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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 14 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 293) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à une heure et demie.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Le sieur Jacques-Français Pergay, maitre canonnier dans la marine de l'Etat, en non-activité, né à Maestricht, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Plusieurs habitants et industriels à Soignies réclament l'intervention de la chambre pour que le département des travaux publics accorde leur demande, tendante à ce qu'il se fasse à la station de Soignies une halte, sinon de tous les convois français, au moins de celui de Paris, passant à Soignies, vers 4 1/4 heures du soir, ainsi que des convois de marchandises. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport, sur la proposition de M. Debroux.


M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 3 exemplaires du 9ème volume de la bibliothèque rurale. »

- Dépôt à la bibliothèque.


M. le ministre de la justice transmet à la chambre des explications sur la réclamation du sieur Muller, qui lui a été renvoyée.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. de La Coste demande un congé pour cause d'indisposition.

- Accordé.

Composition des bureaux de section

Première section

Président : M. Lange

Vice-président : M. de Baillet-Latour

Secrétaire : M. Dumon (Aug.)

Rapporteur des pétitions : M. de Baillet


Deuxième section

Président : M. Dautrebande

Vice-président : M. de T’Serclaes

Secrétaire : M. Julliot

Rapporteur des pétitions : M. E. Vandenpeereboom


Troisième section

Président : M. de Royer

Vice-président : M. Deliége

Secrétaire : M. Lesoinne

Rapporteur des pétitions : M. de Perceval


Quatrième section

Président : M. Destriveaux

Vice-président : M. Rousselle (C.)

Secrétaire : M. Moreau

Rapporteur des pétitions : M. Mascart


Cinquième section

Président : M. Bruneau

Vice-président : M. David

Secrétaire : M. Coomans

Rapporteur des pétitions : M. A. Vandenpeereboom


Sixième section

Président : M. Jacques

Vice-président : M. Thibaut

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur des pétitions : M. Delescluse

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1851

Discussion générale

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, si une discussion doit se renouveler à propos du chemin de fer, quand on en arrivera au chapitre qui le concerne, je suis prêt à renoncer à la parole.

- Un grand nombre de membres. - Non ! non ! parlez !

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, l'honorable M. de Liedekerke disait il y a quelques jours que l'Etat n'était pas capable d'exploiter convenablement le chemin de fer.

Quoique opposé en général à l'intervention de l'Etat dans les choses qui peuvent être faites par l'industrie privée, je ne puis partager, en cette occasion, l'opinion de l'honorable membre.

Je crois que notre chemin de fer doit être exploité par l'Etat. Notre chemin de fer a été créé dans un but autant politique que commercial ; il est évident que si notre chemin de fer était exploité par une compagnie, il ne remplirait pas entièrement le but pour lequel il a été créé. Mais si je ne puis partager l'opinion de l'honorable membre, quant à l'incapacité de l'Etat en ce qui concerne l'exploitation du chemin de fer, je partage, sous beaucoup de rapports, son opinion, quant à la mauvaise exploitation de ce chemin de fer.

Je dirai plus ; je dirai que je crois devoir combattre d'autant plus l'exploitation telle qu'elle est faite en ce moment, que je crois que l'Etat serait plus à même d'exploiter le chemin de fer d'une manière convenable, d'une manière lucrative et d'une manière beaucoup plus avantageuse pour les intérêts du pays que ne pourrait le faire une compagnie.

L'honorable ministre des travaux publics n'a pas voulu admettre la comparaison faite par l'honorable M. de Liedekerke, de l'exploitation du chemin de fer en Belgique avec l'exploitation du chemin de fer à l'étranger.

Notre chemin de fer, a-t-il dit, est dans des conditions tout à fait différentes. Nous ne pouvons pas établir une comparaison entre les dépenses faites par les chemins de fer étrangers et les dépenses faites par les chemins de fer belges ; parce que, en général, les recettes faites sur les chemins de fer étrangers sont beaucoup plus fortes, parce que leurs tarifs sont beaucoup plus élevés.

Messieurs, il y a quelque chose de vrai dans cette objection. Cependant elle ne détruit aucunement l'opinion que les dépenses que l'on fait en Belgique pour l'exploitation de nos chemins de fer sont beaucoup trop fortes comparativement à celles des chemins de fer étrangers.

Pendant le premier semestre de 1850, les chemins de fer en Angleterre ont produit une somme de 6,130,000 liv. st. Les dépenses ont été de 2,861,240 liv. st., ce qui fait que ces dépenses se sont élevées à 46 p. c. des recettes.

Mais, messieurs, l'on se tromperait si l'on croyait que ces 46 p. c. de dépenses peuvent être complètement comparés aux dépenses que l'on fait sur nos chemins de fer. Cette dépense de 46 p. c. comprend non seulement les frais d'exploitation, mais environ 12 p. c. pour droits de passagers, pour taxes locales et autres redevances. Il faut donc de ces dépenses s'élevant à 46 p. c, déduire 12 p. c. pour tous droits que notre chemin de fer n'est pas obligé de payer.

Cependant, messieurs, on dit : Le chemin de fer belge ne peut pas être, sous le rapport des dépenses, comparé aux chemins de fer anglais parce que ses recettes sont beaucoup moindres, parce que ses tarifs sont moins élevés.

Messieurs, je ferai une très large concession. Les chemins de fer, en Angleterre, ont rapporté, pendant cette année, 1,200 fr. par mille par semaine. Dans cette proportion, le chemin de fer belge devrait rapporter 21,600,000 francs.

Eh bien, en supposant que le chemin de fer rapporte exactement, dans la même proportion, c'est-à-dire 21,600.000 francs, et que la dépense reste absolument celle que notre chemin de fer fait en ce moment, c'est-à-dire 9,300,000 francs, dans ce cas encore, la dépense d'exploitation en Belgique excéderait de 9 p. c. celle que fait le London and North-Western, de 6 9/10 p. c. celle du Great-Western, de 6 6/10 p. c. celle du South-Eastern.

Je crois, messieurs, qu'il est impossible de faire une concession plus large que celle-là. Notre chemin de fer ne rapporte pas autant que ceux de l'Angleterre, parce que le tarif est plus bas. Mais je suppose que les produits soient dans la même proportion et nos dépenses restent encore de beaucoup supérieures à celles des principaux chemins de fer anglais.

Mais, messieurs, il est un autre moyen de comparer nos dépenses à celles des chemins de fer étrangers et je ne crois pas que l'honorable ministre des travaux publics puisse repousser cette comparaison. L'exploitation de notre chemin de fer coûte par lieue de parcours 12 fr. 22, je pense ; en Angleterre l'exploitation devrait être plus coûteuse qu'elle ne l'est chez nous, lorsqu'on prend pour base la lieue de parcours.

Eh bien, messieurs, voici ce que je trouve : la dépense par lieue de parcours sur le chemin de fer du Lancashire et du Yorkshire est, non pas de 12 fr. 22 c, comme en Belgique, mais seulement de 7 fr. 61 c. ; sur le Midland elle est de 8 fr. 70 c. ; sur le York et le North-Midland, de 8 fr. 23 c ; sur le York-Newcastle et Berwick, de 7 fr. 30 c ; sur l'Edimbourg et Glasgow, de 8 fr. 76 c. ; et sur le North-British, de 5 fr. 74 c. J'ai sous les yeux les comptes du premier semestre 1850.

Il me semble, messieurs, qu'il est impossible d'avoir une preuve plus évidente des vices de l'exploitation de notre chemin de fer, que cette comparaison-là. Cette comparaison, M. le ministre des travaux publics ne peut pas la récuser. Il ne s'agit pas ici de recettes, il s'agit simplement de dépenses, de dépenses qui devraient être moindres ici que partout ailleurs.

Or les dépenses du parcours, par lieue, sur les chemins de fer que je viens d'indiquer, sont toutes de beaucoup inférieures aux dépenses faites sur notre chemin de fer.

Maintenant, messieurs, je conviens que, d'un autre côté, les recettes sur tous ces chemins de fer sont beaucoup plus fortes : chez nous les recettes excèdent à peine les dépenses d'un quart ; sur les chemins de fer dont je viens de parler, les recettes excèdent généralement les dépenses de plus de moitié.

Il me semble, messieurs, qu'il suffit de reconnaître ces faits pour voir clairement et sans aucune autre preuve, qu'il doit y avoir un vice radical dans l'exploitation de notre chemin de fer.

L'honorable M. Dechamps nous disait dans la séance d'hier qu'il n'était pas étonnant qu'on exploitât les chemins de fer avec moins de dépenses dans les pays étrangers qu'on ne le fait en Belgique, parce que ce sont généralement de bonnes lignes que les sociétés exploitent, et qu'en général aussi les sociétés n'exploitent qu'une seule ligne.

Messieurs, c'est là une erreur complète. Plusieurs des chemins de fer dont je viens de parler, et entre autres le Great-Western, exploitent beaucoup plus d'embranchements que nous n'en exploitons en Belgique. J'ai sous les yeux la liste des embranchements exploités par le Great-Western ; ces embranchements sont au nombre de six ; donc on voit bien (page 294) que les chemins de fer anglais ne sont point, sous ce rapport, dans une condition différente du notre.

Et je ne sache pas qu'il y ait un chemin de fer qui puisse être exploité d'une manière plus économique que le nôtre ; il n'y a pas de pays dont la population soit plus dense ; il n'y a pas de pays qui, en général, soit plus riche que le nôtre, et par conséquent pas de contrée où les conditions d'exploitation d'un chemin de fer soient plus favorables qu'en Belgique.

Quoique je me sente fatigué et malade, et que je ne veuille pas abuser des moments de la chambre, je dirai cependant quels sont, à mon avis, les vices de l'exploitation et quels sont les remèdes.

En premier lieu, les dépenses, chez nous, sont trop grandes ; notre chemin de fer possède un personnel trop considérable ; les frais sont si élevés, parce qu'on ne s'est pas contenté, comme on l'aurait fait dans d'autres pays, d'avoir une seule direction des chemins de fer : on a voulu en avoir deux. Je sais que, sous ce rapport, nous ne pouvons pas comparer notre chemin de fer aux chemins de fer administrés par des compagnies : mais cependant je crois que dans l’intérêt de l’économie et dans celui de la bonne administration du chemin de fer, de l’unité de vues qui doit présider à l'exploitation, des moyens d'action dont le personnel devrait être revêtu, il serait convenable qu'il n'y eût qu'une seule direction.

Après avoir visité le plus grand nombre des chemins de fer en Angleterre, je me suis donné la peine de les comparer au chemin de fer de ce pays et de me rendre dans les bureaux de l'administration centrale.

Je dois le dire, à l'honneur de l'administration, ces bureaux sont parfaitement tenus. Il y a quelques années, on était venu demander à la chambre un crédit pour l'établissement d'un bureau de contrôle au département des travaux publics. Eh bien, messieurs, je crois que ce bureau était très avantageux, au point de vue de la responsabilité du ministre ; mais réellement après avoir visité le bureau du contrôle au chemin de fer, je n'ai pas pu comprendre comment le ministre ne s'était pas tout simplement décidé à transférer au département des travaux publics le bureau de contrôle existant au chemin de fer. Il est impossible de trouver une comptabilité mieux tenue.

Cependant on a voulu faire beaucoup mieux ; on ne l'a pas fait, fort heureusement. Mais je ne comprends pas pourquoi l'on n'a pas mis sous la direction immédiate du ministre le bureau de contrôle actuellement existant. Il en est de même de toutes les autres parties de l'administration. Il y a partout superfétation. Les affaires marchent lentement ; elles donnent lieu à des écritures considérables, tandis que les affaires marcheraient beaucoup plus rapidement, avec autant de garanties pour M. le ministre si une grande partie des bureaux du chemin de fer étaient transférés au département des travaux publics.

A la direction au dehors du chemin de fer, il y a 126 employés ; dans les bureaux du département des travaux publics, la division du chemin de fer et des postes comprend encore 73 employés.

Comparez le nombre d'employés de ces deux directions aux employés des bureaux d'un des plus grands chemins de fer du monde, à celui du London and North-Western, dont les écritures sont également parfaitement tenues, vous trouverez dans les bureaux de ce chemin de fer, 68 employés non compris ceux du Transfer office.

Au Great-Western, qui est encore un grand chemin de fer, il y a 61 employés, y compris un bureau considérable dont nous n'avons pas besoin, qui est le bureau des transferts. Voyons maintenant le service pour l'entretien des routes.

Permettez-moi, messieurs, de comparer encore dans cette circonstance nos chemins de fer aux chemins de fer anglais.

On ne dira pas qu'il faut un personnel plus nombreux pour les chemins de fer belges qu'il n'en faut pour le chemin de fer anglais. Les voies et les stations doivent, me semble-t-il, être les mêmes partout. Eh bien, le London and North-Western a payé pendant le dernier semestre, pour traitement des ingénieurs et surveillants de l'entretien des routes et stations, une somme de 68,350 fr., ce qui, pour l'année, fait une somme de 136,700 fr. Et remarquez que l'étendue du chemin de fer anglais est de 478 milles, et qu'il y a 170 stations. Vous savez sans doute, messieurs, ce que nous payons pour ce service ? En 1848, nous avons payé 218,786 francs pour le personnel attaché à l'entretien des voies et des stations sur une étendue de 317 milles. Ainsi 82,000 fr. de plus pour 131 milles de moins qu'en Angleterre.

Voyons comment ce personnel est composé.

Nous avons d'abord un directeur à l'administration ; nous avons ensuite trois chefs de service ingénieurs ; nous avons en outre trois ingénieurs en sous-ordre, attachés aux chefs de service ; nous avons de plus des chefs de sections, et après les chefs de sections, nous avons les surveillants ; et, en dernier lieu, nous avons des architectes.

Il y a là certainement un luxe extraordinaire d'ingénieurs.

En parlant de luxe d'ingénieurs, je dois dire, pour citer encore ce qui se passe en pays étranger, qu'en Angleterre il y a 111 chemins de fer livrés au public, et pour l'exploitation de ces 111 chemins de fer, il y a 107 ingénieurs.

Voici le tableau des employés de tous les chemins de fer soumis au parlement, le 22 mars dernier.

Nous avons nous, je pense, 32 ingénieurs outre les directeurs et inspecteurs.

Vous le voyez, messieurs, nous voulons toujours être en avant des autres, et comme si l'avance que nous avons ne nous suffisait pas, nous créons encore de nouveaux ingénieurs.

Je dirais donc que nous avons réellement un luxe d'employés dans le service de l'entretien des routes en général. Le service des routes, en Angleterre, se fait de la manière suivante : on a un ingénieur consultant ; à côté de l'ingénieur consultant, il y a un certain nombre d'assistants. Il y a en a trois pour le service du Great-Western et des surveillants.

