(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Delehaye, vice-président.)
(page 1765) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Quelques habitants de Louvain demandent que la garde civique soit divisée en deux bans. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs propriétaires et habitants de Gheel prient la chambre de voter les fonds nécessaires pour améliorer l'écoulement des eaux de la Petite-Nèthe. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics.
« Le conseil communal de Membruggen demande la construction d'un embranchement de chemin de fer de Fexhe à Tongres. »
« Même demande du conseil communal de Widoye. »
- Même renvoi.
« Le conseil provincial d'Anvers présente des observations contre le projet d'établissement d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Bruges demandent l'exécution de travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise pour compléter les moyens d'écoulement des eaux d'inondation de la Lys. »
« Même demande de plusieurs habitants de Zerkeghem, Mariakerke, Couckelaere, Varssenaere, Clemskerke, Ruddervoorde, Zuyenkerke, Lophem, Ruysselede, Lichtervelde, Ingelmunster, Heule, Rumbeke, Gits, Roulers, Aeltre, Snelleghem, Sainte-Croix, Oostcamp, Aerseele, Meulebeke, Vlisseghem, Stuyvekenskerke, Houcke et Knocke. »
M. Sinave. - Messieurs, vingt-huit pétitions, émanées d'autant de localités, ont été déposées sur le bureau ; la plupart sont adressées à la chambre par les conseils communaux de ces localités. Elles tendent toutes au même but : l'exécution du plan de M. de Sermoise, concernant l'approfondissement du canal de Gand. Je demande que ces pétitions soient renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à un ensemble de travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
Il est procédé au tirage au sort des sections du mois de juillet.
M. Delehaye. - Messieurs, vous avez renvoyé dans la séance d'hier plusieurs amendements à la section centrale du projet de loi sur les distilleries. La section centrale s'occupe en ce moment de l'examen de ces amendements. La chambre désire-t-elle suspendre un moment la séance, pour laisser à la section centrale le temps de terminer son travail ? (Non ! non !) Ou veut-elle continuer la discussion générale du projet de loi sur les distilleries ? (Oui ! oui i)
(M. Delfosse remplace M. Delehaye au fauteuil.)
M. le président. - La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau. - Messieurs, je ne veux pas laisser clore cette discussion, sans faire acte d'adhésion formelle au principe de la loi actuellement en discussion.
Je placerai les observations générales que je me propose de présenter à la chambre, sous le patronage des paroles remarquables qui ont été prononcées, dans une occasion analogue, à la chambre législative de France.
« On a beaucoup et souvent parlé des dangers que couraient la religion, la propriété et la famille ; mais il est aussi très facile de les défendre. Aussi, n'ont-ils pas manqué de défenseurs.
« Mais il est une autre chose dans la société, moins grande certainement, moins essentielle que les trois grandes institutions que je viens de nommer, mais qui n’en méritent pas moins la plus vive et la plus profonde sollicitude des bons citoyens. Cette autre chose, c’est l’impôt : l’impôt qui est le gage de la sécurité et de la puissance publique, et qui, dans l'organisation moderne et démocratique de la société, tient par des liens plus forts et bien plus nombreux qu'on ne pense, à la dignité et à la vie des institutions morales elles-mêmes.
« En effet, dans une société comme la nôtre, où il n'y a plus de corporations, plus de traditions, plus de grandes existences héréditaires, les grands intérêts sociaux, le culte, la justice, l'instruction publique, toutes les grandes forces exclusivement morales plongent par leurs racines dans le budget, c'est-à-dire dans l'impôt. Ainsi, quand on vient défendre l'impôt devant vous, ce n'est pas seulement un intérêt matériel, c'est un intérêt moral de la plus haute importance qu’on vient aussi défendre et protéger. »
Ces paroles ont été prononcées, à l'occasion de la discussion de la loi sur les boissons par M.de Montalembert au sein de l’assembléc législative, avec l'adhésion de toutes les parties de la chambre.
Messieurs, j'ai déclaré vouloir faire, avant la clôture de la discussion générale, acte d'adhésion à la loi qui vous est soumise, me réservant d'examiner mûrement les amendements qui ont été et pourront être proposés.
J'ai déjà dit, dans des circonstances analogues, qu'il y a véritablement, dans le député à une assemblée législative, deux hommes très différents, suivant la différence des circonstances.
Il y a souvent dans le député une dualité incontestable et saillante. S'agit-il de dépenses, s'agit-il de puiser dans le trésor public, en général, nous sommes tous, tous sans exception peut-être, très larges, surtout s'il s'agit d'intérêts qui nous soient plus particulièrement connus et plus particulièrement sympathiques. S'agit-il des impôts destinés à payer ces dépenses, on verra souvent la même main qui aura apporté des pétitions à l'appui des dépenses promises ou sollicitées, remettre ou recommander, quand les moyens de payer ces dépenses seront mis en délibération, des pétitions contre ces moyens.
Voilà de l'histoire contemporaine très rapprochée de nous, je crois.
Ainsi dans la séance d'hier l'honorable M. Delehaye, je crois pouvoir, malgré son absence, le citer, n'ayant rien à dire de désobligeant pour lui.
M. Delehaye. - Je suis à ma place.
M. Lebeau. - J'en suis bien aise. L'honorable M. Delehaye est un peu le héros de l'histoire que je faisais tout à l'heure. L'honorable M. Delehaye a montré hier une très vive sollicitude, sollicitude que je partage à certains égards, pour l'accomplissement de grands travaux publics ; mais quand il s'est agi de les payer, l'honorable M. Delehaye a fait d'amples réserves ; il a commencé par ne pas voler la loi des tabacs, il a voté contre la loi sur les bières et il votera probablement contre l'impôt sur les distilleries.
Des travaux, nous en voulons ; mais des impôts pour les payer, c'est autre chose.
Messieurs, il faut pourtant être conséquent. Aussi, si j'étais aussi épris que l'honorable M. Delehaye du désir de voir s'accomplir immédiatement de grands travaux publics, je me croirais inconséquent si je ne votais pas les moyens de faire face à la dépense. Je me croirais d'autant plus inconséquent surtout si j'allais refuser un impôt aussi modéré et portant sur une base aussi légitime que celle de la loi qui est en ce moment soumise à la chambre.
L'impôt sur les distilleries a subi le sort commun de presque tous les impôts en 1831, 1832 et 1833. On était alors à une époque de réaction financière, de rêve de gouvernement à bon marché, comme si les gouvernements démocratiques n'étaient pas nécessairement les gouvernements les plus chers, attendu que ce sont ceux qui dépensent le plus.
On a fait subir à la loi des distilleries les conséquences de cette réaction et l'on a été bien au-delà du but ; car je n'ai jamais lu dans les nombreuses pétitions envoyées aux états généraux en 1828, 1829 et 1830, que l'on fît figurer au nombre des griefs la loi des distilleries.
De là, l'explication toute naturelle des tentatives nombreuses du gouvernement pour ramener l'impôt à un taux raisonnable, et si l'on y est revenu à différentes reprises, ce qui, je le reconnais, est un mal pour une industrie, c'est parce que cependant on a voulu y mettre des ménagements et procéder par gradation.
Le droit, si la loi actuelle sort intacte de nos débats, sera de 26 francs 13 centimes l'hectolitre. Est-ce là un droit exagéré ? En Hollande, il est de 41 fr. 25 c. ; en Hollande, pour l'année dernière, le droit a rapporté au-delà de 2,550,000 florins. Ce qui, si cette législation nous était commune, donnerait pour la Belgique, eu égard à sa population, un produit net au budget de 8 millions de francs.
En France, les droits sur les boissons, pour 1852, sont évalués à 101,312,000 francs, eaux-de-vie et bières y compris. La Belgique, de ce chef, donnerait, si elle était française, environ 12,000,000 de francs. Nous sommes bien loin d'atteindre à ce chiffre.
L'honorable M. T'Kint vous a déjà fait connaître quelle importance occupe, dans les voies et moyens de l'Angleterre, l'impôt sur les boissons distillées, puisque sur les eaux-de-vie seules le produit du droit s'élève annuellement à 125 millions de francs pour le Royaume-Uni.
De sorte que si la Belgique faisait partie du Royaume-Uni, elle payerait pour sa part dans l'impôt sur les eaux-de-vie seules au-delà de 20 millions de francs.
Ce droit énorme n'empêche pas, comme on le voit, la distillation en Angleterre, puisque dans ce pays la distillation produit annuellement au trésor public, la somme de 125 millions de francs.
Mais ce qui est évident, d'après ces comparaisons, c'est que l'impôt belge sur les distilleries restera très modéré ; c'est que lorsque la loi existante aura été modifiée, l'impôt restreindra très faiblement la consommation de l'eau-de-vie.
Est-il maintenant bien utile d'examiner, un à un, les arguments par lesquels on vient combattre le projet ? J'ai relu les discussions antérieures, et j'affirme qu'à chaque augmentation d'impôt (et elles sont nombreuses) les mêmes raisons ont été invoquées, presque littéralement les mêmes ; qu'elles ont été combattues à peu près par les mêmes raisons que celles des partisans du nouveau projet, et que les faits ont donné raison à la loi, au gouvernement.
(page 1766) Certainement, messieurs, quoi qu'on en dise, et il est assez singulier que ce soient les adversaires du projet de loi qui soutiennent le contraire, la loi réduira, quoique faiblement, la consommation.
Cette tendance de la loi est pour moi un des plus grands arguments en sa faveur. S'il n'y avait pas d'aussi grands intérêts liés à l'industrie de la distillation, si ces intérêts encouragés par la législation actuelle, ne méritaient pas de grands ménagements et beaucoup d'égards, je voudrais que le droit fût beaucoup plus élevé.
Je voudrais que le droit fût tel qu'il exerçât sur la consommation une influence considérable. L'idéal d'une loi sur les distilleries, pour moi, serait le produit le plus élevé possible avec la moindre consommation possible. Mais je ne voudrais arriver à un pareil ordre de choses qu'avec les ménagements et les égards que méritent les intérêts engagés dans cette industrie, légitimement engagés, poussés même dans cette voie par la législation de notre pays.
