(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1063) M. Ansiau procède à l'appel nominal à midi et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Gérard demande que le gouvernement ordonne une enquête sur les faits qu'il a signalés dans sa pétition tendante à faire annuler la résolution du conseil communal de Mabompré, en vertu de laquelle il a été suspendu de ses fonctions d'instituteur communal. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Destriveaux dépose un projet de loi de naturalisation.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le met à l'ordre du jour à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.
M. Allard, rapporteur. - La chambre a renvoyé à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, avant les vacances de Pâques, plusieurs pétitions tendantes à ce qu'il soit pris des mesures pour relever l'industrie linière.
Ces pétitions ont été adressées à la chambre par des habitants d'Ouckene, de Rumbeke, de Roulers, de Rolleghem-Capelle, d'Ousselghem, d'Ardoye, d'Ave-Capelle, etc., etc. En analyser une, messieurs, c'est les analyser toutes, la même rédaction ayant servi à toutes ces pétitions :
« Les exposants, alarmés par la crise qui se manifeste depuis quelque temps dans l'industrie toilière, signalent à la chambre l'état de souffrance où se trouve la masse de la population ouvrière.
« Malgré le bas prix des denrées alimentaires, malgré un hiver sans rigueur qui diminue les besoins du pauvre, les tisserands et les autres ouvriers employés à cette industrie se trouvent réduits à l'état le plus voisin de la misère, par suite du manque de travail. »
Les pétitionnaires terminent en disant qu'on cite plusieurs causes de ces maux, qu'on indique plusieurs remèdes, et ils se taisent et sur les causes du mal et sur les remèdes à y apporter ; ils abandonnent à la chambre le libre choix des moyens propres à relever l'industrie et à lui éviter des fluctuations fréquentes et ruineuses.
La commission des pétitions regrette, messieurs, l'arrivée de ces nombreuses pétitions ; à la veille du renouvellement du traité avec la France, elle pense qu'il y a imprudence à organiser un pétitionnement général pour cet objet ; elle vous propose le renvoi de ces pétitions à MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères.
M. Rodenbach. - Messieurs, depuis le 12 mars 1851, il nous arrive pour ainsi dire tous les jours des pétitions de la Flandre. De notables habitants, les conseils communaux et les malheureux tisserands font connaître l'état dans lequel se trouve l'industrie linière. La crise est très grande et les ouvriers se trouvent sans travail J'ai été à même, encore aujourd'hui de parler à une autorité qui vient des Flandres et qui m'a appris que les trois quarts des ouvriers sont sans ouvrage dans l'arrondissement de Roulers, et par conséquent dans la misère, malgré le bon marché des vivres. Si le manque de travail continue, il faudra bien que le gouvernement songe à établir une société d'exportation. (Interruption.) C'est mon opinion, et j'ai le droit de l'exprimer.
Les précédents ministères avaient préparé un travail sur cet objet et on s'en est occupé en section centrale. Quelques représentants avaient même conçu un plan où le gouvernement n'aurait dû que garantir un minimum d'intérêt, sans fournir des capitaux. Lorsque les ouvriers sont sans ouvrage, lorsque les tisserands, accablés de famille, sont dans le besoin, je crois qu'il est du devoir du gouvernement d'examiner les doléances et de faire une enquête sur les lieux ; je le répète, le gouvernement devra trouver les moyens de venir au secours des Flandres, sans cela il nous arrivera journellement des pétitions.
Je n'en dirai pas davantage, puisque les pétitions seront renvoyées à MM. les ministres des affaires étrangères et de l'intérieur. Je prie seulement MM. les ministres d'examiner attentivement la question et de prendre en considération les plaintes des pétitionnaires, qui ne sont nullement exagérées. Il y a quelques années aussi, on déniait ce que nous avions le courage d'exprimer à la chambre, et quelque temps après on a vu, chose inouïe dans un pajs comme la Belgique, des malheureux mourir de faim. Oui, messieurs, dans un pays éminemment riche comme le nôtre, des infortunés sont morts d'inanition dans les Flandres !
J'appuie de nouveau de toutes mes forces et de tout mon pouvoir le renvoi de toutes ces requêtes au gouvernement, en l'invitant d'examiner mûrement la demande des pétitionnaires, et de la prendre en sérieuse considération.
M. Allard, rapporteur. - Je ne crois pas avoir dit que les plaintes des pétitionnaires fussent exagérées.
M. Rodenbach. - Je n'ai pas dit cela.
M. Allard. - J’ai dit que la commission regrettait ce pétitionnement organisé, et il l’est évidemment, car toutes les pétitions sortent du même moule ; eh bien, j’ai dit qu’il est dangereux d’organiser un pétitionnement semblable.
M. Rodenbach.- Vous ne pouvez pas nier la crise.
M. Allard, rapporteur. - Je ne la nie pas.
Mais je dis que c'est un petitionnement qui est organisé, car les pétitions sortent toutes du même moule ; et que c'est une imprudence.
M. Rodenbach. - Quand on a faim, on n'est pas prudent.
M. Cumont. - Messieurs, j'ai besoin de dire quelques mots à la chambre, parce que le gouvernement pourrait être induit en erreur sur la véritable situation des faits. Le mal existe réellement, c’est en conséquence de ce mal qu'on a songé peut-être (je n'en sais rien) à organiser un pétitionnement, comme on paraît le croire. J'appelle l'attention la plus sérieuse du gouvernement sur cet état des choses, car je le repète, le mal est très réel et augmente tous les jours ; il existe non seulement dans la Flandre occidentale, mais dans le district d'Alost et d'autres districts de la Flandre orientale. L'affaire est beaucoup plus sérieuse qu'on ne pourrait le croire. Si nous étions au commencement de l'hiver, comme nous sommes heureusement au commencement de l'été, nous pourrions avoir à craindre une crise très fàcheuse pour l'industrie.
M. le Bailly de Tilleghem. - J'ai demandé la parole pour appuyer les observations faites par les honorables MM. Cumont et Rodenbach, et demander le renvoi de ces pétitions au gouvernement en en recommandant l'objet à sa plus vive sollicitude.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on connaît toute la sollicitude du gouvernement pour les Flandres ; elle s'est manifestée par des actes nombreux et efficaces. En d'autres circonstances, il y a même très peu de temps, on a rendu hommage aux efforts du gouvernement qui a eu le bonheur d'améliorer une situation qui inspirait tant d'inquiétudes. Des primes avaient été accordées. A une première époque, fixée pour l'expiration de ce genre de subsides, le gouvernement a cru devoir prolonger un état de choses qui était tout à fait exceptionnel et contre lequel un grand nombre de membres dans cette chambre, et l'honorable M. Coomans particulièrement, ont protesté.
M. Coomans. - Certainement ; la protection, c'est du socialisme, avez-vous démontré.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si c'est sous ce rapport que l'honorable membre veut traiter la question, je crois que les observations qu'on présente en ce moment ont un caractère particulier d'opportunité, en présence de la discussion à laquelle nous nous sommes livrés. Il ne faut pas que l'Etat intervienne, a-t-on dit tous ces jours passés ; mais au moindre danger plus ou moins réel, vous voyez immédiatement des réclamations arriver, et ceux-là qui font une si vive opposition au projet que nous discutons, se préparent à soutenir que l'Etat doit immédiatement intervenir. L'honorable membre pourra, si cela lui convient, faire ressortir cette contradiction.
Ce que je voulais dire, c'est que le gouvernement ne cesse pas de se préoccuper de la situation des Flandres, qu'il y est attentif ; que toutes les mesures qu'il croira devoir prendre, il les prendra ; que toutes les mesures qu'il y aura lieu de proposer à la législature, il les proposera.
Mais je tiens à constater devant la chambre et devant le pays que ce malaise que l'on signale se révèle précisément au moment où les primes viennent à cesser. Un certain nombre de personnes qui ont joui de ces primes, en ont réclamé d'une manière plus ou moins vive, plus ou moins instante la continuation.
Le gouvernement n'a pas cru qu'il fût nécessaire de prolonger encore ce mode d'intervention tout à fait exceptionnel qui ne peut se justifier que par de graves circonstances. La chambre, saisie de pétitions émanées des intéressés, a exprimé son opinion, et a déclaré qu'il n'y avait pas lieu à accorder encore ces primes ; le gouvernement s'est conformé à cette résolution de la chambre. C'est après cela que s'est déclaré ce petitionnement évidemment organisé et sur une vaste échelle ; c'est ce qui est démontré par les pétitions mêmes qui émanent toutes de la même source. Il ne faut pas que l'on exagère cette situation, ni qu'on se laisse induire en erreur par une agitation dont la cause principale paraît assez manifeste. Le gouvernement s'éclairera au surplus sur les faits avant de prendre une détermination.
M. David. - Je ne suis pas de ceux qui croient que les primes d'exportation et les sociétés d'exportation viendront en aide aux souffrances des Flandres. Je pense que si ces provinces voulaient quelque peu progresser encore dans leur industrie, leur position s'améliorerait considérablement.
Pendant que les Flandres se plaignent, nous voyons par le Moniteur d'aujourd'hui qu'en Angleterre, en 1850, les exportations d'objets fabriqués ont été de 193 millions plus fortes qu'en 1849, et de 252 millions plus fortes qu'en 1848.
(page 1164) Je pense donc que c'est plutôt à l'infériorité de la fabrication dans les Flandres que le malaise est dû, et je conseillerai aux personnes qui veulent du bien à cette importante contrée d'engager les filatures à améliorer leurs produits, et surtout à se constituer en filatures travaillant à façon le lin qui leur serait confié pour être transformé en fil.
M. de Haerne. - On a souvent discuté dans cette chambre l'opportunité de l'intervention du gouvernement dans les affaires industrielles et commerciales. Ces jours derniers, on en a parlé encore à satiété.
J'ai eu l'honneur de dire plusieurs fois à cet égard que je n'avais pas de principes absolus. Je dois avouer que si l'on adoptait en cette matière des principes absolus, il faudrait dénier l'action du gouvernement en toutes choses ; ce qui ferait tomber l'Etat dons une véritable anarchie. Aussi l'intervention du gouvernement peut être admise dans bien des cas. C'est une question qu'il faut résoudre d'après la pratique, d'après ce qui se passe chez tous les peuples. Je ne crains pas de passer pour socialiste, lorsque je le suis avec toutes les nations passées et présentes.
En parlant de ce principe, je ne crains pas de dire que le gouvernement a été imprudent en retirant brusquement la totalité des primes.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On n'a pas agi brusquement. Les avis n'ont pas manqué.
M. de Haerne. - Je ne le conteste pas ; mais toujours est-il qu'on a supprimé d'un trait les primes en totalité, tandis qu'on aurait dû, selon moi, les supprimer graduellement. Voilà ce que j'aurais désiré. C'était le vœu de l'industrie en général, d'autant plus que, comme l'a dit l'honorable rapporteur, nous sommes à la veille du renouvellement des traités avec la France et avec la Hollande où nous exportons aussi des toiles en quantité assez considérable et avec le Zollverein. La continuation d'un système de primes favorisant nos exportations dans d'autres pays que ceux que je viens de nommer, nous donnerait de la force dans nos négociations avec ces derniers.
Dans cet état de choses, il me semble qu'il aurait fallu conserver le système des primes, non pas dans leur intégralité, mais dans de certaines proportions. Ainsi j'aurais d'abord réduit les primes de 12 à 9 p. c. pour les diminuer ensuite graduellement encore et arriver ainsi prudemment à l'extinction des primes ; car nous sommes tous d'accord que le système des primes est un système exceptionnel, qui ne doit pas être définitivement conservé.
J'aurais donc voulu que ce système fût partiellement continué d'après les besoins, et surtout qu'il ne fût pas entièrement retiré en présence des pertes que nous pourrions essuyer par suite du non-renouvellement éventuel des grands traités que nous avons avec l'étranger, avec ces pays vers lesquels se font nos principales exportations en toiles. Et puis, comme je viens d'avoir l'honneur de le dire, il fallait, par le maintien d'une certaine prime, augmenter nos débouchés d'outre-mer, pour nous donner plus de forces dans les négociations prochaines.
Messieurs, l'honorable ministre des finances disait tout à l'heure que le gouvernement a porté toute sa sollicitude sur les intérêts des Flandres et particulièrement sur la question linière. Je ne veux pas contester que le gouvernement n'ait fait quelque chose à cet égard. Mais puisqu'on parle ainsi, je dois renouveler les plaintes que j'ai fait entendre précédemment quant à nos relations avec la France.
En effet, messieurs, les choses restent toujours dans le même état, c'est-à-dire que la douane française continue à saisir, comme crémées, des toiles qui sont reconnues comme toiles écrues ; on les soumet au droit des toiles blanchies.
Dernièrement M. le ministre des affaires étrangères, que j'ai interpellé sur ce point, nous a dit que la question était changée. J'avoue que la question était diplomatiquement changée. Il y avait une intervention du gouvernement que je dois croire avoir été bien accueillie à Paris. Mais les faits restent toujours les mêmes, et en dépit de la déclaration de notre gouvernement, en dépit de la lettre envoyée par le ministre aux chambres de commerce, par laquelle il annonce que les échantillons soumis à l'examen de la commission française avaient été jugés écrus, on continue à saisir. Des personnes m'ont dit qu'elles avaient expédié non seulement des toiles similaires, mais identiquement les mêmes toiles sur lesquelles la commission de Paris avait opéré à Courtray ; et ces toiles ont été saisies. Je ne vous parle pas seulement de ma localité, je vous citerai une maison de Bruges qui, pour s'assurer si telles toiles pouvaient être expédiées comme toiles écrues, a envoyé des échantillons à Paris.
On a répondu que les échantillons étaient envisagés par la commission de Paris comme écrus et que l'on pouvait expédier ; sur cette assurance, on expédie 80 pièces de toiles, toutes sont saisies. Ceci se passait au mois dernier, c'est-à-dire 8 mois à peu près après les premières saisies. La douane française a déclaré de plus au mois dernier qu'elle n'avait pas reçu d'instructions relativement au différend, et qu'elle ne laisserait pas suivre sous cautions, comme elle l'a fait précédemment, les toiles en contestation.
Je demande, messieurs, si assez de pareils faits, après les plaintes qu'ont fait entendre les chambres de commerce et les industriels, dont les intérêts ont été gravement lésés, nous ne pouvons élever la voix et réclamer contre cet état de choses, qui tend à paralyser le commerce dans l'intérêt de quelques fabricants français.
M. de Perceval. - On négocie.
M. de Haerne. - On négocie ; mais voilà bien longtemps qu'on nous parle de ces négociations, et j'ai le droit de dire qu'il reste quelque chose à faire, puisque les griefs dont nous nous plaignons subsistent toujours, que nous sommes toujours dans le même état.
Ici je réponds particulièrement à ce que disait tout à l'heure M. le rapporteur, savoir qu'en présence du renouvellement du traité à négocier avec la France, il serait à désirer que l'on cessât les réclamations sur lesquelles il vient nous faire un rapport.
Messieurs, tous les faits dont je viens d'entretenir la chambre sont connus dans nos environs, et voilà ce qui pousse un peu les industriels à organiser ce pélitionnement. Je ne dis pas qu'il faut organiser des pétitionnements ; mais je dis que cette organisation, si organisation il y a, s'explique naturellement, d'abord par le malaise qui se manifeste dans les Flandres, malgré le bon marché des vivres, et ensuite par les entraves que le commerce des toiles rencontre depuis quelque temps du côté de la France. J'engage donc fortement le gouvernement à faire de nouveaux efforts pour faire cesser ces entraves. Je l'engage à se pénétrer des conseils que nous venons lui donner sur la nouvelle crise linière, et à employer les moyens les plus efficaces pour y porter remède.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je trouve les observations présentées par l'honorable M. de Haerne fort imprudentes dans les circonstances où nous nous trouvons. La chambre sait que des négociations ont été ouvertes à la suite des saisies de toile qui ont été faites comme ne rentrant pas dans les conditions déterminées par le traité. La chambre sait également que sur les vives instances du gouvernement, le gouvernement français a consenti à soumettre les toiles à une expertise particulière et a même consenti à envoyer des agents sur les lieux pour constater si en réalité les toiles avaient les qualités admissibles. Le rapport a été favorable. Le gouvernement français n'a cependant pas encore pris de détermination...
M. de Haerne. - Voici une lettre du ministère par laquelle on annonce aux chambres de commerce qu'une décision est intervenue. C'est ce qui a engagé les industriels à expédier.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a annoncé que l'expertise avait été favorable, qu'on avait reconnu que les réclamations des fabricants belges étaient fondées. On se croyait par conséquent autorisé à penser que dès ce moment il n'y aurait plus aucune espèce de difficulté. Cependant une difficulté est survenue ; de là, nouvelles réclamations de la part du gouvernement, et j'apprends de mon collègue le ministre des affaires étrangères, qui entre en ce moment, qu'on vient de recevoir l'avis que le gouvernement français a fait droit à nos réclamations.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je regrette de ne pas m'être trouvé à la séance lorsque l'honorable M. de Haerne a présenté ses observations à la chambre.
Je crois que l'honorable membre pense qu'aucune détermination favorable n'a été prise par le gouvernement français en ce qui concerne les toiles...
M. de Haerne. - J'ai dit que l'intervention du cabinet belge avait été bien accueillie à Paris, mais qu'il était à regretter que malgré toutes les démarches faites, les faits étaient restés les mêmes, que les saisies s'opéraient toujours.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Les faits ne sont pas restés les mêmes, attendu qu'on a obtenu du gouvernement français l'envoi à la douane d'un nouveau type, pareil aux toiles saisies précédemment. Voilà le résultat obtenu. Mais quelques difficultés se sont élevées entre différents départements ministériels en France, et de là il est résulté un retard dans l'envoi du nouveau type à la douane française.
