(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 597) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures et demie.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Michel, ancien préposé à la manœuvre du pont à bascule de Vleurgat, prie la chambre de lui faire obtenir sa pension ou de le faire réintégrer dans ses fonctions »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Weustenraad, greffier du tribunal de première instance de Louvain, demande une modification au tarif des frais de justice criminelle et une indemnité du chef des pertes qu'il a essuyées depuis la mise en vigueur de ce tarif. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Minne présente des observations sur l'article premier du projet de loi concernant le régime hypothécaire et soumet à la chambre une disposition additionnelle. «
« Le sieur de Pouille, conservateur des hypothèques à Tournay, présente des observations au sujet des articles 1, 2 et 34 de ce projet de loi, propose à la chambre de fixer un délai endéans lequel devra avoir lieu la transcription des actes de partage ou de licitation, et d'insérer dans la loi une disposition qui, pour certains cas, oblige les conservateurs à inscrire d'office le privilège. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Louis-Joseph Mac Dougall, arpenteur à la Hulpe, né à Wavre, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
M. Lelièvre, au nom de la commission qui a examiné l'amendement proposé par M. Jullien à l'article 25 de la loi sur les hypothèques, fait sur cet objet le rapport suivant. - Messieurs, la commission a examiné l'amendement présenté par l'honorable M. Jullien, dans la séance d'hier, et elle a l'honneur de vous soumettre les observations auxquelles cet amendement a donné lieu.
Dans le rapport du 15 mars 1850, la commission, en consacrant le privilège sur le prix d'effets mobiliers, le faisait cesser dans le cas où ces objets seraient incorporés à un immeuble. En conséquence, le privilège était maintenu, si l'objet était seulement immobilisé par une simple destination à l'usage du sol sans adhérence intime avec l'immeuble.
La modification apportée à cet amendement par M. le ministre de la justice et approuvée par la majorité de la commission, dans le rapport du 29 janvier 1851, avait, au contraire, pour conséquence d'établir le principe écrit dans l'amendement de M. Jullien.
La commission a donc été appelée à se prononcer sur l'existence du privilège. Lorsqu'il s'agit de meubles devenus immeubles par incorporation ou par destination relativement aux meubles incorporés, il ne peut exister le moindre doute ; l'incorporation transforme les objets mobiliers en immeubles réels, et dès lors on ne conçoit plus l'existence du privilège.
Quant aux objets immobilisés par destination, sans connexité physique avec le sol, la commission a pensé devoir admettre le même principe, d'abord parce qu'il est déjà établi par l'amendement voté dernièrement par la chambre à l'occasion de la loi sur les faillites ; en second lieu, parce que les privilèges sont de droit étroit et que, pour prévenir les nombreuses contestations qu'un principe contraire ne manquerait pas de faire naître, il convient de limiter positivement le privilège aux effets mobiliers proprement dits. Enfin, la nécessité d'une exception ne se fait réellement sentir que relativement aux machines et appareils ; or cette exception étant écrite dans l'article en discussion, la majorité de la commission ne pense pas devoir l'étendre à d'autres cas.
En conséquence, la commission adopte l'amendement de M. Jullien, conforme à la pensée qui a présidé à la rédaclion de l'article amendé par le gouvernemeut. Il est, du reste, évident que la disposition de l'article 593 du Code de procédure ne pourra pins être invoquée par le vendeur qui, d'après l'article en discussion, aurait perdu son droit au privilége. Le bénéfice de l'article 593 est fondé sur l'existence du privilège et dès lors doit cesser en même temps.
M. Pierre, au nom de la commission qui a examiné les pièces relatives à la délimitation des communes d'Attert et de Guirsch (province de Luxembourg) fait sur cet objet le rapport suivant. - Messieurs, la commission a examiné les pièces de l'instruction à laquelle cette affaire a été soumise, ainsi que la carte topographique des communes dont il s'agit. Cet examen l'a convaincue qu'il y a lieu de disjoindre le moulin dit Grubermuhl et son territoire de la commune d'Attert, à laquelle il a été réuni par arrêté royal du 28 décembre 1843 et de joindre cette fraction de l'ancienne section d'Oberpallen à la commune de Guirsch, à laquelle elle ressortissait avant le morcellement du Luxembourg.
Toutes les autorités consultées ont été d'accord à cet égard.
En conséquence, la commission vous propose l'adoption du projet de loi qui vous est soumis par le gouvernement.
M. Thibaut. - Messieurs, le paragraphe dernier du n°1 de l'article 25 est conçu en ces termes : « Le propriétaire peut saisir les meubles qui garnissent sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans son consentement, et il conserve sur eux son privilège, pourvu qu'il en ait fait la revendication ; savoir... etc. »
Je désirerais que l'on voulût bien nous dire quelle est la portée du mot « revendication ». Est-ce un droit de suite sur les meubles, même quand ils sont passés en mains tierces ? ou bien est-ce le droit de soustraire de la masse commune, du gage commun des créanciers, les meubles déplacés par le locataire et qui n'ont cessé de lui appartenir afin de les replacer sous le privilège ?
La question est assez importante. Je désire que, soit M. le ministre, soit le rapporteur de la commission, veuille bien s'en expliquer. Quant à moi, je déclare que je ne puis pas comprendre sous ce mot « revendication » un droit de suite sur les meubles. Ce serait d'abord tout à fait contraire aux principes du droit. Vous savez que l'article 2279 du Code déclare qu'en fait de meubles, possession vaut titre, et ce principe a été poussé au point qu'on ne peut pas même revendiquer en mains tierces, un meuble dont le propriétaire a été dessaisi par suite d'un vol, lorsque ces meubles ont été vendus, soit sur les foires, soit sur les marchés.
En second lieu, je crois que si l'interprétation que je combats était admise, on se mettrait complètement en contradiction avec les principes économiques qui ont présidé à la rédaction du projet.
Vous voulez, messieurs, assurer la stabilité des transactions ; dès lors,, comment pouvez-vous donner, à un bailleur, le droit de revendiquer en mains tierces les meubles qui ont été vendus par son locataire ? Mais alors personne n'achèterait de lui avec sûreté. Non seulement ce serait contraire aux principes éonomiques du projet, c'est contraire à la classification, de tous les mots du paragraphe que je viens de lire. Ainsi il s'agit de meubles déplacés.
Qui dit « déplacé » ne dit pas « aliéné ». Un locataire déplace des meubles, quand il les transporte soit de la maison, soit de la ferme qu'il loue, dans une maison ou une ferme qui lui appartiennent.
Enfin, il s'agit de privilège, de créancier privilégié, mais le privilège suppose qu'il y a d'autres créanciers qui ont aussi un droit sur les meubles chargés de ce privilège.
Or, les meubles vendus par un locataire ont évidemment cessé d'être le gage commun des créanciers du locataire, donc ils sont soustraits, aussi à ces créanciers privilégiés.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est l'ancienne disposition du Code.
M. Thibaut. - C'est l'ancienne disposition du Code, je le sais, mais cette disposition du Code n'a pas été interprétée d'une manière uniforme. Il y a des auteurs qui pensent que la revendication ne peut pas avoir effet contre les meubles qui sont passés en mains tierces. Je vous citerai les noms de quelques-uns de ces auteurs, si vous en doutez : c'est, sur l'ancien droit, Brodeau et Ferrières ; et sous la jurisprudence actuelle, je citerai M. Grenier, dans son « Traité des hypothèques ».
J'ajouterai, messieurs, que l'interprétation que je crois être la véritable du mot « revendication » est encore conforme à ce que vous dites vous-mêmes dans le 5° de l'art. 25. Là, vous permettez au vendeur qui n'est pas payé, de « revendiquer » l'objet mobilier qu'il a vendu tant que l'acheteur n'en a pas perdu la possession.
Le vendeur ne peut donc suivre les meubles vendus, en quelques mains qu'ils passent.
Je déclare, quant à moi, ne pouvoir admettre une interprétation qui accorderait le droit de suite sur les meubles qui sont vendus par le locataire.
Je proposerai la rédaction suivante : « Le propriétaire peut saisir les meubles qui garnissaient sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans son consentement, et qu'ils se trouvent encore en la possession du locataire, et il conserve... etc. (comme au projet).
- L'amendement n'est pas appuyé.
M. le président. - M. Jullien a proposé, au n°5° de l'article 25, l'amendement suivant, auquel la commission et le gouvernement se sont ralliés :
« Le prix d'effets mobiliers non payés, s'ils sont encore en la (page 598) possession du débiteur, soit qu'il ait acheté à terme ou sans terme et pour autant que les effets mobiliers ne soient pas devenus immeubles par destination ou par incorporation. »
(Le reste comme la disposition du gouvernement.)
« Néanmoins le prix des machines et appareils ne sera privilégié que pendant deux ans, à partir de la livraison...
« Ce privilège n'aura d'effet que pour autant que, dans la quinzaine de cette livraison, l'acte constatant la vente soit transcrit dans un registre spécial, tenu à cet effet au greffe du tribunal de commerce de l’arrondissement dans lequel le débiteur aura son domicile, et dont le greffier sera tenu de donner connaissance à toutes les personnes qui en feront la demande.
« Ce privilège pourra être exercé même dans les cas ou les machines et appareils seraient devenus immeubles par destination ou par incorporation.
« La livraison sera établie, sauf preuve contraire, par les livres du vendeur.
« En cas de saisie-exécution ou de saisie immobilière pratiquée sur les objets soumis au privilège, ou de faillite du débiteur déclarée avant l'expiration des deux années de la durée du privilège, celui-ci continuera à subsister jusqu'après la distribution des deniers ou la liquidation de la faillite. »
M. Delfosse. - Dans un article déjà passablement long, M. le ministre de la justice propose d'intercaler une assez longue phrase ; il me semble que ce changement rend la rédaction obscure.
