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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 24 mars 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Ansiau (page 961) procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Goda réclame contre la décision prise par le gouvernement au sujet d'un legs fait par sa cousine germaine aux hospices civils de Liège. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Diest demande une loi qui mette à la charge de l'Etat les dettes contractées pour la construction de la route de Diest à Louvain, et de toutes les autres dont il s'est attribué la propriété. »

- Même renvoi.

M. de La Coste, rapporteur. - Messieurs, l'Etat étant en possession de la route pavée de Diest à Louvain, qui a été construite par la ville de Diest au moyen d'un emprunt dont elle reste actuellement chargée, le conseil communal demande que l'Etat, qui jouit des bénéfices, prenne aussi les charges. C'est une question très grave et qui se rattache maintenant à un précédent judiciaire et législatif, en vertu duquel nous avons remboursé entièrement le capital d'une dette semblable, et même payé tous les intérêts arriérés. Messieurs, je demanderai, afin de recommander spécialement cette affaire à l'attention de la commission des pétitions, qu'elle soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


M. Moncheur retenu chez lui pour affaires urgentes, demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires au ministère des finances

Rapport de la section centrale

M. Rousselle dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ouvrant plusieurs crédits supplémentaires au département des finances.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met le projet à l'ordre du jour a la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.

Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice 1852

Discussion générale

M. de Muelenaere. - Je demanderai à M. le président s'il entre dans les intentions de la chambre de comprendre dans la discussion générale les diverses parties des attributions confiées au département de la justice ou bien si, comme l'année dernière, on ouvrira une discussion sur chacun des chapitres du budget. D'après l'appréciation que j'ai pu faire du rapport de la section centrale et les observations produites par les sections particulières, on s'est borné généralement à émettre des vues et à provoquer l'initiative gouvernementale sur certains points. Je pense, messieurs, qu'il y aurait pour la chambre économie notable de temps si on ne se livrait qu'à une seule discussion générale. Cette discussion terminée, le vote du budget marcherait avec d'autant plus de rapidité que réellement aucune allocation du budget n'a soulevé d'objection.

Quant à moi, messieurs, je n'attache personnellement aucune importance à la marche qui sera adoptée par la chambre ; je ne vois dans mon observation qu'un moyen d'économiser le temps, de ne pas prolonger inutilement les débats, à la veille d'une discussion importante qui va prendre, à ce qu'il paraît, tout le temps qui nous reste jusqu'aux vacances de Pâques, je pense qu'il serait utile que la chambre prît une décision à cet égard avant l'ouverture des débats.

M. Lebeau. - Ce que M. de Muelenaere propose est tout simplement la modification du règlement. Le règlement admet une discussion générale, et il laisse ensuite à la chambre le soin de déclarer s'il y aura une discussion sommaire sur chaque chapitre du budget. La chambre use sobrement de ce droit, mais ce droit existe, et la chambre ne peut s'en dessaisir, sans modifier en ce point le règlement. Je ne pense donc pas que l'assemblée doive accueillir la motion d'ordre de l'honorable M. de Muelenaere, sauf à y avoir égard eu fait, par suite de ses observations, très fondées, sur la nécessité d'économiser notre temps.

- L'observation de M. de Muelenaere n'a pas de suile.

M. Lelièvre. - A l'occasion du budget de la justice, je dois nécessairement rappeler la proposition que j'ai présentée relativement à la détention préventive. L'année dernière, la chambre n'en avait prononcé l'ajournement que sur la promesse faite par M. de Haussy que, dès le début de la session actuelle, il présenterait un projet sur la matière, et c'était aussi en ce sens que s'était prononcée la section centralu chargée d'examiner ma proposition.

Rien n'est encore fait jusqu'à présent. Je préviens le gouvernement que je me verrai forcé de demander que ma proposition soit examinée par les sections et mise ensuite à l'ordre du jour.

Chaque jour démontre de plus en plus les graves inconvénients de l'ordre de choses actuel et, en ce qui me concerne, je veux qu'il soit bien constaté qu'il ne dépend pas de moi de réviser une législation contraire à toutes idées de justice et de liberté.

Du reste, il me sera facile, lors de la discussion, d'établir que ma proposition, loin d'énoncer des principes non réalisables, ne va pas assez loin relativement aux garanties dues aux prévenus, que d'un autre côté les intérêts de la société n'ont rien à redouter de mesures libérales qui doivent faire cesser la torture morale consacrée par nos lois criminelles, comme on a fait disparaître il y a soixante années la torture physique, qui aux yeux des magistrats de l'époque était considérée comme indispensable pour la bonne administration de la justice.

Je démontrerai facilement que les principes du droit et de la liberté n'ont rien d'incompatible avec la manifestation de la vérité et qu'un juge d'instruction n'a pas besoin de moyens extraordinaires répugnant à l'équité naturelle pour suivre avec succès une information de nature à assurer les intérêts de la société et ceux des accusés.

Il est un autre objet qui mérite également l'attention de la chambre, ce sont nos lois concernant les étrangers qui peuvent être expulsés du sol hospitalier delà Belgique sur la dénonciation la plus calomnieuse. Sous ce rapport, la législation belge laisse le sort des étrangers livré à un arbitraire effrayant.

Il est facile d'induire le gouvernement en erreur et de l'exposer à commettre les plus grandes injustices.

On le sait, l'expulsion des étrangers était un des griefs reprochés à l'administration hollandaise. C'est rendre au gouvernement actuel un éminent service que de ne pas laisser peser sur lui l'odieux de mesures qui souvent lui sont surprises par des dénonciations mensongères. Il est essentiel qu'il y ait jusqu'à certain point intervention du pouvoir judiciaire, au moins à l'effet de donner un avis motivé sur les causes qui peuvent justifier l'expulsion. Le pouvoir exécutif a même intérêt qu'il en soit ainsi pour mettre sa responsabilité à l'abri des vifs reproches dont il est l'objet dans l'état actuel des choses.

La révision des lois sur la procédure criminelle introduite par le Code militaire est d'une nécessité non moins urgente. Les accusés sont dénués de toute garantie. L'auditeur militaire est tout à la fois partie poursuivante, juge d'instruction et greffier. Il assiste aux délibérations du conseil de guerre. Il est évident que le sort de l'accusé est livré à sa merci. Il n'est pas possible de maintenir ultérieurement une législation qui est sans exemple dans un pays civilisé, où le droit et la liberté sont appréciés à leur juste valeur.

J'appelle aussi l'attention du gouvernement sur la législation concernant les enfants trouvés.

Aujourd'hui, les charges sont réparties de la manière la plus inégale entre les communes. La ville de Namur qui, par sa situation topographique, se trouve être le dépôt des enfants trouves apportés de l'étranger, est grevée d'une manière exorbitante. J'espère que, conformément aux divers rapports de la commission des pétitions accueillis par la chambre, le gouvernement s'occupera des mesures qui doivent faire cesser les inconvénients de l'ordre de choses actuel.

Enfin, messieurs, il me tarde aussi de voir apparaître le projet de loi sur la bienfaisance, qui doit concilier les droits de l'autorité publique sur les fondations avec une juste liberté laissée au testateur. Il est essentiel qu'il y ait sur ce point une législation définitive, afin que les testateurs trouvent dans la loi des règles clairement tracées auxquelles ils puissent se conformer.

Sans doute, il ne saurait être question de créer des personnes civiles, mais l'on peut certainement établir un ordre de choses équitable qui garantisse l'exécution des volontés des testateurs, en maintenant intacts le contrôle et l'action des pouvoirs publics.

J'espère que M. le ministre de la justice ne tardera pas à présenter le projet annoncé depuis si longtemps, projet qui doit arrêter irrévocablement la législation sur cetle matière importante.

M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, j'ai lu attentivement le rapport de la section centrale, présenté par l'honorable M. Orts, concernant le budget de la justice pour l'exercice 1852.

Qu'il me soit permis de le dire, on reconnaît de nouveau dans le travail de l'honorable député de Bruxelles les qualités qui distinguent les rapports dus à son talent. La section cenlale a suivi attentivement la marche des affaires, et le rapport contient des observations que nous croyons utile de reproduire.

Après un examen sérieux des diverses attributions confiées au département de la justice, dans notre pays, et des conséquences qu'elles (page 962) peuvent avoir en faveur du bien-être des institutions sociales qui nous régissent, toutes les questions réellement importantes sont franchement abordées dans ce rapport, celles qui se présentent sous un état satisfaisant comme celles qui souffrent et à l'égard desquelles il est fait un appel spécial aux sentiments de sympathie et d'intérêt.

C'est ainsi qu'on rappelle à la sollicitude du gouvernement, le projet de loi promis, concernant la détention préventive et dont le besoin se fait sentir depuis les lois de procédure criminelle nouvellement votées et en présence de la discussion prochaine de la reforme de nos lois pénales.

De même l'attention y est éveillée à l'occasion du régime des dépôts de mendicité.

Déjà dès l'année dernière, lors de la discussion du budget de l’intérieur, on a signalé l'impossibilité par un grand nombre de communes de payer ce qu'elles doivent pour l'entretien de leurs mendiants aux divers dépôts, et d'où il résulte nécessairement des rapports irréguliers et fâcheux entre les administrations.

Une circonstance que le gouvernement ne doit pas perdre de vue, c'est que partout dans les communes où l'industrie linière forme la principale ressource des habitants, ce sont précisément ces localités déjà affligées par le paupérisme qui se trouvent dans une situation aussi fâcheuse.

Depuis quelques années, nous voyons les communes réclamer énergiquement contre cet état de choses ; de tous côtés, on réclame la révision des lois en vigueur sur la mendicité et les dépôts, et afin de remédier aux nombreux abus qui ont pour ainsi dire rendu ces établissements des hôtelleries ouvertes à la fainéantise et la paresse. La réforme que l'on réclame est donc urgente ; j'insiste vivement pour que le gouvernement veuille s'en occuper.

De même le projet de loi promis depuis trois ans, sur les fondations de bienfaisance, projet que l'on ne cesse de réclamer, et si vivement désiré, dit le rapport, par le besoin de voir cette question si irritante définitivement vidée par une discussion sérieuse et de bonne foi, et que consacrerait un vote solennel.

Messieurs, au mois de décembre 1849, lettre en date du 18, j'ai eu l'honneur de soumettre à l'honorable M. de Haussy, alors ministre de la justice, quelques réflexions concernant la législation en matière de legs et fondations.

Ces réflexions embrassent deux ordres d'idées distinctes :

Les unes s'appliquent à la législation existante, les autres aux modifications dont cette législation serait susceptible.

L'honorable M. de Haussy, par sa dépêche en date du 21 janvier 1850, a bien voulu m'informer qu'il avait pris la détermination de communiquer mon cahier d'observations à la commission spéciale des fondations.

