(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 805) M. Ansiau fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Quelques industriels propriétaires à Bruxelles demandent la prohibition des os à la sortie. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
« Le conseil communal de Grammont prie la chambre de réclamer de M. le ministre de l'intérieur les explications qu'elle lui a demandées sur sa pétition relative à la nomination d'un membre de la commission de l'hospice civil de cette ville. »
M. Coomans. - Messieurs, la pétition dont on vient de vous présenter l'analyse signale des faits excessivement graves : il ne s'agit de rien moins que de la violation réitérée et obstinée de la loi communale dans ses dispositions les plus essentielles. La pétition, messieurs, est relative à des faits qui ont déjà été signalés dans cette chambre : la majorité du conseil communal de Grammont, réclamant contre l'usurpation de ses pouvoirs, commise par le bourgmestre, a présenté ses plaintes à la chambre, le 18 du mois de janvier 1850. Sur le rapport de la commission, la chambre appréciant la gravité des actes posés par le bourgmestre, demanda des explications au gouvernement. Ces explications furent promises, mais elles n'ont pas été données jusqu'ici. Il est probable, messieurs, que si les explications avaient été fournies et si la chambre avait pu se prononcer à cet égard, les nouveaux faits que la majorité du conseil communal signale n'auraient pas eu lieu. On aurait épargné ainsi au pays ce que j'ose appeler un scandale.
Messieurs, si ces faits sont exactement rapportés, et nous ne pouvons en douter, puisqu'ils sont articulés et certifiés par la majorité d'un conseil communal, par des hommes notables, honorables, jouissant de toute la confiance de leurs concitoyens, il semble que le régime représentatif s'exerce à Grammont à rebours, c'est-à-dire que c'est la minorité qui fait la loi à la majorité. (Interruption.) On a déjà expliqué à la chambre, il y a un an, que c'est la minorité du conseil qui a nommé un membre de l'administration des hospices, fait d'autant plus incroyable et plus grave que le médecin des hospices a pris part à la nomination ; fait d'autant plus grave et plus surprenant encore que c'est le vote de la minorité, déjà vicié dans son essence, qui a été approuvé par le gouverneur de la province.
Comme il n'y a que le premier pas qui coûte, la minorité a été plus loin cette année. Composée du bourgmestre et d'un échevin, elle a refusé de mettre aux voix des propositions signées par huit membres (propositions très raisonnables et très nalurelles, pour le dire en passant), et, en présence de ces membres, dont le droit était foulé aux pieds, elle a nommé et proclamé, par deux voix contre sept, deux membres de l'administration des hospices. Cette fabuleuse façon d'agir, sans exemple dans la Belgique constitutionnelle, jette l'étonnement et le trouble dans une ville intéressante de la Flandre orientale.
- - Un membre. - Il faut que la commission fasse un très prompt rapport.
M. Malou. - Et que le gouvernement s'explique.
M. Coomans. - Je l'espère bien, il y va réellement de la liberté communale.
Il suffit, messieurs, de ces quelques mots pour faire apprécier la gravité de l'affaire dont il s'agit et pour justifier l'insistance que je mets à obtenir enfin les explications demandées au gouvernement. Je crois que la chambre fera bien d'insister avec moi pour que ces explications soient fournies.
Subsidiairement, je demande que la commission fasse un rapport extrêmement prompt sur la pétition qui vient d'être analysée.
M. Bruneau. - Il me semble, messieurs, que, puisque M. le ministre de l'intérieur nous a annoncé un rapport, il convient d'attendre ee rapport avant de s'exprimer sur la décision prise par l'administration communale de Grammont. Je n'ai pas à m'expliquer en ce moment sur ce point ; j'attendrai le rapport de M. le ministre de l'intérieur ; mais je puis cependant dire, quant à présent, sur les faits signalés en dernier lieu par l'honorable M. Coomans, que je le crois complétement dans l'erreur, que les torts ne sont pas du côté de la minorité, mais qu'ils sont du côté de la majorité. Voici, messieurs, ce qui s'est passé. (Interruption.) Puisqu'on a attaqué des fonctionnaires, il faut bien permettre de répondre. La chambre ensuite jugera.
A la suite de l'élection première qui a été incriminée par l'honorable membre, celui qui avait été élu, ne voulant pas profiter de la nomination, a donné sa démissiou. Ensuite, en verlu de la loi, des candidats ont été présentés et par le conseil des hospices et par le collège des bourgmestre et échevins ; mais jusqu'à présent, la majorité du conseil communal refuse de nommer, refuse d'exécuter la loi. C'est la majorité qui a abusé de sa position de majorité, et qui refuse d'exécuter la loi.
M. le président. - M. Coomans nous avait parlé sur le fond de la question ; M. Bruneau a répondu. J'engage les orateurs à ne parler que sur le renvoi à la commission ; la discussion du fond viendra plus tard.
M. de Theux. - Je n'ai pas à m'occuper des faits ou des droits ; mais il y a une chose bien notoire, c'est qu'il existe un grave dissentiment dans une ville importante pour l'application de la loi communale. Eh bien, messieurs, il importe que ce conflit cesse. Voilà plus d'un an que cet état de choses dure, cela est très préjudiciable pour l'intérêt du gouvernement et pour l'intérêt communal, attendu qu'il importe de ramener la paix dans la commune.
Je demande donc un prompt rapport pour que la chambre puisse apprécier les faits. Je ne préjuge rien quant aux droits.
M. Coomans. - Je ne puis pas laisser l'honorable membre dire que je n'ai avancé que des erreurs. Je maintiens l'exactitude de toutes mes assertions. Je ne répondrai qu'un mot à l'honorable M. Bruneau qui m'a intenté cette accusation ; c'est qu'il vient de reconnaître lui-même que la majorité du conseil communal n'a pas pris part à la nomination des membres du conseil des hospices. Comment donc espère-t-il justifier une prétendue nomination faite par deux voix contre sept, par deux voix, y compris celle du médecin des hospices ? Du reste, nous nous réservons de discuter le fonds en temps opportun et le plus tôt possible.
- La chambre ordonne le renvoi à la commission avec demande d'un prompt rapport.
M. Bruneau. - Messieurs, dans la séance de samedi dernier et dans la séance d'hier l'honorable ministre des travaux publics a défendu avec un véritable talent, je dois le reconnaître, le système des bas tarifs des chemins de fer. Il soutient avec les partisans de ce système qu'une diminution de tarif doit nécessairement amener une augmentation de recettes. Mais qu'il me permette de le lui dire, il n'est pas conséquent avec ses principes. En soutenant ce système, il ne vient pas cependant vous proposer de diminuer les tarifs, il vous propose de maintenir ce qui existe aujourd'hui. Hier cependant, M. le ministre a fait un pas vers nous en déclarant que dans sa pensée une tarification nouvelle serait utile soit en hausse, soit en baisse.
Le système de M. le ministre des travaux publics est l'application de la théorie que l'honorable M. Desart a développée dans son ouvrage, « De l'influence des tarifs sur le mouvement des recettes et des voyageurs ». Il serait difficile de faire parler à la statistique un langage plus clair, plus ingénieux, plus séduisant que ne l'a fait l'honorable M. Desart dans ses différentes publications.
Il a découvert, je dois le dire, des règles et des formules qu'on peut considérer comme certaines, quant aux lois qui régissent la circulation du chemin de fer, sous l'application du tarif et de notre système d'exploitation actuel. Il a trouvé ces formules, non seulement pour la circulation générale, mais encore pour la circulation de ville à ville, ainsi que pour les recettes générales et pour les recettes de ville à ville. Ainsi, messieurs, si vous voulez faire l'essai des formules de M. Desart, vous verrez que par les résultats du mois de janvier, par exemple, vous pouvez arriver à la connaissance de ceux de toute l'année. J'ai fait cette opération l'année dernière, et mon calcul n'a présenté qu'une différence de 12,000 francs.
Je considère donc ces formules comme certaines, comme indubitables quant à l'application des tarifs actuels.
Mais, messieurs, que résulte-t-il de l'étude du travail de M. Desart ? C'est que, comme l'a dit M. le ministre des travaux publics, depuis 1842 les recettes sont à peu près identiques, non seulement sur l'ensemble de notre chemin de fer, mais encore pour les relations de ville à ville.
M. le ministre nous a cité, messieurs, plusieurs chiffres qui prouvent l'exactitude de cette assertion ; il semble en résulter même que le chiffre des voyageurs est devenu presque invariable sous l'application du tarif actuel.
En effet, si nous prenons les tableaux depuis 1846 jusqu'en 1850, nous trouverons que le nombre des voyageurs varie de 3,600,000 et 4 millions à peu près.
Voici les chiffres :
1850, 4,103,860
1849, 3,815,266
1848, 3,638,965
1847, 3,746,390
1846, 3,700,111.
La même régularité se remarque dans les relations de ville à ville. Quant aux recettes, messieurs, elles sont également presque identiques. Les variations que présente la recette totale proviennent de l'augmentation du produit des marchandises qui, dans le principe, ne donnait qu'un million et demi, et qui a fini par dépasser le produit des voyageurs.
Quant à ce dernier, je le répète, il est resté presque le même depuis un grand nombre d'années, et cela, encore une fois, se remarque non seulement pour l'ensemble, mais encore pour chacune des différentes classes de voitures.
(page 806) Cela prouve, messieurs, si je ne me trompe, que le tarif actuel, combiné avec le système actuel d'exploitation, a donné tout ce qu'il peut donner et que sans introduire un changement dans l'un ou l'autre de ces deux termes, on ne peut pas espérer de voir augmenter d'une manière un peu notable le produit des voyageurs. Quant à moi, j'en conclus que si nous voulons arriver au but que nous avons tous en vue, M. le ministre des travaux publics comme nous, c'est-à-dire d'obtenir le plus grand produit en même temps que la plus grande utilité possible, nous devons sortir de l'ornière dans laquelle nous sommes depuis cinq ou six ans.
