(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 133) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.
La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Les membres d'une société de rhétorique à Bruxelles prient la chambre de voter au budget de l'intérieur un secours annuel en faveur de la veuve du poète flamand Van Ryswyck. »
- Renvoi au rapporteur de la section centrale pour le budget de l'intérieur.
M. Coomans. - Cette pétition, qui fait suite à plusieurs autres pétitions qui ont été envoyées à la chambre dans le même but, est d'une nature urgente, et comme je suppose que le gouvernement est très disposé à faire droit à la demande de la veuve de ce littérateur flamand, je demande que cette pétition soit renvoyée directement, soit à M. le ministre, soit à la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur.
M. le président. - La section centrale s'en est occupée, M. le ministre de l'intérieur a fait un accueil favorable à la réclamation.
- La pétition est renvoyée à la section centrale.
M. le ministre de la justice transmet à la chambre :
1° Le titre et les tables du volume comprenant les années 1847 à 1849 du recueil des circulaires de son département ;
2° Le premier semestre de 1850 ;
3° Le second volume de la 2ème série du même recueil.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le président de la cour des comptes transmet à la chambre, conformément à l'article 116 de la Constitution, son cahier d'observations relatif au compte définitif de l'exercice 1846 et le compte provisoire de l'exercice 1847 et 1848. »
- Distribution à tous les membres de l'assemblée.
M. Veydt., au nom de la section centrale, dépose sur le bureau de la chambre le rapport sur le budget de l'intérieur pour l'exercice 1831.
- Ce rapport sera imprimé et distribué, et la discussion mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Allard. - Messieurs, il y a deux ans, la députation permanente du conseil provincial du Hainaut a adressé à la chambre un mémoire relativement au traitement des secrétaires des commissions administratives des prisons. La chambre a renvoyé ce mémoire à la section centrale du budget de la justice, et cette section n'en a aucunement parlé dans son rapport.
L'année dernière, la députation s'est adressée à la chambre pour avoir une solution. J'ai eu l'honneur de fuie un rapport sur cette pétition le 10 décembre, et la chambre a ordonné le renvoi du mémoire au ministre de la justice avec demande d'explications. M. le ministre de la justice a envoyé ces explications à la chambre, et il persiste à soutenir que le traitement des secrétaires de ces commissions administratives est à la charge des provinces, en vertu de l'article 69, paragraphe 3, de la loi provinciale.
Messieurs, c’est en 1810 que les premières commissions administratives des prisons ont été instituées. Alors il n’y avait aucuns frais pour ces commissions. L’instruction provisoire, pour les collèges d’administration des prisons, du 26 février 1814, porté à l’article 6, qu’un des cinq membres du collège remplirait les fonctions de secrétaire.
Par l'article 7 il est alloué 100 florins des Pavs-Bas à chaque collège.
Lors de la présentation de la loi provinciale, le gouvernement avait mis à la charge de l'Etat les frais de ces commissions ; mais la section centrale qui a été chargée du rapport a inisté pour que ces frais restassent à la charge des provinces.
L'article 69, paragraphe 3, met au nombre des sommes que le conseil est tenu de porter au budget les frais des commissions administratives des prisons, autres que les grandes prisons de l’État. Il semblerait que ces frais, qui sont dans l’intérêt de tous, devraient être supportées par l’État. Mais il n’en est pas ainsi.
En 1843 un arrêté royal a statué qu’à l’avenir les secrétaires des commissions aministratives des prisons ne pourraient plus faire partie de ces commissions, et que dorénavant ils seraient nommés par le Roi.
Mais lorsqu’on a voulu avoir à Tournay un secrétaire, il a été impossible de trouver des candidats pour un emploi auquel n’était attaché qu’un faible traitement de 100 florins et dont la besogne était quadruplée par suite de l’introduction du système de régie.
Le gouverneur a soumis plus tard à la nomination du Roi une liste de présentation, et la commission administrative de la prison de Tournay a demandé que le traitement du secrétaire fut porté à 600 francs.
La députation permanente, reconnaissant cette réclamation fondée, a proposé au conseil provincial de porter au budget de 1844 une somme de 600 fr. pour le secrétaire de la commission administrative de la prison de Tournay ; le conseil a rejeté cette demande ; et depuis 1843 cet emploi ne reçoit rien. Je demande que M. le Ministre prenne des mesures pour que ces employés reçoivent la juste rémunération de leurs travaux.
