(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Delehaye, vice-président.)
(page 1363) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à midi et un quart.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants d'Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un droit sur les engrais nécessaires à la culture et au défrichement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Louis-Joseph Dillies, boutiquier à Mouscron, réclame l'intervention de la chambre pour faire rayer son fils Louis de la liste formée pour le tirage au sort des miliciens de 1851. »
- Même renvoi.
« Plusieurs négociants, industriels et armateurs de Bruges présentent des observations contre la demande qui a pour objet la révision de la loi sur les droits différentiels. »
M. Sinave. - Pour expliquer à la chambre la proposition que je vais faire, permettez-moi d'analyser en peu de mots le contenu de plusieurs pétitions successivement adressées à la chambre, concernant les droits différentiels. Les unes demandent qu'on abroge la loi du 21 juillet 1844, les autres demandent la suppression partielle des principales dispositions ; les pétitionnaires de Bruges et d'Ostende réclament vivement le maintien du système établi par la loi précitée.
A l'occasion d'une de ces requêtes par les négociants commissionnaires d'Anvers, j'ai fait observer à la chambre qu'il pouvait être utile de fixer l'attention toute particulière de la commission sur l'extrême importance de la question soumise à sa délibération, qu'il ne s'agissait de rien moins que de conserver le système du commerce maritime ou de le détruire.
Les pétitionnaires de Bruges et d'Ostende ont la conviction que la protection est encore nécessaire au commerce maritime et à la pêche nationale pour ne pas leur enlever les moyens de lutter avec la concurrence étrangère. Ils déclarent cependant que si la chambre entend proclamer le libre-échange, il faut que ce système soit complet, ce qui semble être dans l'opinion de la majorité le meilleur système. Ils déclarent qu'on ne doit pas l'appliquer, comme on veut le faire, à la navigation et à la pêche nationale seules, mais aussi à tous les produits industriels indistinctement, sans aucune exception. En ce cas, il faut alors supprimer complètement les douanes ; ils disent néanmoins que le libre-échange aura des résultats désastreux, qu'il entraînera la ruine complète de toutes les industries ; ils ajoutent enfin que, si ce système doit prévaloir et être appliqué à la Belgique, ils se soumettront sans faire la moindre réclamation. Ce qu'ils demandent, c'est l'égalité pour tous.
En effet, il n'est plus possible de continuer un système de vacillation si nuisible aux intérêts matériels du pays, on ne peut pas non plus continuer le système bâtard actuellement en pratique ; ce dont le pays a besoin, c'est un système fixe et durable pour sauvegarder les capitaux engagés. Il faut que ceux qui se livrent au commerce maritime et à la pêche nationale sachent positivement s'ils doivent ou non renoncer à leur industrie, et si le gouvernement entend sacrifier plus longtemps le littoral aux autres localités du pays.
Je propose à la chambre de charger la commission de ne pas se borner à de simples rapports sur chaque pétition, mais de les réunir toutes, de les examiner et de les approfondir dans leur ensemble avec toute la solicilude qu'exige la gravité de la question soumise à son appréciation.
- Cette proposition est adoptée.
Il est fait hommage à la chambre, par M. A. Fabius, d'une brochure intitulée : « Le Repos du monde. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Thiéfry, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour but le transfert d'un crédit au budget de la guerre de 1850, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
« «Art. 5. La déclaration des biens d'un absent sera faite dans les délais fixés par l'article 9 de la loi du 27 décembre 1817, à compter du jugement d'envoi en possession ou du premier acte constatant la prise de possession :
« Pour le droit de succession, au bureau du dernier domicile de l'absent, dans le royaume ;
« Pour le droit de mutation, au bureau de la situation des biens.
« Les droits perçus seront restitués, si la demande en est faite dans les deux années à compter du jour où l'existence de l'absent aura été légalement prouvée. »
- Adopté.
« Art. 6. Le droit de succession entre frères et sœurs est porté à cinq pour cent sur la part héréditaire.
« Le droit dû par un adopté ou ses descendants est fixé :
« 1° A six pour cent, s'il s'agit de la succession d'un habitant du royaume ;
« 2° A cinq pour cent, en cas de mutation par décès. »
(page 1374) M. de Mérode. - Depuis la reprise des séances de la chambre, j'ai eu, grâce à l'obligeance de l'auteur qui a bien voulu m'envoyer son mémoire sur le paupérisme dans les Flandres, l'occasion facile de lire cet instructif travail qui mérite la reconnaissance publique parce qu'il renferme des faits dignes de la plus sérieuse méditation.
Mais ce n'est pas sans tristesse, messieurs, qu'on se livre à l'étude des recherches non moins intéressantes que laborieuses de M. Ducpétiaux, dont l'œuvre fut couronnée il y a environ un an, par l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique.
Là se trouve démontrée par des calculs exacts et des investigations consciencieuses, la pénible position d'une partie si grande de la population des Flandres, que l'indigence profonde dans certains arrondissements frappe les deux cinquièmes des individus et plus, c'est-à-dire jusqu'à 43 sur 100.
On voit à la page 19, qu'en 1818, à la suite des deux années si malheureuses de 1816 et 1817, le nombre des indigents dans la Flandre orientale s'élevait à environ un dixième et qu'en 1847 dans la même province, il était presque triple après 27 ans. Pendant un espace de sept ans, le nombre des prévenus dans les deux Flandres a augmenté dans la proportion de 7 à 17. Dans le court espace de trois ans, de 1843 à 1847, 26,247 enfants et jeunes gens des deux sexes, âgés de moins de dix-huit ans, ont été incarcérés dans les prisons et reclus dans les dépôts de mendicité.
Le salaire des fileuses est évalué peur Renaix en moyenne à 10 centimes par jour ; à Meire, une fileuse, en travaillant bien, ne peut pas gagner plus de 27 centimes. A Wetteren, les meilleures gagnent six liards par jour. A Oosterzeele, aux environs de Gand, la plupart sont devenues mendiantes, et quand elles ont commencé à mendier, elles ne veulent plus travailler. Les communes sont écrasées par le fardeau des secours à donner aux pauvres ; et c'est dans un tel état de choses que l'on vous propose de frapper les héritages de nouveaux impôts de succession, c'est-à-dire d'un prélèvement nouveau et direct sur les habitants des communes qui possèdent encore une aisance plus ou moins modeste, et peuvent contribuer au soulagement des indigents qui les pressent de toute part.
Aussi, messieurs, je ne conçois pas comment l'honorable M. Dedecker se décidait à adopter pour son pays cette taxe nouvelle sur les familles, tout en protestant contre la mesure du serment que réclame le ministère ; car il est évident que cette exigence n'a, en ce qui concerne la propriété foncière, aucun effet sérieux ; celle-ci, parfaitement tangible par le fisc, payera sans serment, commc avec serment, la même quotité. Et le gouvernement veut déférer le serment, je le reconnais, dans le but d’atteindre les capitalistes bien moins exposés que les propriétaires ruraux à tous les embarras dont le paupérisme enveloppe ceux-ci.
Or, le serment repoussé par M. Dedecker, comme il doit l'être, ces derniers payeront à peu près seuls les nouveaux droits d’héritage, comme ils payent déjà la meilleure part des droits existants, comme ils supportent aussi la plus forte portion des secours à donner à l’indigence, comme ils supportent encore égakement, ne l’oublions aps, a plus forte part des emprunts forcés, dès que le gouvernement, tatonné par un péril qu’il ne se donne jamais chez nous la peine de prévoir, a besoin de ressources immédiates pour parer tant bien que mal au danger.
Aussi, messieurs, si le gouvernement avait le moindre souci de l'avenir, il se garderait bien, surtout dans l'état laborieux, dans la situation tendue où vivent les Flandres, de pressurer les propriétaires entourés déjà de charges multipliées ; il ne se laisserait pas éblouir par la fortune territoriale de quelques familles dont plus d'une est moins riche au fond qu'elle ne paraît.
Il considérerait le grand nombre des moyens et petits propriétaires ruraux, et il s'appuierait sur l'impôt de consommation et de douane en temps de paix, impôts de consommation qui n'atteignent pas les objets de première nécessité à l'usage du pauvre, sauf le sel, qui, de minime valeur en lui-même, présente la recette la plus facile et la moins vexatoire, pour se réserver la ressource des contributions directes extraordinaires en cas d'événements fortuits.
L'honorable M. Lebeau disait récemment à M. Frère, ministre des finances, qu'il ne montrait pas un grand génie de recettes pour le trésor. En effet, rien de moins ingénieux que d'imposer à nouveau la transmission des héritages dans les familles les plus nombreuses. Je m'étais pour ménager les familles, donné la peine de faire une distinction j'admettais, et j'admettrais encore un droit de succession pour l'héritier unique en ligne directe, nécessairement plus riche que son père et sa mère, puisqu'il reçoit le bien de deux personnes, et de plus, déchargé de tout embarras de partage. En effet, que deux frères héritent de la maison paternelle, aucun d'eux ne peut la garder sans payer une soulte qui entraîne un droit élevé de mutation. Mais qu'un seul se trouve héritier, il prend tout et ne paye rien. La différence dans les situationsrespectives est donc bien grande. Elle me justifie suffisamment de la sinsgularité qu'attribuait à mon opinion, anciennement produite, M. le ministre des finances.
Ce qui est moins ingénieux encore de la part d'un gouvernement, lequel se trouve en déficit, c'est avant de l'avoir comblé de renoncer bénévolement à des recettes aussi peu nuisibles que la taxe des journaux, que la taxe des lettres qui tous les trois ans donnait un accroissement de quatre à cinq cent mille francs ; c'est de perdre, par suite d'abaissements de péages sur les voies ferrées, une grande part du revenu d'un canal appartenant à l'Etat et dont la navigation était dans une très profitable activité.
Lorsque j'invitais précédemment les ministres et la chambre à équilibrer les recettes et les dépenses, recommandation sur laquelle j'ai constamment insisté, je prévoyais l'augmentation considérable d'impôts qui viendrait un jour compenser des complaisances mal entendues, une insouciance dangereuse sur les déficits et je disais : Mieux vaudrait que les familles payassent aujourd'hui pour certaines successions même en ligne directe, un droit d'héritage que de subir plus tard tous les inconvénients d'un trésor public obéré ; et l'année suivante je déclarais que j'accepterais facilement une taxe en ligne directe pour l'héritier saisi seul d'une succession sans difficultés ni frais de partage.
Mais comme les idées d'accroissement de recette ne peuvent s'accommoder d'un abandon préalable, volontaire et inopportun des revenus existants et d'une perte non moins abusive sur les transports par voies ferrées si chèrement inscrites au budget soldé par tous, quoique l'usage en soit bien différent pour les uns ou les autres, même dans les lieux qu'elles traversent, je ne puis que résister à tout accroissement d'impôt sur les successions cntre frères et sœurs, lequel frappe plus durement les familles les plus nombreuses, ainsi que l'honorable M. de La Coste l'a parfaitement indiqué lors de la discussion générale.
(page 1363) M. Delehaye. - M. Jacques a déposé un amendement qui a pour objet la suppression du premier alinéa de l'article 6.
M. Delfosse. - Ce n'est pas un amendement ; c'est une demande de division.
M. Vermeire. - J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable comte de Mérode indiquer l'accroissement du nombre des prévenus dans les Flandres, d'après les données fournies par l'excellent ouvrage de M. Ducpétiaux. Mais il a oublié de dire que cet accroissement des prévenus dans les prisons était dû principalement à la cherté des céréales. Ce n'était pas que l'immoralité des Flandres fût plus forte...
M. de Mérode. - Je n’ai aps dit cela ; je l’ai attribué à la pauvreté.
M. Van Grootven. - Si fait, vous l'avez dit ; laissez continuer M. Vermeire, il est dans le vrai.
M. Vermeire. - Et la pauvreté était due à la cherté de la vie.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le nombre a considérablement diminué depuis.
J'ai donné les chiffres à la chambre.
M. Vermeire. - Je disais que l'accroissement du nombre des prévenus dans les prisons était surtout dit à la cherté de la vie. Le salaire n'ayant pas augmenté dans une proportion égale à l'augmentation des denrées de première nécessité, le travail a dû diminuer. Il en est résulté que, dans les deux Flandres, des bandes de mendiants qui ne trouvaient plus de travail dans leur commune, sont allés aux portes des prisons demander leur incarcération ; donc, ce n'est nullement à l'immoralité que l'on peut attribuer cette augmentation.
Messieurs, je ne me prononcerai pas sur le droit de succession en ligne directe ; cependant je crois devoir faire observer ici que l'honorable comte de Mérode voudrait seulement frapper de ce droit les enfants uniques. Mais ainsi, il pourrait arriver qu'un fils unique, n'héritant que de 1,000 fr., fût frappé du droit, tandis que là où il y aurait deux enfants qui hériteraient chacun de cent mille francs, ils ne devraient rien payer. Il est cependant certain que deux enfants qui hériteraient chacun de cent mille francs seraient beaucoup plus riches qu'un seul enfant qui n'en hériterait que de mille.
L'honorable comte de Mérode a parlé de la taxe des lettres, de la réforme postale. J'ai voté celle réforme, et je crois qu'elle a produit de très bons résultats, surtout des résultats indirects, en ce qu'elle a augmenté la correspondance, et qu'ainsi elle a activé les relations commerciales, industriels et d'amité.
Je dois encore faire observer à cet égard que, si la taxe des lettres peut avoir profité quelque peu aux négociants, ceux-ci payent une augmentation d'impôt par la loi du timbre sur les effets de commerce.
L'honorable comte a également parlé de la réduction des péages du canal de Charleroy. Cette réduction n'était qu'une justice, parce que le canal de Chaileroy, indépendamment des grands services qu'il a rendus déjà, s'est payé intérêts et capital. Je crois que si tous les autres canaux étaient dans la même position, on pourrait faire une plus forte réduction encore, puisque les péages sur le canal de Charleroy sont plus élevés que sur les autres canaux du pays.
L'honorable préopinant a aussi parlé des tarifs du chemin de fer. Je crois qu'ici je ne dois pas beaucoup insister. Mais je dirai que, surtout en ce qui regarde le transport des marchandises, plus on pourra en transporter, plus on activera les relations commerciales et industrielles du pays, et plus on augmentera le bien-être. Puisque j'ai la parole, je saisirai cette occasion pour demander à M. le ministre des travaux publics s'il croit pouvoir nous présenter bientôt le tarif sur le transport des marchandises.
M. Delehaye. - Cette question n'a aucun rapport avec la discussion actuelle.
La parole est à M. Jacques pour développer son amendement.
M. Jacques. - Ainsi que l'a déjà fait remarquer M. le président, je demande simplement la division de l'article et le rejet de la première partie.
(page 1364) M. Dumortier. - Un instant. Je demande la parole. Je veux parler sur la motion de l'honorable M. Vermeire.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je demande la parole.
M. Delehaye. - La parole a été accordée à M. Jacques ; elle lui est maintenue.
M. Jacques. - Je ne viens pas soutenir que, s'il était indispensable d'augmenter les impôts existants, l'augmentation du droit sur les successions entre frères et sœurs ne devrait pas être adoptée de préférence. Mais j’ai soutenu dans la discussion générale que les ressources actuelles suffisent à la marche régulière des services publics ; et dans tout ce qui a été dit après moi, je n'ai pas trouvé un seul mot de réponse aux arguments et aux chiffres que j'avais posés.
Je dois dès lors persister dans l'opinion que j'ai émise sur l'équilibre de notre situation finaneière, opinion qui s'est corroborée par les nouvelles études auxquelles je me suis livré depuis lors.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Allons-nous rentrer dans la discussion sur la situation financière ?
M. Jacques. - Je n'abuserai pas des moments de la chambre pour entrer dans de nouveaux détails sur la situation financière. J'ajouterai seulement quelques mots : convaincu, comme je le suis, que l'équilibre existe dès maintenant entre nos recettes et nos dépenses annuelles, je dois refuser, pour rester conséquent avec moi-même, toute augmentation d'impôt qui ne me paraît pas nécessaire.
Pour qu'il fût nécessaire d'augmenter les impôts, il faudrait, messieurs, que le ministère actuel voulût faire des dépenses occultes, comme il s'en est fait précédemment ; des dépenses qui ne paraîtraient, aux yeux du pays, que plusieurs années après avoir été faites. Mais je ne pense pas qu'il en soit ainsi ; et alors je suis fondé à soutenir que nos recettes actuelles suffisent amplement pour couvrir toutes les dépenses de l'Etat.
Le budget des recettes, tel qu'il a été présenté par le gouvernement pour 1852, dépasse de 2,800,000 francs l'intégralité des dépenses prévues pour le même exercice.
Ainsi je que le disais dans la discussion générale,en prenant la moyenne de toutes les augmentations de crédits qu'il a fallu voter sur les budgets primitifs de 1830 à 1850, avant la clôture des exercices, on n'obtient qu'un chiffre de 2,200,000 francs ; on peut donc compter pour l'exercice prochain sur un boni de 600,000 francs.
Je soutiens donc, messieurs, qu'il n'est nullement nécessaire de créer de nouveaux impôts, et je voterai, en conséquence, contre l'augmentation du droit sur les successions entre frères et sœurs.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai déjà eu l'occasion de déclarer à la chambre à plusieurs reprises, que le projet de loi relatif au transport des marchandises sera déposé dans le courant de cette session. Ce travail est très avancé, mais pour juger des effets du tarif au 1er septembre, il est essentiel d'avoir sous les yeux le compte rendu de l'exercice 1850. On a distribué, il y a quelques mois, le compte rendu de l'exercice 1849, que la chambre aurait désiré posséder dans la discussion du tarif des voyageurs ; le compte rendu de 1850 pourra être déposé d'ici à peu de temps ; l'impression n'en prendra pas beaucoup de temps : la chambre pourra donc examiner attentivement tous les résultats du tarif du 1er septembre avant de s'occuper des modifications que je propose d'introduire par le projet de loi dont, je le repète, les études sont très avancées, mais exigent un travail de dépouillement considérable.
M. Delehaye. - M. Jacques ayant demandé la division, je vais mettre aux voix le premier alinéa de l'article.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !I
Il est procédé au vote par appel nominal sur le premier alinéa de l'article 6.
En voici le résultat.
83 membres répondent à l'appel nominal.
58 membres répondent oui.
24 membres répondent non.
1 membre (M. Vermeirc) s'abstient.
En conséquence, le premier alinéa de la proposition du gouvernement est adopté.
Ont répondu oui : MM. Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Leliévre, Liefmans, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Reyntjens, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Ch.), Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIII, Allard, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Breyne, de Denterghem, de Haerne, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Perceval, De Pouhon, de Renesse, de Steenhault, Dcstriveaux, d'Hoffschmidt, d'Hont et Delehaye.
Ont répondu non : MM. Dumortier, Faignart, Jacques, Julliot, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Malou, Rodenbach, Thibaut, Vanden Branden de Reeth, Boulez, Clep, Coomans, David, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode (Félix), de Mérode-Weslerloo, de Muelenaere, de Theux, de TSerclaes, Dumon (Auguste).
M. Vermeire, qui s'est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Vermeire. - Messieurs, je me suis abstenu de voter l'augmentation d'un p. c, parce que mon vote sur l'ensemble de la loi dépendra du maintien ou du retrait de l'article 14 du projet de loi en discussion.
- Le deuxième paragraphe de l'article 6 est mis aux voix et adopté.
