Séance du 8 mai 1851
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1295) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Jean Indell Gibbs, ancien délégué de la compagnie anglaise pour l'exploitation du télégraphe électrique établi entre Bruxelles et Anvers, né à Iwade (Angleterre), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Plusieurs habitants de Neuve-Eglise demandent l'exécution du chemin de fer de Courtray à Ypres et Poperinghe par Menin et Wervicq. »
«c Même demande de plusieurs habitants de Kemmel et des négociants ot cultivateurs de Dickebusch. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Par dépêche du 7 mai, M. le ministre des finances adresse à la chambre 110 exemplaires de la réponse faite, au nom de son département, au mémoire de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale, à l'appui du pourvoi en cassation dirigé par cette société contre les arrêts prononcés par la cour des comptes, le 4 mai et le 3 décembre 1850, qui sont condamnée à payer une somme de 1,871,058 fr. 79 c. pour les intérêts de l'encaisse de 1830. »
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Thiéfry. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi allouant un crédit supplémentaire au département de la guerre.
Rapports sur des demandes en naturalisation
M. Destriveaux. - J'ai l'honneur de déposer deux rapports de la commission des naturalisations.
- Ces rapports seront imprimés et distribués. Ils seront mis à la suite de l'ordre du jour.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 60 membres présents.
Ces membres sont : MM. de Bocarmé, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Meester, de Muelenaere, de Perceval, de Renesse, Desoer, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumon (Auguste), Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Lelièvre, Loos, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Osy, Pirmez, Roussel (Adolphe), Rousselle (Ch.), Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe. Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Bruneau, Clep, Cans, Cools, Coomans, David, de Baillet (Hyacinthe) et Verhaegen.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, nous entreprenons aujourd'hui une tâche fort pénible, semée d'écueils et qui, en la supposant achevée avec un plein succès, ne nous laissera d'autre satisfaction que celle qui résulte de l'accomplissement d'un devoir. Mais, dans notre conviction, qui est profonde, qui est invétérée, il y a nécessité absolue d'améliorer la situation financière. On pourrait presque, messieurs, se dispenser de toute espèce de justification ; car comment concevoir qu'un gouvernement pût venir, sans motifs impérieux, réclamer de nouveaux impôts ? Les gouvernements soulèvent déjà assez d'inimitiés, ils sont l'objet d'assez d'attaques injustes et passionnées, pour qu'on ne les suppose pas disposés à chercher comme à plaisir le moyen d'offrir à leurs adversaires des sujets de récriminations. Et encore, messieurs, quel sujet ! Quel meilleur thème pour une opposition que celui qui consiste à combattre de nouveaux impôts ? C'est une position si commode ! elle offre tant de satisfaction ! on parvient si facilement sur un pareil sujet, à égarer les populations, aisément disposées à croire que leurs véritables défenseurs sont ceux qui combattent les impôts.
Car, messieurs, l'imprévovance est une infirmité de notre nature, et l'on est peu incliné à croire qu'un remède appliqué en temps utile est de nature à éviter des maux beaucoup plus grands dans l'avenir.
La tactique familière à l'opposition s'est déjà révélée dans cette discussion : j'avais à peine demandé la mise à l'ordre du jour d'un projet de loi depuis longtemps élaboré, prêt pour la discussion, que déjà on niait la nécessité d'établir de nouveaux impôts : « Avant de mettre à l'ordre du jour un tel projet, que le gouvernement s'explique, qu'il fasse connaître ses vues, ses tendances, qu'il démontre la nécessité d'établir de nouveaux impôts. »
Comme si, messieurs, la discussion à laquelle nous devons nous livrer et qui doit nécessairement précéder l'adoption d'un projet de loi tel que celui qui nous est actuellement soumis, n'était pas, précisément, l'occasion toute simple, toute naturelle, de se livrer aux débats que l'on provoquait !
Le vote que la chambre a émis en écartant les propositions d'ajournement, car les propositions qui ont été faites il y a quelques jours ne pouvaient avoir d'autre signification, ce vote démontre que la chambre a compris déjà qu'il fallait enfin aborder sérieusement cette question pendante depuis si longtemps. Et pourtant le vote de la chambre a été en dehors de cette enceinte, grâce aux insinuations déjà produites ici, une occasion pour accuser la majorité d'une complaisance servile. Car il fallait outrager la majorité et prétendre qu'elle était disposée à voter aveuglément les impôts que le gouvernement trouvait bon de proposer. Le ridicule le dispute si fort à l'absurde dans une imputation de ce genre, que le bon sens public en a fait promptement justice. Le public a parfaitement compris qu'il est impossible de demander de nouveaux impôts sans prouver qu'il est indispensable d'en établir ; il a parfaitement compris que personne de cette chambre ne consentirait à voter des impôts, si la nécessité ne lui en était pas démontrée.
Le devoir qui nous incombe, c'est donc, messieurs, de justifier de cette nécessité de nouveaux impôts. Nous avons eu l'honneur de dire à la chambre bien souvent, nous avons eu l'honneur de lui répéter, il y a quelques jours, que nous poursuivions invariablement un double but, celui de rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat, et celui de préparer des ressources pour exécuter les travaux publics réclames par le pays.
L'ordre de la discussion me paraît ainsi naturellement indiqué ; je crois que la chambre l'admettra. Il faut rechercher si des ressources nouvelles sont indispensables et à concurrence de quelle somme il faut en créer.
Ces points démontrés, il y aura lieu, pour la chambre, si elle partage l'opinion du gouvernement, à voter des ressources à concurrence de la somme qui aura été indiquée.
Ces ressources votées, une deuxième discussion se présentera ; dans cette discussion, il faudra rechercher s'il y a lieu de créer des ressources nouvelles pour exécuter des travaux publics ; par conséquent, le gouvernement aura alors à exposer ses vues, ses projets à cet égard ; mais quant à présent, la discussion doit être circonscrite sur le terrain de la situation financière.
J'ai toujours soutenu que les revenus du trésor étaient insuffisants ; que l'équilibre n'avait jamais existé entre les recettes et les dépenses de l'Etat.
Pour prouver ces deux propositions, il semblerait qu'il suffit de se demander une seule chose : Avons nous un déficit ? Si nous avons un déficit, il paraît tout naturel d'en conclure que nos ressources ne suffisent pas pour couvrir nos dépenses ; mais on se tromperait ; on objecterait que ce dont nous devons nous préoccuper, c'est de savoir si nos ressources ordinaires couvrent nos dépenses ordinaires, parce que, quant aux dépenses extraordinaires, c'est aussi par des recettes extraordinaires qu'il faut y pourvoir. Je partage entièrement cette opinion. Ce qui est à prouver, c'est que nos ressources ordinaires ne suffisent pas pour couvrir nos dépenses ordinaires.
Comment arriver à cette démonstration ? Je pourrais faire pleuvoir ici un déluge de chiffres ; quelques hommes compétents dans cette chambre pourraient les examinar, les discuter ; nous pourrions nous renvoyer des objections fort confuses, très obscures pour le plus grand nombre des membres de cette chambre et assurément pour le pays. Il n'en résulterait rien de satisfaisant pour la conclusion à laquelle nous voulons arriver.
Mais le moyen de démontrer que la situation financière, au point de vue des recetles et des dépenses ordinaires, exige des remèdes prompts et efficaces, me paraît facile à trouver. J'ai fait imprimer à la suite de la situation du trésor, arrêtée le 1er septembre 1850, le tableau des recettes et des dépenses extraordinaires, depuis 1830 jusqu'à 1850.
Il résulte du décompte auquel on s'est livré, et qui rectifie un travail précédemment fait, dans lequel existaient quelques erreurs très faciles à comprendre dans une opération de cette nature ; il résulte de ce tableau que les ressources extraordinaires qui ont été mises à la disposition du gouvernement depuis 1830 ont suffi à couvrir les dépenses extraordinaires, et même ont laissé un excédant de plus de 2 millions.
Voilà un point qui me paraît incontestablement acquis à la discussion. Cependant, quoique nos ressources extraordinaires aient suffi à couvrir nos dépenses extraordinaires, nous avons un découvert, un déficit. De combien est ce déficit ? Je l'ai indiqué dans la situation du trésor arrêtée au 1er septembre 1850 ; il est de 42,937,839 fr. 27 c.
C'était le déficit que présentaient toutes lus gestions antérieures à 1848. (Interruption.) Découvert, arriéré, défitcit, tout autant de mots (page 1296) qui représentent une seule et même chose : l'insuffisance était donc de 43 millions, somme ronde, au 1er février 1848. epuis on a consolidé une partie de ce déficit au moyen de l'emprunt forcé ; 16,260,000 fr. y ont été appliqués, ce qui a réduit le déficit non consolidé à 26,577,000 fr., chiffres ronds.
Il est donc constaté que toutes les gestions antérieures à 1848 se sont soldées en définitive pour un découvert de près de 43 millions. 43 millions de découvert en 18 années, cela représente un découvert moyen annuel, une insuffisance de 2,400,000 fr. environ.
La situation étant telle, elle fut souvent accusée ; elle était connue, on dut songer enfin à y porter des remèdes, devenus plus urgents que jamais, car la progression des dépenses était constante, et la progression des recettes était bien loin de la suivre.
En arrivant aux affaires, le cabinet comprit qu'il devait abandonner la voie suivie par ses devanciers ; il déclara dans son programme qu'il fallait arriver à établir et à maintenir l'équilibre dans les finances de l'Etat.
Le cabinet s'est déterminé, en 1847, a opérer d'abord de grandes réductions dans les dépenses ; elles ont été considérables.
Permettez-moi, messieurs, de vous les rappeler en peu de mots.
M. Moncheur. - On demande des crédits supplémentaires.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On demande des crédits supplémentaires ; mais dans la situation que j'établis, je n'omets rien, je comprends, pour toutes les époques, et les crédits ordinaires et les crédits votés en dehors du budget ; et si votre observation a la prétention de faire remarquer que les crédits extraordinaires auraient été plus considérables depuis que des réductions de dépenses ont été opérées par le cabinet actuel, votre erreur est profonde.
Les crédits extraordinaires applicables à des dépenses nouvelles qu'aurait proposées le ministère, ont été beaucoup moins considérables qu'ils ne l'étaient auparavant. Il y a eu beaucoup de crédits demandés, oui, mais pour régulariser des dépenses antérieurement faites, pour acquitter les dettes des administrations précédentes, ou bien afin de continuer des travaux décrétés pour lesquels des ressources correspondantes n'avaient pas été créées.
C'est là le reproche que l'on peut justement adresser à l'administration précédente : elle n'a point réduit les dépenses ; elle les a accrues au contraire et elle n'a rien fait pour augmenter les recettes.
Je reprends ce que je voulais communiquer à la chambre.
Le budget de 1849 était inférieur au crédit voté pour l'exercice 1848 de 6,853,760 fr. 89 c, En décomposant cette somme, on trouvait que, abstraction faite d'une allocation de 2,345,000 fr. qui provenait du budget de la dette publique et qui ne résultait que d'un changement dans la comptabilité, les dépenses extraordinaires de l'Etat se trouvaient réduites de 1,870,783 fr., et les dépenses normales et permanentes de 2,437,548 fr. 41 c.
Cette somme de 2,437,548-41 était destinée à s'accroître, parce qu'elle était le résultat d'économies décrétées en principe par le cabinet, qui toutes n'avaient pas pu être réalisées immédiatement et qui devaient se continuer dans un avenir peu éloigné. Ces économies futures s'élevaient encore à 923,211 fr. 34 c., ce qui portait en définitive les économies décrétées à cette époque sur les dépenses normales et permanentes à 3,360,759 fr. 75 c.
Comme la chambre le sait, le cabinet a persévéré dans ce même système, et j'ai eu l'honneur d'indiquer déjà, dans l'exposé qui précède le budget des finances, que ces économies s'étaient encore accrues. Or, nonobstant des économies aussi considérables qui ont imposé à tant de personnes de si lourds sacrifices, quelle est encore la situation qui nous reste ? Je l'ai fait connaître dans l'exposé de la situation du 1er septembre.
L'exercice 1848 devait se solder par une insuffisance de 7,527,964 fr. 88 c. ; l'exercice 1850 était présumé devoir se solder par une insuffisance de 3,627,617 fr. 13 c ; l'exercice 1849 devait offrir, par contre, un boni de 112,902 fr. 55 c. ; ce qui amenait le découvert probable, au 1er janvier 1851, à la somme de 37,620,518 fr. 73 c.
Je dis un découvert probable, car on sait que ces chiffres varient en plus ou en moins, et le plus souvent en plus ; mais, pour éviter toute confusion, je raisonne sur les chiffres publiés et que chacun peut consulter.
Quel était le découvert antérieur, le découvert au 1er septembre 1849 ? Il n'était que de 35,195,000 fr. Donc, nonobstant toutes les réductions opérées dans les dépenses de l'Etat, nonobstant tous les efforts qui ont été faits par le gouvernement et par les chambres, qui ont soumis tous les budgets aux investigations les plus scrupuleuses, le découvert se trouve encore accru de 2,424,972 fr.
Messieurs, une telle situation peut-elle être continuée ?
Pouvons-nous persévérer à aller de déficit en déficit ? Pouvons-nous continuer à accumuler des arriérés sur des arriérés, sauf de temps à autre, à employer la ressource d'une négociation de titres de la dette pour consolider ainsi le passé ?
Un particulier qui agirait de la sorte, serait accusé avec beaucoup de raison d'être en pleine voie de se ruiner, et ce qui serait détestable pour un particulier, peut-il être bon pour un Etat ? Non pas que j'assimile positivement la gestion financière de l'Etat à la gestion par un particulier de ses propres affaires ; mais ce qui serait détestable dans un cas ne peut pas être bon dans l'autre.
Il faut donc mettre un terme à un pareil état de cheses. Et veuillez-le remarquer, messieurs, en indiquant ainsi à grands frais la situation financiére, le besoin de créer de nouvelles ressources, je ne tiens pas compte de cette circonstance, cependant très grave et sur laquelle j'appelle l'attention de la chambre, que, dans la période de 1830 à 1847, des ressources extraordinaires pour des sommes bien notables ont été portées en recettes ordinaires, ce qui a diminué d'autant le déficit ; et pour n'indiquer que quelques-unes de ces sommes, je pourrais en indiquer bien d'autres, on remarquera que, au budget de 1844, on a porté en recette, pour venir en aide par forme d'expédient à la situation, une somme de 3,386,240 fr., provenant du bénéfice obtenu sur l'emprunt contracté par la loi du 22 mars 1844.
Ainsi encore, on a porté au même budget le fonds d'amortissement de cet emprunt qui ne se trouvait pas employé et qui s'élevait à 282,186 fr. 07 c.
Ainsi encore au budget de 1843, on a porté également par forme d'expédient, pour couvrir l'insuffisance des ressources de l'exercice, le produit réalisé sur les valeurs obtenues par le traité de paix avec la Hollande, et qui ne s'élevait pas à moins de 16,462,458 fr. 90 c.
J'ai dit, messieurs, que je pourrais citer, et si la discussion se poursuit je le ferai, beaucoup d'autres sommes encore qui figurent ou qui ont figuré dans nos budgets pour couvrir nos dépenses et qui ne sont que des produits accidentels, des recettes extraordinaires destinées à disparaître et qu'il faudrait éliminer pour découvrir quelle serait la véritable somme représentant l'insuffisance de nos ressources.
