(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 455) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Les secrétaires communaux du canton de Brecht demandent la création d'une caisse de retraite en leur faveur. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Honnoré, ancien vérificateur des douanes, présente des observations sur les explications données par M. le ministre des finances relativement à sa pétition tendante à obtenir la liquidation des arrérages d'une pension viagère qui lui a été accordée par décret impérial du 15 décembre 1813. »
- Même renvoi.
« Le sieur Adolphe Bosch, greffier en chef de la cour d'appel de Gand, sollicite la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. Landeloos, retenu chez lui par indisposition, demande un congé.
- Accordé.
M. Boulez, retenu par la maladie de sa fille, demande un congé.
- Accordé.
Par dépêche du 11 janvier, M. le ministre des finances transmet à la chambre un exemplaire du tableau statistique du commerce des Pays-Bas pendant l'année 1849.
- Dépôt à la bibliothèque.
Par dépêche du 14 janvier, M. le ministre des affaires étrangères transmet à la chambre un exemplaire des comptes généraux de l'administration de la justice criminelle, civile et commerciale en France pendant l'année 1848.
- Même décision.
Les sections de janvier se sont constituées comme suit :
Première section
Président : M. Lelièvre
Vice-président : M. de Chimay
Secrétaire : M. G. Dumont
Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe
Deuxième section
Président : M. Lesoinne
Vice-président : M. Van Grootven
Secrétaire : M. Van Iseghem
Rapporteur de pétitions : M. de Pitteurs
Troisième section
Président : M. de Renesse
Vice-président : M. Bruneau
Secrétaire : M. Coomans
Rapporteur de pétitions : M. A. Roussel
Quatrième section
Président : M. Ch. Rousselle
Vice-président : M. Mercier
Secrétaire : M. Moxhon
Rapporteur de pétitions : M. Jacques
Cinquième section
Président : M. Destriveaux
Vice-président : M. Loos
Secrétaire : M. Moreau
Rapporteur de pétitions : M. Mascart
Sixième section
Président : M. Osy
Vice-président : M. Lange
Secrétaire : M. de Brouwer de Hogendorp
Rapporteur de pétitions : M. Allard.
M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, nous sommes maintenant saisis de plusieurs demandes de la place de conseiller à la cour des comptes ; je proposerai de fixer l'élection à mardi prochain.
- Plusieurs membres. - Après la discussion du budget de la guerre.
- La chambre décide qu'elle procédera mardi prochain à l'élection d'un membre de la cour des comptes, sauf à remettre cette élection si la discussion du budget de la guerre n'élail pas terminée.
M. le ministre de la guerre (M. Brialmont). - L’honorable M. Osy, fidèle à une ancienne habitude, propose, chaque année, la suppression de quatre à cinq régiments. C’est un vieux thème qui n’a pour lui que le respect dû à son rang d’ancienneté.
Du reste, l'honorable représentant d'Anvers donne en ceci la preuve évidente qu'il ne cède pas à la pression de ses commettants ; car à Anvers, comme partout ailleurs, l'armée trouve de nombreuses sympathies : hier encore, la presse de cette métropole commerciale s'exprimait d'une manière non équivoque pour le maintien de notre force publique sur le pied actuel.
L'honorable prince de Chimay, animé de sentiments plus favorables à l'armée, m'a fait une interpellation concernant la commission dont il a été question dans l'exposé que j'ai fait dans la séance d'hier. Comme il serait possible que quelques autres interpellations de ce genre me fussent faites pendant le cours de la discussion, j'aurai l'honneur d'adresser à la chambre une réponse pour le passé comme pour l'avenir.
Lorsque l'on me proposa le portefeuille de la guerre, j'avais l'honneur de commander une division au camp de Beverloo. Jusque-là, livré uniquement à la vie militaire, je m'étais peu occupé de la question du budget de la guerre. J'acceptai, non par goût, mais par dévouement à une auguste personne, aux désirs de laquelle je m'empresserai toujours de me rendre.
Toutefois, dans l'incertitude où je me trouvais (moi qui n'avais jamais songé à réduire l'armée), j'acceptai conditionneîlemenl. En me rendant aux vœux du cabinet, je déclarai que je voulais bien m'associer à ses vues, pour autant qu'un examen plus complet de la situation ne viendrait pas me démontrer l'impossibilité, pour moi, de concourir à leur réalisation.
Depuis, je n'ai pas cessé de faire des recherches dans le but de ménager les deniers publics ; mais il faut bien qu'on le sache, ce n'est pas dans les circonstances graves où nous nous trouvons, et dans un moment où toute l'Europe admire notre calme et notre sagesse, que je songe à faire des économies dont l'armée pourrait avoir à souffrir.
Personne, d'ailleurs, ne demande la désorganisation de cette force essentiellement nationale ; les plus vives sympathies lui sont, au contraire, acquises, et la preuve en est dans le désir exprimé par presque toutes les villes, d'avoir de fortes garnisons.
J'ai également la preuve qu'il existe partout une certaine crainte, bien légitime sans doute, de voir réduire l'armée ou porter atteinte à son moral.
Le pays tout entier ne veut qu'une chose : c'est qu'on maintienne l'armée sur un pied respectable.
D'après ce qui précède, il vous paraîtrait évidemment étrange, messieurs, que le ministre de la guerre vînt prendre l'initiative d'une mesure si contraire aux vœux et aux intérêts du pays.
C'est donc par des moyens qui n'atteignent pas le personnel de l'armée qu'il faut rechercher des économies ; on comprendra facilement que ces recherches demandent du temps et de la réflexion.
Je ne vous parlerai pas, messieurs, des services que l'armée a rendus, de ceux qu'elle rend tous les jours, et de ceux, plus grands peut-être, qu'elle est appelée à rendre dans l'avenir.
Je ne vous exposerai pas les nombreux titres qu'elle s'est acquis à votre estime, à votre protection.
Je ne vous dirai pas non plus combien il importe à notre honneur, à notre sécurité, que, dans les circonstances actuelles, les forces matérielles et morales de l'armée restent intactes. Quoi qu'on en dise, le sort des empires dépend et dépendra toujours de la bonne ou mauvaise organisation des armées.
Je me contenterai d'appeler votre attention sur le fâcheux effet que produisent des débats qui, chaque année, remettent pour ainsi dire le soert de l'armée en question.
Ainsi que nous avons eu l'honneur de vous le dire hier, il serait à désirer que l'on parvînt à s'entendre sur ce point, afin de mettre unr terme à la cruelle incertitude qui plane depuis si longtemps sur notre armée et de ne pas dégoûter les hommes au cœur haut placé qui viennent généreusement se ranger au nombre des défenseurs du pays.
Pénétré de ce sentiment, je ferai, pour ma part, tout ce qui est possible pour arriver à ce résultat si désirable et si impatiemment attendu.
Personne ne peut ignorer que les armées sont d'autant meilleures qu'on les apprécie davantage et qu'elles se sentent plus fortement soutenues par l'opinion publique et par les grands pouvoirs de l'Etat. Sous ce dernier rapport, il nous reste encore quelques progrès à faire.
Je rends hommage aux bonnes intentions des membres de cette assemblée ; tous veulent une bonne armée ; mais, parmi eux, il s'en trouve qui ne prennent pas le meilleur chemin pour arriver à ce but.
Il n'y a que des citoyens d'un patriotisme douteux qui puissent sciemment vouloir affaiblir l'armée dans les circonstances actuelles. J'aime Napoléon, qui certes se connaissait en hommes de guerre, disait que la force morale d'une armée est à sa force physique comme 3 est à 1.
J'ai l'honneur de vous le dire avec une entière conviction, messieurs, les économies les plus fructueuses sont évidemment celles qui ménagent l'intérêt des contribuables sans compromettre l'avenir.
Mais réduire d'une somme insignifiante les dépenses indispensables, puis donner des millions à l'approche du danger au risque de n'avoir pas le temps de les employer convenablement, c'est un système qui peut absorber en un jour et sans fruit les économies de plusieurs années.
Ce qu'il faut, c'est préparer d'avance les moyens matériels d'une bonne défense, annuler ceux qui sont reconnus inutiles, dangereux ou (page 456) d’une conservation trop dispendieuse, eu égard aux résultats qu'on peut en espérer, entretenir de bons cadres qut soient constamment à la hauteur de leur mission. Voilà, messieurs, des économies réelles qui, tout en donnant de la sécurité pour le moment, fortifient la confiance dans l'avenir.
Vous ne voudrez donc pas, messieurs, afin d'épargner 25 ou 30 centimes par an à chaque Belge, vous exposer à des chances désastreuses qui vous coûteraient plus en huit jours que vous n'avez pu faire d'économies en vingt ans sur le budget de la guerre.
Il y a des réductions qui mènent tout droit à la honte et àla ruine : de ce nombre sont celles qu'on opère mal à propos sur les sommes nécessaires à la défense du pays.
Oui, messieurs, ce serait nous jeter dans une voie pleine de périls que de porter atteinte à notre armée dont tous les rouages fonctionnent régulièrement.
L'armée, personne ne l'ignore, ne manque ni de patriotisme ni de dénouement ; elle répond dignement aux sentiments qui animent la nation tout entière ; à ce double titre, elle mérite toutes vos sympathies.
Vous remarquerez aussi, messieurs, que le budget que j'ai l'honneur de vous présenter, constitue l'application la plus économique et la plus convenable de la loi de 1845.
Si d'un côté je tiens à mettre la plus grande parcimonie dans l'emploi des fonds qui me sont confiés, d'un autre côté je ne dois pas oublier ce qu'il nous a fallu de patience, d'abnégation, de travail pour former et instruire l'excellente armée que nous avons le bonheur de posséder.
Je sais trop bien ce qu'il nous en coûterait si nous y portions atteinte, pour que je consente à l'affaiblir ou à la réorganiser en présence des éventualités les plus menaçantes, en présence d'un abîme où l'honneur de l'armée et la nationalité belge peuvent s'engloutir.
Ce n'est pas moi, qui suis fier d'avoir contribué à l'affranchissement du territoire, à la fondation d'une patrie belge, ce n'est pas moi qui compromettrai par des réformes dangereuses, antinationales (et par cela même impopulaires), l'existence et l'honneur du pays.
Ce n'est pas d'un vieux soldat, d'un citoyen dévoué aux institutions nationales, qu'il faut attendre la réalisation de semblables projets.
Vous pouvez compter sur mon dévouement, sur mon patriotisme, il n'a jamais fait défaut à la cause du pays ; mais il ne faut pas compter sur moi pour opérer des réformes que je crois contraires à l'intérêt bien entendu du peuple belge.
Au reste, vous ne voudrez pas, messieurs, que je m'engage dans cette voie ; votre patriotisme m'en est un sûr garant. La Belgique est assez riche pour payer son indépendance et sa sécurité ; elle a trop le sentiment de ses devoirs, de sa dignité, de ses intérêts pour ne pas vouloir s'imposer les mêmes sacrifices que les nations voisines.
Je me soumets donc avec une entière confiance à la décision de la chambre. Si, contrairement à mes prévisions, son vote était hostile aux principes que je tiens à honneur de défendre, je quitterais sans regret une position que je n'ai point recherchée, pour servir mon pays dans june condition moins élevée, mais plus conforme à mes goûts et à mon caractère.
Je terminerai, messieurs, en vous déclarant, qu'en toute occasion, j'ai pour règle de ne consulter que les intérêts du pays ; c'est assez vous dire que je serai toujours prêt à les défendre ; mais à les compromettre volontairement, jamais !
M. Dumon. - Messieurs, l'examen du budget de la guerre donne lieu tous les ans, dans le sein de la chambre, à de vives discussions. Tout alors est remis en question, la force de l'armée, son organisation, son.existence même.
Ces discussions n'ont pas toujours porté sur un même ordre d'idées. Immédiatement après la signature du traité de paix, quelques personnes avaient une confiance absolue dans la neutralité qui nous est assurée par les puissances. Elles croyaient que la Belgique pouvait confier à ses voisins le soin de la défendre contre une agression étrangère et elles allèrent même jusqu'à proposer la suppression complète de notre armée.
Mais il n'a pas été difficile de montrer les dangers d'une telle opinion et de faire ressortir combien est faible la sécurité que donnent les conventions diplomatiques, quand leur exécution n'est pas garantie par une force militaire imposante.
Il a donc été établi comme principe inattaquable que la Belgique doit avoir une armée respectable. Cette vérité n'est plus contestée aujourd'hui, et personne n'oserait plus soutenir que la nationalité belge peut se passer de l'appui d'une armée forte, exercée et capable de résister seule pendant un certain temps à une guerre d'invasion.
Quand la nécessité d'une armée a été mise hors de contestation, on est venu attaquer sa force et son organisation. Ona prétendu qu'elle était trop nombreuse, mal organisée et surtout trop coûteuse. Ces attaques, répétées tous les ans à l'occasion de l'examen du budget de la guerre, répandaient dans l'armée une inquiétude dangereuse, et l'espèce de crise à laquelle elle était périodiquement soumise aurait pu jeter dans ses rangs le découragement et la désorganisation.
Les partisans de l'armée avaient espéré la soustraire à cette émotion annuelle en fixant par des lois l'importance des cadres, la position des officiers et leurs droits à l'avancement. On avait voulu faire de l'état militaire une carrière assurée, rendre à l'armée la confiance et la sécurité et enfin arriver à un budget normal qui n'eût été que la traduction en chiffres de la loi d'organisation. Les soins que la chambre a apportés à l'examen de cette loi, les lumières dont elle s'était entourée, la majorité à laquelle elle a été votée, tout devait faire croire que le but proposé avait été atteint. Mais on s'est bientôt aperçu combien cette espérance éait vaine. La loi était à peine votée que l'opposition s'est montrée de nouveau ; et quelques années après, les mêmes attaques et les mêmes demandes de réduction et de réorganisation apparaissaient plus violentes que précédemment.
La crise de 1848, qui a mis le mot « économie » à l'ordre du jour, a surtout rendu ces attaques plus vives et plus nombreuses. L'on s'est alors préoccupé outre mesure de la situation financière, et on a cherché dans les réductions l'équilibre des recettes et des dépenses. Le budget de l'armée étant le plus élevé, on s'est imaginé que c'était celui où il y avait le plus à prendre. C'est uniquement à cette circonstance que le budget de la guerre doit le triste privilège d'être le point de mire des partisans des économies quand même. Et c'est depuis que la paix générale est le plus compromise qu'on fait les plus grands efforts pour amoindrir l'armée belge. C'est à l'époque où tous les gouvernements augmentaient leur état militaire dans une forte proportion qu'on a voulu nous forcer à réduire le nôtre !
Si les derniers événements nous avaient surpris sans armée, nous n'aurions reculé devant aucun sacrifice pour nous en créer une ; si notre frontière avait été dégarnie, nous aurions volontiers prodigué les millions pour la munir de défenseurs. Rien ne nous aurait coûté, à tout prix nous nous serions procuré une armée. Aucun effort n'eût paru trop grand à notre patriotisme. Et pour prix de tant de sacrifices nous n'aurions eu qu'une armée improvisée qui n'aurait rendu aucun service et qui nous aurait exposés aux plus grands désastres. Mais il n'en est rien, nous possédons une bonne armée, une armée brave, instruite, disciplinée, une armée bien organisée, animée de zèle et de patriotisme, une armée qui dans toutes les circonstances s'est montrée à la hauteur de la mission qui lui est confiée, et vous voulez la désorganiser ! Une faut passe le dissimuler, ce serait commettre une faute grave qui peut occasionner pour le pays les résultats les plus déplorables, des désastres irréparables peut-être.
Je n'insisterai pas sur le moment choisi pour opérer notre désarmement. Je ne montrerai pas les dangers de la situation, l'instabilité des gouvernemeuts voisins, leurs rêves ambitieux ; je ne rappellerai pas les circonstances qui plusieurs fois dans le courant de l'été dernier ont failli allumer en Europe une guerre presque générale. Ces arguments n'ont pour moi que peu de valeur, car je considère l'armée belge comme arrivée au dernier degré de réduction que conseille, même dans les circons'anccs les plus favorables, la prudence la plus vulgaire. Je ne voudrais pas même assurer que déjà on n'a pas été trop loin. Jamais l'armée n'a été aussi faible qu'aujourd'hui. Elle était beaucoup plus forte il y a quelques années, quand on considérait la paix de l'Europe assurée pour de nombreuses années, quand les relations de la famille royale assuraient à la Belgique le concours d'une des plus puissantes armées. Alors on ne considérait l'armée belge que comme exactement suffisante pour faire face à des éventualités très éloignées ; et c'est aujourd'hui, dans des circonstances bien plus défavorables, et après avoir beaucoup réduit notre état militaire, que vous voulez le réduire encore !
Quelles sont donc les vues de ceux qui s'élèvent avec tant de violence contre le budget de la guerre ? Quels sont les motifs qui les font agir ? Ils sont de deux espèces. Pour les uns, le budget de la guerre n'est qu'un chiffre ; le réduire est leur unique ambition. Ils déclarent qu'ils sont complètement incompétents pour examiner la question de l'armée, qu'ils ne sauraient indiquer sur quels articles du budget doivent porter les réductions qu'ils réclament. Ils n'hésitent pas néanmoins à exiger de nouvelles économies.