Comme la controverse qui existe à l'égard du système de cette législation soulève des difficultés sérieuses et, permettez-moi de le dire, inquiétantes pour les esprits et notamment dans la partie du pays que j'ai l'honneur de représenter, j'ai pensé, messieurs, qu'il pourrait être utile et en quelque sorte opportun de produire ces documents à la connaissance de l'assemblée, et c'est dans ce but que. je viens demander la permission, non pas d'en donner lecture à la chambre, dans la crainte de contrarier ses moments d'étude et d'attention, mais de lui proposer l'insertion de cette correspondance au Moniteur, et principalement pour cette considération que ces deux manuscrits ne tendent qu'à amener la conciliation et la bonne entente sur une question si importante pour l'humanité, tout en faisant justice des attaques dont le gouvernement est l'objet.

Tout récemment, messieurs, j'ai eu l'honneur de consulter notre honorable collègue, M. Tesch, successeur de M. de Haussy au département de la justice, sur l'opportunité de mon projet de publier cette correspondance, et l'honorable ministre a bien voulu me faire connaître qu'il n'y voit aucun inconvénient.

Dans cet état de choses, je pense que la question à poser est celle-ci :

La législation existante suffit-elle aux besoins de l'époque ?

Pour ma part, j'estime que l'on peut, avec fondement, prétendre que non.

Aussi, j'ose espérer que le gouvernement ne reculera devant aucune réforme utile, pour adopter, par une législation nouvelle, toutes les modifications propres pour faire cesser toutes les incertitudes qui naissent de cette controverse.

On nous dit que la commission spéciale que le gouvernement a instituée pour examiner la question a terminé ses travaux.

Je prends la liberté d'engager le ministère à examiner avec un soin tout spécial toutes les observations qui lui auront été soumises, afin de pouvoir présenter, dans un bref délai (selon sa promesse) pendant le cours de la présente session, un projet de loi disposé de manière à lever toutes les difficultés, d'autant plus que celles-ci sont de nature à arrêter l'élan de la bienfaisance privée et à diminuer ainsi les ressources qui l'alimentent, en continuant d'imposer au donateur des règles inflexibles et uniformes auxquelles il n'entend pas se soumettre.

M. le président. - M. le Bailly de Tilleghem propose à la chambre de faire imprimer une correspondance qui a eu lieu entre lui et M. de Haussy, ancien ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, les lettres dont parle l'honorable M. le Bailly de Tilleghem ont été adressées à mon honorable prédécesseur ; l'honorable membre m'a écrit pour me demander si je ne voyais pas d'inconvénient à la publication de ces lettres. Quant à moi, je n'avais aucune opposition à faire à cette publication. La correspondance dont il s'agit avait été en quelque sorte une correspondance particulière entre l'honorable membre et l'honorable M. de Haussy, sur les questions de charité.

J'ai dit à l'honorable M. le Bailly de Tilleghem de s'adresser à l'honorable M. de Haussy ; que quant à moi, je ne voyais personnellement aucune difficulté à ce qu'il publiât les lettres dont il s'agit. Je me trouve encore aujourd'hui dans la même position. Je ne vois pas de difficulté à ce que l'honorable membre publie les lettres qu'il a écrites à l'honorable M. de Haussy, de même que les lettres que l'honoroble M. de Haussy lui a écrites. C'est à la chambre à voir si cette publication se fera aux frais du budget de l'assemblée ou du Moniteur, ou si elle doit se faire aux frais personnels de l'honorable membre. Quant à moi je n'ai pas à donner, sous ce rapport, mon opinion.

M. le Bailly de Tilleghem. - Je demanderai la permission de donner lecture de ces lettres.

M. Lelièvre. - Je pense qu'il n'y a aucune difficulté à ce que la chambre autorise la lecture et l'impression de ces pièces.

- Un membre. - Si les lettres sont lues, elles seront par cela même imprimées au Moniteur.

M. le Bailly de Tilleghem. - Si la chambre veut en autoriser la publication au Moniteur, je renoncerai à la lecture des pièces.

- La chambre autorise M. le Bailly de Tilleghem à donner lecture des pièces dont il s'agit.

M. le Bailly de Tilleghem donne lecture de la lettre suivante :

« Bruxelles, 18 décembre 1849.

« Monsieur le Ministre,

« Je m'empresse de mettre à profit la latitude que vous avez eu la bienveillance de m'accorder à la fin de la séance de la chambre, après l'incident soulevé au sujet de la bienfaisance privée, et qui a marqué le cours de la discussion du projet de loi relatif à la caisse de retraite, pour vous soumettre particulièrement et en dehors des débats parlementaires, quelques réflexions concernant la législation suivie en matière de legs et fondations, etc.

« La question, selon moi, se réduit à une question d'application de principes.

« Le pouvoir actuel prétend que d'après le système qu'il a adopté il ne fait qu'exécuter la loi comme elle doit l'être ;

« Que la règle consiste dans la stricte application d'un principe pleinement conforme au texte, à l'esprit des lois qui régissent la matière.

« D'autre part, on soutient que le gouvernement actuel est en dehors de la loi, dans plusieurs actes qu'il a posés relativement à des fondations de charité ;

« Que son système compromet l'exercice de la charité privée, dans la plénitude de son action ;

« Tandis que l'interprétation donnée par les cabinets précédents à la législation était celle qui était plus conforme avec l'interprétation que les mêmes lois avaient toujours reçue de leurs auteurs, tant en France qu'en Belgique, en étendant l'action de la charité privée, en accordant à ses bienfaileurs, pour eux et leurs héritiers une part plus grande dans l'administration des fondations créées par eux comme dans la distribution de leurs libéralités.

« De cet état de choses il résulte un conflit ; les opinions sont controversées, on commente de plusieurs manières.

« Les institutions particulières de bienfaisance soutiennent que reconnues personnes civiles elles sont aptes seules, et à l'exclusion de tous autres, et sans l'intermédiaire d'une commission quelconque, à accepter toutes les libéralités qui leur sont faites et que c'est ainsi que les précédents pouvoirs se sont conduits en conséquence.

« Le cabinet actuel soutient que pour les institutions charitables privées, tout comme pour les autres qui ont une existence légale, il faut une commission, qui seule puisse être autorisée à accepter le legs ou la donation en leur nom.

« En d'autres termes, le gouvernement entend, pour ainsi dire, monopoliser la charité, tant privée que légale, et donner aux institutions de cette première catégorie des administrateurs ou des surveillants en quelque sorte légaux, comme sont pour les hospices et les bureaux de bienfaisance les membres de ces commissions.

« D'un côté, on n'admet que l'intention présumée et les vues du testateur, et on ne reconnaît qu'à lui seul la faculté, en disposant de sa fortune, de faire choix des moyens et des personnes pour exécuter sa volonté.

« On soutient que le pouvoir n'a pas à s'immiscer dans les institutions de bienfaisance privée et doit se contenter de réglementer ses institutions de bienfaisance officielle.

« On se fonde, à cet égard, en considérant que ces établissements de charité privée sont des établissements mères et dont l'existence date du christianisme et qui ont seuls, dans le principe, pourvu à tous les besoins de la pauvreté, et que ce n'est que lorsque le sentiment religieux s'est affaibli, et avec lui la charité privée, et que celle-ci ne put plus (page 963) suffire à soulager toutes les misères de l'humanilé, qu'alors, et alors seulement, il fallut ériger des institutions légales et décréter l’établissement d'hospices et de bureaux de bienfaisance.

« C'est dire assez que les institutions légales ne sont que les intermédiaires employés pour soulager les malheurs des pauvres en cas d'insuffisance de la charité privée et que si les ressources de cette dernière étaient suffisantes, il ne faudrait pas de charité légale.

« Il est vrai que le pouvoir a la faculté d'accorder ou de refuser à l'institution la personnification civile, mais une fois accordée, dit-on, l'institution a les mêmes droits que la personne naturelle, sauf l'obligation imposée par l'article 910 du Code civil.

« Les partisans de la centralisation entendent, eux, imposer à la bienfaisance privée une direction unique, lui appliquer le niveau des institutions publiques ; et soutiennent qu'une disposition, en faveur d'un établissement charitable quelconque, est une disposition d'ordre public, et que c'est au pouvoir qu'il appartient d'en réglementer l'exécution, ou du moins de fournir les garanties suffisantes pour l'exécution de la volonté du testateur.

« Enfin les opposants invoquent l'application du principe de la liberté religieuse en reconnaissant que les secours publics sont dus à toutes les croyances ; tandis que, d'autre part, on nie ce principe, et qu'on refuse à un testateur la faculté de régler sa charité, d'après sa conscience et les inspirations de sa foi, etc., etc.

« Monsieur le ministre,

« Comme cette controverse soulève des difficultés sérieuses et, permettez-moi de l'avouer, inquiétantes pour les esprits, et bien notamment dans la partie du pays que j'ai l'honneur de représenter.

« Et que ces difficultés sont de nature à arrêter l'élan de la charité privée, et à diminuer ainsi les sources qui l'alimentent, en imposant au donateur des règles inflexibles et uniformes auxquelles il n'entend pas se soumettre.

« Qu'en ôtant au donateur la faculté de faire administrer le bien qu'il donne par des administrateurs de son choix, en lui en imposant d'autres qu'il ne connaît pas, qui n'ont point sa confiance, c'est lui ôter la libre disposition de ce bien et le forcer en quelque sorte à renoncer à l'œuvre bienfaisante qu'il désirait faire et pour laquelle il destinait une partie de sa fortune.

« Que réellement cet état des choses expose les pauvres au danger de perdre dans la latitude du bienfait de la charité privée en la rendant moins abondante.

« J'ai pensé qu'il devient urgent de remédier dans le plus bref délai possible à des inconvénients aussi funestes.

« Entre les deux systèmes qui font l'objet du conflit, il importe au gouvernement de se fixer d'une manière positive afin de faire disparaître tout doute.

« Si la législation qui régit la matière est incomplète et insuffisante pour les besoins de l'époque par suite de l'interprétation que le cabinet actuel a cru devoir lui consacrer, il est indispensable de la compléter sans retard par des mesures législatives propres à faire cesser toutes les incertitudes.

« Or cette controverse ne peut finir que par la présentation d'un projet de loi, dont le gouvernement s'occupe.

« Toutefois et en attendant que ce travail dont l'étude est confiée à une commission soit préparé pour être soumis aux délibérations de la chambre, j'ai cru, M. le ministre, qu'il peut être utile et opportun de mettre ici en avant quelques considérations propres à introduire dans la législation que l'on prépare des dispositions plus en harmonie avec les précédentes, successivement adoptées par le pouvoir dans l'esprit des lois sur la matière.

« Et de proposer l'application de quelques règles d'après lesquelles il pourrait être statué sur les demandes qui peuvent être formées en conséquence des clauses écrites dans les actes de fondations et qui, basés sur de vrais principes, pourraient être appliqués à toutes les fondations en maintenant la volonté positive du fondateur, sans qu'elle puisse être changée ou altérée en manière quelconque ou sous quelque prétexte que ce soit.

