(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 491) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« La chambre de commerce et des fabriques de Tournay demande une modification à l'article 9 de la loi du 22 avril 1849, si cette disposition devait être interprétée comme s'opposant à ce que les fabricants joignent, soit une facture, soit une lettre d'avis aux marchandises qu'ils expédient. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre de la justice adresse à la chambre, avec le dossier de l'instruction, la nouvelle demande en naturalisation ordinaire, faite par le sieur François-Barthélémy Ferrand.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le ministre de l’intérieur fait parvenir à la chambre la lettre ci-après :
« Bruxelles, le 22 janvier 1851.
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint copie d'un arrêté royal en date de ce jour, par lequel M. l'intendant en chef Servacs, directeur de la 6ème division, administration, au département de la guerre, est nommé commissaire pour la discussion du budget du même département pour l'exercice 1851 à la chambre des représentant et au sénat.
« Agréez, M. le président, l'assurance de ma plus haute considération.
« Le ministre de l'intérieur chargé par intérim du portefeuille du département de la guerre,
« Ch. Rogier. »
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Sur la proposition de Notre Ministre de la guerre,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. L'intendant militaire en chef Servaes (P.-N.), directeur de la 6ème division, administration, au département de la guerre, est nommé commissaire pour la discussion du budget du même département, pour l'exercice 1851, à la chambre des représentants et au sénat.
« Art. 2. Notre Ministre de la guerre par intérim est chargé de l'exécution du présent arrêté.
« Donné à Bruxelles, le 22 janvier 1851.
« Léopold.
« Par le Roi,
« Le ministre de l'intérieur, chargé par intérim du département de la guerre,
« Ch. Rogier. »
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, par requête en date du 17 janvier 1851, Mme la comtesse de Hompesch expose que, confiante dans les engagements solennels du gouvernement et dans des promesses qu'elle était en droit de croire sacrées, elle a consenti à garantir sur ses propriétés les sommes nécessaires au maintien de la colonie belge de Santo-Tomas menacée dans son existence en 1844 ; que, par suite de cette garantie, il doit être procédé le 21 de ce mois à la vente judiciaire des biens de l'exposante. En conséquence, cette dame vient se placer sous la protection des représentants de la nation, en leur demandant d'autoriser le gouvernement à prendre les mesures immédiates pour prévenir un malheur irréparable et pour proposer les moyens de réparer les pertes que la dame exposante a éprouvées par suite des faits ci-dessus mentionnés. Dans cette requête, Mme la comtesse de Hompesch fait un appel à l'honneur national.
Aucune pièce justificative n'est jointe à cette pétition. Votre commission s'est donc trouvée dans l'impossibilité de vérifier les faits sur lesquels elle s'appuie, notamment l'existence des engagements solennels qui auraient été pris par le gouvernement. Bien que la question soulevées par la requête semble être placée dans le domaine du droit civil, et par conséquent rentrer dans les attributions du pouvoir judiciaire, votre commission a pensé que l'appel adressé par Mme de Hampesch à l'honneur national nécessite quelques explications de la part du gouvernement, et une satisfaction si la demande adressée à la chambre est reconnue juste et bien fondée.
S'il est vrai que c'est, en réalité, aux avances que la requérante a consenti à garantir sur ses propriétés que la colonie de Santo-Tomas doit son maintien et son existence actuelle ; s'il est vrai surtout que le gouvernement ait pris des engagements à ce sujet, la chambre ne doit pas rester indifférente, car la colonie dont il s'agit paraît avoir acquis une importance commerciale dont notre industrie et notre marine marchande doivent profiter.
Par ces considérations, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre des affaires étrangères avec demande d'explications.
Par décision en date du 21 janvier 1851, la chambre a renvoyé à la commission des pétitions une requête de M. de Binckum, ancien représentant, dans laquelle il expose que sa position vis-à-vis du gouvernement est la même que celle de Mme de Hompesch ; qu'en effet l'exposant a versé des sommes considérables dans l'intérêt du maintien de la colonie de Santo-Tomas et qu'il ne l'a fait qu'après l'assurance qui lui avait été donnée par trois ministres de cette époque que l'engagement contracté et signé entre M. de Hompesch au nom de la compagnie et de deux ministres au nom du gouvernement, était chose sérieuse et que l'exposant pouvait, avec confiance, soutenir la compagnie par des avances pécuniaires.
M. de Binckum invoque, en faveur des faits qu'il avance, le témoignage de quelques-uns de nos honorables collègues, MM. Mercier et Veydt, anciens ministres des finances, de. Mérode, De Pouhon et autres, et il demande qu'il lui soit alloué une juste indemnité.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre des affaires étrangères avec demande d'explications.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, les faits dont il s'agit dans les pétitions sur lesquelles on vient de présenter un rapport remontent à une époque déjà ancienne. Les questions qu'ils soulèvent ont été agitées à plusieurs reprises dans le sein de la chambre : l'administration actuelle est entièrement étrangère à ces faits qui ne la concernent ni de près, ni de loin. Si les pétitions étaient renvoyées au gouvernement, le simple effet de ce renvoi serait d'obtenir des renseignements sur la situation de cette affaire. Quant aux explications, elles ont été données autrefois par les ministres que l'affaire concernait. En ce qui regarde le ministère actuel, il n'a posé aucun acte, il n'a prononcé aucune parole d'où il puisse résulter qu'il ait pris un engagement quelconque à l'égard des réclamants ; le ministère actuel a écouté avec bienveillance les réclamations nombreuses et incessantes qui lui ont été adressées ; mais il est complètement faux qu'il ait pris aucun engagement direct ou indirect à l'égard des réclamants.
M. de Theux. - Messieurs, je dois déclarer comme l’honorable M. Rogier, que les faits dont il s’agit sont complètement étranger au ministère dont j’ai eu l’honneur de faire partie.
M. Mercier. - Messieurs, ainsi que M. le ministre de l'intérieur vient de le rappeler, des explications ont été données, au sein de cette chambre, dans des discussions antérieures, par le ministère que cette affaire concernait ; je ne pourrais rien ajoutera ces explications.
M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, la commission, en proposant le renvoi des pétitions à M. le ministre des affaires étrangères, avec demande d'explications, n'a pas eu pour but d'inculper un ministère quelconque. Comme les pétitionnaires font appel à l'honneur national, il a semblé à la commission qu'on ne pouvait point passer par un dédaigneux ordre du jour sur un appel de ce genre ; il nous a semblé que des explications, qui pouvaient résulter des pièces et des documents, adresses au ministère actuel, étaient de nature à satisfaire et la chambre et le pays, pour autant qu'ils dussent s'intéresser à cette réclamation. Cette demande d'explications n'est donc qu'une demande de renseignements ; ces renseignements n'ont pour but que d'éclairer les membres de cette chambre sur le fondement plus ou moins réel des réclamations des requérants.
M. de La Coste. - Messieurs, je pense que la question qui doit occuper la chambre et le ministère n'est pas de savoir si, à telle ou telle époque, tel ou tel ministère a eu tort ou raison ; mais la question est de savoir s'il y a quelque chose à faire. C'est là une question toute pratique qui mérite d'être examinée, et l'objet me paraît assez important pour que les ministres ne se refusent pas à donner les explications que les conclusions de la commission tendent à obtenir.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si ce sont de simples renseignements que l'on demande à l'administration actuelle, elle ne se refusera pas à les fournir aussi complets qu'elle peut le faire ; mais des explications supposent engagement de la responsabilité du ministère.
M. le président. - Les conclusions de la commission sont modifiées en ce sens qu'elles se bornent à une simple demande de renseignements.
M. de Mérode. - Je veux simplemeat rappeler, à l'occasion de la pétition qui vous est adressée, que Mme la comtesse de Hompesch est en quelque sorte fondée à demander des explications au ministère actuel, (page 492) sur la conduite que doit tenir un gouvernement ; car différents journaux ont rapporté des paroles de M. le ministre de l'intérieur actuel, et ces paroles indiquaient que le gouvernement avait eu tort à l'égard de M. de Hompesch.
Tous les gouvernements sont solidaires des actes de leurs prédécesseurs, de sorte que si le gouvernement précédent a eu tort, s'il a contracté des obligations, ces obligations existent encore aujourd'hui, et c'est au ministère actuel à y faire face.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quant aux paroles que j’ai prononcées dans cette enceinte, je n’ai rien à y changer ; mais si on m’oppose les obligations que j’aurais prises, je les nie formellement.
M. de Denterghem. - Les explications qui ont été données par le gouvernement sont tout simplement des tronçons de lettres qui ont semblé accuser les personnes qui ont participé à l'organisation de la colonie. Je crois qu'il est tout à fait convenable que l'on fournisse des explications claires, de manière à ne laisser personne sous le coup de ces insinuations qui sont très regrettables ; la position doit s'éclaircir et, sous ce rapport, je le répète, je crois nécessaire que l'on fournisse des explications.
M. de Perceval. - Dans la question soulevée par ces deux requêtes, il faut évidemment que le gouvernement parle et qu'il donne des renseignements officiels à la législature. J'appuie donc les conclusions de la commission des pétitions.
Nous devons connaître toutes les phases des affaires qui touchent de près ou de loin à la fondation de la colonie belge de Santo-Tomas. Il y a, dans la question qui fait l'objet de ce débat, un principe de loyauté qui la domine et que la chambre ne saurait perdre de vue.
Je désire, avec l'honorable rapporteur, que ces deux requêtes soient renvoyées à M. le ministre des affaires étrangères avec demande de renseignements. Quand ces renseignements nous auront été fournis, nous les discuterons et nous les apprécierons.
- La discussion est close.
Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Osy. - L'honorable ministre de l'intérieur ne se trouvant pas hier à la chambre lors de la discussion des traités de commerce, je renouvellerai mon interpellation d'hier.
Les traités pour la prime d'exportation des tissus de coton et de lin étant expirés au 1er janvier, je désirerais savoir, dans l'intérêt même de l'industrie, si les intentions du gouvernement sont de renouveler en abaissant graduellement le taux de la prime, comme le gouvernement l'avait dit à plusieurs reprises, tant dans cette enceinte qu'au sénat.
Vous comprenez, messieurs, qu'il est nécessaire pour l'industrie de savoir à quoi s'en tenir. Car, si pendant quelques mois on ne donnait pas les primes d'exportation et qu'elles fussent rétablies plus tard, ceux qui exportent aujourd'hui seront lésés et se trouveront dans une fâcheuse position en regard de ceux qui exporteraient plus tard avec primes.