C'est en vain qu'on a montré que le budget est arrivé au chiffre le plus bas qu'il soit possible d'atteindre, que les ministres de la guerre sont entrés aussi loin que possible dans les vues économiques de la chambre, que l'armée est réduite à ses organes les plus indispensables et que toute nouvelle réduction serait une mutilation, un commencement de désorganisation. On n'en persiste pas moins à réclamer de nouvelles réductions. Il est un chiffre qu'on s'est imposé comme limite des dépenses militaires. L'atteindre serait le beau idéal, et pour réaliser ce rêve, on consentirait à tout, même à compromettre l'existence de l'armée, qui est cependant la meilleure garantie de notre nationalité et de notre indépendance. Inutile de dire que ce chiffre n'est basé sur aucun calcul, sur aucun raisonnement, qu'il a varié suivant les temps et les circonstances, et il suffirait, pour le faire diminuer encore, d'atteindre celui de 25 millions qui est proposé aujourd'hui.
D'autres pensent que si, d'une part, l'armée exige trop de sacrifices financiers, de l'autre elle n'est pas à même de rendre tous les services que le pays est en droit d'attendre d'elle ; ces personnes critiquent le système de défense, la durée du service, la formation des compagnies, la composition des cadres.
Elles vantent, au contraire, de nouvelles organisations de la force armée dont elles ont élaboré tous les détails ; ou voudrait les voir mettre à l'essai et l'on s'en promet les résultats les plus brillants tant au point de vue financier que sous le rapport militaire. Mais la chambre est-elle bien compétente pour examiner ces différentes questions, pour décider auquel des nombreux projets d'organisation qui lui ont été soumis elle doit donner la préférence ?
Et pourquoi le ferait-elle ? Avons-nous des raisons bien graves pour changer l'organisation actuelle ? L'armée, telle qu'elle est constituée, n'a-t-elle pas répondu, dans toutes les circonstances, à ce que le pays attendait d'elle ? N’est-elle pas établie sur des principes simples et rationnels ?
(page 457) Ce système n'a-t-il pas été adopté dans d'autres pavs ? N’est-il pas admis par les autorités militaires les plus irrécusables ? Ne se prête-t-il pas admirablement au passage immédiat du pied de paix au pied de guerre ? Le seul reproche sérieux qui ait été adressé, c'est la faiblesse numérique de notre armée sur pied de paix. Mais cela ne concerne nullement l'organisation. Si depuis quelque temps on a exagéré les réductions, si le budget est trop faible, ce n'est pas une raison pour conclure que la loi de 1845 est défectueuse. Il n'y a donc pas lieu à réviser la loi d'organisation, et je n'ai pas besoin d'insister sur ce point. La chambre, par un vote émis l'an dernier à une grande majorité, a prouvé qu'elle partageait cette opinion.
C'est en exécution de cette loi que le budget de 1851 vous est présenté. Le ministre actuel, comme ses prédécesseurs, a cherché à introduire toutes les réductions compatibles avec les besoins du service et à rendre l'impôt de la défense nationale aussi léger que possible pour le pays. Il s'engage à persévérer dans cette voie et à rechercher toutes les nouvelles économies qu'il croira admissibles. Pour moi, j'ai vu de grands dangers dans la déclaration faite par le cabinet, en l'absence du ministre de la guerre, de réduire en quelques années le chiffre des dépenses militaires à 25 millions. Mais j'espére que l'honorable général qui se trouve aujourd'hui à la tête du département de la guerre, et qui ne s'est associé à ces vues qu'avec une certaine réserve, saura résister au désir trop grand peut-être de ses collègues d'opérer des réductions.
Je me flatte qu'il saura s'arrêter dans cette voie avant d'avoir porté la désorganisation dans les rangs de notre armée.
C'est dans cet espoir que je voterai le budget de 1851 ; me réservant d'examiner l'an prochain si l'on ne s'est pas engagé trop loin sur cette pente dangereuse, avant de donner mon vote au budget de 1852.
(page 465) M. de Liedekerke. - Messieurs, le discours que vient de prononcer l’honorable ministre de la guerre, loin d’éclairicir la situation ou d »y jeter de nouvelles lumières, en augmente la perplexité et ne peut que propager nos incertitudes. Je ne répondrai point au discours de M. le ministre de la guerre, ni aux espérances qu’il a émise de pouvoir conserver intacte notre organisation militaire. Ce qui doit nous préoccuper, l’attitude que nous devons considérer, les principes auxquels nous devons répondre, ce sont les principes réfléchis du cabinet, qu’il a consignés dans la note envoyée à la section centrale. Ce n’est donc point aux principes de M. le ministre de la guerre dont le discours s’éloigne considérablement de celui qu’il a prononcé hier et des paroles de M. le ministre de l’intérieur, ce n’est point à ces vues, dont rien ne garantit la fixité, que je répondrai ; c’est aux paroles prononcées par M. le ministre de l’intérieur dans la séance d’hier, c’est à l’attitude préméditée du cabinet telle qu’elle a été consignée dans le rapport de la section centrale, telle qu’elle a été constatée par votre honorable rapporteur.
L'honorable M. de Chimay nous disait hier, messieurs, que cette question était une des plus importantes et des plus graves qui depuis longtemps eussent occupé le parlement. L'honorable membre avait raison, c'est une de celles dont la solution intéresse au plus haut degré le présent et l'avenir du pays. Il ne s'agit point, en effet, ainsi que c'est le propre de tous les régimes constitutionnels, de tous les gouvernements parlementaires, il ne s'agit pas de décider si vous aurez un contingent plus ou moins fort, si vous restreindrez quelques chiffres de dépenses ; la question n'est pas là.
Quoi qu'on tente pour la voiler sous les sophismes, sous les ambages de langages divers et contradictoires, sous des protestations vaines et insuffisantes, quoi qu'on fasse, la question n'est pas là. Il faut l'aborder dans toute sa vérité, il faut la placer en face du parlement et en face du pays dans sa nudité.
La question dont il s'agit est de savoir si vous aurez ou si vous n'aurez pas une armée, si vous maintiendrez ou si vous ne maintiendrez pas votre organisation militaire, si vous désorganiserez matériellement les cadres de votre armée, ou, ce qui est un mal bien plus profond, plus considérable, plus regrettable, si dès aujourd'hui vous voulez la désorganiser moralement.
Tantôt, messieurs, nous verrons quelle est la valeur et quelle est la signification de cette équivoque qui est consignée dans le rapport de la section centrale. Quant à la commission dont on vous parlait, que serait-elle après tout ? Quoi ! vous êtes venus déclarer que vous voulez réduire les dépenses à 25 millions, et vous voudrez charger une commission de voir comment cette réduction pourrait être opérée. Et qui accepterait une pareille mission ? Quel est celui des hommes spéciaux, alors que, d'avance vous avez indiqué la limite fatale qu'il faut atteindre, qui voudrait se charger d'une charge aussi ingrate, je dirai aussi odieuse ?
Et comment se fait-il que le budget de la guerre, si énergiquement, si courageusement défendu par le cabinet depuis trois ans ; comment se fait-il que ce budget dont le vote a toujours, jusqu'à présent, été posé comme une question de cabinet, vienne d'une manière si soudaine à être désertée par le même cabinet ?
Quels peuvent en être les motifs ? Quelles en sont les causes ? Causes jusqu'à présent inconnues et mystérieuses ?
Serait-ce par hasard parce que quelques-uns de ceux qui ne partagent pas habituellement les convictions, les opinions, les tendances politiques du ministère l'ont soutenu dans cette grave question ? Mais par cela même que ceux qui ne partagent pas toutes vos opinions ont cru pouvoir vous soutenir loyalement, franchement, ouvertement, dans cette circonstance, sans abandonner leurs principes, leurs sentiments, leurs convictions ; par cela même il me paraissait aussi que vous aussi, sans manquer à votre dignité de ministère, à votre importance politique, vous pouviez accepter notre concours et nos voix. D'ailleurs, vous disiez vous-même l'année dernière : « De quelque côté de la chambre que nous vienne l'appui sur cette grande question, nous l'acceptons » ; et vous ajoutiez : « avec reconnaissance. »
Permettez-moi de vous le dire, il est de grands faits comme de grandes et importantes questions sur lesquelles il me semble que les dissidences de parti peuvent disparaître, sur lesquelles des opinions divergentes peuvent s'entendre ; et s'il est une question qui révête éminemment ce caractère, c'est assurément le budget de la guerre, qui comprend en soi la force et la sécurité intérieure, et la garantie de la dignité extérieure.
Et permettez-moi de vous demander : Devant qui cédez-vous ? Cédez-vous devant une majorité incertaine ou équivoque ? Non ; la majorité sur cette question était puissante ; vous cédez donc devant une minorité ; on peut dès lors dire que vous sacrifiez un grand intérêt... à quoi ? à l'homogénéité d'un parti.
Et comment voulez-vous amener cette homogénéité ? Est-ce en tâchant de ramener les opinions les plus avancées, les plus hardies, les plus téméraires de votre parti vers les opinions les plus sages, les plus réfléchies, les plus expérimentées, les plus prudentes, vers ces opinions qui, depuis vingt ans, ont travaillé à consolider notre indépendance, notre nationalité, à faire vivre et fleurir dans le sein du pays les grands principes d'ordre et de constitutionnalité ; est-ce vers ces opinions que vous voulez ramener la fraction la plus avancée de votre parti ? Non ; c'est la partie la plus sage que vous voulez forcément pousser vers la partie la plus aventurée.
Mais qui peut m’empêcher de dire que le motif qui vous inspire et qui dicte cette conduite, c'est celui de l'ambition ou le désir de conserver le pouvoir ; que c'est la crainte de voir échapper la puissance ministérielle de vos mains qui vous guide, et qui vous échapperait, remarquez-le, non pas pour aller dans les mains de ceux qui ne partagent pas vos opinions, il n'est pas question d'eux pour le pouvoir, mais pour aller dans les mains de ceux qui professeraient, sous la bannière de votre parti, les principes les plus sages, les plus conciliants, les plus modérés, les plus à la hauteur des nécessités et des exigences sociales.
Bien avant les événements de 1848, depuis de longues années, qui donc a défendu avec le plus d'énergie le budget de la guerre ? C'est nous, M. le ministre de l'intérieur, ce sont vos amis qui l'ont soutenu.
Que s'est-il produit dans les derniers temps, à une époque plus récente ? Un léger schisme s'est fait dans votre parti, il y a eu sur cette question quelques adversaires, cette minorité a grossi ; eh bien, par qui le vide avait-il été comblé ? Par ceux qui ne partageaient pas, il est vrai, toutes vos opinions.
M. le ministre de l'intérieur, fait un signe de dénégation, mais certes ses paroles d'hier étaient plus fortes, plus puissantes et plus énergiques que ses dénégations du moment.
Messieurs, l'on parle d'homogénéité. Sans doute, l'homogénéité est une chose grande et importante pour un parti. Sans doute, il faut faire des sacrifices considérables pour maintenir et perpétuer cette homogénéité, puisque l'harmonie parfaite n'est pas possible, puisque les intelligences ne peuvent point s'entendre, puisqu'il doit y avoir dissidence entre elles et que les partis en naissent ; je conçois qu'il faut des règles et des principes fixes et invariables pour guider et conduire ceux qur ont les mêmes sentiments, sans quoi il en naîtrait trop souvent une véritable anarchie morale, qui ne tarderait pas à aboutir à l'indifférence et au cynisme politique. Mais c'est là quelque chose d'absolu, c'est la une règle qui ne souffre ni interruption, ni modification. Est-ce qu'en présence des grands intérêts du pays, de ses besoins les plus urgents, de son existence, de son salut, les hommes d'opinions diverses, de sentiments différents ne peuvent finir par s'entendre et se tendre la main pour soutenir par de communs efforts les grandes questions sociales ?
Soyez-en sûrs, messieurs, il est des moments où il importe peu de savoir qui occupe le pouvoir ou qui l'occupera, qui est ou qui sera ministre. Ce qu'il importe avant tout, c'est de voir que la marche du gouvernement est régulière, ferme et sage ; c'est qu'il n'abandonne rien de sa dignité, de ses droits, de sa force.
Avant 1848, lorsque ceux qui avaient formé jusqu'alors la majorité, étaient devenus la minorité, que vous disait l'honorable M. Malou, dont l'ardeur a été toujours tempérée par la pensée sérieuse de l'homme d'Etat ? Il nous disait : Nous vous promettons une expectante bienveillance. Qu'était-ce que cette expectante bienveillance, sinon modération et impartialité ?
Après les événements de 1848, qu'ont fait ceux que vous nommiez nos adversaires, dans toutes les circonstances importantes, dans toutes les grandes questions nationales ?
Ils vous ont soutenus avez loyauté, avec franchise, ils vous ont soutenus sans arrière-pensée, sans conditions ; eh bien, si alors, ils n'ont pas hésité à se placer et à vous appeler sur le terrain de la conciliation et de la véritable liberté, si nous avons pu nous y rencontrer, je m'en félicite, car j'en augure qu'aujourd'hui encore sur ce même terrain de la conciliation qui est celui de la vraie politique pour notre pays, nous serons toujours prêts à aider ceux qui sont au pouvoir, à les appuyer lorsqu'ils voudront faire triompher toutes les mesures qui touchent aux intérêts permanents du pays.
Messieurs, je considère comme un des plus grands dangers, comme le danger le plus sérieux qu'il puisse y avoir, et l'on est souvent revenu sur cet objet, de remettre périodiquement en question les institutions les plus importantes de la société et d'un pays. C'est un grand danger pour ces institutions elles-mêmes, car c'est leur ravir toute force, toute sécurité, toute énergie.
C'est affaiblir le pays lui-même, car rien n'affaiblit plus un pays que l'affaiblissement des institutions qui forment comme les piliers, les colonnes de l'édifice.
Qu'avez-vous fait en 1845 ? Qu'a fait le législateur de l845 ? Quel a été son principe quand il a abordé la loi d'organisation militaire, dans laquelle il a voulu introduire la fixité, la stabilité ? Il n'a pas voulu faire une loi comprenant tout le système militaire du pays, il en a pris la partie la plus importante, celle qui forme la base, le lien, le ligament d'une bonne organisation militaire, les cadres d'officiers ; il a voulu les constituer fortement parce que les cadres d'officiers sont les cadres mêmes de l'armée. Après avoir fait subir au corps d'officiers des réductions considérables, il les a fixés à une moyenne qui, dans un moment de grand danger, de grand péril, permet de mettre sur pied uns armée respectable, une armée qui pût parer à tous les besoins, à toutes les nécessités.
Voilà quelle a été la pensée du législateur de 1845.
Trois systèmes étaient en présence, ou plutôt deux systèmes et un rêve.
L'un de ces systèmes consistait à tenir plus longtemps les miliciens sous les armes ; à les séparer davantage du foyer domestique, et à avoir ainsi un certain nombre de soldats, pour arriver à ces armées permanentes dont le chiffre n'est pas aussi élevé, mais dont les soldats appartiennent au corps militaire comme à une famille. Ce système, dont le (page 466) caractère agressif peut convenir aux peuples qui veulent parler la guerre au-dehors, n'a pas été considéré comme pouvant être utile à notre pays ; on l'a abandonné.
Le deuxième système, celui que tout à l'heure je qualifiais de rêve, consistait à se confier à l'enthousiasme du pays, à s'en rapporter à l'amour de la nationalité, de l'indépendance qui ferait voler les populations à la frontière pour la mettre à l'abri de toute attaque.
Ce système soutenu par un membre de cette chambre, homme de beaucoup d'esprit, mais qui n'avait pas l'esprit de la chose ; cette idée défendue par l'honorable M.Castiau, je ne la cite que pour mémoire. Quant à l'autre système, celui que vous avez adopté, il consistait à avoir des cadres suffisants, permettant de réduire considérablement les dépenses en temps de paix, et d'appeler, en cas de guerre, un grand nombre d'hommes sous les armes, afin de pouvoir établir une ligne de défense sur toutes les frontières.
Après un long et sérieux examen, ce système fut considère comme celui qui convenait le mieux à la défense de notre pays.
Mais tous les hommes qui ont discuté ce système, qui l'ont voté en 1845, ont reconnu qu'on l'avait établi dans ses limites les plus modérées, dans des limites qu'il était impossible de franchir ; on a reconnu que si on allait plus avant on désorganiserait l'armée, qu'elle cesserait d'être à la hauteur des besoins et des nécessités du pays.
Aussi que disait l'honorable M. Rogier à cette époque ? Jugez ces scrupules d'alors !
S'adressant au général Dupont, il prononçait les paroles suivantes :
« Si les explications n'étaient pas complètement satisfaisantes, si les réductions qu'on propose étaient de nature à porter préjudice à la bonne organisation de l'armée, loin d'y applaudir, nous ne pourrions que les regretter. Epargner d'une part 1,370,000 fr., pour compromettre par cette épargne 28,130,000 fr., serait une économie de la pire espèce. »
C'est ainsi que parlait l'honorable ministre de l'intérieur, l'honorable M. Rogier, non celui de 1850, mais l'honorable M. Rogier de 1843, de 1845, de 1846, de 1847, de 1848 et de 1849. Oui, messieurs, tel était son langage, et certes c'est la partie la plus affaiblie, la moins forte de toutes ces harangues véhémentes que l'honorable membre prononçait en faveur du maintien de l'armée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pour les harangues véhémentes, permettez que je vous cède le pas.