L'ensemble de l'article est également adopté.
« Art. 7. Lorsque l'époux survivant ou les enfants naturels sont appelés à la succession, à défaut de parents au degré successible, ils seront, pour l'application de la loi sur les droits de succession et de mutation par décès, considérés comme parents au douzième degré. »
La section centrale propose de retrancher les mots : « l'époux survivant ou ».
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne me rallie pas à la suppression proposée par la section centrale. Je n'en comprends pas le motif. La loi civile place l'époux survivant comme héritier après les enfants naturels et immédiatement avant l'Etat. Il s'agit ici du cas où l'époux décédé n'a pas disposé en faveur de son conjoint, il faut le placer, sous le rapport du droit à payer, dans la catégorie où il a été placé par la loi civile.
M. Deliége, rapporteur. - La section centrale n'a pas pensé que l’époux survivant dût être placé sur la même ligne que les enfants naturels ; du reste, c'est une question qui n'a pas d'importance, car pendant trente ans de pratique de notaire, je n'ai pas rencontré ce cas une seule fois.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'article 767 du Code civil dit : Lorsque le défunt ne laisse ni parent au degré suceessible, ni enfant naturel, les biens de la succession appartiennent au conjoint non divorcé qui lui survit.
Je ne vois pas de raison pour ne pas mettre la loi fiscale en concordance avec l'article 767 du Code.
M. Lelièvre. - Je ne puis souscrire à l'amendement proposé par la section centrale. Cet amendement me semble opposé complètement à l'économie du Code civil. L'époux survivant, comme l'enfant naturel, ne vient à la succession légale qu'à défaut de parents au douzième degré.
Eh bien, le parent au douzième degré devrait payer l'impôt de 10 p. c. Comment donc l'époux survivant, lorsqu'il ne vient qu'à défaut de ce parent, ne serait-il pas astreint au même droit ? Il n'est pas possible que l'héritier qui ne vient qu'en second ordre soit de meilleure condition que celui qui lui est préféré dans l'ordre des successions. Ainsi le survivant serait traité plus favorablement que l'enfant naturel lui-même, ce qui est certainement inadmissible. D'ailleurs, l'époux ne recueillant en ce cas la succession qu'exceptionnellement, par un bienfait particulier de la loi positive, il est juste qu'il ne soit pas soustrait aux charges qui frappent les parents eux-mêmes,
M. Lebeau. - Il me semble qu'il y a une raison de différence qui milite singulièrement en faveur du maintien de la disposition, différence que n'a pas exprimée la section centrale. Quand l'époux arrive à la succession de son conjoint, dans le cas prévu par la disposition dont il s'agit, c'est-à-dire ab intestat, il faut dire que, venant après les parents du 12ème degré, il y arrive très probablement contre la volonté de son conjoint. Je ne vois pas dès lors pourquoi la législation fiscale viendrait en aide à une pareille éventualité.
On conçoit que quand le conjoint hérite par suite de disposition testamentaire, d'un témoignage formel d'affection, la disposition soit favorisée par la législation ; mais je ne comprends pas qu'on stipule la même faveur, alors que l'époux survivant hérite contre la volonté probable de son conjoint. Celui-ci avait, sans doute, de légitimes sujets de plainte, puisqu'il préfère, en s'abstenant de tester, un parent du douzième degré, qu'il ne connaît vraisemblablement pas, à son époux. Cette différence suffit, à mon avis, pour expliquer la différence établie dans la disposition fiscale.
- L'amendement de la section centrale est mis aux voix, il n'est pas adopté.
L'article 7, tel qu'il est proposé par le gouvernement, est adopté.
« Art. 8. Les donations entre vifs, faites au profit des hospices, séminaires, fabriques d'églises, consistoires, congrégations, institutions religieuses ou morales, ou autres établissements de mainmorte, d'une date postérieure à la promulgation de la présente, sont soumises au même droit que celui fixé pour les libéralités testamentaires faites aux mêmes établissements.
« L'acte sera enregistré en débet et le droit exigible six mois après la date de l'arrêté qui aura autorisé l'acception.
« Si la donation a rapport à des immeubles, la transcription hypothécaire ne donnera lieu qu'au droit de timbre et au salaire du conservateur.
« Lorsque des établissements se sont mis en possession de biens transmis par donations entre vifs ou testamentaires, sans avoir demandé l'autorisation de les accepter, le droit sera réclamé, sauf restitution en cas de dépossession. »
M. Malou. - Messieurs, je comprendrais les dispositions de cet (page 1365) article, si la plupart des institutions d'utilité publique, et surtout celles dont les capitaux sont affectés à la bienfaisance, n'avaient aujourd'hui encore des ressources insuffisantes et ne devaient pas être subsidiées par les communes, par les provinces et même par l'Etat ; le budget de la justice en fait foi.
Pour citer un exemple, à Bruxelles, les hospices reçoivent de la commune un subside ordinaire de 200,000 francs, et en outre, depuis quelques années, un subside extraordinaire.
Il me semble que ce fait n'est pas exceptionnel, il est plutôt normal. Dans presque toutes les communes, les hospices, les bureaux de bienfaisance reçoivent des subsides sur les fonds communaux, sur les fonds provinciaux. N'y a-t-il pas dès lors une sorte de contradiction à frapper d'un impôt les donations, les libéralités qui sont faites à ces institutions d'utilité publique, lorsque, d'autre part, on doit demander à l'impôt les subsides qui sont nécessaires pour qu'elles puissent faire face à leurs obligations envers les pauvres ?
Mon honorable ami, M. de Theux, a fait remarquer que cette disposition présente d'autres inconvénients pour les institutions d'utilité publique qui se consacrent au service de la bienfaisance légale ; que l'on crée ainsi, au préjudice de ces institutions, une inégalité fâcheuse ; que plus d'une fois peut-être des donations qui auraient été affectées à la bienfaisance publique prendraient une autre direction si le droit de 10 p. c. devait être prélevé sur ces donations.
Dans la plupart des dispositions législatives qui sont encore en vigueur et qui ont été prises depuis la révolution française, l'on a accordé une faveur pour les donations faites aux institutions de bienfaisance. Dans plusieurs décrets de l'empire, on a admis le droit fixe d'un franc pour ces donations.
Les motifs de ces faveurs législatives ont-ils cessé ? Ils auront cessé lorsque les institutions n'auront plus besoin de subsides, lorsque les brèches, les ruines que les révolutions ont faites en Belgique dans le patrimoine du pauvre auront toutes été réparées ; aujourd'hui, non seulement il n'y a aucun motif d'imposer un droit à ces établissements d'utilité publique, mais d'après les faits, il y aurait des raisons de renforcer, en quelque sorte, cette faveur légale par la loi, si elles n'existaient pas.
Je me rappelle également un chiffre approximatif. En 1846 et en 1847, les subsides ordinaires que l'impôt devait fournir à des institutions de bienfaisance s'élevaient à plus de 3 millions pour tout le royaume. Vous voyez donc, messieurs, qu'avant que la dotation du pauvre soit complète, il faut encore beaucoup de libéralités, beaucoup de donations et que même le moment est encore très mal choisi pour en restreindre le nombre. Je crois dès lors que l'on pourrait supprimer de l'article plusieurs institutions d'utililé publique,
C'est une observation que je soumets à l'appréciation de la chambre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La loi du 24 décembre 1817 frappe d'un droit de 10 p. c. les legs qui sont faits aux établissements dénommés dans l'article en discussion. Il y a donc une situation assez singulière résultant de la législation : les legs payent 10 p. c. ; les donations payent un simple droit fixe. La disposition n'a pas d'autre objet que de placer sur la même ligne les donations et les legs.
En France, les dispositions exceptionnelles, qui étaient analogues à celle qui existe encore aujourd'hui ici, quant aux donations, ont été abolies en 1831. En 1832, on a fixé le droit à 6 p. c. sur les donations de biens mobiliers, à 9 p. c. le droit sur les donations de biens immobiliers sans distinction. Depuis, après 1848, on a même grevé d'un impôt annuel les établissements de mainmorte. Si l'on maintient la disposition de la loi de 1817, il faut qu'il y ait conformité de législation. Il ne faut pas que les donations ne soient soumises à aucun droit, tandis que les legs sont soumis à un droit de 10 p. c. Si la chambre veut supprimer le droit de 10 p. c. sur les legs faits aux hospices, séminaires, églises, elle peut le faire. L'honorable membre peut le proposer.
M. de Haerne. - Je comprends très bien l'anomalie qui existe dans la législation au point de vue des legs et des donations à faire à des établissements d'utililé publique. Cependant je dois avouer que les inconvénients de cette anomalie ne me paraissent pas assez grands pour que nous devions mettre sur la même ligne, quant à la quotité, les droits sur les donations et ceux sur les legs, ainsi que le propose M. le ministre des finances.
Il ne s'agit pas de retirer les droits sur les legs à des établissements d'utilité publique. D'ailleurs cette question n'est pas à l'ordre du jour. J'ajouterai qu'un impôt existant est toujours plus facile à supporter qu'un droit nouveau. Si cette question était en discussion, j'aviserais à ce que j'aurais à faire.
Je dis donc que les observations de l'honorable ministre des finances ne me paraissent pas péremptoires ; elles ne me paraissent pas répondre suffisamment à celles qu'a présentées tout à l'heure l'honorable M. Malou ; car enfin les faits allégués par cet honorable préopinant restent toujours debout : c'est-à-dire que les hospices, les bureaux de bienfaisanre sont dans une situation tellement critique qu'ils doivent recourir à la caisse générale, provinciale et cunmunile. Voila des faits saillants. En présence de ces faits palpables pour tous, le petit inconvénient d'une anomalie législative ne doit pas nous décider a augmenter les charges qui pèsent sur ces établissements.
On a cité l'exemple de la France. Mais, messieurs, ces arguments empruntes à l'étranger portent souvent à faux. Lorsque l'on invoque l'exemple d'un autre pays, il faut bien examiner, il faut voir, avant tout, si ce pays est dans une situation analogue à celle où se trouve le nôtre. Je crois qu'en fait de misère, il y a des provinces en Belgique, et notamment les Flandres, qui sont dans une position tout à fait exceptionnelle. C'est à cet égard surtout que j'appelle l'attention de la chambre sur la disposition importante dont il s'agit. Cette position de plusieurs de nos provinces suffit, à mes jeux, pour repousser la mesure proposée quant aux établissements subsidies par l'Etat.
Messieurs, il y a un point que je crois devoir rappeler : on parle de l'inconvénient que présente, au point de vue fiscal, la facilité qui est accordée à ceux qui veulent faire des donations entre vifs aux établissements de mainmorte et d'utilité publique. Mais ne craignez-vous pas comme l'a fait très bien observer un honorable membre, que ces mêmes donations ne soient détournées de leur direction actuelle et ne soient affectées à des établissements d'utilité publique, mais qui ne seraient pas reconnus par la loi ? C'est ce qui aura lieu, si vous adoptez la disposition proposée.
On serait peut-être tenté de croire, d'après les idées qu'on nous attribue quelquefois, que nous devrions pousser le gouvernement dans cette voie. Mais pour être franc, je dirai que tel n'est pas mon but.
Je désire que les donations entre-vifs aussi bien que les legs soient portés à des établissements reconnus par la loi, quoique, d'un autre côté, je revendique pour la liberté ses droits sacrés ; et, au besoin, je maintiendrai mon opinion à cet égard, comme je l'ai toujours défendue dans cette enceinte.
Mais il n'en est pas moins vrai, messieurs, que les considérations que je viens de présenter me paraissent de nature à faire rejeter la proposition du gouvernement, parce que si, d'après ce que l'on prétend, il y a d'un côté des inconvénients résultant de la législation actuelle, d'un autre côté, si vous adoptez le nouveau droit proposé, vous ne ferez pas disparaître radicalement ces inconvénients qai pourraient reparaître sous une autre forme. Le fisc sera également frustré dans les deux cas. Comme de deux inconvénients il faut choisir le moindre, je crois qu'il vaut mieux ne pas adopter la proposition du gouvernement à l'article 8 en ce qui concerne les établissements d'utilité publique reconnus comme personnes civiles.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant constate l'anomalie qui existe dans la législation. Il est frappé du vice que cela présente. Mais il ne croit pas qu'il y ait quelque chose à faire à présent quant aux legs qui sont grevés d'un droit de 10 p. c. ; il paraît embarrassé de trouver la disposition. Je vais l'indiquer, s'il trouve à propos de l'introduire : « Les legs fails au profit des hospices, séminaires, fabriques d'églises, consistoires, congrégations, institutions religieuses ou morales, ou autres établissements de mainmorte, ne sont soumis qu'aux droits fixé pour les donations entre-vifs et aux mêmes établissements. »
L'honorable membre se trompe, lorsqu'il suppose qu'on ne peut dans la loi introduire l'uniformité dans la législation pour les legs et les donations.
M. de Haerne. - Je n'en ferai pas la proposition. Si un autre membre la présente, je verrai ce que j'aurai à faire.
M. Vilain XIIII. - Je comprends l'intention qui a guidé M. le ministre des finances : c'est d'établir l'égalité entre les dispositions testamentaires et les donations entre-vifs. Mais je lui demanderai pourquoi il ne propose pas aussi d'établir l'égalité entre les dispositions testamentaires et les donations entre-vifs entre particuliers aussi bien que pour les établissements publics.
Dans ce moment les donations entre-vifs et entre particuliers sont frappées d'un droit extrêmement minime, extrêmement avantageux pour ces donations. C'est un moyen d'échapper au droit de succession d'une manière extrêmement facile.
Je crois que c'est une loi de frimaire an VII qui établit le droit sur les donations entre-vifs. Cette loi non seulement n'établit qu'un droit de 5 p. c, mais elle permet aux donataires d'estimer la valeur des biens immeubles qui sont donnés à vingt fois le revenu, ce qui est extrêmement avantageux pour les donations entre-vifs. Je crois que de cette façon, il échappe au trésor une très grande partie des droits qui seraient perçus si l'on mettait les droits sur les donations entre-vifs au même taux que les droits sur les dispositions testamentaires.
M. de Theux. - Le fait que vous cite fort à propos l'honorable préopinant vient précisément à l'appui de ce qui j'ai dit dans la discussion générale, que jusqu'à présent le législateur avait voulu encourager les sentiments généreux de celui qui se dépouille de son vivant, et je crois que nous devons maintenir la disposition existante.
Il y a une très grande difference, comme l'a fait observer un honorable député, entre l'abolition d'un droit existant au moment où il y a insuffisance de ressources et l'introduction d'un droit nouveau. Cette distnction doit frapper tous les esprits.
M. Deliége, rapporteur. - Je ferai remarquer à la chambre que le droit sur les donations entre-vifs et entre particuliers est dans ce moment assez élevé. Il est en général de 5 p. c. ; il y a en outre 30 centimes additionnels, ce qui fait 6 1/2 p. c., plus le droit de transcription, et le droit de timbre. Ces divers droits réunis forment un impôt assez élevé.
M. Malou. - Messieurs, l'anomalie apparente quo M. le minisire des finances a signalée existe, je le reconnais. Mais il y a deux manières de la faire disparaître : l’une, c’est d’établir un droit élevé sur les donations ; (page 1366) l'autre, c'est lorsqu'on voudra présenter la disposition, de supprimer le droit perçu sur les legs.
Je ne reculerais pas devant cette conséquence, parce qu'il me paraît évident que nous avons un intérêt social bien supérieur à l'intérêt fiscal pour encourager les donations et pour amener, le plus tôt possible, la plus grande partie de nos institutions de bienfaisance à pouvoir se passer des subsides communaux.
Si la disposition proposée prenait place dans notre législation, elle changerait ce qui existe, au détriment des institutions de bienfaisance. Je crois que M. le ministre des finances, quand il aura examiné cette question, reconnaîtra qu’il vaut mieux la changer à leur profit.
M. de Muelenaere. - Tout le monde est d’accord sur un point ; c’est, ainsi que vient de le dire l’honorable préopinant, qu’il faut encourager les sentiments généreux, les donations qui se font au profit des hospices et des bureaux de bienfaisance.
Mais pour atteindre ce but, je crois qu’il faut conserver cette anomalie que l’on vous a tout à l’heure signalée.
Il existe une grande différence entre les donations entre-vifs et les libéralités par cause de décès. Lorsqu’un testateur fait une donation à un bureau de bienfaisance ou à un hospice, il charge ses héritiers d’acquitter les frais de ce legs. Au contraire il arrive très souvent qu’un individu qui pendant sa vie veut faire une donation, ne veut consacrer à ce don qu’une somme déterminée. Si vous lui imposez en outre, car c’est au donateur qu’incombera la charge de payer les frais, si vous lui imposez en outre la charge de payer 10 p. c. en principal, ce qui, avec les additionnels, s’élève à 13 p. c., je crains qu’il n’arrive fréquemment que le donateur, avec la meilleure volonté du monde, ne renonce à ses projets et n’effectue pas la donation à raison de la hauteur des frais qu’il devrait supporter.
Je crois donc, messieurs, qu’il y a un motif réel de ne pas charger d’un nouveau droit les donations entre-vifs ; il faut que ces actes restent libres et que le sdonateurs puissent se livrer sans entraves à leurs sentiments de bienfaisance.
M. Lelièvre. - Je crois devoir proposer un amendement qui me paraît de nature à rallier toutes les nuances d’opinion. Je propose d’exempter de tout droit les « donations entre-vifs faites aux hospices et aux bureaux de bienfaisance. » Cette disposition ne fait que maintenir sous ce rapport l’état actuel de la législation ; elle se justifie par l’intérêt que méritent les établissemenes de bienfaisance dont il s’agit. Nous debons par tous moyens encourager la charité, et certes les impôts ne doivent pas atteindre les pauvres et les établissements d’utilité publique fondés en leur faveur. Ces considérations m’engagent à proposer la rédaction de l’article en discussion dans les termes suivants :
« Les donations entre-vifs, d’une date postérieure à la promulgation de la présente loi, faites aux séminaires, fabriques d’églises, consistoires, congrégations, institutions religieuses ou morales et autres établissements de mainmorte, à l’exception des hospices et des bureaux de bienfaisance, seront soumises, etc. »
Telle était déjà la disposition de la loi du 7 pluviöse an XII, et certes elle est trop conforme aux sentiments nationaux pour ne pas être sanctionnée par la chambre d’une voix unanime.
M. de Theux. - Je vois avec plaisir que l’honorable M. Lelièvre adopte une partie de nos vœux. Mais je regrette qu’il établisse une distinction qui n’a jamais existé dans la loi.
Je crois, messieurs, que les fabriques d’église méritent tout aussi bien notre intérêt que les établissements de bienfaisance. Pour une nation religieuse, le culte est un objet d epremier ordre, comme les secours aux pauvres. Ces deux intérêts ont toujours marché sur la même ligne parmi les nations civilisées. Et en effet les motifs sont exactement les mêmes. Car les communes et les provinces doivent également subvenir à l’insuffisance des ressources des fabriques d’église.
Dira-t-on peut-être qu’il y a un certain nombre de ces établissements qui sont suffisamment dotés ? Mais je ferai remarquer à la chambre que ce n’est pas en faveur des établissements bien dotés que se font les donations entre-vifs. Les donations entre-vifs se font lorsqu’il est constaté qu’il y a insuffisance de ressources et qi’on veut subvenir au soutien d’un établissement d’utilité publique, et certainement les fabriques d’églises sont au premier rang, comme les étbalissements de charité, parmi ceux d’utilité publique.
