Séance du 14 août 1851
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1945) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants d'Anvers prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'abolition de quelques taxes communales. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.
« Un grand nombre d'habitants de Dinant demandent que le chemin de fer du Luxembourg soit continué en ligne directe jusqu'à Dinant. »
« Les conseils communaux de Drehance, Celles et Mesnil-Eglise, déclarent adhérer à la pétition des habitants de Dinant. »
M. de Liedekerke. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution des travaux publics.
- Adopté.
« Les membres du conseil communal de Waremme demandent que le chemin de fer du Luxembourg traverse le territoire de Marche. »
- Même disposition.
« L'administration communale de Lierre prie la chambre de décréter l'embranchement du chemin de fer entre Lierre et la.station de Contich. »
- Même disposition.
« Plusieurs habitants de Beveren demandent l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise pour l'écoulement des eaux de la Lys. »
« Même demande des habitants de Waereghem et des communes voisines. »
- Même disposition.
« Des habitants de la ville d'Enghien appuient la requête du conseil communal de cette ville, tendant à obtenir la construction d'un chemin de fer qui, partant de Hal, se dirigerait vers Ath par Enghien. »
- Même disposition.
« Les sieurs Laurent demandent que le bureau d'Hensies soit autorisé à percevoir les droits d'entrée sur les ocres. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre de la justice renvoie à la chambre, accompagnée des renseignements y relatifs, la demande en naturalisation ordinaire du sieur Ladig (Pierre).
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi déposée sur le bureau par M. Jacques.
M. Jacques a la parole pour faire cette lecture.
M. Jacques. - Messieurs, voici le texte de cette proposition de loi :
« Léopold Roi des Belges, etc.,
« Art. 1er. Sont supprimées les impositions perçues au profit des communes sous les noms de :
a. Taxes municipales (octrois), y compris les centimes additionnels aux accises de l'Etat ;
« b. Répartitions personnelles (cotisations sur la fortune ou sur le revenu présumé, abonnements sur la consommation présumée) ;
« c. Prestations et centimes spéciaux pour les dépenses des chemins vicinaux. (Article 14 de la loi du 10 avril 1841.)
« Art. 2. En remplacement des impositions supprimées par l'article premier, les communes percevront :
« a. Douze millions à prélever annuellement sur le produit des accises et des droits d'entrée ;
« b. Des centimes additionnels aux contributions directes (foncière, personnelle, patentes et droits de débit).
« Les douze millions seront répartis entre les communes, moitié proportionnellement à la population constatée par la loi en vertu de l'article 19 de la loi communale, moitié proportionnellement au produit net des octrois pendant les cinq années 1845 à 1849.
« Le nombre de centimes additionnels aux contributions, qui était limité à sept par l'article 15 de la loi du 12 juillet 1821, pourra être fixé de 1 à 20 par le conseil communal ; de 21 à 35 par le conseil communal, sous l'approbation de la députation permanente du conseil provincial ; et de 35 à 50, sous l'approbation du Roi.
« Art. 3. Pour fournir au trésor public les douze millions à remettre aux communes suivant l'article 2, il sera perçu :
« a. 50 p. c. d'augmentation sur tous les droits d'accises ;
« b. 50 p. c. d'augmentation sur les droits d'entrée des articles suivants :
« Bestiaux, bois ; fromages ; fruits ; grains et farines ; pierres ; poissons ; riz ;
« c. 5 fr. d'augmentation par cent kilogrammes sur les droits d'en des cafés et des tabacs.
« La décharge des droits d'accise sur les marchandises exportées on entreposées après la mise à exécution de la présente loi, sera également augmentée de 50 p. c.
« Art. 4. Les marchandises qui sont frappées d'une augmentation des droits d'accise ou d'entrée par l'article 3, et qui se trouveront en entrepôt à l'époque de la mise en vigueur de la présente loi, ne pourront être livrées à la consommation que sous payement des droits anciens et de l'augmentation.
« Les sommes à payer pour les marchandises dont l'accise est réglée sur les matières ou sur les vaisseaux employés à la fabrication, seront calculées suivant les règles adoptées pour la décharge de l'accise à l'exportation.
« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1852. Toute personne qui, à cette époque, aura à l'intérieur du royaume, dans ses bâtiments, sur ses propriétés ou dans les entrepôts de taxes municipales, au-delà de :
« 50 litres de vins étrangers ;
« 50 litres d'eaux-de-vie étrangères ;
« 50 litres d'eaux-de-vie indigènes ;
« 2 hectolitres de bières ou vinaigres ;
« 100 kilogrammes de sel ;
« 20 kilogrammes de sucres ;
« 20 kilogrammes de cafés ;
« ou 20 kilogrammes de tabacs ;
« devra faire la déclaration des excédants au bureau du receveur des accises, dans les cinq premiers jours de janvier 1852, et y acquitter, dans les trois mois, l'augmentation des droits, sauf à en déduire le montant des taxes municipales ou octrois qui ont été payés sur ces marchandises.
« Tout transport de marchandises dénommées au paragraphe précédent pendant les dix premiers jours de janvier 1852, devra être accompagné d'un permis, sous peine d'une amende de 100 à 500 fr.
« Les déclarations seront vérifiées dans les dix premiers jours de janvier 1852 par les administrations communales ou leurs agents, de concert avec les agents des accises.
« Ces administrations et agents pourront, dans le même intervalle, procéder à des visites pour rechercher les dépôts non déclarés.
« L'augmentation de droits sera triplée, sur les quantités qui n'auront pas été déclarées lorsqu'elles devaient l'être.
« Les communes toucheront le quart des sommes à recouvrer en vertus du présent article. »
- La proposition de loi est appuyée.
M. le président. - Quand M. Jacques désire-t-il présenter les développements de sa proposition ?
M. Jacques. - Messieurs, comme la chambre ne serait pas très disposée à consacrer maintenant une demi-séance aux développements de ma proposition, je lui proposerai de mettre cet objet à l'ordre du jour du troisième mardi de novembre. Je désirerais que, dans l'intervalle, M. le ministre de l'intérieur, s'il n'y voyait pas d'inconvénient, voulût bien prendre des renseignements auprès des commissaires d'arrondissement et auprès des administrations des communes à octroi, afin de s'assurer si les ressources que je propose de mettre à la disposition des communes suffiront partout pour remplacer les taxes et les impositions dont je demande la suppression.
- La chambre, consultée, met à l'ordre du jour du troisième mardi de novembre les développements de la proposition de M. Jacques.
M. de Liedekerke. - Je demande la parole pour adresser une interpellation à M. le ministre des travaux publics.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. de Liedekerke. - Messieurs, j'ai toujours eu un véritable éloignement pour appeler l'attention de la chambre sur des noms propres ; j'éprouve une véritable répugnance à la détourner de ses travaux, même pendant un instant, pour l'attirer sur des questions de personnes. Cependant, quand des noms d'hommes politiques, quelque modestes d'ailleurs qu'ils puissent être, se trouvent joints à des noms de personnes qui siègent dans le ministère, je crois que ce n'est que publiquement, dans cette enceinte même, que des éclaircissements doivent être demandés et obtenus. C'est là, messieurs, un droit ; je dirai même que, dans certaines circonstances, c'est un devoir.
Je viens donc adresser trois questions à M. le ministre des travaux : publics ; je les préciserai d'une manière très catégorique ; je demanderai, à M. le ministre des travaux publics :
(page 1946) 1° S'il a autorisé la publication d'un article qui se trouve inséré dans « l'Indépendance » de ce matin ;
2° Si la conversation, telle qu'elle est rapportée dans cet article, est reconnue par lui comme étant authentique
3° Si dans son cabinet même et lors de l'entretien qu'il aurait eu avec les personnes citées dans le journal, il aurait essayé de rendre odieuse la conduite des représentants de l'arrondissement de Dinant et de déverser le blâme sur la manière dont ils ont cru devoir s'acquitter de leurs devoirs envers leurs commeltanls.
J'espère que M. le ministre des travaux publics - je l'attends de sa loyauté - voudra bien répondre d'une manière catégorique aux trois questions que j'ai eu l'honneur de lui poser.
Je vais lire l'article :
« Une députalion composée des principaux industriels, de négociants et de commerçants de l'arrondissement de Dinant a été reçue mardi par MM. les ministres des travaux publics, de l'intérieur et des finances. Cette démarche avait pour objet d'informer le gouvernement de l'impression générale produite sur tous les points du district par la nouvelle que le chemin de fer du Luxembourg laisserait ce chef-lieu à l'écart, sauf à le relier, plus tard peut-être, par un embranchement sur le canton de Ciney.
« Il n'a pas été difficile à ces honorables citoyens, nous rapporte-t-on, de faire comprendre à M. le ministre des travaux publics le nombre et l'importance des intérêts engagés par ce projet. »
« Dans cette circonstance.....»
Permettez-moi d'observer que je ne fais aucun commentaire sur la vérité et la portée des autres détails donnés dans l'article qui ne concernent pas M. le ministre des travaux publics.
« Dans cette circonstance, M. le Boulengé, qui portait la parole au nom de ses collègues, a été le véritable organe des sentiments et des vœux de la population de l'arrondissement. Dans le cours de l'entretien, M. le ministre des travaux publics n'a pu s'empêcher de placer en présence des réclamations de la députation, l'amendement déposé dans une des dernières séances de la chambre par MM. de Liedekerke et Thibaut, faisant par cela même ressortir ce qu'il y avait d'étrange dans la situation d'une ville tout entière, venant en quelque sorte protester avec la plupart des conseils communaux contre la proposition de ses propres représentants ; mais frappé par les sérieuses et puissantes considérations développées par l'interprète de MM. les délégués, M. le ministre a dit en terminant que la députation ne devait pas désespérer de sa cause, qu'il n'y avait pas encore péril en la demeure et qu'il saurait user de son influence auprès de la société du Luxembourg, pour l'engager à entrer dans les vues de l'arrondissement, alors qu'il serait prouvé qu'elle avait elle-même le plus grand intérêt à les seconder .»
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, si l'honorable membre n'avait pas pris la peine de lire l'article dont il s'agit, j'aurais été forcé de déclarer que, ne l'ayant pas lu, je ne ne pouvais pas répondre aux questions qu'il a posées.
Il est, du reste, sans exemple qu'on vienne rendre le gouvernement responsable d'un article publié dans un journal qui renferme des faits exacts et des faits inexacts.
Voici le fait auquel, je pense, l'honorable.M. de Liedekerke a fait allusion.
Il y a quelques jours, un amendement fut déposé par l'honorable comte de Liedekerke, son collègue de Dinant M. Thibaut et M. Moncheur. Cet amendement avait pour objet de relier la ville de Dinant à la ligne du Luxembourg en prenant pour point de jonction Ciney.
M. de Liedekerke. - C'est une erreur ; l'objet de l'amendement était de relier la ville de Dinant avec le chemin de fer du Luxembourg sans indiquer de point de jonction.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Mais il est très probable que ce devait être Ciney.
M. Thibaut. - Très subsidiairementl !
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Dans tous les cas une députation déléguée par le conseil communal de Dinant venait réclamer la jonction de cette ville au chemin de fer de Namur et subsidiairenent un amendement ajant pour objet de relier Dinant au chemin de fer du Luxembourg en prenant pour point de jonction soit Ciney soit tout autre point. Il est vrai, le lendemain une députation de personnes notables de la ville de Dinant est venue m'exposer le dommage qui, selon elle, devait résulter pour Dinant de l'exécution de cet embranchement.
Je crus devoir leur faire remarquer qu'un amendement était déposé ayant pour objet l'exécution d'un embranchement et que je comprenais difficilement que, rattachant la ville de Dinant au railway soit du Luxembourg soit de l'Etat, il y eût dommage pour l'arrondissement.
Ces messieurs ont insisté, entrant à cet égard dans des explications. J'ai cru devoir ajouter toutefois qu'il n'y avait, dans aucun cas, péril en la demeure, et qu'alors même que cet amendement serait adopté, il y aurait lieu pour le gouvernement d'aviser.
Voilà comment, les faits se sont passés. Mais il est évident qu'il n'y a eu de ma part aucune espèce d'inculpalion à charge des diqmtes de cet arrondissement.
Cependant je dois regretter que l'honorable comte de Liedekerke vienne ici entretenir lacehambre d'un article qui a paru dans un journal, quand à chaque instant, dans les journaux de l'opposition, on vient rendre compte de conversations qui n'ont pas eu lieu, qui sont complètement apocryphes.
M. de Liedekerke. - Je demande la parole.
M. le président. - L'incident est clos.
M. de Liedekerke. - Mais, M. le président, c'est pour déclarer que mon collègue et moi sommes satisfaits des explications de M. le ministre.
M. Dumortier. - C'est un fait très grave.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si la discussion continue, je demanderai la parole.
Tous les jours on invente dans les journaux des conversations complètement fausses des ministres, et ceux-ci ne réclament pas.
M. le président. - On a demandé des explications ; elles ont été données. L'incident est clos.
La parole est à M. F. de Mérode inscrit contre dans la discussion générale.
M. de Mérode. - Messieurs, pendant les premières années qui suivirent la promulgation de la Constitution belge, des discussions minutieuses furent appliquées au budget des dépenses avec une sorte d'excès. Aucune économie ne fut négligée, des semaines entières étaient absorbées pour les moindres détails, dans le but d'éviter aux contribuables des charges nouvelles. Je me souviendrai toujours de l'ennui qu'il fallait subir, soit dans les sections, soit en séance publique, pour passer au crible de l'examen le plus sévère les frais qu'exige le service de l'Etat. Il n'y a pas bien longtemps encore on ôtait à chaque conseiller de la cour des comptes mille francs de son traitement : on voulait transformer le conseil des ministres en conseil des mines, afin de supprimer le dernier. On bouleversait toute l'administration des finances, pour fondre, sans délai, quelques emplois dont on pouvait, avec un peu de patience, diminuer le nombre en ménageant l'existence de fonctionnaires péniblement affectés par de si brusques transformations.
Et tout cela se faisait, disait-on, pour éviter de nouveaux impôts, réduire même les taxes établies.
Cependant l'ère économique a bientôt disparu, ouvrant place à la plus large magnificence. Il est vrai que ce n'est ni pour l'armée, ni pour l'agriculture qu'elle se déploiera ; mais spécialement en faveur de la houille. Tirer de la houille, vendre partout de la houille, lui procurer à tout prix la possibilité d'une concurrence même contre nature, tel doit être le but de tous les efforts du peuple belge, dont on pressurera les ressources, pour extraire à outrance et débiter du charbon ; on le conduira même dans l'Ardenne, au milieu des forêts et des bruyères, et la contribution foncière de toute la province du Luxembourg sera deux fois dévorée annuellement par l'intérêt, à 4 p. c, d'un chemin de fer de 25 millions, perdu au milieu des solitudes où vivent des habitants plus heureux certainement que les ouvriers enfoncés dnns les entrailles de la terre et taillant le charbon fossile, auquel on sacrifie agriculture, trésor public et armée. Que si du moins l'homme jouissait d'une félicité plus grande dans les lieux où se pratiquent ces exploitations périlleuses, on concevrait le désir de les multiplier à l'infini, plutôt que de favoriser le travail en plein air des campagnes ; mais l'honorable M. de Perceval nous a présenté des documents officiels, qui démontraient combien peu le bonheur règne parmi ces multitudes de travailleurs enfouis sous le sol, dont la surface reluit de quelques grandes fortunes improvisées, en compagnie de beaucoup de misères et d'accidents. Faut-il conclure de ces observations, messieurs, que je veuille combler les bures d'extraction charbonnière, comme je suis dûment convaincu, quand je parle de recettes meilleures à obtenir des chemins de fer, de vouloir les supprimer ?
Je sais que pour combaltre la vérité on a besoin de la déformer, de la rendre ridicule, mais tout aussi bien que ceux qui recourent à ces tristes arguments, je sais qu'il est nécessaire d'exploiter le charbon, d'user de la locomotive là où il y a lieu de s'en servir à propos. Ainsi, précédemment on a imaginé les routes empierrées dans les Gaules depuis César jusqu'à nous et rien n'est plus utile à propager.
Cependant, que je vous demande ce qui serait juste après ce qu'a obtenu l'industrie, de construire de suite des chemins ruraux pour 50 ou 60 millions et d'assurer aux constructeurs une garantie de 4 p. c. d'intérêt, vous les refuserez. Pourquoi ? Parce que le cultivateur, modeste dans ses désirs n'exige point que vous compromettiez les finances de l'Etat. En toute chose, il faut garder la mesure.
Nos pères aimaient les temples grandioses, peut-être les multipliaient-ils avec exagération aux dépens de leurs habitations privées qu'ils soignaient mal, qu'ils bâtissaient en bois dans des rues étroites et malpropres, tandis que les églises et leurs flèches hardies s'élançaient jusqu'aux nues. Alors, du moins, on sacrifiait les nécessités terrestres du corps aux aspirations célestes de l'âme ; mais les puits dont sort la houille ne renferment point d'idées profondes et supérieures en mérite au travail agricole.
Traîner à perte en barque ou en waggon de la houille pour la vendre à l'étranger aux dépens des impôts prélevés sur les campagnes dont la culture coûte tant de frais de transport à petite distance par d'affreux chemins, n'est pas comprendre les véritables intérêts sociaux.
Le cultivateur a surtout besoin de voies simples qui établissent les communications faciles, non seulement de village à village dans toutes les directions, mais les impasses qui servent à l'exploitation des terres de chaque commune ; car souvent plus le territoire d'une contrée est fertile, plus les pierres manquent, plus les chemins sont mauvais. Parcourez, entre autres pajs, la Hesbaye, vous pourrez vous convaincre de l'exactitude de ce que j'avance. Pendant qu'on vous propose, après avoir dépensé dix millions à un canal latéral de la Meuse vers Maestricht, d'en (page 1947) ajouter huit et plus encore à ce qu’on appelle dérivation qui n'est qu'une canalisation nouvelle vers Chokier où deux chemins de fer longent déjà ce fleuve, allez jusqu'à Landen ou Waremme et, là, quittez la voie ferrée de Louvain à Liége pour connaître la viabilité des chemins de campagne à droite et à gauche. Vous verrez, sauf dans la saison sèche bien courte dans nos climats, les affreux bourbiers qui servent aux transports agricoles. Marchez vers Hannut, au midi ou au nord, en suivant la dire tion de la grande voie romaine vers Tongres, vous pourrez comparer le luxe incroyable de viabilité destinée à la houille, aux trous et aux ornières qui ornent de leurs sinuosités creuses les traverses de la campagne. En Hainaut, que de communes encore sont séparées par des voies impraticables.
