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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 3 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 203) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Les membres d'une société de littérature flamande à Bruxelles prient la chambre de voter au budget de l'intérieur un subside annuel en faveur de la veuve du poête flamand Van Ryswyck. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Renier Christien, domicilié à Mons, prie la chambre de statuer sur sa demande tendante à recouvrer la qualité de Belge. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Mainvault demande une indemnité du chef des travaux qu'il a exécutés pour la fortification de la place d'Alh. »

M. Delescluse. - Messieurs, le sieur Mainvault a perdu toute sa fortune et celle de sa femme, par suite de la faillite d'un entrepreneur de fortifications ; il croit maintenant pouvoir réclamer du gouvernement le prix de quelques travaux qu'il a faits. Je demande qu'ayant égard à la position fâcheuse dans laquelle il se trouve, la chambre veuille bien ordonner le renvoi de la pétition à la commission, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Loiseau, ancien instituteur de Goronne, prétend qu'il ne s'est pas rendu chez tous les curés du canton pour entendre sa confession, et cite des ecclésiastiques qui ont refusé de l'enlendre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Il est fait hommage :

1° Par l'Académie royale des sciences, lettres et beaux-arts de Belgique, du volume XXIII de ses mémoires de concours, et du mémoire couronné sur le paupérisme dans les Flandres, dù à M. Ducpetiaux.

- Dépôt à la bibliothèque.

2° Par M. Emile de Brouwer, d'un exemplaire de son ouvrage intitulé : Des richesses créées par l'industrie et les arts, et de son Essai sur la politique industrielle et commerciale.

- Dépôt à la bibliothèque.

3° Par M. le ministre de l'intérieur, de 112 exemplaires du rapport général résumant les principaux travaux du conseil supérieur d'hygiène publique durant la première année de son institution.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1851

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XII. Agriculture

Discussion générale

M. le président. - La chambre est arrivée au chapitre XIII (Agriculture).

M. Rodenbach. - Messieurs, je crois que le gouvernement a eu tort d'établir de prime abord une douzaine d'écoles d'agriculture, d'autant plus que cette science ne s'apprend que par la pratique et l'expérience et que la Belgique est très avancée en agriculture.

En effet, les Français, les Allemands et même les Anglais, viennent dans notre pays étudier notre système agricole, car on reconnaît que le pays de Waes et une partie de nos Flandres sont le terrain le mieux cultivé de l'Europe.

Il n'y a pas bien longtemps que des Anglais sont venus, dans l'arrondissement de Courtray, apprendre à cultiver le lin et autres produits agricoles. A Lichtervelde, on a vu des Allemands s'initier, dans les fermes, à la connaissance de nos procédés agricoles, et, il y a deux ans environ, nous avons eu la visite d'un savant suisse très distingué, M. de Fellemberg, qui a une réputation européenne en fait d'agronomie.

Eh bien, ce savant est venu rester quelque temps dans le Furnes-Ambacht, où la culture est poussée à un haut degré de perfection.

Je pense, messieurs, qu'on aurait de la peine à justifier l'emploi des fonds que l'on consacre aux écoles d'agriculture. Cette somme s'élève à 103,000 fr. par an, non compris les frais de premier établissement qui ' ont monté à 50,000 fr. Déjà l'école d'Oudenbourg, qui est dans ma province, est fermée ; elle n'a pu se soutenir : elle coûtait 10,000 fr. par an , et n'avait que 18 élèves. Le gouvernement a eu la main malheureuse, en choisissant le directeur de cette école.

L'école de Tirlemont coûte 11,000 fr. ; et je pense qu'il n'y a que 12 à 15 élèves. Celle de Verviers coûte 9,600 fr., et n'a que 12 élèves ; celle de Fleurus, pour 18 élèves, coûte 6,900 fr., et le personnel d'Attert, où l'on n'instruit que 15 élèves, occasionne une dépense de 7,000 fr.

Si ces chiffres sont exacts, meneurs, ils vous prouvent que ce sont des institutions bien onéreuses pour l'Etat et les provinces, et que l'utilité que le pays doit en retirer est bien contestable, puisque le nombre des élèves qui y reçoivent l'instruction est si peu considérable.

On calcule qu'en moyenne chacun de ces élèves coûte 400 à 500 fr. par an.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce sont des exagérations ; vous ne connaissez pas les chiffres.

M. Rodenbach. - Si mes chiffres respectifs ne sont pas bien exacts, la dépense totale monte néanmoins à 103,000 fr.

Peu de ces jeunes gens, messieurs, pourront recueillir des fruits de leur instruction, parce qu'ils ne pourront jamais exploiter une ferme pour leur propre compte. Ainsi la plupart sont des fils d'artisans, qui reçoivent une bourse pour fréquenter ces écoles ; mais peu de fils d'agriculteurs vont y étudier leur profession future.

Vous voyez donc, messieurs, que la grande utilité que l'on espère retirer de ces établissements est bien contestable, et l'appréciation que le conseil provincial du Brabant en a faite nous l'a démontré également. De même les personnes expérimentées en agriculture n'en approuvent pas entièrement l'institution.

J'engage donc fortement le gouvernement à restreindre ces sortes de dépenses jusqu'à ce qu'on ait justifié l'utilité de ces écoles ou qu'on y ait introduit des améliorations.

Je termine en répétant que je tiens à faire voir que la dépense totale est de 103,000 fr. et que les frais de premier établissement ont monté à 50,000 fr.

M. de Liedekerke. - Je crois qu'il y a, non pas, comme le disait M. le ministre de l'intérieur tout à l'heure, une exagération dans ce que vient de dire l'honorable M. Rodenbach, mais qu'au contraire il y a de l'exagération en moins.

Dans les mesures que le gouvernement a adoptées comme compensation de l'absence de protection efficace, réelle, dont a été privée l'agriculture, il range en première ligne les écoles d'agricullure dont a parlé l'honorable M. Rodenbach.

Je crois que la pensée qui a dicté ces écoles d'agriculture, qui tendent à instruire les populations ouvrières agricoles, qui tendent à leur donner des connaissances plus exactes d'agriculture, que cette pensée qui est du reste très honorable, ne réussira pas selon le désir de M. le ministre de l'intérieur. Je crois que ces écoles aboutiront à des résultats tout opposés et très regrettables, c'est-à-dire à faire figurer au budget une dépense en plus d'au moins 100,000 fr., dépense qui augmentera d'année en année par de nouvelles exigences. Nous nous enfoncerons aussi davantage dans cette malheureuse maxime que l'Etat doit et qu'il peut toujours tout faire, maxime à laquelle le gouvernement est trop enclin.

Messieurs, on vous a parlé l'autre jour du rapport d'inspection au sujet de ces écoles d'agriculture. M. le ministre vous a dit que ce rapport était extrêmement remarquable ; je dois supposer qu'il admet les aveux, les confessions, les explications qui se trouvent dans ce rapport. Or, que dit le rapport au sujet de l'avenir que présentent ces écoles aux jeunes gens qui les fréquentent ? Je me permettrai de vous lire un passage du rapport, et vous verrez par cette citation que les jeunes gens qui fréquentent les écoles d'agriculture n'ont aucun avenir. C'est une preuve par négation du peu d'utilité, du peu d'efficacité de ces écoles :

« Quel esl l'avenir qui attend les jeunes gens au sortir des écoles d'agricullure ? Ils pourront être, selon leurs spécialités respectives :

« Professeurs dans les écoles : le nombre en sera nécessairement restreint ; »

C'est-à-dire qu'il y a peu de places de professeurs dans notre pays ; par conséquent c'est une carrière qu'on peut considérer comme n'existant pas pour les jeunes gens qui fréquentent ces écoles.

« Directeurs d'exploitations agricoles : cette profession n'existe, jusqu'à présent, pour ainsi dire pas dans notre pays, où la très grande partie des terres est remise à bail à des fermiers, ou bien exploitée par le propriétaire ; il faudra un certain temps avant qu'elle n'offre un débouché un peu notable pour les élèves agriculteurs ;

« Intendants de grands domaines : les domaines de nature à exiger des intendants sont rares dans notre pays et le deviennent chaque jour davantage. »

Autres carrières qui n'existent pas pour eux !

« Employés à l'étranger : si nos écoles agricoles acquièrent, comme il n'en faut pas douter, la juste réputation de nos écoles des mines et des arts et manufactures, l'étranger nous demandera des agronomes, comme il nous demande des ingénieurs et des mécaniciens ; mais cet emploi des élèves ne concourrait que d'une manière très indirecte au but de la création des écoles, qui est le perfectionnement de l'agriculture nationale ; »

Ainsi, messieurs, comme professeurs des écoles, comme intendants ou directeurs de grands domaines, les grands domaines n'existent pas dans notre pays, il n'y aucun avenir pour les élèves des écoles d'agriculture ; quant à les voir aller à l'étranger, ce serait manquer complètement le but qu'on s'est proposé.

Restent les fils de cultivateurs. Pour les fils de cultivateurs ou de fermiers, comme ils sont généralement dans une position assez aisée, il n'était pas nécessaire de répandre dans le pays un si grand nombre d'écoles d'agriculture et d'engager l'Etat dans des dépenses déjà considérables, (page 204) et qui n'ont pas encore atteint le chiffre définitif auquel elles doivent s'élever.

Plusieurs provinces n'ont encore qu'une seule école, et il est à présumer que ces provinces réclameront pour être dotées d'une manière plus généreuse.

J'ajouterai, les cultivateurs, les fermiers ont une véritable répugnance d'envoyer leurs fils aux écoles d'agriculture ; à l'âge de 15 ans, âge indiqué pour l'envoi des jeunes gens à ces écoles, les fils de fermiers et de cultivateurs commencent à remplir un emploi très utile chez eux. Ils remplacent un ouvrier payé, et épargnent de grands frais ; les cultivateurs ont aussi un grand éloignement à envoyer leurs enfants dans les établissements d'autrui pour y travailler comme ouvriers ou manœuvres.

Ce sont là des raisons très pratiques, très sérieuses que j'ai recueillies de la bouche de plus d'un fermier.

Ceci soit dit en général sur les écoles d'agriculture. : L'honorable M. Rodenbach a cité l'école de Tirlemont. Voici ce que dit le rapport sur l'école de Tirlemont :

« Les élèves fréquentant actuellement les cours de l'école d'agriculture proprement dite. »

Donc il y a une autre espèce d'école d'agriculture dans ces écoles d'agriculture proprement dite.

« Sont au nombre de onze : trois élèves ont quitté l'établissement lors de la retraite de l'ancien directeur, un autre l'a quitté depuis ; enfin trois élèves, trop faibles pour suivre les cours spéciaux de l'école, ont été admis dans une section préparatoire. Je dois signaler une circonstance qui semble aussi de nature à apporter quelque obstacle à l'enseignement agricole pratique et à l'exécution des travaux manuels, c'est que la moitié des élèves fréquentent l'école comme externes. On comprend qu'il est difficile de faire accomplir par des jeunes gens, dans cette position, des travaux agricoles avec la régularité convenable. »

Vous le voyez, le nombre des élèves se réduit au chiffre de 8. La dépense s'élève à 12,100 ; chaque élève coûte donc un peu plus de mille francs.

Ces huit élèves, pour lesquels on dépense une si forte somme pour leur enseigner l'art de l'agriculture la connaîtront, il faut l'espérer, d'une manière supérieure.

