(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1663) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Aimé-Charles Delpy, professeur de langues anciennes à Bruxelles, né à Mérù (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Cellier demande que le gouvernement adopte le récipient de sûreté et d'équité, dont il est l'inventeur, pour garantir l'intérêt du trésor et des distillateurs. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les distilleries.
« Plusieurs distillateurs agricoles dans la province de Hainaut présentent des observations sur le projet de loi relatif aux distilleries. »
« Mêmes observations de plusieurs distillateurs agricoles dans le Brabant. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Grâce-Berleur présenfent des observations en faveur de la dérivation de la Meuse. »
« Mêmes observations du conseil communal de Jemeppe sur Meuse. »
« Plusieurs directeurs de charbonnages déclarent adhérer au mémoire publié par le comité des charbonnages liégeois en faveur de ce travail d'utilité publique. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics.
« Le conseil communal de Loo demande la construction de l'embranchement du chemin de fer de Thielt à Dixmude, concédé en vertu de la loi du 21 mai 1845. »
- Même renvoi.
« La députation permanente du conseil provincial de Liège transmet une adresse par laquelle elle émet le vœu que la législature adopte, dans la présente session, le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics. »
- Même renvoi.
M. Mascart dépose le rapport de la section centrale du projet de loi relatif à l'impôt sur les bières et vinaigres.
- La chambre décide que ce rapport sera imprimé et distribué et fixe la discussion à la suite des objets à l'ordre du jour, avec cette réserve qu'elle ne commencera, dans aucun cas, avant lundi prochain.
M. de Steenhault dépose un rapport sur une demande en naturalisation.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à l'ordre du jour à la suite des objets qu'y trouvent déjà portés.
M. H. de Baillet, rapporteur. - Messieurs, par pétition, en date du 27 juin 1851, les sieurs Sancy et Mersch, brasseurs à Arlon, présentent des observations à propos du projet de loi tendant à augmenter le droit d'accise sur les bières, qui sera soumis à la chambre, proposent d'adopter le système d'impôt sur les bières qui fonctionne en Allemagne, ou bien de remplacer le faux fond de la cuve matière par une augmentation de centimes au profit de l'Etat.
La commission des pétitions propose le dépôt de cette requête sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'accise sur les bières et vinaigres.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
La discussion continue sur le chapitre de l'enseignement moyen.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai envoyé à M. le président les pièces de la correspondance dont il a été fait mention dans la discussion d'hier et dont M. Malou a demandé le dépôt sur le bureau.
M. le président. - J'ai reçu ces pièces ; elles sont déposées sur le bureau.
M. Dedecker. - Messieurs, hier à diverses reprises M. le ministre de l'intérieur a manifesté le désir et a même exprimé l'espoir d'arriver encore à une entente avec le clergé relativement à l'exécution de la loi sur l'enseignement moyen. Comme je partage sincèrement et ce désir et cette espérance, je viens dire quelques mots dans la présente discussion,
Je sens tout ce que cette discussion a de délicat. Aussi, messieurs, faut-il toute la gravité des questions qui sont soulevées, pour me forcer à prendre la parole. Du reste, quoi qu'en ait dit l'honorable ministre de l'intérieur dans la séance d'hier, la responsabilité de ces débats doit remonter au gouvernement. C'est, en effet, la publicité donnée à la correspondance entre le gouvernement et l'épiscopat belge, c'est la solennité même donnée à l'appréciation de cette correspondance par la section centrale, qui constitue une véritable provocation à la présente discussion.
Du reste, messieurs, je m'engage à ne proférer aucune parole irritante, et qui nous éloignerait du but de conciliation que nous nous proposons.
Mon honorable ami, M. de Theux, a examiné la conduite du gouvernement dans cette série de négociations dont il est inutile de retracer les détails. Je ne veux pas examiner avec lui quelles sont les fautes qui ont été commises par le gouvernement dans ces négociations. La première faute, d'après moi, ainsi que l'a dit hier l'honorable M. de Theux, c'est que les négociations n'aient pas été entamées préalablement à l'organisation donnée à la loi de l'enseignement moyen dans ses diverses parties.
Cependant, messieurs, puisque ce fait est aujourd'hui accompli, je ne crois pas qu'il doive constituer un obstacle invincible au concours du clergé. Je vais donc en quelques mots m'attacher à justifier la position qui a été prise par le haut clergé dans cette discussion. En cela, je ne fais en définitive que défendre mes propres convictions et les opinions que j'ai toujours soutenues dans cette enceinte, notamment lors de la discussion de la loi sur l'enseignement moyen.
Les évêques avaient-ils le droit d'exiger des négociations préalables ? Comment devaient se faire ces négociations ? Sur quoi devaient-elles porter ? Voilà les trois questions que je me propose d'examiner rapidement.
Messieurs, tout faisait un devoir à l'épiscopat de tenir à des négociations préalables, avant d'accorder son concours. D'abord, la rédaction même de l'article 8, et toute la discussion à laquelle cet article avait donné lieu.
Vous voudrez bien nous rappeler, messieurs, qu'à l'époque de la discussion de cet article, et au moment du vote encore, je me suis refusé à l'adopter, disant que cet article était une formule vaine, équivoque, qui pouvait, dans les termes, convenir à toutes les opinions, mais qui, en réalité, n'avait aucune portée, quant aux principes qui étaient en jeu, et ne pouvait amener une solution aux graves questions qui étaient soulevées.
Je ne suis donc pas étonné des difficultés qu'a fait naître l'exécution de cet article. C'était par conséquent aussi pour l'épiscopat qui connaissait cette discussion, qui voyait qu'on avait passé à côté de toutes les difficultés de principe ; c'était pour lui un préliminaire nécessaire, avant d'accorder son concours, de déblayer le terrain, si je puis m'exprimer ainsi, et d'obtenir satisfaction au point de vue des principes.
Ce n'étaient pas seulement cette discussion et la rédaction même de l'article 8, qui faisaient au clergé une loi d'insister pour obtenir des négociations préalables ; c'était aussi la conduite tenue par le gouvernement et les aveux faits par les principaux orateurs du gouvernement et de la majorité.
Que disait le gouvernement relativement au concours du clergé ? Il disait qu'il voulait ce concours ; il reconnaissait aussi que ce concours ne pouvait s'accorder qu'à certaines conditions ; mais il soutenait que ces conditions ne pouvaient pas être inscrites dans la loi ; que ne pouvant accorder des garanties légales, il s'engageait à les accorder administrativement. C'est dans ce sens que la plupart des ministres ont parlé, de même que la plupart des orateurs de la majorité ; c'est dans ce sens qu'ils ont voté l'article. Il a été entendu que, vu la difficulté de trouver une formule convenable pour donner au clergé des garanties dans la loi même, on les lui donnerait administrativement. Il fallait donc en dehors de la loi autre chose que la loi ; il fallait combler les lacunes sciemment laissées dans la loi.
Ces lacunes, on ne pouvait les combler par des dispositions légales ; mais on s'engageait à le faire par voie administrative.
Et puis, mettez-vous à la place de l'épiscopat. Quelle position avait prise le gouvernement dans toute cette discussion ? il avait dit qu'il n'entendait pas sanctionner les principes qui avaient été pris pour règle par les ministères qui l'avaient précédé ; il avait annoncé qu'une politique nouvelle prépaierait à l'enseignement public en Belgique. Dès lors se trouvant pour la première fois devant ce système, devant pour la première fois concourir à l'exécution d'une loi basée sur ce système nouveau, il était naturel que l'épiscopat y regardât à deux fois, qu'il examinât toutes les difficultés que pouvait soulever ce système nouveau.
Ainsi, non seulement l'épiscopat avait le droit, mais il avait l'obligation de négocier avant que d'accorder son concours.
Deuxième question : Comment fallait-il négocier ?
En faisant un concordat ou convention générale, peu importe le mot.
Il est évident qu'il fallait procéder par forme de mesure générale plutôt que par mesure de détail, spéciale pour chacun des établissements. Il s'agissait, qu'on ne l'oublie pas, de principes ; il s'agissait d'appliquer tout un système nouveau ; il fallait convenir de l'application des (page 1664) principes contenus dans la loi nouvelle. Cela pouvait-il se faire, comme le dit l'honorable rapporteur, en traitant spécialement avec chaque établissement ? Pourquoi préférer cette voie, entamer une négociation avec chaque évêque, relativement à chaque élablissement, plutôt qu'avec l'épiscopat entier, à moins de supposer que les évêques n'auraient pas été d'accord entre eux sur les questions de principe ?
Ainsi, il était bien plus simple, plus rationnel d'entamer une négociation avec l'épiscopat entier, afin d'arriver à l'exécution complète de la loi nouvelle.
Ensuite, fallait-il négocier par voie de correspondance ?
A cet égard, je partage l'opinion émise par le membre dissident de la section centrale, M. Malou. Je pense qu'il eût mieux valu négocier verbalement. Quand on sait d'avance que la correspondance entamée est destinée à la publicité, naturellement on y met ce que vous appelez de la défiance ou des restrictions, et ce que j'appelle, moi, de la prudence et de la prudence la plus vulgaire qu'on apporte dans toutes les affaires délicates de la vie ordinaire. Et cette conférence verbale ne devait pas avoir pour résultat, comme l'a insinué hier M. le ministre, une convention qui devait rester secrète. Personne n'a intérêt ici à obtenir des conventions secrètes ; mais, il n'en est pas moins vrai que, pour arriver à une convention publique et générale on pouvait entamer des négociations verbalement et cela d'une façon beaucoup plus utile, beaucoup plus efficace.
J'aborde la troisième question, la plus importante : sur quoi devaient porter les négociations ?
Le programme des négociations était tout tracé : toutes les questions avaient été traitées publiquement au sein du parlement. Il y avait donc à résoudre ces mêmes questions, parfaitement connues, mais laissées sans solution dans la loi.
Les questions de principes soulevées par l'épiscopat n'étaient donc pas un hors-d'œuvre, une controverse sans objet et sans issue. Celle controverse avait un objet prévu par tous ; elle avait aussi une issae, d'après moi ; c'est ce que je vais essayer de démontrer.
J'espère prouver que, de la part de l'épiscopat, les principes sont restés constamment les mêmes, et, s'il y a eu changement, c'est dans le sens des concessions. De la part du pouvoir civil, je vous prouverai qu'il y a des prétentions nouvelles, que jamais on n'avait vues apparaître, à l'époque même où l'ancienne opposition était à l'apogée de sa puissance.
Je prouverai ensuite que la défense des principes soutenus par l'épiscopat peut se faire en restant parfaitement fidèle aux prescriptions de notre Constitution. Il résultera aussi de ma démonstration, que le gouvernement peut arriver à la solution de ces questions de principes, sans compromettre le moins du monde ni sa dignité, ni son indépendance.
Lorsque vous demandez le concours de l'épiscopat, du clergé, on doit le vouloir sérieux. Vous avez dit vous-même que vous le vouliez honorable et efficace. Eh bien, c'est celui que l'épiscopat est disposé à donner ; il doit être vrai, sérieux. A cet effet (et ici je rencontre les principaux points traités dans la correspondance) il doit être donné par l'église ou en son nom ; il doit être en harmonie avec l'ensemble de l'enseignement de l'établissement.
En premier lieu, cet enseignement devra donc être donné par l'église. M. le ministre de l'intérieur est lui-même convenu de cela.