Les surveillants surveillent une étendue de route de 17 à 20 milles ; ce sont ceux qu'on pourrait appeler chez nous des chefs de section ; mais on n'a pas en Angleterre cette division dans le service des lignes qui, à mon avis, est aussi nuisible en même temps que coûteuse, on n'a pas des chefs de service pour chaque ligne ; il n'y a qu'un seul chef de service pour toutes les lignes ; il a sous lui des assistants, des surveillants, et des ouvriers, mais il n'y a pas d'autre personnel.

Malgré ce personnel si peu nombreux, ce service est parfaitement bien fait, et je crois qu'il pourrait être fait non moins bien chez nous avec un personnel réduit dans la même proportion. Il y a évidemment trop d'employés attachés au service de l'entretien des routes et des stations et il ne me serait pas difficile d'indiquer, parmi le personnel actuel, des employés qui ne font exactement rien. C'est une chose de notoriété publique.

Si maintenant j'en viens à la locomotion, je trouve qu'il y a là encore le même luxe de chefs de service, d'ingénieurs, d'employés. Ce sont toujours les mêmes errements, ce sont les mêmes vices que l'on rencontre partout. Le personnel dirigeant est trop nombreux, il y a trop de rouages, la responsabilité personnelle disparaît dans ce chaos et si quelque chose m'étonne encore, c'est que notre chemin de fer ne marche pas plus mal et que son exploitation ne coûte encore plus cher.

Mais ces vices que j'indique, on peut les faire disparaître.

La première mesure à prendre, ce serait de supprimer l'une des deux directions ; ce serait que les chefs de service pussent entrer directement en correspondance avec M. le ministre des travaux publics. Ce serait encore, messieurs, la suppression d'un certain nombre de chefs de service, afin de mettre plus d'unité, plus d'harmonie, plus d'énergie dans le service.

Cela pourrait être fait non seulement pour l'entretien de la voie, mais aussi pour le service de la locomotion.

Comme je viens de le dire, le service de la locomotion est très coûteux, d'abord à cause du personnel qui y est attaché, ensuite par suite du stationnement qui est beaucoup trop considérable.

En général, messieurs, nos locomotives, notre matériel est trop longtemps en stationnement. Sur les chemins de fer étrangers, ce stationnement est rendu aussi court que possible et je vous citerai encore le London and North-Western où le stationnement n'a été, pendant le dernier semestre de 1848, que de 20 mille heures, et où (erratum, page 312) le coût total du service de locomotion n'a été, sur le London et North-Western, pendant le dernier semestre de 1849 que de 2 fr. 47 c. par lieue de parcours. Sur le Great-Western, le coût de la locomotion a été de 2 fr. 67 c. par lieue. Sur le London et North-Western, dis-je, le stationnement n'a été, pendant un semestre entier, que de 20,000 heures ; or, en Belgique le stationnement excède, je pense, 100,000 heures pendant le même espace de temps.

Or, messieurs, je n'ai pas sous les yeux, le chiffre du stationnement des locomotives en Belgique ; mais je crois que ce chiffre excède 200,000 heures.

Pour diminuer le stationnement, que faudrait-il faire ? Il faudrait multiplier les convois. En multipliant les convois, les machines ne feront plus peut-être pour chaque convoi le même travail, mais elles feront une quantité beaucoup plus considérable de travail utile, dans un temps donné.

Ce serait également un moyen d'attirer au chemin de fer un plus grand nombre de voyageurs ; car c'est en augmentant les facilités de transport, que vous ferez affluer vers le chemin de fer un plus grand nombre de voyageurs.

Sous ce rapport, il y a un vice dans notre administration. Nos convois ne sont pas assez fréquents. Si l'on compare le nombre de départs sur les chemins de fer étrangers au nombre des départs sur notre chemin de fer, on voit que sur les premiers, ce nombre est au moins double de ce qu'il est chez nous. Le North-Western a 18 départs dans la même direction par jour, et le Great- Western 14. Mais on divise les haltes de manière à s'adresser tour à tour à toutes les populations qui sont sur la ligne.

On croit en Belgique trouver une économie en faisant faire aux locomotives, pour un seul convoi, la plus grande somme de travail utile. Les compagnies n'ont pas raisonné dans ce sens. Elles ont trouvé qu'en multipliant les départs, les locomotives faisaient en somme une plus grande quantité de travail utile qu'en les limitant.

Je dirai encore, en parlant de la multiplication des convois, que l'on pourrait trouver des ressources très grandes dans l'adoption du système qui a été proposé, pendant la session dernière, par la section centrale qui a été chargée de l'examen des tarifs des voyageurs.

Je crois que l'on pourrait adopter, avec un très grand avantage, les convois à grande vitesse. (erratum, p. 312) En adoptant surtout, pour les parcours à grande distance, des convois de vitesse composés seulement de voitures de première classe.. Les voyageurs qui ont à parcourir de grandes distances ne regardent pas à payer 2 ou 3 fr. de plus. Ainsi le voyageur venant de l'Allemagne, et se rendant en Angleterre,, ne regarderait pas à 4 ou 5 fr. de plus pour son passage en Belgique, à condition qu'il pût aller très vile. Il en serait de même des hommes (page 295) d’affaires. Bien souvent ils aimeront mieux payer quelque chose de plus pour gagner du temps.

Mais pour les convois qui ont à parcourir de petites distances et qui ont à transporter des masses, je trouve qu'au lieu de les faire marcher aussi vite qu'on les fait marcher actuellement, il faudrait les faire marcher avec beaucoup plus de lenteur. Les frais augmentent considérablement avec la vitesse que l'on donne aux convois. Il faudrait supprimer surtout l'envoi de marchandises et du bétail par les convois de voyageurs, ou ne faire cet envoi qu'avec des convois ne faisant que 13 ou 15 milles à l'heure. Je pense encore qu'il y aurait bénéfice en avant des convois de (erratum, page 312) marchés pour lesquels les prix seraient beaucoup plus bas qu'ils ne le sont actuellement.

Je m'attendais, messieurs, à rencontrer dans cette discussion un adversaire des bas tarifs. Il paraît que l'honorable M. Dumortier a renoncé à la parole. Mais j'étais prêt à combattre l'opinion qu'émet ordinairement cet honorable membre, sous le rapport des bas tarifs. J'aurais prouvé que les bas tarifs sont extrêmement avantageux pour l'exploitation des chemins de fer. J'ai sous ce rapport des faits concluants.

Je crois donc qu'il serait extrêmement avantageux pour notre administration des chemins de fer d'établir, outre les convois de 3ème classe, (erratum, page 312) des convois de marchandises où les transports se feraient à des prix plus bas que ceux qui sont établis par nos tarifs.

Maintenant, messieurs, il est un autre point sur lequel je ne suis pas d'accord avec l'administration du chemin de fer, c'est en ce qui concerne les marchandises. Je suis complètement de l'avis émis hier par l'honorable M. Dechamps : notre tarif des marchandises n'est point ce qu'il devrait être ; notre tarif des marchandises n'est point celui qu'adopterait une administration qui voudrait rendre productive l'exploitation du chemin de fer.

Je crois, messieurs, que sans nuire sous aucun rapport à notre commerce, que sans perdre de vue le moins du monde cette considération politique dont je parlais tout à l'heure, nous pourrions hausser considérablement notre tarif pour le transport des marchandises, sans nuire en rien au commerce et à l'industrie et sans diminuer les expéditions ; car il ne faut pas oublier que le transport des marchandises n'est pas réglé par les mêmes conditions qui augmentent ou diminuent le nombre des voyageurs.

Mais, messieurs, aussi longtemps que le chemin de fer se trouvera en concurrence avec les voituriers, aussi longtemps que le chemin de fer n'aura pas trouvé le moyen de faire cesser cette concurrence et de faire en sorte que les voituriers viennent, dans leur propre intérêt, coopérer avec lui dans un but commun, notre railway n'obtiendra que des recettes très insuffisantes du transport des marchandises.

En Angleterre, messieurs (il faut que je cite encore ce pays), en Angleterre il y avait à côté des chemins de fer, de grands voituriers ; eh bien, qu'ont fait les chemins de fer ? Ils ont employé les grands voituriers comme leurs agents au lieu d'entrer en concurrence avec eux. Ainsi, le London and North-Western, qui trouvait sur son chemin MM. Chaplin et Home, dont les voitures couvraient toutes les routes d'Angleterre, a trouvé qu'il lui était avantageux de s'entendre avec ces messieurs et les a établis comme ses agents.

Lorsque le chemin de fer est exploité par une compagnie, il peut résulter un grand mal d'une pareille entente qui peut être faite au détriment du public ; mais chez nous, où l'Etat règle le tarif, il ne peut en résulter aucun inconvénient.

En s'entendant avec ceux qui viennent faire concurrence au chemin de fer, on parviendrait à établir une espèce de monopole qui ne serait nuisible à personne et qui augmenterait considérablement les recettes du chemin de fer.

Messieurs, je m'arrêterai ici. Si, dans le cours de la discussion, j'éprouve le besoin de faire d'autres observations, je demanderai de nouveau la parole.

M. Dumortier. - Messieurs, la question de l'exploitation du chemin de fer est enfin comprise. Chacun sait aujourd'hui les vices du système dans lequel nous sommes si malheureusement entrés. Chacun comprend qu'il est nécessaire d'en sortir. C'est un grand pas, un pas immense fait dans l'intérêt du trésor public qui a tant perdu, qui a eu tant à souffrir des divers tarifs qui se sont succédé et, en particulier, de celui du 1er septembre 1848.

Il est certain que par cette tarification, loin d'atteindre le but qu'on avait eu en vue, on est arrivé à une diminution effrayante des revenus publics, et cette diminution a eu lieu non seulement sur les péages du chemin de fer, mais aussi sur les péages des canaux, dont elle a été la cause.

Nous devons donc nous féliciter que la chambre comprenne enfin la nécessité de modifier ce système si fatal à nos finances.

Sans doute, le chemin de fer est une institution magnifique, une institution de progrès pour le pays ; mais quand cette institution de progrès devient onéreuse au trésor public, lorsqu'elle devient, comme je le disais l'an dernier, tout un système de primes, de primes dissimulées, alors ce n'est plus du progrès, c'est une chose fatale aux finances du pays qui l'exploite.

Et ici vous comprenez, messieurs, que c'est uniquement de la tarification que j'entends parler.

La tarification actuelle est-elle, oui ou non, défavorable à nos finances ? Les impôts ne doivent-ils point intervenir pour combler chaque année les déficits du chemin de fer ? Voilà, messieurs, la question que nous nous nous sommes posée depuis plusieurs années, A la suite de grandes contestations, la cour des comptes a été chargée de remettre à la chambre un état de situation des dépenses et du coût du chemin de fer.

Cet état de situation, vous l'avez sous les yeux, et certes je crois pouvoir dire que si jamais l'opinion que j'avais émise antérieurement et que le ministère avait si bénévolement taxée d'exagération, si jamais cette opinion a reçu une confirmation éclatante, c'est bien certainement par le travail de la cour des comptes, car la cour des comptes accuse une dépense supérieure de 20 millions à celle que j'ai présentée et que le ministre avait taxée d'exagération.

La cour des comptes a envisagé les dépenses du chemin de fer sous trois points de vue : d'abord en faisant un compte de tout ce que le chemin de fer avait coûté à l'Etat, y compris les intérêts que le trésor public a dû payer pour couvrir les déficits annuels du chemin de fer ; puis elle a établi un deuxième compte, en défalquant ces mêmes intérêts ; enfin elle a fait un troisième compte qui constate le coût du chemin de fer examiné en lui-même. De ces trois comptes un seul répond à la question que la chambre avait posée.

Il s'agissait de savoir ce que le chemin de fer avait coûté à l'Etat, non pas seulement pour la construction, nous le savions tous, nous en avions les chiffres sous les yeux, mais ce qu'il avait coûté au trésor public, c'est à-dire ce qu'il avait coûté, d'abord pour sa construction ; en second lieu, pour la perte des capitaux qu'on avait dû lever pour cette construction, en troisième lieu, du chef du déficit annuel dans les recettes du chemin de fer, comparées aux dépenses et au service des intérêts des capitaux. Voilà ce que nous devions savoir.

Que dit la cour des comptes ? La somme totale de la dépense du chemin de 1er au 31 décembre 1848, s'élève à 221 millions de francs ; voilà ce que le trésor a payé au 31 décembre 1848, c'est-à-dire il y a à peu près deux ans, pour faire face à la construction du chemin de fer et à son service, depuis 1834 jusqu'à l'époque que je viens d'indiquer.

Les autres chiffres, posés par la cour des comptes, ne sont pas ceux auxquels nous devons nous arrêter, parce que, d'une part, la cour défalque les intérêts que le trésor public a payés, et que, d'un autre côté, elle n'envisage pour ainsi dire que la création du chemin de fer lui-même. La première situation est donc la seule qui nous dit ce que le chemin de fer a coûté au trésor public, et cette dépense est fixée par la cour des comptes à la somme de 221 millions.

A la vérité, M. le ministre des travaux publics avait remis, à son tour, un compte de la dépense des chemins de fer. Ce compte diffère considérablement de celui que nous a présenté la cour des comptes.

Le motif principal de la différence que vous trouverez entre les deux résultats, consiste en ce que le compte du ministre est établi de telle manière qu'on porte à l'avoir du chemin de fer tous les remboursements qui ont été effectués par l'Etat ; c'est là une manière de calculer que je ne connaissais pas.

Pour moi, j'avais toujours pensé que lorsqu'un banquier ouvrait un compte à son débiteur, et que le débiteur ne pouvait pas en payer les intérêts, il fallait porter cette somme d'intérêts, non pas au crédit du débiteur, mais à son débit ; j'avais pensé qu'une personne qui doit 100,000 francs à un banquier et qui, à la fin de l'année, ne peut pas payer les 5,000 francs d'intérêt, devait alors au banquier 105,000 francs, et non 95,000 francs. Or, le compte présenté par le gouvernement repose sur cette hypothèse, que le banquier diminue sa créance de toute la somme dont le débiteur voit augmenter sa dette, par suite du non payement des intérêts.

Messieurs, vous sentez qu'il est impossible de suivre un compte de ce genre. La cour des comptes, elle, a pris les choses dans un sens vrai, réel, sincère, et elle arrive à un résultat que nous devons tous reconnaître, à savoir que la dépense totale du chemin de fer, y compris l'intérêt des emprunts faits pour sa construction, et payés par le trésor à la décharge du chemin de fer, était au 31 décembre 1848, de 221 millions.

Depuis cette époque, deux ans se sont écoulés ; pendant ces deux années, de nouveaux déficits sont venus accroître cette somme de 221 millions. En 1849 et en 1850, le chemin de fer n'a pas couvert ses dépenses ; évaluons, et c'est être très modeste, évaluons pour ces deux années le déficit du chemin de fer vis-à-vis du trésor public, à la somme de 9 millions ; nous trouverons qu'au 31 décembre prochain, le coût total du chemin de fer s'élèvera à près de 230 millions.

L'intérêt de cette somme à 5 p. c. vous donnera nécessairement 11,500,000 fr.

