvelle interruption.) Messieurs, il est possible que vous n'en doutiez pas. Mais nous en doutons. Permettez-nous d'exprimer notre pensée.
Lorsqu'il s'agit de savoir si la chambre aura ou non la liberté du voter il ne me semble pas convenable de clore la discussion après qu'un ministre vient de parler. Je demande à dire quelques mots. J'insiste surtout, parce que M. le ministre des finances a invoqué la Constitution. Je prouverai jusqu'à l'évidence que la Constilution ne peut pas être invoquée dans l'espèce, que l'interprétation qu'il donne à la Constitution serait la violation des prérogatives parlementaires.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
La proposition de M. Malou, tendant à diviser le projet de loi en six projets différents, est mise aux voix et n'est pas adoptée.
M. le président. - Nous passons à la discussion des articles.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à conclure avec les compagnies dites de l'Entre-Sambre et Meuse, du Luxembourg et de la Flandre occidentale, des conventions définitives basées sur les clauses et conditions mentionnées dans les conventions provisoires, annexées à la présente loi sous les lettres A, B et C.
M. le président. - Nous nous occuperons d'abord de la convention relative à l'Entre-Sambre-et-Meuse ; il n'y a pas d'amendement déposé quant à ce point.
M. Malou. - Il va y en avoir un.
M. le président. - La parole est à M. de Baillet-Latour sur une partie de l'article premier.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je serai court ; les adversaires du projet de loi nous ont soulevé si peu d'objections seulement spécieuses que la tâche de ses défenseurs est devenue bien facile.
J'ai voté les impôts sur les bières, sur les tabacs et sur les genièvres, parce que je crois que l'impôt est une bonne chose quand on en fait un usage utile.
Pour moi l'impôt, c'est l'association sous sa forme la plus simple et la plus puissante.
Un impôt appliqué en grands travaux publics, rien n'est plus juste, rien n'est plus politique.
Le moment est bien choisi pour imprimer aux travaux publics une activité nouvelle. Ne perdons pas de vue, sans en exagérer le danger, que nous sommes en présence d'éventualités qui peuvent amener une de ces crises qui mènent rapidement à la ruine les nations comme les individus, il faut donc à tout prix que le travail soit assuré dans tous (page 1984) les cas. Il est aisé de concevoir que l'Etat peut contribuer puissamment à ce résultat, d'une part en faisant lui même exécuter de grands travaux d'une utilité reconnue, d'autre part en favorisant la continuation ou la reprise des grands travaux publics entrepris par des compagnies, en s'adressant à l'esprit d'association et en le stimulant.
Les adversaires de la loi ont accusé le ministère de s'appuyer sur une coalition d'intérêts. Ce mot de coalition ne saurait être plus mal appliqué. Il n'y a ici aucune coalition, il y a solidarité, association ; et c'est bien gouverner que de donner pour lien au faisceau social l'intérêt commun.
Ces observations préliminaires faites, j'arrive à la discussion de l'article.
Si le principe de la garantie d'un minimum d'intérêt doit être adopté dans un pays, c'est certainement en Belgique. En effet, en France, par exemple, où il n'y a pas de railway national, l'Etat n'est pas intéressé directement à courir les chances d'une garantie de minimum d'intérêt. S'il les accepte, ce n'est que dans la prévision des avantages qui en résulteront pour le travail national. En Belgique au contraire l'Etat est directement intéressé à accorder cette garantie, car les chemins de fer qui seront construits, grâce à elle, augmenteront les produits du chemin de fer de l'Etat ; et par conséquent on assure, par une dépense éventuelle, un accroissement de recettes certain. Ainsi le chemin de fer du Luxembourg qui fera partie de la grande artère de Trieste à Ostende, qui procurera une communication directe avec l'Allemagne, qui servira aux relations les plus promptes entre l'Angleterre et les Indes, n'accroîtra-t-il pas les recettes du chemin de fer de l'Etat dans une notable proportion ?
N'en sera-t-il pas de même du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse qui réunira le réseau belge à la ligne française de Paris à Strasbourg et présentera tous les caractères d'une grande ligne internationale nous donnant la communication la plus directe avec l'est de la france, l'Allemagne méridionale et la Suisse.
L'honorable M. Osy repoussait le projet de loi parce qu'il est député de tout le pays avant d'être député d'Anvers. Moi je le vote parce que je suis député du pays avant d'être celui de mon arrondissement, et que le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse sera plus avantageux encore au pays qu'à cet arrondissement en particulier.
Et cependant ces avantages particuliers sont tels qu'à eux seuls ils suffisent pour justifier le vote approbalif de la chambre, Je ne les examinerai pas en détail pour ne pas abuser des moments de la chambre. Je vous renvoie, messieurs, au mémoire si complet qui accompagne la pétition des administrations communales de Philippeville, Couvin et Florennes ; je me bornerai à une rapide énumération.
L'agriculture y trouvera des ressources considérables, tant pour le transport de ses produits que pour le bas prix de la houille, qui sera amenée à peu de frais aux gîtes de pierre calcaire, et procurera un moyen puissant et économique de fertilisation. Les produits de nos vastes forêts trouveront des débouchés dont ils sont privés aujourd'hui, et ils pourront être livrés aux principaux centres de consommation à des prix aussi avantageux pour le commerce et l'industrie que pour les propriétaires.
L'industrie de la houille, l'industrie métalllurgique lui devront une extension de production, l'abaissement des prix de transport des matières premières, et par conséquent des produits fabriqués.
Les marbres, les ardoises, les pierres y trouveront de semblables avantages.
Anvers sera mis en communication directe avec le Rhin français, comme il est actuellement en communication avec le Rhin allemand.
Les populations ouvrières y trouveront du travail assuré, pendant cinq ans, et au bout de ce temps un travail assuré par le développement que l'industrie devra au chemin de fer.
Quant au bassin de Charleroy, il devra au chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Mcuse le marché des départements du Nord-est de la France, les marchés de l'Allemagne méridionale et de la Suisse. J'ai été fort surpris d'entendre l'honorable M. Pirmez, si voisin du district de Philippeville, faire si bon marché des embranchements. Permis à l'honorable M. Dumorlier, député de Roulers, de ne rien savoir de ce qui se passe dans l'arrondissement de Philippeville ; mais M. Pirmez ne peut pas ignorer que le plateau de Philippeville ; les gîtes métallifères de Fraire, de Morialmé et de Florennes font de cet arrondissement le plus important de toute la Belgique sous le rapport de la production métallurgique, qu'il me permette de lui dire qu'il a mal compris même les intérêts de Charleroy.
En effet, les innombrables usines qui couvrent l'arrondissement de Philippeville, situées au milieu d'immenses forêts, sont presque toutes chauffées au bois, et attendent l'exécution des embranchements pour se mettre à la houille. Moi-même propriétaire de bois, je serais intéressé personnellement à ce que les embranchements ne se fissent pas ; et c'est une chose assez singulière que je sois forcé de défendre les intérêts de M. Pirmez contre lui-même et aux dépens des miens. Au reste M. Pirmez a prétendu qu'il n'y avait aucune convention conclue entre la compagnie et le gouvernement, c'est une erreur complète, et qui prouve que l'honorable députe de Charleroy a critiqué avec beaucoup de légèreté un projet qu'il n'a pas même examiné.
Le mémoire que je vous ai cite plus haut prouve de la manière la plus évidente que les embranchements seuls de Florennes, Philippeville et Couvin fourniront au chemin de fera transporter par an 117,643 tonnes donnant un produit de 399,933 fr. Cette évaluation repose sur des hypothèses très modérées et ne pourront pas manquer de se réaliser. Depuis même qu'elles sont faites, plusieurs nouvelles concessions de mines de calamine ont été accordées ; d'autres sont encore en instance. On peut donc dès à présent prévoir que la garantie du minimum d'intérêt ne se traduira pas pour le gouvernement dans le payement d'une partie de cet intérêt et qu'elle n'aura pour résultat que de donner cet appui moral du gouvernement dont parlait hier M. Dechamps et qui doit en hardir les capitaux timides, les engager dans une entreprise si utile par la perspective de bénéfices assurés sans chances de perte.
Si j'avais conservé quelque doute, la manière dont ce projet a été attaqué par des membres qui cependant réclamaient son extension, prouvant ainsi que s'ils repoussent si énergiquernent ce projet de loi, c'est par regret que l'honneur de son exécution ne revienne pas à leur parti ; la manière dont il a été défendu en principe par l'honorable M. Dechamps, qui ne sera pas suspect de partialité, aurait bien vite fait disparaître toutes mes hésitations. Partisan de toutes les économies, je voterai donc le projet de loi, car je veux que toutes les dépenses utiles soient faites, en même temps que toutes les dépenses superflues soient impitoyablement retranchées conformément à ces mémorables paroles de Colbert à Louis XIV.
« Il faut épargner cinq sous aux choses non nécessaires, et jeter les millions quant il s'agit de votre gloire et du bien du peuple. »
M. Pirmez. - Messieurs, l'honorable M. de Baillet me fait dire qu'il n'y avait pas eu de convention entre la société de l'Entre-Sambre-et-Meuse et le gouvernement ; je n'ai pas parlé de cela ; j'ai dit le contraire. J'ai parlé de la convention, et j'ai dit dans le discours que j'ai prononcé lors de la discussion générale, que cette convention n'avantageait en aucune manière l'arrondissement que j'avais l'honneur de représenter ; en ce sens que la convention ne concernait que les embranchements et nullement le tronc principal ; qu'un embranchement sur Philippeville par exemple n'avait aucun intérêt pour l'arrondissement de Charleroy ; que le tronc principal se serait fait si on n'avait pas exigé l'exécution des embranchements, et que par conséquent on nn peut pas porter, comme étant faite en faveur de Charleroy, la convention qui n'est faite que pour les embranchements. Voilà ce que j'ai dit dans la discussion générale et ce que je maintiens.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, j'ai une simple observation à faire à l'honorable M. Pirmez. Si je ne me trompe, M. le ministre des travaux publics a dit que le tracé principal ne pourrait pas être exécuté, si l'on ne consentait pas à donner la garantie du mininum d'intérêt sur les embranchements ; c'était la condition sine qua non de la compagnie concessionnaire.
Quant à l'utilité que présentent pour Charleroy des embranchements sur Philippeville et Couvin, elle ne peut être niée : ils conduiront à Charleroy le minerai de fer dont Charleroy a besoin pour ses établissements. Ce sont ces gîtes métallifères du plateau de Philippeville et les autres du même arrondissement qui alimentent presque toutes les usines de la Belgique.
L'honorable M. Pirmez a parlé de l'intérêt de son arrondissement ; c'est tout simple, comme il est tout naturel que je m'occupe de l'intérêt du mien ; mais je trouve que son observation au sujet des embranchements n'est pas dans l'intérêt de son arrondissement, car les embranchements, je le répète, amèneront le minerai de fer à Charleroy ; autrement il devrait y être transporte par charriage, et il est évident que cela reviendrait plus cher. Or, il est de l'intérêt des usines de se procurer les matières premières au meilleur marché possible. D'autre part, les embranchements de Couvin et de Philippeville transporteront dans les magnifiques établissements de ces cantons la houille de Charleroy. M. Pirmez, en combattant les embranchements, est donc contraire à l'intérêt de Charleroy.
M. Malou. - Messieurs, la concession du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse est la première à laquelle le gouvernement propose d'appliquer le principe de la garantie d'un minimum d'intérêt ; c'est aussi la première fois qu'en Belgique la législature est appelée à émettre un vote formel et sur ce principe et sur l'application légitime, utile, qui peut en être faite. Permettez-moi de ramener un instant l'attention de la chambre sur les conditions qu'il me paraît nécessaire d'établir, afin que la garantie de l'Etat ne soit pas donnée d'une manière trop onéreuse.
Déjà, dans la discussion générale, mon honorable ami, M. Dechamps, a indiqué quelles étaient les conditions principales de cette garantie, et il a eu la douleur de constater, en même temps, que plusieurs de ces conditions ne se trouvaient pas dans les conventions que le gouvernement a conclues. J'aurai l'honneur de proposer à la chambre de combler ces lacunes.
En effet, l'application qui est faite de ce principe et pour l'Entre-Sambre-et-Meuse et pour le Luxembourg, est telle que le gouvernement s'oblige, au moins pendant un terme assez long, non seulement à garantir, mais réellement à payer.
On vous a dit en effet, que pour une de ces lignes.il y aurait un convoi par jour. Un convoi par jour pour une ligne qui coûte 22 millions et demi et qui est pour longtemps une impasse, c'est évidemment pour le gouvernement l'obligation de payer les 4 p. c,
Je n'ai rien à ajouter sur ce point à la démonstration complète que l'honorable M. Rolin a faite dans une séance précédente. S'il en est ainsi, si pour l'Etat, d'après le système du projet, garantir c'est payer, il me paraît nécessaire que la loi stipule que les avances faites par le gouvernement (page 1985) seront recouvrées, lorsque la compagnie aura obtenu un certain intérêt de ses capitaux.
D'après les conventions qui sont faites, lorsque la garantie cesserait, la moitié ou un peu plus de la moitié du terme de la concession étant expirée, la compagnie fît-elle 10 ou 15 p. c. pendant le restant du terme de la concession, le gouvernement ne rentrerait jamais dans ses avances.
Il est évident que ce principe est trop défavorable à l'Etat. Je proposerai d'y substituer le principe qui se trouve dans le projet de 1845. (L'orateur donne lecture d'un passage de ce projet).
Je demande en second lieu que les produits des lignes soient calculés non pas d'après telle ou telle section en choisissant les moins productives, mais d'après l'ensemble des lignes concédées à chaque compagnie. Il est plus avantageux pour les compagnies que l'Etat leur garantisse ce qui est le plus mauvais ; car on leur donne plus que si on garantissait ce qui est bon et ce qui est mauvais. Comme il s'agit de donner aux compagnies pour un temps très long un ensemble de droits, il me semble que la loi doit stipuler que les compagnies, en raison des droits qui leur sont reconnus, devront donner à l'Etat dans certaines années prospères quand le gouvernement sera venu à leur secours dans les circonstances défavorables.