Le système préconisé par M. le ministre des travaux publics et par M. l'ingénieur Desart m'a séduit comme il a séduit tous ceux qui en ont fait l'étude ; mais je dois dire que quand j'ai consulté les hommes pratiques dans le pays et ailleurs, je les ai trouvés tous instinctivement opposés au principe que la diminution des tarifs produit l'augmentation des recettes nettes. C'est cette répulsion des hommes pratiques qui m'a fait revenir de mes premières idées, mais je crois qu'il y a très bien moyen d'allier et la vérité du principe défendu par M. le ministre des travaux publics et l'opinion que je soutiens aujourd'hui, c'est-à-dire que je reconnais que le principe de M. Desart est exact quant à l'application du tarif actuel avec le système d'exploitation actuel, mais que je pense en même temps qu'une augmentation des tarifs avec un changement dans le système d'exploitation pourrait amener un accroissement de recettes.
Il paraît, du reste, messieurs, que le principe de M. Desart n'a pas encore séduit assez M. le ministre des travaux publics pour qu'il l'ait fait sien et qu'il vienne le traduire en projet de loi.
M. le ministre des travaux publics a combattu le système de la section centrale et celui que j'ai préconisé dans la première séance où j'ai eu l'honneur de présenter quelques considérations à la chambre. M. le ministre soutient que ce système est inexécutable à cause des coïncidences nombreuses des convois. Il a cité un exemple dans lequel il a accumulé comme à plaisir les difficultés pour prouver qu'il serait impossible de combiner les coïncidences des convois de grande vitesse avec des tarifs différentiels.
Vous vous rappelez, messieurs, qu'il a fait partir un voyageur d'Ostende par un convoi de grande vitesse ; il l’a fait arriver à Gand : là, dit-il, il devra trouver un convoi de grande vitesse pour Courtray et Mouscron ; dans ce dernier endroit, il devra trouver deux nouveaux convois de vitesse, l'un pour Lille, l'autre pour Tournay.
En partant d'Ostende, je pourrais d'abord arrêter M. le ministre des travaux publics à Bruges, et lui dire que son voyageur prendra là la route de Courtray ; mais je veux bien suivre la marche qu'il a indiquée, et j'arrive avec lui à Gand.
Là M. le minisire prétend qu'il ne trouvera pas un convoi de grande vitesse ; je lui dirai qu'il n'a qu'à faire partir à peu près en même temps des convois de grande vitesse de Bruxelles et d'Ostende, et que ces convois se rencontreront à Gand, qui est presque à mi-chemin entre ces deux villes ; le voyageur pourra donc se rendre à Courtray et à Mouscron par le convoi de grande vitesse venu de Bruxelles, et ce sera le même convoi qui le conduira jusqu'à Lille, jusqu'à Calais, jusqu'à Paris. Si, au contraire, il veut se diriger sur Tournay, il arrivera à Mouscron précisément vers 11 heures et demie ou midi, c'est-à-dire à l'heure où il y trouvera le second convoi de grande vitesse qu'on peut fort bien faire partir de Lille et Mouscron pour la direction de Tournay.
Je reprends maintenant à Gand le convoi venant d'Ostende et qui se dirige directement sur Bruxelles ; là il ne peut y avoir aucune difficulté à signaler, puisqu'il y a aujourd'hui un service particulier de convois à grande vitesse partant de Bruxelles pour la ligne de l'Ouest comme pour la ligne de l'Est. Il suffit de jeter les yeux sur le tableau des heures de départ pour le reconnaître.
Parmi les difficultés que M. le ministre avait signalées dans cette marche du voyageur partant d'Ostende, il avait dit qu'arrivé à Gand, il n'y trouverait pas un convoi pour aller à Courtray. Mais, messieurs, aujourd'hui, il n'y a aucun convoi à Gand, qui coïncide avec ceux d'Ostende, pour se diriger vers Courtray. En supposant donc que l'objection de M. le ministre des travaux publics fût réelle, cet inconvénient existerait déjà aujourd'hui ; la difficulté soulevée par M. le ministre des travaux publics est donc créée à plaisir. Cette difficulté u'est pas réelle.
Le second exemple que M. le ministre a cité, c'est le voyageur partant de Bruxelles pour Hasselt, par le convoi de grande vitesse allant sur Liège ; arrivé à Landen, dit M. le ministre, le voyageur devra trouver un convoi de grande vitesse pour Hasselt ; il faudra un second convoi de grande vitesse pour Liège.
Je ferai observer d'abord qu'il ne faudra pas un convoi de grande vitesse pour Liège ; car le convoi de grande vitesse, parti de Bruxelles, ira jusqu'à Liège ; il ne s'arrêtera pas à Landen ; il est vrai qu'à Landen, les voyageurs pour Hasselt devront trouver un convoi de grande vitesse pour cette dernière ville. Mais rien n'est plus facile : la ligne de Hasselt sur Landen est un tronçon qui s'exploite isolément ; vous pourrez y organiser le service comme vous le jugerez convenable et faire partir les convois de Hasselt un peu plus tôt ou un peu plus tard sans aucun inconvénient.
Mais encore une fois, ce que je propose n'est pas une nouveauté ; cela existe aujourd'hui : le convoi de grande vitesse qui arrive à Landen à une heure 15 minutes, est un convoi qui ne comprend que des voitures de première et de seconde classe ; c'est précisément un convoi semblable à ceux que je propose ; ce convoi aujourd'hui est là en coïncidence avec un convoi de même classe qui vient de Liège à une heure 35 minutes ; le convoi, formé à Landen, prend les voyageurs arrivés des deux points et les conduit à Hasselt. Voila précisément la coïncidence que je veux établir. Si cela peut se faire aujourd'hui pour un ou deux convois, pourquoi cela ne pourrait-il pas se faire pour trois ou quatre convois ? Je ne vois à cela aucune impossibilité.
M. le ministre des travaux publics a encore cité un exemple de la difficulté que rencontreraient les coïncidences de convois ; il vous a dit : Prenez un voyageur qui va de Malines à Courtray par le convoi de vitesse, arrivé a Gand, son convoi continue sur Ostende et il prendra un convoi de petite vitesse qui va sur Courtray. J'avoue que je ne comprends pas quelle difficulté il y peut y avoir à ce que cela soit ainsi ; mais j'ajoute que ce voyageur prendra le convoi de vitesse qui passe à Malines et qui va directement sur Courtray, Lille, etc.
M. le ministre a encore tiré une conséquence d'un exemple de voyageur qu'il fait aller de Courlray à Bruxelles, et vous a dit : Si vous ne formez que des convois de première et de deuxième classe, le voyageur de troisième classe, qui aujourd'hui ne paye que 3 fr. 50 c, devra payer 7 fr. 50 pour venir à Bruxelles, il devra y loger et y faire de la dépense. Eh bien ! je répondrai d'abord qu'il est établi que les voyageurs de troisième classe en général ne voyagent pas à de longues distances ; car vous savez que la distance qu'ils parcourent n'est en moyenne que de cinq lieues pour les voyageurs de troisième classe. C'est donc le petit nombre de voyageurs de troisième classe qui viennent de Courtray à Bruxelles. Ainsi par exemple en 1846 le mouvement de Courtray à Bruxelles est le suivant :
Voyageurs de première classe 1,100, de deuxième classe 1,600, de troisième classe, 2,000. Ensemble. 4,600 voyageurs.
De Bruxelles à Courtray : Voyageurs de première classe 1,000, voyageurs de deuxième classe 1,400, voyageurs de troisième classe 1,900. Ensemble, 4,400 voyageurs.
Vous voyez, messieurs, que la proportion n'est pas du tout comme vous la rencontrez dans l'ensemble des chemins de fer, où la troisième classe entre pour plus de 70 p. c, la deuxième pour 20 p. c. et la première pour 10 p. c. environ.
Ici nous avons les voyageurs des deux premières classes plus nombreux que ceux de la troisième classe. La proportion est donc entièrement renversée.
L'établissement de convois de grande vitesse ne serait pas préjudiciable à la troisième classe, parce qu'en général cette classe ne parcourt que de petites distances de localités à localités voisines, que je propose de desservir par les convois de petite vitesse et qui seraient, pour les jours de marché, à prix réduits.
J'avoue, messieurs, que je ne comprends pas l'objection de M. le ministre des travaux publics tirée de l'impossibilité de faire coïncider des convois de grande vitesse sur toutes nos lignes. Je ne sache pas que nos ingénieurs soient moins instruits, moins capables que les ingénieurs anglais ; et nos chemins de fer ne présentent pas un réseau plus compliqué que les chemins de fer étrangers.
Voyez en Angleterre, la carte des chemins de fer ressemble à une véritable toile d'araignée sur laquelle s'entrecroisent, à chaque pas des lignes différentes. Eh bien ! messieurs, voyez la circulation sur ces chemins de fer. Voyez l'organisation des convois ! On a organisé là précisément le système que je préconise, les convois de grande vitesse de première et de seconde classe. Je ne vois pas quel obstacle insurmontable il y aurait pour nous à adopter ce système.
Du reste, quel mal y aurait-il à ce que les voyageurs allant de Bruxelles à Landen, par exemple, dussent prendre un nouveau coupon à leur arrivée à Landen ?
Un mal d'autant moins grand que M. le ministre des travaux publics a prévu ce cas. Veuillez jeter les yeux sur ses dernières propositions ; vous verrez un article 7 nouveau qui semble fait exprès pour le cas que je viens d'indiquer.
Cet article est ainsi conçu :
« En ce qui concerne les relations secondaires soit entre elles, soit avec les stations principales, comme aussi en ce qui regarde certaines relations de stations principales situées à de grandes distances l'une de l'autre, il pourra ne pas être délivré de coupons uniques pour le trajet entier. Dans ce cas, les voyageurs suivent, pour le payement du parcours total, les instructions qui leur seront données par les agents de l'administration dans les bureaux de perception. »
Vous voyez que là le ministre propose lui-même de donner pour des relations de petite station à petite station et de petite station à grande station à certaines distances deux coupons pour le même voyage. En supposant possibles d'autres hypothèses que celles que j'ai posées, on pourrait employer ce moyen indiqué par le gouvernement lui-même.
On a dit aussi que la délivrance de deux coupons rendrait impossibles les appréciations statistiques ; la proposition de M. le ministre va les rendre aussi impossibles, car vous ne pourrez pas suivre un voyageur dans tout son parcours ; s'il prend deux coupons, vous aurez deux voyageurs (page 807) pour un et vous aurez un lieu de départ et un lieu d'arrivée qui ne seront pas le véritable lieu de départ et le véritable lieu d'arrivée.