J'indiquais tout à l'heure à la chambre ce qui résultait de la situation au 1er septembre 1850. C'était un déficit que je constatais encore.
Qu'en sera-t-il de l'exercice 1850 ? Qu'en sera-t-il de l'exercice 1851, qui est à peine ouvert ?
Pour 1850, messieurs, il y aura encore insuffisance de ressources.
L'exercice 1851, ouvert depuis quelques mois, se présente ainsi :
Recettes 117,332,550 francs.
Dépenses, y compris les crédits supplémentaires qui sont déjà votés ou proposés, et ce ne sont pas les seuls, vous en aurez d'autres encore, 119,148,000 francs. Ce qui nous avertit que dès ce moment nous avons, sur l'exercice 1851, sans compter sur aucune espèce d'éventualités défavorables, une insuffisance de plus de 1,800,000 francs.
Et cela, messieurs, à la condition de ne rien faire, de ne rien entreprendre, de se borner à pourvoir aux besoins urgents, aux divers services de l'Etat !
Il faut donc se hâter d'améliorer une telle situation.
Il faut faire en sorte que l'équilibre existe enfin entre nos recettes et nos dépenses.
Suis-je le seul, messieurs, à révéler cette situation ? Suis-je une espèce de prophète de malheur qui ne vient parler jamais que de la situation fâcheuse de nos finances ?
A toutes les époques, on a signalé dans cette chambre, les hommes des opinions les plus divergentes ont signalé dans cette chambre toute la profondeur de la plaie et l'urgence de la guérir.
J'ai déjà eu, dans une autre circonstance, l'occasion de m'étayer de l'opinion d'honorables adversaires dans cette discussion. Je le fais de nouveau, au risque de me répéter, cela me paraît important ; cela me paraît de nature à lever bien des doutes.
Voici ce que la section centrale, chargée de l'examen du budget des voies et moyens en 1845, disait de l'état de nos finances :
« La section centrale exprime le regret que le gouvernement présente les budgets en déficit ; il est très vrai que le déficit constaté dès à présent est peu considérable, mais l'expérience a démontré que des besoins nouveaux se révèlent toujours dans le cours d'un exercice. Plusieurs dépenses déjà prévues et pour ainsi dire immédiates, telles que le réendiguement du polder de Lillo, d'autres encore dont il est plus difficile de préciser la nature et l'importance, pourront accroître le déficit, en supposant d'ailleurs qu'aucun événement, à l'intérieur ou au-dehors, ne dérange des prévisions basées sur des circonstances très favorables.
« Lorsque de telles circonstances existent, les intérêts essentiels et durables du pays exigent que l'on établisse un équilibre vrai entre les recettes et les dépenses, si même l'on ne peut créer une réserve, afin de parer plus aisément aux crises qui peuvent tarir ou rendre moins fécondes certaines sources du revenu public, en même temps qu'elles rendent nécessaires de plus fortes dépenses.
« Pour le passé, le résultat des arrangements financiers conclus avec le gouvernement des Pays-Bas et avec la Société Générale permettra sans doute de faire disparaître presque entièrement le découvert du trésor, de réduire la dette flottante dans les limites qu'elle ne doit point dépasser, d'après les règles d'une gestion sage et prudente ; mais ce fait exceptionnel ne devant plus se reproduire, il faut, sous peine de compromettre l'avenir, aviser sérieusement aux moyens d'établir et de maintenir l'équilibre, qui n'a pas existé jusqu'à présent.
« Le rapporteur de la section centrale, à cette époque, était l'honorable M. Malou.
« En 1846, la section centrale exprimait le regret qu'on n'eût point fait de proposition pour créer des ressources nouvelles.
« L'objet de la mission que vous avez confiée à votre section centrale, qui m'a fait l'honneur de me charger de la rédaction de son rapport, est de vérifier si les voies et moyens proposés par le gouvernement suffisent à couvrir les dépenses de l'exercice 1846, l'objet de sa mission est de s'assurer de la modération et de la sincérité de l'évaluation des (page 1297) produits ; son devoir est de provoquer des propositions tendantes à prévenir l'insuffisance des ressources. (…)
« Le ministre des finances, dans son discours préliminaire, exprime l'opinion qu'il ne suffit pas d'obtenir un rigoureux équilibre entre les recettes et les dépenses ; il forme même le vœu que l'idée si grande, si utile, qui s'est manifestée parmi vous, l'idée d'une réserve destinée à parer aux crises, qui peuvent tarir ou rendre moins abondantes certaines ressources du revenu public, se réalise.
« En 1840, le chef du département des finances, dans un rapport sur la situation des finances, présenté le 11 mai, se prononçait aussi en faveur d'une réserve. « Pour se prémunir contre de tels événements, disait-il, une sage prévoyance exigerait peut-être davantage ; car, au lieu d'aborder un exercice avec une insuffisance de 8 millions à couvrir avec des bons du trésor, il faudrait, au contraire, une réserve ou un excédant de ressources de pareille somme au moins. »
« Votre section centrale espère que ces vœux ne resteront pas stériles pour l'exercice 1847, et que l'administration prendra l'initiative d'une situation désirable, nécessaire pour assurer l'indépendance du pays, mais qui ne peut être amenée que par son intervention.
« En attendant elle regrette que ses propositions, pour l'exercice qui va s'ouvrir, ne fassent entrevoir qu'un équilibre rigoureux.
« La responsabilité de l'administration en exige davantage ; d'après votre section centrale, son devoir est d'assurer la clôture des exercices par des excédants de recette suffisants pour réduire au moins l'émission des bons du trésor, qui représentent le découvert, et de rendre à la dette flottante le caractère de la loi primitive du 16 février 1833, qui n'était de permettre la disposition immédiate des rentrées arriérées du trésor, autre que pour assurer la marche des services publics.
« Mais l'on n'y parviendra qu'en mettant un terme à la progression continuelle des dépenses ; par l'étude et l'adoption d'un système qui permette de simplifier les rouages de l'administration, d'en écarter les éléments inertes, et d'introduire dans tous les services de sages économies dont les chefs de départements ont seuls la clef.
« L'on n'y parviendra qu'avec cette courageuse abnégation de soi-même, qui n’hésite pas à proposer des augmentations de produits, lorsqu'elles sont indispensables pour prévenir de plus grands maux. »
« C'est enfin, messieurs, ce qui a encore été exprimé par la seclion centrale de 1847, en ces termes :
« Le seul lot qui reste en partage à la section centrale qui a l'honneur de s'adresser à vous par mon organe, est de former des vœux pour que le gouvernement ne présente à l'avenir que des budgets de dépenses et de recettes équilibrés de manière à offrir un excédant de ressources de deux à trois millions, destinés à faire face à l'imprévu, c'est-à-dire aux crédits supplémentaires et aux dépenses dont la nécessité se révèle pendant le courant de l'exercice. »
Je partage entièrement, messieurs, les opinions qui ont été exprimées en 1845, 1846 et 1847 par l'honorable M. Malou et par les autres rapporteurs de le section centrale.
Je suis convaincu qu'après les économies, il faut des ressources nouvelles et je suis convaincu qu'il faut que les budgets se balancent, lors de leur présentation, par un excédant de quelques millions pour que l'on puisse croire à un équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat.
C'est, messieurs, ce que mes honorables prédécesseurs, non seulement l'honorable M. Malou, mais d'autres encore, ont cru également. L'honorable M. Mercier l'a cru. L'honorable M. Mercier, je lui rends cette justice, a fait deux fois des efforts pour améliorer la situation financière. Il n'a pas été heureux dans toutes les mesures qu'il a proposées ; je ne luien fais pas un grief, un pareil sort m'est peut-être réservé ; mais ces efforts attestent de la part de l'honorable M. Mercier la conviction très profonde qu'il y avait un besoin impérieux de créer de nouvelles ressources.
Deux fois, en moins de dix ans, messieurs, le cabinet libéral, venu aux affaires, a été dans l'obligation de réclamer des accroissements d'impôts : il l'a fait en 1840 ; il est tenu de le faire encore en 1851.
Quelles doivent être les ressources nouvelles à créer pour établir cet équilibre ? Je pense, messieurs, qu'il faut 2,500,000 à 3 millions de fr. de ressources nouvelles. Si vous votiez des ressources à concurrence de cette somme, il est vraisemblable que vous parviendriez à couvrir entièrement vos dépenses ; vous feriez face non seulement aux dépenses qui se trouvent dans les budgets, mais vous feriez face à ces dépenses imprévues, à ces crédits supplémentaires inévitables, quoi qu'on fasse, qui se présentent toujours inévitablement dans le cours d'un exercice.
C'est donc, messieurs, à chercher les moyens d'obtenir cet accroissement de recettes de 2,000,000 à 3 millions de francs, que je dois m'attacher dans cette circonstance. C'est là le premier but à atteindre, le but essentiel, le but le plus désirable. Si la chambre nous suit dans cette voie, si elle partage notre conviction, nous aurons à chercher ensuite des ressources pour faire face aux dépenses extraordinaires, ainsi que nous avons eu l'honneur de le dire dans une précédente séance mais pour ne pas compliquer la discussion je demande que l'on maintienne quant à présentée débat sur le terrain que je viens d'indiquer.
M. Mercier. - Messieurs, mon intention, en prenant la parole, n'est pas de contester que des ressources nouvelles sont nécessaires, dans une certaine mesure, pour établir un équilibre convenable entre les recettes et les dépenses ; mais je désire soumettre à la chambre quelques observations sur l'appréciation faite du déficit des exercices antérieurs à 1851, en envisageant la question sous le point de vue des recettes et des dépenses ordinaires.
Je prends mon point de départ dans les tableaux n°9, 10 et 11, annexés à la dernière situation du trésor, présentée par M. le ministre des finances lui-même. Le déficit, dans ces tableaux, est évalué pour les dépenses et les recettes ordinaires, à la somme de 39,628,000 fr.
Comme l'a d'ailleurs reconnu M. le ministre des finances lui-même, l'équilibre a été poursuivi avec sollicitude par les différentes administrations qui se sont succédé depuis 1830, administrations dont ont fait partie à trois époques différentes, avant 1847, deux membres du cabinet actuel.
Quelquefois, messieurs, ces administrations ont échoué dans leurs efforts, mais il n'est pas exact de dire que jamais l'équilibre financier n'a été obtenu. Si elles ont parfois échoué, elles ont eu cela de commun (je n'en fais pas non plus un reproche à M. le ministre des finances) avec le cabinet actuel, qui, depuis quatre ans, se trouve aux affaires et qui, cependant, déclare que, malgré ses efforts, il n'a pas encore pu parvenir à établir cet équilibre d'une manière convenable. Je ne prétends pas, d'ailleurs, qu'aucune faute n'a été commise, depuis 1830, dans l'administration de nos finances ; mais je soutiens que ce sont des événements de la plus haute gravité qui ont empêché l'équilibre de se maintenir en tout temps ; je dis en tout temps, messieurs, car les tableaux qui renferment l'appréciation de M. le ministre des finances témoignent que l'équilibre a existé pendant plusieurs années enlre les recettes et les dépenses ordinaires.
Sur l'exercice 1851, le tableau n°11, annexé à la situation financière, accuse un excédant de recette de 2 millions. Je parle toujours des recettes ordinaires comparées aux dépenses ordinaires. Les exercices 1834 à 1838 offrent également des excédants de recette. Altérée en 1839, cette situation fut rétablie en 1844 et en 1845. Et ici je dois répandre à une observation faite tout à l'heure par M. le ministre des finances. Il nous a rappelé qu'on avait affecté à l'exercice 1844 le bénéfice réalisé sur l'emprunt fait à cette époque et qui était de fr. 3,386,000. Mais je dois faire remarquer que si cette somme a été portée au budget de 1844, dans le décompte qu'a fait M. le ministre des finances, il la comprend dans les recettes extraordinaires, de manière que cet actif n'a exercé aucune influence sur la balance des dépenses et des recettes ordinaires.
Or, nous trouvons en 1844 un excédant de recettesde fr. 1,740,920 75 c. et en 1845 un excédant de fr. 1,989,000. La situation a donc été rétablie en 1844 et en 1845. Un concours fatal de circonstances est venu encore troubler cette situation en 1846 : la disette d'abord, et bientôt une crise commerciale, industrielle et financière sont venues affliger le pays et exercer leur funeste influence sur nos finances. Le contrecoup de la révolution de février ne leur porta pas une moins rude atteinte.
Mais avec le retour de circonstances meilleurs, les sources du revenu public sont devenues plus abondantes, et grâce aussi, je le reconnais volontiers, aux économies qui ont été introduites dans les dépenses par le cabinet actuel, nous trouvons que le budget présenté pour 1852 offre un excédant de recettes de 1,834,000 fr.
M. le ministre des finances pense que néanmoins et sans avoir égard aux projets du gouvernement pour construction de travaux publics, il faudra trouver un nouvel excédant de ressources de 2,500,000 à 3 millions de francs. Je me réserve d'examiner et de discuter ultérieurement l'utilité d'un excédant aussi considérable.
Pour le moment, mon intention est surtout de chercher à faire une juste appréciation du chiffre de 39,638,000 francs qui est indiqué, comme formant le déficit de tous les exercices antérieurs à 1851.
Messieurs, dans la balance des dépenses et des recettes ordinaires, y a-t-il réellement un déficit de 39,638,000 francs ? Je crois pouvoir démontrer, dans l’intérêt de notre crédit, qu’une appréciation saine et équitable des faits financiers fera ressortir un excédant considérable de recettes ordinaires sur les dépenses de même nature. Tel est le but des observations que je me propose de soumttre à la chambre
Je vais indiquer les réductions qui, selon moi, doivent être opérées sur ce chiffre et même le transformer en un boni considérable.
Dans ce chiffre est compris le déficit de l'exercice 1830. Or, le gouvernement belge n'a eu aucune action sur le produit de 1830. D'un autre côté, si l'on voulait porter en compte le déficit de 1830, il faudrait accorder à cet exercice l'ancien encaisse du caissier général, ou tout au moins compenser ce déficit qui est de 1,184,057 fr.40 c.par une fraction d'égale somme de cet encaisse.
Je suis donc fondé à distraire du chiffre de 39,638,000 fr., le montant du déficit de 1830 !
On a encore porté dans les recettes extraordinaires une somme de 4,553,000 fr. provenant de la subvention de guerre perçue en 1835 ; or, cette subvention ayant été perçue à titre de contribution, acquittée par les contribuables, et non levée par la voie de l'emprunt, c'est à tort qu'on a fait figurer le produit de cette subvention parmi les recettes extraordinaires. Je la déduis donc également du déficit.
Divers remboursements ont été faits à la Belgique par suite du traité du 5 novembre 1842 ; M. le ministre des finances a rappelé tout à l'heure que ces remboursements avaient été portés en recette sur l'exercice 1843.
Je fais encore observer qu'il s'agit ici d'une recette extraordinaire que je ne porte pas en ligne de compte. Dans son tableau, M. le ministre des finances a eu soin de séparer cette somme qui est de 16,866,000 fr. d'avec les recettes ordinaires et de la faire figurer parmi les recettes extraordinaires. J'ai seulement une rectification à faire au chiffre qui a été (page 1298) porté dans les recettes extraordinaires. Dans les 16,866,000 fr., il se trouve différentes sommes qui n'étaient que des remboursement d'avances faites par le gouvernement belge, de 1830 à 1842 ; tels sont les intérêts des cautionnements et des fonds de consignation restés en Hollande, le fonds d'agriculture et d'autres sommes moins importantes.