Nous n'avons pas ici à examiner la doctrine de l'Eglise à cet égard, nous n'avons qu'à la constater ; car je suppose que vous n'avez pas la prétention de vouloir forcer le clergé à sortir des principes invariables qui règlent sa conduite. Puisque vous nous appelez le parti de l'autorité, il faut que les évêques qui représentent particulièrement cette autorité, défendent les principes immuables sur lesquels elle repose.
Le clergé voulait donc, et le ministre de l'intérieur reconnaissait que le clergé avait le droit de vouloir que l'enseignement fût donné par l’Eglise, ou en son nom, par des délégués ; mais M. le ministre de l'intérieur a reculé devant les conséquences de ce fait, et là est son tort.
Dans la discussion de l'article 8 j'avais parfaitement prouvé qu'il y avait à cette difficulté une issue très constitutionnelle, qu'il y avait moyen de sauvegarder parfaitement l'indépendance du pouvoir civil.
Vous reconnaissez au clergé le droit de donner l'enseignement religieux. L'enseignement religieux d'après le clergé ne peut être donné qu'en étant subordonné à certaines conditions. Si les conditions offertes ne lui paraissent pas suffisantes, le clergé est en droit de s'abstenir. Le clergé s'abstenant, quelle est la position du pouvoir civil ? Il y aurait lésion de son indépendance, si on le forçait à fermer ses établissements, ou à refuser un enseignement que la loi déclare oblig atoire.
Mais vous avez une issue qui vous a été indiquée. Il ne faut pas prétendre donner l’enseignement religieux par des laïques, mais il faut aller le recevoir à l'église. Il n'y a pas une solution plus simple que celle-là. Evidemment, cet enseignement est incomplet ; nous ne pouvons en vouloir ; mais, provisoirement, c'est là une issue constitutionnelle. Aucun droit n'est violé, aucune prérogative n'est lésée. Le clergé ne croit pas pouvoir entrer dans l'établissement ; mais comme les élèves appartiennent à la masse des fidèles, conduisez-les à l'église, ils y recevront l'enseignement religieux général qui est donné aux fidèles. Voilà donc, me paraît-il, une solution parfaitement constitutionnelle, qui vous met à l'abri d'une tentative de domination, d'usurpation de la part du clergé. Et cela est tellement vrai que notre honorable président qui, il y à quelques années, était, qu'il me permette de le dire, à la tête de l'opposition la plus avancée, n'a jamais songé à demander l'enseignement religieux donné par des laïques ; jamais, à l’instant le plus extrême de cette polémique, il n'a proposé une autre solution que celle de conduire les élèves à l’église de la paroisse.
J'ai donc parfaitement raison de dire qu'aujourd'hui vous allez plus loin qu'on n'a jamais été au moment même de la plus forte opposition libérale. Vous élevez aujourd'hui des prétentions que vous n'avez jamais élevées, et cela est d'autant plus incompréhensible que vous avez une solution toute facile, que vous pouvez faire donner cet enseignement-là où il se donne pour le commun des fidèles.
Cela existe aujourd'hui, disait hier M. le ministre de l'intérieur en répondant à l'honorable M. Vilain XIIII. Cela existe aujourd'hui. L'enseignement religieux se donne dans les athénées ; il est donné par des laïques. On enseigne le catéchisme ou des livres approuvés par l'autorité ecclésiastique.
Cela ne prouve absolument rien.
Les établissements où l'enseignement religieux se donne ainsi, se trouvent sous un régime provisoire, auquel le clergé n'a pris aucune participation. Le clergé n'a donc jamais été appelé à se prononcer, par rapport à ces établissements, sur les conditions de son concours.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il s'est retiré.
M. Dedecker. - Il s'est retiré. Mais alors, là où il intervenait, cet enseignement, bien que donné par des laïques, se donnait sous la direction du ministre du culte.
La question de fait ne prouve donc rien contre ce que vous appelez la prétention du clergé ; mais, vous le savez vous-même, ce n'est pas là une prétention ; c'est un principe invariable de l'Eglise. Comme l'a fort bien dit l'honorable M. Vilain XIIII, l'enseignement religieux donné par des laïques serait un commencement de schisme. L'enseignement donné par des laïques est une chose inacceptable au point de vue catholique. Pour quoi vouloir forcer la conscience des catholiques, sans nécessité, puisqu'au lieu de vouloir que l'enseignement religieux soit donné par des laïques, vous avez la ressource constitutionnelle de le faire recevoir à l'église ? Voilà ce que je ne puis comprendre.
La deuxième question sur laquelle devaient porter les négociations est celle de l'homogénéité de l'enseignement.
N'est-il pas naturel que le clergé, en donnant son enseignement religieux dans une maison, et le voulant sérieux, tienne à ce que l'ensemble de l'enseignement dans cette même maison ne vienne point contrarier son enseignement religieux ? Je crois que cette prétention n'est ni nouvelle, ni avilissante pour qui que ce soit. Elle est dans le vœu, je crois, et dans la bouche de tout le monde. L'honorable M. Lebeau a formellement dit dans son rapport que le clergé a raison de réclamer l'homogénéité de l'enseignement. L'honorable président du sénat, dans la discussion de la loi, a engagé le gouvernement aussi à reconnaître ce droit du clergé de vouloir que l'enseignement en général soit en harmonie avec l’enseignement religieux. L'honorable M. Lelièvre l'a reconnu hier encore.
Tout le monde reconnaissant la légitimité de cette prétention, la question est de savoir comment on peut arriver à la satisfaire.
L'un des moyens les plus efficaces d'y arriver serait d'accorder au clergé une certaine intervention dans la nomination du personnel enseignant et dans le choix des livres. Nous verrons bientôt quelle peut être cette intervention.
Eh bien, permettez-moi de vous dire qu'ici encore les prétentions formulées par le gouvernement sont toutes nouvelles et beaucoup plus exagérées qu'elles ne l'ont jamais été, même à l'époque où la majorité actuelle formait l'opposition.
Vous avez tous, messieurs, présents à l'esprit les démêlés auxquels a donné lieu la convention de Tournay. Eh bien, qu'est-ce qui choquait dans cette convention ? J'en appelle aux honorables membres qui s'en sont particulièrement occupés et notamment à l'honorable M. Le Hon, qu'est-ce qui choquait dans cette convention ? Etait-ce la stipulation que le clergé devait être consulté sur le choix du personnel et des livres ? Non, messieurs, ce qui choquait, c'était la phrase finale portant que le pouvoir civil était tenu de faire droit aux observations du clergé.
Je ne fais aucune difficulté de reconnaître que cette dernière stipulation était compromettante pour l'indépendance du pouvoir civil. Je le reconnais d'autant plus volontiers, que le clergé lui-même ne peut en aucune manière reproduire des réclamations de cette nature, la correspondance des évêques en fait foi.
Mais, dit M. le ministre de l'intérieur, vous voulez donc établir la censure ? Mais non, messieurs. Pourquoi prononcer ici un mot qui est gros de préjugés et qui, en définitive, n'exprime pas l'état réel des choses ? Si c'est là une censure, vous voulez aussi la censure ; seulement vous la voulez après coup, sous forme de délation. Cette censure que vous proposez est-elle moins odieuse ? Mais non, ce qu'on demande, n'cat pas une censure ; c'est un simple droit d'émettre un avis, droit dont jouissent les membres des bureaux administratifs et d'autres autorités encore, le droit de faire des observations auxquelles le gouvernement n'est pas en définitive tenu d'avoir égard.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tout le monde a ce droit-là.
M. Dedecker. - Reconnaissez-le donc aussi aux évêques. Mais non ; tout le monde n'a pas ce droit ; tout le monde n'est pas en relation avec le gouvernement, et n'a pas la mission d'intervenir dans ces sortes d'afffares. Si le clergé venait aujourd'hui, en l'absence de toute espèce d'arrangement, faire des remontrances de ce genre, vous trouveriez cette conduite singulièrement déplacée, cette pretention bien avilissante, sans doute, pour le pouvoir civil !
(page 1665) L’intervention du clergé (sous forme de consultation), dans la nomination des professeurs et dans le choix des livres est très possible, sans compromettre le moins du monde l'indépendance du pouvoir civil. Cette indépendance ne serait compromise que dans le cas où l'on exigerait que le pouvoir civil fût tenu de déférer aux observations présentées par le clergé ; or, pareille exigence n'est formulée par personne.
Maintenant, messieurs, toute la question est de savoir s'il vaut mieux que l'intervention du clergé dans le choix du personnel et des livres soit préalable ou s'il vaut mieux qu'elle ne soit que répressive. Voilà, en définitive, ce qui constitue la différence entre le système des évêques et le système du gouvernement. Les évêques soutiennent qu'il vaut mieux que l'intervention soit préalable ; le gouvernement soutient qu'il ne peut pas admettre cela, qu'il ne peut reconnaître au clergé que le droit de censurer après coup et de présenter des observations que j'appellerai répressives.
Eh bien, messieurs, pour moi, je n'hésite pas à dire que, dans le triple intérêt des deux autorités en présence, et des personnes mêmes et des établissements dont il s'agirait dans les observations à faire, que, dans ce triple intérêt, il vaut mieux que l'intervention du clergé soit préalable plutôt que répressive et postérieure.
Après tout, c'était là ce qu'avait voulu la majorité de cette chambre. Rappelez-vous ce qui s'est passé dans la discussion de la loi sur l'enseignement moyen. D'abord, quelques sections avaient manifesté le désir de voir positivement inscrite dans la loi l'admission d'un délégué du clergé et dans les bureaux administratifs et dans le conseil de perfectionnement. Cette demande fut reproduite en séance publique par l'honorable M. Delehaye, par l'honorable M. Delfosse lui-même et par un grand nombre d'orateurs de la majorité. L'honorable M. Osy formula même un amendement dans ce sens. Eh bien, messieurs, qu'a-t-on dit ? On a dit : Cela peut difficilement se faire daus la loi ; nous le ferons par voie administrative.
On était donc indirectement convenu qu'il y avait moyen de laisser une place dans les bureaux d'administration et dans le conseil de perfectionnement aux délègues du clergé, c'est-à-dire aux hommes chargés par le clergé de présenter des observations préalables et sur la nomination du personnnel enseignant et sur le choix des livres.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Des ecclésiastiques ont été présentés pour les bureaux administratifs et admis par le gouvernement, mais il paraît qu'ils n'ont pas été autorisés à entrer en fonctions.
M. Dedecker. - Avant les négociations ou au moins avant qu'elles fussent arrivées à leur terme, c'est possible.
Je disais, messieurs, que cette intervention préalable du clergé a été reconnue par tout le monde comme possible, comme parfaitement légitime et comme n'offrant aucune espèce d'inconvénient au point de vue de la dignité du gouvernement. Aujourd'hui on la trouve avilissante ; on va jusqu'à dire qu'aucun ministre n'oserait en accepter la responsabilité. Je persiste à croire qu'au point de vue des intérêts majeurs qui sont engagés dans la question, cette infection préalable, reconnue comme bonne par toute la chambre, vaut beaucoup mieux que ce droit de délation et ce droit de retraite que vous offrez comme parti extrême à prendre par le clergé.
Mais, disait l'honorable ministre de l'intérieur dans la séance d'hier, vous demandez plus que ne vous donne la loi sur l'enseignement primaire.