Pour moi, je mets les recettes au-dessus des appréciations statistiques pour le prix scientifique que je puis y attacher,
Il est une autre objection qui m'a assez vivement frappé ; c'est celle où l'on accuse notre système de vouloir ralentir le mouvement sur le chemin de fer ; M. le ministre a appelé nos convois des convois de grande lenteur. En présence de cette expression, je me suis demandé si moi, partisan des chemins de fer et du progrès dans leur exploitation, j'avais pu préconiser un moyen qui devait le rendre moins progressif, moins utile.
J'ai reconnu bientôt que je n'étais pas coupable d'un pareil méfait ; que je ne proposais pour les convois de petite vitesse que ce qui existe aujourd'hui. Si nous proposons des convois de grande lenteur, les convois actuels sont aussi des convois de grande lenteur ; car nous proposons de maintenir la marche qui existe aujourd'hui, et je vais le prouver.
Ainsi, messieurs, pour vous citer quelques exemples seulement : de Bruxelles à Namur, il y 79 kilomètres, ou 15 lieues 4/5 ; on part à 4 heures 30 minutes, et on arrive à 9 heures 30 minutes ; on est 5 heures en route ; cela fait environ 3 lieues à l'heure ; donc encore beaucoup moins que par nos convois ; si vous les appelez des convois de grande lenteur, comment appellerez-vous les vôtres ?
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Ce sont des convois de marchandises.
M. Bruneau. - Je vous demande pardon, ce sont des convois mixtes de voyageurs ; les autres convois, sur la même ligne, font le trajet en trois heures moins dix minutes, c'est-à-dire cinq lieues à l'heure.
De Namur à Bruxelles, il y a 21 lieues 4/5 ; le parcours se fait en 4 heures ; c'est à-dire qu'on fail 5 1/3 lieues par heure.
De Braine-le-Comte à Tournay, 67 kilomètres ou 13 2/5 lieues ; le parcours se fait en 3 heures, soit 4 1/2 lieues par heure.
De Verviers à Bruxelles, 139 kilomètres ou 28 lieues ; parcours en 5 heures.
De Bruxelles à Gand, 76 kilomètres ou 15 lieues ; on part à 6 heures du soir et l'on arrive à 9 1/2 heures ; on fait donc 3 1/2 lieues par heure.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Ce sont des convois mixtes.
M. Bruneau. - Mais ce sont précisément ces convois-là que nous proposons d'organiser. Nous disons que les convois de petite vitesse feront régulièrement la moitié des convois de grande vitesse.
La section centrale, veuillez bien le remarquer, n'a nullement proposé de dire dans la loi que les convois de grande vitesse feraient nécessairement dix lieues à l'heure, et les convois de petite vitesse, la moitié.
La section centrale n'a fait qu'indiquer cette proportion comme une simple appréciation, laissant au gouvernement le soin d'exécuter la loi d'après l'esprit qui l'a dictée. Elle a voulu seulement limiter la marche des convois de petite vitesse à la moitié de celle des convois de grande vitesse. Eh ! messieurs, vous venez déjà de voir que les convois mixtes actuellement n'ont pas une vitesse plus considérable, puisqu'ils ne font que 3 1/2 lieues à 4 1/2 lieues par heure, et que les convois ordinaires ne font que 5 lieues à l'heure.
Eh bien, dans l'intention de la section centrale, ces convois mixtes s'arrêteraient plus souvent qu'aujourd'hui ; les haltes seraient plus fréquentes. Or, s'il y avait plus de haltes, il est bien évident qu'on ne parviendrait pas à faire cinq lieues à l'heure, puisque c'est seulement la vitesse que l'on atteint aujourd'hui.
Vous ne pouvez pas éviter cet inconvénient et vous y tomberez toujours, si vous voulez rendre vos chemins de fer plus productifs, d'abord, et les mettre à la portée d'un plus grand nombre d'habitants.
On nous a objecté que des convois de grande vitesse étaient impossibles. Qu'avons-nous dit ? Que, dans notre intention, les convois de grande vitesse devraient faire 9 à 10 lieues à l'heure. Eh bien, je le demande, cela est-il impossible en Belgique ? Evidemment non, puisque c'est ce qui a lieu actuellement. De Paris à Bruxelles (M. le ministre a cité cet exemple), il y a 370 kilom. ou 74 lieues ; on part de Paris à 8 heures du soir, et l'on arrive à 5 h. 15 m., soit 9 h. 15 m. Mais M. le minisire n'a pas fait attention aux arrêts très nombreux qui se font en France, et à la durée qu'on met à chacun d'eux : A Creil 10 minutes, à Amiens 20 minutes, à Valenciennes 20 minutes, à Quiévrain 25 minutes, cela fait 75 minutes ; reste donc 8 heures, c'est-à-dire qu'on parcourt 9 1/4 lieues par heure.
Or, messieurs, si l'on parvient à une telle vitesse, malgré toutes les haltes qu'il faut faire, ne parviendrait-on pas facilement à une vitesse plus grande dans l'intérieur du pays, où il n'y a ni douane à traverser, ni haltes aussi longues.
De Bruxelles à Ostende, voyons ce qui se fait : la distance est de 143 kilomètres ou 28 lieues 3/5 ; le parcours dure 3 1/2 heures ; cela fait environ 9 lieues à l'heure.
De Bruges à Gand, 67 kilom. ou 13 1/2 lieues ; le parcours se fait en 1 1 /2 heure ; donc encore une fois 9 lieues à l'heure.
De Bruxelles à Anvers, 44 kilom. ou 8 lieues 4/5 ; on fait le chemin en 1 heure 15 minutes, c'est-à-dire environ 9 lieues à l'heure.
Vous voyez donc que ce que vous considérez comme une impossibilité existe à peu près déjà aujourd'hui. Mais, dit-on, nos machines ne sont pas assez puissantes et la plupart de nos voies sont simples. Mais, messieurs, encore une fois, nous ne vous demandons pas autre chose que ce qui se fait actuellement.
Pourquoi ne pourriez-vous pas faire pour trois convois ce que vous faites pour un ? Vous avez des convois de vitesse sur Ostende, sur Mouscron, et dans ces directions il n’y a pas partout une double voie.
Messieurs, on fait une autre objection à notre système ; on dit que dans ce système qui consiste à composer les convois de vitesse de voitures de première et deuxième classes, ces convois ne seront assez fréquentés. Cette objection nous a été faite par M. le ministre de travaux publics et par l’honorable M. Vermeire. Cet honorable membre nous dit qu'il faut avant tout consulter et suivre les usages du pays.
Mais, messieurs, je vous ferai remarquer que, sous ce rapport encore, les faits viennent à l'appui de notre système. Ainsi, les longueurs moyennes parcourues aujourd'hui sont, pour les voitures de première classe, de 61 kilomètres ; pour celles de seconde classe, de 43 kilomètres, et pour celles de troisième classe, de 21 kilomètres seulement. Il en résulte que ce sont précisément les voyageurs qui fréquentent les voitures des deux premières classes qui font les voyages de plus longues distances ; tandis que ceux qui se servent des voitures de troisième classe ne font que des voyages de ville à ville. Les convois de vitesse doivent donc être appropriés, non pas aux voyageurs de cette catégorie, mais bien aux voyageurs qui parcourent de grandes distances, et c'est pour cela que nous proposons de ne composer les convois de vitesse que de voitures de première et de deuxième classes. Du reste, en Belgique, les villes ne sont distantes, en moyenne, que de cinq lieues environ ; les convois de vitesse devant s'arrêter dans toutes les villes, les relations de celles-ci entre elles n'en seront donc pas diminuées.
Enfin, messieurs, j'ai sur ce point encore un exemple puisé dans les faits, dans ce qui se pratique aujourd'hui en Belgique. Depuis 18 mois environ, nous avons des trains composés du voitures de première et deuxième classe. Nous en avons dans toutes les directions, un ou deux par jour. M. le ministre nous a dit que si nous composions des convois de voitures de première et de deuxième classe seulement, il n'y aurait pas assez de voyageurs, et qu'une grande partie des forces utiles des locomotives serait perdue ; d'où résulterait une augmentation de frais d'exploitation sans compensation aucune. Eh bien, voyons ce qui se passe aujourd'hui. Sur la ligne de Bruxelles à Anvers la moyenne des voyageurs par convoi et par jour pendant le mois de juin 1850 a été de 114 pour le premier train composé de voitures de première et deuxième classe ; de 80 seulement pour le deuxième train composé de voitures des 3 classes ; de 132 pour le troisième train, composé de voitures des 2 premières classes ; de 113 pour le quatrième train composé de voitures des 3 classes, et enfin de 115 pour le cinquième train composé de voitures de première et deuxième classe.
La même proportion s'est représentée le mois suivant.
Ainsi, vous le voyez, ce sont les trains composés de voitures des deux premières classes qui donnent le plus de voyageurs. Cela prouve donc que ces trains sont plus productifs que les autres, et que les prix plus élevés n'ont pas empêché les voyageurs de prendre ces convois.
L'honorable M. de Brouwer a également attaqué assez vivement le système de la section centrale. Je regrette de n'avoir pas encore pu lire son discours au Moniteur. Cependant, je crois pouvoir dés à présent réfuter quelques-uns des faits qu'il a avancés. Ainsi, il a dit notamment que les hommes les plus compétents de l'étranger ont toujours prétendu que les tarifs les plus bas étaient les plus avantageux ; et il a cité MM. Stephenson et Cubbitt en Angleterre. Mais, messieurs, ces ingénieurs disent, d'après le passage que l'honorable M. de Brouwer a lui-même cite, qu'il faut abaisser, autant que possible, les tarifs pour obtenir de grands trafics, en assurant de grands bénéfices aux propriétaires.
Je suis parfaitement de cet avis ; mais là est précisément la question ; c'est de trouver ce chiffre heureux qui doit produire la plus grande circulation avec le taux le plus bas, tout en donnant de grands bénéfices aux propriétaires.
L'honorable membre a dit également que le chemin de fer du Nord avait abaissé ses tarifs pour les marchandises. Sans doute, mais on ne peut nullement assimiler les marchandises aux voyageurs. Je suis aussi partisan d'un tarif aussi bas que possible pour les marchandises ; car il faut avant tout s'assurer le transport des marchandises. Il a dit aussi que le chemin de fer de Rouen a diminué le tarif des voyageurs et obtenu une augmentation ; mais il a oublié de nous dire quel était ce tarif, de combien il est à présent.