Je crois donc qu'il est nécessaire que l'industrie connaisse l'intention du gouvernement ; s'il n'a pas l'intention de rétablir la prime par arrêté royal, je n'aurai rien à y dire ; mais je désire savoir quelles sont les intentions du gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, au moment où mon honorable collègue, M. le ministrc des affaires étrangères, m'a entretenu de la question des primes, le ministère de l'intérieur examinait, en effet, les diverses raisons mises en avant pour le maintien des primes. Depuis lors, le ministère de l'intérieur, qui est spécialement chargé de cette affaire, a reconnu qu'il était impossible de proroger au-delà du 1er janvier le terme qui avait été fixé pour la cessation de ces primes.
Les industriels ont été avertis six mois à l'avance que les primes finiraient avec l'année 1850. Sous ce rapport, il n'y a pas eu de mécompte pour eux. Si les crédits qui ont été mis à la disposition du gouvernement n'étaient pas complètement épuisés, peut-être y aurait-il lieu d'examiner si, pour un délai très court, on n'aurait pas pu continuer l'allocation de ces primes ; mais le crédit étant épuisé, nous n'avons pas pensé que l'intention de la chambre fût d'accorder un nouveau crédit pour cet objet. Nous avons dû, dans ces circonstances, maintenir les arrêtes pris pour faire cesser les primes avec 1850.
M. Cools. - Messieurs, appartenant à la majorité de cette assemblée et espérant bien pouvoir continuer dans la suite à accorder mon concours au ministère, comme je l'ai fait jusqu'à présent, vous comprenez que je ne suis pas disposé à prononcer un long discours, lorsque pour la première fois, je viens me prononcer contre sa politique dans une question importante, lorsque je dois venir faire entendre des paroles de blâme pour l'altitude qu'il a prise dans la discussion à laquelle nous nous livrons.
J’aurais désiré me renfermer dans un vote silencieux, si cette position avait suffi pour faire comprendre ma pensée. Mais comme, par la force des choses, je devrai me prononcer probablement dans le même sens que lui, lorsqu'il s'agira d'aller aux voix, force m'est bien de présenter quelques observations, pour indiquer la signification que je désire voir attacher à mon vote.
C'est, je dois le dire, dans un pénible recueillement, j'ajouterai même que ce n'est pas sans une certaine inquiétude que j'ai entendu la déclaration faite à l'origine de ces débats au nom du cabinet ; plus tard je l'ai relue avec attention dans le silence, chez moi, et mon appréciation est restée la même. Dès l'origine, je n'ai pas pu comprendre comment le cabinet avait pu se mettre d'accord sur une pareille déclaration, où tout est vague et mystérieux, et je me suis fait cette question avant même que les explications de M. le ministre de la guerre et la démarche qui les a suivies ne soient venues nous apprendre que même, parmi les signataires de ce programme, il s'en est trouvé qui se sont mépris sur sa portée.
A travers les termes vagues dans lesquels il est conçu, je n'ai pu y saisir qu'une seule pensée, et cette pensée n'est pas une pensée grande, nationale, mais une mesquine pensée d'économie.
C'est l'idée préconçue d'adopter le budget de la guerre dans un temps déterminé, il n'importe comment, on ne sait de quelle manière, à un chiffre immuable de 25 millions.
Ces paroles auraient eu une signification toute naturelle dans la bouche des honorables membres qui se sont opposés, les années précédentes, avec le plus d'énergie, au budget tel qu'il était présenté par le ministère, par exemple dans la bouche de l'honorable M. d'Elhoungne.
Et c'est avec intention que je cite ce nom, qui a déjà été prononcé par d'autres que moi, car c'est bien cet honorable membre qui a en quelque sorte dirigé l'attaque contre le budget de la guerre en 1849, et qui obtient aujourd'hui un succès complet. C'est là un point très important.
Le dernier orateur, qui a parlé avant moi, a dit quelque chose sur ce point ; je désire également m'y arrêter un instant. Pour justifier la protestation que je fais contre l'attitude du cabinet, il m'importe qu'il soit constaté pour tout le monde, que c'est nous, membres de la majorité, nous qui avons appuyé avec loyauté, avec une entière conviction la position prise par le ministère, qu'on veut maintenant faire passer dans le camp de la minorité.
Rappelez-vous ce qui s'est passé.
En 1849, l'honorable M. d'Elhougne avait prononcé un discours des plus incisifs contre le budget de la guerre. Ce discours, aux yeux des membres qui ne partageaient pas son opinion, avait tout au moins un tort ; c'était de ne pas conclure.
M. le ministre de l'intérieur s'en est aperçu le premier ; il a fait tous ses efforts pour faire sortir de la conscience de l'honorable membre l'expression claire, nette, précise de sa pensée. Il lui a dit :
« Vous parlez d'économie. Entendez-vous par là le chiffre de 25 millions ? Ce chiffre est-il votre dernier mot ? »
Aussitôt, l'honorable membre s'est empressé de s'écrier : Certainement non !
N'est-ce pas, pour le dire en passant, la preuve de ce que je prétends après d'autres qui l'ont déjà observé avant moi, que sur cette question on votera toujours avec des réserves, qu'après avoir obtenu une concession, on se taira peut être pendant quelque temps ; mais on viendra de nouveau, après un certain temps, en demander d'autres. Quoi qu'il en soit, M. le ministre de l'intérieur ne s'arrêta pas devant cette réponse et il prononça les paroles suivantes :
« Pour le moment, il paraîtrait que la différence entre l'honorable membre et nous se résume dans une somme de 2 millions, dans la différence entre 27 et 25 millions. »
Vous vous le rappelez, l'honorable représentant de Gand garda le silence. Ce silence et l'attitude de cet honorable membre que nous nous rappelons tous, indiquaient assez qu'on pouvait y voir un acquiescement sur ce point, s'il y avait le moindre doute, l'honorable M. d'Elhoungne lui-même se serait chargé de le dissiper dans la discussion qui eut lieu l'année suivante.
On lui faisait remarquer de nouveau que les observations qu'il avait faites en 1849 manquaient de base logique, qu'on ne savait pas quelle pensée elles renfermaient. Il répondit aussitôt : « On nous reproche de ne pas donner de base logique à nos attaques. Dans le discours que j'ai prononoé l'année dernière, j'ai cité tous les budgets qui avaient été présentés jusqu'en 1842, et dans lesquels la dépense ordinaire, normale de notre état militaire était invariablement fixée à 25 millions. On a donc des précédents, on a une base logique. »
Peut on déclarer, d'une manière plus explicite, que provisoirement on se contentera du chiffre de 25 millions ?
Messieurs, lorsqu'on relit ces discours, on y trouve la preuve que le langage que tient le minislère en ce moment n'en est, en d'autres termes, que le résumé. Ces discours se réduisent à ceci : La situation actuelle est essentiellement provisoire. L'armée coûte trop ; il faut des économies ; elles ne peuvent pas être réalisées à l'instant même ; aussi nous demandons des délais. Provisoirement, nous nommerons une commission d'enquête. Nous ne voulons pas préjuger à quel résultat elle arrivera, quel est le chiffre auquel elle descendra ; mais provisoirement nous croyons pouvoir mettre en avant le chiffre de 25 millions ; on pourra déjà dès à présent l'accepter comme un gage.
Voilà, messieurs, ce qu'aurait pu dire l'honorable M. d'Elhoungne. Mais si, au lieu de l'honorable général Brialmont, parlant au nom du cabinet, c'était lui qui avait pris la parole, surtout s'il avait parlé comme dépositaire du pouvoir, je lui aurais répondu comme je réponds aujourd'hui au ministère ; les questions que nous traitons sont d'un ordre trop élevé pour se supputer par sous et deniers. Je nevyous demande pas à quel prix vous vous offrez à nous fournir une armée ; mais.je demande (page 493) que vous nous donniez une armée bonne, solide, capable de remplir sa mission.
Je désire naturellement qu'elle coûte le moins possible ; mais je demande, avant tout, qu'elle soit à la hauteur des devoirs qu'elle aura à remplir.
Tachez de faire pénétrer dans nos âmes la conviction que l'organisation que vous voulez lui donner est la mieux appropriée aux besoins du pays ; et dites-nous après ce qu'elle doit coûter.
Demandez-nous hardiment tout l'argent, tous les fonds qui vous sont nécessaires, nous vous l'accorderons.
Voilà ce que j'aurais répondu à l'honorable député de Gand ; je ne puis faire une autre réponse au cabinet de 1850.
On s'étonne de l'émotion que cette déclaration a produite. Nous la concevrions, dit-on, si vous étiez en présence d'un chiffre de 29 ou de 30 millions, car vous devez avouer que c'est là le chiffre qui est en rapport avec la loi d'organisation de 1845. Mais ce chiffre n'existe plus. On est déjà descendu successivement à 27, à 26 millions. Il ne s'agit plus que de faire un pas de plus.
Ici, messieurs, pardonnez-moi une petite digression ; permettez-moi de dire qu'on fait erreur. Nous ne sommes pas descendus au chiffre de 26 millions ; nous sommes descendus à 26 millions et demi, et d'après les documents que nous avons sous les yeux, ce chiffre est fictif. Il y a erreur de 400,000 fr. en ce qui concerne les fourrages. C'est donc 27 millions qu'il faut dire.
On nous dit bien que ce surcroît de dépense, on le prendra sur d'autres ressources ; on le prendra sur les excédants qu'offrent les budgets précédents. Mais remarquez-le bien, plus tard cette dépense sera remplacée par une autre. Si l'on doit vous demander davantage aujourd'hui pour les fourrages, une autre année on devra vous demander davantage pour le prix du pain, pour la subsistance du soldat. Car le prix du grain n'est pas aujourd'hui au taux normal. Il s'élèvera plus tard ; il faudra donc remplacer les 400,000 francs par une somme à peu près équivalente pour l'enlrelien du soldat.
Et remarquez que plus tard aussi vous ne pourriez plus couvrir cette dépense de la manière que vous voulez le faire aujourd'hui, sur les excédants des budgets. Car si vous réduisez les budgets à leur dernière limite, vous ne trouverez plus d'excédants sur lesquels vous puissiez prendre un surcroît de dépense. L'économie qu'il s'agit donc de réaliser encore dans l'avenir n'est pas de un, mais de deux millions.
