(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1933) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.
La séance est ouverte.
M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau fait connaître l'analyse suivante des pièces adressées à la chambre :
« Le conseil communal d'Oreye demande que le chemin de fer de Tongres à Fexhe traverse la campagne entre Coninxheim et Russon, puis entre Lowaige et la chaussée verte, et entre Thys et Oreye pour arriver à la chaussée de Liége à Saint-Trond à l'endroit dit : Maison peu d'homme, et se porter de là vers Fexhe en passant entre les communes de Momalle et de Fize-le-Marsal. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.
« Le sieur Dubois Nihoul prie la chambre de lui accorder la garantie d’un minimum d’intérêt de 4 p. c. sur les capitaux nécessaires à la construction du canal de Jemappes à Alost et d’autoriser le gouvernement à lui faire l’abandon du million de cautionnement versé en 1845 pour assurer l’exécution du canal.
M. Rousselle. - Je demande que cette pétition, qui concerne l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte, soit renvoyée à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.
- Adopté.
« Plusieurs habitants de Ranscappelle demandent l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise pour l'écoulement des eaux de la Lys. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.
« Plusieurs habitants d'Ath demandent que la garde civique soit divisée en deux bans. »
M. Jouret. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Par dépêche en date du 12 août le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi portant dispense du grade d'élève universitaire en faveur des récipiendaires pour la candidature en philosophie et lettres. »
- Pris pour information.
M. Desoer demande un congé pour cause d'indisposition.
- Accordé.
M. Malou. - Messieurs, en prenant part à ce débat, je me félicite de n'avoir pas à vous proposer d'ajouter à ce projet déjà si grandiose quelque développement nouveau. Le projet fait à l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte une part modeste ; et qui n'a pas été contestée : je pourrais sans doute demander qu'elle soit agrandie, mais je m'en abstiendrai pour le moment, afin de pas compliquer davantage le débat. Je n'ai donc pas demandé la parole pour un fait personnel à mon arrondissement.
Cette discussion est pour moi une question d'affaires, une question d'intérêts matériels. Les considérations politiques y sont et doivent y rester complètement étrangères. Je ne puis cependant m'abstenir d'appeler l'attention de la chambre sur la situation qui lui est faite par la présentation de ce projet et la manière dont on lui demande de le voter.
Il me semble qu'il est nécessaire, pour sauvegarder la dignité de la chambre que ce projet soit divisé quant au vote. Cette opinion que j'avais réussi à faire prévaloir dans la section à laquelle j'appartenais, je la défendrai dans la discussion devant la chambre.
Il ne suffit pas qu'on puisse voter pour ou contre l'ensemble des travaux ; pour que nous ayons réellement la liberté de nos votes, il faut que nous ayons le droit de choisir et de voter séparément chacune des propositions du gouvernement. S'il en est autrement, il n'y a pas de liberté, des influences pèsent sur nous. Quand une assemblée, qui forme l’un des grands pouvoirs publics, est réduite à de telles influences, elle s’amoindrit inévitablement.
Tout le monde le sent, aussi je n'insiste pas. C'est ainsi qu’on a procédé en 1845 ; il y avait un ensemble de travaux ; le gouvernement pouvait dire : C'est un tout indivisible ; prononcez-vous sur ma pensée tout entière par un seul vote. Cependant, dès que la demande a été faite, le gouvernement a consenti à ce que ce projet fût divisé.
J'invoque cet antécédent et j'espère que je ne l'aurai pas invoqué sans succès.
S'il n'en était pas ainsi, et quelles que soient les définitions que l'on veuille apporter au mot « coalition », l'on arrive à former par le projet une véritable coalition, dangereuse pour le trésor public. On pose un précédent dont les conséquences sont incalculables.
En effet, la coalition, l'appel à tous les intérêts, à toutes les influences qui dans notre pays existent trop souvent, influences locales, influences personnelles, cet appel est tellement évident qu'il me suffit de citer un seul fait.
Il y a un projet qui n'est pas même étudié, sur lequel le conseil des ponts et chaussées s'était refusé à donner un avis positif, et enfin pour que l'adhésion de tous les intérêts puisse avoir lieu, on vient vous présenter une loi alternative portant un crédit soit pour faire cette chose, soit pour faire telle autre chose. N'est-il pas clair, d'après ce fait seul, que le résultat nécessaire du projet de loi est de lier une puissante coalition telle qu'aucun de nous ne puisse avoir, sans un sacrifice personnel, la liberté à laquelle nous avons tous droit.
Je regrette que le gouvernement, malgré les interpellations qui ont été faites à plusieurs reprises, ne se soit pas expliqué d'une manière catégorique sur les deux questions qui priment, selon la manière dont je comprends les intérêts du pays, la question des travaux publics. Je veux parler de la question de l'armée et du complément des chemins de fer de l'Etat. Dans les sections, à propos d'une des petites lois d'impôt, celle des tabacs, je pense, l'on avait demandé quelles étaient les intentions du gouvernement, et la section centrale avait décidé qu'on s'en expliquerait à l'occasion de l'examen de la loi relative aux travaux publics. L'examen de la loi relative aux travaux publics étant arrivé, la majorité de la section centrale a décidé qu'il n'y a pas lieu de poser la question.
Il y a cependant lieu de la poser ; car enfin l'un des motifs principaux, que l'on donne pour discuter dès à présent cet ensemble de travaux publics, dont plusieurs n'ont pas été suffisamment étudiés, c'est l'éventualité de 1852. Mais si cette éventualité doit se réaliser d'une manière fâcheuse, s'il faut y donner les proportions que plusieurs orateurs ont paru y assigner, les circonstances sont plus impérieuses pour résoudre la question de l'armée, pour compléter son matériel qu'elles ne le sont pour décréter des travaux publics dont quelques-uns, proposés sous forme d'alternative, pourraient être considérés en quelque sorte comme un prix de vertu.
La solution est urgente, non seulement parce que les votes des chambres ont fait naître des doutes, ont porté un coup au moral de l'armée, mais parce qu'il est constaté par le silence même du gouvernement qu'une dépense considérable, immédiate doit être faite pour l'armée, si nous voulons être prêts à toutes les éventualités.
Si la chambre ne se préoccupe pas de cette situation, si elle vote les dépenses qui nous sont soumises, sans obliger le gouvernement à s'expliquer d'une manière nette sur cette question, nous ressemblons à des propriétaires qui s'occuperaient à embellir, à décorer l'intérieur d'une maison, mais qui n'auraient nul souci des précautions et des sûretés nécessaires pour protéger les richesses qu'elle contiendrait.
N'ayons pas cette imprévoyance.
Une deuxième question doit être décidée, ce me semble (j'invoque les précédents du gouvernement lui-même), avant que nous ayons à aborder la discussion de projet de travaux publics.
En 1848, par le projet qui a déjà été plusieurs fois rappelé, le gouvernement avait proposé d'accorder, pour compléter le chemin de fer, un crédit de 25 millions.
Depuis lors, il a obtenu un crédit de 7 millions si ma mémoire est fidèle ; et il demande aujourd'hui un crédit de 1 million. Reste donc, d'après la demande faite en 1848, une somme de 17 millions.
De deux choses l'une : ou le gouvernement demandait, en 1848, la somme dont il n'avait pas besoin, ou il en a encore besoin aujourd'hui pour la plus grande partie.
Messieurs, j'insiste sur ce point, parce que, dans ma conviction, la question financière est en grande partie dans l'administration, dans la bonne gestion des chemins de fer.
Ainsi, par exemple, on allouerait un crédit pour compléter le matériel des chemins de fer ; ce serait une dépense apparente, mais il est prouvé par l'expérience que le développement du matériel des chemins de fer, c'est de l'argent placé au moins à 10 p. c. Et remarquez combien ce placement est nécessaire. Consultez les documents relatifs aux chemins de fer ; vous vous convaincrez bientôt que le gouvernement doit payer aujourd'hui à des compagnies des frais de location de matériel très élevés.
C'est dans cet état de choses que l'on vous propose de prendre une infinité d'engagements pour des entreprises particulières, et l'on ne vous demande qu'une somme illusoire pour comploter notre grande entreprise nationale. C'est encore, selon moi, une question préjudicielle. Je disais tantôt, messieurs, que la question financière se trouve en partie (page 1934) à résoudre par le ministère des travaux publics. Et ici j'adresserai une première interpellation à M. le ministre.
Plusieurs fois on lui a demandé, dans le cours de la session, de proposer à la chambre la loi qui doit régler définitivement le tarif des marchandises. Je crois me rappeler que l'honorable ministre nous a promis qu'elle serait présentée avant la fin de la session, et je crois que nous touchons à peu près à la fin de la session. C'est du moins une espérance si ce n'est pas une illusion.
Abordant plus directement le projet que nous discutons, je ne m'occuperai que de quelques points principaux. S'il fallait discuter toutes les dispositions de ce projet qui en renferme vingt ou vingt-cinq, nous pourrions discuter pendant des semaines et il faudrait recommencer à l'occasion des articles. Je m'arrêterai donc à quelques-unes des questions les plus importantes.
Et d'abord, messieurs, l'honorable ministre des travaux publics vous disait l'autre jour qu'il ne s'agissait pas tant de faire de nouvelles choses que de liquider le passé, que de réparer la faute qu'on avait si étourdiment commise en 1845.
Messieurs, quant au reproche d'étourderie, il me suffît de rappeler deux faits.
En 1845 on demandait au gouvernement de pouvoir exécuter des travaux publics, et les étourdis, ce sont ceux qui, en prenant certaines garanties négligées aujourd'hui, ont cru qu'il fallait laisser la liberté de faire sans prendre d'autre engagement que celui de laisser faire. L'étourderie consistait encore à exiger des garanties qui s'élèvent ensemble, pour les concessions de 1845, à une somme de 14 millions et demi.
Elle consistait, elle a consisté à donner du travail pendant la crise alimentaire, lorsque le travail manquait surtout dans les campagnes, lorsqu'il fallait combler cette lacune par des travaux publics ; et certainement si les concessions n'avaient pas été faites, si elles n'avaient pas versé dans la circulation, depuis qu'elles ont été faites, une somme de 86 millions, ce n'est pas au prix que vous y avez mis, que vous auriez traversé la crise de 1845 et de 1846 ; il vous aurait fallu peut-être dix fois autant.
Voilà donc les conséquences pour le pays, à qui veut voir les choses comme elles sont, de ce qu'on appelle si légèrement une étourderie.
Il y a plus ; si ces faits n'avaient pas été posés, vous seriez aujourd'hui dans l'impuissance de faire plusieurs choses que vous proposez. Ainsi auriez-vous à délibérer sur la concession du Luxembourg, viendrait-on, vous demander aujourd'hui de construire un chemin de fer dans le Luxembourg si, en 1845 on n'avait pas accordé la concession et exigé cinq millions qu'on ne peut pas abandonner aujourd'hui et qui font votre force, votre seule force ? Appréciez donc, je vous prie, les faits de 1845 d'une manière plus juste, plus impartiale et plus complète.,
Il s'agissait alors de laisser faire, d'appeler ces capitaux étrangers qui, vous ont été si utiles dans les circonstances que le pays a dû traverser ; aujourd'hui c'est un principe nouveau que l'on pose, c'est l'association de l'Etat avec les compagnies, c'est la garantie d'intérêt.
L'application de ce principe, c'est, à mes yeux, le principe lui-même. 1 On ne peut pas séparer une idée de l'autre.
Toute discussion théorique est en quelque sorte complètement inutile ; il s'agit de savoir, quant au principe de la garantie d'intérêt, si et jusqu'à quel point on peut l'admettre dans notre pays, et je me permets de faire remarquer que dans notre pays, à raison de la faible étendue du territoire et à raison de la puissance des intérêts individuels et des intérêts locaux, ce principe est moins applicable qu'ailleurs.
Chez les grandes nations où ces intérêts s'effacent en quelque sorte, l'application de ce principe présente moins de difficultés, moins de dangers qu'en Belgique où la force de l'intérêt individuel et de l'intérêt local est relativement beaucoup plus grande.
Nous n'avons, messieurs, qu'à consulter les faits qui se passent : le gouvernement et la section centrale proposent la garantie d'intérêt jusqu'à concurrence à peu près de 60 millions, et en additionnant tous les amendements, ce que je n'ai pas eu le temps de faire, attendu que c'eût été fort long, en tenant compte des amendements qui doivent naître d'après la liste d'inscription, je crois que si la discussion se termine sans qu'on ait proposé la garantie pour 80 ou 100 millions, il faut qu'elle se termine promptement.
N'est-il pas démontré par le fait même que si l'on n'apporte pas dans l'application du principe de la garantie d'intérêt une très grande prudence et même une très grande sévérité, nous serons débordés, nous céderons à des entraînements qui pèseront lourdement sur l'avenir de nos finances ?
L'application que le ministère fait de ce principe pour plusieurs entreprises, m'autorise à dire, comme mon honorable ami M. Dechamps, qu'on tue le principe par l'application.
En effet, messieurs, sur quoi porte ici la garantie ?
Le plus souvent sur les lignes ou parties de lignes les plus mauvaises, ou, si cette expression peut déplaire, sur celles qui seront le moins productives. C'est-à-dire qu'on a appliqué la garantie de manière à se mettre non pas seulement dans la nécessité de garantir, mais dans l'obligation de payer. Or, messieurs, si garantir, dans le sens de la loi, veut dire payer, j'aimerais mieux payer immédiatement parce que, au moins, à raison du sacrifice que l'Etat a fait, il est immédiatement et il demeure propriétaire d'une chose qui est à lui et qui donne quelques revenus ; mais avec la garantie appliquée dans ce sens, il doit tout payer et ne rien avoir si ce n'est dans 90 ou 100 ans.
La garantie ainsi pratiquée est donc le plus mauvais système de tous ; il vaudrait mieux construire aux frais de l'Etat tous les travaux, en les échelonnant sur un certain nombre d'années.
Que les conditions essentielles manquent quant à l'application du principe de la garantie, c'est ce que j'espère établir tout à l'heure, en indiquant sur quoi porte cette garantie quant à quelques entreprises qui font l'objet du projet de loi.
Mais, dit-on, ce n'est pas seulement comme un appui moral que la garantie doit être donnée, la garantie peut être donnée aussi pour un intérêt politique, cl afin de voir développer des lignes qui exercent une heureuse influence sur le chemin de fer de l'Etat.
Voyons l'intérêt politique. En effet, on applique le principe de la garantie d'intérêt à des embranchements qui constituent une nouvelle variété de chemins de fer. Nous connaissions jusqu'à présent les chemins de fer de grande communication qui servent aux voyageurs et aux marchandises ; nous connaissions les chemins de fer industriels qui servent au transport des marchandises seulement, il y aura désormais une nouvelle variété que j'appellerai les chemins de fer électoraux.