Je ne parle pas du fonds de la caisse de retraite ; je ne distrais pas ce chiffre, parce que M. le ministre des finances a présenté un projet de loi tendant à obtenir un crédit d'une somme à peu près égale.
Je trouve que ces divers remboursements sont compris pour 4 millions dans la somme de 16,866,000 francs qui figure parmi les recettes extraordinaires.
Ces trois articles me donnent un chiffre de 9,717,000 fr., qui doit être retranché du déficit accusé par le tableau.
Trois sommes sont portées en dépense extraordinaire pour l'organisation du pays et pour frais de guerre dans le tableau annexé à la situation financière :
1° En 1831, celle de fr. 46,203,334 62
2° En 1832, celle de fr. 27,713,040 48
3° En 1833, celle de fr. 4,553,716 62
En tout, fr. 78,470,111 72. Mais pourquoi cette somme plutôt que toute autre figure t-elle parmi les dépenses extraordinaires ? Serait-ce parce que, pendant les trois exercices qui viennent d'être cités, des ressources extraordinaires ont été créées jusqu'à concurrence de ce chiffre ? Mais des charges extraordinaires furent également imposées pendant tous les autres exercices jusqu'en 1839 inclusivement.
En 1833, des centimes additionnels extraordinaires ont été élevés à 40 sur la contribution foncière et à 13 sur la contribution personnelle et le droit de patente ; en 1834, les centimes additionnels sur la contribution foncière furent réduits à 20, et plus tard ces centimes additionnels furent réduits à 10 sur toutes les contributions directes ; la distinction à faire entre les charges ordinaires et les charges extraordinaires du budget de la guerre doit reposer sur un autre principe.
Les dépenses du département de la guerre s'élevèrent, pendant la période de 1831 à 1839, à la somme totale de 454,354,000 fr., faisant une moyenne de 50,433,000 fr. par année.
Quelle est, dans cette énorme dépense, la partie que l'on peut équitablement et logiquement considérer comme charge extraordinaire ? Il me semble qu'il est de toute justice de faire rentrer dans cette catégorie tout ce qui excède un budget normal du département de la guerre. C'est ce qu'a fait M. le ministre des finances en faisant figurer comme dépense extraordinaire du budget de la guerre de 1848, 6,500,000 fr. dans le tableau dont j'ai déjà parlé.
Adoptant le même système. Je supposerai un budget normal, non de 25 millions, chiffre auquel on paraît espérer pouvoir le réduire, mais de 28 millions ; la dépense ordinaire, pendant les neuf années qui se sont écoulées de 1831 à 1839 inclusivement, serait ainsi portée à 252,000,000.
La dépense ayant été de 454,354,000 fr., elle laisse un excédant en dépense extraordinaire de 202,354,000 fr., et comme il n'a été porté au tableau dans cette catégorie qu'une somme de 78,470,000 fr., il en résulte qu'il y aurait à ajouter aux dépenses extraordinaires une somme de 123,884,000 à reporter aux dépenses extraordinaires pour le département de la guerre.
J'ajoute le montant des trois articles dont j'ai parlé tout à l'heure et qui s'élève à 9,717,000
La situation se trouverait donc améliorée par suite de ces rectifications d'une somme de 133,601,000.
Si j'en déduis la somme présentée comme déficit et qui s'élève à 39,628,000 fr., il restera encore sur les exercices antérieurs à 1851 un boni de 93,973,000 fr.
Mais là ne se borne pas l'économie réalisée pendant les vingt exercices écoulés. Dans cet espace de temps, il a été amorti une valeur nominale de 56 millions de notre dette publique, y compris la somme de 5,788,000 tenue successivement en réserve lorsque certains fonds ont dépassé le pair. Je suppose que le rachat des obligations de la dette s'est fait en moyenne à 15 p. c. au-dessous du pair ; dans cette hypothèse, la somme économisée pour cet objet est de 48,471,000 fr.
L'économie totale des exercices écoulés offre donc un chiffre de (erratum, p. 1313) 142,444,000 fr.
Je ne prétends pas, messieurs, que l’on ne pourrait pas trouver certaines recettes extraordinaires, indépendamment de celles qui sont indiquées dans les tableaux joints à la situation financière déposée à l'ouverture de la session ; des rentrées ont été opérées à différentes époques sur le prix de vente de biens domaniaux et sur le fonds de l'industrie ; elles ne sont pas toutes renseignées dans les tableaux dont je viens de parler, je le reconnais.
Mais par compensation il serait juste, d'un autre côté, de considérer comme dépenses extraordinaires celles qui ont été successivement portées au budget pour construction de routes, indépendamment des crédits spéciaux et extraordinaires ouverts pour cet objet ; il m'a été impossible d'en faire le relevé exact, parce que ces dépenses ont été souvent confondues avec celles qui cont affectées à l'entretien des routes. Nous savons cependant que depuis plusieurs années elles s'élèvent à. près d'un million annuellement. La dépense totale faite pour cet objet peut donc être évaluée à environ 18 millions.
Cette charge, par sa nature, ne semble pas devoir être supportée intégralement par la génération qui existe au moment de la construction des routes. Notre amortissement étant établi de manière que chaque partie de notre dette publique doit être complètement amortie en 35 ou 40 ans, offre le moyen de répartir équitablement les charges qui résultent des travaux publics. Ce système, ainsi appliqué, est encore très onéreux pour la génération qui exécute les travaux, puisque après une période d'années qui n'est pas très longue, elle les laisse à une autre génération qui en a la jouissance sans en supporter les charges. Ainsi, dans 22 ou 23 ans, les emprunts de 3 et 4 p. c. d'intérêt seront entièrement remboursés, et les autres emprunts contractés jusqu'ici, tant pour construction de travaux publics que pour l'établissement de notre nationalité, le seront également dans 25 à 30 ans.
En outre on pourrait encore considérer comme charge extraordinaire les intérêts des capitaux employés à des travaux publics, tels que canaux et chemins de fer jusqu'au moment où ils sont livrés à l'exploitation et deviennent productifs. Ces intérêts devraient logiquement faire partie des frais de construction.
Le chiffre de (erratum, p. 1313) 143,241,000 fr. y compris l'amortissement que j'ai indiqué comme économie des exercices antérieurs à 1851, ne pourrait donc être considérablement altéré. Il m'eût suffi d'ailleurs, eu égard aux temps difficiles que nous avons traversés, d'établir qu'il y a eu balance entre les recettes et les dépenses ordinaires pour la justification du gouvernement belge depuis 1830, au point de vue de la gestion des finances de l'État, je l'ai déjà déclaré. En soumettant ces observations à la chambre mon intention n'est pas de refuser toute nouvelle ressource au gouvernement ; me réservant d'apprécier la nécessité d'autres impôts, je ne suis pas éloigné de donner mon vote au projet qui est en discussion, tel qu'il est modifié, à la condition que j'ai indiquée dans la première discussion au sujet du serment qui, à mon avis, ne peut être général, et ne doit, au contraire, être requis que dans des circonstances exceptionnelles en cas de suspicion de fraude. Il y a encore une autre disposition du projet que, d'accord avec la section centrale, je ne pourrai accepter. J'attendrai la discussion des articles pour le signaler. L'existence de ces deux dispositions m'a empêché de me faire inscrire pour le projet, et je dépose sur le bureau l'amendement déclaré indispensable par notre règlement pour être admis à parler sur le projet.
M. le président. - Plusieurs orateurs sont inscrits ; je crois qu'avant d'aborder les dispositions de la loi, il convient d'épuiser la question de la situation financière.
M. Cools. - Je trouve rationnel d'épuiser d'abord ce qui concerne la situation financière ; cependant il doit être entendu que cette situation doit être envisagée dans son ensemble, qu'on ne devra pas s'occuper seulement de ce qui est nécessaire pour couvrir les dépenses ordinaires, mais qu'on pourra s'occuper aussi de ce qui peut être nécessaire pour les travaux publics à exécuter.
M. de Renesse. - Messieurs, dans l'intention d'apporter des remèdes efficaces à la situation financière, le gouvernement croit devoir maintenir une partie des dispositions de la loi des successions, et nous annonce, en outre, de nouvelles propositions d'impôts, tant pour rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat, que pour compléter l'exécution des travaux entrepris et encore à décréter.
Il est certes très louable de rechercher les moyens de former une bonne situation financière, de pouvoir aussi accorder des fonds à des travaux d'utilité publique ; mais, tout en recherchant une position financière prospère, nous ne devons pas, en première ligne, oublier de former un fonds de réserve pour la défense de notre pays, de notre nationalité ; car si, par malheur, une catastrophe arrivait dans un pays voisin, pouvant troubler la paix publique, quelle serait notre situation si nous n'avions pas devers nous un certain fonds de réserve pour faire face aux premiers besoins de nos armements ? Certes, dans la position fâcheuse où se trouve actuellement l'agriculture, il ne pourrait être question d'exiger les mêmes sacrifices qu'elle a eus à supporter en 1848.
Si donc je consentais à voter de nouvelles charges pour les contribuables, ce ne serait que pour établir une meilleure situation financière, pour avoir, en outre, un fonds de réserve à notre disposition pour le cas éventuel de la nécessité de la défense nationale ; ce ne serait qu'après avoir satisfait à ces exigences impérieuses que je pourrais consentir à allouer des subsides pour la continuation de certains travaux publics extraordinaires, dont la grande utilité me serait suffisamment démontrée, et encore il faudrait examiner s'il est bien opportun de se lancer actuellement dans de nouvelles dépenses. Puisqu'il s'agit de créer de nouvelles ressources, il doit être permis aux membres des chambres d'indiquer au gouvernement d'autres voies et moyens que ceux qu'il postule, si l'on ne croit pas pouvoir leur accorder la préférence.
En premier lieu, je voudrais que le gouvernement s'occupât plus activement de l'examen des modifications à apporter à notre tarif des (page 1299) douanes, de manière à parvenir successivement à un dégrèvement de ces droits, jusqu'à un certain taux ; les droits seraient considérés comme une ressource fiscale, plutôt que comme des droits protecteurs, et offriraient ainsi à nos voies et moyens des recettes plus considérables qu'actuellement ; l'augmentation, de ce chef, pourrait être primitivement portée à l'article douanes, à environ, fr. 2,000,000
L'accise sur les sucres devrait rapporter en plus, d'après le système proposé, en 1849, par l'honorable M. Mercier, 1,50,000 fr.
Le timbre des journaux devrait être rétabli ; de ce chef, il y aurait une nouvelle recette d'environ 500,000
Dans un pays régi par une Constitution aussi libérale que la nôtre, il faut qu'il n'y ait pas d'exemptions en manière d'impôts ; chacun doit contribuer dans les charges de l'Etat d'après ses moyens ; aussi en France, lorsque, en 1850, le gouvernement de la République a rétabli ce droit de timbre, le ministre des finances, M. Rouher, disait à l'Assemblée nationale, séance du 4 mars 1850 : « Que le décret du gouvernement provisoire du 4 mars 1848 avait créé en faveur de la presse périodique un privilège exorbitant, et dont aucune considération ne saurait légitimer le maintien. »
Le tabac est certes une matière très imposable ; il devrait contribuer à augmenter nos ressources financières ; je n'évaluerai l'augmentation sur le tabac qu'à 2,000,000.
Cette évaluation est plus modérée que celle faite en 1844 par le gouvernement, qui proposait alors une recette de 3,000,000 de francs.
Le chemin de fer devrait aussi contribuer pour une certaine part dans l'accroissement de nos voies et moyens, en établissant une meilleure répartition du tarif des transports des marchandises ; de ce chef, je ne porterai qu'une augmentation de 1,000,000 .
La redevance des mines, dont on a demandé la révision depuis longtemps, ne donne qu'un revenu insignifiant, qui ne couvre pas même les frais de l'administration ; en fixant cette redevance à 5 p. c. du produit net, taux établi par l'article 35 de la loi du 21 avril 1810, et qui existe en France, l'on obtiendrait en plus 300,000 fr.
Ces différents moyens de recettes donneraient une augmentation de ressources pour le budget des voies et moyens de 7,500,000 fr.
Je tiens en réserve, pour les travaux publics, si tant est que derechef il faille entreprendre, « aux frais de l'État », de grands travaux d'utilité publique, une ressource aussi toute extraordinaire ; elle se trouverait au moyen d'un système large des assurances par l'Etat. Je sais que, sous ce rapport, je serai en désaccord avec l'honorable ministre des finances qui, dans un rapport présenté en 1849, a combattu ce système, fortement appuyé alors par l'un de ses honorables prédécesseurs au département des finances.
Malgré l'opposition et les arguments fournis par M. le ministre, il y a encore des auteurs et écrivains politiques, ayant examiné cette question sous tous ses rapports, qui croient qu'un bon système des assurances par l'Etat pourrait augmenter de plus de 3,000,000 de fr. les ressources de nos finances.
Si, sous ce point, M. le ministre maintient son opinion, je crois devoir lui indiquer d'autres ressources pour l'exécution des travaux publics extraordinaires.
L'Etat possède une assez forte partie de forêts et autres domaines qui, donnent tout au plus 1 p. c. de revenus au pays ; que l'on cherche à mobiliser ces propriétés nationales, soit en les vendant, soit en combinant d'autres moyens, en créant des bons de travaux publics, pour obtenir des capitaux sous la garantie de ces propriétés, et les appliquer à des travaux d'utilité générale ; l'on formerait ainsi probablement des domaines plus utiles, qui augmenteraient les ressources du trésor, tandis que, actuellement, beaucoup de nos propriétés domaniales n'offrent que peu de voies et moyens à notre budget des recettes.
Avant de créer de nouvelles ressources à appliquer à des travaux publics, j'ai voulu me rendre compte de notre situation financière, des charges qui grèvent l'Etat ; d'après la situation du trésor arrêtée au 1er septembre 1850, nous avions en premier lieu une dette constituée de 811,320,982 fr. 14 c, actuellement réduite, par l'amortissement, à 611,992,30. fr. 25 c, donnant une dotation annelle à la charge du pays d'environ 28,792,451 fr. 04 c. ; en outre, le budget de la dette publique contient pour rémunérations, pensions, traitements d'attente, une rente d'environ 3,404,332 fr. et le budget des dotations a une allocation environ de 3,404,422 fr. 75 c ; de ces trois chefs seulement notre budget des dépenses est chargé d'une rente annuelle d'environ 37,745,406 fr. 39 c, d'où il me semble résulter que la situation de nos charges, surtout de la dette publique, grève fortement nos ressources actuelles, qu'il faut agir avec la plus grande prudence, lorsqu'il sera question de décréter des dépenses nouvelles, qui ne seraient pas réclamées par une impérieuse nécessité, et porteraient préjudice à l'Etat, si elles n'étaient exécutees dans un bref délai.