Si vous y ajoutez les frais d'exploitation qui sont portés au budget que nous sommes appelés à voter et qui s'élèvent à 8,314,000 fr., plus les 40,000 fr. pour la régie, vous verrez que le chemin de fer devra rapporter, l'année prochaine, 19,844,009 fr. pour pouvoir couvrir ses dépenses.

Nous arrivons donc toujours à ce résultat fatal, que le chiffre rond de 20 millions est nécessaire pour couvrir les dépenses du chemin de fer.

Je sais fort bien qu'on dira : Vous ne devez pas tenir compte au chemin de fer des sommes qui sont disparues ; il ne faut pas même tenir compte des intérêts qui ont été payés par l'Etat.

Mais toutes ces sommes qui chaque année provenaient d'un déficit des recettes du chemin de fer, comment les avez-vous payées ? Vous les avez payées avec les ressources du trésor public.

(page 296) Eh bien, M. le ministre des finances vous l'a dit ; c'est à peine si chaque année nous avons pu tenir les recettes au niveau des dépenses ; chaque année, nous avons eu des déficits, nos revenus n'ont donc pu servir à couvrir le déficit du chemin de fer, nous avons dû recourir à d'autres moyens ; or, nous avons successivement augmenté les bons du trésor, de manière qu'il est incontestable que tous ces déficits ont fini par être capitalisés, sont devenus des émissions de bons du trésor, émissions qui sont devenues elles-mêmes des emprunts, et après les emprunts on est encore arrivé à la nécessité d'une nouvelle émission de bons du trésor.

Messieurs, notre gêne financière n'est pas dans la balance ordinaire de nos recettes avec nos dépenses d'administration et de gouvernement ; nos embarras financiers, les déficits que nous éprouvons chaque année, ne sont autre chose que les déficits que nous éprouvons sur les recettes du chemin de fer. C'est de la dernière évidence.

Voyons comment les choses se sont passées à la suite des événements de 1848 : le gouvernement avait eu la louable intention de faire disparaître les bons du trésor ; on ne pouvait assez le féliciter de vouloir arriver à ce résultat ; un emprunt forcé était autorisé pour atteindre ce but ; deux ans se sont écoulés à peine depuis lors, et nous voici encore avec 30 millions de bons du trésor. Or, une notable partie de ces bons du trésor ne représente autre chose que les déficits du chemin de fer pendant les années qui viennent de s'écouler ; car si vous avez à votre dette publique des charges auxquelles il faut faire face au moyen des recettes du chemin de fer, et si ces charges ne sont pas couvertes par les recettes du chemin de fer, c'est le trésor public qui doit combler le déficit ; et comme les dépenses ne sont pas couvertes par les recettes, c'est aux bons du trésor qu'il faut recourir ; ainsi, d'émission en émission, vous arrivez à grever considérablement le pays, et cela pour couvrir les déficits du chemin de fer. C'est là un système fatal, un système funeste, pour les finances d'un pays.

Messieurs, le chemin de fer est sans doute une très grande et très magnifique entreprise ; c'est une œuvre de civilisation et de progrès ; on l'a souvent dit, et je m'associe volontiers à cette pensée ; mais, pour moi, je n'ai jamais fait consister le progrès d'un pays à ruiner le trésor public de ce pays.

Quand une opération, quelque belle, quelque progressive, quelque grande qu'elle soit, nuit aux finances d'un pays, je dis que cette opération, malgré tout son mérite, malgré tous ses avantages, laisse quelque chose à dire, et qu'il est indispensable d'y porter remède. C'est, messieurs, le cas du chemin de fer au point de vue de sa tarification.

Voyez, messieurs, le travail de la cour des comptes, dont j'ai eu l'honneur de vous parler tout à l'heure ; elle a établi ce calcul, à savoir que le chemin de fer doit à l'Etat, pour les avances que celui-ci lui a faites sur les budgets, et défalcation faite des 669,000 fr., formant l'excédant des recettes sur les dépenses en 1835 et en 1836 ; que le chemin de fer, dis-je, doit à l'Etat une somme de 44,845,000 francs ; le chemin de fer, d'après la cour des comptes, est donc débiteur envers l'Etat de 44,845,000 francs, pour les avances que nous lui avons faites, pour combler son déficit. Une pareille déclaration de la cour des comptes ne confirme-t-elle pas cette opinion que j'ai souvent émise, que la tarification de notre chemin de fer est le chancre de nos finances ?

Mon honorable collègue, M. Vermeire, a porté cette somme, je crois, à 52 ou 53 millions ; ce serait plus grave encore ; qu'il me suffise que, d'après la cour des comptes, l'Etat a dû, pour combler le déficit du chemin de fer, se mettre en avance sur le chemin de fer de 44,845,000 francs soit 45 millions, chiffre rond.

Maintenant, devons-nous persévérer dans ce système ? Evidemment cela n'est pas possible. Il faut absolument que nous arrivions à l'un de ces deux résultats, ou bien nous devons tâcher de trouver quelqu'un qui veuille reprendre le chemin de fer, soit comme adjudicataire, soit à titre de reprise ; ou bien il faut continuer à le faire exploiter par l'Etat ; je ne m'y oppose nullement, mais il faut le faire de telle sorte qu'il rapporte largement ce qu'il coûte. (Interruption.)

J'entends dire que cela est juste ; j'accepte cette déclaration. Or, messieurs, comment le chemin de fer parviendra-l-il à produire ce qu'il coûte ? Ici deux moyens se présentent à nos yeux : diminuer les dépenses d'entretien et d'exploitation, augmenter les recettes du chemin de fer.

Je reconnais, messieurs, qu'il n'est pas impossible d'amener encore de larges réductions sur les dépenses d'exploitation. A cet égard, je prendrai la confiance de faire remarquer à l'assemblée que si nous prenons pour point de comparaison l'exploitation du chemin de fer en 1846, nous voyons qu'il est peut-être possible d'opérer sur ce point des économies considérables. En 1846, les frais d'exploitation du chemin de fer ne se sont élevés qu'à 7,245,000 fr. ; mais l'année suivante, en 1847, cette même dépense s'est subitement élevée à 9,510,000 fr., donc une augmentation de plus de 2 millions sur les frais d'exploitation.

L'année dernière, M. le ministre des travaux publics est parvenu à opérer une réduction considérable sur cette dépense ; les frais d'exploitation sont tombés à 8,352,000 fr., et maintenant on propose 8,314,000 plus 40,000 fr. pour la régie, soit ensemble 8,354,000 fr. Il n'y a donc qu'une différence insignifiante de 2,000 fr. entre le chiffre des deux années.

Vous arrivez donc à ce résultat que vous êtes encore d'un million au-dessus du chiffre de 1846, pour les frais d'exploitation.

Y a-t-il possibilité d'amener des réductions considérables bien qu'il y ait une si grande différence dans les chiffres ? Permettez-moi d'en douter. Je crois que certaines réductions sont possibles ; mais je ne pense pas que ces réductions puissent être considérables. Pourquoi ? Parce que l'abaissement des prix augmente le nombre des transports ; parce que, d'un autre côte, au moyen du tarif si fatal du 1er septembre 1848, et au moyen du tarif plus fatal encore du 1er juillet 1848, nous sommes arrivés à ce résultat qu'en multipliant d'une manière exorbitante les transports, sans multiplier les recettes, nous avons singulièrement compromis le matériel, puisqu'il faut aujourd'hui le réparer et qu'il faudra y sacrifier une somme énorme dans quelques années ; vous aurez, ne vous y trompez pas, une demande de 10, 15 peut-être même 20 millions pour le renouvellement d'une grande partie du matériel ; et cela, parce, que, à force de transporter à vil prix mais beaucoup, on opère une détérioration de matériel telle qu'il faudra nécessairement le renouveler dans peu d'années.

D'un autre côté, on a entrepris le remplacement des rails légers par des rails plus pesants et plus solides. Certainement c'est là une très bonne opération ; mais il a fallu la payer ; de façon que, pour mon compte, je ne me fais pas grande illusion sur la possibilité d'amener des réductions considérables dans les dépenses actuelles d'exploitation. Je crois qu'après ce qu'ont fait M. Rolin et son successeur M. Van Hoorebeke, il restera bien peu à faire ; car toute leur attention paraît avoir exclusivement porté sur la possibilité de réduire les dépenses d'exploitation.

Je crois qu'après les études qui ont été faites, les efforts qui ont été tentés par ces honorables collègues, ce n'est point là qu'il faut chercher, à l'avenir, le moyen efficace d'apporter un remède au mal dont nous nous plaignons.

Plusieurs de nos honorables collègues ont comparé, d'une part, le chiffre moyen des frais d'exploitation avec la recette brute ; et d'autre part, la dépense et la recette des chemins de fer en Belgique, avec la dépense et la recette des chemins de fer d'autres pays ; et ils sont arrivés à ce résultat que les frais d'exploitation s'élevaient comparativement à la recette brute :

En Belgique, à 64 p. c.

En Allemagne, à 49 p. c.

Sur le chemin de fer d'Orléans, à 48 p. c.

Et sur le chemin de fer du Nord, à 40 p. c.

Mais, messieurs, ce calcul, veuillez-le remarquer, pèche complètement par sa base.

Pour établir une comparaison exacte entre les recettes et les dépenses, il faudrait que les tarifs fussent les mêmes pour tous les chemins de fer, il faudrait que vous eussiez en Belgique le même tarif que celui du chemin de fer du Nord et du chemin de fer d'Orléans ; avec des données semblables, vous arriverez à des résultats identiques ; mais avec des données différentes, vous arrivez nécessairement à ne pouvoir tirer aucune conséquence des faits servant de points de comparaison.

Si aujourd'hui votre tarif était encore abaissé de 50 p. c, les frais d'exploitation s'élèveraient considérablement. Vous ne pourriez donc établir une comparaison juste, rationnelle, que si les mêmes tarifs existaient en Belgique, en France et en Allemagne. Hors de là, l'argument que l'on invoque pèche complètement par sa base.

Tout en admettant la possibilité de certaines réductions, je maintiens que ce n'est pas dans les frais d'exploitation que git le grand mal contre lequel on lutte depuis plusieurs années. Il n'est pas un seul instant douteux pour moi que s'il avait été possible d'amener de fortes réductions dans les frais d'exploitation.

Reste donc le second moyen, la tarification du chemin de fer. Ici, messieurs, les choses changent ; si vous examinez nos tarifs, si vous les comparez avec ceux des chemins de fer des autres pays, vous verrez immédiatement combien nos tarifs sont inférieurs à ceux de tous les chemins de fer du continent, et particulièrement à ceux des chemins de fer français, qui sont le plus près de vous, notamment à ceux du chemin de fer du Nord, dont le nôtre est la continuation. Sur le chemin de fer du Nord un voyageur en diligence paye 50 centimes par lieue kilométrique ; en Belgique, il paye 39 centimes ; sur le chemin de fer du Nord, un voyageur en char à bancs paye 37 1/2 cent, par lieue kilométrique ; en Belgique, 29 centimes ; par wagon, il paye en France 29 1/2 centimes ; en Belgique, 19 centimes. Jugez par là quelle doit être la différence du produit.

Voilà, messieurs, où est la différence. On a abaissé les tarifs dans une proportion telle qu'on est arrivé à ce résultat que les recettes en ont considérablement souffert. Car s'il est vrai de dire qu'en finances deux et deux ne font pas quatre, il est vrai de dire aussi que la moitié de deux ne fait jamais six.

On a prétendu, vous vous en souvenez, messieurs, qu'à force de baisser les tarifs, on multipliait les recettes. On a érigé ce singulier principe en système. Voyez où l'on en est arrivé. En 1849, le gouvernement était tellement certain que la diminution de prix aurait augmenté le revenu, qu'il avait porté au budget des voies et moyens les recettes du chemin de fer à 15 millions et demi ; eh bien, les recettes se sont à peine élevées à 14 millions.

Vous voyez donc que ce n'est pas en abaissant toujours que vous augmenterez les revenus. Il faut, en pareil état de choses, trouver le chiffre heureux qui n'empêche point la circulation et qui cependant amène des résultats favorables au trésor public. C'est ce que fait l'industrie privée. L'industrie privée cherche toujours les chiffres qui n'empêchent pas la circulation et qui cependant lui amènent le plus de bénéfice. A cet égard, permettez-moi une réflexion.

(page 297) En Belgique, si le chemin de fer était réuni au ministère des finances, je suis convaincu que l'on arriverait à peu près aux mêmes résultats, car le ministre des finances a seul l'embarras de procurer des fonds au trésor public ; M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre des travaux publics n'ont pas cet embarras ; ils n'ont, eux, que la satisfaction de dépenser les fonds.

Ils s'inquiètent donc fort peu de savoir si le chemin de fer rapporte ou non ; ils sont, eux, les consommateurs du trésor public.

Toute l'ambition du ministre des travaux publics consiste à autre chose, c'est de transporter à bon marché les voyageurs, de manière à présenter une statistique bien fournie de transports. Au contraire le ministre des finances a une autre ambition, c'est de dire : J'ai reçu beaucoup d'argent et j'ai créé des impôts.

C'est ainsi que doit être un ministre des finances ; à mes yeux, il ne doit voir que les ressources du trésor public, que des moyens de faire entrer par les péages la plus grande somme possible dans le trésor public, afin d'éviter de faire un appel à l'impôt. Or, il est certain que s'il est une dépense qui soit juste, qui soit légitime, c'est bien celle qui résulte des transports par le chemin de fer ; car enfin, faites transporter par le chemin de fer celui qui veut être transporté, et que celui-là paye ; mais il n'est pas juste que les habitants des pays éloignés, qui n'ont pas de chemin de fer, payent pour celui qui voyage en chemin de fer.

Le budget doit combler cette dépense ; il doit arriver à ce résultat de laisser le trésor public indemne ; c'est là un principe tellement vulgaire en économie politique et surtout en gouvernement, que réellement je croirais vous faire injure que de venir le développer dans cette enceinte.

Si vous voulez un service de l'Etat, payez-le ; mais ne venez pas demander que l'Etat vous rende ce service à perte, en le faisant payer par ceux à qui ce service n'est pas rendu.

M. le ministre des travaux publics nous a présenté un projet de loi pour les péages des voyageurs, et ce projet de loi a été amendé par la section centrale. D'après celle-ci les transports des voyageurs seraient de deux sortes : les convois de vitesse, les convois mixtes ; et il y aurait une augmentation légère sur les convois de vitesse, le prix resterait le même pour les convois mixtes ; et ainsi ceux qui voudraient profiter des convois de vitesse gagneraient par le temps ce qu'ils payeraient de plus, ce qui produirait des excédants dans les dépenses, et le trésor public y trouverait un bien. Pour moi, je suis profondément convaincu que si ce tarif était adopté nous aurions immédiatement une augmentation considérable, d'un million au moins, sur les voyageurs.

