(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 586) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures et demie.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.
« Quelques débitants de boisson à Charleroy demandent qu'il soit interdit aux vivandières de débiter des boissons dans les casernes, et que la circulation dans la rue de l'Arsenal, à Charleroy, cesse d'être interdite après la retraite militaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Wyckaacrt, ancien gardien à la maison de détention militaire à Alost, réclame l'intervention de la chambre pour qu'il soit ordonné une enquête sur les faits qui ont motivé sa destitution, et pour être ensuite réintégré dans ses fonctions ou admis à la pension. »
- Même renvoi.
M. Tremouroux demande un congé pour cause d'indisposition.
- Ce congé est accordé.
M. le ministre de l'intérieur transmet à la chambre 108 exemplaires de l'Annuaire agricole pour l'année 1831.
- Distribution aux membres.
M. Moncheur (pour une interpellation). - Je me permettrai d'adresser à M. le ministre de la justice une interpellation dans l'intérêt des travaux de la chambre.
Dans la discussion du budget de la justice, j'ai profité de la première occasion qui s'est présentée pour faire à l'honorable ministre de la justice l'interpellation suivante :
« On a parlé de plusieurs parties de notre législation pénale et des modifications réclamées par l'état de nos mœurs et par l'opinion. La législation pénale militaire est une de celles dont la révision me semble la plus urgente.
« L'année dernière, MM. les ministres de la justice et de la guerre avaient proposé un projet de loi apportant quelques modifications au Code pénal militaire en vigueur ; ce projet a été renvoyé à une commission, la commission avait transmis quelques observations à M. le ministre de la guerre avec prière de les communiquer à M. le ministre de la justice. Depuis lors, aucune réponse n'est parvenue à la commission.
« Je prie M. le ministre de vouloir bien nous dire s'il a eu le temps de porter son attention sur cet objet, et si son intention est de faire sien le projet qui a été soumis à la chambre par son prédécesseur, à la session dernière. »
M. le ministre a répondu en ces termes :
« Les réponses aux observations dont vient de parler l'honorable membre parviendront incessamment à la commission. »
Mercredi dernier, l'honorable M. de Man est revenu sur cet objet, et a exprimé le vœu que le projet en question fût discuté le plus tôt possible. J'étais absent, messieurs, lorsque ce vœu a été exprimé. Mais j'ai été surpris de voir, dans les Annales parlementaires, que l'honorable ministre de la justice, au lieu de se rappeler alors l'interpellation que je lui avais adressée moi-môme, et la promesse qu'il m'avait faite d'une prompte réponse, ait pour ainsi dire mis en demeure la commission de hâter, autant que possible, son travail, lequel ne peut être fait sans cette réponse.
Messieurs, la commission, immédiatement après sa constitution, s'est occupée du projet de loi dont il s'agit : elle a même nommé son rapporteur avant la discussion, comme cela se pratique quelquefois. Mais, à la première séance, elle a été arrêlée par une difficulté qui lui a paru grave, et qui affecte une des bases fondamentales du nouveau système de pénalité proposé par MM. de Haussy et Chazal : elle a transmis à ces messieurs des observations sur ce point, mais elle s'est trouvée jusqu'à présent sans réponse à ces observations. Elle a donc été dans l'impossibilité de se réunir de nouveau, et de continuer l'examen du projet de loi qui lui est soumis, et c'est afin de sortir de cette impasse, que j'ai eu l'honneur de prier M. le ministre de transmettre à là commission la réponse aux observations qui lui avaient été faites, réponse que nous attendons encore.
Or, au point de vue des observations susdites qui affectent la base du projet de loi et au point de vue du changement opéré dans le personnel des ministères de la justice et de la guerre, je crois qu'il est tout à fait nécessaire que les chefs nouveaux de ces deux départements déclarent s'ils adhèrent complètement au projet présente par leurs prédécesseurs.
Il est évident, en effet, que ce qui est arrivé, par exemple, pour le projet de réforme hypothécaire arrivera aussi pour cette loi, qui, du reste, n'est pas une révision complète du Code pénal militaire, mais apporte seulement quelques modifications à ce Code, il arrivera, dis-je, que M. le ministre de la justice et M. le ministre de la guerre ad intérim viendront proposer, après le travail de la commission, des amendements nombreux et importants qui nécessiteront un travail nouveau.
Sous ce point de vue, donc, je pense que la chambre a intérêt, pour l'ordre et la célérité de ses travaux, à connaître si MM. les ministres actuels font leur le projet renvoyé à la commission.
Dans tous les cas, s'ils ne croient pas pouvoir répondre catégoriquement, je pense qu'il entrera dans les vues de celle-ci, de passer outre et de procéder à l'examen du projet lui-même.
Quant au rapporteur, il ne faillira pas à son devoir ; mais il ne pouvait pas faire un rapport sur un projet qui n'a pas même été discuté en commission.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Moncheur a donné aux paroles que j'ai prononcées à propos de l'interpellation de M. de Man une portée qu'elles n'ont pas. Je n'ai ni le pouvoir ni l'envie de mettre un rapporteur ou une commission en demeure ; seulement j'ai dit que c'était un travail qui devait prendre moins de temps que les modifications au Code pénal civil et que je croyais qu'en quatre ou cinq séances la commission pourrait le terminer.
A l'interpellation qui m'a été adressée lors de la discussion de mon budget, j'ai répondu que les renseignements réclamés pourraient être envoyés très prochainement ; j'entendais parler des bureaux du département de la justice.
C'est ce qui fait que je me suis exprimé comme je l'ai fait, l'honorable M. Moncheur dit que ce travail n'est pas parvenu à la commission et qu'il lui est indispensable pour se livrer à l'examen du projet ; je verrai où il est arrêté, et je ferai en sorte qu'il parvienne à la commission. Quant à la question de savoir si je me rallie au projet présenté, je ne pense pas qu'elle doive arrêter la commission. Quand elle aura terminé son travail, j'en prendrai connaissance, et je pourrai présenter les diverses modifications que je croirai devoir proposer de commun accord avec M. le minisire de la guerre.
M. Moncheur. - Je suis satisfait des explications que vient de donner M. le ministre de la justice, mais je répéterai pourtant qu'il serait préférable que M. le ministre fît connaître les modifications qu'il se propose d'apporter au projet avant que la commission ne fasse son travail.
Quant à l'envoi des observations de la commission fait au ministre de de la guerre plutôt qu'au ministre de la justice, la raison en est qu'il s'agissait d'un point qui concerne surtout la discipline militaire ; du reste, c'était avec prière de les communiquer au ministre de la justice, ce qui a été fait.
M. le président. - La discussion continue sur la question de savoir si on maintient ou si on ne maintient pas l'hypothèque judiciaire.
M. de Muelenaere. - Messieurs, personne assurément n'est plus disposé que moi à rendre hommage aux lumières, à l'expérience et au zèle de votre commission, qui a été chargée d'élaborer le projet de loi. Si l'hypothèque judiciaire n'avait pas été atteinte d'un germe de mort, elle serait sortie de leurs mains rajeunie et pleine de santé.
La commission a fait les plus louables efforts pour corriger les vices de la législation actuellement existante.
D'après le système nouveau, les juges suivant les circonstances peuvent permettre l'inscription d'une hypothèque judiciaire à titre de mesure provisoire. L'hypothèque judiciaire cesse d'être générale ; elle est spécialisée. Si l'inscription porte sur plus de parcelles qu'il n'est nécessaire pour garantir la créance, l'action en réduction est immédiatement ouverte au débiteur.
Les tribunaux peuvent restreindre l'hypothèque judiciaire à certains immeubles, suffisants pour garantir les droits du créancier. Et lorsqu'il s'agit de créances éventuelles ou indéterminées, le juge peut fixer la somme jusqu'à concurrence de laquelle l'hypothèque sera prise.
Voilà, sans aucun doute, messieurs, d'heureuses et d'importantes modifications, mais elles ne justifient pas encore à mes yeux le maintien de l'hypothèque judiciaire.
A la séance de samedi, dans une dissertation très lumineuse, et en se plaçant en quelque sorte sur un terrain vierge, l'honorable M. A. Roussel nous a démontré que c'est en quelque sorte par un abus de mots qu'on fait dériver l'hypothèque judiciaire d'un jugement, il nous a prouvé que l'hypothèque judiciaire ne repose ni sur la chose jugée, ni sur aucun principe juridique incontesté, et que cette hypothèque est condamnée par les principes généraux du droit.
Aucun des partisans de l'hypothèque judiciaire n'a jusqu'à présent essayé de réfuter cette dissertation ; les doctrines professées par l'honorable député de Bruxelles sont debout, et jusqu'à preuve du contraire, il nous sera permis de croire que ces doctrines sont vraies et fondées.
(page 587) Et, en effet, messieurs, le privilège ou l'hypothèque, est-ce autre chose que le droit de vous faire payer sur le prix d'un objet mobilier ou immobilier par préférence aux autres créanciers de votre débiteur ?