Je crois aussi devoir faire observer que depuis 1830 la dette créée en Belgique pour travaux publics de toute nature, se monte, d’après l’aperçu général de la dette constituée, à la somme très importante de fr. 236,281,718-40 ; d’après l’amortissement, elle se trouve réduite à fr, 214,137,500-61, dont la dotation annuelle est environ de fr. 12,730,821-10 ; il en résulte que, depuis notre régénération politique, l'Etat belge a dépensé annuellement, en travaux extraordinaires, affectés sur des ressources en dehors des budgets, environ une somme moyenne de fr. 11,814,085 ; à ces dépenses extraordinaires pour des travaux d'utilité publique, il faut ajouter les dépenses faites chaque année pour des travaux ordinaires, au moyen des crédits votés dans les budgets ; ces dépenses se montent pareillement, annuellement, à plusieurs millions. J'ai cru devoir saisir l'occasion de la discussion de nouvelles ressources à créer au profit du trésor, pour émettre quelques considérations sur la situation de notre dette publique, sur les charges notables qui, de ce chef, pèsent sur les contribuables ; j'ai cru aussi devoir faire ressortir l'importance des dépenses extraordinaires faites depuis 1830, pour des travaux extraordinaires de toute nature, afin que le pays sache à quoi il s'engage, s'il est disposé à entreprendre, aux frais de l'Etat, de nouveaux travaux publics.
Quant à moi, je crois que, pour le moment, il ne faut pas s'engager dans de nouvelles dépenses extraordinaires qui ne seraient pas impérieusement réclamées ; il ne faut pas augmenter les charges, déjà assez lourdes, qui frappent le pays ; il faut aussi laisser quelque chose à faire à ceux qui viendront après nous. L'Etat a pris une part assez large, depuis 1830, à des entreprises de toute nature ; elles ont dû, naturellement, grever nos budgets et étendre considérablement l'action gouvernementale, aux dépens de nos ressources financières. Que le gouvernement stimule l'action des particuliers, qu'il cherche à provoquer l'initiative des sociétés pour l'exécution de nouveaux travaux d'utilité publique, rien de mieux ; mais qu'il s'abstienne d'intervenir lui-même directement dans l'exécution de ces entreprises extraordinaires ; que, surtout, il ne cherche pas à provoquer dans les chambres la coalition des intérêts, en présentant un projet d'ensemble de travaux publics extraordinaires, dont les dépenses d'exécution devraient être couvertes par de nouvelles contributions ; ce serait le moyen le plus déplorable, qui nous mènerait nécessairement à la ruine de nos finances, et auquel je ne pourrais donner mon assentiment, si même mon district électoral y était directement intéressé. Si un tel projet doit nous être présenté, je croirai devoir demander, avec plusieurs de nos honorables collègues, la division de chaque projet, pour qu'il y ait des rapports et des discussions à part, afin que chaque membre de la représentation nationale conserve toute sa liberté d'action dans son vote, qu'il n'y ait pas de contrainte morale.
M. Landeloos. - Messieurs, en prenant la parole dans cette importante discussion, je n'ai pas besoin de vous dire que je ne me laisserai point guider par un esprit d'une opposition systématique au ministère. Je pense vous avoir prouvé, dans une circonstance récente, que je sais imposer silence à mes sympathies, quand il s'agit de voter des lois que je crois être dans l'intérêt du pays. Le discours que je vais avoir l'honneur de prononcer est le résultat d'une profonde condition, que j'ai acquise en étudiant mûrement les besoins actuels du pays, la situation de trésor et l'état où se trouve l'Europe.
Cette conviction, j'espëre la faire partager par la majorité de la chambre qui, je n'en doute pas, ne prendra pour guide que les intérêts généraux du pays.
L'honorable ministre des finances, en demandant la discussion du projet qui nous occupe, a déclaré que le gouvernement poursuivait un double but : celui de rétablir et de maintenir l'équilibre dans les finances de l'Etat, et celui de compléter l'exécution de travaux entrepris.
Il est sans doute peu de membres de la chambre qui, en présence de l'exposé de notre situation financière, ne sentent la nécessité de créer de nouvelles ressources et d'obtenir au moins un équilibre entre les recettes et les dépenses.
Mais, messieurs, si nous sommes presque tous d'accord avec le ministère sur l'impérieuse urgence de pourvoir à l'état précaire du trésor et de combler le déficit que des années calamiteuses et des mesures plus ou moins contestables ont pu produire, nous ne pouvons cependant admettre avec lui, qu'il soit convenable de décréter de nouvelles charges, dont le produit serait uniquement destiné à exécuter de nouveaux travaux.
Pour que nous pussions nous décider à grever le pays d'impôts, il faudrait que le gouvernement nous eût préalablement démontré l’opportunité et la nécessité de ces travaux, et ce au point de vue de l’intérêt général et non de l’intérêt de telle ou telle localité. Mais au lieu d’avoir fait cette démonstration, il n'a pas même daigné nous indiquer tous ceux qu'il entendait exécuter, il n'a pas même voulu nous faire connaître les sommes qu'il croyait nécessaires à l'exécution de ces travaux. Comment pourrions-nous dès lors voter de nouvelles charges, lorsque nous ignorons l'emploi qu'il se propose d'en faire ? Et, messieurs, le moment de les voter est-il bien choisi, lorsque le gouvernement prévoit lui-même des éventualités en 1852 qui peuvent compromettre notre nationalité ? En vue de ces éventualités, quel est le devoir du gouvernement ? N'est-ce pas de tâcher de se rendre populaire ? Le ministère croit-il acquérir cette popularité en exécutant certains travaux au prix des plus lourds sacrifices pour le pays ? Ne sait-il pas que les avantages, que certaines localités se promettront de l'exécution de ces travaux ne pourront jamais détruire le mécontentement général qu'il aura produit dans les populations en les surchargeant d'impôts ?
(page 1300) Messieurs, une autre considération qui doit nous engager à ne pas souscrire aux mesures du gouvernement, c'est que jamais ces travaux ne nous dispenseront d'imposer de nouveaux sacrifices à nos concitoyens si, ce qu'à Dieu ne plaise, des mouvements anarchiques venaient malheureusement à éclater en France ; car alors nous serions toujours obligés de mettre notre armée sur un pied respectable afin de pouvoir défendre notre nationalité, et comment pourrions-nous pourvoir à ces dépenses, si nous avions dès à présent enlevé au pays les dernières ressources que nous sommes en droit d'en réclamer ?
Cë n'est donc que pour autant que les mesures financières proposées par le gouvernement peuvent tendre à couvrir le déficit du trésor que nous avons à les examiner.
Messieurs, l'adoption du projet qui nous occupe aurait certainement pour résultat de combler en partie le découvert qui, d'après les renseignements que l'honorable ministre des finances nous a donnés, ne s'élève pas à moins de 42,938,839 fr.
Mais lorsqu'il s'agit d'établir un impôt nouveau, il ne suffit pas de s'enquérir s'il peut être une source productive de revenus pour le trésor, il faut encore et principalement s'assurer si son système n'est pas odieux, si son assiette est équitable et si les moyens, auxquels on veut recourir pour le faire produire, présentent un caractère moral.
Les divers orateurs qui, en 1849, ont combattu le projet de loi qui nous est soumis, se sont principalement attachés à démontrer que le principe de l'établissement d'un impôt sur ce qui est recueilli en ligne directe et le principe de faire affirmer sous serment la sincérité de sa déclaration étaient contraires au droit civil, à l'économie politique et à la morale publique.
Je ne pourrais qu'affaiblir et en quelque sorte énerver les arguments qu'ils ont fait valoir pour renverser l'échafaudage sur lequel le ministère appuie son système, si je venais de nouveau les développer.
D'ailleurs, qu'est-il nécessaire de combattre encore l'idée d'imposer les successions en ligne directe, lorsque le ministère a dû enfin convenir que le principe d'un tel droit était impopulaire et frappé de réprobation générale ? Et bien qu'il ait déclaré, pour se ménager une retraite plus ou moins honorable, qu'il l'envisageait comme juste et qu'il le tenait en suspens, cette partie de la loi est à jamais jugée et nous pouvons être certains que le ministère n'osera plus braver l'opinion publique en la présentant de nouveau, persuadé qu'il serait qu'elle échouerait toujours devant le bon sens de la majorité du parlement.
Quant au principe de faire attester sous serment la sincérité de sa déclaration, on vous a fait voir que la morale publique s'opposait à ce qu'on l'admît, qu'on exigeant cette formalité on plaçait une personne entre son intérêt et sa conscience, et qu'on était souvent cause qu'elle se parjurât. On vous a aussi fait voir qu'en adoptant ce principe, il n'y aurait aucun motif de ne pas exiger le même serment dans toutes les matières où l'on pourrait réclamer une déclaration d'un contribuable. On vous a encore rappelé que l'obligation de ce serment fut un des griefs qui ont amené notre révolution. On vous a enfin rappelé les termes de l'arrête, par lequel le gouvernement provisoire, dont l'honorable M. Rogier faisait partie, l'abolit.
Messieurs, ce ne sont pas seulement ces motifs qui ont été développés avec une force de logique qu'on n'a pu détruire, qui devraient nous engager à repousser le projet qui nous occupe, mais c'est encore la disposition de l'article 8, en tant qu'elle concerne les établissements de charité, qui nous en ferait un devoir. Le gouvernement, en exhumant les arrêtés du roi Guillaume du 31 mars 1820 et du 27 octobre 1825 avec le serment en plus, a-t-il songé aux conséquences du principe qu'il y pose ?
Quoi ! messieurs, lorsque le pays attend avec une juste impatience un projet de loi qui fasse disparaître les entraves apportées à la liberté de la charité ; lorsque le pays espère de voir proposer des mesures qui auraient pour effet de stimuler les sentiments généreux en faveur des malheureux ; lorsque la charité privée ne demande qu'à pouvoir remplir librement les obligations qui incombent à l'Etat de secourir les nécessiteux, le gouvernement répond à cette attente, à cet espoir du pays, en proposant une loi par laquelle il demande à pouvoir prélever 13 (ou 15 ?$) p. c. sur toutes les donations entre-vifs qui seraient faites au profit des hospices, des bureaux de bienfaisance et des autres établissements de charité.
Ainsi, non content d'avoir arrêté par des mesures tracassières le libre essor des âmes charitables, il propose de mettre à prix la liberté de pouvoir disposer en faveur des nécessiteux, il demande à pouvoir arracher à l'infortune une partie des sommes destinées à son soulagement.
Je prévois messieurs, qu'on me répondra que c'est pour faire cesser une anomalie qui existe dans notre législation actuelle, qu'on a proposé cette disposition, que d'après notre législation les libéralités testamentaires faites au profit des hospices et des bureaux de bienfaisance sont frappées d'un droit proportionnel s'élevant avec les centimes additionnels à 13 p. c, tandis que les donations entre-vifs faites au profit des mêmes établissements ne sont soumises à aucun droit ou ne le sont qu'à un droit fixe.
Mais pour faire cesser cette anomalie, était-il absolument nécessaire d'avoir recours à cette mesure ? Un gouvernement, qui se montrerait vraiment favorable à toutes les mesures qui tendent à améliorer le sort de la classe malheureuse, n'aurait-il pas pu parvenir au même but en abolissant le droit fixé pour les libéralités testamentaires ? Poser la question, c'est la résoudre. En effet, qui ne comprend pas que dès que les legs ne sont plus soumis au droit proportionnel de 13 p. c, le « parfait rapport » dans lequel le gouvernement voulait mettra les donations et les legs existerait réellement, et qu'un nouvel élan serait donné à la charité ?
Messieurs, si le droit proposé par l'article 8 ne devait pas frapper les établissements de charité, mais était seulement applicable aux autres établissements de mainmorte, je ne viendrais pas m'opposer à cette disposition, parce que je sentirais que lorsqu'un établissement de main morte acquiert des biens à titre gratuit, le droit de 13 p. c. n'est pas trop élevé, lorsqu'on considère que ces biens, dès qu'ils deviennent la propriété d'un tel établissement, sont destinés à sortir du commerce et à ne plus jamais produire un droit de mutation au profit du trésor.
Mais cette considération, qui peut être d'un grand poids en ce qui concerne ces derniers établissements, ne peut être d'aucune valeur, lorsqu'il s'agit de l'appliquer à des établissements qui ne sont érigés que pour venir en aide à la classe nécessiteuse, à cette classe si digne de la sollicitude du gouvernement et de la législature. Elle ne peut surtout êlre d'aucune valeur dans un temps où le paupérisme fait des progrès si effrayants, dans un temps où il n'est pas trop des efforts individuels joints à l'action du gouvernement pour arrêter cette plaie sociale, et où il est d'une sage politique d'encourager l'élan généreux des bienfaiteurs de l'humanité et de leur faire comprendre que rien ne sera jamais détourné des libéralités qu'ils destinent au soulagement des pauvres.
Messieurs, après vous avoir fait connaître les motifs principaux qui me détermineront à voter contre la loi telle qu'elle est proposée, il me reste à examiner si le but, que le gouvernement se propose, de rétablir l'équilibre des recettes et des dépenses, ne pourrait être atteint sans recourir aux ressources que promet l'adoption du projet.
Ces ressources, ne pourrait-on pas les trouver dans d'autres branches du revenu public, sans devoir recourir à une aggravation d'impôts sur une matière qui contribue déjà suffisamment dans les charges du pays, et sans faire peser des impôts sur les pauvres et prendre à ceux qui n'ont rien pour combler le déficit du trésor ?
Je le pense, messieurs, et sans parler d'une augmentation de recettes que produirait une élévation des droits sur les céréales étrangères, et qui, par ces droits protecteurs, ne ferait que placer l'industrie agricole sur la même ligne que les autres industries ; sans parler des ressources que le trésor pourrait trouver dans une augmentation des redevances des mines, et ce sans qu'on pût prétendre que les mines sont surchargées eu égard à la quotité des impôts auxquels d'autres objets sont soumis ; il suffirait de recourir au chemin de fer pour y trouver les moyens de combler le déficit.
Lors de la discussion du budget des travaux publics, plusieurs orateurs vous ont démontré qu'en augmentant légèrement le prix du transport des marchandises et des voyageurs, les recettes augmenteraient de 2 à 2 1/2 millions. Si ces prévisions sont justes, comme il est permis de le croire en présence des faits qui ont été rapportés, on doit convenir que l'adoption d'une telle mesure serait certainement plus équitable que celle proposée par le gouvernement, puisque l'augmentation du prix de transport qu'on ferait subir ne serait qu'une rémunération des services que l'Etat rend à ceux qui y ont recours, tandis que d'après le système du gouvernement, on fait payer le déficit produit par le chemin de fer par ceux qui ne peuvent en user.
Si l'on adoptait la proposition qui a été faite par plusieurs honorables membres de recourir aux ressources que peut fournir le chemin de fer, le déficit de 2 à 3 millions serait couvert sans devoir adopter le projet de loi qui nous est présenté par le gouvernement.
M. Osy. -Je conçois que les anciens ministres des finances entrent dans les détails de leur administration, mais je crois qu'il faut établir la situation financière réelle. Je me livrerai, à cet égard, à quelques calculs que je vous demande la permission de vous présenter. C'est là le véritable point de départ où il faut se placer pour bien connaître ce que désire le gouvernement et ce qu'il y aurait à faire.
Je partage l'opinion de M. le ministre des finances que l'expérience démontre la nécessité d'avoir des budgets présentant un excédant de recettes sur les dépenses de deux millions au moins pour couvrir les éventualités qui se présentent dans le courant de l'année.
Je ne parle pas du déficit ; je dis qu'il est convenable que, pour couvrir les éventualités de l'année, les budgets se soldent toujours par un excédant de 2 millions.
Au 1er septembre de l'année dernière, le découvert se montait à 37,600,000 fr. Mais je me hâte de dire que, depuis, M. le ministre des finances a fait une opération très heureuse qui a réduit ce déficit, ce découvert à 21 millions par la vente du 4 et du 2 1/2 p. c, de sorte que le découvert n'était plus que de 21 millions au 1er février dernier.