Je lui fais remarquer que ce tarif est de 55 c. pour la première classe, 41 c. pour la deuxième classe et 29 c. pour la troisième classe, par lieue belge, c'est-à-dire qu'il est beaucoup plus élevé encore que ce que nous proposons.
L'honorable M. de Brouwer a cité aussi plusieurs tarifs de voyageurs, en Angleterre, et il a cherché à établir qu'en général ces tarifs ne sont pas plus élevés que les nôtres. Il en a même cite un qui serait beaucoup plus bas et où l'abaissement des prix aurait eu pour résultat de décupler le nombre des voyageurs.
Il faut remarquer d'abord, messieurs, que les chiffres donnés par l'honorable membre s'appliquent à la circulation du dimanche seulement, et en second lieu que ce chemin de fer est le concurrent d'un autre, allant dans la même direction, qu'en abaissant ses prix il a non seulement développé sa propre circulation, mais s'est attiré, en outre, la circulation du chemin de fer avec lequel il est en concurrence. Il y a là, messieurs, une bien grande différence de ce qui sa passe chez nous : en abaissant notre (page 808) tarif, doublerez-vous la circulation ? Vous n'oseriez pas le dire, puisqu'il paraît que nous sommes arrives à la limite sous ce rapport avec le système actuel ; d'un autre côté vous n'avez pas de concurrent à qui vous puissiez enlever une circulation considérable. Il n'y a donc ps de comparaison à établir entre ce qui s'est fait là et ce qui peut se faire ici.
Du reste, messieurs, il y a une observation importante à laquelle l'honorable M. de Brouwer n'a probablement pas fait attention, c'est qu'en Angleterre sur presque toutes les lignes il n'y a qu'un seul convoi par jour, qui soit composé de trois classes de voitures ; tous les autres n'ont que des voitures de première et de deuxième classes. Le convoi qui a des voitures de troisième classe part le matin de bonne heure ou le soir tard. C'est ce qu'on appelle les « parliamentary trains », c'est-à-dire des convois qui sont imposés aux compagnies.
Je dois cependant ajouter que les convois du dimanche ont plus souvent des voitures de troisième classe, mais alors ce sont des espèces de trains de plaisir.
La vitesse ordinaire de ces trains de troisième classe est celle que nous indiquons nous-mêmes. Ainsi, je prends pour exemple le Great- Western ; de Londres à Exeter, la distance est de 193 milles ou 64 lieues ; on part à 7 heures 5 minutes du matin, on arrive à 8 heures 50 minutes du soir ; c'est-à-dire qu'on fait 4 3/4 lieues à l'heure. Le convoi ne va pas même jusqu'à Plymouth, extrémité de la ligne, pour les voyageurs de cette troisième classe.
Voilà, messieurs, comment on entend l'organisation de ces trains en Angleterre.
Sur le chemin de fer de Londres à Liverpool, il y a dix-huit convois par jour, dont 5 « express trains » à grande vitesse et à prix plus élevés ; ces convois n'ont que des voitures de première classe ; 12 ont des voitures de première et de deuxième classe, un seul est composé exclusivement de voitures de troisième classe, et celui-là part à 6 h. 45 m. du matin pour arriver à 9 h. 30 m. du soir, c'est-à-dire qu'il fait 4 lieues et 1/2 par heure.
L'honorable M. de Brouwer a dit aussi que le système de la section centrale était quelque chose d'absurde, quelque chose de très erroné. Je demanderai pourquoi. Est-ce parce que nous avons un tarif différentiel ? Mais lui, qui est si grand partisan de ce qu'on fait en Angleterre, doit savoir que là le système des tarifs différentiels est adopté partout : ce n'est donc pas sous ce rapport que notre système peut pêcher. Est-ce parce que nous n'avons que deux classes de voitures ? Encore une fois l'exemple de l'Angleterre prouve en notre faveur, puisque là, sur dix-huit convois, nous venons de voir qu'il n'y en a qu'un qui ait des voitures de troisième classe. Est-ce enfin que nos prix sont beaucoup au-dessous des prix anglais ? Encore une fois, ce n'est pas sous ce rapport que l'honorable membre peut nous réprouver.
Si l'on avait voulu mettre une bonne fois la chambre à même de voir ce qui en est de l'exploitation des chemins de fer anglais, il y avait un moyen bien simple de le faire.
L'honorable M. Rolin, si je ne me trompe, a envoyé en Angleterre, au commencement de son ministère, une commission composée d'ingénieurs en chef de l'administration des chemins de fer belges. Qu'on soumette à la chambre le rapport de cette commission. Je n'ai pas vu ce rapport, je ne sais pas s'il contient des appréciations qui pourraient faire juger cette question des tarifs, mais je suppose qu'il doit nécessairement en contenir ; car, si l'on a envoyé une commission en Angleterre, c'est apparemment pour étudier toutes les questions qui se rattachent aux chemins de fer et à la tarification.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Elle ne s'est occupée que des questions relatives à l'exploitation.
M. Bruneau. - Si son rapport ne s'occupe que des moyens d'exploitation, il est probable qu'il constate que le mode d'exploitation avec les trains à grande vitesse est très possible. Car elle a pu voir fonctionner ce mode d'exploitation.
Je suis persuadé qu'elle ne pourrait pas condamner le mode de transport à grande vitesse combiné avec le mode de transport à petite vitesse, parce que cela se fait en Angleterre.
Pourquoi encore ne ferions-nous pas ici ce qui s'est fait si souvent en Angleterre ? Pourquoi ne ferions-nous pas une espèce d'enquête, une espèce d'instruction pratique dans laquelle on ferait intervenir tous les hommes compétents, tous les hommes pratiques, tous les employés supérieurs qui travaillent à l'exploitation de nos chemins de fer, et qui sont censés avoir des connaissances spéciales et pratiques en ce qui concerne le mode d'exploitation, puisqu'ici il s'agit d'apprécier uu mode d'exploitation ?
En résumé, messieurs, je crois pouvoir dire avec certitude qu'il est constant que le chemin du fer n'a pas atteint son maximum en recettes et en voyageurs, M. le ministre l'a reconnu lui-même. Nous sommes également d'accord avec lui sur le but à atteindre. Nous devons faire produire au pays la plus grande somme d'utilité possible et en même temps la plus grande recette possible.
Pour augmenter les produits, ce que nous recherchons tous d'un commun accord, deux systèmes sont en présence : l'un propose une diminution des tarifs, l'autre propose une augmentation des tarifs.
M. le ministre défend le premier système ; mais il ne le présente pas. Il repousse le tarif de la section centrale, en déclarant qu'il aimerait mieux une augmentation complète avec un système transitoire. Hier encore, il nous a dit qu'il reconnaissait qu'il était utile, soit par une augmentation soit par une diminution des tarifs, d'arriver a la connaissance de la vérité, de sortir de la position dans laquelle nous sommes à présent. Eh bien, messieurs, qu'on fasse une chose ou l'autre ; mais ce que je redoute surtout, c'est de rester dans la position où nous nous trouvons.
Si le gouvernement veut maintenir le système qu'il propose jusqu'à la fin de l'année à titre de transition, je n'y vois aucun obstacle. Mais je ne vois pas pourquoi il n'essayerait pas de l’augmentation des tarifs après cette période. Si, après cet essai, il est constaté que les recettes n'ont pas augmenté et que l'utilité du chemin de fer a diminué, je serai le premier à me ranger à l'opinion des partisans des bas tarifs et à demander qu'on applique le système de la diminution des tarifs.
Mais si l'on applique le système de l'augmentation des tarifs, je demande qu'il soit appliqué comme ses partisans le désirent et non de manière à couper dans sa racine le résultat qu'il doit produire.
Ainsi, je n'hésite pus à dire que je ne partage pas l'opinion de l'honorable M. Vermeire ni celle de l'honorable M. Osy, s'ils entendent amener par leur tarif une augmentation régulière sur les trois classes de voitures. Je suis persuadé que si vous conservez les trains tels qu'ils sont composés aujourd'hui avec les trois classes de voitures, et si vous augmentez ces trois classes, vous amènerez une diminution des voyageurs et un déclassement considérable, et je doute que vous augmentiez vos recettes.
Quant à moi, je n'entends pas ainsi l'augmentation des tarifs et le changement de notre système d'exploitation. Je demande que les convois soient divisés en convois de vitesse, composés de voitures de première et de deuxième classe, et en convois tels que ceux que vous avez aujourd'hui, et que j'appelle convois de petite vitesse.
Je me contente de ces convois comme vous les avez aujourd'hui. Abaissez même le prix des waggons pour les relations de ville à ville, pour les relations de marchés ; mais composez vos convois de vitesse de voitures de première et de deuxième classe ; et alors si vous avez un déclassement, vous l'aurez au profit de la première classe. Car il est certain qu'un certain nombre de voyageurs qui fréquentent aujourd'hui les waggons, entrant dans les chars à bancs, en expulseront un certain nombre de voyageurs qui iront dans les diligences. L'expérience a prouvé ce fait d'une manière constante.
Toujours, lorsqu'il y a eu impulsion de la première sur la seconde classe, il y a eu impulsion semblable de la deuxième sur la troisième. Il y aura ici une impulsion inverse et je suis convaincu qu'elle agira au profit de la première classe.
Je puis encore ici invoquer un exemple.
Dans le compte rendu des opérations de l'exercice 1848, je trouve le nombre des voyageurs internationaux : Par Mouscron, il entre de France en Belgique : première classe 3,100 voyageurs, deuxième classe 6,300 et troisième classe 11,300. Total 20,700 voyageurs.
De Belgique en France, il y a : première classe 3,000 voyageurs, deuxième classe 7,600 et troisième classe 14,500. Total 25,000 voyageurs.
Par Quiévrain, nous avons : première classe 10,500 voyageurs, deuxième classe 15,300 et troisième classe 4,500. Total 30,300 voyageurs.
Pour les sorties, vous avez : première classe 10,300 voyageurs, deuxième classe 14,700 et troisième classe 5,100. Total 30,100 voyageurs.
Vous voyez, messieurs, la différence : par Mouscron l'immense quantité des voyageurs est dans la troisième classe ; par Quiévrain la majorité des voyageurs est dans la première et la seconde classe ; parce que là il y a plusieurs convois composés seulement des deux premières classes de voitures.