Dans le projet primitif, le deuxième paragraphe du n°5 était ainsi conçu : « Si la vente a été faite sans terme, le vendeur peut revendiquer ces effets, etc. » On savait alors de quels effets il était question ; il était question des effets mobiliers, mentionnes au paragraphe premier. Mais comme on ajoute une disposition concernant les machines et appareils, on pourrait avoir des doutes sur ce qu'on doit entendre par les mots : « ces effets », on pourrait penser qu'il s'agit seulement des machines et appareils. Je proposerai de dire : « Le vendeur peut même revendiquer les effets vendus. »
Dans la phrase que M. le ministre propose d'intercaler on lit : « En cas de saisie-exécution ou de saisie immobilière pratiquée sur les objets soumis au privilège... »
Il ne s'agit pas ici de tous les objets soumis au privilège, mais seulement des machines et appareils. Il faut donc dire : « En cas de saisie, etc., pratiquée sur les machines et appareils. »
Je proposerai une troisième modification ; au lieu des mots : « avant l'expiration des deux années de la durée du privilège », je proposerai de dire : « Avant l'expiration du privilège ».
- L'amendement de M. Jullien est mis aux voix et adopté.
L'amendement proposé par M. le ministre de la justice au n°5° est adopté avec les changements de rédaction indiqués par M. Delfosse.
L'article 25, ainsi amendé, est adopté dans son ensemble.
« Art. 26. Les créanciers pour frais de justice priment tous les créanciers dans l'intérêt desquels ces frais ont été faits. »
- Adopté.
« Art. 27. Ceux qui ont fait des frais pour la conservation de la chose n'ont de préférence que sur les créanciers qui avaient sur cette chose un droit de privilège antérieur.
« Toutefois ils priment, dans tous les cas, les privilèges compris dans les trois derniers numéros de l'article 24. »
- Adopté.
« Art. 28 (du projet de la commission auquel le gouvernement se rallie). Le créancier gagiste, l'aubergiste et le voiturier sont préférés au vendeur de l'objet mobilier qui leur sert de gage, à moins qu'ils n'aient reçu ce gage sachant que le prix en était encore dû.
« Le privilège du vendeur ne s'exerce qu'après celui du propriétaire de la maison ou de la ferme, à moins que lors du transport des meubles dans les lieux loués, le vendeur n'ait fait connaître au bailleur que le prix n'en avait pas été payé. »
- Adopté.
« Art. 29. Les sommes dues pour les semences ou pour les frais de la récolte de l'année sont payées sur le prix de cette récolte, et celles dues pour ustensile sur le prix de ces ustensiles, par préférence au bailleur. «
- Adopté.
« Art. 30. Le privilège des frais funéraires l'emporte sur tous les autres privilèges, à l’exception du privilège des frais de justice, du privilège des frais qui pourraient avoir été faits postérieurement pour la conservation de la chose, et du privilège de l’aubergiste, du voiturier et du créancier gagiste, sur le gage dont ils sont saisis, en tant que ceux-ci ne sont pas primés par le vendeur de l’objet donné en gage. »
- Adopté.
« Art. 31. En général, les privilèges généraux sont primés par les privilèges spéciaux.
M. Delfosse. - Il me paraît que la rédaction du gouvernement est préférable : « Les autres privilèges généraux sont primés par les privilèges spéciaux. »
Cette rédaction est moins vague que celle de la commission, elle est aussi plus correcte ; « En général, les privilèges généraux ».
Je propose le maintien de l'article du gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je crois, en effet, que la rédaction du gouvernement est préférable. L’article de la commission ne diffère d'ailleurs de celui du gouvernement que par les expressions ; il n'apporte aucune modification au fond.
M. Lelièvre, rapporteur. - La commission avait cru devoir modifier la rédaction, parce qu'elle a simplement voulu écrire dans la loi un principe qui pût servir de guide au juge dans la décision des divers cas qui pourraient se présenter.
La rédaction du gouvernement lui a paru présenter des inconvénients en ce que, dans certains cas particuliers, il est quelquefois nécessaire d'adopter un principe contraire. Cela résulte des observations présentées par la première commission. Eh bien, pour ne pas lier le juge d'une manière irrévocable, pour lui laisser la faculté d'apprécier les différents cas qui peuvent se présenter, nous avons cru devoir adopter une disposition moins générale.
Cela me paraît rentrer dans l'esprit des articles énoncés au projet.
M. Delfosse. - Je persiste à croire que la rédaction du gouvernement est moins vague et plus correcte. Je demande qu'elle soit mise aux voix.
- La rédaction du gouvernement est mise aux voix et adoptée.
« Art. 32. Les créanciers privilégiés sur les immeubles sont :
« 1° Le vendeur, sur l'immeuble vendu, pour le payement du prix ;
« 2° L'échangiste, sur l'immeuble donné en échange, pour le payement de la soulte ;
« 3° Le donateur, sur l'immeuble donné, pour les charges pécuniaires et autres prestations liquides ou évaluées dans l'acte, imposées au donataire ;
« 4° Les copartageants, sur les immeubles qui font l'objet du partage ou de la licitation, pour les charges liquides ou évaluées dans l'acte, imposées à l'un d'eux, pour la soulte ou le retour du lot, ou pour le prix de la licitation.
« Dans les cas prévus par les paragraphes précédents, le privilège appartient également au tiers, au profit duquel il aurait été établi des charges pécuniaires et autres prestations liquides ou évaluées dans l'acte, comme condition de la vente, de l'échange, de la donation, du partage ou de la licitation.
« 5° Les entrepreneurs, architectes, maçons et autres ouvriers employés pour défricher des terres ou dessécher des marais, pour édifier, reconstruire ou réparer des bâtiments, canaux, machines incorporées aux bâtiments, ou autres ouvrages quelconques, pourvu néanmoins que, par un expert nommé d'office par le président du tribunal de première instance dans le ressort duquel les biens sont situés, il ait été dressé préalablement un procès-verbal, les créanciers inscrits dûment appelés, à l'effet de constater l'état des lieux, relativement aux ouvrages que le propriétaire déclarera avoir dessein de faire, et que les ouvrages aient été, dans les six mois au plus de leur perfection, reçus par un expert également nommé d'office.
« Mais le montant du privilège ne peut excéder les valeurs constatées par le second procès-verbal, et il se réduit à la plus-value existante à l'époque de l'aliénation de l'immeuble, et résultant des travaux qui y ont été faits. »
M. le ministre de la justice a proposé de rédiger le n°2 en ces termes :
« Le copermutants sur les immeubles réciproquement échangés pour le payement des soultes et retours et aussi pour la somme fixe qui serait déterminée par l'acte à titre de dommages et intérêts dans le cas d'éviction. »
La commission a admis cette rédaction.
M. le ministre a proposé de maintenir le n°3 du projet du gouvernement, qui est ainsi conçu :
« Le donateur sur l'immeuble donné pour les charges pécuniaires ou autres prestations liquides imposées au donataire, ainsi que le tiers au profit duquel il a été établi de pareilles charges. »
La commission a également admis ce changement.
La commission, d'accord avec le gouvernement, propose ensuite de rédiger en ces termes le n°4 :
« 4°. Les cohéritiers ou copartageants, savoir :
« Pour le payement des soultes ou retours des lots sur tous les immeubles compris dans le lot chargé de la soulte, à moins que, par l'acte de partage, le privilège n'ait été restreint à un ou plusieurs de ces immeubles ;
« Pour le payement du prix de la licitation sur le bien licite et pour la garantie établie par l'article 884 du Code civil, sur tous les immeubles compris dans les lots des garants, à moins que l'acte de partage ne restreigne le privilège à une partie de ces immeubles.
« Ce privilège n'aura lieu qu'autant que l'acte de partage contiendra la stipulation d'une somme fixe pour le cas d'éviction. »
Enfin la commission a admis la suppression des expressions « machines incorporées aux bâtiments », qui se trouvaient énoncées au n°5 de l'article 32.
M. Jullien. - Messieurs, la commission, lors de l'examen du projet primitif du gouvernement, avait proposé d'accorder privilège au (page 599) vendeur d'un immeuble, non seulement pour le payement du prix, mais encore pour le payement des charges qui seraient stipulées dans le contrat de vente, au profit d'un tiers. M. le ministre de la justice, dans les amendements qu'il a fait distribuer à la chambre, a proposé de n'accorder privilège pour le payement des charges imposées au profit d'un tiers que lorsque ces charges résultent d'un contrat de donation.
Je crois, messieurs, qu'il y a absolument identité de raison pour accorder au vendeur d'un immeuble le privilège pour le payement des charges imposées à l'acquéreur, même dans l'intérêt d'un tiers ; la position des parties est exactement la même.
Le principe, messieurs, qu'on peut stipuler au profit d'un tiers, lorsque telle est la condition d'une stipulation qu'on fait pour soi-même, est écrit dans l’article 1121 du Code civil, en sorte qu’en droit je puis vendre un immeuble, stipuler à mon profit une portion du prix et déléguer l’autre portion à un tiers.
Je puis faire cette vente à charge, par exemple, par l'acquéreur, de me libérer, moi vendeur, vis-à-vis d'un tiers, d'une somme déterminée. Je puis vendre un immeuble, à charge par l'acquéreur de me payer directement une somme d'argent, et de me servir une prestation alimentaire ou bien de servir cette prestation alimentaire à un tiers. Il me paraît qu'alors il y a justice à accorder un privilège non seulement pour la portion du prix que le vendeur stipule pour lui-même, mais encore pour l'acquit des charges qu'il impose au profit d'un tiers.
Je demanderai à M. le ministre de la justiee s'il verrait de l'inconvénient à terminer le n°1° de l'article 32 par ces mots : « et des charges qui en font partie ».
J'ajouterai qu'il convient d'insérer dans le n°1° de l'article 32 que le privilège sera acquis non seulement pour la sûreté du prix, mais encore pour la sûreté des charges qui en font partie, afin de mettre cet article en harmonie avec la disposition du projet de loi qui exige que l'acquéreur, lorsqu'il fait la purge, dénonce à tous les créanciers inscrits, non seulement le prix stipulé, mais encore (ainsi que le porte le projet de loi, conforme à l'article 2183 du Code civil) les charges faisant partie du prix.
Vous voyez donc, messieurs, que, dans l'esprit du projet de loi, les charges que l'on doit individuer comme faisant partie du prix sont rangées absolument sur la même ligne que le prix lui-même.