« Ces règles sont :

« De statuer d'une manière positive, et en général, que les libéralités faites en faveur des pauvres, et lorsque les conditions n'en sont pas contraires aux lois ou aux bonnes mœurs, ni à l'intérêt général, seront acceptées par l'administration de l'hospice ou du bureau de bienfaisance, après en avoir obtenu l'autorisation du Roi ;

« D'admettre légalement dans les actes de fondations les dispositions par lesquelles l'auteur du legs se réserve la faculté de faire administrer le bien qu'il donne par les personnes de son choix, d'en nommer les distributeurs et d'en prescrire l'emploi déterminé ;

« D'autoriser ainsi la fondation en conformité de la volonté du testateur, en lui reconnaissant un caractère d'utilité publique, en soumettant l'institution à la surveillance de quelques membres de l'autorité municipale ; sauf que la comptabilité de l'institution formerait un chapitre séparé en dehors de la comptabilité de l'établissement officiel auquel l'instilution privée serait réunie ; et sans néanmoins en rien préjudicier aux droits que le bureau de bienfaisance aurait à faire valoir dans le cas où les revenus dotaux de l'institution viendraient à dépérir ou diminuer de valeur et mettraient ainsi obstacle à l'exécution de la volonté du fondateur, auquel cas la commission de surveillance ferait rapport à l'administration provinciale qui, sauf l'approbation du gouvernement, y pourvoirait par des mesures propres à atteindre le but que le testateur s'était proposé.

« La plupart des hospices sont dus à des fondations pieuses, dont les auteurs avaient déterminé eux-mêmes la forme d'administration, le régime intérieur et la destination particulière à quelques-uns.

« Quelques commissions administratives avaient cru devoir réunir en un seul hospice les fondations qui avaient un même but et qui étaient pour une même espèce d'individus.

« Leur zèle était sans doute louable ; mais en s'écartant de la volonté des fondateurs on s'expose à de justes plaintes de la part des parents et autres personnes admises à recueillir le bienfait de la fondation ; ces abus de la puissance ont toujours été réparés autant que possible par un esprit de législation qui a fait respecter le titre des fondations comme un patrimoine de famille, en les rendant à leur destination primitive.

« M. le ministre, d'après ce que l'on m'assure, il paraît que les parties en contestation ne sont pas tellement en désaccord qu'il n'y ait moyen de concilier leurs soutènements réciproques.

« Elles ont pour but de venir en aide au malheur et de soulager l'infortune ; elles ne diffèrent que sur l'emploi des mesures pour obtenir un tel résultat.

« L'intention du gouvernement n'est point de détruire ni d'entraver la charité privée, mais seulement de la légaliser, d'en obtenir, si je ne me trompe, la centralisation.

« Il faut donc tâcher d'assurer la propriété de la bienfaisance privée par un choix de règlements convenables.

« Si on ne peut pas lui donner promptement une direction parfaitement satisfaisante pour l'application du principe de la liberté religieuse et en garantissant au fondateur d'une institution la faculté de régler sa charité d'après les inspirations de sa conscience, elle finira bientôt par tomber en décadence, au grand détriment du bien-être social. »

M. le ministre, une commission est instituée pour étudier cette question si importante !

Sans doute elle l'examinera attentivement sous toutes les faces qu'elle comporte.

Toutefois il importe essentiellement que la commission puisse faire bientôt son rapport et de manière à pouvoir résoudre toutes les difficultés en présentant un projet de loi rigoureusement formulé afin de ne pas avoir à se prononcer sur des idées générales, qui peuvent changer de face lorsqu'on les interprète et les traduit.

Permettez-moi, M. le ministre, de vous faire remarquer qu'il y a un point qu'il me paraît essentiel de ne pas omettre, c'est que la nouvelle loi puisse autant que possible conserver tout ce qui acte fait jusqu'ici de bonne foi, et de ne pas lui donner un effet rétroactif qui serait désastreux pour les pauvres de nos malheureuses Flandres.

Veuillez encore me permettre, M. le ministre, de venir insister près du gouveruement pour que le rapport de la commission puisse être communiqué à la chambre dans le plus bref délai possible et de vous prier en même temps d'avoir la bienveillance de faire connaître, si nous pouvons espérer d'obtenir prochainement la communication du travail que la commission a mission d'élaborer.

Une information de cette nature, M. le ministre, serait de nature à diminuer l'incertitude que les esprits éprouvent à cet égard.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ignore complètement le contenu de la lettre dont il s'agit ; je n'entends pas bien l'orateur.

M. Lesoinne. - La chambre en a autorisé la lecture.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne sais pas jusqu'à quel point il est convenable d'autoriser la lecture et l'impression des correspondances que les ministres peuvent avoir avec des représentants.

M. le président. - Je dois à la vérité de dire qu'avant de commencer la lecture de la lettre, il en a fait connaître l'objet et il a demandé si M. le ministre ne trouvait pas d'inconvénient à ce que cette lettre fût communiquée à la chambre. M. le ministre a répondu que non.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans ce cas les ministres devront être très circonspects dans leur correspondance avec les représentants. Je répète que je ne sais pas ce que contient la lettre dont il s'agîi ; je suis du reste convaincu qu'elle ne contient rien qui ne puisse être publié.

M. Lesoinne. - Alors, il n'y a pas de raison pour ne pas continuer la lecture que la chambre a autorisée.

M. Lelièvre. - Lisez ! lisez !

M. le Bailly de Tilleghem. - Je ne tiens pas à donner lecture de cette correspondance, si la chambre veut en autoriser l'insertion au Moniteur.

M. le président. - C'est la même chose.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est un débat dans lequel il m'est impossible d'intervenir. M. le Bailly de Tilleghem avait eu avec mon prédécesseur, M. de Haussy, une correspondance qui, bien que portant sur un objet d'intérêt général, avait un caractère privé plutôt qu'officiel.

M. le Bailly de Tilleghem m'a demandé si, en ce qui me concernait, je ne voyais pas d'inconvénient à ce qu'il donnât de la publicité à cette correspondance, j'ai cru indispensable de renvoyer l'honorable M. le Bailly de Tilleghem à M. de Haussy lui-même ; je lui ai dit que c'était à celui qui a écrit la lettre à dire s'il consent à sa publication.

M. Malou. - (page 964) On n'a pas besoin de son consentement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je sais que M. le Bailly de Tilleghem n'avait pas besoin d'obtenir la permission de M. de Haussy pour publier sa correspondance, car, l'ayant en sa possession, il était libre d'en faire usage ; mais il y avait là une question de convenance dont M. Malou ne saurait contester l'existence.

C'est à raison de la question de convenance et non de la question de droit que l'honorable membre s'est adressé à moi.

Or j'ai pensé que le juge compétent de la question de convenance était celui qui avait pris part à la correspondance et non celui qui y est étranger. C'est la position dans laquelle je me suis trouvé quand M. le Bailly s'est adressé à moi, et c'est celle où je me trouve encore.

M. Malou. - Non seulement M. le Bailly de Tilleghem a été autorisé par la chambre, mais il n'avait pas besoin de cette autorisation pour lire sa correspondance ; il pouvait dire ce qu'il voulait, ce qu'il trouvait utile pour appuyer son opinion. C'est une question d'appréciation dont il est seul juge. Mais il a déclaré quel était l'objet de la correspondance qu'il produisait, et la chambre, consultée, a, en quelque sorte, autorisé la lecture. Si l'honorable membre trouve que certains passages ne doivent pas être lus, il s'arrêtera, mais il ne peut y avoir à cet égard ni incident ni décision de la chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne me suis pas opposé à la lecture de la correspondance dont il s'agit ; mon honorable collègue ne s'y est pas opposé non plus ; mais je signale les inconvénients que cet antécédent pourrait entraîner dans la suite. Du reste on est libre de donner lecture des correspondances particulières si la chambre veut les entendre.

M. le président. - La parole est continuée à M. le Bailly de Tilleghem ; ce sera à lui de juger ce qu'il peut ou ne peut pas lire.

M. le Bailly de Tilleghem. - Je renonce à lire le reste de cette correspondance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens à constater que mes observations ne portent nullement sur le fond de la lettre, que je n'ai pas lue, mais sur la question de forme, et comme antécédent.

M. d'Hondt. - J'ai demandé la parole uniquement pour faire quelques observations sur la législation des dépôts de mendicité, qui donne lieu à d'unanimes réclamations.

Un grand nombre d'administrations communales, entre autres toutes celles du district d'Audenarde, sans exception, au nombre de 49, se sont adressées à la chambre pour se plaindre de l'état désastreux où les jette l'entretien des mendiants et vagabonds. C'est surtout dans les communes pauvres et populeuses des Flandres que se font sentir les inconvénients de cette législation.

L'organisation des dépôts ne répond nullement au but qu'on en attendait. Au lieu d'être considérés comme des maisons de répression, ou tout au moins de correction, ces dépôts sont regardés par les mendiants et les vagabonds commes des refuges créés pour la fainéantise et la paresse.

Sous ce rapport donc, le but qu'on s'était proposé a été loin d'être atteint ; car tandis que les communes s'épuisent en efforts et en sacrifices de toute espèce, pour offrir des secours aux vrais malheureux, c'est-à-dire à ceux qui, par leur âge ou leurs infirmités, n'ont pas d'autre perspective que la misère, et pour procurer du travail à leurs indigents valides, il n'en est pas moins vrai qu'on voit tous les jours une masse de fainéants et de mauvais sujets qui exploitent la mendicité comme le moyen d'aller abriter leur scandaleuse paresse sous des toits où le bien-être flatte et alimente leur infâme vice et qui occasionnent ainsi à leurs localités des frais ruineux. Cela se voit tous les jours, les exemples en sont fréquents, c'est ainsi qu'a peine sortis des dépôts, l'on voit de ces êtres dégradés courir redemander à la mendicité la faveur d'un nouveau terme de réclusion.

Ainsi, en fait, les dépôts constituent une provocation à la mendicité, un encouragement à la paresse, en même temps qu'ils sont une source de ruine pour les communes ; car notez que les frais d'entretien dans ces établissements sont excessifs, en proportion de ce que coûterait l'entretien des pauvres dans leurs communes. Je crois qu'on peut sans exagération calculer qu'avec le coût de la journée d'entretien d'un seul indigent dans un dépôt, on pourrait en entretenir trois, sinon quatre, dans la commune même.

Maintenant, j'aurai l'honneur de vous signaler en peu de mots, dans l'intérêt des caisses communales, quelques-uns des vices de cette loi.

D'après l'article 4 de la loi du 3 avril 1848 « si un individu qui a été admis volontairement, est sorti du dépôt, et qu'il rentre dans le cours de la même année, il doit y séjourner forcément pendant le terme de six mois au moins et d'un an au plus. »

D'après les articles 9 et 10 de l'arrêté royal du 15 juillet 1849, « si le reclus est entré par suite d'une condamnation, il ne peut, même pour la première fois, être mis en liberté qu'après un séjour forcé d'au moins 6 mois. »

Voilà du moins les règles générales, quant aux adultes.

Maintenant, voici ce qui regarde les enfants et les jeunes gens au dessous de l'âge de 18 ans. Ceux-là, d'après l'article 6 de ladite loi, sans distinction d'admission volontaire ou par condamnation, doivent être retenus, pendant 6 mois au moins, s'il s'agit de la première fois, et au moins pendant un an, s'ils rentrent de nouveau.

Je vous demande maintenant, messieurs, si ce n'est pas là frapper les communes au lieu d'atteindre les mendiants. C'est une véritable peine que vous infligez aux administrations locales, tandis que vous procurez en quelque sorte aux mendiants un bien qu'ils recherchent.