La loi vous confère quelquefois ce droit en vertu d'un principe d'ordre public, mais en vertu d'un principe basé sur la qualité de votre créancier. Vous tenez également ce droit d'un contrat qui vous a été librement consenti par votre débiteur à l'époque où, ayant la libre disposition de ses biens, il pouvait en user et même en abuser à son gré.
Mais il n'y a rien de tout cela dans l'espèce. Lorsque vous obtenez un jugement qui condamne votre débiteur à remplir une obligation qu'il a contractée envers vous, mais par laquelle il ne s'est pas engagé à vous fournir hypothèque, ou lorsque vous obtenez un jugement qui le condamne à vous payer la somme qu'il vous doit, ne peut-on pas se demander avec raison en vertu de quoi, en vertu de quel principe la puissance publique, par un jugement, vient vous placer dans une position plus privilégiée que les autres créanciers, tandis qu'au fond votre créance est de même nature, qu'elle n'est pas d'une qualité plus favorable et que vous avez en outre, comme les autres créanciers, suivi la foi du débiteur, sans exiger une garantie spéciale ?
Messieurs, jusqu'à présent on n'a rien répondu ce raisonnement, et il me paraît en effet sans réplique.
Mais s'il est vrai que l'hypothèque judiciaire peut être considérée comme contraire aux principes généraux du droit, est-il vrai que cette hypothèque se justifie, soit par un principe évident de justice, soit par un caractère d'utilité sociale réelle et incontestable ?
Quand on considère l'hypothèque à ce dernier point de vue, c'est surtout alors que les vices de cette institution deviennent beaucoup plus saillants.
Si la loi déclare que les biens du débiteur sont le gage commun de tous les créanciers chirographaires, de tous ceux qui n'ont pas exigé de sùrete particulière, est-il juste, je vous le demande, que l'un d'eux, dont la créance n'est peut-être ni la plus ancienne, ni la plus légitime, ni la plus favorable, est-il juste que ce créancier puisse se créer à lui-même un titre au moyen duquel il sera payé de préférence à tous les autres ? Il y a au fond de cela quelque chose de contraire à toutes les notions de justice. La seule raison qu'on a fait valoir à l'appui de ce système est celle qu'on a puisée dans ce vieil adage : Vigilantibus jura prosunt. Mais cet adage ne peut pas être invoqué ici, car il arrive très souvent que ce n'est pas le premier poursuivant, mais le troisième ou le quatrième, qui obtient le jugement et par conséquent le droit d'être payé de préférence à tous les autres.
Vous voyez, messieurs, que l'adage dont il s'agit n'est pas même rigoureusement applicable au cas qui nous occupe. Cela arrive, messieurs, par une foule de raisons que je ne suis pas obligé de développer ici, les unes avouables, les autres peut-être moins avouables. Mais enfin, dans la pratique, cela a lieu.
Disons-le donc franchement, messieurs, l'hypothèque judiciaire est une prime immorale accordée, soit à la mauvaise foi, soit à des sentiments que la loi devrait plutôt flétrir qu'encourager. C'est une prime accordée à la mauvaise foi, lorsque le jugement, par une collusion coupable, a été concerté entre le débiteur et le créancier, et les exemples ne nous font pas défaut.
C'est une prime accordée à des sentiments que la loi doit réprouver chaque fois que le créancier, dans sa poursuite, n'a été mû que par ces basses et misérables passions auxquelles a fait allusion l'autre jour un honorable député de Bruxelles. Et après tout, messieurs (je vous prie de me prêter toute votre attention), et après tout, est-il bien digne, je vous le demande, d'une faveur toute spéciale, le créancier qui, le premier, se montrant sans pitié, sans entrailles, aura provoqué la ruine de son débiteur ? Est-il digne surtout d'obtenir cette faveur de la loi au préjudice d'autres créanciers, au cœur plus généreux, qui ont poussé jusqu'au bout la bienveillance et la commisération envers leur débiteur ?
Il est un argument produit par l'honorable M. Lelièvre et auquel jusqu'à présent on n'a pas répondu. Lorsque le débiteur ne possède que des meubles, le créancier porteur d'un jugement peut faire saisir les meubles de ce débiteur ; mais, par sa saisie, le créancier n'obtient aucune préférence sur les autres : le prix de la vente est distribué entre tous au marc le franc. Par quel motif donc un créancier qui obtient un jugement envers un débiteur, qui par hasard possède un immeuble, sera-t-il privilégié et préféré à tous les autres ?
Il est une objection, messieurs, plus fondée en apparence, qui m'a paru faire une certaine impression sur la chambre et qui a été produite par un des partisans de l'hypothèque judiciaire.
L'hypothèque judiciaire une fois inscrite, dit-il, le vœu du créancier est rempli ; il ne moleste plus son débiteur ; celui-ci conserve la libre disposition de l'immeuble, il peut l'aliéner ou le grever. L'opposition immobilière, au contraire, dès qu'elle est inscrite, frappe d'indisponibilité l'immeuble entre les mains du débiteur ; cet immeuble ne peut plus être vendu ni hypothéqué au préjudice des créanciers. L'hypothèque judiciaire est donc plus favorable aux intérêts du débiteur, et l'opposition immobilière entrave davantage que cette hypothèque la circulation de la propriété foncière. Messieurs, examinons brièvement ces arguments.
Le créancier, favorisé par une hypothèque judiciaire qu'il a prise en vertu de son jugement, n'ira peut-être pas au delà pour le moment ; son but est atteint ; son vœu est rempli, il a pris son inscription. Si le débiteur n'avait que ce seul créancier, sa position serait provisoirement tolérable, il aurait un certain répit ; mais est-ce que les autres créanciers du débiteur, au préjudice desquels on vient de prendre une inscription judiciaire, ne poursuivront pas le débiteur avec plus d'animosité, précisément parce que la plus forte partie peut-être du gage commun leur a été enlevée ? Ne suffit-il pas que le premier poursuivant leur ait donné l'éveil à cet égard ?
En semblable occurrence, nous savons tous qu'un jugement est toujours suivi de plusieurs autres jugements, et qu'en règle générale c'est le premier qui entraine la ruine du débiteur.
En ce qui concerne l'objection faite, à savoir que l'opposition immobilière peut apporter plus d'entraves à la circulation de la propriété que l'hypothèque judiciaire, je ferai remarquer que c'est là un inconvénient, mais un inconvénient inséparable de la position fâcheuse, critique, dans laquelle est tombé le débiteur.
Indépendamment de cela, un créancier, nanti d'un titre en due forme, exécutoire, peut aujourd'hui faire saisir l'ensemble de son débiteur, et lorsque cette saisie est dénoncée, l'immeuble est également rendu indisponible entre les mains du débiteur.
Mais je ne veux pas, pour le moment, m'appesantir sur le système de l'opposition immobilière ; jusqu'à présent, personne n'a eu occasion de s'expliquer à cet égard. Ce système sera discuté ; chacun de nous sera libre de faire ses observations, de proposer des amendements, et nous tâcherons d'arriver à la meilleure législation possible.
Quant à l'opposition mobilière, la seule observation que je veuille faire en ce moment, c'est de déclarer à la chambre que je partage complètement l'opinion de l'honorable M. Lelièvre, que le jugement doit rester un acte sérieux et que, dans toutes les hypothèses, nous devons conserver au créancier porteur de ce jugement les moyens de le faire exécuter.
Je borne là mes observations quant à présent, et, en résumé, je dis que l'hypothèque judiciaire n'est pas conforme aux principes généraux du droit, que l'hypothèque judiciaire ne garantit pas d'une manière équitable les droits des créanciers en général et qu'elle est, en outre, nuisible à l'intérêt bien entendu du débiteur. Ces considérations sont assez puissantes à mes yeux pour me déterminer à voter contre le maintien de l'hypothèque judiciaire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, après les différents orateurs que vous avez entendus, il me reste très peu de chose à dire, et si je prends la parole, c'est bien plutôt en raison du dissentiment qui existe entre la commission et le gouvernement sur cette question que dans l'espoir de jeter quelques nouvelles lumières dans la discussion.
Le gouvernement demande la suppression de l'hypothèque judiciaire pour diverses raisons, les unes tirées de la pratique même des affaires, les autres des principes du droit et de l'équité qui, à notre sens, condamnent radicalement cette hypothèque. Je vais les exposer en quelques mots.
L'hypothèque judiciaire est générale ; d'où suit que pour une somme qui peut être relativement très minime, elle atteint tous les biens du débiteur qui peuvent être considérables ; elle frappe non seulement ses biens présents, mais elle frappe encore ses biens à venir. Ainsi, le débiteur, sur lequel pour une somme très peu élevée, aura été prise une inscription résultant d'un jugement, verra toutes ses valeurs immobilières paralysées quand bien même ces valeurs s'élèveraient à un chiffre centuple du montant de l'inscription. Voilà, messieurs, un premier inconvénient.
L'honorable M. Deliége nous disait, dans une des dernières séances, que l'hypothèque générale n'avait pas de très grands inconvénients, que dans les sept huitièmes des cas elle n'offrait pas plus d'inconvénients que l'hypothèque spéciale. Je crois que c'est là une erreur.