Une troisième disposition essentielle pour ne pas lier l'avenir, c'est de stipuler le rachat des concessions, de stipuler dès à présent des conditions qui ne soient pas trop onéreuses pour l'Etat et qui assurent en même temps certains avantages aux compagnies. Je ne rappellerai pas les discussions de 1845, quant aux rachats. A cette époque, on insistait beaucoup pour que cette faculté pût être exercée promptement et que toutes les garanties en sa faveur fussent stipulées.
Rien de semblable ne se trouve dans les nouvelles conventions ; une seule contient une disposition relative au rachat, mais les conditions sont combinées de telle manière que le rachat est réellement impossible. C'est une faculté illusoire qu'on a stipulée.
Je propose de décider que le gouvernement aura la faculté de rachat après 20 ans, qui prendront coursde la première année de l'exploitation, en prévenant trois années d'avance et que le rachat se fera au denier 20 du produit net des cinq dernières années augmenté de 10 p. c. à titre de prime.
Il me reste à indiquer une dernière disposition de principe relative à la garantie d'un minimum d'intéiêt. Si l'on accepte le principe en faisant porter la garantie, non pas sur les parties les moins productives, mais sur l'ensemble des travaux concédés, il se peut que dans un avenir rapproché, au moyen des bénéfices et des mesures qu'ont soin de prendre les sociétés anonymes bien établies, le capital primitif soit recouvré.
Je propose de décider que la garantie viendra, dans ce cas, à cesser. Quand les capitalistes ont recouvré le capital engagé dans les travaux concédés, il n'y a plus de motif pour prolonger les engagements de l'Etat. Telles sont les dispositions de principe que j'ai l'honneur de soumettre à l'attention de la chambre. Elle appréciera s'il y a lieu de les renvoyer à la section centrale.
A la séance d'hier, un honorable membre a indiqué une proposition d'un caractère général. Je crois comme lui que nous devons tous vouloir que le vote de ce projet ne soit pas pour les uns une espèce de faveur et pour les autres une vaine espérance. Afin de prévenir ce mécompte, je proposerai de décider que le gouvernement ne pourra pas commencer les travaux faits pour le compte de l'Etat, avant que les compagnies aient justifié qu'elles possèdent une notable partie des capitaux nécessaires à l'exécution des travaux, et qu'il devra obliger les compagnies à justifier dans un délai déterminé de la possession d'une partie de ce capital.
Cette mesure est d'autant plus nécessaire, comme on le fait remarquer à côté de moi, que les compagnies ne sont pas liées.
Si on subordonnait l'exécution des travaux pour compte de l'Etat au mauvais vouloir ou à l'impuissance d'une seule compagnie, il y aurait de l'exagéralion ; mais si toutes les compagnies venaient à se trouver dans l'impossibilité d'exécuter les travaux concédés, et que nonobstant les travaux pour compte de l'Etat fussent exécutés, toute cette discussion, à laquelle nous nous sommes livrés, serait une mystification, le mot m'échappe.
Je proposerai un moyen terme : que le gouvernement soit obligé de s'assurer que les compagnies, dans le délai qui leur est accordé pour commencer les travaux, ont réuni la moitié du capital nécessaire et que le gouvernement ne puisse, avant cette époque, mettre en adjudication les travaux qui doivent être exécutés pour compte de l'Etat.
Voici comment je proposerai de formuler cette disposition ?
« Les compagnies concessionnaires seront tenues, avant l'expiration du délai assigné à chacune d'elles pour le commencement des travaux concédés, de prouver qu'elles possèdent au moins la moitié du capital nécessaire. Le gouvernement ne pourra commencer avant cette époque les travaux qui devront être exécutés par l'Etat. »
Dans la discussion générale j'ai indiqué les motifs qui me portent à croire que le gouvernement aurait dû stipuler en premier lieu pour l'achèvement de la ligne principale de Charleroy à Vireux et montrer moins de sollicitude pour certains embranchements, puisqu'on a dispensé de faire les embranchements qui ont le caractère industriel le plus prononcé, d'Oret à la Sambre et de Florennes à la Meuse. Le gouvernement a trouvé une combinaison plus onéreuse que celle que la compagnie proposait.
La compagnie demandait 5 p. c. sur la somme de 5 millions. En supposant que le gouvernement dût payer tout qu'il garantissait, c était une somme de 2 millions 500 mille fr. qu’il eût dû payer ; mais pour assurer l’exécution de certains embranchements, il a préféré engager la garantie de l'Etat pour une somme de 10 millions. Je demande à la chambre de décider qu'elle préfère engager l'Etat pour 2 millions 500 mille fr. que pour 10 millions, qu'elle aime mieux payer un que quatre, quand la compagnie ne demandait pas davantage. Ils sont d'accord qu'il vaut mieux garantir un que quatre.
Pour ne pas payer une garantie de 2,500,000 fr., on préfère en payer une de 10 millions.
J'ai déjà dit qu'il faut obliger la compagnie, quand sur l'ensemble des sections le produit excédera certaine somme, à exécuter, dans le délai que le gouvernement fixera, soit les embranchements industriels, soit ceux auxquels je ne sais quel nom donner.
Quant à ceux d'Oret à la Sambre et de Florennes à la Meuse, quand la compagnie retirera plus de 4 p. c. des capitaux engagés, je demande que le gouvernement puisse l'obliger à les exécuter.
« La garantie de l'Etat cessera lorsque les bénéfices et les fonds d'amortissement auront reconstitué le capital.
« Les avances faites par l'Etat à raison de sa garantie lui seront remboursées au moyen de l'excédant des produits nets au-delà de 5 p. c, lors même que le terme de la garantie serait écoulé.
« Ces produits seront calculés sur l'ensemble des lignes concédées à chaque compagnie.
« La garantie de l'Etat ne prendra cours qu'après l'exécution complète des travaux et la mise en exploitation.
« Le gouvernement stipulera la faculté de racheter les concessions 20 ans après la mise en exploitation des travaux concédés en prévenant les compagnies au moins 3 ans d'avance.
« Le prix de rachat sera calculé au denier 20 d'après le produit net moyen des 5 dernières années, augmenté de 10 p. c. à titre de prime.
« Le gouvernement est autorisé à donner à la société concessionnaire du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse ia garantie d'un minimum d'intérêt de 5 p. c. pour le terme de dix ans sur un capital de 5 millions de francs, à la conditon par la société d'achever avant le 31 décembre 1853 la ligne principale jusqu'à Vireux.
« Lorsque le produit net de ses lignes en exploitation aura été au moins de 4 p. c. pendant une année, le gouvernement pourra obliger la société à construire dans le délai qu'il fixera, soit les embranchements d'Oret vers la Sambre et de Florennes vers la Meuse, soit les embranchements de Philippeville et de Couvin.
« Le gouvernement stipulera en outre les conditions et garanties qu'il jugera nécessaires. »
M. Lebeau. - Dès que le projet important sur lequel la chambre délibère depuis longtemps déjà, a été non pas proposé mais seulement annoncé, j'ai eu occasion de faire connaître que j'y étais radicalement opposé en principe ; que je puisais dans les circonstances en face desquelles nous sommes placés, une exception dilatoire insurmontable pour moi. Cependant, messieurs, connaissant, sans m'exagérer, je vous prie de le croire, mon importance personnelle, connaissant, prévoyant les conséquences toujours fâcheuses d'un nouveau dissentiment grave entre des hommes politiques qui marchent d'ordinaire sous la même bannière, d'une dissidence nouvelle avec des hommes que j'ai presque constamment appuyés, auxquels j'ai souvent donné des témoignages d'estime et de confiance, j'ai gardé le silence le plus longtemps possible, espérant pouvoir le conserver jusqu'à la fin des débats et émettre un vote purement monosyllabique.
La chambre comprendra tout de suite pourquoi il m'est impossible de maintenir ce silence ; elle comprendra aussi que je me suis fait une véritable violence en le rompant en ce moment, dès le début de la discussion des articles.
Je suis fâché de mettre ici en quelque sorte ma personnalité en jeu ; mais l'article premier me fait une situation véritablement exceptionnelle.
J'ai des intérêts personnels liés au succès du projet de loi. Si j'ai le bonheur de n'être pas assez riche pour avoir à m'inquiéter bien vivement du placement de mes capitaux, relativement parlant, je suis grandement intéressé à ce que le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse soit achevé le plus tôt possible. J'ai donc pensé qu'il y avait là une raison de délicatesse pour m'opposer ostensiblement au projet de loi, dont le premier article concerne ce chemin de fer, et pour ne pas le laisser discuter et passer sans constater mon dissentiment au projet tout entier.
Je ne suis pas suspect, vous le comprendrez, d'hostilité au cabinet ; j'ai défendu non seulement à la vérité par sympathie pour lui, mais parce que c'était ma conviction la plus profonde, j'ai défendu toutes les lois d'impôt que le gouvernement a présentées.
J'ai défendu notamment, la chambre me permettra de le lui rappeler, avec toute l'énergie dont je suis encore capable, la loi sur le droit de succession en ligne directe. Le rejet de cette loi, dans les circonstances actuelles, m'aurait paru, sans vouloir en parlant ainsi, jeter le moindre blâme sur d'autres opinions aussi consciencieuses que la mienne, constituer un imprudent défi, jeté à tout ce qu'il y a de plus légitime dans les tendances démocratiques si grandement, si rapidement propagées à la faveur des graves événements que nous connaissons tous.
Nous avions, d'ailleurs, au fond d'autres motifs encore et des plus graves pour voter cette loi d'impôt ; nous, messieurs, qui, dans toutes les circonstances, avons défendu les intérêts de notre organisation (page 1986) militaire, de notre brave armée, nous n’eussions pu, sans nous croire inconséquents, refuser les moyens proposés par le gouvernement, pour faire face aux besoins urgents que nous avions constamment défendus dans cette chambre.
Les dépenses que le gouvernement vous demande l'autorisation de faire sont pour la plupart d'une utilité aussi incontestable pour moi que pour ceux qui les défendent. Mais quand on n'examine des dépenses que sous le rapport de l'utilité, il n'y a plus de bornes. L'utilité n'est pas une question absolue, c'est une question essentiellement relative ; il peut y avoir sur l'utilité des travaux publics proposés, sur l'extension à leur accorder, autant d'opinions consciencieuses qu'il y a de députés dans cette chambre.
Ainsi déjà le champ de l'utilité, que le ministère n'avait pas trop limité, ne s'est-il pas agrandi chaque jour, et ne menace-t-il pas de s'agrandir encore jusqu'à la fin de la discussion ? Non seulement il s'est agrandi par des propositions présentant de l'analogie avec celles qu'a faites le gouvernement lui-même, des propositions dont la section centrale, et dont après elle le gouvernement a reconnu la haute utilité, auxquelles il prête son concours. Mais vous allez voir bientôt combien cette appréciation a pris des proportions plus vastes, depuis que nous nous occupons de la discussion de ce projet.
Il ne s'agit plus, par exemple, comme en 1845, de concéder purement et simplement des chemins de fer, comme le chemin de fer du Luxembourg, malgré la concurrence évidente qu'il devait faire à un chemin de l'Etat ; il ne s'agit plus de simples concessions ; il s'agit maintenant de concessions avec garantie d'intérêt. Nous n'en sommes, toujours d'après l'exemple cité, qu'à la deuxième phase du chemin de fer du Luxembourg.
Il y en a une troisième, qui déjà est sortie du domaine des conjectures par l'amendement que l'honorable M. Orban a présenté.
Première phase : concession du chemin de fer en 1845, et droit qu'on puise dans ce premier fait, pour soutenir que le Luxembourg, leurré par les concessions de 1845, doit avoir cette concession avec garantie d'un minimum d'intérêt.
Si les capitaux font défaut, si la compagnie ne peut se former, le chemin de fer du Luxembourg, au lieu d'un titre en aura deux, la concession de 1845 et la garantie d'intérêt devenue inerte, impuissante en 1852 ; enfin l'amendement de l'honorable M. Orban donnant au succès de cette entreprise une nouvelle chance à laquelle la chambre ne pourra pas résister, à laquelle, quant à moi, dans des circonstances normales, je ne voudrais peut-être pas résister non plus.
Je m'en suis expliqué depuis longtemps : ainsi, que nous n'ayons aucune inquiétude à concevoir ni sur notre situation financière, ni sur notre situation militaire, je ne reculerais pas devant la création d'un chemin de fer qui relierait le Luxembourg au reste du pays. Je crois que ce serait là la réparation d'une espèce d'injustice, et en tous cas un acte de bonne politique.
M. le président. - Je ferai remarquer à l'orateur qu'il ne s'agit pas en ce moment du chemin de fer du Luxembourg.
- Plusieurs membres. - Laissez parler !
M. Lebeau. - Je remercie M. le président de me rappeler à la question. Je me suis en effet laissé entraîner sur un terrain où je ne voulais pas me placer.
Cependant, il m'est impossible, en laissant de côté ce qui a trait au Luxembourg, de ne pas faire valoir une ou deux considérations politiques à l'appui de mon opinion.
M. Delfosse. - Peut-on encore parler du budget de la guerre ?
M. le président. - Il est difficile de bien poser la limite. C'est à l'appréciation de la chambre qu'il faut l'abandonner. J'engage l'orateur à se renfermer dans la question, autant que faire se peut. Je suis persuadé qu'il en comprendra le nécessité.
M. Lebeau. - Je connais, M. le président, l'impartialité, l'esprit de modération avec lesquels vous dirigez nos discussions.
Je suis prêt à déférer à vos observations ; mais je vous prie de veiller à ce qu'elles ne viennent pas d'ailleurs que du bureau.