La différence entre les recettes est plus considérable encore. Par Mouscron, la recette à l'entrée de la première classe est de 15,000 fr. ; celle de la deuxième classe de 18,000 fr. ; et celle de la troisième de 10,000 fr. ; ensemble 45,100 fr. ; à la sortie : première classe, 15,000 fr. ; deuxième classe, 21,800 fr. ; troisième classe, 12,800 fr. ; ensemble 50,000 fr. Par Quiévrain à l'entrée : première clase, 67,200 fr. ; deuxième classe, 70,600 fr. ; troisième classe, 3,500 fr., ensemble 141,300 fr. A la sortie, première classe, 49,300 fr. ; deuxième classe, 48,900 fr. ; troisième classe, 3,600) fr., ensemble 101,800 fr.
Comparez maintenant aussi le produit des convois de grande vitesse qui sont établis sur presque toutes nos lignes ; je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais je suis persuadé que ce produit est considérable.
Pourquoi ce que l'on obtient pour ces convois ne l'obtiendrait-on pas pour un plus grand nombre de convois de même nature ?
Je pense donc que si l'on veut organiser les convois de la manière que je viens de l'indiquer, on augmentera la circulation et les produits, par (page 809) le motif que les convois de petite vitesse, composés de voitures de trois classes, et entre autres de waggons à meilleur marché pour aller et retour, ouvriront des relations nouvelles que nous n'avons pas aujourd'hui et qui seront très productives ; et que les convois de grande vitesse, composés de voitures de deux classes, en rendant plus d'utilité aux voyageurs, donneront encore beaucoup plus de produits à l'Etat ; j'en ai pour garantie ce qui se fait aujourd'hui dans le pays même et dans les pays étrangers.
M. Cools. - Messieurs, pour la première fois, depuis que la discussion sur le tarif des voyageurs est soulevée dans cette enceinte, nous devons constater un symptôme que je regarde comme heureux. La chambre a entendu sans les interrompre, et même avec des marques de sympathie, les membres qui sont favorables à une élévation de tarif, même alors que ces membres sont connus pour avoir une tendance très prononcée en faveur d'une forte augmentation.
Je ne veux pas en déduire que la majorité serait convertie aux doctrines de ces honorables membres, car à l'instant même, je devrais protester, du moins en mon nom ; je préfère, pour ma part, des tarifs modérés, des tarifs qui sont même établis à un taux relativement assez bas. Mais je crois au moins pouvoir déduire cette conséquence de l'attitude de la chambre, c'est que depuis quelque temps l'opinion a marché et que la prévention, peu raisonnée, en quelque sorte instinctive, qui accueillait les discours des partisans d'une élévation de tarif, que cette prévention a fait son temps.
Je ne crois pas cependant que la cause de ce fait doive être uniquement cherchée dans la marche de l'opinion ; je pense que l'attitude prise par le gouvernement y est pour quelque chose ; je pense que le ministère a montré jusqu'à présent trop de résistance à la tentative d'un nouvel essai. Il y a deux ans qu'il a déclaré lui-même que des changements étaient désirables, que des changements pouvaient être introduits, armé des pouvoirs qu'il avait à sa disposition, il aurait dû, depuis longtemps, prendre l'initiative ; tout au moins, lorsqu'il soumettait une proposition à la chambre, il ne devait pas restreindre cette proposition au maintien pur et simple du statu quo, si l'on en excepte quelques améliorations de détail. Je crois que cette conduite a fait naître un certain mécontentement.
Je disais tout à l'heure que jusqu'ici des préventions avaient accueilli les discours des membres favorables à une élévation de tarif ; je crois que la cause en doit être cherchée surtout dans les faits qui se sont produits en 1841.
A cette époque, un essai avait été tenté ; on avait appliqué des tarifs très bas ; ces tarifs avaient été établis par M. Rogier ; le ministère qui remplaça celui de 1840 ne voulut pas de ce système ; et à l'instant même, il a fallu faire cesser toute expérience, il a fallu introduire un système nouveau. L'on a dit qu'on avait laissé continuer l'essai pendant quatre mois ; cela n'est pas même tout à fait exact ; car le tarif de M. Rogier est du 10 avril 1841, et c'est le 14 juin que le nouveau ministère institua la commission des tarifs.
il y avait dans cette précipitation du cabinet nouveau, surtout dans le choix des membres qui composaient la commission dont aucun n'appartenait à l'opinion qui venait de quitter le pouvoir ; il y avait, dis-je, au moins dans la pensée du ministre qui avait institué la commission, une question politique d'engagée qui devait sauter à tous les yeux ; de même qu'on voulait prouver que le ministère qui venait de tomber était dans une mauvaise route, au point de vue politique, on n'était pas fâché non plus de prouver que, même au point de vue des intérêts matériels, il fallait adopter une marche nouvelle.
On a donc proposé précipitamment une élévation de tarifs ; il en est résulté ce qui était à prévoir, c'est que la cause des bas tarifs devint populaire ; on se montrait injuste à l'égard des bas tarifs ; eh bien, l'opinion a pris fait et cause pour les bas tarifs ; et le souvenir de ces faits a tellement pesé sur toutes les discussions relatives à cet objet depuis 1841 que, chaque fois qu'un membre parlait en faveur d'une élévation de tarif, à l'instant même la défaveur s'attachait à ses paroles. Le ministère de 1847 est arrivé aux affaires, et il faut au moins lui rendre cette justice, c'est qu'il n'y a pas mis d'amour-propre, c'est qu'il n'a pas porté la main sur le tarif en vigueur alors. Il pouvait revenir, s'il l'avait voulu, aux bas tarifs ; il ne l'a pas fait ; il a laissé tout simplement s'achever l'expérience, bonne ou mauvaise, des tarifs existants ; et, comme vous le savez, le tarif qui était en vigueur en 1847, et qui l'est encore aujourd'hui, est une espèce de juste milieu entre le bas tarif de M. Rogier et le tarif proposé par la commission de 1841.
Si je rends justice au cabinet sous ce rapport, je crois que, sous un autre rapport, sa conduite n'a pas été à l'abri de tout reproche. Je crois qu'il s'est trop exagéré l'importance des chemins de fer au point de vue social ; qu'il a trop négligé la question financière.
Certes, on ne peut nier l'importance des chemins de fer au point de vue social ; non seulement ils facilitent les relations commerciales, ils activent la source de la prospérité industrielle et agricole, mais sont encore avant tout un élément puissant de civilisation ; ils rapprochent les distances ; ils mêlent les populations, et toutes les parties du pays n'ont qu'à gagner à ce contact incessant. Mais cependant la question financière a aussi son importance ; car enfin pour le pays les intérêts financiers se confondent avec les intérêts sociaux.
S'il y a beaucoup de Belges qui voyagent sur le chemin de fer, il y en a encore un plus grand nombre qui payent les impôts, et si vous établissez vos tarifs de manière qu'il en résulte un déficit dans vos finances, et que dès lors vous soyez forcés de recourir à un surcroît d'impôt, il est fort douteux, si ces charges nouvelles ne dépassent pas l'importance de cette fraction d'avantages sociaux, que vous devriez réduire, si vous augmentiez vos tarifs.
Quoi qu'il en soit, je crois que ce côté de la question mérite d’être examiné ; je crois que le ministère a eu tort d'élever la question des tarifs du chemin de fer à la hauteur d'un principe.
De même qu'il s'est dit : Il faut procurer au peuple le pain à bon marché, il faut agir dans le sens d'un abaissement du tarif des douanes, il s'est dit également : Il faut maintenir les bas tarifs des chemins de fer. Non pas qu'il n'ait pas cherché à faire produire aux chemins de fer tout ce qu'on peut en attendre, mais tout en partant de cette idée, qu'il faut sauvegarder avant tout l'intérêt social et maintenir les tarifs au plus bas taux possible.
Or, je crois que c'est se placer à un point de vue trop exclusif.
Je crois, messieurs, que de même qu'il ne faut pas demander au chemin de fer tout ce qu'on peut en exiger, afin de conserver autant que possible son utilité générale ; de même aussi, je pense qu'il faut demander au chemin de fer des produits raisonnables, dût-on même, pour obtenir ce résultat, porter une légère atteinte aux avantages sociaux qui résultent d'une circulation abondante.
Il y a là une pondération à établir, sans se laisser dominer par un principe trop absolu.
Cependant, messieurs, je crois que nous aurions tort de reprocher trop vivement au ministère d'avoir un peu trop négligé le côté financier. Ce reproche doit atteindre pour une bonne part le milieu dans lequel il est obligé de se mouvoir. Cela tient à l'organisation même du chemin de fer. Le chemin de fer n'a aujourd'hui aucun rapport avec le département des finances, et c'est un mal. Si l'impulsion devait lui venir de ce ministère, où on connaît l'importance des produits abondants, je crois que depuis longtemps on se serait ingénié à faire rapporter un peu plus à notre voie ferrée.
Maintenant le chemin de fer est exclusivement entre les mains d'une administration qui, de tous les temps, s'est attachée beaucoup plus à faire faire de fortes dépenses qu'à opérer de grandes recettes.
Le génie du fisc n'a jamais joui d'une grande considération au département des travaux publics, et tout ministre qui se montrera disposé à écouler ses inspirations, sans se laisser effrayer par un surcroît de travail ou d'autres difficultés administratives, rencontrera toujours autour de lui des obstacles et des résistances qu'il lui sera très difficile de vaincre.
Cependant, messieurs, la situation s'est quelque peu modifiée. L'organisation du chemin de fer n'a pas sensiblement varié, cependant un changement s'est opéré dans le personnel. Les bras et les jambes sont toujours les mêmes, mais la tète a changé, et c'est beaucoup.
Depuis l'avènement du ministère libéral, trois ministres se sont succédé au département des travaux publics, l'honorable M. Frère, l'honorable M. Rolin puis aujourd'hui l'honorable Van Hoorebeke. Je crois que l'honorable M. Frère était un partisan très prononcé de nos tarifs du chemin de fer. Cependant je crois qu'aujourd'hui, les idées de l'honorable M. Frère ne sont peu aussi absolues.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suis partisan des tarifs qui donnent à la fois le plus de recettes et le plus grand mouvement.
M. Cools. - Reste à savoir sur lequel des deux résultats vous seriez disposé à faire au besoin des sacrifices. Quoi qu'il en soit, je pense que depuis que vous avez vu de plus près les besoins du trésor, vous êtes plus disposé que précédemment à transiger avec vos opinions.