Il faudra, d'un autre côté, régulariser ces anomalies si grandes qui se trouvent dans le prix des places d'une ligne à l'autre ; tout cela se fera par la loi sur laquelle un rapport vous a été présenté. Comme M. le ministre a exprimé le désir que cette loi fût votée immédiatement après les budgets, pour le présent il n'y a pas à s'occuper davantage de cet objet.

Vient l'autre question : celle des marchandises. Ici la perte du trésor public est saillante. Examinez la note remise par M. le ministre des travaux publics à la section centrale ; il reconnaît lui-même que le transport des marchandises, en 1849, comparé avec celui de 1847, a amené une réduction de recettes d'un million de francs ; et cependant, remarquez-le bien, l'année 1849 n'était pas une année défavorable, ce n'était pas l'année 1848. A la vérité, on a dit qu'il y aurait cette année une augmentation de 200,000 fr. Mais on signale en 1849 une réduction d'un million. Comment cette réduction a-t-elle été amenée ? Précisément à la suite du tarif du 1er septembre 1848 qui, au dire des ministres, devait amener pour le trésor public une recette de 15 millions et demi. L'expérience est venue donner un démenti éclatant à cette promesse ministérielle. Vous voyez vous-mêmes le déficit que ce tarif a amené.

Pourquoi cela a-t-il eu lieu ? Mon honorable ami, M. Dechamps, l'a déjà exposé ici, c'est le tarif du 1er septembre qui en est la cause ; mais il a omis de vous parler d'une autre perte qui en a été la conséquence immédiate : la réduction des produits des canaux et des barrières. Si vous examinez ce qu'a perdu le canal de Charleroy, par suite du tarif du 1er septembre 1848, vous arrivez à ce résultat : tandis que ce canal avait rapporté 1,635,000 francs en 1847, son produit est tombé, en 1849, à un million 70 mille francs ; perte 600 mille francs pour le trésor public. La Sambre canalisée, de son côté, qui, en 1847, avait rapporté 735 mille francs, n'a produit, en 1849, que 549 mille francs ; perle : 188 mille francs.

Ainsi voilà près de 800 mille francs perdus par les conséquence de ce tarif du 1er septembre 1848. Mais à cela il faut encore ajouter la perte sur les barrières de première et de seconde classe, à la suite de cette réduction immodérée sur le tarif des marchandises. Quand on est arrivé à ce résultat de transporter toutes les houilles en chemin de fer, les rouliers qui transportaient ces houilles en grande partie ont cessé de circuler sur les routes ; il y a eu 200 mille francs de perte sur les barrières de première et de deuxième classe, de manière que le contrecoup du tarif sur les produits des canaux et des routes pavées a amené un déficit de un million.

Ajoutez ce million au million et demi signalé par mon honorable ami, et vous arrivez à ce que ce tarif a coûté à la Belgique, c'est-à-dire à une somme de deux millions et demi par an de perte. C'est voire chef-d'œuvre, M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a qu'un mot à répondre à cela, c'est que c'est complètement inexact.

M. Dumortier. - Je viens de le prouver par des chiffres !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a eu réduction dans les transports de 95,00 tonnes !

M. Dumortier. - Les chiffres sont là qui parlent plus haut que tout le reste ; on les contestera, mais cela se conçoit ; negare prima régula juris, c'est la devise des mauvais avocats. L'amour-propre ne permet pas de dire qu'on est arrivé à faire subir au trésor public une perte de deux millions et demi par an ; cela se conçoit, mais les chiffres sont plus éloquents que les discours et les démentis des ministres, et ceux sur lesquels je m'appuie ont été donnés par M. le ministre lui-même. Vous comptiez tellement sur le tarif que vous avez établi, que vous avez proposé de porter à 15,500,000 l'évaluation des produits du chemin de fer.

Eh bien, les faits sont venus donner un démenti éclatant à vos prévisions. Ne dites pas que votre tarif était une combinaison merveilleuse, M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tout cela est inexact !

M. Dumortier. - Messieurs, reconnaissons que le tarif du 1er septembre 1848 a été fatal aux finances du pays, qu'il a diminué nos revenus de plus de deux millions ; mais ce n'est pas seulement le tarif du 1er septembre 1848 qui a eu ces conséquences déplorables, c'est surtout celui du 1er juillet 1849 ; car à cette époque, nous avons vu paraître un nouveau tarif qui paraît être resté inaperçu.

J'appelle l'attention de la chambre sur ce tarif ; c'est un tarif réglant le prix de transport du chemin de fer belge-rhénan. Mais avant d'y arriver, permettez-moi de jeter un regard sur le tarif français et sur les anciens tarifs de la Belgique.

Les tarifs autrefois prenaient pour base des prix de transport la valeur des marchandises. Il est hors de doute que la marchandise doit payer le transport en raison de sa valeur.

Il est peu important de savoir s'il ne coûte pas plus pour transporter telle marchandise que telle autre ; quand on veut obtenir un résultat financier, il faut tenir compte de la valeur des objets dont on veut opérer le transport. Il n'y a pas d'entreprise de transport qui n'établisse des tarifs sur ces bases. Il y a à cela un motif très simple ; c'est que la responsabilité du transport est plus grande pour un objet de grande valeur que pour un objet de peu de valeur.

Il est évident que si j'ai 100 kilog. d'indigo et 100 kilog. de sable à transporter, je ne dois pas le faire au même prix, parce que si les 100 kilog. d'indigo sont avariés, je ne pourrai pas les remplacer au même prix que les 100 kilog. de sable. Dans tous les pays, tous les tarifs de chemin de fer, à la seule exception de celui du chemin de fer belge, partout, dans tous les transports par chariot, la marchandise paye pour être transportée en raison de sa valeur ; jamais on n'a établi une base unique, constante, uniforme pour tous les transports.

On en avait agi de même dans nos tarifs anciens ; on avait fait des catégories dans les tarifs, on avait établi des tarifs plus élevés pour les marchandises de plus grande valeur. Qu'a fait le tarif du 1er juillet 1849 ? Il a placé toutes les marchandises de grand transport dans la même catégorie que le sable de gravier, la houille, le fer et toutes les marchandises de même valeur.

Ainsi l'on transportera par le chemin de fer 100 kil. de sucre au même prix que 100 kil. de terre ; 100 kilog. de café au même prix que 100 kilog. de gravier ; 100 kil. de fil de lin, de fil de coton, de fil de laine (et remarquez bien qu'un kil. de fil vaut souvent 8, 10 et 20fr.) au même prix que 100 kil. de briques.

Je vous le demande, cela est-il raisonnable ? Cela est-il sensé ? Faut-il se demander après cela pourquoi vous avez un déficit dans vos recettes ? Mais il est évident que quand vous transportez le café au prix de la terre, au prix du gravier, au prix des briques, vous devez arriver à un déficit constant, à un déficit infaillible.

Il fallait nécessairement conserver des catégories transportées au prix le plus réduit possible, telles que le gravier, les briques, la houille. Mais il fallait transporter à des prix plus élevés les colis de valeur. C'est ce que n'a pas fait le tarif du 1er juillet. Il a mis dans la même catégorie toutes les marchandises de grand transport, et c'est à cette circonstance qu'est due avant tout le déficit sur le transport des marchandises.

D'un autre côté, que fait le gouvernement ? Voulant imiter le chemin de fer français du Nord qui, ayant à lutter avec un canal qui ne lui appartenait pas, transportait la houille à vil prix, le gouvernement est venu se faire concurrence à lui-même, en transportant, en concurrence de ses propres canaux, la houille également à vil prix ; il a donc amené ce double résultat funeste que d'une part les péages des canaux ont considérablement diminué, ont diminué d'environ 800,000 fr., et que d'autre part, s'il a en apparence un revenu de 200,000 fr. de plus, il a aussi ruiné, décomposé son matériel en transportant, à grande vitesse, des objets pondéreux pour lesquels cette grande vitesse est inutile.

Le gouvernement est donc venu faire en Belgique concurrence, à qui ? A lui-même, au trésor public, à ses propres canaux.

Il a rompu l'équilibre entre les divers bassins, et naguère encore, un arrêté vient d'être pris, en vertu duquel le transport des houilles pour l'exportation est réduit à combien ? A 20 centime par tonne-lieue, c'est-à-dire à un prix inférieur à celui que le fermier paye pour les barrières lorsqu'il va chercher la houille à la fosse pour sa consommation.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il s'agit de la houille destinée à l'exportation.

M. Dumortier. - Cela m'est égal.

(page 298) M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - On n’en transportait pas.

M. Dumortier. - Si l’on n’en transportait pas, il ne fallait pas modifier le tatif.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela prouve que le tarif était trop élevé.

M. Dumortier. - C'est une autre question. Je reviendrai sur ce système. Mais je dis qu'on est arrivé à ce résultat de transporter la houille destinée à l'exportation à un prix inférieur à celui que paye un paysan pour les barrières lorsqu'il va chercher la houille à la fosse pour sa consommation, et que c'est là une prime déguisée au détriment du trésor public.

Je le demande, s'imagine-t-on que c'est par ce moyen que l’on augmentera les recettes du trésor public ?

Messieurs, cette différence considérable du coût et des recettes du chemin de fer, qui chaque année s'élève à 4, 5, 6 millions, et qui a été jusqu'à près de 7 millions, entre les recettes et les sommes que le trésor public doit fournir pour combler la dépense qu'ont occasionnée les chemins de fer, qu'est-ce en définitive ? Mais c'est un vaste système de primes accordées à ceux qui circulent, à ceux qui profitent du chemin de fer ; c'est un vaste système de primes au détriment du trésor public, au détriment du contribuable et au profit des exploitants.

Comment ! quand il s'agit de donner une prime légère de quelques cent mille francs à l'industrie linière, à l'industrie manufacturière, à des fabricats dont presque toute la valeur consiste dans le travail de l'ouvrier, vous reculez ! Mais quand il s'agit de donner des millions au port d'Anvers, de donner des millions aux houilles comme primes d'exportation, vous ne reculez pas, alors vous sanctionnez ces primes !

Oui, messieurs, c'est un système de primes, et des primes considérables qui sont ici dissimulées, et que vous établissez au profit de qui ? Au profit du port d'Anvers.

Lorsque je vois transporter, par exemple, 100 livres de café d'Anvers à Cologne, c'est-à-dire à 50 lieues de distance, pour la somme de 83 centimes, je dis que vous accordez une prime et une prime énorme en pareil cas.

Or, voyez le tarif du 1er septembre et le livret qui y est annexé, vous y trouverez la preuve qu'on transporte 100 livres de café d'Anvers à Cologne pour 83 centimes. Je répète que c'est là une prime énorme qu'on accorde, non pas au travail du pays, mais au travail des esclaves des colonies.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et un peu à ceux qui boivent le café.

M. Dumortier. - Et un peu à ceux qui boivent le café, me dit M. le ministre des finances : j'accepte l'interruption. Oui, à ceux qui boivent le café en Allemagne ; vous accordez une prime pour que les Allemands boivent le café à meilleur marché, et vous la faites payer par les Belges. Vous avez fait la même chose pour le sucre, afin que les Allemands mangent le sucre à meilleur marché ; c'est pour atteindre un pareil but que vous donnez des primes au détriment de votre pays.

Vous le voyez, messieurs, l'état de choses existant constitue un vaste système de primes au détriment du trésor public, au détriment des contribuables, et la preuve, c'est que, tandis que vous transportez à des prix aussi bas le café qui va en Allemagne, vous faites payer un prix de transport plus considérable pour le café qui se consomme dans le pays. Preuve évidente que c'est une prime que vous accordez aux exportations de l'étranger.

» On parlera sans doute du transit. Messieurs, il y a transit et transit. Quand de grands écrivains français, quand Mirabeau, par exemple, venait vanter le transit qui avait enrichi la Hollande, il entendait parler d'un système complètement différent de celui que nous suivons. Le système de transit à travers la Hollande était un système qui laissait d'énormes bénéfices à ce pays. Il lui laissait les bénéfices de la navigation d'outre-mer ; il lui laissait, en second lieu, les bénéfices d'un vaste commerce de transports. Ici les marchandises nous arrivent par des navires étrangers ; vous n'avez en Belgique que de simples commissionnaires ; vous transportez à travers votre pays à perte considérable, à prime. Or, le transit, dans de telles conditions, n'est pas un avantage, c'est un grand préjudice pour le pays, dont il obère les finances publiques ; c'est une prime en faveur de l'étranger et contre le pays.

Mais, messieurs, tandis qu'on abaissait d'une pareille manière les tarifs sur les marchandises qui peuvent payer, sur les marchandises ayant une valeur, que faisait-on d'autre part ? On élevait considérablement les tarifs sur les petits paquets. Aujourd'hui on en est arrivé à ce résultat que le transport d'un petit paquet pesant un quart de kilog., un demi-kilog. coûte autant que le transport d'une balle de 80 livres. Ainsi, un échantillon de café, un échantillon de sucre transporté par le chemin de fer, payera presque autant qu'une balle de café, qu'une balle de sucre. Il est résulté de là que presque tous les petits paquets ont déserté l'entreprise des chemins de fer pour se porter dans les mains des entrepreneurs de diligences.

Ainsi, sur les petits paquets vous avez perdu toutes les recettes pour avoir tenu vos tarifs trop élevés ; et d'un autre côté, vous les avez également compromis au point de vue des marchandises de valeur pour avoir tenu vos tarifs démesurément bas et les avoir mis dans la catégorie du sable, du gravier, de la houille. Ainsi vous avez compromis vos recettes sous tous les rapports ; vous les avez compromises en élevant le prix de transport des petits paquets ; vous les avez compromises en transposant toute sorte de marchandises au prix de la houille ; enfin vous les avez compromises en faisant concurrence à vos propres canaux. Par là vous êtes arrivés à ce résultat fatal de diminuer de plusieurs millions les recettes des péages.

Maintenant, messieurs, quel est le moyen de rétablir le système financier tel que l’avait ordonné la loi du 1er mai 1834 ? C'est de faire cesser ces abus, d'arriver à un chiffre modéré, à un chiffre raisonnable dans le transport des marchandises et des voyageurs. Ce n'est point un tarif élevé d'une manière disproportionnée qu'il faut avoir ; mais un tarif raisonnable, un tarif qui vous rapporte un produit réel. Ce ne sera point en abaissant vos tarifs que vous arriverez à ce résultat ; vous ne ferez ainsi que multiplier les transports et, par conséquent, les frais d'exploitation.

Mais en établissant une tarification sage et rationnelle ; de cette manière seulement vous obtiendrez des résultats normaux ; vous parviendrez à établir une juste balance entre les recettes et les dépenses. Et, pour mon compte, je suis profondément convaincu qu'il serait très facile, en Belgique, d'arriver à ce résultat si on le voulait sérieusement, et si l'on avait en vue les finances de l'Etat.

Messieurs, nous sommes saisis d'un projet de loi qui réglera enfin la tarification des voyageurs.