Je dis qu'avec un système pareil, il est impossible à nos communes, surtout dans les Flandres, quelques sacrifices qu'elles puissent faire, malgré l'emploi de tous leurs revenus ordinaires et extraordinaires, malgré ceux de leurs bureaux de bienfaisance, de faire face à des dépenses aussi considérables.

Je me permettrai d'appeler, en quelques mots, l'attention du gouvernement et de la chambre sur les quelques améliorations dont la législation actuelle me paraît susceptible.

Je crois d'abord, messieurs, que l'on devrait ordonner aux administrations des dépôts de mendicité de donner immédiatement et directement avis aux communes, dès qu'un indigent a été admis.

En second lieu, je voudrais que la loi autorisât les communes à réclamer immédiatement et directement leurs indigents dès qu'elles s'engageraient à leur procurer du travail ou des secours. Mais aujourd'hui il y a des circuits ; il faut que les gouverneurs prennent des avis ; il faut une foule de preuves et de formalités, et avant que ces formalités ne soient remplies, il s'est écoulé un temps assez long pour imposer aux communes des dépenses déjà considérables.

Je crois qu'en troisième lieu la loi devrait interdire aux dépôts l'admission, par entrée volontaire, d'individus qui y auraient déjà fait un séjour.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais c'est la loi.

M. d'Hondt. - Vous êtes dans l'erreur.

Je crois enfin, messieurs, que la loi devrait chercher à exempter de toutes charges les communes qui font tous les efforts humainement possibles pour procurer des secours et du travail à leurs indigents ; par exemple, les communes qui ouvrent des asiles, des fermes de bienfaisance, des ateliers de travail à leurs indigents. Car dès lors il me semble injuste qu'une commune qui fait de tels sacrifices doive encore contribuer à l'entretien des indigents paresseux et récalcitrants qui ne veulent pas profiter des mains charitables que la commune leur tend.

Je crois que le gouvernement devrait rechercher les moyens de venir au secours de ces communes modèles.

Je sais, messieurs, que c'est là une question très grave, une matière très épineuse. Je ne dis pas qu'elle est d'une solution facile ; mais je ne désespère pas que le zèle infatigable et les études consciencieuses de l'honorable ministre de la justice ne viennent à bout de ces difficultés.

J'espère que l'honorable ministre de la justice parviendra à introduire dans notre législation de notables améliorations.

C'est uniquement au point de vue de l'intérêt des communes que j'examine cette question en ce moment, et je la recommande à toute la sollicitude du gouvernement.

M. Rousselle. - Je suis le conseil que m'a donné récemment l'honorable ministre de la justice, en venant soumettre à la chambre, à l'occasion de la discussion du budget de ce département, quelques considérations relativement aux réclamations présentées par le conseil provincial du Hainaut au sujet du traitement des secrétaires des commissions administratives des maisons de sûreté et d'arrêt.

Je n'ignore pas, messieurs, la défaveur qui s'attache ordinairement à une prétention qu'une seule province élève et sur laquelle toutes les autres se taisent ; mais si cette prétention est fondée, et je la crois telle, elle mérite d'être accueillie abstraction faite de cette circonstance.

Il est essentiel de rappeler, messieurs, que le gouvernement, dans la loi organique du pouvoir provincial, avait proposé de mettre tous les frais des commissions administratives des prisons à charge de l'Etat ; et ce n'était que juste, puisque le service des prisons est un service général et non d'utilité simplement provinciale ; mais la section centrale a fait admettre un amendement qui forme aujourd'hui le deuxième alinéa du n°3 de l'article 69 de cette loi déterminant les charges provinciales ; il est ainsi conçu :

« L'achat et l'entretien de leur mobilier, les frais des commissions des prisons, autres que les grandes prisons de l'Etat. »

Il est évident pour moi, qu'en adoptant cet amendement, le législateur n'a voulu que le maintien de ce qui existait alors : or, à cette époque les commissions administratives des prisons n'avaient point de secrétaires salariés ; l'un des membres faisait toutes les écritures, et il était alloué une modique somme à titre de forfait pour les frais de bureau.

Aujourd'hui, cela est totalement changé.

Un arrêté royal du 7 juin 1843 modifie radicalement l'ordre existant antérieurement : par l'article premier, il est décidé que les secrétaires ne peuvent plus faire partie des commissions ; par l'article 2, qu'ils seront nommés par le Roi ; par l'article 3, que les membres faisant les fonctions de secrétaire devront opter entre les deux charges.

C'est donc un emploi d'administration générale qui a été créé et auquel le Roi a nommé. Dans cette situation la règle est que le traitement soit payé sur le budget de l'Etat.

Je ne veux pas prétendre qu'en vertu du deuxième alinéa du n°3 de l'art. 69 de la loi provinciale, on ne puisse demander le concours des provinces pour une certaine quotité des frais du secrétariat actuel des commissions (page 965) des prisons ; mais il me semble que ce concours doit avoir lieu au moyen d'une somme à verser au trésor, ainsi que cela se fait pour tous les autres frais concernant les prisons, etc., indiqués dans les deux alinéas du n°3 de l'article précité.

Par ce moyen, messieurs, la marche du pouvoir central est entièrement libre, comme elle doit l'être pour tous les objets d'administration générale.

Je prie donc M. le ministre de la justice de vouloir bien examiner de nouveau cette affaire, afin que lorsque nous arriverons aux articles 42 et 43 de son budget, il puisse proposer ou approuver tel amendement qui sera reconnu nécessaire pour vider le différend existant entre le gouvernement et le conseil provincial du Hainaut.

Je ne demande pas que M. le ministre s'explique immédiatement ; mais je le prie de faire de cette question l'objet de ses mûres délibérations. Si, lorsque nous arriverons aux articles 42 et 43, il ne propose pas d'amendement, j'en déposerai moi-même un.

M. Thiéfry. - Plusieurs conseils communaux des villes où il y a des tours pour l'exposition des enfants trouvés, ont été appelés à délibérer sur des propositions faites pour leur suppression.

Les opinions ont été partagées, quant au droit que confère la loi aux conseils communaux. Quelques conseillers ont cru que cela n'entrait pas dans leurs attributions ; des pétitions ont été adressées à la chambre pour réclamer l'intervention de la législature, elles ont été renvoyées au ministre de la justice, avec demande de renseignements.

Je crois devoir profiter de la discussion du budget, pour provoquer une décision à cet égard.

Ceux qui contestent aux conseils communaux le droit de la suppression des tours, invoquent le décret du 19 janvier 1811, et soutiennent que la loi du 30 juillet 1834 n'a pas modifié cette partie du décret.

Je prétends au contraire que le décret de 1811, et la loi de 1834, donnent l'un et l'autre le pouvoir aux conseils communaux de fermer les tours.

En effet, Napoléon a eu pour but de restreindre les lieux de dépôts, afin de diminuer le nombre des enfants exposés.

Les rapports du ministre de l'intérieur en date du 29 août et du 27 septembre 1810 prouvent qu'il espérait, par suite des dispositions du décret, diminuer de 10,000 le nombre des enfants trouvés de toute la France : mais l'Empereur n'a jamais voulu obliger aucune ville à conserver les hospices dépositaires. Le texte du décret de 1811 ne laisse d'ailleurs aucun doute à ce sujet.

L'article 3 dit : « Dans chaque hospice destiné à recevoir des enfants trouvés, il y aura un tour où ils devront être exposés. »

Cela impose donc l'obligation d'établir un tour dans chaque hospice, et rien de plus.

L'article suivant est ainsi conçu. « Il y aura au plus, dans chaque arrondissement, un hospice où les enfants trouvés pourront être reçus. »

Ainsi, il ne peut pas y avoir plus d'un hospice par arrondissement, mais il est évident qu'il peut y en avoir moins, et qu'il ne résulte même pas de cet article qu'il doive y en exister un seul.

Pour preuve que c'est bien là la signification du décret, c'est que M. de Montalivet disait, dans une instruction du 15 juillet 1811, « que le but de l'article 4 était de réduire autant que possible le nombre des dépôts, et de rompre les habitudes funestes qui sembleraient légitimer l'exposition des enfants que l'ordre social a destinés à être élevés par leurs parents. »

Aussi, un grand nombre d'hospices cessèrent immédiatement d'être dépositaires, et depuis lors plus des deux tiers des tours ont été supprimés en France. Il y en avait encore 225 en 1825, et il n'en existe plus aujourd'hui que 72. Quelques-uns ont aussi été supprimés dans notre pays.

Mais ce n'est pas l'interprétation à donner aux décrets français qu'il faut rechercher, lorsque d'autres lois inscrites dans notre pacte fondamental régissent clairement la matière.

L'article 31 de la Constitution dit que les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux.

L'article premier de la loi du 30 juillet 1834 dit :

« A partir du 1er janvier 1855, les frais d'entretien des enfants trouvés, nés de père et mère inconnus, seront supportés pour une moitié par les communes sur le territoire desquelles ils auront été exposés, sans préjudice du concours des établissements des bienfaisance ; et pour l'autre moitié par la province à laquelle ces communes appartiennent. »

La loi met donc la dépense des enfants trouvés à charge des communes et des provinces, et par ce seul fait l'article 31 de la Constitution doit recevoir son entière exécution.

L'article 78 de la loi communale prescrit aux conseils communaux de faire les règlements d'administration intérieure et les ordonnances de police communale.

Il appartient, par conséquent, aux communes et aux provinces d'examiner la question de savoir s'il y a utilité à maintenir les tours, et elles ont évidemment le droit de les supprimer si elles les jugent dangereux.

S'il pouvait y avoir le moindre doute à cet égard, il suffirait de lire les discussions qui ont eu lieu à la chambre et au sénat, à l'occasion de la loi de 1834.

« La commission du sénat,a dit le rapporteur, a été d'accord sur l'utilité de la suppression des tours ; mais elle a pensé qu'il n'y avait pas lieu à inscrire cette suppression dans la loi, et que c'était aux localités à juger, d'après les circonstances dans lesquelles elles se trouvent, si elles peuvent ou non fermer les tours »

Cette opinion a été partagée par tous les orateurs ; il est si vrai que telle a été la pensée de la législature que le ministre de la justice, dans une instruction adressée aux députations permanentes, le 23 août 1834, s'exprime de la manière suivante :

« Je dois vous faire observer, messieurs, qu'en donnant ces instructions, le gouvernement ne fait que s'associer aux vœux unanimement exprimés au sein des deux chambres législatives. Cette déclaration vous mettra à même de saisir les motifs de l'abrogation tacite des dispositions relatives à l'établissement des tours destinés à recevoir les enfants exposés. La législature n'a pas voulu commettre l'inconséquence de prescrire des mesures tendantes à faire diminuer le nombre des expositions et de sanctionner en même temps un usage qui les favorise et les facilite. Elle a craint toutefois de prononcer la suppression totale et immédiate des tours existants à cause des conséquences inhérentes à toute mesure brusquement ordonnée ; mais le silence de la loi est l'expression du désir formel devoir tomber en désuétude cette institution. Le soin de déterminer l'opportunité de leur suppression, d'après ce que les convenances ou les nécessités locales exigent, est laissé aux administrations provinciales et communales. »

Les pétitionnaires ont demandé que la législature veuille se prononcer sur cette importante question. Pour obtempérer à ce désir, il faudrait ou changer l'article 31 de la Constitution ou imposer la charge des enfants trouvés à l'Etat. Le premier de ces moyens est dangereux ; le second augmenterait extraordinairement une dépense qui est déjà fort importante.