En Brabant, essayez de parcourir librement mon district de Nivelles, de village en village ; allez de la résidence de mon collègue, M. Mascart, au chef-lieu de son canton, vous vous enfoncerez sur des pentes rapides au milieu de sables mouvants jusqu'au moyeu des roues de votre voiture, tandis qu'on transformera, si l'on suit l'impulsion actuelle, le canal de Charleroy, déjà si commode pour la houille, en canal à grande section, vivement réclamé par les propriétaires des charbons du Centre, lorsqu'ils voient accorder aux charbons de Liége 8 nouveaux millions au minimum flanqués de quatre ou cinq autres appliqués au canal qui doit finir de relier largement l'Escaut à la Meuse, et accommoder plus encore les transports des exploiteurs liégeois vers Anvers et une partie de la Hollande.
Ne leur parlez pas du canal d'Herenthals à Lierre, il est trop petit. Quant aux sables, bourbiers ou pentes excessives qui séparent une foule de nos villages les uns des autres, on ne leur appliquera pas les millions par dizaines, on leur accorde 300,000 francs par an pour eux tous, après bien des délais, c'est-à-dire moins de soixante mille francs par province, terme moyen, avec des droits de barrière fort gênants et qu'on ne réduit point comme les péages sur les canaux.
Ailleurs, comme dans la Campine, on réclame instamment l'approfondissement des rivières, afin de donner l'écoulement aux eaux des pluies d'orage qui gâtent si souvent toutes les récoltes de foin d'une vallée pour une valeur de deux et trois cent mille francs ; lorsque la moitié de cette somme une fois payée aurait suffi pour remédier habituellement à ces désastres ; mais là il s'agissait de foin, non pas de houille,
La houille avait de grosses voix commerçantes à son service, de savants avocats de ville pour les appuyer. L'herbe à conserver ne présentait que des villageois pourpatrons et le mugissement du bétail pour défenseur gratuit. Donc le gouvernement pour elle ne proposait d'abord rien ; depuis il s'est ravisé quand il a vu que sur cent et des millions il ne s'agissait pas même d'en donner un, et que c'était un moyen de recruter des voix en faveur de la houille. Cependant, préserver l'agriculture de grosses pertes n'est pas très cher ; c'est plus avantageux au bien-être de l'homme sagement compris que l'extension, toujours croissante, du triste labeur des mines. N'importe, celui qui entraîne à sa suite les chômages inévitables produits par les oscillations du commerce, et engendre comme en Angleterre le paupérisme industriel sera dix fois, vingt fois plus choyé que l'autre, parce qu'il fait dix fois, vingt fois plus de bruit, parce que des institutions fausses, un système électoral destructif de celui du congrès et organisé pour l'assujettissement des campagnes aux meneurs des cités populeuses, subordonnent les intérêts de 3 millions de Belges à ceux des bommes d'affaires qui conduisent un million d'habitants des villes principales contre leur véritable bien-être futur, puisqu'il ne peut subsister avec une téméraire gestion des finances du pays.
L'habitant des campagnes n'est pas ébloui, n'en doutez point, par une multiplication excessive des canaux et chemins de fer qui interceptent les passages des exploitations agricoles. Les grands déblais dessèchent outre mesure les terres hautes qu'ils traversent, comme les remblais élevés arrêtent la circulation de l'air et portent au loin un ombrage très préjudiciable à la production. De plus, dans les vallées ils gênent la circulation des grandes eaux, et nous avons vu cette année même, dans le conseil provincial du Brabant, le gouvernement rendu responsable des inondations de la Senne, à cause du parcours du chemin de fer de Tubize à Vilvorde.
De tout cela je le redis encore, il ne faut pas conclure contre la création prudente et successive de certaines voies de communications très coûteuses ; mais je dis hautement et hardiment, que l'on devrait maintenant s'attacher à des travaux simples, peu chers, partagés, favorables à l'agriculture, comme les bons chemins de campagne et l'évacuation plus facile des eaux des vallées où se trouve généralement le sol le plus précieux, celui des prairies exposées aux submersions du printemps, leurs produits deviennent impropres à la nourriture des bestiaux et engendrent ainsi de pernicieuses maladies.
Les ouvrages modestes que réclame l'agriculture dans toute la Belgique, ne coûteraient pas plus de millions que les seuls travaux exécutés ou proposés pour un peu plus de facilité donnée au transport extérieur de la houille liégeoise, qui trouve déjà un si large débouché dans les hauts fourneaux, par lesquels depuis 1830 sont dépossèdes presque tous les anciens fourneaux au charbon de bois. Joignez à ces millions ceux que réclament aussitôt dans un intérêt d'équilibre commercial les bassins de Mons et Charleroy, et vous verrez quelles énormes charges ou pertes résultent pour le trésor, de ces luttes incroyables auxquels l'Etat sacrifie toutes ses ressources disponibles et même son avenir d'indépendance politique. Nul doute, en effet, que l'existence d'une armée tant soit peu forte ne soit incompatible avec de si larges munificences.
Aussi que disait leur plus actif promoteur M. Delfosse, qui du moins applique les idées avec un esprit de suite dans ses conceptions : « Si la chose dépendait de moi seul, disait l'honorable membre (discours sur le budget de la guerre, janvier 1851), je réduirais fortement le budget de la guerre. Je ne conserverais de l'armée que ce qui me paraîtrait nécessaire pour maintenir l'ordre à l'intérieur et pour nous protéger au besoin contre les bandes indisciplinées qui pourraient, comme à Risquons-Tout, se montrer sur notre territoire. Seulement je ménagerais la transition pour ne pas froisser les positions acquises. »
M. Delfosse. - Vous devriez lire la suite.
M. de Mérode. - Ainsi, messieurs, dans les éventualités de guerre qui peuvent constamment se présenter en Europe, où tant d'armées sont en présence, la Belgique doit borner son rôle militaire à pouvoir résister à quelques bandes indisciplinées ; mais si un général Négrier quelconque reçoit l'ordre de marcher sur Bruxelles un jour imprévu avec les garnisons du Nord, en trois étapes il prendra possession de la capitale du royaume belge, et comme de juste, la Belgique tombée, malgré ses canaux, ses chemins de fer et sa houille, dans le mépris le plus justement mérité, servira d'appoint à tous les remaniememts de territoire qu'il plaira aux voisins de combiner à ses dépens, et si cette ville où nous sommes reste ensuite quelque temps encore chef-lieu d'un Etat pareil à la république de Cracovie, elle verra finir son existence comme la capitale ancienne des Polonais. Ceux-ci, du moins, n'ont succombé qu'après des luttes glorieuses, ne s'étant jamais absorbés dans une avidité qui produit la honte lorsqu'elle devient l'objet dominant de toutes les préoccupations publiques. Et comment, du reste, un peuple aurait-il plus de prudence et d'élévation de sentiments patriotiques, que son gouvernement, cherchant à le séduire par l'apparence de l'exclusif bien-être matériel qu'il n'obtiendra même point d'ailleurs par les profusions et l'épuisement du trésor public, appauvrissement fécond en nouveaux impôts dont nous ne faisons que subir les premières atteintes. Aussi était-ce pour les éviter, je le reconnais, que M. Delfosse déclarait franchement son intention de réduire l'armée à l'humble service de forte gendarmerie, aveu d'une pensée malheureuse que le ministère ne fait point parce qu'il serait embarrassant et que les effets de la politique dite nouvelle ne doivent se révéler qu'à la longue pour les inattentifs qui forment le grand nombre et ne voient ce qu'on leur a préparé qu'après le dénoùment.
Quant à moi, persuadé qu'à la première attaque la Belgique sera paralysée dans ses moyens de défense mal organisés, énervée financièrement à l'instant critique, par la multitude d'intérêts à solder, de bons du trésor et de garanties de minimum, de recettes assurées à des entreprises sans profil dans des conditions qui, partout, les rendraient improductives, je préfère le système sincère de M. Delfosse aux démonstrations de bravoure qui nous viendront de la part du gouvernement et nous coûteront assez cher encore en parades qui nous rendront plus ridicules au moment du danger.
Si certain haut commerce, certaine haute industrie doivent absorber, en Belgique, tous les autres intérêts nationaux ou particuliers moins en évidence et moins protégés par les puissances du jour, mieux vaut le reconnaître, si l'on ne peut échapper à ce monopole, et renoncer à d'inutiles efforts pour l'indépendance et l'honneur du pays.
« Enrichissez-vous,» disait, en France, un ministre du gouvernement de juillet, aux électeurs de Lisieux. « Engraissez, coûte que coûte, la grande spéculation, dit à la Belgique son gouvernement actuel, et souciez-vous peu de ce qui arrivera. »
Tel n'était point, il y a dix ans, le langage de M. Dupin, aujourd'hui président de l'assemblée législative de France, aux électeurs de Clamecy. « J'accorde volontiers, disait-il, ce qui est nécessaire aux développements et à la protection des intérêts matériels, idoles du jour, mais à la condition cependant que tout l'esprit public, tout le sentiment national n'ira pas se fondre et s'absorber dans la pensée du gain ; » et il ajoutait : « Il est un dernier point sur lequel je veux m'expliquer devant vous, ce sont nos finances ; elles ne sont pas compromises, mais fortement engagées. Chaque année la dépense excède les revenus. On se fie trop, selon moi, sur ce qu'on appelle notre prospérité toujours croissante ; on a aussi inventé le mot séduisant de « dépenses productives », qui a un sens, si on l'oppose aux dépenses frivoles, mais qui devient une formule trompeuse, si l'on s'en sert pour fasciner les esprits et pour accréditer un système indéfini de dépenses nouvelles, toujours colorées des plus beaux prétextes, et qui, tôt ou tard, se traduiraient en augmentations d'impôts, déjà trop lourds à supporter. Les oppositions mêmes, naguère si parcimonieuses, poussent, depuis quelque temps, au-delà même de ce que proposent les ministres. Elles semblent avoir compris que ruiner les finances est le plus sûr moyen d'embarrasser et de compromettre un gouvernement. J'ai voulu protester devant vous contre cette tendance que je regarde comme funeste. »
Il est à remarquer, messieurs, qu'en Belgique, M. Dupin n'aurait point à dire que les oppositions poussent les ministres aux déficits, car les ministres eux-mêmes se chargent largement de ce soin, et lorsqu'ils proposent de nouveaux impôts, soi-disant destinés à équilibrer les budgets, c'est pour accroître démesurément celui des payements, par le mot séduisant de dépenses productives, qui devient une formule trompeuse si l'on s'en sert pour fasciner les esprits et accréditer un système indéfini de dépenses nouvelles toujours colorés des plus beaux prétextes, comme l'explique en termes si bien appliqués aux projets qu'on accumule (page 1948) devant nous, le langage tenu par l'ancien député de la Nièvre aux électeurs de Clamecy.
Ce qu'il disait en 1842 se trouve trop bien confirmé par le rapport sur le budget des dépenses que vient de présenter à l'Assemblée législative M. Passy, qui signale comme unedes causes anciennes et principales de la mauvaise situation financière de la France, l'exagération des sacrifices en matière de travaux publics, et l'usage malheureusement adopté de rejeter sur l'avenir le soin de les solder.
Selon ce rapport, un tel régime livre les finances à de redoutables hasards, et il aurait fallu pour qu'il ne devînt pas dommageable, un bien rare concours de circonstances heureuses.
Or, si les hasards sont redoutables pour un vaste et puissant pays comme la France, que ne doit pas en redouter la Belgique, déjà frappée de tant de mutilations dans son territoire, et qui a besoin de bien plus de prudence pour en préserver son avenir ?
Que si nos ministres trouvent que la Belgique vivra suffisamment pourvu qu'elle vive autant qu'eux ; pourvu qu'ils apparaissent dans l'histoire comme de grands inventeurs de travaux bâclés à coups de millions, les chambres s'abandonnent aux illusions dont on les berce à ce sujet, il devient absolument superllu de compter sur une nationalité durable, il faut réduire les troupes, comme l'a proposé le plus conséquent des amis du cabinet actuel, au rôle de grosse police armée, renoncer à citer jamais ce mot de César : Les belges sont les plus vaillants des Gaulois ; et le remplacer par ceux-ci : Les plus insouciants de leur honneur et de leur patrie, pourvu qu'on les voiture corps et marchandises, surtout leur charbon, au plus bas prix possible. Là est leur gloire, leur félicité suprême. Goûtons donc pleinement ce grossier bonheur, si le bonheur peut longtemps exister quand la fortune publique est mise au pillage, de manière que les plus adroits, les plus avides en prennent les meilleurs débris ; car ne l'oubliez pas, messieurs, si l'on donne à tous pour allécher tous les appétits, il s'en faut bien que les parts soient égales et il est facile d'y reconnaître celle de l'âne et celle du lion.
Ainsi la section centrale admet en ce qui concerne l'agriculture 600 mille francs pour les vallées de la Senne, l'Iser et la Nèthe, joignez-y ce qui regarde l’évacuation des eaux des Flandres par le canal de Schipdonck continué jusqu'à la mer ou l'agrandissement du canal de Gand à Bruges, selon les demandes instantes du conseil provincial de la Flandre occidentale ; or que sont ces dépenses comparées à la St-Barlhélemy financière des millions offerts en holocauste au seul commerce de la houille ? Pas deux années de l'intérêt ducapital qu'on veut encore livrer à celui-ci sans compter tous les sacrifices déjà faits et qui ont porté, selon M. Delfosse, l'exploitation du charbon de Mons depuis 1830 de 400 mille tonnes à plus de 1,800,000 et plus que doublé celle du charbon de Liége.
En Angleterre, cette substance plus richement étendue sous le sol, est également exploitée avec considérable développement, mais l'Etat n'attaque point le trésor public pour le favoriser, il laisse faire et réduit chaque année la dette publique.
Notre district de Nivelles, m'objectera-t-on, obtient le chemin de fer direct de Bruxelles sur Namur et de Louvain à Nivelles. De ce que j'ai dit, il est facile de juger que si l'on épuise les finances du pays auquel appartiennent Louvain, Wavre et Nivelles, le bonheur qu'on leur prépare n'est rien moins que désirable ; mais si l'on ne ménage point l'avenir, l'honneur national de leurs habitants, leurs facultés contributives dilapidées eu faveur d'autres lieux, il est évident qu'ils ont droit à une part des sommes ainsi dévorées.
Le capitaine d'un navire sur lequel je serais embarqué pour un long trajet de mer, faisant sans prévoyance main basse sur les vivres avec ses amis, je ne pousserais pas la mienne qui deviendrait inutile jusqu'à refuser la part de bombance qu'il m'offrirait, bien entendu, après l'avoir averti et conjuré d'agir pour tous avec moins de déraison.
Quant à l'agriculture de l'arrondissement, elle ne retirera rien de ces travaux ; car depuis la création des chemins de fer, elle ne s'est pas enrichie d'une obole ; bien qu'on mène en waggons quelques porcs ou bœufs, ce qui n'a généralement qu'une minime influence sur leur débit. Et si les grains indigènes profitent quelquefois de ces communications nouvelles ils subissent d'autant plus la concurrence, dans tout l'intérieur, des.grains étrangers.
Les faits sont plus décisifs que les raisonnemenls, les hypothèses brillantes ; ils prouvent que depuis la création des chemins de fer, le cultivateur n'est pas dans une situation meilleure qu'auparavant ; car il a perdu beaucoup sur l'élève des chevaux, la vente de l'avoine et des foires. Il ne faut donc pas lui préparer la nécessité de subir de nouveaux impôts en aggravant les dépenses avec une précipitation ruineuse et déployable.
Autre chose est le progrès tranquille, raisonnable, mesuré selon les forces de chaque jour ; autre chose le progrès maniaque, fiévreux, qui ne monte et ne descend point les escaliers, mais franchit les étages par soubresauts. Autant la première de ces maiches en avant me semble convenable, autant je réprouve les allures casse-cou de course au clocher, le but proverbial de corneille qui abat les noix avant leur maturité comme après.
On veut saisir, dit-on, l'emprunt quand il se présente, c'est là un mauvais motif de compromettre la fortune publique ; car si la paix de l'Europe est gravement troublée, les souscripteurs ne payeront point malgré leurs promesses ; que si l'ordre et le calme reviennent, au contraire, les fonds ne manqueront point aux entreprises. Ils seront offerts à plus bas prix que maintenant. Tel est toujours le résultat de la confiance dans le présent ; et l'avenir est trop incertain aujourd'hui pour ne pas agir avec réserve. Quand on recommandait au Congrès, de bonne mémoire d'ailleurs, les précautions à prendre contre une attaque imprévue venant du Nord, les intrépides répondaient que les blouses étaient là. Des pertes cruelles en territoire et en argent furent la suite de ces téméraires confiances. Par d'autres causes, la situation actuelle n'est pas plus sûre, l'étourderie, la vanité s'en moquent. Combattre leurs tendances périlleuses est encore mon devoir, je l'ai rempli de mon mieux.
Du reste, messieurs, rien n'est plus clair que l'impossibilité à l'époque où nous sommes de discuter en suffisante connaissance de cause les projets accumulés qu'on nous soumet pour la forme. Après la discussion générale, chacun d'entre eux, en effet, exigerait, terme moyen, au moins une séance, et c'est trop peu. Or, il ne reste qu'un petit nombre de jours d'été disponibles, après une session de neuf mois ; il est, en conséquence, évident que le débat sera étranglé comme le trésor public lui-même, et c'est là bien certainement le résultat comme le but de cette manière de terminer une session de neuf mois par 26 piojets de travaux publics, chargeant l'Etat de 130 millions.
