(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Delehaye, vice-président.)
(page 1351) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Reckem demande l'exécution du chemin de fer de Courtray à Ypres et Poperinghe par Menin et Wervicq. »
« Même demande des habitants de Locre, Westoutre et Watou. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Moorslede demandent que la société concessionnaire du chemin de fer de la Flandre occidentale soit autorisée à construire une ligne de chemin de fer de Deynze à Ypres par Thielt et Roulers, en remplacement de celle de Courtray à Ypres par Menin et Wervicq. »
M. Rodenbach. - Messieurs, depuis quelques semaines il nous est déjà arrivé un grand nombre de pétitions relativement au chemin de fer de la Flandre occidentale. Puisque le rapporteur sur ces pétitions est déjà nommé, je le prierai de faire un prompt rapport, afin qu'on sache à quoi s'en tenir.
M. A. Vandenpeereboom. - La commission des pétitions s'est réunie avant-hier pour examiner les pétitions. Celles-ci ont été distribuées entre les différents membres, et les pétitions relatives au chemin de fer de la Flandre occidentale m'ont été remises. Demain ou après-demain, je pourrai faire un rapport à la chambre.
M. Rodenbach. - C'est très bien.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Les administrations communales de Vollezeele, Oetinghen, Herffelingen, Haute-Croix, Hérinnes, Thollembeek et Gammerages demandent que les dépôts de mendicité soient mis à la charge de l'Etat, et qu'il soit pourvu aux frais de ces établissements au moyen d'un impôt de consommation sur les tabacs. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants d'Anvers demandent une loi qui interdise aux adminisirations communales de percevoir un droit sur les vidanges. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Caneghem demande que la société concessionnaire du chemin de fer de la Flandre occidentale soit tenue d'exécuter son contrat, surtout en ce qui concerne la chemin de fer de Deynze à Thielt par Lichtervelde. »
- Même renvoi.
M. Mascart demande un congé d'un jour.
- Ce congé est accordé.
M. Delehaye. - L'article premier du projet du gouvernement est ainsi conçu :
« Art. 1er. Il sera perçu, à titre de droit de succession, sur la valeur de tout ce qui, après déduction des dettes mentionnées en l'article 12 de la loi du 27 décembre 1817, sera recueilli ou acquis en ligne directe, dans la succession d'un habitant du royaume, savoir :
« Un pour cent, sur ce qui est recueilli ab intestat ;
« Cinq pour cent, sur ce qui est recueilli au-delà. »
M. Lelievre a proposé à cet article l'amendement suivant :
« Art. 1er. Il sera perçu, à titre de droit de succession, sur la valeur de tout ce qui, après déduction des dettes mentionnées en l'article 12 de la loi du 27 décembre 1817, sera recueilli ou acquis en ligne directe au-delà de la portion ab intestat dans la succession d'un habitant du royaume, un impôt de cinq pour cent. »
La parole est à M. Orts.
M. Orts. - M. le président, je compte prendre la parole en faveur de l'amendement de l'honorable M. Lelievre. Mais jusqu'à présent personne n'a parlé contre. Si quelqu'un voulait l'attaquer, je crois qu'il serait convenable d'entendre d'abord cet honorable membre.
M. le président. - La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau. - Je ne sais pas quel est l'état de la discussion, et je demande une explication sur ce point.
Je crois devoir considérer comme retirés les articles premier et suivants, concernant l'établissement d'un droit de succession en ligne directe. M. le ministre des finances nous a dit qu'autant qu'il était en lui, il considérait comme retirée cette partie du projet de loi.
D'honorables membres, au nombre desquels se trouve l'honorable M. Osy, ont demandé que, nonobstant la déclaration du gouvernement, la discussion fût ouverte sur l'article premier et les suivants. Je voudrais savoir si la chambre ne regarde pas comme inopportunes quelques observations sur cette partie de la loi.
Moi, je n'ai pas envie de prendre part à une discussion que je crois parfaitement oiseuse. Je dirai même que si l'on met aux voix les articles retirés par le gouvernement, je devrai m'abstenir ; je serais disposé à les appuyer, mais je ne veux pas émettre un vote inutile.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai fait connaître, au début de la discussion, les intentions du gouvernement en ce qui concerne la ligne directe.
Le gouvernement constate un fait évident : c'est qu'une partie de la majorité, unie à l'opposition, a repoussé le droit sur les successions en ligne directe. En face de cette situation, le gouvernement ne juge pas à propos de soumettre le principe à un vote. Le gouvernement ne veut pas se priver d'un moyen de succès peut-être pour la mesure même que l'on condamne aujourd'hui. Si les impôts actuellement proposés ou qui le seront encore, venaient à être rejetés, le gouvernement aurait à examiner si le moment n'est pas venu de reproduire l'impôt sur les successions en ligne directe. Car, quelle est l'objection d'un grand nombre de personnes ? Nous ne voulons pas, disent-elles, l'impôt sur les successions en ligne directe pour des raisons que, pour ma part, je ne comprends pas ; il y a d'autres objets imposables, présentez-les et nous les accepterons.
Eh bien, messieurs, nous allons voir, nous allons reconnaître si, en effet, on repousse l'impôt sur les successions en ligne directe d'une manière absolue pour lui-même, ou si ce n'est pas plutôt par un motif qui s'applique à peu près à tous les impôts, c'est-à-dire par suite d'une répulsion assez grande, que l'on ne sait pas surmonter, contre tout nouvel impôt. Nous verrons donc ultérieurement. Nous n'avons pas eu sur ce principe, nous le reconnaissons, l'avantage qu'ont obtenu nos adversaires. L'honorable M. de Mérode était partisan de l'impôt sur les successions en ligne directe...
M. de Mérode. - Pas du tout. Prenez-le comme je l'ai proposé et je voterai avec vous.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans la séance du 10 décembre 1843, l'honorable M. de Mérode s'exprimait en ces termes :
« Quant aux droits sur les successions en ligne directe, quoiqu'on en puisse dire, il n'est pas plus injuste que l'impôt foncier, et certes, le propriétaire gagnerait à ce que son héritage fût grevé d'un droit léger plutôt que de laisser au trésor des découverts accumulés qui n'aboutiraient qu'à sa propre ruine ou à celle de ses enfants. »
M. de Mérode. - Je le dis encore.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le 15 juin 1844, l'honorable M. de Mérode averti sans doute par quelques-uns de ses honorables amis, a fait un amendement assez étrange à sa proposition ; il a demandé que l'on établit un droit sur les successions en ligne directe, lorsqu'il n'y a qu'un héritier. Le principe est toujours le même. Il était alors excellent. Mais en 1848 (je ne pense pas que ce soit parce que l'impôt a été proposé par nous), l'honorable membre ne le trouve plus convenable, ne le trouve plus acceptable. Ce sont de ces conversions qu'il est assez difficile d'expliquer.
L'honorable M. Osy provoquait à une autre époque le gouvernement à rétablir le serment. Il en avait fait lui-même la proposition en section centrale. Lorsque ce moyen de preuve se trouve proposé, le premier adversaire que nous rencontrons, chose étrange, c'est l'honorable M. Osy.
Si j'avais eu l'avantage de rencontrer sur les bancs de la majorité un certain nombre de membres disposés à changer d'opinion aussi, si ces honorables membres qui avaient exprimé la pensée que l'impôt sur les successions en ligne directe ne devait pas être accueilli, avaient voulu reconnaître aujourd'hui que cet impôt est juste et moral, nous aurions été heureux de maintenir la disposition du projet. Mais que voyons-nous ? Les personnes que l'on considère, à tort ou à raison, comme les membres les plus avances de cette chambre sont restées inébranlables ; l'honorable M. Lelievre a été et demeure l'adversaire du projet de loi, en ce qui concerne la ligne directe. L'honorable M. de Perceval a été et est encore l'adversaire de cet impôt.
M. de Perceval. - Pardon ; je ne me suis prononcé, ni en sections ni en séance publique ; j'ai réservé mon opinion.
(page 1352) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre a combattu, si je ne me trompe, le projet de loi en section. A coup sûr, il ne l'a pas défendu, il ne le défend pas ; il se se réserve, il vient de le déclarer, son opinion sur l'impôt applicable à la ligne directe.
Beaucoup de membres sont restés dans la même position ; personne n'a changé ; ceux de mes honorables amis qui avaient manifesté une pensée d'opposition, ont maintenu leur opposition.
Maintenant, est-ce par tactique, comme l'a dit l'honorable M. Dedecker, que le projet est abandonné ? Il n'y a à cela, que je sache, aucune espèce de tactique ; il y a de notre part, un aveu très franc et très catégorique ; c'est qu'une partie de la majorité ne suit pas le ministère sur cette question ; c'est la constatation de ce fait qui nous oblige à ajourner un vote sur cet impôt.
Fallait-il sur ce point rompre l'unité de la majorité ? Nos adversaires ont pu l'espérer et le désirer ; mais assurément on aurait reproché comme une faute au cabinet d'avoir amené un pareil résultat.
Je ne veux pas, pour ma part, qu'on puisse imputer à une sorte d'obstination une situation qui serait fâcheuse pour le pays : la division constatée de l'opinion libérale. Je veux aller aussi loin que possible ; mais c'est à la majorité à comprendre qu'elle a quelque chose à faire aussi ; qu'il lui importe, bien plus qu'aux hommes qui la représentent au pouvoir, que les idées que nous défendons, que la politique que nous pratiquons, continuent, soit par nous, soit par d'autres, à diriger la marche du gouvernement ; je le crois très consciencieusement dans l'intérêt du pays.
La majorité suivra-t-elle le gouvernement ? Fera-t-elle ce que je considère comme un devoir pour elle ? C'est ce que nous apprendrons par les votes que la chambre est appelée à émettre sur le projet de loi qui est en discussion. Nous n'avons pas cessé de faire preuve d'un esprit conciliant dans l'intérêt d'une bonne politique ; nous avons fait tout ce qui est compatible avec le maintien de notre dignité personnelle.
On a annoncé l'intention de faire voter la chambre sur l'article premier relatif au droit de succession en ligne directe. Si ce sont les adversaires du projet de loi, qui veulent obtenir de la chambre une profession de foi, une déclaration de principe, nous ne leur donnerons pas cette stérile satisfaction.
La chambre reconnaîtra qu'elle n'a pas à s'exprimer de la sorte ; la chambre, j'en ferais immédiatement la proposition, écarterait par la question préalable une proposition ainsi formulée ; mais si c'est un partisan sérieux du principe du droit de succession en ligne directe qui entend le faire prévaloir, nous aurons à nous expliquer sur la conduite que nous aurions à tenir en celle circonslance.
M. Orts. - Les dernières explications de M. le ministre des finances me paraissent se concilier assez difficilement avec le langage qu'a tenu son collègue le ministre de l'intérieur dans la séance d'hier, au point de vue des partisans dévoués des droits de succession en ligne directe, au nombre desquels je n'hésite pas à me placer ; la chambre me rendra cette justice de reconnaître que je n'ai pas attendu aujourd'hui pour exprimer mon opinion sur cette grave question.
L'ajournement ou le retrait, car les deux expressions sont alternativement employées par le ministre, l'ajournement de l'article premier du projet de loi a été, pour plusieurs membres qui l'ont exprimé, l'occasion d'un regret. Je dirai que, pour moi, cet ajournement est plus qu'un regret, c'est une véritable déception. J'ai toujours considéré le droit de succession en ligne directe comme un des points les plus importants, une des bases capitales de la politique financière du cabinet, à laquelle je donnais l'adhésion la plus dévouée.
Je considérais le projet de loi sur les successions, grâce au droit en ligne directe, comme le premier pas vers cette réforme des impôts que M. le ministre des finances nous annonçait, à son début dans la direction de ce département, devoir être sa préoccupation constante, le but principal qu'il poursuivait.
Il voulait accomplir ce qu'il appelait une promesse faite depuis dix-huit ans, promesse qui n'était pas encore tenue. Cette réforme, vous devez vous le rappeler, avait été caractérisée d'une manière éclatante et dans des circonstances où la chambre avait donné sa plus complète adhésion au caractère qu'on entendait attribuer à la réforme. Il y avait accord entre la chambre presque tout entière et le gouvernement.
Voici en effet comment la question se posait dans les premières séances de la chambre issue des élections générales de 1848. Dans le discours du Trône nous lisons la phrase que voici :
« Plusieurs impôts devront être modifiés dans leur base. Nous ne perdrons pas de vue, dans la répartition des charges ce qui est dû de ménagements à ceux dont le travail seul entretient l'existence. »
Voilà quelle était la pensée du cabinet ; et la pensée du cabinet recevait un commentaire beaucoup plus clair dans un discours du 4 juillet 1848 que prononçait M. le ministre des finances qui tenait alors le portefeuille des travaux publics.
« La pensée dominante de cette révision sera de rechercher les moyens de dégrever les classes qui sont le moins en état de supporter l'impôt et d'en reporter le fardeau sur les classes aisées. »
Et la majorité, par ses orateurs les plus éminents, je citerai en premier lieu l'honorable député de Gand, M. d'Elhoungne, donnaient à ce commentaire la plus éclatante adhésion. Une phrase spéciale de l'adresse que nous avons votée, je pense, à la presque unanimité, portait la même évidente signification.
J'avais considéré le projet de loi sur les successions comme le premier pas dans cette voie, voie qu'avaient indiquée simultanément le gouvernement et la majorité. J'ai donc raison de dire aujourd'hui que le retrait ou l'ajournement est pour moi une déception.
L'honorable ministre des finances nous dit maintenant, pour expliquer l'attitude du gouvernemant : Il ne faut pas que nous divisions la majorité. Nous devons faire vis-à-vis de la majorité des concessions. Nous voulons écarter tout débat qui aboutirait à un dissentiment entre le cabinet et la majorité qui le soutient.
Messieurs, si la conduite du gouvernement, dans cette circonstance, était conforme à un programme déterminé, à un programme connu, à une résolution invariable, je pourrais comprendre l'explication qui nous est donnée. Mais je ne la comprends pas devant le discours qu'a prononcé dans la séance d'hier l'honorable ministre de l'intérieur. Quoi ! pour maintenir l'exécution d'une promesse solennelle devant le pays, promesse, je le reconnais facilement, à laquelle la majorité s'était associée il y a trois ans, et qu'elle ne paraît plus vouloir complètement tenir aujourd'hui, pour l'exécution d'une promesse de cette espèce, vous voulez faire des concessions ? Vous consentez à reculer devant les exigences de votre majorité ? Et vous dites d'un autre côté, que vous ne reculerez pas devant les exigences de cette même majorité pour des objets bien moins importants.
Dans la séance d'hier, M. le ministre de l'intérieur nous a dit en termes formels que sur la question des travaux publics et des ressources demandées pour subvenir à ces dépenses, le ministère poserait vis-à-vis de la majorité la question qu'il refuse de poser sur le principe de la révision des impôls, et sur le droit de succession en ligne directe qui est le premier acte de cette grande mesure.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai parlé de l'ensemble de nos propositions.