Quant à moi, messieurs, je n’adopterai point la distinction proposée par l’honorable M. Lelièvre ; je voterai purement et simplement contre les disposiitons de l’article.
M. Malou. - Messieurs, l’amendement de l’honorable M. Lelièvre fait droit à une partie des observations que j’avais présnetées tout à l’heure, mais je crois qu’au point de vue où la chambre doit se placer, l’amendement ne va pas assez loin. Je laisse de côté les séminaires, associations religieuses, consistoires, etc., je veux m’attacher à d’autres catégories d’établissements d’utilité publique. Ainsi, par exemple, il est admis dans notre législation qu’une personne peut affecter un immeuble à une fondation d’instruction publique : pourquoi, lorsqu’il est utile de développer aussi cette forme de la bienfaisance, frapper ces donations d’un droit de 10 p. c. qui s’élève, comme on le disait tout à l’heure, à 13 p. c. ?
Si l’on veut faire une distinction, il faut l’établir sur une autre base, et il ne faut admettre l’intervention du fisc que lorsque l’établissement d’utilité publique n’a pas besoin de subsides ou n’est pas affecté à un service de bienfaisance. Je crois que c’est là que nous trouverions une distinction plus rationnelle que celle qui est indiquée.
M. Cools. - J'ai vu que MM. les ministres se sont levés pour l'amendement de M. Lelièvre : je demanderai si le gouvernement maintient, malgré cela, sa proposition primitive. Quant à moi, je suis prêt à voter la proposition du gouvernement, parce que je ne vois pas de motifs suffisants pour faire une distinction entre deux catégories d'établissements de mainmorte. Remarquez qu’il ne s’agit que d’établissements de mainmorte reconnus par la loi. Les autres, aux yeux du législateur, sont comme s’ils n’existaient pas. Les lois que nous faisons ne leur sont pas applicables ; eh bien, parmi les établissements auxquels l’honorable M. Lelièvre veut appliquer la disposition, il en est qui ont des caractères parfaitement analogues à ceux qu’il veut effacer de l’article. Ainsi, par exemple, il est des établissements religieux qui sont institués pour le soulagement des malades ; il faudrait donc les retrancher de la loi au même titre que les hospices et les bureaux de bienfaisance.
Quoi qu’il en soit, messieurs, si le vote est parfaitement libre, c’est-à-dire si, après avoir statué sur la proposition de M. Lelièvre, nous devons être appelés à voter sur la proposition du gouvernement, alors tout est bien ; mais je désirerais avoir à cet égard une explication.
M. Delfosse. - La question est bien claire : M. Lelièvre propose de voter l’article du gouvernement ; seulement, d’après son amendement, cet article ne s’appliqueraut ni aux hospices, ni aux bureaux de bienfaisance.
Ceux qui veulent plus que M. Lelièvre ou qui ne veulent pas du tout de l’article voteront contre l’amendement. S’il est rejeté, il va sans dire que l’article primitif sera mis aux voix.
M. Cools. - J’ai demandé une explication au gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je donnerai volontiers à l’honorable M. Cools l’explication qu’il demande.
Je comprends qu’on peut établir une différence entre les donations faites au profit des pauvres et celles qui sont faites au profit d’autres institutions qui, à la vérité, sont aussi des institutions d’utilité publique reconnues par la loi, mais qui ne sont pas absolument dans les mêmes conditions que les hospices et les bureaux de bienfaisance. Je n’ai donc pas fait de difficulté à me rallier à l’amendement de M. Lelièvre ; et j’en rédigeais un semblable au moment où l’honorable membre à déposer le sien.
- L’amendement de M. Lelièvre est mis aux voix et adopté.
L’article 8, ainsi amendé, est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 9. Ne seront pas admis au passif :
« 1° Les dettes hypothécaires dont l’inscription est périmée ou radiée au jour de l’ouverture de la succession ;
« 2° Toute dette acquittée, si la quittance ne porte pas une date postérieure au décès ;
« 3° Les intérêts dus des dettes hypothécaires, au-delà de deux années et de l’année courante au jour du décès ;
« 4° Ceux des dettes non hypothécaires, les loyers, les fermages et les dettes concernant la dépense domestique, au-delà de l’année échue et de l’année courante ;
« 5° Les dettes reconnues par le défunt au profit de ses héritiers, donataires ou légataires, si elles ne sont constatées par actes enregistés trois mois, au moins, avant son décès.
« Le droit perçu par suite du rejet de toutes dettes non justifiées par la production des titres ou autres preuves voulues par la loi, sera restitué si l’existence de ces dettes est établie dans les deux années du payement de l’impôt. »
La section centrale propose les modifications suivantes :
« 1° Ajouter les mots : « depuis un an », après le mot « périmée » ;
« Réunir les n°3 et 4 en ces termes :
« 3° Les intérêts dus des dettes hypothécaires, au-delà de trois années ; ceux des dettes non hypothécaires ; les loyers et fermages au-delà de deux années, et les dettes concernant la dépense domestique, au-delà de l’année échue et de l’année courante » ;
« 4° (5°) Après les mots : « actes enregistrés », ajouter les mots : « ou ayant date certaine. »
M. T’Kint de Naeyer a proposé la disposition additionnelle suivante :
« 3° bis. Les termes échus, depuis plus d’un an avant le décès, des dettes remboursables par annuités. »
M. Delehaye. - M. le ministre des finances se rallie-t-il aux modifications proposées par la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les modifications, à l’exception de celle qui est reprise sub 4° sont insignifiantes ; il n’en est pas de même de la proposition qui tend à ajouter après les mots : « enregistrés », ceux-ci : « ou ayant date certaine. » Ce n’est pas sans intention que ce smots « ou ayant date certaine » n’ont pas été introduits dans la disposition.
Il est assez facile de donner une date certaine à un acte, et l’on pourrait ainsi ouvrir la porte à la fraude. Je me rallie donc aux modifications de la section centrale, moins la dernière.
M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, l’article 9 dégage le passif des succesisons d’une foule de dettes. Mais il y a une lacune dans l’article ; on n’a prévu ni les annuités, ni les lettres de gage. (erratum, p. 1376) Il est clair cependant que l’on ne pourra admettre en déduction les annuités postérieures par leur échéance au décès.
Les lettres de gage pourront donner lieu à des fraudes de plus d’une (page 1367) genre. Ainsi, on pourra être soi-même son débiteur ; on pourra créer un passif fictif sans l'intervention d'un tiers.
L'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer exclut du passif les termes échus depuis plus d'un an avant le décès. Cet amendement prévient en partie les anus qui sont à redouter.
J'ai cru devoir proposer la tolérance d'une année, afin de mettre la disposition en harmonie avec celle qui concerne les intérêts des dettes hypothécaires.
Il est évident qu'en ce qui concerne les créances remboursables par annuités, les arrérages seront moins fréquents ; cela résulte de la nature même de ces prêts.
N'admettant pas la disposition qui a pour but de rétablir le serment, je suis très disposé, pour ma part, à renforcer les garanties que l'article présente déjà, en ce qui concerne la constatation du passif. J'appellerai même sur ce point l'attention de M. le ministre des finances.
Ne conviendrait-il pas de se montrer plus rigoureux à l'égard des dettes hypothécaires échues depuis un certain terme avant le décès ; et quant aux créances chirographaires n'ayant pas date certaine et sortant des limites du paragraphe 4 de l'article 9, ne faudrait-il pas en exiger la justification ?
Le paragraphe final de l'article 9 prévient tout inconvénient, et permet, me paraît-il, d'être plus sévère. En effet, le droit perçu par suite du rejet de toutes dettes non justifiées par la production des titres ou preuves voulues par la loi, sera restitué si l'existence de ces dettes est établie dans les deux années du payement de l'impôt.
- L'amendement est appuyé.
M. Lelièvre. - Le projet écarte toute dette hypothécaire par cela seul que l'inscription du créancier serait périmée.
Mais il est évident que la péremption, qui est un fait personnel au créancier, ne peut nuire au débiteur. Celui-ci ne peut être privé du droit d'exciper d'une dette légitime parce qu'il a plu au créancier de ne pas renouveler son inscription. Le débiteur ne peut souffrir d'un fait qui lui est étranger. D'ailleurs l'hypothèque n'est que l'accessoire de la dette ; or, il est impossible que par cela seul que le créancier n'aurait pas trouvé convenable de remplir les formalités nécessaires pour conserver cette hypothèque, le débiteur éprouve un dommage notable et ne puisse faire figurer au passif une dette constatée par un titre irréfragable.
En conséquence, le n°1° porterait :
« Les dettes hypothécaires dont l'inscription était rayée au jour de l'ouverture de la succession. »
Je substitue le mot « rayée » à l'expression « radiée », parce que cette dernière expression, que nous avons insérée dans la loi concernant le régime hypothécaire, est l'objet d'un amendement récemment proposé par la commission du sénat. Il me paraît donc utile de prévenir tout amendement de même nature qui se produirait nécessairement dans une autre enceinte. Du reste, l'expression « rayée » me paraît effectivement plus convenable.
Je dois faire une dernière observation. Je pense qu'il faudrait supprimer tout ce qui concerne le nombre des intérêts et arrérages pouvant être portés au passif.
Il me semble qu'il faut se référer au droit commun ; la dette existe légalement du moment qu'elle n'est pas atteinte par la prescription. Dès lors, les intérêts et arrérages doivent pouvoir être portés au passif, du moment qu'ils ne s'élèvent pas au-delà de cinq années.
D'un autre côté, la disposition est trop générale, car elle comprend même des arrérages qui seraient reconnus par jugement ou par acte probant.
Or, sous ce rapport encore, elle est d'une rigueur exorbitante. Je pense donc qu'il faudrait réduire les n°3° et 4° à ces expressions : « les dettes concernant la dépense domestique au-delà de l'année échue et de l'année courante ».
En tout cas, je désirerais avoir une explication sur la question de savoir si, effectivement, la limitation énoncée en la disposition en discussion concerne les arrérages, quel qu'en soit le nombre, qui auraient été adjugés par jugement ou reconnus par acte séparé. Cette explication est essentielle pour qu'il ne puisse s'élever aucun doute sur le sens de la loi.
- L'amendement de M. Lelièvre est appuyé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je me rallie à l'amendement de l'honorable M. T'Kint de Naeyer, qui renforce les dispositions du projet qui ont pour but de prévenir la fraude. Mais je ne puis adopter l'amendement de l'honorable M. Lelièvre. Il faut maintenir le mot « périmée ». Il y a présomption que la dette est éteinte lorsque l'inscription est périmée. Sans doute, si cette présomption était décisive, si l'on ne pouvait admettre ultérieurement aucune autre preuve, on aurait raison de dire qu'il y a là trop de rigueur. Mais la disposition de l'article 9 se termine par ces mots :
« Le droit perçu par suite du rejet de toutes dettes non justifiées par la production des titres ou autres preuves voulues par la loi, sera restitué si l'existence de ces dettes est établie dans les deux années du pavement de l'impôt. »
Il me semble donc que la disposition, ainsi rédigée, l'est dans un esprit tout à fait juste et équitable, de nature à prévenir la fraude, et non pas à causer du préjudice dans les cas où l'on viendrait injustement à rayer une délie du passif de la succession.
M. Lelièvre. - Du moment qu'il est bien reconnu que le dernier paragraphe de l'article 9 est applicable à l'hypothèse dont s'occupe le paragraphe premier, je pense qu'on peut admettre la péremption de l'inscription comme une présomption d'extinction qu'il sera toutefois permis de combattre par une preuve contraire. Mais le dernier paragraphe me semble, d'après sa teneur, devoir faire naître quelque doute à cet égard. Du reste, puisque, d'après la déclaration de M. le ministre, il est entendu que le débiteur d'une créance hypothéquée pourra, nonobstant la péremption de l'inscription, faire figurer au passif la dette dont il s'agit en justifiant qu'elle n'est pas éteinte, je n'insiste pas sur mon amendement, devenu sans objet. Quant aux autres observations que j'ai proposées, elles restent debout et sont demeurées sans réfutation.
- La discussion est close.
M. le ministre des finances s'est rallié aux deux premières modifications proposées par la section centrale ; la section centrale renonce à sa proposition, qui tend à ajouter les mots : « ou ayant date certaine », après ceux-ci : « actes enregistrés ».
L'article 9, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
La disposition additionnelle, proposée par M. T'Kint de Naeyer, est mise aux voix et adoptée. Elle formera le n°4°.
« Art. 10. Toute dette, uniquement reconnue par testament, sera considérée comme legs, pour la liquidation du droit de succession. »
- Adopté.
« Art. 11. Les rentes perpétuelles et viagères à charge du défunt seront portées au passif de la déclaration à un capital formé d'après le mode prescrit par l'article 11, litréras C et E de la loi du 27 décembre 1817, pour les rentes de même nature comprises à l'actif. »
M. Vanden Branden de Reeth. - J'ai l'honneur de proposer à cet article l'amendement suivant :
« Art. 11. § 2. Les rentes viagères léguées par le défunt et dont il a grevé son héritier seront admises et capitalisées de la même manière qu'elles le sont en vertu de l'article 11, littéra E, de la loi de 1817, pour l'actif. »
La loi de 1817 part de cette base que les héritiers ou légataires ne sont tenus à payer le droit de succession que sur ce qu'ils recueillent, déduction faite des dettes ; c'est d'après cette base que la régie, en percevant un droit particulier sur les legs, les déduit aussi bien que les dettes de l'actif de la succession. Rien de plus juste, l'héritier ne doit payer que sur ce qu'il hérite réellement, distraction faite des dettes et des legs dont il est chargé par le défunt. Dès lors tout le monde croira que si un testateur charge son héritier de payer à tel ou tel légataire particulier une rente viagère, le fisc permet à cet héritier de déduire le montant de celle-ci du montant de l'actif de la succession, puisque percevant déjà le droit sur cette rente ou pension viagère à charge du légataire particulier d'après le mode déterminé par l'article 11, littéra E de la loi de 1817, il ne peut plus exiger de l'héritier le droit de succession sur l'intégralité de l'aclif sans un double emploi évident.
Eh bien ! messieurs, il n'en est rien ; par une de ces arguties fiscales à laquelle on aura de la peine à croire et qu'on n'a pu soutenir qu'en argumentant de la lettre d'un article de la loi de 1817, on a décidé que pareille pension viagère n'est qu'une privation momentanée d'une partie des revenus de la succession, et que l'héritier ne peut pas être admis à la défalcation.
Si au moins, pour être conséquent, on avait décidé dans ce système que, jusqu'à concurrence du montant de la pension ou rente viagère capitalisée, le droit de succession dû par l'hériter serait suspendu jusqu'à la mort de l'héritier viager, comme la loi le permet en cas d'usufruit, l'on concevrait quelque chose dans cette manière de voir, mais cela n'a pas même lieu.
Voici ce qui arrive aujourd'hui : Si une succession se compose de biens produisant, par exemple, un revenu de 4,000 fr. par an et que le testateur ait chargé l'héritier du legs d'une pension viagère de 3,800 fr. annuellement, il n'en payera pas moins comme s'il recueillait dès à présent 4,000 fr. par an ou la totalité du revenu, au lieu des 200 fr. qui lui restent.
Il suffit d'exposer les conséquences du système suivi depuis 1818 jusqu'aujourd'hui, pour en faire sentir toute l'absurdité ; jusqu'à ce jour le fisc a toujours perçu deux fois le droit, d'abord de l'héritier sur l'actif intégral et ensuite du légataire particulier sur la pension capitalisée. Par suite de la lacune qui existe à cet égard dans la loi de 1817, plusieurs arrêts ont admis un système aussi étrange ; mais il me semble qu'il est temps de faire disparaître un abus que n'a pas prévu le législateur de 1817 et qui évidemment n'a pu entrer dans ses intentions.
C'est dans le but de faire disparaître ce que je considère comme une fausse appréciation de la loi, que j'ai déposé mon amendement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'amendement de l'honorable M. Vanden Branden n'est pas un amendement à l'article en discussion, c'est une proposition nouvelle. L'article en discussion a uniquement pour objet de combler une lacune qui existe dans la loi de 1817 qui a omis de placer sur la même ligne les rentes actives et passives. Je ne puis me prononcer sur la disposition proposée sans l'avoir examinée. Je pense qu'il y a lieu de la renvoyer à la section centrale.
- Le renvoi à la section centrale est ordonné.
L'article 11 est mis aux voix et adopté.
« Art. 12. En cas de répudiation d'une part ab intestat ou d'une disposition testamentaire, le droit de successions sera payé par celui qui profite de l'accroissement, comme si la renonciation n'avait pas eu lieu. »
(page 1368) « Art. 13. Les successions d'habitants du royaume, dont ne dépend aucun bien, cessent d'être sujettes à la déclaration négative, pourvu qu'il en soit justifié par un certiticat de l'autorité communale du domicile du défunt portant qu'il n'est pas à sa connaissance que le défunt ait délaissé des meubles ou des immeubles ».
« Art. 14. Pendant six semaines, à partir du jour de la déclaration, les parties déclarantes seront admises à rectifier en plus ou en moins, par une déclarationsupplémentaire, sans qu'il puisse être exigé aucune amende.
« Dans le courant des quize jours suivants, les parties déclarantes de la succession d'un habitant du royaume se présenteront en personne, soit devant le tribunal de première instance, soit devant le juge de paix du ressort de leur demeure ou de l’ouverture de la succession, dans l’un et l’autre cas à l’audience publique, et elles affirmeront sous serment ou de la manière prescrite par leur religion « qu’elles croient en sincérité de conscience que tous les biens meubles, autres que les créances hypothécaires, inscrites dans le royaume, ont été compris, sans exception ni omission, dans la déclaration de la succession de … et qu’elle ont porté à leur véritable valeur les biens meubles dont l’évaluation est laissée, par la loi, aux parties déclarantes. »
« Ce serment, pour les objets auxquels il est restreint, sera décisoire. Ce qui serait ultérieurement déclaré, ne donnera lieu à aucune pénalité.
« En cas de maladie ou d'absence du royaume, le délai pour la prestation du serment pourra être prorogé par le Roi.
« La minute du procès-verbal de la prestation de serment sera exempte des droits de timhre, d'enregistrement et de greffe.
« A défaut d'avoir prêté serment dans le délai fixé, chacune des parties déclarantes sera passible d'une amende de cinquante francs par semaine de retard. »
M. de Renesse. - Messieurs, désirant motiver mon vote, à l'égard des dispositions rétablissant le serment en matière de succession, je crois devoir présenter quelques observations.
L'on reprochait avec raison, au précédent gouvernement, le grief d'avoir introduit la prestation du serment, pour l'affirmation de la sincérité des déclarations de succession et mutation par décès ; aussi, aux états généraux du royaume des Pays-Bas, le plus grand nombre des députés belges s'opposèrent vivement à l'adoption d'un pareil serment.
Dès notre régénération politique, le gouvernement provisoire, guidé par l'opinion publique, abrogea immédiatement ce serment, par arrêté du 17 octobre 1830, « parce qu'il considérait l'immoralité dont se trouvait entaché un pareil système. » Vouloir le rétablir actuellement dans un but fiscal, ce serait rétrograder au-delà de 1830, ce serait peu conséquent avec notre opposition d'autrefois ; ce serait, d'ailleurs, opposé aux mœurs du pays qui repousse tout serment à fédérer pour la perception des impôts publics ; ce serait aussi mettre constamment le contribuable entre sa conscience et son intérêt.