M. de Perceval. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale, qui a été chargée d'examiner le budget de la justice, a dit avec raison que ce budget tend tous les jours de plus en plus à devenir un budget normal, en ce sens que les économies qui y ont été successivement introduites depuis deux ans, doivent finir par lui donner une sorte d'immuabilité pour l'avenir, si je puis me servir de cette expression.
Mais si la dépense matérielle et la question des chiffres ont ce caractère, il n'en est pas de même des hautes et graves questions que le département de la justice, sous le point de vue de l'ordre social et de la morale, peut et doit soulever.
Dans la séance du 13 novembre dernier, j'ai eu l'honneur de soumettre à l'honorable ministre de la justice deux questions auxquelles je me permettrai de lui demander une réponse.
J'ai prié l'honorable ministre de vouloir bien nous dire si, dans le courant de la présente session, il présenterait une loi pour régler l'administration de la charité publique. J'insiste sur cette question parce que, si le gouvernement prend l'engagement de déposer un projet de loi sur cette matière, probablement mon honorable collègue, M. Dumortier, jugera convenable de retirer la proposition qu'il vous a soumise sur ce sujet, il y a quelques jours, et dont les sections ont déjà autorisé la lecture.
Ensuite, j'ai demandé à l'honorable chef du département de la justice, s'il présenterait une loi modificative de celle qui règle aujourd'hui l'emprisonnement préventif.
Messieurs, j’ai eu l’honneur de vous dire tantôt que l’examen du budget de la justice peut, j’ajouterai presque, doit soulerver des questions d’une gravité incontestable et d’un caractère élevé, car elles ne peuvent que toucher aux bases mêmes de l’ordre social. Je place, au premier rang de ces questions, la détention préventive.
Et, messieurs, ne perdons pas de vue'que l'article 139 de la Constitution nous impose un devoir auquel nous ne saurions nous soustraire, car cet article ordonne la révision des codes, dans le plus court délai possible.
Voilà, messieurs, à peu près vingt ans que nous attendons cette révision ; voilà à peu près vingt ans que ce vœu est inscrit dans notre Constitution. Emis en 1831, il ne se trouve pas encore réalisé en 1851. En, outre, les articles 7 et 10 de notre pacte fondamental garantissent la liberté du citoyen belge et l'inviolabilité de son domicile.
« La liberté individuelle est garantie », dit cet article.« Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forma qu'elle prescrit. Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu'en vertu de l'ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l'arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures. »
Messieurs, je le demande à chacun d'entre vous, vous est-il possible de concilier cet article avec ceux de la législation actuelle sur l'emprisonnement préventif ? Dites-moi si la liberté individuelle existe en Belgique, quand nous devons y vivre sous l'empire de ces lois arbitraires qui permettent l'arrestation sur un simple soupçon, sur des indices que le juge ne trouve pas suffisants plus tard, mais quand déjà vous avez subi une longue arrestation imméritée !...
Voilà cependant le pouvoir discrétionnaire, sans contrôle et sans responsabilité, que vous livrez à des hommes qui ont quelquefois leurs moments de faiblesse, voire même d'oubli des devoirs sacrés qui leur incombent.
Oui, je suis en droit de m'exprimer de la sorte, lorsque je considère que pendant les années 1846 et 1847, sur 700 prévenus arrêtés (en matière correctionnelle), la détention préventive a duré plus d'un mois à Louvain pour 25 ; à Gand, 24 ; à Termonde, 23 ; à Arlon, 20 ; à Namur, 38 ; à Marche, 44, etc.
Et quand j'analyse les principes proféssés par certains magistrats d'un ordre élevé, lorsque je songe aux systèmes étranges qu’ils adoptent, aux idées arbitraires qu’ils nourrissent en théorie et qu’ils ont le triste courage de mettre en pratique, je me demande si je suis dans un pays libre, si je vis sous l’empire d’une constitution qui a proclamé le principe de ‘inviolabilité du domicile et la liberté individuelle !
A l’occasion d’un procès récent, j’ai parcouru avec autant de tristesse et d’indignation, une correspondance échangée entre un procureur général et le chef du parquer d’une ville secondaire.