Je pense, en conséquence, qu'il serait équitable d'accorder au vendeur d'un immeuble le privilège, non seulement pour le payement du prix, mais encore pour le payement des charges qui en font partie, même de celles imposées au profil d'un tiers.
Je prierai de nouveau M. le ministre de la justice de vouloir bien nous dire s'il voit de l'inconvénient à insérer à la fin du n°1° de l'article 32, ces mots : « et des charges qui en font partie. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne vois pas grand inconvénient à insérer dans le n°1° de l'art. 32 les mots : « et des charges qui en font partie » ; mais je crois que cette addition est complètement inutile ; car lorsqu'on accorde le privilège pour le prix, il me semble que le privilège est accordé en même temps pour toutes les charges qui constituent ce prix.
M. Lelièvre. - L'amendement de l'honorable M. Jullien me paraît tout à fait superflu. Tous les auteurs sont d'accord pour enseigner qu'on entend par prix tout ce que débourse l'acquéreur du chef de l'acquisition ; que, par conséquent, le vendeur a un privilège, non seulement pour le prix, mais aussi pour les charges qui sont considérées comme une portion intégrante du prix.
Toute addition me semble donc inutile. Aussi sous le Code civil dans lequel on trouve l'expression du projet, la doctrine et les arrêts ont donné au mot « prix » la portée dont il s'agit.
Il y aurait même inconvénient à ajouter l’énonciation proposée au n°l de l'article en question. Car l'on devrait également faire l'addition au paragraphe qui concerne la soulte, celle-ci pouvant aussi comprendre des charges que l'on impose au copartageant. Je pense donc qu'il faut maintenir l'article tel qu'il est rédigé.
M. Jullien. - Dans le numéro 3 de l'article 32 on parle d'un privilège acquit aux tiers au profit desquels des charges ont été stipulées dans le contrat de donation, ce qui semble exclure l'existence du privilège pour le cas où la charge aurait été stipulée dans un contrat de vente. Puisque la commission et M. le ministre de la justice sont d'accord que le privilège doit, dans ce dernier cas, environner non seulement le payement du prix, mais encore la charge faite, pourquoi s'obstiner à ne pas le consacrer en termes exprès ?
Lorsqu'il s'agit de la purge, vous exigez de l'acheteur qu'il dénonce non seulement le prix, mais encore les charges faisant partie du prix. Pourquoi ne pas mettre les termes de l'article 32 en rapport avec cette prescription ?
Comme M. le ministre ne s'oppose point à l'insertion des mots que j'indique dans cet article, il me paraît convenable de les y insérer, afin de ne pas permettre de doute dans l'application de la loi.
M. Lebeau. - Je crois qu'il y aurait quelque danger à insérer l'amendement que demande l'honorable M. Jullien. Il est évident que la charge imposée à l'acquéreur est une partie du prix, et il y a des dispositions générales du Code qui s'opposent à l'adoption de la disposition proposée.
Je ne verrais aucun inconvénient à adopter l'amendement de M. Jullien s'il n'avait pour effet de jeter des doutes sur les autres dispositions où cette mention n'est pas faite, et de fournir ainsi un argument qui pourrait embarrasser certains tribunaux. Ce serait une véritable superfétation que d’admettre cette insertion ; ce serait donner lieu à un argument a contrario.
M. Jullien. - S'il est bien entendu que l'on ne pourra pas argumenter du numéro 3 de l'article 32 pour soutenir que l'on doit refuser le privilège au vendeur pour l'acquit des charges imposées au profit d'un tiers, je n'insiste point ; mais, je le répèle, il faut que cela soit bien entendu.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est bien entendu que l'on doit entendre l'article tel qu'il est. Ceux qui auront à l'interpréter sauront ce qu'il faut entendre par un privilège accordé au vendeur sur l'immeuble vendu pour le payement du prix, et je pense que les tribunaux n'éprouveront point de difficulté à comprendre que dans les mots « payement du prix » se trouve comprise la charge qui compose ce prix.
Ce sont les expressions du Code civil ; et je ne sache pas que jamais elles aient donné lieu à des difficultés. Il y avait difficulté sur la question de savoir s'il y aurait privilège pour le donataire au profit duquel une stipulation aurait été faite ; c'est pour la faire disparaître que mention expresse en a été faite dans l'arlicle.
Il est inutile, ce me semble, d'insister sur ce point.
Personne, excepté M. Jullien, n'a vu de difficulté dans cette interprétation qui n'en offrira à personne autre.
M. Jullien. - Si j'ai soulevé cette question, c'est qu'elle l'a été par le rapport de la commission elle-même.
Vous allez voir que, selon M. le ministre de la justice, il excluait le privilège du vendeur pour les charges imposées à l'acheteur, dans l'intérêt d'un tiers.
Voici ce que je lis dans le rapport de M. Lelièvre :
« M. le ministre de la justice propose de rédiger en ces termes le n°2 :
« Les copermutants sur les immeubles réciproquement échangés, pour le payement des soultes et retours, et aussi pour celui de la somme fixe qui serait déterminée par l'acte à titre de dommages et intérêts dans le cas d'éviction. »
« Cette disposition est admise par la commission.
« M. le minisire propose ensuite de maintenir le n°3 du projet du gouvernement, ainsi conçu :
« 3° Le donateur sur l'immeuble donné pour les charges pécuniaires ou autres prestations liquides, imposées au donataire ainsi que le tiers au profit duquel il a été établi de pareilles charges. »
« Cet amendement, dit le rapport, diffère du système énoncé au rapport du 15 mars 1830, en ce que M. le minisire n'admet un privilège en faveur du tiers non intervenant à l'acte et au profil duquel il a été établi des charges liquides, que dans le cas d'un acte de libéralité, tandis que la commission avait aussi admis ce privilège en faveur du tiers, dans le cas de vente, de partage et de licilation.
« Un membre a maintenu cette résolution de la commission, parce qu'il a prétendu que les motifs qui avaient fait admettre un privilège en cas de donation militaient aussi relativement aux autres contrats dont il a été parlé. Il a, en outre, invoqué les considérations déduites à la page 27 du rapport ; mais la commission, à la majorité de quatre voix contre une, s'est ralliée à l'opinion de M. le ministre. »
Voilà donc que la commission, sous ce rapport, nous dit elle-même que d'abord elle était en dissidence avec M. le ministre, dont en après elle a partagé l'opinion.
A s'en tenir aux termes de ce rapport, on serait porté à croire que, dans l'opinion de la commission comme dans celle du ministre, le vendeur ne pourrait pas jouir du privilège pour les charges imposées au profit d'un tiers.
M. Lelièvre. - C'est le tiers !
M. Jullien. - Le tiers n'est-il pas son ayant cause ? Il fallait une solution pour lever les doutes résultant du rapport de la commission.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Jullien confond le tiers au profit duquel une stipulation est faite avec le vendeur. Le vendeur qui a aliéné et outre le prix (je prends ce mot dans son acception la plus restreinte) a stipulé une charge quelconque à la fois privilège et pour le prix et pour la charge qui vient l'augmenter. Quant au tiers qui n'est pas intervenu, qui n'a pas accepté, qui peut répudier les clauses stipulées en sa faveur, il n'a pas de privilège ; quant au donateur, on a introduit un privilège pour le donataire au profit duquel une stipulation a été faite.
M. Lelièvre. - Il est évident que le tiers n'aura pas de privilège.
M. Thibaut. - Ce n'est pas pour proposer un amendement que je réclame la parole ; je veux seulement demander une explication sur le numéro 1° de l'arlicle 32.
On accorde au vendeur un privilège sur l'immeuble vendu pour le payement du prix ; le privilège aura-t-il lieu égaement pour le payement des intérêts du prix, et pour combien d’années admettra-t-on ce privilège ?
Je ferai remarquer que dans le projet français on a admis que le privilège comprendrait et le prix et les intérêts jusqu'à concurrence du dixième du prix.
M. Lelièvre, rapporteur. - La question est résolue par l'article 70 (page 600) du projet. Le créancier inscrit pour un capital produisant intérêt ou arrérages a droit d'être colloqué pour trois années seulement. Nous avons assimilé le privilège à l'hypothèque. L'inscription conserve le principal et trois années d'intérêt pour toutes les créances privilégiées et hypothécaires, le rapport signale les motifs de cette résolution.
- L'article 32 est mis aux voix et adopté, avec les amendements proposés par le gouvernement et la commission.
« Art. 32bis (proposé par le gouvernement). L'action résolutoire de la vente, établie par l'article 1654, et l'action en reprise de l'objet échangé, établie par l'article 1705 du Code civil, ne peuvent être exercées au préjudice ni du créancier inscrit, ni du sous-acquéreur, ni des tiers acquéreurs des droits réels, après l'extinction ou la déchéance du privilège établi par l'article précédent.
« La même règle s'applique à l'action en révocation fondée sur l'inexécution des conditions qui auraient pu être garanties par le privilège constitué dans l'article précédent.
« Dans le cas où le vendeur, l'échangiste, le donateur, exerceraient l'action résolutoire, les tiers pourront toujours arrêter ses effets en remboursant au demandeur le capital et les accessoires conservés par l'inscription du privilège, conformément à l'article 29 du projet (art. 2151 du Code civil). »
La commission propose l'adoption de cet article en y ajoutant le paragraphe suivant :
« En cas de résolution, les sommes que le vendeur devrait restituer à quelque titre que ce fût seront affectées au payement des créances privilégiées et hypothécaires qui perdraient ce caractère par suite de l'action résolutoire et ce selon le rang de chacune des créances avant la résolution. »
Le gouvernement se rallie à cet amendement.
M. Moreau. - Messieurs, il me paraît que la disposition additionnelle que la commission propose d'ajouter à cet article renferme une lacune ; elle est ainsi conçue :
« En cas de résolution, les sommes que le vendeur devrait restituer, à quelque titre que ce fût, seront affectés au payement de créances privilégiées et hypothécaires qui perdraient ce caractère par suite de l'action résolutoire et selon le rang de chacune des créances avant la résolution.»