Le but que je signale, la diminution de la consommation des spiritueux, a occupé sérieusement pendant bien des années la législature d'un grand pays. Ce but a été poursuivi en Angleterre par des moyens directs et par des moyens indirects, depuis plus d'un siècle, par les associations de tempérance et par la législation.
Voici, messieurs, ce qui s'est passé à cet égard dans ce pays :
En 1743, il fut proposé au parlement anglais un bill contre l'usage dn gin.
La licence avait été poussée si loin, rapporte-t-on, que les marchands qui vendaient ce poison en détail annonçaient par des écriteaux attachés sur leurs portes qu'on pouvait s'enivrer chez eux au meilleur marché possible et qu'ils fournissaient gratuitement de la paille à ceux qui se sentiraient affaiblis.
En 1759 les villes de Bristol et de New-Sarum représentèrent que depuis la promulgation des lois qui défendaient de faire de l'eau-de vie avec du grain et de la farine, le peuple paraissait plus sobre, plus sain, plus industrieux, et que le rapport de ces lois aurait des conséquences fâcheuses ; elles en demandèrent en conséquence le maintien.
La défense de distiller fut continuée jusqu'au 24 décembre 1759. Il arriva des pétitions de Liverpool et de Bath dans le même sens. Il y eut opposition des distillateurs de Londres. Car alors aussi il y avait des intérêts opposés à de pareilles améliorations. La prohibition fut maintenue ; on parla aussi là de marécages, de fièvres, d'humidité, toutes circonstances qui militaient, disait-on, en faveur de l'usage des spiritueux.
On répondit que les eaux-de-vie pouvaient être considérées comme un poison funeste qui corrompt l'esprit et énerve le corps ; que depuis la défense de distiller les eaux-de-vie de drêche, le peuple était devenu plus sobre, plus honnête, plus laborieux, etc., etc., et l'on maintint la défense de distiller. On voulait aussi par là exciter à la consommation de la bière dont l'usage offre beaucoup moins d'inconvénient que celui de l'eau-de-vie.
Jusqu'en 1760,la distillation de la drêche fut interdite pour cherté des céréales.
Le projet d'établir un droit supérieur à celui qui avait précédé la défense de distiller fut soumis au parlement.
Le comité, chargé du travail préparatoire, après avoir examiné un grand nonbre de rapports et de papiers relatifs aux liqueurs spiritueuses,reconnut que le prix élevé de ces liqueurs était la principale cause de la diminution de leur consommation intérieure, et qu'il avait puissamment contribué à conserver la santé, la sobriété et l'industrie du peuple ; que pour continuer ce haut prix pour les spiritueux employés à la consommation intérieure, il était nécessaire de mettre un fort droit additionnel sur toutes les liqueurs spiritueuses.
On proposa néanmoins de remettre une partie de ce droit lorsque les liqueurs seraient exportées hors du royaume.
Il y eut opposition, mais quelle opposition ! Le droit additionnel proposé parut trop faible pour empêcher l'abus pernicieux de ces liqueurs.
Les marchands et manufacturiers de Birmingham présentèrent des pétitions dans ce sens.
Le lord-maire, les aldermen et le conseil de la commune de Londres firent remettre une pétition dans le même sens.
Ils y affirmaient avoir observé avec une grande satisfaction l'heureuse influence qu'avaient eue sur les mœurs, sur l'industrie et la santé de la basse classe du peuple la défense de distiller.
Ils craignaient que par l'adoption d'un bill si modéré, l'usage excessif des liqueurs spiritueuses n'enervât la force des ouvriers attachés aux manufactures, des matelots, des soldats, et ne détruisît cette énergie qui se manifeste d'une manière si extraordinaire dans la nation anglaise, contribue si puissamment à son bonheur, et ne pouvait se conserver que par la tempérance et les bonnes mœurs.
Les marchands et les manufacturiers de Londres pétitionnèrent aussi.
On adopta le bill avec l'intention expresse d'empêcher l'usage des liqueurs spiritueuses dans les classes ouvrières.
Dans un autre pays, et bien plus récemment, dans l'Amérique du Nord, la législation et spécialement une loi du 19 avril 1838, interdit absolument la vente en détail de l'eau-de-vie, du rhum, de toute liqueur spiritueuse, de tout mélange spiritueux. Elle porte que ce liquide ne pourra revendre par lots de moins de 15 gallons (68 litres). Les aubergistes n'ont pas la permission d'en servir un petit verre. Seuls, les pharmaciens ou les médecins agréés par les autorités locales peuvent en délivrer en cas de nécessité bien établie, et il n'est accordé de licence qu'à une personne par 2,000 habitants.
Dans plusieurs autres Etats, la vente en détail des spiritueux est soumise à des restrictions préventives ; mais nulle part on n'est allé aussi loin que dans la Massachusetts. Ainsi, à New-York, cette vente est interdite le dimanche seulement.
Voilà, messieurs, ce qui se passe dans des pays dont on peut, je pense, invoquer l'exemple ; ce sont des pays constitutionnels qui nous ont précédés et glorieusement dans la carrière politique.
C'est par ces mêmes considérations de moralité que, sans m'exagérer, sous ce rapport, l'influence de la loi nouvelle, je voterai le projet de loi ; je le voterai non seulement pour venir en aide au trésor, mais par les mêmes considérations de moralité et de philanthropie qui m'ont fait voter la loi sur l'enseignement primaire, la loi sur les secours mutuels, la loi sur la caisse de retraite, et qui me feront voter la loi sur les caisses d'épargne.
Je ne serai contredit par personne, lorsque j'avancerai que la démoralisation d'une fraction nombreuse de nos populations tient évidemment en partie au bas prix des liqueurs fortes.
Récemment en France, après la révolution de février 1848, on a procédé, dans les différents centres manufacturiers, à une enquête sur le sort des classes laborieuses. Cette enquête a été confiée à des hommes qui font autorité dans la science et dans la politique. Je vous citerai notamment la célèbre professeur Blanqui.
M. Blanqui a eu l'occasion d'entretenir récemment l'Académie des sciences morales et politiques de France de la situation des classes laborieuses dans plusieurs centres manufacturiers de ce pays et notamment à Lille ; et pour ne pas abuser des moments de la chambre, je me bornerai à citer quelques courts fragments de la conversation qui s'est engagée sur ce point dans une des intéressantes séances de l'Académie des sciences morales et politiques. Après ce que dit M. Blanqui de certains quartiers de la ville de Lille, malsains, infects, habités par des ouvriers, M. Moreau de Jonnès s'exprime ainsi :
« Si Lille étale au regard des misères exceptionnelles, c'est aussi la ville où la consommation de l'eau-de-vie fait le plus de ravages au physique comme au moral dans les rangs de la classe ouvrière. Pourquoi ne pas dire, par exemple, que l'ivrognerie a plus de part à la déplorable condition d'un trop grand nombre d'ouvriers que l'insalubrité des habitations et que le taux des salaires ? »
M. Villermé fait, après M. Blanqui, un tableau lamentable des habitations de certains ouvriers lillois, véritables bouges. Puis il ajoute : Si l'un de ces malheureux ouvriers employés pour la plupart dans les filatures ou les tissages de coton avait dix sous, ce n'était pas du pain qu'il achetait, mais il allait au cabaret s'enivrer. Les flltiers, avec des salaires plus faibles, étaient mieux nourris, mieux soignés, mieux vêtus... Mais ils étaient laborieux, économes, propres, moraux.
Ce sont, il est vrai, des économistes qui ont constaté ces faits et qui les caractérisent ainsi ; de ces économistes que l'ignorance présomptueuse accuse quelquefois d'être des égoïstes et des rhéteurs, c'est-à-dire de ne pas être des rêveurs politiques, des héritiers des vieilles friperies communistes, ayant pour panacée les ateliers de travail et autres extravagances socialistes.
Messieurs, les effets désastreux du bas prix de l'eau-de-vie ne sont pas niables.
Mais, dit-on, la loi, et surtout la loi, telle que le ministère la propose, n'aura pas pour effet de remédier au mal.
On va jusqu'à nier complètement l'action de la loi nouvelle sur la consommation du genièvre.
J'avais cru, messieurs, qu'en économie politique, l'Abc, la loi élémentaire, c'est que le prix réagit nécessairement plus ou moins sur la consommation. C'est là une vérité qui est à la fois de la science et du sens commun ; on n'a pas besoin d'ouvrir un livre pour cela ; il est certain que si, du jour au lendemain, vous pouviez faire qu'une bouteille de genièvre coutât autant qu'une bouteille de Champagne, vous feriez singulièrement diminuer la consommation du premier de ces liquides.
Aussi entendrez-vous les hommes les plus pratiques, les hommes d'expérience avouer ce fait, alors même qu'ils combattent la loi actuelle. L'honorable M. Mercier, qui ne fait pas seulement autorité dans cette question comme ancien ministre des finances, mais comme ayant dirigé avec une très grande distinction l'administration générale des impôts indirects pendant un grand nombre d'années ; l'honorable M. Mercier, qui est l'adversaire de la loi, a dit hier ces propres paroles :
« On ne peut disconvenir qu'en règle générale, l'augmentation du prix des objets de consommation a pour effet d'en restreindre l'usage ; il en sera ainsi pour le genièvre comme pour tout autre objet de consommation. Du reste, le gouvernement s'attend à cette réduction, et il en a tenu compte dans l'appréciation des produits. »
M. Frère, comme M. Mercier, est donc d'avis que l'élévation du droit réagira sur la consommation, puisqu'il n'estime pas la plus-value dans l'impôt, équivalant à l'augmentation du droit ; il tient compte de la diminution de la consommation.
Le droit additionnel devrait produite, selon les uns, 1,859,000 fr. ; et selon l'honorable rapporteur de la section centrale, qui me paraît avoir fait une étude approfondie de la question, cela pourrait aller j usqu'à 2,250,000 fr. ; et cependant M. le ministre des finances ne compte que sur 1,500,000 fr., de même que M. le rapporteur de la section centrale. C'est encore là une reconnaissance des effets de la surtaxe sur la consommation.