D'après les raisons que je viens d'alléguer, je prie M. le ministre de la justice de vouloir bien me dire s'il n'y a pas lieu de répondre aux conseils communaux qui ont pétitionné, que les lois qui régissent la matière ont abandonné à eux et aux conseils provinciaux le droit de maintenir ou de supprimer les tours.

On comprendra facilement les motifs qui m'empêchent de développer des raisons puissantes en faveur de la fermeture des tours. Je n'aborderais cette question que pour autant qu'on déciderait qu'elle doit être tranchée par la législature ou si l'on venait contester mon opinion. Dans ma manière de voir, ce n'est pas ici, mais bien dans le sein des conseils communaux qu'elle peut être débattue.

M. de Theux. - Messieurs, les deux questions qui viennent d'être agitées, celle du paupérisme et celle des tours, sont assurément les questions les plus difficiles à résoudre, et je n'hésite pas à dire qu'on ne parviendra jamais à les résoudre d'une manière complètement satisfaisante ; tout ce que le pouvoir législatif et l'administration pourront faire, ce sera de progresser vers le bien ; mais remédier à tous les inconvénients, c'est une chose véritablement impossible.

Je dirai quelques mots en ce qui concerne les dépôts de mendicité dont parlait l'honorable M. d'Hont. Messieurs, tout ce que l'honorable membre désire pour le dégrèvement des communes se trouve dans la loi sur les dépôts de mendicité ; seulement il est possible que l'on pourrait adopter quelques formalités plus simples qui abrégeassent les délais et permissent aux communes de réclamer dans un temps plus court ceux qui sont entrés volontairement dans les dépôts dî mendicité, pour leur accorder des secours à domicile ou du travail.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On ne peut plus entrer volontairement dans les dépôts de mendicité sans l'autorisation de la commune.

M. de Theux. - Alors la loi a été revisée sur ce point ; mais alors aussi les indigents se trouvent placés dans une position très difficile : aux termes de la loi, tout acte de mendicité constitue un délit ; mais, messieurs, il ne peut y avoir délit que lorsque la commune a fourni à l'indigent du travail ou des secours, conformément à la loi qui décrète l'établissement des bureaux de bienfaisance ; car en cas d'insuffisance des revenus des bureaux de bienfaisance les communes doivent y suppléer.

Messieurs, quant à ceux qui sont réellement indigents et qui ne le sont point par leur faute, il ne peut pas y avoir de difficultés sérieuses ; il y a obligation évidente de venir à leur secours par le travail ou de toute autre manière, mais la grande difficulté, messieurs, gît en ce point que lorsque les secours sont continués, l'indigent qui n'aime point à travailler ou qui aime à s'abandonner à quelque vice, place volontairement la commune dans une position excessivement difficile, et à cela il n'y a pas d'autre remède que la moralisation des indigents.

J'ai dit, dans une autre occasion, que, à côté des établissements publics, des hospices, des bureaux de bienfaisance, il existait évidemment encore des lacunes et que la loi et l'administration doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour combler ces lacunes.

En parlant de lacunes, messieurs, j'appelle, comme d'autres membres l'ont fait, l'attention de M. le ministre de la justice sur la présentation d'un projet de loi relatif à l'exercice de la bienfaisance.

C'est à l'occasion de la discussion de cette loi que nous pouvons, messieurs, introduire dans la législation tout ce qui sera possible pour venir au secours des malheureux, surtout pour obtenir leur moralisalion, car sans la moralisation de la classe indigente, la législation et l'administration seront toujours complètement insuffisantes.

Ainsi, par exemple, en Angleterre il est connu que tout ce que la législation a pu faire pour le soulagement de la misère, n'a eu d'autre résultat que de multiplier les demandes de secours et d'exciter en quelque sorte à la paresse.

(page 966) Tout indigent, messieurs, qui ne l'est point par sa faute doit être secouru de la manière la plus large ; celui qui l'est par sa faute ne doit pas pour cela mourir de faim, ce serait aller certainement beaucoup trop loin, mais il doit cependant sentir dans la restriction des secours une certaine pénalité qui l'encourage à travailler, qui l'encourage a vivre d'une manière morale.

Je n'en dirai pas davantage sur cette question, puisque nous serons appelés prochainement à la discuter d'une manière approfondie.

En ce qui concerne les enfants trouvés, un honorable membre provoque le gouvernement à supprimer les tours, ou bien à les rétablir partout où ils ont existé ; eh bien, messieurs, quant à moi, je n'engagerai pas du tout le gouvernement à présenter uue mesure générale à cet égard, et je lui citerai les provinces qui n'ont point de tours. Ainsi, par exemple, le Limbourg et le Luxembourg en sont dépourvus, et je crois que c'est un grand bien-être pour les populations de ces provincee, car il est évident que la multiplicité des tours est une provocation à l'exposition des enfants.

Pour moi, messieurs, cela est de toute évidence, et la multiplicité des expositions a pour effet la destruction du principe de la famille, chose extrêmement grave, et, en second lieu, la mortalité est très considérable parmi les enfants exposés. Toutefois, messieurs, je n'oserais pas me prononcer d'une manière absolue pour la suppression de tous les tours existants, la question est trop grave pour la trancher ainsi d'une manière incidente. J'attendrai même, pour l'examiner, que la chambre s'occupe de la discussion à laquelle j'ai déjà fait allusion.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs ; les différents points qui ont été soulevés sont trop importants pour pouvoir être suffisamment traités dans une discussion de budget.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Plusieurs orateurs ont pris la parole dans cette discussion ; je vais leur répondre dans l'ordre dans lequel ils m'ont interpellé.

L'honorable M. Lelièvre a engagé le gouvernement à tenir la promesse faite par l'honorable M. de Haussy, de présenter le plus tôt possible un projet de loi sur la détention préventive. Messieurs, dans la discussion du budget de 1851, j'ai déclaré que le projet de loi sur la détention préventive serait déposé dans le courant de cette session ; que, même, je ferais détacher le premier titre du Code d'instruction criminelle pour le soumettre séparément à la discussion des chambres. Je n'ai pas perdu, messieurs, un seul instant pour arriver à l'accomplissement de cette promesse. La commission s'est assemblée plusieurs fois ; elle s'est mise d'accord sur tous les principes ; elle a nommé son rapporteur M. Nypels, professeur à l'université de Liège ; il reste à rédiger le projet de loi et l'exposé des motifs. Je le répète, je n'ai pas perdu un seul instant pour arriver à saisir la chambre de cet objet.

L'honorable M. Lelièvre voudrait aussi que l'on revisât la législation relative aux étrangers. Messieurs, nous sommes occupés aujourd'hui à réviser de très nombreuses parties de notre législation : il est impossible de tout réviser à la fois : on révise le Code d'instruction criminelle, on révise le Code pénal, on révise une partie du Code de procédure, une partie du Code civil, une partie du Code de commerce, on révise d'autres lois ; dans quelques jours, je déposerai un nouveau Code forestier ; on révise la législation sur la charité, sur la discipline judiciaire, etc.

D'un autre côté, il est très difficile de faire sur les étrangers une loi qui ne présente pas quelques inconvénients. C’est une loi d’exéution dans laquelle il faut toujours laisser plus ou moins à l’arbitraire du gouvernement. Il serait impossible de faire intervenir l’autorité judiciaire dans cette partie de la législation. Il y aurait une espèce de confusion de pouvoirs, si l’on faisait intervenir l’autorité judiciaire dans des mesures de police, dans des mesures qui rentrent exclusivement dans les attributions du pouvoir exécutif.

Quant à la législation sur les enfants trouvés, ainsi que vient de le dire l'honorable M. de Theux, c'est encore là une matière qu'il est difficile de réglementer ; il est surtout très difficile de faire disparaître tous les inconvénients qu'elle présente.

La mendicité, l'exposition des enfants sont des plaies de notre société. Ce n'est pas par un règlement qu'on les fera disparaître. On pourra dire que c’est l’Etat, ou la province, ou la commune qui payera ; mais ce n’est là en définitive qu’assujettir une administration, plutôt qu’une autre, à la charge d’entretien.

C'est un problème dont la solution est loin d'être facile. En France, on s'occupe depuis longtemps de la question des enfants trouvés ; jusqu'à présent on n'est arrive à aucune solution.

Je ne puis donc pas m'engager dès à présent à déposer un projet de loi modifiant la législation sous ce rapport. Mais on s'occupe, dans mon département, de rassembler tous les matériaux nécessaires pour examiner la question sous toutes ses faces.

L'honorable M. le Bailly a entretenu principalement la chambre de la législation sur la charité ; l'honorable M. de Theux, de son côté, a appelé mon attention sur cet objet. Je ne puis que répéter ce que j'ai dit à diverses reprises et récemment encore : c'est que dans le courant de la session, et le plus tôt possible, un projet de loi sera déposé. J'espère que la chambre pourra encore le voter avant la clôture de la session. Je ne puis pas, sur ce point, donner une autre réponse que celle-là.

L'honcrable M. d’Hont s'est spécialement occupé de la question des dépôts de mendicité ; il a indiqué quelques améliorations qu'il voudrait voir introduire dans notre législation. Ainsi que le lui a fait remarquer avec raison l'honorable M. de Theux, ce que demande l'honorable membre se trouve dans la loi de 1845 et surtout dans celle de 1848.

L'honorable M. d'Hont part de cette idée qu'aujourd'hui encore les mendiants peuvent se rendre dans le dépôt de mendicité, comme dans une auberge ; qu'ils peuvent quitter le dépôt quand bon leur semble et y rentrer quelques jours après.

Messieurs, cela était ainsi sous l'empire de la loi néerlandaise, et même sous l'empire de la loi de 1845 ; mais en 1848, on a obvié à cet abus par la loi qui est intervenue à cette époque.

L'honorable M. d'Hont disait tout à l'heure que les mendiants devaient nécessairement rester dans le dépôt pendant six mois une première fois et pendant un an, une seconde fois ; il n'en est pas ainsi ; aux termes de la loi de 1848 l'autorité communale peut demander l'élargissement d'un mendiant, et le gouverneur autoriser cet élargissement.

La loi de 1848 a eu pour but d'obvier et a obvié en grande partie aux inconvénients qu'on a signalés ; la discussion de cette loi a été très longue ; je ne vois pas pourquoi on modifierait déjà aujourd'hui cette législation.

Il en est des dépôts de mendicité comme de beaucoup d'autres choses ; le dépôt de mendicité est un inconvénient ; on pourra réglementer ; mais ce n'est pas par la loi qu'on fera disparaître l'inconvénient ; vous pouvez disposer que l'entretien est à la charge soit de l'Etat, soit de la commune, soit de la province ; il y a toujours quelqu'un qui devra payer.