M. de Liedekerke. - Oui, des harangues les plus véhémentes au point de vue de la conservation de l’armée. Ce que je viens de rapporter, c’est la partie la plus tiède que j’invoue ; et si l’athmosphère du parlement n’en était pas pour ainsi dire imprégnée, je n’hésiterais pas à les citer, et j’y trouverais les plus forts arguments en faveur de la cause que je soutiens aujourd’hui.
Ainsi, parler d'économies successives qui réduiraient le budget de la guerre à 25 millions sans désorganiser, est chose véritablement impossible. C'est un argument qui n'est pas sérieux ; c'est un argument de circonstance, fabriqué pour le besoin du moment.
C'est un argument qui n'est fondé sur aucune base, sur aucun motif plausible, sur rien d'avoué, sur aucune vue positive qu'on puisse déposer au sein du parlement.
Quel est donc le grand moyen par lequel vous prétendez réduire le chiffre normal des dépenses de l'armée à 25 millions ? Quels sont vos éléments de réduction ? Quel est donc ce grand secret qu'il est impossible de révéler au sein du parlement ? Quoi ! vous prétendez, en deux ou trois ans, réduire à 25 millions le chiffre du budget de la guerre ! Mais si vous pouvez opérer cette réduction en deux ou trois ans, pourquoi ne pas l'opérer immédiatement ? Si vous savez comment vous pourrez réaliser cette économie, pourquoi faire peser sur l'armée le martyre d'une aussi longue léthargie ? Pourquoi la laisser dans cet état d'incertitude, qui frappe son moral, détruit ses espérances, et décourage tous les cœurs ?
Hier, M. le ministre de l'intérieur nous dépeignait presque comme ses complices. Oui, il reprochait aux membres de l'opposition, à l'honorable prince de Chimay d'avoir voté, depuis 3 ou 4 ans, les divers budgets de la guerre d'un chiffre inférieur à 30 millions. Il disait : Quoi ! vous avez voulu l'organisation, de 1845, de l'armée ; vous la réclamez encore aujourd'hui ; et cependant vous avez voté des budgets de la guerre de 29, de 28, de 26 millions ! Est-ce là vous montrer fidèles à vos convictions ? Mais, messieurs, c'est le beau côté de cette organisation, c'est qu'elle permet, en temps de paix, de ramener, sans désorganiser, les dépenses au chiffre le plus inférieur qu'on puisse faire peser sur l'Etat.
Et d'ailleurs si nous acceptions ce chiffre, pourquoi nous convenait-il ? Parce que l'honorable général qui dirigeait le département de la guerre disait que c'était possible, sans rien désorganiser. On pouvait, selon lui, réduire les dépenses de l'armée à 25 millions, suis atteindre au cœur sa vie, son existence même. Voilà le langage énergique et loyal que tenait l'honorable général qui dirigeait alors le département de la guerre.
Mais qu'ajoutait, l'année dernière, l'honorable général Chazal ? Qu'on avait atteint l'extrême limite'au delà -de laquelle il était impossible de maintenir l'armée, au delà de laquelle il n'y avait plus d'organisation, plus d'armée. Que si l'on voulait franchir cetle frontière, il fallait non plus réduire à 25 millions, mais à 20 ou à 15 millions.
Ecoulez les paroles de l'honorable général :
« Pour maintenir l'armée dans les proportions nécessaires afin qu'elle puisse utilement remplir sa mission, il est impossible, et j'appuie sur ce mot, il est impossible d'apporter d'autres réductions notables dans le budget de la guerre, que celles qui sont indiquées par le chiffre des dépenses extraordinaires, ces dépenses devant cesser avec le temps. Il faut donc se résigner, si l'on veut avoir une armée, à supporter un budget de 26 millions et demi à 27 millions. »
« Vous voyez donc bien, disait plus loin l'honorable orateur, vous voyez donc bien que si je vous annonçais que, dans un avenir prochain, on pourra apporter de grandes réductions dans le budget de la guerre, je vous tromperais, je tromperais le pays, je lui donnerais une espérance que je n'ai pas et qui ne se réalisera jamais, je le crois. Je suis profondément convaincu que si le budget descendait à un chiffre inférieur à celui que j'indique, nous n'aurions plus qu'une armée incomplète, sans consistance, sans force, sans énergie, dépourvue du matériel indispensable, incapable d'agir avec efficacité et qui ferait forcément, fatalement défaut au pays, le jour où il en appellerait à son intervention. »
Eh bien ! messieurs, vous avez déclaré que vous étiez solidaires de la déclaration qui était faite hier. Vous avez déclaré que vous acceptiez la diminution du budget de la guerre jusqu'à concurrence de 25 millions. Je vous demanderai si, l'année dernière, lorsque l'honorable général Chazal prononçait ces paroles, vous en étiez solidaires, ou si déjà, au fond de vos cœurs, vous faisiez quelques réserves mystérieuses contre les paroles de l'honorable ministre, si déjà vous étiez résolu à faire éclater cette année ces réductions, ces propositions, ces projets, si peu en harmonie avec les déclarations qui étaient faites alors.
Oui, je le demande, le ministère en 1849 élait-il solidaire de la déclaration que faisait l'honorable général ? Croyait-il, comme lui, qu'on ne pouvait réduire le budget de l'armée au-dessous de 26 millions et demi ou de 27 millions ? Et s'il le croyait, comment se fait-il qu'au bout d'une année, qu'au bout de six mois, car il y a six mois l'honorable général Chazal faisait encore partie du ministère, il ait pu à ce point modifier sa pensée, son opinion, bouleverser son système, qu'il croie maintenant, par un revirement inattendu, qu'on peut, sans désorganiser, amener le budget de la guerre à 25 millions ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. de Liedekerke. - Messieurs, vous parlez d'une situation normale incontestée. Vous dites que lorsque vous aurez ramené le budget de la guerre à 25 millions, vous aurez atteint la limite extrême au-delà de laquelle vous n'irez pas. Mais qu'est-ce donc, dans le régime constitutionnel, qu'une limite extrême et immuable ? Que signifie ce chiffre de 25 millions que vous ne voulez pas franchir, au-delà duquel vous ne voulez pas pousser la réduction du budget de l'armée ? Quant à moi, je crois le chiffre de 25 millions trop ou trop peu. C'est trop peu, si vous voulez maintenir l'armée. C'est trop, si vous êtes décidé à ne pas dépasser ce chiffre ; dans ce dernier cas, il faut aller plus loin.
Oui, il faut réduire ce chiffre de 25 millions que vous posez comme immuable ou il ne faut rien réduire du tout.
Savez-vous ce que diront ceux qui poursuivent la réduction successive du budget de la guerre, ce que diront les économistes qui ne poursuivent que les économies sans consulter ni les besoins, ni les intérêts de l'Etat ? Savez-vous ce qu'ils vous diront ? Ils vous diront avec justice, en invoquant tous les précédents, toutes les déclarations des hommes spéciaux, en invoquant les déclarations mêmes de votre ancien collègue M. le ministre de la guerre, ils vous diront que l'organisation actuelle avec 25 millions est une organisation complètement insuffisante, qui n'est pas à la hauteur de sa tâche, qui ne peut remplir sa mission ; ils vous diront que votre armée est une armée de chiffres, une armée de carton qui ne peut ni remplir ses devoirs ni satisfaire à sa mission.
Ils vous demanderont de réduire davantage, et vous céderez, messieurs, vous céderez, comme vous cédez maintenant ; car vous n'aurez aucune raison plausible pour résister ; vous n'aurez aucune raison suffisante pour ne pas diminuer l'armée selon les caprices ou les vœux de vos amis. Dévoilez donc, dévoilez complètement votre pensée. Dites-nous que vous ne voulez plus d'armée ; dites-nous que les destinées inférieures du pays, que ses exigences extérieures, que la sécurité intérieure, que sa dignité nationale n'ont plus besoin d'armée, et qu'avec quelques régiments de gendarmerie vous croirez pouvoir maintenir et garantir les différentes lois et répondre aux diverses nécessités de votre situation. Dites cela, messieurs, ajoutez que vous voulez étendre et augmenter les obligations et les devoirs de la garde nationale ; que c'est sur elle que vous voulez désormais faire reposer tout le poids de la sécurité intérieure, que c'est à elle que vous voulez confier la défense nationale, le maintien de l'ordre.
Dites que c'est à la garde civique, désormais, de remplacer la force armée régulière ; dites que c'est aux armées municipales, fractionnées, sans unité, sans direction suprême, que vous voulez confier la défense intérieure et extérieure de l'honneur et de la dignité du pays ; ayez le courage de dévoiler cette pensée. Car, soyez persuadés qu'une dépense inutile de 25 millions, et on vous prouvera qu'elle serait inutile, qu'une telle dépense vous ne pourrez pas la faire concorder avec les dépenses de temps, d'argent et d'équipement que vous feriez peser désormais sur la garde civique.
Quant à moi, messieurs, je crois ce système mauvais, je crois qu'en théorie on peut déclarer que tout citoyen sera soldat, mais lorsqu'il faut imposer à tous les individus, habitués à la vie privée, les devoirs, les nécessités, les dures obligations de la vie militaire, cela ne réussira point, c'est une entreprise impossible, c'est là une tâche qu'on ne parvient pas à imposer à la liberté individuelle, pas plus à l'homme qui travaille, qu'à celui qui vit des fruits de son travail, pas plus à l'ouvrier qu'au rentier.
(page 467) Je rends hommage à la garde chique ; je crois que dans certaines grandes circonstances, que dans des périls pressants, elle peut tire un important appui moral pour le gouvernement, qu'elle concourt utilement au maintien de la paix et de l'ordre public. Mais je ne vois pas que rien prouve qu'en dehors de ces conditions, elle ait une mission utile à accomplir.
Messieurs, ce qui m'a le plus frappé dans cette pensée qui consisterait à vouloir remettre la défense presque entière de la sécurité intérieure aux mains de la garde civique, qui, après tout, ne peut jamais fonder un système militaire régulier et assuré, je crois qu'on sera d'accord avec moi sur ce point, ce qui m'a le plus vivement impressionné, la conséquence qui m'a semblé être aussi inévitable que dangereuse est celle-ci.
Lorsque vous cesserez d'avoir une force régulière suffisante, lorsque vous aurez affaibli toute votre belle organisation militaire, vous aurez confié les armes à qui ? Aux électeurs souverains ; vous aurez armé la souveraineté électorale ; vous aurez donné à la puissance intellectuelle et morale la puissance matérielle, la puissance des armes ; vous aurez, messieurs, et je signale cette conséquence à votre attention, vous aurez détruit le plus sage équilibre de nos lois, la pondération des pouvoirs publics. Le gouvernement ne sera armé d'aucun élément de résistance imposante et respectable.
L'agitation des masses, l'effervescence publique, les entraînements populaires, peuvent être sans dangers sérieux pour un pays. Car les lois ont une sanction toute prête à agir pour maintenir leur autorité. Ce n'est là après tout que le mouvement naturel, et l'agitation souvent salutaire du régime de la liberté constitutionnelle. La violence peut ne pas dégénérer en anarchie. L'opinion publique a le temps de s'éclairer, les passions tombent et se calment, la raison a le temps de retrouver son empire. Mais si au droit intellectuel, vous joignez le droit de la force, si vous investissez les mêmes hommes du droit de délibérer et d'exécuter, vous touchez à la plus grave des extrémités, vous créez un pouvoir formidable inconnu dans tous les temps, contraire à tout gouvernement régulier et fort. Car, messieurs, il y a une séduction immense, que les passions peuvent rendre irrésistible, à résoudre, puis à faire triompher ses résolutions et l'amour propre de l'homme ne reçoit souvent d'autres conseils que de ceux qui l'encensent. Il peut donc y avoir, dans un tel système, des éléments d'une redoutable tyrannie sous laquelle fléchirait le gouvernement, à laquelle il tenterait en vain d'opposer une résistance quelconque parce qu'il aurait sacrifié sa force, et le contrepoids régulier qui maintient intacte sa prérogative, et rend son action, comme pouvoir exécutif, utile et salutaire.
Messieurs, je retrace les suites, les conséquences d'un système que je considérerais comme un grand malheur. Quand on discute des lois, il faut les envisager sous tous les rapports, il faut apprécier tous leurs effets, envisager les circonstances diverses dans lesquelles il peut se trouver, ce qu'elles donnent, ce qu'elles ôtent, ce qu'elles fortifient, ce qu'elles affaiblissent. Pour ceci, je le répète, j'aurai toujours la plus grande confiance dans la sagesse de nos populations, dans le patriotique et intelligent dévouement de notre garde civique. Mais n'oublions jamais que les bonnes lois seules font les sociétés fortes et durables.
Messieurs, l'on a beaucoup parlé, dans cette discussion, d'économies ; le mot « économies » est celui qui a été le plus souvent mis en avant pour arriver à la réduction du budget de la guerre et pour grossir en même temps de quelques millions les autres dépenses de l'Etat. Le mot « économies » contient en lui un principe de salutaires réformes, mais il renferme aussi un principe de destruction. Quelle est la véritable économie pour un pays ? La véritable économie pour un pays, c'est de donner à toutes les grandes dépenses, aux dépenses que je nommerai dépenses éminentes, tout ce qui leur est sagement dû.
A coup sûr, si on venait nous proposer d'affaiblir les institutions judiciaires, d'opérer des réductions sur ce qui leur est strictement nécessaire, vous refuseriez de vous associer à ces propositions ; vous vous y refuseriez, parce que vous savez que la justice est un des premiers, des plus essentiels besoins du pays. Eh bien, si d'autre part, on vient maintenant vous demander de réduire à outrance la force armée, garantie de toutes les lois, sauvegarde de la justice, de l'ordre intérieur, de la sécurité, de la propriété individuelle et publique ; si on vous fait cette demande, iriez-vous, en l'examinant, jusqu'à oublier que l'armée est aussi un des plus grands, des plus sérieux éléments de stabilité ?
Est-ce donc l'armée, après tout, qui a été la source des grands déficits qu'on vous a si souvent signalés ? Non, messieurs, je n'ai cessé de le dire, ce sont surtout les travaux publics. Sans doute, les travaux publics ont eu de beaux, de grands résultats ; sans doute, ils ont doté le pays d'un accroissement de prospérité et de revenus ; mais il faut aussi tenir compte des dépenses qu'ils ont occasionnées, des emprunts qu'il a fallu faire pour les exécuter. C'est là le revers du tableau, c'est le côté sombre de cette belle perspective. Ce système a pu être beau, mais à la longue, s'il était continué, comme le ministère ne s'en montre que trop tenté, il serait déplorable, il conduirait à un vaste système de patronage sur tous les intérêts, sur toutes les localités, et dont les contribuables seraient à la fois dupes et victimes. (Interruption.) Je sais bien que M. le ministre des finances, au début de sa carrière, avait deux grands mots à la bouche : d'une part c'était l'économie, d'autre part c'était le déficit ; ces deux mots avaient pour correctifs demx autres paroles, celle de réforme et celle d'impôts nouveaux. Eh bien, messieurs, est-ce que M. le ministre des finances nous a jamais présenté un plan complet, achevé de réformes, relativement à la manière dont on pourrait combler le déficit signalé à tant de reprises et avec tant d'ardeur ?
Quel a été, messieurs, le système de M. le ministre des finances ? Quels ont été ses débuts ? Lorsqu'il était ministre des travaux publics, il est venu déposer un grand projet de loi de travaux publics, s'élevant 83 millions. C'était là une singulière méthode pour arriver à diminuer le déficit.
Loin de maintenir les impôts qui existaient alors, loin d'en augmenter les produits, M. le ministre des finances a diminué les revenus publics ? il a réformé plusieurs impôts notables ; par un tarif dont l'application a été de plus en plus fautive, il a diminué les recettes du chemin de fer et par là même il a affaibli les recettes de certains canaux ; il a supprimé le timbre des journaux ; il a réduit les revenus de la poste. Ainsi, messieurs, loin de maintenir les impôts à leur ancien niveau, M. le ministre des finances, pour combler le déficit qu'il signalait, est venu réduire les impôts et jusqu'à présent nous ne voyons pas par quoi il espère combler le vide qu'il s'est plu à accroître. Jusqu'à présent aucun projet complet n'a été présenté. Nous sommes dans l'attente de ce projet, nous espérons qu'il viendra et nous serons prêts à le discuter. Hier, M. le ministre de l'intérieur disait, aux applaudissements généraux de la gauche : Des impôts nouveaux, vous ne voulez pas les voter.
Messieurs, il n'y a pas de justice à nous faire ce reproche. Qu'on veuille soumettre à notre appréciation les impôts nouveaux, qu'on nous mette à même de voir si ces impôts conviennent aux mœurs du pays, à ses habitudes, si ces impôts sont les meilleurs et les plus salutaires qu'on puisse établir ; qu'on nous produise enfin un plan, des vues d'ensemble appréciables, et nous sommes prêts à les discuter.
Mais, messieurs, alors même que vous diminueriez le budget de la guerre, je dirai à ceux qui espèrent qu'en le réduisant, ils échapperont à des impôts nouveaux ; je leur dirai : Détrompez-vous, vous démolirez une grande institution sans atteindre votre but.
En effet, M. le ministre des finances répondant, l'année dernière, h l'honorable M. Manilius, déclarait qu'alors même que vous diminueriez le budget de la guerre, vous n'en voteriez pas moins des impôts nouveaux.
Messieurs, je ne me dissimule pas que les dépenses du budget de îa guerre sont considérables ; mais soyons justes, et considérez que ce n'est pas là un fait particulier à notre pays ; mais un fait qui tient à la situation de l'Europe, et qui se revêt de proportions bien plus marquantes chez toutes les autres nations que chez nous.