(page 1767) Mais, dit-on, le genièvre se débite par si faibles quantités que probablement le petit verre restera à peu près au prix où il est aujourd'hui.
Mais voici une première considération : c'est que tout le genièvre ne se consomme pas par petits verres ; il s'achète par litres, et la différence sur le litre sera déjà assez sensible pour réagir sur la consommation à l'insu même du consommateur. Ensuite, crovez-vous que le petit verre sera le même ! Croyez-vous que le fabricant commencera par perdre, puis le débitant aussi ? Non, le débitant aura un verre un peu plus petit, et en définitive, ce sera déjà autant d'arraché au génie du mal.
Et d'ailleurs cet argument prouve en faveur de la modération extrême de l'impôt ; il prouve que le gouvernement ne veut pas arriver même au but le plus utile de la loi qui n'est pas le but financier, sans tenir compte des intérêts engagés dans la distillation. Mais c'est une tendance que je signale, tendance qui, je crois, sera conservée ; c'est une nouvelle voie ouverte avec les ménagements qu'on doit aux nombreux intérêts engagés dans la distillation ; c'est une nouvelle voie que le gouvernement suivra certainement ; c'est à nous de l'y encourager.
Il y a, d'ailleurs, un dilemme que je prendrai la liberté de poser à l'honorable M. Delehaye lui-même et à ses honorables amis : ou la loi restreindra la consommation, ou elle la laissera telle qu'elle est.
Si la loi restreint la consommation, vous applaudirez avec nous à ses effets salutaires. Si vous prétendez qu'elle n'influera pas sur la consommation, pourquoi la combattez-vous ?
- Un membre. - Et la fraude !
M. Lebeau. - Mais la fraude, on vous a déjà arraché cet argument ; M. le ministre des finances a démontré que, du côté de la Hollande, il était absurde de la supposer, en présence de l'énorme différence qui existe dans le droit. Du côté de la France, je ne crois pas qu'elle soit plus facile à pratiquer. C'est un argument banal qu'on a fait valoir chaque fois qu'on a voulu augmenter le droit, quand on l'a porté de 40 à 60 centimes, et de 60 centimes à 1 franc. Toujours on a opposé la fraude. Cependant M. le ministre vous a prouvé que, loin d'aller croissant avec l'aggravation du droit, la fraude a été en raison inverse.
- Un membre. - D'après les statistiques.
M. Lebeau. - Que savez-vous de plus que les statistiques ?
Malgré toutes ces autorités, M. Mercier, M. le ministre des finances et ce qui parle aussi haut que ces messieurs, quel que soit leur mérite, la science, le sens commun, l'honorable M. Delehaye ne persiste pas moins à faire entendre les étranges paroles que voici :
« II faut avoir bien peu de connaissance des hommes, il faut avoir approché bien peu des classes ouvrières, pour croire que jamais, quel que soit le prix du genièvre, ce prix influe sur la consommation. Savez-vous quelle serait la conséquence d'une augmentation du prix du genièvre ? Ce sera d'aggraver la gêne de la famille, dont le chef est adonné à la boisson.
«. Pour tous ceux qui habitent des centres de populations considérables, qui sont en contact avec les ouvriers, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Croyez-vous, messieurs, que quand les denrées alimentaires étaient à des prix excessifs, on ait moins consommé de spiritueux ?
« Non, messieurs, la passion pour les boissons distillées est tellement forte, qu'on la satisferait avant tout autre besoin, avant de songer à la mère de famille et aux enfants qui, souvent, pleureraient pour avoir du pain. »
Messieurs, si ce tableau était fidèle, ce serait à désespérer pour longtemps de l'amélioration morale et matérielle des populations ouvrières de la Belgique.
Vous fonderiez vainement des caisses de retraite, des caisses de secours mutuels, des caisses d'épargne, et des établissements d'instruction primaire à bon marché, vous y perdriez votre temps.
Mais moi, qu'on a parfois accusé, dans cette enceinte et au dehors, de dire crûment peut-être la vérité aux populations ouvrières, qui, aujourd'hui, ayant acquis, dans quelques pays, une certaine importance, et semblant devoir y dispenser leur part de faveurs électorales, sont, comme les anciens souverains, parfois exposées aux adulations de nouveaux courtisans, je n'ai jamais tenu un pareil langage sur les classes ouvrières ; je tiens que le tableau qu'en a fait l'honorable M. Delehaye est singulièrement exagéré.
S'il était vrai, si ce singulier argument que la passion, l'ivresse chez certains chefs de famille ouvrière est tellement ardente, tellement enracinée, que vainement vous élèveriez le prix des spiritueux pour la réprimer, on arriverait à de singulières conséquences.
D'autres passions cherchent aussi à se satisfaire dans cette classe. Il y a plusieurs manières pour le chef d'une famille ouvrière de se déranger. Il en est sur lesquelles la morale a autant à gémir que sur l'ivrognerie.
Que penserait l'honorable préopinant si on lui disait qu'en facilitant par l'abaissement des prix l'accès des lieux de débauche, on ne pousserait pas à la démoralisation du peuple ? Ne serait-il pas le premier à se récrier ?
On n'a jamais soutenu une erreur plus évidente, plus palpable que celle qui consiste à dire que les prix sont sans influence sur la consommation. Nous en avons la preuve dans notre propre histoire financière. Tout récemment, en 1832, nous étions encore sous le régime de la loi hollandaise, de la loi de 1822, qui établissait un droit considérable sur les eaux-de-vie et assurait par des moyens efficaces, énergiques, la perception de ces droits.
A cette époque, le produit des distilleries figurait dans nos recettes pour une somme de cinq millions de francs environ, sans comprendre la patente des débitants, qui n'existait pas alors. On a considérablement abaissé les droits depuis.
Qu'en est-il résulté ? Une réduction considérable, et malgré les augmentations successives du droit depuis 1832, on n'est pas encore parvenu à atteindre au chiffre perçu sous l'ancienne loi néerlandaise, puisqu'il y a encore une différence de 1,200,000 francs.
Cependant, depuis 1832, il y a un notable accroissement de la population belge et un accroissement non moins évident dans la richesse publique.
Voilà des faits incontestables et qui prouvent à quel point les prix réagissent sur la consommation.
Nous avons des autorités plus imposantes, plus directes encore, ce sont les intéressés eux-mêmes, ce sont les distillateurs d'Anvers. Dans la pétition qu'ils nous ont adressée, ils déclarent formellement qu'il y aura réduction de production. Comme conséquence naturelle, sans doute, il y aura réduction de consommation. Ils disent qu'avec une augmentation de 25 p. c. on percevra la même somme qu'avec une augmentation de 50 p. c. Si avec une augmentation de 25 p. c. on obtient la même somme qu'avec une augmentation de 50 p. c. il est évident que sous l'empire d'une loi qui augmente le droit du double la consommation doit diminuer.
Les distillateurs de Gand sont non moins formels. Voici ce que je trouve dans leur pétition : «. A chaque aggravation d'impôt, quelques usines ont disparu. »
Messieurs, la démonstration de cette vérité que le prix des denrées réagit nolablement sur leur consommation, résulte encore à l'évidence de toutes les réformes qui ont été accomplies en Angleterre, par M. Peel, sur les objets de consommation ; lisez les statistiques anglaises qui ont été publiées dans plusieurs revues ; vous verrez toujours à la suite d'une diminution de droit un accroissement énorme de consommation et un accroissement énorme du produit de l'impôt.
En France, chaque fois que l'on a voulu toucher à la loi du sel, il a été établi par des documents irrécusables que la consommation du sel (dont le besoin est bien plus généralement senti que la consommation du genièvre) a constamment suivi dans ses progressions, dans ses décroissances, la progression ou la décroissance de l'impôt. Cela est constaté de la manière la plus péremptoire.
En Angleterre voyons le café, par exemple, boisson non moins générale pour l'ouvrier que ne l'est l'eau-de-vie. Avant 1835, avec un droit de 4 fr. 14 à 6 fr. 67 c, selon la qualité, les cent kilogrammes, le trésor public percevait 2,194,000 fr. Avec un droit de 1 fr. 38, établi en 1835, on voit dès 1836 la recette monter à 17 millions, et par l'influence de cet abaissement de droit, en 1840, la recette sur l'impôt du café dépasse 23,000,000 de francs.
Mais la cherté en toute chose (c'est évident) a une influence extrême sur la consommation. C'est le système que le gouvernement a plaidé tout récemment avec la majorité de cette chambre pour le chemin de fer. Il vous a été démontré que chaque fois que l'on faisait remonter les tarifs du chemin de fer il y avait immédiatement une réduction notable dans le personnel des voyageurs.
J'ai vraiment tort d'insister si longtemps sur une pareille vérité, car on ne prouve pas l'évidence. Je voterai donc avec empressement l'impôt sur les distilleries. Cette matière est parfaitement choisie et de tout point imposable.
La mesure, prise en elle-même, n'est pas seulement fiscale ; elle a un caractère philanthropique qui la recommande particulièrement à tous ceux qui se posent ici en partisans de l'amélioration du sort des classes laborieuses. Mais avant de terminer, j'ai un acte de justice à remplir envers M. le nrnislre des finances.
On m'a souvent prêté, à l'égard de M. Frère, des paroles dures, peu polies, contraires à mes habitudes et, je dois le dire, à mes sentiments.
J'aurais dit, en propres termes, que M. Frère n'a pas le génie de l'impôt.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'en plains pas.
M. Lebeau. - Voici mes paroles :
« Je suis du nombre des amis politiques de M. Frère qui l'ont convié à affronter de nouvelles fatigues pour rendre au pays, dans ce poste difficile (le ministère des finances), les services que son remarquable talent, que son loyal caractère donnaient droit d'attendre de lui.