Je demanderai au gouvernement qu'il présente également un projet de loi réglant la tarification des marchandises ; cela est indispensable.

Je vois M. le ministre des travaux publics me faire un signe affirmatif ; je le félicite d'être de mon avis à cet égard. D'abord, cela débarrassera le gouvernement d'une foule de discussions qui ne sont pas toujours agréables ; et ensuite la chambre pourra user alors de son pouvoir et ramener les finances du pays à leur état normal, en augmentant les revenus du chemin de fer.

Voyez, messieurs, une simple comparaison. Il y a quelques années les chemins de fer, en France, ne rapportaient pas plus que les nôtres ; maintenant, quatre années se sont à peine écoulées, et les chemins de fer français rapportent déjà 25 millions.

L'an prochain ces chemins de fer produiront une trentaine de millions, tandis que vous atteindrez à peine 15 millions. Il est incontestable que cette différence est due à une seule et unique cause, les tarifs. Je ne viens pas et je ne viendrai pas demander d'adopter en Belgique des tarifs qui existent sur le chemin de fer du Nord ; cela serait aujourd'hui impossible, je le reconnais.

On a vécu trop longtemps de tarifs démesurément bas, pour pouvoir établir d'emblée des tarifs qui produisent des recettes aussi favorables au trésor. Mais il serait très possible de prendre un moyen terme entre ces deux chiffres de produits, et d'arriver à un revenu de 20 millions. Mais, pour arriver à ce résultat, il ne faut pas envisager la question au point de. vue de l'intérêt de telle ou telle personne, mais au point de vue du trésor. Eh bien ! renouvelez les tarifs du chemin de fer d'une manière modérée, et vous aurez bientôt comblé le déficit sans mettre de nouveaux impôts sur le peuple ; vous l'aurez comblé d'une manière d'autant plus rationnelle, que vous aurez maintenu nos chemins de fer et que vous leur aurez fait produire beaucoup plus sans imposer de nouvelles charges au pays, et la nation vous rendra grâces de ce que vous aurez fait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas demandé la parole pour traiter d'une manière étendue les diverses questions qui viennent d'être examinées par l'honorable préopinant.

Le système qu'il soutient, avec beaucoup d'insistance, avec opiniâtreté même depuis fort longtemps, se résume, comme vous le savez, en ceci : Le chemin de fer de l'Etat a coûté une somme de... au pays ; le produit n'est que de tant ; le déficit est d'autant, et ce déficit pèse sur les finances de l'Etat.

Ce système, appliqué aux routes, on l'a déjà dit, mais on ne saurait trop le répéter, ce système, appliqué aux routes, conduit à un résultat bien autrement déplorable, puisque les routes ne produisent absolument rien ; de telle sorte que si l'opinion de l'honorable préopinant était fondée, il faudrait en conclure sinon qu'il faut supprimer les routes,. au moins qu'il n'en faut plus établir désormais.

Les chemins de fer, comme les routes, il n'y a pas de différence, à cet égard, entre ces deux moyens de transport, ne profitent pas absolument, identiquement de la même manière à tout le monde ; les chemins de fer, comme les routes, ne présentent pas le même avantage pour tous les habitants du pays.

M. de Mérode. - Tout le monde peut avoir des routes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tout le monde ne peut pas en avoir ; beaucoup en réclament ; on en fait constamment, chaque année, on n'en fait pas encore assez ; il faudrait encore (et pour ma part, je m'y prêterais volontiers, s'il était possible) dépenser des sommes très considérables pour les chemins vicinaux. Cela serait excellent, et cela ne produirait absolument rien au trésor. Si le système qui ne considère que le trésor est vrai, plus on construira de routes, de chemins vicinaux, plus le déficit augmentera ; au lieu de crier à la ruine, tout homme sensé reconnaîtra que la richesse du pays s'est accrue, qu'elle a suivi une progression ascendante, tandis que l'impôt était stationnaire dans ses bases ; preuve évidente que la manière de raisonner que je combats est complètement fausse.

Elle isole la création du chemin de fer des conditions diverses dans lesquelles il faut l'apprécier, c'est-à-dire à raison de l'ensemble des (page 299) avantages qu'il procure au pays ; toute autre manière d'envisager la question est incontestablement vicieuse.

Mais, je le répète, je ne veux pas entrer dans le fond de cette discussion ; je me borne à relever deux erreurs très grosses échappées à l'honorable préopinant.

Il vous a dit que les tarifs du 1er septembre qu'il m'impute à crime, et que je tiens à honneur d'avoir signés, sont la cause du déficit ; il déclare, avec une assurance qui m'étonne, que ces tarifs ont été faits en vue de procurer des recettes plus considérables ; qu'on était tellement convaincu de ce résultat qu'on avait porté au budget une somme supérieure à celle de l'année précédente et qu'on avait même compté sur une augmentation de 1,500,000 fr. Il n'y a pas, dans tout ce que j'ai rapporté (et c'est bien la pensée de l'honorable membre), il n'y a pas un seul mot, pas une seule lettre d'un seul mot qui soit exact. (Interruption.)

Les tarifs du 1er septembre ont été faits en vue d'amener une simplification ; les tarifs étaient à cette époque extraordinairement compliqués ; ils étaient véritablement inintelligibles ; ils ne permettaient pas au commerçant d'apprécier le coût du transport, ni de se rendre compte de l'opération à laquelle il aurait voulu se livrer. On a constamment annoncé que le but n'avait pas été de procurer des recettes plus considérables, mais de maintenir les recettes précédentes. Voilà ce qui a été dit, ce qui a été imprimé. Le chiffre plus élevé qui a figuré au budget des voies et moyens a été établi, comme le porte ce budget, non en vue des tarifs, mais à raison de l'accroissement des recettes des années antérieures, et avec la présomption que ces recettes continueraient à augmenter dans la même proportion ; cela est écrit en toutes lettres dans le budget des voies et moyens.

Les tarifs du 1er septembre ont atteint en très grande partie le but que l'on avait en vue ; ils ont amené la simplification désirée ; ils ont mis chacun à même de comprendre quels étaient les frais de transport, la somme à payer alors qu'on avait à entreprendre une opération.

L'honorable membre dit : Les résultats sont là, les faits sont plus éloquents qu'un discours, les chiffres parlent d'eux-mêmes ; voyez si vous avez obtenu la même recette ! Les tarifs ont donné un déficit de plus d'un million de francs ! Etrange raisonnement ! On voit une recette moindre et, sans étudier les faits, sans remonter aux causes, on attribue cette recette moindre aux tarifs !

Ainsi, messieurs, si l'Allemagne, par suite de sa situation, n'avait plus rien demandé à la Belgique, s'il n'y avait eu aucune espèce de transport, non point parce que le tarif était trop bas ou parce qu'il était trop élevé, mais parce qu'on n'avait pas demandé de marchandises, l'honorable membre en conclurait que le tarif du 1er septembre a ruiné la Belgique ! Qu'est-ce donc qu'il faut comparer, qu'est-ce donc qu'il faut rechercher ? Il s'agit de savoir si l'on a transporté les mêmes quantités aux mêmes distances, en 1849 qu'en 1847. Voilà ce qu'il faut rechercher. Eh bien, messieurs, en 1847 on a transporté vers l'Allemagne 185,383 tonneaux de grosses marchandises et 2,364 tonneaux de petites marchandises.

En 1849, maintenant, année que vous prenez pour point de comparaison, qu'est-ce qu'on a transporté ? En diverses marchandises 95,000 tonneaux, d'où il suit qu'il y a une réduction, dans les marchandises transportées, de 92,000 tonneaux. Et vous osez venir dire, en présence de ces faits, que c'est le tarif du 1er septembre qui a amené la réduction des recettes de l'Etat ! En vérité, cela ne se comprend pas...

M. Coomans. - La différence est légère.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment ! la différence est légère ! On a transporté, en 1847, 187,000 tonneaux ; on n'a transporté, en 1849, que 95,000 tonneaux, c'est-à-dire qu'il y a une différence de moitié et c'est là ce que vous nommez une légère différence !

M. Mercier. - L'ensemble des transports a été plus considérable en 1849 qu'en 1847 et les recettes ont été inférieures.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qu'est-ce que cela prouve ? M. le ministre des travaux publics l'a déjà expliqué et il l'expliquera de nouveau s'il est nécessaire. Il s'agit de savoir si les transports ont été faits dans les mêmes conditions. Or, c'est ce qui n'est pas. Il y a 92,000 tonneaux en moins sur les transports internationaux. Voilà qui est clair ! C'est une recette de 600,000 fr. en moins...

- Un membre. - Vers l'Allemagne.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qu'importe !1 Vers l'Allemagne ou vers la France, c'est une recette de 600,000 fr. en moins. (Interruption.) Vous accusez une recette moindre de un million ; vous prétendez que c'est par suite des tarifs ; je réponds par un déficit de 600,000 fr., résultant uniquement de que l'on a transporté 92,000 tonneaux de moins vers l'Allemagne. Je suis persuadé que nous avons également eu moins de transports vers la France.

Vous avez une recette moindre par l'application du tarif du 1er septembre, je le reconnais, M. le ministre des travaux publies le reconnaît également, mais sur quelle partie porte cette diminution de recette ?

Elle porte sur les transports à grande vitesse. Or, là il n'y a pas en abaissement des tarifs ; il y a eu plutôt augmentation. S'il fallait s'arrêter à cette cause, dans une matière très complexe, cela condamnerait vos propositions. Dans cette partie, il n'y a pas eu abaissement du tarif, vous avez une diminution de recette, et, dans la deuxième partie du tarif du 1er septembre, les transports à petite vitesse, là les prix ont été réduits et cous avez eu à la fois plus de transports et plus de recettes ; vous aurez une augmentation de recettes de plus de 200,000 francs... (interruption) pour 1850 ? Voilà sur quel point vous pouvez faire porter la discussion. Sur ce point-là, je comprends la discussion. Je comprends que vous souteniez qu'il y a des vices dans le tarif du 1er septembre ; je pourrais vous prouver qu'ils ne sont pas où vous croyez les trouver ; mais personne n'a jamais prétendu que ce fût un tarif parfait, le meilleur de tous les tarifs pour le meilleur des chemins de fer possibles.

Le tarif du 1er septembre a été fait en vue d'une simplification ; sous ce rapport-là on l'approuve. L'honorable M. Dechamps l'a hautement proclamé lui-même dans la séance d'hier. Il a abaissé certains prix, et là il y a eu amélioration ; mais la distinction entre la grande et la petite vitesse, dans les conditions où elle a été faite, n'a pas produit les résultats que l'on en attendait. Voilà, messieurs, exactement la vérité quant au tarif du 1er septembre.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - La chambre a dû être frappée de l'étonnante divergence d'opinion qui règne dans cette assemblée, chaque fois que l'on touche à des questions de péages et à des questions qui se rapportent au chemin de fer. Deux honorables membres ont pris la parole ; l'honorable M. de Brouwer, au début de la séance, a prétendu que le vice était dans les dépenses de l'exploitation, dans l'exagération de ces dépenses, qu'il fallait simplifier l'administration ; qu'il fallait mettre le ministre en rapport direct avec les chefs de service ; qu'il fallait, en un mot, faire disparaître des rouages inutiles. L'honorable M. Dumortier, au contraire, attend les résultats les plus magnifiques de l'exhaussement des tarifs ; pour lui, les dépenses d'exploitation sont en quelque sorte arrivées à leur minimum.

Messieurs, je ne connais rien d'étroit, rien de faux comme la manière de raisonner de l'honorable M. Dumortier lorsqu'il aborde l'examen de la question du chemin de fer. La Belgique a consacré au développement des grands travaux d'utilité publique, depuis son émancipation politique, un capital d'environ 500 millions de francs ; encore aujourd'hui le grand-livre de la dette publique est grevé de ce chef d'une somme d'environ 250 millions. Elle a cru, messieurs, qu'en favorisant, qu'en stimulant ainsi les forces productives du pays, elle s'honorait à ses propres yeux. Elle a cru que les grands travaux d'utilité publique ne sont pas seulement un instrument de bien-être, mais qu'ils sont aussi un instrument de perfectionnement. Elle a cru que c'était la mission du gouvernement d'intervenir dans ce grand travail, non pas précisément pour le diriger, mais pour servir et pour protéger les intérêts qui s'y rattachent. Eh bien, l'honorable membre entasse calculs sur calculs, millions sur millions pour conclure que le chancre de nos finances, comme il l'a dit dans une autre circonstance, est le chemin de fer. Il perd de vue la véritable destination de cette grande entreprise nationale, il perd de vue que le chemin de fer a eu pour objet principal de favoriser les intérêts du commerce, de favoriser le transit, d'ouvrir une route vers l'Allemagne, de reconquérir le marché de l'Allemagne.

Il perd de vue qu'il y a ici des produits indirects, des produits indirects considérables ; que l'économie que l'on fait sur les prix de transport est un bénéfice net qui se partage entre le consommateur et le producteur.

Il perd de vue qu'il y a aussi accroissement du revenu public, que, grâce au chemin de fer, ce revenu s'est accru, sans effort, sans nouvel impôt, par le seul effet d'une consommation plus forte.

Il perd de vue qu'il y a ainsi un véritable revirement de profits, et que si le chemin de fer était exploité par une compagnie, il y aurait un prélèvement que le public serait obligé de subir de la part de cette compagnie.

Messieurs, la situation du chemin de fer est extrêmement simple, mais le chemin de fer se trouve-t-il à cet égard dans des conditions moins favorables que les compagnies concessionnaires des chemins de fer étrangers ? Le chemin de fer rapporte 3 23/100 p. c. du capital utilisé. C'est un sacrifice réel, considérables ; mais croit-on que, dans les autres pays, on ne se le soit pas imposé ?

Croit-on qu'en Allemagne, en France, les gouvernements ne soient pas venus au secours des compagnies concessionnaires ? En Allemagne, presque tous les chemins de fer ont reçu des avantages considérables de la part des gouvernements. Pour certains d'entre eux, c'est le gouvernement qui a fait les terrassements ; en Autriche, c'est le gouvernement qui a accordé le monopole des sols. En Bavière, le concours de l'Etat a eu lieu par prêt de fonds ou prise d'actions. En France même, l'Etat est venu très largement au secours des compagnies ; en France, on a affecté à la construction des chemins de fer une somme de 1,219,885,000 francs, et l'Etat a fourni directement ou par voie de subvention, 446,835,000 fr.

La situation financière de ces compagnies est-elle meilleure ? Il n'en est rien, messieurs ; la moyenne du produit de tous les chemins de fer, en Prusse, pour l'année 1849, a été de 3 1/2 p. c ; le capital qui a été employé à la construction de ces chemins de fer s'est élevé à 524 millions ; la recette brute a été, en 1849, de 40,436,000 francs, et la dépense a été de 20 millions, c'est-à-dire que le produit net a été de 20 millions

En 1848 et en 1849, le chemin de fer rhénan, qui est le plus important de tous les chemins de fer prussiens, n'a donné aucune espèce de dividende à ses actionnaires ; la situation financière du chemin de fer rhénan a été telle que les actionnaires ont été en instance pour obtenir du gouvernement un minimum d'intérêt d'environ 3 p. c.