Aujourd'hui le clergé n'est pas consulté avant la nomination des instituteurs. Les administrations communales sont aujourd'hui libres de choisir les instituteurs et elles les choisissent sans consulter le clergé ni les délégués du clergé. Mais, messieurs, pourquoi ? Parce que pour l'enseignement primaire le clergé a une garantie préalable dans l'organisation des écoles normales, par lesquelles sont obligés de passer tous les candidats instituteurs. Les administrations communales ne peuvent nommer que des instituteurs sortis des écoles normales. Ces écoles sont organisées de façon à offrir au clergé des garanties suffisantes d'après lui. L'explication de ce fait se trouve donc dans cette obligation, imposée aux communes de choisir leurs instituteurs au sein des écoles normales ; et dans les garanties qu'offrent ces écoles au clergé. Il en serait de même de l'enseignement moyen. Si les professeurs de cet enseignement devaient tous sortir d'une école normale, et que cette école normale présentât des garanties suffisantes au clergé, il serait sûr d'avance de l'esprit et des tendances des candidats. Ainsi cet argument disparaît complètement.
Reste maintenant une troisième question. Le clergé, en accordant son concours, et en voulant que l'enseignement religieux soit sérieux, en prenant des précautions légitimes dans ce but ; le clergé désire aussi et prétend que cet enseignement positif de la religion ne soit pas contredit dans la maison même, par un autre enseignement qui se trouve à côté.
Puisque la discussion entre le gouvernement et les évêques a porté aussi en grande partie sur cette question des collèges mixtes, permettez-moi d'en dire un mot.
La question a été soulevée incidemment par l'honorable M. de Theux lors de la discussion de la loi de l'enseignement moyen ; il n'a pas rencontré de contradicteur à cette époque ; il était donc permis de croire qu'on approuvait la manière de voir de l'honorable M. de Theux, d'autant plus qu'elle concordait parfaitement avec la pratique constamment suivie dans toutes nos institutions d'enseignement moyen.
Pourquoi, dit-on, soulever une pareille controverse ? Cette question n'est pas pratique en Belgique ; il y a très peu d'établissements où se trouvent des élèves non-catholiques.
Ce n'est pas ici une controverse oiseuse. Au point de vue de l'épiscopat, comme à celui du gouvernement, il y avait ici une question de principe quil s'agissait de résoudre ; car, en supposant qu'il n'y eût qu'un seul élève non catholique dans un établissement d'enseignement moyen, encore puisque l'enseignement religieux est obligatoire, faudrait-il pour cet élève examiner la question et lui donner une solution pratique. Pourquoi ne pas l'aborder ? Cette discussion encore une fois, je ne puis pas y voir une controverse sans objet car, pour les évêques, elle renferme une question religieuse de la plus haute gravité ; pour le gouvernement même comme pour nous, une question constitutionnelle.
Cette question de principe a donc été à bon droit soulevée par les évêques dans la correspondance ; elle a droit aussi à toute notre attention.
Examinons-en le fond et les conséquences.
On a l'air de croire, et c'est là l'erreur fondamentale du gouvernement, que nous n'avons qu'un seul principe constitutionnel à sauvegarder par rapport à l'organisation des cultes, c'est-à-dire l'égalité de tous les cultes devant la loi. Mais il y a un autre principe constitutionnel qu'on oublie sans cesse, et qui est le premier, le plus essentiel de tous : la liberté de chaque culte. Pour appliquer ce principe dans toute sa rigueur, pour respecter complètement la liberté de chaque culte dans l'enseignement, la règle la plus simple serait la fondation d'établissements spéciaux pour chaque culte séparément. On ne peut songer à cela, dans le cas actuel. Cependant, il faut organiser les établissements d'enseignement de façon que, dans la pratique, on ne détruise point la liberté de chaque culte. On ne peut pas, sous prétexte d'égalité entre les cultes, vouloir opérer une confusion d'enseignements qui serait la négation de chaque culte.
Il y a donc ici surtout en jeu le principe de la liberté pour chaque culte ; or, la liberté de chaque culte, c'est la jouissance de l'ensemble de ses droits et prérogatives légitimes ; eh bien, il est évident qu'à moins de vouloir détruire l'enseignement catholique par un enseignement existant à côté, et par conséqueut violer la liberté du culte catholique, vous ne pouvez autoriser dans la même maison d'instruction moyenne l'établissement de l'enseignement religieux juif ou protestant, à côté de l'enseignement religieux catholique.
M. le ministre de l'intérieur signalait jadis, comme un assemblage monstrueux dans la réunion éventuelle dans le conseil de perfectionnement, de délégués des principaux cultes admis en Belgique.
Je ne vois pas qu'en France les évêques soient fort choqués de se trouver dans un conseil où chacun défend les intérêts de son culte ; mais c'est ici que l'assemblage serait monstrueux, si vous aviez dans un coin d'un collège la défense du culte catholique, et dans un autre coin la défense du culte juif ou du culte protestant. Ce serait la destruction de toutes les croyances positives.
Pourquoi donc ne pas suivre le principe sage et constitutionnel qu'on a voté à l'unanimité dans la loi de l'enseignement primaire, c'est-à-dire que l'enseignement religieux du collège serait l'enseignement du culte auquel appartient la majorité des élèves ? (Interruption.) C'est un principe qui a toujours été interprété et applique dans ce sens sous tous les ministères, dans tous les établissements.
On ne pourrait citer un seul établissement d'instruction moyenne où, jusqu'à présent, on ait autorisé l'enseignement d'un culte dissident. Dans plusieurs de ces maisons, il est un certain nombre d'élèves protestants, et cependant, je le répète, il n'est pas d'exemple qu'on ait établi dans ces maisons, pour ces élevés, un enseignement religieux protestant.
Ainsi, voyez les conséquences du système du gouvernement. Il faudrait changer les habitudes contractées depuis longtemps ; il faudrait changer la pratique qui a été constamment suivie jusqu'à présent, même par les administrations libérales dans les villes, il faudrait, s'il est vrai que le principe soutenu par le gouvernement soit constitutionnel, il faudrait changer l'article 6 de la loi de l'instruction primaire.
Il faudrait déclarer (car vous savez qu'une décision solennelle de la cour de Rome est intervenue, et qu'il est défendu au clergé de prêter son concours aux établissements mixtes), il faudrait donc déclarer a tout jamais le clergé exclu de toute espèce de participation au gouvernement de l'instruction publique en Belgique. Voilà les conséquences logiques de votre principe.
Bien certainement vous ne pouvez pas vouloir cela.
Ainsi, messieurs, j'ai abordé loyalement l'examen de tous les principes ; j'ai indiqué une solution à toutes les questions qui ont été soulevées, et cela, tout en restant fidèle aux principes de la Constitution, tout en sauvegardant la liberté, l'indépendance en pouvoir civil.
Je ne comprendrais donc pas de rupture, je n'y crois pas, parce que j'espère que nos ministres, comme le disait hier l'honorable M. Vilain XIIII, seront des hommes d'Etat et non des hommes de parti.
Nous avons tous intérêt à cette conciliation que je crois possible et nécessaire. Que le gouvernement ne dise pas qu'il n'a pas besoin du clergé pour l'enseignement ; il peut s'en passer jusqu'à un certain point, c'est possible, tout comme le clergé peut se passer du gouvernement pour ses établissements privés. Mais, là n'est pas la question.
Envisageons la situation en législateurs, apprécions l'ensemble des intérêts du pays, et nous constaterons qu'un des grands besoins du pays c'est que l'éducation de la jeunesse soit entourée de toute espèce de garanties religieuses et morales pour les familles.
(page 1666) M. le ministre a fait un appel à l'opinion publique. Eh bien, à mon tour je fais appel à cette opinion ; je suis convaincu qu'elle saura distinguer ce qu'il y a de fondé et de juste dans les prétentions du gouvernement et dans celles du clergé. L'opinion publique, je l'invoque à mon tour, parce que je suis convaincu que j'y trouverai un appui sincère pour la conduite loyale et modérée que le clergé a tenue dans cette grave circonstance.
M. Osy. - La section centrale nous propose de voter les crédits demandés pour l'instruction moyenne comme approbation des démarches faites par le gouvernement pour arriver à l'exécution de l'article 8 de la loi du 1er juin.
M. le ministre demande le même vote et est persuadé qu'il l'obtiendra par une grande majorité de la chambre.
Quant à moi, je ne puis me joindre à cette majorité ; et s'il n'y avait pas un appel nominal, je prierais même M. le président de faire insérer au procès-verbal mon vote négatif.
Il me paraît que le gouvernement aurait dû, avant tout, commencer par avoir avec le haut clergé des conférences verbales pour arriver à une entente convenable, et pour exécuter l'article 8.
Même, si je suis bien informé, notre premier prélat, dans les derniers jours du mois de septembre, doit avoir poussé si loin son esprit de conciliation, en offrant à M. le ministre de l'intérieur de se mettre à sa disposition pour les premiers jours d'octobre, et voir s'il y aurait moyen de s'entendre. Dans toutes les négociations préliminaires, des entrevues peuvent beaucoup plus facilement amener un résultat, qu'une correspondance où tous les partis sont sur la réserve parce qu'on sait qu'un jour elle peut et doit être produite en public.
Je regrette donc que M. le ministre ne se soit pas empressé d'accepter cette offre conciliante ; et je ne sais même pas s'il y a été répondu ; mais nous voyons que les négociations écrites n'ont été entamées qu'à la fin d'octobre, et même M. le ministre nous a dit qu'il les aurait retardées, s'il n'était survenu à cette époque la retraite de M. l'aumônier, professeur à l'athénée d'Anvers.
Je n'aurais pas voulu voir sortir les établissements de l'instruction moyenne des mains des communes, parce que les pères de famille étant tous les jours en relations avec les autorités de la ville, pouvaient plus facilement et plus discrètement faire savoir les griefs qu'ils pouvaient avoir contre l'une ou l'autre branche de l'instruction, tandis que maintenant il faut s'adresser au conseil supérieur, et souvent on prendra pour des délations ce que nos autorités communales ne considéraient que comme des avertissements ; des abus disparaissent beaucoup plus vite, sans bruit et sans une grande formalité administrative, passant par des bureaux et plusieurs personnes. A Anvers, le professeur de religion et de morale n'avait certainement pas l'inspection sur l'athénée, mais quand il voyait qu'il s'y passait des choses peu convenables, même dans d'autres cours que celui qui lui était confié, il s'adressait à nos autorités municipales, et sans qu'on pût savoir d'où venait la connaissance des faits à redresser ; tout se passait amicalement et pour le bien-être de l'établissement et des bons principes. Maintenant il faudrait venir à Bruxelles, passer par beaucoup de monde ; on se gardera donc d'avertir l'autorité, et quand il y aura du mal et des erreurs, ils continueront longtemps, et souvert lorsqu'il sera trop tard pour y remédier.
Moi qui suis persuadé que dans le siècle où nous vivons et où on fait tout pour corrompre la jeunesse, je crois que nous ne pouvons pas comme père de famille et législateur assez insister pour faire donner à notre jeunesse, surtout dans l'âge de 10 à 18 ans, une bonne direction religieuse et morale, pas seulement faire apprendre le catéchisme, mais nous devons vouloir que tous les cours de l'instruction soit moraux et religieux. Je veux donc avoir sous ce rapport toute garantie, et certainement si vous aviez institué comme pour l'instruction primaire un contrôle effîcace de l'autorité civile et religieuse, nous aurions pu remplir le but que nous nous proposons.