M. le président. - J'y veillerai. On a le droit de demander la parole pour un rappel au règlement, mais on n'a pas le droit d'interrompre.
M. Lebeau. - Il y a une chose qui honorerait la grande majorité qui se prépare à voter le projet de loi, c'est une tolérance pour l'infime minorité qui a le courage de le combattre.
Du reste, les interruptions ne feront pas gagner une minute à l'assemblée ; je n'en serai que plus long, attendu que je suis décidé, à moins d'une injonction de M. le président, à ne sacrifier aucune de mes observations. Je suis persuadé que personne ne songe à organiser, à propos de ce projet, qui remue tant d'intérêts, une sorte de petite terreur que je ne veux pas qualifier. (Interruption.)
Voilà à quoi les interruptions sont bonnes. ; c'est qu'on s'aigrit d'abord, qu'on fait perdre à l'oralcur la modération qu'il voudrait assurément garder.
Messieurs, on invoque les circonstances au milieu desquelles nous allons bientôt nous trouver ; on y a souvent fait allusion, pour motiver la nécessité de préparer des travaux publics sur tout le pays et notamment, pour rester dans la question, dans l'Entre-Sambre-et-Meuse.
Je suis parfaitement convaincu de la sincérité des motifs qui sont invoqués à l'appui de la loi. Cependant il y a quelque chose d'étrauge, c'est que je me crois tout aussi sincère en puisant dans les circonstances que l'on invoque, les principaux motifs d'une exception dilatoire.
Je crois, messieurs, que c'est précisément en raison dos circonstances en face desquelles nous sommes placés, des événements, je ne dis pas probables, mais possibles de 1852, que le projet doit être, au moins dans ses gigantesques proportions, considéré comme prématuré, comme inopportun.
Vous avez un exemple, messieurs, de l'impossibilité où de tels événements placent l'administration à l'égard des travaux publics. L'honorable M. Vermeire vous l'a rappelé avec beaucoup de raison, c'est de l'histoire contemporaine : le projet de loi de 1848, présenté la veille de la révolution de février, est resté dans les cartons de la chambre, dès que ce grand événement est venu jeter la perturbation dans tous les pays.
Ce qui s'est passé en 1848, par le fait même du gouvernement, qui a parfaitement reconnu l'inanité de toute tentative pour donner suite au projet de loi déposé la veille de ce formidable événement, se reproduirait indubitablement à la moindre apparence d'une commotion bien moindre même que celle de 1848. Comment trouveriez-vous des capitaux ? Comment les compagnies parviendraient-elles à en réunir ? Et si les travaux étaient engagés, comment ces compagnies pourraient-elles trouver les capitaux nécessaires à l'entretien du nombreux personnel occupé à ces travaux ? Evidemment, les compagnies se trouveraient dans cette situation ou de devoir immédiatement renvoyer un nombreux personnel ou de venir, comme l'ont fait non pas seulement des compagnies créées pour construire des chemins de fer, mais des établissements industriels, demander au gouvernement les moyens de continuer à solder leurs ouvriers, sous peine de les renvoyer, de les mettre sur le pavé.
On répondra que dans l'article en discussion il ne s'agit que d'une garantie d'intérêts ; que le trésor public n'est engagé que dans un avenir fort incertain et à coup sûr fort éloigné. Mais c'est là se faire illusion, me semble-t-il ; je maintiens que si des travaux étaient entrepris, au printemps prochain, sur une vaste échelle ; que si quelques mois plus tard les compagnies étaient à bout de moyens, il serait impossible, sous peine de courir les plus grands périls, de ne pas venir à leur secours.
Et d'ailleurs, messieurs, je crois que la garantie d'intérêts faisant défaut à la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse comme à l'égard de toutes les autres, il est difficile pour le gouvernement de se soustraire à l'obligation d'intervenir d'une manière plus directe et de faire travailler à ses frais. Selon moi donc, messieurs, le projet de loi présente de grands dangers, et ce fut mon opinion, je le répète comme je l'ai dit en commençant, non seulement dès qu'il a paru dans cette enceinte, mais dès qu'il y a été annoncé. Je m'en suis expliqué très nettement auprès d'un honorable ministre.
Messieurs, je me croirais inconséquent, en opposition avec la prudence que je prêche, si rejetant par une fin de non-recevoir purement dilatoire et qui dispense par conséquent de s'expliquer sur le fond de la loi, je déniais au gouvernement la faculté qu'il nous demande de pouvoir contracter un emprunt. Non seulement je suis prêt à voter l'autorisation d'emprunt que nous demande le gouvernement, mais je suis prêt à en augmenter le chiffre dans une notable proportion, selon les besoins que le gouvernement viendrait déclarer.
Quel que soit le sort du projet, quelle que soit l'opinion que l'on puisse se former sur l'ensemble ou sur telle ou telle partie du projet, il ne devrait y avoir ici qu'une opinion pour armer le gouvernement d'une forte réserve pécuniaire, en présence des événements qui se préparent. Ce n'est donc pas 26 millions seulement que je serais disposé à voter.
Il ne m'appartient pas d'indiquer le chiffre ; mais je pourrais en voter un plus élevé, si le gouvernement croyait que la prudence politique et sa responsabilité exigent qu'il ne reste pas avec une dette flottante considérable et un trésor vide pour traverser la crise qu'on semble généralement prévoir.
On pourrait d'ailleurs, indépendamment de la réduction et même de l'absorption de la dette flottante, qui n'a jamais été plus impérieusement commandée que dans ces circonstances, accorder une somme plus ou moins considérable, à appliquer à l'achèvement des travaux déjà commencés et notamment à l'achèvement du chemin de fer. Je m'identifie complètement sur ce point avec la pensée de l'honorable M. Rolin, dont la position ajoute beaucoup à l'autorité des observations qu'il a exposées à cet égard et que je viens de présenter à mon tour à la chambre.
Messieurs, je suis peut-être dans l'erreur, mais je dois encore soumettre une réflexion à la chambre : je la présente avec une conviction profonde.
A mon avis, le projet de loi, dans les circonstances où il a été présenté, par les développements qu'il a reçus depuis son entrée dans cette enceinte, par les développements qu'il reçoit encore chaque jour dans la discussion, qu'il reçoit chaque fois, pour ainsi dire, que les députés se mettent en rapport avec leurs commettants, est peut-être une des plus graves atteintes qu'il soit possible de porter au gouvernement représentatif. On a dit longtemps que le gouvernement représentatif est essentiellement un gouvernement à bon marché, et quand on émet seulement un doute sur cette assertion si évidemment réfutée par les faits, quand on prend la liberté de poser quelque restriction à cet axiome, on crie au scandale.
Le gouvernement représentatif est essentiellement un gouvernement (page 1987) à bon marché : témoin ce qui se passe chez nos voisins ; témoin sans doute ce qui se passe chez nous. Messieurs, c'est là une très grave erreur.
Il y a, malheureusement, dans les gouvernements représentatifs plus d'un moyen de popularité ; il y en a deux surtout : l'un c'est de se montrer grand partisan des économies, grand réducteur de pauvres traitements. Il en est une autre : c'est, quand il s'agit de l'intérêt local ; alors l'humeur change, et les principes aussi ; à notre insu, avec les meilleurs sentiments du monde, je l'admets, ceux-là même qui se sont montrés peut-être, dans d'autres circonstances, le plus économes, le plus parcimonieux, deviennent parfois alors les plus prodigues.
Le gouvernement représentatif est assez fort pour qu'on ose lui dire en face ses faiblesses et ses dangers, et nous l'affermirons encore en lui disant la vérité. Le gouvernement représentatif a un immense danger dans la tentation et la facilité de faire des dépenses ; c'est par là, s'il périt un jour, que, peut être, il périra. Il y a, messieurs, de ces mouvements, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez dont les paroles ne sont pas toujours accueillies avec toute la sympathie, je n'oserais pas dire avec toute l'intelligence qu'elles méritent, il y a dans les gouvernements représentatifs de ces mouvements d'opinion, de ces exigences d'intérêt qui poussent énergiquement à la dépense, il y a un penchant presque irrésistible à la dépense dans ces gouvernements, si bons qu'ils soient, si supérieurs qu'ils soient à tous les autres ; souvent ce n'est pas assez de toute la force, de toute l'énergie du pouvoir central pour résister à cette tendance.
Si le pouvoir central, au lieu de résister aux tendances, les encourage, si, par les motifs les plus honorables, sans doute, il semble les exciter, oh ! alors il n'y aurait plus rien à faire ; et l'on serait vraiment simple de faire un discours pour tâcher de gagner quelques voix d'opposition à de pareils entraînements.
M. Pirmez. - Je dois dire un seul mot sur ce que vient de me répondre l'honorable M. de Baillet. Il vient de vous dire que les embranchements de Philippeville et de Couvin étaient destinés à conduire le minerai de fer vers Charleroy, et par conséquent que la convention qui les concerne était faite en faveur de l'industrie de Charleroy. Ce n'est point cette considération qui a fait naitre la convention. Si l'on avait eu en vue le transport du minerai de fer, on n'aurait pas supprimé l'embranchement d'Oret à la Sambre. Le minimum d'intérêt est demandé, non en faveur du district de Charleroy, mais uniquement pour le district de Philippeville.
M. Coomans. - Je demanderai le renvoi à la section centrale des amendements présentés par l'honorable M. Malou. Ils méritent d'autant plus d'être examinés à loisir qu'ils se rapportent à l'ensemble de la loi. J'en demande le renvoi à la section centrale et l'ajournement du vote à demain.
M. Delfosse. - Je n'ai que peu de mots à répondre à l'honorable M. Lebeau. L'honorable M. Lebeau a parlé de tout, excepté de ce qui était en discussion. Dans la discussion générale on avait eu toute latitude ; elle n'avait cessé qu'à défaut d'orateurs inscrits ; l'honorable M. Lebeau ne s'était pas fait inscrire ou, au moins, il n'avait pas réclamé la parole. Sur quoi la discussion a-t-elle été ouverte tantôt par M. le président ? Non pas sur l'article premier, mais sur une partie de l'article premier, sur le chemin de fer de l'Enlre-Sambre-et-Meuse.
Eh bien, l'honorable M. Lebeau n'a rien dit du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse si ce n'est qu'il a quelque intérêt personnel dans cette affaire.
Mais au lieu de parler de ce qui était en discussion, il a parlé de la question de l'armée qui, comme on l'a déjà dit, est une question réservée ; il a parlé des événements de 1852.
M. Dumortier. - Vous en parlez bien vous-même.
M. Delfosse. - Je n'en ai pas dit un mot.
Il a parlé des événements de 1852, qui n'étaient pas en discussion. Il a parlé de l'emprunt qui, selon lui, devrait être beaucoup plus considérable que le gouvernement ne le propose. Un emprunt de 26 millions, pour l'honorable membre, qui ne veut pas de travaux publics, n'est pas suffisant ; il voudrait un emprunt beaucoup plus fort.
L'honorable M. Lebeau, fidèle à ses habitudes, s'est permis une allusion peu obligeante pour ses collègues ; l'honorable membre a raillé impitoyablement ces grands partisans des économies, qui deviennent aujourd'hui très prodigues.
L'honorable membre n'a été en cela que l'écho de l'honorable M. Malou ; l'honorable M. Malou nous avait aussi reproché les demandes d'économies que nous avions soumises à la chambre, et je lui avais répondu que, pour moi, il y a deux espèces de dépenses ; je repousse les dépenses improductives ; mais les dépenses productives, telles que les travaux publics qui doivent faire prospérer l'industrie et le commerce, ces dépenses, je les voterai toujours avec empressement ; et en cela, je croirai rendre un véritable service à mon pays et remplir convenablement le mandat qui m'est confié. Voilà la réponse que j'ai faite à l'honorable M. Malou, je n'en ai pas d'autre à faire à l'honorable M. Lebeau.
M. le président. - Je dois dire à la chambre que si je n'ai pas interrompu M. Lebeau c'est qu'il avait le droit, en combattant la première partie de l'article premier, de donner toutes les raisons pour lesquelles il repousse cette disposition, et je crois qu'il n'est pas sorti des limites de la discussion.
Maintenant j'engage tous les orateurs à se renfermer strictement dans la question.
M. Veydt, rapporteur. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour combattre le renvoi à la section centrale des amendements de l'honorable M. Malou. Si d'autres membres veulent parler après M. Delfosse sur ce que j'appellerai l'incident auquel le dïscours de l'honorable M. Lebeau vient de donner lieu, j'attendrai.
Je me suis demandé, messieurs à quoi bon le renvoi à la section centrale ! Certes, si on avait carte blanche et si on était seul pour modifier les convenions, rien de mieux que de faire en sorte que toutes les stipulations favorables au gouvernement y trouvent place. Mais ce n'est pas ainsi que ces affaires ont pu être traitées. De longues conférences ont eu lieu. Chaque partie a défendu son terrain, pied à pied.
J'ai, pour ma part, la certitude que le gouvernement n'a rien négligé pour obtenir les conditions les plus favorables possible. Il a eu gain de cause sur certains points ; il a dû céder sur d'autres, et de ces débals il est résulté l’arrangement relatif à chacun des trois chemins de fer concédés. Vouloir le modifier dans une disposition essentielle, c'est, en réalité, mettre tout en question et ne rien faire d'efficace et de définitif.
La section centrale, ou pour parler avec une entière exactitude, la majorité de la section, s'est pénétrée des exigences d'une pareille situation et elle a rejeté, en général, les conditions qui tendaient à aggraver les charges des compagnies, après s'être convaincue qu'elles n'avaient aucune chance d'être adoptées par elles.