Quand il s'agit d'hypothèque spéciale, elle est toujours stipulée en rapport avec les sommes qu'elle doit garantir. Les stipulations faites d'un côté par le créancier, de l'autre par le débiteur, ont pour objet de proportionner l'hypothèque avec la somme dont elle doit assurer le remboursement ; l'hypothèque judiciaire, au contraire, est prise sans l'intervention du débiteur, sans son assentiment.
D'un autre côté l'hypothèque conventionnelle est toujours déterminée quant à la somme pour laquelle elle est consentie, tandis que l'hypothèque judiciaire, dans bien des cas, n'est pas seulement indéterminée quant aux biens sur lesquels elle frappe ; souvent elle est illimitée, quant à la somme pour laquelle elle est prise. D'après le Code actuel et d'après le système adopté par la commission, l'hypothèque judiciaire peut résulter d'un jugement qui consacre le principe d'une condamnation, c'est-à-dire que l'hypothèque judiciaire peut être inscrite pour assurances de condamnations conditionnelles éventuelles et que la quotité de la somme pour laquelle l'hypothèque peut être prise dépendra de l'évaluation arbitraire du créancier. Ainsi une condamnation à rendre compte est prononcée en vertu de ce jugement qui ne fait qu'ordonner une reddition de compte dont le résultat est encore inconnu, qui peut être favorable même à celui à qui le compte est demandé, le poursuivant pourra prendre une inscription sur les biens du rendant compte pour une somme dont seul il déterminera le montant.
Citons un autre exemple. Un individu est condamné à des dommages-intérêts à liquider par état. La liquidation peut les réduire à néant, et cependant voilà un principe de condamnation qui autorise le créancier (page 588) à prendre une inscription qui frappera sur tous les biens de son débiteur, et pour une somme dont le créancier est libre de fixer le chiffre. Comme on le voit, l'hypothèque judiciaire n'est pas seulement générale quant aux biens sur lesquels elle porte ; elle a en outre, dans bien des cas, le grave inconvénient d'être illimitée quant à la somme pour laquelle elle peut être prise. Quant aux créanciers, l'hypothèque judiciaire ne laisse pas d'avoir ses dangers. Du moment où une hypothèque judiciaire existe, les hypothèques conventionnelles deviennent impossibles.
Le caractère de généralité de l'hypothèque judiciaire donne au créancier ayant une hypothèque le pouvoir d'exercer son droit sur tel bien ou sur tel autre, de manière que le créancier conventionnel dépend du bon vouloir du créancier antérieur, des actes de collusion qu'il peut poser avec d'autres créanciers qui viennent après lui.
Voilà encore un des mauvais résultats de la généralité de l'hypothèque judiciaire.
L'hypothèque judiciaire a d'autres inconvénients encore, je me bornerai à eu citer un dernier.
Les hypothèques judiciaires rendent dans presque tous les cas une ouverture d'ordre indispensable.
Les hypothèques conventionnelles presque jamais n'absorbent la valeur totale des biens grevés ; la raison en est très simple ; quand on prête avec stipulation d'une hypothèque, on se fait produire un certificat constatant les inscriptions ; on voit jusqu'à quel point l'immeuble est grevé et s'il peut encore servir de garantie.
Pour les hypothèques judiciaires, qu'arrive-t-il ? Du moment où le moindre désordre se manifeste dans les affaires d'un individu, où les moindres rumeurs de discrédit circulent, les assignations pleuvent, des jugements interviennent, les inscriptions se multiplient, les immeubles sont grevés pour des sommes supérieures à leur valeur ; et tandis que l'ordre eût pu se faire devant notaire, on devra le faire dans les formes judiciaires, ce qui entraine des frais qui absorbent la partie la plus claire du gage des créanciers. Ces raisons toutes pratiques suffiraient à elles seules pour faire supprimer l'hypothèque judiciaire.
Mais, messieurs, je comprendrais que l'hypothèque judiciare fût conservée si elle reposait sur des principes de droit ou si l'équité en exigeait le maintien. Mais, à mon sens, elle est radicalement contraire aux principes.
L'honorable M. Roussel disait avant-hier que l'hypothèque judiciaire ne reposait sur aucune notion juridique. Il suffit de voir comment elle a été introduite dans notre législation pour être convaincu qu'aujourd'hui elle y forme une véritable anomalie. Quand tous les actes authentiques emportaient hypothèque, le jugement participant de la nature de l'acte authentique devait aussi emporter hypothèque. Cela est incontestable, mais qu'on l'ait conservé alors qu'on déclarait qu'outre l'acte authentique il fallait une stipulation expresse pour conférer l'hypothèque, c'est ce qui ne se comprend guère. Quand le Code civil a été rédigé, le principe de l'hypothèque judiciaire n'a pas été discuté. Treilhard s'est borné à dire que les jugements participant de la nature des actes authentiques et les actes authentiques emportant hypothèque, les jugements devaient également emporter hypothèque.
Voilà les paroles qui ont déterminé le maintien de l'hypothèque judiciaire dans le Code civil. Treilhard avait dit une chose vraie, mais il en avait tiré une conséquence très peu juste. Oui, les jugements participent de la nature des actes authentiques ; mais aujourd'hui tous les actes authentiques n'emportent pas hypothèque ; il faut qu'il y ait stipulation quant à l'hypothèque, c'est ce qu'on avait perdu de vue ; sans convention quant à l'hypothèque l'acte authentique ne donne lieu qu'à l'exécution parée, mais ne donne aucun droit de préférence sur les immeubles du débiteur.
Quelle est après cela la mission de l'autorité judiciaire, quelle est la nature des jugements ? Les jugements ne peuvent être que déclaratifs de droits ; ils ne peuvent jamais être attributifs de droits. Eh bien, lorsque j'ai stipulé, quand j'ai prêté de l'argent à quelqu'un ; mais je me suis soumis à la règle que les biens d'un débiteur sont le gage commun des créanciers, j'ai suivi la foi du débiteur. Si celui-ci ne paye pas, quel est mon droit ? De demander jugement afin de le forcer a exécuter la convention. Qu'arrive-t-il aujourd'hui ? On va au-delà de la convention ; on donne des garanties là où les parties n'en étaient pas convenues, c'est-à-dire que l'autorité de la sentence va beaucoup au-delà de la stipulation des parties, ce qui n'est pas admissible.
Je soutiens ensuite que l'hypothèque judiciaire est contraire aux premières notions de l'équité. L'honorable comte de Muelenaere, qui vient de parler immédiatement avant moi, l'a démontré de la manière la plus péremploire.
On ne saurait, en effet, admettre qu'un créancier, par cela seul qu'il aura poursuivi avant un autre, que le hasard ou la diligence de l'homme d'affaire qu'il aura employé l'aura mieux servi, puisse obtenir, pour gage de sa créance, tout l'avoir de son débiteur, tandis que celui qui viendra un ou deux jours après lui n'obtiendra rien.
Et ainsi qu'il le disait encore, la position préférentielle qui lui serait faite ne dépend pas de son plus ou moins de vigilance, mais de différentes circonstances indépendantes de son ardeur à poursuivre. Ainsi celui dont l'affaire sera portée devant un tiibunal, qui a peu d'affaires à juger, obtiendra jugement avant celui dont la demande sera introduite devant un tribunal plus occupé et pourra par conséquent prendre inscription et primer celui même qui aurait intenté son action avant lui.
Lorsqu'un droit de préférence dépend de circonstances semblables, est-il convenable de la maintenir comme un principe dans notre législation ?
On a cherché à justifir l'hypothèque judiciaire par deux raisons, l'une d'équité, l'autre d'utilité, et c'est dans ces deux raisons que viennent se résumer tous les arguments qu'on a fait valoir pour son maintien.
Pour justifier l'hypothèque judiciaire, on a dit que c'est au plus vigilant que les droits doivent appartenir. Comme l'a dit l'honorable M. do Muelenaere, c'est un principe qui n'est pas applicable au cas qui nous occupe ; il l’est tellement peu que, dans une loi que vous avez votée naguère, vous le proscrivez d'une manière formelle.
Ainsi, dans la loi sur les faillites, avez-vous admis ce principe ? Evidemment non : un des grands principes qui dominent toute votre législation sur cette matière, c'est la nécessité de maintenir l'égalité entre les créanciers. C'est en partie pour cela que vous avez admis que l'ouverture de la faillite sera reportée au moment où a commencé la cessation des payements du failli, c'est pour ce motif epie vous favorisez le débiteur qui déclare sa faillite aussitôt qu'il s'aperçoit qu'il ne peut faire honneur à ses engagements ; vous avez tellement voulu maintenir le principe d'égalité entre les créanciers que vous avez statué que les sommes reçues par l'un d'eux dans l'intervalle qui sépare la déclaration de faillite du jour où a commencé la cessation de payements, seraient rapportées, si ce créancier connaissait la position du débiteur.