Dans l'intervalle, des toiles ont de nouveau été saisies ; on prétend que ce sont des toiles plus blanches que le type des toiles crémées. C'est une question de fait. Mais le résultat n'en est pas moins atteint, c'est qu'un type nouveau semblable aux toiles saisies en premier lieu a été envoyé à la douane française, et nous avons dès lors tout lieu de croire que de pareilles saisies n'auront plus lieu.
Je ne crois donc pas que l'observation de l'honorable préopinant soit le moins du monde fondée. Certes il eût été préférable que la difficulté ne se fût pas présentée ; mais, dans une pareille question, où il s'agit d'apprécier des nuances, de juger du plus ou moins de blancheur d'une toile, on conçoit qu'il y ait des difficultés, des conflits ; d'autant plus que, d'après les traités et les précédents, l'appréciation est dévolue exclusivement au gouvernement français. Il n'en est pas moins vrai que, sur l'intervention du gouvernement belge et de sa diplomatie, on a obtenu ce qui n'existait pas jusqu'alors, c'est qu'un nouveau type est remis dans le moment actuel à la douane française, et que toutes les toiles qui seront identiquement conformes à ce type seront admises comme toiles écrues.
M. Delehaye. - M. le ministre des finances, en répondant à quelques orateurs de la droite, relativement aux primes, a appelé l'attention sur une circonstance qui n'a pas été bien expliquée. M. le ministre a fait remarquer que le pétitionnement a pris son origine à l'époque où les primes ont cessé d'être accordées. Je dis que précisément cette circonstance prouve que les réclamations ne sont pas du tout dénuées de fondement. En effet, quel était le but pour lequel les primes ont été instituées ? C’est incontestablement afin de donner du travail aux ouvriers, de déblayer le marché, d'imprimer à l'activité du pays une nouvelle impulsion. Eh bien, les primes avaient parfaitement atteint ce but ; elles avaient répondu à l'attente du gouvernement.
J'ai déjà eu l'honneur de dire à la chambre que pour ce motif je regrettais que les primes eussent été brusquement supprimées ; je le (page 1165) regrettais, bien qu'en these générale je condamne les primes tout autant que qui que ce soit. Il me semblait qu'on aurait dû opérer progressivement ; ensuite nous étions à la veille de renouveler le traité avec la France, et j'avais la persuasion intime que la suppression des primes aurait jeté un grand malaise dans les Flandres, et qu'elle devait donner lieu à de vives réclamations.
Je regrette, messieurs, tout aussi vivement que M. le ministre, que le pétitionnement surgisse en ce moment dans les Flandres. Sans doute ce pétitionnement est fondé, mais j'aurais préféré qu'il ne se fût pas produit dans le moment actuel, et j'espère que tous mes collègues des Flandres emploieront leur influence la plus grande pour arrêter le petitionnement.
Il est temps qu'il s'arrête, et en faisant entendre cette voix de la raison à ceux qui s'en occupent, on y mettra un terme. Dans le moment actuel le pétitionnement est dangereux, mais il ne faut pas se le dissimuler, il a été provoqué par un malaise réel. Que le petitionnement ne serve point de prétexte à des exigences exagérées. Je désire sincèrement, messieurs, que le gouvernement n'ait recours aux primes qu'à la dernière extrémité, mais je ferai remarquer que les plus grands adversaires du système des primes ont reconnu que l'application qui en a été faite aux Flandres n'a présenté aucune espèce d'inconvénient. Un grand nombre d'autres mesures ont été prises. Dernièrement encore la chambre a eu à s'occuper de la convention faite avec la ville de Gand ; eh bien, je dis qu'il eût été heureux pour le trésor comme pour le pays, que cette convention eût été exécutée comme elle aurait dû d'être, car le système des primes n'a jamais entraîné les inconvénients que l'on pourra signaler peut-être.
Qu'il me soit permis de répondre un mot à l'honorable député de Verviers qui s'est occupé des Flandres, et, je dois bien le dire, sans les connaître sous aucun rapport. Y a-t-il un seul pays où l'industrie ait fait autant de progrès que dans les Flandres ? M. David dit : Voyez ce qui se fait en Angleterre. Mais si l'Angleterre est parvenue au plus haut degré de prospérité, ne le doit-elle pas au système de protection qui a toujours régné chez elle et qui y règne encore ? Si l'Angleterre avait ouvert tous ses ports aux produits des autres nations, si nos industries avaient eu un libre accès au marché anglais, est-ce que l'Angleterre serait parvenue à ce haut degré de prospérité que nous lui reconnaissons ?
Eh bien, la Belgique, repoussée de l'Angleterre, repoussée même des marchés d'outre-mer, par l'Angleterre, malgré toutes les entraves, malgré tous les obstacles, malgré certain mauvais vouloir que je ne veux pas indiquer en ce moment, la Belgique, dans cet état de choses, a cependant fait faire les plus grands progrès à son industrie. Voyez l'industrie linière ; y a-t-il un pays au monde où cette industrie ait obtenu d'aussi grands succès ? Allez à Gand, visitez nos ateliers. On reste stationnaire ! dit-on ; prenez le Moniteur, et vous verrez que chaque jour le gouvernement accorde des remises de droits d'entrée pour des machines introduites en Belgique.
Aujourd'hui encore j'ai été frappé de la persistance opiniâtre des Gantois surtout, à doter le pays d'un grand nombre de machines inconnues, qui n'existent peut-être, sur tout le continent, qu'en Belgique. Et on dira que les Flandres ne font rien pour perfectionner et développer l'industrie ! Qu'on veuille donc une bonne fois se rendre dans la métropole industrielle de la Belgique, qu'on voie ce que nous avons fait depuis 1830.
Qu'on aille visiter tous nos ateliers, on verra si l'industrie a progressé dans les Flandres. Vous avez eu dans les Flandres une exposition qui date de quelques années. Cette exposition des produits des deux Flandres, comparez-la à l'exposition générale du pays, et dites-moi si cette exposition des produits de deux provinces n'égalait pas en importance l'exposition générale du pays. L'exposition générale avait précédé la nôtre seulement de quelques années, et par le résultat vous avez pu constater si l'industrie des Flandres a progressé dans l'intervalle.
Les Flandres développent assez leurs industries ; quand on examine ce qu'elles ont fait, on est convaincu qu'elles ne reculent devant aucun sacrifice pour ne pas rester en arrière des autres pays.
Il ne faut pas que les Flandres soient une cause d'entraves dans les négociations entamées avec la France. Je considère ces négociations comme très utiles, non seulement pour les Flandres, mais pour toute la Belgique et pour la France elle-même,
Nous engageons nos communes à s'abstenir, dans les circonstances actuelles, de faire des pétitions. Qu'elles sachent bien que nous ne négligerons rien pour sauvegarder leurs intérêts. Le gouvernement sait que, par suite de la suppression des primes, l'industrie est plus ou moins souffrante ; c'est un moment à passer, moment fâcheux, mais qui ne se prolongera pas. Que nos concitoyens redoublent d'efforts, qu'ils donnent à la Belgique ce nouvel exemple de patriotisme, et bientôt la crise qui les accable aura fait place à un état de prospérité que leur assurent leur génie, leur activité et leur dévouement à nos institutions.
M. de Muelenaere. - Je ne veux pas prolonger cette discussion. Je me bornerai à faire observer qu'il est un fait avéré et constant ; c'est que l'industrie linière se trouve dans un flagrant état de crise qui semble chaque jour prendre plus d'intensité. Il ne faut pas s'étonner qu'on ait eu recours au pétitionnement, et que ces pétitions soient à peu près toutes conçues dans le même sens.
M. Allard, rapporteur. - Toutes.
M. de Muelenaere. - C'est que la même crise, le même malaise, existe dans toutes les communes des Flandres. La plupart des fabricants ont été obligés de restreindre considérablement leur production. Le travail commence à manquer ; les pétitionnaires demandent qu'on aide à leur procurer du travail. Une semblable demande est trop légitime pour ne pas mériter toute la sollicitude de la chambre.
Je recommande ces pétitions à l'attention la plus sérieuse du gouvernement.
M. Lebeau. - Je ne veux pas prolonger cette discussion, s'il est bien entendu de toute part que le renvoi des pétitions aux différents ministres ne préjuge rien ; mais si on voulait donner à ce renvoi une signification quelconque, je prendrais la parole pour combattre les prétentions des pétitionnaires. Si on les appuie, je demanderai la parole pour répondre.
- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. Cumont. - J'avais quelques mots à ajouter à ce qu'ont dit mes collègues des Flandres. Ce qu'a dit l'honorable M. David prouve qu'il y a moyen d'exporter les produits des Flandres. Si nous ne le faisons pas, cela tient à notre mauvaise organisation commerciale. Je n'entrerai pas plus avant dans la discussion. Mon honorable collègue de Gand a fait voir à M. David qu'il se trompait et que l'industrie progressait dans les Flandres aussi bien qu'ailleurs.
- - Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. Dumortier. - Je demande la parole ; je ne veux pas qu'on renvoie les pétitions sans rien préjuger.
M. le président. - La clôture est demandée.
M. Dumortier (contre la clôture). - Messieurs, je ne conçois pas cet empressement de vouloir clôturer sur une question de cette importance. Veuillez, messieurs, remarquer une chose ; c'est que dans le programme du cabinet actuel, il était inscrit en toutes lettres : que la question des Flandres était une question d'Etat ; qu'il y allait de l'honneur du gouvernement de faire cesser la crise. Eh bien, lorsque le gouvernement a déclaré lui-même qu'il y allait de son honneur de faire cesser la crise, et lorsque nous voyons recommencer la crise, il me semble qu'on devrait être moins pressé de clôturer. Je demande, pour mon compte, que la discussion continue sur un objet d'une aussi haute importance.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, de l'aveu de tous les représentants des Flandres, le gouvernement a rempli ses devoirs et a tenu ses promesses dans la question des Flandres.
M. Rodenbach. - Nous protestons contre cette assertion.
- La discussion est close.
Le renvoi des pétitions à MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères est ordonné.
M. Deliége, rapporteur de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur le crédit foncier, donne lecture du rapport supplémentaire suivant. (Ce rapport n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
M. le président. - Nous reprenons la discussion de l'article 5, sur lequel il vient d'être fait un nouveau rapport.
M. Delfosse. - Comme il y a eu hier une discussion sur l'article 6, je demande qu'elle continue ; la chambre reprendrait ensuite l'article 5.
- La proposition de M. Delfosse est adoptée.
M. le président. - La discussion continue sur l'article 6 et les amendements qui s'y rapportent.
La parole est à M. Osy.
M. Osy. - Messieurs, dans toutes les occasions, lorsque je n'ai pas pu me rallier au projet en discussion, j'ai cependant franchement adhéré à la décision de la majorité, et alors j'ai apporté mon faible tribut pour améliorer la loi. C'est encore le cas pour les propositions qui ont été faites hier par les honorables MM. Cools, Dumortier et de Mérode.
Dans tout le cours du débat, M. le ministre des finances a déclaré qu'il entendait bien que le trésor ne pourrait jamais être responsable des pertes que pourrait supporter la caisse ; tous les honorables membres qui ont approuvé l'article premier ont tous parlé dans le même sens ; mais le projet du gouvernement prévoit lui-même le cas qu'il pourrait y avoir perte ; en stipulant qu'on aurait à payer trois annuités supplémentaires, il est certain que l'opinion du gouvernement est qu'il pourra y avoir perte. Je crains que, dans des circonstances données, cette perte n'aille au-delà des trois annuités qu'on réclame des emprunteurs.
Vous avez entendu, il y a peu de jours, l'honorable M. Pirmez citer un fait qui doit donner à réfléchir. Les experts nommés par les particuliers et par le gouvernement avaient évalué (c'était en 1829), une propriété à 1,400,000 francs, propriété qui a été vendue en 1840 pour 190,000 fr.
Nous savons tous que depuis 25 ans, les propriétés en Belgique ont augmenté au moins d'un tiers de leur valeur : maintenant qu'on fera des prêts sur des évaluations très élevées, nous sommes obligés de prévoir si par la suite il pourra y avoir des pertes.
Le gouvernement déclare que le trésor ne sera jamais tenu de suppléer. Mais il faut que nous insérions dans la loi une disposition, pour (page 1166) que les emprunteurs et les détenteurs des lettres de gage sachent à quoi s'en tenir. Si l'on stipule dans la loi que jamais les emprunteurs ne payeront au-delà des trois annuités, ils savent ce qu'ils ont à payer dans les plus mauvaises circonstances. Nous devons également faire connaître aux porteurs des lettres de gage à quoi ils s'exposent.
S'il y a perte, soyez persuadés que nous léguerions à nos successeurs les plus grands embarras ; en cas de déficit, on viendrait réclamer auprès du gouvernement pour qu'il le comblât.
Si ces réclamations n'avaient pas lieu, soyez persuadés que le gouvernement serait assailli de procès. Je suis convaincu que si l'on ne met pas dans la loi que le gouvernement n’est responsable de rien, vous provoquerez une foule de procès.
Comment ! la caisse est constituée et administrée par des personnes nommées par le gouvernement ; d'après une déclaration faite hier par M. le ministre des finances, les employés de son département pourront au besoin faire le travail de l'administration ; d'un autre côté, le gouvernement sera obligé de nous demander un crédit de 60,000 à 80,000 fr. pour les premiers frais, et quand une caisse se trouve dans de telles conditions, pourrait-on dire que le gouvernement n'y est pour rien ?
Soyons prévoyants, et mettons dans la loi que le trésor public ne pourra jamais être tenu de payer la différence ; alors les acheteurs des lettres de gage, sachant que le trésor n'aura jamais à intervenir, pourront faire leurs calculs en conséquence ; mais si vous n'insériez pas cela dans la loi, j'y vois un grand péril pour l'avenir de notre trésor.
Je crois qu'il serait sage d'introduire dans la loi une disposition portant que le gouvernement n'est tenu en rien. Les porteurs de lettres de gage le sauraient ; et les emprunteurs sauraient qu'ils ne sont tenus qu'à trois annuités supplémentaires, en cas de perte.
J'engage donc mes honorables collègues à adopter l'un des amendements présentés. Je préférerais celui de l'honorable M. de Mérode que je considère comme le plus clair.
Je ne puis me rallier à la proposition de l'honorable M. Lelièvre : il demande à la chambre de passer à l'ordre du jour et de déclarer que le gouvernement n'y est pour rien. Mais nous ne sommes pas seuls. Le sénat doit également statuer. Ce n'est pas par des ordres du jour motivés que nous faisons des lois : nous devons dire clairement ce que nous voulons : les porteurs sauront ainsi à quoi s'en tenir, ils n'auront pas recours aux procès-verbaux : ils ne connaîtront que la loi.
Je me rallie donc à l'amendement de l'honorable M. de Mérode ou à tout autre amendement disant clairement que l'Etat n'est pour rien dans les pertes.
M. Lelièvre (pour une motion d'ordre). - L'honorable M. De Pouhon a proposé un article final et additionnel au projet de loi, ainsi conçu : « L'Etat n'est pas responsable des lettres de gage, ni des autres opérations de la caisse. »
Cet article additionnel se rattachant à l'article dont nous nous occupons, je demande qu'il soit discuté avec la disposition en ce moment soumise à la chambre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, lorsque l'on constitue une société anonyme, est-ce que, sans qu'on l'inscrive dans les statuts, s'il y a des pertes au-delà du capital social, les créanciers éventuels ne les supportent pas ?
M. Moncheur. - C'est tout différent.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Moncheur a la liberté complète de ne pas trouver la comparaison juste, moi je la trouve juste, et je lui demande la permission de pouvoir continuer ; il entendra mes déductions et il verra où je veux aller.
Cela est de droit. Il est bien clair que si le capital social est absorbé, ces associés privilégiés n'étant tenus qu'à concurrence du capital social, il est clair que ce sont les créanciers de l'établissement qui supportent la perte. Mais pourquoi ne le dit-on pas ? Parce qu'il est inutile de le dire. Il ne peut pas en être autrement. Mais en ce qui touche la déclaration que l'on veut faire insérer dans la loi relativement à la responsabilité de l'Etat, quel effet veut-on obtenir ? Soyons sincères et de bonne foi : un effet moral fâcheux pour la caisse. (Interruption.) Voilà la pensée fondamentale.
M. Dumortier. - C'est une imputation de mauvaise intention ; le règlement les interdit positivement.
M. Delfosse. - On ne suspecte pas vos intentions.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous êtes du reste de bonne foi et vous avez d'excellentes intentions ; mais comme l'a dit l'honorable M. de Mérode, il est intéressant de démolir la loi dans les articles. (Interruption.) C'est donc là positivement ce que vous voulez, voilà le but que vous voulez atteindre ! Il faut qu'il y ait un effet moral fâcheux pour l'institution ; car en droit, il n'y a pas un homme qui puisse soutenir sérieusement que la responsabilité de l'Etat soit engagée, que quelqu'un aurait une action contre l'Etat, pour être indemnisé des pertes que l'établissement pourrait faire.
Qu'est-ce en effet que l'établissement ? C'est une association formée entre les propriétaires fonciers et les porteurs éventuels de lettres de gage. Ce n'est pas autre chose. Ce que je viens de dire serait une manière de rédiger l'article premier du projet de loi ; « Une association est formée entre les emprunteurs et les porteurs éventuels de lettres de gage. Cette association porte le titre de caisse du crédit foncier. » Voilà la société anonyme constituée ; cette société peut faire des pertes : eh bien, les tiers sont avertis, comme dans toutes les autres sociétés. On indique à l'aide de quels éléments on estime qu'ils seront à l'abri de toutes pertes.