Dans cette somme de 21 millions se trouve une somme de 3,780,000 francs qui n'est pas exigible, puisque c'est une dette envers la caisse d'amortissement, pour les amortissements suspendus des emprunts de 1840 et 1842, lorsque les 5 p. c. étaient au-delà du pair. Ce qui réduit le découvert au 1er février, à 21 millions. Mais depuis lors, depuis l'opération faite par M. le ministre des finances, notre position est bien changée.
Nous avons voté des crédits supplémentaires montant à la somme de fr. 620,000.
M. le ministre des travaux publics a présenté un projet de loi de crédits extraordinaires de fr. 1,880,000.
MM. les ministres ele l'intérieur et de la justice ont également demandé des crédits supplémentaires s'élevant à fr. 1,200,000.
Total : fr. 3,760,000.
(page 1301) Hier nous avons voté un crédit extraordinaire de fr. 600,000.
En même temps, M. le ministre des finances a demandé des crédits supplémentaires montant à fr. 1,283,000.
De manère que depuis le 1er février, les charges connues se sont accrues (somme ronde) de fr. 5,700,000.
D'où il faut déduire, pour excdant du budget de 1851, fr.1,000,000.
Nous avons donc à pourvoir à une somme de fr. 4,700,000.
Ce qui, joint au découvert au 1er février, ferait aujourd'hui, en y comprenant tous les projets de loi présentés par le gouvernement, une sjmme de 25,700,000 fr. (somme ronde) la réserve comprise.
M. Dumortier. - Il faut déduire les 13 millions de la caisse d'amortissement.
M. Osy. - C'est compris dans les 37 millions dont j'ai parlé.
Dans les circonstances où nous nous trouvons, je crois qu'un découvert de 25,700,000 fr. est trop considérable pour que nous puissions continuer de le maintenir. Comme l'a dit M. le ministre des finances, nous sommes peut-être à la veille de grands événements. Je ne crois donc pas qu'il soit convenable de rester avec une dette pareille. La première chose doit être de consolider notre ancien déficit : il nous faudrait pour cela augmenter le budget annuel, pour intérêts et amortissement, d'une somme de 1,500,000 francs.
J'attends les ressources que nous proposera M. le ministre des finances, pour dire mon opinion sur l'opération financière. A la veille de la présentation de crédits importants de dépenses et également de nouvelles ressources, nous devons attendre les propositions du gouvernement pour juger ce qu'il y a à faire. Mais, dans la situation présente, je crois que le ministre des finances doit se préoccuper de faire disparaître le déficit actuel.
Pour augmenter les ressources du trésor, nous ne connaissons aujourd'hui que deux propositions ; la loi sur la contribution personnelle, qui malheureusement reste depuis 18 mois sans discussion, loi qui, d'après moi, produirait un revenu assez considérable pour le trésor, et le projet de loi ajourné depuis deux ans sur les droits de succession.
M. le ministre des finances, en présentant ce projet, calculait sur une augmentation annuelle de revenu de 3 millions environ ; mais il comptait que l’impôt sur les successions en ligne directe donnerait un revenu de 1,800,000 fr. à 2 millions ; il comptait aussi sur le serment. Vous voyez l'accueil que la section centrale a fait au projet de loi : elle propose de n'admettre ni le droit en ligne directe, ni le serment. Je ne m'occuperai pas de l'impôt en ligne directe : ce serait perdre son temps que de combattre le système que M. le ministre des finances maintient, à mon grand regret. Mais je ne pense pas qu'il faille ajourner l'article premier ; je demande que la chambre s'explique par un vote. Le pays ne doit pas rester dans l'incertitude au sujet d'une proposition si impopulaire et dont la section centrale, à l'unanimité moins une voix, propose le rejet.
Quant à une augmentation de droits sur les successions en ligne collatérale, je suis prêt à y donner mon adhésion. Toutefois je la refuserais si la chambre ne prenait pas une décision sur l'article premier.
Une question très importante, c'est le serment. Pendant bien des années, voyant de grands abus dans les déclarations de succession, je croyais qu'il serait convenable de revenir à l'ancien système des Pays-Bas, c'est-à-dire au serment.
Mais ayant lu avec attention le rapport de la section centrale, ayant écouté, lors de la discussion, les objections qu'on a faites contre le serment, je suis revenu de cette opinion.
Je conviens qu'il y a de très grands abus dans les déclarations : on n'y comprend pas les titres au porteur, qui forment une partie notable de la plupart des fortunes ; de sorte que l'impôt des successions pèse entièrement sur les immeubles, sur les rentes nominatives inscrites au grand-livre et sur les obligations hypothécaires.
Mais je vous avoue franchement que, pour le serment, il y a également des objections tellement sérieuses que je crois ne pas pouvoir le voter.
Messieurs, je dois faire observer au gouvernement que la loi que nous avons récemment votée pour l'institution d'une caisse de crédit foncier créera par la suite, d'après mon opinion, un assez grand déficit pour le trésor par rapport aux successions.
Aujourd'hui tous ceux qui emploient leur argent en hypothèques ne peuvent plus, en ligne collatérale, éviter le droit de succession, parce que, comme ces placements sont inscrits, on est obligé d'en faire la déclaration et de payer des droits de succession.
Mais si par hasard, ce dont je doute, la caisse du crédit foncier prenait une grande extension, vous comprenez que ceux qui aujourd'hui ont des rentes inscrites et pour lesquelles ils doivent payer le droitde succession, n'auront plus en portefeuille que vos lettres de gage qui, comme aujourd'hui les obligations au porteur, ne payeront pas de droit de succession.
Vous voyez donc que votre caisse de crédit foncier peut faire, par la suite, beaucoup de mal au produit des droits de succession.
Je dis donc, messieurs, que, quant à moi, je suis décidé à augmenter les droits de succession en ligne collatérale, conformément aux propositions de la section centrale, aussitôt que nous aurons décidé que nous n'aurons pas de droits sur la ligne directe.
Pour ce qui est du serment, comme j'ai eu l'honneur de le dire, je ne crois pas que je pourrai le voter. J'attendrai la discussion ultérieure sur ce point important. Mais je croîs que, d'après ce qui a été dit en 1849, lors de la première discussion, je serai d'accord avec la section centrale pour ne pas l'accorder au gouvernement.
M. Malou. - Messieurs, il y a longtemps qu'une discussion approfondie sur la situation des finances de l'Etat ne s'est ouverte dans cette enceinte : il est utile d'attirer souvent l'attention publique sur cette question qui se rattache aux intérêts les plus vitaux du pays.
La dernière discussion àlaquelle j'ai pris part est celle qui a eu lieu vers la fin de 1847. A cette époque déjà, messieurs, comme plusieurs fois depuis lors, la question financière paraissait s'être transformée tantôt en question de parti, tantôt en question en quelque sorte personnelle. A mes yeux, en 1851 comme en 1847 elle ne peut avoir ni l'un ni l'autre de ces caractères.
On a cherché au point de vue des partis, d'une part, à rembrunir ce qui s'était fait avant certaine date que l'on a bien souvent rappelée dans cette enceinte.
D'autre part on a cherché à atténuer des faits réels, aujourd'hui constants, qui se sont accomplis depuis le 12 août 1847.
Faisant abstraction de toute idée de parti, nous devons chercher de part et d'autre à bien établir quelle a été pour le passé la gestion de nos finances, quels sont les besoins actuels, quels sont les intérêts de l'avenir.
On a fait quelquefois de la question financière une question qui me serait en quelque sorte personnelle. Ce point de vue est encore plus étroit, plus mauvais que l'autre.
J'ai eu personnellement une bien faible part dans ce passé dont je voudrais pouvoir revendiquer l'honneur, mais dont je viens seulement rétablir la vérité devant vous. Je n'ai été aux affaires que deux années, de 1845 à 1847. Lorsque je parle de ce passé qui comprend 17 années, je puis le faire avec un complet désintéressement ; pour bien apprécier noire situation financière, j'aurais même le droit de dire que les années 1846 et 1847 sont tellement exceptionnelles, qu'elles pourraient être éliminées du débat.
Et en effet, messieurs, n'est-ce pas créer une situation singulièrement injuste, lorsqu'un système politique succède à un autre, que de juger celui-ci par deux années de crise permanente, lorsque les recettes ont été frappées dans leurs sources les plus abondantes et lorsque les dépenses se sont notablement accrues ? Quand vous voulez juger une gestion, it faut l'accepter d'après ses données normales, d'après son ensemble.
Toutefois malgré ces considérations qui m'y autoriseraient, je ne ferai pas abstraction des années 1846 et 1847.
Le passé est assez honorable, assez fort ; il a fait assez de bien au pays, pour pouvoir comprendre dans l'exposé des faits la crise de 1846 et de 1847.
Un premier fait, aujourd'hui reconnu, c'est que pendant toute la période que nous avons traversée depuis la fondation de notre nationalité, le système des impôts n'a pas été sensiblement aggravé. L'honorable ministre de l'intérieur et l'honorable ministre des finances, dans la discussion qui a eu lieu en 1848, pendant la session extraordinaire, ont eux-mêmes, reproduisant des arguments que j'avais déjà indiqués précédemment, reconnu que notre système d'impôts, atténué en 1830, n'avait pas été notablement renforcé depuis lors.
Comment se fait-il, messieurs, d'une part, que notre budget des recettes se soit développé et que nous n'ayons en réalité dans notre situation ; aujourd'hui aucun déficit réel ? Cela tient à deux causes : d'abord à ce que, de 1830 à 1847, lorsqu'on a exécuté de grands travaux publics, on s'est attaché à créer ceux qui devaient être directement productifs, et que pour le solde en quelque sorte, pour l'insuffisance des produits de ces travaux, on a compté, à mesure que les faits se produisaient, sur le développement naturel de nos recettes, par l'effet de l'accroissement de la prospérité publique et des bases imposables.
Je ne reprends pas la discussion au point où elle était en 1847. Je ne veux pas invoquer les publications qui ont été faites à cette époque officiellement, au nom du gouvernement, ni même la publication si remarquable qui a été faite par M.H ubert, alors greffier de la cour des comptes.
Ces publications, je me borne à articuler le fait, constataient pour les recettes et pour les dépenses ordinaires de l'Etat jusqu'en 1847, un excédant de quelques centaines de mille francs.
Messieurs, cette situation s'est-elle modifiée ? Je suis forcé de dire, en étudiant la dernière situation du trésor, qu'il y a eu depuis l'avéneraent du cabinet actuel deux manières de pratiquer l'arithmétique.
Dans la première période de son existence, le cabinet actuel a continué de suivre cette arithmétique ancienne, primitive qui consiste à prendre les faits tels qu'ils sont.
Dans la seconde période, au contraire, il s'est fait une arithmétique à lui qui, tout en respectant la vérité des chiffres, en combine quelques-uns et en écarte momentanément quelques autres, de telle façon que réellement les chiffres n'ont plus leur véritable signification.
Voici d'abord, messieurs, un échantillon de l'arithmétique vulgaire. C'est la situation du trésor au 1er septembre 1847, déposée dans la session de 1847-48 par l'honorable M. Veydt. « Les exercices qui sont eu cours d'exécution de 1845 à 1847 nous laissent un déficit de 1,300,961 fr. 70 c.
« Les exercices clos de 1830 à 1844 nous donnent un excédant de ressources de 1,944,656 fr. 51 c.
(page 1302) « La gestion des années antérieures à 1848 se présente donc, quant aux recettes et aux dépenses portées aux budgets ordinaires, avec un solde actif de 643,694 fr. 81 c.
« Et quant aux dépenses extraordinaires, non comprises dan sles budgets ordinaires, elles s'élèvent, comme nous venons de l'expliquer, à 23,500,960 fr. »
L'honorable M. Veydt établissait en même temps qu’il pouvait y avoi 5,680,000 francs de crédits supplémentaires, et il demandait en conséquence que le chiffre des bons du trésor fût fixé à 25,000,000. Le découvert réel du trésor, iniqué par le gouvernement à cette époque, était de 9,000,000.
On faisait alors, messieurs, une distinction qui, momentanément, a disparu de nos budgets, la distinction entre le budget ordinaire et le budget extraordinaire ; distinction rationnelle que tout à l'heure l'honorable ministre des finances faisait lui-même dans le discours par lequel il a ouvert la séance d'aujourd'hui.
Passons maintenant, messieurs, à l'arithmétique nouvelle. J'en trouve une première application dans la situation du trésor publiée en 1848, et qui se rapporte au 1er septembre de cette année Là, messieurs, le déficit est devenu immense. Là les dépenses ordinaires et les dépenses extraordinaires se trouvent confondues
Là, pour les exercices antérieurs à 1844, nous ne trouvons plus le boni de quelques centaines de mille francs, comme l'indiquait l'honorable M. Veydt, mais nous trouvons un découvert de plus de 19 millions de francs.
Comment, messieurs, ce découvert s'est-il produit ? Par une méthode extrêmement simple : elle consiste à rapporter à un exercice le mali des exercices antérieurs et à le priver du boni, qu'on tient en réserve pour d'autres années subséquentes.
Voilà, messieurs, de quelle manière on est arrivé à ce résultat que les exercices antérieurs à 1844, qui se soldaient par un boni, se trouvent présenter un déficit. Il est vrai que le boni n'est pas perdu ; nous le retrouverons plus tard ; il sera parfaitement utile pour la situation, et j'en félicite le pays.
Quant aux exercices de 1846 et 1847, nous voyons encore dans les documents publiés plus tard ce déficit s'accroître toujours d'une manière continue et dans une forte proportion jusqu'à la clôture de l'exercice. En coordonnant ces chiffres je me suis félicité de voir enfin les exercices de 1846 et 1847 arriver à leur clôture, car, s'ils avaient eu une durée plus longue, je ne sais, en vérité, où le déficit de ces malheureux exercices se serait arrêté.
D'après les explications données par M. le ministre des finances ad intérim, dans la discussion de 1848, le déficit des exercices antérieurs à 1848 était de 36,300,000 fr. ; le découvert du trésor était seulement de 9,300,000 fr. Ce sont les chiffres indiqués dans la séance du 4 juillet 1848.
Dans la situation du trésor au 1er septembre 1848, le déficit est porté de 36,300,000 fr. à 39,700,000 fr. et l'on y ajoute pour crédits supplémentaires 4,800,000 fr., ensemble 44 millions ; et le découvert du trésor du 4 juillet au 1er septembre est élevé de 9 millions à 23 millions.
Ces variations se sont produites, messieurs, comme je l'ai dit, par une opération très simple, qui consiste à rattacher à certains exercices tout le déficit du passé et à priver ces mêmes exercices des ressources que le passé leur a léguées. Ainsi, messieurs, en 1843, année à laquelle on était convenu (et il y a eu un vote formel des chambres sur ce point) de rattacher toute la gestion antérieure, en 1843 on avait fait un budget supplémentaire des recettes et des dépenses.
Vous savez que c'est en 1843 qu'on a exécuté les dispositions financières du traité du 23 novembre 1842. L'honorable M. Osy avait fait le rapport sur ce projet de loi ; et la chambre en l'adoptant, avait fixé, en recettes et en dépenses, à 30 milllions et quelques centaines de mille francs le budget supplémentaire dont je viens de parler. Qu'est-il arrivé par l'application de l'arithmétique nouvelle ? C'est qu'on rattache à l'exercice 1846 une somme de 19 millions, qui était le mali de ce compte, et qu'on n'y rattache pas le boni du même compte, que l'on tient en réserve pour les exercices de 1850 et 1851.