Cette disposition ne prévoit que le cas où c'est un vendeur qui, par suite de l'action résolutoire qu'il a exercée, doit faire des restitutions. Mais elle ne parle pas des copermutants qui, en cas de résolution de l'échange, peuvent aussi avoir à restituer des soulles et retours.
Je propose donc d'insérer, après le premier paragraphe de l'article 32bis, une disposition rédigée de la manière suivante :
« Les sommes que le vendeur ou le copermutant sera condamné à restituer par suite de l'action en résolution ou en reprise, seront affectées au payement des créances privilégiées ou hypothécaires qui perdraient ce caractère par l'exercice de ces actions, et ce suivant le rang de chacune des créances avant la résolution de la vente ou de l'échange. »
J'ai, messieurs, soumis cet amendement à la commission, qui a pensé qu'il était nécessaire de modifier ce paragraphe comme je l'ai indiqué.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ainsi que vient de le dire l'honorable M. Moreau, cet amendement a été soumis à la commission qui l'a discuté dans une séance à laquelle j'assistai, et, comme il ne tend qu'à combler une lacune, je m'y rallie.
- L'amendement de M. Moreau est mis aux voix et adopté.
La disposition additionnelle proposée par la commission est adoptée avec cet amendement.
L'article 32bis ainsi amendé est adopté.
« Art. 33 (2106). Entre les créancicis, les privilèges ne produisent d'effet à l'égard des immeubles qu'autant qu'ils sont rendus publics par inscription dans les registres du conservateur des hypothèques, à l'exception du privilège des frais de justice. »
- Adopté.
« Art. 34. Le vendeur, le copermutant, le copartageant, le donateur et celui au profit duquel a été faite la stipulation énoncée au paragraphe 5 de l'article 32, conserveront leur privilège, à la date de la mutation ou du partage, par l'inscription qui en est faite dans les trente jours de la réalisation de l'acte. L'inscription du privilège ne pourra être opérée par le conservateur des hypothèques, avant le jour de la réalisation du tilre de mutation ou du partage.
« Après le délai de trente jours, ces créanciers n'auront plus qu'une hypothèque qui datera seulement du jour où elle aura été inscrite. »
M. le président. - Le gouvernement a proposé de supprimer cet article et de le remplacer par les dispositions suivantes :
« Art. 34. Le vendeur conserve son privilège par la transcription du titre qui a transféré la propriété à l'acquéreur et qui constate que la totalité ou partie du prix lui est due ; à l'effet de quoi la transcription du contrat faite par l'acquéreur vaudra inscription pour le vendeur et pour le prêteur qui lui aura fourni les deniers payés, et qui sera subrogé aux droits du vendeur par le même contrat.
« Sera néanmoins le conservateur des hypothèques tenu, sous peine de tous dommages et intérêts envers les tiers, de faire d'office l'inscription sur son registre des créances résultant de l'acte translatif de propriété, tant en faveur du vendeur qu'en faveur du prêteur, qui pourront aussi faire faire, si elle ne l'a été, la transcription du contrat de vente, à l'effet d'acquérir l’inscription de ce qui leur est dû sur le prix.
« Art. 34bis. Les copermutants ou échangistes conservent réciproquement leur privilège sur les immeubles échangés par la transcription du titre qui leur en a transféré la propriété et qui constate qu'il leur est dû des soultes, retours de lots ou une somme fixe à titre de dommages-inléréts en cas d'éviction ; à l'effet de quoi cette transcription du contrat d'échange vaudra inscription pour l'ayant droit à la soulte, et pour le prêteur, qui aurait été légalement subrogé en ses droits.
« Sera néanmoins le conservateur des hypothèques tenu, sous peine de tous dommages-intérêts envers les tiers, de faire, comme il est dit en l'article précédent, l'inscription d'office des soultes ou retours de lots résultant de l'acte d'échange.
« Cette inscription comprendra la somme stipulée à titre de dommages-intérêts en cas d'éviction.
« Art. 34ter. Le donateur conserve son privilège pour les charges pécuniaires ou autres prestations liquides imposées au donataire, par la transcription de l'acte de donation constatant lesdites charges et prestations ; à l'effet de quoi cette transcription de l'acte de donation vaudra inscription pour le donateur et le prêteur qui aurait été légalement subrogé à ses droits.
« Sera néanmoins le conservateur des hypothèques tenu, sous peine de dommages-intérêts envers les tiers, de faire, comme il est dit dans les articles précédents, l'inscription d'office des charges pécuniaires et autres prestations liquides résultant de l'acte de donation.
« Le privilège de tiers au profit duquel semblables charges et prestations sont stipulées est conservé de la même manière, et le conservateur des hypothèques est tenu, sous la même peine, de faire semblable inscription d'office.
« Art. 34quater. Le cohéritier ou copartageant conserve son privilège sur les biens chargés de soultes ou licites par la transcription de l'acte de partage ou de l'acte delicitation fait à la conservation des hypothèques.
« A cet effet, le conservateur, comme dans les trois articles précédents, sera tenu, sous peine de tous dommages-intérêts envers le tiers, de faire d'office, sur son registre, l'inscription résultant de l'acte de parlage, tant en faveur du copartageant ou colicitant, que des prêteurs qui lui auront été légalement subrogés.
« La même inscription énoncera, s'il en a été fait, les stipulations relatives à la garantie en cas d'éviction. »
La commission propose l'adoption de ces articles avec les dispositions additionnelles suivantes :
« Art... Le vendeur, les copermutants, le donateur et le tiers désigné en l'art. 34ter, les cohéritiers ou copartageants pourront, par une clause formelle de l'acte, dispenser le conservateur de prendre l'inscription d'office.
« Cette dispense entraînera la déchéance du privilège et de l'action résolutoire. »
« Art... Les inscriptions prescrites par les articles précédents devront être renouvelées en conformité de l'article 82. A défaut de renouvellement, les créanciers n'auront plus qu'une hypothèque qui ne prendra rang que du jour de son inscription. »
La commission, dans son rapport de ce jour, propose d'ajouter aux dispositions qu'elle ajoute à l'article 34 ce qui suit : « Toutefois les personnes désignées au paragraphe premier pourront en vertu de leur titre prendre inscription hypothécaire qui ne prendra rang qu'à sa date. »
M. de Muelenaere. - Messieurs, si je comprends bien les divers amendements qui ont été présentés, il me semble qu'il y a une différence assez notable entre la rédaction de l'article 34 de la commission et le nouvel article 34 proposé par M. le ministre de la justice.
D'après l'article 34 de la commission, le vendeur conservait son privilège à la date de la mutation par l'inscription qui en était faite dans les 30 jours de la réalisation de l'acte.
Le devoir d'opérer l'inscription reposait, d'après cet article, sur le vendeur lui-même. Le conservateur n'était plus obligé de prendre inscription d'office, c'était au vendeur à veiller lui même à ses droits.
D'après l'article 34 proposé par l'honorable ministre de la justice, on rétablit l'obligation qui, d'après les dispositions du Code, incombe au conservateur, de prendre inscription d'office au bénéfice du vendeur.
Il m'a toujours semblé, messieurs, que cette disposition n'était pas très bien justifiée. D'abord cette inscription au profit du vendeur est rarement nécessaire.
Cependant comme l'obligation, sous peine de dommages et intérêts, de prendre inscription, est imposée au conservateur, celui-ci est toujours obligé de prendre cette inscription, tandis que, dans son intérêt, le vendeur ne la prendrait pas, parce qu'elle ne peut lui être d'aucune utilité. Il en résulte que cette inscription prise par le conservateur cause souvent de très graves embarras à l'acquéreur par suite de la radiation qui est rendue nécessaire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande la parole.
M. de Muelenaere. - D'ailleurs, messieurs, autrefois le cohéritier qui avait aussi un privilège, pour une soulte, par exemple, était obligé lui-même, bien qu'il se trouvât dans la même position que le vendeur, de prendre inscription, et le conservateur ne la prenait pas d'office en faveur de ce cohéritier.
Je pense donc, messieurs, qu'en règle générale, il vaudrait mieux s’en rapporter au vendeur lui-même. Le vendeur est un homme qui peut veiller à ses intérêts. Le vendeur prendra une inscription, si elle est nécessaire pour la conservation de ses droits. Si elle n'est pas nécessaire, il ne la prendra pas, et le conservateur sera dispensé d'intervenir.
(page 601) Il en résultera cet avantage, je le répète, que plus tard l'acquéreur n'aura pas les embarras de la radiation, embarras quelquefois assez grands, parce que celui qui consent une radiation doit prouver qu'il a capacité pour cela et que cette preuve est souvent assez difficile.
Toutefois la commission, en adoptant l'amendement proposé par M. le ministre de la justice, y a apporté une correction importante.
D'après le dernier paragraphe de la commission, le vendeur, le copermutant, le donateur et les tiers désignés à l'article 31, pourront, par une clause formelle de l'acte, dispenser le conservateur de prendre inscription d'office.
Cette disposition, messieurs, améliore le système proposé par M. le ministre de la justice. Les acquéreurs pourront, s'ils sont d'accord avec le vendeur, demander que dans l'acte il soit inséré une stipulation en vertu de laquelle le conservateur sera dispensé de prendre inscription d'office.
Toutefois j'aurais mieux aimé, en règle générale, que l'obligation de l'inscription d'office n'eût pas été imposée au conservateur. Cependant, je le répète, avec la modification proposée par la commission, je ne proposerai pas d'amendement. Il est possible que, dans certains cas, l'inscription d'office ait une certaine utilité.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, les dernières paroles que vient de prononcer l'honorable comte de Muelenaere me dispenseraient d'expliquer la pensée qui m'a dicté les amendements que j'ai proposés relativement à la publicité des privilèges ; cependant je la dirai en quelques mots.
Le projet primitif ne maintient pas la transcription, mais il établissait la réalisation, c'est-à-dire l'inscription des actes de mutations.
Dans ce système l'inscription d'office pouvait peut-être présenter quelques inconvénients. La première commission n'avait donc pas maintenu la nécessité de l'inscription d'office à prendre par le conservateur des hypothèques.