« Mais, il faut le dire, car il faut être juste avec ses amis comme avec ses adversaires ; au milieu des qualités qu'a fait briller ici M. le ministre des finances, il en est une qui, jusqu'ici.... ne s'est pas révélée à l'égal des autres, c'est le génie de l'impôt. J'ajoutais : « Il faut convenir que, sous ce rapport, M. le ministre des finances, jusqu'ici du moins, ne nous a pas encore donné l'embarras du choix. »
Je crois que, depuis quelque temps, le génie de l'impôt s'est révélé chez M. le ministre des finances, beaucoup trop peut-être, à l'avis de plusieurs d'entre nous. Quant à moi, ce que je loue chez M. le ministre des finances, ce n'est pas le génie de l'impôt ; j'étais sûr qu'à son âge, avec son amour pour l'étude, avec sa haute intelligence, aucune des parties de son administration ne lui serait longtemps restée étrangère. Mais ce que je loue, c'est le courage de proposer l'impôt, courage si rare, qui doit nous servir d'exemple pour le voter, sans souci d'une vaine popularité, si, comme lui, nous sommes convaincus de la bonté de la loi.
Voilà ce que j'ai dit, et ce que je pense de M. le ministre des finances.
(page 1768) J'ajoutais, comme on l'a vu, qu'il ne nous avait pas donné l'embarras du choix. Cet embarras, je puis me tromper, mais il m'a paru que plusieurs de nous réprouvaient quelque peu.
La discussion est venue, et qu'avons-nous vu ? L'honorable M. Delehaye, qui, ayant à choisir entre plusieurs impôts, pour sortir d’embarras, semble n’avoir pas voulu voter un des impôts et s’apprête à voter contre les deux autres. L’honorable M. ? Van Grootven, son collègue, a trouvé un autre moyen de sortir d'embarras, c'est de ne voter aucun de ces impôts.
Je crois donc avoir parfaitement expliqué ma pensée sur M. le ministre des finances. Si le moindre nuage avait pu placer entre nous à cette occasion, ce que je ne crois pas, il doit être complètement dissipé. Je crois, quant à moi, qu'il remplit en ce moment un des plus difficiles et des plus honorables devoirs de sa position, et qu'il le remplit en homme qui a, non seulement le génie, mais le courage de l'impôt.
(M. Verhaegen remplace M. Delfosse au fauteuil.)
M. Delehaye (pour un fait personnel). - Messieurs, dans ce que vient de dire l'honorable M. Lebeau en terminant, il y a un fait vrai.
Je n'ai pas voté la loi sur te labac, par une bonne raison, c'est que j'étais appelé ailleurs par des devoirs importants. Si j'avais été présent, j'aurais voté la loi sur le tabac.
M. Lebeau. - Moi aussi.
M. Delehaye. - Je dirai plus : Si, à la loi sur le tabac, une disposition avait été proposée ayant pour conséquence d'augmenter l'impôt sur les cigares, dans le but d'augmenter l'impôt, je l'aurais votée également.
Quant à la loi sur les bières, la chambre sait que si je n'ai pas voté cette loi, ce n'est pas que je fusse hostile à cet impôt, c'est que le système de la loi ne me convenait pas.
Quant à la loi sur les boissons distillées, j'ai exprimé mon opinion : cette opinion est que le produit de l'impôt sera moins considérable, avec le taux fixé par le projet de loi, que si l'on adoptait ma proposition.
L'honorable M. Lebeau me dit : « Avec cette modification-là même vous devez vouloir que la loi ne soit pas adoptée. » Je dirai, à mon tour, à l'honorable M. Lebeau que s'il était conséquent, lui qui invoque l'exemple de l'Angleterre, lui qui vient de l'Angleterre, qui sait quels excès il y a dans certaines contrées de l'Angleterre ; il devrait proposer non une augmentation d’impôts, mais la suppression totale des distilleries.
L'expérience est là : vous aurez beau placer aussi haut que possible le fruit défendu, on parviendra à l'atteindre.
Quand hier je vous ai parlé de pères de famille dominés par cette passion, ai-je parlé en général ? Non. J'ai seulement dit que lorsque cette passion s'était emparée de quelques individus, il était impossible, quelque chose que l'on fît, de parvenir à les en corriger.
Que l'honorable M. Lebeau soit loyal et franc ; qu'il ne se borne pas à adresser des compliments à ses amis, qu'il soit juste envers ses adversaires ; qu'il ne dénature pas leurs paroles. J'ai parlé de certains pères de famille, qui malheureusement sont très nombreux.
Voulez-vous moraliser les classes laborieuses ? Rendez l'instruction obligatoire.
Déclarez, comme dans certaines communes, que l'on n'obtiendra pas les secours des hospices et des bureaux de bienfaisance, lorsqu'on n'enverra pas ses enfants à l'école.
Lorsque vous aurez fait comprendre aux classes ouvrières quels sont leurs devoirs, quel est le respect qu'elles se doivent à elles-mêmes, vous obtiendrez le but que veut atteindre l'honorable M. Lebeau. Mais ce n'est pas par des augmentations de droits sur le genièvre que vous parviendrez à moraliser le peuple.
D'ailleurs, que faites-vous ? Vous augmentez les droits sur vos distilleries, et vous ne faites rien envers les distilleries étrangères. Mais ne voyez-vous pas que si vos paroles sont sincères, que si vos intentions sont bonnes, vous devez aussi frapper l'alcool étranger. Or, vous n'en ferez rien.
Je sais bien que l'honorable M. Lebeau va me répondre. Mais il n'en est pas moins vrai qu'aussi longtemps que vous ne frapperez pas de droits plus considérables les alcools étrangers, vous ne serez pas admis à dire que vous diminuerez la consommation.
Messieurs, le prix du Champagne appliqué au genièvre diminuerait la consommation, mais chez qui ? Chez l'homme moral, chez l'homme que votre loi ne doit pas atteindre. Mais pour l'homme qui ne connaît pour règle que ses passions, pour l'homme adonné à l'ivrognerie, le prix sera toujours indifférent.
Messieurs, je me borne à ce peu de mots parce que je n'ai la parole que pour un fait personnel. Je maintiens mon tour de parole. Je répondrai plus tard aux arguments de l'honorable M. Lebeau.
M. Van Grootven (pour un fait personnel). - Il n'appartient ni à l'honorable M. Lebeau ni à personne d'incriminer les votes que j'émets dans cette enceinte.
Pour ce qui est de loi sur les bières, je n'ai pas parlé dans la discussion, je n'ai donc pas eu l'occasion d'exprimer mon opinion. Mais l'honorable M. Delehaye vient de faire connaître les motifs pour lesquels il était opposé à ce projet, et ces motifs étaient les miens.
Quant à mon vote sur la loi des tabacs, je n'ai rien à en dire. Je renvoie M. Lebeau au discours que j'ai prononcé dans cette discussion.
Pour les distilleries, je ne repousse pas le principe de la loi. J'ai déposé un amendement et je ferai connaître tout à l'heure les motifs pour lesquels je l'ai présenté. Quant au reproche que l'honorable M. Lebeau s'est permîs de m'adresser, je lui dirai qu'il ne lui appartient pas de censurer mes votes.
M. le président. - Soyons modérés.
M. Lebeau (pour un fait personnel). -Messieurs, il m'est extrêmement facile d'être modéré, attendu que je ne me sens aucun tort. Qu'ai-je fait ? Je me suis borné à reproduire textuellement les paroles de l'honorable M. Delehaye.
M. Delehaye. - Et à les interpréter mal.
M. de Perceval. - Et avec accompagnement d'insinuations.
M. Lebeau. - Je n'ai rien interprété ; je n'ai pas cette habitude, je ne suis pas de l'école des insinuateurs.
M. de Perceval. - Vous en êtes le professeur.
M. Lebeau. - Quand j'ai quelque chose à dire, je le dis franchement et nettement.
M. Delehaye. - Si nous reprochions à M. Lebeau ses votes sur l'armée, que dirait-il ?
M. le président. - A chacun son tour. Si vous demandez la parole pour un fait personnel je vous l'accorderai, mais je ne permets pas qu'on interrompe.
M. Lebeau. - S'il ne s'agissait que d'un fait personnel, fort de mon droit, fort de la modération que j'ai mise à ne citer que textuellement des paroles devenues publiques et officielles, je pourrais à l'instant me rasseoir. Mais on va jusqu'à attaquer la prérogative parlementaire. On va jusqu'à vouloir interdire à un député le droit de combattre les opinions, d'examiner les votes de ses collègues. Ce droit, je dois le défendre.
Vous dites que vous pourriez me reprocher mon vote sur le budget de la guerre. Faites-le ; c'est votre droit. Si vous trouvez que j'ai eu tort de voter pour le budget de la guerre, vous avez le droit de le dire ; je vous reconnais ce droit et je croirais attenter à la prérogative parlementaire, dont je suis aussi jaloux que vous, si je pensais que je puis à l'égard de ce vote me renfermer dans une sorte d'inviolabilité. Mes votes appartiennent à tout le monde ; ils appartiennent à mes commettants comme à chacun de vous, de même que mes discours.
Qu'ai-je fait, messieurs ? J'ai cité textuellement les paroles de l'honorable M. Delehaye, et il n'y aura pas autre chose que le texte de ses paroles dans mon discours. Seulement j'ai dit que si le tableau qu'il nous a fait était fidèle, ce serait à desespérer de l'avenir de nos classes laborieuses. C'est l'impression que j'en ai ressentie. J'ai dit que, quant à moi, je ne croyais pas que ce tableau fût exact, que ma conviction protestait contre l'exactitude de ce tableau.
Ai-je attaqué les intentions de l'honorable M. Delehaye ? Ai-je dit qu'il ne voyait pas les choses comme il les a exprimées, qu'il n'était pas sincère ? Ai-je laissé planer le moindre doute sur sa probité, sur sa loyauté, sur son indépendance ? Il n'y a rien de semblable dans mes paroles. Il faut qu'il ait eu de bonnes raisons pour se conduire comme il l'a fait, pour dire ce qu'il a dit. Il s'est conduit en conscience.