Lorsque je tiens compte des recettes et des dépenses de 1846 et lorsque des 27 millions de déficit que présenteront ces exercices si la loi de règlement est conforme au compte rendu publié récemment, je retranche d'abord les 19 millions d'arriéré qu'on affecte à cet exercice sans y affecter également la ressource correspondante qui existait, il reste encore, selon M. le ministre des finances, 8 millions comme déficit pour 1846, et 14 millions pour 1847.
Mais ces exercices n'auraient pas présenté un résultat qui pût faire une si vive impression sur l'esprit public si l'on n'y avait pas rattaché des dépenses qui, avant cette époque et depuis lors, ont toujours figuré à l'extraordinaire et qui doivent y être maintenues.
Ainsi, messieurs, dans cette même publication, compte définitif de 1846, session 1850-1851, n°7, vous voyez affecter au budget ordinaire pour former le déficit de 8 millions qu'on veut trouver sur l'exercice de 1846, vous voyez porter les dépenses de la crise des subsistances et plusieurs dépenses pour travaux publics, ensemble plus de sept millions et demi.
En résumé, on applique aux exercices de 1846 et 1847 une somme de près de 14,300,000 fr. qui, d'après tous les antécédents de la législature et d’après la nature des faits actuels, appartiennent aux dépenses extraordinaires.
(page 1302) « La gestion des années antérieures à 1848 se présente donc, quant aux recettes et aux dépenses portées aux budgets ordinaires, avec un solde actif de 643,694 fr. 81 c.
« Et quant aux dépenses extraordinaires, non comprises dan sles budgets ordinaires, elles s'élèvent, comme nous venons de l'expliquer, à 23,500,960 fr. »
L'honorable M. Veydt établissait en même temps qu’il pouvait y avoi 5,680,000 francs de crédits supplémentaires, et il demandait en conséquence que le chiffre des bons du trésor fût fixé à 25,000,000. Le découvert réel du trésor, iniqué par le gouvernement à cette époque, était de 9,000,000.
Pour le dire en passant, il se produit dans cette discussion un fait assez singulier : dans la séance de samedi, et plus récemment encore, M. le ministre de l'intérieur faisait un éloge des mesures prises en faveur du défrichement, des irrigations ; dans d'autres circonstances on faisait un éloge non moins grand des mesures prises à l'égard des Flandres ; lorsque M. le ministre se donnait à lui-même ces éloges, j'étais vraiment tenté d’en revendiquer ma part, car ces mesures ont été prises au moyen des crédits compris dans les déficits des exercices de 1846 et 1847 et que l’on reproche si souvent.
Voici donc les parts que l’on faits : A nous la charge du déficit ; nous avons creusé le déficit et MM. les ministres actuels consomment d’une manière très agréable, très utile, je veux bien le croire, des sommes comprises dans cet abominable déficit. Mais c’est trop de moitié ; il ne fait pas nous imputer ces crédits lorsqu’on s’attribue à soi-même l’honneur, l’utilité d’en faire emploi.
J'arrive maintenant à l'année 1848.
D'après les documents publiés par M. le ministre des finances, l'année 1848 présentera un déficit qui varie de 7 à 10 millions, suivant certaines appréciations ; l'on a voté, si j'ai bon souvenir, y compris les dépenses de guerre, à peu près 16 millions.
Ici, messieurs, il y a encore un progrès de l'arithmétique que je dois signaler à la chambre ; pour les deux exercices antérieurs à 1848, l'on applique à l'exercice même les dépenses résultant des crédits ouverts pour travaux publics ; pour l'exercice 1848, au contraire, l'on n'affecte à l'année comme charge à pater que la partie des crédits qui a été réellement dépensée. Telle me paraît du moins être a signification du chiffre de 8,105,000 fr., qui se trouve page 4 et 5 de la situation du trésor au 1er septembre 1850.
En 1848 l'on a contracté un emprunt de 37,700,000 francs. De cet emprunt, l'on a fait deux parts ; 16,360,000 francs ont été affectés à l'arriéré ; le reste, 21 millions et demi à peu près, a été affecté à des besoins nouveaux. Que résulte-t-il de là ? Que tout en augmentant la dette constituée de 37 millions, l'on s'est réservé le moyen de dire et de chercher à prouver que les prédécesseurs du cabinet actuel étaient les seuls coupables, - et c'est le thème que l'on exploite vous savez comment et depuis combien d'années - étaient seuls coupables du découvert du trésor.
Cette manière de compter est purement fictive. Lorsque nous faisons le bilan de la nation d'une manière sérieuse et complète, il s'agit de savoir si la situation de nos finances a prospéré ou si elle s'est empirée à telle ou telle époque ; il ne s'agit pas seulement de dire : « Je tiens en réserve mes anciennes dettes que je ne paye pas, et j'en fais de nouvelles, au moyen d'emprunts, que je contracte. » Cette manière de calculer n'est pas sérieuse.
Prenons maintenant à un autre point de vue la situation du trésor publiée à la date du 1er septembre 1850 ; j'y trouve que depuis l'avènement du cabinet actuel, le découvert du trésor s'est augmenté de 11 millions ; voir page VII ; en ajoutant à cette somme l'application partielle de l'emprunt de 37 millions, soit 21 millions, je trouve qu'il est établi, par les documents mêmes que M. le ministre des finances a produits, que la situation générale de nos finances, depuis l'exercice 1847, s'est aggravée de 32 millions... (interruption), ces chiffres me paraissent excessivement sérieux ; ils sont puisés dans la situation du trésor que M. le ministre des finances a publiée.
En ajoutant au découvert du trésor, pour les trois années 1848, 1849 et 1850, la partie de l'emprunt qu'on a affectée à ces exercices, je constate que notre situation financière s'est aggravée de 32 millions en trois années. (Interruption.) MM. les ministres peuvent rire de ces chiffres, mais on ne pourra pas les effacer de la situation du trésor.
Je crois entrevoir dans ces interruptions une étrange confusion qui s'est produite bien des fois. Il semble qu'il n'y ait de dette que la dette flottante. Mais lorsque je veux apprécier la situation générale de nos finances, je dois, selon l'usage de toutes les nations, j'allais presque ajouter selon les règles du bon sens, dire que votre passif se compose aussi bien de votre dette constituée que de votre dette flottante, il n'y a de difference entre ces deux ordres d'obligations que l'époque d'exigibilité ; quand on fait le calcul de votre situation, que vous augmentiez votre dette constituée ou votre dette flottante, c'est toujours une aggravation du passif de l’État. Et, en effet, vous avez immédiatement à payer la rente et l’amortisseent de cette dette.
Voici donc en deux mois le parallèle des deux situations : la situation financière présente, si vous voulez, un découvert de 20 à 25 millions antérieurement à 1841, voire même 43 millions, et depuis lors notre situation générale s'est aggravée de 32 millions et demi.
Messieurs, j'ai entendu aussi bien des fois dans cette enceinte vouer aux dieux infernaux la dette flottante, les bons du trésor. Mais c'est une puérilité que de s'attaquer aux bons du trésor ; il faut s'attaquer à la cause et non pas à l'effet.
Ainsi, dans ce moment, on vous dira encore beaucoup de choses contre les bons du trésor ; moi, je veux m'attaquer aux dépenses nouvelles, aux dépenses qui ne sont pas couvertes par les ressources actuelles.
Ainsi, j'ai le droit de m'etonner qu'alors que l'on nous a tant de fois reproché le passif que nous avons laissé à l'administration actuelle, on se propose d’engager le pays dans de vastes entreprises qui exigeront nécessairement la création de nouveaux emprunts, de nouvelles dépenses permanentes pour le pays ; je dois m'en étonner plus encore, lorsqe je revois ce projet présente le 23 février 1848, qui se résume en ceci : « Décrétez immédiatement des travaux pour 78 millions. » Et moi (page 1303) qui ai eu l'honneur de voir les devis de plusieurs de ces travaux, je dis, ce qui est la vérité : Décrétez immédiatement des travaux publics qui coûteront plus de 100 millions.
Et à côté de cela, décrétez un emprunt de 25 millions avec lequel vous amortirez seulement 8 millions et demi de dette flottante ; et pour le service des intérêts et de l'amortissement duquel vous vous fierez au développement du budget des voies et moyens, sans avoir aucune nouvelle ressource. Quand on a posé un acte pareil ; quand le gouvernement vient déclarer par l'organe de M. le ministre de l'intérieur qu'on fera aujourd'hui à peu près ce qui avait été proposé en 1848, l'on n'est pas recevable à dire que nos dépenses ont été exagérées et nos finances mal gérées pendant les 17 premières années de notre existence nationale.
Ce n'est pas tout de poser les chiffres : il faut encore en rechercher la véritable signification, il faut dire ce qui s'est fait, à raison des chiffres que nous rencontrons dans notre situation. Et ici je remercie M. le ministre des finances d'avoir annexé à la situation du trésor deux tableaux qui résument, quoique d'une manière incomplète, les recettes et les dépenses extraordinaires qui ont été faites depuis 1830.
D'après ces tableaux, nous aurions eu en recettes extraordinaires 498 millions 900 mille francs, et en dépenses extraordinaires 496 millions 400 mille francs. Par conséquent, selon M. le ministre des finances, le budget spécial serait venu au secours du budget ordinaire pour 2 millions et demi. Je continue à négliger les petits nombres afin que les chiffres soient mieux compris.
La même observation a été produite de nouveau tout à l'heure. J'ai quelques corrections à faire à ces tableaux. D'abord je me demande pourquoi, en présence de la loi de 1843, dans le budget extraordinaire de cet exercice on ne mentionne pas les valeurs que M. le ministre a réalisées cette année, pourquoi on a pris la moitié du budget extraordinaire de 1845, en laissant de côté l'autre moitié. Cela est illogique.
La simple inspection des tableaux le démontre. Ainsi, l'on y renseigne pour 1850 les 307,000 francs provenant de 1,000,000 de 2 1/2 p. c. réalisé dans le courant de l'année dernière. Mais au même titre, si ces valeurs sont réelles, comme la législature l'a reconnu ; si ce ne sont plus des chiffons de papier, des joujoux financiers, ainsi qu'on le disait dans d'autres temps ; si c'est, au contraire, quelque chose au moyen de quoi on fait arriver 15 à 16 millions au trésor, il fallait en tenir compte dans le tableau des recettes extraordinaires.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ll fallait un preneur.
M. Malou. - Puisqu'on insiste, je m'arrête sur ce point : voici ce qui s'est passé. En 1843 l'on a reconnu par la loi que ces valeurs, quoi qu'elles ne fussent pas immédiatement réalisables pour le gouvernement parce que la loi elle-même déclarait les vouloir tenir en réserve, faisaient néanmoins partie de l'actif du trésor. On l'avait toujours entendu ainsi sous tous les ministres qui se sont succédé, y compris l'honorable M. Veydt. En 1848, on a fait disparaître momentanément ces valeurs de l'actif, sous le prétexte qu'elles n'étaient pas immédiatement réalisables, qu'il fallait une loi pour en disposer.
Mais de ce que ces valeurs n'étaient pas immédiatement négociables, s'ensuit-il qu'elles ne devaient pas figurer à l'actif du trésor ? Elles étaient réelles et acquises ; il fallait en tenir compte.
L'honorable M. Mercier disait tout à l'heure avec beaucoup de raison : Si nous n'avions pas consenti à ce que l'encaisse du caissier de l'Etat fût converti en fonds publics, nous aurions trouvé 12 millions et demi de numéraire : il y a plus, ce boni appartient évidemment, d'après son origine, au budget ordinaire. Ainsi dans la première année, dans les premiers mois surtout de notre existence nationale, qui ont étés difficiles, où il a fallu contracter des emprunts onéreux, la situation a été aggravée par la privation de ces valeurs, dont le caissier du royaume des Pays-Bas croyait ne pouvoir disposer en faveur de la Belgique seule et qui, en effet, quoique rendues productives par la convention de 1833, n'ont été définitivement acquises au trésor belge que par le traité du 5 novembre 1842.
Je signale donc à bon droit une omission de 15 millions 242 mille francs à l'actif. Je constaterai même, en passant, que cette valeur, comptée en 1843, pour 15 millions 360 mille francs, a réellement produit entre les mains de M. le minisire des finances plus de 16 millions. C'est un progrès. Que si on reproduisait sous une autre forme l'objection consistant à dire que ces valeurs ne pouvaient pas être comptées, parce que légalement elles n'étaient pas immédiatement réalisables, je dirai qu'elle ne s'applique pas à la totalité des valeurs qu'on a fait ainsi momentanément disparaître, car, d'après la loi de 1843, il n'y avait de non-réalisables que les fonds 4 p. c. Les autres n'étaient pas dans cette condition, notamment le 2 1/2 p. c. provenant du traité de 1842.
Dans le tableau des dépenses extraordinaires il y a des lacunes bien plus grandes, bien plus regrettables. Ainsi l'on arrive à balancer ce budget à 2 millions et demi près. Mais on ne porte pas en compte telle acquisition qui vient se résumer en produits directs dans le budget des voies et moyens.
En vertu de la même combinaison financière dont a parlé tout à l'heure l'honorable M. Mercier, nous avons acquis la forêt de Soignes pour 17 millions ; elle n'est pas portée comme augmentation du domaine national, tandis qu'on porte les hôtels de la rue de la Loi ; c'est une singulière anomalie, à moins qu'on ne prétende que la forêt de Soignes soit une acquisition ordinaire, et je ne le crois pas. Dans le tableau des dépenses extraordinaires, on porte plusieurs immeubles ; et on omet l'hôtel du ministère de la guerre qui a coûté 130 mille francs, les palais de Bruxelles et Tervueren qui ont coûté 7 millions 414 mille francs.
L'on omet enfin, dans ce tableau des charges extraordinaires, la rente de 300,000 francs constituée au profit de la ville de Bruxelles et qui représente, à 5 p. c, un capital de six millions.
Or, quand vous voulez examiner l'ensemble de la situation financière depuis 1830, vous devez tenir compte non seulement des acquisitions faites par l'Etat, mais des dépenses permanentes que vous avez créées. Quand on a, par une loi, fait un cadeau à la ville de Bruxelles et repris ses musées, en se chargeant de dépenses annuelles assez élevées et d'augmentations des collections, quand on a acheté à 4 fr. le pied la place située derrière le palais du Roi, qui n'a pas cessé d'être place publique, on a le droit dans une appréciation financière d'en tenir compte.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et l'hôtel Hauman ?
M. Malou. - L'acquisition de cet hôtel se trouve comprise dans le tableau des dépenses extraordinaires ; l'acquisition des immeubles de la ville de Bruxelles ne s'y trouve pas : c'est précisément ce que je fais remarquer à la chambre.
Je ne suis pas assuré d'avoir relevé toutes les omissions : je ne parle pas même des 7 1/2 millions à 3 p, c. dépensés pour les indemnités de guerre de la révolution. Les valeurs omises et que je viens d'indiquer s'élèvent à 30,998,000 francs, disons somme ronde 31 millions.
Ainsi d'une part, je trouve que dans les recettes extraordinaires on omet 15 millions, et dans les achats, capitalisations et autres dépenses extraordinaires on en omet plus de 31. Voilà 46 millions omis dont on fait tort au passé en ce qui concerne le budget extraordinaire.