J’y trouve énoncés, je le dis sans détour, les principes les plus monstrueux.
Je ne veux point lire in extenso ces deux dépêches, dont touss les détails, du reste, ne se rapportent pas aux principes que je discute en ce moment devant la chambre, à l’occasion du budget de la justice. Au surplus, (page 134) cette lecture n'est pas indispensable, je pense, car bien évidemment vous devez aussi connaître ces dépêches. Je me contenterai d'en extraire une phrase, et je la livre à vos méditations.
C'est le procureur général de Bavay qui écrit au procureur du roi à Louvain.
« Bruxelles, le 9 juillet 1850.
« M. le procureur du roi,
« ... je vous prie en conséquence :
« 1°...
« 2° De requérir un mandat de dépôt et son exécution immédiate contre ceux des prévenus qui nieraient leur participation auxdites violences dans les termes où cette participation se trouve, etc.
« Le procureur général, De Bavay. »
Ainsi, d'après ces belles instructions, il suffit de nier la participation à un délit pour que vous vous, trouviez immédiatement sous les verrous. Vous n'avez rien fait ; peu importe ! Vous êtes jeté en prison parce que vous insistez sur votre innocence. Mais si vous avouez votre culpabilité, oh, alors ! c'est bien différent, et vous jouirez à l'instant de la liberté !
Oui, messieurs, je le proclame avec la plus grande franchise, les lettres dont j'ai l'honneur de vous entretenir en ce moment m'ont effrayé sous le point de vue constitutionnel, et profondément blessé sous le point de vue social ; en effet, n'y trouve-t-on point :
1° Emprisonnement du prévenu qui n'avoue pas ;
2°Si le prévenu avoue, alors absence de détention préventive ;
3° Emprisonnement de citoyens au choix d'un procureur général ;
4° Destitution préalable d'employés innocents ;
5° Menace d'appel en cas d'acquittement, ou plutôt en cas de peine insuffisante pour le procureur général.
Je ne veux pas qualifier cette correspondance. Mais je crois qu'il n'est pas inutile que, dans le parlement belge, quelques voix s'élèvent pour protester avec énergie contre les principes fort médiocres qui y sont professés.
Heureusement, messieurs, nous avons des juges en Belgique qui répondent par des acquittements à de semblables demandes de condamnations.
Je ne sais si le gouvernement est armé de certaines mesures disciplinaires, pour en frapper les magistrats amovibles qui s'écartent d'une manière aussi grave de leurs devoirs ; mais je le prie en tout cas de vouloir bien dire, s'il n'a aucune observation à nous soumettre au sujet de cette correspondance que je crois devoir signaler à l'attention sérieuse de la représentation nationale et spécialement à l'honorable ministre de la justice.
M. Lelièvre. - La discussion des divers budgets fournit aux opinions parlementaires l'occasion de signaler les mesures dont le besoin est réclamé dans l'intérêt général. Elle appelle la représentation nationale à proposer les considérations qui peuvent éclairer le ministère sur les dispositions propres à atteindre le but que nous nous proposons tous, le bien-être du pays et sa prospérité morale et matérielle. C'est dans ces vues que, à l'occasion du budget de la justice, je soumettrai à la chambre quelques réflexions sur lesquelles j'appelle en même temps l'attenlion de M. le ministre de la juslice.
Depuis deux ans, la législature a sanctionné plusieurs dispositions importantes dont la nécessité s'était vivement fait sentir.
C'est ainsi que la rigueur de notre législation criminelle a été tempérée par les lois de mai 1849 qui ont produit les meilleurs résultats. La répression des faits, que les chambres du conseil et d'accusation ont été autorisées à renvoyer à la juridiction correctionnelle, loin d'être affaiblie, est devenue plus efficace, tandis qu'il y a une réduction notable des frais de justice. L'expérience a démontré les avantages des mesures que nous avons adoptées. C'est un encouragement pour continuer de marcher dans la voie du progrès dans laquelle nous sommes entrés.
Aujourd'hui, à l'exemple de l'honorable M. de Perceval, j'appellerai l'attention du gouvernement sur un point important. Pendant la session derrière, le gouvernement a promis formellement de présenter immédiatement un projet de loi destiné à prévenir les abus de la détention préventive.