Les professeurs sont au nombre de six, c'est à peu près un professeur par élève. Cela ressemble tout à fait à une éducation privée. « L'école est aussi inspectée par MM. Vanden Berghe de Binckum..., » vous voyez que toutes les influences leur sont acquises.

Passons à l'école de Verviers que l'honorable M. Rodenbach citait tout à l'heure. A cette école, il y avait, à l'époque de la visite de l'inspecteur, 10 élèves, et 5 élèves libres suivant quelques-uns des cours. Les frais sont de 9,600 fr. ; la dépense est donc de 800 à 900 fr. par élève. Il y a tout un attirail de professeurs : 5 professeurs spéciaux et 6 ou 7 professeurs du collège de Verviers, qui viennent donner des leçons à ces 8 élèves, destinés à l'agriculture.

Il y a une autre école, celle d'Oostacker, dans la Flandre, dont les résultats ne sont pas plus brillants. Les frais généraux sont de 4,000 fr. Ces frais comprennent une somme de 1,500 fr., affectée à des bourses. Ce sorte que cette somme est employée, non pas à payer les professeurs, mais à indemniser les élèves. On ne sait si ces bourses ont été instituées en faveur des élèves, ou si elles n'ont pas été instituées pour que l'école existât.

A Thourout, sur une somme de 11,100 fr., les bourses sont de 1,700 fr. ; ce qui est prodigieux ; c'est de la bureaucratie toute pure.

Les dépenses considérables que s'impose l'Etat ne sont nullement en rapport avec les résultats actuels, et les résultats d'avenir que nous avons droit d'espérer ne sont pas proportionnés à des dépenses aussi considérables.

Les observations de l'honorable M. Rodenbach sont donc parfaitement justifiées ; et quand j'ai dit qu'il était au-dessous de la vérité, je crois avoir prouvé que j'avais parfaitement raison.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Bien que l'honorable représentant de Dinant ait pris sous son patronage les observations de l honorable représentant de Roulers, je maintiens qu'elles ne sont pas pour cela plus exactes et qu'elles restent entachées d'une grande exagération.

Je commencerai par faire une première observation qui se rattache à la discussion générale.

Le premier reproche qui ait été fait au gouvernement, en ce qui concerne les écoles d'agriculture, c'est que le rapport communique par lui à la chambre ne mentionnait ni le nombre des élèves, ni le nombre des professeurs. Ce reproche fut adressé par deux représentants.

L'honorable M. Coomans, entre autres, que je renvoyai au rapport, insista, répéta qu'il avait lu le rapport, que le nombre des élèves n'y était pas indiqué.

Or le rapport indique le nombre des élèves pour toutes les écoles, sauf une. Si on le désire, j'indiquerai les pages où se trouvent le nombre des élèves pour toutes les écoles, et le nombre des professeurs.

C'est en effet dans ce rapport que l'honorable M. de Liedekerke a trouvé le nombre des professeurs. Il a donc mieux lu le rapport que son honorable ami.

A voir la sévérité avec laquelle on traite ces établissements, on croirait qu'il s'agit d'institutions existant depuis un grand nombre d'années, renfermant des abus invétérés qu'il serait temps de faire disparaître. On ne prend pas garde que les établissements dont il s'agit sont en quelque sorte dans l'enfance, à l'état de pur essai ; que dès lors, en ce qui concerne le nombre d'élèves, par exemple, ce nombre peut ne pas être aussi considérable aujourd'hui ; qu'il pourra l'être dans la suite, lorsque déjà l'établissement sera connu, lorsqu'il aura gagné la confiance des parents.

Je vais donner le relevé, et si on le désire, si cela peut intéresser la chambre, je pourrais donner le relevé nominatif des élèves qui fréquentent les écoles d'agriculture.

Les inscriptions pour l'année scolaire 1850-1851 ont eu lieu presque partout ; les chiffres se rapportent donc en très grande partie à 1850-1851, les autres se rapportent à 1850.

Eh bien, je trouve, pour les onze écoles existantes (je déduis l'école d'Oudenbourg), un total de 255 élèves. Pour Tirlemont, le chiffre des élèves inscrits pour 1850-1851 est de 19 et non pas de 11. Pour Verviers, le chiffre des élèves est de 13 ; pour Oostacker, l'école dont on a parlé en dernier lieu, le nombre des élèves est de 24. Voilà le nombre exact.

Les chiffres indiqués dans le rapport sont exacts, mais il faut se reporter à l'époque où le rapport a été fait.

Messieurs, les écoles d'agriculture dont il s'agit ne sont pas destinées à recevoir un grand nombre d'élèves. Je pense qu'un chiffre de 25 à 30 élèves par école est suffisant. Il ne faut pas même désirer qu'il aille beaucoup au-delà, et je m'étonne que ceux qui reprochent à ces écoles de n'avoir aucune espèce d'utilité, de n'exercer aucune espèce d'influence sur l'instruction des campagnes, je m'étonne que ces adversaires regrettent l'absence d'élèves dans les écoles.

Mettre en question l'utilité de l'instruction agricole, je ne crois pas qu'on puisse faire à aucun membre de cette chambre l'injure de lui supposer une pareille idée. Je crois que nous devons être tous d'accord, dans cette enceinte, sur l'utilité de répandre parmi les populations agricoles les notions scientifiques nécessaires à l'exercice de leur art.

Lorsqu'il y a deux ans, messieurs, nous avons porté pour la première fois au chapitre de l'agriculture des sommes destinées à la fondation d'écoles agricoles, tout le monde dans cette enceinte a voté en faveur de ces allocations. Personne n'est venu en contester l'utilité. C'était alors le moment d'arrêter le gouvernement ; si l'on croyait que les écoles agricoles n'offrent aucune espèce d'avantage aux campagnes, il ne fallait pas accorder les subsides destinés à l'établissement de ces écoles.

La population actuelle de ces écoles vous prouve qu'elles commencent à être appréciées par les campagnards. On dit que ce ne sont pas des fils de cultivateurs qui fréquentent les écoles. Sans rechercher l'état personnel des élèves qui fréquentent les écoles, je puis affirmer que la plupart de ces élèves appartiennent à des familles de cultivateurs.

Après tout, si quelques-unes des écoles étaient peu fréquentées, si des parents éprouvaient pour ces écoles quelque répugnance, ne pourrait-on pas supposer que certaines conseils les détournent de ces écoles ? Au lieu de recevoir de bonnes indications, des renseignements favorables sur ces écoles, ne peut-on pas supposer, et, si je suis bien informé, cela est, ne peut-on pas supposer qu'ils reçoivent des avis contraires ; qu'on représente dans les campagnes ces écoles comme des espèces de centres pestilentiels dont il faut se tenir éloigné ? Que tous ceux qui ont de l’influence à exercer dans les campagnes fassent sentir aux cultivateurs l'utilité des connaissances théoriques et pratiques dans l'art auquel ils se livrent, et alors vous n'aurez rien à craindre pour ces écoles ; elles seront sutîisamment peuplées.

Les élèves qui fréquentent les écoles d'agriculture ne coûtent pas, comme on le dit, mille francs par tête. Nous avons d'autres professions pour lesquelles il existe des écoles et qui coûtent plus que cela. En supposant même que la formation d'un bon cultivateur, d'un agriculteur intelligent, coûtât mille francs par année d'études, si nous tenons compte des sacrifices que l'on fait pour d'autres carrières, je pense, messieurs, que nous n'aurions encore rien à regretter.

Mais il n'en est pas ainsi. Les sommes portées au budget pour les écoles agricoles s'elèvent à 94,650 francs, soit 95,000 francs ; le nombre des élèves pour l'année scolaire qui vient de s'ouvrir est de 255 ; c'est donc environ 350 francs par élève que l'Etat dépense pour les 11 écoles. Je ne parle pas d'une école particulière établie à Haine-Saint-Pierre, qui a pour but de former de bons artisans pour les instruments agricoles.

On a été jusqu'à dire que cette école est mal vue des charrons, maréchaux, forgerons, à qui elle ferait concurrence ; eh bien, le nombre d'élèves est limité à 18, et aujourd'hui le nombre des élèves qui se présentent est du triple.

(page 205) Il est à remarquer que ces jeunes gens appartiennent la plupart à des familles de charrons, maréchaux et forgerons des campagnes, preuve nouvelle que l’utilité de l'enseignement des arts agricoles commence à être comprise dans les campagnes, et qu'il n'est pas exact de dire que les habitants éprouvent des répugnances naturelles pour de pareilles écoles.

Messieurs, je l'avoue, parmi les mesures assez nombreuses, je dirai même, très nombreuses, prises dans l'intérêt de l'agriculture, j'avais pensé qu'en ce qui concerne, au moins les écoles agricoles, nous recevrions l'assentiment, l'appui de ceux qui sy présentent dans cette enceinte comme plus particulièrement voués à l'intérêt de l'agriculture. J'avais espéré qu'on verrait ces institutions avec faveur, avec bienveillance, qu'on encouragerait le gouvernement à les perfectionner successivement, tout au moins qu'on ne jetterait pas la réprobation sur de pareils établissements à peine à leur naissance. Trouve-t-on qu'ils sont confiés à des patrons incapables ? Trouve-t-on que les professeurs ne conviennent pas ? La plupart des patrons de ces établissements sont des propriétaires considérés dans leurs provinces, qui ont bien voulu, à la demande de l'autorité administrative, se charger de la direction de ces écoles ; et je saisis cette occasion pour les remercier publiquement de leur concours.

Les professeurs d'agriculture qui appartiennent à ces écoles sont tous des hommes instruits, qui ont fait des études dans le pays ; ou qui ont obtenu des bourses pour étudier dans les écoles des pays voisins ; ou qui ont subi un examen spécial à Bruxelles, avant de recevoir le titre de professeur.

Ces professeurs ne sont pas très nombreux. Dans certaines écoles agricoles, le nombre des professeurs paraît assez considérable, parce que ces écoles sont annexées à d'autres établissements. C'est ainsi qu'à Tirlemont l'école d'agriculture est jointe au collège.

A Leuze, il y a une section industrielle.

Eh bien, là, le nombre des professeurs paraît plus considérable ; mais ces professeurs sont attachés à la fois aux deux établissements.

Quant au nombre des professeurs lui-même, attachés aux sections agricoles proprement dites, il n'atteint, dans aucun établissement, le chiffre de cinq.

Partout, lorsqu'on visite ces établissements, l'on revient plein d'espérance et plein de confiance dans l'avenir. J'engage ceux des représentants qui pourraient avoir des doutes à cet égard, à visiter l'un ou l'autre de ces établissements. Ainsi, l'honorable M. de Liedekerke a une école dans sa province ; celle-là se distingue entre toutes. Eh bien j'engage l'honorable membre à la visiter ; je crois que les préventions qui existent dans son esprit finiront par disparaître devant la réalité des faits.

.Je ne comprendrais pas comment les écoles agricoles seraient inutiles en Belgique, lorsqu'elles sont jugées utiles dans d'autres pays. Si elles ne sont pas inutiles en Allemagne, en Angleterre, en France, en Suisse, pourquoi n'auraient-elles pas d'utilité en Belgique ?