Le deuxième argument qu'on a fait valoir, c'est que la suppression de l'hypothèque judiciaire porterait une atteinte mortelle au crédit personnel. Non seulement je ne crois pas qu'il en soit ainsi, mais je crois que si vous voulez fortifier, agrandir le crédit personnel, vous devez supprimer cette hypothèque.
Comment définissez-vous le crédit personnel ? Vous le définissez le crédit accordé à la probité, à la loyauté et un peu à la fortune d'un individu. J'accepte cette définition. Mais votre confiance ne peut exister que pour autant que la personne à laquelle vous l'accordez soit libre dans sa loyauté, dans sa probité, c'est-à-dire qu'il dépende d'elle de maintenir l'égalité entre ses créanciers, de ne rien faire en faveur de l'un qui puisse prejudicier aux autres, qu'elle ne soit pas contrainte à faire une position préférentielle à certains d'entre eux.
Eh bien, avec l'hypothèque judiciaire il ne dépend pas de lui de maintenir cette égalité entre ses créanciers : chacun d'entre eux peut, malgré lui, se faire une position privilégiée. Loin donc, à mon avis, de porter atteinte au crédit personnel, la suppression de l'hypothèque judiciaire ne peut que l'affermir.
Maintenant, de bon compte, peut-on admettre qu'au moment où l'on fait un prêt, on compte sur l'hypothèque judiciaire à laquelle on peut éventuellement avoir recours ? Mais si l'on avait des doutes sur la solvabilité du débiteur, on ne prêterait pas. Si, au moment où il prête, le créancier se disait : Je serai dans le cas de recourir aux tribunaux pour me procurer un gage ; mais évidemment il conserverait son argent ; car, par différentes raisons, il ne peut sérieusement compter sur ce gage dans l'éventualité du non-remboursement : la première, c'est qu'il doit penser que cette garantie pourra être acquise à un créancier dont la créance écherra avant la sienne, la seconde, c'est qu'il doit savoir que le débiteur conserve la faculté d'accorder des hypothèques conventionnelles ; et enfin, eût-il foi dans l'hypothèque judiciaire, encore ne prêterait-il pas, car des poursuites donnent toujours lieu à des frais qui en partie restent à la charge du créancier.
Il me semble donc plus juste de dire que, lorsqu'aucun des créanciers ne peut se faire une position privilégiée, lorsqu'ils sont sûrs qu'ils partageront au marc le franc l'avoir du débiteur, l'on fortifie le crédit.
Certes un créancier qui a prêté de l'argent à son voisin dont il surveille quotidiennement les affaires, peut bien, comme l'a dit M. Deliége avoir quelque espoir dans la ressource de l'hypothèque judiciaire.
Mais c'est précisément cet avantage qu'a la personne rapprochée de son débiteur qui énerve le crédit, qui détruit la confiance, qui empêche la circulation des capitaux.
Celui qui doit traiter avec un négociant qui habile à 50 lieues de lui, accordera d'autant moins de crédit, qu'il saura qu'un créancier plus rapproché pourra obtenir un gage au moyen duquel il s'assurera de la plus grande partie de l'avoir du débiteur commun.
La commission a pris quelques précautions pour diminuer les inconvénients de l'hypothèque judicaire. Mais ces précautions ne rachètent pas les vices du principe même, et ne font pas disparaître les inconvénients que j'ai signalés.
D'abord, la spécialité qu'exige la commission deviendra, dans la plupart des cas, une hypothèque générale spécialisée. Quand on est créancier, on n'a jamais assez de garantie, on prendra hypothèque sur tous les biens du débiteur. Au lieu de la garantie générale, telle qu'elle existe, on aura une garantie spéciale sur tous les biens ; tous les immeubles seront désignés dans le bordereau d'inscription.
La commission, messieurs, pour éviter encore cet inconvénient, a admis une action en réduction.
Messieurs, cette action en réduction ne sera jamais qu'une chose tout à fait illusoire. Comment voulez-vous qu'un débiteur, contre lequel le créancier a obtenu un jugement, qui se trouve à la merci de son créancier, puisse aller intenter à celui-ci une action en réduction ?
Mais le jour où il intenterait cette action en réduction, le créancier commencerait l'expropriation.
D'un autre côté, cette action en réduction c'est tout un procès. Le (page 589) tribunal ne pourra pas, sans recourir à une expertise, réduire l’hypothèque. Il devra se faire rendre compte de la valeur des immeubles sur lesquels l’hypothèque tombe ; c'est là une procédure longue et dispendieuse, et qui durerait plus longtemps que l'expropriation que le créancier poursuivrait vis-à-vis de son débiteur.
Je crois donc, messieurs, par toutes ces raisons, et par bien d'autres qui ont été développées par les orateurs qui m'ont précédé, qu'il y a lieu de supprimer l'hypothèque judiciaire ; et la disparition de cette hypothèque ne sera pas, comme le disait l'honorable M. Deliége, une très grande nouveauté. D'abord, l'hypothèque judiciaire était bien loin d être admise dans toutes nos provinces. Elle a été formellement condamnée par le grand conseil de Brabant, chambres assemblées, dans un arrêt du 21 février 1619.
D'un autre côté, l'hypothèque judiciaire a été complètement modifiée en Bavière.
Elle a disparu du Code des Pays-Bas ; elle a disparu du Code du canton de Vaud ; enfin l'hypothèque judiciaire vient de disparaître du Code français par la décision qui a été prise par l'Assemblée législative ; et si l'honorable M. Deliége a invoqué et l'autorité des tribunaux et l'autorité des cours d'appel de France, je pourrais invoquer l'autorité des commissions qui ont été établies, et des corps qui ont successivement examiné le projet de loi qui vient d'être discuté chez nos voisins.
Une commission a été nommée en France par le garde des sceaux pour élaborer un projet. M. Persil, qu'on n'accusera certainement pas d'être un novateur par trop hardi, a été le rapporteur de cette commission qui a conclu à la suppression de l'hypothèque judiciaire. Ce projet a été renvoyé au conseil d'Etat. Le conseil d'Etat l'a examiné et a approuvé la suppression de l'hypothèque judiciaire.
Le projet est arrivé à l'assemblée législative, et la chambre a nommé de nouveau une commission qui, après un examen, a opiné dans le même sens ; enfin, la chambre après une discussion très approfondie a maintenu la suppression de l'hypothèque judiciaire.
Voilà sans doute aussi des autorités qu'on peut citer et il serait difficile, on l'avouera, d'en invoquer de meilleures. Un mot, messieurs, quant aux oppositions. Je ne m'opposerai pas à ce que le système présenté par le gouvernement soit supprimé et à ce que les articles 8 et 12 soient retranchés.
Seulement je me réserve, d'ici à la fin de la discussion, d'examiner quelle modification pourra y être apportée.
La raison principale qui m'a déterminé à soumettre cette question à un nouvel examen, la voici ; elle mérite d'être méditée par tous les honorables collègues qui s'occupent de la matière :
C'est que, si l'on maintenait le système de l'opposition, tel qu'il est formulé par le projet du gouvernement, il s'ensuivrait que tout débiteur dont les biens se trouveraient frappés d'une de ces oppositions ne pourrait plus accorder une hypothèque à sa femme, et qu'il ne pourrait plus être pris une hypothèque légale pour des mineurs dont il deviendrait tuteur.
Voilà le grand inconvénient du système tel qu'il est présenté en ce moment, et c'est en raison de cet inconvénient que je me réserve d'examiner s'il y a lieu de le supprimer, ou s'il y a moyen de le modifier de manière à satisfaire à tous les intérêts.
- La discussion est close.
M. le président. - La chambre doit d'abord se prononcer sur cette question :
« L'hypothèque judiciaire sera-t-elle supprimée ? »
- L'appel nominal est demandé.
La question est mise aux voix par appel nominal.
62 membres répondent à l'appel nominal.
59 membres répondent affirmativement.
2 membres répondent négativement.
1 membre (M. de Theux), s'abstient. En conséquence, la chambre décide que l'hypothèque judiciaire est supprimée.
Ont répondu affirmativement : M.M. Dedecker, de La Coste, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Perceval, de Renesse, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumont (Guillaume), Dumortier, Frère-Orban, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Roussel (A.), Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Hoorebeke, Van Grootven, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Brouckere et Verhaegen.
Ont répondu négativement : MM. Jullien et Van Iseghem.
M. de Theux. - Messieurs, je n'étais pas d'intention de maintenir l'hypothèque judiciaire ; mais je pensais qu'il était de mon devoir, comme membre de la commission, de faire connaître par quels motif la commission avait été amenée à donner la préférence au maintien de l'hypothèque judiciaire sur le système d'opposition présenté par le gouvernement. La commission a pensé que le système d’opposition, tel qu'il est formulé, conduirait fatalement le premier créancier agissant à saisir et à exproprier tous les meubles et immeubles du débiteur, pour ne pas perdre le bénéfice de son opposition au bout de l'année. En effet, le créancier ne peut jamais être assuré qu'il sera payé, attendu qu'il ne sait pas quel est le nombre des créanciers chirogriphaires.