Quoi qu'il en soit, je prends le raisonnement de M. le ministre tel qu'il est. Il nous dit qu'il ne s'agit plus que d'économiser un million de plus, de descendre de 26 à 25 millions ; c'est 5 p. c. sur le chiffre du budget.
Dans quelle intention nous a-t-on fait ce raisonnement ? Si c'est dans celle de nous rassurer, je dois déclarer qu'on a atteint un but tout opposé. C'est précisément ce langage-là qui m'effraye.
Je n'admets pas que, parce qu'une année on a fait un pas en arrière, il faille en faire un second l'année suivante.
La plus mauvaise position que l'on puisse prendre, c'est celle dans laquelle on consent à céder tous les jours un peu de terrain.
Disons-le tout d'abord : je suis complètement rassuré sur les tendances des hommes que j'ai devant moi. J'ai l'intime conviction que, des deux côtés de la chambre, on ne s'inspire que de l'amour du pays et qu'à des points de vue différents, on ne cherche qu'à faire au pays le plus de bien possible. Mais, messieurs, qu'on ne le perde pas de vue, en dehors de cette chambre, il y a ce qu'on appelle communément la queue des partis ; il y a des hommes, inexpérimentés ou coupables, qui font consister le progrès dans l'abaissement successif de tout pouvoir, qui ne voient aucun danger à pousser le char de l'Etat sur une pente où il descend tous les jours un peu plus. Ces hommes, le plus souvent, ne se doutent même pas du danger auquel ils exposent le pays en cherchant à propager leurs idées dans les masses. La situation qu'ils créeraient, s'ils pouvaient réussir en faisant tomber une à une toutes les résistances, aboutirait infailliblement à une catastrophe.
Prenons-y garde, messieurs ; dans toute assemblée délibérante (et en disant cela je crois ne faire injure à aucun de mes honorables collègues), dans toute assemblée délibérante, il se trouve des membres qui ne se prémunissent pas assez contre le danger de ces sortes d'entraînement, qui s'y laissent aller avec trop de facilité. Ces membres s'imaginent qu'après avoir cédé une partie de leurs armes par esprit de conciliation, ils seront toujours assez forts pour opposer une résistance efficace à ceux qui voudraient les entraîner trop loin.
Quant à moi, je ne partage pas ce fol espoir, cette funeste illusion. Je ne conteste pas que les systèmes de résistance offrent leurs dangers ; l'histoire nous l'apprend assez ; mais je prétends aussi que le parti pris d'avance de faire cesser toute opposition au moyen de concessions successives, en offre de beaucoup plus grands. Et l'histoire est également là pour le certifier.
Je crois qu'il est des questions dans lesquelles il faut savoir se roidir à temps, plutôt trop tôt que trop tard. Au nombre de ces questions se trouvent surtout celles qui intéressent l'honneur du pays, la défense du territoire, le maintien de la tranquillité publique. Lorsque les hommes qui sont au pouvoir ont à traiter ces sortes de questions, j'aime à entendre sortir de leur bouche un langage mâle et énergique, car un pareil langage me rassure.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous avons mieux que cela ; nous avons nos actes.
M. Cools. - Ces paroles auraient été le garant de vos actfs pour l'avenir ; elles auraient constitué entre vous et nous un engagement.
Je le demande à vous tous, messieurs ; les paroles que vous avez entendues, avaient-elles ce caractère ? Quant à miu, je n'ai pu y trouver que faiblesse et indécision. A la vérité, pour détruire le mauvais effet de ces déclarations, on a présente quelques explications tardives ; on a dit que le chiffre de 25 millions n'était présenté que comme une éventualité ; on n'y descendra que dans le cas où l'on croira pouvoir le faire, sans diminuer en rien la force de nos institutions militaires.
Mais, messieurs, qu'on ne s'y trompe pas, le chiffre de 25 millions est prononcé, il est donné et accepté de part et d'autre, comme une sorte de gage ; dans la pensée de cet être collectif qu'on appelle le cabinet, ce chiffre doit être atteint un jour, et on se propose bien d'y arriver d'une manière ou de l'autre. Ou bien la dépense générale de l'armée sera renfermée dans le chiffre de 25 millions au bout d'un certain temps, ou le ministère que nous avons devant nous n'existera plus.
Je permets volontiers que dès à présent on prenne acte de ma prédiction.
Que m'importe, après cela, que quelques ministres fassent encore des réserves, qu'ils n'acceptent ce chiffre de 25 millions que sous bénéfice d'inventaire ? Ces scrupules honorables, je le crains bien, et je le dis avec une douleur profonde, ces scrupules s'apaiseront ; les réserves seront mises à l'écart, et l'on finira par se rallier à l'opinion qui veut des économies à tout prix et qui imposera son chiffre fatal.
Je ne dirai rien de la loi d'organisation de 1845 ; sur ce point je proclame ma complète incompétence ; mais puisqu'on va nommer une commission, je ne trouve pas mauvais qu'on lui donne des pouvoirs très étendus, qu'elle soit chargée d'examiner toutes les questions qui touchent à l'armée, les questions d'organisation comme les autres, et surtout celles qui se rattachent au système de la défense du pays.
Je ne demande qu'une chose ; c'est qu'on se hâle de se mettre à l'œuvre ; c'est que la commission arrive promplement à un résultat, afin que nous sortions de la situation où nous nous trouvons, et qui est pleine de périls pour le pays.
En attendant, je ne pourrai, à moins d'incidents imprévus, refuser mon vote au budget de la guerre, puisque toute ma sympathie est acquise à l'armée ; mais si j'émets ce vote, ce sera dans le sens des corrections faites par M. le ministre de l'intérieur, dans une des premières séances, à la déclaration collective du cabinet, ce sera avec la réserve formelle que pour le budget de 1852 toutes les opinions sont sauves, que personne ne s'engage, ni pour ce chiffre de 25 millions, ni pour un autre.
M. Malou. - Messieurs, le débat se trouve replacé aujourd'hui au point où il était, il y a huit jours. Un seul fait nouveau s'est produit : la démission de l'honorable minisire de la guerre. Selon une expression que l'honorable M. Rogier employait en 1843, l'honorable général Brialmont est mort vaillamment sur la brèche, en défendant la cause de l'armée.
C'est la première fois que des questions si graves, qui se lient si étroitement à une de nos grandes institutions se trouvent agitées et vont être résolues sans que l'armée ait un de ses membres pour la représenter au banc ministériel. C'est là un fait nouveau, un fait sans exemple dans nos annales.
Je ne me fais pas, je ne me suis jamais fait illusion sur l'issue de ce débat. Lorsque les défenseurs d'une place assiégée invitent les assiégeant à entrer avec eux, la place est prise. Nous le savions dès le premier jour de la discussion.
Nous devons nous féliciter cependant que la lumière se soit faite. Les explications données dans la séance de vendredi par M. le ministre des finances me paraissent signifier que le résultat du vote demandé à la chambre sera de remettre en question tout ce qui se rattache à l'existence de l'armée, et en première ligne la loi d'organisation de l'armée.
Il ne s'agit donc pas de savoir si on fera une économie de quelques centaines de mille francs, soit immédiatement, soit successivement, mais de savoir si nous sommes dans des circonstances où il convienne de réviser la loi organiqne de l'armée. Je pense que sur cette manière de poser la question nous serons tous d'accord ; je regrette que nous ne puissions l'être sur la solution à donner à la question.
En d'autres temps, j'ai entendu soutenir avec beaucoup de talent le principe de la stabilité de nos lois organiques. Il s'agissait cependant alors plus d'une fois de questions d'une importance secondaire. Par exemple, il s'est agi un jour de savoir si les électeurs appelés dans les comices mettraient sur un seul et même bulletin les noms des représentants et des sénateurs ; et l'on nous accusait violemment, parce que nous proposions de faire à l'une de nos lois ce changement bien inoffensif.
Aujourd'hui, les temps sont changés, l'instabilité de nos lois organiques est en quelque sorte érigée en principe ; les lois organiques ne disparaîtraient pas seulement devant la majorité parlementaire ; elles disparaîtraient encore devant les minorités. Au principe constitutionnel, que les majorités font loi, vous voulez substituer le principe que les minorités font loi ; ce principe vous mènera très loin.
M. Delfosse. - C'est la majorité qui décidera.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Que la majorité ne se fasse pas faire la loi par la minorité.
M. Malou. - L'année dernière, M. le ministre de l'intérieur disait à mes honorables amis qu'il acceptait leur vote avec reconnaissance. Aujourd'hui que voyons-nous ? Tout le débat est dirigé vers cette idée, qu'il (page 494) faut que désormais le budget de la guerre soit voté par la majorité politique du ministère seule, et que nos votes ne doivent pas y concourir. Il paraît vraiment, car je ne puis interpréter autrement vos discours, il paraît que la reconnaissance vous pesait.
Mais quelle est cette raison politique nouvelle ? Il faut que les lois organiques soient maintenues ; il faut que toutes les lois soient votées par le seul concours de la majorité politique du cabinet.
« Vous avez, dites-vous, un appui équivoque, dangereux. Il importe au pays et (l'on est allé jusqu'à le dire), il importe à la tranquillité du pays, que la majorité politique du ministère ne soit pas divisée. C'est le seul moyen de sauvegarder l'avenir de l'armée. »
Messieurs, voyons ce qui s'est fait dans notre pays, non pas depuis quelques années, mais depuis que la Belgique existe, avant même qu'elle existât. Dites-moi si l'existence de la Belgique n'est pas le résultat de l'accord honorable, publiquement conclu, entre les deux grandes opinions qui divisaient le pays.
Dites-moi si, sans l'union de ces deux grands partis, la Belgique existerait, si un seul des actes qui ont fait la Belgique ce qu'elle est, qui lui ont donné assez de force pour résister à la tempête de 1848 ; si un seul de ces actes a été un acte de parti ; si nous n'avons pas tous, quelle que soit l'opinion à laquelle nous appartenions, une part à revendiquer dans ce résultat national.
La Belgique existe, parce qu'on a prêché, non pas l'homogénéité des partis, mais l'homogénéité nationale ; la révolution s'est faite, la Constitution a été votée parce que le principe que vous soutenez aujourd'hui n'était pas admis ; la Belgique existe, parce que dans la solution de ses difficultés extérieures, comme dans le développement de ses iustitutions à l'intérieur, ce principe a été constamment proscrit.