La commission nommée par la chambre a fait disparaître ce système. Au lieu de la réalisation, elle a admis la transcription, et dès lors il devenait possible d'exiger l'inscription d'office et d'imposer au conservateur des hypothèques l'obligation de la prendre. L'inscription d'office a une incontestable utilité.
Lorsque le conservateur est obligé de prendre une inscription d'office, au moment même où l'acte de mutation opère vis-à-vis des tiers, la charge qui naît de cet acte qui grève l'immeuble devient patente, publique ; au moment où la propriété se consolide sur la tête du nouvel acquéreur, en ce moment aussi, le privilège qui doit grever cette propriété est porté à la connaissance de tous.
Si vous laissez au vendeur l'obligation de prendre lui-même l'inscription d'office, vous devez lui laisser, à dater de la transcription qui le dessaisit vis-à-vis des tiers, un certain délai, un temps moral pour opérer cette inscription, et alors vous devez donner à ce privilège un effet rétroactif ; de sorte que pendant un certain temps le privilège reste occulte, tandis qu'avec le système que je propose, j'évite complètement cet inconvénient.
L'expérience nous avait appris que l'inscription d'office donnait lieu à quelques difficultés pratiques ; nous savions que, dans bien des cas, ces inscriptions étaient inutiles, qu'elles engendraient des frais frustratoires, par la nécessité d'en obtenir mainlevée.
Aussi l'idée de donner aux parties le droit de dispenser le conservateur de prendre cette inscription a-t-elle été accueillie avec empressement par la commission et le gouvernement.
Cette disposition remédie complètement, à mon sens, à tous les inconvénients auxquels l'inscription d'office a donné lieu jusqu'à présent.
- La discussion est close.
Les articles proposés par le gouvernement et la commission, en remplacement de l'article 34, sont adoptés dans leur ensemble.
« Art. 35 (2110). Les entrepreneurs, architectes, maçons et autres ouvriers employés pour faire les ouvrages dont il est question à l'article 32 conservent : 1° par l'inscription faile avant le commencement des travaux, du procès-verbal-qui constate l'étal des lieux ; 2° par celle du second procès-verbal faite dans la quinzaine de la réception des ouvrages, leur privilège à la date du premier procès-verbal.
Après ce dernier délai, ils n'auront qu'une hypothèque qui ne prendra rang que du jour de l'inscription, et pour la plus-value seulement.
- Adopté.
La chambre ajourne l'article 36 jusqu'à ce que la commission ait fait rapport sur l'article 22, qui lui a été renvoyé.
« Art. 37 (2111). L'hypothèque est un droit réel sur les immeubles affectés à l'acquittement d'une obligation.
« Elle est, de sa nature, indivisible et subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles.
« Elle les suit dans quelques mains qu'ils passent. »
- Adopté.
« Art. 38 (2115). L'hypothèque n'a lieu que dans les cas et suivant les formes autorisées par la loi. »
- Adopté.
« Art. 39 (2116). Elle est légale, judiciaire, conventionnelle ou testamentaire.
M. le président. - Il faut supprimer le mot « judiciaire » par suite du vote émis précédemment.
- L'article est adapté avec cette suppresssion.
« Art. 40 (2117). L'hypothèque légale est celle qui résulte de la loi.
« L'hypothèque conventionnelle est celle qui dépent des conventions et de la forme extérieure des actes et des contrats.
« L'hypothèque testamentaire est celle qui est accordée par le testateur sur un ou plusieurs immeubles spécialement désignés dans le testament. »
- La commission, d'accord avec M. le ministre, a proposé la rédaction suivante :
« L'hypothèque légale est celle qui résulte de la loi.
« L'hypothèque judiciaire est celle qui résulte des jugements ou actes judiciaires. (Ce paragraphe tombe par suite de la décision de la chambre, qui a supprimé l'hypothèque judiciaire.)
« L'hypothèque conventionnelle est celle qui dépend des conventions et de la forme extérieure des actes et des contrats.
« L'hypothèque testamentaire est celle qui est accordée par le testateur sur un ou plusieurs immeubles spécialement désignés dans le testament pour garantie des legs par lui faits. »
M. Delfosse. - Je propose de remplacer au dernier paragraphe le mot « accordée » par celui de : « établie ».
- L'article est adopté avec ce changement et sans le paragraphe 2, relatif à l'hypothèque judiciaire.
« Art. 41 (2118). Sont seuls susceptibles d'hypothèques :
« 1° Les biens immobiliers qui sont dans le commerce ;
« 2° Les droits d'usufruit, d'emphytéose et de superficie, établis sur les mêmes biens pendant le temps de leur durée.
« L'hypothèque acquise s'étend aux accessoires réputés immeubles, et aux améliorations survenues à l'immeuble hypothéqué.
« Néanmoins le créancier hypothécaire sera tenu de respecter les ventes des coupes ordinaires de taillis et de futaie, faites de bonne foi, d'après l'usage des lieux, sauf à exercer son droit sur le prix non payé. »
M. Delfosse. - Je proposerai de remplacer à la fin du n°2° les mots : « Pendant le temps de leur durée », par ceux-ci : « Pendant la durée de ces droits. »
- L'article, ainsi modifié, est adopté.
M. le président. - M. Jullien a proposé le paragraphe additionnel suivant :
« II en sera de même des baux ayant date certaine avant le commandement à fin de saisie immobilière, et qui auraient été consentis de bonne foi et suivant l'usage des lieux, par le débiteur après la constitution de l'hypothèque ; toutefois, les payements de loyers faits par anticipation ne seront, en aucun cas, opposables aux créanciers inscrits antérieurement à ces baux. »
L'amendement n'a pas été admis par la commission.
M. Jullien. - Messieurs, si j'ai proposé d'insérer dans l'article 41 un paragraphe final d'après lequel les créanciers hypothécaires, antérieurement inscrits, ne devraient pas respecter les payements par anticipation reconnus dans les baux postérieurs à la constitution de l'hypothèque consentie par le débiteur, c'est parce que la commission avait jugé bon de (erratum, page 613) réglementer le droit de jouissance du débiteur relativement aux coupes ordinaires de taillis et de futaie.
Je dis qu'elle avait jugé bon de réglementer le droit de jouissance du débiteur relativement aux coupes ordinaires de taillis et de futaie ; en effet, le paragraphe de l'article 41, proposé par la commission porte que le créancier hypothécaire sera tenu de respecter les ventes de ces sortes de coupes faites de bonne foi, sauf à exercer son droit sur le prix non-payé.
Il me semblait donc que la commission se demandant jusqu'où pourrait s'étendre le droit du débiteur relativement à la jouissance des propriétés boisées, il convenait en même temps de préciser ce droit relativement à la jouissance de toutes les propriétés en général.
La commission saisie de mon amendement a dit qu'il trouverait mieux sa place dans le titre du Code de procédure civile, relatif à l'expropriation forcé ; elle en a ajourné l'examen jusqu'à cette époque ; je ne m'en plains pas. Mais je demande s'il ne conviendrait pas non plus de renvoyer en même temps au titre de l'expropriation la disposition finale de l'article 41 du projet actuel.
M. Lelièvre, rapporteur. - Il y a une grande différence entre l'hypothèse dont parle l'honorable M. Jullien et le cas énoncé au paragraphe 4 de l'article 41, paragraphe qui a été maintenu par la commission.
Le paragraphe 3 porte :
« L'hypothèque acquise s'étend aux accessoires réputés immeubles, etc. »
Donc l'hypothèque frappe tout ce qui couvre la superficie, ainsi le taillis et la futaie.
Il était donc naturel d'énoncer que ce principe n'autorisait pas le créancier hypothécaire à critiquer les ventes des coupes ordinaires de taillis et de fulaie faites de bonne foi, parce qu'il était essentiel de déterminer la modification que devait subir le paragraphe immédiatement précédent. En un mot, le paragraphe 4 est une restriction du droit du créancier hypothécaire énoncé au paragraphe 3.
L'amendement de M. Jullien, au contraire, non seulement se réfère au (page 602) cas d'expropriation forcée, mais tend à régler un mode d'administration qui n'a pas un rapport direct avec le système hypothécaire. Il s'agit là d'apprécier le droit de bail appartenant au débiteur et quelles sont les règles que ce dernier devra suivre à cet égard. Il s'agit d ailleurs de combiner les dispositions du bail relativement à l'expropriation forcée. Sous ce rapport, la commission a pensé qu'il n'y avait pas lieu à s'en occuper pour le moment.
M. Jullien. - Je prierai M. le ministre de la justice de vouloir bien renvoyer l'amendement que j'ai déposé à l'examen de la commission chargée de la révision du titre du Code de procédure, relatif à l'expropriation forcée.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le projet de loi sur l'expropriation forcée devra être déposé par le ministre de la justice, et l'on ne peut douter que le gouvernement ne tienne compte des observations qui ont été faites, à ce sujet, dans cette chambre.
- L'article 41 est mis aux voix et adopté.
« Art. 42 (2119). Les meubles n'ont pas de suite par hypothèque. »
- Adopté.
L'article 43 a été transposé hier au chapitre des dispositions générales.
M. le président. - Nous abordons la section première (hypothèques légales), article 44. Cet article est ainsi conçu :
« Art. 44 (2121). Les droits et créances auxquels l'hypothèque légale est attribuée sont : ceux des femmes mariées, sur les biens de leur mari ; ceux des mineurs et interdits, sur les biens de leur tuteur ; ceux de l'Etat, des provinces, des communes et des établissements publics, sur les biens des receveurs et administrateurs comptables. »
Pour marcher régulièrement, il faut d'abord, je pense, que la chambre s'occupe de l'amendement de M. Orts. M. Orts demande la suppression des mots : « Ceux des femmes mariées sur les biens de leur mari. Comme corollaire de cette suppression, le même membre propose de remplacer les articles 60, 61, 62, 63, 64 et 65 par la disposition suivante :
« La femme mariée, au profit de laquelle il a été stipulé une hypothèque conventionnelle dans le contrat de mariage, peut, sans autorisation de son mari ni de justice, prendre toutes les mesures conservatoires de son droit et exercer toute action hypothécaire. »
Il y a, du reste, plusieurs orateurs inscrits sur l'article 44 ; mais je crois qu'il est convenable de vider d'abord la question de savoir s'il y aura encore une hypothèque légale au profit de la femme mariée sur les biens de son mari. (Adhésion.)