C'est principalement à ceux-là, dans le système du projet, que s'applique la garantie d'intérêt.
C'est, dit-on, à raison de l'heureuse influence que les chemins de fer à exécuter peuvent exercer sur le chemin de fer de l'Etat, que nous accordons la garantie d'intérêt ; et je rencontre, dans le projet, les chemins de fer qui sont précisément les plus hostiles qu'on puisse trouver sur toute la carte du royaume, aux développements des revenus du chemin de fer de l'Etat.
Ainsi, par exemple, quand vous exécutez la ligne directe de Bruxelles à Namur, je demande si vous ne stérilisez pas votre ligne du Midi ; je demande si la ligne directe de Bruxelles à Namur est appelée à exercer une heureuse influence sur la recette du chemin de fer national. (Interruption sur le banc des ministres.)
Je regrette que MM. les ministres ne fussent pas tous présents tout à l'heure ; ils sauraient que j'avais répondu d'avance à leur objection ; j'ai dit tout à l'heure que lorsqu'en 1845, il s'agissait de laisser faire les compagnies, la question était entièrement différente de celle qui se présente aujourd'hui.
Aujourd'hui, M. le ministre des travaux publics invoque comme un motif pour donner la garantie d'intérêt l'heureuse influence que certaines lignes peuvent exercer sur la recette du chemin de fer de l'Etat. Je dis que relativement à ces lignes, le motif contraire existe pour refuser la garantie d'intérêt. (Interruption.)
Nous ne garantissons pas l'intérêt, me dit-on, pour la ligne de Bruxelles à Namur. Soit. Mais par la garantie que l'on donne à la compagnie du Luxembourg lui procure-t-on, oui ou non, le moyen d'exécuter cette ligne ? Voilà la question.
Je dis que pour plusieurs dispositions vous ne pouvez pas invoquer le motif allégué par M. le ministre des travaux publics. On refuse au chemin de fer de Charleroy à Erquelinnes la garantie d'intérêt, parce qu'il est concurrent et parce qu'il est une impasse, et l'on accorde la garantie aux embranchements de Bastogne, de Philippeville, de Couvin, de Marche et de Virton qui sont des impasses, si je ne me trompe...
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Virton n'est pas sur cette ligne, il est à six lieues de là.
M. Malou. - Si c'est un cours de géographie que nous faisons, j'insisterai. En parlant de l'embranchement de Virton, j'ai entendu désigner celui qui se dirigeait d'Arlon vers Longwy.
Je disais, quand j'ai été interrompu, que les embranchements de Bastogne, de Philippeville, de Couvin, etc., sont bien plus des impasses que la ligne d'Erquelinnes. En effet, il existe aujourd'hui une lacune dans la communication la plus directe de Paris vers l'Allemagne. C'est entre Saint-Quentin et Erquelinnes. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la-carte pour s'assurer que cette ligne se fera. Pour faire une comparaison avec la ligne du Luxembourg, je dirai qu'on ira plus tôt de Paris à Cologne par Saint-Quentin que de Bruxelles à Graetz ou à Calcutta par la ligne du Luxembourg.
A propos du refus qu'on fait à cette compagnie de l'aider à compléter sa ligne, je dois rappeler que l'influence d'une ligne affluente est toujours double. Les chemins qui se rattachent au réseau national prennent et donnent. Mais le gouvernement ou, pour être plus juste, l'administration du chemin de fer paraît avoir adopté, à l'égard des lignes qui ont le plus complètement exécuté leurs obligations, un système tel que,, si on le continue, l'avenir des concessions des chemins de fer est complètement perdu en Belgique.
Ce système appelle d'autant plus l'attention de la chambre que par le projet qui nous est soumis, il s'agit de faire comprendre aux capitaux que la Belgique est hospitalière pour eux, qu'ils peuvent venir en toute sécurité, qu'on leur donne une garantie sérieuse, telle doit être la pensée, tel doit être le but de la loi.
Qu'arrive-t-il par le principe absolu appliqué quant aux distances les plus courtes, les chemins de fer concédés sont considérés comme n'existant pas.
Pour le tarif des voyageurs, en consultant les distances légales établies par la loi votée récemment, on peut se convaincre qu'on ne tient pas plus compte des lignes concédées que si elles n'existaient pas. On fait la moyenne ou en d'autres termes la distance légale en ayant égard à l'étendue du chemin de fer et à la distance par la route pavée.
Les chemins de fer concédés existent pourtant, c'est une puissance (page 1935) peut-être, mais elle n'est pas reconnue. Pour appuyer ce système, on a invoqué le principe admis en 1845. Il devait en être ainsi, dit-on, parce que chaque administration devait avoir une station distincte. Je ne sais si je dois prendre au sérieux cette réponse, car on n'a pas défendu le raccordement des rails, on a dit qu'il y aurait des bureaux distincts ; mais on n'a pas dit, par exemple, que le chemin de fer de Namur à Liége et de Mons à Manage ne se raccorderait pas au chemin de l'Etat, cela n'est pas écrit dans la concession, cela n'aurait pas pu être. (Interruption.)
On a dit que les administrations seraient distinctes, mais non qu'à quelques pas, on devrait décharger un waggon pour aller d'un chemin de fer à l'autre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a fallu une loi.
M. Malou. - Il a fallu une loi pour rendre les stations communes, c'est tout autre chose, le raccordement était permis ; l'observation de M. le ministre des travaux publics vient donc à tomber.
Je reviens maintenant à ce que je disais tout à l'heure, que les chemins de fer affluents du chemin de l'Etat prennent et donnent ; j'ai constaté, par les documents qui nous ont été communiqués, qu'en 1850 le petit chemin de Manage à Mons a donné au chemin de fer de l'Etat à peu près le sixième de la quantité totale des marchandises transportées sur tous les chemins de fer de l'Etat.
Quel est le principe qu'on applique à cette compagnie du chemin de fer de Manage à Mons et à celle de la ligne de Namur à Liége ? A celle-là on ne fera pas de reproche, elle a fait tout ce qu'elle devait faire. On leur applique un principe, d'après lequel un colis envoyé de Floreffe à Liége, passe par Braine-le-Comte et Bruxelles, au lieu de passer par Namur et par la vallée de la Meuse.
Le commerce, dit-on, ne peut pas se plaindre, car nous établissons notre tarif en conséquence et pour les voyageurs et pour les marchandises.
Quand nous votons une loi, nous croyons avoir fait quelque chose de sérieux, d'efficace ; et au moyen des distances fictives et légales le tarif n'a plus de caractère sérieux, les décisions de la chambre sont annulées dans l'exécution.
Il ne suffit pas de dire : Nous satisfaisons aux besoins du commerce, en ne lui faisant pas payer pour les distances légales plus que pour les plus courtes distances réelles, car il arriverait ainsi que l'Etat s'amuserait à transporter à perte afin que d'autres ne transportent pas.
Voilà où l'on arriverait par le système absolu que l'administration du chemin de fer a appliqué en ce qui concerne les compagnies.
Messieurs, je dis que dans les circonstances actuelles nous devons appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur cette question, je désire qu'on n'enlève pas au chemin de fer les transports qui lui appartiennent et doivent lui appartenir.
Je ne me prononce pas dans un sens absolu, mais il y a là, tout à la fois, une question d'intérêt et de loyauté. La question d'intérêt, c'est de ne pas agir à l'égard des compagnies de manière à les détourner d'apporter des capitaux pour l'exécution des travaux publics. La question d'honneur national est plus grave ; nous aurions attiré des capitaux étrangers pour construire des chemins de fer, et quand ils seraient exécutés, nous les empêcherions d'en tirer parti, nous accepterions tout d'elles et nous ne leur donnerions rien.
Je désire que M. le ministre examine la question avec la plus sérieuse attention et nous propose, dans le projet de tarif des marchandises, une solution qui concilie autant que possible, l'intérêt du chemin de fer avec ceux des compagnies concessionnaires.
Je reviens encore un instant à la question de garantie d'intérêt. On dit que dans certains pays ce principe n'a pas seulement été appliqué comme appui moral, que le gouvernement prussien a été obligé de payer la garantie de 3 1/2 p. c. au chemin de fer rhénan.
Je désirerais que l'assertion de M. le ministre fût exacte, car nous aurions à charge du gouvernement prussien que je considère comme très solvable, une créance que je recommanderais à la diplomatie de M. le ministre des affaires étrangères.
En effet en consultant les documents, je reconnais que les 3 1/2 p. c. n'ont jamais été payés ; nous avons toujours reçu une somme moindre ; la Belgique est propriétaire de 4 mille actions au capital de 937 fr. environ.
Nous devons donc recevoir 131,000 francs par an, à raison de 3 1/2 et la moyenne indiquée par l'honorable ministre des finances dans les développements du budget des voies et moyens de 1852 est de 95,845 fr. Que résulte-t-il de là ? Qu'il n'y a pas de garantie ‘"intérêt pour le chemin de fer et en effet, dans le budget même, on dit qu'il s'agit simplement du dividende du chemin de fer rhénan. Je cite ce fait pour que l'attention de M. le ministre des finances soit éveillée sur la question s'il y a lieu de réclamer.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a un second emprunt contracté par le chemin de fer rhénan avec garantie du gouvernement prussien.
M. Malou. - Il y a un second emprunt contracté sous la garantie du gouvernement prussien, par le chemin de fer rhénan. Je suis charmé que M. le ministre des finances veuille bien rectifier l'erreur commise par son collègue, et nous sommes d'accord.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je n'ai pas dit que la garantie portât sur tout le capital consacré à la construction du chemin de fer rhénan.
M. Malou. - Vous avez dit que l'on payait sur le chemin de fer rhénan une garantie d'intérêt de 3 1/2 p. c. Je relève, comme j'en ai le droit, cette erreur.
Une première application du système de la garantie d'intérêt se fait au chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse.
M. le ministre des travaux publics nous disait l'autre jour que la compagnie voulait avoir la garantie pour les embranchements et qu'elle n'en voulait pas pour autre chose.
Je trouve que le gouvernement, qui s'en exprime ainsi à la page 3 de l'exposé des motifs, a joué avec la compagnie et la chambre à qui perd ou gagne. En voici la preuve :
La compagnie du chemin de fer demandait au gouvernement, dans le principe, une garantie d'un minimum d'intérêt de 5 p. c. sur les cinq millions. Si le gouvernement avait été obligé de payer ce qu'il garantissait, il aurait eu à débourser 2,500,000 francs et la compagnie demandait d'être dispensée des embranchements.
Le gouvernement a dit qu'il ne voulait pas s'engager à payer 2,500,000 francs ; il a posé la condition de conserver certains embranchements, et il a mieux aimé, sous cette condition, s'obliger à la garantie de cinq millions à 4 p. c. pour cinquante ans, c'est-à-dire au payement de dix millions. Cela résulte de la page 3 de l'exposé des motifs.
Je ne comprends pas pourquoi l'on a préféré s'obliger à payer 10 millions, que l'on payera à raison surtout d'embranchements, qui appartiennent à la nouvelle variété de chemins de fer dont je donnais tout à l'heure la définition, plutôt que de s'engager à payer éventuellement 2 1/2 millions pour l'achèvement de la ligne principale. Je le comprends d'autant moins que l'on a dispensé en même temps la compagnie d'exécuter les embranchements des chemins de fer qui avaient un caractère industriel, une utilité plus grande.
Ainsi la compagnie doit faire, sous la garantie de l'Etat, l'embranchement de Philippeville ; mais elle est dispensée de faire l'embranchement d'Oret, par Acoz et Bouffioulx jusqu'à Châtelet, c'est-à-dire la jonction des minières au chemin de fer de l'Etat et à la Sambre, et l'embranchement de Florennes, c'est-à-dire la jonction des minières à la Meuse.
Voici donc la situation : La compagnie vous demandait à être dispensée indéfiniment de construire les embranchements, et elle s'engageait à construire la ligne principale, moyennant une garantie qui pouvait imposer à l'Etat un payement de 2,500,000 fr. Vous lui dites : Non ! je vais vous garantir un payement éventuel de dix millions, et la condition que je mets à cette garantie, c'est de vous obliger à faire les embranchements les moins productifs et de vous dispenser de faire les plus utiles.
Telle est en deux mots, la transaction intervenue avec la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse.
Cette convention me paraît inintelligible sous un autre rapport : on dit à la compagnie : Je vous garantis 5 millions à la condition que vous exécuterez les embranchements. Mais on n'a aucune garantie pour l'exécution de la ligne principale qui doit joindre Charleroy à la Meuse française. S'il en est ainsi, ou votre convention ne signifie rien, ou la compagnie possède les ressources nécessaires pour l'achèvement de la ligne principale. En effet, vous ne lui donnez autre chose que le pouvoir d'exécuter les embranchements, et, sans la ligne principale, ils ne seront pas construits. Pour tenir compte seulement de l'intérêt général, il fallait donc accepter la proposition de la compagnie, lui garantir cinq millions, au moyen desquels elle s'engagerait à exécuter la ligne principale, en tenant en surséance les embranchements industriels ou autres. Cette transaction aurait le mieux satisfait aux intérêts du pays.
La deuxième application de la garantie d'un minimum d'intérêt a lieu pour le chemin de fer du Luxembourg.
On se fait, au point de vue international, et au point de vue de l'influence de ce chemin de fer, comme utilité locale, de très grandes illusions, ce me semble : L'expérience démontre que le chemin de fer est un très puissant instrument, lorsque les bras existent pour le faire mouvoir. Mais s'imaginer que la création d'un chemin de fer dans une province où la population n'est pas formée, où l'agriculture n'est pas développée, où l'industrie existe à peine, va la transformer tout à coup en Eldorado, c'est se faire une étrange illusion. L'influence du chemin de fer est très grande, c'est un instrument puissant, mais lorsque les forces existent pour le mettre en activité.
Je comprendrais que le gouvernement, après s'être assuré que le chemin de fer pourra se prolonger en Allemagne sur le territoire du grand-duché, jusqu'au Rhin et au-delà, vienne, par la garantie d'un minimum d'intérêt, assurer l'exécution de la ligne principale qui aurait un caractère international. Mais je vous demande ce qu'il y a d'international dans les embranchements dont je parlais tout à l’heure, si insignifiants qu'à l'un d'eux j'avais même assigné une fausse direction.
Quel peut être l'intérêt du pays à garantir l'exécution de ces embranchements. Si la compagnie a intérêt à les faire, qu'elle les fasse. Mais au lieu d'imposer à la compagnie, au prix d'aussi énormes sacrifices, la construction de ces embranchements, on pouvait, sans qu'il en coûtât rien à l'Etat, lui imposer l'obligation de construire la ligne du Louvain à la Sambre. Cette ligne serait productive, parce que les intérêts préexistent, parce que les populations y sont, parce qu'il y a un intérêt né pour ces mêmes populations. Mais dans le Luxembourg, aucune de ces conditions n'existent, quant aux embranchements.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - C'est une erreur. Je demande la parole.