Au lieu de perdre le temps à repasser un budget bien connu, mieux vaudrait leur appliquer tout le commencement de la session prochaine, qui suffirait à peine à une investigation sérieuse de ces immenses conceptions, de ces énormes dépenses. Et remarquez encore une fois que la précipitation ne peut se justifier, même par des prétextes ; car l'horizon deviendra plus serein ou il deviendra plus sombre. S'il s'embellit, les travaux bien entendus et médités ne failliront pas dans un avenir même assez prochain. S'il s'assombrit, à quoi peut servir le chaos de combinaisons entassées au milieu duquel on nous place et auxquelles on ne pourrait pas même donner un commencement d'exécution ?
Mais ceci n'est qu'un escamotage, indigne d'un ordre de choses régulièrement constitué. Je le considère de la sorte, je le dis. Je le dis avec d'autant plus de liberté que je me suis strictement renfermé dans la question, ne faisant aucune allusion à d'autres débats, soit entre les ministères nouveau et ancien, soit entre l'église et le libéralisme. Lorsque les objets d'ordre moral se présenteront, je pourrai discuter la valeur des magnifiques louanges qu'a offertes l'avant-dernier préopinant d'hier, soit aux personnes, soit aux idées dites progressives qu'il admire en s'admirant probablement lui-même, vu qu'il jouit de la popularité dont il nous déclare déchus, en promettant aux familles beaucoup de contributions nouvelles à payer pour leur plus grand bien ! C'est pourquoi la popularité qui tourne, selon son inconstante nature, ne prouvant rien, à mes jeux, j'ambitionne quelque chose de préférable, de plus digne, le bien public, et si je parvenais à l'atteindre, je me passerais toujours volontiers des bravos de tribune.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je ne viens pas répondre à l'honorable M. de Mérode dans la nouvelle campagne qu'il a faite contre la houille et le chemin de fer, ces deux agents de la civilisation et de la prospérité publique.
L'honorable M. de Mérode regrette que nous ne soyons plus aux temps primitifs. Il voudrait que nous nous bornassions en quelque sorte aux chemins vicinaux.
Je pense que ces opinions n'ont point besoin d'être réfutées, elles se réfutent d'elles-mêmes. L'honorable M. de Mérode, sous ce rapport, est dans une position isolée, je crois qu'il faut l'y laisser.
D'ailleurs, on emploierait en vain des arguments, on ne parviendrait pas à le convaincre.
Je veux d'ailleurs, dans ce débat, abréger autant que possible une discussion qui est déjà fort longue.
Tout annonce d'ailleurs que le projet réunira une puissante majorité. Les membres mêmes de l'opposition me semblent en complet désaccord : les uns approuvent hautement le projet de loi ; les autres l'attaquent avec beaucoup de violence. Ainsi, tandis que l'honorable.M. de Liedekerke s'est montré hostile au projet, nous avons vu l'honorable M. de Haerne lui répondre immédiatement, et laisser debout bien peu de ses arguments.
L'honorable M. Cools trouve beaucoup à louer dans le projet ; il accorderait même 3 ou 4 millions pour la Meuse ; il donnerait un subside (ce dont je lui sais gré) pour le chemin de fer du Luxembourg. Cependant, il a trouvé moyen, à propos du projet, de faire une très longue tirade contre le ministère.
L'honorable M. Dechamps approuve aussi le principe du projet ; mais, je dois le dire, j'espérais qu'il aurait été plus loin.
L'honorable M. Dechamps a toujours défendu les travaux publics dans cette enceinte. Nous sommes occupés à achever une œuvre en partie commencée par lui. Je m'attendais donc, je l'avoue, à ce que nous obtiendrions de sa part un appui complet et à ce qu'il ne vînt pas détruire ce qu'il avait dit en commençant son discours par des observations dont je n'ai pas même pu saisir ni la portée ni la valeur.
L'honorable M. Pirmez, que l'on sait être l'esclave en quelque sorte de certaines règles d'économie politique, admet cependant une infraction à ses principes en ce qui concerne certain embranchement de chemin de fer. Mais ce qui a surpris l'honorable M. Pirmez, c'est, dit-il, que le principe qu'il combat, ait reçu d'abord l'approbation des sections, ensuite celle de la section centrale ; et voilà que tout à coup les conseils provinciaux approuvent aussi le projet ; puis les chambres de commerce, puis même les individus.
(page 1949) Il me semble, messieurs, qu'il était impossible de faire un éloge plus brillant de ce projet ; et voilà cette coalition contre laquelle on s'est tant récrié dans cette chambre, qui s'étend aux conseils provinciaux, aux chambres de commerce et même aux individus. Elle s'étend même à l'Europe entière ; car on fait partout des chemins de fer et des travaux publics.
Bien certainement, messieurs, c'esl là un des projets les plus populaires qui aient été présentés, puisqu'il réunit une telle unanimité dans le pays.
Ceux qui se plaignent ne sont pas ceux qui trouvent qu'on a été trop loin, comme l'honorable M. Cools ; mais ce sont ceux qui trouvent qu'on n'a pas encore été assez loin.
D'autres honorables orateurs, l'honorable M. Dumortier, l'honorable M. de Mérode, l'honorable M. de Man se proclament les grands défenseurs du trésor public. Nous, le ministère, la majorité, nous sommes les dilapidateurs du trésor public !
D'abord, qu'on me permette de le dire, ce reproche est assez étrange, adressé au ministère qui a osé opérer de fort larges réductions dans les dépenses, tout en froissant même plusieurs intérêts, qui a fait de très grandes économies qu'on n'avait pas faites avant le cabinet actuel, puis qui a eu le courage de proposer des lois pour rétablir l'équilibre financier et qui s'est trouvé combattu précisément dans ces projets par les défenseurs prétendus du trésor ; qui a enfin eu la prudence de proposer des moyens de faire face aux dépenses nécessitées par les travaux publics, ce qu'on n'avait pas fait précédemment.
Messieurs, savez-vous quel serait le système des honorables membres ? Ce système serait de ne plus rien faire en matière de travaux publics. Ce serait un système d'immobilité. Eh bien, je dis que ce serait un système déplorable.
La Belgique, qui s'est placée à la tête des nations européennes par l'exécution de vastes travaux publics, qui doit en partie la position qu'elle occupe en Europe à son vaste système de chemins de fer, s'arrêterait tout à coup, déclarerait qu'elle est impuissante, qu'elle ne peut plus rien faire.
Si, messieurs, un semblable système avait triomphé depuis notre émancipation politique, je vous le demande, la Belgique au lieu d'être l'objet de l'admiration de l'étranger pour ses grandes voies de communication, ne serait-elle pas l'objet de sa commisération ?
En 1834 et en 1837, lorsque la Belgique était loin d'une position comme celle qu'elle occupe aujourd'hui, quand elle n'était pas encore entrée dans la famille des nations européennes, quand elle était encore menacée d'une guerre avec la Hollande, lorsque son commerce et son industrie étaient dans un état de stagnation, quand elle devait faire des dépenses énormes pour son armée, qui avait alors un budget de plus de 40 millions de francs, eh bien ! à cette époque, en 1834, la Belgique, et c'est un des plus grands titres à l'estime publique de mon honorable ami M. Rogier, qui en a été le promoteur, la Belgique, dis-je, a osé entreprendre un vaste système de chemins de fer et poser l'acte le plus utile, le plus grand qui eût été posé depuis 1830. Au point de vue politique cet acte, messieurs, nous a valu une meilleure position en Europe. Bien des gouvernements doutaient encore de la nationalité belge, plusieurs grandes puissances n'avaient pas de sympathie pour la Belgique. Eh bien, la loi du 1er mai 1834 a démontré à ces nations étrangères que la Belgique pouvait faire de grandes choses et de là le point de départ de cette considération qui a toujours été croissant en faveur de notre jeune nation.
Au point de vue des intérêts matériels et financiers, l'honorable M. de Mérode pense, paraît-il, que l'on a commis une grande faute quand on a fait des travaux publics ; eh bien, quelqu'un peut-il regretter, sauf peut-être l'honorable préopinant, que la Belgique soit dotée de ce magnifique réseau de chemins de fer ? Est-ce qu'il y a eu appauvrissement du pays ? Mais toutes les sources de la richesse publique ont énormément grandi depuis l’exécution de nos voies ferrées. Il est assez curieux, messieurs, d’examiner (et je crois que ce n’est pas en dehors de ce débat) ce qu’était la Belgique en 1834 et ce qu'elle est en 1849 ; vous verrez qu'il y a d'immenses améliorations, et je ne doute pas qu'elles ne soient dues, en grande partie, aux voies de communication dont la Belgique a été dotée.
Ainsi pour notre commerce général, par exemple, les importations, en 1834 étaient de 218,660,000 fr. ; en 1849 elles étaient de 464,700,000. Il y a donc eu augmentation de 112 p. c.
Les exportations étaient de 147,000,000 en 1834 ; elles ont été de 451,700,000 en 1849 ; augmentation de 207 p. c.
Pour le transit, et on ne dira pas, à coup sûr, que les travaux publics n'ont pas contribué à son extension, pour le transit, voici, messieurs, ce que nous avons gagné :
En 1834, 17,250,000 fr., en 1849, 227,414,000 fr. Augmentation 1,218 p. c.
Pour le commerce spécial, c'esl la même progression.
Importations : En 1834, 180,080,000 fr., en 1849, 235,800,000 fr. Augmentation 30 p. c.
Exportations : En 1834, 118,200,000 fr., en 1849, 224,300,000 fr. Augmentation, 90 p. c.
Maintenant, messieurs, si ncus examinons ce qu'était l'industrie avant le chemin de fer, nous trouvons que pour la houille, par exemple, on en a extrait 2,443,768 tonnes en 1834, tandis qu'en 1850 l'extraction s'est élevée à 5,811,000 tonneaux.
Pour les hauts fourneaux au coke, la production n'a été en 1834 que de 36,440 tonneaux et en 1850 131,148 tonneaux, malgré la crise.
Les machines à vapeur sont un signe de la puissance de l'industrie. Eh bien, le nombre des machines à vapeur était en 1834 de 450 et en 1850 de 2,179. Force totale 62,365 chevaux.
Si nous examinons d'autres industries également importantes, par exemple, l'industrie cotonnière, nous pouvons juger de l'augmentation des matières premières qui ont été importées dans le pays ; eh bien, en 1834, il est entré 4,479,207 kilogrammes de coton brut, et en 1849 13,255,058 ; augmentation, 1906 p. c.
Pour l'industrie drapière, il est entré 3,577,000 de laines en masses, et en 1849 4,632,190.
Je ne parlerai pas d'autres industries, comme verreries, zinc, etc. ; parce que je veux abréger, mais il est évident que depuis 1834, l'industrie, ainsi que le commerce belge, ont pris un développement vraiment extraordinaire, développement qui est certainement dû, pour la plus grande partie, à l'exécution de nos grands travaux publics.
Je pourrais en dire autant des finances ; il y a aussi une progression sensible dans les impôts ; toutes les recettes de l'Etat ont également suivi une progression constante. Voilà ce que les travaux publics ont produit, et voilà ce que les travaux qui seront exécutés produiront encore.
Messieurs, il n'est rien dont les bienfaits soient plus généralement sentis que ceux qui résultent des voies, de communication ; je pourrais vous faire une longue énumération de tous les travaux publics qui sont exécutés ou projetés en ce moment sur toute la surface de l'Europe ; il n'est pas un seul pays qui ne soit entré dans dans cette voie et qui ne fasse des chemins de fer, des canaux, et la Belgique resterait seule ce arrière ! Cela n'est pas possible.
Je passe maintenant à quelques objections principales qui ont été présentées contre le projet de loi. Il y en a une surtout qui me paraît avoir fait impression : elle consiste à dire que les travaux concédés ne s'exécuteront pas, que le gouvernement n'a pas pris de précautions suffisantes.
Je demande pourquoi les travaux concédés ne seront pas exécutés ? En 1845, on a concédé un grand nombre de chemins de fer, et alors ou ne doutait pas que ces chemins de fer ne se fissent, même sans le concours de l'Etat. Aujourd'hui les mêmes membres qui les ont présentés viennent nous dire : « Prenez garde, ces chemins de fer nese feront pas. » C'est là une flagrante contradiction.
Les sociétés ont exécuté le plus grand nombre de chemins de fer qui sillonnent les pays étrangers. Tous les chemins de fer en Angleterre, aux Etats-Unis et en Prusse ont été faits par des sociétés, ainsi que la plupart des chemins de fer en France. Pourquoi tout à coup l'industrie privée deviendrait-elle impuissante ? Pourquoi ne voudrait-elle plus rien faire, au moment où nous venons leur apporter le concours de l'Etat ?
Si ces sociétés venaient malheureusement à échouer, ce serait à cause des discours qu'on n'a cessé de prononcer dans cette enceinte. C'est en mettant en doute la puissance financière des sociétés, c'est en répétant à satiété et sans avoir approfondi les questions, que ces chemins de fer seront improductifs, qu'ils ne se feront pas, que c'est une mauvaise affaire ; c'est par un semblable langage que vous amènerez réellement ce que vous craignez.
En définitive, les sociétés sont chez nous ce qu'elles sont dans d'autres pays où elles exécutent ; et les précautions prises par le gouvernement, sont celles qu'on prend également ailleurs.
Ainsi, la société du Luxembourg a à sa tête des hommes très considérables ; l'un est un banquier de Londres dont la puissance financière et connue de l'Europe entière ; l'autre, un ancien lord-maire de Londres ; ce sont des hommes très influents et très estimés dans la Cité, et qui doivent dès lors nous inspirer la plus grande confiance.
Je pourrais en dire autant des autres membres de l'administration.
Le cautionnement ! Mais nous avons les travaux exécutés : 15 millions pour Sambre-et-Meuse ; 8 millions pour la Flandre occidentale ; 4 à 5 millions pour le Luxembourg. N'est-ce pas là une belle garantie ?
Messieurs, j'ai été surpris d'un reproche qui nous a été adressé, notamment par l'honorable M. Dechamps ; l'honorable membre est venu nous dire :
« Les sociétés ne sont pas assez protégées par le gouvernement ; le gouvernement se conduit d'une manière malhabile avec les sociétés. »
Eh ! c’est précisément au moment où nous apportons aux compagnies le concours de l'Etat, qu'on trouve que nous ne faisons pas assez !
On a dit, en parlant de la société du Luxembourg, qu'un certain nombre d'actions étaient déchues. Qu'est-ce que cela prouve ? Un certain nombre d'actionnaires se sont retirés ; mais d'autres en grand nombre sont restés ; quant à ceux-là, à coup sûr on peut compter sur eux,
Quand une société a pu traverser les années 1846 et 1847, et la grande crise politique de l848, et quand, en dépit de ces circonstances, des (page 1950) actionnaîres sont restés, ces derniers verseront à plus forte raison lorsqu'ils verront qu'une concession qui était peut-être défectueuse après tous ces événements, est devenue une concession très avantageuse.
En effet, la société du Luxembourg n'avait obtenu la concession que de la section de Bruxelles à Wavre ; de là elle devait prendre la voie de Wavre à Namur qui était concédée à la société de Louvain à Namur ; puis elle avait le chemin de fer du Luxembourg.
Maintenant elle obtient le chemin de fer depuis Bruxelles jusqu'à Namur ; on lui donne une garantie d'intérêt pour la ligne de Namur à Arlon ; puis d'après tous les faits qui se sont passés depuis quelque temps, elle a l'assurance que cette ligne sera prolongée à travers l'Allemagne. La position de cette société est donc grandement améliorée ; et tout doit nous donner l'assurance que les travaux seront exécutés.
On a dit qu'on avait concédé de mauvaises lignes, la ligne du Luxembourg, par exemple. Dans mon opinion, cette ligne deviendra une ligne excellente ; d'ici à peu d'années, elle produira plus de 4 p. c, nous nous réservons de le démontrer, lors de la discussion des articles.
Le chemin de fer du Luxembourg sera construit d'une manière très économique : d'après tous les rapports des ingénieurs, il ne coûtera que 5 à 600,000 francs par lieue ; pour couvrir l'intérêt d'un capital aussi faible il ne faut pas des recettes considérables.
En second lieu, le chemin de fer du Luxembourg ne rencontrera pas de concurrence, parce que ce sera la seule ligne par laquelle tous les transports de cette partie du pays de la Bavière rhénane, du pays de Trêves pourront s'effectuer ; en troisième lieu, il aura à transporter surtout des matières pondéreuses qui font la fortune des chemins de fer ; que si on calcule tous les transports, tant intérieurs qu'internationaux qui arriveront à cette ligne, on arrive à un résultat très avantageux ; j'aime à faire cette observation, parce que l'on a parlé avec tant dédain des produits que pourrait donner le chemin de fer du Luxembourg que j'ai cru utile de rétablir la vérité. Quand on en sera à la discussion spéciale de cette partie de la loi, nous prouverons, mon honorable collègue, M. Tesch ou moi, d'une manière positive que ce sera une très bonne ligne et que la garantie du minimum d'intérêt se réduira bientôt à un appui moral.
Je dois rencontrer encore quelques objections. On s'est livré à des plaisanteries assez déplacées pour combattre le chemin de fer projeté dans le Luxembourg ; j'espère que la chambre n'entrera pas dans cette voie, ce serait faire injure à une grande province, la sixième partie du pays que de traiter ainsi ses intérêts les plus graves. Quant à moi, je ne répondrai pas à cette sorte d'arguments.
Je ne veux plus que répondre, puisque la chambre entend clore aujourd'hui, à ce qu'a dit l'honorable M. Dumortier quant aux routes et au produit des barrières ; or le produit des barrières est à peu près aussi élevé dans le Luxembourg que dans chacune des provinces des deux Flandres. Quant aux routes, on a dit que nous en avons eu pour 4,800,000 francs ; mais on a compris, dans ce qui nous a été accordé, les routes exécutées dans l'ancienne partie cédée du Luxembourg, qui n'appartient plus à la Belgique.