Dans les sociétés ordinaires, on dit : L'administration sera composée de gens probes et capables qui administreront convenablement la société, de sorte qu'il est permis de croire qu'iln'y aura aucune perte. On publiera des comptes ; le public les examinera ; il saura à quoi s'en tenir. Telles sont les sûretés que l'on offre aux créanciers et aux preneurs des actions ou des obligations de la société.
Si l'intérêt que vous prenez à ces créanciers éventuels était bien sérieux, que ne devriez-vous pas faire à l'égard des sociétés anonymes qui émettent des obligations, font des emprunts sur le public, prélèvent une masse de capitaux sous la foi des promesses qu'elles font au public, et à l'aide des bilans qu'elles distribuent !
Ici l'on dit : la société est gérée de telle façon, il y aura une telle prudence, d'après la constitution même de la société, qu'il est presqu'impossible de prévoir des pertes. Cependant pour pourvoir à des pertes éventuelles, on exige 1 p. c. de tous les emprunteurs. C'est le premier fonds de réserve. On a en outre un fonds de réserve constitué par l'obligation de payer 3 annuités supplémentaires.
Veut-on des lettres de gage dans ces conditions ? Tout est dit : on accepte librement, volontairement ; on suit donc la foi des débiteurs ; on s'engage conformément aux stipulations écrites dans le contrat ; il est parfaitement inutile de stipuler que l'Etat n'est pas tenu. Il y a une foule d'établissements où l'Etat intervient d'une manière plus ou moins étendue. Vous donneriez le droit de dire, par un argument a contrario bien puissant alors que l'Etat, n'ayant pas décliné toute responsabilité, est engagé. La vérité du principe, au contraire, est celle-ci : lorsque l'Etat ne s'oblige pas, il n'est pas tenu. C'est un principe qu'il convient de maintenir dans l'intérêt public.
Messieurs, on demande s'il arrive des pertes supérieures à celles qui peuvent être couvertes par le fonds de réserve tel que je l'ai indiqué, qui devra les supporter ? Mais, c'est évident, ce sont les créanciers de la société qui supporteront ces pertes. Ceux-là auront accepté les stipulations du contrat ; ils seront détenteurs des lettres de gage sur la foi de la promesse que les emprunteurs ne seront tenus à payer que trois annuités supplémentaires. C'est là le fonds de garantie qui équivaut au capital des sociétés anonymes.
Voilà la position ; elle a été indiquée dans l'exposé des motifs.
Au surplus, pour faire cesser tous ces débats, je propose de rédiger l'article de la manière suivante :
« Les pertes sont supportées par les intéressés. Les emprunteurs sont tenus d'y contribuer à concurrence de trois annuités supplémentaires. »
M. Cools. - Messieurs, d'après la nouvelle rédaction qui a été proposée par l'honorable ministre des finances, rédaction qui me satisfait entièrement, je relire ma proposition.
M. Moncheur. - Messieurs, lorsque l'honorable ministre des finances a établi une comparaison entre les sociétés anonymes et la caisse du crédit foncier que l'on veut fonder, j'ai dit qu'il n'y avait entre les premières et la seconde aucune similitude, et il est évident que cette similitude n'existe pas.
En effet, remarquez d'abord, messieurs, que les sociétés anonymes sont administrées par des personnes nommées par la société elle-même, tandis que les administrateurs de la caisse seront nommés par le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'en est pas toujours ainsi dans les sociétés anonymes.
M. Moncheur. - C'est la règle très générale.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et la Banque ?
M. Moncheur. - Il n'y a que le gouverneur de la Banque qui soit nommé par le gouvernement. Au contraire, tous les administrateurs, tous les surveillants et tous les agents de la caisse, ou bien sont des fonctionnaires publics, ou bien sont nommés par le gouvernement ou la législature, de sorte, messieurs, que tout présente ici le caractère d'un véritable établissement de l'Etat.
Et j'insiste, messieurs, sur ce dernier point : non seulement le conseil d'administration est nommé par le Roi, mais le conseil de surveillance est composé de six personnes, dont deux sont nommées par le Roi, deux par la chambre des représentants et les deux autres par le sénat. Evidemment donc, aux yeux de tous ceux qui traiteront avec la caisse de crédit foncier, cette caisse sera réellement administrée au nom de l'Etat, car depuis le dernier des experts qui se livrera à l'évaluation de biens offerts en gage, jusqu'au conseil de surveillance, tous les agents seront nommés par le Roi ou par les deux chambres législatives.
Je dis donc, messieurs, qu'il n'y a pas réellement de comparaison à faire entre les sociétés anonymes ordinaires et la caisse du crédit foncier. On vous a parlé de la Banque Nationale ; mais c'est là un cas tout à fait exceptionnel.
Je ferai une observation sur l'amendement nouveau que M. le ministre des finances vient de présenter et qui nous satisfera au fond. Je demande s'il résulte clairement de cet amendement que les emprunteurs sont tenus les premiers à supporter la perte. On dit : La perte est supportée par les intéressés. Il faudrait dire : La perte est supportée d'abord par les emprunteurs à concurrence de trois annuités supplémentaires, puis par les prêteurs. Car c'est ainsi que les choses doivent se passer.
(page 1167) Les porteurs de lettres de gage ne supportent la perte que lorsque les trois annuités supplémentaires sont épuisées,
M. Dumortier. - Messieurs, je dois d'abord repousser vivement le reproche que nous adresse M. le ministre des finances, de ne faire de proposition que dans le but de produire un effet moral désastreux pour l'institution qu'il s'agit de créer. Messieurs, c'est là une accusation de mauvaise intention qui, si elle était fondée, serait tout à fait opposée au caractère de loyauté et de franchise que nous n'avons cessé de montrer et dans cette discussion et dans toutes les discussions de la chambre.
Je suis opposé à la loi, je vous le déclare. J'ai dit les motifs pour lesquels j'y suis opposé. Le premier, c'est que je ne veux pas que les affaires des particuliers soient gérées par l'Etat ; le second, c'est parce que je ne veux pas exposer l'Etat, le trésor public à des pertes, probables surtout dans des temps de crise ; le troisième, c'est à cause du privilège.
Mais tout opposé que je suis au projet, si je trouve occasion de faire disparaître les griefs qui font que j'y suis opposé, vous devez comprendre que c'est un devoir pour moi de chercher à le faire autant que possible.
Or, il est un point sur lequel nous paraissons tous d'accord : c'est que dans aucune circonstance, l'Etat ne doit intervenir dans le déficit éventuel de la caisse.
Le but que j'ai eu en vue, ce n'est pas de chercher à entraver l'institution, comme on l'a dit, c'est uniquement de faire consacrer dans la loi ce qui, jusqu'ici, était de simples déclarations du gouvernement.
Je repousse donc, messieurs, l'accusation de mauvaise intention ; et pour prouver combien peu il y a de mauvaise intention, je déclare que l'amendement de M. le ministre, s'il est placé dans la loi comme je vais le dire, remplacera fort bien la proposition que j'ai faite.
M. le ministre nous propose de dire : « Les pertes sont supportées par les intéressés. Les emprunteurs sont tenus d'y contribuer à concurrence de trois annuités supplémentaires. » Mais s'il arrive que les pertes excèdent les trois annuités ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien les intéressés, les créanciers, les supporteront. C'est comme dans toute société anonyme après l'épuisement du fond de garantie.
M. Dumortier. - J'aurais voulu que cela fût dit dans la loi. Je sais bien que c'est là ce que déclare M. le ministre des finances, que c'est là le droit commun. Mais nous faisons ici une loi qui est tout à fait en dehors dn droit commun.
Je demande donc que ce paragraphe : « Les pertes sont supportées par les intéressés » forme un article spécial, de manière à ce qu'il ne puisse y avoir de doute sur l'application du principe.
Voilà ce que je veux. Je ne pense pas qu'il suffise de joindre cet article à un autre concernant exclusivement les emprunteurs ; il resterait du doute sur l'irresponsabilité du trésor public en cas de perte de plus des trois annuités.
Je demande à M. le ministre des finances s'il veut consentir à faire de cette disposition, puisque par transaction, il a présenté un article destiné à donner la garantie que nous demandions...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il ne s'agit pas ici de transaction !
M. Dumortier. - Ainsi on ne veut pas de transaction ; c'est un système arrêté ; chaque fois que nous nous présentons avec un amendement, on nous répond : « Odi profanum vulgus et arceo » ! Pas de transaction ; ce mot peint toute votre politique et la caractérise. Il faut que pas un amendement venant de nos bancs soit admis, comme si nous étions des parias.
M. Delfosse. - On admet l'amendement de M. Malou.
M. Dumortier. - Ce n'est pas le ministre qui l'a admis.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous trompez.
M. le président. - M. Delfosse vient de déposer un amendement ; il propose de dire : « Les emprunteurs sont tenus de contribuer aux pertes à concurrence de trois annuités supplémentaires. L'excédant des pertes, s'il y en a, est supporté par les créanciers de la caisse. »
M. Delfosse. - Je dois un mot de réponse à l'honorable M. Dumortier. Je ne puis pas laisser dire que nous sommes résolus à repousser tous les amendements venant d'un certain côté de cette chambre. La section centrale a admis aujourd'hui même une partie des amendements de l'honorable M. Malou. C'est la meilleure réponse que je puisse faire à l'accusation de l'honorable M. Dumortier. J'ajoute que M. le ministre des finances a adhéré à cette résolution de la section centrale.
M. Dumortier. - Ce n'est pas de l'honorable M. Delfosse que j'ai entendu parler. Mais si j'avais à m'expliquer devant le pays, je demanderai combien d'amendements partis de nos bancs ont été admis depuis trois ans ; il n'en signalerait pas deux.
M. Delfosse. - Ce n'est pas notre faute.
M. Dumortier. - C'est la preuve ou de notre profonde incapacité, ou de votre minislérialisme.
M. de Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel.
- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. de Mérode. - Messieurs, en disant que j'espérais voir la loi démolie dans la discussion des articles, je n'entendais point que toute organisation du crédit foncier serait démolie, mais bien les mauvais principes contenus dans la loi ; ceux, par exemple, qui exposent les ressources financières de l'Etat déjà trop affaiblies.
L'article amendé par M. le ministre des finances me paraît maintenant rédigé d'une manière conforme aux intérêts du trésor, je retire donc mon amendement.
Si l'on faisait disparaître du projet tout ce qui est compromettant, Je n'aurais plus de motifs de m'y opposer.
M. le président. - Les amendements de MM. Dumortier, Cools, de Mérode et De Pouhon sont retirés, celui de M. Lelièvre...
M. Lelièvre. - Par suite de la nouvelle rédaction proposée par M. le minisire des finances, mon amendement devient sans objet, puisque le principe que je voulais faire prévaloir est consacré.
- L'amendement de M. Delfosse est mis aux voix et adopté.
M. le président. —Il nous reste à statuer sur le premier paragraphe de l'article ainsi conçu : « L'annuité déterminée par l'article 4 doit être payée pendant 42 années. »
- Ce paragraphe est adopté.
L'ensemble de l'article est également adopté.
M. le président. - Nous revenons à l'article 5 et aux amendements sur lesquels un rapport a été fait au commencement de la séance.
La section centrale maintient sa rédaction primitive.
M. Malou. - Il est difficile, sur la question que soulève cet article, de poser des principes absolus ; une partie des observations faites de part et d'autre ne pourront être justifiées que par l'avenir. La section centrale est d'avis qu'il y a plus de chance de donner de la fixité à la valeur des lettres de gage par la voie du tirage au sort que par le moyen que j'ai proposé. Il m'est impossible de convaincre mes adversaires sur ce point ; ils peuvent croire qu'en agissant par voie de tirage au sort de six mois en six mois sur une masse de lettres de gage, ce qui n'offre à chacune d'elles qu'une très petite chance de remboursement, l'influence de cette action sera meilleure. Je crois, au contraire, qu'en rachetant ces lettres quand elles se présentent sur le marché et en ne les tirant au sort que quand elles sont au-dessus du pair, on exercerait une plus forte influence sur le cours des lettres de gage.
L'expérience prononcera entre nous.
Quant à la division par séries, la section centrale ne s'y oppose pas d'une manière formelle, elle indique les inconvénients que cette division lui paraît présenter. Je pourrais admettre un moment que ces inconvénients sont sérieux ; mais il aurait fallu prouver que le système de la section centrale ne présente pas des inconvénients beaucoup plus graves. Or cette partie de la démonstration n'a pas été faite, elle n'a pas même été esayée.
Si des obligations peuvent rester en circulation pendant un temps illimité, si le sort peut ne les atteindre qu'après un siècle ou un siècle et demi, vous en dépréciez la valeur dans les mains des porteurs. Ne faut-il pas qu'il y ait une corrélation entre l'emprunt fait avec l'époque où la lettre de gage sera remboursée ? Vous ne pouvez laisser cette masse de lettres de gage qui pourraient être créées, et sur laquelle l'amortissement agirait au hasard. Vous serez nécessairement amenés à créer des séries, afin que l'amortissement suive d'une manière ou d'autre les prêts qui ont été faits.
Je me borne à ces observations pareeque mon amendement n'ayant pas été admis par la section centrale, je crois avoir peu de chances de le faire adopter par la chambre.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Malou est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
La discussion proposée par le gouvernement est ensuite adoptée.
M. le président. - Nous arrivons aux dispositions de l'article 6 dont la section centrale a fait un article 7.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La section centrale a conservé la rédaction du gouvernement, mais elle a divisé l'article 6 en plusieurs articles, je me rallie à cette division.
M. le président. - Voici donc l'article 7 du projet de la section centrale.
« Chaque moitié d'annuité doit être acquittée avant la fin du cinquième mois du terme semestriel.
« Toute somme non acquittée à l'échéance est passible d'un intérêt de 2 1/2 p. c. par semestre. Cet intérêt est dù pour chaque semestre commencé. »
M. Lelièvre, d'accord avec la section centrale et le gouvernement, a proposé d'ajouter : « de plein droit » après les mots : « est passible ». Il y avait un amendement de M. De Pouhon.
M. De Pouhon. - Tous mes amendements sont venus à tomber par suite de l'adoption de l'article premier du projet.
M. le président. - Il y avait ensuite un amendement de M.T'Kint de Naeyer, qui est retiré.
Enfin il y a un amendement de M. Pierre, mais il se rapporte à l'article 7 du projet du gouvernement.
La discussion est donc ouverte sur l'artile 7 du projet de la section centrale.
M. Cools. - Il est dit dans le deuxième paragraphe de cet article, que toute somme non acquittée à l'échéance est passible d'un intérêt de deux et demi p. c. par semestre. Je suppose qu'il s'agit d'un intérêt calculé a raison de deux et demi p. c. par semestre, c'est-à-dire de cinq p. c. par an. (Interruption.)
On me fait observer à mes cotés, que si l'emprunteur n'était en retard que d'un semestre, il payerait pour toute la somme due un semestre d'intérêt, c'est-à-dire deux et demi p. c. Est ce ainsi ?
(page 1168) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela.
M. Malou. - Voici comment je comprends le paragraphe. Le débiteur n'acquitte pas l'annuité à l'échéance, mais il l'acquitte pendant le semestre ; il devra payer 2 1/2 p. c. d'intérêt ; il ne l'acquitte que dans le semestre suivant, il devra payer encore 2 1/2 p. c, et ainsi de suite.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est évident.
- L'article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Entre cet article 7 et l'article 8 de la section centrale, vient une disposition nouvelle proposée par M. T'Kint de Naeyer d'accord avec le gouvernement, et qui est ainsi conçue :
« Les fonds de réserve formé de la quotité de 1 p. c. mentionnée à l’article 4 et de l'excédant des recettes sur les dépenses, est destiné à réparer les pertes résultant des opérations.
« En cas de retard de la part des emprunteurs, il est pourvu aux besoins du service au moyen de ce fonds, à charge de restitution au fur et à mesure des recouvrements. »
« Nulle autre destination ne peut être donnée au fonds de réserve que par une loi. »
M. T'Kint de Naeyer. - Messieurs, j'avais présenté deux amendements dans le but de déterminer de quelle manière le fonds de réserve serait formé et quel en serait l'emploi.
Maintenant, d'accord avec M. le ministre des finances, j'ai proposé une autre rédaction qui comprend ces deux amendements et qui forme un article nouveau. C'est cet article dont M. le président vient de donner lecture.
M. Malou. - Si je comprends bien, cela veut dire que si les opérations de la caisse présentent un bénéfice, on pourra faire une loi pour attribuer ce bénéfice au trésor. Il me semble qu'après avoir décidé que la perte serait à charge des intéressés, il faudrait aussi leur laisser la finance de recueillir le fruit d'une bonne gestion de la caisse.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement, d'accord avec la section centrale, a introduit dans l'article 4 une disposition qui précise, ce qui était aussi dans le projet primitif, qu'il existe un fonds de réserve ; ce fonds de réserve est formé de 1 p. c. payé la première année par l'emprunteur et de ce qui excédera la somme nécessaire pour opérer l'amortissement en 41 ans. Il y a quelques autres petits bénéfices qui peuvent être faits ; par exemple, du chef du payement d'un semestre d'intérêt par les emprunteurs qui seraient en retard de payer leur annuité. De ces divers chefs, il y aura donc un fonds de réserve. M. T'Kint de Naeyer propose de préciser dans la loi que le fonds de réserve sera employé à couvrir les pertes. Cela va de soi, c'est la destination de toute espèce de fonds de réserve. Cependant je n'ai pas cru devoir m'opposer à un amendement qui détermine ce qui résulte de la nature des choses.