Il est cependant à remarquer que les frais de construction des chemins de fer allemands sont moins considérables que les frais de construction (page 300) de notre railway. Ainsi, par exemple, le chemin de fer de Berlin à Stettin, pour un développement de 27 lieues, n'a coûté que 21 millions ; le chemin de fer de la Silésie, pour un développement de 87 lieues, n'a coûté que 801,000 fr. par lieue. Voilà pour les chemins de fer allemands.

Pour les chemins de fer français, la situation n'est guère plus favorable. J'ai sous les jeux un tableau qui a été produit en France par M. le ministre des travaux publics, lors de la discussion du projet de loi sur le chemin de fer d'Avignon, et il résulte de ce tableau que, sur 20 compagnies, trois seulement sont en bénéfice ; que sur un capital effectivement versé de 607,550,000, il y avait, au cours d'alors des actions, une perte de 301 millions.

La situation financière des chemins de fer anglais n'est pas meilleure, Tout le monde sait qu'en moyenne les chemins de fer anglais rapportent 3 p. c.

En 1850, il y a eu en France une enquête sur la situation des chemins de fer français. Les chambres de commerce et les conseils municipaux se plaignaient beaucoup du système d'exploitation des compagnies ; ils prétendaient que le principal avantage de ce système consistant dans les tarifs différentiels, dans les tarifs particuliers, dans les tarifs individuels que les compagnies ont avec tels ou tels expéditeurs, il y avait là un moyen pour les compagnies d'avantager les uns au profit des autres. Une enquête eut lieu sur ces faits. Le conseil d'Etat envoya en Angleterre un homme compétent pour examiner la situation des chemins de fer anglais. Ce membre rapporte dans l'enquête que :

« La situation est loin d'être améliorée.

« On a voulu construire des embranchements qui se sont trouvés moins utiles qu'on ne l'avait cru d'abord, on comptait sur des produits qui ne se sont pas réalisés. On considérait ces embranchements comme des rameaux nourriciers, et ils sont devenus des branches parasites.

« Le produit moyen des chemins de fer a considérablement baissé. Quand ce déclin s'est manifesté, les actionnaires se sont plaints ; ils ont demandé les comptes qui n'ont pas toujours été très satisfaisants.

« Pour construire ces embranchements, on a dû très souvent avoir recours à ce qu'on appelle des actions de préférence. Dans ce cas, la ligne principale joue vis-à-vis de l'embranchement le rôle qu'en France l'Etat joue quelquefois vis-à-vis de certains chemins de fer. Ces actions de préférence sont toujours payées avant les actions principales du chemin de fer. On assure, pour ces embranchements, un minimum aux actionnaires. Or, les actionnaires primitifs des anciennes lignes trouvent fort dur d'avoir à payer 5 ou 6 p. c. à des embranchements qui ne produisent rien, quand ils ne retirent souvent eux-mêmes que 5 ou 4 p. c. de leurs actions. »

Je dois rencontrer ici la comparaison faite par l'honorable M. Dumortier de notre chemin de fer avec le chemin de fer du Nord, ainsi que les comparaisons nombreuses que vous a présentées l'honorable M. de Brouwer. Je dois répéter d'abord qu'il n'y a aucune assimilation possible entre les chemins de fer étrangers et le chemin de fer belge. Quant aux chemins de fer anglais, j'en ai déjà donné quelques motifs, il en est encore d'autres : c'est que les compagnies en Angleterre sont en possession de tarifs qui sont leur propriété, qu'elles changent et modifient à leur gré ; c'est que les compagnies sont en possession de concessions perpétuelles ; c'est que, par ce moyen, elles exploitent le commerce et l'industrie.

Savez-vous, messieurs, où se trouve, pour les compagnies, le principal avantage, la principale cause de la supériorité qu'elles s'attribuent ? C'est dans le droit qu'elles se réservent de différencier leurs tarifs.

Il y a, du reste, d'autres raisons de dissemblance qui font que les chemins de fer anglais produiront toujours plus que les chemins de fer du continent : c'est que la classe industrielle qui y est dans la proportion de deux tiers, alors qu'ailleurs elle n'est que d'un tiers, rapporte énormément aux chemins de fer anglais.

Il ne faut pas perdre de vue qu'en Angleterre il y a une classe moyenne riche, pourvue d'un bien-être et d'une aisance inconnus chez nous ; qu'au-dessus de cette classe moyenne, il y a une aristocratie opulente, dans laquelle les idées d'égalité n'ont pas encore pénétré très profondément, Là, je comprends qu'on élève les prix, et qu'on les élève sans que pour cela la circulation coure de grands risques.

Pour l'exploitation, le système anglais peut, sous certains rapports, être infiniment plus simple : la comptabilité offre des lacunes que les chefs des compagnies reconnaissent eux-mêmes. Il n'y a là ni cour des comptes ni chambres législatives. Quand, à la fin d'un exercice, les chefs des compagnies trouvent qu'il y a un excédant ou un déficit de 2 ou 300 liv., par exemple, ils croient en être quittes en renseignant cet excédant ou ce déficit à la colonne des profits et pertes.

L'Anglais, du reste, a un plus long usage du chemin de fer que nous ; le peuple connaît parfaitement les règles établies ; il s'y conforme volontiers. En Angleterre, les compagnies ne se chargent pas des bagages des voyageurs ; le voyageur s'embarque lui-même et se dirige lui-même ; personne ne prend soin de lui ; chez nous, au contraire, le voyageur considère le chemin de fer un peu comme sa propriété, et il le traite comme tel.

Le chemin de fer du Nord, l'honorable M. Dumortier, vient encore de le répéter, et il nous dit : Il produira cette année 25 millions. Mais si le chemin de fer belge était exploité par quatre compagnies, s'il était mutilé, qu'il y eût une ligne du Nord, une ligne de l'Ouest, une ligne de l'Est et une ligne du Midi, que l'honorable M. Dumortier fût administrateur de la ligne du Midi et que je fusse administrateur de la ligne du Nord, l'honorable M. Dumortier ferait produire en moyenne 12 à 15 mille francs par kilom. à la ligne du Midi, et la ligne du Nord rapportant 74 mille francs par kilom., serais-je bien venu à reprocher à l'honorable M. Dumortier, la mauvaise administration de la ligne du Midi ? Il me dirait : J'administre comme vous, avec le même personnel, avec les mêmes règlements ; d'où vient donc la différence ? Il me dirait : Donnez-moi Bruxelles et Anvers et je vous ferai produire 74 mille francs par kilomètre. Il en est de même pour le chemin de fer du Nord. Il est constant qu'en 1847 la station de Paris, tant comme lieu d'arrivée que comme lieu de départ, a rapporté au chemin de fer environ 11 millions.

L'honorable M. de Brouwer s'est longuement étendu sur la question des dépenses d'exploitation, et il est revenu sur une question que je croyais jugée.

L'honorable M. de Brouwer établit toujours un rapport entre les recettes et les dépenses pour évaluer les frais d'exploitation. Je ne puis point admettre ces calculs, ils portent complètement à faux.

La dépense d'exploitation n'est pas en rapport avec la recette. Elle est simplement en rapport avec le trafic, je l'ai déjà dit. Elle est bien en proportion, c'est-à-dire que si, sur deux chemins de fer le rapport de la dépense d'exploitation à la recette brute était de 47 p. c ; que la recette fût la même sur les deux chemins de fer, mais que le trafic sur l'un de ces deux chemins de fer fût de moitié moindre, il est évident, dis-je, que bien que la proportion restât la même, la dépense d'exploitation sur ce dernier chemin de fer serait plus considérable, puisque l'unité de trafic y coûterait le double.

Il y a une autre manière d'évaluer les dépenses d'exploitation ; c'est de se demander ce que coûte, sur un chemin de fer quelconque, une lieue exploitée. Eh bien, ce calcul a été fait par l'honorable M. de Brouwer ; mais je pense qu'à cet égard les renseignements qui lui ont été fournis sont complètement inexacts.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Ces renseignements sont* officiels.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Les renseignements, que j'ai sont, je pense, aussi officiels que ceux de l'honorable membre

J'ai sous les yeux d'abord un tableau des produits et des dépenses d'exploitation des chemins de fer belges et français.

La dépense par kilomètre exploité pour le chemin de fer belge s'élevait en 1847 à environ 15 à 16 mille francs ; la dépense par kilomètre exploité pour le chemin de fer du Nord s'élevait en 1847 à 21,109 fr. ; sur le chemin de fer d'Orléans à Corbeil, à 33,100 ; sur la chemin de fer de Rouen, à 30,000 fr. ; sur le chemin de fer du Havre, en 1818, à 20,000 fr. Pour les chemins de fer anglais, j'ai consulté un tableau d'où il résulte que sur le premier chemin de fer que l'honorable M. de Brouwer a cité, la dépense approximative par lieue exploitée s'élevait à 152 mille francs.

Je prie la chambre de remarquer que je ne tire aucune espèce d'argument de ces comparaisons, employées par mon honorable adversaire ; car je rejette d'une manière absolue toute espèce de comparaison avec les chemins de fer étrangers.

Il n'y aurait de conclusion juste, rationnelle à tirer que de l'application de tarifs différents à un même réseau, entre les mêmes relations,, pendant une même période de l'année et dans des circonstances à peu près semblables. Qu'on fasse une semblable comparaison et alors on discutera.

Sur le chemin de fer de Bristol, les dépenses approximatives d'exploitation s'élèvent à 79,000 fr. par lieue exploitée, sur le Great-Western, à 113,000, Lancaster 110,000.

Il y a d'autres lignes dont j'ai également les chiffres sous les yeux, mais que je crois inutile de faire connaître à la chambre.

Sur les chemins de fer allemands, la moyenne des dépenses d'exploitation s'élève à 50 p. c. du produit brut. Si l'on veut retrancher de la dépense du chemin de fer belge, telle qu'elle est portée au budget, un million 106 mille francs pour le renouvellement du matériel et de la voie qui ne figure pas dans les dépenses d'exploitation des chemins de fer allemands, parce que 12 p. c. du produit net sont affectés à cet objet ; si, dis-je, on veut déduire cette somme, il ne reste plus pour frais d'exploitation que 7 millions, ce qui fait 43 à 44 p. c. du produit brut.

L'honorable M. de Brouwer trouve que les frais du personnel sur le chemin de fer belge sont d'un luxe effrayant. A cet égard je ne pense pas que mes renseignements soient d'accord avec ceux de l'honorable membre. Sur les chemins de fer anglais qu'il a cités ; sur le Great-Western, dont l'étendue est de 87 lieues, le personnel comprend 5 mille individus y compris les ouvriers, le capital dépensé est de 400 millions ; sur le North-Western, dont l'étendue est de 172 lieues, le personnel compte 7 mille individus ; le capital dépensé s'élève à 720 millions. Les détails que je livre à la chambre sont ceux que j'ai recueillis moi-même de l'enquête de 1848, qui mentionne tous les frais d'exploitation des chemins de fer d'Angleterre. Sur le chemin de York and North-Midland, dont le développement est de 84 lieues, le personnel comprend l,767 individus, mais il adjuge sa traction, et le capital dépensé est de 125 millions de francs.

Sur le chemin de fer du Nord, le personnel n'est pas numériquement inférieur au nôtre ; je tiens en main la liste des principaux fonctionnaires de cette importante ligne, la somme dépensée est de 282,000 fr., en Belgique nous ne dépendons que 160,700 fr. En prenant l'enquête faite en Angleterre sur les chemins de fer exploités le 1er mai 1848, nous (page 301) trouvons 578 directeurs, ingénieurs, sous-intendants pour un développement de 1,410 lieues ; il y a loin de ce nombre à celui de 25 fonctionnaires qui constituent ce que l'on appelle quelquefois l'état-major de notre chemin de fer belge.

Il n'y aurait rien d'étonnant qu'au chemin de fer du Nord le personnel fût inférieur à ce qu'il est chez nous, puisque le chemin de fer belge a un développement plus considérable, le double de stations et plusieurs lignes importantes, ce qui rend très difficile l'utilisation complète du matériel.

C’est une remarque très importante et qui n'a pas encore été faite ; il est très difficile d'utiliser le matériel, surtout les locomotives. En moyenne les convois de voyageurs se composent de 8 à 9 voitures et les convois de marchandises de 14. Quel est le personnel qu'on transporte par ces voitures ? En moyenne 90 voyageurs ; combien pourrait-on en transporter ? Deux cent soixante au moins. On comprend qu'il soit difficile avec les exigences du service avec des lignes divisées et bifurquées d'utiliser complètement le matériel.

Je ne prétends pas assurément qu'il n'y ait rien à faire. Je pense, au contraire, qu'il y a des améliorations notables à introduire, soit dans l'administration, soit dans la tarification. A cet égard, je crois que la réforme doit revêtir un double caractère. On doit chercher à atteindre ce double résultat : une administration plus concentrée et meilleure ; simplifier les rouages, mettre le chef du département en rapport direct avec les chefs de service, assurer d'une manière plus efficace le principe de la responsabilité des agents de l'administration. Un autre résultat à atteindre, c'est de rendre l'exploitation plus productive. Mais comment faire pour cela ?

C'est là le problème. On peut en hâter la solution, en préparer les éléments, en créant au chemin de fer des affluents qui manquent aujourd'hui. Aussi longtemps que le chemin de fer ne sera pas relié aux diverses localités du pays, il ne pourra pas produire ce qu'on est en droit d'en attendre.

Quant au tarif des voyageurs, la chambre est saisie d'un projet de loi ; lorsque la chambre s'en occupera, nous le discuterons d'une manière approfondie. Pour le moment, je crois pouvoir me dispenser de suivre M. Dumortier dans la discussion de ce tarif.

Quant au tarif des marchandises, plusieurs membres en ont parlé. Celui qui s'en est occupé avec le plus d'autorité, c'est l'honorable M. Dechamps. Je lui répondrai par quelques observations.

Le tarif des marchandises, tout le monde est d'accord sur ce point, en ce qui concerne la grande vitesse, laisse beaucoup à désirer. La cause du déficit que présentent les transports à grande vitesse n'a pas encore été signalée.

La cause est dans l'abaissement du minimum des transports à petite vitesse ; avant le tarif du 1er septembre, on ne transportait qu'à la grande vitesse les poids de 500 kilog. et au-dessous ; depuis on l'a abaissée à 100 kilog. Il est constant qu'en raison de cet abaissement on a déclassé beaucoup de colis qui du tarif n°1 grande vitesse sont allés au tarif n°2 ; de ce côté il y a eu perte, mais en ce qui concerne les transports à petite vitesse, il importe avant tout de tenir compte de la décroissance du mouvement international. Or, à cet égard, l'honorable M. Dechamps n'a rien dit.