Je n'ai attaqué l'honneur et la délicatesse de personne. Je me suis borné à citer des paroles. Le public jugera, quand les pièces seront sous ses yeux, si j'ai excédé les limites de mon droit parlementaire en citant ces paroles et en les accompagnant de quelques observations.
Quanta l'honorable M. Van Grootven, réellement il a pris au sérieux ce qui n'était de ma part qu'une véritable, une inoffensive plaisanterie, comme on s'en permet entre collègues.
M. Van Grootven. - Il fallait le dire.
M. Lebeau. - C'était inutile. Vous savez quels sont mes rapports avec vous, quels sont mes sentiments d'estime pour vous. Ils sont inconciliables avec l'idée que vous me prêtez. J'ai voulu seulement faire ressortir ce qu'il pouvait y avoir de singulier dans la position de certains députés qui demandent des travaux publics à cor et à cri, et qui, lorsqu'on leur présente la carte à payer, font la moue et ne veulent pas de très bonne grâce faire face à la dépense.
M. Van Grootven. - Messieurs, vous comprendrez qu'après les chiffres concluants et les nombreuses considérations qui ont été développées par mes honorables amis, MM. T'Kint de Naeyer et Delehaye, il ne me reste pus grand-chose à dire en faveur de l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer hier à la fin de la séance.
Mon amendement réduisant le droit d'accise à 1 fr. 25 au lieu de 1 fr. 50 proposé par le gouvernement, n'a pas été accueilli par la section centrale. Mais ce rejet ne m'a pas empêché de le soumettre à la décision de la chambre, parce que je le crois juste et acceptable par tous les intérêts, y compris même ceux du trésor.
Rappelons-nous, messieurs, la discussion de 1842 ; il ne s'agissait alors que d'élever à un franc le droit d'accise qui était de 60 centimes. La section centrale crut ne pas pouvoir admettre le chiffre exigé par le gouvernement, et elle proposa, comme terme moyen, 80 centimes. Un grand nombre de membres se récrièrent contre cette aggravation du droit d'accise, et voyaient dans son adoption la ruine, l'anéantissement de nos distilleries. Aujourd'hui, messieurs, ce n'est plus de 80 centimes ni d'un franc qu'il est question. Ces droits ne sont plus suffisants, c'est 1 fr. 50 c. que l'on vous propose ! Où et quand cela s'arrêtera-t-il ? je vous le demande.
L'honorable ministre des finances pense qu'au moyen d'une élévation du droit d'accise à 1 fr. 50 c, il diminuera sa fabrication. Eh bien, messieurs, qu'il me soit permis de le dire, je ne partage nullement la (page 1769) confiance de l'honorable ministre. L'adoption de son projet peut avoir pour effet de détruire les petites distilleries ; mais les grands distillateurs continueront à travailler, même avec un droit de 1 fr. 50 c, parce qu'ils profiteront de l'anéantissement de ceux que l'élévation du chiffre aura écrasés.
Le produit actuel de l'accise sur les boissons distillées est de 3,750,000 francs. Avec mon amendement, qui élève le droit de 25 p. c, on peut encore espérer, ou à peu de chose près, d'atteindre les prévisions du gouvernement. La régularisation du travail donnera, au surplus, une recette qu'on peut évaluer, sans exagération, à 400,000 francs environ. Il me semble que là pourraient se borner les prétentions du fisc. En effet, quand une industrie qui rend tant de services à l'agriculture est appelée à fournir au trésor une augmentation de ressources de 1,000,200 à 1,300,000 fr., il y a lieu d'être satisfait.
Dans mon opinion, si la loi est adoptée telle qu'elle vous est proposée par le gouvernement, elle ne peut manquer d'avoir pour conséquence nécessaire et immédiate la ruine des petites distilleries, et j'ai l'intime conviction que ce n'est pas là le but que vous voulez atteindre.
D'après l'exposé des motifs, l'augmentation des droits aura pour effet de diminuer la consommation. Cette idée a son côté moral, j'en conviens volontiers, et je l'eusse compris si au lieu d'une augmentation d'un million que l'on se proposait de nous soumettre sur les bières, avant le vote de la loi sur les successions, on nous avait annoncé une réduction d'accise sur cette boisson, qu'il serait utile de mettre plus à la portée de l'ouvrier. Car on peut le dire, c'est le prix élevé de la bière qui engage nos classes laborieuses à faire un usage trop fréquent des boisons alcooliques, ce que je suis le premier à désapprouver.
Que l'honorable ministre des finances veuille se rallier à mon amendement, qu'il diminue l'exagération de ses prétentions fiscales, il fera mieux, je pense, les affaires du trésor ; il ne mécontentera pas tant d'intérêts privés et ne rendra pas impopulaire ce beau réseau de travaux publics qui va nous être soumis incessamment, en demandant exclusiment aux impôts de consommation les ressources nécessaires pour faire face à ces dépenses d'utilité générale.
Dans la supposition que l'impôt sur les distilleries ne soit pas tout à fait aussi productif, ne réponde pas complètement à toutes les prévisions de l'honorable ministre, il nous reste encore des économies à réaliser qui viendront en aide aux divers travaux d'utilité publique pour lesquels on demande la création d'impôts nouveaux.
L'honorable ministre des travaux publics nous a promis de déposer à la fin de la session son tarif pour les marchandises, et si ma mémoire est fidèle, l'augmentation de recette est évaluée à un million environ. Voilà encore un produit dont on pourrait disposer, si tant est que les ressources pour l'exécution des travaux projetés soient insuffisantes. On comblerait ainsi et au-delà la diminution de recette que l'adoption de mon amendement pourrait produire.
D'après ces considérations, messieurs, et celles développées hier par divers orateurs, je crois pouvoir persister dans mon amendement, qui est un terme moyen, un chiffre de transaction et qui concilie parfaitement les intérêts du trésor avec ceux de l'agriculture et de nos distilleries.
M. de Breyne. - Messieurs, quand le gouvernement vient nous proposer des changements notables à des impôts existants, quand il nous engage à aggraver les charges d'une industrie qui supporte déjà une large part dans nos impôts, quand il demande que nous augmentions de cinquante pour cent les droits établis sur les distilleries, cette industrie si importante, qui se lie intimement aux intérêts agricoles et forme pour ainsi dire la principale branche de sa prospérité, il est du devoir du législateur d'examiner la proposition avec prudence et de rechercher tous les moyens de s'éclairer, pour ne pas consacrer un principe, qui pourrait aller à rencontre du but que le gouvernement espère pouvoir atteindre.
La proposition d'augmenter les droits sur les boissons alcooliques a fait surgir de nombreuses pétitions. De tous les côtés du pays, on nous a présenté des observations sur les modifications proposées ainsi que sur les améliorations que les différentes assiettes de cet impôt devraient subir à l'égard de certains droits de ville, qui ne semblent plus en rapport avec les mœurs du pays et nos lois constitutionnelles.
Quant au principe d'augmentation, je crois que les boissons distillées peuvent être soumises aune légère majoration d'impôt, pourvu que cette majoration ne dépasse pas certaine limite et ne présente pas un trop grand appât à la fraude, qui a lieu tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.
En effet, messieurs, la crainte qui domine tous les pétitionnaires, c'est de voir augmenter l'infiltration des spiritueux français, à mesure que vous élèverez vos droits. Cette crainte, je la partage, parce que j'ai vu pratiquer sur une grande échelle l'introduction frauduleuse des trois-six français par bandes de quinze à vingt fraudeurs à la fois, à une distance de plus de cinq lieues de la frontière.
Si cette fraude a pu se pratiquer, avec le taux actuel de l'impôt et lorsque les céréales, matière première de nos alcools, se vendaient à vil prix, ne deviendra-t-elle pas plus active, à mesure que l'appât du gain augmentera par la majoration des droits et par l'élévation du prix des céréales ?
Je sais bien que M. le ministre des finances répond négativement dans son exposé des motifs ; mais malgré les preuves qu'il allègue pour motiver son raisonnement, je ne puis partager sa manière de voir à cet égard, et je suis convaincu que tous mes honorables collègues, qui habitent non loin de là frontière, doivent partager mon opinion et mes craintes.
Messieurs, il est un second point qui excite les plaintes de tous les intéressés. C'est la position désavantageuse qui existe entre les distillateurs établis à la campagne et ceux établis à l'intérieur de nos grands centres de population ; c'est ce droit de douane exorbitant que certaines grandes villes élèvent contre des produits fabriqués dans le pays même, et, surtout, contre les boissons alcooliques provenant de nos usines établies dans la campagne ; c'est cette inégalité d'impôts que la Constitution condamne, et que dans un pays comme le nôtre on ne devrait pas tolérer.
Je n'ignore pas que les administrations communales, qui se servent de ces mesures exceptionnelles, viendront les justifier en prétextant que les loyers sont plus élevés, que la main-d'œuvre est plus chère dans les villes qu'à la campagne et qu'enfin l'octroi pèse sur la plupart des produits employés par les distilleries.
Mais ce que l'on ne nous fera pas connaître, ce sont les avantages que présente la situation de ces usines sous le rapport de la consommation et de l'approvisionnement. N'est-ce pas dans les centres de population que se fait la principale consommation de boissons distillées ? N'est-ce pas dès lors un avantage immense d'avoir les consommateurs à la porte de la fabrique ? N'est-ce pas dans les grandes villes que l'on trouve les marchés bien fournis et des magasins considérables toujours ouverts à l'acheteur ? N'est-ce pas vers ces mêmes villes que viennent affluer nos chemins de fer, nos rivières et nos canaux ? Et quels avantages ne vous offrent-ils pas, ces moyens de transport accélérés et économiques ? Je vous le demande avec toute l'impartialité qu'il faut apporter dans ces sortes de questions, les distillateurs établis à la campagne ne sont-ils pas loin de jouir de toutes ces faveurs ?