Les premiers résultats de l'inspection approfondie qui a eu lieu, sera d'introduire des améliorations dans ces écoles, d'amener autant que possible, l’unité et la simplicité dans les programmes, d'approprier l'enseignement aux besoins des élèves et des localités.

L'on ne peut improviser en un jour un système complet et parfait en pareille matière ; nous n'avons pas d'antécédents ; nous sommes obligés de tout créer, de tout improviser en quelque sorte ; et l'on voudrait qu'après une année de tentatives que, pour ma part, je considère comme heureuses, l'on voudrait qu'on fût déjà arrivé à la perfection ? Cela est par trop exigeant.

L'honorable M. Osy, qui n'avait pas non plus trouvé dans le rapport le nombre des élèves, a fait une observation relative à l'école de Vilvorde ; il a demandé comment il se faisait que des instruments qui avaient été achetés sur les fonds de l'Etat et fournis à l'école, ne figurassent pas au budget. Ces instruments ont été fournis en effet à l'Etat par l'école ; et si cette dépense n'a pas été portée dans le budget, c'est qu'elle ne doit pas se renouyeler chaque année ; ces instruments ont été fournis à l'école comme matériel de premier établissement ; ils ne devaient dès lors pas figurer au budget.

J'attendrai la suite de la discussion pour me décider à reprendre la parole, s'il y a lieu.

M. de Steenhault. - Permettez-moi, messieurs, de vous soumettre deux observations qui m'ont été suggérées par le rapport sur nos écoles d'agriculture, qui a été adressé à M. le ministre de l'intérieur par M. Eugène Bidaut.

Je n'entrerai pas dans des détails d'appréciation, et je ne ferai pas un grief au gouvernement des vices qui se révèlent aujourd'hui dans l'organisation intérieure de nos écoles d'agriculture, et que des réformes successives viendraient à faire disparaître.

Je tiens compte, à cet égard, du peu de temps qui s'est écoulé depuis leur création.

Je tiens compte des tâtonnnements inséparables de toute combinaison nouvelle, tâtonnements qui, dans des cas semblables, se sont fait jour en Allemagne et en France, comme en Belgique.

Je tiens compte surtout, messieurs, des bonnes intentions du ministre, à l'initiative duquel nous devons, après tout, une institution qui, dûment modifiée, nous donnera, j'en suis convaincu, des résultats favorables.

Je me bornerai donc à deux observations capitales.

D'abord, messieurs, le nombre des écoles est trop élevé, surtout relativement. Nous avons 9 écoles d'agriculture supérieures et seulement 3 inférieures ou pratiques, celles d'Ostin, de Marvie et de Vilvorde.

Je ne comprendrais cette proportion que si elle était en sens inverse et si nous avions 9 écoles pratiques pour 3 de degré supérieur.

Quel est le but, messieurs, que vous avez voulu atteindre en donnant votre assentiment à la création des écoles d'agriculture ?

Si, d'un côté, vous avez voulu ouvrir à une certaine catégorie de jeunes gens une carrière plus en harmonie avec leur position, vous avez eu, jecrois, surtout en vue de former une pépinière de bons cultivateurs capables de faire progresser notre agriculture en répandant les lumières dans les masses.

C'est évidemment dans les écoles pratiques, et certes pas dans les écoles supérieures que vous aurez à recruter des jeunes gens propres à cette destination.

Peu d'élèves sortant des écoles supérieures deviendront fermiers ou cultivateurs et se sentiront disposés, avec le genre et le degré d'instruction qu'ils auront reçus, à embrasser une profession qui est, en général, pénible et difficile.

Ils deviendront, ou tout au moins ils chercheront à devenir professeurs, directeurs d'établissements, intendants ; mais par là même, comme le fait très judicieusement observer M. Bidaut, ils ne concourront que d'une manière fort indirecte aux progrès de l'industrie agricole.

Vous aurez des théoriciens, et tout le monde sait ce que vaut la théorie en agriculture.

La théorie, messieurs, fait des victimes ; mais des cultivateurs, jamais.

Ce qui existe aujourd'hui me paraît donc peu en rapport avec nos besoins, avec le but que vous avez voulu atteindre.

Si donc le nombre des écoles devait rester ce qu'il est aujourd'hui, je voudrais voir l'enseignement pratique tenir une beaucoup plus large place dans les programmes de nos écoles, mais avec la garantie pour le gouvernement que les élèves travailleront avant tout pour leur instruction et ne seront pas un moyen de spéculation particulière.

L'opinion que je viens d'émettre est, en quelque sorte, professée par M. Bidaut lui-même.

Une seconde observation, messieurs. Nous n'avons pas une école d'agriculture pratique où la langue flamande soit en usage. Il y a donc impossibilité pour nos populations exclusivement flamandes de profiter d'une institution où cependant elles devraient pouvoir trouver place.

C'est déjà une lacune ; mais il y a plus, messieurs, M. Eug. Bidaut, dont je me plais au reste à reconnaître le talent et les excellentes intentions, propose dans son rapport de n'admettre dorénavant à l'école pratique de Vilvorde que des élèves sachant le français.

Et, remarquez-le bien, messieurs, l'école de Vilvorde est la seule école pratique d'horticulture où l'enseignement se fasse dans les deux langues.

Il y aurait là, messieurs, me paraît-il, une injustice flagrante.

Je suis convaincu que le gouvernement ne souscrira pas à cette proposition.

J'espère, au contraire, qu'il facilitera aux Flamands l'entrée de cet établissement en mettant l'instruction à leur portée, et qu'il s'empressera de combler une lacune qui existe pour eux, en remplaçant une partie de ce qui existe aujourd'hui par une école pratique d'agriculture où l'instruction se donne en langue flamande.

M. Coomans. - Messieurs, j'ai d'abord à donner une explication personnelle.

M. le ministre de l'intérieur m'a reproché de n'avoir pas lu le rapport sur les écoles d'agriculture, ou de l'avoir lu très mal, ce qui est bien pis. Messieurs, j'avais lu le rapport et non sans intérêt, mais, qu'avais-je demandé ? j'avais demandé une statistique détaillée ; j'avais demandé à connaître le nombre des professeurs, le chiffre de leurs appointements, le nombre des élèves sérieusement inscrits, le chiffre des recettes et des dépenses ; tous renseignements qui pour la plupart ne figurent pas dans le rapport ou qui n'y figurent que globalement ; et la preuve que j'ai eu quelque raison de demander ces détails, c'est que l'honorable ministre nous en a donné de complémentaires, que nous n'avions pas, des détails complètement inédits.

Du reste, l'une des onze écoles ne figure pas dans le rapport. Nous ne savons rien quant aux professeurs, quant aux élèves, quant aux dépenses, quant aux recettes. Tout ce que je crois pouvoir deviner, c'est qu'il n'existe plus à Oudenbourg que des professeurs et des dépenses ; si je suis bien informé, les élèves ont disparu, bien qu'on ait tout fait pour les retenir.

- Plusieurs voix. - Il n'y en a plus un seul à l'école.

M. Coomans. - En revanche les professeurs sont au grand complet et se portent bien.

Toute l'argumentation de l'honorable ministre repose sur une hypothèse injurieuse pour nous ; c'est que nous sommes les ennemis des écoles agricoles, c'est que les écoles agricoles sont frappées par nous de réprobation ; c'est que nous les considérons comme des lieux pestilentiels (je me sers des termes de M. le ministre), et que nous sommes véhémentement soupçonnés d'être la cause du manque ou du petit nombre des élèves. L'insinuation est directe.

(page 206) - Une voix. - Ce n'est pas à vous qu'on s'est adressé.

M. Coomans. - L'insinuation est dirigée contre moi ou mes honorables amis. Elle me peine. (Interruption.)

Si elle ne s'adresse pas à nous, je ne sais qui elle peut concerner. C'est une de ces insinuations auxquelles l'honorable ministre se livre trop souvent. Qu'il examine notre bagage, qu'il le critique, qu'il apprécie librement nos actes, nous n'avons rien à redire à cela ; mais qu'il n'aille pas jusqu'à sonder nos intentions, surtout avec le dessein préconçu de les croire mauvaises et de les proclamer malveillantes.

C'est ainsi que, l'an dernier encore, l'honorable ministre, cherchant à expliquer le mobile de notre opinion relativement à la nécessité de prélever des droits d'entrée sur les blés et le bétail étrangers, a cru pouvoir dire positivement que nous étions les ennemis des bonnes récoltes, que nous redoutions l'abondance, que nous souhaitions la disette, que nous étions des affameurs publics. Au dehors cette accusation a été répétée et aggravée.

Ces reproches odieux sont non seulement partis de la bouche de M. le ministre, mais ils ont été répétés, confirmés par lui à la suite d'une interpellation que je lui fis, moins pour le mettre dans son tort que pour lui fournir l'occasion de retirer des paroles qui m'ont péniblement surpris, pour ne pas dire indigné.

Messieurs, loin de considérer les écoles agricoles comme des lieux pestilentiels, dont nous nous efforcerions d'éloigner les élèves, je suis prêt à contribuer moi-même à la fondation de deux mille cinq cents nouvelles écoles agricoles, si telle est la volonté de la chambre el de l'honorable ministre de l'intérieur, et si les contribuables y consentent.

Je sais parfaitement bien que ces écoles ont un certain degré d'utilité ; qu'elles sont utiles à MM. les professeurs d'abord, et ensuite aux élèves à qui elles fournissent un bon gîte, une certaine instruction, des bourses et des titres. Mais la question est de savoir si l'agriculture en retire tous les profits qu'on dit qu'elle en retire, si le trésor de l'Etat n'en souffre pas trop, et si on ne leurre pas les campagnes en leur donnant des professeurs au lieu de leur assurer des prix rémunérateurs.

Loin de détourner les élèves de ces écoles, je les engage moi-même à s'y rendre, avec des bourses, bien entendu. Récemment encore j'ai recommandé un très bon sujet pour une école d'horticulture.

Tous les élèves qu'on admettra dans les écoles avec des bourses s'y trouveront dans une situation très agréable.

Que l'honorable minisire de l'intérieur me fournisse mille bourses el même davantage, je lui fournirai immédiatement, à mon tour, autant d'élèves plus ou moins agricoles. Il y a des milliers de jeunes Relges qui ne demandent pas mieux que de vivre aux frais de l'Etat sous un prétexte quelconque, el puisqu'on gaspille tant d'argent en primes industrielles et commerciales, il est assez juste que les paysans en aient leur part, en attendant la débâcle finale qui prouvera le danger de cette intervention minutieuse de l'Etat dans toutes les manifestations des forces sociales ?

Messieurs, j'ai maintenant à présenter quelques observations sur l'agriculture dans ses rapports avec les octrois des villes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous ne terminerons pas d'abord la discussion sur les écoles d'agriculture ?

M. Coomans. - Il me semble qu'une discussion générale sur l'agriculture n'exclut pas l'appréciation de l'octroi des villes, et je ne pense pas m'écarter du sujet en indiquant, à mon point de vue, la mauvaise influence que les douanes municipales exercent en Belgique sur les intérêts agricoles.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On demande, dans l'intérêt du débat et dans le vôtre même, s'il ne serait pas utile d'épuiser ce qui concerne les écoles. Je ne veux pas vous empêcher de parler sur tout autre chose que les écoles d'agriculture ; mais il serait désirable que la discussion actuelle pût se renfermer dans ce cercle.