Je crois aussi que quoique vous ayez refusé mes amendements d'admettre à titre d'autorité des délégués du clergé dans les bureaux du conseil de perfectionnement, vous auriez dû y nommer des ecclésiastiques qui auraient pu faire connaître les défauts de vos établissements. On m'a répondu : Nous ne le voulons pas par la loi, mais rien n'empêche le gouvernement d'y nommer des représentants de l'instruction religieuse.
D'après moi, les paroles sages de M. le président du sénat lors de la discussion de la loi, auraient dû être votre guide dans les négociations avec le haut clergé et permettez-moi de vous le citer ; elles se trouvent à la page 78 du rapport de l'honorable ministre et citées dans la lettre de Son Eminence du 15 mai 1850.
Vous ne les avez pas combattues au sénat, et c'est certainement à ces conditions et dans ces vues que vous avez obtenu la sanction du sénat.
Négociez sur ce pied et vous réussirez à amener le bien si fortement réclamé par tous les pères de famille et donner toute garantie pour le bien-être de notre jeunesse.
Sans religion et sans morale, la société est exposée aux plus grands dangers et aux plus grands bouleversements, et, pour ma part, je veux pour la nation ce que je fais comme père de famille., Voyez la consolation et la tranquillité dans les familles où l'on a donné une bonne instruction religieuse à ses enfants et où on prêche par de bons exemples, et comparez-les aux familles où l'ou a été indiffèrent et même coupable de négliger les principes de la vertu et de la religion.
Tous les jours nous pouvons comparer par des exemples la différence imprimée à l'éducation de la jeunesse.
Je ne puis donc assez insister pour engager le gouvernement à mettre dans les négociations plus de conciliation et moins de roideur, et je ne puis donner mon assentiment aux négociations qui nous sont connues.
Je sais d'avance que le vote que vous réclamez de votre majorité sera fort et compacte, mais pour moi je ne crois pas pour cela que la minorité, quoique battue, sera dans le faux, et vous ne m'entraînerez pas plus que dans d'autres circonstances, et je resterai indépendant jusqu'à la fin de ma carrière parlementaire et toutes les menaces du pouvoir ne feront pas que je m'arrêterai dans le but que je me suis proposé de ne suivre en tout que ma conscience et de combattre les erreurs, si elle viennent de la gauche ou de la droite ; j'ai combattu celle-ci lorsqu'on voulait toucher à nos franchises communales et électorales, comme je vous combats aujourd'hui, parce que votre marche me donne des inquiétudes pour l'avenir de votre jeunesse.
Oui, vous aurez encore votre majorité comme vous l'avez eue pour le budget de la guerre, pour la loi de succession et pour le pillage organisé contre le trésor public. Mais dans ces trois circonstances, vous avez eu plutôt des votes de peur que de convictions, et je le prouve.
La peur de votre retraite, à l'occasion du budget de la guerre, vous a donné au moins trente voix de la gauche qui, cette année, ont voté noir, ayant voté avec vous quand vous étiez avec la droite, blanc, l'année dernière.
Pour le droit de succession en ligne directe, vous l'avez fait voter, quand vous disiez vous-même, au mois de mai, que cette partie de la loi n'avait maintenant aucune chance dans le parlement et que cet impôt était impopulaire dans le pays.
El finalement comment obtiendrez-vous le vote des travaux publics ? Ce n'est qu'en donnant à chaque localité un morceau du gâteau.
Aussi je considère le projet comme la plus grande corruption parlementaire qu'on ait pu inventer, et je conçois que chaque localité pouvant recevoir de ses députés un canal et un chemin de fer, que votre majorité passera par toutes vos exigences, et qu'on vote aveuglement et par entraînement toutes vos conceptions et votre manière d'administrer.
Certainement, il faut respecter les votes de la majorité, même en blâmant la manière dont elles se forment, mais il faut cependant aussi tenir compte de ce qui se passe hors de cette enceinte et approfondir les votes émis par les électeurs.
L'honorable M. Rogier, dans la session dernière, lorsque nous étions en dissidence sur plusieurs objets importants que nous avions traités dans la session, a fini, en me combattant dans le parlement, par nous donner rendez-vous dans le collège électoral de juin 1850.
Vous vous rappelez avec quelle instance j'ai combattu la loi de l'instruction, et comment j'ai échoué dans les divers amendements proposés. C'était une véritable lutte entre M. Rogier et moi. Aussi j'ai voulu voir l'opinion des électeurs sur cette joute, en laissant à mon honorable contradicteur tous les avantages.
Lui, comme ministre, a pu employer tous les moyens qu'il a trouvé convenable pour réussir ; mais moi j'ai voulu que mon élection soit spontanée et sans la moindre influence. Aussi trois semaines avant les élections j'ai été me cacher dans vos Ardennes et j'ai prié en grâce ma famille et mes amis de n'agir que d'après leur propre conviction, et je les assurais que si j'étais rendu à la vie privée, ce serait le plus beau jour de ma vie.
Je me suis abstenu de dire un seul mot contre M. Rogier, et ses amis politiques doivent me rendre cette justice, que je me suis tenu dans la plus stricte neutralité,et pas un seul Anversois ne m'a pas seulement vu, ni reçu de moi une n'aligne, trois semaines avant les élections.
Je suis revenu dans mes foyers. (Interruption.)
- Un membre. - A la question !
M. Osy. - Le gouvernement fait appel à sa majorité ; moi, je fais appel aux électeurs ; je suis dans mon droit. S'il y avait un appel au pays, nous verrions quel serait son arrêt.
Je suis revenu dans mes foyers le lendemain des élections, et j'ai appris alors que la lutte que M. Rogier avait provoquée...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quelle lutte ai-je provoquée ?
M. Osy. - Dans cette enceinte même vous avez provoqué la lutte qui a éclaté à Anvers.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quelle lutte y a-t-il-eu à Anvers ? Vous n'aviez pas de concurrent, et mes amis ont eu l'impartialité de voler pour vous.
M. Osy. - Je répète qu'à mon retour à Anvers, j'ai appris que la lutte que M. Rogier avait provoquée, n'avait pas tourné à son avantage ; que, sur 4,200 électeurs, j'avais obtenu 4,100 suffrages que je n'avais demandés à personne et que...
M. de Perceval. - Ce n'est pas la question.
M. Osy. - … et que mon honorable adversaire au parlement n'avait pu obtenu que 2,600 voix, et encore que ses amis politiques avaient dû faire les plus grands efforts.
Vous voyez donc bien, messieurs, que si M. Rogier obtient dans le parlement une majorité de deux tiers ou de trois quarts, je puis dire que ma conduite parlementaire a obtenu l'assentiment de 95 sur 100 électeurs de l'arrondissement d'Anvers.
(page 1667) - Des voix. - A la question !
M. le président. - Je prie l'honorable membre de se renfermer dans la question ; tout cela va provoquer des débats inutiles.
M. Osy. - Je suis loin de me glorifier de ce résultat, mais cela me fortifie de plus en plus qu'un député indépendant de toutes les influences est mieux vu et apprécié dans le pays par les électeurs, que ceux qui se courbent toujours aux exigences du pouvoir et ne l'arrêtent pas lorsqu'il fait fausse route, comme cela a été trois fois dans la session actuelle.
En finissant, je dirai donc que je n'approuve pas la marche suivie par le gouvernement pour arriver à une bonne entente avec le haut clergé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne sais dans quel parlement, la majorité souffrirait en silence le genre de reproches qui lui sont ici adressés. C'est, dit-on, un pillage organisé par la majorité contre le trésor public.
M. Rodenbach. - Par le gouvernement !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est un pillage organisé contre le trésor public par le gouvernement de complicité avec la majorité. (Interruption.)
M. le président. - Messieurs, pas d'interruption. Il y a eu une attaque, il faut bien qu'il y ait une défense. C'est la conséquence nécessaire de l'initiative qui a été prise ; j'ai fait entrevoir tout à l'heure ce qui arrive.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est, je répète ce qu'on a dit, c'est un pillage organisé par le gouvernement contre le trésor public, de complicité avec la majorité. C'est la peur qui dirige les votes de la majorité ; c'est, d'après l'honorable député d'Anvers, c'est à la menace que cède la majorité. C'est enfin, comme dernier trait, par la corruption qu'on la mène.
Je le répète, en écoutant en silence de pareilles accusations, la majorité fait preuve d'une modération qui atteste sa force, mais que je considère, pour ma part, comme extrême.
Nous avons vu, messieurs, une époque où l'on a disposé du trésor public, sans régularité ni réserve, et aujourd'hui encore, tout ce que l'ancienne majorité n'a pas pu sanctionner doit être régularisé par la majorité nouvelle, qui fait, en cela, preuve d'une grande condescendance. L'honorable M. Osy confond évidemment les époques.
Les projets de lois relatifs aux travaux publics sont, dit-on, de la corruption ; ils ont le tort, le tort immense de donner satisfaction à un grand nombre de localités, de répandre partout l'activité, de répandre ou du moins d'avoir pour but de répandre le bien-être qui suit la création de communications nouvelles.
Or qu'est-ce que les projets de lois relatifs aux travaux publics ? C'est la continuation, pour une très grande partie, c'est l'achèvement d'un système qui remonte aux administrations précédentes. Pour ce qui concerne les travaux concédés, et ils occupent la place principale dans le projet de loi en question, que fait l'administration nouvelle ? Elle vient demander à la chambre les moyens d'aniver à l'achèvement des travaux votés par la majorité ancienne. Qu'est-ce que le chemin de fer de l'Entre-Sambrc-et-Meuse ? Qu'est-que le chemin de fer du Luxembourg ? Qu'est-ce que le chemin de fer de la Flandre occidentale ? Qu'est-ce que le canal de la Campine ? Ce sont tous travaux commencés à une époque où probablement l'honorable M. Osy n'était pas encore illuminé (interruption) comme il semble l'être aujourd'hui, et où il ne découvrait pas cette corruption exercée par les travaux publics à l'égard des membres de la chambre.
L'honorable préopinant, je pense, à cette époque a voté ces travaux publics et ne se sentait nullement corrompu. (Interruption.) En sa qualité de représentant incorruptible, tenant tête aux menaces du pouvoir, l'honorable préopinant a eu un insigne honneur ; il a été glorieusement récompensé : il a obtenu, au sein de son collège électoral, la presque-unanimité des voix.
La lutte que j'avais provoquée contre lui a tourné contre moi ! Messieurs, l'honorable M. Osy, il le sait bien, n'a pas été combattu par le gouvernement, n'a pas été combattu par mes amis politiques. L'honorable M. Osy a été accepté en sa qualité de représentant laborieux, dévoue, après tout, aux intérêts des localités qu'il représente et aux intérêts du pays. Nous n'avons pas cru que des représentants aussi utiles, quoique parfois peu obligeants et désagréables pour les ministres, nous n'avons pas cru que de pareils représentants devaient être combattus.