M. Orts. - Voici les paroles de M. le ministre de l'intérieur : « Nous voulons continuer ce qui a fait en grande partie la force et la prospérité du pays, mais avec cette différence que nous voulons assurer d'avance les moyens d'exécution, que nous voulons asseoir les travaux sur des ressources réelles, non sur des ressources fictives, éventuelles, comme on l'a fait à une autre époque. Voilà le plan financier du cabinet combiné avec l'exécution des travaux publics. »
Mais la pensée est dans le paragraphe qui va suivre. Je lis l'exposition pour entrer en matière ; il faut que cela soit bien compris :
« La chambre, nous l'espérons, nous suivra dans cette voie qui nous est indiquée par les vrais intérêts du pays.
a Si, je le répète, la majorité en jugeait autrement, si elle croyait qu'il n'y a pas lieu de rétablir l'équilibre dans les finances.... « ( et là je suis d'accord avec vous ) « de mettre le pays en garde par un approvisionnement de travaux publics contre de fâcheuses éventualités... »
Là je ne suis plus d'accord avec vous, et je préférerais voir la question posée sur le terrain actuel.
«... La majorité déclarera par là que le ministère adopte une marche qui ne lui convient plus, et qu'elle n'est plus disposée à le suivre et à l'appuyer. »
Ainsi donc vous ne voulez pas d'une question de cabinet posée entre vous et votre majorité sur le terrain des principes populaires. Mais lorsqu'il s'agit de travaux publics, lorsqu'il s'agit d'intérêts locaux, d'intérêts matériels, de mesquins intérêts d'argent, vous posez des questions de cabinet vis-à-vis de votre majorité !
Je dis que sous ce rapport votre conduite n'est pas explicable. Et je le déclare dès aujourd'hui, si les ressources que vous demanderez à votre majorité au prix d'une question de cabinet, doivent consister dans des impôts sur des objets de consommation que le peuple payera, au lieu d'être trouvés dans la bourse de ceux qui ont le bonheur de pouvoir payer des droits de succession en ligne directe, quelles que soient les conséquences de mon vote, pour moi comme pour les autres, je voterai contre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je pense m'ètre expliqué, dans la séance d'hier, avec la plus grande clarté. J'ai fait connaître à la chambre le double but poursuivi par le gouvernement.
D'abord et avant tout, rétablir et maintenir l'équilibre dans nos finances. En second lieu, améliorer la situation financière de telle sorte que nous puisions baser sur des ressources réelles, et non sur des ressources fictives, les dépenses que le pays réclame pour l'exécution des travaux publics.
Il ne faut pas diviser la déclaration du gouvernement. Je demande qu'on le prenne dans son ensemble et j'ajoute que si la majorité n'accorde pas des ressources au gouvernement pour rétablir l'équilibre et pour exécuter les travaux publics, le gouvernement se regardera comme abandonné par la majorité dans une partie essentielle de son programme politique.
Voilà ce que j'ai dit, voilà ce que je répète aujourd'hui. Mais il n'est pas exact d'avancer que nous aurions annoncé notre retraite sur le simple refus d'impôts destinés à des travaux publics.
(page 1353) Avant tout, messieurs, améliorons la situation financière ; rétablissons et maintenons l'équilibre financier. Voilà d'abord ce qu'il faut faire ; ce que sur tous les bancs de cette chambre on doit, selon nous, s'empresser de faire, si l'on écoute les conseils d'une sage et patriotique prévoyance.
Quant à la conduite que personnellement l'honorable M. Orts se propose de suivre, il est complètement libre de la diriger selon sa conscience. Nous n'entendons en aucune manière lui imposer nos convictions.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je n'ai pas très bien compris, je l'avoue, ce que vient de vous dire tout à l'heure l'honorable M. Orts.
L'honorable M. Orts me semble avoir pensé qu'il obtiendrait un très grand succès en faisant une espèce d'antithèse, en plaçant en regard la déclaration du gouvernement, relativement à l'impôt sur les successions en ligne directe et la déclaration du gouvernement sur l'ensemble de la politique qu'il entend suivre dans les questions soumises actuellement aux discussions de la chambre.
Mais l'honorable membre, messieurs, me paraît s'être singulièrement trompé. Est-ce que l'honorable membre approuverait, lui, membre de la majorité, est-ce qu'il approuverait le gouvernement créant des embarras, dissolvant la majorité, faisant une situation très difficile au pays, sur un impôt, sur un acte isolé.
Il n'y a pas d'homme assez absurde pour le prétendre, pour le conseiller. Il n'y en a pas.
Que sur l'ensemble des mesures à soumettre à la chambre, il y ait déclaration du cabinet, qu'en cas de refus de concours le cabinet serait obligé de se retirer, c'est là ce que le bon sens avoue ; c'est là ce que tout le monde comprend.
Si le gouvernement constatait par des actes successifs, que la majorité refuse de lui donner les moyens d'atteindre le but principal qu'il se propose à l'heure qu'il est, celui de rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat, il ne serait pas nécessaire, messieurs, de poser la question de cabinet : sans avoir exprimé sa pensée à cet égard, chacun comprend qu'il ne resterait qu'une seule issue ouverte, et, en tous cas, la ligne de conduite du ministre des finances serait nettement indiquée.
L'honorable membre semble me reprocher d'avoir abandonné un principe que je trouve bon, un principe que je trouve juste, que j'ai fait bien des efforts pour faire pénétrer dans la législation. Mais l'honorable membre, qu'il me permette de le dire, est injuste et malveillant à mon égard... (interruption), injuste et malveillant à mon égard.
J'aurais compris qu'il s'élevât contre ceux de nos amis communs qui ne nous suivent pas dans la voie où il veut les engager ; mais je ne comprends pas que ce soit précisément à moi qu'il adresse ses reproches, lorsqu'il ne sait que trop bien que je n'ai pas abandonné le principe, que c'est à mon grand regret que je suis obligé, pour le sauvegarder autant que possible, de ne pas provoquer un vote de la chambre, parce que, dès ce moment, il serait condamné, tandis que l'espoir nous reste encore de le faire prévaloir lorsqu'il aura été constaté que c'est moins l'impôt sur les successions en ligne directe que l'on veut écarter, que toute espèce d'impôt ; ce que je ne crains que trop, que dans de telles circonstances l'honorable membre m'accuse, c'est ce qui paraîtra inouï à tous les hommes impartiaux. Lorsque le moment opportun sera venu, nous verrons si l'honorable membre sera plus empressé que moi à venir demander à la chambre de voter enfin cet impôt légitime en faveur duquel nous luttons depuis si longtemps.
Nous ne sommes pas plus disposés que l'honorable membre à provoquer des impôts qui pèsent sur le peuple ; non pas que je partage l'opinion exprimée à une autre époque par l'honorable membre qui réclamait l'abolition de tous les impôts indirects, prétention injuste que j'ai condamnée lorsqu'elle a été produite, et que je condamne encore aujourd'hui. Mais les mesures que le gouvernement aura à présenter n'auront pas le caractère que l'honorable membre leur attribue. Ainsi pour les bières notamment, il s'agira de savoir si l'impôt, qui a été décroissant depuis 1840, doit continuer à nous échapper.
Il s'agira de savoir si le gouvernement conservera les produits qu'il avait en 1840 et qui lui ont été ravis depuis lors. Il s'agira de savoir si l'impôt qu'on pouvait supporter en 1840 on peut le supporter en 1851, en face des nécessités de la situation. Il s'agirait de savoir si une augmentation de l'accise ne représente pas les qualités qui échappent aujourd'hui à l'impôt ; si ce n'est pas l'équivalent d'autres moyens que l'on pourrait employer sans même changer ï'impôt. Si vous vous disposez à combattre ce projet ; si votre intention est de faire en sorte que les revenus du trésor s'en aillent en pure perte, sans aucun profit pour le consommateur, je me réserve de vous démontrer que vous suivez une voie détestable, que vous suivez un système qui ne consiste qu'à faire des concessions à ceux qui profitent des vices de la législation, je me réserve de vous démontrer qu'en suivant un pareil système on arriverait à détruire entièrement les finances du pays.
Il y aura un autre impôt, l'impôt sur le genièvre ; si vous êtes disposé à combattre celui-là, vous pourrez le faire ; vous pourrez élever la voix pour annoncer que cet impôt pèse sur le peuple. Oui le genièvre pèse sur la moralité du peuple ; oui, le genièvre démoralise le peuple : il faut le lui vendre à vil prix !
Il y aura un impôt sur un autre objet que peut-être l'honorable membre voudra bien qualifier d'objet de luxe : le tabac.
Nous verrons si celui-là vous le trouverez trop lourd pour le peuple ! Mais de grâce, réservez vos malédictions ; attendez les propositions du gouvernement et vous verrez s'il se conforme aux principes qu'il a constamment défendus et qu'il n'abandonnera pas.
M. de Perceval. - Je désire, messieurs, répondre quelques mots à ce que M. le ministre des finances vous a dit relativement à la position que j'ai prise en 1849 quand la chambre a été saisie du projet de loi tendant à frapper d'un impôt les successions en ligne directe. Je déclare, et les honorables membres qui ont siégé avec moi dans les sections pourront l'affirmer, que je ne me suis pas prononcé sur cet impôt. Envoyé en 1848 au parlement pour introduire dans les services publics toutes les économies qu'il serait possible de faire sans désorganiser ces mêmes services, j'ai soutenu cette opinion, admise par un grand nombre de mes amis politiques, qu'il ne fallait songer à voter de nouveaux impôts qu'après avoir préalablement opéré des économies dans toutes les branches de l'administration publique qui en étaient susceptibles.
C'est ce que le gouvernemsnt et la législature ont fait pour plusieurs budgets.
Maintenant, M. le ministre des finances nous démontre que, malgré toutes ces économies présentées et acceptées, il est encore nécessaire, pour équilibrer nos recettes avec nos dépenses, pour améliorer la situation financière du pays, de créer de nouvelles ressources Nous n'avons devant nous en ce moment qu'un projet de loi sur les successions en ligne collatérale, et je le voterai. Quand le gouvernement nous présentera le projet de loi sur les successions en ligne directe, je n'hésiterai pas à m'expliquer sur le principe que ce projet de loi renfermera. Jusque-là, je réserve mon opinion. Du reste, l'Etat est en droit de chercher l'impôt là où se trouve la richesse ; il doit atteindre les classes riches, aisées, celles qui possèdent et qui peuvent payer l'impôt.
Pour ce qui concerne les impôts indirects, les impôts de consommation, je le déclare d'avance, j'en serai l'adversaire aussi convaincu que constant.
M. Lebeau. - Messieurs, il se passe en vérité, dans cette enceinte, quelque chose d'assez extraordinaire : c'est que l'impôt sur les successions en ligne directe, qui semblait, lorsqu'il était soumis à une discussion sérieuse, devoir soulever des répugnances sur tous les bancs, semble aujourd'hui reclamé par tout le monde.
M. Dumortier. - Pas du tout.
M. Osy. - Je demande la parole.
M. Lebeau. - Il me semble au moins que le nombre de ses défenseurs s'accroît dans une proportion véritablement extraordinaire.
Ceci, messieurs, achève pour moi la démonstration d'un axiome bien vieux en matière d'impôt, c'est que l'impôt qui ne vaut rien est celui qu'on discute ; tandis que les autres on peut en faire l'éloge, sauf à revenir sur cet éloge lorsqu'il s'agira sérieusement de le voter.
Messieurs, je suis un de ceux qui n'ont pas crié toujours au scandale et à l'oppression de la conscience du député, quand les ministres ont posé une question de cabinet ; j'ai plusieurs fois pensé qu'alors ils étaient parfaitement dans leur droit.
Mais, je l'avoue, je ne pousse pas le goût des questions de cabinet jusqu'à en valoir à tout propos, ou jusqu'à en valoir surtout dans une question qui est essentiellement (je demande qu'on ne se scandalise pas de l'expression ), qui est essentiellement mixte, qui n'a absolument aucun caractère politique. On peut être de la droite très consciencieusement, très honorablement, et vouloir un droit de succession en ligne directe ; de la même manière, on peut être de la gauche, ei ne pas vouloir le droit de succession en ligne directe.
Que si de ce chef il y avait, à la suite de ce qui se passe ici, des paroles sévères à adresser à l'un ou à l'autre membre de cette chambre, je crois que, pour être juste, cette sévérité devrait encore aller au-delà du cabinet.
Mais si j'ai demandé la parole, c'est surtout pour dégager ma responsabilité de l'espèce de pression, très consciencieusement exercée, je l'admets, mais enfin de l'espèce de pression exercée encore une fois aujourd'hui sur le cabinet, par une partie de ses amis.
Je regrette profondément, beaucoup moins pour le cabinet que pour l'opinion libérale tout entière, l'attitude qu'elle a cru devoir prendre dans la discussion d'un projet de loi qui est l'un des meilleurs, l'un des plus raisonnables, l'un des plus équitables qu'il soit possible d'imaginer...
M. Deliége. - Je demande la parole.
M. Lebeauù. - L'expression de cette opinion n'est pas suspecte, je m'en suis expliqué bien catégoriquement, dès l'apparition du projet de loi dans cette enceinte.
(page 1354) Je ne concevrais pas qu'on pût adresser le reproche d'injustice, de socialisme à une loi que l'empereur Napoléon, qui n'aimait guère les socialistes et les démocrates, a consacrée dans la législation française ; qui a été conservée par Louis XVIII, de peu socialiste mémoire par Charles X, par le roi Louis-Philippe ; qui n'est l'objet d'aucune réclamation chez nos voisins ; qui existe en Angleterre ; qui n'y soulève qu'une seule réclamation la part de l'opinion libérale, à la tête de laquelle se trouve M. Cobden, qui demande, comme la cessation d'une iniquité, que le droit de succession en ligne directe, existant déjà sur les meubles, soit rodunilij pour les immeubles.
Messieurs, je l'avoue, je ne suis pas partisan d'une réforme d'impôts dans la situation politique et financière où se trouve la Belgique ; mais ce n'est pas sans de graves scrupules cependant, que je contribuerais à repousser notre législation financière son droit de succession en ligne directe, alors que nos besoins financiers et la prévoyance politique exigent que nous y laissions figurer intégralement l'impôt du sel, les droits sur les denrées alimentaires, des droits prohibitifs sur les étoffes destinées à vêtir les classes les plus nécessiteuses de la société. Voilà ce que je dois déplorer ; mais je n'en fais pas principalement un reproche et beaucoup moins encore un reproche exclusif au cabinet. Ce reproche serait injuste.
Je n'ai pris la parole sur cet incident, je le répète, que pour dégager ma part de responsabilité dans l'attitude qui est prise par d'autres membres de l'opinion libérale, attitude que je n'ai pas le droit de critiquer, mais à laquelle j'ai le droit de déclarer que je n'ai jamais pris part.
M. Orts. - essieurs, je ne sais pas si je dois répondre au reproche que m'a adressé M. le ministre des finances, en prétendant que j'aurais été malveillant envers lui ; car l'honorable ministre s'est borné sur ce point à alléguer ; il n'a pas même cherché à prouver.