Tel est l'état des choses, et je serais autorisé à dire que nous n'avons rien fait ni dans les sections, ni en section centrale, ni durant ces dix ou douze jours de discussion publique, si la chambre n'est pas pénétrée de cette vérité. La lecture du rapport de la section centrale me semble cependant bien propre à faire entrer dans les vues que j'expose. Je suis de ceux qui pensent, l'honorable M. d'Elhoungne a notamment défendu cette thèse, que les conditions imposées aux compagnies, loin d'être aggravées, devraient être adoucies, rendues plus favorables pour elles. N'est-ce pas une flagrante contradiction de venir sans cesse prétendre que les compagnies ne réussiront pas à réunir les capitaux et qu'elles ne réaliseront pas les engagements qu'elles sont aujourd'hui disposées à prendre et, d'autre part, de s'ingénier à leur imposer un surcroît de charges et à amoindrir ou anéantir tout ou partie des avantages que les conventions ont pour but de leur assurer ?
Si nous avions, permettez-moi de m'exprimer ainsi, table rase, si nous étions en présence de compagnies, qui abordent leur œuvre pour la première fois, pleines encore des illusions d'une autre époque, alors je concevrais de plus fortes exigences, je concevrais cette application du principe du minimum d'intérêt qui n'est qu'une garantie morale, qu'un talisman, en quelque sorte, comme le conçoit l'honorable M. Dechamps. Mais ces temps sont passés. Il faut des sacrifices aujourd'hui pour relever les compagnies, et c'est en parfaite connaissance de cause que des charges pourraient être imposées au trésor, que les sections, à une exception près, et la grande majorité de la section centrale ont donné leur assentiment à l'article premier du projet de loi.
Je crois pouvoir dire, messieurs, que la majorité de la section centrale est si pénétrée de cette nécessité de position, qu'elle ne nous proposerait pas l'adoption des amendements de l'honorable M. Malou, parce qu'ils tendent à ajouter aux charges déjà imposées aux compagnies. Chacun de vous les appréciera au point de vue où il juge convenable de se placer. Chacun de vous connaît la manière de voir de la section centrale. Le renvoi, qui lui serait fait, laisserait en suspens une décision, qui peut être prise séance tenante Par ces motifs, je crois qu'il n'y a pas lieu d'adopter la proposition de l'honorable M. Coomans.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, comme l'a fait remarquer l'honorable M. Veydt, la situation dans laquelle s'est trouvé le gouvernement vis-à-vis des compagnies était une situation nette, bien indiquée à l'avance.
Avant la conclusion des conventions faites avec les compagnies, plusieurs avaient soumis au gouvernement des propositions qui avaient été envoyées à l'enquête. Ainsi, pour ne pas sortir du débat, lacompagnie de l’Entre-Sambre-et-Meuse avait soumis au gouvernement des propositions qui tendaient à obtenir la garantie d'un minimum d'intérêt de 5 p. c, à concurrence d'une somme de 5 millions pour 10 ans ; la compagnie demandait en même temps à être exonérée de tous les embranchements qui avaient été imposés par la loi de 1845 ; le gouvernement envoya ses propositions à l'enquête ; quel fut le résultat de l'enquête ?
Une forte opposition se produisit contre l'exécution des embranchements. La députation permanente de Namur émettait l'avis qu'il y avait lieu de maintenir la loi de concession quant aux embranchements : Elle estimait que pour conserver l'équilibre entre les producteurs métallurgiques des différents gîtes de l'Entre-Sambre-et-Meuse, il fallait obliger la compagnie à exécuter ses engagements. D'un autre côté les industriels avaient fait de grandes dépenses de travaux sur la foi de l'exécution des embranchements.
En présence de ces avis, émis par les autorités, le gouvernement devait poursuivre l'exécution intégrale de tous les engagements contractés par les compagnies.
La compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse avait, par extension, obtenu la concession d'un chemin de fer qui avait été sollicité par un autre demandeur, chemin de fer qui était en quelque sorte parallèle au sien et qui devait lui faire une concurrence redoutable. En prévision du tort que ce chemin de fer pouvait lui faire, la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse avail réclamé le droit de l'exécuter, à titre d'extension. Le gouvernement a pensé que, puisque l'exécution de ce chemin (page 1988) devait absorber un capital d'environ 12 millions, et qu'il ne devait amener qu'un résultat peu en rapport avec l'énormité de cette dépense, on pouvait accorder à la compagnie l'exonération de cette ligne.
La garantie d'intérêt portait dès lors sur un capital de 5 millions, et quelle peut en être la portée ? Il suffit de lire la convention qui a été conclue avec cette compagnie, pour se convaincre que c'est une pure illusion de la part de l'honorable M. Malou que de supposer que toute la garantie devra être couverte : qu'il s'agit pour le gouvernement d'un sacrifice de 200,000 francs. Ainsi, comment évaluera-t-on le revenu net des embranchements ? Voici le calcul adopté par le gouvernement, calcul qui est rationnel et qui doit être admis par tout le monde.
L'on calcule la dépense de l'exploitation par rapport au revenu brut de toute la ligue. Je suppose que pour le tronc principal qui doit être si productif, dont on disait des merveilles en 1845 - car c'était le meilleur chemin de fer des chemins de fer concédés en 1845, d'après la déclaration de l'honorable M. Dechamps - je suppose que la dépense d'exploitation, par rapport au revenu brut soit de 30 p. c ; l'on prendra 30 p. c. sur le revenu brut fourni par les embranchements. Il restera toujours quelque chose qui viendra en déduction des 4 p. c. que le gouvernement s'engage à bonifier à la compagnie.
La pensée qui a dirigé le gouvernement a été sérieuse ; les efforts faits par les compagnies, bien avant la conclusion de ce traité, attestent le caractère sérieux des conventions qui sont intervenues.
La compagnie, lorsque les conventions provisoires ont été conclues, a réuni ses actionnaires en assemblée générale ; elle leur a soumis des propositions sur les bases acceptées provisoirement par le gouvernement, et les actionnaire ont admis ces propositions ; et je laisse à la conscience de la chambre de juger, si lorsque des capitalistes, après avoir versé 15 millions dans le pays, viennent encore s'engager à exécuter le tronc principal, ce ne serait pas une véritable dérision de leur dire : « Lorsque vous aurez 5 p. c. de l'argent que vous allez immobiliser dans l'exécution de ce chemin de fer, nous en demandons notre part. » Si l'amendement de l'honorable M. Malou devait passer dans nos lois, je déclare que, dans ma pensée, il n'y aurait plus un seul capitaliste en Angleterre qui voulût jamais engager des capitaux dans l'exécution d'un des chemins de fer sur le continent. Voilà pour le premier amendement de l'honorable M. Malou.
La garantie de l'Etat, dit M. Malou dans son deuxième amendement, ne devrait prendre cours qu'après l'entier achèvement des travaux.
Pourquoi cette nouvelle entrave apportée aux entreprises des compagnies ? Les embranchements seront faits, mais l'exécution de chacun de ces embranchements aura coûté moins que le capital sur lequel portera la garantie de l'Etat ; pourquoi vouloir que la garantie ne commence qu'après l'achèvement de tous les travaux ? Pourquoi cet esprit d'hostilité, quand il est reconnu que ce n'est qu'en venant en aide aux compagnies, en leur donnant une assistance sérieuse qu'on pourra amener l'exécution complète des travaux concédés ?
Le gouvernement devrait stipuler le rachat au bout de 20 ans ; c'est-à-dire que la compagnie qui, depuis 1845, a 15 millions immobilisés qui ne rapportent rien, devrait, quand l'entreprise présenterait quelques chances de bénéfice, être exposée à se la voir enlever. Le gouvernement pourrait ainsi s'emparer du fruit des capitaux placés improductivement pendant un certain nombre d'années.
Quant à l'embranchement, d'Oret et de Florennes, je dirai encore un mot. Imposer l'exécution de ces embranchements à la compagnie, c'est lui imposer une charge nouvelle de 12 millions ; il serait nécessaire de faire porter la garantie d'intérêt sur cette somme, et encore il est douteux que la compagnie voulût se charger de leur exécution.
Il y a un point qu'on ne doit pas perdre de vue, c'est que toutes les localités intéressées à l'exécution des travaux ont réclamé l'adoption de la convention passée par le gouvernement. Je n'ai pas connaissance que la moindre réclamation soit arrivée. Et la chambre sait avec quel soin extrême les localités s'adressent à elle ou au gouvernement quand elles sont menacées de perdre un avantage qui leur a été garanti par une concession quelconque. Je partage l'avis de l'honorable M. Veydt, je pense aussi qu'il est inutile de renvoyer les amendements à la section centrale ; la chambre comprendra qu'une convention étant intervenue entre le gouvernement et les compagnies et cette convention avant été soumise à l'approbation des actionnaires, il deviendrait très difficile de la modifier dans ses dispositions essentielles et surtout d'une façon aussi malheureuse que le propose l'honorable M. Malou.
M. Malou. - Je croyais pouvoir me borner aux quelques explications sommaires que j'ai présentées à l'appui de mes amendements, mais d'après l'attitude que prend M. le ministre des travaux publics, je dois entrer dans quelques développements plus étendus. Quand la section centrale déclare par l'organe de son honorable rapporteur que son opinion est déjà formée...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Elle a examiné.
M. Malou. - Elle n'a pas examiné, et je vais le prouver. Mais ne m'interrompez pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez interrompu vingt fois M. le ministre des travaux publics.
M. Malou. - Pas une seule fois. Au reste, quant aux interruptions qu'on peut se permettre entre les ministres et les membres, il y a cette différence que les ministres, ayant toujours la parole quand ils la demandent, devraient plutôt s'abstenir d'interrompre ; ceci soit dit en passant.
M. le ministre m'a accusé d’agir avec un esprit d'hostilité contre les compagnies. En présence de quels faits cette accusation est-elle produite ? Par le minstre qui a établi le système des frais fixes et des petites distances pour tuer les compagnies qui se sont fiées à votre parole en 1845. Voilà ceux qui sont hostiles aux compagnies.
Cet incident est grave parce que l'intérêt engagé dans cette question, ce n'est pas un intérêt auquel vous satisfaites avec quelques centaines de mille francs portés au budget des voies et moyens. C'est l'avenir de 90 ans que vous engagez. Vous dites : J'espère qu'il me suffira de garantir quelques pour cent. Vous vous donnez la popularité de paraître faire beaucoup et vous léguez à l'avenir un embarras immense. Songez, avant de clore le débat, que vous allez décider que vous ne voulez pas même que la section centrale examine.
Je demande que la section centrale veuille bien examiner sans parti pris mes amendements ; il y a autre chose, d'autres propositions que celles dont vous a entretenus M. le ministre des travaux publics ; il y a cette question de savoir s'il y a lieu de laisser exécuter par l'Etat les travaux mentionnés au paragraphe 3 du projet, alors que par de fatales circonstances aucune autre entreprise ne pourrait avoir de suite. C'est là une question sur laquelle la section centrale n'a pas de parti pris.
Je me résigne à la décision par laquelle la chambre a déclaré le projet indivisible ; mais si on repousse le renvoi que je demande, on décide quelque chose de plus, que dans ses moindres détails le projet est immuable, qu'il ne peut pas être amendé ; alors je dirai : Que faisons-nous, que discutons-nous ? Ayons de la franchise, votons puisqu'il n'y a pas moyen d'introduire le moindre changement dans le projet.
Je comprends autrement la situation et notre mandat, je conçois aujourd'hui comme en 1845 que nous avons le droit d'examiner sans être hostiles aux compagnies, sans être hostiles à l'avenir de nos finances, si sans détruire le contrat on ne peut pas y introduire de nouvelles conditions qui satisfassent mieux tous les intérêts engagés dans le projet.
En ce moment nous examinons quelque chose de sérieux, nous exerçons un droit ; il ne s'agit pas de voter des conventions telles qu'elles sont présentées, nous devons les amender dans les parties qui nous paraissent défectueuses.
Ce n'est pas une pensée d'hostilité contre les compagnies qui a dicté les propositions que j'ai soumises à sa chambre. Je désire que le gouvernement modifie radicalement la politique à l'égard des compagnies, car c'est la seule chance possible pour que des nouveaux capitaux arrivent en Belgique.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Comment fait-on en Angleterre, en ce qui concerne le principe de la plus courte distance ?
M. Malou. - Nous ne pouvons pas discuter pour le moment le principe de la plus courte distance, c'était le cas dans la discussion générale. M. le ministre n'a rien répondu, ni à M. Dechamps, ni à mes observations.
Je disais, quand M. le ministre m'a interrompu de nouveau, que sans nuire aux compagnies, nous pouvions améliorer à certains égards les contrats.
Ainsi, n'est-il pas évident que sauf à fixer la limite, nous ne pouvons pas admettre l'Etat comme engagé pendant cinquante ans à donner un minimum d'intérêt, par exemple lorsque par le bénéfice réalisé pendant une certaine période, le capital de la société serait entièrement constitué.
N'est-il pas évident que si la compagnie venait à la cinquante et unième année à faire dix, quinze, vingt p. c, il serait juste que la compagnie remboursât à l'Etat les avances, les simples prêts qu'il lui a faits ?
C'est là une clause résolutoire. Peut-on dire qu'en proposant de pareilles dispositions, je veuille détruire de cette manière un ensemble de travaux publics ?
Le lendemain du jour où cette proposition sera adoptée, la force du gouvernement sera la même qu'aujourd'hui, le même intérêt qui attache les compagnies à l'exécution de leurs entreprises, lorsque nous ne proposons pas des clauses qui déterminent la résiliation du contrat, les force à accepter cette condition, qui est raisonnable, qui est juste, qui ne les empêche pas de réunir les capitaux qui leur sont nécessaires.
Maintenant une méchante enquête sur la question spéciale de l'Entre-Sambre-et-Meuse, le résultat de l'enquête a été qu'il fallait maintenir tous les embranchements et l'on invoque le résultai de l'enquête en faveur d'une convention par laquelle on a sacrifié une partie des embranchements, et je crois l'avoir prouvé, on a sacrifié les embranchements industriels les plus utiles pour maintenir les autres.