(page 1936) M. Malou. - Je ne dis rien de désagréable à la province du Luxembourg ; je lui porte une très vive sympathie. Je voudrais qu'elle eût la même population, la même industrie, la même agriculture, le même sol que certaines autres parties du royaume ; mais je constate des faits.
Je dis qu'il n'en est pas ainsi et je n'entends en rien exagérer. Je dis que la population y est bien moins répandue, qu'elle y est très faible, que cette population est exclusivement agricole. (Interruption.) Puisqu'on m'y force par de continuelles interruptions, parties du banc ministériel, je citerai un fait.
On a créé dans le Luxembourg beaucoup de routes. Je me rappelle qu'étant ministre des finances, j'ai eu à statuer sur l'existence d'une barrière située sur une de ces routes. L'adjudication de cette barrière avait été tentée en vain ; longtemps on n'avait trouvé personne. On l'a mise en régie et il a fallu la supprimer, parce qu'il a été constaté que le trafic moyen sur cette route était à peu près d'une charrette à un cheval par jour.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce sont les routes que vous avez faites.
M. Malou. - Je ne pensais pas à citer ce fait, mais lorsqu'on m'interrompt sans cesse, lorsqu'on conteste les faits, il faut bien que je les prouve.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela ressemble au passé de Neufchâteau.
M. Malou. - On m'interrompt encore une fois, je vais citer un autre fait.
On m'assure que, pendant plusieurs mois, l'administration des messageries qui était, d'après son contrat, dans l'obligation d'avoir un service quotidien sur Neufchâteau, s'est laissée condamner à des amendes, parce qu'elle ne voulait avoir de départ que tous les deux jours.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur.
M. Malou. - J'ai répondu à deux ou trois interruptions ; j'attendrai pour le reste les discours de ceux qui voudront bien me répondre.
Messieurs, je m'occuperai maintenant quelques instants de la compagnie qui doit exécuter le chemin de fer de Dendre-et-Waes, et le chemin de fer direct de Wetteren sur Bruxelles.
En Belgique, nous avons consacré des capitaux considérables à la création des chemins de fer de l'Etat. Nous avons concédé purement et simplement des chemins de fer qui ont été exécutés les uns en partie, les autres en entier. Nous avons enfin une concession, celle de Jurbise à Tournay, qui a construit le chemin de fer pour l'Etat, et où l'Etat à l'exploitation moyennant le partage de la recette brute, 50 p.c. pour l'Etat, 50 p. c. pour la compagnie.
Ce sont là des choses parfaitement claires, dont on peut faire le compte, dont tout le monde peut comprendre le résultat.
Mais aujourd'hui, dans cette partie du projet, on vous présente quelque chose de nouveau, non seulement ici en Belgique, mais partout : C'est de concéder des stations avec le produit qu'elles peuvent donner au départ et au retour, quelle que soit la destination ou le lieu d'origine. Ainsi, dans le système du projet, je prends pour exemple la station d'Alost ; que l'on expédie d'Alost, dans quelque direction que ce soit, des marchandises, ou que des marchandises arrivent à Alost de quelque direction que ce soit dans le royaume, et pour autant qu'il s'agisse d'une ligne de l'Etat, d'après la convention, les trois quarts des produits sont à la compagnie et l'autre quart est pour l'Etat.
Ce système ainsi défini n'est pas encore complet. Je vous disais tout à l'heure que le gouvernement partagerait les recettes brutes avec la compagnie de Jurbise, qu'il ne recevait que la moitié des recettes. Mais je suppose maintenant dans le système du projet qu'un colis soit expédié d'Alost pour Leuze, c'est-à-dire qu'il emprunte en partie la ligne concédée, voici comment se fera le partage de la recette que l'Etat aura faite : il y aura la moitié pour la compagnie de Jurbise et les trois quarts de l'autre moitié pour la compagnie de Dendre-et-Waes. Dans cette hypothèse, le gouvernement transportera à raison du huitième du péage qu'il devrait percevoir.
Si l'on veut appliquer le même système à d'autres compagnies, si cela doit former un précédent, il se pourra que le gouvernement aura la dépense du transport à raison d'une fraction infinitésimale des péages.
Evidemment, messieurs, ce système, personne ne peut en calculer les conséquences.
Les uns le considèrent comme devant être très productif pour la compagnie, comme devant être par conséquent très onéreux pour l'Etat. D'autres accumulent des chiffres pour démontrer que le gouvernement au contraire, dans l'exécution du projet, trouver un certain bénéfice.
Messieurs, je crois qu'il est impossible de trouver ici la vérité absolue, mais quelque chose de certain, c'est que plus le chemin de fer que l'on construira dans ces conditions sera petit relativement au chemin de fer de l'Etat, et plus vite la fortune des concessionnaires sera faite.
Si je trouvais à enchâsser quelque part dans le chemin de fer de l'Etat un très petit chemin de fer n'ayant que quelques kilomètres, avec une très petite station, au moyen du système proposé, ce chemin serait peut-être payé tout entier en une année ou deux.
En effet, la juridiction de la compagnie s'étend au-delà de son territoire, contrairement à tous les principes. L'Etat transporte pour elle, il perd pour elle et il pert d'autant plus qu'il transporte davantage. En effet, nous savons tous que les frais d'exploitation dépassent de beaucoup 25 p. c, dépassent même 50 p. c. Ils arrivent à 57 p. c ; mais j'espère qu'en administrant mieux le chemin de fer, ces frais pourront descendre à 50 p. c.
Je dis donc que lorsque le gouvernement se met à transporter sur toute l'étendue de la ligne, dans le système du projet, il perd chaque fois la moitié et plus.
Il y avait pour la ligne de la Dendre une concession pure et simple. Je demande pourquoi, pour cette ligne seule, nous faisons courir à notre chemin de fer qui représente un capital très grand, une grande partie de notre budget des voies et moyens, cette aventure dont ni vous ni nous ne pourrions dire quels seront les résultats.
Remarquez-le bien, messieurs, quand vous aurez appliqué ce système à la compagnie de Dendre-et-Waes, comment ferez-vous, lorsque la pression s'exercera pour obtenir d'autres lignes également utiles, également bonnes ? Comment ferez-vous pour les refuser ? Et, si vous les accordez, si vous généralisez ce système, vous arrivez, messieurs, pour tout dire, en un mot, à exploiter le chemin de fer de l'Etat au profit des compagnies.
Vous avez déprécié, complètement déprécié cet immense capital qui se résume, comme je le disais tantôt, dans notre budget des voies et moyens, en une recette qui n'est pas à dédaigner et qu'on remplacerait bien difficilement.
En me prononçant ainsi, messieurs, je combats par quelques considérations générales, en me réservant d'entrer plus tard dans les détails, le principe de la convention qui a été conclue pour la concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes.
Il y avait d'autant moins lieu de se départir ici des précédents, de ne pas faire pour cette compagnie ce qu'on a fait pour tant d'autres, c'est-à-dire, au besoin de lui garantir même un minimum d'intérêt, qu'il est reconnu que la ligne de la Dendre est une des plus belles que l'on puisse construire en Belgique.
Là, très probablement on ne se fût pas exposé à payer en totalité l'intérêt garanti, comme on s'y expose, ainsi que je l'ai démontré, par plusieurs autres dispositions du projet.
Probablement, messieurs, quand nous serons arrivés à la discussion des articles, je proposerai à la chambre de décider que la ligne d'Ath à Lokeren pourra être concédée dans les termes de la convention conclue avec la compagnie de Jurbise ; et, quant au chemin de fer direct, toutes les administrations qui se sont succédé ont été d'accord que si l'on faisait ce chemin de fer direct, il fallait qu'il fût fait au compte de l'Etat. Je proposerai donc, dans le cas où le principe serait admis, la construction aux frais de l'Etat de la ligne de Bruxelles à Wetteren, et la concession de la ligne d'Ath à Lokeren, d'après la combinaison admise pour le chemin de fer de Jurbise, ou je me rallierai à toute autre combinaison qui écarterait le principe nouveau déposé dans cette partie du projet.
Je le dis sans détour, le fait de la convention conclue pour Dendre-et-Waes me paraît tellement grave au point de vue de l'avenir de notre pays, que lors même qu'il n'y aurait dans le projet de loi que ce motif de le repousser, je le repousserais, quelles que pussent en être les conséquences. Je crois que nous ne pouvons pas commettre cette imprudence, que nous ne pouvons pas stériliser ainsi en quelque sorte l'avenir du chemin de fer.
Je ne m'arrête pas, jusqu'à ce qu'il y ait une résolution officielle, à divers bruits qui circulent sur la transformation qui devrait s'opérer quant à la ligne de Dendre-et-Waes, mais j'insiste sur ce fait qu'on a analysé au début de la séance une pétition des concessionnaires du canal de Jemmapes à Alost, dans laquelle ils assurent avoir réuni les capitaux nécessaires à l'exécution du canal et où ils demandent que la chambre et le gouvernement fassent examiner si et jusqu'à quel point ces capitaux lui sont réellement acquis moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c.
Ce fait est grave, parce qu'il se lie à une question que je vais aborder tout à l'heure, à la question de la pondération des intérêts des divers bassins houillers du royaume. Personne n'ignore, en effet, que c'est l'absence du capital qu'on a toujours opposé au concessionnaire du canal de Jemmapes à Alost, lorsqu'il demandait à être compris dans le partage qui se fait aujourd'hui et, chose remarquable, messieurs, il me paraît résulter de tous les documents, que c'est à lui seul que l'on a demandé s'il avait préalablement réuni le capital nécessaire à l'exécution de cette entreprise. (Interruption.)
Il n'est pas démontré qu'on l'ait demandé à tous les autres ; il n'est pas démontré que les autres soient aussi avancés que lui ; je pourrais peut-être dire que le contraire est démontré, et il serait assez singulier, quelque avancée que soit la discussion, que celui-là seul qui offre la preuve d'avoir réuni le capital nécessaire à son entreprise, ne réussirait pas. Cela serait étrange et incompréhensible, alors surtout que l'exécution de cette voie de navigation, qui lie Mons au bas Escaut, est réclamée comme devant exercer sur les intérêts de cette partie du royaume la plus heureuse influence, et lorsqu'elle est réclamée en première ligne.
J'ajouterai quelques mots, messieurs, sur une question qui a déjà été agitée plusieurs fois, sur la question de la dérivation de la Meuse.
Je dirai d'abord avec l'honorable M. Delfosse, que la Meuse n'a pas et ne doit pas avoir de couleur politique et je vais la traiter en conséquence.
Avant, tout, messieurs, je complète l'historique qui nous a été fait dans la séance d'hier.
En 1845, messieurs, car la question des travaux publics n'était pas non plus à cette époque une question politique, j'étais opposé par plusieurs motifs à l'exécution immédiate du canal latéral à la Meuse, et j'avais fait une proposition d'ajournement.
(page 1937) Parmi les motifs de cette proposition se trouvait principalement celui-ci ; les intérêts du bassin de Liége sont en amont de cette ville ; lorsque vous aurez décrété le canal latéral à la Meuse, vous vous trouverez engagés virtuellement à aller beaucoup au-delà ; vous vous serez engagés entre autres à continuer la canalisation jusqu'à Chokier, limite du bassin houiller. Eh bien, messieurs, que me répondait alors l'honorable M. Lesoinne ? Il me disait, dans la séance du 30 avril 1845 :
« M. Malou a demandé à quoi nous nous engageons par ce projet de loi. Mais je ferai observer que des fonds ont été votés pour la traverse dans Liége. Un million par le gouvernement et 1,115,000 fr. non compris les terrains, ont été votés par la ville et la province avec cette désignation. »
Et l'honorable membre ajoutait :
« Sitôt que le canal aura été décrété la ville et la province se mettront en mesure de continuer les travaux en amont de Liége. »
Cette déclaration de l'honorable membre me paraît parfaitement claire : si le canal est décrété, la ville et la province sont en mesure de continuer les travaux en amont de Liége.
M. Lesoinne. - Continuez la citation.
M. Malou. - Je pourrais vous renvoyer aux Annales parlementaires d'hier ; M. Delfosse a lu la suite, que je n'ai pas copiée.
M. Delfosse. - Voici ce que M. Lesoinne disait :
« Si le besoin se faisait sentir de donner un tirant d'eau égal au canal de Maestricht, si l'on démontre que l'exécution de ce travail serait utile pour le commerce du pays, je ne pense pas que l'on s'y refusât. Mais il ne s'agit pas de cela en ce moment. »
M. Malou. - C'est, en effet, le passage que M. Delfosse a cité hier, comme je l'ai rappelé ; je ne l'avais pas sous la main ; mais si nous devions avoir quelque discussion à cet égard, je pourrais demander à l'honorable M. Delfosse pourquoi il a omis le passage dont j'ai donné lecture.
M. Delfosse. - Voici ce que j'ai dit :
« Tout en acquiesçant à la déclaration du ministre des travaux publics, mon honorable ami, M. Lesoinne, aux paroles duquel je suis référé, disait...»
J'avais donc mentionné le passage dont parle M. Malou.
M. Malou. - Et moi, j'entendais seulement constater que lorsque nous disions que le gouvernement et les chambres s'engageaient à l'exécution d'autres travaux, l'honorable M. Lesoinne nous répondait que la ville de Liége et la province étaient en mesure d'exécuter les travaux en amont de Liége, en faisant une simple réserve pour le cas où l'on jugerait nécessaire de faire d'autres travaux. L'honorable M. Dechamps, ministre des travaux publics, donna dans la même séance une réponse beaucoup plus complète ; il dit :
« La chambre a voté à cet effet (traverse de Liége) un million ; la commune de Liége et la province ont voté des fonds considérables qui, additionnés ensemble, constituent le capital nécessaire pour mettre la traverse de cette ville en rapport avec le nouveau canal. Ainsi, sans autre dépense que celle proposée par le projet de loi, le canal latéral n'est pas terminé à la fonderie de canons ; mais il se prolongera nécessairement jusqu'au Val-Benoît, c'est-à-dire jusqu'à la limite de Liége.
« En amont de Liége, jusqu'à Chokier, le nouveau chemin de fer de Namur à Liége, dont le projet n'est pas encore discuté par la chambre et qui doit desservir les deux rives de la Meuse, y rattacher tous les grands établissements industriels qui se trouvent disséminés sur les deux rives, amènera directement, sans transbordement, les houilles et les produits pondéreux de ces usines au bassin qui sera construit dans la traverse de Liége.