Quant à moi, je voterai contre le système d'opposition, et ce qui m'a fait garder le silence à cet égard, c'est la déclaration finale de M. le ministre de la justice dont il me semble résulter qu'il abandonne ce système.
Je crois que c'est aussi ce qui a déterminé d'autres membres à voter la suppression de l'hvpothèque judiciaire.
Je saisirai cette occasion pour prier M. le ministre de la justice de s'occuper le plus tôt possible du Code de procédure, en ce qui concerne les moyens d'assurer le payement des créances ; ces moyens sont tellement onéreux que si les débiteurs, ne possédant qu'une mince fortune, voulaient s'abriter derrière les dispositions du Code de procédure, ils mettraient leurs créanciers dans l'impossibilité de se faire payer. Il en résulterait un discrédit complet pour tous ceux qui ne possèdent que peu de fortune.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demanderai la permission de dire quelques mais à propos des motifs d'abstention donnés par l'honorable comte de Theux. J'avais déjà déclaré à la commission que j'abandonnerais le système de l'opposition, sauf examen ultérieur.
Quant aux dispositions relatives à l'expropriation forcée, une commission a été nommée avant mon entrée au département de la justice et depuis que j'y suis je n'ai pas perdu un jour pour hâter son travail. J'espère que dans le courant de la session je pourrai déposer un projet sur le bureau.
M. le président. - La deuxième question qui avait été posée est celle-ci : « Y aura-t-il une opposition immobilière ? » D'après la déclaration de M. le ministre, la chambre sera sans doute d'avis de ne pas statuer maintenant sur cette question.
M. Lebeau. - Je désire appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur l'opportunité qu'il y aurait à ce qu'il fît connaître, avant la fin de la première discussion, les dispositions par lesquelles il jugerait convenable de remplacer celles qu'il vient en quelque sorte d'abandonner. (Interruption.) Si M. le ministre abandonne purement et simplement l'opposilion immobilière, dont je déclare d'abord que je ne suis nullement partisan, alors tout est bien ; mais s'il s'agit de proposer d'autres mesures, je demande que la chambre soit mise à même de statuer sur ces mesures avant la fin de la première discussion.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Telle est mon intention. Si le système d'opposition doit être remplacé par d'autres dispositions, je les soumettrai à la chambre avant la fin de la première discussion.
M. Jullien. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appeler votre attention sur une question qui se présentera nécessairement par suite du vote qui vient d'avoir lieu.
Vous venez, messieurs, de supprimer l'hypothèque judiciaire ; cette suppression atteindra-t-elle les promesses de dation d'hypothèque ? Je m'explique,
Un débileur recevant des fonds de son créancier souscrira un billet par lequel il prendra l’engagement de rembourser la somme dans un délai déterminé ; s’il prend en même temps, conventionnellement, l'engagement de donner hypothèque sur des biens déterminés, cet engagement sera-t-il valable, et le créancier pourra-t-il en poursuivre l'accomplissement devant les tribunaux ? Les jugements qui interviendront dans ce cas conféreront-ils l'hypothèque comme tenant lieu d'hypothèque conventionnelle ?
Il importe qu'il n'y ait aucune incertitude sur ce point, et si M. le ministre de la justice ne peut pas dès à présent répondre à cette question, je demanderai que la commission veuille bien en délibérer et faire part à la chambre du résultat de son examen.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je pourrais prier l'honorable M. Jullien de déposer un amendement sur lequel la commission aurait à délibérer. Il est impossible qu'à toutes les questions soulevées, la commission, qui ne peut pas se réunir immédiatement, donne une solution. Cependant, je dirai que déjà la question a fait l'objet des délibérations de la commission ; mais jusqu'à présent elle ne s'est pas mise d'accord sur ce point.
M. Jullien. - Je demande que la commission s'en occupe encore.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Elle s'en occupera encore, et elle fera connaître à la chambre la solution à laquelle elle ec sera arrêtée.
M. de Theux. ) Messieurs, j'ai pris des informations auprès d'un collègue qui est plus versé dans ces sortes de matières, et je crois que si l'on supprime l'opposition hypothécaire, ce que je désire, il y a cependant quelque chose a faire pour empêcher le débiteur de mauvaise foi d'aliéner son immeuble entre le commandement qui doit précéder la saisie, et la saisie même.
D'après mes renseignements, il doit exister un intervalle de 30 jours avant que la saisie puisse être opérée.
Dans cet intervalle, le débiteur pourrait essayer de vendre ; quant à lui, l'acte serait frauduleux, mais l'acquéreur pourrait acheter de bonne foi. Il y a donc ici quelque chose à faire, une lacune à combler.
M. le ministre de la justice a annoncé qu'il s'occupait activement d'un projet de loi relatif à la révision des dispositions du Code de procédure relatives aux formalités et aux frais de poursuite, en ce qui concerne les (page 590) saisies immobilières ; je suis satisfait d'apprendre cela, mais il y a encore beaucoup de choses à faire, en ce qui concerne les saisies mobilières qui peuvent se pratiquer sous différentes formes et qui entraînent des frais extrêmement considérables.
Nous avons supprimé l'hypothèque judiciaire ; je crois dès lors qu'il est important d'arriver aux moyens de simplifier la procédure tendante à arriver au payement, et cela tant dans l'intérêt du débiteur que dans celui du créancier.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les saisies mobilières ne donnent pas lieu à une procédure très compliquée.
M. le président. - Nous avons à déterminer maintenant les conséquences de la question de principe qui vient d'être décidée par la chambre. La question de principe se rattache d'abord à l'article 39. L'article 39 porte : que l'hypothèque est légale, judiciaire, conventionnelle ou testamentaire. Comme conséquence de la décision de la chambre, le mot « judiciaire » doit être supprimé dans l'article. Doivent également être supprimés les articles qui, dans le projet de la commission, sont renfermés sous la rubrique : « Section II, des hypothèques judiciaires ».
- Les suppressions indiquées par M. le président sont mises aux voix et adoptées.
M. Lelièvre, rapporteur. - Par suite de la décision de la chambre, il y a lieu de supprimer également, dans l'article 200 du projet de la commission, les mots : « et par la section 2 du même chapitre, puisque cette section, relative à l'hypothèque judiciaire, n'a plus d'objet.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il y a encore d'autres articles du projet où des retranchements doivent être opérés par suite de la résolution prise par la chambre ; je pense que l'on pourrait faire ces suppression, à mesure qu'on arriverait aux articles où elles doivent être faites. (Adhésion.)
M. le président. - Ainsi, cela est entendu. Nous abordons l'article 13.
« Art. 13. Tout débiteur est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens, présents et à venir. »
- Adopté.
« Art. 14 (2093). Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers, et le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. »
- Adopté.
M. Orts. - Messieurs, puisqu'on fait des changements dans le texte même du Code civil, pour le rendre plus clair ou pour supprimer ce qui est inutile, je demande à la commission s'il n'y aurait pas lieu de placer après l'article 15bis l'article 43 du projet, comme cela a été fait dans toutes les législations qui ont modifié, sous ce rapport, le Code civil. Voici le motif sur lequel j'appuie mon observation.
L'article 43 porte qu'il n'est rien innové par le présent code aux dispositions des lois maritimes concernant les navires et bâtiments de mer.
Le classement de l'article dans la section où il se trouve maintenant fait supposer qu'il pourra être question d'hypothèques sur les navires et les bâtiments de mer ; or, les droits de préférence sur les navires et les bâtiments de mer sont uniquement des privilèges et jamais des hypothèques. Donc l'article 43 n'est pas bien placé ; il faut le mettre sous la rubrique « Dispostlions générales ».
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne vois aucun inconvénient à cette transposition.
- La chambre, consultée, décide que l'article 43 viendra immédiatement après l'article 15bis du chapitre premier, « Dispositions générales ».
« Art. 15 (2094). Les causes légitimes de préférence sont les privilèges et hypothèques. »
- Adopté.
M. le président. - M. le ministre de la justice a proposé, d'accord avec la commission, un article 15bis, ainsi conçu :
« Lorsqu'un immeuble, des récoltes ou des effets mobiliers auront été assurés soit contre l'incendie, soit contre tout autre fléau, la somme qui, en cas de sinistre, se trouvera due par l'assureur, devra, si elle n'est pas appliquée par lui à la réparation de l'objet assuré, être affectée au payement des créances privilégiée ou hypothécaires, selon le rang de chacune d'elles.
« Il en sera de même de toute indemnité qui serait due par des tiers, à raison de la perte ou de la détérioration de l'objet grevé de privilège ou d'hypothèque. »
M. Roussel. - Je ferai remarquer que, dans le premier paragraphe, on devrait substituer aux mots : « devra être affectée », ceux-ci : « sera affectée ».
Le législateur ne peut jamais dire « devra », c'est lui qui commande.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je crois que l'article est rédigé d'une manière convenable.