Notre appui était équivoque, dangereux, dites-vous. Mais où pouvait être le danger, soit pour le gouvernement, soit pour le pays, lorsque nous venions, selon nos convictions, apporter au ministère le concours de notre vote pour sauvegarder et maintenir toutes nos institutions, et surtout celle qui sert de garantie à toutes, l'organisation complète de la force publique ?
Je suppose un instant que cet appui, qui a toujours été franc et sincère de notre part, eût été retiré un jour par nous dans une idée de tactique parlementaire, quel pouvait en être le résultat ? Les intérêts de l'armée étaient-ils compromis ? En aucune façon ; les portefeuilles ministériels pouvaient être compromis, mais le sort de l'armée ne l'était pas, et veuillez-le remarquer, messieurs, ce sont deux choses entièrement distinctes.
J'admire cette grande prévoyance : Il s'agit d'assurer la sécurité de l'armée ; mais, permettez-moi de le dire, vous ressemblez un peu à ce médecin qui donnerait une maladie pour avoir l'honneur, pour se donner le plaisir d'une cure merveilleuse.
L'armée n'est pas inquiète ; vous faites naître l'inquiétude.
Vous voulez assurer la sécurité de l'armée ; vous craignez qu'un jour le vote de la majorité ne vienne à lui manquer, et vous cédez dès aujourd'hui.
Votre politique peut être comparée encore à celle d'un personnage très connu, très populaire, mais qui ne passe pas pour un homme d'Etat ; à celui qui se jetait à l'eau lorsqu'il voyait poindre à l'horizon un nuage. (Interruption.)
Si ma comparaison excite l'hilarité de la chambre, c'est sans doute parce qu'elle lui paraît juste.
L'armée était-elle inquiète, pouvait-elle l'être ? Non sans doute ; elle avait pour appui une majorité forte, compacte, prise dans les deux opinions qui divisent le pays ; le mouvement le plus récent de l'opinion, d'après les faits électoraux, avait eu pour résultat de fortifier cette minorité qui vous avait prêté un appui si complet sur la question du budget de la guerre.
C'est une étrange manière encore d'assurer la sécurité à l'armée que de tout remettre en question, de l'encommissionner, de la mettre en quelque sorte en fourrière pour un temps indéfini. Et, en effet, messieurs, on ne peut pas se dissimuler que ces questions sont très graves, que les solutions peuvent être cherchées longtemps, que l'armée peut être pendant plusieurs mois, pendant des années peut-être, sous l'empire de cette inquiétude, dans cette absence complète de sécurité pour son existence, pour son avenir.
Vous me dites : Il importe que notre majorité ne soit pas divisée. Mais, messieurs, il y a un intérêt plus élevé que celui-là, c'est que le pays ne soit pas divisé. Et quel est le principe que vous opposez ? Encore une fois, c'est le principe le plus clair, le plus absolu de l'intolérance politique, c'est la déclaration implicite qu'il ne nous est pas permis à nous, membres de la minorité, d'exercer sur les décisions de la chambre une influence quelconque. C’est là un principe qui n'a été admis dans aucun pays, c'est l'intolérance politique portée à la troisième puissance.
Si cette situation que vous vous plaisez à détruire, n'existait pas, il faudrait faire pour l'établir des efforts très énergiqucs, plus énergiques peut-être que ceux que vous faites aujourd'hui. C'est ce que vous feriez si vous songiez à l'intérêt national, au lieu de songer à l'esprit de parti ou à l'intérêt de portefeuille.
Et voyez, messieurs, l'étrange contradiction dans laquelle on tombe : Vous voulez que la question du budget de la guerre soit décidée par votre majorité politique seule, et en même temps, d'un même contexte, comme on dit au palais, vous nous reprochez de vous refuser les ressources financières que vous croyez vous être nécessaires pour que l'armée reste organisée comme elle l’est. Mais soyez donc logiques. Si vous ne voulez pas de notre concours pour maintenir intacte une de nos grandes institutions, de quel droit venez-vous demander ce même concours pour établir de nouveaux impôts ?
Vous nous avez promis une polilique nouvelle, maïs non une logique nouvelle ; vous exagérez votre programme ; c'est trop de moitié. Cessez de répudier notre concours pour le maintien de l’organisation de l'armée, ou cessez de le réclamer pour créer des ressources financières nouvelles. Rétablissez aussi sous ce rapport, si vous le pouvez, l'homogénéité dans votre majorité politique.
Autre contradiction : ce n'est pas, nous dit-on, une misérable question d'argent, et d'un autre côté on nous reproche de l'avoir compromise par les finances. Encore une fois, c'est une logique toute nouvelle que je ne comprends pas et que je suis peu disposé à admettre.
Non, messieurs, ce n'est pas une question d'argent, mais d'intérêt national.
« Quoi donc, ces riches provinces qui ont fait depuis tant de siècles l'objet de tant de convoitises ne pourraient pas, dans un moment suprême, faire un courageux effort pour leur salut ! Nous croyons que ces provinces seraient mal conseillées par la faiblesse et par la peur et qu'on les conduirait honteusement à leur perte en les conviant à supputer seulement ce qu'il en coûte pour conserver l'honneur, l'indépendance, la liberté.
« Nous croyons qu'il faut plutôt leur apprendre ce qu'il leur en coûterait pour trois jours de conquête, trois jours de proconsulat, trois jours de désordre et d'anarchie, et bientôt elles comprendront, si déjà elles ne le savent assez par les souvenirs du passé, que les sacrifices qu'elles s'imposent ne sont rien en regard des biens précieux qu'il s'agit de conserver. »
Ces paroles, ce sont celles que prononçait l'honorable ministre des finances dans la séance du 22 avril 1848. Je dis avec lui : La question militaire ne peut pas être une question financière. Il ne s'agit pas de savoir ce que coûte l'armée, mais ce qu'elle doit être pour sauvegarder l'honneur, l'indépendance et la liberté du pays. Ces paroles contredisent celles que vous avez prononcées à la séance de vendredi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce sont les mêmes paroles ; j'ai dit la même chose.
M. Malou. - Messieurs, la question financière ne peut pas, à l'occasion du budget de la guerre, être discutée dans tous ses détails et de manière à arriver à une solution.
M. le ministre des finances, quand un fait ou un argument quelconque l'embarrasse, ne trouve rien de mieux que de renvoyer à ses adversaires la responsabilité de la situation financière ; il joue toujours le rôle de Pilate se lavant les mains devant le peuple.
Aujourd'hui ce rôle est un peu usé ; M. le ministre se trouvant aux affaires depuis plus de trois ans, cette manière de se défendre sur la question financière, n'est plus guère de mise ; il sera difficile à M. le ministre des finances de continuer à décliner toute responsabilité de la situation.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le prouverai.
M. Malou. - M. le ministre des finances s'engage à le prouver. Moi je l'engage à le prouver, non pas aujourd'hui, mais voici comment : Il y a un moyen très simple, très constitutionnel de discuter la question financière : qu'on mette à l'ordre du jour une des propositions que M. le ministre a faites ou croira devoir faire pour améliorer notre situation financière ; j'accepte dès aujourd'hui et pour lors le débat.
- Un membre. - Quelle proposition ?
M. Malou. - N'importe laquelle, c'est une occasion, c'est un rendez-vous que nous nous donnons.
La question n'est pas financière à un autre point de vue. En effet, le ministère ne vous propose aucune économie ; il propose au contraire, pour 1851, une augmentation de dépense ; je ne puis dès lors discuter la question financière. Le budget de la guerre pour 1851 sera plus élevé que celui de 1850.
Que fait-on pour démontrer le contraire ? On dit que les 400 mille francs de dépense résultant de l'augmentation du prix des fourrages sesront imputés en partie sur les économies faites en 1850, en partie sur les économies qu'on fera en 1851. Mais je demande si la dépense à faire en 1851 comprendra ces 400 mille francs. Cela est incontestable ; le budget de 1851 sera donc plus élevé que celui de 1850. On payera d'une manière ou d'une autre, peu m'importe que M. le ministre prenne cet argent dans la poche de droite ou dans la poche de gauche. On payera ces 400,000 fr. qui grossissent le budget de 1851.
On prétend encore que la loi d'organisation n'a jamais été exécutée. Je pense, messieurs, que les souvenirs de M. le ministre des finances le servent très mal ; elle a été successivement exécutée par M. le général Dupont et par son successeur le général Prisse.
J'ai pris à cet égard des renseignements positifs. Personne ne pourra établir devant la chambre que la loi d'organisation n'ait pas été exécutée ; s'il en était autrement, quelle serait la conséquence logique à tirer de ce fait ? Qu'il faut ne pas l'exécuter ? Assurément non ; la conséquence logique serait de dire : Tant que la loi existe, il faut l'exécuter.
On suppose toujours qu'il faut, pour exécuter cette loi, une dépense de 30 millions !
C'est encore une erreur. Sans entrer ici dans desdétails, je pense qu'elle peut être très convenablement exécutée, quand le prix des grains n'est (page 495) pas anormal, au moyen d’une some beaucoup moins élevée, comme elle a été exécutée en effet.
Il y a dans cette loi une partie fixe et une autre partie que j'appellerai mobile ; au moyen de l'élasticité de certaines dispositions de cette loi, on peut, en réalisant quelques économies quand la situation le permet, l'exécuter avec cette somme sans s'écarter des principes qui en sont la base.
Du reste, si les reproches d'inexécution de la loi pouvaient être adressés à quelqu'un, ce ne serait évidemment pas aux ministres qui ont précédé l'avénement du cabinet actuel, mais ce serait à ce cabinet. Ce n'est que depuis son avènement qu'on a laissé vacants peut-être un trop grand nombre d'emplois, qu'on a laissé partiellement inexécutées certaines dispositions de la loi de 1845, dispositions qui, ainsi qu'on le fait remarquer à côté de moi, n'étaient pas essentielles.
Messieurs, la réorganisation d'une armée cause toujours un très grand malaise. Je le disais tout à l'heure, c'est une sorte de maladie organique que vous donnez à un corps, lorsque vous prétendez en modifier la constitution.