Je me serais égalemement rendu coupable d'injustice à son égard, parce que je ne lui aurais pas tenu compte des efforts consciencieux qu'il a mis en œuvre pour faire prévaloir dans cette enceinte le principe du droit de succession en ligne directe.
Mais M. le ministre des finances m'a certainement bien mal compris ou bien mal écouté ; je n'ai en aucune façon révoqué en doute qu'il eût tenté à différentes reprises des efforts consciencieux, louables, qu'il a fait alors preuve d'autant de talent que de bonne foi, pour amener le triomphe de son principe.
Mais je lui ai reproché quelque chose, et je crois que ce reproche était juste, c'est de n'avoir pas persévéré jusqu'au bout ; je lui ai reproché d'attacher, avec M. le ministre de l'intérieur, d'attacher plus d'importance à une question de travaux publics qu'à une question de principe en matière d'impôts, de renoncer trop tôt à l'honneur d'introduire dans notre législation le premier de tous les impôts dont on peut dire ce qu'on ne peut pas dire de beaucoup d'autres : que c'est le seul impôt qui n'atteindra pas la classe souffrante de la société.
« Ce n'est pas moi, dit l'honorable ministre des finances, qu'il fallait réprimander ; c'est à ces membres de la majorité qui ne soutiennent pas le gouvernement que devaient aller vos reproches, pour être mérités. »
Je répondrai sur ce point à M. le ministre des finances que la tâche de réprimander la majorité ne me paraît pas être celle qui appartient aux membres de la chambre ni surtout, parmi eux, à l'un des plus nouveaux venus dans la carrière parlementaire, à l'un des plus jeunes.
Mais, cette réserve faite, je n'avais pas attendu l'observation de M. le ministre des finances, pour faire connaître à la chambre que, dans ma pensée, la faute reprochée au cabinet, parce que c'est au cabinet que les convenances me forçaient de m'adresser d'abord ; que la faute que je reprochais au cabinet, avait été commise par d'autres ; j'ai reconnu volontiers que ceux qui manquaient les premiers à ce que je considère comme une promesse solennelle faite aux classes inférieures de la société ; que ceux-là ne siégeaient pas exclusivement dans le cabinet, mais qu'ils siégeaient encore sur les bancs de la majorité.
M. le ministre des finances ajoute : « Vous me reprochez de ne pas poser à la majorité parlementaire une question extrême sur la matière du droit de succession ; mais le motif qui me guide, c'est que les questions de ce genre ne sont jamais plus mal placées que sur le terrain des impôts. »
La raison pourrait être excellente, si elle n'était pas renversée par la citation que je faisais tout à l'heure. Mais sur quel terrain donc M. le ministre de l'intérieur, probablement d'accord avec ses collègues sur ce point, veut-il attirer un débat entre la majorité parlementaire et lui, un débat analogue à celui que je reproche au ministère de n'avoir pas sollicité sur la question du droit de succession en ligne directe ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il s'agit d'un débat politique sur l'ensemble.
M. Orts. - Messieurs, j'accepte votre rectification ; vous dites très nettement, ou du moins vous disiez très nettement hier, alors qu'il n'y avait qu'un texte et point encore de commentaires, vous dites que si la majorité vous refusait les moyens d'abord de combler le déficit, et puis les moyens de créer, de continuer des travaux publics à l'aide de nouveaux impôts, vous regarderiez cette réponse de la majorité, comme une déclaration que vous n'avez plus sa confiance ; que sa majorité n'est plus disposée à vous suivre, à vous appuyer.
Or, lorsque vous lui poserez la question de savoir si elle vous suit et vous appuie sur le vote d'impôts destinés à l'achèvement ou à l'entreprise nouvelle de grands travaux publics, vous poserez bien une question de cabinet sur une de ces questions d'impôts dont vous ne voulez pas.
Je ne suis pas venu dire : Il faut faire des questions de cabinet à tout propos. Mais j'ai le droit de dire que, quand on veut arriver à cette extrémité, ce n'est pas sur des questions matérielles, des questions de localités ; qu'il vaut mieux choisir le terrain des intérêts généraux du pays et avant tout le terrain des intérêts moraux du pays.
L'honorable M. Lebeau disait tout à l'heure que la question qui nous occupe est une de ces questions réservées sur lesquelles les membres de toutes les opinions politiques peuvent avoir des opinions divergentes. J'appliquerai avec plus de raison cette définition à la question des travaux publics, qu'à la question d'impôt de succession en ligne directe.
Je ne sais pourquoi un ministère, quelle que fût sa couleur, ne pourrait pas venir proposer une entreprise ou concession de canaux, chemins de fer ou autres travaux d'utilité publique.
La pensée politique n'y entre pour rien : ce sont des pensées d'intérêt local ou général, purement matérielles ; qu'on soit libéral, qu'on soit catholique, on peut évidemment penser, en matière de chemins de fer et de canaux, de la même manière.
Je me suis plaint de la préférence accordée à des intérêts matériels ; je me suis plaint de l'abandon d'un principe populaire qu'on avait considéré jadis comme autrement important. J'avais d'autant plus ce droit de plainte que ce qu'il peut faire pour autre chose, le cabinet déclarait, à propos de ce droit de succession, vouloir le faire il y a quatre ans.
En 1847, lors de cette discussion financière à laquelle on a fait si souvent allusion dans la discussion actuelle, quoique les sections eussent fait un médiocre accueil à ce droit de succession en ligne directe, on tenait ce fier langage que je regrette de ne plus voir tenir aujourd'hui et qu'on réserve pour des travaux publics. M. le ministre de l'intérieur disait alors tout le premier, qu'on ferait du droit de succession en ligne directe une question de cabinet. Il le disait, dans la séance du 3 décembre 1847, en réponse à l'honorable M. Cogels, demandant au ministère quelle serait son attitude si la chambre lui refusait cette ressource nouvelle.
D'autre part, j'avais d'autant plus le droit de me plaindre d'nn abandon des principes de la politique financière proclamée et soutenue alors, que nous sommes arrivés à plus qu'une sorte de récidive en cette matière ; si bien que, pour moi, je me déclare complètement déçu, complètement désillusionné. En effet, ce n'est pas la première fois qu'on fait des concessions de cette nature sur le terrain des intérêts financiers, des réformes financières, ou préjudice des intérêts populaires, au préjudice de ceux dont les intérêts ne sont pas toujours suffisamment sauvegardés dans notre ordre social et nos institutions politiques.
On avait annoncé que la politique financière nouvelle dans l'avenir serait dirigée dans un sens populaire de telle façon qu'on reporterait graduellement la charge des impôts sur les classes supérieures, les classes aisées pour décharger en proportion les classes inférieures, les classes souffrantes ou laborieuses.
Qu'a-t-on fait ? Je sais que cette promesse a été en partie tenue par la réforme de la loi des patentes ; mais en d'autres circonstances, qu'a-t-on fait ? Lors de la loi sur les céréales, vous vous êtes laissé imposer, au détriment du peuple, un droit supérieur à celui que vous aviez demandé. Quand est arrivée la loi réformant le tarif des voyageurs sur les chemins de fer, vous vous êtes laissé imposer une seconde fois, au détriment de ceux qui peuvent le moins payer, un tarif plus élevé que celui que vous aviez proposé.
Pour la troisième fois vous reculez, en reculant devant le droit de succession en ligne directe. Devant une troisième faute de cette espèce, j'avais le droit de me plaindre, et j'ai usé de ce droit.
Quand M. le ministre des finances nous proposera des impôts ne pesant pas sur ceux qui peuvent le moins payer, je voterai avec M. le ministre des finances comme avec tout cabinet qui proposera des lois de cette nature.
Que M. le ministre se rassure, je n'ai nul désir que le bon marché immoral des boissons distillées soit maintenu ; je sais qu'ils rendraient un très mauvais service au peuple ceux qui viendraient en son nom demander une diminution du prix du genièvre ; quand il proposera de l'imposer plus qu'il ne l'est, je voterai avec lui. Je n'aurai qu'un regret, c'est que cette réforme vienne aussi tard.
Je voterai également l'impôt sur les tabacs parce que je ne veux pas qu'on donne au peuple l'occasion de dépenser son argent inutilement dans une mauvaise consommation. Même quant à l'impôt des bières, que M. le ministre se rassure encore au moins partiellement ; si cet impôt, qu'on avait annoncé comme une augmentation, n'est au fond qu'une régularisation d'exercice, s'il ne doit pas avoir pour effet d'augmenter le prix de la bière, mais simplement de faire rentrer au trésor ce qui lui revient, je voterai la proposition. Je montre par là à M. le ministre que je ne suis ni malveillant ni injuste à son égard.
(page 1355) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préitninant a d'abord formulé ainsi son attaque contre nous ; Le gouvernement abandonne les principes qu'il avait annoncés ; il voulait une répartition plus équitable des charges publiques ; il abandonne l'impôt sur les successions en ligne directe ; bientôt il viendra proposer des impôts portant sur les consommations du peuple. Voilà quelle était l'accusatîon. J'ai dit que l'honorable membre était injuste et malveillant ; c'est ce que sa conclusion vient de prouver.
Après m'avoir entendu exposer sommairement quels seraient les impôts que le cabinet viendrait proposer et défendre, il déclare qu'il les votera ! Ainsi l'honorable membre, quand il nous accusait d'avoir modifié nos principes, quand il nous accusait de vouloir substituer à des impôts pesant sur les classes aisées de la société d'autres impôts devant atteindre les objets de consommation du peuple, l'honorable membre était injuste, il était malveillant.
Quand il vient nous reprocher de reculer devant la question de cabinet sur le droit de succession en ligne directe, et de nous réserver de la poser sur des lois de travaux publics, insinuant même que le ministère la réserverait pour faire prévaloir des intérêts locaux, en cela encore l'honorable membre était injuste et malveillant.
Le gouvernement a fait connaître quelle est la marche qu'il lui paraît utile de suivre dans la situation actuelle, au point de vue politique, au point de vue de la sécurité du pays, du maintien du travail dans le pays. C'est d'abord, avant tout, quoi qu'il en coûte, de rétablir la situation financière ; c'est, en second lieu, de préparer des moyens de travail pour des éventualités que chacun de nous admet.
Si le gouvernement constate que la chambre ne veut pas l'aider à rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat ; si sur l'ensemble de ces projets, vous a-t-il dit, et non pas sur tel ou tel détail, sur telle ou telle fraction de travaux publics, si sur l'ensemble de ces projets, de sa politique, il est abandonné par la majorité, il se retirera ; voilà ce qui a été exprimé par M. le ministre de l'intérieur. Et vous, vous scindez les explications du gouvernement ; vous passez sous silence la partie essentielle qui est relative à la situation financière ; il vous plaît de prendre une partie de cette déclaration ; il vous plaît de prendre le mot de travaux publics qui se trouve dans cette déclaration pour l'accoler malicieusement à la question de cabinet ! Vous êtes injuste, vous êtes malveillant.
L'honorable M. Orts n'a pas pu citer un seul acte, un seul fait qui démontrerait que le cabinet eût abandonné sur aucun point la ligne de conduite qu'il avait annoncée en entrant au pouvoir. Mais le gouvernement n'a pas réussi à faire adopter un droit de balance, un droit modéré sur les céréales ! On lui a imposé 50 centimes en plus de ce qu'il demandait ! Le gouvernement aurait dû poser la question de cabinet et se retirer !
M. Coomans. - La différence entre vous et nous n'était pas de 50 centimes seulement. La première année, en 1848, vous repoussiez toute espèce de droits.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous vous ferons à vous, M. Coomans, une concession parce que vous devez avoir une ardeur plus grande encore que l'honorable M. Orts à voter les questions de cabinet. Ce sera non pas 50 centimes en plus, mais un franc ; c'est sur un franc qu'il fallait poser la question de cabinet !
M. Roussel. - Les questions de principe, en matière d'impôt, se jugent non d'après l'importance du chiffre, mais d'après les principes eux-mêmes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Roussel peut aussi désirer très ardemment les questions de cabinet ; s'il veut les réclamer sur des fractions de centimes, je ne m'y oppose pas.
M. Roussel. - Je demande la parole.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce qui était la question de principe dans l'affaire des céréales, c'était d'abolir définitivement l'échelle mobile, c'était d'abolir définitivement le système protecteur en matière de denrées alimentaires ; c'est le système que nous défendions, c'est le système qui a prévalu. Vous avez eu beau répéter dans la discussion, vous avez eu beau soutenir qu'il fallait maintenir l'échelle mobile, établir un droit protecteur, que c'était là ce qu'il y avait de mieux...
M. Coomans. - Je n'ai pas soutenu cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez parlé, sinon en faveur de l'échelle mobile, au moins pour un droit protecteur. Vous avez eu beau soutenir que c'était excellent, que c'était la seule chose salutaire ; nous l'avons constamment repoussé, et notre opinion a prévalu.
Nous avons encore eu un malheur, nous avons subi une augmentation du tarif des chemins de fer ! Nous avions à combattre divers systèmes qui devaient avoir pour résultat d'accroître notablement le prix des transports. Nous les avons vigoureusement combattus, au point de vue des intérêts les plus légitimes, des intérêts populaires ; mais nous les avons combattus aussi au point de vue du trésor, parce que l'accroissement des prix, bien loin de donner une somme plus considérable en recettes, devait donner un produit moindre. Or, les systèmes exagérés n'ont-ils pas été écartés ? Qu'a-t-on substitué à la proposition du gouvernement, qui était une régularisation de prix ? Une augmentation qui, en somme, est minime, mais qui, sur certains points, comme nous l'avons dit et comme l'expérience le prouvera, qui sur certains points pourra nuire aux recettes. Mais enfin il s'agissait de petites différences entre les propositions qui ont été adoptées et celles qui étaient faites par le gouvernement.
C'était encore, s'il faut en croire l'honorable M. Orts, une de ces questions sur lesquelles le cabinet devait nécessairement déclarer son intention de se retirer !
Voilà les griefs que l'honorable M. Orts, après quatre ans d'existence ministérielle à peu près, trouve à reprocher au cabinet ! Qu'il se sépare du cabinet, qu'il l'attaque avec passion, qu'il l'accuse de déserter ses principes pour les griefs qu'il vient de signaler, c'est à merveille, sans doute. Mais ce que le public ne comprendra pas, ce que personne ne comprendra dans cette enceinte, c'est qu'il y ait là, de la part de l'honorable membre, des motifs légitimes d'opposition.
M. Osy. - Dans ma proposition de voter sur l'ensemble de l'article premier qui concerne l'impôt en ligne directe, je ne mets aucune tactique ni aucun esprit d'opposition ; mais je désire que la nation puisse connaître l'opinion de la chambre sur la proposition du gouvernement. Voilà bientôt trois ans qu'il y a une proposition du gouvernement dont on est très préoccupé. Je crois qu'il convient donc de manifester notre opinion. Je sais que, s'il y a rejet, cette proposition peut être reproduite ; mais au moins cela se fera d'une manière régulière, par un nouveau projet de loi, présenté au nom de la couronne.