Messieurs, j'aurais bien des démontrations à vous faire en faveur chemin de fer du Luxembourg, je me réserve de les présenter à la discussion des articles. Je ne veux pas prolonger davantage ce débat, et je borne aujourd'hui mes observations.
M. Delfosse. - Maintenant que la chambre est encore en nombre, je demanderai qu'on décide si on aura séance demain.
- Plusieurs voix. - Non ! non ! à lundi !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il ne faudra pas se plaindre de la longueur de la session, si à chaque instant on prend des congés.
M. le président. - La session a été déjà très longue, elle sera encore plus longue si on renvoie la prochaine séance à lundi.
M. Dolez. - La chambre a déjà siégé les jours de fête, elle a siégé le jours de Pâques et le jour de l'an, voilà déjà dix mois que dure cette session, il est temps qu'elle arrive à son terme. Je propose de siéger demain et dimanche.
M. Dumortier. - Je dois combattre cette proposition. Il n'est pas possible que la chambre siège demain, jour de grande fête, et dimanche. On l'a déjà fait, dit-on ; je le sais ; mais depuis deux mois nous sommes ici, nous pouvons bien prendre un jour de congé. Il n'y a pas d'urgence d'ailleurs.
- La proposition de M.Dolez est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
La chambre décide ensuite qu'elle ne siégera pas samedi et fixe la prochaine séance à lundi.
M. Lesoinne. - Messieurs, presque tous les honorables membres qui ont combattu le projet qui est maintenant en discussion, l'ont qualifié de coalition contre les intérêts du trésor ; ils ont reproché au gouvernement d'avoir provoqué lui-même cette prétendue coalition et ils prédisent que son adoption amènera la ruine de nos finances et du pays.
Si les prévisions des honorables membres se réalisaient, ce serait le premier exemple d'un peuple qui se serait ruiné par la construction de voies de communication. On a vu des nations ruinées par des guerres, par une mauvaise administration, par une politique commerciale erronée ; mais jamais, je pense, on n'a vu un pajs s'appauvrir en poursuivant l'œuvre pacifique du complément et de l'amélioration de ses voies de communication ; tandis qu'au contraire on pourrait citer des pays qui, pour être restés en arrière sous ce rapport, ont vu le commerce et l'industrie s'éloigner de leurs territoires, malgré tous les moyens mis eu œuvre par leurs gouvernements pour les retenir, et se sont considérablement amoindris aussi bien politiquement que commercialement. Aussi ont-ils reconnu la nécessité de suivre l'impulsion donnée et ils se préparent à regagner le temps perdu. Nous voyons même en ce moment des pays qui ont soutenu des guerres très dispendieuses chercher dans la construction de grands travaux publics le moyen de réparer les pertes qu'ils ont faites.
Je ne partage donc nullement les craintes des honorables adversaires du projet, quant à l'influence que peut exercer son adoption sur l'avenir financier du pays.
Comme on l'a dit déjà, il s'agit d'achever et de compléter des travaux commencés qui sont aujourd'hui improductifs et dont plusieurs doivent donner des revenus à l'Etat après leur achèvement.
On a cherché à faire entendre que les travaux proposés n'avaient pour but que de satisfaire aux intérêts des villes en laissant de côte les intérêts agricoles. Je n'aurai pas, je pense, messieurs, grande peine à prouver le peu de fondement de cette assertion ; les voies de communication sont autant dans l'intérêt de l'agriculture que dans celui des autres industries ; n'est-ce pas vers les grands centres de population que s'écoulent les produits des campagnes ? Les villes et les campagnes ne sont-elles pas solidaires, en quelque sorte, les unes des autres ? Les unes peuvent-elles souffrir sans que les autres s'en ressentent ? La prospérité des unes ne rejaillit-elle pas sur la prospérité des autres ? Et puis ces grandes voies de communication sont-elles sans influence su rl'exportalion de nos produits agricoles ? Je pense, messieurs, que jamais nous n'avons exporté une aussi grande quantité de produits agricoles de toute espèce que depuis l'établissement de nos grandes voies de communication. Parlerai-je de l'influence qu'exerce sur les défrichements de la Campine la construction du canal de la Meuse à l'Escaut qui sert en même temps aux irrigations et aux transports des engrais ainsi qu'aux produits de toute espèce ?
Que l'on ne cherche donc pas, à propos du projet qui nous occupe, à créer l'antagonisme entre les villes et les campagnes. Ces tentatives seront vaines, car les habitants des villes et des campagnes savent parfaitement que les voies de communication sont établies dans l'intérêt de tous et que tous en profitent.
Parmi les travaux proposés, ceux qui ont rapport à l'amélioration de la Meuse dans la traverse de Liége ont été particulièrement l'objet des attaques des honorables adversaires du projet. Mes honorables amis, MM. Delfosse et d'Elhoungne ont déjà répondu à la plupart des objections qui ont été faites Bien que, comme l'honorable M. Malou, je n'aie pas demandé la parole pour un fait personnel à mon arrondissement, car je défends le projet dans son entier, je crois cependant pouvoir aussi dire quelques mots en réponse aux attaques dont ce littera a été l'objet.
Comme on vous l'a déjà dit, messieurs, depuis longtemps les travaux à exécuter à la Meuse, dans la traverse de Liége, ont fixé l'attention du gouvernement sous les différents ministères qui se sont succédé ; je me rappelle même être venu en 1841 avec une députation du conseil communal de Liége, auprès de l'honorable M. Desmaisières, alors ministre des travaux publics, pour l'engager à présenter aux chambres un plan pour la dérivation de la Meuse, dont M. l'ingénieur en chef Gerardot de Sermoise était l'auteur. Ce plan ne fut pas adopté par le conseil des ponts et chaussées.
Déjà lors de la discussion du budget des travaux publics de 1841, l'honorable M.de Theux disait, à propos d'un subside alloué pour le même objet :
« Ce n’est qu’à titre d’essai pour un premier travail que nous avons adopté l’allocation ; mais dans notre opinion, il faudra que dans un délai rapproché, aussitôt que les circonstances le permettront, le gouvernement présente à la chambre le système qu’il aura cru devoir adopter et qu’il indique en même temps la hauteur de la dépense, les moyens d’exécutio et si l’on adopte le système le moins coûteux, celui de M. Guillery, il s’agira de 4 à 5 millions, le même ingénieur pense qui si l’on suivait la voie la plus usitée en pareille matière, la dépense s’éleverait à dix millions. »
Ainsi l'on voit qu'à cette époque la nécessité des travaux à exécuter à la Meuse dans la traverse de Liége était déjà reconnue ; eh,bien, messieurs, le temps et les faits nouveaux qui se sont produits n'ont fait que rendre ce travail plus indispensable. La rupture momentanée de nos relations commerciales avec la Hollande par suite de l'adoption de la loi des droits différentiels a poussé les consommateurs hollandais à se servir des charbons prussiens ; la Ruhr avait été canalisée, et après le traité avec la Hollande les exploitants prussiens ont continué à partager avec nous les marchés de Venloo et de Ruremonde que nous approvisionnions seuls auparavant.
C'est alors que l'honorable M. Dechamps, et je lui en témoigne encore ici toule ma reconnaissance, fit voter par les chambres le canal latéral à la Meuse. L'honorable membre comprenait alors qu'il fallait au bassin de Liége une compensation pour le marché qu'il venait de perdre en partie. L'honorable M. Malou a cité quelques paroles que j'ai prononcées lors de la discussion du projet de loi présenté par l'honorable M. Dechamps. Je disais que des fonds avaient été votés pour la traverse dans Liége par le gouvernement, la ville et la province et qu'aussitôt le canal décrété la ville et la province se mettraient en mesure d'exécuter les travaux en (page 1951) amont de Liége. Maïs je ferait observer qu’il n’existait alors aucun plan pour ces travaux, puisque celui de M. Sermoise n’avait pas été adopté par le conseil des ponts et chaussées, et il est clair en outre que la ville et la province n’auraient pas pu non plus exécuter ces travaux sans le contrôle du gouvenement qu a les rivières dans ses attributions. J’ajoutais que si le besoin de donner en amont un tirant d’eau égal à celui du canal latéral se faisait sentir et que l’utilité en fût démontrée, je ne pensais aps que l’on s’y refusât, et je terminais, après avoir dit que le système des passes n’avait pas produit le résultat qu’on avait annoncé, par ce smots :
« On ne peut donc compter sur un résultat satisfaisant du système des passes navigables, c'est pourquoi je voterai pour le canal et je demanderai que pour la Meuse supérieure on fisse des études nouvelles. »
J'ajouterai en passant que dans les négociations auxquelles j'avais assisté, comme délégué du conseil communal de Liége, il n'avait été question dans le plan de M. de Sermoise que de la question de navigation ; la question des inondations devait être traitée à part.
J'ai cru devoir entrer dans ces quelques détails, pour vous faire voir que la question est déjà ancienne et qu'il est temps d'y donner une solution.
C'est sous le ministère dont faisait partie l'honorable M. Malou que son honorable collègue des travaux publics a ordonné les études des travaux qui sont aujourd'hui soumis à votre appréciation. C'est cependant l'honorable M. Malou qui se montre un des adversaires les plus ardents de ce projet ; il l'attaque de toutes les manières. Il se montre d'abord grand partisan du maintien de l'équilibre entre les quatre bassins houillers du pays. Il a toujours soutenu cet équilibre, dit-il ; je rappellerai cependant à l'honorable membre que c'est lui qui a proposé l'abaissement des péages de la basse Sambre. Moi qui ne suis pas partisan de ce système, je ne lui en fais pas un reproche, mais je lui dirai qu'un abaissement de péage doit avoir ordinairement pour résultat de permettre à ceux qui se servent de cette voie de communication d'étendre un peu plus loin leur transport et de pénétrer un peu plus avant sur les marchés qui étaient desservis par d'autres, avant cet abaissement de péage.
Des théoriciens peuvent attaquer ce système, dit-il. Je lui répondrai, en lui citant un passage d'une pétition des exploitants de Charleroy. Voici ce que ces messieurs disent :
« Ils vous prient d'être convaincus, messieurs, que ces observations ne sont point dictées par un petit esprit de clocher ; les principes admis par les exploitants de mines de houille du bassin de Charleroy, les placent au-dessus de toutes ces idées mesquines, conséquence ordinaire d'une envieuse concurrence. Ils n'envient point à Liége le prêt fait à la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Namur à Liége, ils n'envient à personne la prise d'actions par le gouvernement dans le chemin de fer rhénan, ils n'envient point au bassin de Liége en particulier, les travaux d'utilité publique créés ou à créer, tels que la dérivation de la Meuse, le canal latéral et le canal de la Campine jusqu'à Anvers ; ils considèrent qu'il est juste que Liége comme Charleroy et Mons puisse concourir à l'alimentation du marché belge ; ils admettent qu'il y a justice, qu'il y a équité à ce que la nation dote le bassin de Liége comme aussi le Luxembourg, de tous les moyens de transport que comportent les exigences de l'agriculture et de l'industrie combinées avec la situation topographique de ces provinces. »
Ce ne sont pas là des théoriciens ; ce sont, je pense, des hommes pratiques, mais, en même temps, des hommes de cœur et de progrès, qui comprennent de quelle importance est le bon marché du combustible, pour le consommateur pauvre, comme pour les industriels qui en emploient en grandes quantités dans leurs fabriques. Je pense comme eux, et nous ne demandons rien autre chose, que d'avoir une voie de communication navigable en toute saison, sauf l'hiver, comme en ont les autres bassins houillers du pays ; et nous le demandons aussi bien dans l'intérêt des consommateurs d'Anvers et de la Campine, que dans celui des exploitants du bassin de Liége ; et je veux être juste aussi envers les autres bassins houillers du pays : c'est ainsi que j'ai voté en section et en section centrale le chemin de fer de Manage à Louvain, et que je voterai pour l'amendement présenté par nos honorables collègues de Mons, pour l'amélioration de l'Escaut ; et s'il se présente dans la discussion d'autres amendements tendant à agrandir encore, dans une limite raisonnable, le cercle de leurs relations, je les voterai encore. Mais, si le système de l'honorable membre était appliqué d'une manière absolue, il ne faudrait plus créer de voie de communication nouvelle, de peur de porter le trouble sur des marchés que d'autres seraient en possession de fournir ; il ne faudrait plus même en améliorer aucune, de peur de diminuer les frais de transport, car toute sa crainte est ici qu'on ne transporte le charbon de la houillère au canal à trop bon marché. Mais c'est l'honorable membre qui est un singulier théoricien, et je ne sais pas où l'on conduirait l'industrie du pays, en mettant sa théorie en pratique.
L'honorable membre, qui semble craindre que le bassin de Liége ne s'empare de presque tous les marchés qui sont maintenant approvisionnés par le Hainaut, prend soin cependant de rassurer lui-même les exploitants de cette province en disant que le bassin de Liége n'est pas outillé pour pouvoir augmenter sa production, et il reproduit à ce sujet le singulier argument déjà présenté par M. de Man, que si l'extension de l'exploitation fait élever les salaires, il n'y aura pas de bénéfice à étendre l'exploitation. Mais comme l'a déjà fait remarquer avec raison mon honorable ami M. Delfosse et comme tous nos honorables collègues qui habitent les districts miniers le savent parfaitement, plus l’extraction est considérable, plus les frais généraux se répartissent sur une plus grande quantité de charbon vendu, plus les bénéfices augmentent même avec l’augmentation du salaire des ouvriers, ce qui, selon moi, est un bien.
L'honorable membre tiendrait beaucoup à mettre le chemin de fer de Namur à Liége en communication avec le bassin du canal latéral à Coronmeuse. Je répondrai d'abord à l'honorable membre que ce qu'il démande ne remplirait nullement le but du projet du gouvernement, qui est de mettre la ville de Liége et les établissements industriels de l'amont de la ville en communication directe avec le canal latéral à la Meuse. Je n'ai pas vu le discours de l'honorable membre au Moniteur, de manière que je n'ai pas pu vérifier les chiffres qu'il a posés pour établir le prix du transport par cette voie depuis les houillères jusqu'au bassin de Coronmeuse ; j'ai cru seulement comprendre que ce transport coûterait plus cher et que c'était pour cela que l'honorable membre lui donnait la préférence, dominé qu'il était par la crainte de voir le système d'équilibre rompu ; mais déjà le conseil des ponts et chaussées a été saisi de l'examen d'un plan qui avait pour objet de remplacer le travail proposé par le gouvernement par un chemin de fer reliant le bassin de Coronmeuse aux établissements industriels de l'amont de Liége, et il a pour ainsi dire démontré à l'évidence son inefficacité.
Quant au but proposé de diminuer les inondations et d'améliorer la navigation dans la traverse de Liége jusqu'aux confins du bassin houiller à Chokier, et pour qui connaît les localités, ces difficultés sont palpables ; d'abord le bassin de Coronmeuse se trouve sur la rive gauche de la Meuse et la station de Longdoz sur la rive droite ; il faut donc traverser la Meuse pour arriver au bassin du canal. Or, cela ne peut se faire que par un pont sur la Meuse ou par un barrage à construire à la fonderie des canons, et donnant à la rivière le même tirant d'eau que dans le canal latéral. Dans le premier cas, la construction d'un chemin de fer et d'un pont dans cet endroit augmenterait de beaucoup les dangers des inondations, le remblai de ce chemin de fer formant obstacle à l'écoulement des eaux. Quant à la construction d'un barrage à la Fonderie, c'est un travail qui fait partie du plan proposé par le gouvernement. Or ce plan forme un tout complet, qui doit remplir deux buts déterminés, celui de mettre le canal latéral en communication avec le bassin houiller de Liége jusqu'à Chokier et de préserver Liége du danger des inondations, et l'on ne peut en distraire une partie sans compromettre l'autre.
Mais je dis que quand bien même le chemin de fer de Namur à Liége serait mis en communication avec le canal latéral, je doute que les exploitants s'en servissent pour conduire leurs charbons jusqu'au bassin de Corommeuse. La plupart des houillères de l'amont de Liége ont presque toutes leur port de chargement directement à la rivière et il ne m'est pas démontré qu'elles ne se serviraient pas encore de la Meuse plutôt que du chemin de fer pour conduire leurs charbons jusqu'au canal latéral malgré l'obstacle du transbordement qu'ils auraient à subir.
L'honorable M. de Man qui, comme l'honorable M. Malou, semble porter beaucoup d'intérêt à la société du chemin de fer de Namur, avait dit aussi que l'on avait prêté 1,300,000 francs à cette société pour l'aider à se mettre en communication avec le bassin de Coronmeuse.
L'honorable membre, comme l'a déjà dit mon honorable ami M. Delfosse, s'est trompé. On a prêté 1,300,000 francs à la compagnie du chemin de fer de Namur à Liége pour l'aider à achever l'embranchement de la rive gauche de Flemalle aux Guillemins, afin que si des réparations étaient nécessaires au pont du Val-Benoît, on pût les faire sans interrompre nos transports vers l'Allemagne. Cet embranchement faisait, du reste, partie des engagements pris par la compagnie et ne lui a été nullement imposé, comme l'a dit l'honorable M. Osy. On n'a, pour s'en assurer, qu'à lire l'article premier de la description générale du tracé qui accompagne le projet de loi de concession.
Mais un point sur lequel je suis d'accord avec l'honorable M. Malou, c'est celui qui a rapport à la plus courte distance pour les transports à effectuer par chemin de fer. Autant je me suis montré sévère envers la compagnie du chemin de fer de Namur à Liége pour l'obliger à remplir ses engagements, autant je me suis montré opposé à ce qu'elle vînt, dans son intérêt personnel, contrecarrer un projet d'utilité générale, autant je me montrerai favorablement disposé pour lui faire obtenir les transports qui lui reviendraient naturellement si sa ligne faisait partie du réseau de l'Etat.
Le gouvernement ne s'est pas prononcé sur ce point,et je me joindrai avec plaisir à l'honorable membre pour engager le gouvernement à traiter la compagnie en bon voisin et à se maintenir avec elle dans les termes d'une bonne et loyale réciprocité ; je suis persuadé que l'Etat et la compagnie y gagneront et que le public n'y perdra rien non plus.