« Ces projets combinés forment un tout complet. Le canal que l'on discute ne sera pas un travail inachevé. Dans l'avenir, le gouvernement examinera si, en amont de Liége, des travaux d'amélioration doivent être exécutés. Ces travaux seront compris dans les dépenses annuelles du budget. »
Voilà, messieurs, la véritable valeur du précédent de 1845.
L'honorable M. Delfosse a paru supposer hier que, sous l'administration dont j'ai eu l'honneur de faire partie, l'exécution du plan de M. Kummer était décidée, en quelque sorte, en principe. L'honorable membre est dans l'erreur ; une pareille décision n'a jamais été prise, et cela résulte de la discussion qui a eu lieu à l'occasion du budget des travaux publics.
En effet, lorsqu'il s'était formé, il faut bien le dire, à la veille des élections de 1847, une certaine coalition d'intérêts, qui voulait engager le gouvernement et les chambres dans l'exécution du projet de M. Kummer, le ministère a opposé, comme le disait hier l'honorable membre, des fins de non-recevoir, c'est-à-dire que, sans se prononcer sur le mérite du projet, sans le condamner ni l'adopter, il a déclaré que, dans son opinion, il n'y avait pas lieu de le décréter en ce moment. Je ne dis que cela de l'incident de 1847, parce que, comme je le déclarais tout à l'heure, je veux me borner à une discussion d'affaires.
Messieurs, nous avons, en Belgique, quatre centres de production de la houille. Par l'action successive des gouvernements, venant compléter les voies naturelles de communication, par la combinaison des péages et par la nature des travaux, une sorte d'équilibre s'est établie entre les quatre bassins. Que les théoriciens attaquent l'équilibre des intérêts, je suis d'accord avec eux ; mais la question pour nous n'est pas de savoir si nous établirons aujourd'hui cet équilibre, en supposant qu'il n'existât pas ; la question est de savoir si, en présence des faits tels qu'ils existent il y a en Belgique un seul homme raisonnable qui voulût détruire brusquement cet équilibre. Personne ne veut le détruire, dira-t-on ; mais l'altérer par l'action de tous, à coup de millions, c'est en quelque sorte le détruire.
Pour la houille, comme pour tous les produits pondéreux, la question de transport est presque tout. La clientèle du charbonnage s'étend, selon que les péages et les voies de communication existent. Je dirai, et pour toutes les personnes qui connaissent ce genre d'exploitation, je crois que l'assertion ne sera pas contredite, que la question de transport est au moins aussi importante que la question du prix de revient. (Interruption.)
Ces deux données certainement concourent à étendre la production, la prospérité de ces entreprises, mais il n'en est pas moins vrai que pour cette matière qui, comme on l'a dit si souvent, est aujourd'hui l'âme de l'industrie, le premier moyen de la production, la question du prix et des moyens de transports est prépondérante ; et que rien ne touche plus directement à l'équilibre que les mesures législatives qui changent ces conditions.
Eh bien, constatons d'abord quelle est pour les différents centres de production la dépense à faire pour arriver au lieu d'embarquement, pour arriver aux voies navigables. Car c'est principalement pour les transports de cette nature que l'on se sert des voies navigables, malgré la concurrence d'un chemin de fer : l'expérience du canal de Charleroi le prouve, en attendant que l'expérience du canal de Bossuyt le démontre à son tour ; et pourquoi en est-il ainsi ? parce que le bon marché a une influence beaucoup plus grande que la vitesse pour les produits pondéreux.
Voici, messieurs, les conditions respectives des divers systèmes de production ; je demande pardon à la chambre d'attirer son attention sur ces détails : la question est très importante à mes yeux.
Les charbonnages du Flénu, ceux du Couchant de Mons en général ont à supporter, pour arriver au canal, un péage moyen d'à peu près 1 fr. 57 c. par tonne. Le bassin du Centre qui, sous d'autres rapports, est dans des conditions meilleures que tous les bassins de la Belgique, supporte seulement pour arriver à Manage par le chemin de fer, un péage (page 1938) uniforme de 80 c. par tonne, et pour arriver à Mons, il supporte un péage d'un franc 72 centimes ; c'est-à-dire que le Centre qui est dans les meilleures conditions de production, arrive au canal de Mons à Condé moyennant un péage de 1 fr. 72 c.
Pour Charleroy, les conditions sont très diverses, Quelques rares charbonnages sont reliés par des chemins de fer qui leur appartiennent, soit à la Sambre, soit au canal de Charleroy ; plusieurs ont à supporter, pour arriver à l'une de ces deux voies, plus d'un franc par tonne pour frais de transport, il en est qui supportent jusqu'à deux francs.
A Liége, quelle est aujourd'hui la position ? La navigation de la Meuse, qui est imparfaite, je le reconnais, a été cependant très notablement améliorée par l'action du budget. Ainsi, on l'a déjà rappelé plusieurs fois l'on a constitué à la Meuse une rente temporaire de 200,000 francs, au moyen de laquelle on a exécuté dans le lit de la Meuse des améliorations qui ont augmenté le tirant d'eau, lorsque les eaux sont basses, sans nuire à l'écoulement des eaux. (Interruption.)
Je sais bien qu'on n'a pas canalisé la Meuse en exécutant les passes, mais il n'en est pas moins vrai qu'on a augmenté l'utilité de la Meuse, quand on a augmenté le tirant d'eau, ou si vous voulez la même idée exprimée en d'autres termes, quand on a augmenté le nombre moyen de jours de navigation utiles, car c'est par là principalement qu'il faut juger une voie. (Interruption.) Les passes n'ont pas été exécutées en amont de Liége, me dit-on ; je le suppose, mais est-il vrai, oui ou non, que depuis à peu près dix ans on a dans le budget consacré annuellement 200,000 fr. à l'amélioration du lit de la Meuse ; j'ai pu le constater moi-même. Que faut-il conclure de là ? Qu'on doit continuer ailleurs le même système ; puisque vous êtes si pressés d'avoir une solution, en voilà une.
On n'a pas été au-delà de Chokier, c'est possible ; mais la question pour le pays et pour nous tous, c'est de savoir, alors qu'on vient nous demander des sommes aussi considérables, si, en complétant le système des passes artificielles qui a réussi, on ne satisferait pas dans une juste mesure à l'intérêt du bassin houiller de Liége.
J'ai donc été interrompu de nouveau, lorsque j'ai constaté qu'on avait fait dans le lit de la Meuse des travaux importants, que ces travaux avaient augmenté le tirant d'eau et le nombre des jours de navigation.
Il y a plus : depuis l'entrée du chemin de fer sur le bassin houiller de Liége, il y a une ligne sur chaque rive, et le gouvernement est intervenu pour qu'on pût achever ce double chemin de fer que l'honorable M. Dechamps, alors ministre des travaux publics, déclarait devoir former avec le canal latéral un système complot.
Les charbonnages sont situés tout au plus à une distance moyenne de deux lieues. Je crois même que j'exagère, je crois même me rappeler que de Liége à Chokier, il y a 11 à 12 kilomètres, et qu'on pourrait prendre pour distance moyenne les fosses qui avoisinent l'établissement de l'Espérance.
Je me demande donc si l'on peut, sans décréter la canalisation de la Meuse, satisfaire dans une juste mesure à l’intérêt du bassin houiller de Liége.... C'est bien là la question pratique.
Je suppose que l'on applique aux charbonnages de Liége le péage ou la moitié du péage que les autres bassins supportent pour arriver au lieu d'embarquement, qu'on leur donne comme aux autres un péage (page 1938) uniforme de 80 ou mime de 50 centimes. Si du carreau de la fosse au bateau hollandais à Coronmeuse on pouvait arriver à ces conditions, quel droit les charbonnages de Liége auraient-ils de se plaindre ?
Ils arriveraient au lieu d'embarquement en supportant un péage qui ne serait pas la moitié de celui que supporte le Couchant de Mons, le plus important de nos bassins. Il faut dire sans détour ce qu'on veut, c'est d'arriver à Coronmeuse au lieu d'embarquement sans péage, car un centime par tonne et par lieue, ce n'est pas un péage.
Permettez-moi d'attirer un instant votre attention sur l'une des questions les plus graves qui se rattachent à l'exécution de ce travail d'utilité publique.
Pourquoi, sans compromettre nos finances, en les améliorant même, a-t-on pu faire tant et de si grandes choses en fait de travaux publics ?
C'est parce que nous nous sommes attachés à créer des travaux publics directement rémunérateurs. Tous les travaux ont une utilité locale et exercent une réaction favorable sur la propriété de tout le pays, mais si nous avions exécuté tous les travaux importants dont nous avons enrichi la Belgique sans exiger qu'en regard de la somme portée au budget des dépenses un produit figurât au budget des voies et moyens, nous aurions mis nos finances dans un état déplorable.
C'est au point de vue de l'intérêt général du pays une des objections les plus graves qu'on puisse faire à la dérivation et à la canalisation de la Meuse, de faire inscrire 8 ou 10 millions à la dette publique, sans rien ou presque rien présenter en regard au budget des voies et moyens. Je prie la chambre de méditer ce fait et d'en apprécier les conséquences. Je dis presque rien ; en effet, j'ai cité ce que le canal avait produit jusqu'à présent ; quelque soit le développement qu'on puisse espérer, la somme que l'honorable M. Delfosse a indiquée ne sera pas atteinte, il s'en faudra même de beaucoup.
J'oubliais de toucher à une question importante. Il semble qu'en canalisant la Meuse, on va créer pour Liége une ère de prospérité inconnue, c'est encore l'effet de l'engouement qui s'est emparé des esprits à la suite des projets antérieurs qui ont été repoussés, quand d'autres projets ont surgi.
Quelle est l'utilité des diverses espèces de voies de communication ? Le chemin de fer, vous l'avez à votre service tous les jours ; un canal, vous pouvez en user en moyenne 300 jours par an ; une rivière canalisée, comme la Meuse surtout, où il y aura des barrages que le conseil des ponts et chaussées déclare nécessaire d'ouvrir souvent, n'est pas navigable plus de 200 jours par an.
.le cite des faits généraux et des moyennes.
J'ai consulté des personnes qui connaissent la Sambre, qui dirigent des établissements situés sur le bord de cette rivière ; ils m'ont déclaré que la Sambre canalisée n'était utile à la navigation que 200 jours par an.
Voici donc la situation que l'on fait au bassin de Liége : On adapte pour ainsi dire une rivière canalisée a un canal ; à un instrument utile pendant 300 jours, on en adapte un autre utile pendant 200. Voici déjà quelque chose à rabattre de vos prévisions. Le but est de pouvoir charger directement de la fosse au bateau ; cela arrive très exceptionnellement. Toutes les personnes qui ont participé à l'exploitation des houillères savent que tous les charbonnages ont un rivage ; un tas soit à la fosse soit au bord de la voie navigable ; c'est exceptionnellement qu'on peut charger directement de la fosse au bateau. Que résulte-t-il de là ? Qu'on peut satisfaire à l'intérêt des charbonnages de Liége en faisant un arrangement tel qu'ils arrivent à l'embarquement de Coronmeuse sans charge considérable, par exemple moyennant un péage de 20 ou 30 centimes par lieue ou un péage uniforme pour mettre tous les charbonnages dans la même condition.
Il y a une autre illusion dans ce projet en considérant l'inégalité des conditions selon lesquelles les bassins houillers produisent en Belgique. Indépendamment des moyens et du prix de transport et de revient, il est un autre fait dont il faut tenir compte ; la limite de la main-d'œuvre. Pourquoi, dans les conditions où il se trouve, le bassin du Centre n'a-t-il pas expulsé les autres des marchés où ils arrivent ? Parce qu'ils sont tous limités par la main-d'œuvre. Quand par des mesures factices vous développez brusquement la production, vous pouvez dépenser quelques millions mais en changeant tout à coup les conditions du travail ; quant à la main-d'œuvre, vous annulez bientôt en grande partie l'avantage obtenu.
Cette cause est plus puissante dans le bassin de Liége que dans les autres. Le travail des mines est plus ingrat, plus dangereux que le travail à la surface ; diverses industries qui s'exercent sur la surface, sont développées et prospères à Liége et dans les environs ; on conçoit, dès lors, que la population qui travaille aux mines se déclasse peu à peu, et vienne à la surface s'occuper de travaux d'industrie plus agréables et mieux rétribués.
Ce bassin n'est donc pas appelé à recevoir même, au prix des millions qu'on demandera brillante destinée que certaines illusions lui assignent. Vous pourrez dépenser beaucoup, mais la cause perturbatrice que je viens d'indiquer agira immédiatement avec une grande intensité et paralysera en grande partie vos efforts.
Ma conclusion est qu'on peut faire pour l'intérêt industriel de la belle et industrieuse vallée de la Meuse, tout ce qui est juste et nécessaire sans s'engager dès à présent dons les dépenses qu'on nous propose.
Je ne m'arrêterai qu'un instant à deux autres considérations que l'on invoque pour décider le vote de la chambre : la question d'humanité.
Il y a certainement du danger à naviguer sur la Meuse, mais personne ne peut être considéré comme coupable des malheurs qui peuvent arriver aux bateaux qui se heurtent contre les piles du pont des Arches.
Il ne s'agit pas de soumettre quelqu'un à l'expérience à laquelle l'honorable M. Delfosse paraissait convier mon honorable ami M. de Man, de passer quelques heures sous le pont des Arches. On y passe, mais très vite.
M. Delfosse. - Et les inondations ?
M. Malou. - Les inondations, pour quiconque connaît les localités, et pour quiconque a lu les documents qui sont sous les yeux de chacun de nous, il est évident qu'il existe au moins des doutes sur l'efficacité de ce qui va être fait.
Quelle est la conclusion, quant aux inondations ? C'est qu'elles seront un peu moins fortes et qu'elles dureront un peu moins...
El, en effet, rappelons-nous un fait très récent, l'inondation de 1850. Faites toutes les dérivations de la Meuse que vous voudrez, lorsque les eaux de l'Ourthe et de la Meuse s'élèvent en même temps, lorsque le vallon que Liége occupe est couvert d'eau à huit ou à dix pieds, faites ce que vous voudrez, et vous serez inondés.
Le niveau des eaux peut s'abaisser de quinze, vingt centimètres, d'autres disent de soixante centimètres, l'inondation durera quelques heures de moins, mais dérivez la Meuse comme il vous plaira et vous serez encore inondés ; vos pères l'ont été et vos fils le seront.