Il y a bien d'autres lacunes dans les budgets de chaque année, il suffit d'en examiner un pour s'en convaincre ; il y a une quantité de dépenses qui sont de véritables capitalisations, de véritables augmentations du domaine ou du revenu public. Je ne m'arrête qu'un moment à la question des routes.
Indépendamment des 10 millions portés au budget extraordinaire, des 1,300,000 fr. rattachés à l'exercice 1847, nous avons chaque année porté, en dehors des sommes que les routes produisent, plus d'un million, et aujourd'hui, avec la voirie vicinale, plus de 1,500,000 fr.
Mais lorsqu'on veut examiner la situation financière, non pas au point de vue de l'intérêt d'un moment, pour pouvoir dire : « Il me faut de nouveaux impôts, mais pour se rendre compte de ce qui existe réellement, des forces productives du pays, de ce qui a été fait depuis 1830, ne faut-il pas tenir grandement compte de la manière dont notre dette est constituée, et de l'état où elle est aujourd'hui par suite de l'amortissement ?
Je puise encore ici dans les documents fournis par M. le ministre des finances. Les pièces annexées au budget de la dette publique, pour 1852 établissent les faits suivants :
Le capital primitif, nominal de notre dette était de fr. 811,000,000
Nous avons amorti fr.201,000,000
Reste capital à amortir, fr. 610,000,000
Mais je dois décompter, comme capital amorti, la transformation qui a été faite de 80 millions de florins à 2 1/2 en emprunt de 1844 à 4 1/2 p. c. Cette déduction faite, le capital de notre dette amorti depuis 1830 a été de 32,260,000 fr.
A ce chiffre, je dois ajouter l'amortissement qui avait été déjà fait sur l'emprunt créé en 1842, à l'époque de la conversion en 1844, et d'après mes souvenirs c'est une somme de seize millions.
Quand on examine attentivement la situation de notre dette, par l'action de l'amortissement prélevé sur les ressources ordinaires produites par l'impôt (car chaque année nous portons au budget plus de 24 millions pour les intérêts et 3,418,000 fr. pour l'amortissemenl), on reconnaît combien cette situation s'est améliorée.
Pour bien s'en rendre compte, il faut supposer un instant, calculés à 5 p. c. les capitaux qui constituent notre dette : ainsi il faut prendre le 2 1/2 à 50, le 3 pour cent à 60, et ainsi de suite. En appliquant ce calcul à notre dette, je constate que, d'après les tableaux distribués par le gouvernement, notre dette nominale de 610 millions n'est réellement que de 459 millions (en forçant la fraction), et, dans le même document en prenant la force de l'amortissement au ler janvier 1852, c'est-à-dire en ajoutant à la dotation annuelle de l'amortissement la partie des intérêts, toujours croissante, d'après notre système, qui doit être affectée aussi à l'amortissement de la dette, je trouve qu'au budget de 1852 nous y affecterons 4,636,000 fr. ; c'est-à-dire qu'en porant au budget l'intérêt intégral de notre dette et la dotation de l'amortissement, nous sommes arrivés à ce point que sur toute notre dette, y compris le 2 1/2 qui n'a pas d'amorlissement, nous agissons chaque année pour plus d'un pour cent sur l'ensemble.
Cette somme de 4,636,000 fr., comme je l'ai déjà fait remarquer, est prélevée sur nos revenus ordinaires.
Ceci prouve combien, quand on veut examiner dans son ensemble la situation des finances de l'Etat, il faut combiner tous les éléments. Ne pas tenir compte de l'amoitissement de la dette créée depuis 1830, c'est écarter un des points les plus importants de la question.
Arrêtons-nous un instant à l'origine de cette dette : reprenons les chiffres pour en voir l'affectation ; faisons la part de ce que nous a coûté l'émancipation de la Belgique, de ce qui a été affecté à des travaux (page 1304) publics, et nous reconnaîtrons que» la dette résultant de l’émancipation nationale sera bientôt amortie, que nous n'aurons plus à amortir que celle qui résulte de l'exécution de travaux publics. Lorsque la génération actuelle sera passée, le pays aura amorti ces trois cent cinquante millions de travaux publics créés et d'acquisitions faites depuis 1830 ; il aura suffi de deux générations pour y pourvoir complètement.
C'est un grand fait que nous ne pouvons trop répéter au pays, pour lui donner confiance en lui-même. Je tiens à maintenir haut et ferme la vérité vraie de notre situation financière, parce qu'il ne s'agit pas seulement de l'honneur du passé, mais surtout de conserver à la Belgique cette foi en ces ressources, cette calme sécurité qui lui est nécessaire en présence des épreuves qui l'attendent peut-être encore. Beaucoup de considérations politiques, beaucoup de questions intimement liées aux intérêts de notre nationalité viennent naturellement à l'esprit, lorsqu'on parle de la situation de nos finances. La chambre me pardonnera, à ce titre, la digression que je viens de faire.
Dans ce tableau des budgets extraordinaires, je puis signaler encore une lacune très considérable ; on nous parle de quelques sommes qui auraient été portées, de 1830 à 1847, des ressources extraordinaires au budget ordinaire : je reconnais que cela peut avoir eu lieu ; mais précisément parce que cela est possible, nous devons nous arrêter aux grands chiffres qui caractérisent la situation, il faut se rappeler que le pays a supporté comme charges ordinaires une grande partie des dépenses que nécessitait l'entretien de l'armée à l'état de rassemblement de 1830 à 1839.
La commission des finances, après avoir fait la déduction de ce qui appartenait réellement aux charges ordinaires et de ce qui a été impute sur l'extraordinaire, a évalué ces charges extraordinaires à 134 millions. J'aperçois un signe de dénégation ou de doute : ce chiffre se trouve à la page 19 du rapport de cette commission (pièce de la chambre n°277, session de 1848-1849).
Que la chambre me permette maintenant d'appeler un instant son attention sur la dette flottante et sur son origine ; et d'abord cette question : faut-il maintenir, dans de certaines limites, la dette flottante en Belgique ? Je crois que cela est utile, par deux raisons : la première, c'est qu'il s'est créé, dans le pays, certaines habitudes pour ce placement ; la deuxième, c'est que M. le ministre des finances trouve dans la dette flottante, à un certain chiffre, une utilité toute particulière : il est constant que c'est là qu'il trouve le plus de force pour résister à l'entraînement des dépenses ; je n'accuse personne ; je cite seulement les faits. Depuis 1830, quand on a fait disparaître la dette flottante, on l'a presque immédiatement fait renaître en décrétant des travaux publics, par une raison très simple : le jour où la situation financière n'est plus un peu tendue, le jour où il n'y a plus aucune dette flottante, le ministre des finances, quede que soit sa fermeté, est entraîné à de nouvelles dépenses.
Si vous n'avez pas 10 à 15 millions de dette flottante, je n'hésite pas à le prédire, pour l'avenir nous ferons la même chose que nous avons faite trois ou quatre fois depuis 1830. Ceuxqui résisteront aux dépenses, car c'est là le sens que je donne au mot « nous », seront débordés ; les dépenses passeront, et on créera de nouveau des bons du trésor le lendemain du jour où ils auront été proscrits. Réduite à 10 ou 15 millions, la dette flottante ne peut être ni un danger, ni un embarras.
Messieurs, il faut que cet entraînement pour les dépenses soit bien fort, puisque dans la situation où nous nous trouvons aujourd'hui, quand nous avons une dette flottante de 15 millions à peu près, quand l'horizon politique n'est pas encore bien éclairci, au dire de M. le ministre des finances lui-même, il s'agit de revenir encore à une immense série de travaux publics. Et je ne puis trop insister sur ce point, ce ne sont pas les bons du trésor qu'il faut haïr, ce sont les dépenses qui donnent lieu à créer des bons du trésor ou des emprunts et des impôts.
Messieurs, le chiffre de la dette flottante qu'il me paraît assez utile de conserver dans le pays, avait été exagéré, était devenu trop considérable à l'époque où j'ai quitté le ministère des finances.
Je l'ai toujours reconnu. Mais je tiens à dire avec la même franchise quelles étaient les circonstances qui avaient amené cette exagération momentanée du chiffre de la dette flottante.
Il faut se demander, messieurs, en examinant les faits qui se sont produits de 1845 à 1847, s'il étail possible dans ces circonstances de faire, honorablement pour le crédit public, un emprunt qui consolidât une partie de la dette flottante ; et je ne crains pas que cet examen soit fait. Lorsqu'on voudra bien se rappeler quel était le déclassement de la dette belge, quel était le malaise qui existait dans toute l'Europe à raison de la crise des subsistances coïncidant avec une crise financière, on reconnaîtra, je l'espère, que si l'on avait fait un emprunt dans ces circonstances, en le supposant possible, il eût été au moins très onéreux pour le pays.
J'ajouterai encore un aveu. Si j'avais pu prévoir, en 1847, la révolution de février 1848, j'aurais fait un emprunt, même dans de mauvaises conditions. J'aurais supporté momentanément le blâme qui n'eût pas manque de m'atteindre, parce que j'aurais mérite d'être blâme si j'avais fait un emprunt de manière à paralyser pour l'avenir le crédit public. Mais je l'aurais fait, parce que j'aurais eu la prescience d'événements que, malheureusement, je n'ai pu prévoir et que personne, du reste, n'a mieux prévus que moi.
Mais si je suis coupable, messieurs, j'ai encore quelques complices au banc ministériel. Car, enfin MM. les ministres, eux, voulaient l'emprunt, et la preuve en est dans le projet que j'ai cité tout à l'heure. Cependant, depuis le mois d'août 1847 jusqu'au 23 février 1848, dans des circonstances meilleures que celles où je me suis trouvé, ils ne l’ont pas fait.
Naguère, messieurs, lorsque j'ai entendu annoncer cette série de vastes travaux publics, je me suis demandé s'il devait naître encore une fatale coïncidence comme celle qui a eu lieu en 1848 ; si cette fois encore, après avoir laissé passer l'année 1849, et surtout l'année 1850, qui a été normale, on n'avait pas commis cette imprudence d'attendre une crise s'annonçant en quelque sorte pour venir parler à la fois de la réduction du budget de la guerre, de l'augmentation de l'impôt, de l'emprunt et de travaux publics.
L'exposé que l'honorable ministre des finances nous faisait tout à l'heure contient aussi plus d'une lacune. Ainsi, déduction faite des économies purement temporaires, purement fictives sur le budget de 1849, l'honorable ministre indique comme ayant été réalisée par le cabinet actuel, une réduction de dépense ordinaire qu'il a fixée, si je ne me trompe, à 3,363,000 fr., économies réelles et permanentes.
Je me demande comment il est possible que, malgré cette économie, nous nous retrouvions, selon l'opinion de l'honorable ministre, dans la même situation qu'en 1847, et même, à l'entendre, dans une situation plus mauvaise. Il y a évidemment ici quelque chose d'inexpliqué.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que, nonobstant ces réductions, il y a accroissement de déficit, il y a toujours déficit.
M. Malou. - C'est la même chose, vous avez dit que nonobstant l'économie de 3,363,000 francs, il y a un accroissement normal du déficit, que vous portez à 2 1/2 ou 3 millions. Nous sommes maintenant d'accord sur ce que vous avez dit : nous allons voir si nous sommes d'accord sur les faits et sur les causes.
Ce fait, non expliqué par l'honorable ministre des finances, résulte de ce que, tout en faisant des réformes dans les dépenses, on a fait malheureusement des réformes correspondantes bien moins heureuses dans les ressources.
Ainsi on a modifié le tarif du chemin de fer de telle façon que, selon mes convictions, d'après les études que j'ai faites sur cette question, nous y avons perdu environ 1,500,000 fr. à 2 millions. (Interruption.)
Quand ce tarif a été fait, ce tarif qui, selon moi, a fait perdre à l'Etat un revenu annuel d'à peu près 2,000,000, il a fallu, par une réaction nécessaire, modifier le tarif de péages sur celle de nos voies navigables qui était relativement la plus proluctive de toutes. Je crois n'exagérer rien en disant que nous avons encore de ce chef réalisé une réforme dans nos ressources qui peut être estimée à 400,000 ou à 500,000 fr.
La chambre, pour le dire en passant, paraît jusqu'à un certain point avoir jugé que le chemin de fer devait produire plus de recettes au trésor, puisque tout récemment, malgré l'opposition du cabinet, elle a introduit dans le tarif des voyageurs un amendement qui doit avoir pour résultat, selon l'opinion de la majorité, une augmentation de ressources de quatre cent mille francs.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous verrons.
M. Malou. - Sans doute, nous verrons. Mais je constate que telle a été l'opinion de l'auteur de l'amendement ; et, pour autant qu'il me soit permis d'en juger, l'opinion de la majorité qui l'a voté.
Quand on le voudra, on pourra encore démontrer, et j'espère que le ministère sera obligé de démontrer malgré lui, par les faits, que nous pouvons, sans gêne pour personne, au moyen de quelques reformes, de quelques modifications de tarifs, obtenir une augmentation de recettes sur le transport des marchandises, de 1,500,000 francs au moins. Il y a telle disposition de loi que j'indique en passant, et qui ne se rattache pas même nécessairement au tarif, par exemple la responsabilité bien définie des agents de l'Etat, la prompte expédition bien assurée ; il y a telle disposition organique administrative qui peut vous valoir peut-être plusieurs centaines de mille francs, sans que vous changiez le tarif.
Puisque la discussion m'amène sur ce sujet, je prie instamment M. le ministre des travaux publics de ne pas tarder à réaliser la promesse qu'il nous a faite de déposer un projet de loi relatif à la tarification du transport des marchandises sur le chemin de fer. Cela est de première et d'urgente nécessité.
M. le ministre des finances disait, il y a quelques jours, que la discussion sur nos finances était devenue opportune, parce que les prétextes, et moi je dis les motifs, que l'on opposait à la création de nouveaux impôts avaient tous disparu aujourd'hui.
Il ne me paraît pas qu'il en soit ainsi. L'un des motifs les plus graves, les plus incontestables existe encore, car il sera démontré, je l'espère, et je contribuerai de tous mes moyens à l'établir, qu'une réforme sage du tarif du chemin de fer pour les marchandises peut, sans ôter au chemin de fer, en ce qui concerne l'mdustrie et le commerce, l'utilité qu'il doit conserver, procurer une augmentation de recettes qui s'élèverait à 1,500,000 fr. au moins. C'est là un motif pour que la chambre n'accepte pas sans un mûr examen des projets d'impôts qui auraient, au point de vue politique et financier, un caractère bien autre que la simple réforme du tarif du chemin de fer.
On a fait deux autres réformes dans nos impôts : la réforme postale et l'abolition du timbre des journaux.
(page 1305) Le timbre des effets de commerce ne compense pas ces suppressions de ressources. Je ne qualifie pas ces dernières réformes ; mais je constate qu'en même temps qu'on faisait des économies sur les dépenses ordinaires on faisait aissi dans les recettes des modifications qui ont amené une perte pour le trésor. J'ajoute que ces ressources qui ont momentanément disparu, n'ont pas été remplacées, puisque des réformes d'impôts proposées, l'une a été rejetée et l'autre, celle qui concernait les patentes, consistait uniquement à dégrever les uns en chargeant les autres de payer à leur place.
Un autre projet d'impôt est soumis à la chambre depuis longtemps, mais il n'est pas encore arrivé à la discussion ; ce projet concerne le timbre des assurances. Je ferai une concession provisoire à cet égard ; si le projet est adopté par la chambre, il pourra en résulter une amélioration future de notre système financier, à concurrence de 150,000 francs.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous en proposez le rejet.