En effet, tandis que. dans presque tous les pays, on a été forcé de mettre le budget de la guerre sur le pied de guerre, nous avons pu maintenir le nôtre sur le pied de paix ; et tandis que partout ailleurs on a augmenté considérablement les dépenses de l'armée pendant les trois dernières années, tandis que dans certains pays, où l'organisation était inachevée, on s'est hâté de la compléter, nous avons pu maintenir notre armée sur le pied de paix, nous n'avons pas accru nos dépenses, et c'est là une preuve nouvelle de l'excellence et de la bonté de notre organisation.
Oui, les grandes armées, les armées nombreuses sont encore nécessaires ; et pourquoi ? A cause de la multiplicité des intérêts, à cause de la diffusion de la richesse publique qui s'est étendue à toutes les classes, qui a multiplié les fortunes considérables, et qui par conséquent a multiplié les besoins et les exigences de la sécurité.
Des armements considérables sont encore indispensables ; pourquoi ? Parce que nous avons vécu dans une agitation révolutionnaire permanente ; parce que partout il y a incertitude, trouble ; parce que partout la société demande avant tout aux gouvernements de la protéger ; parce qu'elle recherche avec avidité la sécurité ; parce qu'enfin trop fatalement indifférente à la mobilité politique, elle se préoccupe surtout de la paisible jouissance et de la conservation de ses intérêts matériels.
Quand nous aurons cessé de lutter contre ce courant si violent qui menaçait de tout emporter, quand nous serons dans une situation plus tranquille, après avoir abordé un rivage paisible, quand le sentiment des devoirs sera plus fortement inculqué dans les cœurs, on réduira les armements militaires ; les dépenses des armées occuperont alors une place moins imposante dans les budgets et pèseront d'une manière moins lourde sur les nations.
Messieurs, dans ce grand débat, suffit-il de considérer les devoirs de la Belgique vis-à-vis d'elle-même ? Non, elle en a d'une nature très haute et très sérieuse vis-à-vis de l’Europe.
La situation géographierae, le droit des gens, les rapports internationaux n'exigent-ils pas aussi de grands sacrifices ?... Ne nous imposent-ils pas des obligations qu'il nous est impossible de fuir ? Croyez-vous, par exemple, qu'une Belgique desarmée ou faiblement armée puisse avoir et conserver avec les puissances étrangères les mêmes relations qu'une Belgique suffisament armée ? Croyez-vous que la Belgique, tombée à l'état de nullité sous le rapport de sa défense extérieure, offrirait a l'Europe toutes les garanties et les sécurités qu'elle attend de nous ?
Non, messieurs ; si la Belgique, par sa position, descendait de la neutralité armée où elle est à l'état de désarmement, tous ses rapports avec les cabinets européens en seraient aussitôt profondément modifiés.
Quel a été le principe qui a présidé au droit des gens qui nous gouverne depuis un siècle et demi ?
Ce principe est resté invariablement le même, quoiqu'il ait subi d esmodifications différentes. Toujours on a considère la Belgique comme devant servir à la défense des grands intérêts du Nord, à la sécurité du Nord, ou comme devant être dans une condition complète de neutralité, qui n'est qu'un équilibre impartial entre l'intérêt allemand et l'intérêt français.
(page 468) Depuis le traité des barrières qui a donné à une nation voisine ce grand droit d'occuper des forteresses dans l'intérieur de notre pays, jusqu'au congrès de Vienne, tel a toujours été le principe qui a présidé aux décisions européennes qui concernaient la Belgique. Quel a été le système politique suivi en 1815 ? Après les grands empiétements de l'empire, après les bouleversements dont l'empereur avait été le chef et l'instigateur, l'Europe, par une réaction naturelle, a voulu prendre des garanties contre l'ambition et la puissance de la France ; elle a fondu la Belgique et la Hollande en un seul pays ; elle l'a entourée d'une ceinture de forteresses ; elle a confié la défense du Nord, des grands intérêts européens, au royaume des Pays-Bas.
Le fait révolutionnaire de 1830 est venu modifier cette situation ; la Belgique et la Hollande, réunies sous l'empire des traités de 1815, étaient forcement entraînées dans le conflit européen qui aurait pu éclater entre la France et les autres Etats du continent ; la place du royaume des Pays-Bas était marquée parmi les parties belligérantes. Après 1830, l'Europe, acceptant le fait révolutionnaire, y a attaché des conditions dictées, un droit ; car, quel que soit le fait dans les grandes affaires du monde, ce droit vient toujours tôt ou tard le régulariser et le consolider.
L'Europe a donc accepté le fait de 1830 ; mais elle y a attaché le principe d'une neutralité complète, absolue ; elle a garanti le principe de la neutralité ; mais croyez-vous qu'en le garantissant, elle se soit imaginé que le pays n'avait rien à faire ?
Non, messieurs ? Elle a voulu aussi que la Belgique concourût elle-même à protéger cette neutralité. Pensez-vous donc que si la Belgique, réduisant son armée, devenait impuissante à défendre sa neutralité sur ses frontières, croyez-vous que la sécurité de l'Europe fût la même ? Vous figurez-vous que les rapports de notre pays avec les cabinets européens n'en seraient pas profondément et fatalement altérés ?
Messieurs, l'on a dit que la Belgique ne pouvait pas résister à une grande puissance étrangère. Messieurs, si la Belgique, seule, abandonnée, isolée, devait engager une grande guerre avec une nation puissante, je crois que cette opinion aurait quelque vérité ; mais il ne s'agit pas ici pour elle d'entreprendre de vastes campagnes, il n'est pas question pour la Belgique d'aborder, seule et sans secours une lutte avec une grande puissance ; mais tout ce qu'il faut à la Belgique, c'est qu'elle puisse sur toutes les frontières montrer sa bannière nationale, être prête à défendre son indépendance et sa nationalité. Voilà ce qu'il faut, et ce qu'on attend d'elle.
Qu'arriverait-il alors ? Il arriverait que des alliés voleraient à son secours et la soutiendraient contre des menaces belliqueuses. Si vous avez alors une forte armée, les troupes étrangères n'arriveront chez vous qu'à l'état d'auxiliaires qui n'occuperont pas la position première dans votre pays, elles n'y occuperont que la position secondaire ; ce n'est pas là une mince considération, elle importe à votre honneur, à votre dignité et à l'avenir de votre souveraineté nationale. Soyez toujours maîtres chez vous.
Messieurs, ainsi que je vous le disais tantôt, ce qu'il importait le plus à la Belgique, c'était d'avoir un système militaire qui pût lui permettre, dans un moment de surprise, un système défensif, immédiat, d'établir enfin des troupes sur toutes ses lignes, de faire face de tous côtés, de résister à l'ennemi et de se montrer partout prête à défendre son territoire, et d'assurer l'ordre, la tranquillité et la paix publique. C'est là le grand côté de notre organisation militaire et ce qui lui a valu les suffrages des hommes les plus compétents. Vous avez prévu tout ce qui était nécessaire pour les jours des péripéties les plus graves, vous vous êtes préparés aux dangers futurs, quand tout était paisible autour de vous, vous vous êtes ainsi élevés dans l'estime et dans la considération de l'Europe, elle a compris que vous aimez la liberté et que vous en êtes dignes, que vous apportiez un nouvel élément de sécurité au sein de la grande famille européenne.
Elle s'est dit que vous accomplissiez dignement le but des sociétés modernes, celui d'accorder avec la plus grande somme de liberté politique et civile les nécessités gouvernementales, les exigences de l'ordre et de la fixité politique. C'est là une grande gloire, le ciel nous préserve de la ternir par notre propre imprudence !
Eh bien, je vous le demande, est-ce aujourd'hui, alors que partout on augmente les armées et que l'on fortifie les garanties d'ordre et de sécurité intérieure ; est-ce aujourd'hui que vous voudriez affaiblir, détruire, décourager ce qui au jour de la tourmente est devenu pour vous l'un des gages les plus précieux de paix et de tranquillité ? Il faudrait l'avouer, messieurs, ce serait là une véritable erreur, une faute grave. Cela tiendrait du vertige, et l'honorable M. Devaux le signalait déjà l'année dernière en termes énergiques et patriotiques.
Messieurs, ne vous laissez point dominer par des considérations d'un jour, par de simples, de fugitives préoccupations de parti. Vous êtes les députés du pays, comme tels vous êtes investis assurément de grands droits ; mais vous avez aussi de grands devoirs à accomplir.
Alors même que l'opinion publique réclamerait d'imprudentes réductions, vous devriez, dans votre prévoyance et votre sagesse, résister à ces dangereuses réclamations. Car il faut quelquefois lutter contre les passions du moment dans l'intérêt de la vérité elle-même, et l'erreur d'un jour a souvent un lendemain douloureux.
Mais j'ai la conviction intime que l'opinion publique, loin d'être hostile à l'armée, lui est favorable ; ce qu'elle réclame de vous, c'est que vous mainteniez intact l'honneur du pays, cet état de nationalité si respectable que nous avons fortifié depuis vingt ans par tant de lois salutaires ; ce qu'elle réclame de vous, c'est que vous ne livriez rien aux caprices du sort, aux incertitudes de l'avenir, c'est que vous n'affaiblissiez aucune de nos garanties les plus élevées par de téméraires et d'imprudentes résolutions, et pour un tel parti qui se lie aux plus chers sentiments du pays, dussiez-vous faire peser sur lui quelques sacrifices, soyez-en sûrs, messieurs, tous les hommes de bien vous soutiendront et vous applaudiront, et l'opinion publique vous rendra une solennelle et entière justice.
Quant à moi, persuadé que le maintien de l'armée est une nécessité incontestable pour la Belgique, inébranlable dans mes convictions, fidèle à mes antécédents, persuadé que ce serait pêcher contre la plus vulgaire prescription de la prudence que de diminuer ou même d'affaiblir notre armée, j'écarte l'équivoque consignée dans le rapport de la section centrale, cette équivoque qui présage la destruction de notre état militaire, et je déclare que je voterai purement et simplement pour le budget de la guerre.
(page 457) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable préopinant, après un très long discours, après un préambule immense, a conclu de la manière suivante :
Je voterai pour le budget de la guerre.
Eh bien, nous ne demandons rien de plus à l'honorable membre. Nous sommes parfaitement d'accord, nous sommes parfaitement homogènes avec l'honorable préopinant sur ce point.
Sous ce rapport, son discours, fort éloquent d'ailleurs, je ne le comparerai pas à une harangue véhémente, ces comparaisons sont réservées aux discours des ministres, sous ce rapport, dis-je, son discours, fort éloquent d'ailleurs, était inutile.
Ou plutôt après un pareil discours, il fallait repousser le budget ; il fallait non seulement le demander au chiffre de l'année dernière, mais avec une augmentation sur ce chiffre ; c'était la seule conduite logique à tenir, après tout ce qu'on a dit.
N'agrandissons pas outre mesure cette question ; dans un intérêt de parti ne grossissons pas la difficulté. De quoi s'agit-il ? Avec un budget de 26 millions vous croyez au salut de l'armée ; mais si on vient vous dire : Cherchons au moyen d'une commission composée d'hommes éclairés, spéciaux, impartiaux, s'il ne serait pas possible d'opérer, en trois années, des économies qui réduisent le budget à 25 millions ! l'armée est perdue.
Ainsi l'armée est sauvée avec un budget de 26 millions, elle est perdue s'il est réduit à 25 ; il n'en reste plus rien.
Voilà la distance, l'abîme profond qui paraît nous séparer.
Réduisons la question à ses termes les plus simples. Elle est tout entière dans une somme de 1,300 mille fr., elle consiste dans cette réserve de faire examiner par une commission composée d'hommes spéciaux et impartiaux si dans trois années il ne sera pas possible de réduire le budget de la guerre aux environs de 25 millions ; mais avec cette condition que dans aucun cas on ne l'abaissera au-dessous de 25 millions.
- Un membre. - Pourquoi ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pourquoi ? Parce que je pense que quand une majorité unie, compacte se sera associée à un pareil système, cette majorité ne variera plus. Voilà pourquoi.
M. de Mérode. - Belle garantie !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, on a pensé que dans mon discours d'hier je m'étais montré vivement contrarié de l'appui qu'une partie de l'opposition nous avait apporté précédemment dans la discussion du budget de la guerre. Je ne suis nullement contrarié de cet appui. Je l'accepterai toujours dans toutes les questions ; mais ce qui nous contrarie, ce qui gêne la marche des affaires, ce qui nuit à la position du ministère, c'est la désunion qui s'est manifestée dans la majorité qui le soutient.
Vous y verrez, si vous le voulez, un grand désir de conserver nos positions, une ambition de portefeuilles, nous vous accorderons tout cela ; mais ce que nous considérons comme un grand résultat, c'est de ramener, dans la majorilé qui soutient le gouvernement, l'union, la conciliation sur cette question importante. Voilà ce que nous voulons.
Si, au prix de cette réduction d'un million et quelques centaines de mille francs en trois ans, nous parvenons à obtenir une majorité libérale, unie, compacte, favorable au budget de la guerre, nous croirons avoir rendu un grand service à l'armée ; car il n'y a pas de sécurité pour l'armée dans la position respective actuelle des partis. Il n'y a pas de sécurité dans l'appui précaire d'une opinion qui peut-être demain par une pure tactique parlementaire vieil irait déclarer : Nous voulons un budget de la guerre de 28 millions, mais nous ne l'accordons pas à un ministère qui n'a pas notre confiance.
Voilà une formule qui a été mise on avant par plusieurs d'entre vous et des plus considérables. Une pareille position n'offre aucune espèce de sécurité pour l'armée.
M. Dedecker. - Vous êtes dans l'erreur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Tous les voisins de M. Dedecker ne le diront pas !
M. de Mérode. - Je n'emploierai jamais de si pauvres moyens,
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous ne le ferez pas, dites-vous ? Mais vous pourriez le faire, et cette possibilité seule suffit pour enlever toute espèce de sécurité à l'armée.
Messieurs, chaque année la discussion du budget de la guerre est une espèce de crise pour l'armée ; chaque année les inquiétudes, les incertitudes se renouvellent.
N'est-il pas vrai que cette position de l'armée n'est bonne ni pour l'armée, ni pour le pays ? Est-il vrai que si à cette situation précaire, variable au gré et suivant les intérêts des partis, on substituait une position stable, on aurait rendu un très grand service à l'armée ? Je suis convaincu qu'en suivant le programme déposé et développé par nous de concert avec le ministre de la guerre, nous arriverions à ce résultat.
Aujourd'hui, les budgets de tous les ministères, sans exception, sont votés sans discussion. Pourquoi ? Parce que chaque ministre a introduit des économies, qui, je le reconnais, n'ont pas donné satisfaction à tous les intéressés, ont ébranlé quelques positions. Mais enfin, l'effet fâcheux de ces réductions a disparu, et les bons résultats sont permanents. Tous les budgets sont votés aujourd'hui sans discussion.
Personne ne demande de nouvelles économies. Au contraire, on serait tenté plutôt de proposer des augmentations.
Eh bien, ne serait-ce pas un grand résultat que d'avoir obtenu pour le budget de la guerre cette sécurité, ces votes invariablement assurés pendant des années ? Quant à moi, si j'avais à choisir entre le chiffre de 26 millions contesté chaque année par une grande partie de cette chambre, et le chiffre de 25 millions assuré pour longtemps, je n'hésiterais pas à donner la préférence au dernier chiffre.
M. de Mérode. - Vous ne disiez pas cela l'année dernière.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettez, l'année dernière, comme les années précédentes, qu'ai-je dit ? Que nous avions introduit des économies, que nous continuerions à en rechercher. Je n'ai jamais prétendu déclarer que nous nous arrêterions au chiffre de l'année dernière.
Mon honorable ami, l'ancien ministre de la guerre, a lui-même introduit des économies, s'est lui-même livré à des recherches pour en introduire de nouvelles. Il n'est pas venu dire à cette chambre qu'il ferait encore des économies et je pense que dans l'état où la question se trouvait alors, il a bien fait de s'exprimer comme il l'a fait. Ce n'est pas à dire que nous ayons déclaré qu'il n'y avait plus rien à faire.
M. de Chimay. - Mais lisez le discours du général Chazal.
M. Delfosse. - Qu'est-ce que cela prouve ? Il y a d'autres discours que celui-là.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas à répéter ce qu'a dit l'honorable général Chazal. J'ai à me défendre et à répéter ce que j'ai dit. Voilà l'attitude que je n'ai cessé d'avoir dans le cabinet depuis trois ans.
Messieurs, on a dit que les économies introduites dans les autres budgets n'avaisnt pas affecté les institutions, qu'on s'était gardé de porter atteinte aux institutions judiciaires par exemple. Mais qu'ont fait les chambres ? Elles ont introduit des économies, des réductions dans les dépenses de l'ordre judiciaire, sans porter atteinte à cette haute institution.
L'armée est sans doute une garantie de premier ordre pour la sécurité du pays. Mais l'organisation judiciaire est une garantie d'un ordre tout aussi élevé ; cependant nous n'avons pas vu que cette garantie se soit affaiblie lorsqu'on est venu introduire des réductions dans les dépenses de nos institutions judiciaires.