Il nous fera l'honneur de croire que si nous avions entrepris contre lui quelque campagne électorale, il aurait perdu quelques-unes des quatre mille voix qu'il s'attribue. S'il veut apprécier quelle peut être son influence dans le collège qui l'a nommé, qu'il jette les yeux sur un de ses honorables amis politiques qui, lui, a tenté la lutte dans le collège qui nous envoie tous deux dans cette enceinte ; la lutte a été tentée par un honorable ami de l'honorable M. Osy ; peut-être la retraite de M. Osy au sein des contrées sauvages a-t-elle nui à son honorable ami ? Le fait est qu'il a succombé d'une manière assez peu glorieuse dans le combat.
Tous les amis publics actuels de l'honorable M. Osy, je dis actuels, car ils ont dû changer quelquefois, tous ont voté pour l'honorable M. Malou ; et l'honorable M. Malou n'a pas réussi ; d'où je conclus que si les amis politiques du ministre de l'intérieur n'avaient pas voté pour M. Osy, il aurait bien pu suivre en sa défaite son honorable ami M. Malou.
L'honorable M. Osy, je finis par là, doit se le rappeler, à une autre époque, il a succombè dans les élections, et il n'est rentré aux chambres que lorsque une partie de mes amis politiques lui ont donné leurs voix.
J'en viens maintenant au côté plus sérieux de la discussion.
L'honorable M. Dedecker, revenant sur quelques griefs articulés contre le ministère, lui reproche trois fautes dans les négociations avec le clergé ; il se demande quand il fallait négocier, de quelle manière il fallait négocier, sur quoi il fallait négocier.
Il trouve que sur ces trois points, le gouvernement a fait fausse route, qu'il n'a pas convenablement rempli sa mission.
Quand fallait-il négocier ? D'après l'honorable préopinant, il fallait des négociations préalables à l'exécution de la loi. Eh bien, c'est ce qui a été fait.
Des négociations préalables ont été ouvertes avec le clergé, avant que la loi fût exécutée.
A l'heure qu'il est le programme n'est pas appliqné, les nominations ne sont pas faites ; le gouvernement n'a pas encore entre les mains l'administration des établissements que la loi lui a confiés. Nous sommes sous ce rapport encore dans la même position qu'au moment où la loi a été votée. Il n'y avait pas pour le clergé le moindre motif pour refuser d'entrer dans les négociations attendu, qu'au moment où elles ont été ouvertes, aucun acte important n'avait posé (Interruption). Vous m'avez reproché à tort de n'avoir pas négocié, avant de procéder à l'exécution de la loi ; jusqu'au moment où je parle, la loi n'est pas encore exécutée. Ce n'est qu'à partir du mois d'octobre que le gouvernement appliquera le programme, fera les nominations et avec le concours des bureaux administratifs administrera les établissements d'enseignement moyen.
Comment fallait-il négocier ? Ici encore je me serais conduit de manière à mériter des reproches. Il fallait négocier sur une base générale, s'entendre avec le corps épiscopal tout entier. Je ne sais pas ce que c'est que le corps épiscopal ; je connais six évêques, mais je ne connais pas de corps épiscopal. Je me suis adressé à chacun des évêques ; l'archevêque m'ayant fait connaître que les évêques devaient se réunir en conférence, j'ai adressé à chacun d'eux la même lettre sous forme de circulaire.
Le gouvernement aurait dû, selon l'honorable membre, s'adresser àun corps insaisissable, si on pouvait le supposer exister ; ce genre de discussion sort de ses habitudes parlementaires ; ceci me paraît être une véritable chicane de mots. (Interruption.)
Je me suis mis en rapport avec chacun des évêques, j'ai adressé à tous la même circulaire ; ils ont pu délibérer en commun ; chacun m'a envoyé sa réponse individuelle conçue dans le même esprit, dans les mêmes termes.
J'aurais dû recourir à des conférences verbales. On va jusqu'à dire que je les ai refusées. Je nie ce dernier fait ; je n'ai jamais refusé de me mettre en rapport direct avec aucun membre du clergé, mais hier j'ai expliqué comment j'avais été peu encouragé à traiter verbalement ces sortes de questions ; j'ai raconté comment, au moment où la loi fut votée, je sortais d'une négociation qui avait duré pendant plusieurs mois et avait consisté principalement en conférences verbales ; j'ai rappelé que deux délègues de l'archevêque étaient venus traiter avec moi des règles à établir quant à l'enseignement religieux dans l'école vétérinaire.
J'ai rappelé que m'étant mis d'aecord avec ces deux délégués de l’ar hevêque et croyant arriver au moment d'aboutir, tout à coup ces négociations avaient été rompues. J'étais donc, je le répète, peu encouragé a reprendre des négociations d'après la voie qui m'est indiquée. Mais si l'on m'avait témoigné l'intention d'entrer en rapport direct avec moi, je me serais empressé de me rendre au désir qui m'aurait été exprimé.
Je ne veux pas ici récriminer, je ne veux pas accuser. Les évêques ont ici des défenseurs, et c'est un bien. Mais ils ne sont pas ici pour se défendre. Je dois donc mettre beaucoup de modération dans tout ce que je dis en ce qui concerne les négociations avec le clergé. Mais, je le dirai, ce désir d'un rapprochement, ce désir d'entrer en relations directes et officieuses avec le ministère, comment le manifeste-t-on ? Par des actes d'hostilité flagrante ; c'est en retirant des établissements communaux les ecclésiastiques qui, jusque-là, y avaient donné l'enseignement.
Voilà de quelle manière on témoignait de ce désir de conciliation, ce désir d'entente officieuse avec le gouvernement. A peine la loi avait-elle été votée que l'on retirait, sans en avertir le gouvernement, les ecclésiastiques des établissements où ils avaient donné l'enseignement religieux depuis un grand nombre d'années à la satisfaction commune.
Dans des telles circonstances, peut-on dire que le gouvernement a été blâmable de ne pas trop compter sur le désir des évêques d'entrer en relations avec lui ?
Vient maintenant l'objet même des négociations.
L'honorable M. Dedecker a très nettement formulé la difficulté : la part d'intervention à accorder au clergé dans la nomination du personnel et dans le choix des livres.
Il reconnaît lui-même, du moins je le présume, que toutes les difficultés soulevées par le clergé, sauf les écoles mixtes avaient été résolues d’une manière satisfaisante par le ministère. C’est aussi ce qu’ont reconnu messieurs les évêques.
C’est une preuve des bonnes dispositions apportées dans ces négociations par le gouvernement à qui l’on reprochait tout à l’heure d’y avoir mis de la raideur.
(page 1668) Restaient donc ces trois difficultés, savoir : part d'intervention dans la nomination du personnel, part d'intervention dans le choix des livres et écoles mixtes.
Quant aux écoles mixtes, c'est à cette occasion que nous avons dit aux évêques que nous recherchions les résultats pratiques de la loi et que nous nevoulions pas nous livrer à une controverse sans objet et sans issue.
En effet, messieurs, la controverse en ce qui concilie les écoles mixtes, est sans issue. Si vous cherchez une issue constitutionnelle à cet égard, vous n'en trouverez pas. La Constitution consacre les écoles mixtes et ne peut pas en reconnaître d'autres.
La controverse est sans objet. Et, en effet, j'ai constaté ce qui est d'ailleurs connu de tout le monde : c'est que le fait d'une école mixte ne se présente pas, c'est que ce fait ne se présentera pas dans une seule localité, d'avoir dans un même établissement assez d'enfants de religions différentes, pour ériger des professeurs différents.
A quoi bon dès lors soulever une question si difficile ? Nous avons dit aux évêques que si le cas se présentait d'une école mixte, renfermant assez d'enfants de religions différentes pour exiger un enseignement spécial, la difficulté se résoudrait à la convenance des parents et des professeurs eux-mêmes. Le moyen le plus simple était de passer sur cette difficulté et de ne pas soulever une controverse délicate, qui, en définitive, était absolument sans objet. Vouloir que le pouvoir déclare, en Belgique, que, dans aucun cas, il n'admettra des élèves d'une religion autre que la religion catholique, à recevoir l'enseignement religieux dans ses établissements, c'est exiger du gouvernement une déclaration complètement inconstitutionnelle. Nous dirons à notre tour : Non possumus. (Interruption.)
Faites la loi comme vous voudrez, vous n'échapperez pas à cette difficulté. La loi sur l'enseignement primaire que vous invoquez n'interdit pas l'enseignement de deux religions différentes ; elle dispense les élèves de suivre l'enseignement d'une religion qui ne serait pas la leur, et cela est parfaitement constitutionnel. Mais elle n'entend pas un autre enseignement.
Vient maintenant l'intervention demandée dans la nomination des professeurs et dans le choix des livres. Eh bien, messieurs, je donne à l'honorable M. Dedecker la loi à exécuter ; je lui demande si, avant à faire des nominations de professeurs, il consulterait, à la fois, et les bureaux administratifs, que la loi ordonne de consulter, et les ministres des cultes ? Quelle question serait posée aux ministres des cultes, en ce qui concerne les professeurs ? Voici un candidat qui se présente pour une chaire de physique, pour une chaire de mathématiques ; il est muni des meilleures recommandations ; c'est un homme connu par sa moralité autant que par sa science ; il appartient au culte protestant ; que pensez-vous de ce professeur ?
M. Dedecker. - Je l'admettrais.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous l'admettriez ?
M. Dedecker. - Certes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'inspecteur ecclésiastique l'admettrait-il ?
M. Dedecker. - Pourquoi pas ? N'y avait-il pas des professeurs de langue anglaise, par exemple, appartenant à la religion protestante, dans des établissements auxquels le clergé prêtait son concours ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous parlons d'un professeur de physiques ou de mathématiques.
M. Dedecker. - Peu importe.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous dites qu'il l'admettra.
M. Dedecker. - Oui.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettez-moi de supposer qu'il ne l'admette pas ; que devient la liberté des cultes ? Si, dans tous les cas, il est obligé de l'admettre, que devient l'indépendance, la liberté du clergé ?
Direz-vous que le clergé sera consulté à la condition de donner toujours un avis favorable ? Vous ne voulez pas, sans doute, vous jouer à ce point-là des prérogatives que vous réclamez pour lui. Eh bien, s'il ne donne pas un avis favorable, que fera l'administration ?
M. Dedecker. - Elle examinera, et elle suivra ou ne suivra pas l'avis qui aura été donné.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Alors quel genre de prérogative réclamez-vous ? Le gouvernement consultera le bureau administratif composé de l'élite de tous les pères de famille ; il consultera ensuite l'inspecteur ecclésiastique, qui donnera un avis défavorable.
M. Dedecker. - Il ne le fera pas.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais s'il le fait ?
M. Vilain XIIII. - Il fallait dire cela l'année dernière quand l'article 8 a été discuté.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On ne devait pas dire cela quand l'article 8 a été discuté : l'article 8 n'impose ni directement ni indirectement au gouvernement l'obligation de prendre l'avis de l'inspecteur ecclésiastique sur la nomination des professeurs. Nous disons au clergé : vous n'êtes pas en danger quand vous entrez dans nos établissements ; nos établissements ne sont pas composés de gens de mauvaise société avec lesquels on ne peut se mettre en contact sous peine de péché mortel.