Je le demande, pourquoi le gouvernement, afin de maintenir non pas un embranchement, mais deux embranchements, en supprimant deux autres, pourquoi le gouvernement prend-il plaisir d'adopter avec la compagnie une convention qui l'obligerait éventuellement à payer dix millions plutôt que d'adopter des réserves faites, quant aux embranchements, et une combinaison telle qu'elle force le trésor à payer éventuellement deux millions au lieu du quart de ce que l'on vous demande. L'honorable ministre n'a pas non plus répondu sur ce point.
Pour moi, je désire que la chambre et la section centrale, sans parti pris comme je les ai présentées moi-même, veuille bien examiner les propositions. Il n'en résultera pas de retard ; la discussion pourra continuer sur les autres objets.
(page 1989) M. Coomans renonce à la parole.
M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits.
M. Dumortier. - Je demande h parole.
M. le président. - La discussion est close.
M. Dumortier. - Mais, M. le président, vous avez dit seulement : Il n'y a plus d'orateurs inscrits.
M. le président. - Pardon ! la discussion est close.
- La proposition faite par M. Malou de renvoyer les amendements à la section centrale est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. le président. - Nous avons clos la discussion sur la première partie de l'article premier.
M. Dumortier. - Je demande la parole sur la position de la question.
M. le président. - Je ne l'ai pas encore posée. Il s'agit de savoir si la chambre entend continuer la discussion sur l'article premier. (Non ! non !) Ainsi la chambre entend voter sur la première partie de l'article premier ? (Oui ! oui !)
M. Dumortier. - Je suis surpris d'entendre dire que la discussion a été close ; elle l'a été sur le renvoi à la section centrale, mais non sur l'importante question de la garantie du minimum d'intérêt. J'ai des observations à présenter sur cette question, dont on ne s'est pas occupé. On a parlé de tout autre chose. Il serait étrange que la chambre voulût entrer dans cette voie nouvelle, sans qu'il y eût eu discussion.
Je demande donc que la discussion soit ouverte sur la question de la garantie du minimum d'intérêt et qu'on examine une pareille question avec toute la maturité qu'elle exige.
M. le président. - M. Dumortier est dans l'erreur. Il a quitté la salle lorsque la discussion continuait. Il y avait plusieurs orateurs inscrits sur la question relative au premier objet de l'article premier. Pendant cette discussion est venue la proposition de renvoyer les amendements à la section centrale. La discussion a continué sur l'un et l'autre objet, et elle a été close parce qu'il n'y avait plus d'oratenrs inscrits. Je sais que M. Dumortier avait demandé la parole ; mais lorsque son tour de parole est venu, il était dans la salle voisine.
M. Dumortier. - Je n'élais pas dans la salle voisine, j'étais assis à côté de l'honorable M. de Muelenaere et de l'honorable M. Rodenbach. M. le président dit qu'il n'y avait plus d'orateurs inscrits ; mais il ne s'agissait que du renvoi des amendements à la section centrale, et non de la question de la garantie d'un minimum d'intérêt, qui n'a nullement été examinée.
M. le président. - On propose de rouvrir la discussion sur le premier objet de l'article premier. Je vais consulter la chambre.
- La chambre décide que la discussion sera de nouveau ouverte.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne veux parler que d'un seul objet, celui qui à mes yeux domine tout l'artice premier, la question de garantie d'un minimum d'intérêt. Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette chambre, j'ai toujours été très opposé à ce système parce que, dans mon appréciation, je ne sais où le pays s'arrêtera, avec ce système, et je dois le dire, messieurs, vous pouvez par ce moyen grever le trésor public de manière à faire de la Belgique un pays qui ne soit plus gouvernable au point de vue des finances et des impôts.
On se laisse difficilement aller, on a du moins certaines réserves pour les dépenses qu'on place directement à la charge du trésor public ; mais il n'existe plus de réserve, lorsqu'il s'agit de la garantie d'un minimum d'intérêt.
Chacun arrive avec son projet, avec son canal, avec son chemin de fer, et alors, messieurs, où la chambre s'arrêtera-t-elle ? Elle ne s'arrête nulle part ? C'est à mon avis une des dispositions les plus sérieuses, les plus graves que l'on puisse présenter à la législature.
La question de la garantie du minimum d'intérêt en matière de travaux publics, n'est pas nouvelle ; elle a été introduite, si ma mémoire n'est pas infidèle, pas nos anciens collègues, MM. Zoude, Puissant et Séron. La chambre à cette époque s'est toujours montrée défavorable à l'introduction de ce système.
Mon honorable ami M. Dechamps, qui ne partage pas mon opinion sur ce point, avait présenté un rapport favorable à ce système ; ce rapport n'a jamais eu l'honneur d'être mis en discussion. Il y a plus, lorsque mon honorable ami présenta pour la première fois le projet de loi précisément relatif au chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse, projet auquel M. le ministre des finances a fait allusion dans une séance précédente, et qui stipulait une garantie de minimum d'intérêt, toutes les sections de la chambre ont rejeté ce système, et c'est par suite de ce rejet que mon honorable ami a déterminé la compagnie à consentir à la concession sans garantie du minimum d'intérêt.
Voici, messieurs, la véritable situation des précédents de la chambre :
La chambre a donc jusqu'ici toujours repmssé le système de la garantie du minimum d'intérêt. Jamais elle n'a émis de vote favorable à ce système, à tel point que le ministre a dû retirer le premier projet dont je viens de parler et le remplacer par un autre portant concession sans garantie de minimum d'intérêt.
Messieurs, je concevrais la garantie d'un minimum d'intérêt, si elle s'appliquait à des travaux indispensables. Je la concevrais par exemple pour le tronc principal du chemin de fer du Luxembourg, mais ce que je ne puis concevoir en fait de semblable garantie, c'est qu'on l'accorde pour des embranchements que l'on sait d'avance devoir être improductifs, c'est qu'on l'accorde pour des travaux qui concernent exclusivement des localités sans importance, un village, une petite ville de douze à quinze cents habitants.
Je concevrais, en admettant ce système, qu'on accordât une garantie d'un minimum d'intérêt pour le chemin de fer direct qui, traversant le Luxembourg, mettrait la ville d'Arlon, en communication avec la capitale. Il y aurait là du moins un intérêt politique. Mais je ne puis concevoir la garantie d'un minimum d'intérêt appliqué à un chemin de fer de six lieues, pour aller à Bastogne, ville qui. je crois, a 2.000 ou 2,500 habitants. Je ne conçois pas la garantie d'un minimum d'intérêt pour conduire le chemin de fer à Marche, qui a la même population. Je ne la conçois pas pour conduire le chemin de fer dans quelques villages de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Il est évident que la garantie d'intérêt pour de semblables travaux, c'est l'engagement de payer une somme pendant 50 années.
Or, messieurs, servez-vous l'intérêt général quand vous venez ainsi établir des chemins de fer dans des localités de 2,500, de 2,000, de 1,800, de 1,200 habitants ? Non, messieurs, vous ne servez pas l'intérêt général, car si vous serviez l'intérêt général, vous devriez faire des chemins de fer dans toutes les localités de semblable importance, et perssonne n'oserait venir le proposer la chambre, car ce serait la ruine du trésor public.
Mais voyez, messieurs, où mène ce système. Le gouvernement, d'accord avec la section centrale, vous propose aujourd'hui de faire porter la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur des travaux s'élevant à l'énorme capital de 57,500,000 francs. Eh bien, qu'est-ce que la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur 57,500,000 francs ? Cela forme, messieurs, un intérêt annuel de 2,292,000 fr., et cette dernière somme payée pendant cinquante années forme un capital de 114,600,000 francs.
Voilà là somme que l'on vous convie aujourd'hui à faire payer par le trésor public, : 114,600,000 fr., au moyen de la garantie d'un minimum d'intérêt.
- Un membre. - Et les intérêts composés.
M. Dumortier. - Je ne parle pas des intérêts composés. Je parle seulement de la somme que vous devrez payer directement pour service de la garantie d'intérêt du capital nu que l'on prendra au trésor.
Ainsi indépendamment des intérêts composés et de l'amortissement que vous devrez faire, on prélèvera sur le trésor public en 50 ans une somme de 114,000,000 fr.
Eh bien ! je vous le déclare, pour mon compte il m'est impossible de donner mon vote à un. chiffre aussi énorme, aussi fabuleux.
Je ne pense pas que nous devrions afficher une pareille indifférence en matière des finances du pays.
Vous voilà donc par ce système grevés d'une somme de 114,600,000 fr. Mais, vous dira-t-on, vous aurez des produits.
Messieurs, vous ne pouvez fermer les yeux les yeux sur les faits : quels sont les travaux auxquels on vous propose d'affecter une garantie de minimum d'intérêt ?
A l'exception d'une seule ligne, ce sont tous chemins de fer que dans notre persuasion, la main sur la conscience, nous savons devoir rapporter à peine les frais d'exploitation.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pourquoi les a-t-on concédés ?
M. Dumortier. - Pourquoi on les a concédés ? C'était au corps défendant de ceux qui les entreprenaient. Le trésor public n'y était d'ailleurs pour rien ; et certes si une société possédant des capitaux venait demander la concession d'un chemin de fer, je la lui accorderais, libre à elle de faire des bénéfices ou de ne pas en faire.
Quand vous venez demander au trésor public des sommes si considérables, nous avons à examiner, non plus des questions de concessions, mais les sacrifices que nous avons à faire. Eh bien, je dis que ces sacrifices sont tout à fait hors de proportion avec les services que les travaux dont il s'agit peuvent rendre.
Comment ! vous avez fait le chemin de fer de l'Etat, vous avez relié à la capitale tous les chefs-lieux des provinces, sauf celui du Luxembourg, vous avez relié à la capitale tous les grands centres de population, et maintenant vous allez, au moyen de la garantie d'un minimum d'intérêt faire des chemins de fer pour les localités de 1,200, de 1,500, de 2,000 habitants !
Où arriverez-vous avec ce système ? Mais, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Lebeau, vous prouvez par la que le gouvernement constitutionnel peut devenir le plus cher des gouvernements. Quant à moi, je veux sincèrement les maximes de 1830 : liberté, économie.
Je viens de vous démontrer, messieurs, que vous avez à faire face, chaque année, pour la garantie d'intérêts, à 2,292,000 francs ; mais on vous propose, d'un autre côté, pour 20 millions de travaux publics à exécuter par l'Etat ; dans la supposition que vous empruntiez au pair vous aurez 5 p. c. et 1 p. c. d'amortissement sur ces millions, ce qui donnera annuellement encore 1,560,000 francs.
En ajoutant cette dépense à celle qui résultera de la garantie d'intérêt, vous aurez chaque année 4,852,000 fr., c'est-à-dire près de 5 millions d'impôts nouveaux que vous aurez à faire peser sur le peuple. Voilà, messieurs, le résultat direct du système dans lequel vous entrez.
Quant à moi, je le déclare, je ne veux pas charger le peuple de nouveaux impôts ; je veux l'économie, en toutes choses, non seulement dans (page 1990) les petites choses, comme l'honorable M. Delfosse, mais aussi et surtout dans les grandes dépenses. Et qu'importe que vous ayez réduit 8,000 fr. sur la cour des comptes ; que vous ayez supprimé quelques fonctions dans l'ordre judiciaire, que vous ayez fait ainsi une économie de 50 ou de 100 mille francs, si vous finissez par arriver à 5 millions d'impôts nouveaux !
Rappelez-vous, messieurs, le cri des électeurs en 1848. A la suite de la dissolution, il n'y avait dans toute la Belgique qu'un cri : économies, économies !
Eh bien, voyez combien nous sommes loin de compte. Il me serait facile de vous démontrer que la somme d'impôts que paye aujourd'hui le peuple belge est plus forte que celle qu'il payait sous le gouvernement hollandais. (Interruption.) Si on le conteste, je me charge de le démontrer à l'instant même. J'ai les chiffres sous les yeux ; ils sont frappants.
L'honorable M. Delfosse vous disait tout à l'heure qu'il ne veut que des dépenses productives.
Eh bien, messieurs, je vous le demande, quels produits le trésor public retirera-t-il de toutes ces garanties d'un minimum d'intérêt ? Quand vous aurez grevé le trésor de cette énorme somme de 114 millions pour garantie d'intérêts, que toucherez-vous en échange ? Vous ne toucherez pas un centime. C'est donc là une dépense éminemment improductive pour le trésor public. Vous enrichirez peut-être quelques particuliers, mais autre chose est le compte des particuliers et autre chose est le compte du trésor public ; vous pouvez très bien, tout en développant la richesse nationale, ruiner le trésor public.
La France, dans le siècle dernier, a fait trois fois banqueroute, et cependant elle jouissait d'une grande prospérité.
Ce que doit faire un législateur sage, c'est de soigner autant que possible les intérêts particuliers sans amener la ruine du trésor public. Eh bien ! entrer dans le système de la garantie d'un minimum d'intérêt, c'est ouvrir un gouffre dans lequel le pays ne peut manquer de se précipi ter.
Je veux, pour mon compte, la nationalité, pour laquelle nous avons fait tant de sacrifices et tant d'efforts, mais il faut la maintenir avec ses principes, et parmi ces principes se trouve en première ligne l'économie. Eh bien, il n'y a point d'économie quand au moyen de pénibles efforts, au moyen de sacrifices imposés à quelques fonctionnaires, vous réduisez vos budgets de 50,000 ou de 100,000 fr. et que vous dépensez ensuite le décuple en travaux publics.
Je suis donc opposé, messieurs, au système qu'on nous présente, alors surtout qu'il s'agit, non pas de grandes créations pour relier les provinces à la capitale, mais d'embranchements qui conduisent à des localités insignifiantes, bien que très respectables.