M. Roussel. - Je n'insiste pas.
M. Delfosse. - Ne faudrait-il pas supprimer les mots : « par lui » ? Tout ce que les créanciers peuvent raisonnablement exiger, c'est que la réparation de l'objet assuré se fasse, peu importe par qui.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est l'assureur qui doit faire parvenir les sommes aux créanciers de l'assuré. C'est là le but de l'ar-ticle, et je crois que la rédaction répond parfaitement à cette intention. Je demande donc le maintien de l'article.
M. Delfosse. - Ainsi les réparations ne peuvent être faites par l'assuré ?
M. Lelièvre. - C'est l'assureur qui tient les fonds.
M. Delfosse. - J'ai demandé une explication. Je n'ai rien proposé.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 16 (2095). Le privilège est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires. »
A cet article M. Thibaut a proposé un amendement ainsi conçu : « Le privilège est un droit que la loi donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires, à cause de la qualité de sa créance. »
M. Thibaut. - Les Romains disaient : « Omnis definitio in jure periculosa... » Je ne verrais, messieurs, aucun inconvénient à supprimer l'article 16. Mais si l'on veut absolument donner une définition du privilège, il faut au moins la donner le plus exacte possible. Il me semble que celle que je propose est préférable à celle du Code adoptée par la commission.
Il y a même un certain danger à conserver la définition telle qu'elle se trouve dans le Code, bien que je reconnaisse qu'elle n'ait jamais donné lieu à des procès ; car on pourrait prétendre que les articles 24, 25 et 32 ne sont pas limitatifs. La définition du Code dit que le privilège est un droit que donne la qualité des créances, tandis que tous les jurisconsultes le font dépendre de la loi seule, et c'est pour cela qu'on ne peut les étendre.
J'ajoute que la définition que j'ai proposée n'est pas de moi, je l'ai empruntée à un professeur de droit très célèbre. Quoi qu'il en soit, puisqu'il y a opposition, ce à quoi je ne m'attendais pas, je déclare retirer mon amendement.
M. le président. - L’amendement est abandonné.
- L'article 16 est mis aux voix et adopté.
« Art. 17 (2096). Entre les créanciers privilégiés, la préférence se règle par les différentes qualités des privilèges. M. Thibaut propose de rédiger ainsi cet article : « Entre les créanciers privilégiés sur les meubles, la préférence se règle par les différentes qualités des créances. »
M. Thibault. - Ces amendements ne sont pas importants, je n'y tiens, pas plus pour ceux-ci que pour les précédents, à ce que la chambre émette un vote ; cependant, je dois dire en réponse aux motifs de la résolution prise par la commission, que quant à moi, il me semble impossible qu'il y ait à régler un ordre de préférence entre les différents privilèges sur les mêmes immeubles en raison de la qualité des créances ; pour le démontrer, je me bornerai à citer un considérant d'un arrêt de la cour de Paris du 15 mai 1815, où il est dit :
« Attendu que si le vendeur non payé a un privilège, l'architecte entrepreneur a, pour prix de ses travaux, un privilège sur la plus-value de l'immeuble existant à l'époque de l'aliénation, et résultant des travaux qui ont été faits ;
« Que ces deux privilèges, ayant un objet distinct, peuvent s'exercer à la fois, mais ne doivent jamais se nuire. »
Voilà quant au privilège du vendeur et de l'architecte. Quant au concours du vendeur, du copartageant ou du donateur, voici l'opinion de MM. Demante et Troplong :
« La nature du privilège du vendeur et du copartageant étant identique, la question doit se résoudre entre eux, comme elle se résoudrait entre deux vendeurs successifs : les préférences appartenant à l'un ou et l'autre, selon que le partage a précédé ou suivi la vente. » (M. Demante, cité par Troplong, p. 60 Ed. belge.)
Messieurs, la qualité de la créance ne règle donc pas la préférence entre créanciers privilégiés sur les immeubles, puisqu'ils ne viennent pas au concours sur le même objet.
C'est une simple réponse que j'ai voulu faire à l'honorable rapporteur. Quant aux amendements, je les abandonne.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais il y a des privilèges qui frappent les meubles et les immeubles ; bien certainement la préférence entre eux se règle par la qualité de la créance.
M. Lelièvre, rapporteur. - Il est évident que l'honorable M. Thibaut fait erreur. Un privilège est un droit résultant de la qualité de la créance. D'où la conséquence que lorsqu'il y a concours de privilèges, ce ne peut être que les différentes qualités des créances qui, en général, déterminent la préférence. Cela est, du reste, rationnel.
Nous ne voyons donc pas dès lors comment on restreindrait ce principe aux meubles et à quel titre on établirait à cet égard une distinction que rien ne justifie.
- La discussion est close.
L'amendement est retiré.
L'article 17 est mis aux voix et adopté.
(page 591) « Art. 18 (2097). Les créanciers privilégiés qui sont dans le même rang sont payés par concurrence. »
- Adopté.
« Art. 19 (2098). Le privilège, à raison des droits du trésor public, et l'ordre dans lequel il s'exerce sont réglés par les lois qui les concernent.
« Le trésor public ne peut cependant obtenir de privilège au préjudice des droits antérieurement acquis à des tiers. »
- Adopté.
« Art. 20 (2099). Les privilèges peuvent être sur les meubles ou sur les immeubles. »
- Adopté.
« Art. 21. Les frais de justice sont privilégiés sur les meubles et les immeubles, à l'égard de tous les créanciers dans l'intérêt desquels ils ont été faits.
« Dans le cas où ces frais s'étendent sur la généralité des meubles et des immeubles, ils ne seront payés sur le prix des immeubles qu'en cas d'insuffisance du mobilier. »
M. le président. - M. Thibaut a présenté un amendement à cet article.
M. Thibaut$. - Je le retire.
- L'article 21 est mis aux voix et adopté.
« Art. 22. Les biens meubles et immeubles du défunt sont affectés,par privilège, à la masse des créanciers et légataires de la succession.
« Néanmoins ce privilège ne peut être invoqué que par ceux des créanciers et légataires qui ont formé leur demande en séparation, d'après les règles tracées au titre des successions.
Il ne peut l'être, en ce qui concerne les biens immobiliers, que par ceux qui, outre les formalités prescrites par l'article 36, ont formé cette demande avant la réalisation de l'aliénation qui pourrait en avoir été faite par l'héritier.
M. Lelièvre, rapporteur. - Le gouvernement, de concert avec la commission, propose la suppression de cet article.
- La suppression est prononcée.
« Art. 23 (2100). Les privilèges sont ou généraux, ou particuliers sur certains meubles. »
- Adopté.
« Art. 24 (2101). Les créances privilégiées sur la généralité des meubles sont celles ci-après exprimées, et s'exercent dans l'ordre suivant :
« 1° Les frais de justice faits dans l'intérêt commun des créanciers ;
« 2° Les frais funéraires nécessaires ;
« 3° Les frais de dernière maladie et pour la durée d'un an, concurremment entre ceux à qui ils sont dus ;
« 4° Les fournitures de subsistances faites au débiteur et à sa famille, pendant les six mois qui précèdent la mort ou le dessaisissement.
« Lorsque la valeur des immeubles n'a pas été absorbée par les créances privilégiées ou hypothécaires, la portion du prix qui reste due est affectée de préférence au payement des créances énoncées ci-dessus. »
M. le ministre de la justice propose d'intercaler un paragraphe 4 ainsi conçu :
« Les salaires des gens de service pour l'année échue et ce qui dû sur l'année courante ; le salaire des commis pour 6 mois et celui des ouvriers pour un mois. »
M. de La Coste. - Je ne sais pas ce qui a déterminé la commission a ajouter à la mention des frais funéraires le mot : « nécessaires ». Il convient de savoir ce qu'on entend par là, car à la rigueur il faut très peu de chose, une pelletée de terre suffit. Mais je pense que, soit qu'on ajoute ou non le mot « nécessaires », on doit entendre les frais funéraires conformes à la situation du défunt et à l'usage.
Je désirerais cependant savoir si c'est ainsi qu'on l'entend.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est évidemment l'interprétation que le gouvernement et la commission donnent au paragraphe 2 de l'article 24 : on n'a voulu faire exister le privilège qu'en faveur des frais funéraires en rapport avec la position du défunt. C'est pour qu'il n'y ait aucune exagération dans les dépenses à faire.
M. de Brouckere. - On a ajouté le mot « nécessaires », parce que nous vivons dans un siècle de vanité et qu'on renchérit chaque jour sur toutes les pompes extérieures. Ainsi des débiteurs qui, souvent, n'ont pas 5,000 fr. vaillant font des frais de funérailles qui coûtent plus que leur avoir, et enlèvent ainsi à la masse des créanciers la partie la plus liquide d une succession.
Je pourrais citer des exemples qui ne se rapportent pas à Bruxelles, mais des exemples tels que des familles entières de petits bourgeois se sont ruinés par des frais de funérailles d'un des leurs. Je ne veux pas les citer à la chambre. Mais, à l'époque où j'habitais dans les environs de Liège, j'ai recueilli des faits de ce genre, et je pourrais donner à ceux de mes collègues qui le désireraient, toutes les indications désirables sur les noms, prénoms, demeure, etc., des personnes dont il s'agit.