M. Coomans. - J'ai dit sur ces écoles ce que j'ai cru devoir en dire ! M. le président a seul d'ailleurs le droit de régler nos débats. Je parlerai des octrois, parce qu'on ne saurait m'en empêcher, quand il s'agit d'agriculture, et aussi parce que la question des octrois a acquis un incontestable caractère de gravité et d'opportunité.

- Plusieurs membres. - Oui, oui, parlez !

M. Coomans. - Tandis que l'agriculture est exposée à la concurrence étrangère, tandis qu'elle paye de lourds impôts au profit de l'Etat, presque tous ses produits sont frappés de droits énormes à l'entrée des villes. Ainsi l'octroi frappe durement le bétail, la principale ressource du cultivateur ; les céréales, sous forme de bière et de genièvre ; le bois de chauffage, les fourrages ; il atteint les farines, dans quelques cités, dans d'autres, les vidanges. Le droit sur les vidanges est égal à la valeur de cette matière. Tous ces droits, perçus sur des produits belges, sont beaucoup plus élevés que les droits réclamés par nous sur les produits similaires de l'étranger.

Combien de temps cette criante anomalie subsistera-t-elle encore ? On s'abstient de nous l'apprendre. On se borne à nous répéter, chaque année, l'affirmation monotone qu'on étudie la question, et, dans l'entre-temps, on maintient tous les abus.

C'est une étrange politique, messieurs, de flétrir sans cesse, à haute voix, les abus et de réserver soigneusement les bénéfices !

Dans la conviction où je suis, que les droits d'octroi prélevés sur les denrées alimentaires et autres produits agricoles, sont aussi ruineux pour l'agriculture nationale que nuisibles aux consommateurs des villes, je prendrais volontiers l'initiative d'une proposition de réforme. Mais à quoi bon ? Ma proposition serait ajournée, peut-être rejetée, sous prétexte que le gouvernement étudie tout cela et qu'il ne faut pas le contrarier le moins du monde. La majorité n'entend pas que la minorité se mêle activement des affaires. Elle veut agir seule, sans notre impulsion et même sans notre concours. Soit ! Mais qu'elle agisse ; qu'elle prenne les devants ; qu'elle propose la suppression de l'odieux impôt-mouture, des impôts plus lourds encore qui pèsent sur la viande. Je ne dédaignerai pas, moi, de me joindre à elle, car dans tout projet qui se produit, je tiens compte de ce qu'il vaut sans examiner les mains d'où il émane.

En vain m'objectera-t-cn que la question des octrois n'est pas mûre et qu'il n'est pas encore suffisamment prouvé qu'il faille abolir l'impôt sur la viande et le pain. Cette question est très vieille, elle a été mûrement examinée par des membres éminents de la majorité, qui savent fort bien à quoi s'en tenir. D'ailleurs, personne n'ignore que lorsque la majorité veut réformer une loi, elle en trouve facilement l'occasion ; si elle le désirait sincèrement, l'impôt communal sur la viande et le pain, impôt qui varie de 10 à 20 p. c., aurait déjà disparu.

Mais cet impôt, qui ruine l'agriculture plus encore que ne le fait la libre importation des blés et du bétail exotiques, on le maintient, parce qu'il permet aux villes de se livrer à des dépenses de luxe et de faste dont la majorité de la population ne profite aucunement.

Souffrez, messieurs, que je vous cite quelques chiffres des taxes prélevées par la ville de Bruxelles. Vous en conclurez facilement que ces taxes sont aussi nuisibles à l'agriculture qu'aux consommateurs pauvres.

M. Orts. - Je demande la parole.

M. Coomans. - Je vais donner à M. Orts de quoi exercer son bbeau talent d'avocat.

M. Orts. - Je serai très court.

M. Coomans. -Tant pis.

Si l'hectolitre de vin, qui peut valoir jusqu'à 500 fr., paye 24 fr., le cidre, qui a peu de valeur, en paye 6.

M. Manilius. - 500 francs, c'est beaucoup.

M. Coomans. -Je dis que le vin peut valoir 500 fr., et je crois ne pas déplaire à mon honorable interrupteur en ajoutant qu'il le sait par expérience.

Le veau plat et maigre, qui est l'aliment du pauvre, paye 5 fr., tandis que le chevreuil, le daim et le sanglier ne payent que 8 francs.

Le chapon et la bécasse payent 10 centimes par tête ; la viande de chèvre, qui est fort peu délicate, 8 centimes par kilo.

On ne saurait dire que le chapon et la bécasse sont imposés si bas, afin d'éviter la fraude ; car une bouteille de vin, tout aussi facile à frauder, est taxée 24 centimes.

Les viandes de boucherie (bœuf, vache et taureau) payent 14 centimes le kilog., et les truffes 50 centimes. Or, la truffe a 10 ou 15 fois plus de valeur ; preuve surabondante que l'octroi atteint les masses laborieuses plutôt que les riches.

Les poissons frais de mer ne payent que 5 à 15 p. c, et le stockfisch de l'ouvrier paye 6 cent, le kilog., soit 25 p. c.

Diverses espèces de viande de boucherie payent 18 centimes le kilog. En revanche, un mètre cube de glace, marchandise difficile à frauder en poche, ne paye qu'un franc.

Tous les fourrages secs payent 7 fr. les 1,000 kilog. La paille, dont le pauvre fait son lit, paye 3 fr.

Le bois à brûler, 2 fr. le sucre ; la houille, 2 fr. les 500 kilog.

Dans d'autres villes plusieurs de ces chiffres sont plus élevés encore. Evidemment il y a là des anomalies criantes ; qu'on est surpris de voir approuvées et contresignées par l'honorable chef des libre-échangistes de Belgique. (Interruption.) Je tiens en main le tableau des taxes communales de Bruxelles, signé et approuvé par lui il y moins d'un an.

Savez-vous, messieurs, ce que la ville de Gand, par exemple, a retiré de l'impôt sur le pain et sur la viande, depuis une vingtaine d'années ? Une somme qui ne s'éloigne pas beaucoup du chiffre de 8 millions de francs. Faut-il s'étonner, après cela, que cette même ville puisse consacrer plus d'un million et demi à la construction d'une salle de spectacle ?

Parmi les dépenses que les grandes villes font le plus volontiers, figurent les subsides aux spectacles français. Je sais qu'on prétend que les spectacles sont un moyen de moraliser et de civiliser le peuple. Je n'examinerai pas la valeur de cet argument ; je ferai remarquer seulement qu'il ne s'applique qu'aux villes belges où le français est la langue du peuple. Dans les villes flamandes, comme Gand et Anvers, où les cinq sixièmes de la population ne comprennent pas le français, le spectacle français ne s'adresse qu'aux classes instruites, qui sont les classes aisées et riches. La masse de la population n'en profite pas, si profit il y a. Or, qu'arrive-t-il ? Il arrive que la ville d'Anvers refuse de subsidier les spectacles flamands, les seuls qui puissent élever la prétention d'être ou de devenir populaires.

- Un membre. - Elle fait bien.

M. Coomans. - Mais pourquoi prélever sur la bourse ou l'estomac de tous les consommateurs de quoi défrayer les plaisirs des riches ? Qu'on subsidie tous les spectacles ou aucun.

Tout récemment la demande d'un modique subside faite par une société flamande qui avait fourni ses preuves d'aptitude, a été rejelée par le conseil communal d'Anvers. A Gand, le subside alloué au théâtre flamand est insignifiant si on le compare aux sommes considérables que coûte à la ville le théâtre français. Il y a ici manque complet (page 207) de justice distributive. L'iniquité est d'autant plus manifeste que le subside est refusé à des Flamands, à des Belges, tandis qu'on l'accorde à des étrangers.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous ne sommes pas dans la question, M. le président.

M. le président. - Nous sommes en agriculture, M. Coomans.

M. Coomans. - Je maintiens encore que les octrois ont, comme je l'ai fait observer tout à l'heure, un rapport direct et journalier avec l'agriculture. Si j'ai le droit d'attaquer les octrois parce qu'ils vivent de contributions agricoles, j'ai bien celui de dire en passant un mot de l'emploi des fonds de l'octroi.

- Un membre. - Continuez, vous êtes dans la question.

M. Coomans. - Non, en voilà assez sur les spectacles.

Je reviens aux douanes municipales, sur lesquelles j'exprime à mon tour le vœu qne le gouvernement s'explique.

Soutiendra-t-on que les contributions communales prélevées sur des objets de première nécessité sont justifiées par les besoins financiers des grandes villes ? L'osera-t-on, après avoir repoussé comme inhumains les droits d'entrée sur le bétail et le blé exotiques ? Est-il plus inhumain d'imposer les aliments venus de l'étranger que les aliments similaires du pays ? D'ailleurs, le trésor national éprouve-t-il moins de besoins que les caisses municipales, et pourquoi serait-il moins permis à l'honorable M. Frère qu'aux honorables bourgmestres de Bruxelles, de Gand et d'Anvers, d'enfreindre les principes humanitaires ? Pas d'impôt sur les aliments du peuple, fi donc! s'écriait l'an dernier un honorable ministre. Et cependant le gouvernement maintient des impôts sur les aliments du peuple dans nos villes, impôts beaucoup plus élevés que ceux que j'ai réclamés sur la viande et le pain étrangers !

Messieurs, je suis émerveillé de voir que je passe, moi, ici, pour un rétrograde, un ennemi de l'abondance, un partisan des mauvaises récoltes et de la disette, parce que je sollicite un droit d'entrée à la frontière sur des aliments qui sont bien plus fortement imposés dans nos villes, et cela avec l'assentiment d'honorables adversaires qui ne s'en proclament pas moins des amis de l'humanité, du progrès et de la vie à bon marché !

Messieurs, je ne tiens pas ici un langage nouveau, je réclame depuis seize ans la suppression des octrois ou du moins leur réforme radicale. Et certes, je ne songeais pas, à cette époque, à forger des armes contre la politique nouvelle.

J'ai toujours été, je reste l'adversaire des octrois. Mais je n'exige pas l'impossible ; je n'en demande pas la suppression absolue et immédiate. Je désire seulement qu'on se hâte d'abolir tous les droits d'octroi sur la viande de boucherie, le pain, les gros produits agricoles ; et je dirais aussi sur le poisson, si je craignais, de la part de l'honorable M. Rogier, l'objection que le poisson de mer n'est pas un produit agricole.

Je désire, en outre, que les villes ouvrent des marchés libres où il soit permis aux citoyens d'extra-muros de venir vendre la viande dépecée et le pain cuit. Il est plus que singulier que, tout en prêchant la libre concurrence et les bienfaits du free trade, les grandes villes réservent un odieux monopole aux bouchers, aux boulangers et aux brasseurs.

Malgré le peu de succès qu'auraient de pareilles propositions émanées du banc où je siège, je n'hésiterai plus à les formuler en projets de loi, si le gouvernement ou d'honorables collègues de la gauche n'en prennent pas l'initiative dans un temps rapproché.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, je bornerai mes observations à l'enseignement agricole ; ceci soit dit en passant pour satisfaire M. le ministre de l'intérieur.