Lorsque vous accordez à des localités de 1,000 ou 2,000 habitants des chemins de fer de 8 lieues, comme il y a de milliers de localités de cette importance en Belgique et que vous devez traiter tout le monde de la même manière, vous arriverez, si vous voulez être conséquents, à sillonner le pays de chemins de fer, au moyen de la garantie d'un minimum d'intérêt. Il y aurait alors autant de chemins de fer, dans les Flandres qu'il y a de chemins vicinaux.
Messieurs, je combats donc le principe de la garantie d'un minimum d'intérêt. Je le combats dans l'intérêt de notre nationalité, de notre indépendance, car nous pouvons avoir besoin de faire face à de très grandes dépenses,et il est évident qu'en vous jetant ainsi dans une voie nouvelle, dont il est impossible de prévoir l'issue, nous compromettons au plus haut degré les finances du pays.
M. Dechamps. - (page 1993) Je ne veux pas, messieurs, que l'on me considère comme hostile aux compagnies. Je violerais complètement tous mes antécédents et mes convictions. Je veux faciliter l'exécution des chemins de fer concédés en 1845 et en 1846. Je reproche au contraire au gouvernement d'avoir montré de l'hostilité envers les compagnies, d'avoir découragé d'avance les capitaux auxquels il fait aujourd'hui appel. Mais nous aurons à revenir sur ce point, car je pense qu'un amendement sera présenté pour résoudre une bonne fois la question des courtes distances.
Messieurs, dans la discussion générale j'ai exprimé le regret qu'il n'eût pas été pris certaines garanties pour assurer mieux l'exécution des travaux à concéder et pour mieux garantir l'intérêt du trésor public ; ce n'était pas dans un but d'hostilité et pour entraver l'exécution du projet du gouvernement ; c'était, au contraire, pour assurer cette exécution.
Sous certains rapports, je ne suis pas éloigné de partager l'opinion défendue par l'honorable M. d'Elhoungne, lorsqu'il a prétendu que certaines parties des conventions étaient difficiles et onéreuses pour les compagnies.
Aussi, je ne réclame pas toutes les garanties qui étaient nécessaires en 1845, mais qui, aujourd'hui, pourraient empêcher la formation du capital ; je crois qu'il faut, autant que possible, faciliter la réunion du capital.
En 1845, nous avions à lutter contre la fièvre et les abus de la spéculation ; aujourd'hui nous avons à encourager les capitaux timides.
Les circonstances sont donc différentes. Mais, messieurs, les garanties dont j'ai parlé et que l'honorable M. Malou voudrait voir introduire dans la loi, ne sont pas de nature à gêner la formation du capital des compagnies, au contraire ; j'ai regretté l'absence de deux sortes de garanties dans le projet, les garanties relatives à l'exécution et celles tendant à sauvegarder l'avenir de nos finances. Voici les garanties d'exécution qui ne se trouvent pas dans les conventions actuelles : la première, c'est qu'on a accordé un délai pour la formation des compagnies, c'est que, comme l’a prouvé à la dernière évidence l'honorable M. Rolin, l'Etat est lié par la loi envers les compagnies, tandis que les compagnies ne sont nullement liées envers l'Etat.
J'ai regretté, en second lieu, l'absence pour certaines lignes d'un cautionnement préalable ; c'est là une condition qui, loin de contrarier la formation du capital, est la condition même de cette formation. Si l'on n'avait pas accordé aux compagnies un délai jusqu'au printemps prochain, en leur laissant la faculté de décider si elles exécuteront les travaux, ou si elles abandonneront leurs concesssions, n'est-il pas clair que l'on aurait forcé les sociétés à se constituer immédiatement, à faire tous les efforts possibles pour réunir leurs capitaux sans délai, tandis qu'aujourd'hui qu'il leur est permis d'attendre, qu'aucun cautionnement, même provisoire, n'est exigé qu'aucune pénalité n'est stipulée pour leur désistement, il est à craindre qu'aucun essai sérieux pour constituer le capital ne sera tenté avant six mois et que les événements ne fassent disparaître ces compagnies non constituées.
Maintenant que demande l'honorable M. Malou sous le rapport de la garantie d'intérêt ? Demande-t-il des clauses résolutoires ? Exige-t-il des conditions qui puissent embarrasser les compagnies ? Pas le moins du monde. La principale clause sur laquelle insiste mon honorable ami, c'est que quand le gouvernement aura été appelé, comme garant, à faire des avances à la compagnie dans les années peu prospères, la compagnie soit tenue, pendant toute la durée de la concession, au remboursement de ces avances. Or, je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir nous donner une raison quelconque pour combattre cette partie de l'amendement de mon honorable collègue.
Lorsque dans les premières années, par exemple, le gouvernement aura été appelé à payer en tout ou en partie l'intérêt garanti, et si plus tard, même après l'époque où cesse la garantie, la compagnie réalise des bénéfices élevés, pour quel motif voulez-vous qu'elle ne doive pas à l'Etat le remboursement des avances de celui-ci ? Cela a toujours été stipulé dans toutes les conventions portant garantie d'un minimum d'intérêt. Le payement de la garantie accordée, est un prêt et non un subside ; la compagnie doit être obligée au remboursement pendant la durée entière de la concession, si les bénéfices obtenus le lui permettent.
Mon honorable collègue a indiqué une autre disposition, c'est que la garantie devrait cesser lorsque le capital aurait été couvert et reconstitué par les bénéfices et l'amortissement. Cette clause est rationnelle, et je ne comprends pas pour quelle raison on l'a omise.
Je dis donc, messieurs, que je ne voudrais pas voter des clauses qui pussent le moins du monde être considérées comme résolutoires ; mais j'attends que M. le ministre m'explique comment les propositions faites par l'honorable M. Malou ont ce caractère.
Messieurs, dans une séance précédente, M. le ministre des finances, répondant à une partie du discours que j'avais prononce dans une séance antérieure et qui se rapportait à la question du minimum d'intérêt ; M. le ministre des finances a fait l'objection que voici :
« L'honorable M. Dechamps a stipule, en 1845, des garanties qui ne sont pas toutes reproduites dans les conventions actuelles ; mais, voyez de quelle valeur ont été ces garanties et à quel résultat il serait arrive pour la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse ; cette compagnie a (page 1994) dépensé son capital tout entier, et les bénéfices de l'exploitation ne montent pas même à 1 p. c. ; qu'aurait fait M. Dechamps en présence de ce résultat ? Il aurait payé 600,000 fr. du chef de la garantie. »
La réponse a cette objection est bien facile : d'abord, dans le système de 1844, le gouvernement n'aurait rien payé du tout, du chef de la garantie, puisque la garantie ne courrait qu'après l'achèvement complet des travaux ; il n'aurait payé les 600,000 fr. que si le principe du projet de loi actuel avait été admis, principe d'après lequel la garantie court, à partir de l'ouverture de chaque section.
Mais comment M. le ministre des finances a-t-il pu argumenter des produits d'une ligne qui n'est qu'à moitié achevée ? Si ce chemin de fer était terminé, s'il était relié à la Meuse, je concevrais la valeur de l'objection présentée ; mais à l'égard de tronçon de ligne, elle ne prouve absolument rien.
Il y a plus, le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse aurait produit dès à présent des résultats plus satisfaisants, sans le système du tarif du 1er septembre sur les chemins de fer.
En effet, comme l'a dit tout à l'heure l'honorable M. Malou, d'après le système de frais fixes qui pèsent sur la première lieue tout entière, voici ce qui arrive : par exemple, lorsque le minerai provenant des minières de Morialmé, et en destination des usines du bassin de Charlcroy, arrive à la station de l'Etat à Marchienne, il a encore 1/2, 3/4 ou une lieue à faire pour parvenir au fourneau.
Or, d'après le système du tarif du 1er septembre, le franc de frais fixe frappe tout entier sur la demie, ou les trois quarts ou la lieue entière ; de manière qu'on rend pour ainsi dire impossible le transport du minerai vers les usines. Ce tarif a été très préjudiciable aux lignes concédées et en particulier au chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse.
Il est une autre considération à présenter : lorsqu'on a concédé ce chemin de fer, il s'agissait d'un chemin de fer industriel et économique ; il a plu à la compagnie de le transformer en un chemin de fer pour les voyageurs, ce qui devait entraîner l'exécution de la ligne entière à double voie avec des travaux d'art et des tunnels très dispendieux ; la compagnie aurait pu facilement avec 15 millions exécuter le chemin de fer, tel qu'il était conçu d'abord.
Vous voyez donc, messieurs, que la seule objection que l'honorable ministre des finances a opposée aux observations critiques que j'avais présentées en ce qui concerne le mode d'application de la garantie d'intérêt, ne résiste pas à l'examen.
Quant à l'amendement de l'honorable M. Malou qui demande que la garantie d'intérêt porte sur la dépense du tronc principal, mais en exonérant la compagnie de l'exécution des embranchements, je ne voudrais pas me prononcer sur cette proposition, car, comme je le disais tout à l'heure, je craindrais qu'en votant une clause qui serait regardée comme résolutoire pour la compagnie, le chemin de fer ne fût pas achevé.
Cependant je pense que le système de l'amendement de l'honorable M. Malou serait préférable, si la compagnie l'adoptait, et je dois croire qu'elle l'adopterait, puisque c'est le système que la compagnie avait primitivement présenté ; c'est le gouvernement qui s'y est opposé. Or, ce système aurait été favorable à la fois et à l'intérêt industriel qu'on avait en vue en concédant le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse et à l'intérêt du trésor.
Le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse a été concédé surtout à un point de vue industriel, c'est-à-dire qu'il devait servir à transporter le minerai vers les usines et la houille et le fer vers la Meuse et vers les Ardennes françaises. Il est évident que l'amendement de mon honorable ami eût été préférable, quant à l'intérêt industriel. L'achèvement du tracé principal jusqu'à la Meuse à Vireux, l'exécution des embranchements reliant les minières de Morialmé et les chances d'exécution qu'il laisse pour les branches d'Oret et de Florennes, sont d'un intérêt industriel bien plus grand que la construction de la ligne vers Philippeville.
En ce qui concerne le trésor public, mon honorable ami a prouvé que, d'après son système, si l'Etat était tenu à payer la garantie tout entière, il n'aurait à payer que deux millions et demi, tandis que, dans le système du gouvernement, il pourrait être tenu à en payer dix.
Toutefois, je fais ces observations sans y insister ; je comprends qu'il est difficile que la chambre adopte un tracé, alors que le gouvernement s'y oppose et présente cette modification au projet comme pouvant devenir une clause résolutoire ; je regrette seulement que cette modification n'ait pas été proposée à la compagnie qui, je crois, l'aurait adoptée, si j'en juge par la proposition primitive qu'elle avait adressée au gouvernement. J'ajoute que la garantie d'intérêt accordée pour l'exécution exclusive des embranchements dans la province de Namur, ne peut être considérée comme une faveur faite à l'arrondissement de Charleroy.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - (page 1990) Messieurs, l'honorable préopinant, involontairement peut-être, est revenu sur ce qu'il appelle le système de 1845, et il persiste à croire que les précautions que le gouvernement avait prises alors étaient de nature à amener le résultat qu'on a en vue d'obtenir, par les conventions qui sont aujourd'hui soumises à la chambre, l'exécution de travaux publics.
Nous allons voir en quoi consistaient les précautions qu'on a prises à cette époque.
L'on établissait en principe la responsabilité personnelle des demandeurs en concession, l'on exigeait quelquefois (et ici je dois rectifier une erreur dans laquelle est tombé l'honorable M. Dechamps), l'on exigeait quelquefois des cautionnements préalables.
L'on n'en a pas exigé pour la concession de la Dendre ; les cautionnements n'ont été versés qu'après la promulgation de l'arrêté royal de concession. Il en est de même du chemin de fer de Louvain à la Sambre.
Une autre garantie exigée par le gouvernement, c'était la rédaction d'un cahier des charges. J'ai eu l'honneur de répondre en disant que cette formalité n'avait pas été remplie pour le chemin de fer de Jurbise ; que c'était dans le courant de l'année 1846 que le cahier des charges avait été arrêté.
Et ici, il est à remarquer que cette garantie du cahier des charges existe aujourd'hui complètement pour la compagnie du Luxembourg, pour celle de la Flandre occidentale, pour celle de l'Entre-Sambre-et-Meuse et pour celle du canal de Bossuyt.
Il y axait une raison spéciale pour ne pas exiger la rédaction d'un cahier des charges en ce qui concerne la compagnie de Dendre-et-Waes. Lorsque des compagnies se présentent pour exécuter au compte de l'Etat un chemin de fer, on comprend qu'il n'est possible d'arrêter définitivement le cahier des charges que lorsque la concession a été votée legislativement.
Néanmoins il a été convenu entre les parties, que le cahier des charges qui, dès l'année I850, avait été rédigé par les soins du gouvernement, pour le chemin direct de Bruxelles vers Gand, serait maintenu pour ce chemin et que pour la ligne d'Ath à Lokeren il servirait de type.
C'est tout ce que l'on peut faire dans les circonstances actuelles. Il serait en effet impossible d'arrêter dès à présent la description de tous les ouvrages, la confection de tous les plans qui peuvent et doivent être arrêtés de commun accord.
Quant aux cautionnements préalables, que peut-on exiger de plus que les travaux exécutés et les sommes restées disponibles dans les caisses du trésor ? Le chemin d'Entre-Sambre-et-Meuse a effectué pour 15 millions de travaux. La compagnie du Luxembourg et la compagnie de la Flandre occidentale en ont exécuté également pour plusieurs millions.
En ce qui concerne la compagnie de Dendre-et-Waes, au lieu de lui dire : Versez dès à présent, avant tout acte législatif, un cautionnement et nous vous accordons la concession ; le gouvernement a dit : Quand vous aurez justifié du versement de 30 p. c. du capital nécessaire à l'exécution de la ligne, la loi sortira ses effets, l'arrêté royal interviendra ; mais avant cette justification, la concession ne vous sera pas octroyée, et comme garantie l'article 16 stipule, qu'avant la promulgation de l'arrêté de concession, un cautionnement de trois millions sera fourni par la compagnie. Voilà la garantie que le gouvernement a exigée et je soutiens que cette justification de la formation d'une fraction du capital constitue une garantie plus sérieuse que celles qui ont été stipulées jusqu'à ce jour.