L'opinion de M. Rolin ne diffère pas beaucoup, sous ce rapport, de celle de son prédécesseur. Il nous l'a déclaré souvent, et je m'attends même à ce qu'il vienne nous le répéter avant la fin de cette discussion. Mais l'honorable M. Rolin n'occupe plus le pouvoir.
Quant à l'honorable M. Van Hoorebeke, je crois qu'il a des idées moins absolues. Je suis autorisé à le supposer, d'après la déclaration qu'il a faite lui-même dais une des dernières séances.
« Pour moi personnellement, a-t-il dit, je n'ai aucun motif de récuser une expérience quelle qu'elle soit. Mais j'ai la conviction profonde que si l'on adoptait le système de la section centrale, on introduirait dans l'exploitation des éléments nuisibles à la prospérité du chemin de fer. J'aimerais mieux, au lieu d'un système bâtard et informe, un système de toutes pièces, une augmentation complète, ou un abaissement complet. »
Je crois que l'honorable M. Van Hoorebeke, en s'exprimant ainsi, a été l'organe du ministère tout entier. Aujourd'hui que MM. les ministres doivent avoir cherché à tenir compte de la marche de l'opinion, que les besoins du trésor sont venus peser de plus en plus sur la situation, ils se rallieront, je l'espère, à toute proposition qui, tout en maintenant le chemin de fer dans une bonne position, au point de son utilité, aura pour effet et avant tout de le rendre plus productif.
Quoi qu'il en soit, l'honorable M. Van Hoorebeke a fait un appel à la libre discussion ; pour ce qui me concerne, je vais répondre à cet appel.
Je ne me rallie pas aux propositions de la section centrale, non pas que son système me paraisse au si impraticable qu'on veut bien le dire, seulement je crois que les résultats ne seraient pas aussi avantageux que la section centrale se l'imagine, car je crois qu'il y aurait des déclassements dont cette section n’a pas assez tenu compte. Si je ne le crois pas impraticable, je lui trouve cependant de grandes difficultés ; et si M. le ministre, qui doit exécuter la loi, n’est pas disposé à faire tout ce qui dépend (page 810) de lui pour surmonter ces difficultés, si on lui impose un système contre son gré, si on n’est pas sûr de rencontrer au moins de la bonne volonté pour son application, nous ferons une très fâcheuse expérience et nous aboutirons à un résultat peu satisfaisant.
Si je me prononce contre les propositions de la sections centrale, je suis encore plus loin de vouloir adopter le projet du gouvernement. Ce projet n’est que la continuation de ce qui existe ; c’est la continuation de l’essai qui se fait depuis dix ans. Je pense qu’il y aura une légère diminution, tandis que c’est le contraire qu’on demande ; mais enfin le changement ne sera pas notable. La situation sera la même.
Pourquoi continuer encore cet essai, lorsque tout le monde désire qu'on fasse autre chose ? Je comprends l'intention qu'a le ministre en se cramponnant à l'essai qui se fait en ce moment. Il est partisan des bas tarifs ; il veut bien faire une expérience nouvelle. Mais s'il proposait directement l'essai de tarifs plus bas, il sait qu'ils ne seraient pas acceptés par la chambre, et quant à une élévation de tarif, il s'y refusera aussi longtemps qu’il le pourra.
Aubsi, toutes les objections possibles sont-elles faites contre les arguments de ceux qui pensent qu'il faut faire une expérience en grand dans le sens de l'élévation des tarifs.
Quand on lui oppose l'exemple de l'étranger, il le récuse parce que les conditions, les situations ne sont pas les mêmes. Je pense, en effet, que les expériences faites à l'étranger ne sont pas très concluantes ; il faudrait connaître quelles sont les populations qui profitent de la voie, quels sont les besoins des lovalités et de la locomotion ; il faudrait avoir des renseignements tellement éltendus qu’il serait impossible de se livrer avec fruit à une appréciation.
Mais ce n'est pas parce que ce n'est que sous de certaines réserves que les exemples tirés de l'étranger doivent être acceptés, que M. le ministre les récuse. Non ; c'est parce que ces exemples, pris dans leur ensemble, plaident en faveur d'une élévation de nos tarifs, et que ce n'est que de prix modiques que M. le ministre veut entendre parler en fait de chemin de fer. D'après lui, ce n'est qu'avec de bas tarifs qu'on peut opérer tout à la fois une augmentation et de circulation et de recettes. Si cette opinion était vraie, quel fruit voulez-vous tirer de l'expérience qu'on va tenter ? Sur les lignes où vous augmenteriez les prix, vous auriez une réduction de recettes ; sur celles où vous les réduiriez, vous auriez une augmentation ; somme toute, avantage et perte seraient compensés.
Mais vous n'obtiendriez pas même ce résultat, parce que vos prémisses sont fausses. ;
Voici où vous arriveriez avec votre système d'expérimentation : vous en viendriez en peu de temps à constater des anomalies telles que vous devriez renoncer à faire des essais quelconques. Sur telle ligne où vous auriez relevé le tarif, vous auriez une augmentation de recettes ; sur d'autres où vous auriez agi dans le même sens, vous auriez une diminution. Je vous prouverai tout à l'heure que ces faits se sont déjà produits.
Votre essai se ferait sur une trop petite échelle, et toute expérience faite de la sorte est soumise à une foule d'influences dont il est impossible de se rendre compte. Ce ne seraient que des changements de section à section qui évidemment ne peuvent conduire à aucun résultat.
Disons la vérité. Un seul tarif a été essayé ; c'est celui qui existe ; les autres ont été maintenus trop peu de temps pour prouver quelque chose. Il faut agir maintenant dans le sens d'une augmentation ou d'un abaissement sur une large échelle, comme M. le ministre l'admet lui-même, mais concurremment avec d'autres mesures indiquées par l'honorable M. Bruneau et dont je dirai quelques mots.
M. le ministre conteste les avantages que nous nous promettons d'une élévation de prix.
Il veut arriver à l'augmentation des recettes par une accélération de vitesse. Je pense avec le ministre et le rapporteur de la section centrale que c'est un des grands moyens à employer ; cependant il ne faut pas l'employer seul ; il ne faut pas surtout lui attribuer des résultats fabuleux comme ceux qu'on a déjà indiqués.
Ainsi, M. le ministre, dans un de ses premiers discours, faisant une comparaison entre le mouvement de Vilvorde à Bruxelles, et celui de Malines à Bruxelles, a fait cette remarque : Vilvorde donne à Bruxelles 60 mille voyageurs, et Malines, qui est 3 fois aussi important que Vilvorde, n'en donne que 80. Il croit pouvoir en induire cette conséquence que si Malines était à la même distance que Vilvorde, vous auriez une circulation trois fois aussi forte pour la première de ces villes. Je pense que M. le ministre a voulu parler de rapprochement à opérer par l'accélération du chemin de fer ; je ne suppose pas qu'il veuille renverser le monde et déplacer Malines topographiquement ; il s'agit de faire partir deux convois, l'un pour Vilvorde, l'autre pour Malines, qui tous deux arriveraient en même temps à leur destination.
Qui peut croire que par ce moyen vous obtiendriez un nombre proportionnel de voyageurs aussi grand pour Malines que pour Vilvorde ? Ne faudrait-il donc plus tenir compte de la situation topographique, qui depuis des siècles, a établi entre Vilvorde et Bruxelles des relations qui n'existent pas entre Bruxelles et Malines, et que des convois de grande vitesse ne parviendraient jamais à créer au même degré pour l'une comme pour l'autre de ces deux villes. Laissons-là les hyperboles. On peut, sans y avoir recours, arriver a cette conclusion qu'une accélération de vitesse est une des grandes améliorations a introduire.
En ce qui concerne la fixation des prix, M. le ministre invoque avec complaisance l'expérience faite du temps de M. de Theux, où les plus bas prix etaient en vigueur.
Mais entre l'exploitation du chemin de fer à son origine et celle qui a lieu en ce moment, n'y a t-il pas des différences de position tellement notables qu'il n'y a utilement pas de comparaison à établir ? Au commencement de l’exploitation, les voyageurs n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui ; il y avait de l'engouement, c'était une nouveauté ; il régnait dans l'exploitation une simplicité très grande qui a disparu dans la suite pour faire place à des complications très dispendieuses, et l'observation en a été faite par M. le directeur des chemins de fer dans un rapport que j'ai devant moi. A cette époque, d'ailleurs, le chemin de fer était neuf ; il n'y avait presque pas de dépense d'entretien à faire pour le matériel.
Toutes ces causes réunies ont fait qu'à cette époque nous avons eu des produits que, certainement, vous n'obtiendrez plus aujourd'hui avec le même tarif, et je suis persuadé que si l'on consultait l'honorable ministre qui a mis ces tarifs en vigueur, il le reconnaîtrait lui-même.
Mais si l'on pouvait déduire quelques preuves de ce fait, à l'instant ils seraient détruits par celles que fournit une expérience qui a été faite dans un sens tout contraire dans notre pays, tout près de nous, où l'on a élevé les tarifs et où l'on a obtenu des résultais notablement meilleurs que par les tarifs anciens. Cette expérience vient d'être faite sur le chemin de fer du pays de Waes. L'année dernière on a élevé les tarifs, et non seulement on a obtenu de plus grands produits, mais on a obtenu aussi une augmentation de circulation.
Et qu'on ne vienne pas nous répéter ce que nous a dit M. le ministre, que cette augmentation de circulation ne peut être attribuée à l'augmentation des tarifs. Cela ne fait de doute pour personne. Mais des faits que je signale on peut déduire cette conséquence : que non seulement des tarifs plus élevés (toujours sans exagération) ne font pas déserter le chemin de fer par les voyageurs, qu'ils permettent de conserver la même circulation avec des produits plus considérables, mais que même, d'autres causes agissant, l'élévation des tarifs n'a pas une influence telle qu'elle détruise l'influence des causes qui peuvent augmenter le nombre des voyageurs ; qu'ainsi en élevant les tarifs vous pouvez obtenir de plus grands produits et même dans certaines circonstances voir augmenter le nombre des voyageurs.