De plus cet honorable membre accroît sans juste motif le déficit en supposant fort gratuitement que le mouvement d'accroissement qui s'est manifesté dans les transports à petite vitesse, tarif n°3, par l'extension de la catégorie des produits favorisés se serait produit sous l'empire d'une tarification plus restrictive.

Or cela n'est pas démontré. Il est reconnu au contraire et par tout le monde, même par les partisans des tarifs élevés, que l'abaissement du péage amène un accroissement de circulation. Ces diverses considérations, on pourra en apprécier mieux la portée, quand on aura sous les yeux les résultats complets, authentiques de l'exercice de 1849.

L'honorable M. Dumortier a également rendu les tarifs du 1er septembre responsables de la diminution qui s'est produite dans les recettes du canal de Charleroy ; mais il est, à cet égard, dans une erreur complète. Avant l'ouverture du chemin de fer de Mons à Manage, il y avait également deux voies, deux modes de transport pour les charbonnages du centre : les produits des charbonnages du centre pouvaient aller jusqu'à Manage, y prendre le chemin de fer et venir de là à Bruxelles ; ils pouvaient également arriver jusqu'ici par les embranchements. Il est évident que depuis que le chemin de fer de Mons à Manage est construit, ces produits sont tous allés par le chemin de fer ; d'où il est résulté une diminution considérable des recettes du canal de Charleroy.

L'honorable M. Dumortier rend également les tarifs du 1er septembre responsables de la réduction dans les produits des barrières ; mais, messieurs, ce fait est le résultat de la création des chemins de fer. On élèverait les tarifs à une hauteur beaucoup plus considérable que celle que l'honorable membre voudrait leur voir atteindre, que cette réduction se manifesterait également, à moins, toutefois, qu'on n'élevât tellement les tarifs que les chemins de fer fussent désertés au profit des routes.

L'honorable membre a critiqué aussi avec vivacité la mesure qui a été prise récemment, en ce qui concerne le transport des houilles destinées à l'exportation ; on a réduit le minimum à 20 centimes. Evidemment, il n'y a pas perte pour le trésor ; et on en fait la démonstration d'une manière excessivement simple, puisque je puis affirmer, qu'avant la réduction à 20 centimes, on ne transportait pas de houille destinée à l'exportation. Il n'y a donc aucune perte pour le trésor, ni sur le produit des canaux, attendu qu'on ne transportait pas davantage de houille pour l'exportation par les canaux.

Messieurs, je termine en répondant à quelques critiques d'une autre nature qui ont été faites par M. de Brouwer. Cet honorable membre a parlé également de l'entretien de la voie. Je comprends qu'on puisse examiner s'il ne conviendrait pas d'adjuger à forfait l'entretien de la voie aux agents mêmes de l'administration. A cet égard, pour ce qui est de la locomotion, un essai a été tenté par mon prédécesseur. L'honorable M. Rolin, en effet, a associé, en quelque sorte, au produit du chemin de fer tous les agents de l'administration qui sont chargés du service de la locomotion.

C'est par le système des primes qu'il espérait obtenir une diminution de dépenses ; aujourd'hui les agents de l'administration sont en quelque sorte intéressés à faire produire le plus possible au chemin de fer ; l'expérience porte aujourd'hui sur les salaires en général et sur la consommation du coke.

Ces deux éléments figurent, dans les dépenses d'exploitation, pour environ 4 millions. La question peut se présenter de savoir s'il ne conviendrait pas d'étendre cette mesure aux agents de l'administration, chargés de l'entretien de la voie.

Mais je ne pense pas qu'il puisse entrer dans la pensée de l'honorable membre de conseiller au gouvernement d'abandonner l'entretien des routes à d'autres agents qu'à ceux de l'administration. En Angleterre, quelques chemins de fer ont essayé de ce système ; dans ce pays, on comprend qu'on adopte ce mode d'exploitation parce que là il n'y a pas de passages à niveau. Les entrepreneurs peuvent donc se charger, peut-être à l'avantage de la compagnie, de l'entretien de la voie. Mais en Belgique, où la police de la route est faite par environ 300 agents, il est évident, qu'à moins de prendre ces agents à sa charge, un entrepreneur ne fera aucune espèce de marché avec le gouvernement sur ce point.

L'honorable M. Osy, au commencement de la séance d'hier, m'a fait une série de questions auxquelles la réponse trouvera mieux sa place lors de la discussion des articles.

Il est cependant un point sur lequel je dois une réponse immédiate. L'honorable député d'Anvers a critiqué la nomination d'un fonctionnaire supérieur au département des travaux publics. Je ne crois pas devoir rendre compte à la chambre des motifs qui ont déterminé ce choix.

Cependant, je puis et je dois déclarer, à l'honneur de ce fonctionnaire, que si je l'ai choisi, c'est parce que je l'ai cru très capable de remplir ces fonctions, parce que je le savais un fonctionnaire probe, intelligent, et en mesure de me rendre de grands services, en m'aidant dans la tâche pénible qui m'est imposée.

Quel est, en effet, le but principal que nous devons chercher à atteindre dans cette exploitation si difficile du chemin de fer ? C'est le but commercial ; et, à cet égard, les connaissances, les antécédents de cet honorable fonctionnaire sont une garantie des services qu'il peut rendre à l'administration.

Il est encore une observation qu'on perd souvent de vue dans les discussions relatives au chemin de fer : c'est qu'aujourd'hui il y a deux faits à l'état de certitude : d'une part, l'accroissement continu de la circulation et du revenu ; d'autre part, la diminution constante des frais d'exploitation.

Cette diminution est due en grande partie aux progrès de la mécanique, et l'on ne peut pas même dire à quels résultats conduiront les découvertes dans cette science. Il y a quelques années on dépensait en moyenne 100 kilog. de coke par kilomètre. Aujourd'hui, grâce au système des primes on est descendu à 50 kilog.

Il est un autre fait qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est la position de la Belgique, c'est sa situation au milieu des nations qui l'avoisinent.

Ce n'est pas quand tous les pays qui ont à cœur leur prospérité, cherchent à s'assurer le transit que nous devons nous efforcer de jeter, en quelque sorte, la déconsidération sur une administration aussi importante, aussi respectable que celle du chemin de fer. La Hollande supprime en ce moment ses droits de péage sur le Rhin, elle entre ainsi franchement dans une voie libérale, et cherche à retenir chez elle le courant de la circulation internationale.

La France, par la ligne qui aboutit à Manheim et à Strasbourg, cherche également à se mettre en communication avec le grand réseau de l'Allemagne. Les villes hanséatiques elles-mêmes cherchent à se rattacher au même grand réseau.

Eh bien, en présence de ces faits, je ne pense pas qu'il soit prudent, je ne pense pas qu'il soit opportun de bouleverser nos tarifs et de compromettre par des mesures violentes le mouvement du transit en vue duquel surtout le chemin de fer a été établi.

M. le président. - La parole est à M. de Liedekerke.

M. de Liedekerke. - M. le président, j'ai cédé mon tour de parole à l'honorable M. Dechamps.

M. Dechamps. - Messieurs, l'honorable ministre des finances a revendiqué tout à l'heure la paternité du tarif du 1er septembre. Je dois reconnaître qu'en présence des résultats de ce tarif, des critiques (page 302) sérieuses qui ont été faites, en présence de l'aveu que vient de faire M. le ministre des travaux publics qui a reconnu que ce tarif n'est pas irréprochable, il y a eu une loyauté très généreuse de la part de M. le ministre des finances à revendiquer cette paternité. Mais lorsque l'honorable M. Frère s'est vanté de son œuvre, avec une hardiesse qui, je l'avoue, m'a étonné, j'ai reconnu qu'en cette circonstance, comme toujours, lorsque M. le ministre des finances a une cause faible à défendre, son assurance augmente, et il élève le ton de ses affirmations.

Mais, l'honorable M. Frère a-t-il répondu à aucune des critiques qui ont été dirigées contre l’œuvre dont il a revendiqué la paternité ? Il n'a répondu à aucune de ces critiques.

Ainsi, d'abord, on a critiqué un principe fondamental du tarif, c'est celui qui consiste à ne tenir aucun compte de la nature et de la valeur des marchandises transportées ; qui consiste à assimiler une marchandise dont la valeur par 10 kil. est de mille, de dix mille fr., à la houille, par exemple, dont la valeur par 100 kil. est de 80 cent.

Voilà le principe exagéré sur lequel repose le tarif du 1er septembre. Ce principe, nous l'avons critiqué. L'honorable ministre s'est bien gardé de nous répondre.

Nous avons constaté un fait : c'est que pour le transport des marchandises à grande vitesse, des articles de diligence, la mise en vigueur du tarif du 1er septembre a amené un déficit de 58 p. c. dans les transports et une perte de 500,000 fr. Ce fait est constaté dans le compte rendu de l'exercice 1848. L'honorable M. Frère ne peut le nier.

Mais il a attribué uniquement ce déficit à l'élévation du tarif pour la grande vitesse.

D'abord, je ne pense pas que le nouveau tarif soit sensiblement plus élevé que l'ancien sous ce rapport, et puis M. le ministre des travaux publics est à l'instant même venu rectifier ce qui est en partie une erreur de son honorable collègue. L'honorable M. Van Hoorebeke vient de nous dire que la cause de ce déficit était dans le déclassement qui s'était opéré, de manière à repousser les articles de messageries dans la classe des transports à petite vitesse.

Il est clair que le tarif du 1er septembre a amené ce résultat inévitable, que les petites marchandises sont transportées aujourd'hui par les convois à petite vitesse, et non par les convois à grande vitesse, les négociants ne trouvant pas que les avantages de la grande vitesse compensent la différence des prix du tarif.

Messieurs, la troisième critique que j'ai faite porte sur le tarif des grosses marchandises. J'ai établi hier que la catégorie des produits favorisés, la troisième classe, absorbe à peu près l'autre ; qu'en fait, les cinq sixièmes des transports des grosses marchandises se faisaient par le tarif n°3, par le tarif de faveur. C'est là un résultat qui s'est produit contre les prévisions que les auteurs du tarif avaient manifestées, et de là est résulté un déficit que M. le ministre des travaux publics a constaté dans la note qu'il a remise à la section centrale.

Quel est le résultat avoué dans cette note ? C'est qu'en prenant les années 1849 et 1847, on trouve que dans ces deux années le nombre de tonneaux transportés a été le même ; il a même été de 30,000 tonneaux supérieurs en 1849 ; et c'est que la recette a été d'un million de moins.

Voilà un fait consigné dans la note que l'honorable M. Van Hoorebeke a fournie à la section centrale.

L'honorable M. Frère nous dit que vers l'Allemagne, il y a eu, en 1849, un transport moindre que celui de 1847, de 92,000 tonnes. Je veux bien l'admettre ; 92,000 tonneaux sur 1,031,000 tonneaux, c'est là un chiffre relativement insignifiant. Mais il ne s'agit pas de fractionner les chiffres. Il faut prendre les totaux. Or, je le répète, le nombre des tonneaux transportés a été plus considérable en 1849 qu'en 1847, et la recette a été moindre d'un million.

C'est là un fait contre lequel tous les arguments viennent échouer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.

M. Malou. - Alors c'est M. le ministre des travaux publics qui a commis l'erreur.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il faut voir combien il y a eu de tonnes-lieues. Voilà la question.

M. Dechamps. - Puisque M. le ministre des finances insiste, je vais lire cette note. M. le ministre des travaux publics, répondant à une demande faite par la section centrale sur les résultats du tarif du 1er septembre, répond :

« La deuxième section a demandé à connaître :

« L'influence des nouveaux tarifs sur les transports et les recettes des marchandises.

« Je crois ne pouvoir mieux répondre à cette question, qu'en donnant ci-dessus les chiffres des quantités de marchandises transportées et des recettes effectuées de ce chef pendant les années 1847, 1848 et 1849. »

Ces résultats sont ceux que je viens d'indiquer et qui constatent une recette d'un million en moins, en 1849.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je ne conteste pas ce fait ; mais il conviendrait de savoir aussi quel a été le nombre de tonnes-lieues. De plus, s'il y a eu décroissement dans le mouvement international, il en résulte une perte dont il importe de tenir compte et qui peut influer sur le nombre de tonnes-lieues.

M. Dumortier. - Nous ne pouvons raisonner que d'après vos chiffres.

M. Dechamps. - L'honorable ministre me répond : qu'au lieu du calcul précité à la section centrale, il aurait fallu en présenter un autre. C’était à lui à le faire, et je dois croire qu'il n'a pas choisi de préférence les chiffres les plus défavorables au tarif du 1er septembre.

Si l'honorable ministre veut nous fournir d'autres calculs, veut nous dire le chiffre des tonnes-lieues, nous l'examinerons. J'ai raisonné sur les chiffres présentés par le gouvernement lui-même.

Mais je continue.

M. le ministre des finances nous a appris qu'en 1850 il y avait une augmentation de 200,000 francs. Vous voyez donc, en a-t-il conclu, que le tarif du 1er septembre produit des résultats lents, mais heureux.

Mais M. le ministre des finances a oublié de mettre le chiffre des recettes en rapport avec le chiffre des tonnes transportées. Le chiffre des tonnes transportées n'a-t-il pas augmenté, et dès lors peut-on invoquer cette augmentation dans la recette comme un progrès ? D'après des renseignements que j'ai demandés moi-même au département des travaux publics, le nombre de tonnes transportées sera, en 1850, d'environ 1,200,000.

Or, si en 1849 on a transporté 1,034,000 tonnes, qui ont produit 5,800,000 fr., combien les 1,200,000 tonnes de 1850 auraient-elles dû produire en recette ? Calculez et vous trouverez près de 7 millions de francs. Au lieu de ces 7 millions on n'aura en réalité que 6 millions ; vous voyez que nous arrivons toujours au déficit d'un million.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela dépend de la distance parcourue.

M. Dechamps. - Lorsque j'ai soumis hier mes calculs à la chambre, j'ai compté toujours sur une distance moyenne parcourue de 10 lieues, et c'est bien là la moyenne de nos transports.

Je dis donc que lorsque M. le ministre des finances est venu dire qu'il y a une augmentation de 200,000 fr., ce résultat ne prouve absolument rien. Il faut considérer le nombre de tonnes transportées, et la distance parcourue, évidemment ; mais, en général, je le répète, la distance parcourue est, en moyenne, de 10 lieues. Elle n'a pu varier beaucoup en 1847, en 1848 et en 1849, et les résultats généraux ne peuvent en être sensiblement affectés.

Je dis donc que l'honorable M. Frère n'a répondu à aucune de mes objections. J'ai dit que le tarif du 1er septembre est vicieux sous deux points de vue : d'abord, il ne tient aucun compte de la nature de la marchandise ; en second lieu, il ne comprend plus, en fait qu'une seule classe, la classe des produits favorisés. L'honorable ministre appelle cela une simplification du tarif ; c'est une simplification, à la vérité, mais une simplification désastreuse.