Voyez, messieurs, quelle est la situation géographique de Liége, sous ce rapport. Je suppose que, par impossible, l'on pût barrer la Meuse au pont du Val-Benoît ; dans certains moments, en examinant la hauteur des eaux, il suffirait que l'Ourthe débordât pour que Liége fut inondé ; vous n'avez pas même besoin de la Meuse. Dérivez tant que vous le voulez.il y a des hypothèses dans lesquelles l'Ourthe et ses affluents suffisent pour inonder Liége.
Voilà, quant aux inondations. D'ailleurs, si tel doit être le résultat des travaux, je le combattrai comme acquis trop chèrement. Et s'il en est ainsi, pourquoi pour Bruxelles, pour Gand, pour d'autres villes qui sont sujettes aux inondations, pourquoi ne ferait-on pas aussi des dérivations ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que l'on fait.
M. de Mérode. - C'est ce qu'on n'a pas fait.
M. Malou. - La ville de Liége accorde un subside d'un million à l'exécution de ces travaux. Ce fait prouve l'utilité qu'ils offrent.
L'argument serait très fort si l'on donnait ce million à l'Etat d'une manière pure et simple. Je trouve dans la délibération que le bourgmestre déclare maintenir, certaines conditions qui me paraissent résumer la transaction en ces mots : Je vous donne un million, mais à la condition que vous en dépensiez au moins deux indépendamment de ceux que vous votez aujourd'hui. (Interruption.)
Si je suis dans l'erreur je serais prêt à le reconnaître ; mais dans les pièces jointes au rapport de la section centrale, je trouve (pages 96 et 97} que l'on maintient la délibération de 1847.
Or, cette délibération (article 2) subordonne l'offre de la ville à 1° à l'établissement d'une station intérieure du chemin de fer, tant pour les voyageurs que pour les marchandises, sur les terrains qui seront libres entre le bassin projeté et le redressement de la Meuse ; 2° à la cession gratuite d'un terrain nécessaire à la construction d'un entrepôt.
Une explication précise sur les conditions que la ville de Liége met à son concours et sur les obligations supplémentaires imposées à l'Etat doit avoir lieu afin qu'il n'y ait de mécompte pour personne.
Je termine par une considération relative à l'intérêt général.
Mon honorable ami M. Dechamps vous l'a dit, dans le système de 1845, le but du gouvernement était de maintenir la pondération, l'équilibre des intérêts.
Le résultat a été que tout ce qui devait être fait pour la province de Liége a été fait, tandis que, pour le bassin de Charleroy, tout ce qui devait être fait est demeure très incomplet. Pour le bassin du Centre, ce qui devait être fait, dans le système de 1845, s'est exécuté. Pour Mons, le plus important des grands bassins houillers, rien ne s'est exécuté, tout est resté en souffrance.
Je ne dis pas assez : tout ce qui, dans le système de 1845, devait être fait contre le bassin de Mons s'est exécuté. Le chemin de fer de Manage à Mons a été exécuté, et par cette voie le Centre vient prendre une partie du marché que Mons desservait seul avant l'exécution partielle et par cela même devenue injuste du système de 1845.
C'est dans de telles conditions qu'on dérange l'équilibre. Pourquoi, le croiriez-vous ? Encore et toujours, contre Mons ! On le dérange, parce que, employant à cela toutes les ressources du trésor, on veut déplacer le marché, on veut donner à Liége une position meilleure, je puis dire une position privilégiée, enlever à Mons sa part des marchés d'Anvers, des rives du bas Escaut et de la Hollande.
Pour Mons, il y avait un grand intérêt : c'était l'exécution d'une voie navigable qui lui permît d'arriver au bas Escaut et à Anvers dans des conditions meilleures ; l'exécution du canal de Jemmapes à Alost. Eh bien, vous le voyez, dans le projet cette concession n'est pas comprise. A celui qui venait la solliciter du gouvernement, on a répondu : « Mons aura un chemin de fer. »
Or, on sait que, pour les transports des houilles, surtout pour celles de Mons qui sont, en général, plus friables, une voie de navigation est bien préférable à un chemin de fer.
Voilà l'ensemble du projet de loi, tel qu'il est soumis à vos délibérations.
(page 1939) Je me suis attaché, messieurs, en vous soumettant ces réflexions qui se sont un peu trop étendues (et je le regrette), à démontrer qu'en combattant certaines parties du projet, je n'étais mû ni par une idée politique ni par une idée locale, qu'il n'y avait rien dans mon opposition de systématique ; je n'éprouvais qu'un besoin, et pour la chambre je n'éprouve qu'un désir, c'est qu'elle soit complètement juste dans ce qu'elle va faire.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis, considéré en lui-même, peut faire quelques mécontents. Mais, assurément, je le crois destiné à rencontrer, en définitive, peu d'opposants. C'est qu'en effet le projet de loi, par les travaux qu'il propose de décréter, répond à des besoins et à des intérêts considérables, et que, dans son ensemble, il embrasse à peu près toutes les localités du pays.
A vrai dire, il n'y a qu'une seule objection sérieuse qui se soit produite contre le projet : c'est la crainte que l'on semble éprouver de voir ce projet inexécuté dans sa partie la plus importante, c'est-à-dire en ce qui concerne les travaux publics qui sont dévolus aux sociétés concessionnaires.
En allant au fond de la discussion, il est facile d'apercevoir que si ces craintes, ou réelles ou exagérées, n'existaient pas, les objections contre le projet s'évanouiraient bientôt.
Cela est si vrai, que les objections mêmes qui se sont produites contre les travaux à exécuter par l'Etat pour la dérivation de la Lys et de la Meuse, et notamment contre l'exagération prétendue du chiffre affecté aux travaux de la Meuse, reposent encore sur ce parallèle : la certitude que présente l'exécution par l'Etat et les incertitudes au contraire qu'offre l'exécution par les compagnies concessionnaires.
Pour mon compte, messieurs, je regrette que le cabinet ait cru devoir s'imposer une si grande réserve dans les explications qu'il a fournies à la chambre par son exposé des motifs et dans les déclarations qu'il a faites à la section centrale.
Le gouvernement affirme que les compagnies lui ont présenté des garanties sérieuses et solides de l'exécution des projets. Le gouvernement à cet égard ne manifeste ni doutes ni craintes. Si le gouvernement avait pu pousser plus loin ses confidences, s'il avait pu nous faire connaître sur quels éléments repose sa conviction, ce serait encore, messieurs, il faut bien le dire, un grand élément d'opposition élagué du débat.
Je regrette d'autant plus cette réserve du gouvernement, que pour mon compte je lui adresserais plutôt un reproche tout opposé à celui que l'honorable M. Dechamps, que d'autres honorables orateurs lui ont fait dans cette discussion. En effet, messieurs, je reprocherai au gouvernement de s'être montré trop sévère envers les sociétés concessionnaires. Je lui reprocherai, dans les conventions qu'il a faites avec les sociétés concessionnaires, de s'être montré défenseur trop rigoureux, trop absolu des droits de l'Etat ; de n'avoir pas fait assez pour les compagnies ; de ne s'être pas assez préoccupé de la pensée de convier les capitaux à se porter vers les compagnies, ce qui n'était autre chose que les diriger vers l'exécution des travaux projetés.
Messieurs, tous les avantages que fait le gouvernement aux compagnies se résument dans la garantie d'un minimum d'intérêt. Cette garantie, il ne l'accorde définitivement qu'à partir de l'exécution complète de chacun des réseaux concédés, et pour autant que le chemin de fer se trouve achevé précisément au jour fixé par la convention.
La moindre infraction à cette clause et à plusieurs autres est punie d'une déchéance absolue, non seulement pour le tronçon resté inachevé, mais même pour toutes les sections déjà achevées, à l'égard desquelles les concessionnaires ont entièrement et ponctuellement rempli leurs obligations et à l'égard desquelles la compagnie a déjà commencé à jouir du minimum d'intérêt garanti par l'Etat.
Ainsi lorsqu'une compagnie aura complètement exécuté un chemin de fer dans le temps donné, à l'exception d'une seule section, s'il y a même un simple retard dans l'exécution de cette section, il y aura déchéance, déchéance absolue ; et dès ce moment non seulement la compagnie concessionnaire perd les travaux déjà exécutés sur la section inachevée, mais elle perd tous ses droits et toute garantie sur les stations achevées.
Je crois ces dispositions des conventions passées entre le gouvernement et les compagnies concessionnaires, beaucoup trop rigoureuses ; et des dispositions aussi rigoureuses dans les cahiers des charges amènent ordinairement des rigueurs plus exagérées encore dans l'exécution de la part de l'administration ou plutôt de ses employés.
Aussi il m'est difficile de comprendre comment une société concessionnaire qui, pour trouver des fonds voudra créer des actions privilégiées, par exemple, pourra y parvenir en présence des dispositions si sévères, si draconiennes de la convention qui lui a été imposée par le gouvernement, et qui la place si longtemps dans une position toute précaire.
Quelle sera la garantie que cette société concessionnaire pourra offrir à ceux qui lui prêteront de l'argent ? Ce ne sera pas à coup sûr la garantie du minimum d'intérêt, puisque l'Etat ne garantit rien aux créanciers des sociétés concessionnaires.
Ce ne sera pas l'hypothèque du chemin de fer lui-même, puisque s'il y a le moindre retard dans l'exécution, il y aura une déchéance qui dépossédera irrévocablement la société concessionnaire et arrachera à ses créanciers le seul gage qu'ils avaient pour la sécurité de leurs capitaux engagés dans l'entreprise.
J'aurais compris, et je convie le gouvernement à examiner cette idée, j'aurais compris, dis-je, des dispositions conçues dans un esprit contraire. J'aurais compris que le gouvernement eût facilité aux sociétés ce qui est le plus difficile pour elles, la formation du capital nécessaire à l'exécution de leurs travaux.
Permettez-moi de m'expliquer par un exemple.
Je suppose le chemin de fer de Thielt à Deynze qui doit coûter cinq à six millions. Je comprendrais que si la société fournissait au gouvernement la preuve que ses actionnaires ont déjà versé dans une caisse désignée par le gouvernement, trois millions pour l'exécution de ce chemin de fer, le gouvernement autorisât la société à faire l'emprunt des trois millions restants auxquels serait immédiatement appliquée la garantie du minimum d'intérêt.
On ne risquerait rien à agir ainsi, puisque l'Etat, de cette manière, aurait sous sa garde et à sa disposition les 6 millions nécessaires pour achever le chemin de fer.
Si donc la compagnie manquait à ses engagements (ce qui n'est guère possible, car on ne manque à de pareils engagements que par pénurie de fonds), le gouvernement aurait les capitaux nécessaires pour exécuter les travaux lui-même. Ainsi, on pourrait mettre la main à l'œuvre avec sécurité, et quand les actionnaires n'auraient versé que trois millions, l'exécution complète d'une ligne de six millions serait certaine.
Dans le système du projet, la voie de l'emprunt est fermée aux sociétés ; le gouvernement, au lieu de la leur faciliter, est plutôt un obstacle ; la totalité des fonds doit venir des actionnaires, parce que, comme société anonyme, les compagnies ne présentent aucune garantie personnelle ; et que, menacées d'une déchéance rigoureuse en cas de retard dans l'exécution de l'une ou l'autre de leurs obligations, elles ne peuvent présenter aucun gage sérieux et non menacé à la sécurité des prêteurs.
Je pense, messieurs, que non seulement le gouvernement devrait prendre devant le pays l'engagement d'exécuter avec une grande bienveillance pour les compagnies les clauses des cahiers des charges qui leur sont imposés, mais qu'il serait peut-être utile d'armer le gouvernement de la faculté que je viens d'indiquer, d'autoriser les sociétés à faire des emprunts privilégiés auxquels serait affectée la garantie du minimum d'intérêt, lorsque ces sociétés auraient elles-mêmes versé dans les caisses de l'Etat, mis à la disposition et sous la main du gouvernement, une partie équivalente des capitaux nécessaires à l'exécution des entreprises, de telle façon que cette exécution soit immédiatement assurée.
Hors de ces conditions, et malgré la confiance que j'ai dans le gouvernement, j'éprouve de sérieuses appréhensions sur la possibilité de réunir les capitaux considérables qu'exigent les grands travaux compris dans le projet qui est soumis à nos délibérations.
C'est aussi, messieurs, en tenant compte des assurances et des déclarations que MM. les ministres, au nom du cabinet, ont faites à la chambre et à la section centrale au sujet des chemins de fer de Dendre-et-Waes et de Bruxelles vers Gand par Alost, que j'adhère à cette partie du projet. J'aurais été d'accord cette fois avec l'honorable M. Malou pour préférer l'exécution aux frais de l'Etat, et lorsque j'ai eu l'honneur de défendre en 1847 ce chemin de fer contre les efforts désespérés de l'honorable M. Malou alors ministre, et qui ne retrouva sa majorité qu'au second vote, j'ai toujours insisté pour l'exécution par l'Etat.
Le gouvernement avait également décidé la question ainsi lorsqu'il a présenté le 23 février son grand projet de travaux publics, d'après lequel le chemin de fer d'Alost à Bruxelles et à Gand, devait être exécuté aux frais de l'Etat.
Mais, messieurs, est-ce à dire qu'il faille repousser la concession telle qu'elle est présentée dans le projet de loi, et admise par la section centrale ? Pour mon compte, j'accepte ce système do concession, et il m'est impossible de comprendre le danger que l'honorable M. Malou y. a trouvé, puisque le gouvernement reste maître de fixer les péages d'une part et qu'il a lui-même l'exploitation d'autre part.
Je ne comprends pas que cette concession puisse devenir ruineuse pour le trésor public, à moins qu'on ne suppose que la station d'Alost prenne un développement tel qu'aucune autre ville de la Belgique ne puisse balancer son importance. Poser cette hypothèse, c'est évidemment la réfuter.
Je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans la longue critique qu'il a faite du chemin de fer du Luxembourg ; mais je crois pouvoir lui dire que si cette entreprise était digne des plaisanteries dont il l'a assaillie aujourd'hui, je ne comprends pas comment elle a été patronée par le cabinet dont l'honorable membre faisait partie. On n'a pas voulu, je suppose, tendre un piège aux capitalistes étrangers ; on n'a pas voulu, non plus, décréter à cette époque un chemin de fer purement électoral ; on a voulu faire une œuvre sérieuse ; on a pensé sans doute que les revenus que ce chemin de fer ne donnerait pas immédiatement, il les donnerait plus tard.
Eh bien, messieurs, les mêmes raisons qui existaient alors pour faire prendre l'entreprise au sérieux, les mêmes raisons qui existaient alors pour faire voter la concession pure et simple, me paraissent militer aujourd'hui pour la garantie d'un minimum d'intérêt. Ne vous y trompez pas et ne vous effrayez pas : Si ce chemin de fer ne peut être qu'un objet de plaisanteries, s'il justifie toutes les objections que vous soulevez, on ne pourra pas réunir les capitaux nécessaires à la construction ; et le minimum d'intérêt que nous décréterons aujourd'hui ne sera pas plus onéreux pour le trésor que la concession qu'on a décrétée sous votre ministère.