Messieurs, j'aime les convictions franches, mais je dois dire que celle que le ministère s'est formée à l'égard du chemin de fer ne me paraît ni raisonnable, ni suffisamment justifiée ; car enfin elle repose uniquement sur des expériences faites sous les administrations précédentes, expériences faites dans des circonstances tellement différentes de celles où nous nous trouvons, qu'elles ne prouvent absolument rien. D'ailleurs, le ministère doit reconnaître qu'il y a un désir évident dais le pays et dans la chambre de faire un essai nouveau, et il ne devrait pas s'y refuser, alors surtout qu'à plusieurs reprises il a promis d'introduire des changements, des améliorations dans son système. Il ne devrait pas s'y refuser après avoir fait entendre lui-même dans l'une de nos dernières séances qu'il ne se refuserait pas à adopter un changement, pourvu qu'il fût général et rationnel, s'il voyait que telle est l'opinion de la chambre.
Ce n'est pas, messieurs, que je croie qu'il faut se jeter trop brusquement dans un système essentiellement différent de celui que nous avons aujourd'hui. Je crois qu'il faut aller graduellement, et sous ce rapport, je partage l'opinion de l'honorable M. Bruneau. Je crois qu'il faut arrêter dès aujourd'hui un système définitif, mais que, comme mesure transitoire, il faut commencer par mettre en vigueur le système du gouvernement pendant un terme restreint. Je crois qu'il faut commencer par niveler les prix ; sans cela sur quelques lignes vous auriez des changements trop forts et trop brusques. Je voudrais donc que la chambre décrétât un système définitif, et qu'ensuite, elle introduisît dans la loi une disposition transitoire par laquelle le gouvernement serait autorisé à faire l'essai de son système, par exemple, d'ici au 1er octobre, ou, au plus tard, au 1er janvier.
Quant au système nouveau, de toute manière, je l'ai dit en commençant, il faut agir avec modération. Je voudrais certainement faire produire plus aux voitures, surtout à celles de troisième classe ; car c'est sur ces voitures qu'il faut opérer avant tout. Mais si vous les frappiez d'une élevation trop forle, vous nuiriez par trop aux intérêts sociaux du chemin de fer. Je crois qu'il faut une élévation prononcée, mais de manière, par exemple, afin de rester dans des termes de modération, que sur le parcours moyen des voyageurs de cette catégorie (qui est de 5 à 6 lieues), l'augmentation n'allât pas au-delà d'une vingtaine de centimes.
Messieurs, on s'est fait longtemps, et les orateurs qui ont parlé avant moi en ont fait la remarque, on s'est fait une fausse idée des personnes qui prennent les voitures de troisième classe.
On a dit que c'étaient les voitures des ouvriers. Rien n'est plus faux.
Sans doute les ouvriers, quand ils voyagent par le chemin de fer, prennent place dans les voitures de troisième classe. Mais enfin ces sortes de voyageurs font l'exception. Il arrive parfois aux ouvriers lorsqu'ils font une assez longue excursion pour des affaires importantes de prendre le chemin de fer ; mais pour leurs affaires journalières, ils vont à pied. Et nous pouvons nous en convaincre tous les jours. Car comment se fait surtout le déplacement des ouvriers, de ces nombreux ouvriers qui viennent chercher à gagner leur pain à Bruxelles ?
Ils nous arrivent à pied, leur paquet sous le bras, et ils en partent le soir de la même manière ; mais quant aux chemins de fer, ils n'en font généralement pas usage.
(page 811) Messieurs, les personnes qui font surtout usage des voitures de troisième classe sont celles qui tâchent de faire des économies par spéculation ; ce sont, par exemple, les commis voyageurs qui, de cette minière, voyagent plus économiquement, mais qui pourraient bien payer un prix un peu plus élevé. Ce sont ensuite les personnes qui s'y placent sous prétexte de fumer. Ce sont là des habitudes qui sont aujourd'hui invétérées, et que je considère comme une des grandes causes du peu de produit de notre chemin de fer. Eh bien, il faut prendre des mesures pour faire refluer une partie des voyageurs de la troisième classe dans les voitures de la seconde. Sous ce rapport, je partage l'opinion qu'il faut deux espèces de convois, qu'il faut, en supprimant les waggons pour plusieurs départs, multiplier les convois qui n'ont aujourd'hui que des voitures de première et de seconde classe.
Je voudrais ne conserver les voitures de troisième classe que pour les convois du matin et du soir, convois qui servent aux ouvriers prenant par exception le chemin de fer, et généralement à toutes les personnes des basses classes de la société. Les convois du milieu du jour ne servent, pour ainsi dire, jamais aux ouvriers ; car alors ils sont à leur ouvrage. Nous aurions donc sur chaque ligne un convoi le matin et un convoi le soir, où nous conserverions ce qui existe aujourd'hui ; et pour les convois qui partent pendant la journée, nous n'aurions plus que des voitures de première et de seconde classe. Je suis persuadé que de cette manière vous obtiendriez une grande amélioration dans vos recettes.
Je crains que cette idée ne soit difficilement accueillie par le ministère (bien qu'elle soit mise en pratique sur presque toutes les lignes anglaises), parce que son application pourrait nuire quelque peu à la bonne renommée du chemin de fer. Mais je crois que nous devons nous occuper avant tout, dans les circonstances présentes, des résultats matériels de cette entreprise ; et comme la diminution des voitures de troisième classe doit nous amener des produits plus considérables, nous ne devons pas hésiter.
C'est là, messieurs, une mesure très importante, mais je ne la regarde que comme secondaire à côté de la mesure d'une élévation générale et toutefois modérée de nos tarifs,
Je suis donc tout disposé à adopter les propositions qui nous ont été faites par l'honorable M. Vermeire. Ces propositions n'ont pas encore été développées. Je me bornerai donc à en faire saisir l'ensemble à la chambre.
Messieurs, le système de l'honorable M. Vermeire, en ce qui concerne les prix, est un juste milieu, un intermédiaire, entre les propositions du gouvernement et les prix pour la grande vitesse proposés par la section centrale.
Je désire donner le moins de chiffres possible ; je désire également donner autant que possible des chiffres ronds, ainsi je ne m'occuperai pas des prix par kilomètre, j'indiquerai plutôt les prix par lieue.
Voici les prix comparatifs des trois systèmes en présence, le système de la section centrale pour la grande vitesse, le système de l'honorable M. Vermeire et le système du gouvernement :
Système de la section centrale, prix par lieue : 45 c, 35 c. et 25 c.
Système de M. Vermeire, prix par lieue : 42 1/2 31 1/4 et 21 1/4
Système du gouvernement, prix par lieue : 37 1/2 28 1/8 et 18 ¾.
L'honorable M. Vermeire a fait des comparaisons entre le système qu'il propose et celui qui existe aujourd'hui. Mais comme je désire qu'on applique pendant quelque temps un système intermédiaire, un système de transition, j'ai cherché à faire des comparaisons entre le système transitoire dans lequel je désire que nous entrions et le système définitif proposé par l'honorable M. Vermeire, et je suis arrivé à cette conséquence, c'est qu'il y aurait dans le système de l'honorable M. Vermeire comparé au système transitoire, l'augmentation suivante par lieue :
Pour les voitures de troisième classe, 0,02 1/2 cent.
Pour les voitures de deuxième classe, 0,03 1/8 cent.
Pour les voitures de première classe, 0,05 cent.
Peut-on proposer des augmentations plus modérées ? Car enfin prenons l'augmentation par parcours moyen. Ce parcours moyen nous est indiqué par le gouvernement ; il est pour voitures de troisième classe d'environ 27 1/2 kilomètres, c'est-à-dire 5 à 6 lieues. Eh bien, pour ces sortes de voitures, d'après les propositions de l'honorable M. Vermeire, l'augmentation ne serait pas même de 0,16 cent.
Pour les autres classes, l'augmentation serait encore plus faible, toute proportion gardée ; car pour le parcours moyen de la seconde classe, qui est de 9 lieues, l'augmentation ne serait que de 25 1/2 cent. ; et quant à la première classe, pour une distance de 12 lieues, elle ne serait que de 0,61 cent.
Je vous parlais tout à l'heure, messieurs, de l'essai qui venait d'être fait dans le pays de Waes. Là on a fait, l'année dernière, l'application d'un tarif différent extrêmement peu de celui proposé par l'honorable M. Vermeire. Voici les résolutions prises et les résultats auxquels on est arrivé.
On a maintenu les prix pour certaines distances, et on les a augmentés sur d'autres ; mais nulle part on ne les a diminués. Le système introduit diffère donc déjà, sous ce rapport, essentiellement de celui qui nous est proposé par le gouvernement. Sur onze parcours à petites distances, on a maintenu les prix. C'est déjà une série assez grande de parcours pour qu'on puisse en déduire des conséquences. Sur les autres, les prix ont été réglés de la manière que je vais vous indiquer. On a adopté pour unité par lieue les prix de 20, 30, 40 centimes. L'honorable M. Vermeire propose 21 1/4, 31 1/4 et 42 1/2. Il est donc un peu au-dessus du pays de Waes.
Mais, messieurs, le chemin de fer du pays de Waes n’est pas tout à fait dans les mêmes conditions que le chemin de fer de l’Etat : le chemin de fer du pays de Waes sert à l’industrie et au commerce dans une certaine mesure, mais il est essentiellement agricole, tandis que le chemin de fer de l'Etat sert au grand mouvement commercial, aux voyages des grandes villes, aux voyages d'agrément. Je crois donc que pour obtenir une circulation égale, on peut établir des prix un peu plus élevés sur le chemin de fer de l'Etat que sur celui du pays de Waes.
Si d'une part, sur le chemin de fer du pays de Waes, on s'est arrêté à des prix un peu moins élevés que ceux proposés par l’honorable M. Vermeire, on a dû, d'autre part, pour atteindre les prix auxquels on s'est arrêté, procéder par des augmentations plus considérables, et c'est là une considération importante pour juger de l'influence que le changement de système a exercée sur le mouvement de la circulation.
Ainsi, messieurs, pour les voitures de troisième classe, l'augmentation n'était pas de plus de 2 1/2 centimes, c'est le changement proposé par l'honorable membre ; mais pour la deuxième classe, l'augmentation était de 5 centimes, tandis que celle de M. Vermeire n'est que de 3 1/8 centimes ; pour la première classe, l'augmentation était beaucoup plus considérable, car, sur le parcours de Gand à Anvers, elle était de 10 centimes ; M. Vermeire ne propose que 5 centimes.
Sur le parcours d'Anvers à Saint-Nicolas, l'augmentation a été un peu moins forte que sur le parcours de Gand à Anvers ; cependant elle a atteint le chiffre de 7 3/4 centimes.