J'espère que M. le minisire de la justice remplira cet engagement dont l'exécution doit enfin faire cesser les inconvénients, qui se révèlent tous les jours, du système actuel et sauvegarder la liberté individuelle contre un arbitraire de nature à compromettre les plus précieux intérêts des citoyens.
La révision du Code d'instruction criminelle, qui nous a été aussi annoncée, provoque un examen consciencieux de la loi de 1838 sur le jury. A mon avis, cette disposition législative a besoin de plusieurs modifications.
On a circonscrit dans des limites trop étroites les catégories des citoyens appelés à exercer les fonctions importantes de jurés. Il est possible d'élargir sur ce point les bases légales, sans porter atteinte aux intérêts de la société.
Il y a plus, dans l'état actuel des choses, la liste formée est d'abord réduite de moitié par le tribunal de première instance. Transmise au premier président de la cour d'appel, elle subit une nouvelle réduction, de sorte qu'en définitive le jury pour la session n'est tiré au sort que sur les trois quarts des noms figurant sur la liste primitive.
Cette législation enlève aux accusés et à la société même la protection qui leur est due. Le nombre des jurés est trop restreint ; et de cet ordre de choses il résulte non seulement une aggravation de charges peu équitable pour certains individus appelés à remplir les fonctions dont il s'agit, mais aussi une diminution des garanties sur lesquelles un accusé a droit de compter.
Ce n'est pas tout ; le mode de procéder, quant au vote imposé au jury, est très dangereux. Lorsqu'on considère que le vote est secret et n'est émis qu'en effaçant un oui ou un non, lorsqu'on songe que sur des circonstances favorables à l'accusé, par exemple, sur un fait d'excuse, il est facile à un juré de se tromper sur la portée d'un oui ou d'un non, il est impossible de se défendre de justes appréhensions, en réfléchissant que le sort d'un accusé peut quelquefois dépendre d'une radiation faite inconsidérément d'un mot au lieu d'un autre.
Le sort des citoyens ne saurait être abandonné à l'incertitude de semblables épreuves ; des formes qui peuvent si facilement entraîner des erreurs déplorables ne sauraient répondre aux intérêts de la justice. J'engage M. le ministre à appeler l'attention de la commission nommée pour préparer le projet de révision sur un objet se rattachant aux principes éternels qui doivent présider à l'administration de la justice, et par conséquent aux bases mêmes de l'ordre social.
Enfin, je m'associerai de grand cœur au vœu émis récemment par mon honorable ami, M. de Perceval, de voir immédiatement le ministère proclamer une amnistie complète et sans réserve en faveur des condamnés politiques. Il n'existe plus aucune cause de sûreté publique qui justifie la détention des condamnés de Huy.
Ceux-ci ont expié durement une entreprise téméraire qui du reste n'a jamais menacé sérieusement le régime établi. Cette mesure, que l'opinion publique réclame, est un acte d'humanité et de justice. Elle est aussi de bonne politique, car, que le pouvoir ne le perde pas de vue, on rallie les hommes par des bienfaits et non par des duretés inutiles.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable M. Allard, m'a interpellé d'abord au sujet d'une pétition adressée par le conseil provincial du Hainaut relativement aux secrétaires des commissions administratives des prisons. Le conseil provincial du Hainaut prétend que les secrétaires des commissions administratives des prisons doivent être payés non par les provinces mais par l'Etat. Je crois, messieurs, que cette prétention est basée sur une erreur. L'article 69 de la loi provinciale porte : « Le conseil est tenu de porter annuellement au budget des dépenses toutes celles que la loi met à la charge de la province et spécialement les suivantes :
« 1° …
« 2° …
« 3° L'achat et l'entretien de leur mobilier, les frais des commissions administratives des prisons autres que les grandes prisons de l'Etat. »
Ainsi, d'après l'article 69, paragraphe 3, les frais des commissions administratives des prisons sont à la charge de la province. Ces termes, messieurs, sont clairs, sont explicites ; ils sont généraux, et je ne sais réellement par quelle distinction on parviendrait à exonérer les provinces du traitement des secrétaires des commissions administratives des prisons.