Il me semble que l'on ne doit pas introduire dans nos lois des dispositions, qui, par la suite, pourraient porter atteinte à la moralité de la nation ; déjà dans le temps actuel, il n'y a que trop d'opinions subversives émises, que l’on cherche à répandre par tous les moyens, afin de parvenir à bouleverser la société ; il fait donc que nous soyons très sobres pour l’admission, dans nos lois, de dispositions froissant les consciences, et qui tendraient à faire perdre le respect pour la sainteté du serment.
Si, par le rejet des dispositions relatives au serment, il doit résulter une certaine diminution des ressources proposées par le projet en discussion, que le gouvernement cherche à y remédier, en organisant un plus vaste système d'impositions indirectes, comme aux Etats-Unis de l'Amérique du Nord, où, sur un budget du 160 millions de francs, les impositions indirectes rapportent environ 140 millions, et, de même,en Angleterre, dont le budget dépasse 1,300 millions de fr., et où ces impositions produissent plus de 900 millions. D'après ces motifs, je ne pourrai donner un vote favorable au projet de loi des droits de succession, si la chambre, se conformant au désir du gouvernement, croyait devoir donner son assentiment au rétablissement du serment en matière de succession.
M. Lebeau ; - Je n'ai nulle raison de cacher à la chambre que ce n’est pas sans y avoir mûrement réfléchi, sans avoir vaincu, par d’assidues réflexions, une sorte de répugnance, que je suis parvenu à pouvoir prendre part à cette discussion pour soutenir la disposition du gouvernement.
Je comprends donc non seulement de la part de nos adversaires, mais de la part même de nos amis politiques, la dissidence, la controverse sur cette grave question.
Je crois, messieurs, que ces répugnances, on ne les a pas suffisamment scrutées, qu'on les a un peu trop facilement acceptées sous l'empire de nos antécédents politiques. Nous avons ete, messieurs, dès nos premiers pas dans l'opposition au gouvernement déchu, députés ou écrivains, vraiment émus par les discussions qui se sont produites au sein de nos chambres parlementaires, de nos anciens états généraux ; et sous l'influence de cette préoccupation, nous n'avons peut-être pas toujours assez faot la part de ce qu'il pouvait y avoir de justifiable dans telle disposition de loi émanée d'un gouvernement contre lequel nous luttions.
Dans mon opinion, la question du serment en matière de succession a été plutôt jugée par les passions politiques, qu’appréciée avec une froide et impartiale réflexion. Nous sommes aujourd’hui dans cette situation heureuse où nous pouvons examiner avec calme et bienveillance les propositions de ce genre qui nous sont faites par un pouvoir éminemment national.
C'est sous l'empire de cette idée que j'aborde la question du serment. La gravité de cette partie de la loi est reconnue par tout le monde ; je n'ai donc pas besoin d'invoquer la bienveillante attention de la chambre.
Je n'ai pas à parler sur l'utilité fiscale du rétablissement du serment. Il y a quelque chose de plus fort que toutes les argumentations pour prouver le tort que fait au trésor public la disparition du serment, ce sont les chiffres. Ils constatent ce tort d'une manière irréfragable. C'est à la vue de ces chiffres, à l'aide desquels procède volontiers un de nos plus sagaces, de nos plus prudents collègues, l'honorable M. Osy, c'est à l'aide de ces chiffres qu'il avait demandé à une autre époque, quand le gouvernement n'y avait pas encore pensé, le rétablissement du serment en matière de droit de succession.
Je sais qu'il en est de l'opinion de M. Osy, en faveur du rétablissement du serment, alors que la révision de la loi de succession apparaissant à peine dans un lointain très vague, comme de l'opinion de l'honorable M. de Mérode relativement au droit de succession en ligne directe, dont il voulait, il y a cinq ou six ans, et dont il ne veut plus aujourd'hui.
Il y a, sous le rapport de l'utilité, de l'équité du rétablissement du serment, une autre raison qui a déjà été indiquée, qui doit frapper tout le monde, qui avait également frappé l'honorable M. Osy, quand il provoquait le gouvernement au rétablissement du serment en matière de droit de succession.
C'est que sans cette formalité il est bien difficile de maintenir une égalité équitable entre la succession aux meubles et la succession immobilière. Cela est facile à comprendre, parce que, dans la succession immobilière, tout est au soleil, moins la question de la déduction des charges dont j'aurai l'honneur d'entretenir tout à l'heure la chambre, tandis que tout ou presque tout peut être dissimulé dans la succession mobilière.
Le gouvernement, on vous l'a dit et prouvé, ne demande pas d'établir en Belgique une législation exceptionnelle ; il ne vous demande pas de consacrer une anomalie législative ; il vous demande de faire entrer, à l'égard du droit de succession, la législation fiscale de la Belgique dans le droit commun de presque tous les Etats européens, en entourant le principe de sages restrictions.
Dans la première discussion, et dans le dernier et remarquable discours de notre honorable président, vous avez entendu rappeler les différents Etats dans lesquels le serment en matière de succession et même en matière de douane est établi, sans y provoquer aucune espèce de protestation de la part de qui que ce soit. Le sens moral aurait-il fait à ce point défaut dans la plupart des Etats modernes, que l'on pût y maintenir, sans exciter aucune réclamation sérieuse, une disposition qui, à votre sens, blesserait ouvertement le sens moral et exposerait la moralité publique aux plus dangereuses épreuves ? Cela n'est pas soutenable. La situation de la Belgique, sous ce rapport, est donc plutôt une exception.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler les différents faits indiqués par l'honorable M. Verhaegen et par l'honorable ministre des finances relativement au droit de succession en Angleterre, et de l’income-tax. Mais je vais plus loin, je dis que cette exception dans laquelle nous sommes placés sous ce rapport n'a pas toujours existé dans notre pays, et qu'en matière fiscale, il y a plusieurs exemples, dans notre histoire, du serment pour garantie des droits du fisc.
Je cite d'abord, je rappelle cette ordonnance déjà indiquée de 1747, du gouvernement autrichien, instituant le serment pour garantie de la perception d'un impôt de 2 p. c. sur la transmission des biens immeubles par acte entre-vifs et par testament.
Je citerai ensuite, à la vérité dans une matière moins fiscale, un édit de 1753 de Marie-Thérèse, dont voici les termes exprès : « Nuls transport de déshéritage et adhéritage de biens immeubles, ne seront reçus désormais par les magistrats, gens de loi, ou hommes de fief, que sous serment, tant de la personne qui fait le transport que de celle qui le reçoit, que ce n'est pas au profit d'anciennes mainmortes directement ou indirectement. »
Voilà donc le serment introduit en matière de transmission d'immeuble, par une princesse qu'on n'a jamais accusée de vouloir blesser, dans aucune circonstance, le sentiment moral, le sentiment religieux des populations. Voilà, de plus, l'ancien gouvernement autrichien qui fait interveriir, comme on l'a vu, le serment pour constater chez nous la sincérité des déclarations sur la valeur des successions testamentaires consistant en immeubles.
Je crois que la France et la Belgique forment presque seules exception à la règle du serment en matière de droits de succession.
On ne peut argumenter de la législation française, puisqu'en matière de droit de succession, la législation française n'a aucune analogie avec celle que nous a léguée le royaume des Pays-Bas. D'abord, elle est plus sévère, puisqu'elle admet le droit sur les successions en ligne directe. Mais ce en quoi sa sévérité est beaucoup plus grande que la loi belge, c'est qu'elle n'admet pas la déduction des charges : la loi du 22 frimaire an VII, alors même que la succession serait à peu près absorbée par des dettes hypothécaires ou autres, exige la perception du droit d'après la valeur brute de la succession, sans aucune déduction de charges.
Ainsi vous voyez l'énorme différence qu'il y a entre le droit de succession tel qu’il est consacré par la législation française et le droit de succession chez nous. Donc rien à argumenter de la législation française.
(page 1369) Cette non-déduction des charges constitue une différence énorme, même quant à la nécessité du serment ; car ne vous y trompez pas, c'est moins peut-être par la dissimulation des valeurs de l'actif que par l'exagération du passif que le trésor est frustré : la fraude est, en effet, beaucoup plus facile par la déduction mensongère des charges que par la dissimulation des valeurs de l'actif.
Dans une séance précédente, un honorable orateur a exprimé sur le serment une opinion puisée dans la Constitution, et qui me parut si peu motivée que j'avais demandé à lui répondre. Les termes et l'esprit de la Constitution démontrent au contraire que la règle du serment est en quelque sorte le droit commun de la Belgique.
Plusieurs dispositions de la Constitution sont formellement consacrées au serment ; il est donc bien évident que l'esprit de la Constitution ne repousse pas le serment. J'ajouterai que la Constitution a maintenu, par sa disposition dernière, une législation qui consacre plus de cent dispositions peut-être relatives au serment : le Code civil seul, qui admet plusieurs espèces de serment, le serment décisoire, le serment supplétoire, et qui va plus loin, qui permet même au magistrat de l'imposer d'office.
Ai-je besoin de vous parler du Code de commerce, du Code de procédure civile du Code d'instruction criminelle surtout ? Mais de plus toute la législation organique que nous avons promulguée sous l'empire de la Constitution belge, contient le serment : la législation provinciale contient le serment, en détermine la formule ; la loi communale ; la législation sur l'instruction publique et tout récemment encore la législation sur l'enseignement moyen.
Donc, messieurs, il n'est pas juste de dire que le serment, non contraire au texte, soit opposé à l'esprit de la Constitution de 1830. J'ai le droit de soutenir que c'est le contraire.
M. Dedecker. - Je demande la parole.
M. Lebeau. - Il y a, messieurs, l'argument, l'argument de principe, pourrais-je dire, l'argument fondamental, qui consiste à dire qu'il ne faut jamais placer le citoyen entre sa conscience et son intérêt. Examinons.
On vous a déjà dit que cet argument conduit directement à l'abolition de toute espèce de serment. Il n'en est pas un seul qui n'ait pour but de venir dominer la conscience de l'homme aux prises avec son intérêt. Tout serment aboutit là.
Devant une cour d'assises le, témoin peut être placé, est presque toujours placé dans une situation plus grave qu'il ne l'est par la loi des successions ; il est souvent placé entre sa conscience et sa sécurité personnelle. Car, messieurs, s'il est témoin à charge, des menaces de mort de la part des parents et amis de l'accusé le suivront peut-être jusque devant les juges. Il est pourtant obligé, sous peine de parjure, de dire, à l'invitation du juge, la vérité tout entière, malgré ces menaces,
Ou bien, s'il a succombé à la corruption, s'il est témoin à décharge, voilà sa moralité exposée encore de la manière la plus grave. Il devra opter entre sa conscience qui lui crie qu'il ment et son intérêt qui lui dit de mentir. N'importe, le législateur veut qu'il prête serment. Un intérêt supérieur l'exige.
Je n'ai pas besoin de dire que dans les cas prévus par le code civil, où il ne s'agit pas de l'existence, de la sûreté personnelle, mais où il s'agit dinlérêls civils, personne ne songe à demander l'abolilion du serment. Là encore pourtant, l'intérêt et la conscience sont en opposition.
J'ai dit, messieurs, que nos antécédents politiques avaient singulièrement faussé l'esprit public sur cette question du serment. Il faut mettre au nombre de ces actes, incontestablement comme un de ceux qui ont exercé le plus d'influence sur l'appréciation de cette question, l'arrêté du gouvernement provisoire.
Mais, messieurs, on ne dit pas tout dans cette discussion quand on parle de l'arrêté du gouvernement provisoire ; on ne donne pas tous les motifs de cet arrêté. Il y en a un qui est presque décisif dans le texte : c'est que le serment ne mettait pas celui qui le prêtait à l'abri des poursuites ultérieures.
Voilà la notable différence qu'il y a entre le serment tel qu'il existait sous l'ancien gouvernement, et le serment tel que vous le demandera aujourd'hui l'honorable ministre des finances.
D'ailleurs, messieurs, ne faut-il pas faire pour ces sortes d'actes politiques la part des entraînements de l'époque, la part de certaines circonstances tout exceptionnelles ? N'avez-vous pas vu réduire, à la même époque, nos impôts de 18 millions, par suite d'un entraînement, que tout le monde reconnaît aujourd'hui ? Réduire nos impôts de 18 millions quand tout était à créer ! Ce n'étaient certainement pas là des actes d'une sage prévoyance financière ; c'étaient des actes d'hommes politiques ; c'était, de leur part, céder à des entraînements ou à des considérations politiques.
En France tout récemment on a aboli, avec une imprudence que les entraînements politiques seuls peuvent expliquer, un impôt qui rapportait près de cent millions de francs ; on a réduit de moitié, des deux tiers, je crois, l'impôt du sel ; mais quand on a vu qu'on ne pouvait persévérer dans de pareilles imprudences sans exposer tous les services publics à une désorganisation, sans marcher à la banqueroute, on est couragement revenu sur ses pas.
Messieurs, j'ai dit que sous le rapport de l'utilité fiscale, le rétablissement du serment était une chose incontestable ; que l'abolilion du serment entraînait une perte sèche d'environ un million de francs.
Cela n'a rien de surprenant. Il y a longtemps déjà que lorsque cette question a été agitée dans d'autres pays, des hommes éminents ont eu l'occasion de faire remarquer la différence qu'il y avait pour le résultat fiscal, entre la fraude pure et simple et le parjure. Adam Smith écrivait déjà ceci dans le cours du dernier siècle : « Les honnêtes gens faudent bien, mais ne se parjurent pas. »
Ici, messieurs, la théorie des penseurs, des moralistes est prouvée par les faits qui se sont accomplis en Belgique depuis l'abolition du serment.
Un honorable membre qui a défendu avec patriotisme et talent le droit de succession en ligne directe, l'honorable M. de Dedecker (et je m’y arrête, parce que l'opinion de cet honorable membre a toujours un grand poids pour moi et pour la chambre), l'honorable M. de Dedecker vous a dit que le serment devait de plus en plus disparaître de notre législative,, parce que le serment est, avant tout, un acte religieux, et que le sentiment religieux s'était affaibli en Belgique.
Je crois que l'honorable membre a cédé à des préoccupations qui, parfois, sont un peu trop exclusives chez lui, en jugeant ainsi le caractère du serment.
Le serment serait-il un acte spécialement et presque exclusivement religieux, alors que nous le voyons inscrit dans une Constitution qn proclame à son frontispice l'entière liberté des cultes et des opinions, la liberté en matière de cultes poussée si loin, qu'elle stipule même la liberté de n'en professer aucun, qu'elle condamne même à l'avance toute loi qui aurait pour objet d’obliger un citoyen à s’associer à un acte religieux ?
Et quelles sont, messieurs, les formules de serment telles que notre législation les a établies ? Mais une formule plus spécialement politique. Le serment que nous-mêmes prêtons ici : « Je jure d'observer la Constitution. » Le serment des fonctionnaires publics, le serment des conseillers provinciaux et communaux ont une formule exclusivement politique.
Le sentiment religieux, qui peut exister et qui existe réellement sous diverses formes déclarées libres dans le cœur de presque tous les hommes, peut certainement et doit se révolter à l'idée d'un faux serment. Mais il est un autre sentiment tout au moins aussi universel et aussi profond, qui se révolte, à l'égal du sentiment religieux, à l'égal d'un faux serment ; c'est le sentiment moral, c'est le sentiment de l’honneur : sentiments qui, pour avoir été promulgués et enseignés glorieusement par le Christ et ses disciples, avaient cependant été professés et enseignés par les philosophes, par Platon lui-même, qualifié souvent par les écrivains les plus orthodoxes de précurseur du Christ.
L'affaiblissement du sentiment religieux, que je puis déplorer, comme l'honorable M. de Decker, est un mal ; je puis, je veux l'admettre ; mais est-il bien facile d'indiquer de trouver à ce mal un remède efficace ? Le sentiment religieux, la croyance aux dogmes, pourraient être affaiblies sans que le sentiment moral fût nécessairement détruit à tel point qu l’on ne dût plus songer à maintenir désormais le serment dans nos lois financières ?
J'avoue, messieurs (le sujet est bien délicat et il faut une circonspection) dont je craindrais de m'écarter si je ne me hâtais de quitter ce terrain, j'avoue qu'il faudrait avoir des sentiments moraux de quelqu'un une bien pauvre idée, si l'on croyait qu'il n'est honnête homme que par peur de la vengeance divine. De même celui qui ne serait honnête homme que par peur du Code pénal, n'encourrait que le mépris de ses concitoyens, s'ils pouvaient lire dans sa conscience.
Il y a une raison puissante, messieurs, pour laquelle seule il serait utile de rétablir dans notre législation le serment en matière d'impôt ; c'est qu'il y a une erreur profonde à redresser dans l'esprit des populations sur la moralité de l'acte qui consiste à tromper le fisc.
Le temps n'est pas loin, messieurs, où j'ai vu des maisons opulentes que l'on signalait comme enrichies par la fraude douanière ; on en parlait avec indifférence, que dis-je ? on semblait les en féliciter. Je vais plus loin : il y en a qui l'avouaient. Eh bien, messieurs, il serait très désirable que nous pussions, en solennisant en quelque sorte par l'inscription du serment dans quelques-unes de nos lois fiscales, en relevant, en solennisant les devoirs du contribuable envers l'Etat, rappeler qu'il y a là une erreur déplorable ; faire comprendre qu'aux jeux de la morale et de la religion, la contrebande et la fraude, c'est le vol, comme l’a dit éloquemment notre honorable président.
Ah ! je comprends qu'à des époques antérieures, reculées, barbares, dans des temps malheureux, sous des gouvernements de conquête, sous des gouvernements immoraux, sous des gouvernements d'absolutisme et de privilège, on se soit dit : Quand nous volons le gouvernement, nous volons notre tyran, nous volons notre oppresseur. Mais quand on a le bonheur de vivre sous un gouvernement libre, sous un gouvernement librement fondé, sous un gouvernement démocratique, savez-vous ce que c'est que voler le trésor public ? C'est voler le peuple lui-même.
Je suis donc, messieurs, en attendant des lumières ultérieures de la discussion, très porté, par les considérations économiques et morales que j'ai exposées, à voter pour le rétablissement du principe du serment.
Mais, je crois que la formule n'en est pas complète et que le serment doit porter également sur la sincérité de la déduction du passif. Il est probable que je soumettrai à la chambre un amendement sur ce point. De plus, bien que je ne pense pas qu'il puisse y avoir de doute à cet égard, je désire savoir si, dans la pensée du gouvernement, la conséquence du serment qu'il propose et qui est de rendre toute poursuite ultérieure impossible, s'étend à l'action publique. Je ne doute pas de la (page 1370) négative, mais il serait peut-être utile que le gouvernement s’en expliquât ouvertement,
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est indubitable que la fausseté du serment pourrait être prouvée au criminel et que l'individu qui aurait fait un faux serment serait puni comme parjure. L'honorable M. Osy a supposé à tort que le serment étant décisoire, il n'y aurait pas lieu à poursuivre le parjure. C'est une erreur : l'individu qui aurait fait un faux serment serait puni comme parjure.