L'amendement de M. Orts a été examiné par la commission qui ne l'a pas admis.
La parole est à M. Orts pour développer son amendement.
M. Orts. - Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre apporte une modification considérable dans le système hypothécaire ; j'enconviens tout le premier. Mais c'est précisément parce que l'amendement apporte une modification considérable dans le système hypothécaire que je crois devoir le proposer.
Je pense, en effet, que lorsqu'il s'agit d'une loi qui a aujourd'hui à peu près un demi-siècle d'existence, dont les vices de détail ont été corrigés par une jurisprudence d'un demi-siècle, par une jurisprudence qui tend à s'introduire dans nos mœurs à titre de coutume ; je pense, dis-je, qu'on ne peut toucher utilement à une pareille loi qu'en vue de modifier son système lui-même.
Des modifications de détail seraient évidemment hors de saison, et surtout dangereuses, alors qu'elles doivent se formuler avec le système de délibération parlementaire que nous avons aujourd'hui, système d'une application difficile, quand il s'agit de remanier nos lois judiciaires, c'est-à-dire les lois dont l'application est directement confiée aux tribunaux.
C'est donc, messieurs, parce que j'ai cru que le système tout entier sur cette matière n'était plus en rapport avec nos besoins et avec nos mœurs, que je me suis décidé à soumettre mon amendement à vos délibérations.
Messieurs, voici la modification proposée, et, en même temps, l'étal de choses actuel.
Aujourd'hui, la femme mariée a, pour les créances qu'elle peut être appelée à réclamer à la dissolution du mariage, une hypothèque légale sur les biens de son mari et sur les biens de la communauté, si cette femme est mariée sous le régime de la communauté. Je prends pour exemple la femme mariée sous le régime de la communauté, parce que c'est le régime le plus fréquent, et je puis même dire qu'en Belgique c'est à peu près le seul régime, le régime dotal, le régime contraire étant une véritable exception, une exception microscopique dans nos habitudes.
La femme mariée sous le régime de la communauté, à la dissolution du mariage peut avoir à réclamer, en vertu de son hypothèque légale, des créances sur les biens de son mari ou de la communauté en se fondant sur les deux faits que voici : Ou bien la femme possédait des biens propres avant de contracter mariage, et dans ce cas, si ses biens propres ont été aliénés durant le mariage avec son consentement, car on ne peut pas aliéner autrement, elle a droit à en revendiquer le prix à la dissolution de la communauté à l'aide de son hypothèque légale. Ou bien la femme s'est obligée avec son mari, elle a contracté une dette simultanément, elle a signé avec son mari une obligation, et encore une fois à raison de cette obligation, et d'après la loi civile, elle n'est considérée que comme caution et non pas comme l'obligé principal, elle peut encore, munie d'une hypothèque légale, venir demander contre des tiers créanciers la préférence sur les biens de la communauté.
La chambre remarquera que la femme qui vient invoquer le bénéfice des hypothèques légales sur les biens du mari ou de la communauté ne possède le principe de son action que si elle a d'abord elle-même consenti à faire un sacrifice au profit de son mari. De sorte que si la femme ne consentait pas, elle n'aurait jamais besoin d'hypothèque légale. Si elle refusait à son mari le concours nécessaire pour s'obliger avec lui, si elle lui refusait le consentement indispensable pour aliéner ses biens, jamais, au grand jamais, elle n'aurait sujet de réclamer d'hypothèque légale contre les créanciers de son mari ou de la communauté. Je tiens à signaler cette circonstance à la chambre, que c'est par sa propre volonté que la femme est toujours mise en position de réclamer le benefice de l'hypothèque légale, parce que cette circonstance est, selon moi, d'une très grande influence à l'appui de mon système de suppression. La femme, en un mot, qui réclame le bénéfice de l'hypothèque légale ne le fait jamais qu'en conséquence de sa propre volonté. Voilà le système actuel.
Maintenant dans ce système l'hypothèque légale de la femme existe selon notre droit sans aucune inscription, et elle a un caractère général. Le Code civil a voulu que la femme eût une hypothèque légale, et, comme les rédacteurs du Code civil étaient convaincus que, si l'hypothèque légale ne pouvait être mise en action que par la voie d'une inscription à prendre après le mariage, cette hypothèque légale serait de nul effet, le Code a dispensé complètement de toute inscription l'hypothèque légale de la femme.
On a établi pour cette hypothèque le principe de l'hypothèque occulte et de l'hypothèque générale. Je demande maintenant à la chambre de remplacer ce système par un système qui consiste à donner à la femme la position qu'a tout autre créancier dans le monde, le droit de stipuler, en se mariant, par contrat de mariage, telle garantie hypothécaire qu'elle voudra, en respectant ainsi le principe de la spécialité et de la publicité, principe que vous considérez comme la base fondamentale de votre nouveau régime ; je demande, dis-je, que la femme voie sa position fixée, et que cette position ne se modifie plus, en faveur d'un accroissement d'hypothèque, parce que l'accroissement d'hypothèque ne peut jamais être déterminé que par le consentement imprudent ou généreux de la femme, et que les conséquences de ce consentement doivent être supportées par la femme elle-même, en vertu d'un principe d'ordre, de raison et de moralité publics.
Ce système qui permet à la femme de prendre au début du mariage toutes les précautions que sa propre prudence, que la prudence de ses parents ou de ses amis peuvent lui conseiller, a été repoussé par la commission comme un système radical. Si par radical la commission entend un système qui apporte des modifications profondes, énergiques au système qu'elle a accepté de défendre, j'admets le mot, car je m'empresse de le dire, dans l'examen de mon amendement la commission a montré une bienveillance dont je suis profondément reconnaissant, une bienveillance telle, que ma modestie ne me permet pas de l'accepter dans toute son expression. Mais si par le mot radical on entend un système nouveau, inouï, qui ne s'est jamais encore présenté avec l'appui de l'autorité des jurisconsultes ou des hommes d'Etat, la commission s'est trompée ; qu'il me soit permis de dire que rien n'est moins radical alors que ce que je propose.
En effet, mon système a son principe dans nos mœurs, dans nos traditions juridiques et de famille, dans nos coutumes les plus anciennes. Notons-le, car cet argument a déjà fait une certaine impression quand, se plaçant à un autre point de vue, M. le ministre s'est appuyé sur nos vieilles habitudes. Avant l'introduction de la législation française, l'hypothèque légale de la femme était une chose repoussée par les trois quarts des coutumes du pays, par la plupart de celles qui régissaient le territoire du Brabant et du Hainaut, partant la majeure partie de la Belgique. Je mets hors de cause le pays de Liège, où pour la garantie des droits de la femme on avait organisé un système spécial de droits matrimoniaux dont nous n'avons pas à nous préoccuper.
Si je me reporte à une époque plus rapprochée de nos mœurs et de nos besoins actuels, je dis que le système que je propose est un système conforme à nos habitudes économiques, à nos habitudes domestiques ; je dis que pour nous, en Belgique, ce système n'est pas nouveau. Il est écrit dans une loi qui avait été préparée et discutée pour les Belges et par des Belges et qui devait entrer un jour dans leur législation. Le système que je propose est le système actuel du Code des Pays-Bas ; l'amendement que je propose est la traduction de l'article 1217, paragraphe final, du Code hollandais.
Il contient tout ce que ce Code a cru devoir introduire de nouveau en ce qui concerne la femme mariée et son droit hypothécaire. Mon système radical en un mot régit la Hollande depuis 12 années ; elle ne s'en plaint pas. Le même système régit la majeure partie des Etats de l'Allemagne, les plus riches, les plus importants, les plus étendus. En Allemagne, là seulement où le Code civil français s'est introduit à la suite de la conquête française, là où des modifications timides ont seules été apportées par la suite, là seulement, je le répète, le principe de l'hypothèque légale de la femme a été maintenu. Le système que je propose est celui que les états généraux des Pays-Bas avaient introduit dans le Code qui nous était destiné, sans qu'il ait, de la part des représentants belges siégeant au sein de ce corps, soulevé, que je sache, de grande répugnance.
Ce système a subi, avant de devenir loi hollandaise, une double (page 603) épreuve, une double révision de 1830 à 1838, et il a été définitivement maintenu. Ce n'est donc pas, je persiste à le penser, un système qu'on puisse considérer comme arrivant avec la seule et bien faible autorité que ma parole pourrait lui apporter.
Maintenant en quoi ce système est-il bon ? Quels avantages peut présenter son adoption ? Je crois ce système bon à trois points de vue : d'abord au point de vue du crédit, qui est celui auquel s'est placée la commission de la chambre aussi bien que le gouvernement et la commission qui a préparé le projet de loi. C'est en vue du crédit surtout, personne dans cette enceinte ne le niera, qu'on introduit aujourd'hui des réformes dans notre régime hypothécaire.
Je crois ensuite que ce système est bon au point de vue de la femme elle-même, malgré l'apparence contraire, quoiqu'il semble vouloir retrancher quelque chose des avantages que la législation actuelle lui assure ; je crois enfin qu'il est bon au point de vue des idées morales, des idées de famille ; il consolidera davantage la fusion, non pas seulement des deux personnes que le mariage réunit, mais des deux intérêts qui doivent se fondre en un seul, en un intérêt unique, l'intérêt de la famille, pour répondre au but social du mariage.
Au point de vue du crédit, pour juger la question, il ne faut pas se placer en face du Code civil, de l'hypothèque légale sans inscription, système que la commission et le gouvernement repoussent aussi bien que moi, mais que vous allez voir préconiser par l'amendement de l'honorable M. Thibaut, qui veut y revenir.