Le conseil provincial du Hainaut se fonde sur ce que les fonctions de secrétaire des commissions administratives des prisons seraient d'une date postérieure à la promulgation de la loi provinciale.
Voici, à peu près, le raisonnement du conseil provincial du Hainaut ; En 1836, il n'y avait pas de secrétaires des commissions administratives des prisons. Ces fonctionnaires ont été créés depuis 1836 ; par conséquent, en 1836, on n'a pas pu vouloir faire supporter par les provinces le traitement d'un fonctionnaire qui n'existait pas encore.
Messieurs, c'est, de la part du conseil provincial du Hainaut, une très grave erreur. Avant 1836, il y avait des secrétaires des commissions administratives des prisons, et ces secrétaires étaient, avant 1836, payés par les provinces ; et, retournant l'argument du conseil provincial du Hainaut, je lui dirai : Si l'on n'avait pas voulu, en 1836, faire supporter le traitement des secrétaires des commissions administratives des prisons par les provinces, alors que ces traitements étaient supportés en ce moment par elles, on eût fait une exception formelle dans la loi.
La seule différence entre le régime existant avant 1836 et le régime existant actuellement, c'est celle-ci : avant 1836, c'était un membre de la commission administrative des prisons qui faisait en même temps l'office de secrétaire, mais qui était payé par la province. Or, de ce que le gouvernement en 1843 a déclaré qu'il y aurait à l'avenir incompatibilité entre les fonctions de membre de la commission administrative des prisons et celles de secrétaires, il ne s'ensuit pas qu'on ait fait retomber sur l'Etat une charge qui auparavant incombait à la province.
Un arrêté du 4 juillet 1825 établit clairement les deux points que je viens de soutenir : qu'avant 1836, il y avait des secrétaires des commissions des prisons et qu'ils étaient payés par les provinces. La loi provinciale, bien loin de modifier cet état de choses, l'a formellement maintenu.
Maintenant, messieurs, il y a une difficulté. L'Etat persiste à croire que les provinces doivent payer ; la province de Hainaut refuse de se soumettre à ces obligations, et n'alloue pas de fonds au budget pour opérer ce payement.
Le gouvernement aura à voir, si toutefois la province du Hainaut persiste dans son opposition, s'il présentera une loi ou si, par d'autres (page 135) moyens, il parviendra à forcer la province à payer les différents employés qui font l'office des secrétaires de commissions administratives des prisons.
J'ajouterai que le Hainaut est la seule des neuf provinces de la Belgique qui veuille se soustraire à ces obligations.
L'honorable M. de Perceval et l'honorable M. Lelièvre m'ont interpellé sur la question de savoir si, dans le courant de cette session, le gouvernement déposerait un projet de loi sur la détention préventive.
Messieurs, l'année dernière, l'honorable M. Lelièvrc avait à ce sujet, pris l'initiative, il avait déposé un projet de loi qui a été renvoyé aux sections, et les sections, je pense, à l'unanimité, ont proposé l'ajournement ou le renvoi de ce projet au ministre de la justice pour qu'il le transmette à la commission qui s'occupe en ce moment de la révision du Code d'instruction criminelle. Je pense même que c'est l'honorable M. de Perceval qui a fait le rapport.
Ce Code sera révisé de la même manière que le Code pénal, c'est-à-dire qu'il sera présenté à la chambre titre par titre.
Le titre premier du Code d'instruction est précisément celui qui s'occupe de la détention préventive et, dans le courant de cette session, ce titre sera soumis à l'examen de la chambre.
L'honorable M. de Perceval, à propos de la détention préventive, a parlé d'une correspondance échangée entre un procureur général et un procureur du roi.
Si cette correspondance avait un caractère officiel, s'il s'agissait d'actes officiels, j'aurais à m'en expliquer ici ; mais la chambre comprendra parfaitement que lorsqu'il s'agit de rapports tout à fait confidentiels entre un procureur général et un procureur du roi, et qui ne sont arrivés à la connaissance du public que par une indiscrétion des plus blâmables, je ne puis pas en faire ici l'objet d'une discussion.