Reconnaissons que nos établissements seront composés d'hommes respectables et ce sera par exception qu'un conflit pourra naître à l'occasion de tel ou tel professeur. Eh bien, je refuse cette censure préalable ou ce droit de remontrance préalable que vous demandez pour le clergé, mais j’accorde toute entière la remontrance que vous avez appelée répressive, et je déclare que le clergé sera parfaitement dans son droit en venant dire : Dans tel établissement il est des professeurs dont la conduite me porte ombrage, dont la conduite est d'un mauvais exemple pour les élèves ; je ne puis pas continuer à donner mon concours à cet établissement. Le clergé peut faire une pareille déclaration. Ses observations seront soumises au bureau administratif, conposé des principaux intéressés à la moralité de l'établissement, de ceux qui envoient leurs enfants à l'établissement. Si les observations sont justes, pourquoi voulez-vous qu'on n'y donne pas suite ? Mais s'il succombe devant le bureau administratif, composé, je suppose, de pères de famille peu attentifs à l'éducation que reçoivent leurs enfants, eh bien, il s'adressera au conseil de perfectionnement ; si là encore il succombe, il s'adressera au gouvernement, et du gouvernement, au besoin, ses réclamations viendront devant les chambres. Enfin le clergé a toute espèce de garantie dans le droit de se retirer à la suite de remontrances qu'il aurait adressées sans obtenir de résultat.
Même observation pour les livres. Il n'est pas possible de soumettre les livres destinés à l'éducation laïque, de les soumettre à l'approbation préalable du clergé. Cela n'existe pas, même dans la loi sur l'instruction primaire. (Interruption.) La disposition de la loi sur l'enseignement piimaire qui concerne l'approbation des livres par le clergé, cette disposition n'est pas exécutée ; elle n'est pas exécutable.
Le clergé est maître absolu de son enseignement, il a pleine et entière autorité sur les livres de religion ; mais il ne peut pas, par une censure préalable, dicter les livres dont l'autorité civile fera usage dans ses établissements. Ici encore, si les livres d'enseignement scientifique contrariaient la religion, le clergé aurait le droit de remontrance dont j'ai parlé tout à l'heure.
Messieurs, l'on s'est plaint que le gouvernement n'ait pas introduit des ministres des cultes au sein des bureaux administratifs, au sein du conseil de perfectionnement. La loi a bien fait de ne pas les y introduire d'autorité, on n'avait pas ce droit, mais on pouvait les y appeler administrativement, et on a voulu le faire.
M. Malou. - On s'est arrangé de manière à ce qu'ils ne pussent pas accepter.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On s'était si peu arrangé de cette manière, que dans plusieurs communes le premier acte qui ait été posé a été de désigner un ecclésiastique, pour faire partie du bureau administratif, et le gouvernement s'est empressé de faire la nomination ; mais qu'est-il arrivé ? Vous qui nous reprochez de la roideur de la méfiance pour le clergé, qu'est-il arrivé ? C'est qu'il a été interdit aux ecclésiastiques de faire partie des bureaux administratifs.
Ce que l'on réclame aujourd'hui comme une grande garantie, comme une garantie essentielle, ce que l'on nous reproche d'avoir refusé par mauvais vouloir, a été offert, a été accordé, mais n'a pas été accepté. Fréquemment encore il m'arrive de la part des administrations communales des propositions de candidats pour la composition des bureaux administratifs des écoles moyennes ; il y figure souvent des membres du clergé ; je suis obligé, avant d'engager la signature du Roi dans une nomination qui pourrait être vaine, de demander si l'ecclésiastique aura l'agréation nécessaire pour faire partie du bureau administratif et jusqu'ici j'ai des motifs de croire que cette autorisation a été généralement refusée. Expliquez cela.
M. Malou. - Je l'expliquerai.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Après ces explications, messieurs, après celles qui ont été données par la section centrale, je persiste à espérer de l'impartialité de la chambre, je ne fais appel à aucun autre sentiment, je persiste à espérer de l'impartialité de la chambre un vote approbatif de la conduite du ministère dans ses négociations avec le clergé.
M. Malou. - Je ne m'arrêterai pas longtemps, messieurs, sur l'incident soulevé tout à l'heure par l'honorable M. Rogier : depuis deux mois, lorsque d'un banc de cette chambre, n'importe lequel, un reproche est adresse à M. le ministre de l'intérieur, il a toujours une réponse prête : « Convention cotonnière de 1847. » C'est absolument comme si l'on frappait sur une cymbale.
Je ne dirai qu'un mot des élections d'Anvers.
L'honorable ministre de l'intérieur m'a présenté comme un vaincu. Eh bien, messieurs, je compie cette défaite, si c'en est une, comme une circonstance de ma vie politique dont je m'honore le plus puisque, spontanément, sans avoir fait aucune démarche, sans être ministre, sans l'emploi des influences gouvernementales, moi député, je n'hésite pas à le dire, et je le regrette, souvent très désagréable au ministère, j'ai obtenu dans notre métropole commerciale, où je n'avais exercé que pendant une année les fonctions de gouverneur, près de deux mille suffrages. C'est un fait dont je m'honore, et si l'on veut l'appeler une défaite, je ne m'en félicite pas moins, parce qu'elle est aussi belle qu'une victoire.
Je sais gré à M. le ministre de l'intérieur et je le remercie de sa franchise, en ce qui concerne les représentants qui sont agréables et ceux qui ne le sont pas. Cette déclaration d'hostilité contre les députés désagréables ne me fera pas changer de ligne de conduite. Voilà pour l'incident.
(page 1669) Messieurs, jamais je ne prendrai spontanémrnt l'initiative d'un débat comme celui-ci. C'est une conviction ancienne chez moi que les intérêts les plus essentiels du pays nous obligent à faire, autant que possible, abstraction des questions qui ont divisé les anciens partis. C'est donc à regret, malgré moi en quelque sorte, que je prends part à cette discussion.
Mais on ne nous a pas même laissé la dignité de notre silence. Depuis le début de cette session, on change les anciennes traditions du gouvernement parlementaire. Dans les autres gouvernements parlementaires, on laisse à l'opposition le soin de proposer un vote de non-confiance ou de blâme ; ici, au contraire, depuis le début de la session, la majorité croit, et le ministère croit avec la majorité qu'il lui faut de temps en temps une sorte de confortatif, quelque chose comme un vote de confiance, qui se traduit, tantôt sous la forme d'une palinodie bien pénible, et tantôt, dans quelques jours peut-être, par le vote d'un certain nombre de millions qui viendront aider à ranimer une popularité défaillante. Telle est la voie nouvelle dans laquelle nous entrons.
Il y a plus : à la majorité qu'on appelait naguère encore d'un nom qui restera, du nom de parti du libre examen, on fait cette position-ci ; on lui dit : Vous voterez ces chiffres, en attachant à ce vote l'approbation de la conduite du gouvernement. Ainsi il ne m'est pas libre de dire que je viens voter les chiffres, afin de maintenir les établissements crées en vertu de la loi du 1er juin, sans dire en même temps que j'approuve complètement la conduite du gouvernement.
Si l'on nous avait laissé la liberté d'un silence digne, j'aurais voté les chiffres, et j'aurais attendu que, par des négociations nouvelles, mieux conduites, le ministère eût amené un accord que toutes les opinions désirent sincèrement.
Dans la note insérée au rapport de la section centrale, j'ai dit que la négociation avait été commencée tardivement et qu'elle avait été malhabile. M. le ministre de l'intérieur, pour répondre à ce reproche, prend une position singulière ; il articule un certain nombre de faits, et il oppose les mêmes faits en réponse à l'observation que j'ai faite, et à l'allégation de ceux qui prétendent qu'on aurait dû s'occuper de l'exécution de la loi, sans perdre un seul jour, une seule heure. Eh bien, les mêmes faits ne peuvent pas servir de réponse à deux reproches contradictoires.
Voyons à quel reproche ils peuvent servir de réponse ; ce n'est pas à celui que j'ai articulé.
En effet, dès le 7 juin, quelques jours après la publication de la loi, M. le ministre de l'intérieur a adressé aux gouverneurs une circulaire dans laquelle il dit ; « Il est à désirer que ces divers établissements (les athénées et les écoles moyennes) puissent être organisés avant l'ouverture de la prochaine année scolaire. »
Ainsi la loi à peine publiée, M. le ministre énonçait déjà le vœu de voir cett loi mise à exécution pour l'année scolaire qui commençait au mois d'octobre 1850 : « Si cependant, ajoutait M. le minisire, il est reconnu impossible d'obtenir ce résultat d'une manière complète, il faudra avant tout et principalement s'occuper de l'organisation des athénées. » Voila donc quelle était la première pensée, la première préoccupation du gouvernement, immédiatement après la publication de la loi.
Qnelques jours plus tard, on appela les communes à délibérer sur l'article 6 de la loi ; il était bien voisin de l'article 8 ; je regrelte qu'on n'ait pas provoqué les délibérations de qui de droit sur ces articles.
On forme un conseil préparatoire de perfectionnement de l'enseignement moyen, et ce conseil préparatoire, d'après l'aveu de M. le ministre de l'intérieur, subsiste encore aujourd'hui.
On fixe le siège des athénées royaux.
On invite les communes, et ceci est la mesure d'exécution la plus importante, on invite les communes à constituer les bureaux administratifs des athénées (circulaire du 9 septembre) et tout cela avant d'avoir songé à l'exécution de l'article 8 de la loi.
Il y a plus : les présentations doivent avoir été toutes faites au gouvernement - et elles étaient limitatives - avant l'invitation adressée par le gouvernement au clergé, puisque les nominations de deux bureaux administratifs sont antérieures à cette invitation, et que les autres les ont suivies de peu de jours : la plupart ont eu lieu dans le courant du mois de novembre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Citez.
M. Malou. - Cela allongerait le débat, je mettrai les dates au Moniteur. Nomination des bureaux administratifs. - 10 octobre, Mons et Gand. - 4 novembre, Bruxelles et Arlon. - 12 novembre, Namur. - 13 novembre, Hasselt, Tournay, Braine le-Comte. - 22 novembre, Bruges.
Je disais tout à l'heure, interrompant M. le ministre de l'intérieur, que l'on s'était arrangé de manière à ce que les délégués du clergé ne pussent pas accepter de place dans les bureaux administratifs ; M. le ministre demande qu'on explique pourquoi aujourd'hui encore les refus se succèdent les uns aux autres.
La raison en est dans le fait même que vous avez posé. Comprend-on qu'un membre du clergé - et pour quiconque connaît la hiérarchie catholique, la question n'a pas besoin d'être posée - comprend-on qu'un membre du clergé puisse, sans l'autorisation de l'Eglise, s'associer à l'exécution d'une loi, alors qu'il n'est pas intervenu d'arrangement entre l'autorité ecclésiastique et le gouvernement ?
C'est une offre parfaitement dérisoire pour un catholique, et surtout pour un prêtre catholique. (Interruption de M. le ministre de l'intérieur.) Je vous cite des dates qui prouvent que les présentations avaient été faites avant que le gouvernement eût ouvert les négociations avec le haut clergé.
Du reste, M. le ministre de l'intérieur a rendu ici ma tâche très facile, puisqu'il a dit que l'intention première du gouvernement était de n'adresser d'invitation au clergé que lorsque les établissements seraient organisés.
Mais pourquoi veut-on absolument prétendre avec la majorité de la section centrale et avec le ministère qu'on a fait l'invitation avant que la loi fût exécutée ; s'en faire un mérite, et venir d'autre part soutenir qu'on n'a pas perdu de temps pour exécuter la loi. Il paraît que la même réponse sert encore une fois pour deux assertions contradictoires.