(page 1840) L'honorable membre s'est aussi appliqué avec une longue persévérance à reproduire les objections faites contre la dépense demandée dans le projet de loi pour la dérivation de la Meuse. Pour moi, messieurs, je dois le dire, lorsque nous travaillons à développer la prospérité de Liége, la prospérité de ce grand centre industriel, manufacturier et commercial, je crois travailler au développement de la richesse du pays.
Je ne suis pas de ceux qui s'imaginent que la richesse générale consiste dans l'appauvrissement de chaque province ; je crois à la solidarité entre tous les grands centres de production de la Belgique : les uns profitent toujours de ce que l'on fait pour le développement industriel et commercial des autres.
D'une part, l'honorable M. Malou se prévaut d'une infaillible logique, d'autre part il commet une singulière inconséquence. J'ai combattu, dit-il, le canal latéral à la Meuse, parce que de cette boîte de Pandore devaient sortir tous les maux financiers de la Belgique ; parce que ce canal devait avoir pour conséquence nécessaire la dérivation de la Meuse.
Eh bien ! messieurs, puisque le canal a été voté, puisque même au lieu d'y engager 3 millions et demi comme on le pensait alors, on y a engagé 8 millions, complétons notre œuvre et ne commettons pas l'inconséquence la plus déplorable en refusant le complément de ce qui est déjà fait. Loin qu'il y ait là une objection contre la dérivation de la Meuse, la logique nous faisait un devoir de voter pour cette entreprise.
Du reste, messieurs, il faut bien le dire, toutes ces querelles de province à province sont vraiment regrettables. Il faut envisager la question à un point de vue plus élevé, plus général ; demandez-vous si quand un grand centre comme Liége est exposé à des inondations fréquentes, quand la circulation est entravée sur ses voies navigables, il ne faut pas mettre les populations autant que possible, à l'abri des inondations et faciliter autant que possible les communications avec les autres centres producteurs du pays.
Je comprends difficilement, messieurs, la théorie de l'équilibre entre les divers bassins houillers. Il semblerait vraiment qu'il n'y a que les producteurs de houille en Belgique ; mais ce qui est bien plus important, ce sont les consommateurs. Lorsque vous facilitez le transport dont le coût entre pour une si grande part dans le prix de la houille, vous ne faites pas seulement l'affaire des producteurs, vous faites, avant tout et principalement, l'affaire des consommateurs, que vous soustrayez à un impôt onéreux, celui qui résulte d'un transport long et difficile, et au renchérissement excessif qu'occasionne l'interruption des voies de communication.
Il en est de même des attaques que l'on dirige contre l'honorable ministre des finances, et qu'hier encore on renouvelait avec tant d'injustice. Il semblerait que l'honorable M. Frère est l'homme de Liége au sein du cabinet et dans cette enceinte. Eh bien ! je n'hésite pas à repousser ces reproches ; par son talent, par son caractère, p arles services rendus, l'honorable M. Frère appartient au pays ; et je le revendique pour la Belgique tout entière.
M. de Mérode. - Vivent les compliments !
M. d'Elhoungne. - Des compliments ne vaudraient pas vos injustices systématiques ! Je n'ai pas l'habitude, l'honorable M. de Mérode le sait bien d'ailleurs, d'adresser des compliments aux ministres ; il peut s'en assurer auprès de l'honorable préopinant, de l'honorable M. de Theux, de tous leurs honorables amis.
J'appuierai donc, messieurs, la dépense portée au projet de loi, pour la dérivation de la Meuse, comme j'ai voté, avec mes honorables amis de Gand, les dépenses de la construction du canal latéral. Et nous les avons votées, bien que les honorables députés de Liége n'eussent pas tous volé le canal de Schipdonck. La proposition que nous avions faite à cet égard a, en effet, été repoussée à une majorité de quatre voix, parmi lesquelles plusieurs voix liégeoises.
M. Lesoinne. - Ce n'était pas moi.
M. d'Elhoungne. - Non, vous aviez signé l'amendement ; mais c'étaient nos honorables amis, MM. Fleussu et de Tornaco.
J'ajouterai même que le projet actuel a pris naissance à cette époque, dans un discours de notre honorable président, M. Verhaegen. C'est lui qui disait alors : « Nous ne voulons pas de coalition entre deux provinces, mais nous acceptons la coalition de toutes les provinces du pays, parce que celle-là représente l'intérêt général. »
Ceci, messieurs, m'amène à la construction du double canal de Bossuyt et de Schipdonck, compris dans le projet de loi.
Le canal de Bossuyt, messieurs, est un canal préjudiciable à la ville qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte. Ce canal doit lui enlever la navigation qui se fait sur la Lys ; mais il serait surtout préjudiciable à la ville de Gand si le projet conçu par M. de Sermoise pouvait recevoir son extension jusqu'au régime du canal de Deynze à Schipdonck lui-même.
Le projet de M. de Sermoise établit un système mixte, qui doit à la fois servir les intérêts de la navigation pour Bruges et prévenir les inondations pour Gand. Or, en le poussant à toutes ses conséquences, ce système aurait pour la ville de Gand un véritable danger.
Ainsi on ferait le canal de Bossuyt à grandes sections, ce qui enlèverait à la ville de Gand la navigation de la Lys ; puis, ayant adopté pour tout le canal de Bruges le système mixte d'un canal de navigation et d'écoulement, on serait forcé de faire la même chose pour le tronçon du canal de Deynze à Schipdonck. Dès lors on aurait une ligne de grande navigation entre la Flandre occidentale et le Hainaut, en dehors, ou plutôt à l'écart de laquelle on reléguerait la ville de Gand.
On lui enlèverait donc non seulement la navigation de la Lys, mais celle de l'Escaut. La ville de Gand a cette magnifique position au confluent de l'Escaut et de la Lys, en l'exposant en même temps au terrible fléau des inondations : on lui laisserait ce fléau, on lui enlèverait la compensation de la navigation ! Un pareil système n'est pas possible. Je ne le conseillerais qu'avec une armée pour l'appuyer comme ... (Interruption.) C'est de l'histoire, j'allais dire qu'on s'est déjà battu pour cet intérêt-là....
M. Sinave. - Quand votre cause doit être soutenue par une forte armée, c'est une mauvaise cause.
M. d'Elhoungne. - Je réponds ici à toute cette agitation provoquée dans la province de Flandre occidentale ; je ne veux pas envenimer le débat ; ce n'est pas mon habitude ; je ne veux pas non plus faire de menace, ce serait ridicule ; je dis que si l'on voulait exécuter, non pas seulement le projet de M. de Sermoise, mais ce qui en serait le complément logique (on me réfute, sans vouloir me comprendre), que si l'on faisait cela, il y aurait à Gand une population si nombreuse, privée de travail, que je ne sais pas en vérité comment on pourrait la contenir. (Interruption.)
Il ne s'agit pas, M. le ministre de l'intérieur, d'ouvriers qui ont perdu de leur énergie dans le travail des manufactures ; il s'agit d'une population tout entière qui n'a d'autre ressource que la navigation et qui n'est pas plus disciplinable pour cela. (Interruption.)
« Le canal de Gand à Bruges, me dit-on, n'en sera pas moins approfondi ; » oui, il le sera, et qui le conteste ? Il faut que ce canal réponde aux besoins de la navigation ; mais il ne faut pas pour cela faire une véritable révolution dans les voies navigables qui sont pour Gand une condition d'existence.
Je combats les exagérations, parce que c'est sur elles qu'on s'appuie. Il semblerait d'après les pétitions qui vous ont été adressées, qu'il s'agit de procurer à Bruges un port immense, et d'enlever à la ville de Gand sa navigation tout entière. Cela ne peut pas être, cela ne sera pas. Mais ce qui sera, ce qui doit être, c'est la conciliation des intérêts légitimes. C'est que les inondations dont la ville de Gand souffre si profondément soient prévenues par l'achèvement du canal de Schipdonck jusqu'à la mer ; c'est que les besoins de la navigation soient raisonnablement satisfaits par l'exécution des travaux reconnus nécessaires et immédiatement utiles.
Vous voyez, messieurs, que les motifs de l'opposition qu'il y a au projet, s'adressent plus encore aux exagérations du projet qu'à ce qui peut s'y trouver de praticable.
J'ai indiqué moi-même ce qui y était praticable : C'est, d'une part, de nous délivrer de nos eaux, en les envoyant à la mer, et, d'autre part, de faire autant que possible, pour la navigation de Bruges. Ainsi cesseront les agitations qu'on a provoquées, agitations auxquelles j'avais bien le droit de répondre, parce que les honorables membres qui lisent la presse flamande doivent savoir de quelles menaces le gouvernement est l'objet de la part de ceux qui demandent l'approfondissement du canal de Bruges.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce genre de menaces n'est pas à craindre.
M. d’Elhoungne. - Je regretterais d'avoir éveillé des susceptibilités, quand je ne voulais faire allusion qu'à des souvenirs historiques ; tout le monde sait qu'entre Gand et Bruges il n'a pas toujours régné des sympathies bien vives ; on s'est fait la guerre, même pour les canaux. Je prie mes honorables collègues de la Flandre occidentale d'en être bien convaincus : je ne veux faire ici à eux, ni à leurs commettants une déclaration de guerre. Je me féliciterais de pouvoir leur offrir la branche d'olivier et les moyens de conciliation. Mais ils me permettront de maintenir qu'avant de faire pour les uns ce qui peut être utile, il faut faire pour les autres ce qui est indispensable ; qu'avant de songer à améliorer la navigation de Bruges, il faut commencer par délivrer la ville de Gand de ses inondations, et qu'avant d'entreprendre quelque chose de nouveau, il faut songer à achever ce qui est commencé.
A ces différents points de vue, ceci est incontestable : c'est qu'il faut en finir avec nos inondations. Je pense que telle est aussi l'intention positive du gouvernement. Le gouvernement n'entend pas sans doute remettre en question la dérivation de la Lys, alors que cette dérivation est seule efficace contre les inondations. D'un autre côté, comme il faut de la justice distributive, le gouvernement ne refusera pas à Bruges ce qui est juste pour améliorer l'état de sa navigation qui s'est détériorée par l'incurie des administrations qui se sont succédé. C'est en ce sens que je voterai le projet.
Messieurs, en parcourant les différents articles qui sont compris dans le projet, j'ai remarqué avec regret qu'ils présentaient quelques lacunes. J'aurais voulu qu'au milieu de ces travaux publics que le gouvernement nous propose de décréter, il y eût eu une place plus large pour les habitants du littoral ; j'aurais voulu que le projet eût pu faire quelque chose de plus pour les pêcheurs de nos côtes.
Dans les négociations diplomatiques avec la Hollande, dans les traités que nous avons déjà conclus, nos pêcheurs de la Flandre ont été nécessairement atteints. Leur industrie a dû faire les frais des faveurs obtenues par les autres industries du pays. Il y a donc une juste cause de réparation pour eux ; il y a des motifs a des compensations.
Comme ce projet de loi n'est pas le dernier mot du gouvernement, ni de l'opinion libérale, j'espère que les habitants du littoral seront l'objet des préoccupations toutes spéciales du gouvernement dans les projets qu'il aura à nous présenter plus tard ; j'espère qu'il pourra faire pour (page 1941) nos pêcheurs ce qu'on a fait en Ecosse, en Irlande, en Angleterre, c'est-à-dire leur donner des ports plus sûrs, et les doter d'institutions propres à assurer l'amélioration de leur condition morale et matérielle.
Nos pêcheurs sont véritablement dignes de tout notre intérêt. Ils exercent une industrie pleine de périls ; leur existence est chaque jour exposée ; et ils restent malheureux. Avec quelques mesures peu dispendieuses on peut apporter des améliorations sensibles à leur situation ; avec quelques travaux on peut leur ouvrir un bel avenir. J'engage le gouvernement à donner suite aux idées émises souvent sur cette matière et à prendre pour les pêcheurs du littoral quelques-unes des mesures qu'il a prises avec succès dans l'intérêt d'autres classes de travailleurs.
J'aurais voulu aussi que le gouvernement nous eût rassurés sur le sort de la société d'exportation qui figurait pour 3 millions dans le projet de 1848 et qui ne se trouve plus dans le projet actuel.
Cependant cette institution avait eu le rare bonheur d'être considérée par tout le monde comme le moyen le plus efficace de régénérer le travail industriel dans les Flandres, il avait réuni l'unanimité des suffrages, y compris même le suffrage le plus difficile à conquérir, celui de l'honorable M. Ch. de Brouckere. Tout le monde a été d'accord : chambres de commerce, députations permanentes, conseils provinciaux et le gouvernement, puisqu'il a présenté le crédit dans son projet de février 1848.
Si le gouvernement pouvait nous donner l'assurance que les conquêtes diplomatiques obtenues dans les négociations qui se poursuivent, ont fait ajourner ce projet comme ayant perdu son utilité, je me consolerais de le voir élagué de la loi.
Mais si nos négociations continuent à être incertaines et chanceuses, j'engage le gouvernement à ne pas abandonner l'idée d'une société d'exportation ; car en cas de rupture avec quelqu'un des voisins où l'industrie linière fait encore des exportations considérables, ce serait un levier puissant et indispensable pour parer à la crise.
En bornant là mes observations sur le projet, que je crois avoir justifié, je dirai que le projet considéré en lui-même soulève peu d'objections sérieuses, et qu'il fera plutôt des mécontents que des opposants. A un point de vue plus général, je ne me plains pas de ce que le projet ait soulevé des objections politiques. Je ne suis ni étonné ni affligé, comme l'honorable M. Dechamps, d'avoir vu des préoccupations politiques dominer malgré eux les honorables membres qui ont pris part à la discussion. C'est que le projet réalisait, complétait le programme du ministère, le programme du parti libéral. Il est la meilleure et la plus puissante justification de tout ce qui l'a procédé : des économies opérées, des impôts votés, de la crise ministérielle et de sa solution.
L'honorable M. Dechamps a applaudi à la pensée politique du projet. Tenir en réserve du travail et de l'argent pour traverser les crises de l'avenir, lui a paru une grande et prévoyante inspiration. Cette adhésion de l'honorable membre ne m'a pas surpris, messieurs. Je comprends le retour qu'il a dû faire, et qu'il est utile pour tous de faire, sur la situation de 1848. Nous étions alors dans des conditions bien différentes de celles d'aujourd'hui. Le trésor était vide ; non seulement le gouvernement était sans argent, mais nous avions une vaste circulation de bons du trésor, qu'on pouvait verser dans les caisses publiques en payement des impôts.