L'expérience en a été faite en Belgique. On invoque aujourd'hui ce qui s'est passé pour diverses administrations. Je m'empare de cette expérience en ce qui concerne l'armée. La réorganisation des administrations a produit et produit encore aujourd'hui de fâcheux résultats ; les administrations fonctionnent moins bien, il y a des tiraillements, du malaise, du découragement. Si tels sont les effets de la réorganisation des administrations civiles, croyez-vous que ces effets ne doivent pas se produire à un degré beaucoup plus fort dans la réorganisation de l'armée ? Si vous aviez une organisation nouvelle, toute prête, je dirais : Proposez-la, discutons-la ; mais finissons-en. Mais vous procédez autrement. Vous ne savez pas quelle doit êlre l'organisation ; vous détruisez celle qui existe, et vous n'avez rien à y substituer. Si vous avez quelque chose de mieux, dites-le. Si vous ne connaissez rien de mieux, que nous promettez-vous ? Que promettez-vous à l'armée ?
S'il en est ainsi, si dans l'armée le passage d'une organisation à une autre est une cause de malaise, si elle peut la mettre momentanément dans l'impossibilité de rendre au pays la plupart des services qu'il est en droit d'en attendre, n'est-il pas évident que, dans la question qui s'agite, l'opportunité est tout ? Eussiez-vous une meilleure organisation à proposer, vous n'auriez rien établi, si vous n'établissez pas en même temps qu'il est opportun de substituer à l'organisation actuelle une organisation nouvelle.
Cette question d'opportunité, qui oserait la résoudre affirmativement !
Vous ne voyez donc pas ce qui se passe au dehors ! Ne voyez-vous pas que les événements qui peuvent encore surgir sont menaçants pour nous ? (Interruption.) Oui, je me le rappelle, l'honorable M. Delfosse disait au mois de décembre 1847 :
« Et pourquoi, messieurs, le rêve de l'abbé de Saint-Pierre n'est-il pas loin de se réaliser ? Pourquoi doit-on cesser de le reléguer au rang des utopies ? »
Et deux mois plus tard, un trône s'écroulait auprès de nous ; l'écume de la société venait un instant à la surface ; les révolutions succédaient aux révolutions ; on en était chaque jour à se demander avec inquiétude si la civilisation moderne survivrait aux attaques des barbares du XIXème siècle. Nous étions loin, bien loin des rêves généreux, des pastorales politiques de l'abbé de Saint-Pierre.
M. Delfosse. - Ce que j'ai dit alors, je le maintiens.
M. Malou. - Si l'honorable M. Delfosse croit que les événements lui ont donné raison, je désespère de le convaincre jamais. Mais je doute aussi que beaucoup de personnes soient de son avis. Le danger qui a existé, subsiste encore.
M. Delfosse. - Il ne faut pas dénaturer ma pensée ; j'ai dit qu'il n'y aurait pas de guerre générale, une guerre dans laquelle nous serions engagés. Les événements m'ont jusqu'ici donné raison.
- Un membre. - Insistez sur ce point.
M. Malou. - Il serait bien inutile d'insister après ce que vous venez d'entendre.
Le résultat du vote que vous provoquez sera de tracer entre les partis qui existent malheureusement, de tracer plus profonde la ligne qui les sépare. Nous déplorons cette fatale erreur ; nous déplorons cette déviation de la politique qui a fondé la Belgique, qui l'a fait grandir, qui lui a permis de traverser les tempêtes.
Mais quelle que soit l'intolérance que vous professiez dans vos actes, s'il surgissait, pour le pays, des dangers nouveaux, vous nous retrouveriez encore ce que nous avons été en 1848 ; cette main que vous repoussez aujourd'hui, nous viendrions vous la tendre pour aider à sauver le pays ; nous ne craindrions pas que le lendemain vous nous dissiez encore que nous avons cédé au sentiment de la peur.
Malgré ces actes d'intolérance, nous viendrions vous prêter notre appui en présence des dangers qui menaceraient le pays, nous n'avons qu'une raison d'être, qu'une pensée, qu'un gage d'avenir ; c'est la devise qui toujours a été la nôtre : La nationalité avant tout !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, un de nos collègues qui s'était associé à nous dans des déclarations arrêtées et signées en commun a cessé de faire partie du cabinet. La couronne, appelée à prendre une résolution, à l'occasion du différend inattendu qui avait surgi entre nous, a déclaré qu'il y avait lieu pour les collègues du ministre de la guerre de continuer à défendre la position qu'ils avaient prise dès l'origine de la discussion. C'est cette position que nous venons défendre et que nous n'abandonnons pas.
Et d'abord que je signale tout ce qu'il y a de faux, de chimérique dans le point de départ de ceux qui nous combattent dans cette circonstance. Leur point de départ est celui-ci : Vous voulez détruire l'armée ; les plus tolérants veulent bien admettre que nous ne voulons que la désorganiser. Ceux qui nous supposent de pareilles intentions propagent à leur insu ce que mon honorable collègue a énergiquement appelé l'autre jour une calomnie.
Rappelez notre passé, rappelez nos discours. Loin de nous gêner, vous nous aiderez ; vous nous ferez plaisir ; vous rassurerez l'armée que vos discours ont pour effet, sinon pour but, d'alarmer. Notre conduite passée, nos discours passés répondent des intentions du cabinet vis-à-vis de l'armée.
La position que nous avons prise, on fait ce qu'on peut pour en exagérer la portée, pour en dénaturer le caractère.
On suppose que nous repoussons de propos délibéré et par esprit d'intolérance le concours de nos adversaires habituels ; que nous n'en voulons pas, que ce concours nous est nuisible.
Mais où a-t-on vu, messieurs, que nous repoussions ce concours ? Où a-t-on vu que nous poussions l'intolérance jusqu'à ne pas vouloir admettre les voix de nos adversaires ?
Voici notre position.
Nous voulons l'existence d'une armée solide, capable de faire face à toutes les éventualités, de remplir son devoir patriotique dans toutes les situations.
Ne ne ferons pas de grandes phrases là-dessus ; nous invoquons volontiers devant l'armée nos discours, nos actes antérieurs.
Pour arriver à donner à cette armée cette position que nous désirons tous, nous voulons l'asseoir sur deux bases solides et stables. Nous voulons rechercher pour l'armée une bonne base financière et nous voulons trouver pour l'armée une bonne base parlementaire.
Dès notre entrée au pouvoir, nous avons manifesté l'intention de poursuivre résolument le rétablissement de l'équilibre dans nos finances. Mon honorable et courageux ami, M. le ministre des finances, n'a cessé d'avertir la chambre qu'il fallait arriver à rétablir cet équilibre au moyen de nouveaux sacrifices.
D'où vient, messieurs, la situation actuelle en ce qui concerne l'armée ? D'une seule cause, de l'état de nos finances.
Ces finances alors que nous étions dans l'opposition, nous avons souvent averti le ministère, nous l'avons souvent engagé à les fortifier. Toujours vous avez reculé devant cette tâche. Dans toutes les questions ou s'agitait l'existence de l'armée, nous vous avons dit que vous ne feriez rien de bon, de sérieux pour l'armée, tant que vous n'auriez pas donné au pays une bonne situation financière. Vous ne l'avez pas fait, vous avez laissé à vos successeurs une mauvaise situation financière et dés lors vous avez laissé l'existence de l'armée assise sur une base fragile et précaire.
Donc en énonçant dans cette enceinte l'intention de donner au pays une bonne situation financière, nous faisons plus que vous, nous garantissons pour l'avenir à l'armée une base fixe et invariable.
Nous cherchons aussi pour l'armée une base parlementaire solide.
Cette base n'existe pas aujourd'hui. Dans l'état actuel des partis, c'est par la grâce de nos adversaires politiques habituels que les questions qui concernent l'armée sont résolues, c'est par leur bon plaisir. Un caprice, un intérêt, peut faire crouler immédiatement cette situation qui peut changer chaque année.
Si nous parvenons, messieurs, et c'est le but auquel nous tendons, si nous parvenons à trouver dans l'opinion qui nous soutient sur toutes les questions politiques, un vote stable, un vote constant sur cette question, je dis que nous aurons établi la position de l'armée sur une base en quelque sorte inébranlable, sur une base beaucoup plus solide tout au moins que celle où nous la voyons aujourd'hui.
Vous nous dites que l'armée éprouve des inquiétudes, que l'armée n'a pas de sécurité. Mais est ce une situation nouvelle pour l'armée ? N'est-ce pas la situation qui, chaque année, à chaque discussion du budget de la guerre, nous revient ?
N'est-il pas dans l'intérêt de l'armée que le gouvernement fasse tous ses efforts pour tarir cette source sans cesse renaissante d'inquiétudes et d'incertitudes ?
Vous nous reprochez de ne pas aller à vous minorité ; vous dites qu'il est sans exemple qu'un gouvernement n'aille pas, dans l'occasion, vers la minorité, et en même temps vous nous reprochez d'aller vers une autre minorité, mais minorité appartenant à notre opinion, minorité que nous avons beaucoup plus d'espoir d'attirer à nous définitivement que nous n'en avons de vous attacher aussi définitivement au système ministériel. Minorité pour minorité, je vous le déclare, vous êtes d'excellents citoyens, mais à notre point de vue politique, je préfère de beaucoup et j'ai de bonnes raisons de préférer cette minorité-ci à cette minorite-là.
Je dis, messieurs, qua le point de départ, que le thème que l'on semble vouloir exploiter est entièrement faux. Il n'est entré à aucune époque dans la pensée du ministère, du ministère tout entier, de porter la moindre atteinte à la force organique, à la bonne et solide organisation de l'armée.
Mais la question n'est pas entière ; n'avons-nous rien promis l'année dernière ? On nous demandait tout à l'heure ce que nous avions promis. L'année dernière, nous avons promis d'éclairer la chambre.
(page 496) Beaucoup de membres, dans cette enceinte, avaient demandé que l'on cherchât à faire des économies. L'honorable ministre de la guerre s'était engagé, avait promis d'éclairer la chambre à la suite d'une enquête complète, dans laquelle il ferait examiner, il examinerait toutes les questions qui se rattachent à notre établissement militaire.
Ce travail était promis à la chambre. Ce travail, nous ne vous l’avons pas apporté, vous êtes en droit de le réclamer, vous êtes en droit de l'obtenir. Vous l'avez réclamé sur tous les bancs.
En le réclamant alors, vous n'avez pas sans doute pris sur vous de vouloir désorganiser l'armée, et vous avez tous pensé qu on pouvait examiner les questions qui se rattachent à notre établissement militaire sans que pour cela il y eût désordre, il y eût désorganisation dans l'armée.