Les causes du déficit, dit-on, proviennent des travaux publics. Je m'attends à de nouvelles attaques contre le chemin de fer. On voudra probablement rendre les travaux publics responsables de toute la dette belge ; mais prenons garde, car ce terrain offre des inconvénients pour les défenseurs des dépenses exagérées en ce qui concerne le budget de la guerre. Si vous imputez à chaque service les intérêts des dettes qu'il a occasionnées, il faudra ajouter au budget de la guerre les intérêts des emprunts faits pour l'armée. Vous avez emprunté 100 millions pour l'armée, ce sera donc 5 millions à ajouter aux dépenses qu'occasionne l'armée. Je ne prends pas pour mon compte ce genre de calcul, mais je dis qu'il est tout aussi juste de le faire pour l'armée que pour le chemin defer.
M. Dumortier. - L'armée, c'est la nationalité !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans doute, et je ne prétends pas qu'il faille faire sur l'armée des économies anti-nationales ; mais je dis que l'application à l'armée de votre manière de calculer pour le chemin de fer, vous conduit à ajouter 5 millions aux dépenses pour le budget de la guerre.
M. Dumortier. - L'armée n'est pas une entreprise mercantile comme le chemin de fer.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le chemin de fer n'est pas sans avoir rendu des services à la Belgique et même à la nationalité bege. Si l'on met à charge de ce service les emprunts qu'il a occasionnés, (page 458) il faut appliquer ce système à tous les services qui ont profité des dettes que l'on a contractées.
J'ai cru avant que la discussion continuât, avant que d'autres discours ne furent prononcés, devoir ramener la question à ses simples termes : Ya-t-il lieu, est il possible, est-il désirable, connue nous le croyons de faire descendre le budget de la guerre à 25 millions, pas au-dessous, dans un espace de temps donné, en supposant l'existence de circonstances paceifiques et normales ? Voila la question. Ceux qui s’associeront à ce système voteront le budget de la guerre avec la réduction proposée, acceptée par toutes les sections, sans observations, sans protestations. En votant maintenant le budget pour 1851, que ceux qui ont des craintes, des doutes fassent leurs réserves pour 1852. On vous apportera pour ce budget les résultats de l'examen auquel on se sera livré de concert avec une commission ; chacun reste libre sur les bancs de la chambre, comme sur les bancs du ministère quant au budget de 1852.
M. Lelièvre. - Depuis plusieurs années, le budget de la guerre donne lieu, au sein des chambres législalives, à des débats sérieux et importants. Une minorité imposante, dont j'ai constamment fait partie, tout en voulant une force militaire suffisante, réclamait une organisation qui ne fût pas disproportionnée à nos ressources financières. Nous pensions, d'après l'avis des hommes spéciaux les plus compétents, que l'organisation actuelle était vicieuse, même au point de vue de la force de l'année, et qu'il était possible de donner à celle-ci plus de consistance, plus de valeur réelle, tout en ménageant les intérêts du trésor, seul moyen pour l'Etat d'échapper à la banqueroute, pour me servir des expressions de l'honorable M. Tesch.
Cette opinion, je la partage encore, et quoique le gouvernement ait paru nous faire quelque concession, je vous avoue qu'à mon avis les déclarations de M. le ministre de l'intérieur, dans la séance d'hier, sont loin d'être satisfaisantes pour les partisans des économies.
La lettre adressée à la section centrale par M. le ministre de la guerre s'exprimait en ces termes :
« Les vues du cabinet sont d'arriver à ramener le budget normal de l'armée sur le pied de paix au chiffre de 25 millions de francs et d'atteindre ce chiffre par des réductions réparties sur un espace de trois ans. »
Cette déclaration était au moins quelque peu significative, elle contenait l'engagement formel de réduire en trois années le chiffre à 25 millions ; mais, expliquée comme elle l'a été hier par M. le ministre de l'intérieur, elle est loin d'avoir la même portée. Elle est considérablement amoindrie, pour ne pas dire annihilée. En résultat, le gouvernement ne promet plus rien. Il fera seulement examiner la question par des hommes de son choix, et il communiquera ensuite à la chambre le résultat de leurs délibérations.
Il faut convenir, messieurs, que ce langage s'écarte singulièrement de celui tenu par M. le ministre de l'intérieur lors de la discussion du budget de 1849, lorsque, sans réserve aucune, il demandait à l'honorable M. d'Elhoungne s'il se contenterait d'une réduction de deux millions qu'on acceptait ainsi implicitement, et lorsque l'honorable membre répondait qu'il s'agissait d'une réduction plus considérable.
Les paroles de M. le ministre de l'intérieur prouvent que le cabinet, y compris l'honorable M. Brialmont, n'a aucunes vues arrêtées sur la question qui du reste doit être soumise à une commission nommée sous l'influence directe et exclusive du ministère, au lieu d'être traitée par une commission parlementaire présentant sans conteste aucune, plus de garantie d'indépendance et d'impartialité.
Mais, messieurs, où en serons-nous, si, lors du budget de 1852, le gouvernement vient nous annoncer qu'ayant fait examiner l'objet en discussion, il ne lui est pas possible d'opérer une réduction sérieuse, opinion qu'a souvent professée M. le ministre de l'intérieur ? La chambre se déclarera-t-clle satisfaite ? Et en cas de négative, la discussion n'aura été qu'ajournée, au détriment même des graves intérêts qui sont en jeu.
Il y a plus, on ne nous fait pas même connaître les bases sur lesquelles opérera la commission ministérielle. On ne nous dit pas si elle sera chargée d'examiner s'il y a lieu à réviser la loi concernant l'organisation de l'armée. Or, il n'est douteux pour personne que cette révision ne soit une condition essentielle sans laquelle on ne peut songer à réaliser des économies efficaces. Par conséquent, si le mandat déféré à la commission n'a pas cette portée, il est certain dès maintenant que la mesure proposée sera sans résultat favorable.
Enfin si le ministère voulait arriver à une solution satisfaisante, n'aurait-il pas dû, dès le mois d'août dernier, nommer cette commission, tandis qu'il n'annonce le projet de nomination qu'au moment même de la discussion pour emporter le budget, en mettant la chambre dans l'impossibilité de connaître le parti auquel s'arrêtera en dernière analyse le gouvernement ?
Pour moi, messieurs, je suis convaincu que lors du budget de 1852 nous nous trouverons dans la même position, et que la proposition ministérielle n'est pas de nature à faire cesser la difficulté qui occupe la chambre depuis plusieurs années.
En ce qui me concerne, messieurs, pour terminer définitivement le débat, je ne vois d'autre moyen que la nomination d'une commission parlementaire qui sera chargée d'examiner s'il y a lieu à réviser la loi sur l'organisation. Cette commission entendrait les hommes spéciaux et signalerait les économies possibles sans désorganisation de la force publique, sans atteinte à la sûreté du territoire. Son rapport éclairerait les chambres et le pays, et alors seulement on peut espérer de voir le problème définitivement résolu et de clore irrévocablement un débat auquel il est indispensable de mettre fin dans l’intérêt d’une institution liée si intimement à notre régime politique. Toute autre voie me semble sans issue, et je ne saurais me rallier à une combinaison dont je n'attends rien de favorable aux intérêts nationaux.
Ce qui me confirme de plus en plus dans cette opinion, c'est le discours empreint de franchise et de loyauté que vient de prononcer M. le ministre de la guerre. L'impression qu'il a produite sur moi, c'est la conviction que l'honorable général ne consentira jamais à réformer l'organisation actuelle.
Or, sans cette révision, il n'est pas même possible de réduire le budget normal au chiffre de 25 millions.
Dans cette discussion, il ne se présente que deux systèmes leigiques. L'un, qui était celui de l'honorable général Chazal, consistait à maintenir l'état actuel des choses ; l'autre tendait à réformer la loi sur l'organisation. Mais je ne conçois pas le système bâtard qu'on veut placer entre les deux vérités qui divisent les hommes sérieux du parlement.
Il est un autre objet sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre de la guerre. Son avènement au pouvoir, accueilli avec tant de faveur par l'opinion publique, doit être le signal des réparations que celle-ci réclame avec instance.
Un officier a été frappé pour avoir publié sur l'organisation de l'armée des observations qu'il croyait utiles au pays. A M. le ministre de la guerre est réservé l'honneur de relever la dignité de nos officiers en les replaçant sous l'empire du droit commun.
Ne leur enlevons pas, à cet égard, une liberté que notre Constitution a garantie à tous les citoyens. Que l'on en soit convaincu, l'indépendance du caractère n'a rien d'incompatible avec l'honneur militaire ; elle est, du reste, l'indice du véritable courage.
L'acte de justice que je sollicite aurait aussi pour conséquence de faire cesser une autre disgrâce qu'on a été forcé de décréter pour ne pas avoir deux poids et deux mesures. Certes, il est conforme à nos institutions de proclamer franchement que la liberté de manifester ses opinions est une vérité pour tous, et que les devoirs militaires se concilient parfaitement avec les droits de l'homme et du citoyen.
D'autres mesures sont également indispensables dans l'intérêt de l'armée. L'opinion libérale a inscrit dans son programme le retrait des lois réactionnaires. Or, bien certainement appartiennent à cette catégorie les dispositions en vigueur qui livrent le sort des officiers à l'arbitraire ministériel. La législation actuelle, sur ce point, doit nécessairement être révisée. La position de l'officier est une propriété qui doit être entourée de sérieuses garanties, si l'on a réellement à cœur la dignité militaire.
Enfin, messieurs, l'armée est depuis longtemps régie par des lois qui n'ont plus rien de commun avec nos mœurs et les nécessités de l'époque. Un Code pénal suranné, emprunté à un peuple voisin avec lequel nous n'avons pu sympathiser, est encore en vigueur parmi nous. Je forme le vœu que M. le ministre de la guerre accomplisse l'obligation prise si souvent par ses prédécesseurs, de proposer à la législature un nouveau Code pénal militaire mieux approprié à la civilisation moderne et des dispositions concernant l'instruction criminelle qui introduisent enfin en cette matière un régime libéral et sauvegardent efficacement l'honneur et la liberté de nos soldats.
Enfin, lors de la révision de la loi sur les pensions civiles, on nous avait fait espérer semblable mesure concernant les pensions militaires qui ont souvent dans cette enceinte donné lieu à de vives réclamations. Je prie M. le ministre de la guerre de ne pas perdre de vue cet objet important qui intéresse sérieusement le trésor public.
Je recommande ces améliorations à sa sollicitude ; en les réalisant, iï accomplira un devoir dont le pays entier lui saura gré.
M. Dumortier. - Messieurs, avant de commencer à vous présenter des observations que je compte avoir l'honneur de vous soumettre, je dois d'abord sortir de l'incertitude dans laquelle nous place la position que prend le cabinet. Je ne vois pas de corrélation entre l'opinion de M. le ministre de la guerre et celle de ses collègues.
On nous parle d'une commission, on nous dit qu'une commission sera chargée d'amener des économies.
Je dois d'abord demander à l'honorable ministre de la guerre et à ses collègues comment ils entendent le travail de cette commission, ou en d'autres termes, s'il s'agit de toucher ou de ne pas toucher à la loi organique de l'armée.
J'ai besoin d'avoir des explications sur ce point avant de prendre la parole.
S'il s'agit de ne pas toucher à l'organisation de l'armée, je donnerai mon plein et entier assentiment au budget de la guerre. Si au contraire, il s'agit de toucher à l'organisation de l'armée, je prendrai la parole pour combattre ce système. Je demande donc une explication sur ce point ; car il faut que les positions soient claires.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la question qui nous est posée, l'a été l'année dernière en termes plus formels. M. le ministre ele la guerre d'alors, tout en défendant l'organisation de l'armée, la loi organique de l'armée, a annoncé qu'il examinerait et qu'il ferait examiner toutes les questions, sans exception, qui se rapportent à notre établissement militaire.
Ainsi, messieurs, la mission de la commission ne sera pas limitée : elle examinera toutes les questions qui se rapportent à notre établissement militaire.
(page 459) Voilà, messieurs, dans quel sens je comprends le mandat de cette commission. Et je ne vois pas pourquoi, dans un pays parlementaire, dans un pays de publicité, où le devoir du gouvernement, ainsi que je le disais l'année dernière, est de se livrer constamment à des enquêtes, à des recherches paur introduire des améliorations, des réductions au besoin dans les dépenses ; je ne vois pas pourquoi l’on interdirait à une commission l'examen de toutes les questions sans exception qui se rattachent à l'organisation militaire du pays.
Il n'y a pas seulement que la loi organique, il y a grand nombre de questions à examiner.
Il peut sortir de l'examen de ces questions des vues d'économies, des moyens de réductions dans les limites extrêmement restreintes où elles sont indiquées.
Je pense que cette réponse est de nature à satisfaire les honorables orateurs qui nous ont demandé de quelles questions s'occuperait la commission qu'il s'agit de nommer.
M. le président. - La parole est continuée à M. Dumortier.
M. Dumortier. - M. le président, j'aurais voulu avoir une réponse de M. le ministre de la guerre, j'aurais voulu savoir quelles sont ses intentions.
M. le président. - Je ne puis donner la parole qu'à celui qui la demande.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le discours que l'honorable ministre de la guerre a prononcé dans la séance d'hier est l'œuvre du cabinet tout entier. M. le ministre de la guerre comme ses collègues doivent donc se référer entièrement, exclusivement, à ce discours qui a été rédigé de commun accord entre tous les membres du cabinet.
M. Dumortier. - Messieurs, puisque l'honorable ministre de la guerre ne se lève pas, je crois qu'il maintient la déclaration qu'il nous faisait tout à l'heure, qu'il ne veut pas toucher à l'organisation de l'armée. J'aime à croire que ces paroles, qui sont excessivement sérieuses, seront maintenues dans toute leur force et que la Belgique ne verra pas toucher à une organisation qui a fait jusqu'aujourd'hui sa force, qui est destinée à la faire encore.
Je dois cependant constater une divergence très grande entre les opinions de MM. les ministres ; car d'une part le chef du département de la guerre nous a dit qu'il n'entendait pas toucher à l'organisation de l'armée, et vous venez d'entendre l'honorable M. Rogier dire au contraire que la commission qui sera nommée aurait à examiner même la question d'organisation.
M. le ministre de la guerre (M. Brialmont). - J'ai dit que le ministre de la guerre s'entourera, au besoin, des lumières d'hommes éclairés et impartiaux, c'est-à-dire qu'il est convenu, d'après le programme d'hier, qu'il fera connaître loyalement sa manière de voir et sa détermination.
M. Dumortier. - Messieurs, la position qui nous est faite dans la discussion actuelle est, vous le voyez, singulièrement difficile. Pour nous, défenseurs de tout ce qui touche au sentiment national, pour nous défenseurs de la nationalité, il nous est difficile de comprendre où l'on veut aller avec le système que l'on met aujourd'hui en avant.
On parle de nommer une commission, qui sera chargée d'examiner toutes les questions relatives à l'armée. On vient de nous dire tout à l'heure que cette commission décidera. (Interruption). C'est le terme qui ' a été employé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas du tout.
M. Dumortier. - Et cependant, messieurs, on veut se trouver en harmonie avec les paroles qui ont été prononcées l'an dernier par l'honorable ministre de la guerre, M. le général Chazal.
Messieurs, il avait effectivement été question l'an dernier de nommer une commission pour examiner les questions relatives à l'armée. Mais quelle était la mission que l'honorable général Chazal entendait donner à cette commission ? Rappelez-vous ses paroles. Il voulait faire une enquête dans le but d'éclairer la minorité, de montrer à la minorité qu'il est impossible de pousser plus loin les réductions du budget de la guerre.
L'honorable général disait l'an dernier : J'ai ici vis-à-vis de vous une responsabilité, très grande, celle de la défense du territoire. Cette responsabilité, je l'ai également vis-à-vis du pays. Eh bien, je n'accepterai plus cette responsabilité si vous voulez toucher à l'organisation de l'armée, si vous réduisez encore le budget de la guerre.
Voilà les paroles franches, loyales, sincères que prononçait l'honorable général Chazal et auxquelles nous avons donné l'appui de notre vote.
Mais aujourd'hui que nous demandez-vous ? Vous nous demandez un vote équivoque ; car nous ne savons pas nous-mêmes ce que nous allons voter. Nous voulons une armée fortement organisée, une armée qui puisse défendre notre nationalité en cas de danger ; et sur cette armée vous tenez l'épée de Damoclès suspendue pendant trois ans. Vous voulez la désorganisation de l'armée, ou bien votre déclaration n'est qu'une misérable politique d'expédients.
L'an dernier nous voulions sortir de l'incertitude, nous voulions en sortir par un vote.
Moi-même, je me suis levé en vous adjurant tous d'en finir une fois avec toutes ces questions des dépenses de l'armée, et une immense majorité s'est levée pour déclarer qu'elle ne pousserait pas plus loin le système des réductions.
Eh bien, aujourd'hui, que volons-nous ? C'est le ministère qui nous parle d'arriver en trois ans à une réduction, non pas d'un million, mais de deux millions sur les dépenses de l'armée : qui parle de nommer une commission dont la composition ne nous est pas même connue, non plus, comme le disait l'honorable général Chazal, pour éclairer la minorité, pour lui faire voir qu'elle compromettait la nationalité, mais pour arriver à un résultat qu'on déclarait impossible, dangereux, devant lequel M. le ministre de l'intérieur reculait, en soulevant une question de cabinet et en disant qu'il se retirerait pour ne pas flétrir son nom par une mesure aussi téméraire, aussi imprudente.