L'enseignement agricole, fondé par le gouvernement, fera d'abord de ma part l'objet d'une première critique. Aux termes de l'article 17 de la Constitution, l'enseignement donné par l'Etat doit être réglé par la loi. Or comment le gouvernement a-t-il procédé dans la création de l'enseignement agricole ? Il a commencé par où il aurait dù finir.

Il nous demande des crédits pour faire face aux dépenses de l'enseignement agricole, par la loi du budget des dépenses ordinaires, tandis qu'il aurait dû commencer par faire une proposition de loi destinée à provoquer une discussion concernant la question de savoir si cet enseignement devait être organisé, et comment, dans l'affirmative, il devait l'être.

Je demanderai donc, quand il se propose de nous présenter un projet de loi, exigé par l'article 17 de la Constitution.

Maintenant j'entrerai dans quelques détails. Je ne le fais que dans le but de motiver mon vote.

Le gouvernement a organisé plusieurs écoles d'agriculture dans le pays. Ces écoles occasionnent une dépense de 104,000 fr. y compris les subsides des communes, mais non compris les 7,200 fr. destinés à l'inspection.

Quel est le but que s'est proposé le gouvernement en créant ces écoles d'agriculture ? Quel est le but qu'il se propose en nous demandant les crédits destinés à leur entretien ? Il s'est proposé de perfectionner la culture du sol ; il s'est proposé de répandre les bonnes méthodes ; il s'est proposé de former des cultivateurs instruits, capables d'augmenter les produits agricoles.

Le gouvernement atteindra-t-il le but qu'il s'est proposé. Voilà la question qu'il y a lieu d'examiner. C'est ce que je vais faire. C'est dans ce but que j'ai parcouru le document qu'on nous a distribué, et je l'ai parcouru très sérieusement.

Je me suis occupé plus particulièrement de la situation d'une école d'agriculture supérieure établie dans l'arrondissement qui m’a envoyé siéger sur ces bancs.

Je tiens à vous rappeler, d'abord, quelles sont les matières enseignées dans cette école supérieure.

Le rapport nous apprend qu'on y enseigne la botanique, l'agriculture, l'horticulture, l'arpentage, l'art vétérinaire, la taille des arbres, la culture maraîchère. Tout cela est fort bien, et doit être enseigné dans une école agricole ; mais on ne se borne pas à cela ; on y enseigne encore la géométrie, la minéralogie, la géologie, la chimie, la physique, la zoologie, le dessin, l'hygiène, enfin même la musique.

Mais ce qu'on n'y enseigne pas, c'est de l'agriculture pratique, car je tiens à constater que, d'après le document qui nous a été distribué, cet enseignement pratique n'existe pas. C'est cependant la branche d'enseignement la plus importante, la plus indispensable. Cette école coûte 12,100 fr., 10 bourses ont été accordées à cette école. D'après les renseignements qui me sont parvenus, on espère en obtenir de la province. Sept élèves seulement fréquentent cet établissement ; trois ont été jugés trop faibles pour suivre les cours ; quatre se sont retirés ; il n'en reste que quatre qui suivent actuellement les cours.

M. le ministre nous a annoncé que par suite des inscriptions nouvelles les élèves étaient au nombre de 13. Mais nous ne pouvons baser nos observations que sur les documents qu'on nous distribue. Mais si je juge du futur par le passé, je suis fondé à dire que si de 11 élèves, il n'en est resté quel capables de suivre les cours spéciaux pendant l'année qui vient de finir, les 13 inscriptions de l'année scolaire qui commence ne donneront que 6 ou 7 élèves capables de suivre les cours spéciaux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les élèves fréquentant actuellement l'école sont au nombre de 11. Ceux qui ont quitté ne sont pas compris dans ce chiffre.

M. de Man d'Attenrode. - Je me vois obligé de citer le passage du rapport dont la rédaction a été prescrite par M. le ministre lui-même. Voici ce passage :

« Les élèves fréquentant actuellement les cours de l'école d'agriculture proprement dite sont au nombre de 11 : 3 élèves ont quitté l'établissement lors de la retraite de l'ancien directeur, un autre l'a quitté depuis ; enfin, 3 élèves, trop faibles pour suivre les cours spéciaux, ont été admis dans une section préparatoire. » Il n'en reste donc que quatre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais pas du tout, ceux-là : ne comptent pas.

M. de Man d'Attenrode. - Va pour sept ; il n'en est pas moins vrai que le nombre des élèves est très restreint, et n'est pas en rapport avec les dépenses qu'ils occasionnent.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ils restent au nombre de 11 et non de 7 !

M. de Man d'Attenrode. - Il n'en est pas moins vrai que trois, ont été jugés trop faibles pour suivre les cours. Or, 3 de 11 reste 8 pour les cours spéciaux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans les 11 ne sont pas compris non plus ces 3 que vous déduisez.

M. de Man d'Attenrode. - Soit, je ne demande pas mieux, je suis aise de m'être trompé ; mais je tiens à constater qu'à une première lecture, l'équivoque est possible ; la rédaction s'y prête, il est de mes collègues qui y ont été pris comme moi.

Mais ce qu'on ne contestera pas c'est que, comme l'école de Tirlemont a dix bourses à sa disposition, il est à supposer que ces élèves ont été attirés par les bourses. Voici, au reste, ce que je trouve dans un rapport adressé par le directeur de l'école à la commission de surveillance, sous la date du 19 août 1850.

« Les cultivateus, n'appréciant pas l'importance de l'enseignement scientifique de l'agriculture, ne se décideront que difficilement à nous confier leurs enfants, et s'ils consentent à faire taire leurs préjugés, ils ne nous enverront que le fils le moins intelligent de la famille.E h bien, messieurs, je vous le déclare aujourd'hui, c'est sous cette fâcheuse influence que s'est formée la première section de l'école d'agriculture. »

Plus loin, le même directeur déclare que le gouvernement et la commune, en dotant l'école d'un certain nombre de bourses, lui ont apporté un puissant secours.

Il existe donc, messieurs, des préjugés contre l'enseignement scientifique de l'école du gouvernement, d'après le rapport du directeur, et le meilleur moyen, d'après lui, d'écarter le préjugé, c'est de multiplier le nombre des bourses.

Elles seront données, je suppose, à des jeunes gens peu favorisés de la fortune.

Or, s'il en est ainsi, à leur sortie de l'école, auront-ils le capital nécessaire pour mettre leur science en pratique ? Car, pour cultiver il ne suffit pas d'avoir de la science, le capital est indispensable. Je constate le fait, voyons si ce préjugé est fondé ou s'il ne l'est pas.

Les cultivateurs ne paraissent pas disposés à envoyer leurs enfants aux écoles d'agriculture.

Et pourquoi ? C'est que nos cultivateurs, doués de ce bon sens proverbial en Belgique, comprennent fort bien que lorsque leurs fils sauront un peu de géométrie, un peu de minéralgie, de géologie, de chimie, de physique, de zoologie, d'hygiène, de musique enfin, ils seront dégoûtés de l’état d'agriculteur ; ils savent que ce n'est pas dans les écobs supérieures (page 208) du gouvernement que leurs fils seront formés à devenir des agriculteurs pratiques.

Ils comprennent par expérience que cette instruction les rendra plus capables d'absorber leur capital que de le faire fructifier par leurs travaux.

Eh bien, je le déclare, je crois que le bon sens ne leur a pas fait défaut dans cette circonstance, comme en bien d'autres.

En effet, vos professeurs, des écoles supérieures s'entend, sont-ils capables d'enseigner autre chose que de la théorie ? Comment seraient-ils capables d'enseigner autre chose ? Ne sortent-ils pas eux mêmes pour la plupart des bancs de l'école ?

Savez-vous ce que vos écoles supérieures produiront ?

Ce ne sont pas de vigoureux cultivateurs, des hommes modestes capables de faire de l'agriculture perfectionnée, mais des messieurs en gants beurre frais, qui sauront en parler, et en écrire peut-être, et pour ces messieurs il faudra des places rétribuées par le budget alimenté par les contribuables.

Or, ce n'est pas là, à coup sûr, ce que l'agriculture belge demande a son gouvernement.

Savez-vous ce qu'elle lui demande ? Je vais vous le dire.

Elle demande que, si le régime qui lui est appliqué quant aux céréales et au bétail est bon, j'entends celui du libre échange, elle demande que le même régime soit appliqué à l'industrie manufacturière.

Elle demande que le gouvernement n'ait pas deux poids et deux mesures, elle réclame l'application d'un même système pour tous les intérêts.

Elle demande à être déchargée de toutes les surtaxes qu'elle acquitte pour favoriser le travail industriel.

Elle demande à être dégrevée des impôts qu'elle paye pour accorder des primes, des avances, des faveurs de toute espèce à l'industrie ; elle réclame tout cela, en vertu des principes que semble professer le gouvernement en fait de liberté commerciale.

Elle demande surtout à ne pas être frappée par de nouveaux impôts.

Et comme la dépense nouvelle des écoles d'agriculture est une de celles que M. le ministre des finances fera valoir, sans doute, pour motiver une aggravation décharges publiques, je n'admettrai pas le crédit demandé.

M. Van Renynghe. - Je demande à M. le ministre de l'intérieur, si, conformément aux vœux exprimés dans des rapports subséquents de la commission provinciale d'agriculture de la Flandre occidentale et dans un rapport récent d'une de nos sections centrales, le gouvernement a fait des démarches sérieuses près de celui de France, afin de l'engager à diminuer le droit exorbitant et pour ainsi dire prohibitif, qui pèse sur notre houblon à l'entrée du territoire français. Messieurs, chose inouïe, ce droit est actuellement plus élevé que le prix vénal de cette plante industrielle. Le prix moyen, combiné avec le prix, du houblon d'Alost et celui de Poperinghe, s'élève à peine à 66 francs par cent kilogrammes, et l'on doit payer pour une même quantité à l'entrée de la France un droit fabuleux de 72 fr. Ce droit n'est-il pas quelque chose de pire, qu'une prohibition ? Et cependant ce débouché est indispensable si l'on ne veut pas anéantir la culture de cette plante, surtout dans le district que je représente. En moyenne la culture et la récolte de cette plante coûtent au cultivateur 1,000 fr. par hectare et actuellement il ne peut en retirer, à peine, que 800 fr. Je vous demande, messieurs, si cela n'est pas ruineux pour le cultivateur qui a besoin de cette culture pour l'assolement de ses terres, et déplorable pour l'ouvrier agricole et sa famille qui trouvent de grandes ressources dans la culture et la récolte de cette plante ?

Il me semble, messieurs, qu'il serait assez facile pour le gouvernement d'obtenir une réduction de ce droit s'il voulait s'en occuper d'une manière sérieuse, car il serait fortement secondé par les industriels français, fabricants de bières et surtout par ceux du département du Nord qui ne peuvent se passer de notre houblon à cause de sa supériorité sur celui cultivé en France.

Messieurs, il est à remarquer que, malgré le droit inqualifiable qui pèse sur notre produit, la France importe librement dans notre pays, et moyennant un droit insignifiant d'un pour cent sur la valeur, le houblon cultivé sur son territoire. Et c'est surtout le vieux houblon de ce pays limitrophe qui fait au nôtre des années antérieures à la dernière récolte, une concurrence désastreuse. Que faisons-nous pour remédier à cet état anormal ? Non seulement nous ne faisons rien, mais nous donnons encore de nouvelles armes pour nous battre. L'année dernière, sur la proposition du gouvernement la chambre a accordé la libre sortie de nos perches de sapin, dont surtout le département du Nord a besoin pour cultiver celle plante industrielle.