Maintenant l'honorable membre ajoute qu'une autre destination ne peut être donnée au fonds de réserve que par la loi. L'honorable membre prévoit le cas, que dans la suite des temps, la réserve accumulée excéderait évidemment les besoins de la caisse ; dans ce cas, il y serait statué par une loi.
On pourrait supprimer ce paragraphe ; il ne resterait plus à l'article 8 que deux paragraphes.
- L'article, ainsi réduit, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous arrivons maintenant au dernier paragraphe de l'article 6 du projet du gouvernement, paragraphe qui correspond à l'article 8, du projet de la section centrale.
Plusieurs rédactions ont été successivement proposées ; il en est une dernière qui est mentionnée dans le rapport supplémentaire de ce jour, et sur lequel paraissent être d'accord et l'auteur de l'amendement, qui est M. Malou, et la section centrale et le gouvernement. Voici cette disposition :
« Tout débiteur peut rembourser par anticipation, soit en lettres dejgage, soit en numéraire, les annuités ou une partie des annuités non encore échues.
« Ces annuités seront escomptées à 5 1/4 p. c.
« En cas de payement anticipé en numéraire, le débiteur bonifiera à la caisse les intérêts de la somme payée, au taux de 4 p. c. par an jusqu'au jour où cette somme peut être appliquée au remboursement des lettres de gage. »
M. de Bocarmé. - Je propose de mettre après les mots « lettres de gage », ceux-ci : « qui seront admises au pair ». C'est dans la pensée du gouvernement et de la section centrale. Je propose d'ajouter ces mots, pour ôter tout doute, toute équivoque.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'amendement de l'honorable M. de Bocarmé est inutile ; il est bien certain que, dans ce cas, les lettres de gage seront admises au pair.
M. de Bocarmé. - Messieurs, en présence de cette déclaration de M. le ministre des finances, je n'insiste plus pour l'insertion des mots que j'ai proposés.
M. Dumortier. - Il me semble qu'en cas de non-remboursement, il serait juste que la loi portât que les droits à payer au trésor fussent perçus dans leur entier.
M. le président. - Voici un amendement discuté par M. Jacques comme paragraphe additionnel à l'article 8 de la section centrale.
« Un quarante-deuxième de la somme payée pour ce remboursement, et versé au trésor public à titre de droits d'enregistrement et d'inscription.»
M. Jacques. - Messieurs, lorsqu'on a discuté l'article 4, quelques orateurs ont paru croire qu'il y aurait exemption de droits d'enregistrement et d'inscription, si on se libérait par le rachat des annuités. Mon amendement a pour but de faire cesser le doute qu'on a exprimé sur ce point. J'admets, pour la somme à verser au trésor, la même proportion que celle qui est fixée à l'article 4 ; à cet article, on dit que quand on paye l'annuité de 5 1/4 p. c, un huitième p. c. ce qui fait 1/42 de l'annuité, est versé au trésor, à titre de droits d'enregistrement et d'inscription, comme l'article 8 permet de racheter les annuités par leur remboursement anticipé avec un escompte.
Je pense qu'il convient de dire dans un article que la somme qui est versée à titre de remboursement sera attribuée au trésor pour un quarante-deuxième, c'est-à-dire dans la même proportion que celle qui est fixée à l'article 4, lorsqu'on paye annuellement.
Je pense que c'est l'intention du gouvernement de faire prélever au projet du trésor la même quotité sur les remboursements qui se font par rachat que sur les remboursements qui se font par annuités. Je pense qu'il est préférable d'inscrire cette disposition d'une manière claire dans la loi que de l'abandonner aux instructions qui seront prises en exécution de la loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, les observations des honorables MM. Dumortier et Jacques sont sans fondement.
Dans le projet primitif, on s'était servi des expressions : « Le débiteur peut rembourser la totalité ou une partie du capital non encore amorti » ; mais j'ai proposé à la section centrale, qui a accueilli ma proposition, de rédiger en ces termes :
« Le débiteur peut se libérer par le rachat des annuités ; »
L'honorable M. Malou a ajouté que ces annuités seront escomptées au taux de 5 1/4 p. c.
M. Cools. - Messieurs, il y a dans la proposition de la section centrale, à laquelle M. le ministre des finances s'est rallié, une partie dont la rédaction pourrait être rendue plus claire. Il y est dit :
« Qu'en cas de payement anticipé, en numéraire, il bonifie à la caisse les intérêts de la somme payée, au taux de 4 p. c, par année, jusqu'au jour où cette somme peut être appliquée au remboursement des lettres de gage. »
Voici sans doute la pensée qu'on a voulu exprimer : c'est que, comme l'amortissement se fait à la fin de chaque semestre, les 4 p. c. d'intérêt continueront à être payés jusqu'au dernier jour de ce semestre. Mais lorsque nous nous sommes occupés de l'article 6, nous avons prévu toute espèce de cas qui ne se présenteront probablement pas.
Ici également des porteurs de lettres de gage ne pourraient-ils pas concevoir la crainte que dans telle ou telle circonstance l'amortissement ne fût quelque peu reculé, et qu'alors on n'eût à payer 4 p. c, non seulement pour tout le semestre courant, mais même au-delà ?
On pourrait, pour lever tout doute, dire qu'on bonifiera au taux de 4 p. c. pour tout le semestre pendant lequel le payement s'est effectué.
M. Jacques. - Messieurs, mon amendement devient inutile, en présence de la nouvelle rédaction qui a été présentée par la section centrale à l'ouverture delà séance. Comme vient de le faire remarquer M. le ministre des finances, quand on rachètera les annuités qui restent à payer, il est bien entendu que ce rachat se fera, une partie pour l’amortissement, une partie pour les intérêts dus aux prêteurs, une partie pour les droits dus au trésor, et enfin une partie pour les frais d'administration.
Je ne vois donc pas la nécessité de maintenir mon amendement en présence de la nouvelle rédaction proposée.
Je ferai remarquer cependant que je crois que l'escompte de 5 1/4 p. c. accordé à ceux qui payeront par anticipation est trop élevé. L'emprunt est calculé à l'intérêt de 4 p. c. Si vous accordez l'escompte de 5 1/4 p. c. à ceux qui voudront se libérer avant l'échéance des annuités, n'arrivera-t-il pas que celui qui, peu de temps après l'emprunt, voudrait racheter toutes les annuités qui restent à échoir, serait libéré en versant à la caisse une somme moins forte que celle qu'il en aurait reçue ?
Je n'ai pas eu le temps de faire les calculs, mais il me semble que si l'on emprunte à terme à 4 p. c. et qu'on puisse escompter à 5 1/4 p. c. les termes à échoir, il y a bénéfice pour celui qui se libère par anticipation.
M. Malou. - L'observation serait juste si l'escompte des annuités se faisait comme l'escompte commercial ; mais il ne peut pas en être ainsi. Si on appliquait l'escompte commercial aux annuités, celui qui aurait à escompter à 8 p. c. une annuité payable dans 20 ans, n'aurait qu'à échanger ses lettres et dire à son créancier : Nous sommes quittes ? s'il s'agissait d'annuités plus reculées, ce serait le créancier qui deviendrait débiteur.
Cet exemple et la pratique des établissements qui existent dans le pays, démontrent qu'on doit suivre un autre principe. Dans le commerce l'escompte se fait en prenant l'intérêt en dedans ; il en est autrement dans les établissements de crédit foncier.
On peut fixer 5 1/4 pour l'escompte, c'est ce que le débiteur doit payer.
M. le président. - M. Cools a proposé de remplacer les mots : « Jusqu'au jour où cette somme peut être appliquée au remboursement des lettres de gage » par ceux-ci : « Pour tout le semestre pendant lequel ce payement s est effectué. »
(page 1169) M. Delfosse. - L’honorable M. Cools ne fait que reprendre l'amendement auquel l'honorable M. Malou a renoncé.
La section centrale a maintenu son projet, parce qu'il est plus favorable au débiteur.
Quand le débiteur rembourse en lettres de gage, la caisse n'a plus d'intérêts à servir.
Quand il paye en numéraire, la caisse ne peut en faire emploi qu'au moment où elle a occasion de racheter des lettres de gage et elle continue, en attendant, à payer les intérêts des lettres de gage émises.
On doit bien, dans ce cas, imposer au débiteur qui se libère, l'obligation de payer une certaine quotité d'intérêts. Mais il ne faut pas que cette quotité dépasse la perte réellement essuyée par la caisse ; du moment que la caisse peut faire emploi de la somme payée par anticipation, les intérêts doivent cesser.
La proposition de la section centrale est favorable au débiteur. M. Malou, qui l'a compris, a retiré son amendement.
M. Cools. - J'ai proposé de rendre le débiteur passible des intérêts jusqu'à l'époque fixée par la loi où la somme versée par lui pourra être employée au remboursement, c'est-à-dire jusqu'à la fin du semestre. Pour que cette disposition pût lui être préjudiciable, il faudrait que l'amortissement pût se faire avant la fin du semestre, mais comme il se fait de six mois en six mois, avec les fonds reçus dans l'intervalle, ce cas ne peut pas se présenter.
Maintenant il faut prévoir celui où le remboursement pourrait être différé ; or il résulterait du texte de l'article que, dans cette hypothèse, le débiteur pourrait être tenu de payer les intérêts, non seulement jusqu'à la fin du semestre, époque régulière du remboursement, mais au-delà. Je veux porter remède à cette éventualité. A cet effet, il faut faire fixer par la loi l'époque invariable où le payement des intérêts cessera. Si vous vous bornez à dire que ce sera le jour où on pourra faire usage des fonds, il pourrait se faire que la caisse, dans le moment critique, ne saurait pas, au moment où on ferait le payement, quand ce jour arrivera et qu'il y aurait un compte à régler plus tard.
Ma rédaction lève tous les doutes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quand un emprunteur voudra se libérer en numéraire, il apportera des fonds. Il est évident que sous peine de porter préjudice à la caisse, il faut qu'il bonifie les intérêts jusqu'au moment où ce numéraire pourra être employé à l'achat de lettres de gage. On ne peut pas dire qu'il payera telle somme, parce que cela dépendra du moment où il voudra opérer son remboursement. Il payera ce qui est nécessaire pour indemniser la caisse. L'intérêt des emprunteurs sera de s'acquitter en lettres de gage, ce sera très exceptionnellement qu'ils pourront se libérer en numéraire, ce sera quand le cours des lettres de gage aura dépassé le pair ; alors ils auront intérêt à payer en numéraire ; en toute autre hypothèse ils doivent se libérer en lettres de gage.
La caisse opère le rachat par voie de tirage au sort semestriellement. Le tirage se fait six mois à l'avance ; il faut donc que les intérêts qui vont courir soient bonifiés sous peine de porter à la caisse un préjudice irréparable.
M. Cools. - D'après les explications que vient de donner M. le ministre des finances, je dois insister plus que jamais pour qu'on adopte mon amendemeut. M. le ministre invoque pour le combattre un principe qui, d'après moi, doit précisément le faire adopter. Il dit que quand le remboursement se fait d'une manière régulière, nous savons jusqu'à quelle époque l'intérêt est dû ; c'est la fin du semestre. Je l'admets, sur ce point il n'y a pas de contestation. Mais M. le ministre va plus loin, il prétend que si, par suite d’un événement quelconque le remboursement des lettres de gage devait être différé au-delà de ce terme, il serait conforme aux principes d'équité de faire intervenir l'ancien débiteur dans les pertes qui en seraient la conséquence, au moyen du payement d'une certaine quotité d'intérêts. Or c'est là justement ce que je conteste. Ce débiteur s'étant dégagé, ne peut pas être tenu pour responsable des événements qui surviennent après l'époque où il aura fait le payement.
S'il y a préjudice, ce n'est pas l'ancien porteur de lettre de gage qui n'a plus rien de commun avec la caisse qui doit en pâtir, c'est la généralité, c'est l'association qui doit courir les chances, c'est le fonds de réserve qui doit suppléer. Il y a injustice à laisser planer sur la tête de ce porteur dégagé l'éventualité de devoir encore payer des intérêts au-delà du terme il aura définitivement cessé de faire partie de l'association. Son compte doit pouvoir se régler au moment où il paye ; s'il y a perte plus tard, l'ancien porteur, qui est dégagé, ne devrait pas en être passible.
M. Delfosse. - Ne pourrait-on pas concilier les deux opinions en ajoutant quelques mots au dernier paragraphe ? On ajouterait : et sans qu'il puisse être tenu de payer plus d'un semestre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, il payera toujours plus d'un semestre. Veuillez-vous rendre compte de l'opération. La caisse ne peut opérer l'amortissement que par la voie du tirage au sort, qui a lieu semestriellement. Il faut que celui qui veut se libérer vienne verser les fonds à la caisse à temps pour qu'au moment du tirage la caisse comprenne un nombre d'obligations plus considérable dans le tirage. Maintenant que fera-t-elle des fonds du jour où on les aura déposés jusqu'au jour où on les emploiera ? Ces fonds resteront improductifs et si on n'en paye pas l'intérêt, il y aura perte pour elle ; car toute la combinaison repose sur l'emploi continuel des fonds.
Tout dépend de l'époque à laquelle on partera les fonds à la caisse. L'emprunteur choisira naturellement l’poque qui lui portera le moins de préjudice.
Mais il ne faut pas qu'il y ait perte pour la caisse.
M. Delfosse. - Je n'insiste pas sur la proposition que j'avais indiquée dans un but de conciliation ; je crois cependant que l'on aurait pu effectuer le rachat des lettres dégage, de manière à ne pas faire payer les intérêts au-delà d'un semestre ; mais puisque M. le ministre des finances y trouve des inconvénients, je n'insiste pas, cela n'a pas une grande importance.
M. Malou. - Messieurs, lorsque j'ai renoncé à la rédaction que j'avais proposée, c'était parce qu'à la section centrale on m'a fait remarquer qu'elle était plus rigoureuse que le projet. (Interruption.)
M. Delfosse. - C'était ma pensée.
M. Malou. - Quelle était la portée de ma proposition ? Qu'en aucun cas le débiteur qui se libérerait en numéraire ne fût tenu à payer plus d'un semestre d'intérêt ; et en effet la rédaction n'implique pas d'autre sens, elle implique que l'on payera l'intérêt jusqu'au jour où la caisse fera le remboursement des lettres de gage.
Si l'on exige autre chose, le débiteur n'a plus aucune garantie, qu'il ne sera pas tenu de payer indéfiniment.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En général, il sera tenu de payer 7 mois.
M. Malou. - C'est trop.
Puisque l'on n'a pas admis le tirage au sort par trimestre, il faut au moins ne pas exiger du débiteur plus d'un semestre d'intérêts.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qui supportera la perte ?
M. Malou. - Il n'y a pas de perte possible. Il y aura un tirage au sort par semestre. Je suppose que l'un ait lieu le 1er janvier, l'autre le 1er juillet. Si je verse au 1er juin, je ne perds qu'un mois d'intérêt.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais on ne remboursera que sept mois après ; il y aura nécessairement sept mois d'intérêt à payer.
M. Cools. - Je vais essayer de présenter une rédaction qui, peut-être, pourra concilier les deux opinions. Je propose de rédiger mon amendement comme suit : « Jusqu'à l'époque fixée pour le premier remboursement qui suivra le payement. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la disposition du projet.
M. Cools. - Pardon ! Je fais cesser les intérêts, à l'époque déterminée par la loi, où le fait doit se produire en temps ordinaire, tandis que le projet a le fait lui-même en vue, sans préciser une époque qui puisse servir de règle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est indubitable que toutes mesures restrictives ne peuvent être prises qu'au préjudice de la caisse. Il y aura une perte éventuelle, si on limite ; or personne ne veut que la caisse perde. Celui qui veut se libérer en numéraire doit indemniser la caisse : elle ne peut être indemnisée qu'au moyen de la disposition du projet qui porte que l'on payera les intérêts jusqu'au moment où l'on fera emploi des fonds.
Dans l'exécution, il y aura peut-être un moyen de donner des facilités aux emprunteurs ; mais il présentera aussi certains inconvénients, ce serait d'autoriser les emprunteurs à annoncer leur intention de se libérer par anticipation, de faire connaître quelle est la somme qu'ils entendent amortir. Sur la foi de cet engagement, la caisse comprendrait dans le tirage un plus grand nombre d'obligations : ainsi l'emprunteur n'aurait à payer qu'un petit nombre de jours d'intérêt.
L'inconvénient, c'est que la caisse serait exposée à ne pas recevoir les payements qui lui auront été annoncés. C'est un point qui doit être abandonné à la prudence de l'administration.
Les débiteurs, en offrant certaines garanties, pourraient être admis à annoncer leur intention d'amortir. Ainsi, l'on concilierait les intérêts des emprunteurs avec l'intérêt de la caisse.
Mais, je le répète, les versements en numéraire seront évidemment l'exception. Tout emprunteur aura intérêt à se libérer en lettres de gage, à moins qu'elles ne soient au-dessus du pair, de manière que la différence entre le pair et le prix des lettres de gage soit plus élevé que l'intérêt à payer à la caisse.
- L'amendement de M. Cools est mis aux voix, il n'est pas adopté.
L'art. 8 du projet de la section centrale est adopté avec l'amendement proposé par M. T'Kint de Naeyer, de commun accord avec le gouvernement.