Je ne sais si on demandera l'ajournement, mais, dans ce cas, j'annonce formellement que je reprends l'article premier, quoique je déclare dès à présent que je lui suis hostile.
M. Deliége, rapporteur. - Dans le discours que l'honorable M. Orts vient de prononcer, il a dit que les membres de la chambre, qui refusent l'impôt sur les successions en ligne directe, refusent un impôt juste, légitime, qu'ils s'opposent au vote d'un impôt qui tend à dégrever les classes pauvres.
Cette imputation, nous la repoussons de toutes nos forces.
Il est évident que si nous croyions que l'impôt sur les successions en ligne directe est un impôt juste et légitime qui dût dégrever les classes pauvres, nous nous hâterions de le voter.
Cette imputation a quelque chose d'odieux, que nous devons repousser.
Evidemment je ne développerai pas les motifs qui nous ont porté, mes honorables amis de la majorité et moi, à repousser l'impôt sur les successions en ligne directe.
Ce à quoi nous tenons avant tout, c'est de maintenir intacte la majorité qui a déjà rendu quelques services, nous pouvons le dire, au pays.
Je félicite M. le ministre des finances de l'esprit de conciliation qui lui a dicté le retrait des dispositions relatives à l'impôt sur les successions en ligne directe.
Je n'entrerai pas dans des explications : selon moi, selon mes honorables amis, l'impôt sur les successions en ligne directe ne doit pas être préféré à l'impôt sur les genièvres, sur les tabacs, ni même à un impôt sur les bières dans les limites indiquées par M. le ministre des finances.
M. Roussel. - Je n'ai pas demandé la parole pour répondre à l'insinuation personnelle que M. le ministre des finances s'est permise tout à l'heure à mon égard, insinuation malveillante qui sortait de sa bouche peu après les reproches immérités de malveillance adressés par lui à mon honorable voisin M. Orts. Si M. le ministre des finances avait réfléchi à ma carrière depuis 1828, il aurait compris que je ne me préoccupe en aucune façon des questions de cabinet ; il aurait compris que son insinuation à mon égard ne démontre qu'une chose, à savoir, le grand esprit, le puissant génie de propriété dont M. le ministre des finances est lui-même possédé quant aux portefeuilles.
Je n'ai demandé la parole que pour justifier ce que j'avais avancé, c'est-à-dire qu une question de principe en matière d'impôt se juge non sur 50 ou 75 centimes, mais sur le principe même qui sert de base aux exigences du fisc et à la volonté du législateur.
Oui, dans la question des céréales, il y a eu, de la part du cabinet, une reculade ; dans d'autres occasions, il y a eu plusieurs autres reculades, toujours justifiées de la même manière : on veut, dit-on, conserver une majorité politique intacte. Voilà ce qu'on affirme. Mais cette majorité politique, où la trouve-t-on ? Exclusivement sur une question, sur l'éternelle et interminable question du clérical. On vous l'a déclaré tout à l’heure, les questions d'impôt ne sont pas des questions politiques. Mais si les questions qui se rattachent au bien-être de la nation, aux intérêts financiers du pays, à la juste répartition et aux bases de l'impôt, ne sont pas des questions politiques, c'est-à-dire des questions adhérentes aux racines mêmes de nos institutions, il n'y a plus, en vérité, de questions politiques.
Un jour viendra, messieurs, où il ne se présentera plus d'autres questions politiques que les questions économiques et finaucières. J'ai dit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je désire rectifier l'erreur de l'honorable préopinant sur la portée d'un vote qu'il vient de rappeler.
Le cabinet n'a pas éprouvé d'échec dans la grande et importante question des céréales, il croit avoir remporté, au contraire, un grand triomphe ; la législation des denrées alimentaires introduite en Belgique après eie longs efforts, de longues luttes, est aujourd'hui (à l'exception de celle de l'Angleterre) la plus libérale du continent. Sous ce rapport, les reproches qui nous sont adressés tous les jours par nos adversaires politiques attestent suffisamment le grand pas qui a été fait par le cabinet dans cette importante question.
(page 1356) Aujourd'hui le gouvernement fait une concession ; nous le reconnaissons ; nous avons pris, si l'on veut, une position modeste, mais non équivoque.
Mon honorable ami, M. le ministre des finances (on peut lui rendre cette justice) a lutté jusqu'au bout pour maintenir le principe que nous considérons encore comme juste et légitime dans la loi actuelle. Ce n'est qu'à la suite d'une longue lutte qu'il a consenti à ajourner l'examen de cette partie de la loi, jusqu'à ce que la chambre ait été mise en position de s'expliquer sur d'autres impôts.
Si la chambre refuse son concours à l'administration actuelle sur la série des mesures qui vont lui être proposées, avons-nous besoin de dire que le cabinet n'aura pas deux lignes de conduite à tenir ? Et quelque désireux qu'on puisse nous supposer de conserver la position que nous occupons depuis quatre ans, messieurs, ce désir ne résisterait pas à la force même des choses. Sous ce rapport qu'on se rassure donc pleinement, qu'on ne se hâte pas d'exiger des déclarations plus formelles de la part du cabinet. Je dis, messieurs, qu'on ne se presse pas. Il va de soi que si le cabinet échoue sur l'ensemble des mesures qu'il présentera successivement ; que s'il résulte des votes qui vont être émis, que son système se trouve gravement atteint, il va de soi que nous céderons la place à d'autres.
Voilà, messieurs, longtemps déjà que nous exerçons le pouvoir ; qu'on en soit bien convaincu, nous ne tenons pas à y rester à tout prix. Nous ne verrions pas avec déplaisir que d'autres que nous vinssent s'essayer à ce rude métier quoi qu'on en pense, quoi qu'on en dise. Mais nous n'abandonnerons pas le pouvoir par simple caprice, pour des échecs passagers qui n'atteignent pas le fond même de la politique du cabinet.
Ce n'est pas, messieurs, la séparation de la majorité d'avec le cabinet que nous redoutons. Ce que nous redoutons, ce que nous voulons empêcher à tout prix, ce à quoi nous avons fait plusieurs sacrifices d'opinion personnels, cela est vrai, c'est la désunion dans le sein de notre propre parti. Que ce parti reste intact, reste uni, voilà le but que nous poursuivons.
Que ce parti amène aux affaires d'autres hommes que nous, nous serons très heureux de pouvoir soutenir, sur les bancs de la majorité, ceux qui représenteront nos idées et nos principes au banc ministériel. Et jamais, on peut en prendre note, nous ne viendrons, par des tracasseries de détail ou des suppositions injurieuses, entraver la marche des affaires ou suspecter les intentions des hommes de notre opinion, des hommes de nos principes, qui auront accepté la charge de les faire prévaloir dans le gouvernement.
M. Dumortier. - Je ne viens pas prendre part à l'incident qui a été soulevé. Mais je désire obtenir du gouvernenent un renseignement dont la nécessité surgit de la discussion elle-même.
On se souvient, messieurs, que dès le moment où le gouvernement présenta à la chambre la demande de mettre à l'ordre du jour l'impôt sur les successions que nous discutons aujourd'hui, j'ai eu l'honneur de faire remarquer à l'assemblée qu'il était indispensable que la chambre connût l'ensemble des projets de loi que le gouvernement veut nous présenter, j'eus l'honneur de dire à l'assemblée qu'il n'était pas possible de demander à la chambre, de demander au pays des impôts sans savoir à quoi ces impôts étaient destinés.
Depuis lors, messieurs, la discussion a commencé à soulever un coin du voile. Nous avons discuté la question de la situation financière, et nous avons pu apprécier chacun ce qu'il fallait pour couvrir cette situation.
Mais nous ignorons encore quels seront les travaux publics qui nous seront présentés.
Nous ignorons surtout quel est le produit approximatif des impôts qui nous sont annoncés.
Mais M. le ministre des finances vient de vous indiquer tout à l'heure quatre bases d'impôts qu'il va demander à la chambre : le droit sur les successions, l'impôt sur les bières, l'impôt sur le genièvre, l'impôt sur les tabacs. Je désirerais connaître de M. le ministre des finances et du gouvernement, ce que chacun de ces impôts doit rapporter, quelle somme le gouvernement entend demander au pays pour chacun de ces impôts. Cela me paraît indispensable. Puisque le gouvernement doit nous présenter successivement trois projets de loi, l'un sur les bières, le second sur le genièvre, le troisième sur les tabacs, puisqu'il est arrêté sur les projets de loi qu'il doit nous présenter, rien ne lui est plus facile que de pouvoir nous dire ce qu'il demande du pays par chacun de ces impôts, de manière que la chambre ait une idée de ce que veut le gouvernement.
Messieurs, cela est d'autant plus indispensable, que chacun de nous doit savoir quel est celui de ces impôts qu'il préfère.
M. Delehaye. - Nous en sommes actuellement à l'article premier et à l'amendement de M. Lelièvre. La discussion générale a été close hier.
M. Dumortier. - M. le président, vous avez raison. Mais de même que jusqu'ici on a parlé de tout autre chose que de l'article premier, je crois pouvoir parler de ce qu'on a dit ; on a été jusqu'à traiter la question des céréales.
M. Delehaye. - Il a été répondu par le ministère à des interpellations qui lui ont été faites.
M. Dumortier. - Vous avez parfaitement raison ; mais vous ne pouvez avoir raison envers moi tout seul,
M. Delehaye. - Vous devez reconnaître que la discussion générale a été close et que le débat doit maintenant porter sur l'article premier.
M. Dumortier. - M. le président, vous avez parfaitement raison lorsque vous dites que nous sommes à discuter l'article premier. Mais ce que je dis vient à propos de l'article premier, et sous ce rapport je crois que j'ai raison aussi.
Je désire savoir quelle est la somme à laquelle le gouvernement veut arriver par les impôts qu'il entend demander. Cela est indispensable, même pour savoir s'il faut voter l'article premier. Il faut que nous sachions jusqu'à quel point le gouvernement entend obtenir des fonds par les voies et moyens qu'il nous indique. Nous serions dans une position étrange, dans une position qui ne se serait jamais vue dans une assemblée parlementaire, si le gouvernement refusait de pareilles explications. Le gouvernement les doit à la chambre et au pays.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant est constamment préoccupé de l'idée des travaux publics. Nous avons beau lui dire que nous nous occupons actuellement de la situation financière, des moyens de rétablir l'équilibre dans les finances. Nous l'avons dit le premier jour ; nous l'avons répété vingt fois dans le cours de la discussion. Il importe peu ; l'honorable membre se lève de nouveau ; il veut savoir absolument quels sont les travaux publics que le gouvernement proposera.
M. Dumortier. - Je n'ai pas parlé de travaux publics.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous venez de demander quels sont ces travaux.
M. Dumortier. - J'ai parlé des impôts.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez demandé ce que produiront les impôts et ce que l'on veut appliquer aux travaux publics.
M. Dumortier. - J'ai dit que j'avais demandé cela précédemment, mais que maintenant je ne demandais qu'une chose, c'est ce que produiront les impôts que vous voulez proposer.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, nous réduirons notre demande à cela. Nous nous sommes occupés de la situation financière ; nous avons dit ce qu'il convenait, à notre sens, d'établir de nouveaux impôts pour rétablir l'équilibre 2,500,000 fr. à 3 millions. Vous êtes saisis d'un projet de loi relatif à l'impôt sur les successions, vous avez le droit de savoir à combien l'on estime le produit de cet impôt ; eh bien, vous le connaissez parfaitement. L'honorable M. de Theux l'estimait à 1,500,000 fr. ; ce chiffre est trop élevé : si l'ensemble de la loi est adopté, moins l'article premier, le produit sera vraisemblablement de 1,2000,000 à 1,300,000 fr. Voilà quel serait le produit de l'impôt actuellement proposé. Lorsque nous aurons à discuter d'autres projets de lois, j'indiquerai également à la chambre quel est le produit que le gouvernement espère en obtenir.
M. Malou. - Au début de la séance, notre honorable président a lu et mis en discussion l'article premier du projet de loi. Le règlement indiquait cette marche. J'ai écouté avec attention tout le débat qui vient d'avoir lieu, et vraiment je ne le comprends pas ; d'après le règlement, l'article premier est en discussion ; d’après les paroles prononcées par M. le ministre, l’article n’est ni retiré, ni ajourné ; je voudrais qu’on trouvât dans le règlement ou dans les faits une expression pour qualifier la position de cet article. On pourrait peut-être dire qu’il est déposé au greffe.
Je ne sais pas sur quoi nous discutons. Le gouvernement demande-t-il l'ajournement de l'article ? Pour rester dans le règlement, il faut qu'il indique un terme à l'ajournement. Relire-t-il l'article ? Qu'il le déclare et que la chambre prononce.
M. Delehaye. - M. le ministre a déclaré qu'il retirait l'article premier.
M. Dumortier. - Je demande que ce soit inséré au procès-verbal.
M. Malou. - Je crois, messieurs, que. le retrait sans autre explication ne suffit pas. Lorsqu'il a été question de remettre le projet de loi en discussion, l'honorable ministre de l'intérieur m'a dit : Reprenez l'article, et la chambre se prononcera. Quel motif nous donne-t-on aujourd'hui pour expliquer la singulière attitude que le gouvernement a prise dans le débat ? On dit : Il ne faut pas poser de question de cabinet (et je suis parfaitement d'accord à cet égard avec M. le ministre), il ne faut pas poser de question de cabinet sur cette matière. On dit encore qu'il ne faut pas désunir la majorité.
Je crois, en effet, que le gouvernement doit beaucoup faire pour ne pas désunir la majorité ; mais la première chose à faire serait de ne pas déclarer, comme on le fait, à plusieurs reprises, que la majorité est désunie, et qu'il n'y a pas de majorité sur cette question. C'est ce qui ressort des déclarations qui ont été faites plusieurs fois dans la discussion.
Un autre fait ressort des paroles de M. le ministre de l'intérieur, c'est que, non seulement la majorité, mais le cabinet lui-même n'est pas d'accord sur cette question. Rappelez-vous les précédents de la discussion, et vous reconnaîtrez que les membres du cabinet ne sont pas d'accord quant à l'impôt sur les successions en ligne directe.
Plus le débat sur cette question avance, plus nous devons regretter de ne voir se révéler que peu à peu la pensée du gouvernement, tant sur l'impôt que sur la destination qu'on veut y assigner. Ainsi, en répondant (page 1357) tout à l’heure à mon honorable ami M. Orts, en lui répondant d’une manière moins parlementaire qu'un n'aurait dû le faire, même à un adversaire politique, M. le ministre des finances disait : Si nous échouons sur l'ensemble, nous poserons la question de cabinet ; et M. le ministre ajoute aussitôt qu'il n'y aura pas d'ensemble ; qu'il proposera successivement les impôts et les dépenses ; de sorte que ce n'est pas un engagement bien téméraire, bien hardi de dire qu'on posera la question de cabinet sur l'ensemble.