Eh bien, c'est ce travail que nous continuerons, c'est ce travail auquel nous allons associer une commission composée d'hommes compétents et impartiaux.
Je l'ai déjà dit, les conclusions de cette commission seront examinées par le gouvernement. Les ministres n'y sont pas liés.
Nous cherchons de bonne foi, sincèrement, à introduire des économies dans le budget de la guerre, je ne le dissimule pas ; mais en aucune manière, messieurs, aucun de nous n'a entendu s'attacher définitivement aux conclusions, quelles qu'elles soient, de la commission chargée d'examiner toutes ces questions. Voilà véritablement la concession que nous avons faite à une partie de nos amis politiques ; nous promettons de rechercher sérieusement s'il y a encore des économies à faire ; puis nous promettons la nomination d'une commission.
C'est sur ce terrain que nous croyons utile d'appeler, si c'est possible, une conciliation qui ne peut tourner que très directement au profit de notre établissement militaire.
Qui songe, messieurs, à désorganiser l'armée ? Tant que j'aurai l'honneur de siéger sur ces bancs, l'armée conservera une bonne et solide organisation. Si nous y sommes c'est dans le but d'améliorer sa position, c'est dans le but d'asseoir cette position dans l'avenir sur une base en dehors de tout débat politique.
Mais il y a autre chose encore qu'il ne faut pas désorganiser, et puisqu'on a amené la discussion sur le terrain politique, je vais m'en expliquer sans détour. Nous ne voulons pas désorganiser l'opinion qui nous a amenés au pouvoir et qui nous y soutient loyalement. Aussi longtemps que nous pourrons maintenir l'harmonie dans cette grande opinion, nous croirons avoir rendu un grand service au pays,
Depuis un certain temps particulièrement, des efforts sont tentés pour amener dans l'opinion libérale et notamment dans le gouvernement la désorganisation. Nous sommes, je le pense, ramenés vers cette époque où l'un de nos honorables amis et moi, faisant partie d'un cabinet libéral, nous étions le grand obstacle, par notre violence apparemment, à la conciliation des partis. Nous marchons, il me semble, vers cette époque où l'on espérait, et l'on a malheureusement atteint le but, en divisant l'opinion libérale, où l'on espérait obtenir ces gouvernements dont on appelait tout à l'heure la résurrection, résurrection qui, je l'espère, se fera encore attendre bien longtemps.
Le cabinet est prévenu, on ne le dissoudra pas, on ne le divisera pas. Pour cela nous demandons surtout le concours de nos amis politiques ;ils ont une ligne de conduite à tenir, une ligne prudente et patriotique ; plus on fait d'efforts pour nous diviser, plus nous devons faire de sacrifices réciproques pour rester fortement, étroitement unis. Si, de notre côté, nous faisons un pas vers la minorité de notre majorité, nous espérons bien que cette même minorité qui nous soutient loyalement sur les questions politiques, fera aussi un pas vers nous pour établir définitivement sur de bonnes bases l'organisation militaire. Aucune opinion n'est hostile à l'armée. L'armée est une institution avant tout nationale ; mais s'il fallait lui donner une qualification particulière, nous dirions que c'est une institution libérale. (Interruption à droite.) Nous l'avons défendue contre plusieurs d'entre vous.
Je sais que l'on veut effrayer, non pas seulement l'armée, on n'y parviendra pas ; on veut effrayer aussi le pays, on n'y parviendra pas davantage. On nous représente comme disposés à nous laisser entraîner par la minorité, apparemment par une minorité factieuse : prenez-y garde, dit-on, c'est un premier pas que vous faites, vous allez en faire un second ; vous, allez céder aux extrêmes. Est-on bien fondé, messieurs, à nous faire un pareil reproche ? Il me semble que nous avons posé depuis trois ans et demi des actes ; que nous avons tenu une conduite politique propre à rassurer les esprits les plus prompts à s'alarmer.
Il ne paraît pas que, depuis trois ans et demi que nous gouvernons les affaires du pays, les hommes exagérés, les factieux aient eu un rôle bien important à y jouer. Je ne sache pas qu'à aucune époque le pays ait été plus tranquille, plus confiant, plus libre, plus dévoué à toutes ses institutions, plus monarchique, et oserais-je le dire, plus ministériel. (Interruption.)
Nous avons bien le droit, je pense, d'invoquer en notre faveur la confiance du pays. Eh bien, messieurs, dans de pareilles conditions, quelques représentants peuvent bien dire que le pays s'effraye, comme ils peuvent bien crier à grande voix que nous désorganisons l'armée : une assertion n'est pas plus exacte que l'autre.
Lorsque nous avons apporté dans cette enceinte la réforme électorale, on nous disait aussi : Vous allez à la minorité ; prenez-y garde, la réforme électorale conduit au suffrage universel. Nous avons obtenu la réforme électorale, et le pays s'est mis à pratiquer prudemment, modérément ces nouvelles libertés qui lui arrivaient tout à coup, et il n'a pas demandé au-delà.
Il est un temps, il est des circonstances où le devoir du gouvernement est de savoir faire un pas vers la minorité. Le pas que nous faisons aujourd'hui, nous ne le cachons pas, tend à obtenir sur le budget de la guerre, chaque année remis en question, le plus grand nombre de voix possible dans la partie de la chambre qui nous soutient habituellement. Si, dans l'opposition, l'on continue à nous appuyer sur cette question, si l'on nous appuie sur d'autres questions encore, eh ! mon Dieu ! nous recevrons avec reconnaissance ce concours.
Dans quel intérêt, pourquoi voulez-vous que nous le refusions ? Ce n'est pas votre concours qui nous gêne ; ce qui nous gêne, c'est la division de notre propre parti sur une question importante.
J'expose très franchement la situation à la chambre, je l'expose très franchement aux yeux du pays, qui l'appréciera.
Nous ne sacrifions rien, nous ne compromettons rien ; nous faisons un effort, pour tâcher, je le répète, de mettre, pour bien des années, la question de l'existence de l'armée en dehors de nos débats parlementaires.
Cette position que nous prenons a des difficultés ; la retraite d'un honorable collègue est venue augmenter ces difficultés, nous le savons ; mais nous n'hésitons pas à le dire : nous ne sommes pas ministres pour faire seulement des choses faciles ; nous sommes ministres pour aborder résolument les difficultés, quand elles se présentent, pour tâcher de les surmonter par des moyens loyaux, énergiques, et y sacrifier, au besoin, nos existences politiques ; voilà comment nous comprenons nos devoirs.
J'espère que, tenant compte de ces difficultés, notre propre opinion, voire même l'opposition, si tant est qu'elle ne soit mue que par un intérêt national dans cette question ; j'espère que notre opinion surtout nous viendra en aide pour l'accomplissement de cette tâche ; et, dans ce cas, nous serions trop heureux, si, étant parvenus à réunir une majorité libérale, pour une armée bonne, solide et forte, nous obtenions encore le concours de l'opposition.
Messieurs, j'ai tâché de débarrasser la question de tous les nuages menaçants dont on l'entourait ; j'ai tâché d'exposer sincèrement nos vues à la chambre : je désire que mes paroles soient surtout entendues de l'armée. Non pas, messieurs, que je redoute ce que l'on pourrait appeler certains mécontentements personnels. J'ai en vue un but unique, un but beaucoup plus élevé ; je n'ai pas en vue les personnes ; j'ai en vue l'institution elle-même.
Quant aux personnes, l'on sait fort bien que sous un gouvernement tel que le nôtre, on n'en vient jamais à des mesures qui les blessent fortement dans leur existence ; nous avons le bonheur de vivre sous un gouvernement juste, bienveillant et tolérant, et dès lors les craintes qu'on pourrait éveiller sur les positions personnelles de quelques officiers, sont aussi chimériques que celles qu'on pourrait élever sur le sort de l'institution elle-même.
Nous espérons pour l'année 1852 pouvoir vous apporter des conclusions qui auront pour but de fixer définitivement le sort de l'armée ; dans nos intentions, l'incertitude ne régnera pas pendant trois ans sur l'institution de l'armée ; dans le courant de l'année prochaine, cette question sera définitivement résolue. Restent les moyens d'exécution, qui pourront, le cas échéant, se répartir sur plusieurs années.
Voilà comment le sort de l'armée pourra se trouver fixé dès l'année prochaine. Quant à l'année 1851, je ne saurais trop le répéter ; la seule question pratique qui se présente, c'est le budget à voter, sous toutes réserves pour tout le monde. Lorsque le budget de 1852 vous sera présenté, alors vous pourrez, messieurs, reprendre utilement la discussion ; alors vous aurez au moins une base pour discuter ; vous serez alors en présence de propositions formelles ; alors vous saurez sur quelles bases nous proposerons d'opérer. Dans l'état actuel des choses, nous demandons le vote du budget de 1851, réserve faite, pour tout le monde, de toutes les questions qui pourront se présenter lors du vote du budget de 1852.
Si la commission que nous annonçons devoir être nommée n'entrait pas dans les vues de la chambre, si, par elle-même, elle signifie désorganisation de l'armée, vous n'avez pas à hésiter, vous qui avez de pareilles craintes, vous devez émettre un vote formel qui tende à interdire au gouvernement de nommer cette commission (interruption) ; oui, si vous voulez accomplir votre devoir, si vous êtes sincères dans vos appréhensions, si vous croyez que l'institution d'une commission implique la désorganisation de l'armée, vous devez, par un vote formel, empêcher que le gouvernement ne fasse cette nomination ; vous devez désapprouver cette partie du programme du ministère, dire qu'il n'y a pas lieu de nommer la commission. Placez-vous sur ce terrain-là : alors on pourra croire à la sincérité de vos frayeurs pour l'armée ; arrêtez-nous...
L'honorable M. de Chimay fait un signe affirmatif ; je l'engage à formuler cette proposition....
M. de Chimay. - Je ne dis pas cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Alors les positions seront nettes de part et d'autre.
L'année dernière, nous avons combattu, comme nous la combattrions encore aujourd'hui, si elle se présentait dans les mêmes termes, nous avons combattu la proposition qui demandait l'institution d'une commission parlementaire en dehors du concours du gouvernement ; mais (page 497) M. le ministre de la guerre a déclaré, l'année dernière, qu'il ferait examiner toutes les questions par des hommes spéciaux ; qu'il communiquerait ensuite un travail complet à la chambre, Eh bien, que venons-nous vous dire aujourd'hui ? Nous déclarons que nous ferons examiner par une commission spéciale toutes les qnestions qui se rattachent à notre établissement militaire et nous nous apporterons le résultat de cet examen.