L'honorable M. Lelièvre a parlé de la loi du jury votée en 1838. Ce n'est pas à propos de mon budget que je puis venir discuter les principes de cette loi. Quand le Code d'instruction criminelle sera soumis aux délibérations de la chambre, nous discuterons tous les principes, nous examinerons quelles sont les meilleures dispositions à y introduire. L'assemblée comprendra que je ne puis, à propos de mon budget, établir une controverse sur toutes les branches de notre législation.
Quant à l'amnistie, le Roi a posé dernièrement un acte de clémence ; le gouvernement a étendu cette mesure aussi loin qu'il a cru pouvoir le faire.
Le gouvernement ouvrira avec plaisir les portes de la prison à tous les détenus, du moment où il croira que les circonstances lui permettront de le faire sans danger et sans énerver la répression en matière politique. Sous ce rapport, il faut s'en rapporter à l'initiative du gouvernement.
Quant aux questions de charité et de bienfaisance publiques, je m'en expliquerai dans le cours de la discussion.
M. de Perceval. - Messieurs, ainsi que vous l'a rappelé l’honorable ministre de la justice, j'ai été chargé par la section centrale de faire un rapport sur la proposition de loi qui a été soumise à la chambre par mon honorable collègue et ami, M. Lelièvre, et qui tendait à régler la détention préventive.
Mais ce que M. le ministre de la justice a oublié de vous dire, c'est à quelles conditions les conclusions que j'avais présentées dans mon rapport ont été adoptées par la chambre. Permettez-moi, messieurs, de vous donner lecture de cette partie du rapport.
Toutes les sections avaient admis le principe de la révision des lois qui règlent de nos jours l'emprisonnement préventif.
« Une seule (la cinquième), rendant hommage à la pensée qui a présidé à la rédaction de la proposition de loi, émet le vœu qu'il soit promptement procédé à la révision du Code d'instruction criminelle, et spécialement en ce qui concerne les points sur lesquels le projet soumis à sa délibération s'est expliqué. Par ces motifs, elle ne croit pas devoir s'occuper des détails de la proposition de loi. »
La cinquième section avait fait ces remarques ; elles furent reproduites dans le sein de la section centrale.
Voici maintenant un résumé des délibérations et de la décision de la section centrale ; je l'extrais également du rapport :
« Avant d'aborder la discussion générale de la proposition de l'honorable M. Lelièvre, votre section centrale a pris communication d'une dépêche de M. le ministre de la justice, par laquelle il fait connaître aux membres qui la composent, qu'il a l'intention de nommer une commission spéciale chargée d'examiner le Code d'instruction criminelle ; qu'à cette commission le projet de loi de M. Lelièvre pourrait être renvoyé.
« Après un débat sur l'opportunité de la demande faite par le gouvernement, un membre propose d'adopter le renvoi à M. le ministre de la justice des nouvelles dispositions présentées par notre honorable collègue pour régler la détention préventive et la liberté provisoire sous caution, afin qu'elles soient examinées par la commission spéciale, mais sous la condition expresse qu'à l'ouverture de la prochaine session législative, les chambres soient saisies d'un projet de loi apportant à la législation actuelle, sur cette matière, les modifications que réclament nos mœurs et les institutions qui nous régissent. »
Messieurs, je n'insiste pas davantage sur le travail de la section centrale. Je ne veux pas vous rappeler les débats qui ont eu lieu à l'occasion des conclusions de ce rapport, j'abuserais peut-être des moments de la chambre. Il me suffit que M. le ministre de lajustice a bien voulu nous promettre que dans le cour de cette session, nous serions saisis de la révision du titre premier du code d'instruction criminelle, et que, par conséquent, nous serions en mesure de faire disparaître les odieux abus qui résultaient de nos jours, de l'application, souvent peu intelligente, des lois en vigueur sur la détention préventive.
M. Rousselle. - Je prends la parole pour prier M. le ministre de la justice de vouloir bien vérifier tout particulièrement les faits qui concernent la nomination des secrétaires des commissions des prisons et leur traitement.
J'ai cru m'apercevoir que l'honorable ministre n'était pas suffisamment édifié sur les faits. Je lui ai entendu dire que le conseil provincial du Hainaut réclamait pour se dispenser de payer les traitements des secrétaires, et qu'à cet effet, il invoquait l'argument que ces secrétaires n'existaient pas en 1836.