Que devons-nous faire, messieurs, dans un pareil état de choses ? Nous devons déplorer vivement la position qui nous est faite et ne point nous associer à une réduction intempestive, à une réduction dangereuse, contraire aux sentiments patriotiques du pays, et qui pourrait compromettre la nationalité du pays et nous livrer à l'étranger.
Mais, messieurs, cette proposition de réduire, en trois ans, le budget de la guerre à 25 millions, est-elle constitutionnelle ? Je dis qu'elle est inconstitutionnelle et, qu'en présence de l'article 115 de la Constitution, elle est sans valeur.
La Constitution porte que les chambres arrêtent chaque année les budgets.
Vous ne pouvez donc prendre d'engagement d avenir vis-a-vis de l’armée ; vous pouvez venir proposer un budget réduit, mais vous ne pouvez pas dire que dans deux ans la chambre doit voter un budget réduit : le budget est annuel et vous ne pouvez proposer qu'un budget annuel : vous ne pouvez pas proposer un vote pour l'avenir. Ainsi, messieurs, cette proposition est inconstitutionnelle dans son principe.
Maintenant, messieurs, cette proposition pourquoi est-elle faite ? Le ministère vient de le dire, il ne s'en est point caché, c'est pour qu'il n'y ait plus de division dans la majorité libérale de cette chambre. C'est-à-dire, messieurs, que c'est ici la petite question qui prime la grande, la petite question qui écrase la grande. C'est la question de portefeuilles qui compromet le pays tout entier. Voilà la question dans toute sa vérité.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous en parlez bien souvent, des portefeuilles.
M. Dumortier. - Ce n'est pas pour moi que j'en parle.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas encore.
M. Dumortier. - Je n'en ai jamais parlé pour moi, et je n'ai nulle envie de le faire. Assez de fois j'ai refusé les offres qui m'étaient faites ; un sentiment plus élevé m'anime : l'amour de la patrie.
Savez-vous, messieurs, ce qui me cause une peine profonde ? C'est que je vois ici l'honorable ministre qui m'interrompt et qui a donné tant de gages à la révolution, défendre un système qu'il combattait l'an dernier. Lui qui en 1830 était à la tète des volontaires liégeois, qui en 1830 et 1831 siégeait au gouvernement provisoire ; lui qui s'était toujours, dans cette enceinte, montré le défenseur d'une armée forte, d'une armée propre à défendre la nationalité du pays ; je le répète, il me fait une peine excessive de le voir aujourd'hui, reniant son passé, demander des réductions irréfléchies sur le chiffre de l'armée, et cela pour un simple intérêt de parti, sacrifiant ainsi l'intérêt de la patrie à un intérêt de portefeuille.
Mais, après tout, la majorité vous a-t-elle jamais manqué sur la question du budget de la guerre ? Toujours vous avez eu une majorité imposante et vous l'avez eue sans que nous vous demandions de la reconnaissance. Vous ne l'avez due qu'a notre patriotisme, et ce patriotisme vous garantit que vous aurez toujours notre appui en pareille matière. (Interruption.)
Que la majorité, en pareille circonstance, se forme d'éléments homogènes ou d'éléments différents, peu importe à la question nationale, peu importe au pays. Mais si vous en êtes réduits à ce point de ne jamais avoir d'autre majorité que celle à laquelle vous appartenez, savez-vous bien quelle en sera la conséquence ? C'est que vous devrez passer par toutes les exigences des extrêmes de votre parti. Or, c'est là une chose déplorable : il ne faut pas, dans un gouvernement, que les sommités d'un parti, les hommes dont les partis se glorifient, soient traînés à la remorque de ceux qui veulent arriver à des conséquences fatales au pays.
Ainsi, lorsqu'il se trouve sur les bancs opposes aux nôtres, des hommes loyaux que leurs sentiments patriotiques, leur amour de la patrie portent à s'unir à vous pour la défense nationale, pour le maintien de notre indépendance, je dis que, loin de le regretter, vous devriez vous en féliciter et vous en estimer heureux, car la force qui alors vous seconde est bien plus grande, bien plus puissante que celle d'un parti.
On vient nous parler d'économies, on vient nous parler d'impôts ; on nous dit : Il faut des économies, on dit : Vous ne voulez pas de nouveaux impôts. Eh, messieurs, où est-il dit que nous ne voulions consentir à aucun sacrifice nouveau ? Nous avons déclaré dans les termes les plus formels et nous sommes prêts à déclarer encore que nous repousserons des impôts odieux au pays tout entier ; mais cela signifie-t-il que si des sacrifices étaient nécessaires, surtout pour assurer le maintien de notre indépendance, nous refuserions ces ressources ? Mais un pareil soupçon serait pour nous un outrage, et cet outrage nous le repoussons. Quand pour assurer la défense du pays vous demanderez des impôts sages, modérés, acceptables, nous voterons ces impôts ; notre patriotisme vous en est garant. Mais ce n'est pas à dire que nous passerions par toutes les conditions que vous voudriez nous imposer et que nous devrions accepter de vos mains même les impôts les plus odieux.
(page 460) Ainsi c'est pour nous une question d'appréciation, c'est à nous de savoir si les ressources du trésor public suffisent ou ne suffisent pas, et c'est à vous de savoir quels sont les impôts que les deux fractions de la chambre peuvent accepter ; et, encore une fois, s'il y a nécessité et que vous veniez nous proposer de tels sacrifices, notre patriotisme ne vous fera pas défaut, lorsqu'il s'agira de sauvegarder les intérêts de notre nationalité et de notre indépendance.
Des économies. Sans doute il faut des économies, et l'on sait que depuis vingt ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette chambre, je n'ai pas été le dernier à en réclamer ; mais les économies ont leurs limites, elles ne doivent point aller jusqu'à la désorganisation. Or, l'économie qu'on propose aujourd'hui ne serait autre chose qu'une désorganisation et la plus fatale de toutes. Nous avons une loi d'organisation, une loi qui, vivement contestée, a été enfin admise ; cette loi fonctionne depuis 1845, elle fonctionne bien, elle a fait ses preuves ; mais que sera la loi nouvelle ? Nous n'en savons absolument rien.
Nous savons ce que vaut la loi de 1845 ; savez-vous ce que vaudra la loi de 1852 ? Je dis qu'il est beaucoup plus sage de s'en tenir à une loi qui a fait ses preuves que de vouloir faire une loi nouvelle.
Je concevrais cette demande d'économies sur le budget de la guerre si l'Europe était dans une paix profonde, et moi-même, s'il en était ainsi, je me joindrais peut-être à vous. Si, il y a dix ans, il avait été question de voter des réductions sur le budget de la guerre pour équilibrer les recettes et les dépenses, sans cependant désorganiser l'armée, j'aurais peut-être aussi été de ceux qui auraient voté dans ce sens.
Mais quelle est maintenant la situation du pays, quelle est la situation de l'Europe ? Et ici, messieurs, faites un retour sur vous-mêmes. Vous voulez désorganiser l'armée ; eh bien, qui d'entre vous oserait dire que d'ici à trois années, à ce terme fatal qu'on pose à l'armée, le pays n'aura pas besoin du courage de nos braves pour la défense de son indépendance ? Qui d'entre vous oserait dire que d'ici à trois années vous n'aurez pas besoin de recourir à cette armée que vous menacer aujourd'hui de désorganisation ?
Quelle est, messieurs, la situation de l'Europe ? Réfléchissez-y, la paix de l'Europe repose aujourd'hui tout entière sur la volonté d'un homme. Or, qui oserait dire que l'ambition privée d'un homme ne viendra pas d'ici là compromettre la tranquillité de l'Europe ? Qui oserait dire qu'un jour, qui peut-être n'est pas éloigné, vous ne verrez pas en France des péripéties sanglantes, qui ramèneraient l'empire ou bien qui donneraient le pouvoir à un parti dont la politique serait de chercher à savoir les limites du Rhin ? Qui oserait dire que pour arriver à l'empire, celui qui préside aux destinées de la France ne se jettera pas dans les bras des rouges, et qu'on ne cherchera pas à donner à la France de la gloire, en échange d'une république perdue ? Personne n'oserait le dire ; alors le pays le plus menacé serait le nôtre, et c'est dans ces circonstances graves, peu éloignées peut-être, que vous auriez à regretter amèrement un vote qui aurait désorganisé l'armée ! Car que deviendrait alors cette nationalité que nous avons acquise au prix du sang de nos braves, cette nationalité pour laquelle nous avons fait tant de sacrifices ? Quoi, depuis 20 ans, nous avons maintenu notre armée sur un pied respectable, pour sauvegarder cet intérêt sacré ; nous n'avons pour cela reculé devant aucun sacrifice durant la paix, et aujourd'hui que les circonstances extérieures sont menaçantes, nous irions imprudemment, témérairement, porter la main sur l'organisation de notre armée !
Et cela dans quel but ? Dans le but d'empêcher la majorité de se scinder, dans un but de parti, dans un but de portefeuille. Politique déployable ! système insensé !
Messieurs, je ne puis pas admettre que la chambre consente à entrer dans un système si compromettant pour l'existence du pays ; je ne puis pas admettre que les hommes nombreux qui, dans cette chambre, ont donné des preuves de patriotisme, consentent ainsi à laisser pendant trois ans l'armée dans une position précaire et à mettre ainsi le pays à la merci de l'étranger.
On nous dit : Mais l'armée sera bien plus heureuse avec 25 millions qui ne lui seront plus disputés, qu'avec 27 millions toujours contestés ; du moins son sort ne sera plus mis en jeu.
Messieurs, si dans cette chambre il se trouve trois ou quatre membres qui chaque année viennent mettre en question l'organisation de l'armée, pour amener une réduction dans le chiffre du budget de la guerre, qui vous dit que lorsque vous aurez admis le chiffre de 25 millions, qui vous dit qu'alors quelques membres ne viendront pas proposer 23 ou 24 millions ? Alors encore vous vous trouverez en présence d'une majorité qui se fractionnera sur cette question. Que ferez-vous alors ? Poserez-vous une barrière, ou céderez-vous, comme vous cédez aujourd'hui ?
Que disait, l'année dernière, l'un des plus puissants orateurs du parti libéral ? Ilv voulait, lui, réduire le budget de la guerre à 20 millions ; le suivrez-vous jusque-là ? Non, sans doute ; eh bien, l'homogénéité n'existera donc pas, vous n'aurez rien gagné sur ce point ; et vous aurez compromis l'avenir du pays tout entier, vous aurez compromis la nationalité à la veille d’une commotion européenne, en présence d’événements graves qui peuvent chaque jour éclater en Europe.
J’invite M. le ministre de la guerre à faire des économies sur le budget, à en faire le plus possible, sans toucher à l’organisation. Mais aussi, je l’invite à faire tourner ces économies au développement du service de l'armée en fortifiant l'infanterie, en maintenant plus d'hommes sous les drapeaux.
L'honorable M. Thiéfry, dont je combattais tout à l'heure les conclusions, a dit une chose très vraie, quand il a fait remarquer que notre effectif était affaibli, parce que nos soldats n'étaient pas tenus assez longtemps sous les drapeaux.
Eh bien, que M. le minisire de la guerre fasse contourner toutes les économies qu'il pourra faire, à redresser le grief dont se plaint avec raison l'honorable membre, et nous arriverons alors à fortifier les garanties nationales que nous n'avons pas aujourd'hui. Mais désorganiser l’armée, disloquer les cadres, renvoyer une partie de nos officiers, ce serait la faute la plus grave qu'il fût possible de commettre dans la situation critique où se trouve l'Europe, et lorsque chaque jour peut amener une catastrophe qui vous force à prendre les armes.
Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler ce que j'avais l'honneur de vous dire à propos de cette discussion.
Vous voulez une organisation nouvelle de notre force militaire. Or, toute organisation nécessite une désorganisation préalable ; c'est une phase par laquelle tout changement d'organisation doit fatalement passer. Or, si l'événement venait à vous surprendre dans ce moment fatal, vous seriez pris à l'improviste, vous n'auriez rien à opposer à l'ennemi, vous seriez envahis, vaincus, déshonorés, votre nom serait flétri dans l’histoire et la postérité mauudirait votre imprévoyance, votre fatale quiétude, votre funeste amour de donner, aux dépens du pays, satisfaction à la minorité de votre parti.
Ah ! que ces questions de parti sont étroites, mesquines, misérables, en présence des grands intérêts qu'elles compromettent ! Et cependant vous ne vivez que pour elles, vous n'agissez que pour elles, vous divisez le pays pour faire naître des questions de parti. Ignorez-vous donc que l'histoire nous apprend à chaque page les résultats terribles qui attendent les nationalités divisées et désunies ? Ainsi périt l'empire de Con-stantinople parce que l'on discutait au lieu de s'apprêter à combattre lorsque les musulmans étaient aux portes. Là aussi on sacrifiait à l'esprit de parti ; les petits Grecs discutaient sur la lumière incréée et bientôt le cimeterre des musulmans vint mettre tous les partis d'accord, montrant ainsi à la postérité la folie de ces divisions en présence du danger de la patrie.
Messieurs, il y a des questions qui planent bien au-dessus des questions de parti ; ce sont celles où le patriotisme et la nationalité sont en jeu, et c'est à ces questions surtout que se rattache le budget actuellement en discussion. Pourquoi le parti catholique, puisqu'on l'appelle ainsi, pourquoi le parti conservateur s'est-il toujours levé en masse pour la défense des droits de l'armée ? Est-ce par hasard que l'armée se compose d'hommes qui sont de notre opinion ? Non, messieurs, c'est par un sentiment de patriotisme, c'est par un sentiment national, parce que notre unique mobile, à nous, c'est l'amour de la patrie. Nous n'avons pas fait de cela une question de parti, nous en avons fait une question de nationalité, une question de patriotisme ; voilà quel a été et quel sera encore l'unique mobile, de nos votes.
Mais maintenant que veut-on ? On veut former une homogénéité libérale dans cette enceinte, et pour cela on va jusqu'à marchander la nationalité de la Belgique. C'est à quoi je ne consentirai jamais. Partisan de la nationalité de mon pays, à la création de laquelle j'ai pris quelque part, et un de ses constants défenseurs, je ne consentirai pas à venir escompter l'existence du pays pour quelques milliers de francs au budget de la guerre.
Messieurs, ne marchandons pas avec l'armée, si nous voulons être sûrs de son concours au jour du danger. Car remarquez-le bien, il n'y a pas de force physique sans force morale ; or, comment avec la menace qui est suspendue sur sa tête, l'armée pourrait-elle conserver sa force morale sans laquelle notre nationalité est exposée à périr ?
Dans les premiers jours de la révolution, lorsque notre existence était mise en question je me rappelle avoir prononcé ces paroles : Aussi longtemps que je verrai le drapeau brabançon flotter sur un clocher de la Belgique, je ne désespérerai pas de l'avenir de la patrie.
Eh bien, permettez-moi de vous le dire, si vous désorganisez l'armée, si vous la découragez, si vous tuez sa force morale, vous devez renoncer à avoir confiance dans l'avenir de la nationalité du pays.
Je me plais donc à croire que, dans la position où se trouve l'Europe, vous ne consentirez pas à une réduction de l'armée. Mais s'il était question de toucher à l'organisation de l'armée, je déclare que, soit seul, soit avec quelques-uns de mes amis, je déposerais un ordre du jour motivé pour garantir le sort de l'armée dans l'avenir et manifester des sentiments qui m'animent en ce qui touche l'existence de la patrie.
M. Dolez. - Messieurs, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, ma sympathie n'a jamais fait défaut aux intérêts de notre armée, et bien que cette sympathie ne se soit jamais manifestée que par mes votes, elle n'etait ni moins vive, ni moins profondément sentie que si je l'avais produite par des discours. Mais, étranger par mes études et mes travaux habituels aux questions que soulève le budget de la guerre, je considérais en quelque sorte comme un devoir de laisser à d'autres le droit et le soin d'éclairer les débats que ces questions faisaient naître.
Aujourd'hui, messieurs, je crois pouvoir sortir de cette réserve, puisqu'il s’agit, non point d'une question technique, mais seulement d'apprécier la convenante de l'attitude qu'a prise le cabinet vis-à-vis de la question du budget.
Messieurs, l'armée est à mes yeux une de nos institutions les plus (page 461) nobles, les plus respectables, elle est la plus ferme garantie de notre nationalité.
Aussi, soyez-en bien convaincus, le côté qui me préoccupe le plus dans ce débat, n'est pas le côté pécuniaire, c'est celui de la dignité et de l'intérêt de l'armée. C'est donc comme partisan de l'armée, comme désirant avant tout sa force, sa sécurité, sa stabilité, que j'apprécie l'attitude que le gouvernement a prise dans ces débats.
S'il faut en croire certains orateurs, l'attitude du gouvernement dénote la désertion complète de la sympathie que le gouvernement, plus que tout autre, doit avoir pour l'armée. S'il en était ainsi, je ne connaîtrais point de paroles assez sévères pour blâmer la conduite des hommes qui sont à la tête des affaires. Mais quand j'apprécie sans préoccupation la situation des choses, je reste convaincu que l'attitude prise par le gouvernement lui est inspirée par l'intérêt bien entendu de l'armée.
Messieurs, le gouvernement n'a point, dans l'expression de ses sympathies pour l'armée, une liberté aussi entière qu'un simple député. Le gouvernement doit soigneusement tenir compte dss faits qui se produisent, des nécessités que ces faits engendrent, soit immédiatement, soit dans un prochain avenir.