Nous avons vu l'application du principe de la responsabilité personnelle dans la concession de la ligne de Louvain à la Sambre. Est-ce que l'honorable M. Dechamps aurait demandé l'expropriation des demandeurs en concession ? Et s'il les avait expropriés, aurait-il trouvé assez de fonds dans leur fortune personnelle pour exécuter la ligne concédée ? La seule garantie réelle est celle qui subordonne la concession à l'existence d'une partie notable du capital. Si la compagnie de Dendre-et-Waes, à laquelle on a semblé faire allusion quand on a dit que nous n'avions pas demandé des garanties sérieuses, justifie du versement de 30 p. c. sur le capital, nous serons en droit d'espérer que cette ligne sera faite.
Un mot en réponse à ce qu'a dit l'honorable M. Dumortier.
C'est une erreur de prétendre que la garantie d'un minimum d'intérêt a été formellement repoussée par la chambre.
Je trouve le contraire dans une déclaration faite dans la séance du 6 juin 1844 par l'honorable M. Dechamps.
En 1844, à l'occasion du chemin de l'Entre-Sambre-et-Meuse, le principe avait été déposé dans le projet de loi.
Mais il s'écoula un assez long intervalle entre la présentation de la loi et le vote, dans cet intervalle la situation s'était modifiée du tout ou tout.
Les entreprises de chemins de fer avaient repris une faveur très grande en Angleterre. Les directeurs de la compagnie de leur propre mouvement proposèrent donc le retrait de la garantie.
Une autre erreur dans laquelle est tombé M. Dumortier, c'est de supposer que la garantie d'intérêt doit se résoudre invariablement dans le payement de 4 p. c. sur toutes les lignes ; en d'autres termes le gouvernement garantira 4 p. c. à des compagnies qui exploiteraient à perte. Pour rendre l'exemple plus saisissable, je prends le canal de Bossuyt à Courtray. Eh bien, il faut supposer que pas un seul bateau ne passera par le canal pour admettre que le gouvernement sera tenu de payer les 4 p. c. sur le capital.
En ce qui concerne les autres travaux, il est à remarquer que le gouvernement a tenu compte des justes répugnances que les compagnies éprouvaient à se charger de concessions qui devaient, dans tous les cas, se résoudre en sacrifices pour elles. On n'en avait pas agi ainsi en 1845. Alors c'était une espèce de course au clocher entre les divers bassins du Hainaut. On concédait tour à tour un chemin de Charleroy à Erquelinnes, un chemin du Centre à Erquelinnes, un canal de Mons à Erquelinnes ; le chemin de Louvain à la Sambre, de Charleroy à Gembloux. Or, que reste-t-il aujourd'hui de toutes ces concessions ? Celles seulement qui peuvent offrir des résultats productifs, celles sur lesquelles la garantie doit peser le moins lourdement.
L'honorable M. Malou voudrait imposer la ligne concédée à titre d'extension à la compagnie d'Entre-Sambre-et-Meuse ; mais de deux chose -l'une : ou cette ligne est productive, comme vous le supposez, et alors on ne comprendrait en vérité pas l'inconcevable opposition de la compagnie concessionnaire ; ou elle ne l'est pas, et alors pourquoi vouloir imposer ce nouveau sacrifice à l'Etat ?
L'honorable M. Dechamps s'est étonné que le gouvernement ne voulût pas se rallier à l'amendement de M. Malou, qui a pour objet de faire cesser la garantie, quand la compagnie aura été mise en situation d'amortir son capital d'exécution ; mais je demanderais aux honorables membres quel délai, quel temps ils assignent à la reconstitution de ce capital ?
Qu'importe ce point au gouvernement, si sa garantie est purement nominale, si les bénéfices excèdent 4 pour cent ? Et s'ils restent en dessous, pourquoi exiger que la compagnie réserve une fraction de ce faible bénéfice pour amortir le capital ?
M. Dumortier. - Je demande la parole pour la rectification de ce que M. le ministre des travaux publics a qualifié d'erreur. Il est facile de taxer ses adversaires d'erreur en leur mettant daus la bouche (page 1991) ce qu'ils n'ont pas dit. J'avais dit que le système de garantie du minimum d'intérêt devait amener annuellement au trésor une perte de 2,292,000 fr. Mais, me dit M. le ministre, il faudrait que les compagnies exploitassent à perte. C'est une grave erreur. Il n'est pas nécessaire, pour que le pays doive payer, que les compagnies exploitent à perte, il suffit qu'elles exploitent sans bénéfice ; alors vous devez payer l'intégralité de la garantie. Si elles exploitent à perte, les actionnaires ne toucheront rien ; si elles exploitent sans bénéfice, ils toucheront les 4 p. c.
Il faut supposer, dit M. le ministre, que pas un seul bateau ne passe par le canal de Bossuyt à Courtray, pourque l'Etat doive payer les 4 p. c. C'est encore une grave erreur ; M. le ministre paraît n'avoir pas approfondi les questions dont il parle. On garantit l'intérêt pour 5 millions de travaux, mais le canal coûtera bien plus, il coûtera 10 millions.
- Un membre. - C'est une erreur !
M. Dumortier. - Vous avez déjà un tunnel d'un quart de lieue.
M. le président. - Il ne s'agit pas du canal de Bossuyt.
M. Dumortier. - Je réponds à M. le ministre des travaux publics.
Le canal de Bossuyt ne sera pas fait pour 5 millions ; il est inexécutable pour cette somme. J'entends dire derrière moi qu'il coûtera 12 millions. C'est un honorable député de Courtray qui le dit, et il le sait probablement mieux que moi. Mais je me rappelle que, quand le projet de loi a été présenté, on demandait 8 millions.
Tant que la compagnie ne couvrira pas ses frais, on devra 4 p. c. d'intérêt sur tout le capital, et la compagnie aura à pourvoir aux dépenses d'entretien, de personnel, d'état-major.
Il est maintenant bien démontré que depuis l'exécution du canal de l'Espierre et du chemin de fer de Tournay à Courtray les recettes sur le canal se réduiront à peu de chose. Vous aurez donc à payer 4 p. c. d'intérêt pour le capital affecté à la construction de ce canal, comme pour tous les capitaux affectés aux chemins de fer concédés, compris dans le projet de loi.
C'est ce qui motive mon opposition.
Je ne veux pas rendre le pays ingouvernable, au moyen d'augmentations continuelles d'impôts ; et c'est là que vous arriverez par la garantie d'un minimum d'intérêt. Vous posez un pont sur un grand obstacle, afin que tous les intérêts privés, toujours si avides, puissent y passer et venir puiser dans le trésor public. Je préfère que l'obstacle continue et sauvegarde le trésor public contre l'entraînement et la rapacité.
Si des localités sont assez importantes pour comporter l'exécution de grands travaux publics, qu'on les exécute par concession ; elles ne manqueront pas. Mais qu'on n'entre pas dans ce système nouveau de la garantie d'intérêt par l'Etat, qui serait ruineux pour les finances du pays.
Si vous voulez le maintien de notre nationalité, restez dans la voie des économies, afin qu'au jour du danger vous soyez en mesure de pourvoir aux dépenses qu'exigerait la défense du pays. Ce n'est pas en ruinant nos finances que vous constituerez une Belgique libre et indépendante.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Malou. - Je demande à la chambre cinq minutes. Messieurs...
M. le président. - Vous avez la parole sur la clôture.
M. Malou (se rasseyant). - Merci ! Si la cause est entendue, je n'insiste pas.
M. de Haerne. - Il y a une raison très simple pour ne pas prononcer la clôture, c'est qu'à l'heure avancée où nous sommes arrives, la chambre se bornera aujourd'hui à statuer sur le littera A de l'article premier.
- La clôture est mise aux voix et rejetée.
M. Malou. - J'ai des motifs nouveaux de regretter que les amendements que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre n'aienl pas été renvoyés a la section centrale, car il résulte du discours que l'honorable ministre des travaux publics vient de prononcer qu'il ne les a pas lus ou qu'il les a mal lus ou qu'en tous cas il ne les a pas compris.
Voici la portée de l'un de ces amendements. Dans les conventions conclues il est dit que la compagnie sera tenue de rembourser les avances du gouvernement pendant le terme de la garantie, ainsi pendant 50 années, si elle obtient un produit net de plus de 7 p. c. Nous demandons, au contraire, que le compagnies soient tenues à rembourser au gouvernement les avances faites pendant toute la durée de la concession lorsqu'elles obtiennent un profit qui dépasse 4, 5 ou 6 p. c. C'est un chiffre à débattre.
Mais ce que nous défendons, c'est le principe que l'Etat, en accordant la garantie d'un minimum d'intérêt, ne fasse qu'une avance ; c'est que si la compagnie prospère pendant toute la durée de la concession, l'avance rentre au trésor.
Voilà le dissentiment qui nous sépare ; mais ce dissentiment n'est pas de telle nature qu'il puisse créer entre le gouvernement et les compagnies une cause de résiliation des contrais qui ont été faits.
L'honorable ministre demande dans quel espace de temps le capital sera constitue, et il dit qu'il ne peut pas le prédire dès à présent. Moi non plus.
Il s'agit de savoir si lorsque le capital sera reconstitué, le gouvernement peut encore être tenu de garantir.
Ainsi, je suppose qu'une des entreprises qu'il s'agit de garantir, mette dans les statuts qu'elle consacrera chaque année un pour cent à la reconstitution du capital, en 33 ans, une société aura reconstitué son capital.
Qacl motif y a-t-il, lorsque celui qui a engagé des fonds dans une entreprise a reçu le capital et les intérêts, quel motif y a t-il de continuer encore la garantie d'intérêt, de la part du gouvernement, pendant un temps plus ou moins considérable ? Cette question est une question de principe. En fait, il peut arriver qu'une compagnie ne parvienne pas à reconstituer son capital en 50 ans ; et il se peut (je puis en citer un exemple en France) qu'en 12 ans une société ait reconstitué son capital. Il y a, en France, plusieurs entreprises de canalisation, où le capital a été reconstitué en 10, 12 ou 15 ans. Où serait alors la légitimité du sacrifice que vous imposeriez aux contribuables ?
Je crois que cette clause ne peut être considérée par les compagnies comme une clause de résiliation ; elles n'ont donc pas de raisons sérieuses à y opposer.
J'ai proposé un dernier amendement relatif à la simultanéité d'exécution des diverses catégories de travaux. Par cet amendement je demande que le gouvernement ne puisse exécuter la série des travaux qui sont à la charge du trésor public, que lorsque les autres parties auraient reçu leur exécution. Mais je prie la chambre de ne pas se prononcer maintenant sur cet amendement et d'en joindre la discussion à celle de la proposition qu'a faite l'honorable M. Rousselle de disjoindre le paragraphe 3, article 5 du projet, et d'en renvoyer la discussion à la prochaine session.
M. de Haerne. - Je suis du nombre de ceux qui désirent obtenir le plus de garanties possible pour l'exécution des concessions de travaux publics. Je ne dis pas que quelques-unes des garanties proposées ne présentent pas d'inconvénients ; mais je crois que les amendements de l'honorable M. Malou méritent d'être examinés mûrement.
Ainsi, quant à l'amendement relatif à la simultainéité des travaux à exécuter par l’Etat et par les compagnies, je crois qu'il est de nature à donner à la loi une sanction morale.
Car sans cela, si les travaux proposés par concession ne s'exécutaient pas en grande partie, soyez persuadés que la loi deviendrait très impopulaire dans le pays et que cette impopularité serait accablante pour le gouvernement et pour la chambre. Je redoute les conséquences dans lesquelles nous pourrions être entraînés à cet égard. Cependant je dois faire ici une observation. Je crois qu'il peut y avoir certains inconvénients à demander que tous les travaux à exécuter par les compagnies soient garantis par le versement de la moitié du capital avant que le gouvernement ne puisse rien entreprendre.
Je voudrais trouver un milieu qui, pour le moment, ne se présente pas à ma pensée. Je voudrais trouver un moyen de résoudre la question dans ce sens que l'on dût exécuter la plupart des travaux publics à concéder à des compagnies, simultanément avec les travaux à exécuter par l'Etat. Mais je trouve un inconvénient à exiger qu'on exécute tous les travaux simultanément. Dans cette supposition, il suffirait qu'un seul fût abandonné pour que tous les autres fussent arrêtes. Cela ne me paraît pas admissible ; je crois que c'est la masse des travaux que l'on doit considérer.
Messieurs, j'abonde aussi e/i grande partie dans le sens des observations de l'honorable M. Dechamps, avec lequel d'ailleurs je suis d'accord presque en tout.
Car enfin, l'honorable M. Dechamps admet le principe de la loi ; il admet l'opportunité des travaux à exécuter en présence des éventualités de 1852 ; il admet aussi le principe de la garantie d'un minimum d'intérêt ; seulement il exige plus de précautions pour cette garantie, et ces précautions, je voudrais aussi les exiger autant que possible, non pas cependant d'une manière absolue, non pas de manière à compromettre le principe de la loi même.
Messieurs, permettez-moi de faire quelques observations en réponse à ce qui a été allégué tout à l'heure par un honorable membre. Il a répété ce qu'il avait déjà avancé dans la discussion générale, à savooir que les travaux présentes par le gouvernement ne produiront pas les avantages que l'on en attend ; qu'ils seront onéreux pour l'Etat en ce que le minimum d'intérêt devra toujours être payé intégralement. C'est là une erreur.
Messieurs, l'honorable membre est surtout dans l'erreur lorsqu'il vient nous dire, comme il l'a avancé tout à l'heure, que le canal de Bossuyt à Courtray coûtera plus que ne l'indique le devis, qu'il coûtera huit millions.