Quelle est la source de toutes les réclamations qui parviennent à la chambre ? C'est l'obligation imposée jusqu'ici aux communes par toutes les législations qui se sont succédé, d'entretenir leurs pauvres. Veut-on leur enlever cette charge ? veut-on la faire tomber, soit sur les provinces, soit sur l'Etat ? Si c'est l'Etat qui doit la supporter, il faudra commencer par voter des millions au budget. Mais je ne pense pas qu'on soit disposée adopter cette solution. Les communes doivent rester chargées de cette dépense ; et pourquoi ? Parce qu'ayant à pourvoir à l'entretien de leurs mendiants, elles sont intéressées à empêcher la mendicité, à en arrêter le développement.

Quant à l'administration des dépôts de mendicité, l'honorable M. d'Hont sait qu'elle est principalement abandonnée aux provinces. Je reconnais qu'il y a des dépôts de mendicité qui pourraient être mieux administrés ; mais je déclare en même temps que les autorités provinciales font tout ce qui dépend d'elles pour introduire des améliorations dans le régime de ces établissements ; dans la Flandre occidentale et la province de Limbourg, on a formulé de nouveaux règlements qui amélioreront l'état actuel des choses. (Interruption).

On me dit que la journée d'entretien dans les dépôts de mendicité est trop chère ; c'est possible, mais qu'on veuille bien m'indiquer un moyen d'amener une diminution. (Nouvelle interruption.)

On dit qu'il y a des hospices où l'on entretient un mendiant à meilleur marché ; eh bien, rien n'empêche les communes de mettre leurs mendiants dans ces hospices ; mais lorsque les communes laissent leurs mendiants dans les dépôts, ou lorsqu'ils s'y trouvent par suite d'un jugement, il est évident que quelqu'un doit payer la charge qui doit résulter du séjour de ces individus dans le dépôt. Or veut-on que ce soit l'Etat ? Je ne pense pas que la majorité de cette chambre puisse adopter cette manière de voir.

Je reconnais que cette obligation impose aux communes des charges assez lourdes. Mais je désirerais beaucoup que les communes qui réclament et que les membres qui se font, dans cette enceinte, les échos de ces plaintes, voulussent bien nous indiquer un moyen de porter remède à cet état de choses.

L'honorable M. Rousselle nous a parlé de la difficulté qui s'est élevée entre le conseil provincial de Mons et le gouvernement relativement au traitement des secrétaires des commissions administratives des prisons. Le conseil provincial de Mons est le seul du pays qui ne croie pas qu'il soit obligé de payer les secrétaires des commissions administratives des prisons.

J'ai examiné la question sous toutes ses faces et je suis resté convaincu que le conseil de Mons n'a pas raison, qu'il est dans son tort, qu'on ne peut pas admettre sa réclamation, et je suis prêt à démontrer à la chambre que les arguments sur lesquels le conseil provincial s'est appuyé dans le temps, aussi bien que les arguments nouveaux qu'il produit maintenant, ne peuvent pas justifier ses prétentions.

L'honorable M. Ch. Rousselle disait qu'avant 1836 il n'y avait pas de secrétaires des commissions administratives des prisons ; c'est là une erreur ; il y en a eu avant cette époque : avant l'arrêté seulement de 1843 on les choisissait parmi les membres qui composaient les commissions et on leur donnait une indemnité pour menus frais et salaires ; aujourd'hui, cette indemnité est divisée en deux parties : menus frais et traitement. Pour la prison de Mons, le traitement du secrétaire était de 600 florins.

Cela résulte d'un arrêté de 1825 : « Les mêmes subsides seront acordés aux membres de ces collèges qui se chargeront des fonctions de secrétaires pour les couvrir de leurs menues dépenses et les indemniser de leurs travaux. » Voilà l'arrêté de 1825 ; je ne comprends pas qu'on puisse demander quelque chose de plus clair.

(page 967) La loi de 1836, la loi provinciale dit que tous les frais des commissions administratives des prisons seront à la charge des provinces.

Le gouvernement avait proposé de faire supporter ces charges par l'Etat. La section centrale a imposé cette charge aux provinces ; elle a modifié la proposition du gouvernement ; et l'on vient prétendre que les provinces ne doivent pas payer les secrétaires des commissions administratives des prisons. Le conseil provincial argumente du système de régie introduit par le gouvernement. Mais la question de savoir par qui doit être payé le traitement du secrétaire, ne dépend pas du système que le gouvernement peut introduire dans les prisons ; d'ailleurs ce système de régie existait avant la loi de 1836, et il existait à Mons notamment.

Maintenant le conseil provincial, battu sur ces questions, a trouvé un autre argument dans la loi provinciale. Si je dois payer, a-t-il dit, c'est à moi à fixer le traitement.

Je pourrais répondre, en soutenant que la loi, en laissant aux provinces le droit de payer le traitement des employés qu'elle salarie, n'a entendu parler que des employés provinciaux ; que la loi générale ne déroge pas à des dispositions spéciales, mais je trouve dans la loi provinciale même un argument péremptoire à lui opposer.

Sans doute, le conseil provincial fixe le salaire des employés provinciaux, mais le gouvernement a le droit de porter à une somme suffisante les dépenses obligatoires des provinces, sans cela le conseil provincial pourrait dire : Je porte le traitement du secrétaire à 50 fr. par an et rendre illusoire le droit du gouvernement. Dans ce cas le gouvernement a le droit de porter d'office à un chiffre supérieur la somme que le conseil a fixée à un taux qui n'est pas admissible.

Je ne puis, en présence d'une opposition que je ne crois pas fondée, proposer des modifications à notre législation.

Enfin l'honorable M.Thiéfry m'a interpellé sur la question de savoir si,dans mon opinion, les communes pouvaient supprimer les tours qui se trouvaient dans les différents hospices.

L'article 3 du décret du 19 janvier 1811 déclare qu'il y aura un tour par hospice, et dans un article suivant qu'il y aura un hospice par arrondissement. Là où il y a un hospice, il faut donc un tour. Mais je crois que la loi de 1834 a implicitement abrogé l'article 3 du décret de 1811.

Voici comment. Quand la loi de 1834 a été présentée aux chambres, le gouvernement avait proposé de faire supporter la charge des enfants trouvés par la province et les hospices. La section centrale chargée d'examiner le projet a modifié cette disposition et proposé de mettre à la charge de l'Etat tous les frais d'entretien des enfants trouvés ; sur la proposition de M. de Theux, on les mit à la charge des communes et des provinces. Et on a continuellement admis dans la discussion, que du moment où on mettait ces frais à la charge des communes et des provinces, on leur laissait le soin de prendre les dispositions nécessaires pour l'exécution de la loi.

C'est pour cela qu'en 1834, M. Ernst a déclaré, dans la circulaire dont M. de Theux a donné lecture, que c'était aux communes, de commun accord avec les provinces, à s'occuper de la question de la suppression ou du maintien des tours.

Je pense aussi que c'est par cette raison que l'article 4 de la loi de 1854 a été rédigé dans les termes dans lesquels il a été inséré dans la loi.

Voici ce que porte cet article : « Il n'est pas dérogé aux règles légales actuelles sur le placement, l'éducation, etc., des enfants trouvés et abandonnés. »

J'ai parcouru la discussion de la loi de 1834. Il en est résulté, pour moi, la conviction qu'on était d'accord, à cette époque, sur ce point que dorénavant ce serait aux provinces à prendre, de commun accord avec les communes, les mesures relatives à la réception des enfants trouvés et abandonnés. Il en a été de même au sénat. La question des tours est donc aujourd'hui une question provinciale et communale.

Je crois avoir répondu aux diverses observations qui ont été présentées.

M. de Perceval. - La question de savoir s'il faut supprimer ou maintenir les tours est trop grave, à mes yeux, pour être traitée ici incidemment. Je ne veux donc pas ouvrir une discussion à ce sujet. Ce qui m'a fait demander la parole, c'est l'énonciation faite à mes côtés de certaines idées, de certains principes que je ne puis admettre. Je me bornerai à répondre à l'honorable M. Thiéfry qu'il est bon de résoudre sous le point de vue de l'humanité, surtout dans les circonstances actuelles, les questions du genre de celles dont il a entretenu la chambre. Pour moi, les devoirs de l'humanité dominent les exigences ou les prescriptions de la loi sur cette matière. Je me préoccupe fort peu du texte d'un décret ; je suis d'avis qu'il est utile et humain de maintenir les tours dans les localités où ils se trouvent établis.

Répondant au discours de l'honorable M. Lelièvre, M. le ministre de la justice nous a promis que, dans le courant de cette session, il présenterait un projet de loi sur la détention préventive. Je le remercie de cette déclaration ; j'ai pleine confiance dans la promesse qu'il vient de nous faire à ce sujet.

Je me permettrai d'appeler son attention sur la nécessité de saisir aussi la législature d'une loi sur les préséances. Une fâcheuse lacune existe à cet égard dans notre législation.

Dans nos solennités publiques, nous voyons surgir de très graves conflits.

C'est ainsi que dans la capitale, lorsque des fêles nationales ou des cérémonies religieuses réunissent tous les pouvoirs de l'Etat, des corps importants y brillent par leur absence.

Dans nos provinces, dans nos villes, ces conflits prennent souvent un caractère plus sérieux encore, et amènent des divisions regrettables. Ici, c'est le procureur du roi qui veut avoir le pas sur le bourgmestre ; là. c'est le bourgmestre qui est devancé par le commissaire de district. Dans certains chefs-lieux de province, des généraux commandants des divisions territoriales veulent précéder le gouverneur civil.

Je passe sous silence mille autres susceptibilités administratives qui se font jour quand il s'agit de se rendre en corps à un Te Deum.

Il me suffit de constater les conflits et je demande que M. le ministre de la justice y mette un terme par une loi, car il est temps de régler les préséances.

- - Un membre ; - Il y a le décret de 1811.

M. de Perceval. - Ce décret n'est plus compatible avec notre organisation politique et administrative actuelles. J'appelle toute l'attention de M. le ministre de la justice sur ce point. Nos cérémonies publiques, nos fêtes nationales souffrent de l'état actuel des choses.

M. de Brouckere. - J'ai fort peu de mots à dire, et je ne viens demander la révision d'aucune loi. Je trouve les lois suffisantes ; mais je crois qu'on pèche par l'exécution.

Comme vous l'a dit M. le ministre de la justice, il y a deux manières d'entrer au dépôt de mendicité : on y va par condamnation ou à sa demande, et avec l'autorisation de l'autorité communale, mais l'administration communale ne peut y envoyer d'autorilé. On fait une demande à l'autorité communale, et celle-ci reste juge de l'opportunité ; si elle croit pouvoir donner des secours, l'individu est affranchi d'aller au dépôt de mendicité.

Mais je ferai l'observation précisément contraire à celle qu'a faite un honorable membre (M. d'Hont). Je trouve qu'il y a beaucoup trop de facilité à mettre les individus en liberté, une fois qu'ils sont au dépôt de mendicité.