Il est vrai que M. le ministre de l'intérieur, non sans augmenter considérablement mes perplexités, s'est déclaré prêt à poser la question de cabinet, si le ministère échouait successivement sur l'ensemble ; or, je ne comprends pas comment il serait possible que le cabinet échouât successivement sur l'ensemble.
Pour moi, messieurs, et j'invoque à cet égard les précédents de toutes les assemblées législatives, il n'y avait qu'une manière de présenter cette question, c'était de proposer, dès le début, comme l'a fait un grand homme d'Etat d'Angleterre, toutes les réformes ; c'était d'exposer tout le système du cabinet, mais non de dire : J'imposerai la bière, puis le genièvre, puis le tabac, sans expliquer comment, pour quelle quotité ni pour quelle destination. J'aurais compris que le cabinet, s'il voulait nous faire à tous une position acceptable, une position que nous pussions avouer devant nos mandants, nous eût déclaré, pour chaque impôt, comment il voulait l'établir, quel produit il voulait en obtenir. Au lieu de cela, on suit un système de demi-révélations successives qui frappe le cabinet et dans sa dignité et la chambre dans sa légitime action.
M. Delehaye. - Je rappelle à la chambre que le gouvernement a retiré l'article premier : il ne reste en discussion que l'amendement de M. Lelievre, qui peut être considéré comme un article nouveau.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, en annonçant la nécessité de réclamer de nouveaux impôts, j'ai fait connaître quelles étaient les vues du cabinet. J'ai déclaré que, ayant constaté que l'opposition qui s'était manifestée dans le sein de la majorité sur l'impôt des successions en ligne directe, ce principe ne serait pas soumis au vote de la chambre ; que je tiendrais en suspens ce principe, me réservant de l'appliquer dans un temps que je croirais opportun ; que, par conséquent, je retirais l'article premier du projet de loi. L'honorable M. Malou l'a parfaitement compris ainsi, car, sur-le-champ, il a déclaré que, usant de son droit d'initiative, il proposerait la disposition de l'article premier.
Et aujourd'hui l'honorable membre ne comprend plus ! L'honorable membre ne sait pas s'il existe un mot dans le dictionnaire pour expliquer la situation étrange dans laquelle on se trouve. Il ne sait pas si l'article existe encore, s'il est retiré, s'il doit être considéré comme abandonné ; il ne voit qu'une seule chose, c'est qu'on pourra le déposer au greffe. Voilà la discussion que l'honorable membre croit digne de la chambre ! Qu'il me permette de le dire, cela fait véritablement tort à son intelligence et à son caractère.
Il n'y a donc pas de doute sur les intentions du cabinet à l'égard de l'article premier.
L'honorable M. Osy s'est emparé de l'idée de l'honorable M. Malou et a déclaré que, voulant voter contre le principe de l'article sur les successions en ligne directe, il usait de son droit d'initiative et faisait la proposition formelle de statuer sur cet article.
J'ai déclaré, à mon t»ur, que la chambre n'avait pas à faire une profession de foi, des déclarations de principe ; que la proposition de l'honorable M. Osy, relative à l'article premier, est une proposition sur laquelle il n'y a pas lieu de délibérer.
Je propose donc la question préalable sur ce point.
Maintenant l'honorable M. Malou regrette que nous n'ayons pas présenté l'ensemble de nos projets. Mais qu'est-ce qu'il entend par là ? N^avons-nous pas annoncé nos vues ; n'avons-nous pas été jusqu'à indiquer les propositions que nous voulions soumettre successivement à la législature ?
Est-ce que l'honorable membre a compris, par hasard, que le gouvernement devait immédiatement déposer tous ses projets de loi, et provoquer un seul et même vote sur tous ces projets... ? (Interruption.)
C'était un rapport qu'il fallait, me dit l'honorable membre ; mais qu'entend-il par rapport ? Est-ce que les déclarations du cabinet, ses explications, les discours que vous l'obligez de répéter sans cesse, ne constituent pas le rapport dont vous parlez ? N'êtes-vous pas suffisamment éclairé ?
Vous ne savez donc pas que le gouvernement estime qu'une somme de 2,500,000 à 3 millions de francs est nécessaire pour combler le déficit actuel de nos finances. Vous ne savez donc pas qu'il propose d'abord le projet de loi en discussion, qu'il proposera ensuite l'impôt sur les bières, l'impôt sur les genièvres ? Que voulez-vous donc que je vous apporte ? En saurez-vous donc davantage, quand les projets de loi seront déposés ? (Interruption.) Vous voulez donc que le gouvernement dise dès à présent : Nous aurons autant sur les bières, autant sur les genièvres, etc. Mais c’est là un véritable enfantillage peu digne d'occuper cette chambre. Je convie la majorité à marcher d'un pas ferme dans l'examen des propositions qui lui sont soumises par le gouvernement, car il semble qu'on désire éterniser la discussion, et empêcher les propositions d'aboutir.
M. de Mérode. - J'avais demandé la parole sur l'article premier ; mais l'article est retiré.
M. Dumortier. - Messieurs, l'observation que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre n'est pas, comme l'a dit M. le ministre des financcs, une observation puérile.
Lorsque le gouvernement vient présenter à l’assemblée législative un système complet, il doit y joindre les chiffres qui se rattachent à ce système ; il est indispensable que la chambre sache jusqu’à quel point elle se ttrouvera engagée par tel ou tel impôt. Il n’y a pas d’exemple que dans aucun pays constitutionnel on ait laissé ignorer au pays et à l’assemblée nationale de semblables éléments de discusison.
Moi, par exemple, je veux bien voter des impôts pour combler le déficit du trésor public ; mais je ne veux pas en voter pour de nouveaux travaux publics ; et vous me mettez dans l'impossibilité de savoir ce que je vais voter.
L'impôt sur les successions, tel qu'il se trouve maintenant formulé, présentera, d'après vous, une recette de 1,300,000 fr. Voilà donc à peu près la moitié du déficit comblée.
Et vous parlez encore de quatre nouveaux impôts ! Il faut que nous sachions ce que vous entendez obtenir par ces nouveaux impôts. Il n'est pas impossible que nous préférions tel impôt à un autre. On vient nous dire qu'on présentera de nouveaux impôts, qu'on nous proposera de nouveaux projets de travaux publics ; mais on ne nous dit pas ce que rapporteront les nouveaux impôts, ce que coûteront les nouveaux travaux publics.
Nous sommes, je le répète, dans une position où jamais une assemblée délibérante ne s'est trouvée. C'est là se jouer de la majorité de la chambre. Si j'appartenais à cette majorité, je ne voudrais pas, par égard pour la dignité de l'assemblée, consentir à subir un pareil joug de la part du gouvernement.
Je demande encore que M. le ministre des finances nous dise ce qu'il entend obtenir par les impôts nouveaux qu'il se prooose de nous présenter.
M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour dire en deux mots quelle sera mon opinion sur la question préalable qui a été posée par M. le ministre des finances...
M. Delehaye. - Il n'y a pas de question préalable ; M. Osy n'entend faire sa proposition que pour le cas où l'on proposerait l'ajournement de l'article premier ; mais l'article premier est retiré, et nous ne nous trouvons plus qu'en présence de la proposition de M. Lelievre. C'est cette proposition qui est en discussion.
M. Thibaut. - Messieurs, il est bien convenu qu'il ne reste plus, en discussion, sous le nom d'article premier, que la proposition de l'honorable M. Lelievre ? (Oui !)
Je ne puis admettre cette proposition. S'il fallait en croire l'honorable auteur de la proposition, la disposition de nos lois civiles qui permet le préciput en ligne directe, consacre un privilège, et ce privilège a souvent un caractère odeux, repoussé par l'équité naturelle.
Messieurs, il est bon de recourir aux opinions qui ont été professées par les auteurs de la loi sur les testaments, pour savoir s'il faut souscrire au jugement porté par l'honorable M. Lelievre.
Dans son rapport, fait au nom du comité de législation, Cambacérès dit :
« Tous les enfants sont appelés à partager également le patrimoine de la famille ; tel est l'ordre de la nature, tel est l'ordre de la raison. Mais cette règle sera-t-elle si absolue que le chef de famille n'aura jamais la faculté de disposer d'une partie de son héritage ? Le comité de législation ne l'a pas pensé. »
M. Bigot-Pséameneus en expose parfaitement le motif dans un rapport au conseil d'Etat. « L'ordre conforme à la nature, dit-il, est celui dans lequel les père et mère ne voudront disposer de leur propriété qu'au profit de leurs enfants. S'ils réclament sur une partie des biens une liberté absolue, c'est encore en faveur de leurs enfants, et pour qu'en réparant les inégalités qui peuvent résulter des tatents, des infirmités, des faveurs ou des revers de la fortune, ils puissent rétablir la balance entre leurs enfants et leur conserver à tous l'existence civile. »
M. Tronchet ajoute : « L'intérêt public exige que le père puisse distribuer des récompenses parmi ses enfants mêmes. »
Vous le voyez, messieurs, les jurisconsultes n'ont pas cru donner ouverture à des privilèges odieux.
Certes, messieurs, il y a abus et abus très blâmable, quand un chef de famille crée un préciput pour élever un de ses enfants au-dessus des autres. Mais, d'un autre coté, il faut louer le père de famille qui, par disposition testamentaire, cherche à ramener l'égalité entre ses enfants, quand il cherche à réparer les malheurs qui ont atteint l'un de ses successeurs, ou quand il veut récompenser la piété filiale dont l'un d'entre eux aurait donné des preuves particulières.
C'est ainsi que je connais une famille honnête de cultivateurs où il y a cinq enfants dont quatre sont forts et robustes ; la cinquième est perclus depuis sa naissance ; je sais que les père et mère ont l'intenlion de donner à ce malheureux la quotité dont ils peuvent disposer. Je demanderai si c'est là un avantage que le fisc peut disputer à ce malheureux, si les père et mère n'agiront pas sagement en agissant ainsi.
C'est donc partir d'un principe faux que de supposer que le préciput en ligne directe constitue une faveur, un privilège que la loi fiscale doit en quelque sorte diminuer.
Si c'était en réalité un privilège, mais la conclusion naturelle serait qu'il faut le faire disparaître. Il ne faudrait pas conclure qu'il y a là matière à un impôt.
D'ailleurs, messieurs, il suffît qu'un bien soit recueilli en ligne directe, pour que la transmission ne soit pas assujettie à l'impôt. Le droit (page 1358) naturel des enfants s'applique à tout ce qu'ils reçoivent à la mort de leurs parents, et aussi bien à ce qui est compris dans le préciput qu'aux objets qui forment la masse partageable. Le droit de chacun des enfants est exclusif de tout autre ; il dérive d'un autre titre, et il ne peut avoir d'égal que celui de ses frères. Jamais le fisc ne doit intervenir entre le père et le fils.
Que l'on veuille bien remarquer aussi que celui qui profite d'un préciput aurait recueilli toute la succession, s'il se fût trouvé seul héritier, et dans ce cas il n'aurait pas dû payer l'impôt. Il serait injuste de le frapper quand il ne reçoit qu'une portion de l'héritage.
On ne peut donc dire avec l'honorable M. Lelièvre qu'il s'agit d'une mutation ordinaire n'ayant d'autre fondement qu'un bienfait de la loi civile dont le fisc peut réclamer sa part.
On ne peut pas assimiler le préciput en ligne directe à la donation faite à un étranger de la quotité disponible.
Tels sont les motifs qui me porteront à voter contre la proposition.
M. Lelièvre. - Il me sera facile de justifier mon amendement et de répondre aux observations de l'honorable M. Thibaut. Pour le convaincre qu'il est juste de frapper d'un droit de succession tout ce qui est recueilli même en ligne directe au-delà de la part ab intestat, il suffit de se demander quel est le fondement du droit de succession. Ce droit a pour cause une mutation par décès, une augmentation de fortune protégée par les lois sociales et dérivant du bénéfice de ces lois. Or, lorsqu'un successible, même en ligne directe, recueille la quotité disponible au préjudice de ses cohéritiers, n'existe-t-il pas une mutation soumise naturellement à l'impôt dont aucun motif ne doit pouvoir l'exempter ?
Comment la loi civile qui seule autorise le bénéfice en question ne pourrait-elle pas imposer une condition aux avantages qu'elle assure ?
Certes, il n'y a rien d'injuste qu'une disposition qui ne se soutient que par la loi positive soit aussi soumise à quelque charge au profit de la société.
Je ne conçois pas, du reste, comment on peut maintenir qu'un legs préciput ne renferme pas de privilège. Mais la sucesssion en ligne directe n'appartient-elle pas, par la nature même des choses, à tous les héritiers par parts égales ? Si donc l'égalité est détruite, il n'y a plus de succession naturelle, et par conséquent, il existe, de l'aveu de tous les jurisconsultes, une cause légitime d'impôt.
Lorsqu'il s'agit de la succession naturelle en ligne directe, la considération puissante que je viens d'exposer vient à cesser, et du reste c'est moins à raison du principe lui-même qu'à cause des inconvénients auxquels la mesure peut donner naissance que l'impôt en ligne directe est combattu. Il peut donner lieu à des vexations fiscales et à des conséquences qu'il est impossible de sanctionner. Du reste il pèserait d'une manière vexatoire non seulement sur les classes élevées, mais aussi sur la classe moyenne. Certes, ce n'est pas au moment où l'on vient de perdre l'auteur de ses jours qu'il est agréable de se voir aux prises avec le fisc, alors qu'on ne recueille que sa juste part.
Mais lorsqu'on est avantagé en vertu d'une disposition testamentaire, comme le serait un étranger, il est juste qu'on acquitte un droit à titre d'une mutation par décès bien caractérisée, mutation qui ne diffère en rien de celles qui sont frappées par la loi générale de l'impôt. Ce legs, loin de mériter une faveur quelconque, est fait aux contraire au détriment des héritiers en ligne directe ; il n'a donc rien de commun avec la succession naturelle, vis-à-vis de laquelle les membres de la famille sont censés continuer la possession du défunt.
Je prie du reste la chambre de ne pas perdre de vue la portée de mon amendement ; il atteint aussi les ascendants qui recueillent dans la succession des descendants une part supérieure à celle qui leur serait échue ab intestat ; et cela est juste, parce que l'avantage est fondé sur une disposition de l'homme et qu'il n'appartient pas à un testateur de transmettre ses biens à un légataire sans qu'il soit permis à la loi, à laquelle la disposition emprunte toute sa force, d'établir des conditions légitimées par l'existence même de l'ordre social.