Trouvez-vous que nous allons trop loin ? Eh bien ! qu'un vote significatif vienne nous barrer le passage. Voilà, messieurs, comment je pense que vous devez agir si vous voulez que vos discours aient une autre signification qu'une portée purement politique ayant pour but de jeter précisément dans l'armée cette incertitude et cette inquiétude dont vous prétendez vouloir la délivrer.
M. de Mérode. - Je n'ai pas entendu les paroles qu'a prononcées M. le ministre de l'intérieur, vu que je n'étais pas dans la chambre pendant qu'il a prononcé son discours, de sorte que, s'il a fait quelques rétractations, je ne pourrai pas y répondre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ceux qui ont fait des rétractations sont ceux qui, il y a trois ans, ont comme vous, demandé vingt-cinq millions et la réduction du chiffre de l'armée.
M. de Mérode. - Il est pénible, messieurs, de devoir recommencer chaque année les mêmes débats sur le budget de l'armée dont l'utilité, par le temps qui court, est certes moins contestable que jamais. Mais que dire de nouveau, après les éloquents plaidoyers, soutenus pour elle en 1849 et 1850 au banc des ministres, où l'on refusait nettement d'accepter aucune transaction avec l'opinion qui voulait successivement réduire à 25 millions les dépenses consacrées à la défense du pays ? Depuis lors, ce même banc s'est recruté d'un adversaire prononcé de ce budget de la guerre si fermement maintenu contre toute mutilation nouvelle. Ainsi donc, par la retraite de M. de Haussy nous n'avons rien gagné en espérance pour les libres dispositions en faveur des pauvres ; elle nous vaut seulement plus d'inquiétudes sur l'avenir de l'armée. Et pourquoi ? Parce qu'il faut bien ménager les précédents de chaque nouveau venu qui commence son apprentissage d'homme de gouvernement et qui passe du barreau au timon des affaires de l'Etat.
Aujourd'hui, la parole l'emporte sur l'expérience acquise lentement et seule domine dans la société.
L'instruction par la pratique des affaires, les connaissances profondes, le mérite silencieux ne sont rien. Dissertez avec la facilité qui s'acquiert dans les débats sur les procès, et, si l'élection vous amène aux chambres, d'où sont exclus, malgré la décision formelle contraire du congrès national, tous les fonctionnaires des finances, de l'administration civile, de la magistrature ou de l'armée, vous êtes reconnu apte à tenir les portefeuilles, vous êtes censé propre à diriger, sans stage quelconque, la justice, l'administration intérieure, les travaux publics, les finances, sauf, jusqu'ici, l'armée.
Malheur donc à celle-ci quand il ne se rencontre pas, pour la défendre, un chef non seulement expérimenté, cela ne suffit pas, mais de plus doué d'une langue capable de lutter avec toutes les langues façonnées à la dispute, et ces langues sont plus rares parmi les soldats que l'intelligence militaire, comme elles sont peu communes aussi parmi tous autres gens d'action dirigés par le simple bon sens. Qu'inspirerait donc celui-ci dans les circonstances ? Serait-ce d'établir en perspective aux yeux de l'armée des rognures toujours croissantes sur son budget pendant trois ans, jusqu'à ce qu'on lui arrache en fin de compte un million ou deux millions ! Nos cavaliers sont-ils trop bien montés, nos soldats sous les armes trop nombreux ? Les Etats voisins nous offrent-ils une situation parfaitement rassurante pour eux-mêmes comme pour nous ? Réduisent-ils leurs forces militaires ? Ont-ils une confiance à toute épreuve dans l'infanterie bourgeoise qui ne peut endosser que très rarement l'uniforme ? On ne peut assurément répondre oui ! Et c'est en vain qu'on voudrait transformer le peuple belge en nation qui ne vit pas de la même vie que les autres, qui ne subit pas les mêmes nécessités, qui n'est pas soumise aux mêmes influences, exposée aux mêmes dangers intérieurs ou extérieurs.
Jamais, pour mon compte, je ne serai flatteur de peuples souverains plus que de princes souverains.
Quand les nations se gouvernent par des représentations appelées nationales, plus souvent telles en apparence qu'en réalité, comme en Belgique, où depuis le règne de la politique nouvelle, 800,000 habitants des villes principales ont autant d'électeurs que 3,500,000 habitants des autres communes, sans compter les longues distances que ceux-ci douent franchir pour remplir leur office, quand la presse, qui fait métier de séduire par le récit altéré des actes et des paroles, par la publication d'écrits corrupteurs pénétrant partout, et avec la souplesse du serpent qu'aident toujours les inclinations vicieuses de la nature humaine, pousse les nations aux erreurs les plus dangereuses, on doit leur dire : Prenez garde à vous ! défiez-vous des enchanteurs qui vous exploitent et de ceux qui vous endorment dans une fausse sécurité !
Sans doute, lorsqu'il s'agit de victoires à remporter sur les hommes voués à l'exclusion, à cause du défaut de foi candide aux lumières du siècle, aux progrès purement matériels, ou bien encore, qui manquent de cette spirituelle jovialité avec laquelle on rit dans une assemblée politique, quand on y rappelle en paroles éloquentes les désastres passés du pays, afin d'en éviter de semblables à l'avenir ; lorsqu'il s’agit de vaincre le parti clérical, en un mot, les tambours, les cymbales, les trompettes du libéralisme suffisent pour soulever la foule des étourdis contre cette sorte d'adversaire et assurer le triomphe de la politique nouvelle ; mais contre l'étranger, pourvu de forces sérieuses contre l'émeute qui s'élève et se propage à certains jours comme l'incendie, tout ce bruit n'aurait aucun succès. Les locomotives et les transports à perte avec petite ou grande vitesse, la voix si tranchante même de M. le ministre des finances, qui commande avec tant d'empire, n'y pourraient rien. Il faut donc conserver l'armée hors de la perspectire d'un amoindrissement prolongé pendant trois ans ; dût-on ne jamais obéir à l'oracle qui fixe le chiffre fatal du budget de la guerre à 25 millions.
Si quelques économies sont possibles sur certains objets, qu'on les reporte sur ceux qui sont en souffrance. S'il y avait trop d'officiers, pas assez de soldats sous les armes, ce n'est point le budget qu'il faudrait réduire, mais sa répartition qu'il conviendrait de modifier. M. Thiéfry eût-il raison dans ses idées d'organisation différente, ce ne serait point par des réductions qu'il faudrait procéder, mais par des transformations. Quant à ce qu'a dit l'honorable membre sur l'avancement, c'est une matière très délicate à traiter. Il est cependant une observation essentielle à produire contre les jalousies et ambitions privées ; c'est que le pays, qui supporte les frais de l'entretien financier de l'armée, les soldats appelés par la loi qui en constituent la masse, ont droit à voir ses bataillons commandés non par les plus vieux, mais par les plus capables, les plus vigoureux.
Ne perdons pas de vue que dans toutes les carrières, l'âge n'a pas la meilleure part des avancements supérieurs.
Reste la question financière, dont il faut bien dire un mot, puisqu'elle se trouve intimement liée au maintien des forces nationales.
Pendant les deux années où l'honorable général Chazal soutint avec le talent d'orateur distingué son budget militaire, je lui répétai plus d'une fois, tant en public qu'en particulier : Vous n'avez pas de contradicteurs plus dangereux que vos collègues ; ils abandonnent en primes nombreuses, et sous formes diverses, les ressources du trésor, et que résultera-t-il d'un vote temporaire favorable à vos demandes actuelles, si l'avenir très prochain renverse votre œuvre ? Or, avec les coûteuses faveurs octroyées à quelques branches de commerce et d'industrie, avec l'administration en perte considérable des chemins de fer, l'Etat dissipe ses moyens, et tandis qu'un système plus prudent conserverait à l'armée son budget, il fléchira devant les exigences des spéculateurs ou nécessitera de nouveaux impôts onéreux qu'on ne votera pas facilement.
Ce langage a toujours été le même de ma part, parce que si je suis ami de Platon, j'aime encore mieux la vérité.
Ce n'est donc pas ma faute s'il y a déficit au trésor ; et la suppression des primes ouvertes ou déguisées, ainsi que des tarifs convenables appliqués aux voies ferrées ou de navigation, rétabliraient bientôt nos finances dans la situation d'équilibre avec les besoins réels de l'Etat. Que si l'on continue à réduire ses forces militaires, il serait à propos de renoncer à nos armoiries, où figure un lion, sorte d'emblème qui ne va plus à nos allures, et de le remplacer par un waggon, portant la devise : « courir suffit », ou par une girouette agile sur son pivot, avec le cri de guerre de la politique nouvelle : « Tournez ! vous vous maintiendrez ! » En voyant ainsi notre écusson modeste, les étrangers ne pourraient nous taxer d'orgueil national outré, et, le trouvant dans la vérité, ne nous reprocheraient pas de vanité. Alors, du moins, si le pays était envahi presque sans résistance, nous aurions pour consolation de n'avoir pas été fanfarons.
M. Destriveaux. - Dans les années qui ont précédé 1851, depuis 1848, lorsqu'il s'est agi du budget de la guerre, j'ai fait partie de cette minorité, et obéissant à cette intime conviction, sans aucun intérêt, ni d'opposition systématique, ni d'une popularité que l'on peut aimer quand elle est loyalement acquise, mais qu'on dédaigne lorsqu'il faut l'acquérir par le sacrifice de ce que l'on éprouve dans son âme, j'ai été de cette opposition au budget de la guerre ; la cause en était simple. Chaque année je voyais l'organisation do l'armée, non pas mise en péril, mais mise en question sous le rapport de différents détails qui composent la loi de 1845.
J'ai entendu l'appel qui a été fait à cette minorité. En considérant l'état de la question, les éléments dont elle se compose aujourd'hui, j'ai senti que mon devoir était de répondre loyalement à l'appel qui nous a été fait.
Aujourd'hui donc, messieurs, sans rien changer aux éléments de ma conviction contraire, qui reposait sur des incertitudes, je puis appuyer puisque j'obéis à un devoir que je regarde comme sacré, je puis appuyer, dis-je, le système qu'a développé le ministère.