Article 9 (projet de la section centrale)
« Art. 7. L'hypothèque consentie au profit de la caisse doit avoir le premier rang.
« L'emprunt en lettres de gage ne peut excéder :
« 1° Pour les propriétés bâties et pour les bois et forêts, le quart de leur valeur ;
« 2° Pour les autres immeubles, la moitié.
« Sont exclus, les immeubles par destination.
« Les bâtiments doivent être assurés contre l'incendie par une compagnie agréée par la caisse, et l'indemnité éventuelle de sinistre lui sera déléguée.
« En aucun cas, la valeur du gage hypothécaire ne peut être inférieure à 1,000 francs. »
Cet article est ainsi rédigé dans le projet de la section centrale :
(page 1170) « Art. 9. L'hypothèque consentie au profit de la caisse doit avoir le premier rang.
« L'emprunt en lettres de gage ne peut excéder :
« 1° Pour les propriétés bâties et pour les bois, le quart de leur valeur ;
« 2° Tour les autres immeubles, la moitié.
« Sont exclus : les mines, minières, carrières et les hauts fourneaux. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban), sur l'interpellation de M. le président, déclare ne pas se rallier à cette rédaction.
M. le président. - M. Jacques a déposé un amendement qui tend à ajouter au dernier alinéa de l'article de la section centrale les mots « les routes, les chemins de fer et les canaux. »
M. Jacques. - J'ai donné les développements de cet amendement dans le discours que j'ai prononcé dans la discussion générale. Je veux renforcer les précautions qu'a prises la section centrale, en n'admettant pas, pour garantie des lettres de gage, certaines propriétés qui, par leur nature, pourraient occasionner des pertes à la caisse.
La section centrale a exclu les mines, minières, carrières et hauts fourneaux. Je pense que les mêmes motifs doivent vous décider à exclure aussi de la faculté de prendre part aux emprunts sur lettres de gage les chemins de fer et les canaux.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je croyais que la section centrale avait oublié d'exclure les immeubles par destination. Mais je remarque que la section centrale a reporté la disposition que j'ai proposée à cet égard, à l'article 12 ; de manière que je suis d'accord avec la section centrale.
Quant au nouvel amendement de l'honorable M. Jacques, il ne peut être accueilli sans examen. Je ne sais si l'on doit exclure les canaux et les chemins de fer. Sont-ils susceptibles d'hypothèques ? Ce sont des propriétés sur lesquelles le gouvernement a concédé un droit de péage ; mais la propriété même n'appartient pas aux concessionnaires. Ils ont le droit de percevoir des péages ; ils peuvent disposer de ce droit ; mais ce droit lui-même est-il susceptible d'hypothèque ? Voilà quelle serait la question.
Cependant comme il s'agit d'un amendement et qu'on pourra y revenir au second vote, on peut, pour ne pas prolonger inutilement les débats, insérer provisoirement dans l'article les mots : « canaux et chemins de fer ».
M. Moncheur. - Je trouve dans l'amendement proposé par la section centrale des expressions qui ne me semblent pas très exactes.
Les mines, minières et carrières ne sont pas susceptibles d'hypothèque. Comme telles, les carrières ne le sont même jamais, parce qu'elles ne sont jamais concessibles comme carrières, et les mines et minières ne deviennent immeubles que lorsqu'il y a concession. Je crois donc que, pour être plus exact, on devrait dire : « Sont exclues les concessions de mines et de minières. »
Le sol même où des minières et des carrières existent peut évidemment toujours être l'objet d'hypothèques.
Je remarque, en outre, qu'on ne mentionne, dans l'article 7, que les hauts fourneaux, expression qui ne s'applique qu'aux usines qui traitent le minerai de fer. Mais il y a d'autres usines que celles là qui n'ont guère de valeur que pour autant qu'elles soient activées. Par exemple, les usines dans lesquelles on traite tous autres minerais que le minérai de fer, tels que les minerais de plomb, de calamine ou autres. Je crois donc qu'on devrait se servir d'une expression plus générale.
M. Allard. - Les mines, minières, carrières et hauts fourneaux sont exclus. Mais je demande si l'on ne pourra pas prêter sur des propriétés bâties qui servent à l'exploitation des mines, minières, carrières, set hauts fourneaux.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On le pourra évidemment.
M. Lelièvre. - L'amendement de l'honorable M. Jacques ne me paraît pas devoir être admis. Les rivières et les canaux sont une dépendance du domaine public et sous ce rapport, ils ne sont pas susceptibles d'être hypothéqués.
S'il est question de droits de péage, alors il s'agit d'actions mobilières ou immobilières qui, d'après les principes généraux et notamment la loi hypothécaire, ne peuvent pas être hypothéqués.
L'amendement de l'honorable M. Jacques, surtout tel qu'il est rédigé, me paraît donc inadmissible.
M. de Theux. - Messieurs, je crois que l'amendement proposé par l'honorable M. Jacques mériterait l'examen de la section centrale. Il est évident qu'il y a certaines natures de propriétés qui ne peuvent pas être utilement admises comme hypothèques dans l'intérêt de la caisse. Mais, messieurs, je ne suis pas encore disposé à croire que l'amendement de l'honorable M. Jacques doive être adopté dans son entier.
On dit que les concessions de travaux publics, les routes, les chemins de fer, les canaux, ne sont pas susceptibles d'hypothèque. Je ne suis nullement persuadé de la vérité de cette assertion. Les droits des concessionnaires d'un canal, d'un chemin de fer, d'une route, droits qui durent 90 ans, doivent être au moins l'équivalent du droit d'usufruit qui est susceptible d'hypothèque aussi longtemps que les concessionnaires remplissent leurs engagements. Ils ont un droit réel et ils ne peuvent être dépossédés qu'autant qu'ils cesseraient de remplir leurs engagements.
Et alors il y a tout au plus une clause résolutoire, quant aux droits qui ont été accordés soit par la loi soit par le gouvernement à des concessionnaires de travaux de cette nature. Est-il bien utile d'exclure de la faculté d'emprunter toute espèce de travaux publics ? C'est une question qui mérite certainement l'attention.
Ainsi par exemple, le canal de Charleroy rapportait autrefois un intérêt de 15 ou 20 p. c. Celle propriété était bien susceptible d'une hypothèque.
Le chemin de fer de Liège à Namur, d'autres travaux publics encore, ont une valeur bien réelle, et sont certainement bien susceptibles d'offrir une garantie.
Il me semble, messieurs, que la question soulevée par l'honorable M. Jacques mérite d'être examinée.
Pour moi, j'en demanderai le renvoi à la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On pourrait ne pas prolonger cette discussion qui, je pense, n'aboutira pas utilement. On peut, je l'ai déjà dit, admettre comme amendement la disposition de l'honorable M. Jacques, on y reviendra au second vote. Par conséquent, tout le monde aura le temps de l'examiner.
M. de Theux. - Si l'on est d'accord pour adopter la disposition provisoirement, je retire ma motion.
M. Jacques. - Messieurs, je ne peux pas laisser passer l'assertion de l'honorable M. Lelièvre, qu'il n'y a que des droits de concession sur les chemins de fer et sur les canaux. Il y a des chemins de fer et des canaux qui sont la propriété pleine et entière de ceux qui les ont construits.
- L'amendement de M. Jacques est adopté.
L'article ainsi amendé est adopté.
« Paragraphe 4 de l'article 7 du projet du gouvernement. Les bâtiments doivent être assurés contre l'incendie par une compagnie agréée par la caisse, et l'indemnité éventuelle du sinistre lui sera déléguée. »
La section centrale a proposé la rédaction suivante : « Les bâtiements doivent être assurés contre l'incendie par l'une des compagnies agréées par la caisse, et l'indemnité du sinistre lui sera déléguée.
« Cette délégation pourra avoir lieu par acte sous signature privée. Elle pourra être portée sur le contrat d'assurance.
« Néanmoins, si ce contrat l'exige, l'indemnité servira au rétablissement de l'immeuble ; mais, en ce cas, elle ne pourrra être versée à l'assuré qu'au fur et à mesure des travaux ; il en sera fait mention sur le contrat d'assurance. »
M. Pierre a proposé d'abord l'amendement suivant :
« Les bâtiments doivent être, au préalable, assurés contre incendie par l'une des compagnies belges agréées par la caisse.
« L'emprunteur remettra, chaque année, dans la quinzaine de l'échéance, la quittance de la prime d'assurance au bourgmestre de son domicile, qui lui en délivrera récépissé et la transmettra immédiatement, en franchise de port, à l'administration de la caisse.
« A défaut de cette remise dans le délai indiqué, la créance devient de plein droit exigible.
« L'indemnité du sinistre sera déléguée à la caisse.
« Cette délégation pourra avoir lieu par acte sous signature privée. Quelle que soit sa forme, elle devra être acceptée par la compagnie. Néanmoins, si le contrat l'exige, l'indemnité servira au rétablissement de l'immeuble ; mais, en ce cas, elle ne pourra être versée à l'assuré qu'au fur et à mesure des travaux.
« Cette réserve, la délégation et son acceptation par la compagnie pourront être portées au pied du contrat d'assurance, dont un double sera fourni à la caisse par l'emprunteur. »
Ensuite par sous-amendement, M. Pierre a proposé d'intercaler entre les mots « la compagnie » et le mot « néanmoins » du § 5 de son amendement, la disposition additionnelle suivante.
« Cette acceptation sera dispensée de notification. »
M. Pierre. - Messieurs, les modifications que je propose d'introduire au paragraphe 4 de l'article 7 ont deux buts distincts, assez importants l'un et l'autre. Le premier tend à donner à la caisse plus de sécurité en ce qui concerne la garantie de l'assurance. Toutes les compagnies, ou du moins la plupart d'entre elles, stipulent dans leurs contrats qu'à défaut par l'assure d'acquitter la prime dans la quinzaine de l'échéance, il est déchu de tout droit à indemnité, si un sinistre survient ultérieurement. Lors même que, passé ce délai fatal, l'assuré se libère de la prime, il ne rentre dans la plénitude de ses droits que vingt-quatre heures après sa libération. C'est encore là une autre stipulation dangereuse. N’est-il pas évident que la caisse se trouverait sous le coup de cette déchéance, si l'emprunteur assuré négligeait de servir le payement de la prime en temps utile ? Il importait de combler la lacune existante à cet égard dans le projet. C'est l'objet principal de mon amendement.
Le second but que j'ai voulu atteindre touche à la délégation de l'indemnité.
Si nous laissons cette délégation dans le droit commun, elle tombera sous l'application de l'article 1690 du Code civil, et si elle n'est pas acceptée à l'avance par la compagnie, il faudra, en cas de sinistre, la lui faire notifier au plus tôt. En présence du silence que garde sur ce point le projet, ce sera la marche obligée et légalement indispensable pour sauvegarder les intérêts de la caisse.
Il m'a paru préférable et beaucoup plus simple d'éviter cette formalité, qui nécessiterait des frais frustratoires. J'y ai pourvu dans la dernière partie de mon amendement. L'inconvénient auquel il est destiné à parer avait attiré l'attention de la section centrale ; mais la rédaction qu'elle proposait pour y remédier était, à mon avis, insuffisante. Ma (page 1171) proposition, au contraire, est explicite, précise et ne laisse aucun doute. Non seulement elle prescrit la délégation au proit de la caisse par l'emprunteur assuré, mais elle rend encore obligatoire l'acceptation de cette délégation par la compagnie. L'article de la section centrale ne présentait pas cet avantage. J'ai aussi pensé qu'il était convenable d'astreindre l'emprunteur à s'assurer avant le prêt. Cela ne résulte pas de la rédaction de l'article 10 de la section centrale ; il devrait cependant en être nécessairement ainsi.
J'ai pensé qu'il n'était pas non plus inopportun d'exclure du bénéfice des assurances dont il s'agit, les compagnies étrangères. La jurisprudence s'est prononcée contre elles. Je suis intimement persuadé que la caisse se gardera bien de les agréer.
Afin de ne pas laisser la moindre incertitude à ce sujet, il vaut cependant mieux que la loi le dise. Personne ne pourra désormais ignorer leur inaptitude à assurer en Belgique.
Il importe surtout, dans les campagnes, que chacun sache que nos tribunaux ne reconnaissent à ces compagnies aucune existence légale dans le pays.
Mon amendement introduit donc également ces deux améliorations secondaires et les ajoute aux dispositions de ce paragraphe du projet.
On aurait pu m'objecter que ma proposition ne contenait pas la dispense de notifier la délégation, d'assimiler implicitement le contrat d'assurance à un acte authentique. Il n'est point entré dans mes vues d'établir une telle assimilation, que rien, du reste, ne justifierait, du moins quant au caractère de l'acte en lui-même. En effet, le deuxième paragraphe de l'article 1690 du Code civil n'attribue à une acceptation de transport le bénéfice de la dispense de notification que pour autant que cette acceptation soit insérée dans un acte authentique. Désirant faire disparaître l'objection que je viens de rencontrer, et qui est réellement sérieuse, j'ai proposé, par sous-amendement, d'intercaler entre les mots « la compagnie » et le mot « néanmoins » du paragraphe 5 de mon amendement, la disposition additionnelle que j'ai déposée sur le bureau.
M. Lelièvre. - L'amendement proposé par la section centrale exige une explication. En indiquant que l'acte de délégation et celui d'acceptation peuvent être faits par acte sous seing privé, je suppose qu'on n'a pas voulu déroger au principe, que les actes sous seing privé n'ont de date certaine contre les tiers que conformément à l'article 1328 du Code civil. En un mot, je pense que le principe énoncé en cette disposition reste intact, et que le seul but de l'amendement est de déroger à l'article 1690, §2, du Code civil, qui exige l'acceptation du débiteur par acte authentique pour que le cessionnaire soit saisi de la créance vis-à-vis des tiers. Mais tous les principes concernant l'acte sous seing privé sont maintenus. Je désire toutefois une explication qui ne permette aucun doute sur le sens de la loi.
Du reste, je pense qu'il ne peut être question d'adopter l'amendement de l'honorable M. Pierre, qui tend à ne pas soumettre à l'obligation de signification la délégation qui serait faite à la caisse de l'indemnité. Il me paraît qu'il faut maintenir le principe du droit commun, écrit dans le paragraphe premier de l'article 1690. Il s'agit ici d'une créance dont le cessionnaire n'est investi que par la saisine ; or, cette saisine, aux yeux des tiers, consiste dans la signification faite au débiteur, à défaut d'acceptation de ce dernier. C'est cette saisine qui, d'après le droit commun, transfère seule la propriété lorsqu'il s'agit de créances ou de droits incorporels. Ce principe doit être maintenu, et c'est pour ce motif que je crois devoir combattre l'amendement de M. Pierre. Il n'existe aucun motif de déroger aux principes du Code civil en cette matière.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je pense, comme l'honorable M. Lelièvre, que la disposition du projet de loi n'a pas pour effet de déroger à l'article 1328 du Code civil. Il faut que les actes à passer dans les cas prévus soient revêtus des formalités voulues pour pouvoir être opposés aux tiers ; il y a donc lieu à l'enregistrement de ces actes ; seulement on les enregistrera en exemption des droits, comme le porte une autre disposition du projet. Ainsi nous sommes d'accord sur ce point.
L'honorable M. Lelièvre pense avec la section centrale qu'il y a lieu de dispenser de la notification prescrite par l'article 1690 du Code civil. Je ne crois pas que ce soit le cas d'appliquer l'article 1690 ; il s'agit de l'article 1275. Il ne s'agit pas du transfert d'une créance, il s'agit d'une délégation ; et une délégation doit être acceptée, mais il n'est pas besoin d'une notification.
Pour l'acceptation de cette délégation, un acte authentique n'est pas nécessaire ; un acte quelconque suffit, mais pour être opposable aux tiers cet acte doit être enregistré ; il doit avoir une date certaine.
Je pense donc qu'on peut admettre purement et simplement la disposition, qui n'entraîne pas une dérogation à l'article 1690 du Code civil.
Je ne puis pas me rallier à la rédaction proposée par l'honorable M. Pierre. Elle contient plusieurs dispositions qu'il est inutile d'insérer dans la loi. Dans la pratique, des modes différents pourront même être adoptés. Ainsi la caisse fera ce que font les sociétés hypothécaires : elle prendra des mesures de précaution. Ainsi par exemple, elle payera la prime d'assurance pour l'emprunteur et elle aura ainsi toute espèce de sécurité, ou bien elle fera des arrangements avec les compagnies agréées, afin d'empêcher que ces compagnies ne viennent ultérieurement invoquer telle ou telle déchéance.
Je crois cependant, messieurs, qu'il est utile d'insérer dans la loi une disposition ainsi conçue :
« Le débiteur est tenu de justifier, à la demande de la caisse du payement de la prime d'assurance. Le défaut de justification rend la dette exigible sans qu'il soit nécessaire de faire prononcer la déchéance encourue. »
M. Deliége. - La distinction que vient de faire l'honorable ministre des finances, entre la délégation et le transport, peut être fondée en droit, mais elle n'est pas généralement admise.
Chacun de nous a pu lire dans une brochure qui a été distribuée aux membres de la chambre, que le jurisconsulte, auteur de cet opuscule, pense que la délégation doit être signifiée.
C'est pour écarter tout doute à cet égard que le deuxième paragraphe de l'article 10 a été introduit dans le projet de la section centrale.