Quant à la forme de la négociation, je prends un exemple ; le gouvenement a dans ce moment à régler avec des pays voisins des relations commerciales ; il s'agit de questions de douane, de chiffres, d'intérêt matériel ; les chiffres se divisent, on transige, on établit des compensations pour des questions d'intérêt matériel.
Mais ici il s'agit des questions les plus délicates, de questions qui touchent à la conscience, des rapports de l'homme avec Dieu ; et vous prenez une voie que vous n'avez jamais adoptée, que vous n'oseriez pas adopter dans le règlement du moindre intérêt matériel.
Essayez donc de faire un traité de commerce, en vous écrivant les uns aux autres des lettres qui soient publiées et dont chaque phrase puisse être invoquée contre vous ! Et ne fût-il question que d'un intérêt matériel de 10,000 fr., en procédant ainsi, vous auriez un échec ? Et vous avez pensé qu'en négociant de cette manière avec le clergé, vous arriveriez au concours ! Non ; la négociation, dans sa forme, a été inhabile ; ou bien, il faut lui donner un autre nom, et je m'abstiens de le lui donner.
M. Pierre. - Dites le mot !
M. Malou. - Il vous sera facile de compléter la phrase !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dites le mot ; ne faites pas de réticence.
M. Malou. - Soit ! très volontiers : vous avez été malhabiles ou coupables dans la négociation. Choisissez.
En insistant sur cette faute capitale commise par le cabinet, j'y suis déterminé par le désir sincère que j'éprouve de voir s'opérer la conciliation sur ces graves intérêts.
Je n'ai pas la pensée que les ministres eussent dû consentir secrètement à des choses qu'ils n'eussent pas voulu avouer publiquement, mais je pense qu'on se fût entendu dans des conférences verbales pour poser les principes qui eussent fait la base d'une convention publique. C'est ainsi qu'on s'en est exprimé dans les pièces de la négociation.
Le précédent qu'a cité M. le ministre de l'intérieur prouve contre lui ; car dans les conférences verbales relatives à l'école vétérinaire, on s'était entendu ; le désaccord est provenu de ce qu'on a voulu rattacher cette question à la question générale relative aux athénées et aux écoles moyennes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qui ?
M. Malou. - Ceux avec qui on négociait.
Eh bien, ce n'est pas là une preuve que vous n'auriez pas pu réussir dans des négociations verbales, puisque vous aviez réussi et que la cause de la rupture n'est pas provenue des questions qui avaient fait l'objet du débat.
La forme de la négociation, la manière dont elle a été conduite, je dois y insister parce qu'elles ont réagi et qu'elles ont été, selon moi, la cause déterminante du résultat fâcheux auquel on est arrivé.
Je ne veux pas rappeler les opinions émises par des membres de la majorité et par des membres du cabinet eux-mêmes : déjà des orateurs ont cité des opinions formelles ; il était acquis au débat que le gouvernement donnerait au clergé des garanties administratives pour assurer de sa part un concours honorable et efficace dans l'enseignement moyen.
Il est facile de réduire à quelques termes très simples la correspondance échangée. En présence de certaines difficultés, le gouvernement lève quelques doutes provoqués par les discours des ministres plutôt que par le texte de la loi, mais quant à la difficulté sur laquelle la lutte a été réellement engagée en ce qui concerne le système de l'enseignement public, pas un mot, pas une solution. C'est alors que les ministres, pressés de s'expliquer, disent (page 71 du rapport) : Il faut bien vous associer avec confiance au gouvernement ; c'est là qu'est votre garantie.
Quelle offre le gouvernement a-t il faite au clergé pour lui donner cette position honorable et efficace qu'on reconnaissait lui être nécessaire ? On a dit : Vous pouvez nommer un professeur de religion, on lui donnera toute facilité pour donner son cours, on donnera toute facilité aux élèves pour le suivre ; il y aura au traitement suffisant.
Qu'est-ce que cela ? Ce n'est rien donner du tout. Le gouvernement ne peut pas se faire un mérite, quand il a nommé un professeur, de donner toute facilité aux élèves pour suivre ses cours. C'est comme cette autre garantie : le clergé a toujours le droit de s'en aller. Nous l'appelons, mais il peut se retirer.
Est-ce là une garantie ? Vous ne pouvez pas la présenter comme sérieuse. Vous vous faites un mérite de lui donner ce qu'il a. On lui donne le droit d'inspecter le cours de religion ; c'est-à-dire de s'inspecter lui-même. Voilà tout ce que le gouvernement avait offert au clergé dans le cours de cette négociation. S'il se trouve quelque chose d'autre dans la correspondance, on comblera la lacune ; moi je n'y ai rien trouvé de plus.
(page 1070) Le clergé, a-t-on dît, a le droit de faire des observations. Mais tout le monde, dit M. le ministre des finances lui-même, a le droit de faire des observations. De cela il résulte qu'on ne lui a rien donné du tout.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Que veut-il ?
M. Malou. - Je ne le sais pas, et je vous dirai tantôt pourquoi je ne serai en aucun cas chargé de le déclarer.
La majorité de la section centrale va beaucoup plus loin encore ; elle prophétise après coup qu'il est impossible d'arriver à une solution, en voulant une convention générale, et elle défend ce système que les ministres des cultes auraient dû se présenter dans les établissements où on pratique, on aurait résolu toules les difficultés. Non seulement on n'aurait pas donné les garanties illusoires dont il a été question dans la discussion, mais le concours aurait dû être donné sans condition. Mais s'il en était ainsi le gouvernement serait encore en faute. Qu'y avait-il de plus simple que d'avertir le clergé qu'on ne pouvait pas négocier, si le gouvernement partageait l'opinion de la majorité de la section centrale ? Le ministre agit tout autrement ; il déclare que, lorsqu'on sera tombé d'accord, on ne fera pas difficulté de convertir la négociation en convention générale qui sera rendue publiqne.
Si vous vouliez que la négociation aboutît, si vous êtes de l'avis de la section centrale, il fallait agir autrement qui vous ne l'avez fait. La négociation en ce cas n'aurait pas dévié, elle eût réussi peut-être au lieu d'échouer. Le système que la majorité de la section centrale indique n'existe nulle part. Dans certains pays, on a des garanties légales ; en Belgique il a été question d'accorder des garanties administratives, Mais depuis qu'on a négocié, on s'est aperçu qu'il ne fallait pas accorder de garanties du tout. Je ne puis pas croire que l'on ait simplement inséré aux annales quelques phrases. On a su sans doute ce qu'on voulait, on a adopté l'article 8 en connaissance de cause ; on ne l'aurait pas accepté si le gouvernement avait pensé qu'il n'y avait pas autre chose à faire que ce que dit la section centrale, parce que en ce cas il était de la franchise de la majorité de ne pas écrire l'article 8 dans la loi.
Le concours du clergé pouvait-il être obtenu ? Tout à l'heure répondant à une interruption, je disais que je ne savais pas ce que le clergé demandait ; et, en effet, ce ne serait pas à moi à le dire, si je le savais. C'est aux mintstres à le demander.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) et M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est précisément ce que nous avons fait.
M. Malou. - Mais, loin de le lui demander, vous ne lui avez absolument rien offert, vous ne lui avez indiqué aucune condition sur laquelle on pût se prononcer. Ainsi, et je prie M. le ministre de l'intérieur de ne m'attribuer, d'après ma déclaration, aucune espèce de prétention quelconque, on pouvait offrir au clergé dans le conseil de perfectionnement une position par délégués ; on pouvait lui dire : vous serez entendu dans telle ou telle forme par le conseil de perfectionnement, par les bureaux administratifs.
Je n'ai pas à dire, je l'ignore, si une telle garantie paraîtrait suffisante aux ministres du culte, mais je constate qu'on ne le leur a point offert.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La loi la leur donne ; c'est bien plus.
M. Malou. - Indiquez-moi, je vous prie, dans la loi, une seule disposition qui dise qu'un ou deux délégués des ministres des cultes feront partie...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ah ! « feront partie », c'est évident.
M. Malou. - La loi ne dit pas qui vous nommerez membres du conseil de perfectionnement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne pouvait pas le faire.
M. Malou. - Je constate qu'on eût dû offrir comme garantie ou bien le droit de présenter des observations préalables, ou bien le droit d'être représentés par délégués. Mais la négociation est négative d'un bout à l'autre de la part du gouvernement. Il n'y a aucune offre qui ait été faite au clergé, sur laquelle il ait été mis en demeure de se prononcer. Et cependant, était-il possible qu'il prît l'initiative, en présence de la forme qu'on donnait à la négociation ? Non, messieurs, il ne le pouvait pas. C'était au gouvernement à dire ce que la loi lui permettait de faire ; ce n'était pas au clergé à formuler ce que vous n'auriez pas manqué de déclarer des prétentions attentatoires à l'indépendance du pouvoir civil.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cela dépend.
M. Malou. - Non, messieurs ; et je vais vous prouver par vos propres déclarations que tel eût été inévitablement le résultat. Et, en effet, que nous dit-on quand mon honorable ami, M. de Theux, suggère cette idée que peut-être un avis préalable sur le choix du personnel ou des livres aurait pu paraître une garantie suffisante ?
On nous dit que ce serait porter atteinte à l'indépendance du pouvoir civil, qu'on pose des conditions avilissantes, la censure préalable.
Eh ! messieurs, cette question si longuement agitée, cette question qui a fait l'objet de tant de débats et dans cette chambre et au-dehors, sur quoi portait-elle, en définitive ? Quelle est, si l'on ne veut pas jouer sur les mots, quelle est la seule garantie sérieuse de cette indépendance ? C'est le droit de décider en dernier ressort. Mais l'indépendance du pouvoir civil ne consiste pas, ne peut pas consister à se prononcer sur toutes les questions sans avoir pris l'avis de personne. Est-ce que, par hasard, l'indépendance de M. le ministre de la justice souffre tous les jours, subit-elle des conditions avilissantes, parce que, pour le choix des magistrats, il prend l'avis d'autres fonctionnaires ?
Est-ce que M. le ministre de l'intérieur, qui nomme les bourgmestres, et ne les connaît probablement pas tous, subit des conditions avilissantes, parce qu'il prend des avis auxquels il est toujours parfaitement libre de ne passe conformer.
Pour moi, en réduisant cette idée à ce qu'elle est réellement, je dis que la garantie du pouvoir civil est tout entière dans le droit souverain du gouvernement de prononcer, nonobstant l'avis contraire du clergé. Et pour le dire en passant, quand la question a été ainsi résolue pour l'enseignement primaire, la presque unanimité de cette chambre, sans distinction d'opinion, a été acquise à la loi de 1842. Je fais, à cet égard, un appel aux souvenirs de tous ceux qui faisaient partie de la législature à cette époque.
L'avis préalable ne vous lie pas ; il est une garantie que vous vous donnez à vous-mêmes ; il est mille fois préférable, dans l'intérêt de ceux qui en sont l'objet et dans l'intérêt des établissements, à ce que j'appellerai, moi, la censure posthume. Comment ! vous auriez été induits en erreur ; vous pouvez l'être, il suffit d'avoir passé peu de temps au pouvoir, pour savoir combien un ministre peut être facilement induit en erreur dans les nominations qu'il fait ; vous aurez conféré une position ; les droits seront acquis et vous n'aurez plus d'autre parti à prendre que la destitution ! Vous aimeriez mieux vous exposer à cette éventualité que d'attendre avant de nommer une personne, un avis qui, d'ailleurs n'aura jamais pour vous que la valeur que vous voudrez bien lui donner ! Si c'est là de la politique, si c'est là de l'esprit de conciliation, j'avoue, messieurs, que je ne comprends plus la valeur des termes.