M. Malou. - Voulez-vous le discutera l'instant ? (Interruption.) La section centrale a demandé à M. le ministre des finances de formuler un projet nouveau d'après les bases qu'elle indiquait ; M. le ministre a présenté un projet différent sous plusieurs rapports, il en est résulté que la section centrale dont je fais partie, a rejeté ce projet à la presque unanimité.
La discussion des lois d'impôt ne doit pas se borner à constater que les besoins du trésor s'élèvent à telle ou telle somme ; il y a dans un débat comme celui-ci un point de vue beaucoup plus important, et c'est précisément celui dont l'honorable ministre des finances ne s'est pas du tout occupé. M. le ministre a posé comme conclusion de son discours qu'il faut au budget ordinaire de l'Etat deux millions et demi à trois millions de ressources nouvelles ; je m'attendais à ce que, complétant au moins jusqu'à un certain point cet exposé, l'honorable ministre des finances nous eût déclaré en même temps pour quel motif il préférait tel impôt à tel autre. Nous devons examiner surtout ce point dont on n'a pas dit un mot.
Le gouvernement prend à l'égard de la chambre cette position-ci : il dit : Il me faut 2 millions et 1/2 à 3 millions pour équilibrer le budget ordinaire des recettes et des dépenses ; je vous demande, à cet effet, la loi sur les successions. Cette loi votée, tenant en réserve une série plus ou moins longue de travaux publics à exécuter (et je crois que la liste déjà longue en 1848 le sera beaucoup plus encore en 1851), je viendrai demander alors d'autres impôts pour une somme indéterminée, et il faudra bien ou que les travaux publics ne se fassent pas ou que j'obtienne d'autres impôts encore inconnus.
Aujourd'hui, messieurs, comme l'autre jour, je dois m'élever contre cette manière de discuter la question financière. Dans tous les pays constitutionnels, lorsque le gouvernement demande un impôt, il expose un système complet, il fait connaître l'étendue des ressources dont il a besoin, la nature de ces ressources et les besoins auxquels il entend les consacrer.
Je le répète, messieurs, la première de toutes les questions dans ce débat, c'est de savoir quel est l'impôt préférable, au point de vue de tous les intérêts de la nation. Eh bien, pour moi, j'ai une opinion formée à cet égard : je dis qu'avant de créer de nouveaux impôts, en supposant que la nécessité en soit démontrée à l'évidence, il faut s'attacher à faire produire aux impôts existants tout ce qu'ils peuvent produire. J'ai pour cela une raison que j'appellerai politique ou, pour mieux dire, je l'appellerai nationale : c'est par l'impôt que le gouvernement est le plus en contact avec les populations ; les droits politiques, malgré le libéralisme de nos institutions, ne peuvent pas être conférés à tous, tous n'y sont pas sensibles ; mais l'impôt, c'est l'affaire de tous, dès que vous touchez à l'impôt, c'est la fibre de tous que vous faites vibrer. Or, il ne faut pas se le dissimuler ; si la Belgique, à part les considérations morales, a acquis une grande force nationale, si elle a résisté à la crise de 1848, si elle est forte encore pour l'avenir, à quoi cela tient-il ? Cela ne tient pas seulement à la satisfaction des intérêts politiques, mais aussi, dans une large mesure, à la satisfaction des intérêts matériels, et en premier lieu à la douceur du régime de l'impôt, à la modération des impôts. Ne changeons pas légèrement cette situation.
Cherchons, messieurs, sans vouloir froisser les habitudes, sans inquiéter les intérêts, cherchons avant tout si, dans les impôts existants, notamment ceux que l'on paye sans en avoir le sentiment, comme les produits du chemin de fer, qui sont la rémunération d'un service rendu, si, dis-je, dans ces impôts nous ne pouvons pas trouver des ressources qui nous dispensent de courir les dangers d'une aggravation d'impôts. Recherchons, par exemple, si nous ne pouvons pas trouver des ressources dans l'exécution de la loi sur la contribution personnelle, ou par une révision de cette loi, en ne froissant pas les habitudes existantes ou en touchant très peu à ces habitudes, qui, selon certains financiers, forment à peu près 50 p. c. du recouvrement de l'impôt.
Examinons s'il ne vaut pas mieux encore, dans les circonstances où nous sommes, demander des produits aux impôts indirects, plutôt que de demander ces produits à un impôt de la nature de celui que nous discutons aujourd'hui.
Je crois, quant à moi, que si la nécessité de nouveaux impôts était pleinement démontrée, ce serait plutôt aux impôts indirects proprement dits qu'il faudrait s'adresser et non pas à l'impôt qu'on nous propose aujourd'hui.
J'ai entendu parler, par exemple, de modifications qui altéreraient singulièrement le régime de douceur, de modération de nos impôts. Ces propositions, je les ai combattues à une autre époque, lorsqu'il s'agissait, pour les tabacs, par exemple, d'appliquer le régime de l'accise à toute une population ; j'ai attaqué ce système par les mêmes considérations que je fais valoir en ce moment.
Il faut conserver dans ce pays, au point de vue de sa nationalité et de tous ses intérêts, un régime qui ne force pas le contribuable à être sans cesse en contact avec le fisc, un régime qui soit approprié, non seulement à nos idées, mais à nos mœurs et à nos habitudes.
Messieurs, un mot encore sur les travaux publics qu'on propose.
Assurément tous les travaux publics qu'on a exécutés, tous ceux qu'on peut proposer encore ont en eux-mêmes de l'utilité ; ils trouveront dans cette enceinte et en dehors de cette enceinte un appui sympathique dans telle ou telle localité. Mais, messieurs, il en est un grand nombre, et cela s'explique, parce qu'on a tant fait de travaux, il en est un grand nombre parmi ceux qu'on a en projet, qui jetteront, s'ils sont exécutés, une profonde perturbation dans notre économie financière, parce qu'ils seront improductifs.
Ainsi, par exemple, d'après le tableau de l'extraordinaire, nous avons consacré des sommes importantes à racheter le canal de Charleroy et la Sambre, à créer le chemin de fer, à créer des canaux qui donnent des produits dans notre budget ou qui indirectement, en améliorant la situation d'une grande partie du territoire, viennent aussi apporter leur contingent directement ou indirectement à votre budget ; mais notre situation ne serait pas telle que je viens de la définir, si depuis 1830, nous avions créé même seulement la moitié des travaux qu'on a exécutés, si ces travaux avaient été improductifs.
Et ici je m'explique très franchement : en 1847, j'ai, dans cette enceinte, soutenu, comme ministre des finances, une lutte très vive (et je n'ai réussi, je pense, qu'à la majorité d'une voix), pour empêcher que la chambre ne prît une décision qui devait avoir pour conséquence l'exécution par l'Etat de la dérivation de la Meuse et l'exécution du chemin de fer de Bruxelles sur Gand par Alost.
Le principal motif de mon opposition, c'était d'abord que la chambre qui allait être soumise à uee épreuve électorale, n'avait pas le droit, selon moi, de faire une traite sur l'avenir, sans faire les fonds à l'échéance.
Il y avait un autre motif ; c'est que ces travaux que, pour nous y engager, on réduit aujourd'hui modestement à 8 ou 9 millions, devaient, selon un devis, si ma mémoire est fidèle, coûter 14 ou 15 millions...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jamais !
M. Malou. - Il ne faut pas dire jamais, en matière de travaux publics ; car sans sortir de l'arrondissement de Liège, je vais citer le fait du devis d'un travail qui ne s'est pas exécuté dans le lit de la Meuse, mais à côté du lit de la Meuse. En 1845, j'ai, pour d'autres motifs, proposé l'ajournement de l'exécution du canal latéral à la Meuse, proposée par mon honorable ami M. Dechamps, alors ministre des travaux publics...
M. Delfosse. - Quand il s'agissait de travaux pour Liège, vous combattiez toujours.
M. Malou. - Je n'ai pas toujours combattu, puisqu'on m'accuse d'avoir beaucoup trop fait ; au reste, je me borne simplement à rappeler et à expliquer l'opinion que j'ai énoncée en 1845.
Je disais donc qu'en 1845, lorsque mon honorable ami M. Dechamps était ministre des travaux publics, j'ai demandé l'ajournement de l'exécution du canal latéral à la Meuse. L'on nous rassurait alors en disant qu'on ne dépasserait jamais le devis ; on disait que 3,500,000 francs devaient suffire pour l'exécution de cet ouvrage d'utilité publique, et aujourd'hui, dans le tableau de l'extraordinaire, nous trouvons ce canal porté pour une somme de 7,690,000 fr. (Interruption.) Je prends le chiffre produit par M. le ministre des finances, pour n'avoir pas de contestation.
M. Delfosse. - Tout à l'heure, vous parliez d'un devis fait et s'élevant à 14 millions.
M. Malou. - Je citais ce chiffre de 14 millions d'après mes souvenirs.
Lorsqu'il s'agit d'un travail beaucoup plus difficile, plus incertain, où il y a beaucoup plus d'imprévu que dans la construction du canal latéral, on est en droit de conjecturer qu'un devis, annoncé à une somme de 8 à 9 millions, pourra s'élever à 14 millions.
Voici donc ma majeure établie. Il peut s'agir là d'un travail d'utilité publique, disons de 12 millions ; je me demande quel sera le produit direct de cette entreprise pour votre trésor.
Vous avez, quant aux péages sur la Meuse, un régime international établi par les traités. Il ne dépend pas de vous de le modifier. Ainsi, l'industrie que je voudrais pouvoir favoriser, mais que l'on ne peut pas favoriser dans telle localité aux frais de tous les contribuables ; l'industrie de la belle vallée de la Meuse obtiendra un avantage considérable, sans que vous puissiez en obtenir dans votre budget une rémunération quelconque. Supposez, par exemple, que le mouvement actuel soit quadruplé, ou même décuplé, et vous n'aurez peut-être pas encore, en produit net un 1/2 p. c. du capital que vous aurez engagé dans ce travail.
Pour les travaux publics qui sont annoncés, qui restent à faire, pour celui-là, entre autres, nous n'avons pas de grandes chances de maintenu !e système qui nous a permis, sans aggraver sensiblement les impôts, de consacrer aux travaux publics plus de la moitié de notre dette.
(page 1306) En 1847, il s'agissait d'une ligne de chemin de fer qui est selon moi, concurrente à notre chemin de fer ; il s'agissait de l'exécuter aux frais de l'Etat, parce que, dans l'opinion du cabinet d'alors, cette ligne n'était pas concessible.
Encore une fois, si la chambre entre dans le système où l'on semble la convier aujourd'hui, vous pourrez très gravement altérer la situation de vos finances,.
J'ai encore à présenter une observation sur ce point.
En 1845, le cabinet avait commis la faute de présenter simultanément un grand nombre de travaux publics ; cette faute n'était pas aussi grande que celle qui a été commise dans le même sens en 1848, parce que le chiffre était moins considérable en 1845.
M. Veydt. - Je demande Ja parole.
M. Malou. - Je crois, messieurs, que si le gouvernement continue à suivre la même voie, nos finances seront encore plus compromises dans l'avenir, parce qu'il se fait involontairement une espèce une coalition d'intérêts pour l'exécution des travaux publics, et les frais de ces coalitions, par qui sont-ils payés en définitive ? Ils sont payés par le trésor public.
Qu'arrive-t il encore en pareille circonstance ? C'est, par exemple, qu'il s’agira, comme on l'a déjà dit, de donner des canaux à ceux qui en ont pour donner des chemins de fer à ceux qui en ont, mais non à ceux qui par circonstance, par la fatalité de leur position, peuvent être considérés comme les déshérités du budget extraordinaire des travaux publics. Je ne crains pas d'être mauvais prophète en disant qu'ils n'auront encore rien où très peu de chose.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Attendez !
M. Malou. - M. le ministre me dit : attendez les propositions ; si elles doivent se présenter telles qu'elles m'apparaissent, je désire les attendre longtemps. J'en parle ici parce que les travaux publics se rattachent à la question financière et qu'on ne peut pas traiter l'une sans dire un mot de l'autre.
L'inopportunité de la création de nouveaux impôts est pour moi évidente, aussi bien que l'inopportunité du vote de grands travaux publics.
Le vote que la majorité a émis récemment a frappé, il ne faut pas le méconnaître, le moral de l'armée ; ce vote a du moins créé un doute sur l'existence, sur le maintien de cette grande force nationale dans son état actuel.
C'est dans un pareil moment, quand ce doute n'est pas levé, quand les questions qui peuvent s'y rattacher ne sont pas résolues, que vous iriez créer un budget extraordinaire de travaux publics et de nouveaux impôts !
Indépendamment des ressources qu'on peut trouver dans les impôts actuels, et dans l'exploitation des chemins de fer, il y a peut-être encore quelque chose à faire : c'est de supprimer successivement le budget extraordinaire, le budget anormal qui a été constitué pendant ces dernières années au département de l'intérieur, c'est de réduire le fonds roulant des 4 millions 300 mille francs ; nous avons pu être très faciles pour le vote de ces crédits avant qu'on nous eût parlé de créer de nouveaux impôts ; maintenant il n'en est plus ainsi : nous trouverons peut-être encore à réduire une partie des dépenses facultatives du budget de l'intérieur... (Interruption). Quand nous serons à la discussion de ce budget, je me réserve de soutenir cette opinion en l'appliquant à certains chiffres.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas de notre invention.
M. Malou. - Mais vous avez donné à ces dépenses un développement et un caractère qu'elles n'avaient pas. Ainsi, pour la question du fonds roulant, l'honorable M. de Theux avait demandé un fonds roulant de 500 mille francs, aujourd'hui nous sommes arrivés à 4 millions 300 mille francs.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez demandé trois millions et demi en deux années.
M. Malou. - Oui, pour la crise des subsistances, et ce n'était pas un fonds qui pouvait être réemployé. Non seulement il y a une différence quant aux chiffres, mais la somme a été donnée à des communes, à des institutions publiques, tandis qu'aujourd'hui, le subside s'est en quelque sorte individualisé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est inexact.
M. Malou. - Messieurs, j'ai usé trop longtemps de la bienveillante attention de la chambre ; je termine par cette réflexion qu'avant de demander le nouvel impôt sur les successions, il serait extrêmement utile, pour éclairer la conscience de chacun de nous, que M. le ministre des finances établît non seulement le déficit normal qui existe selon lui, mais l'ensemble du système financier dont nous abordons en ce moment la discussion.
M. Dumortier. - La loi que nous discutons, présentée en 1849, avait été ajournée et paraissait même abandonnée ; la plupart des membres n'ont pas le rapport de la section centrale sur lequel la discussion doit s'établir, je demanderai qu'on veuille bien en mettre des exemplaires à la disposition des membres qui pourraient en avoir besoin.
M. Thiéfry. - Tous les membres qui en ont demandé en ont reçu.
M. le président. - M. Lelièvre a déposé un amendement ainsi conçu :
« Art. 1er. Il sera perçu, à titre de droit de succession, sur la valeur de tout ce qui, après déduction des dettes mentionnées en l'article 12 de la loi du 27 décembre 1817, sera recueilli ou acquis en ligne directe au-delà de la portion ab intestat dans la succession d'un habitant du royaume, un impôt de cinq pour cent. »
- Cet amendement sera imprimé et distribué.
La séance est levée à 5 heures.