M. Liefmans. - Messieurs, le projet de la section centrale prévoit le cas où l'immeuble donné en hypothèque viendrait à être détruit par un incendie. Dans ce cas, le gage de la caisse ayant disparu, il est juste que l'indemnité qui le remplace lui soit acquise. Mais remarquez que certains contrats d'assurance obligent l'assuré à reconstruire l'immeuble incendié. Cette disposition est pleine d'inconvénients. Il arrive très souvent que l'indemnité accordée par la compagnie est insuffisante pour couvrir les frais de la reconstruction, et alors qu'arrive-t-il ?
Il arrive que l'assuré ne reconstruit pas ou bien reconstruit d'une manière incomplète. Or, s'il reconstruit d'une manière incomplète, s'il abandonne les travaux qu'il a entrepris, le gage peut devenir insuffisant et la caisse peut être exposée à des pertes. Mais bien plus souvent encore l'assuré se voit dans l'impossibilité de reconstruire le bâtiment incendié.
En effet, il se peut que le sinistre ait détruit son mobilier, ait anéanti toutes ses ressources. L'indemnité qu'on offre à l'assuré est toujours insuffisante parce qu'en la fixant, on a égard à la valeur du bâtiment détruit par l'incendie, et on fait entrer en ligne de compte les dégradations, les détériorations occasionnées par la vétusté. A défaut de reconstruction, la compagnie d'assurances ne paye rien, s'appuyant sur le contrat d'assurance qui forme loi entre les parties. Messieurs, on ne peut pas remélier à ce mal pour les contrats existants, mais il y a une précaution à prendre et j'appelle toute l'attention du gouvernement sur cette question. Il faut nécessairement que la caisse se mette à l'abri des pertes de cette nature. Cela peut se faire dans la pratique.
En effet, l'administration peut faire assurer les bâtiments par les compagnies d'assurances qu'elle aura agréées. Il serait donc prudent de ne pas agréer des compagnies d'assurances dont les statuts exigent la reconstruction au moyen de l'indemnité à accorder à l'assuré. J'engagerai fortement, pour ma part, la commission à nommer à avoir égard à cette observation.
Messieurs, puisque j'ai la parole, j'ai une autre observation à faire. On a prévu le cas de la délégation à donner à la caisse, alors qu'une indemnité serait due par une société d'assurance. Mais il est d'autres circonstances où l'immeuble peut diminuer de valeur ; entre autres, celle où l'immeuble serait exproprié pour cause d'utilité publique. Que fera-t on du produit de l'expropriation ?
Si l'expropriation est totale, il ne peut y avoir de difficulté ; la délégation existe de droit ; on prélèvera sur le prix de l'expropriation une somme équivalente à l'emprunt fait par le propriétaire exproprié. Mais si l'expropriation n'est que partielle, que fera-t-on ?
Un immeuble, je suppose, a une valeur de 2,000 fr. ; on a fourni au propriétaire des lettres de gage jusqu'à concurrence de 1,000 fr., ce qui forme la moitié de la valeur de l'immeuble hypothéqué ; supposons que cet immeuble soit exproprié en partie ; qu'il le soit pour le tiers : la caisse prendra-t-elle la totalité du prix de l'expropriation ou prendra-t-elle seulement la moitié de cette somme ? Il me semble que la moitié du prix devrait suffire, puisque l'immeuble n'est grevé que pour la somme de 1,000 fr., qui forme la moitié de sa valeur.
Il peut encore arriver, dans ce cas, que l'immeuble qui avait une valeur supérieure à 1,000 fr. descende, par le fait de l'expropriation, à une valeur inférieure à cette somme. Or, d'après une disposition du projet, aucun immeuble ne peut être hypothéqué si sa valeur n'excède pas 1,000 fr. ; que fera-t-on lorsque l'immeuble ne vaudra plus pareille somme ?
Je me borne à appeler l'attention de M. le ministre des finances sur ces cas qui se présenteront souvent. Il me paraît qu'il conviendrait d'insérer dans le projet de loi qui nous est soumis quelques dispositions à ce sujet.
M. Pierre. - La disposition des projets du gouvernement et de la section centrale concernant les assurances contre incendie des bâtiments hypothéqués au profit de la caisse, laisse incontestablement à désirer. J'ai voulu attirer l'attention de la chambre sur les améliorations qui pourraient y être introduites. Peu m'importe la rédaction que l'on adopte pour y parvenir, je m'y rallie volontiers. Je ne tiens pas à ce que les modifications soient écrites dans la loi. Les explications fournies par M. le ministre et le changement de rédaction présenté par lui à l'instant sont de nature à satisfaire aux vues que je vous ai exprimées tout à l'heure, au moins quant à l'objet principal de mon amendement.
- L'amendement de M. Pierre est retiré.
M. Moreau. - Messieurs, il me paraît qu'on pourrait retrancher de l'article 10 les deux derniers paragraphes, car l'article 9 de la loi sur le (page 1172) régime hypothécaire, que vous avez votée récemment, renferme a peu près la même disposition. Cet article est ainsi conçu ;
« Lorsqu'un immeuble, des récoltes ou des effets mobiliers auront été assurés soit contre incendie, soit contre tout autre fléau, la somme qui en cas de sinistre se trouvera due par l'assureur devra, si elle n'est pas appliquée par lui à la réparation de l'objet assuré, être affectée au payement des créances privilégiées ou hypothécaires, selon le rang de chacune d'elles.
« Il en sera de même de toute indemnité qui serait due par des tiers à raison de la perte ou de la détérioration de l'objet grevé de privilège ou d'hypothèque. »
Cette disposition accorde donc, en cas de sinistre, la délégation de l'indemnité aux créanciers privilégiés ou hypothécaires.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je crois qu'on peut adopter, au moins provisoirement, l'amendement de l'honorable M. Moreau ; au second vote, on coordonnera les dispositions de l'article ; car il y a quelques modifications de détail à y introduire. S'il est reconnu que la loi sur le régime hypothécaire s'applique complètement aux hypothèses prévues, il sera fait droit aussi aux observations présentées par l'honorable M. Liefmans ; on peut donc adopter le premier paragraphe de l'article 10, et y ajouter la disposition additionnelle que j'ai proposée.
M. Malou. - Messieurs, je dois faire remarquer que l'article porte une dérogation au Code civil. On a beaucoup parlé de démolir la loi ; mais ici c'est une partie du Code civil qu'on démolit ; je ne laisserai passer aucun des articles de la loi ou une pareille dérogation se présente, sans demander s'il y a une nécessité absolue ; je demande, s'il n'y a pas ici une nécessité absolue, pourquoi ne pas supprimer le second paragraphe ; et comme le faisait remarquer l'honorable M. Moreau, pourquoi ne pas rester dans le droit commun ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que je viens d'indiquer ; il n'y a pas de dérogation ; on propose de se référer à la loi sur le régime hypothécaire, qui contient les mêmes dispositions.
- La discussion est close.
Le premier paragraphe de l'article avec la disposition additionnelle, proposée par M. le ministre des finances, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Vient maintenant le dernier paragraphe de l'article 7 du projet du gouvernement (article 11 de la section centrale). Ce paragraphe est ainsi conçu :
« En aucun cas, la valeur du gage hypothécaire ne peut être inférieure à 1,000 francs. »
La section centrale (article 11) adopte ce paragraphe avec le retranchement des mots : « en aucun cas ».
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me rallie à cette suppression.
- La disposition ainsi modifiée est adoptée.
« Art. 8. La valeur des immeubles de la première catégorie est constatée par experts, aux frais du propriétaire. Le choix des experts appartient à la caisse.
« La valeur des immeubles de la seconde catégorie est déterminée par un capital formé de quarante fois le revenu cadastral. Toutefois, si le propriétaire le demande, l'expertise aura lieu, également à ses frais. »
La section centrale propose de rédiger l'article comme suit :
« La valeur des immeubles de la première catégorie est constatée par une expertise ; le choix des experts appartient à la caisse.
« Ne sont pas compris dans l'évaluation, les immeubles par destination, même lorsqu'ils sont incorporés.
« La valeur des immeubles de la seconde catégorie est déterminée par un capital formé de quarante fois le revenu cadastral.
« Toutefois, si le propriétaire ou le conseil d'administration de la caisse le demande, elle est déterminée par des experts.
« Dans tous les cas, les frais de l'expertise sont à charge du propriétaire. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me rallie à la rédaction de la section centrale.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 9. Si les immeubles affectés à l'hypothèque ont péri ou ont éprouvé des dégradations, de manière qu'ils soient devenus insuffisants pour la sûreté de la caisse, elle a le droit de réclamer le remboursement de sa créance.
« Néanmoins, si la perte ou les dégradations ont eu lieu sans la faute du débiteur, celui-ci sera admis à offrir un supplément d'hypothèque.
« La caisse règle le mode d'aménagement des bois et forêts ; elle peut, en outre, exiger que l'exploitation ait lieu sous la surveillance de l'administration forestière, aux frais du propriétaire, qui doit s'entendre avec cette administration.
« Toute infraction au mode d'aménagement rend aussi la dette exigible. »
La section centrale propose une autre rédaction, sous le n°13. Elle ainsi conçue :
« La caisse règle le mode d'aménagement des bois affectés à l'hypothèque ; elle peut, en outre, exiger que l'exploitation ait lieu sous la surveillance de l'administration forestière, aux frais du propriétaire, qui doit s'entendre avec cette administration.
« Toute infraction au mode d'aménagement rend la dette exigible. »
Le gouvernement se rallie à la rédaction de la section centrale.
M. de Muelenaere. - Je demande la parole pour avoir une explication de M. le ministre.
Je pense que si la caisse exige que l'exploitation ait lieu sous la surveillance de l'administration forestière, cette prétention devra être insérée dans l'acte d'obligation ; mais une fois le prêt consommé sans que cela ait été stipulé, la caisse ne pourra plus exiger dans le cours de l'emprunt que l'exploitation ait lieu sous la surveillance de l'administration forestière. Je pense que c'est ainsi que cela doit être entendu.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je pense que la disposition de la loi dominerait le contrat d'emprunt, alors même que dans ce contrat il n'y aurait pas eu de réserve stipulée à cet égard, et que la caisse pourrait réclamer en exécution de la loi le droit de faire surveiller l'exploitation des bois. Mais dans les contrats relatifs à des bois, on pourrait, par précaution, rappeler les termes de l'article 13.
- L'article 9 est mis aux voix et adopté.
« Art. 10. La caisse instruit les demandes d'emprunt avec le concours de l'administration des finances. » (Pas d'amendement de la part de la section centrale.)
M. Dumortier. - Cet article consacre au plus haut point l'intervention du gouvernement dans la gestion des intérêts de la caisse. Au moment où vous avez à voter cette intervention, permettez-moi de vous donner lecture de quelques lignes que je trouve dans les journaux de Paris qui arrivent en ce moment. Vous verrez la différence qu'on fait en France entre la caisse de crédit foncier et le système qu'on vous propose. Voici ce que je lis dans les journaux de ce matin :
« La deuxième séance du congrès central d'agriculture a eu lieu aujourd'hui sous la présidence de M. Gautier de Rumilly.
« M. Josseau a présenté un rapport au nom de la commission du crédit foncier et du crédit agricole. »
(M. Josseau est celui sur lequel on s'est appuyé en faveur du projet de loi dans la discussion générale.)
« Le congrès a adopté les conlusions suivantes du rapport et émis les vœux suivants :
« Insister sur l'impérieuse nécessité de rendre publiques les hypothèques légales, et sur la nécessité de modifier le plus promptement possible la législation, afin qu'il puisse être créé en France une ou plusieurs associations de crédit foncier, à condition :
« 1° Que ces associations seront placées sous la surveillance, et non sous la direction de l'Etat. »
Remarquez bien cette réserve : à condition que ces associations (car ce sont des associations privées) ne seront pas sous la direction de l'Etat. C'est là l'opinion de l'homme dont on a invoqué le témoignage ; il veut la création de caisses de crédit foncier sous la surveillance de l'Etat, comme les banques, mais non sous la direction de l'Etat, comme le veut M. Frère.
« En second lieu, que dans aucun cas les titres ou lettres de gage, émis par des associations, n'auront pas cours forcé, etc. »
Ce que demandait avant-hier le congrès agricole de France, est précisément ce qu'a demandé le congrès agricole de Bruxelles : la non-intervention de l'Etat dans la gestion des caisses de crédit foncier.
Voilà les conclusions. Elles ont été votées à l'unanimité des 400 membres présents. Vous le remarquez, on veut en France des associations. Remarquez-bien le mot, ce n'est pas une caisse du gouvernement, mai» une ou plusieurs associations, et autant qu'elles soient placées sous la surveillance du gouvernement comme les banques, comme la banque nationale, comme les instilutions de charité, comme les caisses de secours mutuels ; mais on ne veut pas qu'elles soient sous la direction de l'Etat»/
J'appelle, messieurs, toute votre attention sur ce fait qui s'est passé hier ou avant-hier à Paris, et qui émane du congrès agricole, c'est-à-dire d'une réunion qui avait pour but de rechercher ce qu'on pourrait faire d'utile pour l'agriculture.
Après cela, je demande s'il est sage de voter un article qui donne au gouvernement l'intervention la plus directe dans la gestion de la caisse, puisqu'on dit : La caisse instruit les demandes d'emprunt avec le concours du département des finances.
C'est ici, contrairement au système de M. Josseau, le système de l'intervention de l'Etat caractérisé dans les termes les plus clairs, les plus précis. Pour moi, j'aime mieux le système de M. Josseau que celui de Blanc ou de V. Considérant.
Je pense que la chambre fera bien de partager cet avis et d'examiner avec attention l'article 10 qu'elle est appelée à voter.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. Dumortier nous a affirmé dans le cours de cette discussion que personne ne réclamait l'institution de caisses de crédit foncier, que jamais le congrès agricole ne s'était occupé de pareille matière.
Aujourd'hui, il nous apporte le procès-verbal d'une séance, d'une assemblée composée de 400 membres, les principaux propriétaires et agriculteurs de France, où l'on demande la création d'institutions de ce genre. Première confirmation des assertions de l'honorable membre.
Maintenant il prétend avoir découvert dans ce qu'il vient de lire la condamnation de ce que nous proposons.
On demande, dit-il, l'établissement d'associations sous la surveillance, mais non sous la direction de l'Etat.
Eh bien, nous établissons une association libre de propriétaires et de (page 1173) prêteurs, une association volontaire placée sous la surveillance du gouvernement. (Interruption.) Aidée dans ses opérations par le gouvernement. Lorsqu’on exclut la direction de l’Etat, on entend par là qu’il ne puisse engager sa responsabilité ; mais on ne veut pas lui interdire les moyens de favoriser le développement de ces institutions. (Interruption.)
Il vous plaît, et il vous plaira, jusqu'à la fin de cette discussion, de confondre ce qui ne devrait pas être confondu : deux corps distincts, deux corps moraux, avant des obligations entièrement différentes. Si bien que vous n'avez pas cessé de vouloir faire déclarer, quoique l'on vous démontrât l'inutilité d'une pareille stipulation, que les engagements que contracte la caisse ne peuvent regarder l'Etat. Comment après cela répéter que la caisse, c'est l'Etat, que les engagements que contractera la caisse, ce sera l'Etat qui les contractera ?
Mais non ! c'est une association placée sous la surveillance de l'Etat ; cette association est constituée par la loi : on pouvait très bien attendre que des particuliers, y ayant intérêt, se constituassent en société. Mais nous déclarons a priori les conditions auxquelles on sera associé, quand on voudra participer à la caisse du crédit foncier.
Ainsi n'existe-t-il pas, dans la législation, des associations formées entre propriétaires, et même, ce qui est bien autrement exorbitant, sans leur consentement, malgré eux ? N'avez-vous pas les associations pour les wateringues ? Et les propriétaires ne sont-ils pas tenus de devenir associés de ces wateringues, d'y contribuer, d'en supporter les pertes ? On a fait des associés forcés par la loi.
Ici, au contraire, nous disons : Ceux qui viendront à la caisse seront librement associés ; ils sauront à quoi ils s'engagent ; l'association sera placée sous la surveillance de l'Etat, ce qui est une garantie pour les intéressés.
Ne confondez donc pas l'Etat avec la caisse. Vous créez un corps moral qui a des droits entièrement distincts de ceux de l'Etat.
M. de Denterghem. - Je ne m'étendrai pas sur cet incident, je me bornerai à faire remarquer que le congrès qui s'est tenu à Paris est parfaitement d'accord avec celui qui s'est tenu à Bruxelles pour demander la révision de la législation sur les faillites, sur les hypothèques et sur les expropriations.
Je demanderai à M. le ministre de la justice de hâter autant que possible la présentation et l'examen de ce dernier projet de loi.
Je ne m'étendrai pas sur l'article en discussion. Je crois que j'ai déjà fait remarquer que le congrès agricole s'est abstenu de s'occuper de tout ce qui peut avoir trait à l'exécution et s'est borné à indiquer les principes qu'il désirait voir consacrer par la législation.
M. Dumortier. - M. le ministre des finances, fidèle à son système habituel, cherche toujours à donner le change sur l'opinion de ses adversaires. J'ai dit qu'il n'y avait pas eu en Belgique de réclamations pour une institution surtout organisée comme celle que propose le gouvernement, organisée et gérée par l'Etat. Et M. le ministre me fait dire qu'il n'y a eu aucune réclamation en Belgique, et que je trouve ma condamnation dans ce qui se fait en France.
Mais si l'on n'a pas réclamé en Belgique, l'on a beau réclamer en France, ce n'est pas ma condamnation, car les réclamations de la France ne sont pas celles de la Belgique. Je persiste à dire qu'il n'y a pas eu en Belgique de réclamation sérieuse pour la fondation d'une semblable institution.