En attendant ses développements, permettez-moi de me placer en face du projet en discussion. Le projet part de cette idée que les hypothèques ne seront plus occultes, de cette idée que l'hypothèque légale de la femme sera soumise à la formalité d'une inscription. C'est la condition essentielle du système ; on ne pourrait s'en écarter d'une ligne sans d'ailleurs mentir à l'idée mère de la grande réforme qu'on annonce devoir sauvegarder avant tout le crédit. Que fait alors le projet pour assurer l'hypothèque de la femme ? Il ne va pas aussi loin que le projet soumis récemment à l'Assemblée nationale de France ; projet qui déclarait l'inscription obligatoire et pour l'assurer prononçant des pénalités contre plusieurs catégories de personnes au cas de négligence. Le gouvernement belge n'est pas tombé dans cette difficulté inextricable qui a été pour beaucoup dans l'échec que le projet français a éprouvé devant l'Assemblée nationale.
Il dit : Je subordonne l'existence du droit de la femme à l'existence de l'inscription, mais je permets en même temps à la femme, au mari, à tous ceux qui se présenteront, parents ou amis, au ministère public enfin, d'assurer la conservation des droits de la femme par une inscription.
De deux choses l'une : ou la femme ou les parents ou les amis ou le ministère public, les magistrats exerceront la faculté que la loi nouvelle leur accorde, et feront inscrire l'hypothèque légale, ou tout ce monde se bornera à sommeiller, à regarder faire. Cette dernière hypothèse est la plus probable parce qu'aucune pénalité n'étant prononcée contre l'inexécution, personne n'userait de la faculté. Peu de personnes, quand elles ont la faculté de s'en abstenir, consentent à porter la main dans les affaires du ménage d'autrui, à mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce.
Je le répète néanmoins, l'inscription est donc aujourd'hui facultative, et de deux choses l'une : ou l'on use de la faculté d'inscription, ou l'on n'en use pas. Si l'on en use, toutes les hypothèques légales de la femme vont être inscrites : c'est le but du gouvernement, puisqu'il veut que la femme ait une hypothèque, qu'elle soit privilégiée, et elle ne peut l'être sans inscription. Si vous atteignez ce but, vous portez la plus formidable atteinte au crédit. Vous grevez le patrimoine des maris, de manière à le frapper d'indisponibilité au profit de créances purement éventuelles qui ne se réaliseront pas toujours, jamais peut-être si le ménage prospère. Vous jetez la défiance, sans profit par les prêteurs, parmi toutes les personnes qui contracteront avec le mari, pendant toute la durée du mariage.
Comme on l'a dit à la chambre française, vous allez séparer la fortune publique en deux parts, dont l'une sera la caution immobilière de l'autre qui sera également immobilisée. De quoi donc pourrez-vous encore disposer ?
Remarquez que ce danger est parfaitement réel ; car l'hypothèque de la femme n'est qu'une garantie pourdes créances éventuelles aussi longtemps que le mariage n'est pas dissous ; à la dissolution seulement, la femme peut se faire payer sur les biens meubles de la communauté, selon l'ordre du Code civil, et ce n'est que dans le cas d'insuffisance de ces premières garanties que la femme- exerce son hypothèque légale sur les biens immeubles du mari et de la communauté.
Au point de vue du crédit, la position est bien réellement intolérable, cette position a toujours effrayé les partisans du système du gouvernement. Tout le monde l'a reconnu et à toutes les époques, c'est ce qu'a signalé à l'Assemblée législative de France, le rapporteur du conseil d'Etat, M. Belhmont, ancien ministre de la justice, dans l'examen qu'il a fait du projet sur lequel la chambre française vient de statuer. Il est clair, disait-il, que vous allez enlever ainsi à la circulation une partie considérable du capital immobilier national.
Remarquez que l'inscription hypothécaire qui grève les biens du mari, et qui est la conséquence de ce système, est excessivement gênante pour le prêteur ; car si le mari peut bien vendre à l'aide de la purge, il ne peut faire disparaître l'hypothèque légale au profit du prêteur, puisque la loi n'admet pas l'hypothèque légale sur contrat de prêt.
Aussi les partisans français de la proposition du gouvernement ont-ils été obligés, comme corollaire du système d'admettre la faculté pour le prêteur de purger les droits de la femme, comme le fait l'acquéreur au cas d'aliénation.
Cette innovation sur laquelle je n'ai pas à me prononcer d'une façon absolue, offre dans la pratique, et de l'aveu de tous, une difficulté d'exécution à peu près inextricable.
Vous le voyez, le système du projet présente un inconvénient grave, si les principes de la loi sont admis, e'est-à dire si l'on prend l'inscription au profit de la femme. Si l'on ne prend pas l'inscription, il n'y a pas de danger ; mais alors à quoi sert l'hypothèque légale, puisqu'elle ne produit aucun effet, quand l'inscription n'est pas prise ?
A quoi sert, au surplus, l'inscription de l'hypothèque légale de la femme ? L'expérience nous le prouve, les femmes ne sont pas sauvées de la ruine en faisant usage de la faculté que leur donne la loi.
Ce n'est pas la première fois que ceux qui veulent maintenir l'hypothèque légale avec inscription ont fait appel pour l'obtenir aux magistrats, hommes bien plus attentifs à écouter cet appel que ne le seront jamais les particuliers, les parents ou les amis. Déjà sous l'empire du Code civil, une prescription semblable existe pour les magistrats du parquet ; il leur était recommandé, dans des vues d'intérêt public, de faire prendre des inscriptions d'office sur les biens des tuteurs et des maris.
Qu'est-il arrivé de cette prescription du Code ? On a reculé devant le danger certain d'enlever à la circulation tous les biens des tuteurs et des maris, si la loi s'exécutait. Deux ans après la publication du Code civil en 1800, le grand juge Régnier invitait par circulaire, les magistrats du parquet à ne pas obéir aux articles 2138 et 2139 du Code civil.
Le gouvernement lui-même suppliait la magistrature de ne pas exécuter la loi.
Au point de vue du crédit, l'entrave est donc si grande que les auteurs du Code civil ont reculé devant son application.
Je passe aux avantages que le système peut présenter, au point de vue des intérêts de la femme.
La femme agira, comme je l'ai dit tout à d'heure, en vertu de l'hypothèque légale, par suite d'aliénations sans remploi de biens propres, par suite de dettes qu'elle a contractées, pendant le mariage, à cause de signatures données qu'elle aurait pu refuser, et pour vendre et pour s'obliger. Ce refus est pourtant aussi facile, aussi simple que de prendre inscription sur les biens de son mari, comme le gouvernement l'y convie.
La femme aujourd'hui a le droit de renoncer, par anticipation, à son hypothèque légale, au profit des tiers. Ce droit, le projet le lui conserve : il n'interdit que les renonciations faites directement au profit du mari. Or, que fait-on aujourd'hui, pour tourner l'hypothèque légale et pour rétorquer contre la femme cette sauvegarde que le législateur lui a étonnée ?
Voici ce qui se fait (je fais appel à tous les hommes d'affaires qui sont dans cette assemblée ; il n'en eut pas un qui ne confirme ce que je vais dire) : Celui qui prête à un mari, pour éviter les effets de l'hypothèque légale sur l'hypothèque conventionnelle, fait intervenir la femme dans l'acte pour l'obliger envers lui ou la subroger à ses droits d'hypothèque légale.
Ainsi, non seulement on supprime complètement le bénéfice de l'hypothèque légale au profit de la femme ; mais on rétorque l'hypothèque légale contre la femme même. La femme devient personnellement débitrice de la dette de son mari, et peut être tenue sur ses propres biens au payement d'une detle qui ne serait pas tombée à sa charge si elle n'avait pas eu d'hypothèque légale. Elle est exposée à contracter des dettes que jamais elle n'aurait contractées, si l'hypothèque légale n'exislait pas.
Cet argument, messieurs, n'est pas de mon invention. M. de Vatismenil, rapporteur de la commission française, signalait le fait, il y a peu de jours, à l'attention de l'Assemblée nationale.
« On peut même ajouter, disait-il, que cette hypothèque légale présente une sorte de danger, puisque c'est à cause de son existence qu'on fait souscrire à la femme des obligations personnelles qu'on ne lui demanderait pas si elle n'avait pas d'hypothèque.
Il est donc évident, messieurs, que le bienfait que vous accordez est plutôt un danger qu'une protection.
Je suppose maintenant que l'hypothèque légale de la femme soit pour elle ce que l'on allègue, un avantage réel, un avantage sérieux ; je dis que cet avantage n'est pas moral. Cet avantage n'est pas moral pour la femme commune, je ne l'accepte pas comme tel, et je vais le démontrer en peu de mots.
La femme commune en bien apporte d'après nos mœurs (car la communauté chez nous est aussi ancienne que nos premières notions de droit et de législation), la femme commune en bien apporte tout son avoir au mari, sauf l'exception que le Code a introduite de droit, quant aux immeubles que la femme possédait avant le mariage, exception qui peut même être modifiée d'après les conventions matrimoniales.
La femme confie donc l'administration de toute sa fortune à son mari, par le fait même du mariage ; c'est là une conséquence de l'union qui s'établit entre eux ; c'est la une conséquence nécessaire du pouvoir marital et de la considération dont le mari doit jouir dans l'association.
Maintenant la femme qui a choisi l'administrateur de la société dans laquelle elle est entrée, la femme qui a pu prendre toutes ses précautions (page 604) contre cet administrateur dans le contrat de mariage en limitant ses droits, la femme qui conserve durant le mariage le droit de ne pas consentir à des actes qui l'engagent, la femme peut-elle, en justice, en raison et en morale, lorsqu'elle a négligé toutes ces précautions, lorsqu'elle les a abdiquées, lorsqu'elle a mis une confiance illimitée dans son mari, peut-elle être fondée à venir, à la fin du mariage, réclamer contre les tiers qui ont contracté avec son mari ?
Messieurs, en 1804, le Code civil a introduit l'hypothèque légale de la femme avec ses effets que je combats ; il ne s'était pas écoulé deux années qu'une réaction s'était manifestée, et lors de la discussion du Code de commerce, les mêmes législateurs qui avaient réclamé des garanties outrées en faveur de la femme contre l'incurie ou la mauvaise gestion du mari, venaient réclamer des restrictions pour le cas où le mari serait commerçant, c'est-à-dire pour le cas précisément où la femme est le plus exposée à la ruine, à devoir user des avantages qui lui avaient été conférés par le Code de 1804. L'on disait alors qu'il était scandaleux de voir une femme conserver ses biens, alors que le mari avait compromis la fortune de tous ceux qui avaient contracté avec lui pendant la durée du mariage.