Une instruction ministérielle porte à 6 mois le terme de séjour au dépôt de mendicité pour ceux qui y vont une première fois ; et à un an pour ceux qui y vont une seconde fois ; c'est-à-dire qu'au bout de six mois ou au bout d'un an, ils sont libres de plein droit, ils ne doivent être réclamés par personne, il faut bien les mettre en liberté. Avant ce terme, les communes comme les familles ont toujours le droit de réclamer la mise en liberté, mais à une condition, condition bien expresse, c'est d'assurer le moyen de vivre aux individus dont elles demandent la mise en liberté. Eh bien ! c'est qui n'arrive pas ; voilà ou l'exécution pèche.

Une foule de communes demandent la sortie des individus des dépôts le lendemain du jour où ils y entrent, et je vous citerai, non pas un cas, mais cinquante, de mendiants, de vagabonds arrêtés à Bruxelles jusqu'à six ou sept fois et pour qui les communes demandaient la mise en liberté le lendemain du jour où ils étaient entrés au dépôt, et cela dans le but de ne pas pourvoir aux frais de leur entretien.

Quant à moi, je ne suis pas de ceux qui demandent que ce soit la province ou l'Etat qui supporte les frais des dépôts de mendicité. Il est bien certain que la ville de Bruxelles paye comparativement beaucoup plus qu'aucune autre commune.

Nous avons supporté du chef des dépôts de mendicité jusqu'à 275,000 francs par an. Eh bien, nous savons parfaitement que si c'était l'Etat ou la province, la dépense serait peut-être doublée, peut-être triplée.

Je ne réclame pas non plus contre la loi des étrangers, mais je voudrais que dans l'exécution même, dans les instructions pour mieux dire, on apportât certains adoucissements ; quand des étrangers sont paisibles, quand ils n'abusent pas de l'hospitalité une fois qu'ils sont entrés dans le pays, ils devraient être exempts de toutes les formalités auxquelles on les soumet aujourd'hui.

Enfin, messieurs, je dirai un mot des enfants trouvés. M. le ministre de la justice nous disait tout à l'heure que si le décret de 1811 existait seul, il n'y aurait pas de doute qu'il faudrait des hospices d'enfants trouvés et des tours, et il trouve que les tours ont été supprimés par une loi de 1834. La faculté de supprimer les tours date de 1817. Le jour où, en vertu de la Constitution de 1815, les communes ont été émancipées, le jour où les enfants trouvés n'ont plus été une charge de l'Etat, mais des communes, car sous le gouvernement précédent, ils étaient à la charge des communes, ce jour-là les communes sont devenues libres d'administrer comme elles l'entendent tout ce qui appartient aux enfants trouvés, et c'est en vertu de cette liberté que sous le régime précédent, avant 1830, plusieurs tours ont été fermés et notamment le tour de Maestrichl, le tour du Limbourg.

Vous avez entendu tout à l'heure l'honorable M. de Theux se féliciter de ce qu'il n'y avait pas de tours dans le Limbourg et dans d'autres provinces. Mais il fut un temps où il y avait un tour dans chacune de ces provinces, et à cette époque (cela vient corroborer l'opinion de l'honorable M. de Theux), il entrait au tour du Limbourg 500 enfants trouvés par an.

On vous a parlé d'humanité. Ce mot d'humanité se jette facilement (page 968) ainsi au public ; mais la question est de savoir s'il y a plus d'humanité à conserver les tours qu'à les supprimer.

Or, nous qui réclamons la suppression des tours, c'est aussi en vue de l'humanité que nous la demandons ; c'est que nous croyons faire beaucoup plus du bien que ceux qui demandent le maintien des tours.

Comme vous l'a dit l'honorable M. de Theux : là où il n'y a pas de tours, il n'y a pas d'abandonnements, il n'y a pas d'enfants trouvés.

Je demanderai si, dans la province de Limbourg, il y a vingt ans que je l'ai quittée, il y a aujourd'hui plus d'infanticides qu'autrefois ? Ce que je puis dire, c'est que depuis 1823, époque de la fermeture du tour, jusqu'en 1830, époque où j'ai quitté la province, il n'y avait pas d'infanticide dans le Limbourg ; je ne dis pas de crimes reconnus par la cour d'assises, mais pas même de mises en accusation. Donc la suppression du tour n'a eu ni à Maestricht, ni dans le Limbourg entier, aucune influence sur les infanticides.

Je le répète, je ne demande pas au gouvernement une loi sur les enfants trouvés. Cette loi, si elle intervenait, serait tout bonnement une atteinte portée à la loi de 1836, à la loi communale. Les communes, sous ce rapport, doivent pourvoir aussi bien au sort de leurs enfants trouvés qu'au sort de toutes les autres misères qu'elles renferment dans leur sein.

M. de Theux. - Je ne veux dire qu'un seul mot relativement à la mendicité.

Messieurs, il y a du vrai dans ce qu'a dit l'honorable M. de Brouckere, qu'en accordant trop facilement la mise en liberté des mendiants de profession, on les encourage à continuer leur métier.

Tandis que d'une autre part, si le gouvernement était trop rigoureux à maintenir dans les dépôts de mendicité les fndividus qui se sont amendés, que les communes espèrent pouvoir entretenir à domicile, il amènerait la ruine infaillible d'un grand nombre de nos communes.

C'est à tel point que je connais un grand nombre de communes que, si l'on internait tous leurs mendiants pendant six mois, il faudrait exproprier pour couvrir la dépense qui en résulterait.

M. le ministre de la justice a dit quelque chose de juste dans son discours ; c'est que si les dépôts de mendicité coûtent cher, sont très onéreux pour les communes, il faudrait tâcher de favoriser les établissements locaux qui pourraient fournir les secours de l'assistance, à un moindre prix et en quelque sorte sous la surveillance des autorités communales.

Tel était aussi, messieurs, le fond de ma pensée, lorsque j'ai parlé de mesures à prendre pour compléter les institutions qui existent. L'examen de ces mesures pourra trouver sa place dans la discussion de la loi sur la charité ; elles seraient une immense amélioration, un moyen de grand soulagement pour les communes.

M. d'Hondt. - Je désire également faire une réponse à M. le ministre de la justice, en ce qui me concerne.

L'honorable ministre a dit que tout ce qui faisait l'objet de ma demande quant à l'amélioration de la législation se trouvait déjà dans la loi de 1848. C’est ainsi que j’avais demandé qu’il fût fait défense aux directions des dépôts de mendicité de recevoir « par entrée volontaire » tout indigent qui y aurait déjà fait un séjour.

On me dit que l’entrée volontaire est interdite, qu'elle existait sous la loi de 1845, mais qu'elle n'existe plus sous celle de 1848.

Messieurs, quand je me suis servi du mot « entrée volontaire », c'est par par opposition à « condamnation ». J'étais, du reste, parfaitement en droit de le faire, puisque je n'ai fait qu'emprunter la distinction textuellement aux articles mêmes de la loi de 1848. Voici ce que porte l'article 4 de cette loi :

« Un arrêté royal déterminera, pour tous les dépôts de mendicité, les conditions de sortie. Cependant les indigents entrés volontairement dans dans un dépôt, ne pourront, la première fois, être astreints à y séjourner plus de 30 jours ; s'il rentre au dépôt dans la même année, ce temps sira de six mois au moins et d'un an au plus. »

Et l'article 6 n'est pas moins explicite. Il dit :

« Par exception à l'article 4, les enfants et les jeunes gens entrés volontairement ou transférés dans ces établissements à la suite d'une condamnation du chef de mendicité ou de vagabondage, y seront retenus pendant 6 mois au moins, s'ils y sont pour la première fois, et au moins pendant un an, s'ils y sont entrés plus d'une fois. »

La loi de 1848 se sert donc bien clairement des mots « entrée volontaire ». Comme je viens de le dire, je les ai employés par antithèse avec « condamnation », et j'entends par entrées volontaires celles, par exemple, qui se font sur l'ordre de l'autorité du lieu où le mendiant va exercer son dégradant métier. Car notez qu'il ne faut pas un ordre de l'autorité du lieu où il a son domiciléou sa résidence ; l'administration du lieu où l'indigent se trouve peut donner l'autorisation de le recevoir dans le dépôt.

L'honorable ministre me fait un signe négatif, mais je vais le lui prouver, la loi à la main.

Voici en effet ce que dit l'article premier : « Quant aux individus non condamnés qui se présenteraient volontairement aux dépôts, ils n'y seront admis à l'avenir, que pour autant qu'ils seront munis de l'autorisation, soit du collège des bourgmestre et échevins du lieu de leur domicile de secours, soit du collège des bourgmestre et échevins de la localité ou ils se trouvent ou dans laquelle ils ont leur résidence. »

Il y a plus : la loi autorise encore les gouverneurs ou les commissaires d'arrondissements de ces diverses localités, à accorder l'autorisation en cas d'urgence. Et vous voulez que ce pouvoir si multiplié ne donne point lieu à des abus préjudiciables aux communes ? Que résulte-t-il de ce système ? C'est qu'un mendiant se rend dans une grande ville, par exemple à Bruges ; il y feint une maladie ou une infirmité et il mendie ; on l'arrête et on le conduit au dépôt de mendicité. Voilà l'autorité du lieu ou il se trouve qui de suite donne ou du moins peut donner l'ordre de le recevoir dans l'établissement.

C'est sous ce rapport qu'il y a des entrées qu'on peut qualifier de volontaires, et vous voyez qu'en me servant de cette expression, j'étais loin d'être dans mon tort.

J'avais demandé en second lieu que l'on autorisât les communes à réclamer directement et immédiatement les détenus par suite de délit de mendicité. J'ai ajouté que le séjour forcé pendant 6 mois, et pendant un an, en cas de retour, me paraissait exorbitant, au point de vue des deniers communaux.

M. le ministre de la justice m'a encore répondu : « Cela se trouve dans la loi, le gouverneur peut immédiatement autoriser l'élargissement. »

Oui, messieurs, je sais cela parfaitement, mais j'ai parlé du principe. J'ai dit qu'en principe il fallait que le mendiant restât au moins six mois au dépôt, et un an s'il y retournait dans le cours de l'année.

Je ne pouvais ériger en règle ce qui n'est que l'exécution. Cependant, c'est en m'opposant l'exception que l'honorable ministre a voulu me réfuter. Je sais bien que le gouverneur peut ordonner l'élargissement avant le terme fixé pour des motifs spéciaux et fondés, mais c'est là le cas exceptionnel, restrictif de la règle générale.

Il faut donc des motifs spéciaux dûment justifiés. Il faut que la preuve de ces motifs se fasse administrativement, il faut que cette justification soit fournie. Or tout cela donne lieu à des lenteurs, à des détours, à des correspondances, et avant d'arriver à un résultat, il s'écoule un délai suffisant pour entraîner les communes dans des frais déjà trop notables.

Voilà les points que j'ai voulu signaler comme susceptibles d'améliorations. L'honorable ministre m'a encore objecté que l'entretien des mendiants doit nécessairement tomber et rester à la charge des communes, parce que le grand but auquel a voulu arriver la loi, c'est d'engager les communes à concourir à l'extirpation de la mendicité, que c'est précisément à cause que les communes y sont intéressées qu'elles feront leur possible pour remédier à cette lèpre.