Aussi, n'est-il pas évident, et les distillateurs de la ville doivent convenir eux-mêmes de cette vérité, que les distillateurs de la campagne n'ont ni droit d'octroi qui les protège contre les produits similaires, ni drawback qui les stimule à faire la concurrence à leurs voisins, ni marchés ou magasins bien fournis à leurs portes, ni moyens accélérés de transport à leur disposition ? Dès lors je drois devoir appuyer des réclamations qui me semblent fondées, et prier le gouvernement d'aviser aux moyens de faire cesser un abus qui me semble injuste et intolérable.
Enfin, messieurs, la moralité publique demande que le travail du dimanche soit laissé facultatif. Vous ne cessez de dire et d'écrire que tous nos efforts tendent à moraliser le peuple, et je crois à votre bonne intention. Mais alors, pourquoi mettre dans vos lois des dispositions qui sont diamétralement en opposition avec le but que vous cherchez à atteindre ? Pourquoi placer l'industriel entre son intérêt et sa conscience ? Pourquoi exposer la clause ouvrière à transgresser, sans nécessité absolue, les lois de sa foi religieuse ? Je vous l'avoue, messieurs, cette manière d'agir, je ne la comprends pas de la part du gouvernement, et je désire qu'une disposition facultative sans pénalité soit introduite dans la loi.
M. Faignart. - Je ne viens pas combattre le projet de loi soumis à votre examen, quoique je ne sois pas très rassuré sur l'influence fâcheuse que doit produire un droit aussi élevé sur la production du genièvre.
J'ai surtout pris la parole pour appuyer les amendements présentés par l'honorable M. Mercier, ayant pour objet de mettre tous les distillateurs dans des conditions égales, en faisant disparaître la faveur accordée aux distillateurs des communes soumises à l'octroi, qui font une concurrence ruineuse à ceux des campagnes en vendant à leur porte des produits à meilleur marché que ceux-ci ne peuvent les fabriquer.
Plusieurs orateurs, avant moi, vous ont signalé cette anomalie ; néanmoins, je vais vous citer quelques chiffres pour vous prouver une fois de plus combien sont fondées les réclamations des distillateurs des campagnes.
J'ai établi mes calculs sur un rendement de 6 litres 1/2 seulement par hectolitre de matière, quoi qu'il soit plus élevé, surtout, comme l'a dit l'honorable M. de Steenhault, pour les distilleries des villes où l'on peut toujours se procurer des fonds de bière et autres denrées, au moyen desquelles on active la fermentation.
Je ne vous citerai qu'un seul exemple que je trouve dans la capitale.
A Bruxelles, on paye 33 centimes par hectolitre de matière par vingt-quatre heures ; en obtenant un rendement de 6 litres 1/2, le genièvre coûtera au distillateur 5 cent. 7 centièmes le litre pour droit d'octroi, en admettant qu'il ne renouvelle qu'en vingt-quatre heures, tandis que pour introduire du genièvre du dehors, le droit d'octroi est de 10 centimes 1/2 ; le distillateur de Bruxelles a donc de ce chef un avantage sur celui du dehors de 5 centimes 53 centièmes par litre ; il aura, en outre, une restitution de la ville qui peut être portée à plus de 2 centimes au litre.
Ces chiffres, messieurs, vous prouvent à l'évidence qu'il y a un avantage notable à élablir des distilleries dans les villes plutôt qu'à la campagne, et cependant vous conviendrez tous que cette industrie a sa place marquée où il y a des terres à cultiver ; c'est là seulement qu'elle peut venir en aide à l'agriculture et produire des effets utiles pour les consommateurs.
Les distilleries à la campagne procurent d'abord un nombre considérable de bétail gras et, en outre, une plus grande quantité de céréales et autres denrées alimentaires.
L'honorable ministre de l'intérieur qui a l'agriculture dam ses attributions devrait, me paraît-il, seconder nos efforts pour doter cette (page 1770) branche importante de la richesse publique d'un élément indispensable de prospérité.
Ce n'est pas seulement, comme on l'a dit hier, dans les landes et dans les bruyères que devraient se trouver les distilleries agricoles, elles sont utiles partout où il y a des terres à exploiter ; car il y en a encore beaucoup en Belgique qui manquent d'engrais.
Je n'en doute pas, messieurs, si une justice distributive était admise, vous verriez s'élever de nouvelles distilleries agricoles, ou tout au moins, remettre en activité une partie notable de celles qu'un funeste privilège, au profit de quelques-uns, a forcées de chômer.
Un honorable membre disait hier que l'adoption des amendements de M. Mercier entraînerait la ruine des distilleries urbaines ; il n'en est rien, messieurs, les distillateurs des villes pourront lutter facilement avec ceux des campagnes quand les avantages seront égaux.
On nous a parlé du droit d'octroi sur les charbons, les grains, etc.
On nous a dit que la main-d'oeuvre était plus chère, comme s'il fallait beaucoup d'ouvriers pour faire fonctionner une distillerie ; mais on ne nous a pas dit que le distillateur campagnard est forcé de mettre en circulation un capital bien plus considérable, pour achat de bestiaux, construction d'étables et soins à donner à ces bestiaux, et qu'au surplus, ils sont exposés à en perdre par des maladies épidémiques qui sévissent souvent avec intensité dans notre pays.
Sous ce rapport encore, messieurs, je crois que l'avantage est au profit des distillateurs des villes qui peuvent vendre au fur et à mesure leurs résidus.
Mais admettons que les avantages soient égaux, devons-nous vouloir quelque chose de plus ? Evidemment non.
Comme le disait fort bien l'honorable ministre des finances lors de la discussion de la loi sur les bières. « Il ne faut pas que quelques-uns jouissent d'un privilège. »
Eh bien, moi aussi, messieurs, je partage cette manière de voir, et je ne puis donner un vote favorable à la loi, si ce principe d'équité et de justice n'y est inscrit.
M. le président. - M. Allard a déposé un amendement ainsi conçu :
« Le taux de la réduction de l'accise mentionné à l'article 5 de la loi du 27 juin 184-2 est porté à 20 p. c. »
La parole est à M. Allard pour développer cet amendement.
M. Allard. - Messieurs, comme le disait hier avec raison l'honorable M. de Steenhault, les petites distilleries doivent être considérées comme fabriques d'engrais, et comme moyens d'encouragement à l'élève du bétail ; j'ajouterai qu'elles présentent sur les grandes, cet avantage que les bienfaits qu'elles procurent retournent directement à l'agriculture. En effet, là où il n'y a ni routes ni canaux, on peut établir une petite distillerie, tandis qu'une grande usine y serait impossible. L'engrais, si difficile à obtenir dans les localités peu favorisées sous le rapport des voies de communication, se trouve, par l'installation d'une distillerie, sur les lieux où son utilité se fait particulièrement sentir.
Il est donc du devoir de ceux qui veulent encourager l'agriculture et l'élève du bétail de favoriser l'établissement de petites distilleries.
La protection de 15 p.c. de la réduction du taux de l'accise établie par l'article 5 de la loi du 27 juin 1842, bien que maintenue par le projet en discussion, me paraît insuffisante.
Sous le rapport de la production, les distilleries agricoles sont dans une position d'infériorité très marquée vis-à-vis des usines établies sur une grande échelle.
Dans les grands établissements, le distillateur économise surtout ; il a son moulin, et il fait lui-même ses moutures ; il a une machine à vapeur qui remplace bon nombre d'ouvriers : on m'a cité une grande distillerie où l'on travaille 1,000 hectolitres de matière par jour, avec 10 ouvriers ; pour travailler pareille quantité, il faudrait 35 petites distilleries travaillant chacune avec deux ouvriers. Placé près des grandes villes, le grand distillateur emploie le « leek » de brasserie ou des résidus de raffineries de sucre, et augmente considérablement le rendement en genièvre.
On voit, en effet, que les grands établissements sont tous établis près des grands centres de population. A Bruxelles, et dans des communes très voisines, il y en a 7, à Anvers 2, à Huy 15, à Liége 5, à Gand 5. Il y en a à Roulers, à Dixmude 6, sans compter dans ces localités plusieurs autres distilleries de moindre importance.
Les petits distillateurs n'ont pas tous ces avantages ; s'ils sont établis loin des routes, le combustible leur coûte cher, le transport des grains et du genièvre est pour eux l'objet de plus grandes dépenses, et leur rendement en genièvre est bien inferieur à celui de leurs concurrents établis sur une grande échelle.
Cela est si vrai, que dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, beaucoup de petites distilleries ont dû chômer depuis qu'elles ne peuvent plus employer les pommes de terre, matière première ayant une valeur beaucoup moins élevée que celle du seigle employé dans les usines principales.
La protection de fr. 3-75 par hectolitre de genièvre, que la loi en discussion leur accordera, me paraît insuffisante, parce qu'elle disparaît devant le rendement peu élevé qu'elles obtiennent.
Ainsi une distillerie, où l'on travaille avec des cuves de 15 à 20 hectolitres, et avec des appareils perfectionnés, produira par hectolitre de matière macérée, six litres ; avec l'impôt de fr. 1-50, le droit sera de 25 centimes par litre ou 25 fr. par hectolitre.
S'il est vrai, comme l'a avancé hier l'honorable M. Mercier, que l'on obtient 7 litres, ce que du reste 100 distillateurs ont avancé à la chambre, le droit dans ce cas ne sera que de 21 42/100 centimes.
Une petite distillerie ayant des cuves d'une contenance moindre de 5 hectolitres et des appareils qui l'obligent à rectifier les phlègmes deux et trois fois, ne produira pas au-delà de 5 litres de genièvre par hectolitre ; avec l'impôt de 1 fr. 50, réduit de 15 p. c, soit 1 fr. 25 1/2 c, le droit sera de 25 1/2 centimes, soit 25 fr. 50 c. par hectolitre.
On voit d'après ces chiffres, que loin de donner une faveur aux distillateurs agricoles, ils se trouvent encore en perte de 50 centimes par hectolitre de genièvre à 50 degrés, vis-à-vis de leurs concurrents, si ceux-ci n'obtiennent que 6 litres de genièvre par hectolitre de matière macérée ; s'ils en obtiennent 7, la perte sera de 4 fr. 8 c.