Je ne répondrai que quelques motsài'honorable M. Orban. Les expressions dont il s'est servi ont quelque chose de trop injurieux pour les hommes honorables qui depuis tant d'années réclament des travaux d'amélioration dans la traverse de Liége, pour que je m'arrête longtemps aux objections qu'il a fait valoir contre le projet qui vous est soumis. L'honorable membre a parlé de grenouille et de bœuf et de masque philanthropique que l’on avait bien fait de jeter. Les désastres de l'inondation de 1850 sont encore de date trop récente, et le souvenir des hommes qui ont péri depuis tant d'années dans la traverse de Liége est encore trop présent à la mémoire des habitants de la ville que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, pour que j'aie besoin de chercher à justifier le projet sous ce rapport.
(page 1952) L'honorable membre dit : Mais si la ville de Liége est menacée par les inondations, c'est à elle-même qu'elle doit s'en prendre. Qu'a-t-elle fait pour parer à ces inondations ? Pourquoi ne s'est-elle pas opposée à la continuation du pont de la Boverie ? Pourquoi ne s'est-elle pas opposée aux atterrissements et y a-t-elle contribué elle-même en comblant le canal de la Sauvenière ? Je lui dirai d'abord que c'est le gouvernement, qui est chargé de l'entretien des rivières, qui a autorisé la construction de ce pont et laissé accumuler les atterrissements, et quant au canal de la Sauvenière, il servait à dégager à la vérité une partie de la Boverie pendant les inondations, mais ne garantissait nullement la ville. Ce canal prenait les eaux de la Meuse aux Augustins et les rendait en amont du pont des Arches qui comme aujourd'hui ne présentant pas un débouché suffisant refoulait les eaux sur le quai sur Meuse et dans les rues avoisinantes. En été, l'eau n'y coulait plus, ce canal formait alors un cloaque infect d'où s'exhalaient des miasmes qui occasionnaient des fièvres meurtrières tout le long de son parcours, et sous ce rapport on a fait une œuvre philanthropique en le comblant.
L'honorable membre vient aussi parler des revenus du canal latéral, et veut juger de l'avenir de cette voie de communication par les recettes des trois premiers mois après son ouverture. Mais que l'honorable membre veuille bien attendre et faire en sorte que l'on puisse arriver à ce canal sans être obligé de subir un transbordement, aussi bien les bateaux qui viendront du canal del'Ourthe, que ceux qui viendront des confins du bassin houiller de Liége, et il verra alors les revenus de ce canal augmenter de manière à produire pour le trésor une recette qui, je l'espère, sera de nature à satisfaire l'honorable membre. Il aime bien que les travaux rapportent l'intérêt du capital dépensé lorsqu'il demande l'exécution par l'Etat du chemin de fer du Luxembourg qui cependant, dans son opinion, ne doit pas rapporter de sitôt l'intérêt du capital nécessaire à sa construction.
Messieurs, les dangers des inondations de la Meuse dans Liége ne sont aujourd'hui contestés par personne ; il n'existe sur la Meuse aucun point où la navigation présente autant de dangers et de difficultés à la fois que dans la traverse de Liége ; chaque année, des hommes et des bateaux y périssent à la descente. Il faut ordinairement 8 heures à un bateau pour remonter de l'aval à l'amont de la ville. Le chemin de halage passant deux fois d'une rive à l'autre, on est obligé de faire traverser deux fois la rivière par les chevaux, manœuvre qui fait perdre beaucoup de temps et présente certains dangers. Si la canalisation de l'Ourthe s'exécute, et j'ai l'espoir qu'elle s'exécutera, il existera entre le point où ce canal vient déboucher dans la Meuse en amont de Liége et le canal latéral à la Meuse, à la fonderie de canons d'un côté et les établissements industriels de l'amont du bassin de Liége, de l'autre une solution de continuité qui nécessitera un transbordement. Le projet qui vous en est présenté remédie à tous ces inconvénients ; est-ce parce qu'il est complet, est-ce parce qu'il satisfait aux intérêts d'une grande cité industrieuse et d'un district manufacturier important qu'il faut le repousser ? Je ne le pense pas, messieurs, et je crois au contraire que c'est un motif de plus pour que vous lui donniez voire approbation.
Je dois dire en terminant que je ne fais nullement une question politique du projet dont la chambre est saisie en ce moment ; depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, je me suis toujours franchement et ouvertement montré partisan des travaux publics, c'est chez moi une conviction profonde que de toutes les mesures que le gouvernement peut prendre pour favoriser l'industrie du pays la construction de voies de communication économiques est, combinée avec une politique libérale, une des plus efficaces ; et je continuerai, tant que j'aurai l'honneur d'être représentant de mon pays, à appuyer de mon vote toutes les voies de communication utiles qui seront soumises à notre approbation.
- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. Thiéfry. - Je demanderai à la chambre de vouloir bien se former en comité secret.
M. de La Coste.- Je demande la parole contre la clôture.
Messieurs, je ne sais pas si on gagnera beaucoup à prononcer la clôture, car on retrouvera dans la discussion des articles ceux qu'on aura tenus en dehors de la discussion générale. Quant à moi, je n'y mets aucun intérêt personnel, je prends seulement la liberté de faire observer que je suis inscrit dans la discussion générale et sur l'article premier.
Si la chambre décide que la clôture aura lieu, j'invoquerai les précédents, pour réclamer de la courtoisie de la chambre la liberté de donner à mon opinion un peu de développement à l'occasion de l'article premier.
M. Rolin. - Je m'oppose à la clôture de la discussion générale. J'ai à présenter des considérations sur le projet de loi en général et je ne saurais comment les placer à l'occasion de la discussion des articles.
M. de Theux. - Je voulais précisément réclamer pour l'honorable M. Rolin, ancien ministre des travaux publics, la faculté d'émettre son opinion dans la discussion générale, et pour l'honorable M. de La Coste, qui a égalemeut des intérêts à soutenir. D'ailleurs, on ne gagnera rien à clore.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - S'il est entendu que l'on peut à l'occasion des articles ou de l'article premier rentrer dans des considérations générales, je demande quel inconvénient il y a de clore la discussion.
M. Coomans. - Quel avantage y a-t-il à clore ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - il y a l'avantage de ne pas laisser une discussion générale suspendue pendant trois jours encore ou de courir l'inconvénient de recommencer la semaine prochaine comme si l'on n'avait pas discuté du tout. Il me semble que c'est faire assez que de décider qu'a l'article premier les orateurs qui n'ont pas parlé pendant la discussion générale pourront se livrer à des considérations d'intérêt général.
M. Rousselle. - Je pense que la chambre ne doit pas clore la discussion générale.
Je suis inscrit dans la discussion générale pour parler « sur », et les développements que je tiens à présenter à la chambre touchent à l'ensemble du projet de loi.
Venez, messieurs, si on ne maintient pas nos tours de parole, ce qui peut arriver. On dit : Vous parlerez à l'article premier. Il arriverait peut-être qu'il y eût jusqu'à huit ou douze orateurs inscrits sur l'article premier ; on nous mettrait à la queue et notre tour de parole ne viendrait pas.
Je demande donc que la discussion continue.
- La clôture est mise aux voix ; personne ne se lève pour.
M. le président. - La discussion continue.
M. Rolin. - J'ai applaudi de tout mon cœur aux paroles patriotiques et vraiment conciliantes (malgré un cri de guerre que nos frères de la Flandre occidentale ont eu tort de prendre au sérieux, souvenir historique plutôt qu'expression du cœur) que vous avez entendues de la bouche de notre honorable collègue M. d'Elhoungne.
Il a su, avec une habileté, et, à mon sens, avec une modération infinie, rajeunir à son quatrième anniversaire, le programme du 12 août, rallier autour du drapeau les troupes un peu dispersées, effleurer en passant tous les points de la politique, indiquer la limite et le milieu vraiment juste entre l'anarchie dans la charité et la compression, entre les tendances vers la liberté du commerce et le brusque retrait de toute protection douanière ; l'affranchissement des classes laborieuses de tout impôt de consommation, et les ménagements que commande la situation financière ; enfin entre la fougue desordonnée des entraînements populaires et l'aveugle résistance à tout progrès.
En un mot il m'a paru qu'il a posé toutes les questions qui nous divisent dans des termes tels, qu'elles devraient nous unir au lieu de nous diviser.
Mais vous aurez remarqué comme moi, messieurs, que, dans la discussion à laquelle notre honorable collègue s'est livré, la politique a eu une part plus belle et plus grande que le projet de loi qui nous occupe, et que son discours n'est, à vrai dire, qu'une nouvelle dérivation de la question, à l'occasion de la dérivation de la Meuse.
Permettez-moi de faire remonter la discussion à son point de départ, et de vous rappeler que les sentiments nobles et généreux n'excluent pas la prudence, non plus que le respect de la justice distributive et le soin des intérêts légitimes que chacun de nous a plus particulièrement mission de représenter et de défendre dans cette enceinte.
Est-il besoin de dire, messieurs, que, moi aussi, je suis partisan des travaux publics, de ces travaux qui fécondent le sol, qui répandent la séve et la vie dans tout le corps social, et qui créent des sources de prospérité nouvelles, en même temps que les plus fortes garanties d'ordre et de stabilité ?
Mais ce qui me préoccupe, ce n'est pas une question de principe, c'est la même question qui a préoccupé, à une autre époque, mon honorable ami M. le ministre de l'intérieur : c'est une question de temps et de mesure.
Je ne sais si nos voisins du midi goûteront la solution nouvelle que mon honorable collègue de Gand leur a proposée : mixture de république et de monarchie ; fusion d'un genre nouveau, destinée à satisfaire tous les goûts, les uns quant au fond, les autres quant à la forme. Je ne le sais, mais je suis tenté de croire que jusqu'à présent le mixte n'a pas plus de chances de succès en France qu'en Belgique.
Quoi qu'il en soit, et en attendant les événements qu'un avenir prochain nous réserve, je dis qu'autant il serait puéril de s'en alarmer outre mesure, autant il serait téméraire de s'endormir dans une aveugle confiance, et de ne pas préparer sagement, prudemment les mesures que nous voudrions avoir prises, si les éventualités que l'on redoute venaient à se réaliser.
C'est le point de vue auquel le gouvernement lui-même s'est placé. Mais je ne puis m'empêcher d'exprimer à la chambre, d'exprimer aux amis à la politique desquels j'ai eu l'honneur d'être associé pendant deux ans, et qui ont conservé mes sympathies les plus profondes, les craintes que le projet de loi m'inspire, et sur lesquelles j'ai besoin d'être rassuré.
Je poserai nettement, dès le début, le point qui nous sépare et qui tient jusqu'à présent mon vote en suspens ; et j'exposerai, avec la brièveté que l'état avancé de la discussion commande, les raisons sur lesquelles je me fonde et dont plusieurs ont déjà été indiquées par les orateurs qui m'ont précédé.
J'hésite à voter pour le projet :
Parce qu'il dépasse, à mes yeux, le but dans lequel il est conçu ;
Parce que je crains qu'il n'ait pour effet de détruire l'équilibre financier si péniblement rétabli ;
Parce qu'il laissera le pays sans ressources pour des besoins plus pressants, plus inexorables que ceux auxquels il a pour objet de pourvoir ;
Parce que les circonstances défavorables dans lesquelles on a traité avec les compagnies concessionnaires ont mis le gouvernement dans la nécessité de se contenter de garanties incomplètes ou même nulles.
(page 1953) Je dis que le projet de loi dépasse le but dans lequel il a été conçu.
En effet, ce but est de donner du travail à la classe ouvrière pendant la crise politique que nous pourrions avoir à traverser l'an prochain. Or, trois ou quatre millions utilement employés à cet usage en travaux de routes et de canaux, nous feront atteindre ce but de la manière la plus complète. J'en ai pour preuve ce que le gouvernement a fait en 1848.
J'en ai encore pour preuve les paroles mêmes de M. le ministre de l'intérieur. Vous n'aurez pas oublié en effet, messieurs, qu'il vous a déclaré que les sommes consacrées par le projet à des travaux de cette nature (je ne parle pas des autres) seraient réparties sur un espace de dix ans.
Au surplus, il me paraît évident que c'est la somme la plus élevée qu'on puisse espérer d'employer en travaux de terrassements, soit de l'Etat, soit des compagnies concessionnaires, pendant 1852 ; car il s'écoulera nécessairement un temps assez long entre le décrètement de la loi, l'élaboration et l'approbation des cahiers des charges et des plans, et l'expropriation des terrains, avant que l'on puisse mettre la main à l'œuvre.
Je crains que le projet de loi n'ait pour effet de détruire l'équilibre des finances. Et en effet, l'honorable M. Vermeire vous a démontré, par des calculs que l'on peut voir à la page 50 du rapport de la section centrale, et qu'il a reproduits dans son discours, calculs dont l'exactitude ne saurait être contestée, que l'intérêt des capitaux nécessaires pour l'exécution des travaux qui seront entrepris par l'Etat, la garantie d'un minimum d'intérêt accordée par le projet de loi à diverses compagnies, et la réduction des péages sur le canal d'Antoing à Pommeroeul, laisseront un déficit d'environ un demi-million sur le produit présumé des impôts qui ont été créés en vue de ces mêmes besoins. Or, si l'on ajoute les garanties de minimums d'intérêt résultant des amendements déjà adoptés par la section centrale et qui me paraissent avoir de grandes chances de succès devant la chambre, à concurrence d'un capital de 16,800,000 fr., on trouve que le déficit s'élève à la somme d'environ un million.
Et que l'on ne dise pas que nous évaluons la charge qui pourra résulter de ces garanties à un chiffre trop élevé. Car si l'on peut espérer que sur certaines lignes ou sur certaines parties de lignes, par exemple, celles de la Flandre occidentale, le minimum d'intérêt sera de moins de 3 p. c, peut-être de 2 seulement, il est manifeste que sur celle du Luxembourg où le capital auquel la garantie du minimum d'intérêt s'applique, s'élève, à elle seule, à vingt-deux millions et demi, la garantie de 4 p. c. sera pendant longtemps totalement absorbée.
S'il était besoin, à cet égard, d'une preuve, je la trouverais encore une fois, me semble-t-il, dans le rapport de la section centrale où l'on peut lire, page 13, ce qui suit : « On ne peut comparer la ligne du chemin de fer de Namur à Arlon aux lignes du railway de l'Etat, qui ont des embranchements nombreux. »
« La première est une ligne à grande distance, avec peu de stations, ayant un caractère commercial et international et devant plus servir au transport des marchandises qu'aux voyageurs. En supposant un trafic beaucoup plus considérable que celui qui existera, les premières années du moins, un seul convoi de marchandises par jour suffira amplement. Il pourrait être de 50 ou 60 waggons, en faisant usage de locomotives plus fortes. »
Ce n'est pas, messieurs, je me hâte de le dire, que le chemin de fer du Luxembourg n'ait pas mes sympathies. Je serai heureux, au contraire, de voir cette province si intéressante, si pleine d'avenir, appelée à participer, comme nous, aux bienfaits de ce mode de communication. Mais je cherche à établir une seule chose : c'est que, selon toute probabilité, la garantie d'intérêt que l'Etat aura à supporter, en moyenne, pour les concessions comprises dans les propositions soit du gouvernement, soit de la section centrale, ne sera pas intérieure au chiffre de 3 p. c. auquel l'honorable M. Vermeire l'a porté.
Que l'on ne dise pas davantage que les charges qui en résulteront pour le pays seront compensées par des accroissements de revenus. J'en ai la conviction, mais l'on sait que ces accroissements sont lents et indirects. Or je parle des charges du présent et non de l'avenir.
Objectera-t-on peut-être que ces charges ne pèseront d'aucun poids sur l'année 1852, aux éventualités de laquelle il s'agit de pourvoir, et que la garantie ne sera due qu'au fur et à mesure de l'achèvement de chaque section ?
Je le sais ; mais ce que je sais aussi, c'est que si ces éventualités se réalisent, les ressources ordinaires du pays seront atteintes dans une très large mesure. L'expérience de 1848 est là pour le prouver.
J'ai dit, encore, messieurs, que j'hésitais à voter pour le projet de loi en discussion, parce qu'il laisserait le pays sans ressources, pendant l'année 1852, pour parer à d'autres besoins non moins certains, non moins inexorables, plus certains, plus inexorables peut être que ceux auxquels il satisfait ; pour parer à des besoins dont l'échéance ne peut se reculer, ou sans injustice ou sans perte pour le trésor, ou même sans danger pour notre existence nationale.
Permettez-moi d'insister très brièvement sur chaque catégorie de ces dépenses.
Je ne dirai qu'un mot du canal de Zelzaete. Il a été créé, comme on le sait, pour la décharge des bassins du Zwyn et du Braekman ; et les parties déjà exécutées répondent parfaitement à leur destination.
Une seule section reste à construire : celle comprise entre Saint-Laurent et Bouchaute. Son importance n'excède pas un million. L'exécution en est urgente, parce que les écluses Isabelle s'envasent chaque jour rapidement.
Sans doute le gouvernement ne voudra pas ajourner pendant longtemps la demande d'un crédit pour cet objet, et je serai heureux d'en recevoir l'assurance. Mais toujours est-il que c'est là, à mes yeux, un ouvrage plus pressant que tant d'autres qui ne sont pas en cours d'exécution
Le chemin de fer de l'Etat ? Faut il que j'insiste pour démontrer l'urgence de son achèvement ? Quel est celui d'entre nous, partisan ou ennemi de l'exploitation par le gouvernement, partisan ou ennemi des bas tarifs, qui n'ait, à cet égard, une conviction profonde ?
Je vous le demande, messieurs : Si, au lieu de l'Etat, il s'agissait d'une compagnie concessionnaire, le gouvernement ne considérerait-il pas comme un devoir impérieux de la rappeler à l'exécution de ses engagements ? La double voie reste à exécuter sur une grande partie du parcours. Il manque des loges de gardes, des hangars pour les voitures et les marchandises, des remises pour les locomotives, des stations dans les localités les plus importantes du royaume.