Le commerce était écrasé, l'industrie paralysée, nos populations épuisées par la disette. Cependant l'argent et le travail ne suffisent pas à l'honorable orateur, il nous reproche de n'avoir plus une armée forte ; il nous accuse de laisser planer sur le sort de l'armée le découragement et le doute ! Le moment, il faut l'avouer, est malheureusement choisi pour ces reproches, lorsque dans le cours même de cette session, toutes nos pensées se sont unies, nos mains se sont serrées pour faire sur le budget de l'armée, un compromis acceptable et honorable pour tous, puis qu'il repose sur cette déclaration unanime : que l'institution de l'armée ne peut être, quoi qu'il arrive, ni amoindrie, ni sacrifiée.
L'honorable M. Dechamps semble croire encore que nous ne pouvons aborder la situation aussi avantageusement qu'en 1848, parce que alors nous étions moins divisés. Mais pourquoi étions-nous moins divisés ? Parce que l'honorable membre et ses amis politiques venaient de disparaître du pouvoir submergés par l'explosion du mécontentement public. Sans doute, si vous êtes venus à nous alors, ce n'était point par peur, mais parce que vous aviez le sentiment de votre impopularité. Vous sentiez que vous n'auriez pu tenir le gouvernail d'une main aussi ferme que vos successeurs dans la tempête qui éclatait.
Non, les honorables amis de M. Dechamps n'ont pas obéi à un sentiment de faiblesse, mais à ce sentiment légitime qui fait que dans le danger on se rapproche pour faire face à l'ennemi comme un. Vous avez agi en amis de votre pays ; personne ne conteste que vous n'ayez fait votre devoir.
M. de Mérode. - Vous n'en auriez pas fait autant à notre place.
M. d'Elhoungne. - Nous n'en aurions pas fait autant, dites-vous ?
Si les amis de l'honorable membre qui m'interrompt eussent été au pouvoir, nous n'eussions peut-être pas réussi à maintenir le calme dans les esprits irrités, mais nous eussions succombé en luttant avec vous, à côté de vous.
Aujourd'hui, la situation est bien changée. Les événements ne nous surprendront ni obérés, ni désarmés.
Certes, je ne crois pas à des révolutions qui arrivent à jour fixe comme une éclipse ; je ne crois pas à l'infaillibilité des Quetelets politiques. Parce que la Constitution française a convié à un jour donné toutes les (page 1941) passions politiques dans un vaste pêle-mêle d'élections, je ne crois pas pour cela à une révolution ? Je serais plus tenté de croire qu'entre la république qu'on subit et la monarchie qu'on regrette, entre la république dont on a n'a pas les mœurs et la monarchie dont on a gardé les traditions, il y aura un compromis.
On essayera peut-être ce qui a réussi jadis en Hollande : Une république avec des princes qui la gouvernent, avec un stadhouterat ; ce mélange de monarchie et de république plaira peut-être à une nation, qui a la passion de l'égalité et qui est en même temps folle de toute espèce de distinctions honorifiques.
Que si je ne crains pas les crises à jour fixe, je n'en reconnais pas moins que l'Europe est sur un volcan, et quoique la métaphore soit usée ; quoiqu'on ait abusé des terreurs que peuvent inspirer les dangers que l'avenir recèle, il est certain que les hommes politiques et les nations ont à s'en préoccuper, ont à se tenir sur leurs gardes. Telle a été la pensée du gouvernement et de la majorité de cette chambre. C'est celle qui a inspiré et leurs actes et leur attitude, et le projet de loi que nous discutons.
Et, en effet les questions de l'enseignement résolues ; la réforme électorale opérée ainsi que la réforme parlementaire (quoique celle-ci ait été poussée un peu loin) ; la crise de 1848 si heureusement traversée ; le crédit reconstitué ; le déficit permanent comblé ; nos finances restaurée ; ne sont-ce pas là d'excellentes conditions pour affronter les dangers que l'avenir peut nous réserver encore ?
N'est-ce pas un bonheur aussi que d'avoir écarté de la Belgique le mauvais génie de la réaction ? N'est-il pas honorable pour le pays et pour le gouvernement d'être sorti de cette épreuve, comme il est sorti de celle de 1850, quoiqu'elle fût plus difficile peut-être que celle de l830 ? D'avoir résisté à la réaction qui, après les commotions de 1848, s'est manifestée presque partout ? D'avoir puisé sa force dans le développement de ses institutions ? De n'avoir cédé ni à la pression de 1848, ni à la pression de 18499 et 1850 ? De s'être sagement rattaché à l'esprit vraiment libéral de ses institutions ?
Messieurs, l'opinion libérale, depuis qu'elle est au pouvoir, a résolu de grandes questions politiques, financières, économiques. Le projet actuel prouvera qu'elle sait aborder et résoudre les questions de travaux publics devant lesquelles nos adversaires ont reculé.
Les grands travaux publics, messieurs, parlent à l'esprit, à l'imagination, aux intérêts ; ils sont ce qu'il y a de plus saisissant pour les masses dans les actes d'un gouvernement ; ils sont un élément de force pour l'Etat, comme ils sont une source de richesse pour le pays.
Quant aux questions quelles qu'elles soient qui restent à résoudre, et que nos adversaires soulèvent comme des obstacles devant nous, elles nous trouveront fidèles à nos principes et à nos précédents.
Ainsi la charité ! Nous avons voulu, dit-on, introduire la politique jusque dans la charité : Mais nos adversaires y avaient bien mis l'anarchie administrative, et ne les voyons-nous pas mettre de la diplomatie dans la religion, ou de la religion dans la diplomatie ?
La question de la charité sera résolue, parce qu'il y a un sentiment qui domine l'opinion libérale tout entière : c'est la haine de l'intolérance ; nous ne voulons pas plus l'intolérance contre les autres que nous ne la voulons contre nous-mêmes. C'est ainsi que nous entendons la liberté ; et, à côté d'elle, les droits de l'Etat que personne de nous n'a le droit ni la pensée d'abdiquer.
Vous avez soulevé une autre question qui n'est pour vous qu'une machine de guerre : la réforme douanière. En face de cette machine de guerre, on mettra la prudence qui est le premier devoir d'un gouvernement ; on ne voudra pas, par une révolution inopportune, bouleverser les intérêts de tous les producteurs du pays ; on ne se lancera pas dans les aventures à votre suite ; on éclairera le pays sur les effets désastreux d'une réforme trop brusque, trop étourdie (passez-moi cette expression déjà introduite dans le débat), nous n'exposerons pas nos producteurs ruinés à contempler avec regret le système ultra-protecteur de la France républicaine.
La question des octrois que vous avez soulevée, nous nous efforcerons de la résoudre : vous croyez que dans cette question, nous ne poursuivrons pas le principe de la vie à bon marché ! Vous vous trompez. Nous serons vos complices. Nous acceptons cette réforme ; nous la réaliserons, non pas dans l'intérêt de ceux qui nous ont envoyés dans cette enceinte ; car ceux qui sont ici intéresses ne sont pas même électeurs, mais dans l'intérêt de ces classes laborieuses, qui par cela même qu'elles sont exclues des comices, doivent trouver ici, au sein de l'opinion libérale, plus de sollicitude et de dévouement.
Ce n'est pas de notre côté qu'on maintiendra des impôts sur le pain du pauvre et de l'ouvrier, ni sur la viande qui devrait être aussi la nourriture de l'ouvrier. Notre population serait d'autant plus heureuse, d'autant plus attachée à nos institutions.
C'est ainsi que l'existence des partis politiques dans un pays libre est une bonne chose. C'est ainsi que, dans un pays de discussion et de liberté, la majorité et la minorité travaillent de concert, quoique parfois sans le savoir, à la bonne administration des affaires.
C'est ainsi, messieurs, que la majorité peut sans capitulations de conscience dont elle ait à rougir, sans faire de ses votes je ne sais quel honteux trafic, c'est ainsi qu'elle peut faire au grand jour, des concessions sur des questions de détail, concessions qu'elle fait moins encore à l'union du parti qu'à la grandeur du but que le parti poursuit, et qui se résume dans la liberté, la force et la prospérité de la patrie !
M. le président. - Trois amendements viennent d'être déposés.
(page 1942) Le premier de M. Moxhon (sous-amendement à l'amendement de M. Moncheur, relatif à la section de Jemeppe à Gembloux) est ainsi conçu : « Si le gouvernement ne peut amener la compagnie à adopter cette modification, il sera autorisé à traiter avec une compagnie pour l’exécution de la section de Jemeppe à Gembloux, moyennant la garantie d’un minimum d’intérêt de 4 p. c. sur une somme qui n’excédera pas 2,500,000 fr. »
Le deuxième, de M. d’Hont, consiste à amender ainsi le littera B du projet de la section centrale Au lieu de « pour la construction d'un chemin de fer d'Audenarde à Deynze, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c, etc., » dire « pour la construction d'un chemin de fer, soit d'Audenarde à Deynze, soit d'Audenarde à Gand, au choix du gouvernement, etc. (le reste comme au projet). »
Le troisième, de M. Orban, est un article additionnel à l'article premier, est ainsi conçu :
« Dans le cas où la Société de Luxembourg viendrait à encourir la déchéance, pour l'un ou l'autre des motifs indiqués aux articles 6, 17 et 18 de la convention entre elle et le gouvernement, ou si elle ne justifiait point à l'époque prévue à l'article 6 des facultés nécessaires pour remplir ses engagements, il sera pourvu à l'exécution du chemin de fer de Bruxelles à Arlon par l'Etat. »
M. le président. - La proposition dont les sections ont autorisé la lecture émane de M. Jacques ; elle est relative à la suppression des octrois. On pourra en faire la lecture demain.
- M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.
M. Orban. - Je commencerai par répondre à un mot de critique qui a été dirigé contre le chemin de fer du Luxembourg et qui est partie, j'en ai été étonné, d'un banc où siègent d'honorables amis.
Le Luxembourg, a dit l'honorable M. Malou, n'a qu'une faible population, son industrie et son agriculture sont encore peu avancés ; l'on ne crée pas les chemins de fer en vue des populations à naître et des richesses à venir. Je répondrai, messieurs, que cela dépend du degré d'intelligence et de patriotisme des Etats qui ont à résoudre ces questions. Dans notre vieille Europe qui est souvent une terre d'égoïsme et d'étroits calculs, il peut en être ainsi. Il n'en est pas de même aux Etats-Unis d'Amérique, qui ont su se placer en tête des autres nations, sous le rapport des travaux publics, comme sous tant d'autres. Là, messieurs, l'on ne craint pas de lancer des chemins de fer d'un immense développement à travers des espaces où la population est encore rare, et presque toujours l'expérience démontre que les inspirations du patriotisme sont d'excellents calculs, Car le développement de la richesse et de la population ne tardent pas à récompenser partout ces hardies entreprises.
J'en viens au projet de loi et je déclarerai d'abord que si tous les travaux qu'il renferme, que si toutes les parties de ce vaste ensemble devaient recevoir également leur exécution, je pourrais garder le silence et n'aurais qu'à m'incliner avec reconnaissance.
Le chemin de fer du Luxembourg promet, en effet, de tels avantages à la province à laquelle j'appartiens, il est pour elle le gage d'un si grand bien-être et d'un avenir si différent de sa condition actuelle, qu'à lui seul il devrait, si son exécution était assurée, enchaîner mon vote et m'ôter le droit de critiquer ce qui dans le projet ne mérite pas mon approbation.
Malheureusement, j'ai les craintes les plus sérieuses et les plus fondées. Je crains qu'une grande partie, que la plus grande partie des travaux qui forment l'ensemble du projet ne reçoivent pas leur exécution. La loi qui vous est soumise, équitable dans sa conception première, deviendra ainsi par suite de son inexécution partielle, la source d'une foule de récriminations fondées et de nouvelles charges sans compensation, pour les parties du pays qui seront privées de leur part de travaux.
Ma défiance provient, je n'ai pas besoin de vous le dire, de ce que tandis qu'une partie des travaux doivent être exécutés aux frais de l'Etat, d'autres et en grand nombre, n'ont d'autre garantie d'exécution que le bon vouloir des compagnies et des capitaux privés.
L'appel fait aux capitaux étrangers, je le crains, ne sera point entendu. Je veux m'exprimer à cet égard avec réserve, mais personne n'ignore que pour se montrer, pour s'aventurer dans des spéculations de cette espèce, les capitaux ont besoin de confiance et de sécurité. Or, dans quel moment, dans quelles circonstances cet appel est-il adressé ? Le. lendemain d'expériences faites dans ce pays à l'occasion des mêmes entreprises, qui, pour la plupart, ont été désastreuses, et la veille d'une crise qui peut bouleverser la situation politique et financière des Etats qui, dans tous les cas, doit affecter, altérer gravement cette dernière.
Vous connaissez, du reste, les habitudes du capital, vous savez combien elles sont volontaires et capricieuses. Lorsqu'on le prend à ses moments, il se lance avec ardeur, et nous en avons eu les preuves, dans les entreprises les plus hasardeuses ; mais si à l'engouement succède la défiance et le découragement, vous lui offririez en vain les entreprises les plus avantageuses et les mieux combinées.
Eh bien, messieurs, on le méconnaîtrait en vain, c'est à cette dernière situation que nous en sommes arrivés. Nous avons eu en Belgique l'ardeur des spéculations en matière de chemins de fer, poussée jusqu'à la fièvre. Nous en sommes maintenant à l'affaissement, au découragement qui en est la suite.
Mais, dira-t-on, la garantie d'un minimum d'intérêt change la question et assure le concours des compagnies. Ce serait, messieurs, se faire illusion que de le croire et la preuve n'en est pas difficile à faire.
En effet, sur quoi porte la garantie du minimum d'intérêt j'ai particulièrement en vue ici le chemin de fer du Luxembourg ! Uniquement sur le capital destiné à la construction et encore jusqu'à concurrence d'une somme déterminée, qui peut être dépassée de beaucoup dans l'exécution.
La garantie ne s'applique pas au capital destiné à l'achat du matériel d'exploitation. Elle laissa tout à fait en dehors et aux risques de la société (il ne pouvait en être autrement) le service et l'exploitation du chemin de fer.
Ajoutons à cela que cette garantie du minimum d'intérêt, si considérablement réduite par les objets auxquels elle ne s'applique pas, n'agira qu'au bout de plusieurs années, à mesure qu'une station pourra être livrée à la circulation et laissera pendant tout cet intervalle de temps les capitaux improductifs d'intérêts.
Maintenant, messieurs, je vous laisse à juger si une pareille perspective offerte aux capitaux anglais est faite pour les séduire, si elle est de nature à faire renaître la confiance, à ramener des actionnaires découragés et qui, pour les deux tiers, ont complètement déserté l'entreprise ; si, en d'autres termes, elle peut être considérée comme assurant l'exécution du chemin de fer luxembourgeois.