Mais si le successible recueillait par donation entre-vifs l'avantage dont il s'agit, il serait astreint à un droit proportionnel. Comment donc une donation testamentaire mériterait-elle plus de faveur et serait-elle exemple d'un impôt qui est bien plus légitime quand il s'agit de mutation par décès que lorsqu'il est question d'un contrat du droit des gens. L'honorable M. Thibaut nous dit que quelquefois le legs par préciput est fonde sur des motifs d'équité ; mais, messieurs, voici ce que je répondais à une objection analogue dans la séance du 19 mars 1849 :
« Le fisc ne peut asseoir sa perception que sur la nature des actes tels que leur teneur les révèle, et d'après ce qui a lieu le plus fréquemment. Il n'est pas possible, sans rendre l'impôt illusoire, de recourir à des hypothèses qui ne sont jamais que des événements exceptionnels et extraordinaires auxquels le législateur ne peut avoir égard lorsqu'il établit des mesures fiscales. »
La loi fiscale n'envisage que les actes et les effets légaux qu'ils produisent. Elle ne peut entrer dans les considérations extraordinaires qui ont pu motiver l'acte soumis au droit. Dans l'espèce, il y a une mutation véritable en dehors de l'ordre naturel des choses, et dès lors la légitimité de l'impôt ne peut être contestée. La chambre n'hésitera pas à adopter mon amendement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, indépendamment du droit de succession de 1 p. c. en ligne directe, proposé par le gouvernement, le gouvernement a également proposé de frapper d'un droit de 5 p. c. ce qui est recueilli au-delà de la part héréditaire. L'honorable M. Lelièvre reproduit dans son amendement la proposition du gouvernement. Il va de soi que cette proposition, nous l'appuyons. Les raisons données par M. Lelièvre, à l'appui de sa proposition, s'appliquaient également au droit en ligne directe. Comme nous n'avons plus à nous occuper de ce point, je me borne à vous déclarer que nous maintenons le droit de 5 p. c. pour ce qui est recueilli au-delà de la part héréditaire.
M. de Mérode. - On n'établit aucun droit sur la succession en ligne directe, quand un héritier unique obtient seul l'héritage entier, c'est-à-dire bien plus qu'un préciput, et quand le père de famille juge à propos d'attribuer à quelqu'un de ses enfants une part par préciput, il y a souvent des motifs très graves pour de semblables dispositions. Ainsi, un père a deux fils, dont l'un a un grand nombre d'enfants et l'autre n'en a qu'un ; s'il donne la portion disponible à celui qui a la famille la plus nombreuse, on ne doit pas le surcharger d'un impôt de 5 p. c., puisque s'il avait été héritier unique, c'est-à-dire exempt de tout partage et possesseur de la totalité, il ne payerait rien.
Je ne comprends pas comment on frappe l'héritier multiple quand il ne payerait rien s'il était seul. Voilà un motif suffisant pour ne pas adopter une pareille disposition.
Maintenant nous avons une législation fort singulière en fait de succession ; on fait payer des droits de succession pour les biens situés en pays étranger, de manière que celui qui recueille des biens situés en pays étranger paye deux fois l'impôt, car le pays où sont situés les biens ne se contente pas de ce que vous payez à la Belgique ; il se fait payer lui aussi.
Malheureusement telles de nos provinces ont été divisées à différentes époques. Le Luxembourg et le Limbourg ont été partagés en deux ; il en résulte que dans ces provinces on est exposé à payer dans le Luxembourg une fois pour le gouvernement allemand, une fois pour le gouvernement belge ; dans le Limbourg, une fois pour le gouvernement hollandais, une fois pour le gouvernement belge. Ce droit est excessivement abusif. Toutes les fois que vous établissez un droit de succession quelconque, si vous ne réformez pas l'abus que je signale, vous aggravez singulièrement la position des héritiers qui ont à recueillir des biens situés à l'étranger.
J'ai donc l'intention (puisqu'on s'occupe maintenant des droits de succession) de proposer un amendement par lequel on révisera cette disposition singulière par lequel on fait payer le droit sur des biens qui sont situés à l'étranger.
M. Lelièvre. - On ne paye pas pour les immeubles.
M. Vilain XIIII. - On paye un droit de mutation.
M. de Mérode. - Certainement.
Je signale cela, parce que l'augmentation de droits que propose l'honorable M. Lelièvre serait ainsi combinée avec la disposition singulière que je viens de signaler, et au sujet de laquelle je déposerai une proposition.
M. Dedecker. - Je suis, comme vous le savez, partisan d'un droit de succession en ligne directe ; dans ma pensée, il se serait appliqué également aux préciputs. Mais je ne pense pas qu'il y ail lieu d'appliquer un droit différent et plus élevé aux préciputs ; tout au contraire.
Si les principaux arguments qu'on a fait valoir dans cette enceinte contre l'impôt sur les successions en ligne directe ont quelque valeur, ils l'ont surtout à l'égard des préciputs.
En effet, qu'a-t-on dit de plus spécieux contre le droit de succession en ligne directe ?
On a dit d'abord qu'on ne pouvait l'établir, parce que les enfants, qui héritent de leur père, sont censés ne pas hériter, puisqu'ils entrent en jouissance d'une fortune qu'ils ont contribué à acquérir. Dans les circonstances ordinaires des successions ab intestat, cet argument ne me frappe pas, puisque, à la mort du père, les enfants ont, pour la première fois, la libre et réelle disposition d'une fortune que le père seul est censé, comme chef de la famille, avoir acquise, il y a une différence quant aux préciputs. A qui donne-t-on les préciputs ? Ordinairement (à part les avantages faits aux enfants victimes de quelques infirmités), les préciputs sont donnés aux aînés de la famille, parce qu'ils ont aidé à acquérir la fortune, quand les autres enfants, souvent jeunes encore, devaient faire leur éducation, avant d'être utiles dans les affaires. Pour ces aînés, favorisés par des préciputs, il est donc vrai de dire, en certain sens, qu'à la mort du père, ils ne font qu'entrer en possession d'un bien qu'ils ont contribué à acquérir.
Une seconde objection contre l'établissement d'un droit sur les successions en ligne directe, c'est qu'il pourrait avoir pour conséquence d'affaiblir l'esprit de famille.
En thèse générale, ce deuxième argument, non plus, ne m'a pas frappé ; mais il renferme quelque chose de fondé relativement aux préciputs. Dans l'opinion des plus éminents jurisconsultes, ce qui continuée le plus à détruire l'esprit de famille (à part l'affaiblissement du sentiment religieux), c'est notre législation civile. Pourquoi ? Parce qu'elle semble faite en défiance de l'autorité paternelle. Si donc l'on veut (page 1359) conserver ou réhabiliter l'esprit de famille, il importe de ne pas affaiblir la puissance paternelle qui n'est déjà que trop sacrifiée par noutre législation.
Je lisais dernièrement un remarquable traité d'un jurisconsulte dont l'autorité a été souvent invoquée dans cette enceinte, de M. le présiden, Troplong, où il demande que l'on renforce la puissance paternelle. Or, le préciput est à peu près la seule arme qui reste au père de famille ; c'est par le préciput qu'il parvient à maintenir un reste d'action matérielle sur la famille.
Ainsi, d'une part, j'étais partisan du droit de succession en ligne directe, parce qu'au moment de la transmission de toute propriété, il est juste que l'Etat puisse toujours revendiquer le prix de la protection accordée à la propriété par la loi civile. Ce droit de 1 p. c, j'entendais bien et je voudrais encore l'appliquer aux préciputs. Je ne puis admettre qu'il faille établir quelque chose d'exceptionnellement défavorable au préciput, qui n'est pas sans avoir une haute portée sociale.
Je ne saurais donc voter une différence de 1 à 5 p. c. proposée par l'honorable M. Lelievre.
- La discussion est close.
La disposition proposée par M. Lelievre est mise aux voix par appel nominal et adoptée par 57 voix contre 32.
Ont voté pour : MM. Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Cumont, Dautrebande, de Breyne, de Brouckere, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Muelenaere, de Perceval, De Pouhon, de Renesse, de Royer, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jacques, Jouret, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Leliévre, Loos, Manilius, Moreau, Moxhon, Orts, Peers, Prévinaire. Reyntjens, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thierry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Allard et Delehaye.
Ont voté contre : MM. Boulez, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode (Félix), de Mérode, Westerloo, de Pitteurs, de Theux, de T'Serclaes, Dumon (Auguste), Dumortier, Julliot, Landeloos, Malou, Mercier, Moncheur, Osy, Pirmez, Rodenbach, Sinave, Thibaut, Vanden Branden de Reeth et Vermeire.
M. Malou. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Je prie la chambre de décider qu'il sera fait mention au procès-verbal de la séance de ce jour que l'article premier a été retiré par M. le ministre des finances. Je le demande parce que, dans une précédente séance que l’on a rappelée, on avait toujours dit que l'article n'était pas retiré, mais qu'il serait tenu en suspens.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous n'attachons pas à cette motion grande importance. Mais pour suivre l'honorable M. Malou dans cet ordre d'idées, je demande que le procès-verbal constate que l'honorable M. Malou et l'honorable M. Osy, après avoir annoncé qu'ils feraient le proposition de maintenir l'article, n'ont pas déposé de proposition.
M. de Brouckere. - Un procès-verbal ne peut pas contenir des faits négatifs. Un procès-verbal ne doit contenir que les faits positifs qui se sont passés. Or, l'abstention de faire une proposition n'est pas un fait ; cela ne se peut pas se trouver au procès-verbal.
M. Malou. - Dans la discussion dont M. le ministre de l'intérieur vient de parler, on disait toujours qu'on ne voulait pas retirer l'article ; qu'on voulait le tenir en suspens. C'est sur cette déclaration, que je viens de vérifier dans le Moniteur, que l'honorable M. Osy et moi-même avons dit que nous reprendrions l'article. Mais du moment où l'article était retiré, il n'y avait plus de motif de le reprendre.
M. Delehaye. - Je ferai remarquer qu'avant la proposition de M. Malou, le bureau avait décidé que la déclaration du gouvernement figurerait au procès-verbal.
M. Delehaye. - Par suite du retrait de l'article premier, les articles 2 et 3 viennent à disparaître.
Nous arrivons à l'article 4.
M. Cools. - Je demanderai au gouvernement une explication : M. le minisire des finances nous a déclaré tout à l'heure qu'il se ralliait à la proposition de l'honorable M. Leliévre, parce qu'elle ne faisait que reproduire en un point la proposition du gouvernement. Mais, d'après la proposition du gouvernement à l'article 2, toute part d'héritier ne s'élevant pas à une somme de 1,000 fr. était exempte du droit, qu'il y eût préciput ou absence de préciput.
Je demanderai donc si l'article 2 ne doit pas être maintenu ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'observation que présente l'honorale M. Cools n'est pas fondée.
Le gouvernement avait proposé de frapper les préciputs d'un droit de 5 p c. Cette proposition vient d'être accueillie par la chambre ; elle avait été formulée en d'autres termes par l'honorable M. Leliévre.
Maintenant l'honorable M. Cools demande qu'on applique aussi l'article 2. Mais l'article 2 était une conséquence de l'article premier frappant d'un impôt les successions en ligne directe.
Que dit l'article 2 ? « Est exemple du droit ci-dessus la part de chaque héritier e s'elevant pas, après déduction des dettes, à une somme de mille francs. »
C'était la part de chaque héritier. Dans le cas de ce qui est donné hors part, de ce qui est précipuaîre, il n'y a pas lieu d'accorder l'exemption. L'article premier n'est pas applicable.
« Le droit de succession et celui de mutation par décès seront respectivement perçus d’après les bases établies par la loi du 27 décembre 1817 et par la présente, sur la valeur :
« 1° Des biens d'un absent dont les héritiers présomptifs, donataires ou légataires auront été envoyés en possession provisoire ou définitive, ou dont, à défaut de jugement, la prise de possession par eux sera constatée par des actes ;
« 2° De tout ce qui est recueilli ou acquis par l'adopté ou ses descendants dans la succession de l'adoptant ;
« 3° De tout ce qui, par suite de conventions matrimoniales, est attribué à l'époux survivant, dans la communauté, au-delà de la moitié. »
La section centrale propose la suppression du dernier paragraphe.
M. Delehaye. - Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, M. le président.
Je crois qu'il est nécessaire d'insérer au n°1 de l'article 4 qui devient l'article 2 de la loi, ces mots : « Des biens d'un absent dont les héritiers présomptifs, donataires ou légataires autres que les successiblcs en ligne directe. » C'est la conséquence de la résolution prise relativement à l’article premier.
Je crois devoir maintenir, messieurs, la disposition qui termine l'article et dont la suppression a été demandée par la section centrale. Il me semble que cette suppression a été demandée par erreur.
Le gouvernement propose de frapper du droit tout ce qui, par suite de conventions matrimoniales, est attribué à l'époux survivant, dans la communauté, au-delà de la moitié.
Il faut d'abord que l'on sache que, pendant 40 années, l'application du principe qui est énoncé dans l'article n'a fait aucune difficulté. Le droit a été constamment perçu.
En 1839 la jurisprudence a changé : les tribunaux ayant jugé que le principe de la perception que l'on faisait, n'étant pas écrit dans la loi lorsqu'il s'agissait non pas d'une donation proprement dite, mais de la convention entre associés prévue par l'article 1525 du Code civil, cette perception n'a pas été maintenue.
La section centrale écarte la disposition par des motifs qui prouvent que l'esprit et la portée n'en ont pas été suffisamment compris. Pour la justifier plus complètement qu'elle ne l'est dans l'exposé des motifs, iï est nécessaire d'entrer dans quelques développements.
Lorsque la communauté légale ou conventionnelle vient à se dissoudre, elle est partagée par moitié entre les époux ou leurs représentants,, s'il n'y a convention contraire.
Les époux peuvent déroger au partage égal établi par la loi, en donnant à l'un d'eux une part moindre ou plus élevée que la moitié, en attribuant même au survivant la totalité de la communauté, sauf, dans ce cas, aux héritiers de l'autre à faire la reprise des apports et capitaux tombés dans la communauté du chef de leur auteur (article 1520 et suivants du Code civil).
Pareille stipulation n'est pas réputée un avantage sujet aux règles relatives aux donations, mais simplement une convention de mariage et entre associés.
Cependant la faculté que la loi laisse aux époux de se faire par contrat de mariage et sur les biens de la communauté, des avantages qui ne sont pas réputés donations, ne les empêche pas de pouvoir également s'avantager à ce titre, s'ils le jugent convenable.
S'ils n'ont pas réglé le partage de la communauté par une convention entre associés, la succession du prémourant comprend, et la donation en faveur du survivant peut embrasser en tout ou en partie, les biens propres du premier et sa moitié part dans les biens de la communauté.
Si, au contraire, par dérogation au partage égal de la communauté, le contrat de mariage attribue au survivant, par exemple, les 9/10 de la totalité de la communauté, la succession du prémourant ne comprend, et la donation qui aurait été faite en outre au survivant ne peut embrasser, indépendamment des biens propres, que le dixième de la communauté, ou seulement les apports ou capitaux qui y seraient tombés du chef du prémourant.
Prenons la clause assez fréquente par laquelle les époux, après s'être référés à la loi pour la composition de la communauté, attribuent an survivant d'eux la propriété des meubles et l'usufruit des immeubles du prémourant.
Qaand les termes et la contexture du contrat impliquent le caractère de donation, en ce qui concerne les biens de la communauté comme à l'égard des biens propres, le survivant doit le droit de succession :
1° Pour la propriété de la moitié des biens dépendant de la communauté et de la totalité des meubles qui auraient été donnés au défunt, pendant le mariage et exclus de la communauté par le donateur (article 1401 C. c.) ;
2° Pour l'usufruit de la moitié des immeubles de la communauté et de la totalité des immeubles propres.