Il n'y a pas de jour, mon prédécesseur et mon successeur le savent, que l'administration, le commerce, l'industrie, les villes ne se plaignent.
On vous l'a dit avec raison, messieurs, si notre matériel était plus complet, nous aurions à supporter des charges de location beaucoup moins lourdes, nous pourrions satisfaire à des réclamations légitimes, nous attirerions à nous des transports très considérables, par exemple, les transports de chaux, qui nous échappent.
Si nous avions des hangars, notre matériel de transport serait sujet à une détérioration moins rapide, les marchandises que le commerce nous confie cesserait d'être exposées, dans bien des localités, à toutes les injures du temps.
Les bâtiments de stations ! Peut-être dira-t-on : Anvers, Liége, Bruxelles pour la ligne du Midi, Namur, d'autres localités telle que Chênée par exemple, d'un ordre très inférieur, mais où il ne règne pas moins un grand mouvement de marchandises, s'en sont passées pendant longtemps, elles pourraient bien s'en passer encore. A la rigueur, cela est vrai ; mais il n'en est pas moins déplorable que la plus grande œuvre du pays reste inachevée.
Pour ma part, chaque fois que j'arrive à la station du Nord, je me sens froissé, humilié dans mon amour-propre national, lorsque je vois des bâtiments élevés à si grands frais, qui présentent l'aspect d'une ruine, comme si la Belgique s'était arrêtée, à bout de ses forces, impuissante à finir.
Mais qu'ai-je besoin d'insister ? Le 23 février 1848, M. le ministre des finances, alors ministre des travaux publics, vous a demandé 25 millions pour le railway national. Sept millions seulement ont été votés la même année, et aujourd'hui on n'en demande qu'un seul !
Je dois le déclarer, messieurs, j'ai la conviction que c'est trop peu ; et ce qui m'alarme surtout, c'est que si le projet de loi est voté sans modification aucune, il faudra bien du courage, d'ici à longtemps, pour réclamer de nouveaux crédits et proposer de nouvelles charges, afin de satisfaire à ce besoin si impérieux.
J'insisterai, à tout événement, lors de la discussion des articles, pour que le chiffre de un million soit augmenté à concurrence de cinq.
Ce n'est pas tout. Si les éventualités dans l'hypothèse desquelles nous nous sommes tous placés, se réalisent, d'autres besoins surgiront.
Quel est pour nous l'immanquable effet de toute commotion politique qui agite la France ? L'histoire si récente de 1848 est là pour nous l'apprendre.
Aussitôt le commerce s'arrête, les ateliers se ferment, toules les sources du crédit public sont taries.
Le gouvernement est assailli de plaintes, de demandes de secours. Il résiste ; il résiste longtemps et avec fermeté ; mais bientôt les plaintes deviennent si vives, le danger si pressant, qu'il est forcé de transiger avec ses principes, et de venir en aide à l'industrie, au commerce, aux finances, comme une providence universelle.
Je n'ai rien dit jusqu'ici des exigences de la défense du pays ; et cependant, messieurs, si le gouvernement lui-même ignore l'étendue des besoins du matériel de la guerre, n'est-ce pas une raison, non pour décider dès à présent qu'il sera complété, mais pour tenir au moins quelques ressources en léserve, afin de le compléter au besoin ?
Que des troubles quelque peu graves éclatent en France, quelle sera la première mesure à prendre immédiatement sans grâce ni répit ? Ce sera le rappel des milices sous les armes, c'est-à-dire une nouvelle dépense de quelques millions.
Oh je le sais bien, mcssieurs, quoi qu'il arrive, la noble Belgique n'abdiquera jamais, par lâcheté ou par avarice, le soin de sa conservation, le maintien de sa nationalité. Au premier son de la cloche d'alarme, pas un ministre n'hésitera à demander, pas un de nous n'hésitera à donner à la patrie tous les hommes, tout l'argent dont elle aura besoin pour sa défense.
Mais si vous épuisez d'avance toutes nos ressources, que restera-t-il si ce n'est la ressource, toujours déplorable, de l'emprunt forcé ?
Je me trompe, il en restera une autre : ce sera celle d'ajourner l'exécution de tous les travaux qu'on propose de décréter en ce moment.
Mais remarquez-le bien, dire qu'en ce cas on ajournera l'exécution des travaux, ce serait dire en d'autres termes, que, si les éventualités tant redoutées pour 1852 se réalisent, on renoncera aux mesures qu'on décrète aujourd'hui dans la prévision de ces mêmes éventualités.
Le projet de loi me paraît encore inopportun sous un autre rapport : c'est que, à mes yeux, les circonstances sont on ne peut plus défavorables (page 1954) pour traiter, dans de bonnes conditions, avec des compagnies concessionaires.
Je ne saurais partager l'opinion qui a été exprimée dans la séance d'hier par mon honorable collègue de Gand, à savoir que les conditions, stipulées dans les conventions annexées au projet de loi, sont faites pour décourager les capitaux étrangers. Mon honorable collègue s’est fondé, pour le soutenir ainsi, sur les clauses de déchéance dont ces traités foisonnent ; et il a exprimé le désir que le gouvernement rassurât les capitalistes sur ses intentions par une déclaration officielle.
Messieurs, demander que les clauses de déchéance disparaissent des traités, c'est demander implicitement que le gouvernement se prive de toute garantie ; c'est s'exposer à traiter avec des compagnies qui ne présenteraient pas la moindre solidité ; c'est s'exposer à laisser entamer des travaux qu'on serait forcé de suspendre ; c'est s'exposer à laisser déchirer inutilement une partie du territoire.
Quelle garantie de bienveillance plus grande peut-on désirer que celle qui résulte de l'expérience du passé ?
A coup sûr, on ne peut pas se plaindre que le gouvernement se soit montré d'une rigueur excessive ; il n'y a pas une compagnie concessionnaire qui n'ait encouru la déchéance ; et cependant, comme il l'a dit, la déchéance n'a été poursuivie que contre une seule, et ce n'est pas M. le ministre des finances, c'est moi qui suis coupable de l'avoir poursuivie.
Je l'ai fait, parce qu'elle a spontanément, formellement abandonné son entreprise ; je l'ai fait, sur les pressantes instances de la ville de Louvain, parce que les travaux commencés étaient livrés à des dégradations, et les matériaux à pied d'oeuvre à des soustractions de tous les jours.
S'il fallait, au surplus, une preuve nouvelle de l'esprit d'équité qui anime le gouvernement envers les compagnies étrangères qui nous apportent leurs capitaux, cette preuve n'est-elle pas dans la proposition même qui nous est faite aujourd'hui, de punir ces compagnies de la déchéance qu'elles ont encourue, en leur accordant la garantie d'un minimum d'intérêt ?
Mais je dis, messieurs, que les circonstances sont on ne peut pas plus défavorables, pour traiter avec elles, et la raison en est toute simple : c'est qu'elles aussi ont, comme nous, devant les yeux la terrible échéance de 1852. Elles savent que si les événements de 1848 viennent à se reproduire, en 1852, elles feront, comme alors, de vains appels à leurs actionnaires, et l'absence des fonds les mettra, comme alors, dans la nécessité d'abandonner leurs travaux.
Aussi ai-je le regret de voir que la concession du chemin de fer direct de Gand à Bruxelles, à l'exécution duquel la capitale, la ville de Gand, la ville d'Alost, si injustement isolée, attachent la plus haute importance ; que cette concession, dis-je, ne présente aucune espèce de garantie d'exécution. Si je lis le contrat, j'y vois un projet, mais je n'y vois rien de plus, rien qui lie qui que ce soit à quoi que ce soit.
On a traité avec quelques personnes très honorables, il est vrai, mais on a traité d'une simple espérance.
Je remarque qu'à l'article 25 il est dit :
« Il est entendu que les comparants de seconde part n'encourront, du chef des obligations imposées par les présentes à la compagnie, d'autre responsabilité personnelle que celle attachée aux actions qu'ils souscriraient dans la société dont il est parlé à l'article 22 ci-dessus. »
Et si je remonte à l'article 22, voici ce qu'il porte :
« La compagnie aura la faculté de se constituer en société anonyme avec émission d'actions.
« En cas de constitution de semblable société, celle-ci deviendra seule responsable, envers l'Etat, de l'accomplissement de toutes les obligations résultant de ladite convention. »
Ce n'est donc pas une garantie que nous tenons, messieurs, c'est une bulle d'air qui crèvera entre nos mains ; et si nos renseignements sont exacts, à l'heure qu'il est, elle a déjà crevé.
S'il en est ainsi, qu'il me soit permis de faire observer, sans encourir le reproche de plaider dans un intérêt de localité, que la compensation offerte par l'exposé des motifs au Brabant et à la Flandre est complètement illusoire.
J'aime à croire que le gouvernement voudra bien nous rassurer sur ce point.
Je ne dirai rien du principe même de la garantie d'un minimum d'intérêt ; je pense qu'il serait très difficile d'adopter à cet égard un système absolu.
Toutefois, je ne le voterai qu'avec une extrême répugnance, parce qu'une fois placé sur cette pente rapide, il est bien difficile de ne pas se laisser entraîner. Je voudrais au moins que le gouvernement traçât une limite rationnelle, qu'il serait bien décidé à ne pas dépasser ; et cette limite pourrait être, ce me semble, celle des travaux d'un caractère vraiment national et qui intéresseraient le pays tout entier, mais non pas seulement quelque branche d'industrie de quelque localité particulière.
Voilà ce que je voudrais voir. C'est dire que bien que le chemin de fer du Luxembourg ne puisse à mes yeux réaliser, d'ici à longtemps, des destinées bien prospères, bien que je prévoie que la garantie de 4 p. c. qui lui est assurée sera, pendant de longues années, entièrement absorbée, je serai néanmoins favorable à son exécution.
Quelle conclusion y a-t-il à tirer de tout ce que j'ai eu l'honneur de dire à la chambre ? Qu'il n'y a rien à faire ? Que les travaux d'utilité publique ne sont pas la meilleure de toutes les garanties d'ordre ? Nullement ; mais comme ce n'est à mes yeux qu'une question de temps et de mesure.
Je voudrais que la mesure fût telle aujourd'hui, qu'on gardât des ressources pour d'autres besoins non moins impérieux qui se feront sentir dans un avenir très prochain, surtout pour les besoins qui intéressent notre indépendance.
Je dirai, comme d'autres membres l'ont déjà dit avant moi, qu’après la satisfaction de ces besoins de l'ordre le plus éldevé, il semble naturel d'achever les travaux commencés avant d'en entreprendre de nouveaux. Cest la règle de conduite que nous suivons lorsqu'il s'agit de nos intérêts privés. Pourquoi donc ne pas la suivre quand il s'agit des intérêts bien autrement sacrés du pavs ?
N'eût-on proposé que l'achèvement du canal de la Campine, sans consacrer un sou aux besoins des Flandres, je n'aurais pas hésite à voter les crédits demandés, parce qu'ils auront pour effet de fertiliser, de féconder les millions déja dépensés pour l'exécution de ce canal. C'est par la même raison, bien plus que par intérêt pour la localité que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, que je voterai avec joie le crédit demandé pour la continuation du canal de Schipdonck.
Et ici qu'on ne craigne pas que je vienne jeter une parole irritante dans ce débat. Né dans la Flandre occidentale, attaché à la Flandre orientale par une foule de liens, je porte une égale affection à l'une et l'autre de ces provinces ; et nul n'est mieux placé que moi pour apporter à nos frères ce rameau d'olivier que mon honorable collègue M. d'Elhoungne leur a fait voir hier en perspective.
3,500,000 francs sont proposés pour les travaux destinés à compléter les moyens d'écoulement des eaux d'inondation de la Lys.
Je demanderai, par un amendement formel, qu'une partie en soit consacrée à l'approfondissement du canal de Gand à Bruges, et si le gouvernement et la chambre veulent bien accueillir cette proposition, je verrai s'accomplir un de mes vœux les plus chers. Mais le canal de Schipdonck, avec sa direction primitivement indiquée vers la mer du Nord, est une nécessité tellement impérieuse, qu'il me serait impossible de renoncer à la voir décréter d'une manière positive, qui ne laisse rien d'incertain pour l'avenir.
Je ne parlerai pas de la question d'art ; je n'examinerai pas si l'on peut raisonnablement espérer de procurer aux eaux d'inondation de la Lys un écoulement suffisant, en les jetant à Schipdonck dans le canal de Bruges, et en les dirigeant de Bruges vers le Zwyn, qui s'envase tous les ans avec une incroyable rapidité.
Mais à part la question d'art, il y a une question de bon sens. Qui pourrait songer sérieusement à assujettir de nouveau un canal de navigation à la servitude de l'écoulement des eaux ? Le pays en a fait l'essai pour le canal de Terneuzen qu'on a voulu utiliser en même temps pour l'agriculture et le commerce, et il est arrivé que ni le commerce ni l'agriculture n'ont jamais reçu satisfaction ; car on sait que lorsqu'un canal sert à la décharge des eaux, il ne peut servir à la navigation, et réciproquement. Ainsi les deux services ont été constamment entravés.
Messieurs, j'ai regardé comme un devoir impérieux d'apporter ma conviction dans cette discussion. J'ai cru devoir le faire, dussé-je ne pas la faire partager par l'assemblée.
Je le repète, pour moi, les travaux qui sont en discussion ne sont pas une question de principe, mais une question de temps et de mesure ; et le temps ne me semble pas venu pour des travaux aussi vastes que ceux qui sont proposés.
Sans doute si le gouvernement venait demander des ressources nouvelles pour les besoins impérieux que j'ai signalés, je serais tout disposé à les voter. Mais ces sacrifices, ne nous le dissimulons pas, sont pénibles. Il est dangereux jusqu'à un certain point de les accumuler coup sur coup ; et il serait d'une bonne politique, selon moi, de travailler plutôt lentement, avec prudence, avec mesure, en attendant des temps meilleurs et plus sûrs.
Cependant si je me trouvais en présence d'une nécessité gouvernementale, d'une nécessité politique qui me commanderait de donner mon assentiment aux mesures proposées, plein de confiance dans mes amis politiques, je serais peut-être encore disposé à me laisser corrompre, mais à me laisser corrompre par un sentiment dont la pureté ne vous paraîtra pas suspecte.
Quelle que soit l'issue de ces débats, gardons intacts les principes que nous défendons avec franchise, avec courage, avec loyauté. Mais sachons nous respecter les uns les autres, et n'oublions pas que nous devons aide et assistance au gouvernement, qui en a besoin pour nous faire traverser avec autant de bonheur qu'en 1848 les nouvelles éventualités qui pourront se produire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A l'heure déjà avancée de la séance et au point où en est arrivée la discussion, je sens le besoin d'être bref. Je m'efforcerai donc de ne pas réclamer longtemps l'attention de la chambre.
Nous poursuivons depuis trop longtemps un but important. Nous avions acquis la conviction qu'il était indispensable d'augmenter dans une proportion assez notable les ressources de l'Etat. Nous avions acquis la conviction - et ce débat ne le prouve que trop - que le pays réclamait impérieusement l'achèvement de tant de travaux publics commencés et qui restaient inexécutés. Nous avons dû placer avant tout le rétablissement de la situation financière. Il nous eût été plus commode d'agir autrement ; je crois pouvoir le dire, nous aurions été bien accueillis, si, fermant les yeux sur les besoins du trésor, nous étions venus proposer l'exécution des travaux publics qui vous sont actuellement soumis sans réclamer de nouveaux impôts. Nous aurions pu laisser tant de soucis à nos successeurs !
Nous avons pensé que ce n'eût été de la part du gouvernement, ni (page 1955) courageux, ni digne, ni patriotique. Nous aurions ainsi compromis, sacrifié peut-être, un grand intérêt national. C’est ce dont nous nous préoccupions. Nous avons alors demandé à nos amis politiques d’ajourner toute espèce de discussion sur cette question si grave et si importante de l'armée, et nos amis politiques - ce sera l'honneur de l'opinion libérale - acceptant l'engagement que nous prenions, de livrer à un examen impartial tous les points qui avaient fait éclater des divisions entre nous, ont ensuite voté loyalement et courageusement les impôts.
Cette armée, dont l'honorable préopinant vient de parler, elle est donc en meilleure situation aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a trois mois. Ceux qui avaient compromis sa position, je l'ai dit et je le répète encore, ce sont ceux qui avaient laissé imprudemment s'affaiblir nos finances, et ses meilleurs défenseurs aujourd'hui, ce sont ceux qui, sans chanter beaucoup d'élégies en son honneur, ont voté les impôts.
Ce premier but atteint, nous avons examiné quels étaient, sous le rapport des travaux publics, les besoins du pays ; nous avons envisagé la situation d'une manière générale ; nous avons choisi dans chaque province ce qui nous a paru devoir éveiller plus particulièrement notre attention ; nous avons résumé dans le projet de loi le résultat de notre examen et de nos recherches.
Avons-nous été justes, impartiaux, équitables ? Avons-nous fait ce que nous devions faire ? Sans doute, nous n'avons pas tout fait ; lorsque tous les travaux qui sont proposés auront été exécutés, il en restera beaucoup d'autres à faire. Nous avons proposé ce qui était le plus urgent, le plus nécessaire.
Si nous examinons la discussion, si nous examinons même les amendements qui se sont produits jusqu'à ce moment, ne sommes-nous pas autorisés à conclure que nous avons fait ce qui était commandé par la situation ? Est-ce que, dans leur ensemble, les travaux proposés par le gouvernement ont été l'objet d'une attaque sérieuse ?
Que pouvions-nous faire ?
Nous avions, messieurs, à continuer ce qui était entrepris. Nous avions en face de nous des compagnies ayant déjà exécuté certains travaux. Qu'était-il possible de faire pour elles ? A quel parti s'arrêter ? Ou ne rien faire, ou les exproprier, ou intervenir en leur faveur.
Ne rien faire, c'est le conseil de bien peu de personnes dans cette assemblée.
Les exproprier, parce qu'elles n'ont pas rempli leurs engagements, c'est un acte que personne, je pense, n'aurait conseillé. D'ailleurs, cet acte n'aurait pas dispensé l'Etat de chercher les moyens d'exécuter les travaux.