Permettez-moi une comparaison : vous ressemblez un peu à celui qui saurait qu'il y a du poison dans un liquide, par exemple, et qui ne voudrait pas qu'on le dît avant que deux autres personnes n'en eussent subi les atteintes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Par qui est administré le poison ?
M. Malou. - Mon Dieu, je n'attaque les intentions de personne ; je me borne à dire que l'erreur est possible, même dans le système de la loi ; cl s'il était permis de citer des faits, je dirais que des erreurs ont été commises. Mais je sais que publiquement de pareils faits ne peuvent pas être rappelés.
Le droit que vous accordez de faire des observations après coup, dans votre système, ce droit n'existe pas d'une manière honorable. Je vais le démontrer. Vous ne reconnaissez au professeur de religion que le droit d'inspecter l'enseignement religieux. Comment voulez-vous qu'il en use si vous ne lui reconnaissez pas la liberté de le constater ? Faudra-t-il qu'il interroge les élèves sur les doctrines enseignées par les maîtres ? Faudra-t-il qu'il aille demander à chacun des élèves si, par hasard, telle ou telle doctrine est contraire à l'homogénéité de l'enseignement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est donc le droit d'inspecter tout l'enseignement ?
M. Malou. - C'est le droit défini par M. Dumon-Dumortier au sénat ; je me réfère à la citation que mon honorable ami M. Osy a faite tout à l'heure. Du reste, je le répète, je n'élève aucune prétention ; je n'ai pas caractère pour en élever. Je regrette seulement que vous n'ayez pas trouvé une base de négociation, et, pour expliquer cette opinion, je dois bien indiquer quels sont les côtés faibles de la position que vous avez prise.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas nous qui en souffrons le plus.
M. Malou. - Vous donnez donc en réalité aux délégués ecclésiastiques le pouvoir de faire des observations sur des choses que, d'après votre système, ils n'ont pas le droit de connaître honorablement ; eh bien ! c'est une position qu'ils ne peuvent pas accepter.
Messieurs, les questions de l'homogénéité du personnel et des collèges mixtes, à mes yeux, se confondent, elles sont identiquement les mêmes. Permettez-moi donc d'ajouter un mot, malgré l'heure avancée de la séance, sur la doctrine que je crois être la seule véritablement constitutionnelle.
Et d'abord, messieurs, en Belgique la presque totalité de la population est catholique ou du moins baptisée catholique. Je crois qu'il n'y a pas 50,000 personnes pratiquants un autre culte en Belgique.
M. de Mérode. - Douze mille.
M. Malou. - Douze mille, c'est encore mieux ; quel est donc le fait qui semble devoir servir de point de départ à la politique du gouvernement ? N'est-ce pas évidemment de faire au nom de l'Etat des établissements qui soient accessibles à ceux qui professent le culte catholique en Belgique ?
Ne faut-il pas que l'Etat organise l'enseignement public de telle façon qu'il soit accessible aux catholiques. S'il ne fait pas ainsi, mais l'Etat deviendrait une espèce d'abstraction et nous renouvellerons au XIXème siècle le mot de Louis XIV, disant : « L'Etat c'est moi » ; MM., les ministres disent successivement : L'Etat c'est moi, c'est-à-dire qu'au nom de l'Etat, au moyen du budget, on pourrait selon les opinions des ministères, faire douter tel ou tel enseignement, un enseignement philosophique, un enseignement ecclésiastique, un enseignement tantôt dans un sens, tantôt dans un autre.
(page 1671) Ce n'est pas là ce que la Constilution a voulu quand elle a dit que l'enseignement donné aux frais de l'Etat serait organisé par une loi. Elle a voulu que cet enseignement fût organisé de manière à convenir à la presque totalité de la population belge, et qu'on le maintînt sans le concours des ministres du culte catholique seulement dans le cas où ce concours serait ou refusé ou subordonné à des conditions inacceptables.
L'article 6 de la loi relative à l’enseignement primaire est une application du principe constitutionnel.
Ne pouvant pas donner un enseignement qui convient à plusieurs cultes à la fois, on a posé ce principe qui dérivait de l'idée large de la tolérance civile que l'enseignement religieux serait celui qu'exige le culte de la majorité des élèves. Et l'on a fait droit à l'intérêt des dissidents en disant que les élèves seraient dispensés. Ce qui suppose, et en fait et en raison, que les élèves qui ne pratiqueraient pas le culte de la majorité, recevraient d'une autre manière l'enseignement approprié à leurs croyances.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Seraient dispensés, mais non pas privés.
M. Malou. - Vous dites seraient dispensés, mais non privés ; mais ici quel est votre principe mis en regard du principe posé par l'autre partie engagée dans la négociation ?
Votre principe c'est qu'au point de vue de la Constitution vous ne pouvez pas demander aux élèves qui se présentent dans un collège quel est le culte qu'ils professent ; c'est que des élèves appartenant à des cultes différents viennent dans un même établissement, votre enseignement doit être tel qu'il conviendra à tous, et ne blesse personne.
C'est bien là, je pense, votre principe.
Vous croyez toujours que vous avez tout fait et tout dit quand vous avez nommé un professeur de religion. C'est là une erreur fondamentale. L'homme n'est pas formé quand il aborde l'enseignement moyen. Ce que veulent les catholiques, ce que veulent tous ceux qui professent une religion positive quelconque, c'est non seulement qu'il y ait un cours de religion et de dogme, mais c'est aussi qu'il y ait homogéneité dans l'enseignement pour former l'homme.
C'est là, je le répète, ce que veulent tous ceux qui professent une religion positive. Et quant à ceux qui ne professent pas de religion positive, ils sont parfaitement en droit de n'en professer aucune ; mais il leur sera facile, quel que soit la religion qu'avaient reçue leurs enfants de de faire en peu de temps cette éducation ; ils ne doivent pas être gênés.
Mais il ne faut pas nous préoccuper de ceux qui n'ont pas de religion positive ; il faut songer au plus grand nombre, ceux qui en ont une, et il faut leur assurer la liberté de conscience.
Eh bien, l'assurez-vous lorsque sans établir l'homogénéité dans l'enseignement vous admettez le principe qu'on peut donner un enseignement commun à toutes les croyances positives, lorsque vous admettez peut-être avec un honorable député de Namur que l'on pourrait, dans un établissement, nommer deux professeurs catholiques, un protestant, un israélile, un mahométan, etc. ?
Non, sans doute ; je dis, au contraire, que votre principe est destructif de toutes les croyances quelles qu'elles soient. Pour soutenir un pareil système, vous devez revenir à cette vieillerie de l'athéisme légal qui consistait à dire que l'Etat n'a aucune religion. (Interruption.)
M. le président. - M. de Mérode, vous empêchez M. Malou de parler.
M. Malou. - La Constitution de 1830 est conçue dans un tout autre ordre d'idées. La Constitution, en acceptant la plus large formule de tolérance, a cependant reconnu que toutes les religions positives sont des faits qui occupent une place, non seulement dans le cœur de l'homme, mais aussi dans la vie des sociétés.
En effet, si l'athéisme légal était un principe constitutionnel, il faudrait effacer de la Constitution plusieurs dispositions importantes. Le véritable principe constitutionnel, c'est le respect de la liberté de conscience, c’est-à-dire que le gouvernement doit organiser les établissements créés aux frais de l'Etat de telle manière que l'on puisse y entrer sans abdiquer son culte. Après avoir défini le principe que vous posez, principe qui est contraire à la liberté de conscience, il me reste à indiquer celui qu résulte de la Constitution. Et d'abord, messieurs, je crois ne pas faire tort à M. le ministre de l'intérieur en disant qu'il n'est pas une autorité spirituelle. (Interruption.)
Je demande pardon de l'équivoque ; elle n'est pas dans ma pensée ; je veux dire que l'autorité spirituelle seule peut déclarer, peut reconnaître quelles sont les exigences de chaque religion positive, le grand rabbin pour le culte israélite, le consistoire pour l'église protestante et ainsi de suite, d'où résulte que le clergé catholique est seul compétent pour déclarer quel est le principe catholique en matière d'enseignement, et je ne pense pas que, constitutionnellement, vous puissiez vous substituer à lui.
La séparation de l'Eglise et de l'Etat a été admise non pour qu'il y eût deux pouvoirs jaloux l'un de l'autre, deux pouvoirs qui se tinssent, en quelque sorte, à distance, hostiles l'un envers l'autre, mais elle a été admise au profit de la liberté et au profit de la société, c'est-à-dire afin que ces deux pouvoirs pussent concourir ensemble au but même de la société, le bien-être moral et matériel de tous.
S'il en est ainsi, si vous reconnaissez avec nous que le concours du clergé était désirable, pouvons-nous, nous qui avons cette conviction, pouvons-nous dire que vous avez conduit cette négociation de manière à amener l'accord lorsque tous les faits de cette négociation, tous les actes démontrent que vous n'avez rien fait pour que l'accord pût se réaliser.
Je devais faire ces observations, messieurs, parce que, comme je l'ai dit en commençant, le silence ne nous était pas possible.
Je regretterais qu'il me fût échappé quelques paroles qui rendissent d'autres négociations difficiles, qui pussent en compromettre le succès. Je suis parfaitement convaincu que le concours des ministres des divers cultes dans l'enseignement de la jeunesse est un des intérêts les plus vitaux pour le pays.
Voyez, messieurs, ce qui se passe à nos portes : tous les hommes sérieux, tous les hommes qui ont étudié les causes du malaise d'une grande nation sont aujourd'hui d'accord pour dire que c'est surtout dans les vices de l'éducation de la jeunesse qu'il faut les rechercher. Si, par la fatalité des circonstances, si, par la faute du gouvernement, une grande partie de la jeunesse belge devait demeurer privée jusqu'à un certain point de l'instruction et de l'éducation religieuse, ne perdons jamais de vue, messieurs, qu'un des traits principaux, un des traits essentiels de notre caractère national serait effacé.
Un jour viendrait peut-être, et bientôt, où ce peuple serait mûr pour la conquête, où l'étranger n'aurait pas la peine de renverser les monuments qui symbolisent nos libertés et notre indépendance, parce qu'ils seraient déjà tombés.
M. Le Hon (pour une motion d’ordre). - Messieurs, cinq lettres ont été déposées sur le bureau par M. le ministre de l'intérieur ; ces pièces sont le complément des documents de la discussion ; je demanderai à la chambre de bien vouloir en ordonner l'impression et la distribution.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, quelques-unes des pièces déposées sur le bureau sont déjà insérées au Moniteur, dans le compte rendu de la séance d'hier ; une seule lettre manque, c'est la réponse de l'archevêque à ma première lettre relative à la retraite de l'abbé Bulo. Ne l'ayant pas sous la main, je n'ai pas pu la faire insérer hier au Moniteur ; mais elle se trouve parmi les pièces déposées sur le bureau et fera partie de la publication qui vient d'être ordonnée. Je la ferai de plus insérer au Moniteur.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.