Je connais ce motif et je le comprends. Mais je vous le demande, M. le ministre de la justice, lorsque des communes telles que celles de Sulsique, par exemple, pour borner ma seule citation au district que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, et beaucoup d'autres dans les Flandres, ouvrent des asiles, des fermes de bienfaisance, des ateliers, pour lesquels elles font tous les sacrifices possibles ; lorsque, malgré de si charitables, de si généreux efforts, des fainéants, des paresseux, des récalcitrants s'obtinent à ne pas vouloir profiter des avantages que leur offrent ces communes ; qu'ils préfèrent, au contraire, aller dans les grandes villes se faire arrêter jusqu'à six et sept fois, comme nous l'a dit l'honorable M. de Brouckere, est-il juste que ces mêmes communes qui s'épuisent déjà dans les efforts qu'elles font afin de prévenir la mendicité, doivent contribuer encore à payer l'entretien de ces vagabonds, de ces vauriens qui, repoussant les bras charitables qui leur sont tendus, s'en vont dans les grands centres de population demander l'aumône pour pouvoir s'héberger dans un dépôt de mendicité ?

Je dis que cela me paraît souverainement injuste. Ne pourrait-on pas faire de la mendicité obstinée, de la triple et quadruple récidive, une espèce de délit ordinaire qui serait puni, comme on punit le vol, par les prisons de l'Etat. Il me semble qu'on pourrait chercher à recourir à ce moyen, lorsqu'une commune a fait tous les efforts imaginables pour payer sa dette à l'extinction de la mendicité.

L'honorable M. de Brouckere a encore répondu qu'on est trop prompt à accorder l'élargissement. Il a dit que les communes réclament les mendiants souvent dès le lendemain de leur entrée au dépôt et qu'on s'empresse de les mettre en liberté. Mais qu'est-ce que cela prouverait quant à ces mendiants incorrigibles dont je viens de parler, qui, de retour dans leur commune, ne veulent pas travailler, de ces gens qui ne sont bons à rien, véritables lèpres de la société. La commune a beau leur offrir dr l'occupation, ils n'en veulent pas, ils retournent constamment à leur métier de mendiant.

Je vous le demande, messieurs, pouvez-vous laisser ces gens-là éternellement à la charge de la commune ?

Je soumets la matière à la sollicitude de M. le ministre de la justice Je répète ce que j'ai dit tout à l'heure, elle est difficile, elle n'est peut-être point susceptible de recevoir une solution péremptoire, mais il me semble qu'elle mérite toute l'attention du gouvernement.

Plusieurs communes font plus qu'on ne se l'imagine peut-être sur le banc ministériel ; elles font des sacrifices incroyables pour tendre une main secourable à leurs malheureux, mais il en est qui restent sourds aux offres de la plus généreuse humanité et c'est ceux-là qu'il faudrait autrement punir, sans punir en même temps les bienfaiteurs.

M. Lebeau. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire sur la question des tours. Je ne veux pas du tout l'envisager en elle-même, je dirai seulement que si j'avais à la traiter ici, je me rallierais probablement à l’avis de MM de Brouckere et de Theux. Mais je ne veux que faire une seule (page 969) observation sur la question de légalité soulevée par l'honorable M. Thiéfry, et qui l'avait été antérieurement devant le conseil communal d'une de nos grandes villes.

Je dois croire, d'après les explications de l'honorable M. de Brouckere, que son opinion n'est pas celle qui a prévalu dans ce conseil. Je crois, quant à moi, qu'il est incontestable que la question des tours ne ressortit en aucune façon à l'autorité centrale, et qu'elle est exclusivement dans les attributions non seulement des communes, mais encore des provinces auxquelles incombe, de par la loi, une partie de la dépense.

Je crois donc que c'est à tort que le conseil communal auquel je faisais allusion a voulu renvoyer la solution de cette question aux chambres et au gouvernement.

Je crois du reste que maintenant la commune et la province sont très près de s'entendre ; dans tous les cas, je partage, en général, l'opinion que l'honorable M. de Brouckere a exprimés tout à l'heure et je pense que le gouvernement ne pourrait intervenir que par voie administrative c'est-à-dire par voie d'approbation.

M. Dumortier. - Messieurs, je n'ai demandé maintenant la parole que pour m'occuper exclusivement des dépôts de mendicité, me réservant de traiter l'une des autres questions qui ont été soulevées, dans la discussion des articles.

Il est hors de doute que les dépôts de mendicité sont une charge intolérable pour un grand nombre de communes surtout dans les Flandres où une grande crise a amené de grandes infortunes et où beaucoup de communes se trouvent dans l'impossibilité de marcher à cause de la charge que les dépôts de mendicité font peser sur elles. C'est là un fait que tout de monde est à même d'apprécier et M. le ministre de la justice a reconnu lui-même que la journée d'entretien est beaucoup trop élevée. Or, messieurs, c'est précisément là qu'est le mal ; la journée d'entretien dans les dépôts de mendicité coûte au minimum 40 à 45 centièmes, tandis que dans les établissements libres elle ne coûte que 12 à 15 centimes et certes les ouvriers qui sont entretenus dans les établissements libres sont beaucoup mieux traités que ceux qui se trouvent dans les dépôts de mendicité.C'est là, messieurs, la grande question. La commune, dans les dépôts de mendicité, doit payer, disons à 45 centimes par jour, 165 francs par an tandis que si elle était libre de mettre ses mendiants dans les établissements libres elle ne paierait au plus que 55 francs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La commune est parfaitement libre sous ce rapport.

M. Dumortier. - Je suis charmé de l'apprendre ; mais alors il faudrait aussi que la commune pût être autorisée à retirer des dépôts les mendiants qui s'y trouvent.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est ce qui est.

M. Dumortier. - Je connais cependant beaucoup de communes des Flandres qui sont considérablement obérées à cause des dépots de mendicité.

M. Lebeau. - Si elles ne demandent pas à entretenir leurs mendiants d'une autre manière.

M. Dumortier. - Mais il me semble que si elles le pouvaient elles le demanderaient puisque leur intérêt l'exige.

Messieurs, comment les choses se passent-elles ? Il arrive très souvent que le mendiant n'est pas envoyé au dépôt de mendicité par la commune où il avait sa résidence ; il va demeurer dans une autre commune, souvent dans une grande vdle, et c'est cette autre commune qui l'envoie au dépôt de mendicité.

Eh bien, il résulte de cela des charges très considérables pour les communes et j'ai entendu, pour mon compte, des administrations communales du district qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte, se plaindre amèrement de ces charges énormes.Il me semble que le meilleur moyen d'y remédier, c'est de laisser aux communes la complète latitude d'envoyer leurs pauvres aux établissements libres.

M. de Brouckere. - Ce que demande l'honorable M. Dumortier existe : dès qu'une commune répond de l'existence d'un individu n'importe de quelle manière, soit qu'elle le fasse travailler, soit qu'elle le place dans un hospice, pourvu qu'elle déclare qu'il ne se livrera plus à la mendicité, l'individu est immédiatement mis en liberté.

M. Dumortier disait : Mais il n'est pas arrêté dans sa commune, c'est une autre commune qui le fait arrêter. Eh bien, messieurs, aussitôt qu'un individu arrive dans un dépôt de mendicité quelconque, le directeur du dépôt lui fait subir un interrogatoire, d'où il conclut quel est le domicile de secours ; et immédiatement on envoie le signalement de l'individu à la commune, en lui disant que cet individu est à sa charge au dépôt. Si la commune reconnaît le domicile de secours, tout est dit ; ce n'est que lorsqu'elle le conteste qu'il y a des formalités à remplir et alors encore si la commune disait : Dans le doute j'entretiendrai provisoirement le mendiant, elle aurait le droit de se faire restituer les frais de cet entretien dans le cas où il serait reconnu que cette commune n'est pas le domicile de secours de l'indigent dont il s'agit. (Interruption.)

- - Un membre. - En cas de récidive, il faut l'autorisation du gouverneur.

M. de Brouckere. - Oui ; mais le gouverneur ne fait aucune opposition, dès que la commune intervient ; il ne fait de l'opposition que quand c'est la famille qui réclame ; alors il a recours à la commune pour savoir si la famille a les moyens nécessaires pour venir en aide à l'individu qu'elle réclame, et lorsque la commune répond oui, l'individu est remis en liberté le lendemain.

M. de Decker. - Messieurs, la véritable difficulté n'a été abordée ni par M. le ministre de la justice ni par l'honorable M. de Brouckere. Nous savons très bien que la commune peut réclamer ses mendiants, et que, quand elle organise dans la localité même des moyens de travail, elle peut se trouver ainsi déchargée de l'entretien de ses mendiants au dépôt, mais la difficulté que j'ai signalée dans une circonstance précédente et dont l'honorable M. d'Hont vient de dire un mot, est celle-ci : une commune organise des ateliers de travail, il y a dans la commune des mendiants qui reviennent du dépôt de mendicité et qui ne veulent pas entrer dans les ateliers de travail ; ils se font reprendre comme mendiants et rentrent dans le dépôt de mendicité, à la charge des communes.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, le fait que signale l'honorable M. de Decker existe. Je veux bien admettre que ce soit la cause principale des charges qui grèvent certaines communes. Mais comment faire disparaître la difficulté ? Les individus incorrigibles dont on parle, les individus qui ne veulent pas travailler, doivent nécessairement rentrer dans le dépôt de mendicité et il faut bien que quelqu'un paye les frais de leur entrelien.

Vous ne pouvez remédier à l'abus que de trois manières. Le premier moyen consiste à mettre la dépense à la charge de l'Etat ; je ne crois pas qu'on veuille de ce moyen ; le second consiste à abolir les lois répressives de la mendicité ; personne ne voudra non plus de ce moyen ; le dernier moyen consiste à introduire un régime extrêmement sévère dans les dépôts de mendicité.

C'est ce qu'on a fait dans certains dépôts ; c'est ce qu'on cherche à introduire dans tous les dépôts ; et c'est dans cet ordre d'idées que les règlements sont révisés.

L'Angleterre a pris des mesures dans le même sens, elle a organisé des travaux tout exprès, les travaux de mouture, entre autres, pour les mendiants incorrigibles. C'est, je pense, le seul moyen efficace à employer. Le gouvernement et les administrations provinciales sont dans-cette voie.

M. de Brouckere. - Dans le Brabant, cela est ainsi.

- La discussion générale est close.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de travaux publics, pour indemniser les victimes des inondations

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi ouvrant un crédit au département des travaux publics pour pourvoir aux dépenses occasionnées par les inondations et à quelques autres dépensés arriérées.

-Le projet sera imprimé et distribué. La chambre le renvoie à l'examen des sections.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de la justice (M. Tesch) (pour une motion d’ordre). - La chambre a mis à l'ordre du jour de demain la discussion du projet de loi relatif au crédit foncier ; je pense qu'il entre dans les intentions de la chambre de continuer et de terminer d'abord la discussion du budget de la justice. (Oui ! oui !)

- La chambre, consultée, décide qu'elle terminera l'examen du budget de la justice, avant d'aborder la discussion du projet de loi sur le crédit foncier.

La séance est levée à 5 heures moins un quart.