L'honorable M. de Steenhault voudrait que le paragraphe premier de l'article 5 de la loi du 27 juin 1842 soit modifié, en ce qui concerne l'obligation de n'avoir qu'un seul alambic dont les distillateurs doivent se servir alternativement pour la distillation et la rectification.
Les appareils distillatoires sont en cuivre et coûtent fort cher. Tel fermier peut dépenser 2,000 francs pour monter une distillerie, qu'il ne pourra pas en dépenser mille en plus pour augmenter ses ustensiles. Si l'on veut faire quelque chose en faveur des petits distillateurs, il faut porter de 15 à 20 p. c. le taux de la réduction de l'accise mentionnée à l'article 5 de la loi du 27 juin 1842.
A cet effet, j'ai l'honneur de présenter à la chambre un article additionnel ainsi conçu :
« Le taux de la réduction de l'accise mentionnée à l'article 8 de la loi du 27 juin 1842, est porté à 20 p. c. »
M. Delehaye. - Messieurs, l'un des motifs qui n'engagent à ne pas donner mon assentiment au projet de loi tel qu'il est présenté par le gouvernement, n'est pas seulement, comme je le disais tantôt, la conviction que j'ai que cette augmentation exagérée du droit aura pour conséquence une diminution de recette pour le trésor ; mais il y avait aussi, dans mon opinion, une considération d'intérêt général que le gouvernement ne devrait pas perdre de vue.
Quoi que vous fassiez, quoi que vous disiez, il n'en est pas moins vrai que le travail national envisagera ce surcroît de charges comme étant établi dans l'intérêt de quelques localités. Dans la ville à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, il n'y a à cet égard qu'une opinion.
Malgré tous nos efforts, messieurs, nous ne parviendrons jamais à cacher aux ouvriers que le projet de loi tel qu'il est présenté par le gouvernement doit avoir pour conséquence une réduction de travail et je regrette, pour ma part, que, dans le rapport de la section centrale on ait présenté cette réduction comme une conséquence inévitable du projet de loi. Ainsi réduction du travail dans certaines localités afin d'augmenter la production dans d'autres localités, voilà les conséquences de la loi. Croyez-vous, messieurs, que l'ouvrier ne fera pas certaines comparaisons ? Et qu'on me permette de le dire, quand j'étais absent de cette chambre, quand je n'ai pas voté la loi des tabacs, savez-vous ce que je faisais ? Je rendais peut-être à mon pays un service beaucoup plus considérable que celui que j'aurais pu lui rendre dans cette enceinte ; j'étais occupé à apaiser certaines craintes qui avaient surgi et je trouvais dans la certitude d'avoir rendu un service à mon pays, un motif de justifier à mes yeux mon absence de cette chambre.
Messieurs, je le répète, je comprends difficilement qu'on vienne avouer à la chambre que pour augmenter le travail dans quelques localités, on veut le restreindre dans d'autres. On vous a dit tantôt, messieurs, qu'une cause certaine d'une moindre consommation, c'est la hauteur du prix. Si le genièvre, a-t-on dit, était au prix du Champagne, il est bien certain qu'on en consommerait moins. Il était bien inutile, messieurs, de produire devant nous un pareil argument, et je m'étonne qu'une tête aussi bien organisée que celle de l'honorable M. Lebeau, qu'un homme d'aussi grande expérience ait eu recours à cet argument. Mais si l'eau se vendait au prix du Champagne, on en consommerait également beaucoup moins. Là n'est pas la question.
Je dis moi que, quelque soit le prix du genièvre, il continuera à être consommé par ceux qui ne devraient pas le consommer, par ceux qui en font abus, et c'est précisément parce que vous ne pouvez pas empêcher ceux-là de le consommer que je combats l'augmentation qui est proposée.
On nous a dit que pendant la cherté des céréales il a été produit beaucoup moins de genièvre que dans les années ordinaires ; mais l'honorable M. Lebeau qui a fait valoir cet argument, sait parfaitement que le genièvre n'est pas seulemenl une boisson, que c'est encore une matière première pour une infinité d'industries ; eh bien, quelle en est la conséquence ? C'est que quand le prix du genièvre est exagéré, ces industries limitent leur consommation de cette matière première.
Voilà comment les hauts prix limitent la production. Mais quant à la consommation abusive, celle que nous voudrions tous détruire, celle-là, je le répète, vous ne la détruirez pas en augmentait les prix. J'insiste sur ce point, messieurs, parce que c'est la vérité et que nous sommes ici pour dire, non pas ce qui peut être agréable à telle ou telle partie de la population, mais pour dire la vérité ! Oui, messieurs, vous pouvez détruire cel abus, mais c'est par d'autres moyens, c'est en moralisant la (page 1771) population par l’enseignement, par cette belle institution des caisses d'épargnes et par d'autres mesures de ce genre. Moi aussi, messieurs, je loue l'honorable ministre des finances, mais je le loue pour d'autres motifs que M. Lebeau : je ne lui fais pas un crime de ne pas avoir le génie de l'impôt ; ce dont je le loue, c'est d'avoir créé les bonnes institutions dont il a doté le pays. Je dis que si le pays sera doté un jour de beaucoup de travaux utiles, que s'il jouira d'améliorations incontestables, si un jour nous sommes à l'abri des inondations, c'est à M. le ministre des iinances que nous le devons. Mais cela ne m'empêche pas de combattre ces lois qui doivent peser sur le travail, et je les combats d'autant plus qu'on pouvait les éviter en partie.
Ainsi, messieurs, est-il bien certain que la loi sur les successions ne rapportera pas plus qu'on ne le dit ? Et ici je dois faire encore un retour sur le fait personnel : on m'a reproché d'avoir été hostile à cette loi la veille et de l'avoir votée le lendemain ; messieurs, j'ai été hostile à cette loi, non pas seulement la veille, mais encore le jour où je l'ai adoptée ; savez-vous pourquoi j'ai surmonté les répugnances qu'elle m'inspirait ? Parce que je voulais que le pays pût être doté des travaux publics dont il a besoin, et je dis que la plupart des travaux publics proposés par le gouvernement constituent une amélioration qui aura les conséquences les plus heureuse. J'ai encore voté cet impôt parce qu'en présence d'un déficit, je ne connaissais aucun autre moyen pour le combler. Mais, messieurs, si j'approuve ces travaux, j'aurais voulu qu'ils n'eussent point pour conséquence de frapper nos distilleries d'un droit qui les empêchera de soutenir la concurrence des alcools étrangers.
On dit que l'augmentation de 50 centimes ne fera que limiter la consommation ; mais il est bien certain que 25 centimes la limiteraient moins ; eh bien, qui vous dit que si l'augmentation de 25 centimes permet une consommation beaucoup plus grande, ce chiffre ne vous donnera pas un produit plus considérable que le chiffre de 50 centimes ? Voilà, messieurs, sous quels rapports j'ai envisagé la loi, et je suis aussi désireux que qui que ce soit de procurer au gouvernement le moyen de faire face aux dépenses qu'il propose.
Je ne dirai plus qu'un mot, messieurs, mais je me réserve de revenir sur ce point dans la discussion des articles.
Mon honorable ami, M. de Breyne, vient de développer une idée quant au travail du dimanche. Eh bien, je comprends parfaitement les vues émises par M. le ministre des finances quand il s'agit d'un système où l'on pouvait renouveler plus d'une fois en vingt-quatre heures.
Comme on pouvait alors renouveler les opérations à volonté, il y avait un avantage réel à laisser la chaudière remplie de matières le dimanche ; mais sous le régime de la loi proposée, alors qu'on ne peut pas renouveler sans payer un nouvel impôt, je dis que le travail du dimanche, loin d'être avantageux, sera défavorable, dans certaines saisons, puisque, dans les chaleurs, une trop longue macération fait tourner l'alcool en vinaigre.
Ceux qui contestent ce que je dis ici, peuvent avoir raison pour l'hiver, mais bien certainement mon assertion est très exacte pour l'été. Je le repète, du moment que vous ne pouvez pas renouveler sans vous soumettre à un nouvel impôt, à quoi vous avance-t-il de pouvoir vous reposer le dimanche, et pourquoi veut-on de ce chef imposer aux distillateurs un droit quelconque ?
Mais, dit-on, il y a un avantage ; mais cet avantage est général ; or, quand un avantage est général, il ne peut donner lieu à des plaintes de la part de personne. (Interruption.)
Si vous payiez l'impôt par jour de travail, vous seriez dans le vrai ; mais quand vous le payez par renouvellement, l'avantage disparaît.
Cette considération, jointe aux judicieuses considérations qu'a fait valoir tout à l'heure l'honorable M. de Breyne, est de nature à faire accueillir l'idée qui a été émise par cet honorable membre.
M. de Denterghem. - Messieurs, avant de prendre la parole, je désirerais que M. le ministre des finances rencontrât les observations qui ont été présentées jusqu'ici ; j'ai à parler dans le même sens ; or, une réponse de M. le ministre des finances pourrait modifier mes idées à cet égard ; je demande donc à n'user de mon tour de parole qu'après que M. le ministre des finances se sera expliqué.
J'avais à présenter une autre observation à la chambre : je crois qu'une modification est devenue nécessaire, comme étant la conséquence des progrès que la science a réalisés. Voici, pour le moment, en deux mots, sur quoi porte cette observation : Il s'agit de l'appareil nouveau, dont on se sert dans les distilleries agricoles et dans les distilleries non agricoles.
On vient de nous dire que les distilleries agricoles ne peuvent obtenir qu'un rendement d'environ 5 1/2 p. c. ; eh bien, les autres distilleries obtiennent un rendement de 7 p. c ; il en résulte une perte qui ne tourne au profit de personne. Il y a moyen d'obvier à cet inconvénient, en modifiant la rédaction de la loi. Je le répète, je considère cette modification comme la conséquence des progrès que la science a faits. Voilà dans quel ordre d'idées j'aurai l'honneur de presenter un amendement, amendement dont je ne puis, quant à présent, par ce peu de mots, faire comprendre toute la valeur à la chambre.