Chaque année l'existence de l'armée était remise en question dans cette chambre ; chaque année, et surtout dans les dernières sessions, une minorité imposante se prononçait contre le budget.
M. Delfosse. - Minorité croissant toujours.
M. Dolez. - Je ne me rappelle pas, à quelques voix près, la marche ascendante ou décroissante de cette opposition. Le gouvernement pouvait-il s'abstenir de tenir compte de ces faits ? Pouvait-il imprudemment fermer les yeux et ne pas s'inquiéter du sort qu'ils pouvaient un jour réaliser pour l'armée ? Le gouvernement ne l'a point pensé, et je l'en félicite.
Le gouvernement eût pu sans doute résister pour certain temps encore à l'influence de ces faits ; il eût pu pour un an, pour deux ans même, pour trois ans peut-être, emporter de haute lutte le budget de la guerre, peut-être eût il bien fait d'en agir ainsi s'il s'était plus occupé de la question de portefeuille dont on vous parlait tout à l'heure, que de l'avenir et de la dignité de l'armée ; car les membres du cabinet ne se flattent sans doute point d'une existence éternelle !
Mais le gouvernement a dû porter plus loin son examen et ses préoccupations ; il a dû chercher à établir d'une manière plus stable la situation de l'armée. Il a dû craindre que si la lutte allait se continuer d'année en année, elle ne vînt à produire un changement de majorité sur la question du budget de la guerre ; et alors qu'auriez-vous eu ? Vous auriez eu cette armée dont le sort aurait été livré aux chances incertaines des luttes parlementaires ; vous auriez eu une armée abandonnée aux mains de ceux qui auraient combattu son organisation.
En présence d'une telle éventualité que la prévoyance la plus vulgaire signalait au moins comme possible, qu'a fait le gouvernement ? Est-il venu, abdiquant, comme on l'en accuse, ses sympathies pour l'armée, nous dire que l'organisation, que beaucoup d'orateurs croient bonne, il la proclamait désormais mauvaise, qu'il fallait radicalement la modifier ? Non, messieurs, le gouvernement a maintenu ce qu'il avait toujours défendu, c'est-à-dire que l'armée était, à ses yeux, un grand intérêt national dont la défense ne serait jamais désertée par lui.
Mais le gouvernement ajoute : Ce grand intérêt national, je veux lui assurer la protection d'une stabilité incontestée, je veux que ce grand intérêt ne soit plus l'objet de luttes parlementaires renaissant péniblement chaque année, je veux, autant qu'il est en moi, qu'il soit exclu de nos débats !
Messieurs, je le demande à tout esprit impartial, est-ce avec justice qus l'on accuse le gouvernement, qui manifeste de telles pensées, inspirées par l'intérêt bien entendu de l'armée, d'abdiquer les sympathies qu'il doit à cette grande institution ?
Et, au fond, de quoi s'agit-il en réalité ? Les membres du cabinet, en vous demandant de voter le budget tel que le ministère l'a présenté, vous disent qu'ils entrevoient comme une perspective désirable, possible, vers laquelle tous les efforts tendent, la réduction du budget à 25 millions. Je me rappelle ici une objection que chaque orateur a reproduite et qui cependant me semble sans portée.
On a dit : Pourquoi 25 millions plutôt que 24 ? Pour ceux qui ont vécu longtemps dans cette chambre, ce chiffre de 25 millions n'est pas nouveau ; à différentes reprises il a été indiqué comme le résultat final de la réduction du budget de la guerre sur le pied de paix ; c'était en quelque sorte l'espérance entrée dans les mœurs du pays relativement aux économies possibles à l'endroit du budget de la guerre. C'est donc en présence de faits antérieurs que le gouvernement envisage le chiffre de 25 millions comme un terme d'arrêt final sous lequel il était possible d'abriter le budget de la guerre. Et comment le gouvernement propose-t-il d'arriver à ce chiffre ? Ah ! s'il venait dire que demain il entend réduire le budget de la guerre de 12 à 13 cent mille francs, je comprendrais qu'on pût craindre qu'il n'en résultât une sorte d'ébranlement dans l'organisation de l'armée.
Je pourrais, dis-je, comprendre alors les appréhensions des partisans du budget de la guerre ! Mais le gouvernement se borne à dire que dans une période de trois années il espère arriver à fixer le budget de la guerre d'une manière définitive au chiffre de 25 millions ; c'est-à-dire qu'il espère faire chaque année une économie de 3 à 400,000 fr.
Mais, nous objecte-t-on, qui vous garantit que le lendemain on ne demandera pas de réduire encore ? Cela est possible, sans doute, parce que la volonté nationale dont nous sommes les organes ne peut être enchaînée par nous. Mais quand le gouvernement, d'accord avec les chambres, indique une situation, il l'indique en regard des éléments existants. Il apprécie, il juge en présence des chambres au milieu desquelles il vit, en présence de ses convictions personnelles.
Quant à moi, je crois qu'arrivé au chiffre de 25 millions, le budget de la guerre sera considéré comme normal, qu’on n’y touchera plus ; parce qu’il sera le résulat d’une transaction qui semble acceptée à peu près par tous ceux qui demandent des économies sur le budget de la guerre.
Une transaction intervenue entre hommes consciencieux, tous également animés de l'amour du bien publiec est nécessairement sérieuse et durable.
Le gouvernement ne dit pas d'ailleurs que fatalement, aveuglément il entend ramener le budget de la guerre à 25 millions. Une commission examinera si, sans porter atteinte à l'organisation de l'armée, on peut arriver à ce chiffre. Si l'examen de la commission aboutissait à cette conséquence que réduire le budget de la guerre au chiffre de 25 millions soit chose impossible sans détruire la force de l'armée, eh bien, chacun de nous rentrera dans la position où il est aujourd'hui, les partisans du budget réduit voteront contre le budget de 26,400,000 fr., et les partisans d'un budget plus élevé continueront à voter le chiffre actuel de budget, et, je le déclare, c'est ce que je ferais pour mon compte.
Je ne vois donc aucune espèce de danger justifiant les appréhensions de nos adversaires, dans la proposition du gouvernement.
Savez-vous où est le danger dans ces circonstances ? Il est dans le langage que vous tenez, car en définitive, réfléchissez à ce qui se passe dans cette enceinte et dites quels sont ceux qui veulent décourager, affaiblir la force morale de l'armée. Ce sont ceux qui répètent chaque jour à l'armée et dans la presse, et dans des discours, que le gouvernement déserte la cause des intérêts les plus sacrés de l'armée.
Le danger véritable, c'est qu'un tel langage finisse par être cru par l'armée, et il pourrait bien en être ainsi, non parce que vous l'auriez prouvé, mais parce que tout homme se laisse facilement persuader qu'il peut se poser en victime.
J'entends prononcer le nom de l'ancien ministre de la guerre, j'entends faire appel à ses déclarations.
Je ne pense pas que l'honorable général Chazal ait tenu complètement le langage que quelques orateurs lui ont prêté. D'ailleurs, cet honorable général dont j'honore autant que personne le patriotisme, le caractère eî le talent, ne prétend pas, j'en suis sûr, à l'infaillibilité dans ces questions, et j'aime à croire que si on lui prouvait qu'on peut, sans désorganiser l'armée, réduire le budget à 25 millions, il se rendrait à l'évidence ; or, le gouvernement ne demande qu'à examiner et qu'à démontrer la possibilité d'un tel résultat.
Je répète donc que ceux qui contre leur vœu, j'en suis convaincu, jettent le découragement dans l'armée, sont ceux qui tiennent le langage que vous tenez, ceux qui disent à l'armée que le gouvernement ne la défend pas, que son existence est sacrifiée à une économie de quelques centaines de mille francs.
Je le demande à des hommes sérieux, est-il possible que l'existence d'une armée tienne à un million ? Faut-il pour cela toucher à toutes les bases de l'armée ?
L'honorable M. Thiéfry vous a parlé d'une possibilité de réduction de solde ; cette réduction peut se présenter peut-être de telle manière qu'elle ne serait en aucune façon onéreuse pour les membres de l'armée.
Je vois sourire sur d'autres bancs, et cependant cette proposition n'a rien d'étrange ; en effet, le chiffre de la solde a pour corrélatif la dépense imposée aux officiers et soldats.
La tenue du soldat comme la tenue de l'officier doit être couverte par la solde attribuée à l'un et à l'autre. Ne serait-il pas possible de réduire la dépense de la tenue ? J'ai entendu des hommes très compétents soutenir que, dans notre armée, la tenue est beaucoup plus onéreuse pour l'officier et pour le soldat que dans aucune autre armée. Je n'entends pas me prononcer sur cette question. Je n'ai pas l'habitude de me prononcer sur des matières qui ne sont pas de ma compétence. Mais des hommes très compétents soutiennent que des économies considérables pourraient être obtenues sur la tenue de l'officier et du soldat. Si cela était vrai, une diminution de la solde pourrait être compensée par une diminution des dépenses à faire pour la tenue. Nous approcherions ainsi de la réduction à 25 millions, sans toucher en rien aux bases de l'armée.
Le vœu le plus cher que je puisse former au milieu de ce débat, c'est que l'armée reste bien convaincue que ni le gouvernement, ni les membres de cette chambre ne sont hostiles à ses intérêts, que ce qui nous préoccupe au contraire c'est la conservation de ses intérêts mêmes ; que ce que nous voulons avant tout c'est que ses intérêts ne soient pas chaque année mis en question dans nos débats.
J'ai la conviction que l'armée comprendra que ses amis véritables, les plus sincères, les plus dévoués ne sont pas parmi ceux qui prétendent la décourager, mais qu'ils sont parmi ceux qui lui disent qu'elle peut être convaincue que ses véritables intérêts seront sauvegardés, que toutes les positions seront respectées.
Tout en persistant dans ma sympathie pour l'armée, sympathie qui ne s'est jamais démentie, je crois devoir voter le budget de la guerre qu'il est présenté, en acceptant complètement les explications données par le gouvernement.
M. Manilius. - Au point où en est venue la discussion, ma tâche est devenue extrêmement légère ; elle a surtout été rendue facile par (page 462) les paroles de l'honorable préopinant, paroles que j'accepte en tous points et auxquelles je me rallie.
Je remercie également l'honorable M. Dumortier d'avoir posé la question la plus simple et la plus péremptoire pour arriver enfin au vrai de la discussion. Le gouvernement veut avoir une commission. Répondant à l'interpellation de l'honorable M. Dumortier, il déclare qu'il veut entourer cette commission de tous les moyens de déverser la lumière sur toutes les questions qui se rattachent à l'armée, en donnant la plus large étendue à ses attributions. Des honorables membres prétendent que cela soulève la question de l'existence même de l'armée.
Je ne puis que leur répéter avec l'honorable préopinant : Qui donc d'entre nous voudrait détruire l'armée ? Qui n'aime pas notre nationalité ? Qui ne l'aime pas comme l'armée elle-même, comme tout Belge qui a le cœur haut placé ? Qui voudrait détruire une institution de notre pays, pays que nous aimons, que nous chérissons, dont nous sommes les nationaux vrais et nés ? (Interruption.) Vous riez, messieurs ; je ne ris pas. Très sérieusement, on nous dit souvent : Soyez national, soyez patriote avant tout, consultez les intérêts de notre pays. Ces paroles nous sont adressées par des hommes qui ont grandi avec nous comme Belges depuis peu d'années. Mais là n'est pas la question du moment. Ce qui est soulevé par le ministère lui-même, c'est d'instituer tout de suite une commission pour examiner ce qu'il convient de faire au sujet de l'armée.
L'interpellation dont j'ai remercié l'honorable préopinant doit être suivie d'une autre, je la ferai. Cette commission aura des attributions très larges, j'en félicite le gouvernement, car il y aura beaucoup à faire. Pour examiner la question d'une armée nationale, c'est la question de la force publique tout entière, il faudra se livrer à des études très étendues. Je conçois qu'où veuille s'en remettre à une commission spéciale, je demanderai au ministère de vouloir donner quelques explications, non sur les attributions de la commission, mais sur sa formation, ce qui doit intéresser la chambre au plus haut degré et notamment la partie de la chambre qui croit qu'il y a quelque chose à faire. Il importe surtout de savoir si cette commission sera composée d'hommes éclairés, compétents, et en même temps indépendants et impartiaux.
Tout en formulant cette interpellation, je déclare que j'ai la confiance que les explications seront satisfaisantes, parce que, quant à moi, j'ai foi dans ce ministère qui est là sur ces bancs sorti de la majorité à laquelle j'appartiens.
Je félicite le ministère d'avoir compris que c'est avec cette majorité qu'il doit franchement marcher. J'ai dit pour le moment.
M. de Theux. - Messieurs, nous nous exprimerons dans cette discussion avec la franchise qu'exige de nous l'accomplissement d'un devoir parlementaire. Aussi, nous n'hésitons pas à dire, dès le début, que, dans cette circonstance, l'altitude du ministère nous paraît inqualifiable.
En effet, le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre constate un dissentiment dans le cabinet. Vous avez, par l'organe de la section centrale, cette déclaration du cabinet que j'appellerai « civil » ; son intention, ses vues sont de réduire les dépenses du budget de la guerre à 25 millions.
L'honorable ministre de la guerre qui, lui, sait qu'en présence de la loi organique qui régit l'armée, cette réduction est impossible, déclare formellement que son intention est de ne pas toucher à la loi de l'organisation de l'armée.
Dans la séance d'hier, nous avons eu une nouvelle situation.
L'honorable ministre de l'intérieur nous disait que le chiffre de 25 millions est celui au-dessous duquel le cabinet ne consentira jamais à descendre, mais qu'il ne prend nullement l'engagement d'abaisser le budget de la guerre à ce chiffre.
D'autre part, l'honorable ministre de la guerre nous fait une déclaration au nom du cabinet, ainsi que l'a dit aujourd'hui son collègue, M. le ministre de l'intérieur, qui était pour la chambre une véritable énigme dans laquelle sa pensée ne ressortait pas avec cette clarté qu'exige la franchise militaire dont l'honorable général en toutes circonstances a fait preuve.
Mais aujourd'hui l'honorable ministre de la guerre, sortant des liens dans lesquels l'avait enchaîné la délibération du cabinet, nous déclare franchement et nettement sa pensée. Il ne veut pas toucher à l'organisation de l'armée ; il ne veut aucune réduction sur son personnel ; la loi de 1845 constitue la charte de l'armée.
Voilà, messieurs, la déclaration franche et honorable de M. le ministre de la guerre, à laquelle nous applaudissons.
Mais, messieurs, les déclarations respectives des membres du cabinet sont-elles de nature à donner des apaisements aux deux fractions qui ont divisé le parlement sur cette grave question ? Non, messieurs.
Une fraction de la chambre vous dit : La loi organique de 1845 est vicieuse ; elle exige des dépenses trop considérables pour les finances du pays ; des économies ne sont pas possibles avec cette loi, il faut nécessairement diminuer les cadres de l'armée et augmenter l'effectif des soldats.
Comment serait-elle satisfaite de la déclaration faite par le cabinet qu'une commission sera nommée pour examiner toutes ces questions et que, d'après les résultats des travaux de la commission, le cabinet avisera ?
La question n'est donc pas tranchée, elle n'est qu'ajournée pour ceux qui veulent des économies.
Mais cette déclaration est-elle de nature à satisfaire la majorité qui consécutivement pendant plusieurs années a voté en opposition avec la minorité, adoptant le chiffre du gouvernement ? Non, messieurs.
Et, en effet, n'est-il pas évident pour tout homme qui a le sentiment pratique des affaires, qu'une déclaration de cette importance, c'est-à-dire que le vœu du gouvernement est de réduire les dépenses de l'armée à 25 millions, constitue un précédent qui pèsera sur la législature lors des discussions ultérieures du budget ? C'est, messieurs, familiariser le pays avec une économie considérable et probable sur le budget de la guerre. C'est familiariser l'opposition au budget de la guerre avec l'idée, avec l'espoir d'un succès, et dès lors n'est-il pas évident que le gouvernement se crée à lui-même, ou à ses successeurs, un grave embarras ? Pour nous, messieurs, nous sommes du nombre de ces membres qui croient que l'organisation de l'armée doit être maintenue, aussi longtemps qu'il ne nous sera pas démontré à l'évidence que contrairement à l'opinion de tous les ministres de la guerre qui ont siégé sur ce banc, contrairement à l'opinion de l'honorable général Brialmont, cette organisation peut être modifiée sans compromettre en aucune manière la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat.
Mais, dit l'honorable M. Dolez, vous jetez par vos discours des inquiétudes dans les rangs de l'armée, vous la faites douter des sympathies du cabinet, des sympathies de la chambre. Non, messieurs, tel n'est pas notre but. Nous voudrions que l'armée demeurât comme toujours pleine de confiance dans la sollicitude du gouvernement et du pouvoir parlementaire.
Mais notre devoir est de dire au pays et de vous dire à vous, nos collègues, que le précédent posé par le ministère est dangereux dans ses conséquences, que les espérances qu'il fait naître, on tâchera à tout prix de les réaliser. Voilà le danger qu'il fallait prévoir et que nous devons vous signaler.
Nous disons, messieurs, que l'attitude du cabinet, dans cette circonstance, est inqualifiable.