M. le président. - Je ferai remarquer à M. Dumortier qu'il rentre dans la discussion générale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La chambre a prononcé.
M. Dumortier. - Je vois bien, M. le ministre, qu'il vous tarde d'avoir votre loi. Convenez cependant que dans un pays comme le nôtre où 800 millions sont prêtés par les particuliers sur la propriété foncière, l'urgence n'est pas grande.
Mais, dit M. le ministre, nous établissons une association placée sous la surveillance du gouvernement. Messieurs, toutes les fois que M. le ministre des finances est un peu embarrassé par la force du raisonnement de ses adversaires, il se fait si petit, si petit qu'il est presque insaisissable. Ce n'est plus qu'une association entre particuliers.
- Un membre. - A la question !
M. le président. - La question est de savoir si la caisse agira avec le concours du département des finances. Quand M. Dumortier examine la nature de l'institution pour prouver que ce concours n'est pas nécessaire, il est dans la question. La parole lui est continuée.
M. Dumortier. - C'est donc une simple association, car quand l'honorable M. Frère est embarrassé par des observations auxquelles il ne peut répondre, son projet se réduit à des proportions infinitésimales. Maïs je demanderai que l'on cite une association semblable où tous les associés preneurs et prêteurs n'ont pas un mot à dire à la gestion ni directement, ni indirectement, et vous appelez cela une association ! Mais c'est un étrange abus de mots. Quoi ! toutes les opérations de votre caisse, depuis la première jusqu'à la dernière, sont gérées, et gérées exclusivement par l'Etat, et vous appelez cela une association entre particuliers ! Peut-on être plus illogique !
En effet, qui estime les propriétés ? Le gouvernement par ses agents.
Qui en détermine la valeur ? Toujours le gouvernement d'accord avec les experts lorsqu'il y a expertise.
Qui fait les lettres de gage, les fait imprimer, en détermine la forme ? Le gouvernement.
Qui délivre les lettres de gage ? le gouvernement.
Qui reçoit les annuités et les intérêts ? Le gouvernement par ses agents.
Qui rembourse aux prêteurs ? Le gouvernement par ses agents.
Qui fait valoir les fonds amortis ? Qui dit que 1 p. c. pendant 42 ans donne 100 p. c. au bout de la 42ème année ? Le gouvernement.
Qui exproprie en cas d'expropriation ? Encore le gouvernement.
Et l'on viendra dire que c'est une association ! et on osera le dir ! mais des associations semblables seraient des sociétés léonines, car le gouvernement s'est vraiment fait la part du lion, sans rien laisser aux sociétaires. Je dis, moi, qu'il n'y a pas d'association. C'est un abus de mots, c'est chercher à tromper l'opinion publique que prétendre qu'il y a association ! Il n'y a pas, je le répète, d'association là où aucun intéressé, ou prêteur, ou preneur, n'intervient ni directement ni indirectement. C'est une opération du gouvernement, et c'est précisément pour ce motif et à cause des dangers qu'une telle opération faisait naître pour le trésor public, que nous avons décidé que le gouvernement ne serait pas responsable...
M. le président. - Cette question est vidée.
M. Dumortier. - Nous avons eu raison de le faire, et le gouvernement n'a fait que se rallier à notre opinion.
M. Osy. - M. le ministre des finances vient de dire que la caisse est une association de propriétaires. Comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, les propriétaires n'ont rien à voir dans l'administration de la caisse, car examinez l'article 30, le gouvernement se réserve le droit de nommer la direction.
Les propriétaires n'ont pas droit de présenter les directeurs pour gérer leurs intérêts. Mais, messieurs, ce qui est plus fort, lisez l'article 37 où le gouvernement dit que les lettres de gage seront prises par les caisses publiques, par la caisse des consignations.
Et vous direz encore que c'est une association particulière, quand vous voulez faire prendre ces lettres de gage dans les caisses publiques, lorsque vous voulez les faire prendre par les bureaux de bienfaisance, par les communes, par les fabriques d'églises, et même par la caisse d'épargne et par la caisse des consignations où vous avez 16 millions ! Eh bien, je suis persuadé que M. le ministre des finances ne fera pas vendre ces 16 millions qui sont dans cette caisse. Mais un autre ministre des finances pourrait bien, pour placer ces lettres de gage, faire vendre les 16 millions de fonds publics.
On prétend que la caisse ne sera pas une institution du gouvernement, et tous les employés du gouvernement, tous les employés des finances, sont à la disposition de cette caisse ; cette caisse est administrée par un directeur, les propriétaires n'ont rien à y voir. Les lettres de gage pourront être reçues dans les caisses de l'Etat, et l'on dira encore que c'est une association dans le sens de celles que l'on demande en France ? Vous voyez, messieurs, que dans cette discussion il n'y a pas de franchise. (Interruption.)
M. le président. - M. Osy, je vous engage à retirer ces mots. On ne peut suspecter les intentions.
M. Osy. - Je dis que nous connaissons maintenant l'opinion des personnes dont on a cité les écrits et vous voyez qu'on leur a fait dire le contraire de ce qu'elles disent aujourd'hui.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais non, cela n'est pas exact.
M. Osy. - Cela est très facile à dire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est très vrai.
M. Osy. - On a toujours dit que ces écrivains voulaient avoir des établissements dirigés par l'Etat. Il n'en est rien. Ce qu'on a demandé, ce sont des associations particulières. Eh bien, nous aussi, nous voulons bien des associations particulières, mais nous ne voulons pas d'une caisse gérée par l'Etat. Or, nous avons la preuve aujourd'hui que c'est l'Etat qui gère par ses fonctionnaires, par les nominations qu'il fait, par les caisses publiques mises à la dévotion de la caisse du crédit foncier.
Sous ce rapport, je maintiens qu'il ne s'agit pas ici d'une association particulière, mais qu'il s'agit d'une institution gérée par le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les honorables membres qui viennent de prendre la parole, persistent à soutenir que c'est l'Etat qui gère, qui intervient, que ce n'est pas la caisse, que ce n'est pas un corps moral qui a ses droits et ses obligations, alors qu'il est unanimement reconnu que l'Etat n'engage en aucune façon sa responsabilité.
Soyez donc conséquents. Si vous croyez que ce soit l'Etat qui ici agisse, qui ici contracte des obligations, qui ici peut induire des tiers en erreur, déclarez que l'Etat est responsable. Voilà votre devoir. Mais votre devoir n'est pas de déclarer qu'il n'y a pas responsabilité de l'Etat au moment où vous prétendez que c'est l'Etat qui agit.
Vous dites : c'est l'Etat qui administre. Je répète que cela n'est pas. Il s'agit ici d'un établissement particulier.
- Un membre. - C'est la discussion générale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la discussion générale ; mais si l'on y rentre, il faut bien que je réponde. C'est éternellement la même question. Mais éternellement je vous répondrai la même chose.
M. le président. - On est dans la question.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'Etat crée les communes. Pendant longtemps chez nous, l'Etat a nomme tout ou partie des administrateurs communaux. Il faisait opérer des recettes pour les communes.
A-t-on prétendu et viendrez-vous prétendre que les communes ne (page 1174) constituaient pas un être distinct, un être à part de l'Etat, ayant des droits et des obligations différents de ceux de l'Etat ?
Est-ce que vous pouvez déduire de cette intervention plus ou moins considérable de l'Etat pour aider les communes, pour faciliter leurs opérations, que les communes et l'Etat sont tout un, que tout se confond, que les obligations sont les mêmes ?
M. Coomans. - A quelle époque ? (Interruption.)
M. le président. - Pas d'interruption ; si l'on interrompt continuellement, nous n'en finirons jamais.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Est-ce que vous ne savez pas que le pouvoir central a nommé à certaines époques tout ou partie des administrateurs communaux ?
M. Dumortier. - Il n'y avait plus de communes alors.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La réponse est très simple. Il n'y avait plus de communes alors ; c'est l'honorable M. Dumortier qui nous apprend cela. (Interruption.)
Eh bien à l'époque où prétenduement il n'y avait plus de communes, il y a eu des dettes contractées par ces communes et qui n'ont pas été acquittées par l'Etat.
Ici, j'ai dit que c'était une association de propriétaires et de prêteur que l'on constituait, et je répète que cela est exact. Ceux qui viennent participer à l'association dans les conditions déterminées par la loi, s'y associent ; les emprunteurs supportent les pertes éventuelles à concurrence de 3 annuités supplémentaires, et s'il y a un excédant de perte, elle est supportée par les créanciers de la caisse. Comment pouvez-vous dire que c'est l'Etat qui gère, que c'est l'Etat qui agit, que c'est l'Etat qui est responsable, qu'on ne voit partout que l'Etat ? Vous ne voyez partout que l'administration de la caisse ; c'est-à-dire le corps moral, la caisse du crédit foncier. Voilà la vérité.
L'honorable M. Osy nous dit : L'Etat va intervenir pour faire instruire les demandes par les agents de l'administration des finances.
Messieurs, de ce que le département des finances mettra ses agents à la disposition d'un établissement d'utilité publique, faut-il en induire que l'Etat devient le gérant responsable de la caisse ?
C'est toujours le corps moral, la caisse, qui agit ; elle agit par ses administrateurs. Les emprunteurs qui viennent volontairement s'associer donnent leur consentement à ce que la caisse soit gérée par les administrateurs nommés par le Roi. Sont-ils libres, oui ou non, de ne pas intervenir ? Ne peuvent-ils pas s'abstenir ? Est-ce que l'on contraint aucun de ceux qui acceptent ces conditions ? De quoi dès lors pourraient-ils se plaindre ?
L'honorable M. Osy lit l'article 37 (nous n'y sommes pas encore) d'une singulière façon. Selon lui, on oblige les communes, les établissements publics, les bureaux de bienfaisance, à prendre des lettres de gage. Où l'honorable membre a-t-il vu cela ? On les autorise à prendre des lettres de gage, mais comme on autorise à placer sur hypothèque.
Admettez-vous que l'achat des lettres de gage soit un placement hypothécaire ?
L'honorable membre parle de la caisse des dépôts et des consignations. Mais pourquoi la caisse des dépôts et des consignations ne serait-elle pas autorisée à acheter des lettres de gage, si elle trouve que c'est une opération qu'elle peut faire utilement ? Pourquoi ne rendrait-elle pas ce service au public ?
Prétendez-vous que les lettres de gage sont mauvaises, qu'il y a des risques à courir, qu'il y a des pertes à essuyer ? Interdisez l'opération.
Si cette opérationse présente dans de fàcheuses conditions, ne dites pas au public qu'il peut prendre des lettres de gage. La première interdiction devrait s'appliquer au public. Mais du moment où la législature établit l'institution dans de bonnes conditions, du moment où elle autorise l'émission des lettres de gage, du moment qu'elle convie le public à s'associer aux opérations ainsi faites, pourquoi les établissements publics ne pourraient-ils pas acheter des lettres de gage ?
Pourquoi faudrait-il le leur interdire ? Pourquoi l'interdire à la caisse des dépôts et consignations ? Il y a là un moyen peut-être de faire prospérer la caisse. Oui, et je le dis tout haut, il est bien certain qu'au début il pourra être fort utile de négocier les lettres de gage par l'intermédiaire de la caisse des dépôts et consignations. Il sera très possible qu'on procure ainsi les premiers fonds nécessaires pour faire marcher la caisse, et l'on agira bien, car si l'on croit que l'institution est utile, qu'elle peut rendre des services au pays, pourquoi n'agirait-on pas ainsi ? Comment ! Ceux qui réclament tous les jours en faveur de l'agriculture, qui se plaignent que l'Etat ne s'occupe que du commerce et de l'industrie et qu'il ne faite rien pour la propriété foncière, ceux-là même, lorsqu'ils voient des fonds disponibles, qui peuvent être utilement employés dans l'intérêt des emprunts hypothècaires, voudraient interdire à la caisse des dépôts et consignations d'acquérir des lettres de gage ! Evidemment l'honorable M. Osy n'y a pas songé. Adversaire du projet de loi, toutes ses objections procèdent de cette opposition. En conséquence tout doit être critiqué, tout doit être blâmé. Mais la chambre ne s'arrêtera pas devant cette opposition : elle a admis le principe, et par voie de conséquence elle admettra aussi les dispositions du projet.
M. Osy. - Voilà la deuxième fois déjà dans cette séance que M. le ministre incrimine nos intentions, Je me suis prononcé ouvertement aujourd'hui même ; j'ai dit que, dans toutes les circonstances où j'avais combattu une loi, je me suis soumis à la décision de la majorité, lorsqu'elle avait admis le principe contre lequel je m'étais prononcé, et que j'ai fait tout ce qui était en moi pour améliorer la loi. Il n'est donc pas permis à M. le ministre des finances ni à qui que ce soit d'incriminer nos intentions. Lorsque nous en serons à l'article 37, je démontrerai que rien n'est plus dangereux ; mais dès à présent M. le ministre dit que toutes mes observations viennent de ce que je suis contraire à la loi, et M. le président aurait dû...
M. le président. - J'ai fait remarquer tout à l'heure à l'honorable M. Osy, qu'il semblait inculper les intentions de M. le ministre des finances. Je crois qu'il y a eu de sa part au moins un laisser-aller qu'il regrette sans doute en ce moment.
J'espère que, de part et d'autre, on se renfermera dorénavant dans de justes limites ; la chambre ne pourra qu'y gagner en dignité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit un seul mot qui inculpât les intentions de personne. J'ai dit que toutes les attaques que M. Osy dirige contre le projet procèdent de son opposition au principe du projet, qu'il est contraire au principe du projet et que dès lors il trouve toutes les dispositions mauvaises. J'avais le droit de dire cela et je le maintiens.
M. Roussel. - Je désire présenter quelques observations pratiques sur l'article 10, sans rentrer en aucune façon dans la discussion générale.
L'article 10 donne à la caisse mission d'instruire les demandes d'emprunt avec le concours du département des finances. Je vois à cela, messieurs, quelques inconvénients : les demandes d'emprunt doivent ordinairement être entourées du secret qui permet à l'emprunteur, tout en profitant de son crédit foncier, de son crédit réel, de conserver intact son crédit personnel. Je crains, messieurs, que les demandes d'emprunt devant circuler dans les bureaux du département des finances, devant être soumises à l'examen d'un grand nombre de personnes, fonctionnaires d'une part, non fonctionnaires de l'autre (car la direction de la caisse ne sera probablement pas composée de fonctionnaires) je crains, dis-je, que cette publicité ne soit préjudiciable à l'emprunteur et par conséquent à la caisse elle-même.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et la publicité de l'hypothèque !
M. Roussel. - Ce n'est pas là la publicité de la négociation, c'est la publicité de l'emprunt contracté, ce qui est bien différent. Tous les hommes d'affaires savent qu'on a l'habitude de traiter ces négociations avec une certaine réserve, de telle manière qu'un homme dans le commerce, par exemple, ne fasse pas connaître immédiatement à tout le monde l'embarras parfois momentané qu'il éprouve et qui le force à demander un emprunt sur sa propriété.
Voilà une première observation pratique : elle a pour but d'assurer le secret des négociations. Bien que je ne l'approuve point, lorsque la caisse sera instituée par la loi, je désire qu'elle réussisse et qu'elle produise tout le bien possible.
Deuxième observation. L'article 10 est conçu en des termes assez vagues. On y voit que la caisse instruit les demandes d'emprunt avec le concours du département des finances ; Mais qui décidera ?
M. Delfosse. - L'administration de la caisse.
M. Roussel. - L'administration de la caisse décidera. Il est donc bien entendu que le concours du département des finances ne porte que sur l'instruction proprement dite. Peut-être ferait-on bien de l'exprimer dans l'article 10.
Enfin, j'ai une dernière remarque à présenter. Le concours du département des finances n'est pas bien défini ; il n'est pas dit sur quoi il portera, ni où il s'arrêtera. Si les auteurs du projet ou ceux qui le défendent trouvent bon de donner plus de précision à l'article, je crois qu'ils feront bien, ils atteindront peut-être le but que j'ai signalé tout à l'heure, celui de garantir les demandes d'emprunt contre une publicité trop grande.
J'attire sur ce point l'attention de M. le ministre des finances et de la section centrale. Il y aurait peut-être moyen de rédiger l'article 10 de manière à prévoir et à prévenir tout inconvénient.
M. Deliége. - Je n'ai demanié la parole que pour répondre à ce que M. Dumortier a dit de l'opinion que M. Josseau peut avoir émise l'un des jours derniers dans une assemblée à Paris.
M. Josseau dit dans son rapport, page 29, sur les établissements de crédit foncier, fondés en Allemagne :
« La surveillance de l'Etat s'exerce sur tous les actes de l'administration. Le commissaire a le droit d'assister à toutes les séances ; son adhésion, constatée sur les obligations mêmes de la société, est une des conditions de ces actes. »
Ainsi, messieurs, vous le voyez, M. Josseau a constaté que partout, en Allemagne, l'action du gouvernement était incessante sur les actes posés par les établissements de crédit foncier ; qu'aucun acte, qu'aucune obligation, ne pouvait émaner de ces établissements sans l'adhésion du commissaire nommé par le gouvernement.
C'est ainsi que M. Josseau entend la surveillance du gouvernement. Je demande quelle est alors la différence qui peut exister entre ce que veut M. Josseau et les dispositions du projet.