(page 1374) M. de Haerne. - Malgré ce qu'en a dit l'honorable preopinant qui vient de se rasseoir, je suis persuadé que le serment en matière fiscale n'est pas dans les mœurs de la Belgique. C'est à ce point de vue tout particulièrement, messieurs, que je repousse le serment appliqué à cette matière.
L'honorable préopinant a cité quelques faits ; il s'est reporté à une époque antérieure, à une époque où, malgré une certaine douceur qui caractérisait souvent le régime politique, nous n'étions pas cependant constitués en état de liberté et où nous subissions une législation étrangère. Les faits qu'il a cités quant a l'introduction du serment fiscal dans notre pays sous le gouvernement autrichien en 1714 et en 1733, n'ont pu me convaincre que l'usage du serment soit conforme aux mœurs nationales.
L'honorable preopinant a traité la question du serment sous le rapport religieux, qu'il appelle lui-même délicat ; sans doute, c'est un point délicat ; et c'est pour cela, c'esi à cause de la gravité, je dirai de la (page 1375) sainteté de la question, que je tâcherai d'être aussi modéré, aussi circonspect que je puis l'être.
Je repousse le serment fiscal comme portant atteinte à la religion et à la morale, comme consacrant une flagrante inégalité en matière d'impôts et comme n'atteignant pas le but proposé quant aux intérêts du trésor.
Permettez-moi quelques observations préliminaires.
Je dois le déclarer d'abord, qu'en ce qui concerne les droits qui reviennent au trésor, nous proscrivons tous la fraude ; il n'y a à cet égard aucune divergence d'opinion dans la chambre, et il est certain que les lois relatives à l'impôt, aux yeux des catholiques, obligent en conscience. Voilà la déclaration de principe que je dois faire, avant tout, pour répondre à quelques doutes qui semblent s'être manifestés.
Mais il est également vrai que d'autres opinions ont été répandues à cet égard ; d'où vient la coutume de prodiguer le serment en matière fiscale, dans certains pays, dans les pays protestants, comme l'Angleterre, la Hollande, l'Allemagne, pays qu'on a cités ? Elle provient de ce que des novateurs ont soutenu que les lois humaines ne peuvent obliger en conscience ; en invoquant cette doctrine contre l'Eglise, pour la saper dans sa base, et en soutenant que les lois divines seules obligeaient en conscience, ils en sont venus, par une conséquence inévitable, qui devait s'étendre des lois ecclésiastiques aux lois civiles, à ébranler l'édifice social tout entier, et pour le raffermir, pour le rasseoir sur sa base, on a cherché à rattacher la loi civile à la loi divine, la conscience au ciel, en recourant au serment, qui a été alors prodigué à tel point que des publicistes appartenant même à ces pays protestants, se sont élevés contre son usage trop fréquent en matière fiscale. Ensuite la contagion s'est étendue à d'autres pays. Le serment, par cela seul qu'il est prodigué, présente un danger. C'est le premier vice que je dois signaler dans la mesure proposée, en ce qu'elle tend à affaiblir par là le sentiment religieux.
Messieurs, je ne puis comprendre la distinction que l'honorable préopinant a établie entre le serment religieux et ce qu'il appelle le serment qui ne serait qu'une formule politique. Si je dois respecter l'opinion de l'honorable membre à cet égared, en vertu du principe de liberté que j'adopte dans toute son étendue ; si je dois respecter l'opinion de ceux qui pensent comme lui, j'en tirerai une conséquence qui va diamétralement contre l'opinion que soutient l'honorable membre ; j'en conclurai qu'il y a évidemment ici une différence dans l'application du serment, entre ceux qui ne le prennent que pour une formule politique et ceux qui le prennent pour un acte religieux.
Mais avant de parler de l'inégalité que le serment en matière fiscale doit nécessairement établir, je me bornerai pour le moment à constater que cette distinction doit déconsidérer le serment aux yeux du peuple et nuire par conséquent au sentiment religieux.
Permettez-moi d'appeler encore votre attention sur le serment considéré dans sa nature, pour vous faire voir le danger qu'on court en le prodiguant.
Je disais tout à l'heure que le serment avait été trop prodigué dans certains pays, dans les pays protestants, et que des pays catholiques avaient été jusqu'à un certain point entraînés par l'exemple.
La Belgique, pays éminemment catholique, ne l'a subi que par l'influence étrangère. Elle a toujours compris les dangers d'une telle mesure qui blesse son caractère religieux et national ; elle a compris que les parjures ne sont que trop communs, lorsque le serment est appliqué aux matières fiscales. Il faut bien l'avouer : le faux serment ne démoralise pas seulement ceux qui ne reculent pas devant sa prestation ; mais il cause encore un immense scandale à l'égard des autres, et ne produit rien moins que l’abaissement général du niveau religieux et moral d'une nation. C'est ce que j'ai à prouver en premier lieu.
L'honorable préopinant vous disait, messieurs, qu'en Hollande, le serment avait été appliqué même en matière de douanes, et qu'on ne s'était pas aperçu qu'il en fût résulté de l'immoralité. Cet exemple prouve beaucoup trop, pour prouver quelque chose. Car, en matière de douanes, il est reçu de ne pas déclarer la valeur. C'est un usage qui est si généralement adopté, qu'on aurait mauvaise grâce de contester mon assertion. Quand on porte des lois de douanes, on exagère ordinairement un peu le droit, précisément parce qu'on prévoit des déclarations inexactes, en dessous de la valeur.
Ce fait étant donc général, voyez le mal que l'on fait en appliquant le serment à ces matières ; et lorsqu'on vient dire, après cela, que dans les pays où le serment a été exigé pour les déclarations faites à la douane, on ne s'est pas aperçu que cet acte ait conduit à l'immoralité, je dis que l'immoralité n'en est pas moins flagrante ; et je conclus de là qu’on s’est tellement accoutumé à regarder le serment comme un acte ordinaire de la vie, qu’on n’en comprend plus le sens moral et religieux ; qu’on se parjure par habitude, j’allais dire, presque sans le savoir.
Si l'abus est inévitable en matière de douanes, il n'est pas moins à craindre en matière de succession.
Le danger est toujours le même ; il consiste dans la trop fréquente répétition de cet acte religieux, surtout lorsqu'on place celui qui prête serment entre son intérêt et sa conscience. On habitue les populations à cet acte comme à un acte ordinaire ; on les habitue à ne plus en considérer la gravité, et c'est ainsi qu'on donne lieu à des déclarations faites d'une manière légère, comme si le serment n'avait pas éte prêté.
Le serment, dit-on, est un acte religieux bon en soi. C'est une erreur grave d'assimiler le serment à l'exercice du culte qui est libre et spontané. Le serment suppose la religion, mais ne la prouve pas.
On dit encore : Si vous voulez aboutir le serment en matière fiscale il faut aller bien plus loin. Les dangers que vous signalez à cet égard existent encore sous bien d'autres rapports.
Le serment politique, qui, en vertu de la Constitution, est prêté par les membres des chambres et par les membres des conseils communaux et provinciaux, ce serment ne présente-t-il pas les mêmes dangers ?
Non, messieurs ; d'abord, je ne reviendrai pas sur la thèse générale qui a déjà été soutenue dans cette enceinte quant à la question de savoir si, dans ces matières mêmes, le serment, à l'époque où nous vivons, d'après les idées dominantes du jour ; si ce serment va encore à son but et s'il ne vaudrait pas mieux de l'abolir. J'ajouterai que je trouve une immense différence entée ce serment et celui qui vous est proposé dans le projet.
Et pourquoi ? Parce que, quant au serment politique, il s'agit de personnes d'élite, de personnes que l'élection a mises en général à l'abri du soupçon, tandis que le serment, en matière fiscale, s'applique à tout le monde.
S'il en était autrement, messieurs, si l'élection ou le choix fait par le gouvernement n'était pas une garantie de moralité, tout ce qu'on en pourrait conclure, ce serait qu'il faut restreindre le serment en général., On a cité aussi le serment exigé devant les cours d'assises. Il y a deux observations à faire à cet égard. D'abord il est prouvé que malheureusement l'on rencontre assez souvent de faux serments prêtés devant les cours d'assises, et que l'argument prouve le contraire de ce qu'on veut en conclure. Puis il y a ici un intérêt tout différent en jeu ; il y a ici un intérêt social ; il est en quelque sorte nécessaire ici d'invoquer le serment. Il y a donc dans ce cas une différence du tout au tout.
L'on a dit, dans une séance précédente, que le serment, tel que le demande le gouvernement, est un acte bon en lui même ; et qui le conteste ? On vous a fait voir, par des distinctions scholastiques, qu'un acte, pour être bon en lui-même, doit avoir plusieurs conditions ; d'abord, l'intention doit être bonne ; en second lieu, le but doit être louable ; en troisième lieu, les moyens doivent être avouables et les circonstances qui se rattachent à l'acte doivent aussi être conformes à la justice et à la moralité ; enfin, les conséquences qui en découlent doivent aussi pouvoir subir l'examen de la justice et de la raison. Voilà les détails dans lesquels on a cru devoir entrer pour prouver que la mesure proposée est excellente.
Messieurs, cet argument qu'un de nos honorables collègues a développé un des jours précédents, ne m'a pas touché. Il y a longtemps que je l'avais entendu dans le cours de théologie que j'ai suivi au séminaire. Mais ici, messieurs, je ferai de la politique au lieu de faire de la théologie ; car la discussion à laquelle nous nous livrons est avant tout politique aux yeux de la chambre.
Oui, un acte qui réunit les conditions qu'on a citées est bon et légitime ; personne ne conteste que le serment soit une bonne chose, un acte religieux.
Mais en matière politique, ce n'est pas seulement la raison rigoureuse qu'il faut apprécier, mais les probabilités ; et il suffit que les conséquences probables d'un acte bon en lui-même, soient contraires à la morale et à l'intérêt général pour que, nous législateurs, nous nous abstenions de le poser.
Or, n'est-il pas plus que probable, d'après ce que j'ai eu l'honneur d'avancer, que le serment en matière de fiscalité produira souvent de mauvais résultats ? Cela suffît pour l'écarter.
Je disais, en commençant ce discours, que le second inconvénient grave de la mesure qu'on propose, c'est l'inégalité qu'elle établit en matière d'impôt.
Pour le prouver permettez-moi, messieurs, de revenir sur une observation que je faisais tout à l'heure en réponse à l'honorable M. Lebeau.
Je dirais que bien que je ne comprenne pas la distinction qu'il fait entre le ferment politique et le serment religieux, bien que je sois persuadé que chez toutes les nations et dans tous les temps le serment a été considéré comme un acte religieux, je veux cependant admettre cette distinction. Il en résulte évidemment une différence, une inégalité entre les personnes appelées à prêter serment.
Je ne conteste pas que les rationnalistes trouvent dans le sentiment moral un appui, une sanction ; j'irai jusqu'à dire qu'à leurs yeux, cette sanction peut être égale à celle que nous trouvons dans le sentiment religieux, parce que dans leur système ils ne peuvent pas apprécier la distance infinie qui sépare ces dex sentiments. J'admets la distinction par respect pour la liberté des opinions ; mais telle n'est pas l'idée générale des personnes appelées à prêter serment. D'ailleurs, puisque dans le projet de loi il est dit que le serment doit être prêté conformément à la religion professée par celui à qui on le demande ; ceux qui professent telle ou telle religion positive doivent prêter un serment religieux, ou faire les hypocrites en se contentant, malgré leurs croyances, d'une formule politique par une de ces restrictions mentales qui dégradent l'homme et la société plus encore que le mensonge.
Je ne puis comprendre autrement les conséquences de l'acte qu’on nous demande de poser. J'admets, je le répète, la sincérité de certain philosophes qui croient pouvoir se contenter de la formule politique qui, après tout, peut être conforme à leur manière de voir en matière religieuse ; mais la plupart de ceux qui se disent philosophes, d'autres même qui appartiennent à une religion positive, mais qui n'ont pas une conviction bien profonde, se réfugieront dans la formule politique (page 1376) qui sera pour eux une formule vaine et sans valeur, c'est-à-dire une simple déclaration.
Il y aura donc une différence énorme quant à la prestation du serment entre ces personnes et celles qui sont sincèrement attachées à une religion positive. Il en résulte une inégalité évidente. Cette inégalité ne peut pas être admise en matière d'impôt, puisqu'elle est contraire à la Constitution.
On objecte que la simple déclaration entraîne aussi une inégalité entre les personnes sincères et celles qui ne le sont pas. Mais on comprendra facilement que les deux cas différent l'un de l'autre. Lorsqu'on fait une fausse déclaration, on commet une faute, sans doute, puisqu'il y a obligation de remplir les devoirs civils qui nous sont imposés par l'Etat, et que les lois d'impôt, selon les catholiques, obligent en conscience. Mais cette obligation, quoique réelle, n'est pas à comparer à celle qui résulte du serment. La loi civile est d'accord à cet égard avec le principe religieux, puisqu'elle établit des peines différentes d'après la gravité des cas et qu'elle punit le faux serment d'une manière toute spéciale. On conçoit donc la différence immense qu'il y a entre une fausse déclaration et un faux serment.
Le mensonge démoralise toujours, quoi qu'en aient dit certains philosophes, qui ont attaqué sur ce point la doctrine de l'église ; mais le parjure démoralise infiniment plus. D'ailleurs, la déclaration est nécessaire, mais le serment ne l'est pas.
L'inégalité n'est donc pas, à beaucoup près, la même dans les deux cas qu'on pose ; elle est grave en matière de serment, et c'est pour cela que la disposition de l'article 14 est inadmissible.
J'en viens maintenant au résultat que l'on attend du serment quant aux intérêts du trésor.
Messieurs, on a invoqué à l'appui du serment un argument, à savoir que depuis que le serment fiscal a été supprimé, le droit de succession s'est trouvé considérablement diminué. On porte cette diminution à un million ou à peu près. D'abord, dans des matières pareilles, je crois qu'on ne peut pas faire dépendre une question aussi grave, une question toute morale, d'une considération purement fiscale. La moralité de la nation doit aller avant tout.
Un législateur doit tenir compte en premier lieu de cette considération d'un ordre tout à fait supérieur. D'après ce qui se passe dans différents pays, on doit reconnaître que le serment, surtout quand il est trop prodigué, est facilement violé. L'habitude même que l'on a contractée maintenant va porter les individus peu délicaft à faire, malgré le serment, des déclarations fausses, comme ils en faisaient auparavant. J'admets qu'il y aura, si le serment passe, quelque accroissement de recettes ; mais je suis persuadé que vous ne comblerez pas tout le vide que vous constatez à cause de la position que vous faites à l'homme en le plaçant entre son intérêt direct et sa conscience ; vous n'atteindrez pas, a beaucoup près, le but proposé.
On a dit que dans d'autres cas, quand on fait prêter serment, l'individu est placé également entre sa conscience et ses intérêts. On a cité l'état ecclésiastique et on a dit : Les religieux, les prêtres sont appelés à faire serment. Oui, messieurs, mais le serment d'obéissance est fait après plusieurs années d'épreuve ; et si en matière de succession il fallait avoir recours à un noviciat, je ne verrais plus d'inconvénient dans l'adoption du serment.
On a cité aussi les représentants, les hommes politiques ; on prétend qu'eux aussi sont placés entre leur conscience et leur intérêt ou leurs passions, mais ce n'est pas du tout la même question. D'abord, j'ai déjà eu l'honneur de faire voir à l'assemblée qu'il y a une grande différence à constater ici, en ce que les hommes politiques sont choisis par le peuple, les fonctionnaires par l'Etat, et que ce choix écarte déjà le soupçon de l'immoralité ; mais ensuite s'il y a un intérêt de la part des hommes politiques, de la part des fonctionnaires publics, de la part des prêtres, mais le premier intérêt esl la fidélité à remplir leurs fonctions, ce qui fait l'objet du serment. Sans doute, il peut y avoir ici un intérêt secondaire ; mais le premier intérêt est dans l'accomplissement des devoirs, dans la fidélité que consacre le serment ; les personnes dont il s'agit ne sont donc pas placées entre leur grand intérêt et leur conscience ; du moins c'est la règle générale ; tandis qu'elles le sont toujours en matière fiscale.
Il y a une autre raison pour laquelle, selon moi, le serment étant rétabli en matière de succession, l'on n'atteindra pas le but que l'on veut atteindre, et qui consiste à combler le vide que la suppression du serment a produit dans le trésor public.
J'ai déjà fait observer que, pour être conséquents avec vous-mêmes, si vous rétablissez le serment en matière de succession, vous devez l'étendre à d'autres matières fiscales ; car enfin la même raison existe au point de vue du trésor, et alors je m'effrayerais encore davantage des conséquences funestes qui en résulteraient. Cette considération, je l'avoue, n'est pas étrangère à la conviction que je me suis formée, en cette matière. On vous l'a dit, dans d'autres pays le serment ne se borne pas à la matière des successions, il s’applique même aux déclarations de douane et à d'autres matières fiscales. On devrait, pour être conséquent, aller jusque-là. Mais prenons le système du gouvernement, c'est-à-dire le rétablissement du serment en matière de succession seule. Il en résulte que l'on frappe d'impuissance les autres lois fiscales qui exigent des déclarations sans accompagnement du serment et qu'on discrédite en quelque sorte les déclarations non assermentées, en faisant supposer que ces déclarations ne sont pas sincères.
De là la conséquence qu'on se croira autorisé plus que jamais à faire de fausses déclarations, là où le serment n'est pas requis ; si vous adoptez la mesure proposée, vous aurez l'air de proclamer que lorsque le serment n'est pas demandé, les lois sont purement pénales, c'est-à-dire que l'on peut, dans ce cas, jouer au plus fin avec le fisc, et que si l'on est saisi, on en est quitte pour payer l'amende ou pour subir la confiscation.
Voilà le danger qui doit évidemment se présenter avec cette mesure partielle ; c'est-à-dire, que les déclarations fausses en dessous de la valeur en d'autres matières que les successions seront plus fréquentes qu'elles ne l'ont été par le passé, que par conséquent vous diminuez vos ressources de ce côté, tout en ne les augmentant que fort peu de l'autre.
Il serait impossible d'établir par un calcul quel sera le résultat exact quant au trésor ; mais toujours est-il que si le serment, tel qu'il est proposé, eu égard à toutes ses conséquences, peut produire quelque chose, ce qui à mes yeux est improbable, il présente d'un autre côté de grands dangers, au point de vue religieux, au point de vue moral ; c'est pourquoi je ne crains pas de dire qu'on doit rejeter cette mesure. Faire le contraire, en vue des intérêts du trésor, ce serait faire d'une question de morale une question d'argent, ce serait mettre à prix la conscience publique.
Messieurs, en commençant ce discours, j'ai eu l'honneur de vous dire qu'à mes yeux le serment en matière fiscale était antipathique à nos mœurs. On vous l'a dit : n'y a t-il pas quelque danger à remettre en honneur une mesure fiscale d'un gouvernement déchu, mesure qui a été repoussée aux acclamations de toute la Belgique, et, comme le dit l'acte qui supprime le serment, à cause de l'immoralité qui s'y rattache ?
Je ne dis pas que l'intention de qui que ce soit dans cette enceinte soit de revenir à l'esprit de 1825, quoique les actes puissent aller au-delà des intentions. Mais je vous demanderai s'il n'y a pas un grand danger à faire naître le seul soupçon d'un tel retour ? Il me semble que, sous ce rapport, nous ne pouvons être trop circonspects : il faut éviter, dans les circonstances actuelles, tout ce qui pourrait avoir l'ombre ou l'apparence d'une réaction.