En effet, on a la prétention de diriger fièrement le gouvernement du pays ; on a la prétention d'être à la tête d'une majorité puissante. Eh quoi ? à la première occasion, lorsqu'une fraction de cette majorité s'est séparée du gouvernement sur une question de cette importance en 1849, lorsque cette fraction impuissante s'est diminuée en 1850, que fait-on en 1851 ? On promet de donner gain de cause à cette opposition.
Quel était, messieurs, le devoir du gouvernement en cette circonstance ? C'était de soutenir avec énergie les convictions qu'il avait constamment proclamées à cette tribune dans les discussions antérieures ; c'était d'éclairer la minorité ; c'était par l'influence de ses lumières, par la force de sa parole, de l'attirer à lui pour la défense de l'intérêt le plus essentiel, le plus vital du pays.
Ainsi, messieurs, il est constaté que le gouvernement se montre disposé aujourd'hui à sacrifier à l'opposition la personnification la plus vraie, la plus complète du pouvoir civil, c'est-à-dire l'armée, sur laquelle repose l'existence du pays et de toutes nos institutions.
Mais, nous dit-on, le dissentiment du cabinet n'est qu'éventuel. Chacun des membres qui le composent fait des réserves en attendant les travaux de la commission qu'il se propose de nommer.
Comment, messieurs, c'est lorsqu'on n'a pas d'opinion arrêtée sur une question aussi grave, c'est lorsqu'on doit attendre ses lumières des investigations d'une commission, que l'on vient vous dire que les vœux du cabinet sont de réduire les dépenses de l'armée au chiffre de 25 millions ! Est-ce que la prudence la plus vulgaire ne commandait pas de dire : L'intérêt de l'armée est un intérêt trop puissant pour le pays. L'indépendance du pays, sa prospérité, la garantie de ses institutions, tout repose sur une armée forte ; et en présence de sa nécessité reconnue, nous ne prenons pas d'engagement, nous ne refusons pas les lumières, puisqu'il y a dissentiment dans cette chambre, nous consentons à faire examiner la question par d'autres hommes que ceux qui l'ont examinée précédemment, et mettant en comparaison le rapport de la commission nouvelle avec les rapports des commissions antérieures, et étudiant mûrement les observations contradictoires, si toutefois il en surgit, nous nous formerons une conviction nouvelle, si des lumières nouvelles surgissent pour nous, et alors nous vous ferons part de notre sentiment. Mais non, c'est une déclaration formelle d'intentions que l'on fait avant même aucune investigation et l'intention formelle de réduire le budget de la guerre à 25 millions.
Messieurs, serait-ce un désir de popularité qui aurait amené le gouvernement à faire cette déclaration ? Je ne puis le croire ; le gouvernement sait bien que si en 1830 il était populaire de faire peu de dépenses pour l'armée, de compter sur la bravoure civique des habitants du royaume, les événements de 1831 ont précipité dans la poussière cette popularité et en ont fait un objet de honte pour ceux qui n'avaient pas eu le courage de dire au Congrès national quels étaient les besoins de la défense du pays.
Dira-t-on, messieurs, que dans un pays où les institutions libérales fonctionnent si bien, la nécessité d'une armée puissante n'est pas égale à celle qui existe dans d'autres pays ? Nous répondrons, messieurs, que la première sauvegarde des institutions libérales, qui partout et toujours tendent à se perdre par leur excès, c'est qu'il existe un pouvoir exécutif qui ait des moyens assurés de réprimer tout ce qui tendrait à renverser ces institutions.
Nous répondrons, messieurs, que les nations se laissent facilement aveugler et que tel gouvernement, tel cabinet populaire aujourd'hui tombe demain dans l'impopularité sans que l'on puisse en préciser les (page 463) causes. C'est parce que les passions travaillent incessamment les sociétés libres, parce que les opinions sont éminemment variables et, messieurs, n'en avons-nous pas des exemples nombreux et très récents dans l'histoire contemporaine ?
Mais l'honorable ministre de l'intérieur nous a dit hier le fond de la pensée du cabinet : il importe de rétablir l'unité, l'harmonie dans la majorité qui l'appuie le plus habituellement, et pour arriver à ce but que fait-il ? Il sacrifie ses anciennes convictions, et il prétend que ses amis politiques les plus anciens, les plus avérés, sacrifient aussi leurs convictions aux exigences de la minorité. Espère-t-il que ses amis feront aussi le sacrifice de leurs anciennes convictions en silence ? Nous en doutons.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous ne demandons de sacrifice à personne.
M. de Theux. - Mais le budget de la guerre, voté seulement avec l'appui des membres qui sont quelquefois opposants aux vues du cabinet sur d'autres questions, pourrait être compromis par une coalition des minorités.
Messieurs, je ne puis assez m'étonner qu'un tel argument ait été produit à cette tribune. Comment ! pour éviter un événement très peu probable, vous arrivez à un sacrifice immédiat et certain des convictions que vous avez toujours défendues ! Est-ce là de la logique ? Et puis, messieurs, si une telle coalition se formait, ou la coalition serait impuissante à former un nouveau cabinet et alors le budget de la guerre ne courrait aucun danger, ou cette coalition formerait une nouvelle administration, et alors pourquoi pensez-vous qu'une nouvelle majorité, formée de deux minorités divisées sur cette question, arriverait à des sacrifices plus désastreux pour l'armée que ceux que vous voulez opérer immédiatement ? Cette nouvelle majorité, messieurs, ne renfermerait-elle pas dans son sein des défenseurs de l'organisation actuelle de l'armée ; et pourquoi dès lors admettre qu'elle irait au-delà des sacrifices que vous consentez ? La logique ne permet point une pareille conclusion.
Tous les ministres de la guerre qui se sont succédé, ont défendu avec une conviction énergique et honorable l'organisation actuelle ; ils ont prétendu que le système proposé par les honorables MM. Thiéfry et Osy était impraticable, qu'il porterait atteinte à la force de l'armée et que dès lors il était insuffisant pour la sécurité du pays.
Une loi d'organisation est venue mettre fin à d'incessants débats sur le chiffre du budget. (Interruption.) On peut demander le changement d'une loi, mais cela n'empêche pas qu'en présence d'une loi organique existante, les chambres sont toujours déterminées à respecter les dispositions de cette loi.
Je dis donc, messieurs, que s'il y a légèreté, imprudence à abandonner cette position si forte résultant des votes successifs de la majorité de cette chambre et du sénat, résultant de la loi d'organisation décrétée à une forte majorité, qu'il y a imprudence et légèreté à abandonner cette position, alors qu'on n'a point de conviction arrêtée, conviction qui indiquerait que cet abandon est praticable.
Messieurs, en 1848, l'armée a donné une preuve éclatante de son dévouement à l'indépendance du pays ; elle a acquis un nouveau titre à la reconnaissance nationale ; elle a donné à l'Europe un nouveau gage de la vitalité de la Belgique ; elle a attiré, par sa conduite, à la Belgique un nouveau degré de confiance de la part de toutes les puissances intéressées à notre indépendance.
Nous nous rappelons, messieurs, qu'au temps des premières années de l'émancipation de la Belgique, quatre puissances qui avaient concouru aux traités consacrant son indépendance n'étaient point cependant sans quelque appréhension sur l'esprit de l'armée, et ne désiraient point voir que la Belgique eût une armée trop forte, trop puissante, qui, dans des circonstances données, aurait pu servir d'auxiliaire à une cinquième puissance ; mais depuis 1848, depuis d'autres épreuves encore, l'opinion de toutes les puissances a été complètement modifiée, et aujourd'hui je ne crains pas de dire qu'il y a unanimité d'appréciation dans les cabinets étrangers sur le sentiment national de la Belgique, et particulièrement sur le sentiment national de son armée, et c'est là un résultat immense pour un Etat naissant.
Ce qu'on craint aujourd'hui, et c'est précisément la voie dans laquelle le gouvernement vient d'entrer, c'est de voir affaiblir les garanties d'indépendance de la Belgique, par l'affaiblissement de son armée.
L'affaiblissement de la Belgique serait, aux yeux de toutes les puissances, l'objet des plus incessantes, des plus vives préoccupations.
Et, en effet, cet affaiblissement pourrait être une des premières causes déterminantes d'une nouvelle guerre continentale ; soit que le territoire de la Belgique ne fût pas suffisamment défendu contre toute velléité d'agression étrangère, soit que l'ordre intérieur pût être, dans des circonstances données, menacé par des excitations venant du dehors, la Belgique, dans l'un ou l'autre cas, serait, pour l'Europe entière, une cause très sérieuse d'inquiétude.
Si, par l'effet de notre imprévoyance, l'une de ces circonstances venait à se réaliser, si la Belgique venait à être trop facilement envahie, sans opposer la résistance qu’elle doit opposer en premier lieu ; si la Belgique venait à être agitée par quelque commotion intérieure ; si alors l’Europe avait de nouveau à se mêler à notre nationalité, je dis que la situation deviendrait très critique.
N'oublions jamais les enseignements de l'histoire ; rappelons-nous que l'imprévoyance de la Pologne a été la première cause de son partage ; rappelons-nous que nous avons à remplir envers l'Europe des devoirs plus impérieux que la Pologne n'en eut jamais à remplir ; car aucun pays en Europe n'est dans une situation identique à celle de la Belgique, par rapport à l'influence que le trouble, apporté à sa nationalité, peut exercer sur tous les autres Etats.
Maintenant, c'est le gouvernement qui prend l'initiative de la réduction de l'armée, alors que dans tous les Etats continentaux, l'armée, depuis 1848, a été, conjointement avec le sentiment de moralité des peuples, la première sauvegarde de la civilisation.
Ne craignons pas de le reconnaître : quelles que soient les institutions politiques qui régissent les divers Etats de l'Europe, si les armées des pays où l'ordre a été si violemment troublé, n'avaient pas été puissantes, |fidèles, dévouées aux gouvernements, le continent européen serait tombé dans une anarchie qui l'aurait fait reculer vers l'état de barbarie.
« Mais, nous dit-on, c'est dans un esprit de prévoyance ; nous sommes d'accord avec vous, quant au but général que vous énoncez ; mais c'est précisément parce que nous sommes d'accord avec vous et qu'en même temps nous sommes plus prévoyants que vous, que nous voulons annoncer au pays une réduction importante sur le budget de l'armée ; nous voulons faire avec la minorité une transaction qui mette à l'avenir le budget de l'armée à l'abri de toute réduction. »
Messieurs, nous croyons que le gouvernement n'avait pas besoin de recourir à ce moyen ; nous croyons que le pays aujourd'hui comprend assez la nécessité d'une armée forte et puissante, pour qu'il se résigne à supporter les sacrifices pécuniaires qu'elle exige ; nous croyons qu'il eût été facile au gouvernement d'éclairer la minorité, de lui faire comprendre tout au moins qu'il n'était pas possible de prendre à son égard des engagements, dans l'état actuel des choses ; nous croyons qu'il n'était pas permis au gouvernement de faire naître des espérances dans les rangs de la minorité ou dans cette partie du pays qui désire des économies dans les dépenses de l'armée ; nous croyons qu'il était imprudent de mettre en question le principal élément de force du pays, et de diminuer la confiance que doivent avoir les militaires dans la carrière qu'ils ont embrassée ; nous croyons que c'est aller à rencontre du gouvernement représentatif que de céder, sans une nécessite absolue, à une minorité quelle qu'elle soit, de lui sacrifier les convictions de la majorité ; nous croyons que ce système, donné en exemple dans une circonstance aussi vitale, aussi solennelle que celle-ci, peut avoir les conséquences les plus graves.
Se montrer toujours prêt, par esprit de paix, à aller au-devant des exigences, c'est augmenter incessamment les prétentions des minorités, non seulement sur les questions relatives au budget de la guerre, mais sur toutes les autres questions qui se rattachent à l'une ou à l'autre de nos grandes institutions.
Nous terminerons par cette observation-ci : Le cabinet ne peut justifier l'attitude qu'il a prise devant le parlement en 1848, en 1849 et en 1850, en même temps qu'il prétend justifier l'altitude qu'il a prise aujourd'hui ; les circonstances sont toujours les mêmes ; il y a plus : l'opposition au budget de la guerre avait diminué ; en 1850, vous défendiez l'organisation ; en 1851 vous l'abandonnez presque.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Où avez-vous cea. Ce sont toutes hypothèses.
M. de Theux. - Je vois cela dans la déclaration que vous avez faite, à la section centrale, je le vois dans les espérances que vous avez fait naître dans la discussion actuelle. (Interruption.) Il est évident que vous avez fait naître des espérances que probablement, bon gré, mal gré, vous serez forcés de réaliser, sous peine de vous retirer, pour ne pas vous exposer à une opposition plus forte que celle qui existait précédemment.
Où sont donc vos lumières nouvelles ? Vous les chercherez dans une simple commission, et cette commission, vous ne l'avez pas même nommée.
Les systèmes d'organisation de l'armée qui sont en opposition, ne sont-ils pas connus depuis un grand nombre d'années ? Les honorables MM. Thiéfry, Osy et d'autres membres ont formulé un système qui est l'inverse de celui que la loi de 1845 a consacré ; ils vous ont dit : « Vous devez diminuer la dépense des cadres, vous devez augmenter l'effectif des soldats. »
Eh bien, est-il dans l'armée un seul général, capable d'occuper le ministère de la guerre, qui n'ait pas sur cette question une opinion toute formée ? Comment ! la question vitale de l'armée se débat depuis un grand nombre d'années, elle fait l'objet des discussions parmi les sommités de l'armée, et le ministre de la guerre serait, lui, sans convictions !
Non, messieurs, cela n'existe point ; aussi l'honorable général Brialmont a-t-il reculé devant cette attitude ; il nous a dit : « Ma conviction est que la loi organique doit être maintenue. » Voilà la déclaration qu'il nous a faite nettement aujourd'hui, déclaration en harmonie avec le caractère honorable que nous lui avons reconnu dans sa longue carrière militaire.
Le doute ne provient donc que du ministère civil, puisque le ministère est fractionné, force nous est de lui donner ce nom, en opposition avec le ministère militaire représenté par l'honorable ministre de la guerre.
Messieurs, l'honorable général Chazal s'est retiré du cabinet il y a bien longtemps ; dès ce moment le cabinet a annoncé qu'il avait l'intention d'opérer des réductions sur le budget de la guerre, l'honorable général Brialmont en entrant dans le cabinet faisait ses réserves. Mais qu'y avait-il (page 464) à faire ? Fallait-il maintenir cet état d'incertitude et de division dans le sein du gouvernement ?
Non, messieurs, il fallait à l'instant même recourir au moyen proposé aujourd'hui, il fallait à l'instant même assembler une commission, élucider cette question, et il fallait alors arriver avec une conviction nettement formulée, ou dire à la chambre : Nous suspendons toute déclaration relative à des économies aussi longtemps que la possibilité de modifications n'aura point été constatée ; jusque-là nous suivrons le devoir du gouvernement et nous maintiendrons avec énergie la loi organique.
Messieurs, il n'est point difficile de saisir le but de cet ajournement ; il s'agit uniquement de gagner du temps, d'éviter un dissentiment éclatant dans le sein du cabinet. Ce système, je l'approuverais, s'il s'agissait d'une question secondaire ; mais un pareil système n'est point admissible quand il s'agit d'un des intérêts les plus vitaux du pays.
De deux choses l'une : ou il fallait, en présence du dissentiment existant dans le sein du cabinet sur une question aussi importante, procéder à sa recomposition, ou bien il fallait s'abstenir de l'émission d'une opinion, il fallait s'abstenir d'annoncer des vues que l'on n'était pas sûr de réaliser, il ne fallait point montrer au pays un dissentiment perpétué dans son propre gouvernement, il ne fallait point amoindrir les sentiments de confiance dans nos institutions militaires.
M. le ministre de la guerre (M. Brialmont). - Je pense que dans cette circonstance il convient de lever toute équivoque à laquelle pourrait donner lieu le discours que j'ai prononté dans la séance d'hier.
J'ai dit dans cette séance : « J'examinerai avec soin toutes les questions qui concernent l'ensemble de notre établissement militaire. Je m’entourerai, au besoin, des lumières d'une commission, composée d'hommes éclairés et impartiaux, et quand mon opinion sera définitivement formée, je ferai connaître loyalement ma manière de voir et ma détermination. »
Il m'a paru qu'aussi longtemps que la loi de 1845 était en vigueur, je pouvais m'exprimer comme je l'ai fait au commencement de la séance d'aujourd'hui. Cette loi existe, elle fonctionne bien, et je pense qu'es ma qualité de ministre de la guerre je dois la conserver intacte. Mes paroles ne sont nullement contraires à la déclaration qui a été faite hier et pour laquelle je professe le plus grand respect.
Projet de loi portant révision de la législation hypothécaire
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai déposé il y a quelques temps sur le bureau différents amendements au projet de révision de la législation hypothécaire. Je demande le renvoi de ces amendements à la commission pour qu'elle puisse les examiner et en délibérer. Je demanderai aussi aux honorables membres de la chambre qui auraient des amendements à présenter, à vouloir bien les déposer le plus tôt possible, afin qu'on puisse les examiner à l'avance ; c'est le seul moyen de conserver de l'harmonie dans la loi et l'esprit d'ensemble dans lequel elle a été conçue.
M. Lelièvre. - J'appuie les observations de M. le ministre de la justice.
M. le président. - Tout le monde étant d'accord sur ce point, il sera fait ainsi que le demande M. le ministre.
La séance est levée à 4 heures 3/4.