M. Malou. - (page 1175) Lorsque, dans la discussion générale, on combattait les divers privilèges accordés par la loi à la caisse du crédit foncier, quelle était la réponse invariable de l'honorable ministre des finances ? Il nous disait qu'il s'agissait d'une institution d'utilité publique, créée par l'Etat. Aujourd'hui quelle est la définition qu'il donne de la caisse ? C'est une simple association de propriétaires, c'est quelque chose d'analogue à ce qui existe pour les associations des Polders et de Wateringues ; il y a une contradiction complète entre les deux assertions.
Qu'on veuille bien nous dire une fois ce que c'est que cette caisse du crédit foncier. Si c'est une institution d'utilité publique, on peut justifier peut-être certaines dérogations au droit commun. Si c'est une association de propriétaires, de quel droit venez-vous mettre au service de cette association les fonctionnaires de l'Etat ? De quel droit venez-vous gérer leurs intérêts, pour eux, à meilleur compte et d'une meilleure manière que le restant des contribuables ? Vous n'en avez pas le droit ; vous ne pouvez pas leur accorder ce privilège.
De ce que nous ayons introduit dans la loi, malgré M. le ministre des finances, le principe de la non-responsabilité de l'Etat...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela n'est pas exact.
M. Malou. - Si vous voulez mieux ; de ce que la chambre ait amené M. le ministre des finances à consentir aujourd'hui à écrire dans la loi le principe de la non-responsabilité de l'Etat...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela n'est pas exact encore.
M. Malou. - Vous combattiez hier le principe ; le Moniteur est là ; comment voulez-vous que je dise ? De ce que la chambre ait écrit dans la loi le principe de la non-responsabilité de l'Etat, s'ensuit-il que toutes les autres dispositions consacrent la gestion pleine et entière ? En aucune façon.
Mais il y a une chose qui résultera de là : c'est qu'il y aura une contradiction flagrante dans la loi ; c'est qu'après avoir stipulé dans des articles que l'Etat instruit les demandes d'emprunt au nom de la caisse, que les recouvrements se font par les agents de l'Etat, et que les conservateurs de hypothèques se font courtiers de lettres de gage dans l'intérêt des tiers, on dit dans un autre article que, quand l'Etat aura tout fait, il ne sera responsable de rien.
Mais il est inconcevable, pour me servir d'une expression qu'on a employée tout à l'heure ; il est inconcevable qu'en présence de toutes ces dispositions, on persiste à nier, lorsque l'évidence est là, que dans toutes les phases de cette affaire, c'est l'Etat qui gère sans les particuliers.
Si c'était une association de propriétaires, les administrateurs de cette société sont les mandataires de ses intérêts, ils émanent d'elle ; ils sont sous son contrôle ; il y aurait ici du moins un syndicat d'emprunteurs ; mais il n'y a absolument rien ; c'est l'Etat partout et toujours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je dois protester contre l'allégation qui vient d'être produite par l'honorable préopinant ; elle est absolument contraire à ce qui s'est passé. Depuis le premier discours que j'ai prononcé jusqu'au dernier, je n'ai pas cessé de déclarer que l'Etat n'engageait en aucune manière saresponsabilité. (Interruption.) Je n'ai pas voulu laisser insérer cette disposition dans la loi, parce que, selon moi, on ne proposait de l'y insérer qu'en vue de nuire moralement à l'institution. C'est uniquement par ce motif que je me suis opposé et que je m'opposerais encore à l'insertion de la disposition dans la loi. Maintenant il vous faut une satisfaction d'amour-propre ; vous êtes convaincus que vous avez triomphé ; eh bien, conservez cette conviction.
M. de Mérode. -Certainement, messieurs, ce ne sont pas les associés qui dirigent la caisse du crédit foncier. Je cherche qui la dirige et je suis forcé de voir que c'est le gouvernement. Maintenant, pour échapper à cette conséquence, M. le ministre des finances s'est efforcé d'établir une comparaison entre la caisse et les communes qui, sous certains régimes passés, étaient en quelque sorte administrées par le gouvernement.
Et cependant, dit-il, ces communes n'étaient pas la même chose que l'Etat, puisqu'elles avaient des intérêts distincts, tels que des biens, par exemple.
Mais dans quelle position subsistaient alors ces communes ? Elles étaient à peu près dans la position de pupilles à l'égard d'un tuleur. Le pupille et le tuteur ne sont pas le même être, un être collectif ; c'est le tuteur qui régit pour le pupille. Et qu'est-ce qui, dans l'ordre commun, arrive alors ? C'est que le tuteur est responsable de sa gestion.
Nous avons indiqué ce principe compromettant pour l'Etat lorsqu'il s'est agi de la caisse ; nous avons dit : Il y a ici un tuteur et un pupille ; le pupille, c'est la caisse ; le tuteur, c'est l'Etat ; l'Etat sera responsable pour son pupille ; et voilà pourquoi j'ai demandé que le tuteur ne fût pas responsable. Pour moi l'Etat, c'est la société tout entière ; et, au prix même d'une anomalie, j'aimerais mieux que l'Etat ne fût pas exposé à payer dans l'intérêt d'un établissement particulier.
On a fini par faire droit à notre désir bien juste que l'Etat tuteur ne fût pas responsable ; il gérera, mais il ne répondra de rien ; tout cela établi de la sorte, il faudrait au moins que M. le ministre des finances et les partisans de la loi reconnussent un fait patent, que le gouvernement est le véritable gérant et qu'il ne suffit pas pour échapper à la vérité, de faire des comparaissons réellement incroyables entre les communes, les wateringues et l'institution dont il s agit ; mieux vaudrait de bonne foi reconnaître qu'on organise ici quelque chose de très singulier et qui n'a pas encore existé ; mieux vaudrait avouer que le congrès agricole de Paris, dont on vient de citer l'opinion, n'admet pas le système que préconisent chez nous les partisans de la loi, en ajoutant : « Nous trouvons notre conception si belle, si bonne que nous passons sur tous les obstacles ; nous faisons du gouvernement un tuteur sans responsabilité, parce que nous trouvons ici l'utilité publique, si bien constatée, l'institution si favorable à la société tout entière, que nous passons sur toutes les difficultés, que nous supprimons les règles observées jusqu'à présent. »
Lorsqu'on fait une chose, messieurs, il faut la proclamer telle qu'elle est ; c'est ce que le gouvernement ne veut pas ; il agit et refuse de reconnaître la nature des attributions qu'il se donne.
M. Delfosse. - Messieurs, on nous disait hier qu'on se soumettait à la décision de la majorité, qu'on ne combattrait plus le principe de la loi ; qu'on se bornerait à présenter des amendements, dans le but d'améliorer la loi. On n'a pas tenu longtemps parole, car ce qu'on vient d'attaquer, c'est le principe de la loi, c'est le principe de l'intervention de l'Etat, intervention sans danger, puisqu'elle n'entraîne aucune responsabilité.
On ne s'est pas renfermé dans les termes de l'article 10, on a fait une revue rétrospective ; l'honorable M. Osy a de plus attaqué les articles 30 et 37. Lorsque nous arriverons à l'article 30 et à l'article 37, l'honorable M. Osy pourra proposer des amendements ; si ces amendements sont justifiables, nous serons disposés à les admettre comme nous avons admis l'amendement de l'honorable M. Malou.
On cherche querelle à M. le ministre des finances, parce qu'après avoir dit que la caisse était un établissement d'utilité publique, il a ajouté que c'était aussi une association entre les propriétaires emprunteurs et les porteurs de lettres de gage.
Messieurs, il y a plus d'une chose dans cette institution. Il y a d'abord la caisse dont a parlé l'honorable M. Pirmez, caisse qui sera vide dans le principe et qui s'emplira peu à peu pour se vider encore.
Il y a, en outre, l'imprimerie dont a parlé l'honorable M. Malou. Il est clair qu'il faudra imprimer des lettres de gage. L'honorable M. Malou a raison sur ce point.
C'est aussi, comme l'a dit M. le ministre des finances, un établissement d'utilité publique, et c'est à raison de ce caractère d'utilité publique qu'on lui accorde certains avantages.
Il y a encore, M. le ministre des finances l'a dit avec non moins de raison, il y a association, à des conditions déterminées par la loi, entre les propriétaires-emprunteurs et les porteurs de lettres de gage. Il est si vrai qu'il y a association entre eux, que vous avez réglé quelle sera, dans les pertes, la part qu'ils devront respectivement supporter.
Il y a une véritable association, comme il y a un établissement d'utilité publique, comme il y a une caisse vide dans le principe qui s'emplit ensuite, comme il y a des lettres de gage à imprimer, on peut être dans le vrai en donnant différents noms à la même chose, tout dépend du point de vue auquel on se place.
L'opposition s'imagine qu'elle a obtenu un grand succès en amenant M. le ministre des finances à présenter l'amendement que j'ai légèrement modifié et qui a reçu l'adhésion de la chambre.
Mais cet amendement ne change en rien l'état des choses ; nous avions dit à satiété qu'il n'y aurait pas de responsabilité pour l'Etat, que pour que l'Etat fût responsable il faudrait une disposition formelle dans la loi. Qu'y a-t-il au fond dans l'institution ? Il y a des débiteurs et des créanciers, les uns sont des propriétaires emprunteurs, les autres sont les capitalistes qui achètent les lettres de gage. La caisse n'est là que pour leur servir d'intermédiaire, que pour les mettre en rapport. Le projet déterminait la perte supportée par les emprunteurs ; elle ne pouvait dépasser trois annuités supplémentaires. Dans le cas où la perte eût été plus forte, sur qui devait-elle tomber ? Evidemment sur les porteurs de lettres de gage. Les principes du droit l'indiquent.
Que se passe-t-il pour les sociétés anonymes ? Les actionnaires ne sont responsables qu'à concurrence du montant de leurs actions ; si l'actif est insuffisant, la perte se répartit au marc le franc entre les créanciers.
Il en eût été de même pour la caisse du crédit foncier en cas de perte excédant les trois annuités supplémentaires, alors même que M. le ministre des finances n'eût pas présenté d'amendement sur ce point. L'amendement n'était pas necessaire ; cette concession qu'on vous a faite ne modifie en rien le projet ; avec ou sans l'amendement, les choses se seraient passées absolument de la même manière. Vous avez, comme M. le ministre des finances l'a dit, obtenu un succès d'amour-propre, nous n'avons pas voulu vous refuser cette légère satisfaction et je désire, pour ma part, que vous en obteniez de plus sérieuses, si elles doivent avoir pour résultat l'amélioration du projet de loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais essayer de convaincre M. de Mérode et M. Malou qu'il peut y avoir établissement d'utilité publique et association. Quand un établissement est reconnu par la loi, et qu'il est formé par association, il y a à la fois établissement d'utilité publiqui'et association. Exemple ; on a demandé la personnification civile pour l'université catholique de Louvain. Sur quoi fondait-on cette demande ? Sur ce qu'il y avait utilité publique à accorder la personnification civile à l'université catholique. Est-ce que ce n'aurait plus (page 1176) été une association ? Oui, il y aurait eu une association reconnue, c'est-à-dire, établissement d'utilité publique reconnue par la loi.
Pour que M. de Mêroie puisse bien comprendre qu'un corps moral quoique institué par la loi est un corps parfaitement séparé de l'Etat, avant ses obligations et ses droits, je prends encore mon exemple dans l'université catholique.
M. de Mérode. - Ce n'est pas vous qui l'auriez gérée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'y viens. La loi aurait pu régler comme elle l'entendait les conditions de cette personnification civile ; puisqu'il fallait une loi, la loi aurait pu dire ; Le gouvernement nommera le recteur, les administrateurs, ou bien le gouvernement nommera des surveillants, des inspecteurs. Incontestablement c'était le droit du gouvernement ; s'il avait agi de la sorte, est-ce que l'université catholique serait devenue non seulement un établissement de l'Etat, mais se serait confondue avec l'Etat ?
M. Coomans. - Oui, si les professeurs avaient été nommés par le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, même dans ce cas. Ce serait encore un établissement distinct et séparé de l'Etat, ayant des droits et des obligations séparés et dont les obligations ne réfléchiraient pas contre l'Etat. Ainsi ce serait un établissement tout à fait distinct et séparé, une association et un établissement d'utilité publique. Ce double caractère a été parfaitement précisé par mon honorable ami M. Delfosse.
Vous voulez l'intervention des intéressés, des particuliers, attendez que nous soyons à la disposition concernant l'administration.
Nous verrons si cette intervention n'est pas possible, si on ne pourrait pas, quand l'expérience aura démontré quel est le mode d'intervention praticable, admettre, par exemple, un comité au moyen duquel les porteurs de lettres de gage et les emprunteurs pourraient concourir à la surveillance de l'administration.
Avec ce simple mot, toutes vos objections tombent ; les intéressés participeraient à l'administration au moins autant que les actionnaires des sociétés anonymes. Quelle est, en effet, leur participation ? Entendre un compte rendu ; présenter des candidats pour l'administration ou nommer directement les administrateurs. Ainsi vous voyez que vos objections n'ont rien de sérieux.
- La discussion est close sur l'article 10.
L'article 10 est mis aux voix et adopté.
« Art. 11. L'acte d'obligation est reçu par un notaire au choix de l'emprunteur.
« En vertu de la grosse de cet acte, dont la remise est constatée au registre de dépôt, le conservateur des hypothèques prend, sans bordereau et sous sa responsabilité, inscription au profit de la caisse. »
La section centrale propose de faire un article séparé de cette première partie de l'article du projet du gouvernement, et de le rédiger comme suit :
« L'acte d'obligation est reçu par un notaire au choix de l'emprunteur.
« En vertu de la grosse de cet acte, dont la remise est constatée au registre de dépôt, le conservateur des hypothèques prend d'office, sous sa responsabilité, inscription au profit de la caisse. »
M. Moreau. - Je me permettrai de demander quelques renseignements à M. le ministre des finances. Le premier paragraphe de l’article 15 porte : L'acte d'obligation est reçu par un notaire au choix de l'emprunteur. Je désirerais savoir quelle est la personne qui comparaîtra à l'acte pour accepter l'hypothèque ? Sera-ce le conservateur ? ou y aura-t-il dans chaque canton un délégué de la caisse commis à cet effet ?
Il est bon, ce me semble, de savoir ce qui se fera en ce cas.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Rien ne s'oppose à ce que les actes soient passés au chef-lieu du canton. La caisse pourra être représentée par l'un ou l'autre de ses agents ; l'acceptation de l'acte d'affectation hypothécaire aura lieu sans difficulté.
M. Malou. - Quels sont les deux parties contractantes qui interviennent à l'obligation ? Je vois bien l'emprunteur, mais je ne vois pas par quel agent la caisse est représentée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'administration de la caisse se fera représenter partout, pour accepter les obligations. C'est fort simple.
M. de Bocarmé. - Je trouve que les articles 15 et 16 du projet de la section centrale sont tellement connexes qu'ils devraient ne former qu'un seul article comme dans le projet du gouvernement.
M. le président. - La chambre statuera après qu'elle aura voté sur l'article 10.
- L'article 15 du projet de la section centrale est mis aux voix et adopté.
La chambre passe à la discussion sur l'article 11 bis du projet du gouvernement (10 de la section centrale). Ces dispositions sont ainsi conçues :
« Art. 11 bis. Le lendemain de cette inscription, le conservateur s'assure, également sous sa responsabilité, qu'aucune aliénation n'a été réalisée, ni aucune inscription prise au préjudice de la caisse depuis la date du certificat ou de l'état de charges produit à l'appui de la demande d'emprunt. Le même jour, il délivre les lettres de gage à l'emprunteur. Cette délivrance est constatée par une déclaration au pied de la grosse, et si l'emprunteur ne sait signer, elle est attestée par le conservateur et deux témoins. »
« Art. 16 (de la section centrale). Le lendemain du jour de cette inscription, le conservateur, après s'être assuré qu'aucune aliénation n'a été réalisée, ni aucune inscription prise au préjudice de la caisse depuis la date du certificat négatif joint à l'appui de la demande, opère la délivrance des lettres de gage à l'emprunteur.
« S'il ne sait signer, la marque de l'emprunteur est certifiée par le notaire qui a passé l'acte.
« Le récépissé et le certificat du notaire sont consignés au pied de la grosse. »
M. Lelièvre. - La rédaction du gouvernement me semble préférable. Il est impossible d'énoncer : « S'il ne sait signer, la marque de l'emprunteur est certifiée par le notaire qui a passé l'acte. »
La loi ne peut reconnaître ce qu'on appelle la marque de l'emprunteur.
Une marque n'est pas une signature et n'a aucune valeur réelle, elle ne saurait être légalisée, ni avoir la moindre existence légale. En conséquence il faut se borner à dire :
« Si celui-ci (l'emprunteur) ne peut signer, la délivrance est certifiée par le notaire qui a passé l'acte. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je maintiens la rédaction primitive du projet.
M. Delfosse. - Le conservateur ne peut certifier lui-même qu'il a délivré les lettres de gage. C'est pour cela qu'on fait intervenir le notaire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce seront des frais inutiles.
M. Deliége, rapporteur. - Il n'y aura pas d'augmentation de frais : ce sera un simple certificat donné par le notaire qui déclarera que la marque est bien celle de l'emprunteur.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après le projet du gouvernement, ce serait attesté par deux témoins.
M. Delfosse. - Il pourrait y avoir de grands inconvénients à se contenter de la signature du conservateur, même assisté de deux témoins ; il peut s'agir de sommes considérables, et le conservateur est ici partie intéressée. Je propose de remettre à demain le vote de cet article.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - M. Osy vient de déposer un amendement à l'article 30 qui sera imprimé. Il a pour but d'appeler à faire partie du conseil d'administration quatre membres nommés par les propriétaires.
- La séance est levée à 4 h 1/2.