Certainement, messieurs, il y avait des complications dans l'ancien tarif, il y avait des régularisations à y introduire, tout le monde le savait, mais j'aime mieux, pour mon compte, un tarif un peu moins régulier en théorie, mais plus commercial dans ses résultats.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je répète ce que tout à l'heure j'ai eu l'honneur de dire à la chambre : je ne puis pas entrer dans les détails d'une discussion à laquelle je ne suis en aucune façon préparé parce qu'elle ne rentre pas dans l'objet actuel de mes études et sur laquelle je ne puis, par conséquent, fournir des éléments complets ; mais M. le ministre des travaux publics a déjà relevé la plupart des reproches qui nous sont adressés et l'honorable M. Rolin, qui est complice de cette œuvre contre laquelle une croisade est préparée, comme nous venons de le voir, l'honorable M. Rolin achèvera d'en faire bonne et complète justice.

Quant à moi, je me borne, sans montrer de l'assurance, ce qui déplaît à l'honorable M. Dechamps, qui, lui, n'en montre jamais, qui est toujours extrêmement doux et bénin, je me borne à répondre à l'honorable M. Dechamps, en lui signalant une erreur énormissime qu'il a commise. La voici. Tout son raisonnement consiste à dire : En 1847 on a transporté telle quantité de tonnes et la recette a été de tant ; en 1850 on a transporté telle quantité de tonnes, donc on aurait dû avoir une recette de tant et l'on n'a eu qu'une recette moindre. Eh bien, messieurs, ce calcul ne prouve absolument rien : il s'agit de savoir combien de tonnes-lieues on a transportées, puisqu'il est clair pour tout le monde que si l'on transporte 100,000 tonnes à une lieue ou 100,000 tonnes à 10 lieues, les résultats seront tout différents.

Ainsi, les calculs de l'honorable membre ne prouvent absolument rien : il faudrait établir qu'il y a une égale quantité de tonnes-lieues de part et d'autre pour en conclure quelque chose contre le tarif du 1er septembre. Si le mouvement international a été réduit, s'il y a eu une diminution notable sur les transports à grande distance, si au lieu d'avoir une distance moyenne de 15 ou 10 lieues vous n'avez plus eu que 5, 6 ou 10 lieues, il est évident qu'avec un nombre égal ou même supérieur de tonnes transportées la recette doit être beaucoup inférieure sans qu'on puisse en accuser le tarif qui sert à régler le prix du transport. Le tarif serait le même, que le résultat serait nécessairement différent.

M. Dechamps. - M. le ministre des finances vient de dire que j'ai commis une « énormissime erreur ». Celui qui a commis cette énormissime erreur, c'est le gouvernement.

(page 303) La section centrale demande des renseignements au gouvernement pour pouvoir apprécier les résultats du tarif du 1er septembre, et l'honorable ministre des travaux publics répond : Je ne puis mieux faire que de vous donner les chiffres comparés des transports et des recettes en 1847» 1848 et 1849.

Or, ce sont ces chiffres dont je me suis emparé et que M. le ministre des finances taxe d'erreur.

Puisqu'il en est ainsi, messieurs, je demande que le gouvernement fournisse le plus tôt possible des renseignements exacts et complets qui puissent nous diriger dans la discussion. Nous devons connaître le nombre de tonnes-lieues transportées. Je ne puis croire que la moyenne des distances parcourues ait beaucoup changé. M. le ministre des finances signale une réduction dans les transports vers l'Allemagne et il en conclut que les transports à grande distance ont baissé. Mais le tarif du 1er septembre a eu au contraire pour but de favoriser les transports à grande distance qui ne peuvent pas avoir beaucoup diminué en moyenne générale. Je crois qu'on a dû retrouver, du côté de la France, ce qu'on a perdu du côté de l'Allemagne. (Interruption.)

Je m'arrête. Je demande que M. le ministre veuille bien fournir, dans la séance prochaine, des renseignements plus complets que ceux que nous possédons en ce moment.

M. Dumortier. - Messieurs, c'est un vieux proverbe que rien ne fait plus crier le malade que de mettre le doigt sur la plaie. Vous avez entendu M. le ministre des finances m'attaquer avec tant de vivacité, pourquoi ? Parce que j'avais eu le malheur de mettre le doigt sur la plaie, c'est-à-dire sur le tarif du 1er septembre et de sonder les résultats funestes qu'il a amenés pour les finances du pays.

M. le ministre prétend que les documents fournis par son collègue sont inexacts. Moi, je prétends qu'ils sont exacts. Or, il résulte de ces documents que, bien que l'on ait transporté, en 1848, 30 mille tonnes de plus qu'en 1846, il y a un million de recette de moins. Vous aurez beau dire, la circulation est à peu près toujours la même ; c'est là une mauvaise défaite ; le déficit amené par votre tarif, c'est la réalité.

« Mais, dit M. le ministre, on s'est retrouvé sur la petite vitesse. »

Voyons les chiffres qui ont été présentés par M. le ministre des travaux publics : En 1847, on a transporté, à petite vitesse, 961,000 tonneaux, ce qui a produit 5,792,000 fr. ; en 1849, on a transporté 1,014,000 tonneaux ; ce qui n'a produit que 3,229,000 fr. Ainsi, en 1849, on a transporté en plus 52,000 tonneaux à petite vitesse, et l'on a reçu en moins 463.000 francs.

Vous voyez donc que tout ce que vous avez dit est un tissu d'erreurs, que vous avez émis autant d'erreurs que de paroles, il est évident que votre tarif est condamné, qu'il a été un malheur pour le trésor public ; qu'il a occasionné un déficit d'un million ou d'un million et demi sur le transport des marchandises ; plus un million sur les canaux et les routes.

Quoi qu'en dise M. le ministre des travaux publics, ce tarif a été la cause et de la réduction du péage sur le canal de Charleroy, et de la réduction du péage sur les canaux de la Sambre, et d'une diminution dans le produit des barrières : triple déficit qui s'élève à deux millions et demi, de manière que votre tarif chéri du 1er septembre 1848 a amené ce résultat, de réduire les recettes d'une somme de 2 millions à 2 millions et demi. El puis félicitez-vous d'un pareil résultat ! Pour mon compte, je le déplore, et je le déplore amèrement dans l'intérêt du trésor public, je flétris un acte aussi déplorable.

On nous dit que la condition du chemin de fer est la même que celle des routes pavées. Comment, messieurs, est-il possible que les hommes qui sont au banc ministériel, qui ont à nous présenter le budget de la dette publique ; comment est-il possible que ces hommes connaissent aussi peu l'état de la situation de la dette publique !

Mais dites-moi ! Pour quelle somme les routes pavées figurent-elles dans votre état de situation de la dette publique ? Il n'y figure de ce chef rien ou presque rien. La plupart de ces routes n'ont pas été construites par l'Etat, et celles qu'il a fait construire, il les a construites avec l'excédant de ses recettes, tandis que la construction de votre chemin de fer a ajouté 221 millions au chiffre de la dette publique. Voilà la différence, et il est étrange de voir des ministres établir une confusion semblable entre des services dont l'un produit pour le trésor public un déficit de 221 millions, et dont l'autre laisse le trésor public parfaitement indemne.

D'ailleurs, l'Etat n'exploite pas les routes, les canaux ; il les abandonne à la libre circulation, tandis que le chemin de fer est aux mains du gouvernement un monopole qui se résout en un système de primes en faveur de certaines industries, pour en faire un moyen de popularité.

La France, nous dit-on, a aussi donné des subsides. Oui, la France a accordé des subsides ; mais ils lui sont remboursés, et à l'expiration de la durée des concessions, les routes en fer reviennent à l'Etat, et deviendront pour lui la source d'abondants revenus.

Voilà la différence entre le système français et le système belge. Chez nous, le chemin de fer, et sa tarification qu'on nous présente comme une chose si parfaite, est une véritable source de ruine pour le pays.

« Y a-t-il, dit M. le ministre des travaux publics, rien de plus mesquin et de plus étroit que les critiques que l'on adresse au chemin de fer ? » Savez-vous, messieurs, ce qui est étroit et mesquin ? C'est de vouloir faire avec le chemin de fer le socialisme des transports, de vouloir faire des transports ruineux aux dépens du trésor public, et cela au point de vue de sa popularité et pour se former des créatures ! C'est de quoi je ne veux pas. C'est un système indigne d'un bon gouvernement.

Le chemin de fer doit couvrir ses dépenses. Et vous nous parler ici de ce qui s’est ($ mots à retrouver), vous ne siégiez pas dans cette enceinte en 1834 ; j'y étais, moi, et j'ai relu ce matin encore les discussions qui ont eu lieu à cette époque. Eh bien, qu'annonçait alors M. le ministre de l'intérieur ? Il nous annonçait que le chemin de fer rapporterait 9 p. c. des capitaux qu'on engagerait dans cette entreprise...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez voté contre.

M. Dumortier. - Oui, j'ai voté contre, parce que je prévoyais alors tous les mécomptes que nous avons eus depuis, je prévoyais que nous n'aurions pas ces 9 p. c, que c'était une mystification.

Dans l'opinion de M. le ministre de l'intérieur, le chemin de fer devait donc rapporter 9 p. c. et maintenant l'on avoue qu'il rapporte 3 1/4 p. c. ! et que le reste est déficit, et l'on persiste à rester dans un système aussi ruineux pour nos finances.

Voilà, messieurs ce que nous avons critiqué et ce qu'il était de notre devoir de critiquer, parce que nous y voyons la ruine du trésor public.

Eh ! mon Dieu, si vous aviez des ressources infinies ,si vous n'étiez pas dans une position qui vous obligera de mettre de nouveaux impôts sur le peuple, je ne parlerais pas du tarif du chemin de fer.

Mais quand vous avez reconnu vous-même qu'il existe un déficit de plusieurs millions, quand vous voulez établir de nouveaux impôts sur le peuple, je dis, moi. que ce n'est pas à la généralité des contribuables qu'il faut demander ces nouveaux millions, destinés à combler le déficit du chemin de fer, mais bien à ceux qui profitent du bénéfice de cette voie de communication.

En proposant ce moyen, je ne veux pas, messieurs, porter les choses à l'extrême ; je veux qu'on sorte de la voie où l'on est engagé, je veux qu'on abandonne un système de tarif qui nous a constitués en déficit de 45 millions, et qui depuis deux ans y a ajouté encore un déficit de deux millions à deux millions et demi. (Interruption.)

Si vous n'aviez pas établi votre tarif du 1er septembre 1848, ce déficit ne se serait jamais présenté ; mais vous avez, abandonnant vos devoirs, amené la ruine du trésor dans un but de popularité.

Revenons, messieurs, à un système plus rationnel ; que la classification des marchandises se fasse désormais d'après leur nature et leur valeur, et alors nous pourrons espérer d'obtenir des produits aussi abondants que ceux que l'on obtient dans les autres pays.

Mais notre système actuel de tarification est condamné par tout le monde à l'étranger.

Dernièrement encore, M. Minard, inspecteur général des ponts et chaussées de France, déclarait, dans les Annales des ponts et chaussées, que notre système de tarification était absurde ; dernièrement encore un homme au mérite duquel chacun doit rendre hommage, M. Léon Faucher, dans une Revue française très estimée, faisait remarquer que le système des chemins de fer belges était le moins intelligent de tous les systèmes adoptés dans l'Europe entière. Voilà le système qu'on veut à toute force nous faire admirer, et quand nous prenons la liberté grande de le critiquer, on nous répond qu'il n'y a rien de plus étroit, de plus mesquin que ces critiques.

Je dis, moi, que ce qu'il y a de bien plus étroit, de bien plus mesquin, c'est de vouloir maintenir à tout prix un système qui est condamné par tout le monde, un système qui ruine le trésor public au profit de certaines industries, un système qui n'est autre chose que le socialisme des transports dans le pays.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, la discussion qui a eu lieu aujourd'hui prouve évidemment qu'il manque un élément essentiel au débat. Le gouvernement nous devait son rapport sur les opérations du, chemin de fer en 1849 ; ce rapport n'a pas encore été publié et distribué. Si la section centrale avait eu ce rapport sous les yeux, si nous avions pu y trouver nous-mêmes les éclaircissements qui nous sont dus, la discussion à laquelle nous nous sommes livrés aujourd'hui eût été évitée. Je demande pourquoi le rapport ne nous a pas été distribué ? Les renseignements que le gouvernement a donnés il y a peu de jours ne me semblent pas suffisants.

Si les renseignements que je me suis procurés sont exacts, voici quelle est la cause de ce retard : le gouvernement a envoyé le compte rendu de 1849 à l'impression ; l'imprimeur en a transmis l'épreuve au gouvernement, il y a plus de deux mois, et le gouvernement ne donne pas le bon à tirer. Je désire savoir pourquoi le gouvernement ne délivre pas le bon à tirer. On prétend qu'il y a des discussions entre le ministre des travaux publics d'aujourd'hui et celui d'hier relativement à la question de savoir quel sera celui qui par sa signature prendra la responsabilité du compte rendu de 1849. Il faut que cela s'éclaircisse : que MM. Rolin et Van Hoorebeke se mettent d'accord. Il est indispensable que les délais qui sont mis à la distribution de ce document aient une fin. Je demande que le gouvernement s'explique.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai déjà eu l'occasion de dire que quand je suis arrivé au département des travaux publics le travail pour l'exercice 1849 était presque achevé. Ce travail se rapportant à un exercice auquel j'étais complètement étranger, il était prudent de laisser à mon honorable prédécesseur le soin d'y mettre la dernière main. J'ai donc envoyé ce travail à l'honorable M. Rolin. Il n'y avait aucune espèce de défiance de ma part dans la non-présentation de ce document ; je voulais seulement que l'honorable M. Rolin l'approuvât.

(page 304) M. Rolin. - Je demande à compléter l'explication qui vient d'être donnée par l'honorable ministre des travaux publics.

Il ne s'est élevé entre lui et moi aucune espèce de discussion à cet égard. Mon honorable successeur a bien voulu envoyer à mon appréciation le manuscrit et le compte rendu de l'exercice précédent. Ce compte rendu m'a été envoyé il y a très peu de temps, je n'ai pas encore eu le temps pour en achever l'examen.

Je désire que cet examen soit sérieux, et je pense que dès la semaine prochaine je pourrai le signer, ce que je ne veux pas faire en aveugle.

M. Malou. — On a demandé plusieurs fois que la tonne-lieue pour 1847, 1848, 1849 nous fût envoyée. Je pense que les éléments de ces chiffres existent au ministère des travaux publics, et je demande positivement qu'il soit déposé pour la séance de lundi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La tonne-lieue est indiquée dans les documents imprimés qui ont été distribués à la chambre.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de difficulté à distribuer ce document.

- La proposition de M. Malou est adoptée.

La séance est levée à 5 heures.