Pour mon compte, je ne puis le croire, et dans cette position, il est de mon devoir de chercher à assurer à ma province, dont les droits à être reliée par un railway au railway national, sont maintenant hautement reconnus et à l'abri de toute contestation, des garanties pour l'éventualité que j'ai signalée.
J'ai, en conséquence, l'honneur de déposer sur le bureau un amendement, destiné à assurer l'exécution par l'Etat du chemin de fer du Luxembourg, dans le cas où la société viendrait à encourir la déchéance prévue aux article 6, 17 et 18 de la convention, ou à ne pas réunir les facultés nécessaires pour l'exécution de son entreprise. Cet amendement je le justifierai plus amplement lors de la discussion des articles.
Ne trouvant dans le projet de loi, en ce qui concerne ma province, qu'un projet éventuel et sans garantie suffisante, c'est pour moi un devoir de discuter et de combattre les travaux entrepris sur les fonds de l'Etat et qui ne me paraissent point avoir une utilité proportionnée à la charge qu'ils doivent faire retomber sur les contribuables.
C'est vous dire, messieurs, que je ne puis donner mon assentiment au projet de dérivation de la Meuse, qui, à lui seul, et avec ses dépendances, absorbe la majeure partie de l'emprunt qui vous est soumis.
La question de la dérivation se présente maintenant sous son véritable jour. Elle n'est plus exclusivement, elle n'est plus même principalement un travail destiné à mettre Liége à l'abri des inondations. C'est l'exposé des motifs lui-même qui le reconnaît, en déclarant que ce grand travail est aujourd'hui improprement appelé dérivation de la Meuse, que c'est plutôt un grand travail industriel destiné à favoriser les exploitations de charbonnages du bassin de Liége.
Le motif de philanthropie a donc repris sa véritable importance, la dérivation de la Meuse a rejeté le masque dont elle s'était si longtemps servie et nous croyons que l'on a bien fait, car à ceux qui auraient réclamé ces grands travaux sous prétexte de mettre Liége à l'abri des inondations on aurait répondu :
« Vous n'êtes point seuls exposés à l'inconvénient des inondations. C'est la condition naturelle de toutes les villes, de toutes les propriétés situées sur les bords des grands cours d'eau, c'est le prix auquel sont achetés les immenses avantages qui résultent de cette position. La Senne, le Demer, l'Escaut produisent des désordres semblables et souvent plus considérables, et si l'on devait y parer par des travaux comme ceux que vous réclamez, le trésor public ne pourrait y suffire. »
On aurait pu leur répondre : Vous auriez pu faire beaucoup pour parer au fléau des inondations, pour le diminuer au moins, et vous n'avez rien fait. Témoins les atterrissements qui existent sur les bords du fleuve, au milieu même de la ville de Liége et qu'à peu de frais l'on aurait pu faire disparaître ; témoin le pont de la Boverie, qui augmente le mal et que vous avez laissé construire sans opposition.
On aurait pu leur répondre davantage : c'est que la ville de Liége, par son fait, avait elle-même contribué, plus que rien au monde, à accroître l'inconvénient des inondations.
Il existait, en effet, la plupart d'entre vous le savent, un canal, fruit de la sollicitude des princes-évêques de Liége, qui, traversant la ville, servait de déversoir à une partie des eaux du fleuve. Ce travail était si bien fait pour parer aux inondations, qu'aujourd'hui encore, si l'on n'avait point d'autre objet en vue, il n'y aurait rien de mieux à faire que de le rétablir. Eh bien, messieurs, la ville de Liége a comblé ce canal et sur son emplacement se trouvent aujourd'hui des promenades publiques.
C'est donc, messieurs, comme travail destiné à favoriser l'industrie de Liége, que la dérivation de la Meuse doit être examinée.
L'on s'est beaucoup occupé de la filiation de ce projet. Je suis disposé à reconnaître qu'il doit la vie, quoique la paternité ne soit pas reconnue, au canal latéral à la Meuse.
Il faut convenir qu'elle ne pouvait pas avoir de plus fâcheuse origine que celle-là. Jamais, en effet, travail entrepris aux dépens du trésor, n'a été accueilli par l'opinion avec moins de faveur, et n'a été depuis lors que l'objet de récriminations plus vives et plus fondées. Partout l'on se demandait s'il était sage, si c'était faire des deniers publics un usage convenable que de les employer à construire à grands frais une voie de. communication concurrente à ce beau fleuve auquel Liége doit sa richesse et sa brillante prospérité industrielle.
Eh bien, messieurs, on vient aujourd'hui ajouter à la faute qui a été commise, une faute plus considérable sans tenir compte des leçons de l'expérience, des déceptions qui ont été éprouvées, des promesses qui avaient été faites.
Rappelons-nous, la chose n'est pas inutile, ce qui s'est passé dans (page 1943) cette discussion. Ce travail devait coûter peu de chose, rapporter beaucoup et procurer d'immenses avantages à l'industrie de Liége. Toutes les prévisions d'alors ont été complètement démenties.
Le canal ne devait coûter que trois millions, et l'honorable M. Delfosse avait soin de nous dire :
Je sais qu'en général, on ne doit pas accorder de confiance aux devis des ingénieurs, je sais qu'ils sont ordinairement dépassés dans l'exécution, mais il n'en est pas des devis de M. Kummer, comme des devis des autres ingénieurs. Ceux-là forment exception. Eh bien, messieurs, qu'est-il arrivé avec ce phœnix des ingénieurs, qui possède les sympathies et la confiance de M. Delfosse.
La dépense évaluée par le devis montant à 3 millions a coûté 7,500,000 fr. (Interruption de M. le ministre des travaux publics.)
M. le ministre des travaux publics me dit que la dépense en plus provient non des ouvrages d'art, mais des acquisitions de terrain. Je réponds à cela que le devis comprenant l'évaluation des terrains à acquérir aussi bien que celle des ouvrages d'art, doit être exact pour les premiers comme pour les seconds. C'est un exemple frappant des dangers que présente l'adoption précipitée de projets de travaux publics. Les mécomptes fâcheux auxquels a donné lieu le canal latéral à la Meuse proviennent de l'empressement que l'on a mis à voter ce projet. Nous nous ménageons plus d'un mécompte de cette espèce.
Il n'est pas moins intéressant de se rappeler ce que l'on vous disait des produits présumés de ce canal. Ces produits devaient être tels qu'ils devaient constituer une excellente opération. Ils ne devaient pas s'élever, en effet, à moins de 150,000 fr., ce qui constituait un intérêt de plus de 5 p. c. du capital engagé, sans compter les produits indirects.
Nous sommes menacés, à ce qu'il paraît, d'éprouver, en ce qui concerne les produits, un mécompte plus grand encore que celui qui nous a valu l'évaluation des travaux. Nous apprenons, en effet, par les documents annexés au rapport de la section centrale, que le produit du canal latéral à la Meuse s'est élevé, pour le dernier trimestre de 1850, à 6,000 fr. environ, ce qui ferait 24,000 fr. de produit annuel pour un travail qui a coûté près de 7 millions de francs...
Enfin, messieurs, que nous disait-on quant à la portée, quant à l'influence du projet en lui-même. A entendre son auteur et ses partisans, le canal latéral à la Meuse devait procurer à l'industrie liégeoise les plus brillantes destinées. Le débouché de la Hollande allait être ouvert à ses charbonnages, ses exportations allaient prendre une extension incroyable, la grenouille de Liége allait égaler en grosseur le bœuf de Charleroy.
Et remarquez-le bien, messieurs, le canal latéral à la Meuse était un travail complet, sauf son extension dans la traverse de Liége, qui devait produire à lui seul ces beaux résultats. L'on repoussait bien loin l'idée, qu'une extension de travaux jusqu'à Chokier dût compléter ce premier travail et en être la conséquence.
Et, messieurs, c'est après tous ces mécomptes et tous ces démentis, qui sont venus ajouter encore à l'impopularité, au discrédit dont était déjà frappée la première concession faite aux exigences de la ville de Liége, que l'on vient vous proposer des travaux gigantesques, infiniment plus dispendieux que les premiers, pour satisfaire aux mêmes intérêts, aux mêmes exigences, que l'on vient vous proposer de puiser dans le trésor public des millions pour améliorer la situation brillante déjà d'une fraction de l'une des industries du pays.
Non, messieurs, il n'y a point de justice à faire ainsi pour les uns ce que l'on ne peut faire pour les autres, ce que l'on ne peut faire pour tous, et ma conscience se refuse à un pareil emploi de la fortune publique.
Il faut bien le dire, du reste, ce ne sont pas les charbonnages liégeois qui sont seuls l'objet de ce traitement exceptionnel. Il semble que cette grande et puissante industrie ait seule droit aux faveurs du trésor. C'est pour elle que sont construites presque toutes nos voies navigables ; c'est pour elle qu'on est toujours prêt à en entreprendre de nouvelles ; c'est pour elle que sans cesse on porte la main sur le produit des péages, renonçant ainsi, en sa faveur, à la plus légitime des ressources du trésor.
Mais si l'industrie charbonnière manifeste ainsi son importance par les charges qu'elle impose au trésor, elle doit aussi la manifester par la part pour laquelle elle contribue à former ses ressources.
Eh bien non, messieurs, ce puissant intérêt, cette portion importante de la richesse publique, cette propriété qui vient immédiatement après la propriété foncière, ne rapporte pas une obole au trésor.
Et qu'il me soit permis, à ce sujet, d'exprimer mon étonnement que, dans un moment où l'on met à contribution toutes les sources de l'impôt pour créer de nouvelles ressources au trésor ; qu'alors surtout que ces ressources doivent être employées en grande partie dans l'intérêt des charbonnages, M. le ministre des finances ne nous ait point proposé une augmentation de la redevance sur les mines.
Dans une discussion qui a eu lieu à la chambre il y a quatre ans, il avait formellement reconnu l'insuffisance de cette redevance et par là même pris implicitement l'engagement d'en proposer l'augmentation. C'était, nm semble-t-il, le cas ou jamais de satisfaire à un pareil engagement.
L'on a fait un grand crime, à l'aristocratie d'autrefois, et non sans raison, de jouir de nombreuses exemptions en matière d'impôt, tandis qu'elle profitait plus que personne de ses bienfaits.
Eh bien, messieurs, je vous le demande ? Quelle est donc l'aristocratie de l'époque ? Quelle est dans la société l'intérêt, la puissance privilégiée, qui plus que personne jouit des bienfaits de l'impôt et qui en est exempte, qui ne rapporte pas une obole au trésor ? Quelle est, en fait d'immunité, en matière d'impôt, l'aristocratie de l'époque, si ce n'est la grande industrie, l'industrie charbonnière ?...
En résumé, messieurs, je donnerai mon assentiment au projet, si mon amendement est adopté et si l'on procure des avantages égaux aux grands intérêts qui s'y trouvent engagés ; dans le cas contraire, je me réserve de rejeter celles de ses dispositions que je ne trouverai point suffisamment justifiées.
- La suite de la discussion générale est remise à demain à 1 heure.
M. Loos. - Messieurs, vous avez renvoyé à la section centrale du projet de loi des travaux publics trois pétitions sur lesquelles je vais avoir l'honneur de vous faire un rapport.
1° Pétition des communes de Roulers, Iseghem, etc.
Les administrations communales de Roulers, Iseghem, Rumbeke, Emelghem, Ingelmunster et Cachtem exposent que, par suite de l'insuffisance des ponts et aqueducs trop étroits établis sur la Mandel, les eaux de cette rivière rendues plus abondantes par le défrichement des terrains boisés et le dessèchement des marais, éprouvent des débordements très dommageables pour les riverains. Elles prient la chambre de vouloir voter les fonds nécessaires pour remédier à cet état de choses.
Les causes signalées par les pétitionnaires ne sont point le résultat de travaux exécutés par l'Etat ; c'est aux communes, c'est à la province à remédier à l'insuffisance des travaux d'art qu'elles ont établis et à prévenir ainsi les dégâts occasionnés par les inondations qui n'atteignent pas seulement les communes qui réclament, mais d'autres encore situées dans la vallée de la Mandel.
Quoi qu'il en soit, la section centrale propose le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics et le dépôt sur le bureau pendant la discussion.
- Ces conclusions sont adoptées.
2° Pétition de la commune de Neerpelt.
Par pétition adressée à la chambre, le conseil communal de Neerpelt allègue que depuis un an, par suite des inondations au pied du canal de la Campine, une rupture s'est déclarée à la digue de Lommel à Achel près du pont n°8 ; que par suite de cet accident le chemin de communication vers Overpelt a été rendu impraticable et les cultivateurs empêchés de conduire à leurs terres les engrais nécessaires.
L'administration communale susdite demande que la chambre vote les fonds requis pour le rétablissement des choses sur un pied convenable.
Il a paru, messieurs, que cette réclamation n'était pas de nature à devoir occuper la chambre à propos de la loi en discussion ; la section centrale se borne donc à vous proposer le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
3° Pétition de la ville de Renaix.
Par pétition en date du 3 de ce mois, l'administration communale de Renaix demande la continuation d'un chemin de fer de Gand vers Leuze ou Ath par Renaix et Audenarde. Elle prétend qu'une compagnie est à la veille de faire des propositions à cet égard au gouvernement et voudrait qu'il lui fut accordé une garantie de minimum d'intérêt.
La section centrale a proposé déjà d'autoriser le gouvernement à donner une garantie d'intérêt à la compagnie qui se chargerait de la construction d'un chemin de fer de Deynze à Audenarde ; elle croit que Renaix doit être un jour reliée à l'une ou à l'autre ligne de chemins de fer, mais qu'on ne peut tout faire à la fois, que l'établissement d'une ligne nouvelle de Leuze ou d'Ath à Gand par Renaix et Audenarde rendrait impossible celle proposée d'Ath vers Lokeren par Alost. Il a donc paru qu'en ce moment la demande de Renaix ne pouvait être accueillie favorablement, que si plus tard une compagnie faisait des propositions acceptables pour relier Renaix à l'une des lignes établies, le gouvernement pourrait saisir les chambres du projet qui lui paraîtrait pouvoir être admis. La section propose le dépôt de la pétition sur le bureau de la chambre pendant la discussion.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Thiéfry, questeur. - Messieurs, la commission de comptabilité m'a prié de faire une proposition à la chambre ; l'heure n'est pas très avancée ; si la chambre veut maintenant se former en comité secret, je suis prêt à lui faire part de la proposition.
- Des membres. - A demain ! à demain !
M. le président. - Il est donc entendu que le comité secret aura lieu demain.
- La séance est levée à 5 heures moins un quart.