Il ne restait donc qu'à intervenir en faveur de ces compagnies.
Le mode d'intervention qui a été adopté est-il mauvais ? Il le serait, si j'en croyais l'honorable M. Dechamps, qui a surtout trouvé dans le projet l'occasion de faire son propre éloge. L'honorable M. Dechamps, tout en approuvant le principe de l'intervention à l'aide de la garantie d'un minimum d'intérêt, trouve que ce principe aurait été mal appliqué et de manière à le compromettre dans l'avenir.
On ne prête cette garantie, dit-il, c'est un principe fondamental en cette matière, que lorsque les sociétés n'en ont pas besoin. Quand on donne à une compagnie une magnifique affaire qui doit évidemment l'enrichir, quand on fait, continue-t-il, une convention comme celle qu'on a signée avec la compagnie de Dendre-et-Waes, quand il n'y a pas de risques à courir, on donne cette garantie.
L'honorable membre a pu émettre et soutenir cette théorie. Mais si nous voulons en voir immédiatement l'application, prenons l'honorable membre à l'œuvre.
Il a proposé la garantie d'un minimum d'intérêt en faveur de la compagnie du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Probablement l'honorable membre était convaincu que l'affaire était merveilleuse, qu'elle n'engagerait pas la responsabilité de l'Etat, que jamais on ne viendrait réclamer les effets de la garantie. Cette compagnie s'est trouvée dans d'excellentes conditions. Elle était composée de capitalistes sérieux ; par une exception peut-être unique, tout le capital de la compagnie a été versé, pas une action n'a été déchue. Quinze millions sont sortis de la bourse des actionnaires ; mais ayant dépensé ces quinze millions dans l'entreprise de l'Entre-Sambre-et-Meuse, la compagnie n'a pas pu achever ses travaux ; et précisément parce que ces travaux n'ont pas été achevés, elle ne reçoit rien de l'exploitation de son chemin de fer, rien de cet énorme capital de quinze millions dépensé par elle.
Or, la théorie de l'honorable M. Dechamps, si elle avait été admise, aurait trouvé pour la première fois son application à la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse ; et qu'en serait-il résulté ? C'est que pour la première application de la théorie, ou bien il aurait fallu refuser tout secours, parce que les travaux n'étaient pas achevés, ou bien l'Etat aurait payé annuellement 600,000 fr. à cette compagnie. Ce n'est pas le principe, c'est la théorie de l'honorable membre qui aurait été compromise.
Messieurs, la garantie d'intérêt, telle que nous l'avons offerte, est-elle de nature à engager les compagnies à faire tous les efforts possibles pour réaliser leurs entreprises ? Voilà, messieurs, ce qu'il faut rechercher. Car, une fois qu'il est démontré que le seul mode d'intervention qui fût possible en leur faveur était celui de la garantie d'un minimum d'intérêt ; une fois qu'il est démontré que l'Etat ne pouvait leur venir en aide d'une manière plus efficace que par ce moyen, il faut rechercher si ces compagnies ont par là un appât suffisant pour qu'elles soient déterminées à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour achever les travaux.
Or, la compagnie de la Flandre occidentale, par exemple, a dépensé 8 millions ; elle en retire un faible intérêt. Cet intérêt est faible aussi parce que la ligne n'est pas achevée, parce qu'elle est grevée de frais généraux qui n'augmenteront guère lorsqu'elle aura complété son entreprise.
La compagnie de la Flandre occidentale est menacée de perdre ce capital de 8 millions donnant un certain intérêt, si elle n'accomplit pas ses engagements. Car, évidemment, lorsque l'Etat aura fait l'offre de ce sacrifice, qu'il se sera montré disposé à venir en aide à la compagnie par une garantie de minimum d'intérêt, si ultérieurement cette compagnie venait à ne pas remplir ses engagements, l'Etat serait vis à-vis de cette société dans une position telle qu'il serait impossible de lui contester le droit d'agir avec rigueur. L'Etat aurait été bien au-delà de ses engagements ; la compagnie n'aurait pas rempli les siens.
La compagnie aura un intérêt pressant à les tenir, et c'est précisément cet intérêt qui est la plus forte garantie de l'exécution ; c'est surtout l'intérêt qu'a la compagnie à remplir maintenant ses obligations, à ne pas perdre l'occasion qui lui est offerte de faire fructifier le capital considérable engagé par elle dans cette opération, qu'il faut envisager. C'est là, de toutes les sécurités, la plus forte qui puisse être donnée. Et cet intérêt, elle l'a ainsi apprécié.
La compagnie affranchie de certains engagements onéreux, s'est hâtée d'accepter nos conditions ; la compagnie fera des efforts surhumains pour profiter de la loi que vous allez voter. La compagnie sera assurée d'une rémunération suffisante sur une somme supérieure à celle qui lui est nécessaire pour achever les travaux, car le minimun d'intérêt porte sur un capital fixe de 10 millions alors même que les travaux n'absorberaient pis ce capital. C'est-à-dire qu'elle pourrait attribuer un intérêt supérieur à 4 p. c. aux actionnaires qui verseraient des fonds ou aux prêteurs qui lui viendraient en aide.
Elle a cette rente à donner en garantie, plus le capital qu'elle possède déjà, son exploitation qui offre un bénéfice, quoique minime, aux capitaux engagés dans cette affaire. Et c'est en présence d'une pareille situation que l'honorable M. Dechamps est venu vous dire que les propositions que nous soumettons à la chambre sont entourées de beaucoup moins de garanties que les propositions qui vous ont été soumises par lui en 1845 ! Or, messieurs, il est évident que pour toutes les compagnies à l'égard desquelles nous intervenons par la promesse d'un minimum d'intérêt, la position est infiniment meilleure pour l'Etat qu'elle ne l'était à l'époque où l'on a traité en 1845.
A l'époque où l'on a traité en 1845, qu'est-ce qu'on offrait à l'Etat ? La simple garantie d'un cautionnement versé et de l'obligation prise de fournir ultérieurement la valeur des actions qui étaient souscrites, mais à l'égard desquelles la déchéance pouvait arriver et elle est arrivée pour un grand nombre. C'était la seule garantie.
Quelle est celle que nous trouvons aujourd'hui au contraire ? C'est le gage qui résulte des travaux déjà exécutés ; c'est la garantie d'un travail de 8 millions pour la compagnie de la Flandre occidentale, d'un travail de 15 millions pour la compagnie d'Entre-Sambre-et-Meuse ; c'est la garantie des travaux déjà exécutés par la compagnie du Luxembourg sur la section de Bruxelles à Naniur et du cautionnement qui est encore dans les caisses de l'Etat.
La compagnie du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et Meuse a adopté, d'accord avec le gouvernement, une autre combinaison pour la garantie du minimum d'intérêt.
Elle a demandé que l'obligation de payer éventuellement un minimum d'intérêt portât sur les embranchements considérés comme onéreux, s'engageant par là à exécuter la ligne principale sans aucune intervention de la part de l'Etat. Qu'est-ce à dire ? C'est que la garantie qui est, nominalement, de 4 p. c. sur les embranchements, est en réalité une garantie plus forte ; c'est sur la partie onéreuse de l'exploitation que portent les efforts du gouvernement ; c'est là que le gouvernement intervient afin de couvrir bien plus sûrement les actionnaires des risques qu'ils pourraient avoir à courir.
Pour la compagnie du chemin de fer du Luxembourg, le même système a été suivi. La compagnie du Luxembourg obtient l'exéculion de la ligne de Bruxelles à Namur, par suite de la déchéance de la compagnie de Louvain à la Sambre ; elle l'obtient sans garantie d'un minimum d'intérêt, mais la garantie porte sur ce que la compagnie doit naturellement, dans l'état actuel des choses, considérer comme la partie la plus onéreuse de l'entreprise. C'est un nouvel et grand avantage que l'on fait à la compagnie et nous répondons ainsi au désir exprimé avec beaucoup de raison par l'honorable M. d'Elhoungne dans la séance d'hier, désir que j'interprète en ce sens qu'il faut que le gouvernement se montre très sympathique aux compagnies ; qu'il fasse tout ce qu'il peut, sans trop compromettre l'intérêt du trésor, pour qu'elles exécutent leurs engagements.
Un des plus grands services que l'on pourrait rendre au pays, ce serait de raviver ici l'esprit d'association, deux fois compromis, d'abord par les autorisations si imprudemment accordées à une foule de sociétés anonymes constituées uniquement dans un but d'agiotage, et ensuite par la facilité avec laquelle certaines concessions ont été accordées en 1845.
Et il est véritablement étrange, qu'après ce qui s'est passé il y a cinq années, à une époque si rapprochée de nous, l'honorable M. Dechamps vienne nous parler du système qui servait de base aux concessions de 1845.
La plupart ont été improvisées, même dans cette chambre ; d'autres ont été imposées par voie d'amendement ! Les concessions de 1845 étaient (page 1956) le résultat d'un système ! Oui, un système fait après coup, a tel point que le canal de.Mons à la Sambre et le chemin de fer de Charleroy à Erquelinnes, indiqués par l'honorable membre comme faisant partie du système, n'étaient point compris dans les projets du gouvernement, et ont été improvisés dans la section centrale sans qu'il y eût même aucune espèce de convention ; car bien qu'une proposition ait été communiquée à la section centrale, le 3 mai 1845, pour faire comprendre ces travaux dans la loi, et essayer ainsi d'amortir l'opposition qui s'élevait contre la concession du chemin de fer de Manage à Mons ; une convention à cet égard ne fut signée que plusieurs jours après. Voilà, messieurs, ce système si profondément médité pour pondérer les différents intérêts ! Voilà le système savant que l'honorable M. Dechamps avait patiemment élaboré dans l'intérêt du pays !
La précipitation avec laquelle ces concessions furent votées contraste singulièrement avec la discussion à laquelle on se livre aujourd'hui et que, du reste, nous ne refusons pas, puisqu'elle nous permettra de justifier d'autant mieux les propositions que nous avons faites à la chambre.
Les projets de 1845, messieurs, comprenaient au moins, si je ne me trompe, des travaux pour 150 millions de francs. Cent cinquante millions de francs, c'était une bagatelle alors ; c'est une imprudence de parler d'un pareil chiffre aujourd'hui. On fut sage et habile dans la distribution de ces concessions, objets parfois de si fâcheux trafics ; on est aventureux et malhabile maintenant de tenter de rendre la vie aux entreprises de cette époque restées inachevées ; et tout cela, messieurs, fut voté en huit jours dans cette chambre, ainsi que le faisait remarquer M. Dumon-Dumortier, sans discussion pour ainsi dire et en quatre jours au sénat !
Lorsque nous avons pris la détermination d'intervenir en faveur des compagnies à l'aide de la garantie d'un minimum d'intérêt nous avons consulté ce qui s'était fait en d'autres pays.
Or, messieurs, il peut bien se rencontrer quelques rares théoriciens, qui d'ailleurs n'appliquent jamais leur principe, pour soutenir, comme l'honorable M. Pirmez, que l'Etat ne doit pas intervenir en matière de travaux publics ; mais lorsqu'on va au fond des choses, que l'on vérifie les faits, on voit que dans toutes les parties du globe, sur tous les points où la civilisation règne, l'Etat intervient en cette matière.
Il y a une exception, c'est l'Angleterre ; l'esprit d'association y étant extraordinairement vivace, de grandes fortunes s'y trouvant concentrées et les institutions politiques elles-mêmes ayant favorisé le développement de l'esprit d'entreprise, en Angleterre, par exception, les travaux publics y sont exécutés sans l'intervention de l'Etat.
Et encore, messieurs, en Angleterre le gouvernement est intervenu par des prêts en faveur des compagnies, le gouvernement est intervenu en faisant exécuter directement d'importants Iravaux, tels que le pont de Bangor, sur le détroit de Menai, et le grand canal Calédonien ; le gouvernement est intervenu en faisant exécuter de grands travaux en Irlande. Il intervient encore dans l'exécution des chemins de fer dans les Indes.
Voilà, messieurs, pour l'Angleterre ; mais partout ailleurs l'Etat exécute directement ou intervient sous des formes différentes pour favoriser l'exécution de travaux d'utilité publique.
Aux Etats-Unis, l'intervention de l'Etat est très multipliée et s'exerce de différentes manières.
L'Etat est intervenu, soit en exécutant directement et sans trop craindre de s'engager, sachant parfaitement que les travaux donnent des produits et finissent par rendre au trésor en revenus directs ou indirects, plus qu'ils ne lui ont enlevé, soit, dis-je, en exécutant directement, soit en prenant des actions dans les compagnies, soit en promettant la garantie d'un minimum d'intérêt. Ce sont ces travaux pour lesquels la plupart des Etats se sont engagés d'une manière considérable, qui ont fait les Etats-Unis ce que nous les voyons aujourd'hui.
N'ayons pas tant de souci, messieurs, n'ayons pas tant d'inquiétude lorsqu'il s'agit d'exécuter des travaux d'utilité publique. La Belgique en a exécuté pour 250 millions environ depuis 1830 ; je ne m'attache pas rigoureusement aux chiffres, vous le comprenez ; eh bien, ces 250 millions, comment sont-ils couverts ? Par les produits mêmes des travaux, à peu de chose près ; je ne parle que des produits directs ; et beaucoup de ces travaux ne sont pas arrivés au degré de développement auquel ils doivent atteindre, beaucoup ne produisent pas aujourd'hui ce qu'ils produiront inévitablement dans l'avenir.
A deux millions ou deux millions et demi près, l'intérêt de ce capital énorme de 250 millions est couvert par le produit même que donnent les travaux. Est-ce que cela, messieurs, n'est pas encourageant ? Est-ce que cela ne doit pas stimuler le pays à faire des sacrifices pour exécuter de grands travaux publics ? Que sont-ils, en définitive ? Mais des moyens de produire à bon marché, d'appeler un plus grand nombre au partage des bénéfices sociaux ; ce sont des moyens de répandre de plus en plus l'aisance et de disséminer les richesses ; ce sont les moyens de donner à bon marché tous les objets indispensables à l'homme, à la société ; ce n'est pas autre chose que cela.
A l'époque où nous vivons, que deviendra de plus en plus la question industrielle et commerciale ? Une question de transport. Avant peu, les divers pays possédant les mêmes éléments de trafic, se trouveront dans des conditions analogues pour la production : ils produiront à peu près de la même manière, à peu près aux mêmes prix ; l'avantage sera pour ceux qui pourront le plus commodément arriver au marché, qui pourront offrir aux prix les moins élevés les marchandises qu'ils auront fabriquées. La question industrielle ne sera bientôt plus qu'une simple question de transport.
C'est pour cela que quand il s'agit de travaux publics, qui ne sont en général que des moyens de transport économiques, vous voyez le pays entier s'agiter, s'émouvoir four en réclamer ardemment l'exécution C'est qu'il y a là pour tous un intérêt direct, immédiat et qu'on sait par expérience ce qu'on obtiendra nécessairement par ces travaux.
Sans doute il y faut de la mesure. Parce que les travaux publics sont destinés à produire un grand bien, ce n'est pas une raison pour que l'Etat doive excéder ses forces dans le but de les entreprendre ; il ne doit en entreprendre que dans la mesure de ses ressources, et ceci m'amène naturellement à l'une des objections qui a été présentée par l'honorable préopinant.
L'honorable membre s'effraye à l'idée que l'exécution du plan projeté par le gouvernement, ne vienne altérer l'équilibre financier. « Cet équilibre, dit-il, si difficilement rétabli, vous allez le compromettre, en décrétant les travaux que le gouvernement a proposés. »
L'honorable membre du moins a été plus logique que d'autres orateurs qui l'ont précédé. Il a admis, m'a-t-il paru, que les travaux qui incombent aux compagnies seraient exécutés ; il s'est éloigné en cela du système à double face adopté par le plus grand nombre d'orateurs de l'opposition qui sont tombés dans cette contradiction, de soutenir d'une part, pour exciter des inquiétudes et des défiances, que les compagnies n'exécuteraient pas leurs engagements ; que les seuls travaux entrepris par l'Etat se feraient ; et, d'autre part, que nous mettions cependant le trésor public au pillage.
La contradiction est manifeste : car si les engagements que nous avons pris envers les compagnies ne se réalisent pas, nous garderons les ressources que nous aurons obtenues pour y faire face et qui se trouveront sans application. Ainsi, sous ce rapport, loin de s'appauvrir, le trésor s'enrichirait.
Mais j'admets l'hypothèse de l'exécution, non pas immédiate, mais accomplie dans un certain nombre d'années ; dans cette hypothèse que j'admets, parce qu'elle est la seule raisonnable, nous avons pourvu aux moyens de satisfaire à nos obligations. C'est ce dont ne paraît pas s'être préoccupé assez attentivement l'honorable préopinant.
Si nous avons proposé des dépenses, nous avons mis en regard des recettes, ce qui peut encore, à bon droit, passer pour de la politique nouvelle.
L'honorable préopinant s'en est rapporté aux calculs qu'a présentés, il y a quelques jours, l'honorable M. Vermeire ; mais ces calculs sont erronés. D'abord, l'honorable M. Vermeire a ajouté aux travaux proposés par le gouvernement, les travaux indiqués par la section centrale et qui s'élèveraient à seize millions de francs....
M. Vermeire. - J'ai parlé de quarante-deux millions et demi sur lesquels j'ai compté 3 p. c. Ce sont tous travaux proposés par le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je croyais me rappeler que vous aviez ajouté à ces travaux ceux qui sont proposés par la section centrale ; c'est l'argumentation de l'honorable préopinant qui aura mis quelque confusion dans mes souvenirs. Quoi qu'il en soit, l'honorable M. Rolin, je ne dirai plus l'honorable M. Vermeire, vient d'ajouter aux travaux à entreprendre par l'Etat les travaux proposés par la section centrale. Il y a là, dit-il, un capital qui vient accroître vos charges et qui diminue d'autant l'équilibre que vous aviez vous-même annoncé.