Lorsque les termes et la contexture du contrat impliquent, au contraire, le caractère de convention entre associés, le survivant doit seulement le droit de succession pour l'usufruit des immeubles propres et pour la propriété des meubles donnes avec exclusion de la communauté.
Or, si les clauses supposées diffèrent par leurs termes, il n'existe au moins, dans la réalité, aucune différence qui soit de nature à faire traiter, (page 1360) par rapport à l’impôt, l’époux survivant de la seconde hypothèse plus favorablement que celui de la première hypothèse.
A la vérité, le caractère de donation, en ce qui concerne les biens de la communauté, doit être plus fortement accusé que celui de simple conveniiun entre associés ; notamment il nest pas attaché au seul emploi du mot « donation » ; mais cette circonstance n'affecte pas l'exactitude doctrinale des considérations qui viennent d'être présentées. Sous ce rapport, il ne sera pas inutile de citer des exemples que fournit la jurisprudence.
Dans leur contrat de mariage du 2 juillet 1815, les sieur et dame le Baillif, après avoir stipulé qu'il y aurait entre eux communauté de biens, ont fixé la mise de chacun des époux et réglé le préciput qui, dans tous les cas, pourrait être prélevé par le survivant sur les biens de la communauté.
L'article 9 du contrat porte : « Les futurs époux, voulant se donner une preuve de rattachement qui les porte à s'unir, se font, par ces présentes, dotation mutuelle, pour et au profit du survivant d'eux, ce qu'ils acceptent pour ledit survivant, de l'universalité des biens meubles et immeubles qui appartiendront au prémourant à son décès, sans aucune exception, pour, par le survivant, en jouir, faire et disposer, savoir, des conquêts de la communauté en pleine et libre propriété, et de tous les autres biens en usufruit seulement, pendant la vie du survivant, sauf la réduction légale en cas d'existence d'enfants. »
Le droit d'enregistrement de mutation par décès qui, en France, est subordonné aux mêmes conditions d'exigibilité que les droits de succession et de mutation par décès auxquels il a fait place en Belgique, a été reconnu dû par arrêt de la cour de cassation du 25 février 1832.
« Attendu que le contrat de mariage des sieur et dame le Baillif contient la stipulation formelle qu'il y aura communauté entre les époux, qu'il règle l'apport de chacun d'eux, et les autorise à y reprendre tant le préciput stipulé dans l'acte, que leurs biens personnels ;
« Attendu que c'est ensuite de ces dispositions, dont il résulte une égalité de droit en faveur de chacun des époux, à la copropriété des conquêts de la communauté, que dans l'article 9 du contrat de mariage, ils se font donation mutuelle de l'universalité des biens meubles et immeubles qui, est-il dit dans l'acte, appartiendront au prémourant, au jour de son décès ;
« Et que, dans la même clause, cette universalité des biens du prémourant est divisée en deux parties données toutes les deux au même titre : la première composée des conquêts de la communauté, qui sont donnés au survivant en toute propriété, et la deuxième, de tous les autres biens en usufruit seulement ;
« Attendu d'ailleurs que par l'article 10 de ce même contrat, il est accordé au survivant, sur les conquéts de la communauté, un préciput qui, y est-il dit, ne doit pas se confondre avec la donation ;
« Attendu enfin que la totalité des biens des époux, sans distinction entre leurs biens personnels et les conquéts de communauté, est soumise à la réduction pour cause d'existence d'enfant ;
« Attendu que de la réunion de ces circonstances, il résulte que les sieur et dame le Baillif n'ont pas entendu faire entre eux, dans leur contrat de mariage, une convention dont l'effet eût été, suivant l'article 1525 du Code civil, d'attribuer la totalité des conquêts au survivant, a compter du jour du contrat, en telle sorte que le prémourant fût censé n'y avoir jamais eu aucun droit ; mais qu'ils ont voulu se faire seulement une donation de la part des conquêts qui leur appartiendraient au jour de leur décès, pour en jouir avec les charges ordinaires des donations. »
Un arrêt de la même cour, du 23 avril 1849, après avoir rappelé les clauses litigieuses, porte : « Qu'il résulte clairement et sans équivoque de ces stipulations, que les époux se sont mariés sous un régime équivalent à celui de la communauté légale ; qu'à sa dissolution, cette communauté a dû préalablement se partager en deux moitiés égales, dont l'une, d'après le droit commun, est tombée dans la succession du prémourant des deux époux ; que c'est de cette succession qu'elle a dû sortir puur entrer dans le patrimoine du survivant ; qu'elle n'en est sortie que par la force de la donation faite et acceptée, ainsi qu'il est dit au contrat de mariage ; qu'il résulte à la fois de la nature de l'acte et de son sens littéral que la mutation s'est faite du prémourant au survivant des époux ; que cependant le jugement attaqué n'a vu dans cette donation par contrat de mariage que la clause autorisée par l'article 1525 du Code civil, pour en conclure que le mari survivant ne tenait la comnunauté entière que de la société conjugale, en quoi il a méconnu, etc. »
D'autres espèces ont été appréciées dans le sens d'une convention entre associés, notamment par arrêt de la cour de cassation de France du 24 novembre 1834 et par arrêt de la cour de cassation de Belgique du 11 novembre 1846 ; et ces arrêts prouvent, ainsi qu'on l'a déjà fait remarquer, que le caractère de donation, en ce qui concerne les biens de la communauté, est beaucoup plus difficile à faire ressortir que celui de convention entre associés ; il a besoin, bien plus que ce dernier, d'être mis en évidence par les termes et la contexture du contrat.
À propos de l'arrêt du 23 avril 1849, un auteur français, M. Championnière, donne aux notaires le conseil suivant :
« Nous avons déjà fait observer que les clauses par lesquelles les futurs disposent, au profit du survivant, d’une part des biens de la communauté, s’interprétaient d’après leur termes. Messieurs, les notaires doivent donc appeler l’attention des parties sur ce point ; elles sont généralement portées à adopter les expressions qui témoignent de l’affection réciproque des époux et qui indiquent une libéralité ; mais il est facile de leur faire comprendre qu'au fond la libéralité existe, et elles consentiront à la modification dans les mots pour s’affranchir d’un droit proportionnel. D'ailleurs, à côté de la clause puisée dans l'article 1525 du Code civil, et et pour faire ressortir davantage la nature de cette clause, on peut placer la donation que les époux voudraient se faire sur leurs biens propres. »
Ce conseil, on peut l'invoquer en faveur du paragraphe 3 de l'article 4 du projet de loi, en ce qu'il a pour objet de repousser une distinction basée sur des mots, et de soumettre au droit de succession la libéralité qui existe toujours au fond.
En présence des développements qui précèdent, la section centrale ne persistera sans doute pas à croire « qu'il est impossible que l'on pense, à l'avenir, à remplacer les donations par contrats de mariage, par des conventions qui ne peuvent porter que sur des valeurs tout à fait éventuelles, dépendant de la bonne ou mauvaise gestion du mari, dépendant même de sa bonne volonté. »
Des valeurs éventuelles. Si l'on veut parler des bénéfices, des acquêts, ils sont certes éventuels au moment du mariage ; mais déjà la communauté légale comprend tous les biens meubles que les époux possèdent en se mariant, et ceux qui peuvent leur échoir par succession y entrent également ; de plus, ils peuvent y faire entrer leurs immeubles présents et futurs en stipulant une communauté universelle, et cette communauté conventionnelle est placée sur la même ligne que la communauté légale relativement à la faculté de déroger au partage égal établi par la loi.
Or, du moment que la part attribuée du survivant, consistât-elle dans les 9/10 de la communauté universelle, n'atteint pas la totalité, il n'y a aucune distinction à faire entre les biens mis en communauté par le prémourant et les bénéfices réalisés pendant le mariage. C'est seulement lorsque la communauté entière est attribuée au survivant, que celui-ci ne peut obtenir les biens qui y sont entrés du chef du prémourant, sans être passible du droit de succession à l'égard de ces biens.
En admettant, contrairement à l'expérience, que les contractants ou les notaires pour eux, ne songent pas à remplacer, dans les termes des contrats de mariage, les donations par des conventions entre associés, il n'en est pas moins vrai qu'eu égard à la préférence dont ces dernières jouissent dans l'interprétation, il y a peu de contrats, même dans le passé, qui ne donnent matière à controverse sous ce rapport ; et tout ce qui en résulte c'est que, lors de la dissolution de la communauté, les plus habiles, interprétant le contrat dans le sens d'une convention entre associés, s'abstiennent d'acquitter l'impôt pour ce qu'ils acquièrent au-delà de la moitié de la communauté, tandis que ceux qui sont sous l'empire d'un long usage, voient dans le contrat une donation passible d'impôt et se conforment à ce qui s'est pratiqué sans contestation pendant quarante ans, à compter de l'an VII.
Nous n'avons pas pensé, messieurs, qu'il fût raisonnable de faire une distinction que rien ne légitime. Nous demandons que, dans les deux hypothèses, le droit soit perçu.
Nous maintenons en conséquence la disposition du projet du gouvernement.
M. Dolez. - Messieurs, la disposition dont l'honorable ministre des finances vient d'entretenir la chambre préseule un inconvénient grave, c'est de mettre la loi fiscale en opposition directe avec le Code civil.
La jurisprudence dont on vient de parler est basée sur cette considération d'une part, que le droit de succession ne doit être perçu que sur les valeurs réellement recueillies à titre de succession et, d'autre part, que les époux qui, conformément à l'article 1525 du Code civil, établissaient un règlement de leur communauté, simple convention entre associés, ne devaient point être considérés comme constituant une donation,, ce qui rendait le droit de succession inapplicable aux effets de cette stipulation.
La disposition que l'on propose aujourd'hui et qui serait d'ailleurs assez peu productive pour le trésor, démentirait le principe qui sert de base à l'article 1525. Voici, en effet, ce que porte cet article :
« Il est permis aux époux de stipuler que la totalité de la communauté appartiendra au survivant ou à l'un d'eux seulement, sauf aux héritiers de l'autre à faire la reprise des apports et capitaux tombés dans la communauté. Cette stipulation n'est point réputée un avantage sujet aux règles relatives aux donations, soit quant au fond, soit quant à la forme, mais simplement une convention de mariage cl entre associés. »
Vous l'entendez donc, messieurs, le droil commun caractérise les stipulations de la nature de celles qu'on vous propose de soumettre à l'impôt. Le droit commun proclame que ces stipulations ne constituent point une donation, qu'elles sont uniquement un forfait intervenu entre associés pour le règlement de leur part sociale. Or, la loi dont nous nous occupons maintenant n'est relative qu'à l'impôt de succession.
Nous ne pouvons donc y comprendre des stipulations qui n'ont rien de commun avec la la transmission des biens à titre de succession. Je ne pense pas non plus qu'il n'y ait dans cette matière qu'une question de mots. La jurisprudence belge particulièrement ne s'est pas arrêtée à la discussion de mots, qui semble avoir motivé un des arrêts des cours de France que citait tout à l'heure M. le ministre des finances.
Notre cour de cassation et nos tribunaux ont basé leur jurisprulencc sur la non-application du droit de succession, non pas sur les mots dont les contractanats avaient pu se servir, mais sur la portée réelle de leurs conventions matrimoniales.
(page 1361) C'est ainsi que, tandis qu'elle repoussait l'application du droit aux résultats des produits de la communauté, fonds de la collaboration des époux, la cour de cassation reconnaissait que le droit devait être perçu sur la part de la communauté qui constituait l’import de l’époux prédécédé, parce que quant à cet apport, la stipulation qui l'attribuait à l'époux survivant constituait réellement une donation.
Je crois donc que la chambre fera chose prudente en n'admettant pas la proposition du gouvernement, par respect pour le droit commun. L'honorable ministre des finances, qui est un jurisconsulte distingué, reconnaîtra, je pense, qu'il est toujours désirable de ne pas mettre la loi fiscale en contradiction flagrante ave le droit commun, et jamais contradiction ne serait plus flagrante que celle qui assujettirait au droit de succession une stipulation que le Code civil déclare ne point appartenir à la matière des successions.
Je voterai contre la disposition.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, malgré les observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Dolez, je persiste à penser qu'il est parfaitement rationnel, au point de vue fiscal, d'assimiler les diverses hypothèses. Les tribunaux ont cru longtemps que la disposition devait être appliquée comme nous l'indiquons ; ils ont pensé pendant longtemps que, relativement aux gains de survie résultant des anciennes coutumes, il y avait encore lieu d'appliquer le principe que nous posons.
Une divergence d'opinion s'étant manifestée entre les cours sur ce point, une loi interprétative est venue consacrer le principe que nous reproduisons et qu'elle a appliqué aux gains de survie résultant des coutumes.
Or, quelle analogie plus grande peut-on trouver entre les gains de survie résultant des coutumes et les gains de survie stipulés dans les contrats de mariage, conformément à l'article 1525 du Code civil ?
L'honorable M. Dolez ne répond pas à une objection qui est grave en cette matière : c'est que selon les termes que les parties emploieront, selon le plus ou moins d'habileté qu'on mettra à rédiger le contrat de mariage, on sera atteint par l'impôt ou l'on y échappera. Je l'ai prouvé ; j'ai montré que les termes des contrats de mariage avaient donné lieu à de vives controverses, à de nombreux procès ; qu'il est souvent très difficile de distinguer, d'après les termes des contrats de mariage, ce qui constituera véritablement la convention entre les époux, prévue par l'article 1525 du Code civil, et la véritable donation donnant ouverture au droit.
Rappelez-vous les paroles que j'ai citées tout à l'heure d'un jurisconsulte très compétent dans cette matière, M. Championnière.
Il indique les mots qu'il faut employer, afin de pouvoir échapper aux difficultés, afin d'échapper au droit de mutation qui se perçoit en France et qui est remplacé chez nous par le droit de succession.
Voulez-vous laisser ouvertes toutes ces sources de procès ? Voulez-vous que des contestations s'élèvent sur chaque contrat de mariage ? Voulez-vous que le plus grand nombre qui ne fait pas de contrat de mariage, et qui ne peut plus disposer que par testament ou par donation, soit frappé de l'impôt, et que les autres y échappent ? Cela serait-il juste ?
Je n'aperçois aucune raison pour ne pas voter le principe qui est déposé dans le projet.
La seule qu'allègue l'honorable M. Dolez est celle-ci : «Vous mettez la loi fiscale en contradiction avec la loi civile. » Cela n'est pas précisément exact. La loi civile a attribué un caractère particulier aux avantages stipulés dans les contrats de mariage.
Comme cela même était une dérogation aux principes généraux du droit, la loi a déclaré que ces stipulations ne seraient réputées, ni pour le fond ni pour la forme, aux règles établies pour les donations.
Il ne faut pas étendre cette exception ; il ne faut pas surtout l'étendre lorsqu'on arrive inévitablement aux inconvénients que je vous ai signalés.
Je crois devoir persister dans la proposition que j'ai soumise à la chambre.