Je déclare donc que, dans mon opinion, si le gouvernement ne prend pas des mesures promptes et efficaces, l'on verra décliner, pour ne pas dire disparaître, une des branches principales de notre agriculture au grand détriment du cultivateur et de l’ouvrier agricole.

M. David. - Messieurs, je m'étonne réellement et des reproches et de l'impatience des adversaires des adversaires des écoles d’agriculture ; elles existent depuis un an à peine, et déjà l'on voudrait qu'elles eussent improvisé des Thaër, des Boussingault, des Liebig, des M. $(manque un mot), des Moll, des Payen, des Schwartz. On va jusqu'à contester l'utilité de ces écoles d'agriculture ; mais c'est, au mépris de tous les principes, contester les heureux effets de la théorie appliquée à la pratique, laquelle, quoi qu'on dise, est réunie à la pratique dans beaucoup d'écoles d'agriculture, notamment dans celles d'Ostin, Verviers et Vilvorde.

Aux honorables adversaires de ces écoles, je demanderai combien ils connaissent d'agriculteurs sachant de quels éléments se composent nos diverses céréales et racines ; quel est l'engrais qu'il faut rendre à la terre pour obtenir une récolte nouvelle de même espèce ; en état de raisonner leurs assolements d'après ces données, d'analyser la composition du sol qu'ils ont à cultiver, de présider aux soins hygiéniques les plus simples à donner au bétail, de faire exécuter des écuries et des établis dans des conditions convenables de salubrité, de se rendre compte des qualités de l'eau propre aux irrigations, de déterminer la saison et le moment de la journée les plus favorables pour les irrigations ; d'apprécier l'opération du drainage si importante pour beaucoup de localités en Belgique, de comprendre l'influence de l'atmosphère sur la végétation et la nutrition des plantes par les feuilles et les racines, enfin de faire produire de 20 à 30 hectolitres de froment par hectare! On me répondra qu'il existe bien peu de cultivateurs qui connaissent l'art de la culture sous ces différents points de vue.

Cette science, les jeunes cultivateurs iront la chercher dans nos écoles d'agriculture, qui sont, sous ce rapport, de la plus haute importance.

Quand on voit la grande vogue des établissements agricoles de l'étranger, des établissements de M. Fellenberg en Suisse, de Hohenheim, Grignon, Grand-Jouan, Versailles, l'université de Giessen, etc., et l'immense influence qu'exercent ces établissements dans les diverses contrées de l'Allemagne et notamment dans le grand-duché de Bade où est situé l'établissement de Hohenheim, on comprend qu'on aurait bien tort de désespérer des établissements que le gouvernement vient de fonder en Belgique.

Pourquoi n'arriverions-nous pas, un jour, aux mêmes résultats ?

D'après ce que je viens d'avoir l'honneur d'exposer, je suis autorisé à me demander comment on peut articuler des reproches aussi peu fondés, et si ces reproches ne sont pas dictés par le désir d'un certain parti de ravaler le mérite de ses adversaires et de le représenter comme hoslile aux campagnes.

Pour moi, j'engage le gouvernement à persévérer dans la voie qu'il a suivie jusqu'à présent. Plus tard, probablement, l'expérience démontrera de quelles améliorations ces établissements peuvent être susceptibles.

Je répondrai maintenant à l'honorable M. Rodenbach (qui a dit qu'on venait de l'étranger étudier nos moyens de culture), que tant que nous produirons en moyenne 18 hectolitres de froment par hectare, personne ne sera tenté de venir étudier nos moyens de culture pour les imiter.

M. Rodenbach. - Il en est ainsi dans votre pays, où l'on est arriéré. Mais allez voir dans le pays de Waes !

M. David. - L'honorable M. de Liedekerke a parlé de l'école d'agriculture de Verviers, dont il a contesté l'utilité comme il a contesté celle des autres écoles de même nature. Je lui répondrai que la ville de Verviers l'envisage autrement, puisque cette ville, dont les finances ne sont pas assez prospères pour qu'elle puisse faire de grands sacrifices, contribue pour 1,000 fr. aux dépenses qui s'élèvent à 9,600 fr.

Ceci prouve que l'institution est appréciée à sa juste valeur à Verviers,

M. Osy. - J'ai peu de choses à dire sur la question des octrois que l'on a soulevée. Malheureusement nos villes sont obligées d'augmenter leurs revenus par leurs dépenses qui vont toujours croissant. Je désirerais avec l'honorable M. Coomans qu'il y eût moyen d'abolir les droits d'octroi sur les objets de première nécessité. Mais les besoins des grandes villes sont tels qu'il n'y a pas moyen de songer à abaisser les droits.

On a parlé d'un système qu'on avait mis en avant, il y a deux ou trois ans, consistant à supprimer l'octroi et à le remplacer par l'abandon que ferait l'Etat des contributions personnelle et des patentes. Mais il y aurait, dans ce système, une si grande différence pour la caisse du trésor que le ministre des finances y consentirait difficilement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Très difficilement!

M. Osy. - Ce serait un bouleversement complet. Je partage le désir de l'honorable membre, mais je n'entrevois pas la possibilité de le satisfaire.

Je viens à la question des écoles d'agriculture, à laquelle on aurait mieux fait de limiter le débat.

Je regrette vraiment les paroles de M. le ministre de l'intérieur, qui sont des insinuations comme nous en avons déjà entendu plusieurs fois. Quand nous ne sommes pas d'accord avec lui, il devrait au moins croire à nos bonnes intentions, et ne pas supposer que nous avons détourné les jeunes cultivateurs des écoles créées par le gouvernement.

Comme je l'ai dit dans la discussion générale, je trouve qu'on a créé trop d'écoles. On en a créé onze. J'ai vu dans le rapport qu'il y a deux provinces où il n'y en a pas (le Limbourg et Anvers), si l'on veut doter ces deux provinces d'établissements de même nature, voyez où l'on ira. La dépense est assez forte pour 255 élèves.

J'ai vu une circulaire de M. le ministre de l'intérieur où il engage les provinces à créer des bourses pour alimenter ces écoles. Cette demande dans plusieurs conseils provinciaux, notamment dans le Brabant, a excité une très grande répugnance. Je crois même qu'au premier vote on avait refusé ces bourses.

Effectivement qu'est-ce qui arrivera ? C'est qu'on donnera des bourses à des citadins, et ce n'est pas avec des citadins que vous formerez de bons fermiers et de bons jardiniers. Les fils de fermiers et de jardiniers, qui (page 209) resteront chez leur père comme fermiers et jardiniers apprendront beaucoup plus que dans vos écoles agricoles et horticoles.

Messieurs, je ne blâme pas le gouvernement d'avoir créé des écoles agricoles et horticoles ; ce dont je le blâme c'est d'en avoir créé trop ; et comme je l'ai dit, d'ici à peu d'années vous devez vous attendre à en voir augmenter le nombre, puisque deux provinces n'en ont pas et que peut-être elles en demanderont. Vous aurez donc encore de ce chef une augmentation de dépenses.

On dit qu'il y a dans ces écoles 255 jeunes gens ; je crains que parmi eux il y ait très peu de fils de fermier et de jardinier, qu'il ne s'y trouve surtout des citadins qui viendront plus tard, avec l'instruction qu'on leur a donnée, demander des places au gouvernement.

Je crois donc que le gouvernement doit s'arrêter, que nous allons trop loin, que nous surchargeons trop le budget de l'Etat, et aussi ceux des provinces et des communes, car, comme on nous l'a dit, le gouvernement a cru devoir demander à ces dernières des subsides pour des bourses agricoles.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je commencerai par répondre aux plaintes qu'excitent les insinuations dont plusieurs de mes honorables collègues auraient été l'objet.

Je n'ai dirigé d'insinuations malveillantes, je pense, contre aucun de mes collègues. Voici ce que j'ai dit et ce que je vais répéter.

Si les cultivateurs éprouvent certaine répugnance à envoyer leurs enfants dans les écoles d'agriculture, cela ne viendrait-il pas, disais-je, des préventions que l'on cherche à élever dans leur esprit contre ces écoles ?

Ne serait-il pas convenable que ceux qui sont en mesure d'exercer de l'influence sur l'esprit des cultivateurs, au lieu de les détourner d'envoyer leurs enfants dans les écoles, les engageassent à les y envoyer ? Il n'y a pas là d'insinuation ; c'est un conseil que je donnais à toutes les personnes influentes qui habitent la campagne.

Messieurs, je déclare ici que je n'entends faire le procès à aucun de mes collègues. Mais, à leur place, si je croyais que les écoles d'agriculture sont mauvaises, si je pensais que les jeunes gens n'y apprennent rien de bon, je ne repousserais pas l'accusation de donner de pareils conseils ; je n'hésiterais pas à détourner les parents d'envoyer leurs enfants vers des études inutiles ou nuisibles.

Du moment que vous êtes de bonne foi dans cette opinion, vous n'avez pas de reproche à vous faire, puisque vous suivez les impulsions de votre conscience.

Messieurs, en fait, il existe dans les campagnes certaines influences qui cherchent à détourner les parents des écoles agricoles. Voilà ce que je soutiens, et j'en ai la preuve en main.

Eh bien, j'engage ceux qui sont sans parti pris contre les écoles, qui sont sans haine contre l'instruction du peuple, je les engage à ne pas imiter une pareille conduite, s'ils ne considèrent pas les écoles d'agriculture comme des centres pestilentiels, s'ils croient qu'il peut être utile aux campagnards de puiser l'instruction publique ailleurs que dans nos athénées ou nos collèges, qu'ils leur donnent des conseils dans cette direction, qu'ils engagent les parents à envoyer leurs enfants aux écoles d'agriculture, qu'ils ne les engagent pas à envoyer leurs enfants dans les villes chercher une instruction qui, sans doute, leur sera toujours beaucoup moins utile que l'enseignement agricole, quel qu'il soit, dirai-je.

Messieurs, lorsqu'il s'est agi pour la première fois de créer des écoles d'agriculture, lorsque j'ai demandé des fonds au budget en faisant connaître leur destination, pas une seule observation, je pense, ne s'est élevée dans cette enceinte. J'ignore d'où provient tout à coup cette espèce de levée de boucliers, cette espèce de prise d'armes contre les écoles d'agriculture.

M. de Theux. - Que M. le ministre me permette une observation. Lorsque le premier crédit a été demandé à la chambre, je lui ai communiqué mes appréhensions sur l'emploi de ce crédit avant qu'une loi sur l'enseignement agricole n'eût été discutée. J'ai été tellement persuadé de l'utilité d'une loi que moi-même j'en ai pris l'initiative lorsque j'étais au pouvoir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est ce que j'allais dire. J'allais rappeler que l'honorable M. de Theux, et ceci n'est pas une insinuation, je pense, avait reconnu l'utilité des écoles agricoles, puisque dans le projet qu'il a soumis à la chambre, en 1846, il demandait l'autorisation de concourir à la formation de 9 écoles agricoles, c'est-à-dire d'une école par province.