Or il est évident, et j'en ai fait, dans la section centrale, l'observation qui a été accueillie par l'honorable M. Osy ; il est évident qu'il ne faut pas admettre ce capital entier de 16 millions ; il faut distinguer parmi les obligations celles qui s'appliquent à des compagnies existant déjà, et celles qui se rattachent aux divers travaux que le gouvernement est seulement autorisé à concéder, si des compagnies se présentent pour les exécuter.
Pourquoi l'Etat ferait-il aujourd'hui les fonds nécessaires à l'accomplissement de ces obligations tout à fait éventuelles ? Lorsque le gouvernement aura contracté, du chef de ces travaux, il y aura à apprécier quels sont les sacrifices qui peuvent en résulter et quelles seraient alors les ressources dont le gouvernement peut disposer ou qu'il croira devoir réclamer. Si donc on distingue entre les divers travaux, il n'en reste que pour une somme, relativement peu importante, de 7,500,000 francs environ, dont l'exécution paraît assurée dès ce moment, et, en appliquant les mêmes règles que nous avons appliquées à l'ensemble des travaux, il ne sera pas difficile, comme je l'établirai dans un instant, de justifier des ressources suffisantes pour y pourvoir.
Je ne puis adopter les calculs de l'honorable M. Vermeire qui suppose que l'Etat sera tenu de payer, en moyenne, 3 p. c. aux compagnies. A l'aide de ce chiffre, on rompt l'équilibre annoncé ; mettez 4 ou 5 p. c, l'équilibre sera rompu bien davantage.
Messieurs, il s'agit de fixer raisonnablement quelles peuvent être les conséquences des engagements que va prendre l'Etat. Les travaux qui seront exécutés seront-ils absolument improductifs ? Vous ne pouvez pas le soutenir. Produiront-ils 1, 2 ou 3 p. c ? Qui le sait ? Personne ici ne saurait rien affirmer à ce sujet. Il faut rechercher ce qui est le plus vraisemblable d'après les fails connus. Est-il déraisonnable d'admettre, comme nous le faisons, que ces travaux produiront en moyenne un minimum de 2. p. c ?
Je prends pour exemple le chemin de fer de la Flandre occidentale ; l'argument me paraît irréfutable ; la compagnie a un chemin inachevé, d'un petit parcours ; elle a à pourvoir à des frais généraux considérables ; elle obtient pourtant environ 2 p. c, des capitaux engagés. Si une ligne placée dans de pareilles conditions produit un intérêt de 2 p. c, je suis (page 1957) autorisé à prétendre que nous faisons tout ce que commande la prudence en créant des ressources pour payer éventuellement 2 p. c. aux compagnies.
Cette moyenne une fois admise, que deviennent les calculs de l'honorable M. Vermeire ? Et encore, n'est-il pas incontestable qu'il ne s'agit là que des premières années, et que, dès que toutes les lignes seront en exploitation, réagissant les unes sur les autres, elles accroîtront les ressources de l'Etat et les profits des sociétés concessionnaires ?
Je dirai maintenant que nous n'étions pas assez naïfs pour croire qu'en présentant un projet de travaux publics, il ne résulterait pas de la discussion quelques amendements qui augmenteraient les charges de l'Etat.
Nous avons la conviction qu'il faudra ajouter quelque chose aux travaux projetés ; mais nous avons aussi notre réserve ; c'est celle qu'on voulait nous faire absorber quand nous discutions la question financière. On disait que la révision de la loi sur la contribution personnelle devait produire une somme considérable ; de ce chef on nous allouait généreusement un million ; je n'ai voulu reconnaître que 600 mille francs et je maintiens ce chiffre.
Voilà ma réserve pour pourvoir aux éventualités. Il y a en outre cette considération très importante quant aux engagements que nous prenons, c'est qu'il en résultera, par mille canaux divers, un accroissement des revenus de l'Etat. Indépendamment de la progression naturelle, normale de nos revenus qui suivent les développements de la richesse sociale, les travaux exécutés seront une deuxième cause d'accroissement de recettes ; en troisième lieu les engagements que nous prenons ne peuvent devenir efficaces que dans 3, 4 ou 5 ans. D'ici là on peut prévoir qu'à moins de circonstances exceptionnelles, et si les chambres et le gouvernement s'attachent fermement à maintenir de bonnes finances, nos revenus permettront de pourvoir à des engagements bien plus considérables que ceux que nous proposons de contracter.
Je sens que l'heure s'avance ; je crains de fatiguer l'attention de l'assemblée ; cependant j'ai encore à répondre à diverses objections émises par l'honorable préopinant.
- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. Rolin. vient de nous dire que les projets du gouvernement lui inspirent certaines inquiétudes. Mais il s'exprime d'une manière bien vague, hien indécise. Je ne sais trop ni ce qu'il blâme, ni ce qu'il approuve. Il n'est pas hostile aux travaux publics ; il les aime, au contraire, mais c'est pour lui une question de temps, d'opportunité, de quotité. Messieurs, j'aurais désiré que l'honorable membre voulût bien indiquer quel autre moment il aurait fallu choisir, quels travaux nous devions commencer, quels nous devions négliger, à quelles sommes nous devions nous arrêter. Si les dépenses que nous proposons sont exagérées, quelles sont celles que nous devons supprimer ? Sur tous ces points, je n'ai entendu qu'une chose, c'est l'indication de dépenses qu'il faudrait ajouter à celles que nous voulons faire, et l'honorable préopinant en propose résolument. Voyez, a-t-il dit, votre chemin de fer !I Dans quelle situation est-il ? Il faudra un peu plus tôt, un peu plus tard, y appliquer de notables ressources.
Nous ne l'avons jamais ignoré, nous avons fait connaître, en 1848, les besoins du chemin de fer ; mais alors nous n'avions pas, comme aujourd'hui, à nous préoccuper et des compagnies concessionnaires et des besoins nouveaux qui se sont révélés. Aujourd'hui nous avons dû choisir ; nous avons dû nous prononcer sur ce qui était le plus utile, le plus nécessaire, le plus urgent.
Nous nous sommes demandé s'il était plus utile de faire des travaux dont l'objet était d'augmenter nos moyens de communication, de donner une garantie d'intérêt aux compagnies pour les aider à terminer les travaux de ce genre qu'elles avaient commencés, que de faire des dépenses utiles, sans doute, mais improductives.
Les capitaux nécessaires pour l'achèvement des stations figuraient pour 12 millions dans le projet présenté en 1848. Le sentiment national de l'honorable membre peut s'effaroucher quand il aperçoit une station inachevée en se rendant à l'embarcadère du Nord. Mais je ne crois pas que le pays se trouvera bien enrichi quand le gouvernement aura fait à cette station une magnifique façade. Je voudrais qu'elle fût faite, mais je trouve qu'un canal, un chemin de fer, une route pavée, voire même un chemin vicinal, rendront plus de services au pays que la belle façade projetée à la station du Nord. Mon amour-propre national ne se trouve nullement blessé de la préférence accordée à ces travaux utiles plutôt qu'à un beau monument.
J'aime les beaux monuments, j'aime les objets d'art, mais dans la nécessité de choisir entre eux et des travaux moins splendides, mais plus utiles, j'adopte ces derniers ; car si ceux-là sont désirables, les autres sont indispensables au pays.
Le matériel de notre chemin de fer est insuffisant ; il sera indispensable de le compléter, ainsi a parlé l'honorable membre. Mais qu'il me permette de le lui dire : il s'est trop préoccupé des plaintes de l'administration du chemin de fer. Il fut un temps où l'on me signala des besoins relatifs aux rails ; il aurait fallu, immédiatement, faire de ce chef des dépenses considérables. Après m'êlre bien éclairé à cet égard, j'ai soutenu qu'on pouvait réduire la somme demandée par l'administration ; j'ai eu cette témérité de la réduire de quelques bons millions ; la réduction a eu lieu et la voie n'a pas cesse de se trouver en bon état. Dans l'administration, quand on est bien on aspire au mieux. Ce n'est pas un crime ; c'est souvent une preuve de zèle et de dévouement. Mais, sous ce rapport même, il faut savoir tempérer les excès.
Ce n'est pas qu'on demande des choses qui, considérées isolément et d'une manière absolue, ne puissent présenter de véritables avantages. Ainsi, pour les rails, certains étaient trop faibles ; on aurait voulu les remplacer par des rails d'un poids plus fort ; c'était une bonne chose, mais on pouvait se dispenser de faire tout en même temps ; on pouvait attendre, pour y pourvoir, des temps meilleurs. Nous n'avons pas encore partout des doubles voies ; je le sais ; mais mieux vaut donner une voie à qui en manque que de donner deux voies à qui en possède déjà une. Quant au matériel d'exploitation, il n'est pas si minime qu'on le dit, il est plus considérable que celui du chemin de fer du Nord.
Nous avons mille waggons de plus que le chemin du Nord, et si nos locomotives sont moins puissantes, je crois qu'elles ne sont pas beaucoup moins nombreuses.
Lorsque les canaux sont fermés toutes les marchandises affluent au chemin de fer ; alors le matériel est insuffisant. Je voudrais qu'il fût toujours suffisant, mais ma raison se refuse à admettre qu'il faille employer des millions pour ne point manquer de waggons dans un moment exceptionnel ou pour construire de belles façades à nos stations, tandis que sur tous les points du pays, des travaux urgents ou indispensables sollicitent l'attention et l'action du gouvernement. D'ailleurs nous proposons un crédit ponr augmenter le matériel du chemin de fer.
L'honorable M. Rolin pense que le but que nous poursuivions est exagéré, que pour parer aux événements de 1852, 3 ou 4 millions auraient suffi.
Il invoque à cet égard ce qui s'est fait en 1848. Mais d'abord c'est envisager les travaux projetés d'un point de vue beaucoup trop restreint. L'éventualité de 1852 rend opportunes les mesures que nous proposons. Mais si nous n'avions pas cette fatale échéance devant nous, les travaux ne seraient pas moins nécessaires. Ensuite l'honorable membre se trompe lorsqu'il énonce que trois ou quatre millions ont suffi pour maintenir le travail en 1848. On a alloué au seul département des travaux publics, cinq millions...
M. Rolin. - On ne les a pas dépensés.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a pris des engagements pour cette somme ; elle a été rapidement absorbée. On a mis de la sorte en activité beaucoup de travaux.
Au département de l'intérieur on a alloué deux millions ; au département de la guerre neuf, mais sept seulement ont été dépensés ; ces sept millions ont été employés à couvrir les frais d'appel sous les armes d'un certain nombre d'hommes ; mais aussi à faire des dépenses pour le matériel, ce qui a donné du travail aux classes ouvrières. Aussi les sommes dépensées en 1848 ne sont pas aussi minimes que le pense l'honorable membre.
Mais, il craint qu'ayant arrêté des travaux publics pour des sommes considérables, nous ne soyons sans ressources pour des choses plus importantes, pour les besoins de la guerre. Je réponds : Ou bien la crise de 1852 ne fait pas explosion au-dehors de la France ; en ce cas, elle n'exerce pas moins une influence fâcheuse pour nous ; elle ralentit les affaires dans le monde entier, nous sommes atteints ; il faut nous efforcer de maintenir ici l'ordre par le travail et nous y pourvoyons par nos projets de travaux publics ; ou bien, comme paraît le supposer l'honorable Rolin, la crise déborde et menace le pays ; c'est le cas de guerre pour nous ; mais alors nous ferons appel à toutes les forces vives du pays ; tous les fonds disponibles seront appliqués de ce côté ; les travaux publics seront absorbés par les besoins de la défense du pays, et le pays ne refusera pas les ressources...
M. de Mérode. - Il n'en aura plus !.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y aura pas de ressources ? C'est le langage que l'on nous faisait encore entendre en 1848. En pareilles circonstances il se trouve toujours des hommes qui ne savent qu'inspirer la faiblesse et le découragement. Nous avons eu confiance, nous ; nous avons cru que le pays acquitterait avec empressement les emprunts qui lui étaient demandés ; et le pays a énergiquement répondu à notre appel. Jamais on ne vit de la part des citoyens une approbation plus complète et plus solennelle donnée à la conduite du gouvernement et des chambres ; jamais on ne vit élan patriotique plus unanime et plus beau ! Espérons dans l'avenir en considérant le passé ! Point de faiblesse, point de défaillance ! Si pareilles circonstances se présentaient encore, le pays ferait encore les mêmes sacrifices.
Nous agissons, d'ailleurs, dans la prévision d'événements calamiteux ; nous essayons de nous prémunir contre les exigences d'une situation difficile ; nous voulons faire en sorte que le gouvernement possède de quoi parer, même dans l'hypothèse la plus mauvaise, aux premières difficultés.
Qu'avons-nous demandé ? Nous proposons l'exécution de travaux par l'Etat, à concurrence de 26 millions. Nous n'allons pas les employer immédiatement ; une partie sera destinée à couvrir notre circulation de bons du trésor ; mais ces bons ne viendront pas à l'échéance immédiatement ; ils ne rentreront que successivement et les derniers ne viendront qu'un an après l'emprunt.
Dans la supposition que nos propositions soient adoptées, que nous puissions emprunter en novembre ou en décembre, et que des travaux soient immédiatement entrepris, il nous restera certaines sommes dont nous n'aurons pas l'emploi, et qui seront disponibles dans les caisses de l'Etat.
(page 1958) Si vous voulez aller plus loin, si dans la prévision des événements de 1852, vous voulez augmenter l'emprunt d'une somme de 9 ou 10 millions pour faire face aux événements, vous le pouvez. Mais, permettez-moi de le dire, la précaution me semblerait un peu exagérée.
Je me suis occupé d'une manière générale des travaux ; j'ai rencontré les objections que soulève notre intervention en faveur des travaux concédés. Quant aux travaux à exécuter par l'Etat, je n'ai rien à dire en ce moment. Un seul serait l'objet de mes préoccupations, si j'en crois l'opposition.
Il me répugnerait de me défendre d'un tel reproche. Je me borne à un seul mot sur ce point : j'engage tous les membres de la chambre qui ne trouveraient pas juste et nécessaire la proposition à la quelle on fait allusion, à la rejeter sans hésiter.
Ce sujet me rappelle une attaque dirigée contre moi, il y a quelques jours. Permettez-moi une explication à cet égard ; elle sera brève. J'exposerai seulement les faits ; ils sont éloquents.
On a dit que la déchéance de la compagnie de Louvain à la Sambre avait été poursuivie parce que le chemin de fer qu'elle devait exécuter était destiné à faire concurrence aux charbons de Liége. Inutile de relever cette circonstance que depuis longtemps, grâce aux canaux, le bassin de Charleroy a dépossédé le bassin de Liége sur le marché de Louvain.
Mais, loin d'avoir fait prononcer la déchéance de la compagnie de Louvain à la Sambre, c'est moi qui ai fait proroger le délai accordé pour l'exécution des travaux.
Aux termes de l'article 9 de la concession, les travaux devaient être achevés au 1er juin 1848. La compagnie allait encourir la déchéance, lorsque au mois de mai 1848, j'ai présenté un projet de loi qui a été adopté par la chambre, pour proroger le terme d'exécution jusqu'au 31 mai 1851.
La compagnie qui avait obtenu cette faveur, tenta de vains efforts pour en profiter.
Par lettre du 14 octobre 1848, elle fit connaître au gouvernement qu'elle abandonnait son entreprise et, comme vous venez de l'apprendre par l'honorable M. Rolin, c'est lui, ce n'est pas même moi, qui a fait constater judiciairement cet abandon qui entraînait la déchéance stipulée par le contrat.
Depuis, une occasion s'est offerte de faire revivre l'entreprise de Louvain à la Sambre. C'est moi qui ai négocié avec la compagnie du Luxembourg ; mon collègue M. le ministre des travaux publics a négocié avec les autres compagnies.
Or, j'ai fait toutes les instances possibles pour que la compagnie du Luxembourg, qui se substituait à une partie de la concession de Louvain à la Sambre, reprît toutes les parties de cette concession. J'avais même offert de porter dans le projet de loi, pour l'exécution de cette ligne, une garantie d'intérêt sur un capital de 8 millions de francs.
La compagnie a déclaré qu'elle ne voulait pas prendre d'engagements ; qu'elle demandait seulement un droit d'option pendant deux ans ; j'y ai acquiescé. C'est une nouvelle preuve de mon hostilité contre le chemin de fer de Louvain à la Sambre !
J'ai cru devoir donner ces explications, pour montrer avec quelle légèreté certaines personnes se permettent les insinuations les plus offensantes pour le caractère de leurs collègues.
Maintenant, je demande, en faveur du projet de loi, que chacun des membres se pénètre du même esprit dont je suis animé.
Je ne suis préoccupé que de l'intérêt général du pays. Je ne me suis préoccupé que de cet intérêt, lorsque j'ai préparé, avec mes collègues, les diverses propositions dont la chambre est actuellement saisie.
J'aurais voulu pour certaines localités faire plus que ce qui est consigné dans le projet de loi. Ainsi, je ne me dissimule pas, mes collègues ne se sont pas dissimulé non plus que le couchant de Mons, privé de l'exécution du canal de Jemmapes à Alost, stérile promesse de l'honorable M. Dechamps, n'avait pas vu se réaliser les espérances qu'on lui avait fait concevoir en 1845.
C'est pour cela que nous avons proposé une mesure qui est assez grave, en ce moment, je veux parler de la réduction des péages sur le canal de Pommerceul à Antoing, réduction notable qui affaiblira en certaine mesure les ressources que le trésor possède aujourd'hui.
Je trouve que c'est un acte de justice nécessaire, indispensable. Dans un ensemble de travaux publics, cette partie du pays n'eût pas été convenablement traitée sans cette compensation.
Mais la chambre le remarquera - et c'est ainsi que notre proposition se trouve justifiées, même au point de vue du tréror et dans l'intérêt de trésor, - l'exécution du canal de Jemmapes à Alost eût entraîné des sacrifices bien plus considérables, car l'exécution de ce canal aurait eu pour résultat de supprimer presque complètement le produit du canal de Pommeroeul à Antoing.
- La discussion est continuée à lundi.
La séance est levée à cinq heures et demie.