Permettez-moi, au sujet des changements apportés dans les prix de la première classe, de rencontrer une observation que j'ai entendu faire dans des conversations particulières et qui pourrait se produire dans la discussion. On a dit que ces changements avaient fait déserter les diligences et fait refluer les voyageurs dans les voitures de deuxième classe.
Si les faits s'étaient produits absolument de la manière qu'on l'indique, il n'y aurait eu rien d'étonnant, à cause de la forte augmentation des prix. Cependant l'observation n'est pas complètement vraie. Il y a eu, à la vérité, un certain déclassement, mais seulement sur l'une des deux lignes. Sur l'autre, le nombre des voyageurs de première classe a même légèrement augmenté.
Et remarquez la bizarrerie. C'est sur la ligne de Saint-Nicolas à Gand que l'augmentation a été la plus faible ; eh bien, c'est là que le nombre des voyageurs a diminué ; c'est sur le parcours de Gand à Anvers, au contraire, que l'augmentation a été la plus forte, et c'est là que le nombre des voyageurs a augmenté.
A quoi cela tient-il ? On l'ignore. La même anomalie se produirait, soyez-en certains, si nous adoptions le projet du gouvernement, car il y a une foule de circonstances étrangères au tarif qui agiraient sur les produits du chemin de fer de l'Etat tout comme ils ont agi sur le chemin de fer du pays de Waes.
Revenons-en aux faits généraux, en ce qui concerne le chemin de fer du pays de Waes. Voici quels ont été les résultats comparatifs de 1850 et de 1849.
Permettez-moi de vous faire remarquer d'abord que, sur le chemin de fer de l'Etat, il n'y a eu pour toutes les lignes qu'une augmentation de 6 3/4 p. c. sur le nombre des voyageurs et de 13 p. c. sur les recettes.
Or, pour le chemin de fer du pays de Waes, sur les 11 parcours où les prix ont été maintenus, l'augmentation a été de 18 p. c, quant aux voyageurs, et de 19 p. c. quant aux recettes.
Pour la ligne de Gand à Saint-Nicolas, prise isolément, le résultat n'a pas été aussi satisfaisant, quoiqu'il ait cependant dépassé celui qui a été obtenu sur le chemin de fer de l'Etat. Il y a eu une augmentation de 6 p. c. dans le nombre des voyageurs et de 18 p. c. dans le chiffre des recettes, alors que, sous ce dernier rapport, le chemin de fer de l'Etat n'a obtenu qu'une augmentation de 13 p. c. Mais sur la ligne de Gand à Anvers, le nombre des voyageurs a augmenté de 13 p. c. et les produits de 38 p. c.
Si vous prenez l'ensemble des parcours du pays de Waes, bons et mauvais, avec les anciens et les nouveaux prix, vous avez une augmentation de 15 p. c. sur le nombre des voyageurs et de 28 p. c. sur les recettes. Voilà le résultat général auquel la société concessionnaire est arrivée.
Eh bien, messieurs, je vous le demande, en présence de ces résultats, ne faut-il pas reconnaître, non pas que l'expérience est complètement concluante, elle n'a pas duré assez longtemps pour cela, mais qu'il y a dans les faits signalés des motifs puissants pour nous engager dans la voie où est entré le chemin de fer du pays de Waes ? Ces motifs seraient suffisants dans tout état de cause, mais ils sont beaucoup plus décisifs dans la situation où nous nous trouvons, en présence des devoirs impérieux que nous avons à remplir envers les électeurs qui nous ont envoyés dans cette enceinte et envers le pays tout entier.
Songez, messieurs, qu'au premier jour notre responsabilité à tous va être mise à une grande épreuve et qu'il est temps dès à présent de nous y préparer.
M. le ministre des finances a déclaré dans une autre enceinte qu'il faudrait créer 5 ou 6, peut-être 8 milliuus, de produits nouveaux. J'ai toujours été convaincu qu’il fallait augmenter nos ressources d'une manière très notable ; quant au chiffre de 5 ou 6*0 millions, lorsque nous serons arrivés à la discussion, je crois qu'il y aura peu de chose à en déduire ; pour celui de 8 millions, je pense qu'il est indiqué en vue de certaines dépenses que nous aurons à discuter ; mais je suis tout prêt à (page 812) admettre qu'il en est que nous ne pourrons paq différer indéfiniment, et qu’il faut, dès à présent, nous y préparer.
Quoiqu'il en soit du chiffre auquel il faudra s'arrêter, nous nous trouvons en présence d'une fatalité à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, celle de devoir créer de nouveaux impôts pour une somme considérable, et c'est parce que je l'ai prévue depuis longtemps que j ai fait tout ce qui m'était possible pour ne pas devoir voter, quand le moment sera venu, des impôts trop considérables ; non seulement j'ai été partisan des économies proposées par le gouvernement, je les ai appuyées de mon vote, mais bien souvent je suis même allé au-delà, et surtout je me suis toujours opposé aux demandes de crédits extraordinaires qui pèsent d’un si grand pods sur notre situation financière et à l’adoption de mesures qui devaient avoir pour conséquence de réduire nos ressources. C’est ainsi que j’ai voté contre le crédit demandé pour la fabrication des russias, contre le maintien des primes pour constructions navales, contre l’abaissement des péages sur le canal de Charleroy, contre le million demandé par M. le ministre de l’intérieur, en 1849 pour le maintien du travail national, contre une réduction trop forte de la taxe postale.
J'ai voté dans ce sens, tout en reconnaissant que des motifs très puissants militaient en faveur des propositions du gouvernement et uniquement parce que la situation financière du pays nous imposait l'économie la plus sévère, en ce qui concerne les dépenses, et la sollicitude la plus grande pour la conservation de nos ressources. Je suis persuadé que dans maintes circonstances le gouvernement a trouvé que je poussais la rigueur à l'égard de ses propositions financières beaucoup trop loin. Je n'en crois pas moins avoir rempli chaque fois un devoir. D'autres membres se sont montrés plus généreux ; ils ont accueilli avec plus de facilité les propositions qui leur étaient faites. Je suis loin de le trouver mauvais ; seulement je crois que quand la question des impôts sera soulevée, ils auront un devoir plus rigoureux à remplir que moi, qui n'ai pas, en votant tous les crédits demandés, pris l'engagement moral de voter également les ressources pour les couvrir.
Et cependant, j'aime à le dire dès à présent, je ne me prévaudrai pas de cette excuse. J'accepterai la position financière telle qu'elle se présente, et je joindrai mes faibles efforts à ceux du gouvernement pour y porter remède, à la condition, bien entendu, que les nouvelles ressources qu'on nous demande ne seront pas escomptées d'avance, qu'elles ne servent pas à faire de nouvelles dépenses qui soient de nature à nous replacer dans la position dont il s'agit de nous tirer aujourd'hui. Je crois que le gouvernement nous donnera, à cet égard, toutes les assurances désirables ; à cette condition, je suis résigné à voter quelques nouveaux impôts, puisqu'il faut bien passer par là. Je ne me montrerai pas même très difficile sur le choix de ces impôts ; j'ai mes préférences comme tout le monde, mais enfin, si le gouvernement propose des impôts qui ne soient pas trop mauvais, alors même que je les regarderais comme pouvant être remplacés utilement par d'autres que je préférerais, je promets de ne pas me montrer trop exigeant.
Il m'en coûtera néanmoins, autant qu'à aucun d'entre vous, soyez-en bien persuadés, de voter des charges nouvelles, qui viendront peser si lourdement sur les populations, et c'est pour cela que je veux continuer à faire tout ce qui dépendra de moi pour diminuer l'importance des impôts que nous devrons créer. Nous avons heureusement encore un moyen à employer. Une occasion se présente (ce sera probablement la dernière) où nous pouvons procurer au trésor des ressources assez abondantes, qui viendront diminuer d'autant les impôts à créer.
Tout doit nous faire prévoir que ce résultat sera obtenu si nous élevons légèrement les tarifs de notre chemin de fer.
Un honorable membre qui a passé au ministère des travaux publics est éloigné d’ici par une circonstance doublement fâcheuse, fâcheuse en elle-même et fâcheuse parce qu’il aurait pu jeter de grandes lumières dans cette discussion. Cet honorable membre, qui est lui-même partisan des bas tarifs, croit qu'il serait possible de faire produire au chemin de fer 18 à 20 millions par an. Je ne sais pas si cet espoir pourrait se réaliser, mais je crois qu'il serait très facile de faire produire au chemin de fer un ou deux millions de plus.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Sur les marchandises.
M. Cools. - Sur l'ensemble des transports. Quant aux voyageurs, je crois qu'il serait très facile d'obtenir quelques centaines de mille francs d'augmentation.
N'est-il pas évident, messieurs, que nous devons employer ce moyen d'améliorer la situation du trésor ? Je vous avoue que si j'agissais différemment, je craindrais que le jour où nous aurions voté un nouvel impôt, les contribuables qui en sont atteints ne vinssent me dire : Aujourd'hui vous avez aggravé les charges qui pesaient sur nous, et qui étaient déjà bien lourdes. Hier l'occasion vous a été offerte de nous soulager quelque peu, et vous n'avez pas voulu en profiter. L'impôt que vous nous faites payer est prélevé sur le produit de notre travail, tandis que les péages sur le chemin de fer ne sont, après tout, que la rémunération d'un service rendu. C'est à ceux qui voyagent par le chemin de fer qu'il fallait commencer par demander un peu plus d'argent. Votre conduite n'a pas été celle d'un bon représentant.
Je vous avoue, messieurs, que ce reproche me serait sensible parce que ma conscience me dirait qu'il est mérité. C'est parce que je ne veux pas m'y exposer que je voterai pour la proposition de l'honorable M.Vermeire.
M. Manilius. - Je suis décidé à combattre les amendements présentés par l'honorable M. Vermeire ; mais il me semble qu'il serait utile pour la discussion, que l'honorable auteur de la proposition fût appelé à la développer ; jusqu'ici nous avons eu quelques développements donnés par des orateurs qui l'ont admise ; mais nous ne connaissons pas encore les véritables motifs qui ont guidé l'honorable auteur des amendements.
M. Vermeire. - Je développerai mes amendements à l'article premier.
- La suite de la discussion générale est remise à jeudi prochain.
La séance est levée à 4 heures moins un quart.