En présence des événements qui s'annoncent, et qui nous font déjà trembler d'avance, ne faut-il pas éviter de faire naître chez les populations des craintes de retour vers le passé, et de les désaffectionner ainsi à l'égard du gouvernement issu de la révolution de 1830 ? Ne laissez pas aux partis extrêmes et aux partis plus dangereux encore auxquels les événements peuvent donner naissance le prétexte de dire qu'on revient à l'ancien système. Je ne crains pas, pour ma part, ce retour vers les idées hollandaises, prises en général ; je ne crains pas la restauration de ces idées en Belgique, aussi longtemps que nous resterons indépendants ; car, j'ose le dire, si cette liberté que nous chérissons tous, dans ses rapports avec la religion et avec la politique, si cette liberté était étouffée par des mesures de réaction quelconques, j'aurais espoir dans l'avenir, et je serais persuadé qu'elle ne manquerait pas de renaître, sous l'inspiration patriotique et par l'instinct traditionnel de la nation. Je nourris cet espoir à une condition, c'est que nous restions indépendants, que nous conservions notre nationalité.
Je prie la chambre de bien réfléchir à l'acte qu'on la convie de poser et qui, comme je pense l'avoir démontré, est contraire à nos mœurs et attaque la nationalité dans son principe même ; dans son principe religieux et politique.
Les masses, je le sais, sont attachées à la patrie, à la nationalité ; mais elles peuvent être ébranlées, séduites par des influences étrangères plus dangereuses que celles de la Hollande, qui ont, dans tous les temps, menace de subjuguer la Belgique, et qui, profitant des fautes que nous aurions commises, chercheraient à dégoûter la nation de son état actuel, en le comparant à son passé, et à l'entraîner ainsi vers des destinées nouvelles.
Je me résume en disant que le serment en matière fiscale me paraît inadmissible, parce qu'il doit nécessairement porter atteinte au sentiment religieux ; en second lieu parce qu'il établit une inégalité en matière d'impôts ; et en troisième lieu, parce qu'il est inefficace pour atteindre le but qu'on se propose, pour combler le vide qui existe dans le trésor. Enfin, il est essentiellement antipatriotique, et à ce titre seul je dois le repousser.
(page 1370) M. Rodenbach. - Messieurs, me trouvant absent lors de la discussion générale de la loi, je saisirai l'occasion que me donne l'article 14, pour me prononcer de toutes mes forces contre le serment. Je voterai contre le serment parce que c'était un de nos griefs contre le gouvernement de Guillaume, dont plus de 300,000 pétitionnaires ont demandé le redressement, et que notre gouvernement provisoire s'est empressé de révoquer ; je voterai contre le serment parce que je le crois immoral, que c'est une prime au parjure, et que je ne veux pas protéger les sycophantes et les fripons au préjudice des honnêtes gens.
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne veux pas prendre inutilement les moments de la chambre. J'ai, il y a deux jours, exposé et développé une thèse qui, à ma manière de voir, n'a pas été sérieusement attaquée jusqu'à présent, et je ne suis pas disposé à répéter les arguments que j'ai fait valoir. Je tiens seulement à bien dessiner la position.
Au sein de la section centrale, ainsi que je l'ai dit, seul de mon avis, mais avec une conviction profonde, j'ai soutenu la proposition du gouvernement quant au serment. Je la soutiens encore aujourd'hui, et c'est cette proposition à laquelle je donnerai la préférence dans le vote.
J'ai présenté, au sein de la section centrale, plusieurs amendements. Je les ai présentés subsidiairement, et pour le cas seulement où la disposition principale viendrait à ne pas être adoptée. Vous trouverez, messieurs, ces amendements dans le rapport de la section centrale.
Ces amendements n'ont pas réuni une majorité, et dans la discussion qui vient de s'engager aucun des honorables préopinants ne s'est montré disposé, jusqu'à présent, à les faire siens.
Quelle doit être, messieurs, la conséquence de tout cela, si les choses en restent à ce point ? C'est que non seulement nous n'aurons pas de droit de succcession en ligne directe, mais que nous n'aurons même plus de droit de succession en ligne collatérale sur le mobilier, car il est parfaitement inutile d'avoir un droit de succession en ligne collatérale sur le mobilier, lorsque tout se réduit à ceci : Déclarer à qui voudra, autant qu'il voudra, pas plus qu'il ne voudra ; et le gouvernement n'aura aucun moyen pour prouver la fausseté de la déclaration.
Voila, messieurs, le résumé de toute la discussion.
Je voudrais bien qu'un des honorables préopinants qui contestent le système du gouvernement, voulût bien nous dire par quels moyens le gouvernement pourra prouver la fausseté des déclarations en matière de succession mobilière.
M. de Mérode. - Il ne le peut pas.
M. Verhaegen. - L'honorable M. de Mérode dit qu'il ne le peut pas. Cela signilie donc, comme je le disais à l'instant, qu'on pourra déclarer tout ce qu'on voudra, pas plus qu'on ne voudra et que le gouvernement devra s'en rapporter aveuglement aux déclarations. (Interruption.) Cela veut dire, messieurs (soyons raisonnables et nous serons en même temps beaucoup plus justes pour tous les systèmes) cela veut dire enfin qu'il faut abroger le droit de succession même en ligne collatérale sur le mobilier. C'est là la conséquence à laquelle conduit le système de nos honorables adversaires.
J'avais, messieurs, subsidiairement proposé, au sein de la section centrale, une disposition que j'avais rédigée ainsi :
« Le gouvernement pourra démontrer la fausseté de la déclaration par tous les moyens de preuve reconnus par les lois civiles. »
Et qu'est-ce que je demandais par cet amendement ? Je demandais que le fisc fût mis sur la même ligne que tous les particuliers quand il s'agit de faire une preuve.
Je dois cependant faire remarquer qu'il y a, quoi qu'on en dise, entre cette proposition et celle du gouvernement, une certaine différence.
D'après la proposition du gouvernement, le serment serait la règle ; d'après mon amendement, le serment ne serait que l'exception ; c'est-à-dire que le gouvernement, comme un particulier, usant de la faculté que la loi lui donne, pourrait, dans certains cas, lorsqu'il le croirait utile et que les circonstances seraient assez graves, déférer le serment litisdécisoire. Mon amendement n'allait pas au-delà.
Nos honorables contradicteurs se plaignent de ce que le serment, déféré trop souvent, donnerait lieu à des inconvénients, ce que, quant à moi, je n'admets pas ; mais, dans tous les cas, mon amendement faisait droit à une partie de ces objections.
Cet amendement n'a pas été adopté, je l'ai déjà dit, par la section centrale. Si le gouvernement croyait pouvoir s'y rallier, je le reproduirais. Mais comme je partage avant tout l'opinion du gouvernement, je ne veux pas substituer un autre système à celui qu'il propose, sans connaître son opinion, et comme je crois que ma proposition esl de nature à rallier un grand nombre de voix, je désire qui le gouvernement s'explique sur ce point.
(page 1379) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je n'ai la prétention de convertir personne à l'opinion que je défends ; je dirai très peu de mots sur la question actuellement soumise à la chambre. Les convictions sont formées, je ne les changerai pas.
D'un côté de la chambre, à certains moments, on nous parle des sentiments moraux et religieux, on nous dit qu'il n'y a nulle part sur le globe une nation plus catholique, plus religieuse que la nation belge ; puis, lorsqu'il s'agit de faire appel à ses sentiments moraux et religieux, on nous déclare que c'est exposer le pays à une grande corruption ! Etrange contradiction qui devrait nous avertir qu'il n'y a rien de sincère dans les craintes que l'on manifeste. Si, comme on le repète aussi, il y a certain affaiblissement du sentiment moral, ne faut-il pas l'attribuer, d'ailleurs, à ces doctrines subtiles qui font une grande distinction entre la simple déclaration d'un fait et l'affirmation de ce fait sous la foi du serment ? Beaucoup de personnes pensent qu'elles peuvent, en toute sûreté de conscience, dissimuler, dans une déclaration soumise au fisc, certains objets, exagérer certaines dettes. Le fait serait connu, publié, la preuve contraire à la déclaration serait fournie, qu'il n'en résulterait pas, dans l'opinion publique, un sentiment trop défavorable à celui qui aurait fait une pareille déclaration.
Mais ce que l'on reconnaîtra, ce que l'on sera bien forcé de me concéder, c'est que si cette déclaration menteuse avait été faite sous la foi du serment, celui qui l'aurait faite serait flétri dans l'opinion publique. Si telles sont les mœurs du pays, ne faut-il pas mettre la législation en harmonie avec elles? Qu'y a-t-il, messieurs, de plus moral, qu'y a-t-il qui puisse davantage relever l'homme à ses propres yeux que le procédé que l'on veut employer vis-à-vis de lui ? On n'a pas de preuve ; on lui dit : Nous nous en rapportons à votre foi ; faites serment que ce que vous affirmez est la vérité, et nous vous croyons. Si, après avoir invoqué le serment, si, après avoir fait appel à la conscience et à l'honneur de l'homme, une preuve dans un pur intérêt civil pouvait encore être faite, je comprendrais qu'on attaquât la moralité d'un pareil serment. C'était celui qui existait sous l'ancienne législation. C'est là le serment qui a été aboli avec raison par le gouvernement provisoire, contre lequel je protesterais à mon tour s'il venait à être proposé dans cette enceinte. Un pareil serment, loin d'exalter les sentiments nobles et élevés, n'était propre qu'à dégrader l'homme ; la loi proclamait qu'elle n'avait pas une confiance absolue dans la foi jurée.
Le serment, cela est de son essence, est décisoire; sans doute on doit pouvoir prouver le parjure; car on doit le poursuivre, le punir comme un crime ; mais quant aux intérêts civils, tout est dit lorsque le serment a été prêté. C'est ce que nous demandons en matière de succession.
L'état des mœurs, que je viens de signaler, est-il véritablement attesté par des faits ? Nous pouvons les consulter. En 1827, 1828 et 1829, dans un bureau placé dans une ville de commerce, les déclarations non constatées par actes enregistrés pour des valeurs mobilières, s'élevaient à 10,130,000 fr.
A dix ans de distance, en 1837, 1838 et 1839, c'est-à-dire lorsque les richesses s'étaient notablement accrues, les déclarations faites au bureau de la même ville se réduisent à 2,839,000 fr. Le serment était-il ou non efficace? Est-il ou non évident que l'on fait cette distinction que je signalais?
Pourquoi donc voudriez vous qu'aujourd'hui encore après une aussi déplorable expérience, le législateur continuât à favoriser la dissimulation et la fraude ? Pourquoi ne voudriez-vous pas que l'on fît appel à la conscience des hommes, qu'ils ne veulent donner une déclaration sincère que sous la foi du serment ?
Lorsqu'on recherche les valeurs déclarées en 1829 dans tous les bureaux de chefs-lieux, l'on trouve qu'elles ont été, pour les immeubles, de 21,528,000 fr., et pour les meubles, de 20,868,000 fr.
En 1840, les immeubles déclarés s'élevaient à 23,436,000 fr., et les meubles à 14,130,000 fr. seulement !
Ainsi, tandis qu'en 1829 la valeur des meubles était égale à la valeur des immeubles, en 1840 la valeur des meubles n'est plus que de la moitié environ de la valeur des immeubles.
Au point de vue moral, le serment n'aurait-il pas été salutaire ? Mais il place l'homme entre son intérêt et sa conscience ! Est-ce que ceux qui ont fait de simples déclarations n'ont pas été placés entre leur intérêt et leur conscience ? Seulement en 1827, 1828, 1829, ils ont sacrifié leur intérêt à leur conscience ; en 1837, 1838, 1839, ils ont pactisé avec leur conscience au profit de leur intérêt ! Et puis que signifie cet éternel argument qui fait les frais de toute la discussion depuis vingt ans? Est ce que tous les jours l'homme n'est pas placé entre son intérêt et sa conscience ? Celui qui succombe, c'est le fripon ; celui qui triomphe, c'est l'honnête homme. N'y a-t-il pas une lutte constante entre le bien et le mal, entre les bons et les mauvais instincts ? Et l'homme n'est-il pas d'autant plus près de la perfection morale qu'il suit davantage les inspirations de sa conscience ?
Il y a quelques pays dans lesquels le serment est, on peut le dire, prodigué : en Angleterre, il est applicable à toutes sortes de matières : les serments exiges par le fisc pour obtenir des exemptions d'impôt, la restitution de droits d'accise, ceux déférés en cas de saisie de marchandises et ayant pour but de prouver qu'aucune fraude n'a été commise ou tentée, sont fort fréquents. Le nombre en était tellement considérable qu'en 1831, un acte du parlement a dû en restreindre l'application pour éviter que l'on ne continuât à l'appliquer à des objets trop insignifiants. En 1835, le serment a été confirmé dans la législation ; mais on a autorisé les lois de la trésorerie à le remplacer, dans certains cas, par des déclarations solennelles, qui ressemblent beaucoup à la formule que nous proposons maintenant. Or, le peuple anglais, obligé à prêter tant de serments, serait-il démoralisé ?
M. de Mérode. - Il est très démoralisé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas précisément l'avis de ceux qui ont visité l'Angleterre ; ce n'est pas l'avis de la plupart des publicistes qui ont étudié attentivement ce pays ; l'un d'eux,. M. Léon Faucher, a écrit ceci :
« Ce que j'admire, dit-il, dans les habitudes des Anglais, c'est la sûreté qu'elles amènent dans les relations soit publiques, soit privées. Un homme de quelque valeur ne ment pas. Il ternirait son caractère en altérant ou en dissimulant la vérité. De là une confiance universelle qui simplifie le mécanisme des rapports sociaux.
« Tout se fait en Angleterre sur parole, comme en France par engagement écrit, le serment est élevé à l'état d'institution, et on le prodigue sans avoir à craindre qu'il s'avilisse. En le déférant aux particuliers, on en fait un moyen d'administration. Les commissaires de l'income tax ne demandent aux contribuables que d'affirmer le chiffre de leurs revenus, et c'est sur leu rpropre déclaration qu'on les impose. »
Je suis assez enclin à penser que la législation accoutumant le peuple anglaise à ne pas faire ces subtiles distinctions entre la déclaration pure et simple et la déclaration affirmée sous serment, a contribué à fortifier les moeurs de ce pays. Ici, l'on habitue à mentir, on y convie : on fait des distinctions; en Angleterre, on les repousse.
Peut-être pourrait-on prétendre que l'obligation imposée à chaque déclarant, d'affirmer sous serment sa déclaration, forcerait à prêter serment (page 1340) dans une foule de cas où la déclaration n'a pas assez de valeur pour exiger une pareille solennité.
Mais je demande d'abord si, sous l'empire de nos lois civiles, chacun, dans son intérêt, quelle que soit l'importance de la contestation, pour les choses les plus futiles, si chacun ne peut pas déférer le serment à celui avec qui il est en contestation.
Pourquoi le fisc, c'est-à-dire tout le monde, la société représentée par le fisc ; pourquoi le fisc ne pourrait-il pas être placé dans la même position que tous les particuliers ? Pourquoi ce grand moyen est-il abandonné à tous, excepté à l'Etat ? Pourquoi doit-il être contesté précisément lorsqu'il s'agit de l'intérêt public?
Et puis est-il bien certain que, suivant le droit commun, l'administration ne puisse déférer le serment à ceux qui sont en procès avec elle? Si l'administration des travaux publics est en contestation avec un entrepreneur pour fourniture de travaux ; si les preuves manquent, l'administration des travaux publics pourra, j'imagine, déférer le serment à la partie contre laquelle elle plaidera ; ce sera parfaitement moral ; ce sera l'application d'un article du Code civil. Mais si le département des finances a affaire à quelque particulier de mauvaise foi, qui dissimule une partie de ses biens pour les soustraire à l'impôt, soutiendrez-vous qu'il ne peut, dans les termes de la loi commune, déférer le serment à celui dont la déclaration est contestée ?
Allons plus loin : si l'administration s'avisait de faire interroger les parties avec lesquelles elle serait en contestation, ôtes-vous bien certain qu'on lui refuserait le droit de faire subir un pareil interrogatoire ? Et si l'administration a la faculté de demander un pareil interrogatoire, ne savez-vous pas qu'il doit être subi sous la foi du serment ?
Ainsi, dans certains cas, l'administration peut déférer le serment ; elle peut faire interroger les parties, et jouir du bénéfice du droit commun ; quelle raison y aurait-il donc de lui refuser le pouvoir de réclamer le serment spécial mentionné dans le projet de loi ?
Je persiste à croire que, pour rétablir l'égalité autant que possible, entre l'impôt qui pèse sur les immeubles et celui qui doit peser sur les meubles, il est indispensable d'accorder à l'administration l'un des moyens de preuve les plus puisants et les plus moraux : le serment. Mais pour répondre à l'objection que je signalais tantôt, et éviter que le serment ne soit prêté dans bien des circonstances où la nécessité n'en serait pes démontrée; on pourrait rédiger en ces termes l'article qui est en discussion :
« Le serment pourra être déféré aux parties déclarantes dans les termes suivants sur un ou plusieurs points indiqués dans la formule :
« Qu'elles croient en sincérité de conscience que tous les biens de la succession, autres que les immeubles et les créances spécifiées à l'article 14 de la présente loi, ont été compris dans leur déclaration ; qu'elles n'ont déclaré aucune dette qui, à ce titre, ne soit à la charge de la succession, et qu'elles ont porté à leur véritable valeur les possessions en pays étranger et les biens meubles dont l'évaluation, laissée aux parties déclarantes, est inattaquable par la voie de l'expertise. »
Les conditions et les formalités relatives à la prestation du serment seraient ensuite comme suit :
« A cet effet les parties seront sommées de se présenter, dans un délai qui sera de 20 jours au moins, devant le tribunal de première instance de leur domicile.
« Le serment sera dérisoire; la rectification qui serait ultérieurement apportée à la déclaration, relativement aux objets compris dans la formule du serment, ne donnera lieu à aucune pénalité.
« En cas de maladie ou d'absence du royaume, le délai pour la prestation du serment pourra être prorogé par le Roi.
« La minute du procès-verbal de la prestation du serment sera exempte des droits de timbre, d'enregistrement et de greffe.
« A défautf d'avoir prêté serment, dans le délai fixé, chacune des parties déclarantes sera passible d'une amende de 50 francs par chaque semaine de retard. »
La différence entre la disposition que je propose et celle qui se trouve dans le projet de loi est facile à saisir. D'après le projet de loi, chaque déclarant serait obligé de faire sa déclaration sous la foi du serment. D'après la rédaction nouvelle, l'administration aurait la faculté de déferer le serment dans les termes que je viens d'indiquer.
(page 1370) M. Roussel. - Messieurs, je partage complètement l'avis énoncé tout à l'heure par M. le ministre des finances, qu'il ajut mettre les lois en rapport, en harmonie avec les mœurs. Mais où commence le dissentiment entre M. le minisire des finances et celui qui a l'honneur de porter la parole devant vous, c'est lorsque M. le ministre voit dans l'aveu fait par tout le monde que le sentiment religieux a dans notre pays une grande et notable influence, qmnd il voit dans cet aveu et dans le refus qu'on fait d'inscrire dans la loi en discussion un serment quelconque, lorsqu'il voit, dis-je, dans ces deux faits une inexplicable contradiction.