Ici, nous le savons aussi, il y a un luxe de vanité qui n'a pas de borne. Nous avons voulu que la famille d'un débiteur ne pût pas gaspiller ce qui appartient à ses créanciers, pour la satisfaction de le faire enterrer avec pompe.
M. Lelièvre, rapporteur. - C'est dans ce sens que la commission l'a entendu. C'est une disposition empruntée à la loi romaine qui considérait comme frais nécessaires de sépulture ce qui est en rapport aree le rang du défunt.
M. Rodenbach. - Il me semble que les ouvriers ont droit aux mêmes privilèges que les commis. Je demande donc pourquoi le salaire de ceux-ci est privilégié pour six mois, tandis que le salaire de l'ouvrier n'est privilégié que pour un mois.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Parce que les commis sont payés en général par trimestre ou par semestre tandis que les ouvriers sont payés par semaine ou par quinzaine.
- L’article 24 est adopté avec l'amendement présenté par M. le ministre de la justice.
« Article 25 (2102) (projet du gouvernement). Les créances privilégiées sur certains meubles sont :
« 1° Les loyers et fermages des immeubles, sur les fruits de la récolte de l'année, et sur le prix de tout ce qui garnit la maison louée ou la ferme, et de tout ce qui sert à l'exploitation de la ferme ; savoir, pour deux années échues, s'il s'agit d'une maison, et pour trois années échues, s'il s'agit d'une ferme, ainsi que pour l'année courante, et en outre pour tout ce qui est à échoir, si les baux sont authentiques, ou si, étant sous signature privée, ils ont une date certaine ; et, dans ces deux cas, les autres créanciers ont le droit de relouer la maison ou la ferme, pour le restant du bail, et de faire leur profit des baux ou fermages, à la charge toutefois de payer au propriétaire tout ce qui serait encore dù ;
« Et, à défaut de baux authentiques, ou de baux sous signature privée ayant date certaine, pour deux années échues, s'il s'agit d'une maison, et pour trois années échues, s'il s'agit d'une ferme, ainsi que pour l'année courante et pour une année à partir de l'expiration de l'année courante.
« Le même privilége a lieu pour les réparations locatives, et poar tout ce qui concerne l'exécution du bail.
« Le propriétaire peut saisir les meubles qui garnissent sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans son consentement, et il conserve sur eux son privilège, pourvu qu'il en ait fait la revendication ; savoir, lorsqu'it s'agit d'immobilier qui garnissait une ferme, dans le délai de quarante jours, et dans celui de quinzaine, s'il s'agit de meubles garnissant une maison ;
« 2° Les sommes dues pour les semences ou pour les frais de la récolte de l'année, sur le prix de la récolte, et celles dues pour ustensiles, sur le prix de ces ustensiles ;
« 3° La créance sur le gage dont le créancier est saisi ;
« 4° Les frais faits pour la conservation de la chose ;
« 5° Le prix d'effets mobiliers non payés, s'ils sont encore en la possession du débiteur, soit qu'il ait acheté à terme ou sans terme.
« Si la vente a été faite sans terme, le vendeur peut même revendiquer ces effets, tant qu'ils sont en la possession de l'acheteur, et en empêcher la revente, pourvu que la revendication soit faite dans la huitaine de la livraison, et que les effets se trouvent dans le même état dans lequel cette livraison a été faite.
« La déchéance de l'action revendicatoire emporte également celle de l’action en résolution à l'égard des autres créanciers.
« Il n'est rien innové aux lois et usages du commerce sur la revendication ;
« 6° Les fournitures d'un aubergiste, sur les effets du voyageur qui ont été transportés dans son auberge ;
« 7° Les frais de voiture et les dépenses accessoires, sur la chose voiturée, pendant que le voiturier en est saisi, et pendant les vingt-qualre heures qui suivront la remise au propriétaire ou destinataire, pourvu que celui-ci en ait conservé la possession ;
« 8° Les créances résultant d'abus et prévarications commis par les fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions, sur les fonds de leur cautionnement, et sur les intérêts qui en peuvent être échus. »
« Art. 25 (projet de la commission). Les créances privilégiées sur certains meubles sont :
« 1° Les loyers et fermages des immeubles sur les fruits de la récolle de l'année et sur le prix de tout ce qui garnit la maison louée ou la ferme, et de tout ce qui sert à l'exploitation de la ferme ; savoir, pour deux années échues, s'il s'agit d'une maison, et pour trois années échues, s'il s'agit d'une ferme ; en outre, pour l'année courante et pour tout ce qui est à échoir, si les baux sont authentiques, ou si, étant sous signature privée, ils ont une date certaine, et, dans ces deux cas, les autres créanciers ont le droit de relouer la maison ou la ferme pour le restant du bail, et de faire leur profit des baux ou fermages, à la charge toutefois de payer au propriétaire tout ce qui lui serait encore dû.
« Et, à défaut de baux authentiques ou de baux sous signature privée ayant date certaine, pour deux années échues, s'il s'agit d'une maison, et pour trois années échues, s'il s'agit d'une ferme, ainsi quee pour l'année courante et pour une année à partir de l'expiration de l'année courante.
(page 592) « Le même privilège a lieu pour les réparations locatives et pour tout ce qui concerne l’exécution du bail.
« Le propriétaire peut saisir les meublas qui garnissent sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans son consentement, et il conserve sur eux son privilège, pourvu qu'il en ait fait la revendication ; savoir, lorsqu'il s'agit d'un mobilier qui garnissait une ferme dans le délai de quarante jours, et dans celui de quinzaine, s'il s'agit de meubles garnissant une maison ;
« 2° Les sommes dues pour les semences ou pour les frais de la récolte de l'année et celles dues pour ustensiles, sur le prix de ces ustensiles ;
« 3° La créance, sur le gage dont le créancier est saisi ;
« 4° Les frais faits pour la conservation de la chose ;
« 5° Le prix d'effets mobiliers non pavés, s'ils sont encore en la possession du débiteur, soit qu'il ait acheté à terme ou sans terme. Néanmoins le privilège cessera si les objets mobiliers ont été incorporés à un immeuble auquel ils sont attachés.
« (Le reste comme au projet du gouvernement.) «
M. le ministre de la justice propose à cet article l'amendement suivant, dont la commission propose l'adoption :
« Remplacer la dernière phrase par le paragraphe suivant :
« Néanmoins le prix des machines et appareils ne sera privilégié que pendant deux ans, à partir de la livraison.
« Ce privilège n'aura d'effet que pour autant que, dans la quinzaine de cette livraison, l'acte constatant la vente soit transcrit dans un registre spécial, tenu à cet effet au greffe du tribunal de commerce de l'arrondissement dans lequel le débiteur aura son domicile, et dont le greffier sera tenu de donner connaissance à toutes les personnes qui en feront la demande.
« Ce privilège pourra être exercé même dans les cas où les machines et appareils seraient devenus immeubles par destination ou par incorporation.
« La livraison sera établie, sauf preuve contraire, par les livres du vendeur.
« En cas de saisie-exécution ou de saisie immobilière pratiquée sur des objets soumis au privilège, ou de faillite du débiteur déclarée avant l'expiralion des deux années de la durée du privilège, celui-ci continuera à subsister jusqu'après la distribution des deniers ou la liquidation de ladite faillite. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, il y a dans le n°2 de l’article de la commission une omission. Il faut dire : « Les sommes dues pour les semences ou pour les frais de la récolte de l’année, sur le prix de cette récolte, et celles dues pour le sustensiles, sur le prix de ces ustensiles. »
M. Jullien. - D’après le projet primitif de la commission, le privilège pour le prix d’effets mobiliers non payés continuait à exister lorsque les objets mobiliers étaient simplement devenus immeubles par destination ou par incorporation.
La commission était d'avis de le maintenir pour ce cas et de le supprimer pour le cas seulement où les objets mobiliers auraient été incorporés clans l'immeuble. M. le ministre de la justice a proposé, lui, de ne maintenir le privilège que pour fournitures de machines et appareils.
Je demanderai si, au moyen de cet amendement de M. le ministre, il sera bien entendu que le privilège pour le prix de tous objets mobiliers non payés cessera alors que les meubles seront devenus immeubles par destination ou par incorporation.
Il ne faut plus qu'il y ait de doute sur cette grave question qui a divisé si longtemps les tribunaux. Il faut une solution claire et nette à cette question.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je désirerais, si l'honorable M. Jullien a un amendement à proposer, qu'il voulût bien le déposer, il est impossible qu'à des questions qu'il poea, il lui soit chaque fois donné une réponse satisfaisante, une réponse mûrement réfléchie. Il faut nécessairement que la commission se mette d'accord avec le gouvernement sur le sens que l'un et l'autre attache à une rédaction.
Ce que l'honorable M. Jullien désire, c'est d'avoir des réponses qui puissent ultérieurement servir à l'interprétation de la loi.
C'est précisément en raison de la gravité qu'il y a à donner des réponses semblables que je demande que chaque fois qu'on désire avoir une explicalion sur une question, on dépose un amendement, sur lequel le gouvernement et la commission puissent se prononcer après sérieux examen.