Je vous ai démontré, je pense, combien la position de la femme à l'hypothèque légale était injuste, alors que cette position était la conséquence de sa volonté ou de son manque de courage et qu'elle réagissait sur des tiers innocents. Et qu'on ne dise pas que la femme agit ainsi pour conserver le patrimoine de ses enfants ; car les tiers créanciers qui ont contracté avec le mari et qui sont ruinés par l'hypothèque légale de la femme sont aussi des pères de familles qui ont le patrimoine de leurs enfants à sauvegarder.
La femme pendant le mariage ne profite-t-elle pas de tous les avantages que l'administration du mari peut donner à la communauté ?
Si le mari s'enrichit par ses spéculations, s'il se place dans une position de fortune plus élevée qu'au point de départ, la femme est la première qui profite du bénéfice de cette position, du luxe, des prodigalités même du mari. Il lui faut aussi subir les conséquences des pertes que toute spéculation peut entraîner avec elle.
Que propose, messieurs, le projet au point de vue du mariage ? Il propose un système qui donne à la femme le droit de sauvegarder ses créances en prenant elle-même ou par ses parents, pendant la durée du mariage, des hypothèques sur les biens de son mari. La dignité du mari, comme chef de l'association conjugale, le maintien de la bonne intelligence entre les époux, le respect que les enfants doivent toujours conserver pour le père de famille, quelles que soient ses fautes, repoussent ces procédures immorales et que la loi ne peut tolérer.
Quoi ! Vous conviez la femme, pour de minces intérêts d'argent, à faire un procès à son mari, à prendre sur les biens du mari des inscriptions contre lesquelles le mari peut résister, dont il peut demander la réduction en justice !
Vous conviez la femme à plaider contre son mari pour de l'argent, pendant le mariage, et vous croyez que les enfants conserveront pour le père le respect qu'ils doivent lui garder, ce respect dont ils ne peuvent se départir en aucune circonstance, pour aucun motif, sans porter atteinte aux premières règles du mariage, aux règles constitutives de la famille !
Messieurs, la femme, même mariée sous le régime de la communauté, est-elle d'ailleurs placée dans une position telle que sa ruine dépende entièrement du caprice ou du mauvais vouloir du mari ? Mais on oublie qu'à côté de ce remède inefficace, de ce remède insuffisant, de ce remède qui est si mauvais dans l'application, qui détruit le mariage, il y a un remède suprême, un remède prévoyant tous les inconvénients, mais aussi un remède ne pouvant se réaliser que quand le danger est certain, est suprême, le remède de la séparation des biens. Que la femme qui voit son mari compromettre son patrimoine par de mauvais actes d'administration demande un peu plus tôt la séparation de biens, qu'elle se place sous la protection de la justice, et alors tous les inconvénients qu'on veut éviter viendront à disparaître.
Le projet a le tort de faire, pour des cas peu graves, pour des cas qui dépendront souvent d'un caprice, d'une brouille intérieure de ménage, ce que le législateur antérieur n'a voulu que pour des cas de nécessité extrême.
Le système d'inscription facultative, messieurs, que propose le gouvernement, n'est pas neuf ; et je dois dire de lui comme je l'ai dit du mien, que tous les deux ont pour eux l'expérience, c'est-à-dire qu'ils peuvent l'invoquer ; mais je doute que l'expérience de l'un puisse être reconnue aussi favorable que l'expérience de l'autre.
Le système de l'hypothèque facultative que l'on restaure aujourd'hui, est le système que le Code civil a détruit ; c'est le système de la loi de brumaire an VII.
Sans la loi de l'an VII, on était persuadé que la femme devait avoir une hypothèque légale, comme on en paraît encore persuadé aujourd'hui.
Sous le système de la loi de l'an VII, on avait également reculé devant l'inscription de toutes les hypothèques, et on avait dit que cette inscription serait facultative. On avait également convié les parents à conserver les droits de la femme quand elle ne ferait rien par elle-même. Qu'en est-il résulté ? C'est que les partisans de ce système, et entre autres M. le conseiller d'Etat Derlier, ont dù convenir, lors de la discussion du Code civil, que jamais le but de la loi n'avait été atteint dans la pratique. M. Berlier en a fait l'aveu formel au conseil d'Etat.
Il est donc évident que la question n'est pas placée entre mon système et le projet de loi. Ou vous voulez une hypothèque légale, sérieuse pour la femme, et alors bornez-vous au maintien du Code civil actuel, à l'amendement que propose l'honorable M. Thibaut et qui est le parti auquel s'est arrêtée, en définitive, l'Assemblée nationale de France. Ou vous croyez que l'hypothèque légale de la femme présente plus d'inconvénients qu'elle ne présente d'avantages, et alors faites ce qu'on a fait en Allemagne et en Hollande, c'est-à-dire ce que je propose par mon amendement.
L'hypothèque légale de la femme, comme je l'ai dit (et ici je combats tout à la fois ce qui est et ce qui sera, si le projet passe), l'hypothèque légale de la femme, sous quelque régime que le mariage ait eu lieu, n'est en définitive qu'un leurre, qu'une chimère.
Prenons le système de la communauté, prenons le système dotal avec dot immobilière ou avec dot mobilière, et nous verrons que jamais l'hypothèque légale n'empêche la femme de se ruiner si elle y consent.
Sous le régime de la communauté, la femme étant libre d'aliéner ses biens, elle s'oblige chaque fois qu'on le lui demande, et dès lors l'hypothèque lui devient inutile ; si elle veut éviter de se ruiner, elle n'a qu'un refus à donner à son mari, ce qui est beaucoup plus simple, je l'ai déjà dit, que de faire une démarche auprès du conservateur pour faire inscrire son hypothèque légale. Elle n'a qu'à dire : Je ne signe pas ; je dois conserver le patrimoine de mes enfants. Elle n'a qu'à opposer sa force d'inertie. Dans votre système, au contraire, elle devra agir ; elle devra poser un acte qui est tout à fait en dehors des habitudes de la vie ordinaire chez la femme.
Raisonnons dans l'hypothèse du régime dotal. Et remarquez que c'est dans ce régime qu'en France on a puisé toutes les objeclions contre les idées que je défends. Au point de vue de la communauté, personne ne l’a attaqué, et si la communauté avait été le régime dominant en France, il est certain qu'une tout autre décision aurait été prise par l'assembleé, qui, du reste, a préféré ce que vous ne voulez pas, l'état de choses établi par le Code civil. Sous le régime dotal, si la dot est immobilière, il y a défense d'aliéner l'immeuble dotal, et il y a droit de revendication contre l'acquéreur.
Dans ce cas, donc, l’hypothèque légale est une superfétation. Si, au contraire, la dot est mobilière, elle est fixée par le contrat de mariage, et alors se présente le cas prévu par mon amendement, alors l'inscription est prise soit par la femme, qui n'est pas encore sous la dépendance de son mari, soit par ses parents, qui ont toute qualité pour agir avant le mariage sans blesser les principes que blesse leur intervention ultérieure.
M. Jullien. - Comment atteindrez-vous les acquêts ?
M. Orts. - Je ne veux pas les atteindre.
M. Dolez. - Et si le mari n'a pas de biens au moment du mariage ?
M. Orts. - Il est assez difficile de prévoir toutes les objections. Si le mari n'a pas de biens au moment du mariage, il peut encore y avoir dans le contrat des stipulations dont la femme pourra faire usage ; je lui permets d'exercer tous les droits hypothécaires durant le mariage, avec la plus parfaite indépendance.
Que dans le contrat elle fasse figurer une clause obligeant le mari à donner hypothèque sur les premiers biens qui lui arriveront, et elle pourra en recueillir le bénéfice. De même, quoique l'hypothèque des biens futurs soit supprimée, lorsque cette hypothèque a été donnée, le créancier pourra attraire son débiteur en justice à l'effet d'obtenir l'exécution d'une promesse parfaitement légale.
On pourra donc obtenir hypothèque sur les acquêts. Ce remède est prévu par le Code hollandais.
Je crois au reste qu'il serait injuste de donner cette hypothèque, parce que la communauté doit avant tout appartenir à ceux qui ont contracté avec le mari. La femme ne doit pas avoir les chances heureuses de la communauté, quand elle ne peut avoir les mauvaises.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ainsi la femme ne pourra avoir d'hypothèque sur les acquêts faits avec son argent ?
M. Orts. - Ces acquêts tombent en communauté, puisque tous les meubles appartenant à la femme tombent en communauté. Il est naturel qu'il en soit ainsi, puisque le mari, au lieu de placer ces fonds en acquêts, aurait pu les dépenser. (Interruption.)
Vous pouvez introduire dans le contrat une stipulation d'hypothèque. Du moment que vous parlez de contrat, vous n'avez plus besoin de l'hypothèque légale.
Messieurs, voulez-vous faire de l'hypothèque légale une chose sérieuse, vous en avez le moyen ailleurs que dans l'inscription, déclarez-la inaliénable pendant le mariage. Ce moyen est le seul qui vous puisse mener au but. Mais prenez-y garde alors, car vous rétablissez le régime dotal dans toute son énergie. Vous restaurez une véritable mainmorte, un régime contraire à nos mœurs, au but moral du mariage, aut bonnes traditions belges. Proclamez cette inaliénabilité et vous serez logiques, mais du même coup vous aurez porté la plus épouvantable atteinte au crédit foncier, à la circulation. Faites-le, si vous le voulez. Mais au moins sachez auparavant ce que vous allez faire.
M. le président. - M. Lelièvre a déposé sur le bureau la proposition suivante :
Je propose à la chambre les résolutions suivantes.
1° L'hypothèque légale au profit des mineurs est maintenue ;
2° Elle est soumise à l'inscription ;
3° L'hypothèque légale au profit des femmes mariées est maintenue ;
4° Elle est soumise à l'inscription.
- La suite du débat est remise à demain.
La séance est levée à 5 heures.