Messieurs, on peut différer sur les moyens de procurer l'enseignement aux élèves qui suivent ces écoles. Des observations très justes ont été produites dans cette enceinte. On croit qu'il faut que l'enseignement agricole soit particulièrement pratique. C'est aussi mon opinion. On croit que cet enseignement doit être principalement destiné aux habitants de la campagne. C'est aussi mon opinion. On suppose, et je ne sais d'après quelles données, on devrait d'abord s'assurer des faits, que ces écoles ne sont fréquentées que par des citadins. Mais ces écoles sont surtout fréquentées par des fils de cultivateurs. Comment supposer que les citadins iraient s'établir dans des écoles fondées à la campagne ?

Remarquez que ces écoles ne sont pas fondées au centre de nos grandes villes. C'est au sein des campagnes, c'est à Leuze, à Chimay, à Vilvorde, dans le Luxembourg, à Ostin, à Thourout, qu'elles sont établies. Ce n'est donc pas dans ces écoles que nos citadins iront chercher l'instruction..

El après tout quand quelques-uns de nos jeunes gens qui trouvent à vivre souvent difficilement dans les villes, se tourneraient quelque peu vers l'enseignement agricole, je n'y verrais pas grand mal. Je pense qu'il serait très bon de détourner une partie des jeunes gens des villes vers les travaux de la campagne, afin qu'ils ne se consacrent pas tous aux mêmes professions où ils abondent, où ils se font concurrence à leur propre détriment, et parfois au détriment de l'ordre public.

Il n'est pas exact de dire que les bourses qui ont été fondées sont réservées aux habitants des grandes villes. Cela est complètement inexact. Si c'est une simple supposition, elle est toute gratuite, je ne dirai pas qu'elle est malveillante.

J'ai en effet, messieurs, engagé les conseils provinciaux qui sont particulièrement chargés de la gestion des intérêts agricoles, à voter dans leurs budgets une allocation spéciale pour les bourses agricoles.

Il n'est pas exact de dire que cette proposition ait excité des répugnances au sein des conseils provinciaux. Elle a réussi partout. Je sais que, dans le sein du conseil provincial du Brabant, il est arrivé qu'une proposition a été faite, et qu'une sortie a eu lieu contre les écoles agricoles ; le conseil provincial du Brabant, n'ayant pas de fonds disponibles pour 1851, avait ajourné la dépense pour cette année ; mais, le lendemain, le conseil presque tout entier s'est ravisé et a voté les bourses, comme gage d'adhésion à la politique nouvelle, en ce qui concerne l'enseignement agricole.

Ainsi, n'en déplaise à l'honorable M. Coomans, j'ai pour moi le conseil provincial du Brabant. Peut-être s'il s'était trouvé là, il aurait eu plus de succès que l'honorable auteur de la proposition, qui est resté à peu près tout seul de son avis.

L'honorable M. de Steenhault a fait observer que l'enseignement du flamand est négligé dans la plupart des écoles d'agriculture. Je pense, messieurs, que, dans certaines écoles, l'enseignement est donné en flamand.

Sans doute, il est utile que l'enseignement du français se propage, mais je me hâte d'ajouter qu'il est utile aussi que l'enseignement du flamand se propage ; et dans tous les établisssements où l'intervention du gouvernement est comptée pour quelque chose, l'enseignement du flamand sera encouragé comme étant de la plus grande utilité pour les populations wallonnes.

Ainsi, messieurs, s'il était vrai que tout l'enseignement fût donné en français, à tel point que les élèves ne pussent pas même le comprendre, des mesures seraient prises pour qu'un pareil état de choses vînt immédiatement à cesser.

Quant aux bourses allouées par les provinces, je ne pense pas que la chambre doive les critiquer, car les dépenses que fait en ce moment le gouvernement, il n'entend pas s'y enchaîner d'une manière irrévocable ; ce sont des premiers frais d'établissement, des subsides que le gouvernement accorde à certains particuliers ; à mesure que les écoles prospéreront, que les communes et les provinces feront des efforts de leur côté, les subsides du gouvernement pourront diminuer. Je pense que l'on ne peut qu'approuver le gouvernement de chercher à faire participer les provinces et les communes à une charge qui lui incombe aujourd'hui presque exclusivement.

S'il s'était agi, messieurs, de fonder réellement des écoles, ce n'est pas avec 100,000 fr. qu'on aurait pu faire face à une pareille dépense : il aurait fallu certainement un million ; mais, par une combinaison, que je puis appeler heureuse, le gouvernement a trouvé le moyen d'établir 11 à 12 écoles sans dépenser plus de 8,000 fr., en moyenne, pour chaque école.

Il y a eu quelques frais d'appropriation de bâtiments, mais il n'y a eu à acquérir ni les bâtiments ni les terrains sur lesquels de pareils éta blissements doivent être fondés. C'est donc, je le répète, par une combinaison heureuse que le gouvernement est parvenu à faire un si grand nombre d'établissements à aussi peu de frais.

Messieurs, j'aurais voulu aussi renfermer la discussion actuelle dans le cercle où elle s'était d'abord présentée ; j'aurais voulu que l'on ne s'occupât pour le moment que d'écoles. Je tiendrais beaucoup à ce que cet objet donnât lieu à une discussion approfondie, à ce que nos honorables adversaires ne lâchassent point facilement prise, car c'est encore là une de ces questions qui gagnent beaucoup à être discutées.

En traitant une foule de matières qui n'ont aucun rapport avec les écoles d'agriculture, on perd de vue le véritable objet de la discussion ; et je désirerais beaucoup que toutes les critiques exprimées en dehors de cette enceinte fussent reproduites ici, afin que nous puissions les rencontrer, les combattre et les réduire à néant.

Je n'ai pas pu empêcher un honorable représentant de Turnhout de faire une nouvelle incursion dans le domaine du free trade, et à cette occasion il est venu entretenir la chambre de l'octroi de la ville de Bruxelles et des théâtres flamands. Nous sommes un peu loin, messieurs, de la question des écoles d'agriculture.

Je pense que les observations de l'honorable représentant auraient été parfaitement à leur place au sein du conseil communal de Bruxelles, et s'il me permettait de lui donner un avis, je lui dirais que, animé, comme il l'est, d'une profonde aversion pour les octrois communaux, pensant que les octrois communaux sont un grand mal pour l’agriculture qui a ses plus chères affections, mais exerçant, comme lui, au sein de la capitale, une certaine influence sur un certain nombre d'électeurs (page 210) ou de lecteurs, je ferais en sorte d'obtenir les honneurs du fauteuil au conseil communal ; je saisirais la première occasion pour me recommander au choix des électeurs de la capitaleetl je viendrais, au sein du conseil communal, faire la guerre à l'octroi de la capitale. Ce serait parfaitement la place d'une pareille guerre. Quant à la chambre, à moins que par une loi elle ne décrète l'abolition des octrois, elle n'a pas à s'occuper de cette question. Elle a encore bien moins à s'occuper d'une question d'application d'octroi.

Maintenant, messieurs, deux mots seulement sur le discours de l'honorable représentant de Louvain.

il a bien reconnu, je pense, que le nombre des élèves était réellement de onze à l'époque du rapport ?

M. de Man d'Attenrode. - Soit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Depuis lors, ce nombre s'est augmenté. Il est aujourd'hui de 19. Je sais que cette école n'a pas le bonheur de plaire à tous les habitants du district où elle se trouve, mais on ne contestera pas cependant que Tirlemont, comme centre, comme positiontlopographique, ne présente les meilleures conditions. La ville de Tirlemont est située au milieu d'une contrée agricole ; c'est une ville plus agricole que manufacturière. Je pense, messieurs, que l'école de Tirlemont, si elle est secondée, si l'on veut bien la recommander, la juger avec impartialité, peut devenir extrêmement utile à tout le district de Louvain, en même temps qu'à l'agriculture.

Il me semble que la conclusion à tirer du discours de l'honorable député est celle-ci : avantages de l'ignorance pour les campagnes ; guerre déclarée aux sciences appliquées à l'art agricole! (Interruption.)

Ce sera, si vous voulez, une insinuation ; mais le fait est que la seule conséquence à tirer du discours de l'honorable membre est celle-ci : qu'il ne faut pas répandre l'instruction dans les campagnes ; que l'enseignement pratique, routinier, suffit aux cultivateurs ; qu'il est fort inutile de les envoyer dans les écoles d'agriculture ; qu'il faut continuer à laisser vivre les cultivateurs dans l'ignorance traditionnelle.

Autre conséquence à tirer du discours. Ce n'est pas ce genre d'encouragement qu'il faut à l'agricullure ; il ne faut pas chercher à augmenter la fertilité du sol par les applications de la science ; ce qu'il faut simplement à l'agricullure, ce sont les droils protecteurs ; hors de là, point de salut pour l'agricullure. Voilà une autre conséquence du discours de l'honorable député de Louvain.

M. de Man d'Attenrode. - J'ai demandé le contraire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Demandez-vous, oui ou non, pour l'agriculture des droits protecteurs ?

M. de Man d'Attenrode. - Non!

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'on retire ce qu'on a dit, il m'est impossible de le réfuter.

Tout à l'heure on nous a déclaré que tout ce que faisait la politique nouvelle pour l'agriculture, c'étaient de pures illusions ; que le grand salut pour l'agriculture résidait dans les droils protecteurs. (Interruption.) N'est-ce pas ce que vous avez dit et ce que vous répétez tous les jours ? Eh bien, ce système-là n'est pas le nôtre.

Dès le premier jour de notre arrivée au pouvoir, nous avons annoncé que nous voulions accorder à l'agriculture une protection efficace ; que nous professions des opinions libérales en matière de douanes, mais que nous n'entendions pas amener de bouleversement dans les établissements industriels par de brusques changements de tarif ; que nous défendrions un système qui aurait pour but de procurer aux populations des vivres abondants et à bon marché. Voilà ce que nous avons professé, voilà ce que nous avons pratiqué.

On reproche constamment au cabinet d'être en contradiction avec ses principes ? Ses principes sont très simples, il les a exposés, et il continue à les pratiquer.

Ces principes sont ceux-ci : pas d'aggravation du régime douanier ; système législatif et administratif qui assure, autant que possible, les denrées alimentaires à bon compte et abondantes aux populations. Si des modifications sont introduites dans le régime des douanes, ce doit être dans le sens de l'abaissement, mais abaissement successif et sagement gradué. Voilà tout le système du gouvernement. Il n'a rien dit au-delà.

Nous demandons si depuis trois ans et demi il n'est pas resté entièrement dans ces principes ; nous demandons si nous avons accordé une seule aggravation de tarif ; nous demandons si un seul des actes que nous avons posés a jeté la perturbation dans l'industrie.

Que nous soyons partisans de la plus grande liberté possible dans les relations des nations entre elles ou dans le sein même de ces nations, c'est ce que nous ne nions pas. Nous appelons de tous nos vœux l'époque où ces relations entre les nations pourraient devenir beaucoup plus libres et beaucoup plus fréquentes ; ce n'est pas nous qui y ferons obstacle, en renforçant notre système de douane ; au contraire, nous marcherons successivement, mais prudemment, vers des abaissements de tarif. Voilà, je le répète, tout notre système ; nous l'avons annoncé il y a trois ans et demi ; nous continuerons à le professer et à le pratiquer.