Il suppose que l'on doit construire un tunnel très dispendieux pour ce canal.
L'honorable membre confond ce canal avec un autre dont il a aussi parlé, avec le canal de Roubaix qui n'est pas achevé, et qui dans la partie non achevée doit avoir un tunnel, qui coûterait énormément.
M. Dumortier. - Je ne confonds pas. L'un et l'autre doivent avoir un tunnel.
M. de Haerne. - Il doit y avoir un bief supérieur dans le canal de Bossuyt, mais dont la dépense ne sera pas excessive. Du reste, il s'agit de la dépense. Vous prétendez que cette dépense doit monter à 8 millions ; eh bien, je dirai ceci : c'est qu'en 1839 un devis estimatif a été fait par un ingénieur de grande réputation, par M. Vifquain, qui a porté la dépense, non pas même à 8 millions, mais à 4,500,000 francs, c'est-à-dire à un devis inférieur à celui propose par le concessionnaire et qui n’est que de 5 millions.
- Quelques membres. - Ce n'est pas là la question.
M. de Haerne. - C'est déjà la seconde fois que l'honorable M. Dumortier émet cette assertion ; il doit m'être permis de lui répondre. S'il n'avait pas insisté, j'aurais gardé le silence sur ce point.
(page 1992) L’honorable membre prétend que ce canal est inexécutable, parce que le canal de l’Espierre y fait obstacle d’un côté et le chemin de fer de l’autre. D’abord le canal de l’Espiere ou de Roubaix n’est pas encore achevé ; par conséquent, il ne peut entraver la construction du canal de Nossuyt. Ce canal pourra s’exécuter, je le suppose ; mais dans ce cas, outre les péages de 1 fr. 20 par tonneau qu’on paye déjà sur ce canal, ceux qu’on payerait pour le passage du tunnel de Croix à la Heule, et ceux à percevoir sur la Deule et la Lys, il y a stipulation insérée dans la convention internationale, relative à la concession du canal de l’Espierre, qui soumet tous les bateaux français à un droit de deux francs par tonneau à leur entrée en Belgique. (Interruption.)
Messieurs, il est étonnant qu'on ne puiise pas répondre aux arguments qu'on a allégués. J'en ai cependant le droit.
Je dis qu'une stipulation de la convention convenue entre la Belgique et la France établit un droit de 2 fr. par tonneau sur les bateaux entrant de la France en Belgique dans le cas de la construction du canal de Bossuyt, en faveur de ce canal, c’est-à-dire un droit supérieur aux péages proposés pour la navigation du canal de Bossuyt à Courtray, qui n'excèdent en aucun cas l fr. 80 c. Le canal de l’Espierre ne peut donc être invoqué contre celui de Bossuyt.
En ce qui concerne le chemin de fer, je n'ai qu'un mot à dire : c'est qu'aujourd'hui le chemin de fer ne peut lutter contre la navigation qui se fait par l'Escaut et la Lys à la remonte en passant à Gand. Comment donc pourrait-il lutter contre un canal qui doit réduire 37 lieues de navigation à 3 lieues.
M. Dumortier. - Pour 150 bateaux par an.
M. de Haerne. - L'honorable M. Dumortier se fait illusion. 150 bateaux passant par Gand, soit ; mais il faut ajouter 90 bateaux passant par la France, il faut ajouter ce que nous expédierions nous-mêmes vers la France, si le canal de Bossuyt existait. Il faut ajouter le roulage qui est considérable et que le canal remplacerait. Mais, disons-le, il y a ici des intérêts divers en jeu, intérêts qui existent même dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter comme ils existent à Tournay. Et quels sont ces intérêts ? Ce sont des intérêts locaux qui se rattachent au trafic résultant des chargements qui se font dans certains endroits situés sur l'Escaut.
Ce sont ces intérêts locaux qui s'opposent aux intérêts des consommateurs, que la construction du canal tend à favoriser.
Or, je défends les intérêts du consommateur et je m'élève ici non seulement contre ce que j'appellerai les petits intérêts de Tournay, mais contre les petits intérêts des diverses autres localités.
Je persiste à dire que la garantie d'un minimum d'intérêt ne fera courir aucun risque au trésor, quant à ce canal, que cette garantie sera purement nominale.
Du reste s'il y a certaines garanties que l'on peut convenablement stipuler en faveur du trésor, quant à ce minimum d'intérêts, j'y donnerai la main.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dumortier. - Je demande la parole.
- La clôture est demandée par plus de 10 membres.
M. Dumortier. - On peut avoir la parole pour un fait personnel !
M. le président. - Il n'y a rien de personnel dans les observations qui ont été présentées. Ce qu'a dit M. de Haerne est un argument personnel et non un fait personnel.
M. Dumortier. - Eh bien, c'est un argument personnel, et je crois pouvoir y répondre.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Nous sommes en présence de la première partie de l'article premier et des amendements qui s'y rattachent. M. Malou a présentés trois amendements ; mais il a demandé que le troisième fût réservé pour l'article 5, n°3.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le président. - Sur quoi ?
M. Dumortier. - Sur la position de la question.
M. le président. - Jusqu'à présent la question n'a pas été posée.
M. Dumortier. - Il ne faut pas que l'on m'oppose encore une fin de non-recevoir. Il y a des contrats à examiner. Il ne s'agit pas de voter l'article avant d'avoir examiné les contrats, d'autant plus que l'article ne stipule pas la limite de la garantie du minimum d'intérêt ; ce sont les contrais qui engagent l'Etat.
M. le président. - La discussion a été close sur la première partie de l'article premier ainsi conçue :
« Le gouvernement est autorisé à conclure avec la compagnie dite de l'Entre-Sambre-et-Meuse une convention définitive basée sur les clauses et conditions mentionnées dans la convention provisoire annexée à la présente loi sous la lettre A. »
Voilà la première partie de l'article 1er, et à cette première partie se rattachent les deux amendements de M. Malou, le troisième étant renvoyé à l'article 3.
M. Coomans. - Je propre de faire imprimer et distribuer les amendements de l'honorable M. Malou. Ils ne peuvent plus être examinés par la section centrale, mais ils peuvent et doivent l'être pour la chambre.
M. le président. - La discussion est close sur ces amendements.
M. Coomans. - Je demande par motion d'ordre l'impression et la distribution de ces amendements.
M. le président. - La discussion s'est ouverte sur la première partie de l'article premier et les amendements qui s'y rapportent ; elle a été close : il ne s'agit donc plus d'imprimer les amendements.
M. Rousselle. - M. le président, je ferai observer que dans les articles de la loi, il n'est pas question du tronc principal et des embranchements de ce chemin de fer ; dans le contrat, au contraire, il en est fait mention, je demande qu'on vote par division sur le tronc principal et sur les embranchements, parce qu'il peut y avoir des membres qui veulent l'un et qui ne veulent pas les autres.
M. Cools. - Je propose à la chambre, par motion d'ordre., de décider à quel moment elle examinera la convention.
M. le président. - Il n'y a qu'une question à examiner : adopte-t-on ou n'adopte-t-on pas la convention relative au chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse ? (Interruption.)
Il y a deux amendements, mais la discussion est close sur ces amendements ainsi que sur la première partie de l'article à laquelle ils se rapportent.
M. Coomans. - Nous demandons l'impression des amendements.
M. le président. - Il ne peut plus être question d'imprimer les amendements puisque la discussion est close.
M. Rousselle. - J'ai demandé la division du vote sur cë qui est relatif au tracé principal et ce qui est relatif aux embranchements.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant suppose que la chambre vote les articles de la convention et en conséquence, il demande la division ; mais ce n'est pas la convention qui est à voter, c'est l'article du projet de loi.
Chaque membre était certainement libre de déposer des amendements pour modifier telle ou telle clause de la convention.
C'est ce qu'a fait l'honorable M. Malou ; mais maintenant que la discussion est close, il n'y a plus qu'à voter sur la disposition du projet de loi et les amendements qui s'y rapportent.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le président. - Sur quoi ?
M. Dumortier. - Pour répondre à M. le ministre. (Interruption.) Je demande la parole pour lire l'article 41 de la Constitution qui porte que les propositions soumises à la chambre sont votées article par article. Eh bien, l'article dit que la convention forme annexe à la loi. Il faut donc que la convention soit votée comme la loi. Agir autrement, ce serait donner au ministère un blanc seing et il pourrait engager le trésor non seulement pour 5 millions, mais pour 10, 20 ou 30 millions.
M. le président. - Il n'y a qu'un moyen de voter, c'est de mettre aux voix la partie de l'article qui a été discutée et les amendements qui s'y rapportent.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - C'est ce qu'on a fait en 1845.
M. de Liedekerke. - Il faut imprimer les amendements.
M. le président. - La discussion a été close, il n'y a plus à imprimer les amendements. (Interruption.)
Qu'on respecte donc les décisions de la chambre. Après avoir entendu tous les orateurs qui avaient demandé la parole, on a clos la discussion.
M. de Liedekerke. - On a clos la discussion, mais on n'a pas décidé qu'on voterait aujourd'hui.
M. le président. - Veut-on remettre le vote à demain ?
- Un grand nombre de membres. - Non, non ! l'appel nominal, l'appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de M. Malou.
En voici le résultat :
70 membres répondent à l'appel.
14 répondent oui.
53 répondent non.
3 s'abstiennent.
En conséquence, le premier amendemeut de M. Malou n'est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. Boulez, Clep, Cools, Coomans, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de T'Serclaes, Dumortier, Malou, Mercier, Pirinez, Rodenbach, Thibaut et Van den Branden de Reeth.
Ont répondu non : MM. Bruneau, Cans, Cumont, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Breyne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, De Pouhon, de Royer, de Steenhault, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Peers, Pierre, Prévinaire, Reyntjens, Rogier,, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vaudenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach et Verhaegen.
Se sont abstenus : MM. de Haerne, de Liedekerke et Rousselle (Charles).
(page 1993) M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention,
M. de Haerne. - Messieurs, j'approuve la pensée qui a dicté l'amendement, mais je n'ai pas eu le temps de réfléchir à toute la portée qu'il peut avoir, ni d'en peser les conséquences. Je me suis donc abstenu.
M. de Liedekerke. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. de Haerne.
M. Rousselle. - Il m'a été impossible de saisir toute la portée de cet amendement. Voilà pourquoi je me suis abstenu.
- Le deuxième amendement de M. Malou est mis aux voix et n'est pas adopté.
Le troisième amendement, présenté par le même membre, est rattaché à l'article 5.
M. le président. - Je mets aux voix la première partie de l'article premier.
M. Dumortier. - Pardon, M. le président, il y a encore des amendements qui n'ont pas été mis aux voix ; ce sont ceux de la section centrale.
M. le président. - La section centrale n'a pas présenté d'amendements.
M. Dumortier. - Permettez ; à l'article 11, non pas du projet de loi, mais de la convention, la section centrale propose un amendement d'une importance extrême pour le trésor public ; il faut mettre cet amendement aux voix.
M. Coomans. - Messieurs, je dois faire observer que M. le ministre des finances a reconnu tout à l'heure que nous avons le droit de modifier la convention. Cela est si vrai que le vote sur la convention n'aurait pas de sens, si ce droit ne nous était pas dévolu.
La section centrale a proposé un amendement à la convention. Il faut donc que nous statuions sur cet amendement, avant de voter sur le point principal.
M. Delfosse. - Tant que la discussion n'a pas été close, chacun a eu le droit de présenter des amendements sur l'article premier et sur la convention ; c'est un droit dont M. Malou a usé.
La section centrale a émis l'opinion qu'il serait désirable que certains points, peu importants du reste, de la convention fussent modifiés, mais elle ne demande pas à la chambre de se prononcer sur ces modifications. Tout changement à la convention introduit par la chambre pourrait être une cause de résiliation de contrat.
La section centrale avait indiqué ces modifications au gouvernement pour qu'il les proposât, si possible, aux compagnies avant le vote de la loi.
M. le président. - A la suite de son rapport, la section centrale a imprimé le projet de loi tel qu'elle l'a modifié ; or, l'article premier du projet de la section centrale est tout à fait conforme à l'article premier du projet du gouvernement. J'avais donc raison de dire que la section centrale n'avait pas proposé d'amendement.
Il faut que force reste à la décision de la chambre ; la discussion a été close ; il n'y a pas d'autres amendements que ceux de M. Malou ; ces amendements ont été mis aux voix et rejetés ; il ne reste plus qu'à mettre aux voix le premier paragraphe de l’article premier.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le président. - La discussion a été close, vous n'avez pas la parole.
M. Dumortier. - C'est une question de bonne foi ; j'en appelle à votre bonne foi, M. le président ; s'il m'avait été possible de croire que les amendements de la section centrale n'avaient pas été mis en discussion, je les aurais faits miens. Il n'est pas possible de les faire disparaître.
Je fais miens les amendements de la section centrale.
M. le président. - M. Dumortier, puisque malgré mes avertissements, vous continuez à parler ; je vous rappelle à l'ordre.
M. Dumortier. - Mais, M. le président, j'ai cependant droit de faire miens des amendements de la section centrale.
M. le président. - M. Dumortier, je vous ai rappelé à l'ordre ; j'espère que vous vous respecterez assez vous-même, que vous respecterez assez la chambre tout entière, pour ne pas m'obliger à vous rappeler une seconde fois à l'ordre.
M. Dumortier. - Dussé-je être rappelé vingt fois à l'ordre, je maintiendrai mon droit de député de reprendre un amendement de la section centrale, qu'il n'appartient à personne de faire disparaître de la discussion.
M. le président. - M. Dumortier, je vous rappelle itérativement à l'ordre. Là s'arrête le pouvoir que me donne le règlement.
- Le premier paragraphe de l'article premier est mis aux voix et adopté.
La suite de la discussion est remise à demain.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.