Je suis peu touché de ces clameurs qui nous représentent l'avenir de l'armée comme intéressé dans nos discussions. L'honneur de l'armée est inviolable. L'honneur de l'armée ! Quel est le citoyen véritablement digne de ce nom qui voulût lui porter la moindre atteinte ? Mais l'armée est essentiellement nationale ! Mais l'armée c'est nous, nous dans notre famille, nous dans nos frères, dans nos enfants qui en font partie. L'armée est essentiellement nationale et connaît ses devoirs : elle a confiance dans ceux que le choix de certaines opinions a pu conduire dans cette chambre.
L'armée ne concevra pas les étranges soupçons que l'on veut exprimer en son nom ; elle ne peul pas croire que nous cherchions à la désorganiser ; elle ne peut pas croire qu'un seul Belge souillât sa parole pour flétrir son honneur que l’on ne peut pas atteindre. Laissons donc, messieurs, les étranges sollicitudes que l'on a développées pour l'honneur de (page 498) l'armée, il n'est point en cause. Nous savons tous ce que c’est que notre armée ; tous nous connaissons l'esprit d'ordre qui règne dans l'armée, tous nous connaissons la valeur de ses officiers, de ces officiers restés, je dirai bourgeois, qu'on me permette ce mot, qui en portant l'uniforme sont avertis à chaque instant de leur destination militaire et de la noble tâche qui leur est imposée.
On a parlé aussi de la division qu'on veut établir entre les citoyens, de projets d'agression, de projets de séparation forcée ; non, messieurs. Qu'il y ait division dans les opinions, c'est attaché à la nature humaine ; il est peu de questions assez claires pour subjuguer de la même manière toutes les convictions. Celle-ci n'est pas de ce nombre ; nos opinions diffèrent ; voyons si ces différences n'ont pas un fondement que la raison puisse avouer.
Une loi de 1845 a établi l'organisation militaire. Cette loi, est-il de sa nature qu'elle soit destinée à une perpétuité que rien ne puisse atteindre ? Est-elle tellement fondamentale que plus que la loi fondamentale qui nous régit, elle soit inaccessible à toute espèce de critique, à toule espèce de modification ? Non, l'empire humain ne connaît pas une de ces lois qui n'admettent aucune modification ; quand on nous présente de ces lois qui sont infaillibles, c'est un ordre de choses dans lequel nous ne pouvons pas entrer.
La loi d'organisation de l'armée est donc comme tous les lois humaines ; on lui doit respect, obéissance ; mais on ne peut refuser à personne le droit d'examen. Ici plus qu'ailleurs, ce droit d'examen doit rester sacré ; il devient même un devoir qu'on ne peut pas déserter.
On a reproché des vices considérables à cette loi. J'avouerai que je ne suis pas juge compétent de la perfection relative ou absolue d'une armée ; je m'abstiens donc d'entrer dans des détails à cet égard ; mais j'ai entendu des hommes habitués à examiner ces questions, j'ai été attentif à leurs paroles, à leurs discours, aux développements dont ils ont appuyé leur opinion ; et ce qui en est résulté pour moi, c'est un doute. Eh bien, aujourd'hui, au lieu d'une foi implicite, que vient nous proposer le gouvernement ? La formation d'une commission qui sera chargée d'examiner mûrement la question sous toutes ses faces, de faire un rapport, qu'il soumettra à une discussion générale.
Je me croirais coupable si je m'opposais à l'admission d'une pareille proposition.
Nous ne pouvons pas, dans le cercle de nos devoirs, proclamer telle ou telle loi inviolable, dire qu'il est impossible d'y toucher ; nous ne pouvons pas déclarer à l'abri de la révision la loi organique de l'armée.
Cette loi, au contraire, appelle elle-même et un examen et un rapport. Pourquoi ? La raison en est simple.
Aujourd'hui elle est attaquée ; l'incertitude règne à côté d'elle, dans ses applications ; que vient proposer le gouvernement ? De faire cesser l'incertitude, d'augmenter la confiance ; si cette loi renferme des imperfections, on les signalera, on les corrigera ; si au contraire on proclame que la loi est aussi bonne qu'on peut la faire, qu'elle satisfait à tous les besoins, la loi recevra une consécration nouvelle, toute incertitude aura disparu ; l'armée ne sera plus exposée à ressentir toutes les années du doute dans son existence, on ne pourra plus se prévaloir des prétendus vices de cette loi pour entretenir l'incertitude accablante que les discussions sans cesse renouvelées jettent dans les rangs de nos soldats.
Ceux qui auront provoqué l'examen devront se soumettre au résultat de cet examen ; les oppositions systématiques au budget de la guerre n'auront plus d'aliment, plus de légitimité. Voilà sous quels rapports j'admets la création d'une commission. Mais à côté de l'établissement de cette commission, il est une chose nécessaire pour qu'elle produise une confiance complète et rationnelle ; je pense qu'elle doit être composée de divers éléments, mais d'hommes reconnus capables, quelle que soit leur profession, de juger d'une organisation militaire, sinon dans la totalité, du moins dans les détails. Le travail de cette commission rassurera également l'armée, amènera la stabilité ; et alors la question financière pourra être plus facilement résolue.
Elle doit s'envisager, ce me semble, sous deux points de vue et sous deux éventualités, intérieure et extérieure : la paix troublée à l'intérieur, la paix compromise à l'extérieur. Je ne partage pas facilement les alarmes qu'on pourrait concevoir, auxquelles on a fait allusion sur la tranquillité intérieure de la Belgique. Ce n'est pas dans un pays qui fait l'admiration de l'Europe entière, devant lequel s'arrêtent les émeutes, les excès de toute nature, dans un pays comme le nôtre, où la protection de la loi ne fait défaut à personne, où les droits de tous, des petits comme des grands, des faibles comme des puissants, trouvent, près de la loi, un refuge, un abri ; dans un pays où contre la force, quelle qu'elle soit, le droit trouve un rempart tutélaire ; ce n'est pas dans la Belgique qu'on peut parler facilement d'émeute, pays de tranquillité et de liberté ; nous avons fondé un Etat dont nous avons le droit d’être fiers ; nous avons le droit d'éprouver un noble orgueil en voyant ce que nous avons fait, en voyant toute la liberté dont on jouit.
A l'extérieur, nous avons vu en quelques heures des trônes renversés, des rois fugitifs forcés de chercher une tombe dans l'exil. On a vu, d'autre part, des peuples se soulevant, les uns pour conquérir une liberté qui semblait avoir fui devant eux, les autres entraînés par leur bonne volonté même à des excès de systèmes qui amenaient des excès dans les faits.
Mais, ne nous y trompons pas : ne confondons pas l'Europe actuelle avec l'Europe du temps passé où la volonté d'un homme, un intérêt de cour pouvaient faire déclarer une guerre d'une longue durée, et en dernier résultat les peuples étaient partagés comme des troupeaux ; on devait sacrifier la moitié des populations.
Mais en présence des rois, les peuples se sont élevés. Aujourd'hui on trouve les nations puissantes par la pensée. Cela n'empêche pas, j'en conviens, l'existence de certains désordres. Mais ils sont moins probables. En effet, est-ce de la part des peuples que nous avons à craindre des invasions ? Généralement, je ne le crois pas. Que gagneraient les peuples à se livrer à une invasion ? Il y en a à côté de nous qui ont assez à faire de soutenir l'espèce d'ordre qui a été établi chez eux. Il en est d'autres qui cherchent à trouver un système de se gouverner, un moyen d'assurer d'une manière durable leur liberté. Ces peuples se laisseront-ils entraîner à l'invasion de ce pays qu'ils admirent ? Pourquoi nous envahirait-on ? Pour détruire nos libertés ? Mais qu'y gagneraient ceux qui parleraient de liberté, en nous combattant ?
Voudrait-on nous prendre comme appoint ? Je sais que la raison ne préside pas toujours à la conduite des peuples. Il nous faut donc prendre nos précautions ; il faut que la loi d'organisation puisse parer à de telles éventualités.
Sous le rapport des finances, il est nécessaire qu'on n'ait pas à défendre tous les ans le système financier. Il peut y avoir des variations plus ou moins considérables dans la cherté des objets de consommation. Mais cela ne peut exercer une grande influence sur le chiffre global du budget.
Que propose le gouvernement ? D'amener, par des réductions successives, le budget de la guerre au chiffre de 25 millions, Certaines éventualités peuvent être admises par l'organisation, par le système organique, par la loi qui l'établit.
Mais si vous n'avez pas un point d'appui fixe, vous resterez constamment dans le vague, il faut en sortir. Le gouvernement propose un chiffré da 25 millions. Je suis disposé, pour ma part, à admettre ce chiffre.
Mais qu'on y prenne garde. Si j'admets ce chiffre comme normal, je ne l'admets pas comme sacramentel ; c'est-à-dire que ce sera sauf les événements extraordinaires. Il ne sera pas interdit de le changer, si cela est nécessaire. C'est la règle générale, sauf l'exception.
Voilà comment je conçois le système.
Je laisse à part les récriminations que nous avons malheureusement entendues, tous ces rappels du passé pour motiver des blâmes plus ou moins sévères. Ce peut être intéressant comme rapprochement historique ; mais cela ne doit exercer aucune influence sur notre conduite, sur notre vote. Nous ne devons voir que la chose, le bien du pays, laissant à part tous les reproches, vrais ou non, qu'on peut se renvoyer.
Voilà comment je comprends nos devoirs.
Ainsi maintenir l'armée d'une manière respectable ; non pas maintenir l'honneur de l'armée, car il n'a pas été un instant compromis ; mais faire comprendre à l'armée que son honneur est resté intact. Nous sommes ici pour le défendre, s'il était attaqué. L'armée, c'est nous ; car elle est nationale, et nous sommes la nation.
Ainsi, rentrant dans ma conscience, libre de toute espèce d'influence et d'intérêt, ne cherchant pas à influencer des amis politiques, des adversaires politiques, je déclare que je me range auprès du gouvernement, que j'appuie les propositions que le gouvernement a l'intention de soumettre à la chambre.
Ici je borne l'expression de ma pensée ; car on a surchargé cette discussion d'incidents dans lesquels on ne devait pas entrer.
- La discussion est continuée à demain.
M. Delehaye. - Déférant à l'invitation de M. le minisire de la justice, je dépose quelques amendements au projet de loi sur le régime hypothécaire.
- La chambre ordonne l'impression de ces amendements et les renvoie à l'examen de la commission spéciale.
La séance est levée à 4 heures 1/2.