M. de Liedekerke. - Messieurs, je n'apporterai aucune suspectibililé particulière dans ce débat : car l'honorable député d'Anvers et notamment l'honorable M. Coomans, ont relevé les insinuations qui se prouvent dans les discours de M. le ministre de l'intérieur. Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, je ne crois pas avoir jamais attaqué aucune opinion, aucun discours par des insinuations d'aucun genre ; je me suis attaqué loyalement, ouvertement, quelquefois avec énergie et avec une énergie ardente, puisée dans mes convictions, aux principes opposés ; jamais je ne me suis permis d'insinuation à l’égard d'aucun collègue, fût-il assis ou non sur le banc ministériel.

Et comment procède M. le ministre de l'intérieur ? Quels sont les arguments puisés dans une mystérieuse allusion dont il fait sans cesse usage ? Oui, il n'est que trop vrai, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Coomans, que quand il s'est agi, l'année dernière, de la loi des céréales, on nous a dépeints comme des affameurs publics, voilà quelles étaient les expressions, les allusions qui sont parties du banc où siège l'honorable ministre de l'intérieur.

Dernièrement, quand il s'est agi de la charité, qu'a-t-on dit ? Que c'était une arme de guerre que nous employions contre le gouvernement.

Ainsi, chaque fois qu'animés d'une conviction sincère, réelle, profonde, nous combattrons pour nos principes, à quoi devons-nous nous attendre ? C'est que du banc ministériel, on viendra nous accuser d'attaquer le gouvernement d'une manière passionnée et injuste, et qu'au fond de nos àmes et de nos consciences nous n'avons pas dans nos principes la même foi que les honorables membres, assis sur d'autres bancs, ont dans les leurs.

Messieurs, nous défendons l'agriculture à notre point de vue, nous la défendons, comme dans d'autres pays, en invoquant les principes qui sont pratiqués chez de grandes et puissantes nations. Lorsque nous avons parlé de l'agriculture, nous avons réclamé pour elle le régime commun à toutes les autres industries, celui qui est accordé aux autres produits nationaux.

M. le ministre de l'intérieur vient de dire qu'il n'avait voulu amener des bouleversements dans aucune industrie, ni dans notre système douanier, soit ; mais si l'on ne veut pas apporter la perturbation dans les autres industries, pourquoi fallait-il réserver le bouleversement à la seule agriculture ? Voilà l'injustice dont nous nous plaignons, et jamais M. le ministre de l'intérieur ne pourra prouver qu'un régime aussi exceptionnel soit dicté par l'équité, dicté par la justice et par les vues sérieuses et profondes d’un véritable homme d'Etat.

Lorsqu'il s'est agi, en Angleterre, de la réforme radicale du système douanier, cette réforme a été étendue à toutes les industries ; ce ne fut pas une mesure particulière, ce fut une mesure générale.

Quant à l'objet qui est spécialement engagé dans ce débat, voici ce que je répète : Nous n'avons pas attaqué l’enseignement agricole. Nous ne sommes pas du tout opposés à ce qu'on répande les lumières dans les campagnes, à ce qu'on élève l'esprit de nos agriculteurs, à ce qu'on augmente leurs connaissances spéciales ; tout ce qui est science, lumière véritable, nous ne le repousserons jamais. Mais ce que nous avons critiqué, c'est le mode d'organisation des écoles d'agriculture ; nous avons soutenu que le but qu'on se proposait ne serait pas atteint ; qu'il y avait dans ces écoles des vices qui en fausseraient la destination. Voilà ce que nous avons dit : il fallait quelques écoles principales, centrales, quelques grandes écoles, tout à la fois théoriques et pratiques ; voilà les écoles qu'il fallait à la Belgique, pareilles aux institutions de ce genre qui sont établies en Allemagne et en Suisse.

Je bornerai là mes observations, d'autres honorables orateurs ayant déjà présenté une partie de celles que je voulais soumettre à la chambre.

M. Orts. - J'ai demandé la parole parce que je ne puis laisser passer la sortie, au moins très intempestive, de l'honorable M. Coomans, à l'adresse de la ville de Bruxelles, et à l'adresse de l'honorable collègue, que cette ville a le bonheur de posséder à la tête de son administration. L'honorable M. Coomans a présenté avec beaucoup de chaleur les défauts, les vices du système des octrois, matière qui concerne les conseils communaux avant tout. Je suis de son avis sur ce point, mais je m'étonne que l'honorable Coomans connaisse si parfaitement les vices et les imperfections des octrois alors que, comme habitant des faubourgs, il jouit de tous les avantages de l'octroi sans en payer les charges.

Je conteste toutefois à l'honorable M. Coomans que la cherté des denrées alimentaires soit une conséquence unique du droit d'octroi.

Maintenant, quand l'honorable M. Coomans voudra demander la suppression des droits d'octroi, je me joindrai très volontiers à lui ; mais à une condition, c'est que si je lui sers de pavillon dont il croit avoir besoin pour couvrir sa marchandise vis-à-vis des membres de cette chambre qui ne partagent pas ses opinions politiques, il fera une œuvre complète en supprimant tous les droils d'entrée sur le bétail, sur les céréales, sur tous les objets de consommation, aussi bien à l'entrée du pays qu'à l'entrée des villes.

Pour signer avec lui sa proposition, je lui demanderai en outre de vouloir bien faire ce qu'a fait l'honorable magistrat communal qu'il a critiqué, c'est-à-dire, en supprimant l'octroi, d'indiquer le moyen de le remplacer sans déranger l'équilibre financier des villes. L'honorable M. de Brouckere avait, en effet, à la tête du conseil qu'il préside, présenté un moyen devant lequel je ne recule pas, quoique d'autres membres aient pu le considérer comme impraticable, et que M. le ministre des finances se soit déclaré peu disposé à l'accepter. Si l'honorable M. Coomans veut présenter ce système, je l'appuierai. Enfin, et c'est la dernière condition de mon concours pour faire une œuvre complète, il (page 211) faudra, par un impôt nouveau, remplacer celui qui serait enlevé à l'Etat au profit des villes. J'en indiquerai un à l'honorable M. Coomans dans ce but, mais je l'en avertis à l'avance, je ne sais s'il sera de son goût. Lui et ses amis ne l'ont pas accueilli avec faveur dans une circonstance récente. A l'impôt qui pèse sur le pauvre je substituerai certes un impôt pesant sur le riche, du genre de celui qui vous a été présenté à la session dernière, et qui a trouvé peu de sympathie dans cette enceinte, surtout sur les bancs où siège l'honorable membre.

M. Coomans. - Je prends acte de l'offre que m'a faite l'honorable M. Orts de consentir à la suppression des octrois lorsque j'aurai consenti, moi, à la suppression des droits d'entrée sur toutes les denrées alimentaires. J'y consens dès à présent, mais entendons-nous bien.

L'honorable M.Orts veut du complet, je le veux aussi ; mais ce complet sera seulement atteint lorsque toutes les industries belges seront mises sur un même pied, lorsqu'à la suppression des droits sur les denrées alimentaires, on ajoutera la suppression des droits sur tous les autres produits industriels qui nous viennent de l'étranger.

Ce marché-là, je suis prêt à le conclure immédiatement. M. Orts le signera-t-il aussi ? J'en doute fort, car mon honorable collègue n'a soufflé mot de la protection industrielle et commerciale, et il représente une grande ville où beaucoup de fabriques et de manufactures sont intéressées au maintien de la protection douanière.

Quant à ce qu'a dit l'honorable M. Orts qu'habitant un faubourg, je n'étais pas soumis aux droits d'octroi et que j'avais mauvaise grâce à me plaindre , je ne comprends pas la portée de cet argument. Cela signifie-t-il qu'un représentant de la nation ne doit critiquer que les lois et les institutions qui lui nuisent personnellement ?

Il est vrai que la douane communale ne m'atteint pas. Mais cela prouve en faveur de mon désintéressement. Les droits d'octroi ne me frappent pas , mais ils frappent mes compatriotes. Je ne suis pas de ceux qui ne se plaignent d'une injustice que quand ils en sont victimes. L'observation que j'habite un faubourg est une réponse à l'invitation que m'adressait tout à l'heure M. Rogier de me porter candidat aux élections municipales de Bruxelles. Son intention, je pense, n'était pas de me faire violer la loi, ni d'établir un privilège pour moi en dehors de la législation communale. J'ai, comme il l'a dit, divers moyens de propager et de défendre mes opinions. La fonction de conseiller communal, fût-ce même à Bruxelles, n'ajouterait pas au peu de chances que j'ai de voir nos libre-échangistes consentir à la suppression des impôts municipaux.

Au reste, j'ai déjà assez d'occupations sans celle-là.

M. de Man d'Attenrode. - Il me reste peu de chose à ajouter aux paroles si vivement senties que vient de prononcer mon honorable ami M. de Liedekerke.

Mais je ne puis cependant laisser passer sans réplique et sans protestation le langage dont M. le ministre de l'intérieur a cru devoir user pour répondre au discours que j'ai prononcé aujourd'hui.

J'ai critiqué l'organisation des écoles d'agriculture, non pas, comme M. le ministre veut bien m'en attribuer l'intention, parce que je tiens à tenir nos cultivateurs dans l'ignorance, mais parce que je les crois plus scientifiques que pratiques, et que des écoles montées de cette manière ne sont bonnes qu'à déclasser nos cultivateurs, ne tendent qu'à leur faire quitter le travail agricole pour embrasser l'état de publiciste, de professeur. Or, le pays n'a rien à gagner à cette transformation.

Il est inutile de dire que plus que qui que ce soit, et personne ne se méprendra sur mes intentions, mon vœu le plus ardent, est que l'enseignement se propage dans nos campagnes, que les procédés de culture les plus perfectionnés se répandent partout.

Au reste, pour vous donner une idée de la bonne foi avec laquelle M. le ministre de l'intérieur m'a combattu, je vous ferai remarquer qu'il m'a reproché de vouloir, pour l'agriculture, de la protection résultant de l'ancienne loi de 1834 dont je n'ai pas dit un mot. Voici ce que j'ai demandé. J'ai demandé que le gouvernement appliquât à l'industrie le système qu'il a fait adopter pour l'agriculture ; je n'ai fait en cela que me rendre l'organe du système si éloquemment défendu, j'ajouterai même d'une manière si chaleureuse, par l'honorable M. Tesch quand il était là, à ce banc, derrière moi, avant d'être ministre.

Au reste, je demanderai à cette occasion si le cabinet est homogène sur cette question si importante ?

Il serait bon que le gouvernement fît connaître son système, car le cabinet, si l'on songe au passé, semble un composé d'éléments différents. Quand la loi sur les céréales a été discutée, au commencement de cette année, l'honorable ministre de la justice a réclamé un système uniforme de protection, pour les produits agricoles et pour les produits industriels, qu'on appliquât à l'industrie le système que le gouvernement trouvait fort avantageux pour l'agriculture.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le champ de la discussion s'élargit. Entend-on adresser au cabinet des interpellations sur son homogénéité ? S'il en est ainsi, nous sommes prêts à entamer la discussion. Le collègue qu'on vient d'interpeller n'est pas présent ; je ne doute pas qu'il s'empresse de répondre, sinon de manière à satisfaire l'honorable membre, du moins de manière à satisfaire la chambre.

- Un grand nombre de voix. - A demain ! A demain !

- La séance est levée à 4 heures ¾.