M. Manilius. - Messieurs, je commence par déclarer que dans les lois de cette nature, c'est-à-dire dans les lois qui touchent à l'industrie je ne me préoccupe ni de la question gouvernementale, ni de la question financière, ni de la question des partis ; mais je recherche froidement ce qui peut ou ne peut pas froisser les producteurs de la matière sur laquelle on veut frapper l'impôt.
J'ai voté contre le projet de loi concernant les bières et les vinaigres ; je pense que l'honorable M. Lebeau n'a pas trouvé mauvais que j'aie voté contre cete loi ; j'ai longuement développé les motifs sur lesquels j'appuyais mon vote négatif ; l'honorable membre les a entendus ; je me crois donc à l'abri de ses reproches à cet égard...
M. Lebeau. - Je ne vous ai pas fait de reproche.
M. Manilius. - J'ai voté la loi sur les tabacs, et pourquoi ? Parce que je n'y ai pas vu les menus inconvénients.
Maintenant j'ai examiné, dans la mesure de mon intelligence, la loi sur les distilleries. Comme l'honorable M. Lebeau, j'ai trouvé que c'était une matière très imposable, que, sous le rapport moral, la consommation devait en être rendue aussi difficile que possible.
Mais je n'ai pas pensé que, pour moraliser le peuple, il fallût renchérir d'une fraction (car il ne s'agit que de cela) le prix d'un litre de genièvre.
Je n'ai donc pas pu me rallier à cette idée ; je me suis dit : Les consommateurs ne seront pas éloignés par ce droit ; mais ils seront satisfaits par une concurrence dangereuse pour nos producteurs.
Eh bien, messieurs, ce dont nous devons nous préoccuper, c'est que nos producteurs ne soient pas dans des conditions de concurrence à l'égard des producteurs étrangers. Tout ce que vous avez lu dans l'exposé des motifs et dans le rapport de la section centrale ; tout ce que vous avez entendu dans les discours des orateurs, n'est qu'hypothétique. Je dis que les comptes simulés qui nous ont été fournis par le gouvernement restent encore toujours à l'état de comptes simulés. Ces comptes simulés doivent être basés sur le prix de la valeur de la chose : sans quoi, pas de comptes sérieux possibles. Eh bien, la valeur de cette chose est sujette à des fluctuations auxquelles aucun compte simulé ne peut avoir égard. (Interruption.)
M. le ministre des finances peut être convaincu que ce que je viens de dire est de la plus grande exactitude : les comptes simulés ne servent que trop souvent à induire en erreur l'appréciateur léger ; car à côté des choses simulées, il y a des choses vraies. Ainsi, le prix des alcools français pour lesquels on prend un prix donné, sont soumis à toutes sortes de fluctuations ; eh bien, c'est dans ces moments de fluctuations que la concurrence sera rendue favorable pour les producteurs étrangers ; et avec la facilité de la fraude, quoi qu'on en dise, on jettera dans notre pays des parties abondantes d'alcool qui viendront concourir tout le long de l'année avec nos propres produits.
Messieurs, eu égard à cette considération, à quoi devons-nous aviser en ce moment ? Nous devons aviser au moyen de rendre au gouvernement toute la partie qui peut lui être rendue sur une matière très imposable, je le repète ; de lui donner tout ce qui peut lui être donné, sans froisser nos producteurs, et surtout sans les froisser en faveur des producteurs étrangers. Je pense que c'est là un langage très national, et en même temps très favorable à la classe laborieuse.
Et ce langage compris par M. Lebeau, j'ai l'espoir fondé de le voir se ranger à côté de nous et être satisfait ; le gouvernement ayant de cette matière imposable tout ce qu'elle peut donner sans que l'industrie en soit froissée, tous ceux qui suivront cette voie auront bien mérité du cabinet et de ceux qui désirent grossir les revenus du trésor. Loin de nous opposer à la mesure, nous ferons tous nos efforts pour la faire réussir.
On a souvent dit qu'en fait d'impôt, deux et deux ne font pas toujours quatre. C'est ici surtout que cela est vrai. Je n'ai pour le démontrer qu'à répéter quelques paroles de l'honorable M. Lebeau. C'est une loi vous dit-il, qui doit moraliser. Moraliser, quand il s'agit d'une loi sur les spiritueux, c'est faire consommer moins ; or faire consommer moins, c'est faire rapporter moins ; mais alors en moralisant par votre augmentation de droit, vous chagrinez le ministre puisqu'il a proposé la loi pour percevoir plus.
Mais, messieurs, croyez-le bien, ceux qui ont la passion de la boisson boiront toujours, quelque chers que soient les spiritueux ; et en élevant démesurément votre droit, vous n'aurez obtenu d'autre résultat que de compromettre le revenu du trésor, en moralisant ceux qui n'avaient pas besoin de l'être, c'est-à-dire qui consommaient peu et qui ne consommeront plus du tout de spiritueux.
On a parlé de ceux qui avaient plus ou moins le génie de l'impôt ; moi j'avoue que je ne l'ai pas du tout ; mais je me hasarde à faire cette petite réflexion que je soumets aux grands financiers.
Si j'avais pu faire bien saisir à la chambre ces quelques vérités, si la chambre au lieu de faire une guerre à mort à un impôt très applicable à cette matière, se mettait d'accord pour l'appliquer dans une mesure raisonnable (en effet pourquoi s'obstiner à donner un caractère moral à une loi qui n'est et ne peut être qu'une mesure financière ?), au lieu de demander une augmentation de 50 p. c, qui doit tuer en partie les petites distilleries dans les Flandres...
Je dis ceci en passant pour qu'on ne s'étonne pas que les députés flamands, que les députés du district de Gand surtout défendent les intérêts de leurs commettants ; quoi que nous n'ayons pas encore le suffrage universel, il est déjà fort étendu, et quoi qu'en ait dit l'honorable M. Lebeau des flatteurs que le peuple a aujourd'hui comme en avaient autrefois les anciens souverains, cela ne rentrant pas dans mes habitudes je ne m'en sens pas touché, mais ce que je fais et ce que je ferai toujours, ce sera tout ce qui sera en mon pouvoir pour soulager le plus de monde possible dans les attaques (page 1772) dirigées contre une partie de nos commettants, et à mes yeux, tout impôt nouveau n'est pas autre chose qu'une attaque aux intérêts. C'est une obligation pour nous de les défendre ; cette obligation, nous l'avons contractée en recevant notre mandat.
Vous aurez beau dire : Vous voulez flatter les électeurs, vous êtes courtisan, cela n'est pas admissible. Un député sérieux qui veut faire le bien, qui comprend pourquoi il est envoyé ici, ne doit flatter personne ; ou il se tait ou il parle suivant sa conviction et il n'est permis à personne de lui faire de reproche sur la manière dont il traite les questions qui sont posées dans cette enceinte.
Je dis donc que pour amener la concorde dans cette enceinte et voir accueillir notre vote par une plus grande majorité, je prie le gouvernement de méditer sur l'importance du chiffre.
Si au lieu de 1-50, il se contentait de 1-25 !
Enfin, je ferai encore la concession de porter le chiffre à 1-30 sans modifier la ristourne, car je pense qu'elle doit rester telle qu'elle est projetée ; si j'étais dans l'erreur, je prierais M. le ministre de le faire connaître ; car la question d'exportation devra être traitée en tout état de cause. Si la chambre veut voter le droit de 1-50, il y aura nécessité, alors que nous sommes menacés de voir diminuer la consommation intérieure, de chercher les moyens d'étendre notre consommation extérieure.
Si nous perdons une partie de la consommation intérieure par l'infiltration des eaux-de-vie étrangères, il faut chercher aussi les moyens de jeter nos produits sur le territoire étranger, vous ne pouvez assez faciliter l'exportation qu'en proportionnant la ristourne au droit dont vous frappez la production.
Je puis à ce sujet me borner à ces observations et dire que j'engage le gouvernement à se rallier aux modifications proposées, en ce qui concerne le travail du dimanche, autant que cela puisse se concilier avec le mode de perception.
On parle de moralité, mais c'est quelque chose de ménager le dimanche ; qu'on laisse travailler ceux qui jugent à propos de le faire, mais aussi qu'on reconnaisse la nécessité d'alléger la charge de ceux qui ne veulent pas travailler les jours fériés. Soyons justes et libéraux ; de cette manière on conciliera beaucoup de voix au projet.
Je pense que M. le ministre se ralliera à nous, qu'il diminuera un peu de ses prétentions. Dans tous les cas, je l'engage, ainsi que M. le ministre de l'intérieur, à examiner le règlement concernant l'entreposage.
Vous me direz ce n'est pas tout à fait rattaché à cette loi ; car elle ne touche pas cette question, mais cela s'y rattaché quant à l'éventualité de l'exportation.
Quand les distillateurs entreposent leurs produits, il faut qu'ils payent pour tout ce qui a été introduit ; alors qu'il y a eu freinte, quelque grande qu'elle soit, on ne leur en tient pas compte, c'est une anomalie dans les règlements sur la matière, car quand les alcools viennent de France, pas en fraude, mais dans les entrepôts, en leur fait grâce de la freinte qu'ils y subissent.
L'eau-de-vie de Montpellier ne paye que la moitié des droits, si le fustage a perdu une moitié du contenu, tandis que nous devons payer pour les barriques vides, si elles avaient coulé, c'est-à-dire que l'on nous fait payer à la sortie tout ce qui y est entré, alors que freinte ou perte par causes quelconques en auraient réduit le contenu.
Je crois qu'il aura suffi de signaler cette situation pour que M. le ministre des finances ou de l'intérieur la fasse cesser.
J'ai dit.
- La discussion est continuée à demain.
M. le président. - La section centrale s'est réunie hier soir et ce matin à l'effet d'examiner les amendements qui lui ont été renvoyés. Elle a demandé à M. le ministre des finances des explications qu’elle recevra demain à une heure. Pour que le rapport puisse être fait à la séance de demain, je propose de la fixer à 3 heures.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.