Il est vrai que le sentiment religieux est dominant en Belgique ; mais il est incontestable aussi que ce même sentimant religieux repousse énergiquement l'idée du serment applicable à une déclaration fiscale. Cela peut facilement s'expliquer. En effet, ce sentiment de l'ordre le plus élevé, ce sentiment, en quelque sorte, surhumain qui forme notre consolation, quand nous n'en avons plus d'autre, consolation de ceux qui vont mourir, cette douce émotion ne peut être appelée en aide par la loi comme moyen financier pour réaliser un but fiscal et pécuniaire, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus utile peut-être dans le monde, mais aussi de moins en rapport avec le sentiment qui nous élève vers notre Créateur.
Oui, messieurs, nos mœurs repoussent le serment religieux appliqué aux matières fiscales. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elles le repoussent ; elles l'ont repoussé avant 1830, et cette répulsion fut pour une grande part dans les griefs qui ont engendré notre révolution de 1830.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jamais !
M. Roussel. - J'apporte mes preuves.
Quand l'arrêté du 17 octobre a été rendu par le gouvernement provisoire qui n'a pas jugé convenable d'attendre que le congrès fût réuni pour lui laisser l'initiative de cette disposition, tant il la considérait comme urgente, en raison de la réclamation unanime qui venait de surgir quand il a pris cette disposition, qu'a-t-il dit ?
« Considérant qu'indépendamment de l'immoralité dont se trouve entaché un pareil système de législation puisqu'il tend a placer les citoyens entre leur intérêt et leur conscience, le serment qui, en matière civile, etc. »
Ainsi, le gouvernement provisoire était déterminé non seulement par l'immoralité telle que la représentait tout à l'heure M. Lebeau, résultant de ce que le serment qui, en matière civile, met à l'abri de toute recherche n'était pas dans la législation hollandaise décisoire contre toute recherche ultérieure, mais parce qu'il tendait à placer les citoyens entre leur intérêt et leur conscience religieuse.
Voilà le grand motif de l'arrêté décrété par le gouvernement provisoire de Belgique en 1830.
- Un membre. - Tous les serments placent le citoyen entre son intérêt et sa conscience.
M. Roussel. - Je vais aborder cette objection, puisqu'on insiste. Non, tous les serments ne placent point le citoyen enlrc les impulsions de son intérêt et les commandements de sa conscience.
Encore une fois, j'apporte une preuve historique. Parmi les griefs qui ont motivé notre révolution de 1830, l'un des plus imposants était le serment en matière de déclarations de successions. En voulez-vous un témoigmge irrécusable ? C'est que le gouvernement issu de la révolution n'a pas attendu que le pouvoir régulier, le pouvoir constituant fût installé, mais qu'il a pris immédiatement la résolution qui abolit une mesure devenue odieuse.
Les mœurs nationales et le gouvernement provisoire se trompaient donc s'il est vrai que tout serment place les citoyens entre leur intérêt et leur conscience.
Remarquez, messieurs, qu'il faut distinguer deux espèces de serment : le serment prêté par une personne désintéressée, dans l'intérêt commun de la société, et le serment prêté par une personne qui a un intérêt particulier dans ce qui fait l'objet de son affirmation, à l'appui de laquelle elle invoque le nom puissant de Dieu.
Dans l'ancienne législation, ce mode d'expurgation était admis en matière civile comme en matière criminelle ; grave erreur ! Contradiction évidente aux principes consacrés par notre ordre de choses ! On a été obligé par cet ordre de choses nouveau de restreindre, sauf les exceptions établies par la loi civile, le serment confirmatif aux affirmations qui semblaient désintéressées ou qui devaient l'être. Quand un témoin est appelé à déclarer un fait qui l'intéresse personnellement, il est dispensé de prêter serment.
Arrivé devant le juge il dit : « Je ne puis prêter serment, car j'ai un intérêt dans l'affaire dont il s'agit. »
Il en est immédiatement dispensé ! Dont il se présente deux espèces de serment, le serment qu'on pourrait appeler social et celui qui forme la preuve de certains intérêts privés et que le citoyen peut être appelé à prêter dans une contestation judiciaire civile à lui personnelle.
Ce dernier serment, c'est le serment judiciaire déféré ou référé qui est inscrit dans le Code civil. Cette dernière espèce de serment est généralement condamnée par tous les auteurs qui ont traité de la matière au point de vue législatif. Tout le monde condamne le serment qui doit constater un fait de nature à déterminer l'application d'un droit, quand l'intéressé doit le prêter.
Tout le monde convient qu'il vaudrait mieux, quand il n'existe pas d’autre moyen de prouver le fondement d'une réclamation, de ne point faire un appel à la conscience religieuse d'un adversaire, mais de déclarer simplement la demande non-fondée. On s'abstiendrait ainsi de placer le défendeur dans l'alternative de se parjurer ou de se faire du mal à (page 1371) lui-même, alternative contraire à la nature humaine et au véritable sentiment religieux.
La discussion nous a conduits à une transformation dans les propositions du gouvernement. Le serment général pour tous les déclarants est remplacé par le serment litisdécisoire tel que le Code civil l'a institué. C'est l'objet de la proposition de M. le ministre des finances. Je veux examiner brièvement cette dernière proposition, puisque seule elle reste en discussion.
Sur quoi repose la proposition nouvelle ? D'abord sur l'impuissance du fisc à l’effet d’obtenir dans les déclarations successorales toute la sincérité désirable. Mais quelle différence y a-t-il sous ce rapport entre les autres droits fiscaux (enregistrement, douane, accises, etc.) ? La seule différence qui se présente apparaît à l’avantage des droits de succession, puisque la loi civile a réglé avec le plus grand soin la transmission de la propriété entre matière d’hédité , puisque, quand il y a soit minorité, soit intediction, soit le moindre dissentiment entre cohéritirs, l’inventaire et l’enregistrement interviennent dans une foule d’acte qui constates les valeurs mobilières. En cas de déclaration fausse ces formalités et la publicité d’autres actes suggèrent au fisc bon nombre d’adminicules probatoires.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et entre autres les serment !
M. Roussel. - Le serment n’existe pas ici ; ma preuve, c’est que vous voulez l’introduire. Je dis que c’est une preuve surabondante, une preuve mauvaise, parce qu’elle répugne aux sentiments des populations ; il fait mettre les lois en harmonie avec les mœurs. Si j’étais l’ennemi du ministère, je souhaiterais que le serment fût admis ; car rien n’est plus propre à dépopulatiser un gouvernement que cet appel inutile et vexatoire fait aux convictions religieuses dans un pays et dans un temps de liberté ! que cet appel fait pour venir en aide à des droits purement fiscaux, à des intérêts matériels se résumant dans quelques deniers !
A ce sujet, permettez-moi de vous rappeler que tout à l'heure nous avons (et moi le premier), à l'occasion du droit imposé aux donations entre-vifs, séparé les séminaires, les congrégations et les consistoires des hospices et des bureaux de bienfaisance. Pourquoi ? Parce que nous avons trouvé que l'intérêt social devait être distingué de l'intérêt religieux.
Continuons cette séparation ; restons fidèles à ces bonnes, à ces saines doctrines de liberté que le Congrès national a établies. Laissons les questions religieuses dans le domaine de la conscience privée ; dans notre pays la liberté est telle sous ce rapport que chacun a le droit de ne professer aucune religion. Comment l'Etat s'aviserail-il de commander une religion aux particuliers pour s'assurer de leur sincérité dans une déclaration faite au fisc ?
Les motifs qu'on allègue n'ont pour moi aucune valeur. L'honorable président de cette chambre nous disait tantôt : On ne fera plus de déclarations sincères ; on ne déclarera plus rien.
Quoi ! ne fait-on plus de déclarations depuis 1830 ?
Je réponds : On fera ce qu'on a fait de 1350 à 1851. Tout ce qui est profitable au fisc n'est pas pour cela juste et conforme anx mœurs nationales.
Les choses utiles ou profitables à l'Etat ne sont point, par cela même, justifiées.
Je n'ai pas, messieurs, à vous entretenir de mes idées religieuses personnelles, mais je suis en droit de demander, à cet égard, la liberté la plus complète pour tout le monde.
Un citoyen peut-il être obligé de s'engager devant Dieu, s'il ne croit pas à son existence, quand chacun, en Belgique, a le droit de professer l'athéisme que, pour ma part, je repousse de toute la sincérité de mes convictions ?
Fidèles aux principes de la Constitution et de la liberté belge, ne confondons point, je vous en supplie, les doctrines sociales et religieuses. Que notre tolérance complète soit la base de notre union.
Il serait peut-être préférable que l'on n'eût pas établi le serment en matière politique. En vérité, ce serment est un mal ; mais il est constitutionnel, et je m'y soumets. En matière d'obéissance aux pouvoirs politiques établis, la grandeur de l'intérêt, la majesté du devoir autorise peut-être l'emploi du serment ; mais l'obligation du serment en matière de déclarations successorales, c'est la prostitution de l'idée religieuse, la subordination de cette grande idée à l'intérêt pécuniaire de l'Etat. C'est la confusion de choses tellement distinctes que la conscience se refuse à les réunir.
M'opposera-t-on l'exemple de l'Angleterre ? Hier encore je lisais Bentham. Le serment en matière de douane, en matière de fisc, dit-il, est devenu, en Angleterre, une véritable dérision ; l'application de la religion aux matières fiscales lui semble une méthode étrange et à bon droit. Il est conduit, par le sujet qu'il traite, à étudier l'intéressante question de savoir si le serment imposé par un tyran est obligatoire. S'il en est ainsi, s'écrie-t-il, un tyran est constitué le maître de Dieu lui-même ; car, il peut appeler la puissance divine à son aide et contraindre ainsi tout le monde à la fidélité. Est-il possible qu'on fasse descendre ainsi la majesté divine pour servir des intérêts réels, il est vrai, mais dans un ordre d'idées complètement étranger aux émotions religieuses ?
Pour l'homme religieux, le serment est tout ; il n'est rien pour l'homme irréligieux. Vous voulez créer un moyen sérieux, grave, puissant, irrésistible vis-à-vis des uns, nul, sans force, sans action visa-vis des autres ; votre serment fiscal, c'est, en vérité, le monopole exercé sur la conscience, par ceux qui n'en ont pas au préjudice de ceux qui en ont. Telle est la définition qu'un auteur distingué nous donne du serment appliqué aux intérêts particuliers.
Si l'on veut réviser le Code civil et supprimer le serment litisdécisoire, je ne demande pas mieux. J'appueiraus de tout mon cœur une telle réforme constitutive d'un progrès réel.
Reconnaissons, messieurs, qu'il y a une flagrante contradiction entre nos mœurs nationales si sincèrement religieuses et la prétention d'imposer un serment fiscal aux citoyens belges ; reconnaissons que la grande majorité de la nation belge repousse le serment qui nous est proposé, qu'il soit déclaratoire ou litisdécisoire. Quant à moi, je ne voterai ni pour l'un, ni pour l'autre.
M. Rodenbach. - Aux voix ! Il n'y aura pas vingt voix pour la proposition du gouvernement.
M. Dolez. - Je me prononce sans la moindre hésitation pour la proposition nouvelle qui vient de vous être faite par le chef du département des finances. Pour moi, il me semble qu'il n'y a pas de milieu entrer ces deux idées : ou il faut adopter la proposition qui vous est faite, ou il faut proscrire de notre droit la faculté de déférer le serment.
Parmi les adversaires du serment un seul a été logique : c'est l'honorable M. Roussel. Je comprends qu'en se plaçant à certain point de vue on puisse soutenir que le serment ne doit pas être admis comme moyen de preuve dans la loi civile, qu'il ne peut être imposé à la conscience de l'homme religieux que dans les cas qui intéressent au premier chef la société, tels que, par exemple, les témoignages en matière de délit ou de crime. Mais ce que je ne comprends pas, c'est que, quand notre législation accorde au particulier, pour l'intérêt le plus minime, la faculté de remettre la décision d'un litige à la conscience de ses adversaires, cette faculté soit repoussée lorsqu'elle est demandée dans l'intérêt du fisc.
Et cependant aucun des adversaires de la proposition ne demande de modifier notre législation civile. Personne dans cette chambre ne demande que le serment décisoire ou supplétif soit aboli en matière civile.
Si personne dans cette chambre ne propose cette réforme radicale du système de preuve admis par notre loi civile, est-il vrai du moins, comme on vient de le dire, que tous les auteurs se prononcent contre le serment en matière civile ? C'est ce que je ne puis admettre. Qu'on lise par exemple le plus religieux peut-être d'entre les auteurs qui ont écrit sur le Code civil, le savant et illustre Toullier, et l'on verra qu'il reconnaît et constate l'utilité du serment et qu'il en donne pour raison, qu'il est des consciences qui, sans être complétement épurées pour toujours respecter la vérité dans leurs simples déclarations, le sont cependant assez pour reculer devant la violation de la sainteté du serment.
Je n'accepte donc pas cette proscription théorique du serment, que- ous venez d'entendre dans la bouche de l'honorable député de Bruxelles ; je persévère à croire que le serment doit compter encore, doit compter toujours parmi les modes de preuves que la loi doit autoriser.
Quoi qu'il en soit, nous devons prendre pour point de départ de notre délibération et de notre vote, la loi civile telle qu'elle est. Or, cette loi civile accorde la faculté de déférer le serment, et le gouvernement ne nous demande pas autre chose.
Et, messieurs, dans quel ordre d'idées vous fait-il cette proposition ? Une loi existe. Une loi est une œuvre sérieuse ; elle est faite pour être exécutée, respectée par tous ; le législateur, moins que tout autre, doit vouloir que son œuvre ne soit pas fidèlement respectée. Eh bien, vous savez que la loi de 1817 sur le droit de succession n'est pas fidèlement exécutée. Vous savez que pour les successions mobilières cette loi est, pour la plupart du temps, une véritable lettre morte. Par un abus, que la morale réprouve, on ne déclare les valeurs mobilières que dans le cas où il existerait pour le fisc des moyens d'établir la fausseté de la déclaration qui les tairait. Il en résulte, non seulement qu'on ravit ainsi au fisc et par la fraude, les droits que la loi lui assurait, mais encore que ceux qui subissent seuls la rigueur de l'impôt, sont seulement ceux que l'ensemble de nos lois considèrent comme devant être l'objet de leur protection ; j'allais dire de leur faveur.
En effet, il est des successions pour lesquelles des inventaires doivent être dressés. Ces successions sont surtout celles qui intéressent des mineurs, il en résulte que quand des mineurs sont appelés à une succession, la loi sur le droit de succession est fatalement, fidèlement appliquée. Pourquoi ? Parce que la nécessité de l'inventaire qui constate l'avoir de l'hérédité, rend impossible toute dissimulation de cet avoir dans la déclaration de succession.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et cet inventaire est garanti sous la foi du serment.
M. Dolez. - On me fait remarquer avec raison que la sincérité des déclarations qui sont faites au moment de la clôture de l'inventaire sont garanties sous la foi du serment.
Ainsi là où le contribuable est le plus digne d'égard, là où il est entouré d'intérêt par toutes nos lois, la loi fiscale doit être rigoureusement appliquée.
Quand au contraire, les héritiers sont des majeurs, ils sont parfaitement libres détenir le silence le plus complet sur les valeurs (erratum, p. 1387) mobilières héréditaires auxquelles ils sont appelés à prendre part.
Je demande, messieurs, à vos consciences, puisque c'est une question de conscience que nous agitons en ce moment, si cela est juste, si cela (page 1372) est équitable, si un pareil état de choses est digne de vos sympathies, s'il est digne de l'émotion profonde que sa défense inspirait tout à l'heure à l'honorable député de Bruxelles.
L'état de choses actuel, savez-vous bien, messieurs, qui il favorise ? Mais il favorise l'homme déloyal au détriment de l'homme sincère. Il encourage, il protège le premier, tandis qu'il frappe le second. Il érige en véritable dupe le citoyen consciencieux qui ne croit pas pouvoir frauder le fisc, tandis qu'il ne donne pas même les garanties ordinaires de la loi civile contre celui qui pense que le fisc peut être fraudé toutes les fois que les organes du fisc n'ont pas en main la possibilité de prouver la fraude. Un tel état de choses, je le déclare au nom de la morale, ne peut avoir mes sympathies.
Je vous disais tout à l'heure que si la chambre repoussait le serment en cette matière, elle devait le proscrire complètement en matière civile. Mais je vais plus loin.
Je soutiens que s'il est un cas dans lequel le serment puisse être efficace, dans lequel même la seule faculté de le déférer puisse être préventivement efficace, c'est celui qui nous occupe. Accordez au gouvernement la simple faculté de droit commun qu'il vous demande aujourd'hui, et j'ai la conviction que les délations de serment seront excessivement rares. Immédiatement, en effet, vous verrez changer les habitudes et les mœurs en matière de déclaration de succession. Aujourd'hui, savez-vous comment les choses se passent ? Les déclarations de succession ne sont pour ainsi dire jamais l'œuvre des héritiers eux-mêmes. C'est un homme d'affaires qui rédige la déclaration, c'est un homme d'affaires que la signe.
Eh bien, cet homme d'affaire qui ne ment pas pour lui-même, qui ne ment pas dans son propre intérêt, se croit par cela même, la conscience parfaitement en repos quand il laisse à l'écart la presque totalité de l'avoir mobilier qu'il avait à déclarer.
Lorsqu'au contraire les parties sauront qu'à côté des déclarations fausses, il y a l'éventualité d'une délation du serment, elles y veilleront elles-mêmes, elles ne voudront pas être exposées à se voir dans cette alternative, ou bien de venir prêter un faux serment ou bien d'avouer par le refus de prêter le serment, qu'elles avaient tenté de frauder le fisc.
Mais il y a plus encore, et je tiens à démontrer à la chambre qu'en cette matière le serment, rien que par l’existence du principe, rien que par la possibilité de le déférer, produira tous les effets que nous désirons atteindre. Je tiens à établir qu’il présentera des garanties plus sîres qu’en tout autre matière. En effet, dans un procès ordinaire, la partie à laquelle on défère le serment ne peut avoir que deux craintes : (erratum, p. 1387) la crainte de rougir devant l’adversaire qui la saurait parjure et la crainte de Dieu. Hors ces deux craintes, il n’en existe pas pour elle.
Mais en matière de succession, il est rare qu'il n'y ait qu'un seul héritier ; il est rare que des hommes d'affaires n'aient pas été appelés à connaître l'importance de héritage. Eh bien, un utile et mutuel contrôle s'exercera entre toutes ces consciences intéressées à la sincérité de la déclaration.
Et qui donc, je le demande, croira qu'une famille entière, à côté de laquelle seront presque toujours des hommes d'affaires initiés à tous les secrets de l'hérédité, verra tous ses membres s'accorder et s'entendre pour faire un faux serment, quand tous pourraient à l'avenir se frapper d'un mutuel mépris et s'accuser de parjure !
Il y a donc dans le serment, dans la possibilité seule de le déférer, les garanties que nous désirons rencontrer.
Répondrai-je maintenant à cette pensée sur laquelle divers orateurs et notamment celui qui vient de se rasseoir, sont revenus, à cette pensée que nous rétrogradons, que nous revenons au système que 1830 a anéanti ?