M. Jullien. - Messieurs, ainsi que je le faisais observer à la chambre, la commission, dans les développements à l'appui de son projet, proposait de maintenir le privilège pour le prix d'effets mobiliers non payés, lorsque ces effets mobiliers n'étaient pas incorporés dans l'immeuble, mais étaient simplement devenus immeubles par destination.
M. le ministre a cru devoir proposer un changement de rédaction auquel la commission s'est ralliée.
Je n'entends pas critiquer ce changement ; mais je demande à la commission et à M. le ministre si, dans leur opinion, le privilège pour le prix d'effets mobiliers non payés, continuera à subsister alors qu'il n'y aura pas eu incorporation du meuble dans l'immeuble, mais simplement immobilisation du meuble par destination.
Ma question, je crois, est claire, et M. le rapporteur doit savoir quelle a été la pensée de la commission.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne comprends pas.
M. Lelièvre, rapporteur. - Messieurs, la disposition est claire et formelle. Dans le système primitif de la commission, l'article 25, n°5, accordait au vendeur un privilège sur le prix des effets mobiliers non payés, pourvu qu’ils fussent encore en la possession du débiteur. Ce privilège cessait si les objets mobiliers étaient incorporés à un immeuble auquel ils étaient attachés.
Dans ce système, le privilège subsistait dès qu’il n’y avait pas incorporation, du moment que les objets mobiliers n'avaient pas contracté une adhérence intime avec l'immeuble. C'est ce que j'ai expliqué dans mon rapport.
M. le minisire a fait disparaître le dernier paragraphe : « néanmoins le privilège vient à cesser, etc. », et la commission s'est ralliée en majorité à cette opinion.
En conséquence, à mon avis, nous restons sous l'empire de la disposition initiale du n°5, et par conséquent le privilège n'existe que sur les effets mobiliers. La seconde phrase n'établissait une exception au privilège que dans le cas d'incorporation.
On n'a évidemment retranché cette disposition que parce qu'on ne l'approuvait pas et on ne pouvait l'improuver que parce qu'on ne voulait pas limiter l'exception à l'hypothèse d'incorporation, que parce qu'on voulait se tenir à la disposition initiale qui ne concernait que les meubles. Par conséquent, du moment qu'il n'est plus question d'effets mobiliers, il n'y a plus de privilège, le privilège vient à cesser.
M. Jullien. - De quelque manière qu'ait lieu l'immobilisation ?
M. Lelièvre. - Certainement.
M. Jullien. - C'est ce que je demandais.
M. Lelièvre. - L'intention du ministre, approuvée par la majorité de la commission, résulte de ce qu'il a laissé subsister au n°5 et de ce qu'il a retranché. Cela devient encore évident en présence de la disposition relative aux machines et appareils à l'égard desquels on maintient le privilège, soit qu'il y ait incorporation, soit qu'il y ait simple immobilisation. C'est là une exception qui confirme la règle et par conséquent maintient le principe du privilège énoncé au commencement du n°5, privilège limité aux effets mobiliers. Voilà au moins ce qui résulte de la disposition telle qu'elle est formulée en ce moment, et sous ce rapport l'interpellation de M. Jullien n'était nullement nécessaire.
M. de Brouckere. - Messieurs, si l'explication de l'honorable rapporteur était admise, il y aurait contradiction dans l'article. Permettez-moi de vous lire le paragraphe 5 : « Le prix d'effets mobiliers non payés, s'ils sont encore en la possession du débiteur, soil qu'il ait acheté à terme ou sans terme. Néanmoins le prix des machines et appareils ne sera privilégié que pendant deux ans à partir de la livraison. »
La seconde phrase est restrictive ; puis pour cette restriction, on change la nature du privilège ; on l'accorde même lorsque l'objet est incorporé, ou lorsqu'il est devenu immeuble par destination.
L'explication que vient de donner l'honorable M. Lelièvre ne résout pas du tout la difficulté. Ou il faudrait retrancher, pour que l'honorable membre eût raison, de l'amendement présenté par M. le ministre, le mot « néanmoins », ou il faut s'expliquer clairement et dire, car telle a été l'intention, « le privilège n'a lieu pour les objets mobiliers qu'aussi longtemps qu'ils restent meubles ».
La commission n'a voulu accorder aucun privilège, ni pour les objets devenus immobiliers par incorporation, ni pour ceux qui auraient été immobiliers par destination.
M. le président. - Ce qui vient de se passer prouve la nécessité de ne faire aucun changement à des projets de loi aussi importants que celui dont il s'agil avant d'y avoir mûrement réfléchi. Car il pourrait en résulter des bigarrures, et souvent aussi des explications pourraient servir, lorsqu'il s'agira d'appliquer la loi, à induire le juge en erreur.
Sans doute, tout membre a le droit de faire des interpellations, mais une interpellation doit aboutir à une conclusion. Mieux vaudrait donc déposer un amendement. Je crois que l'objet est assez important pour qu'on y réfléchisse jusqu'à demain.
M. de Brouckere. - On peut réfléchir jusqu'à demain, mais j'explique l'esprit dans lequel la commission dont je faisais partie a conçu l'article.
M. Lelièvre. - Je pense avoir clairement expliqué l'article. Le n°5 porte :
« Le prix d'effets mobiliers non payés, s'ils sont encore en la possession du débiteur, soit qu'il ait acheté à terme ou sans terme. »
Que résulte-t-il de cette disposition ? C'est que le privilège n'a lieu qu'autant qu'il s'agit d'objets mobiliers.il n'en est donc pas question, s'il s'agit d'immeubles par destination.
Mais, dit l'honorable M. de Brouckere, en ce cas le mot « néanmoins » doit être rayé. Mais veuillez remarquer que ce mot a sa signification. D'après le premier paragraphe le privilège subsiste aussi longtemps que les meubles se trouvent dans la possession du débiteur, tandis que pour les machines et les appareils, le privilège n'existe que pendant deux ans à partir de la livraison. Voilà pourquoi est écrit le mot « néanmoins ». La disposition première est modifiée pour les machines quant à la durée du privilège.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est pour éviter le elanger d'explications contradictoires que j'ai demandé le renvoi à la commission, et ce qui vient de se passer prouve que j'avais parfaitement raison. Voici la source des difficultés auxquelles donne lieu cet article.
Dans la loi sur les faillites, on avail supprimé toute espèce de privilège au profit du vendeur d'effets mobiliers ; le sénat a introduit un amendement qui maintenait le privilège en faveur du constructeur de machines et appareils ; la chambre s'est rangée à l'opinion du sénat et a adopté un (page 593) article dont le paragraphe que j'ai proposé comme amendement à la loi sur les hypothèques, n'est que la reproduction.
Je crois, messieurs, que l'article tel qu'il est rédigé ne tranche pas la difficulté qui est soulevée et qu'il est nécessaire que la commission examine la question de plus près. Quand j'ai rédigé l'article, je me suis principalement préoccupé de mettre la loi sur les hypothèques en rapport avec la loi sur les faillites. Aujourd'hui, si j'ai bien compris l'honorable M. Jullien, il s'agit de savoir quel sera le sort du vendeur d'objets mobiliers qui seront devenus immeubles soit par destination, soit par incorporation et qui n'appartiennent pas à la catégorie des machines et appareils. Voilà la question. Eh bien, je désire qu'elle soit examinée par la commission qui fera un rapport à la chambre.
M. de Brouckere. - Messieurs, je vous demande pardon de revenir à la charge ; mais la commission qui s'est primitivement occupée du projet, a voulu autant que possible restreindre les privilèges ; c'est dons cet esprit que la rédaction du projet a été conçue. Maintenant en supprimant un seul mot et en réunissant deux paragraphes, on peut rendre l'article tellement clair que tout procès sera impossible. Il s'agirait de dire :
« Le prix d'effets mobiliers non payés, s'ils sont encore en la possession du débiteur, soit qu'il ait acheté à terme ou sans terme. Le prix des machines et appareils ne sera privilégié que pendant deux ans, à partir de la livraison ; mais, par exception, ce privilège est conservé alors même que les objets dont il s'agit seraient immobilisés soit par destination, soit par incorporation. »
M. Jullien. - Messieurs, je pense que toute difficulté sera levée et que l’article sera en concordance parfaite avec l’esprit qui a présidé à la rédaction du projet de loi si on insère à la suite du paragraphe premier, ces mots : « Et pour autant que les effets mobiliers ne soient pas devenus immeubles par destination ou incorporation. »
Viendrait ensuite l'amendement de M. le ministre.
M. Orts. - Je voudrais appeler l'attention de la commission sur deux dispositions du Code de procédure civile, qui doivent être mises en harmonie avec l'article dont nous nous occupons. Ce sont les articles 592 et 593 du Code de procédure civile. Ensuite, si ma mémoire est fidèle, je crois qu'il serait bon de jeter un coup d'œil sur un des premiers articles de la loi relative aux mines de 1810.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.