M. Lelièvre. - Je crois devoir, sur la question qui nous occupe, me rallier au système du projet de loi et aux observations que vient de présenter M. le ministre des finances. La disposition que nous discutons me semble la conséquence de la loi interprétative de 1841. Ne le perdons pas de vue, cette loi a considéré, comme devant donner lieu au droit de succession, les gains nuptiaux ou de survie établis par les anciennes coutumes de Belgique. Or, il est de jurisprudence constante, conforme du reste à la doctrine des auteurs, que ces gains de survie n'étaient pas accordés à titre de succession ou de donation, mais bien en vertu de la communauté conjugale et à titre de convention entre associés. C'est pour ce motif que la jurisprudence a statué que les droits matrimoniaux n'avaient été ni abroges ni même réduits par la loi du 17 nivôse an II.
Or, si la loi de 1841 considère néanmoins ces avantages, quoique ayant pour titre la communauté légale, comme devant être soumis au droit de succession, pourquoi n'en serait-il pas de même des conventions matrimoniales conférant au survivant une part excédant sa juste moitié dans les biens de la communauté ?
L'article 1525 du Code civil, invoqué par l'honorale M. Dolez, ne fait que sanctionner des dispositions analogues à celles admises sous plusieurs de nos coutumes, ce qui n'a pas empêché le législateur, dans la loi de 1841, de décréter un droit pour tout ce qui excédait la part naturelle compétant à l'epoux dans l'association conjugale.
Messieurs, il est un point que l'honorable M. Daîez me semble avoir perdu de vue, c'est qu'il s'agit ici d'apprécier les effets des conventions matrimoniales sous le rapport des droits du trésor.
D'après les règles de la société conjugale, les époux sont considérés comme copropriétaires par parts égales. Voilà qui découle de l'ordre naturel des choses.
Si donc, par suite de la mort de l'un des conjoints, le survivant recueille une quotité supérieure à sa part virile, il y a mutation par décès en faveur du survivant qui, recueillant ainsi un avantage « à cause de mort », est légitimement frappé d'un droit envers le trésor. Du reste, si le succcssible en ligne directe a été justement astreint à un droit pour tout ce qui lui échoit au-delà de la part ab intestat, il est incontestable que ce principe s'applique avec bien plus d'énergie à l'époux qui recueille au-delà de sa juste moitié dans les biens de la communauté. Ce sont ces considérations qui me porteront à voter le paragraphe en discussion.
M. Dolez. - Quand le droit commun a proclamé que certain genre de stipulation ne constitue point une donation, un avantage, pouvons-nous dire que la loi fiscale, que ce même genre de stipulation aura ce caractère, sans démentir le droit commun ? Pour mon compte, je ne le crois pas.
Maintenant est-il vrai, comme on le soutient, que la loi de 1841 ait tranché la question qui nous occupe en ce moment ? Je pense que c'est une erreur. Une question grave s'était élevée, quant à l'applicabilité de la loi du 17 nivôse an XI, aux gains coutumiers consacrés en faveur de l'époux survivant par nos diverses coutumes.
Dans certaines coutumes on considérait ces gains coutumiers comme un droit successoral. Dans d'autres, au contraire, on considérait que ce n'étaient que des stipulations de communauté entre époux.
La loi de 1841 a été portée, si ma mémoire est fidèle, à l'occasion de la coutume du Luxembourg, sur la portée de laquelle les tribunaux de cette province avaient émis des opinions contradictoires.
Mes souvenirs me disent encore que quand la chambre eut à s'occuper de la loi interprétative, loi qui fut adoptée et votée sans discussion, une observation fut faite par l'honorable M. Raikem, et cette observation est en opposition avec la portée que l'on veut, en ce moment, donner à la loi interprétative ; l'honorable M. Raikem qui avait même présenté le projet de cette loi, déclara qu'il devait être bien entendu qu'elle ne pouvait s'appliquer qu'aux coutumes qui établissaient des gains de survie opérant une transmission de propriété, et qu'ainsi elle devait rester étrangère au droit de main-plévie établi par la coutume de Liège.
Je crois que mes souvenirs ne me trompent pas quand je rappelle ces circonstances. J'ajouterai que depuis la loi de 1841, la cour de cassation a encore reconnu que le partage inégal de la communauté, autorisé ou établi par une coutume des Flandres, celle d'Ypres, si ma mémoire est fidèle, ne tombait point sous les dispositions de la loi de 1817 relativement au droit de succession.
Il faut remarquer enfin que la loi de 1841 n'a porté que sur le droit coutumier qui ne renfermait pas la disposition de l'article 1525. Tribunaux et législateurs ont donc été libres de caractériser la nature des droits admis par ces coutumes, de manière à les ranger parmi ceux qu'atteignait la loi sur le droit de succession. Mais il en est autrement sous le Code.
Il a consacré tout une section aux dispositions de la nature de celle dont s'est préoccupé le gouvernement en formulant la proposition qui vous est soumise. De l'article 1520 à l'article 1525, le Code autorise les époux à régler comme ils l'entendent la communauté. L'article 1525 déclare que les stipulations de cette espèce ne sont pas des donations et ne peuvent pas y être assimilées.
Dès lors, le droit commun ayant défini la nature de ces stipulations, serait-il sage de venir dire dans une loi fiscale qu'il en est autrement ? Suivant moi, il n'y a pas de milieu, ou nous devons dire que le règlement entre associés, le forfait de communauté disparaît pour faire place à la succession, ou nous ne devons pas, contrairement au droit commun, voir une succession dans une stipulation concernant la communauté.
Mais, dit M. le ministre des finances, vous voulez donc que le droit ne soit payé que par ceux dont le contrat aura été dressé par un notaire peu habile, qui n'aura pas su se servir de termes propres à échapper au droit de succession ?
Non, messieurs, je l'ai déjà dit, la jurisprudence belge ne s'est pas arrêtée aux mots dont se servent les contrats ; elle en a apprécié les dispositions elles-mêmes. C'est ainsi que, sans se préoccuper du mot « donation », qui pouvait se rencontrer dans les contrats qui lui étaient soumis, la cour de cassation reconnaissait que le droit de succession ne devait pas être perçu quant à la partie de la stipulation relative aux produits de la communauté, et qu'il devait l'être quant à la partie qui portait sur les apports des époux.
M. Verhaegen. - Je crois que l'honorable préopinant va beaucoup trop loin en donnant à l'article 1525 une portée qu'il ne comporte pas : il y a dans la section 7 du titre V différentes dispositions qui permettent d'assigner à chacun des époux des parts inégales dans la communauté, et certes ces parts inégales constituent bien des avantages au profit de celui en faveur duquel la plus grande part est stipulée ; ma's vient ensuite une disposition toute spéciale, celle de l'article 1525, d'après laquelle il est permis aux époux de stipuler que la communauté tout entière appartiendra au survivant à condition de payer toutes les dettes (article 1524) ; de manière qu'il est possible qu'avec une semblable clause dans un contrat de mariage, on ait de grands avantages à recueillir ou de grandes charges à supporter sans qu'on puisse s'y soustraire.
(page 1362) En effet, il peut arriver que le survivant trouve dans le communauté un actif tellement obère qu'il n'ait que des dettes à payer. C'est là un contrat aléatoire, car évidemment il y a chance de perte comme d'avantage.
C'est pour ce cas unique, que l’article 1525 a déterminé que la clause du contrat ne constitue pas un avantage sujet aux règles relatives aux donations, soit quant à la forme, soit quant au fond, mais simplement une convention de mariage et entre associés.
Je crois donc qu'on ferait abus de l'article 1525, en lui donnant la portée que lui a donnée notre honorable collègue, M. Dolez, c'est-à-dire en l'étendant au-delà de ses limites ; je crois aussi que loi de 1841 doit conserver la signification que lui a attribuée M. le ministre des finances, et qu'il ne peut être question, dans l'occurrence, de la jurisprudence invoquée par M. Dolez.
M. Dolez. - L'honorable M. Verhaegen est dans l'erreur quant au dernier point de son observation. La chambre n'a fait que consacrer l'avis de la cour de cassation en fait d'avantages établis entre époux par les coutumes.
Cette même cour a toujours énergiquement maintenu par sa jurisprudence qu'il était impossible d'appliquer aux dispositions de l'article 1525 les droits de sucession.
Quant à la portée de l'article 1525, elle est fixée par un nombre considérable d'arrêts. C'est pour protester contre cette portée donnée par la jurisprudence à l'article 1525 que la proposition du gouvernement a été faite.
M. le ministre des finances l'a reconnu, en déclarant que c'était pour porter remède aux conséquences de cette jurisprudence qu'il apportait la dispostition sur laquelle nous délibérons. Cette jurisprudence a appliqué ses principes tout aussi bien au forfait partiel qu'au forfait total de communauté ; la jurisprudence s'est prononcée sur l'un et l'autre, elle a même décidé que quand les époux ne s'étaient donné que l'usufruit des produits de la communauté, il n'y avait pas lieu à la perception des droits de succession, parce que, encore une fois, ce n'est pas à titre de succession que la stipulation est établie.
Vous n'aurez pas plus de difficulté à reconnaître s'il faut payer des droits de succession que pour savoir s'il faut appliquer ou non l'article 1525 du Code civil. En présence de chaque contrat, il faut bien se demander si les parties ont formé un règlement de leur association, ou s'il y a donation. Le fisc n'aura pas plus de difficulté à le reconnaître que les parties elles-mêmes pour le règlement de leurs droits. Ce sera le droit commun qui sera appliqué aux deux intérêts.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dolez me paraît tomber dans une erreur lorsqu'il énonce que la cour de cassation a constamment refusé d'appliquer le principe de la disposition que nous proposons.
Il s'agit de savoir si, dans l'hypothèse qui lui était soumise, elle a considéré qu'il y eût convention entre associés ou donation.
Je n'ai pas sous les yeux les arrêts dont on parle. Mais il me semble évident que si la cour a reconnu qu'il y avait donation dans l'espèce sur laquelle elle avait à statuer, elle a dû nécessairement admettre que le droit fiscal devait être perçu.
M. Dolez. - Quels que soient les termes de la convention.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'avoue que cela me paraît impossible.
M. Dolez. - La jurisprudence établit la perception des droits sur les capitaux apportés ou tombés dans la communauté. Lisez donc l'arrêt rendu en cause du ministre des finances contre la veuve de l'avocat Tarte. La question a été tranchée par cet arrêt. La cour de cassation a décidé que les capitaux tombés ou apportés dans la communauté étaient soumis au droit.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si elle a constaté qu'il y avait simplement convention de mariage et entre associés, alors je reconnais aussi que d'après la jurisprudence introduite en 1839, il n'y avait pas lieu à la perception du droit. Mais voyons quels sont les termes de la loi ? Que dit l'article 1525 ?
Pas autre chose si ce n'est que « cette stipulation n'est point réputée un avantage sujet aux règles relatives aux donations, soit quant au fond, soit quant à la forme, mais simplement à une convention de mariage et entre associés. »
Est-ce que ces expressions ne prouvent pas qu'il y a là une dérogation aux principes généraux ? Il est évident que la stipulation permise par l'article 1525 constitue un avantage, qui, d'après les principes généraux, devrait être considéré comme une donation. Par exception l'article 1525 dispose que cet avantage ne sera réputé, ni quant à la forme, ni quant au fond, une donation. Voila le droit exceplionnel entre les époux. Peut-il être invoqué contre le fisc ? Est-il juste de le faire ?
Lorsque nous recherchons quelle est réellement la différence qui peut exister entre cet avantage et celui résultant d'une donation, il nous est assez difficile de l'apercevoir. Cela est si vrai que les clauses des contrats de mariage ont donne lieu à de nombreux procès, soit en Belgique soit en France. Selon les termes dont on s'est servi on voit dans un contrat de mariage ou une donation, ou la stipulation dont parle l'article 1525 du Code civil.
Il est impossible que le législateur, ayant à se prononcer, laisse ainsi une porte ouverte non seulement aux contestations, mais à la fraude. Le droit qu'il veut imposer échapperait inévitablement au gouvernement, si vous faisiez disparaître la disposition contenue dans le projet de loi.
M. d'Hondt. - Je suis parfaitement de l'avis de notre honorable collègue M. Dolez, en ce sens que l'article 4 porte évidemment une dérogation au Code civil, dont je crois inopportun de changer les principes en cette matière, et en quelque sorte une atteinte à la liberté des conventions. En deuxième lieu, je me permettrai de répondre à l'honorable ministre des finances que son objection, fondée sur ce qu'il y a toujours avantage dans ces sortes de stipulations, ne me paraît nullement fondée ; en effet dans quelles circonstances ces clauses figurent-elles dans les contrats de mariage ? C'estie plus souvent entre conjoints dont la fortune est inégale ; ainsi, par exemple, quand l'un des époux possède 100,000 fr., l'autre 50 mille, on stipulera qu'en cas de décès le premier prendra deux tiers, l'autre un tiers ; dans ce cas le premier ne fait que reprendre son apport ; il n'y a donc pas avantage.
Si votre disposition est admise, vous faites donc payer à ce conjoint un droit de succession sur sa propre chose. C'est ce que je ne puis admettre.
Il y a là, d'après moi, une évidente injustice ; il y a même un vice de rétroactivité ; car aujourd'hui il y a un grand nombre de contrats rédigés dans le sens que je viens de rappeler, uniquement pour faire rentrer l'un des époux dans ce qu'il a apporté au-delà de sa moitié dans la communauté, et vous viendriez de ce chef le frapper, par votre loi, d'un impôt de succession ! Vous atteindriez donc ce qui constituait une œuvre accomplie sans aucun avantage dans l'intention comme dans le fait. Je voterai pour la suppression du n°3.
- La discussion est close.
L'amendement de la section centrale, qui consiste à supprimer le n°3 de l'article 4, est mis aux voix par appel nominal.
En voici le résultat :
85 membres prennent part au vote.
49 répondent oui.
36 répondent non.
En conséquence, l'amendement de la section centrale est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Boulez, Cools, Coomans, David, de Bocarmé, de Brouwer de Hogendorp, Dedecker, de Denterghcm, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Renesse, de Royer, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, d'Hont, Dolez, Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Dumortier, Jacques, Jouret, Landeloos, Lange, Le bailly de Tilleghem, Malou, Manilius, Moncheur, Orts, Osy, Reyntjens, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Thibaut, T'Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Vermeire et Allard.
Ont voté le rejet : MM. Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Breyne, de Brouckere, Delescluse, Delfosse, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, d'Hoffschmidt, Frère-Orban, Julliot, Lebeau, Lelièvre, Loos, Mercier, Moreau, Peers, Pirmez, Prèvinaire, Rogier, Sinave, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Van Hoorebeke, Van Renynghe, Veydt, Vilain XIIII et Verhaegen.
- L'article 4, amendé comme l'a proposé M. le ministre des finances, est adopté.
M. Delehaye. - Un amendement à l'article 9, déposé par M. T'Kint de Naeyer, sera imprimé et distribué.
- La séance est levée à 4 heures et demie.