Si la proposition qui vous est faite par le gouvernement n'était que la reproduction de l'état de choses qui avait été introduit par la loi de 1817, je vous déclare que pour mon compte je n'hésiterais pas encore à voter cette proposition, parce que je n'ai nulle sympathie pour la fraude quel que soit le prétexte sous lequel elle abrite ses moyens de succès ; mais je me hâte de dire que la proposition sur laquelle nous délibérons n'a absolument rien de commun avec la loi de 1817.
Qu'avait-on surtout reproché à cette loi ? C'est la prodigalité avec laquelle elle imposait le serment, cette prodigalité du serment, ce système qui appliquait le serment à toutes les successions, qui appelait tous les héritiers à le prêter, même pour le plus mince intérêt. Je conçois qu'ils aient soulevé des objections, des antipathies. Il y avait de plus cette condition, toute en dehors du droit dommun, que celui qui avait prêté serment n'échappait pas cependant au procès dont il était menacé.
Aujourd'hui, que vous demande-t-on ? Comme règle, que l'on acceptera, que l'on croira la simple déclaration faite par le contribuable, mais que quand il y aura des motifs de croire à l'existence de la fraude, on aura recours à la mesure du serment.
Et, messieurs, veuillez-y songer encore, la proposition qui nous est faite n'a-t-elle pas cet autre avantage de diminuer inévitablement les procès auxquels donnait lieu l'ouverture des successions ? Aujourd'hui, quand le fisc croit qu'il y a eu fraude, quelque faibles que soient les moyens de preuve qu'il a entre les mains il tente un procès : il le gagne ou il le perd, mais ces procès sont longs et dispendieux, ils entraînent des procédures pénibles et onéreuses pour les contribuables ; avec la disposition qui nous est proposée, au contraire, quand le gouvernement croira qu'il y a des motifs de suspiscion il dira au contribuable : Je m'en rapporte à vous, mais venez au moins par serment garantir la véracité de votre déclaration.
Je ne crois donc pas, messieurs, que ce soit là une mesure que nos populations repoussent. Je ne crois pas que ce soit une mesure attentatoire à la moralité des populations. Elle aura, au contraire, pour effet de rafferrnir les sentiments de moralité ; car, en définitive, est-il bien moral de permettre aux contribuables de mentir en vue de frauder l'impôt ? Le contribuable croit trop généralement qu'il est permis de frauder le fisc, et si vous veniez par un acte solennel, par un acte dont l'importance elle-même avertira le contribuable qu'il doit rester dans les termes de la vérité ; si vous veniez lui donner cet avertissement, vous feriez disparaître cette erreur démoralisante que le fisc peut être trompé sans que la conscience en soit atteinte.
Je crois pouvoir borner la les observations que j'ai demandé à la chambre la permission de lui soumettre, mais j'insiste particulièrement sur cette circonstance que le serment en matière de droits de succession sera presque toujours respecté, par cela même que le parjure pourrait rarement s'isoler dans sa propre conscience.
M. Delehaye. - M. Delfosse a amendé la proposition du gouvernement en ce sens que le serment ne pourra être déféré qu'avec l'approbation du ministre des finances.
M. Delfosse. - Messieurs, je comprenais les scrupules que la proposition primitive du gouvernement avait soulevés, mais je ne les comprends plus lorsqu'ils s'adressent à la proposition qui vient d'être déposée sur le bureau par M. le ministre des finances. Je ne les comprends pas surtout de la part de l'honorable M. Roussel, qui se dit l'ami du ministère ?
M. Dumortier. - C'est donc une question d'amitié pour le ministère.
M. Delfosse. - Je dis que je ne comprends pas ces scrupules parce que j'ai la conviction que l'on ne peut objecter rien de sérieux contre la proposition telle qu'elle est modifiée ; c'est parce que j'ai cette conviction que je ne les comprends pas surtout de la part de quelqu'un qui se dit l'ami du ministère.
L'honorable M. Roussel trouve que le serment est immoral, en ce qu'il place l'homme entre son intérêt et sa conscience ; mais alors pourquoi laisse-y-on subsister l'article 1358 du Code civil ? L'honorable M. Roussel répond que l'article 1358 du Code civil est condamné par tout le monde comme immoral.
Il me semble que si cet article était condamné par tout le monfr comme immoral, on en aurait depuis longtemps proposé l'abrogation.
Si l'article est immoral, c'était un devoir pour l'honorable M. Roussel d'en proposer l'abrogation dès son entrée dans cette enceinte. (Interruption.) Je développe mon sous-amendement. Vous verrez tout à l'heure si je ne suis pas dans la question.
Messieurs, ce n'est pas seulement l'article 1358 du Code civil qu'il faudrait abroger, c'est aussi l'article 943 du Code de procédure civile, dont le paragraphe 7 prescrit la mention dans l'inventaire du serment prêté lors de la clôture par ceux qui ont été en possession des objets avant l'inventaire ou qui ont habité la maison dans laquelle sont lesdits objets, qu'ils n'en ont rien détourné, vu ni su, qu'il en ait été détourné aucun.
M. Coomans. - C'est un serment négatif.
M. Delfosse. - C'est un serment qui place l'individu entre son intérêt et sa conscience, c'est un serment de la même nature que celui que M. le ministre des finances demande à pouvoir déférer dans certains cas. M. le ministre des finances veut que le déclarant affirme sous serment qu'il n'a rien omis, c'est absolument le même serment que celui qui est prescrit par l'article 943 du Code de procédure civile. L'honorable M. Roussel dira t-il que cet article est aussi condamné par tout le monde comme immoral ?
Je le répète, messieurs, je ne comprends pas les scrupules fondés sur ce que le serment serait immoral. Soutenir cette opinion, ce serait condamner toute notre législation ; ce serait condamner ceux qui l'ont laissée subsister sans réclamation depuis qu'ils sont entrés dans cette enceinte.
Toutefois, il est d'autres scrupules que je comprends. On pourrait craindre que les receveurs des droits de succession, par excès de zèle ou dans leur intérêt personnel, n'abusent du droit de déférer le serment.
Ces scrupules sont respectables, et c'est pour les lever, c'est pour que les contribuables ne soient pas à la merci d'un receveur des droits de succession, que je demande que le serment ne puisse être déféré qu'avec l'approbation du ministre des finances.
Je pense, messieurs, que la proposition de M. le ministre des finances, ainsi sous-amendée, est de nature à obtenir la majorité dans cette chambre.
- La clôture est demandée.
M. Deliége, rapporteur. - Messieurs, je désire faire une déclaration.
Quatre membres de la section centrale ici présents déclarent se rallier à la proposition du gouvernement.
Je n'ajoute qu'un mot, messieurs ; ce n'est pas de ma part un changement d'opinion : déjà dans la section dont je faisais partie, j'ai soutenu cet amendement qui avait été proposé par l'honorable M. Moreau.
M. de Theux (contre la clôture). - Messieurs, ce qui se passe est tellement étrange que je ne me rappelle rien de semblable. Comment ! M. le président annonce qu'il y a plusieurs orateurs inscrits contre la proposition du serment et qu'il n'y a plus d'orateur incrit « pour ». Alors tout à coup un membre se lève et suggère à M. le ministre des finances (page 1373) un amendement ; M. le ministre des finances prend la parole, M. Adolphe Roussel le combat ; ensuite arrive un autre membre qui appuie l’amendement de M. le ministre des finances ; vient encore un autre membre qui dépose un sous-amendement dans le même système ; et la liste des orateurs inscrits contre la proposition primitive de M. le ministre des finances, et de ceux qui veulent combattre la nouvelle proposition, doit disparaître devant une demande de clôture ! Il vaudrait mieux alors supprimer tout à fait la publicité des débats. Je m'oppose formellement à la clôture.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. de Theux vient de dire qu'un honorable membre s'est levé pour inspirer au ministre des finances une modification sur la proposition qu'il avait soumise. Je puis déclarer à l'honorable M. de Theux que j'avais apporté avec moi cette modification ; c'était la conclusion naturelle du discours que j'avais prononcé ; j'attache autant d'importance à la modification que j'ai proposée, qu'au projet primitif ; au point de vue fiscal, je n'estime puisqu'il y ait une grande différence entre les résultats des deux propositions.
M. Dumortier. - C'est la même chose.
M. Rodenbach. - C'est pire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dis que dans l'un et l'autre cas, le trésor public obtiendra la même chose ou à peu près la même chose.
M. Dedecker. - Messieurs, à mon tour, je trouve singulièrement étrange la manière dont on veut clore le débat actuel..
M. Delehaye. - M. Dedecker, on n'insiste plus pour la clôture ; vous avez la parole sur le fond.
M. Dedecker. - Messieurs, l'honorable M. Delfosse vous disait tout à l'heure qu'il ne comprend plus les scrupules qui peuvent empêcher certains membres de voter l'amendement qu'il propose, La proposition qu'il fait, il la trouve d'une nature toute différente : elle ne tendrait plus à compromettre les grands principes qui sont ici en jeu.
Et cependant, il y a un instant, M. le ministre des finances vous disait, de son côté, qu'au fond les deux propositions sont les mêmes ; qu'il ne comprend pas qu'on puisse se plaindre de n'avoir pas le temps d'examiner et de combattre la disposition nouvelle puisqu'elle a la même portée que la proposition primitive.
Quant à moi, je viens déclarer, à mon tour, que la disposition, telle qu'elle est formulée dans les nouveaux amendements, est plus dangereuse que la proposition primitive, et que j'éprouve encore beaucoup plus de répugnance à l'admettre.
Messieurs, tous, nous voulons qu'un impôt solennellement voté, soit perçu rigoureusement, comme il doit l'être. Chaque citoyen doit, en conscience, sa part contributive à l'impôt. Personne n'entend ici justifier la fraude ou l'injustice. Tout le monde est d'accord là-dessus.
La question esl da savoir, en premier lieu, si, pour la perception de l'impôt sur les successions en ligne collatérale, il est absolument nécessaire de rétablir le serment ; en second lieu, si le serment, comme remède extrême, serait en définitive admissible.
A entendre d'honorables membres qui ont parlé tout à l'heure, on dirait que, dans l'état actuel des choses, il n'y a plus, en dehors du serment, de moyen d'assurer la perception rigoureuse de l'impôt.
Mais aujourd'hui les déclarations qui se font en matière de succession sont parfaitement discutées ; il peut même y avoir, comme on l'a fait observer, un interrogatoire, lequel suppose même l'usage du serment. Pourquoi donc insister sur cette nouvelle proposition d'un serment, quelle que soit sa formule ?
Maintenant, en supposant même qu'il n'y eût aucun moyen autre que le serment, pour arriver à une exacte déclaration de la fortune mobilière en matière collatérale, je dirai qu'alors même, pour ma part, je n'en veux pas. Le remède serait pire que le mal. Ne l'oublions pas, au-dessus de l'intérêt fiscal, il y a l'intérêt du sentiment religieux, du sentiment national. C'est au point de vue de ces considérations élevées qu'en vrais législateurs nous devons nous placer.
On a feint de ne pas comprendre notre argumentation, quand nous avons soutenu que l'emploi du serment est chose immoral. Le serment en lui-même est un acte parfaitement légitime et moral. Mais tous les contribuables le prêteront-ils avec une égale sincérité ? Voilà où gît pour nous l'immoralité du serment !
Ah ! si on avait la conviction que tout le monde prêterait consciencieusement serment, il n'y aurail qu'une voix dans l'assemblée, pour admettre le serment ; mais c'est la crainte, je dirai plus, c'est la certitude, vu les tendances du cœur humain et la puissance des intérêts, c'est la certitude que tous ne le prêteront pas avec une égale bonne foi qui institue ici une immoralité.
Dès lors, le serment donne lieu à un abus des choses les plus sacrées, à la violation des sentiments les plus respectables du cœur humain. Bien plus, l'introduction du serment amènera nécessairement une véritable inégalité, inégalité qui est contraire aux principes de la justice comme à ceux de la Constitution. Cette inégalité tournera au préjudice des personnes que, dans toute organisation sociale bien ordonnée, l'Etat doit protéger au préjudice des hommes les plus consciencieux qui seront exposes à être victimes de leur vertu.
On feint encore de croire que nous accusons le sens moral du peuple belge.
« Quelle pauvre idée, nous disait tout à l'heure un honorable membre, vous vous faites du sentiment moral du pays ! » Pas du tout, répondra-je : c'est vous, au contraire, qui en avez une pauvre idée. En effet, vous ne croyez plus à la puissance du sentiment moral seul, puisque faites appel à l’influence d’une sanction religieuse. C’est parce que nous savons que, pour la majeure partie d’entre eux, le serment sera un acte sérieux, que nous ne voulons pas les exposer à être sacrifiés à ceux pour qui le serment n’aurait pas la même valeur religieuse.
« Mais, disait-on encire il n'y a qu'un instant, si le serment doit être aboli en matière de succession, parce qu'il place le contribuable entre sa conscience et son intérêt, il faudra abolir le serment partout où il existe encore dans nos lois et dans nos institutions. » J'ai déjà, dans une séance précédente, répondu que je ne reculerai pas, au besoin, devant une telle conséquence. J'ai dit que s'il fallait introduire des changements dans la législation, ce serait plutôt dans le sens de la restriction du serment que dans le sens de son extension, qu'ils devraient avoir lieu.
Puisque, selon vous, nous sommes inconséquents dans notre système, en ne demandant pas l'abolition universelle du serment, je vous dirai que, vous autres, partisans si chaleureux du serment, vous êtes bien plus inconséquents.
Si vous avez une foi si robuste dans le serment, vous devez provoquer l'application universelle du serment ; si le serment constitue à vos yeux une garantie si sérieuse, que ne le proposez-vous pour les déclarations en matière de douanes ou d'accises ? Ou plutôt, faites mieux encore, proposez un impôt unique sur le revenu, et fiez-vous-en aux déclarations sous serment, c'est un moyen très facile de résoudre un des plus grands problèmes de l'économie politique.
Les principales objections de nos adversaires viennent donc à disparaître.
J'arrive à l'amendement de M. le ministre. Au lieu du serment obligatoire pour tous, M. le ministre propose le serment facultatif de la part du gouvernement.
Au point de vue des principes, je trouve à cette proposition nouvelle les mêmes vices, les mêmes inconvénients qu'à la première.
En fait et dans l'application, elle présentera des inconvénients et des dangers bien plus grands. Il est évident que par ce serment facultatif vous mettez tous les citoyens à la merci du caprice des agents de l'administration. C'est un pouvoir exorbitant que je ne veux donner à personne, pas plus à un ministre qu'à un agent inférieur. Un pareil pouvoir peut aisément devenir une arme funeste, à la disposition des passions politiques. Cela doit être clair et évident pour tous. Le serment facultatif a tous les vices du serment obligatoire, et, de plus, il met les personnes les plus respectables du pays à la merci des agents de l'administration.
Je vous en conjure donc, messieurs, veuillez faire une sérieuse attention au vote que vous allez émettre. Le serment est un acte qui répugne et qui a toujours répugné à nos mœurs ; j'ai été affligé d'entendre tout à l'heure l'honorable M. Lebeau, un vétéran de notre révolution, un des hommes qui ont le plus contribué à fonder la nationalité belge, justifie aujourd'hui un des griefs les plus sérieux du pays contre l'administration hollandaise. J'ai été profondément affligé d'entendre cet honorable membre prétendre que cette question du serment avait été alors mal comprise, qu'elle avait été jugée par les passions politiques, que l'esprit du pays était faussé par les haines internationales. Une pareille appréciation, outre qu'elle est souverainement injuste, est bien dangereuse, surtout dans sa bouche.
Les ennemis de notre révolution n'ont cessé d'articuler contre les Belges de semblables reproches. Pour eux aussi, la révolution belge a été provoquée par des griefs imaginaires, exploités par des passions et des haines ; selon eux aussi, la révolution de 1830 a été faite sans motifs sérieux, par une poignée de brouillons et au profit de quelques ambitieux. Singulier moyen de recommander le serment que de le justifier en faussant le caractère de l'ancienne opposition nationale et en jetant une flétrissure sur notre glorieuse révolution !
D'ailleurs, est-ce seulement de 1830 que date parmi nous cette aversion contre le serment ? Rappelez-vous la manifestation nationale de 1814.
Je ne saurais assez le redire : le serment a toujours été chez nous une importation de l'étranger. En 1830, le sentiment national s'est révolté contre lui, comme il l'avait déjà répudié en 1814.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il était dans les coutumes.
M. Dedecker. - Je vous ai expliqué qu'alors le sentiment religieux était vivace, qu'il pénétrait toute la société ; administration et législation, tout subissait alors l'influence sociale des idées religieuses.
Je termine ces considérations. Aussi bien, pourquoi s'adresser plus longtemps à votre raison ? Je m'en réfère à la conscience de mes collègues, et'j'attends avec confiance le verdict de l'opinion publique.
Pas de distinctions subtiles, pas de capitulations. Ou nous propose d'introduire dans notre législation fiscale ce serment qui blesse le sentiment moral du peuple belge, qui répugne à nos mœurs nationales. J'adjure tous mes collègues de se demander si, en le votant, ils peuvent bien se dire les mandataires du pays.
- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. Coomans. - Je demande la parole contre la clôture. Après tout ce qui vient d'être dit, je n'ajouterai pas un mot sur le fond de la question ; mais quand l'honorable rapporteur de la section centrale a cru pouvoir s'exprimer au nom de la section centrale…
- Plusieurs voix. - Non ! non !
M. Coomans. - Je demande à pouvoir user du même privilège si on me permet un mot, je dirai que la section centrale, dont je suis membre, (page 1374) n'a pas été réunie une seule fois depuis deux ans et demi et que je n’ai pas changé d'opinion.
M. Deliége, rapporteur. - Je n'ai pas parlé au nom de la section centrale, je me suis exprimé de la manière la plus claire. J'ai dit que quatre membres présents de cette section centrale adhéraient à la proposition du gouvernement.
- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.
M. Delehaye. - Le gouvernement se rallie au sous-amendement de M. Delfosse.
Je mets aux voix l'article 14 nouveau proposé par le gouvernement, avec le sous-amendement de M. Delfosse.
- Un grand nombre de voix. - L'appel nominal ! l'appel nominal !
- Il est procédé à cette opération dont voici le résultat :
91 membres répondent à l'appel.
39 membres répondent oui.
52 membres répondent non.
En conséquence, la proposition du gouvenement n'est pas adoptée.
Ont répondu oui : MM. Frère-Orban, Lange, Lebeau, Liefmans, Mascart, Mercier, Moreau, Orts, Peers, Pierre, Prévinaire, Rogier, Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, Van Hoorebeke, Verhaegen, Veydt, Allard, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Lalour, de Brouckere, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Pitteurs, De Pouhon, de Steenhault, Destriveaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez et Dumont (Guillaume).
Ont répondu non : MM. Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Lelièvre, Manilius, Moncheur, Moxhon, Osy, Pirmez, Reyntjens, Rodenbach, Roussel (Adolphe), Sinave, Thibaut, T'Kint de Naeyer, Trémouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Boulez, Clep, Coomans, David, de Bocarmé,de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, de la Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Perceval, de Renesse, de Theux, de T'Serclaes, Dumon (Auguste) et Delehaye.
- La séance est levée à 4 heures et trois quarts.