Si le conseil provincial du Hainaut aurait fait une telle allégation, elle eût été dans l'erreur la plus complète. Mais je ne pense pas que ce soit là le point de difficulté entre le conseil du Hainaut et le ministère de la justice.
Lorsque je faisais partie du conseil provincial du Hainaut, il a toujours soutenu que la province ne devait allouer aux secrétaires des prisons que les traitements qui résultaient des arrêtés portés pendant l'existence du royaume des Pays-Bas ; mais depuis, le régime des prisons a entièrement changé. Le gouvernement tire profit des cantines des prisons et il en tire un revenu très considérable. Auparavant les cantines étaient au profit des directeurs des prisons, et ces directeurs des prisons faisaient par conséquent remplir la besogne résultant de cette manutention. Depuis lors, ce sont les secrétaires des prisons qui se sont chargés de la besogne, et comme leur travail a été augmenté, ils demandent une augmentation de leur traitement. Cette augmentation est très juste. Je répète que le gouvernement tire profit de l'augmentation de besogne, et le conseil du Hainaut soutenait avec raison, selon moi, que le gouvernement devait prendre à sa charge la différence des traitements à raison de la différence de la besogne et du profit qu'il en tire.
Tous les faits ne sont plus assez présents aujourd'hui à M. le ministre ; mais je le prie de vouloir s'en faire rendre compte, et je suis certain que lorsqu'il l'aura fait, il rendra justice à la province de Hainaut comme à toutes les autres provinces qui sont dans le même cas.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, les faits me sont très présents à la mémoire ; ils me sont d'autant plus présents qu'il n'y a pas longtemps que j'ai eu l'occasion de faire porter au budget de la justice la somme nécessaire pour payer les secrétaires des commissions administratives des prisons.
Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire, on soutient qu'en 1836 il n'y avait pas de traitement alloué aux secrétaires des prisons. Maintenant l'on prétend que le régime des prisons a changé. Cela n'est vrai qu'en partie ; car pour le Hainaut le régime des prisons n'a pas changé.
Les cantines sont une chose de très peu d'importance.
M. Rousselle. - Il y a 20,000 francs au budget.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'adjudication des cantines ne peut pas rapporter cela. Mais encore une fois, il s'agit de savoir si les provinces doivent ou non payer les secrétaires des commissions des prisons et se charger de ce payement en vertu de la loi provinciale et non pas en raison du système que le gouvernement peut introduire dans l'une ou l'autre prison.
Ainsi, comme je l'ai dit, il ne peut être sérieusement contesté que cette charge incombe à la province ; comme je l'ai dit tantôt, cette question a été examinée de très près par trois ministres, par M. d'Anethan, par M. de Haussy ; elle a été examinée de plus près par moi, et tous trois ont décidé, ont cru qu'il ne pouvait y avoir aucune espèce de doute sur la question de savoir à qui incombaient les frais des commissions administratives des prisons. Je répète que les huit autres provinces se sont soumises au nouveau régime introduit par le gouvernement et au payement de ses frais.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service.
« Charges ordinaires : fr. 172,150.
« Charges extraordinaires : fr. 12,400. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 23,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais d'impression de recueils statistiques : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 6. Cour de cassation, personnel.
« Charges ordinaires : fr. 215,000.
« Charges extraordinaires : fr. 5,500. »
- Adopté.
(page 136) « Art. 7. Matériel : fr. 5,250. »
- Adopté.
« Art. 8. Cours d'appel, personnel.
« Charges ordinaires : fr. 496,000.
« Charges extraordinaires : fr. 80,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Matériel : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 10. Tribunaux de première instance et de commerce.
« Charges ordinaires : fr. 1,009,395.
« Charges extraordinaires : fr. 43,350. »
M. Julliot. - Messieurs, dans le courant de l'année tous les huissiers près des tribunaux secondaires se sont adressés à nous pour exposer la situation fâcheuse que leur a faite la loi du 1er mai 1849 qui modifié l'organisation judiciaire. Eh bien, messieurs, leurs griefs ne sont malheureusement que trop réels, car leurs intérêts sont si gravement compromis qu'ils n'ont pas le temps d'attendre, et il ne sera pas vrai, qu'à côté des nouveaux emplois qu'on crée chaque année, et des nouveaux élus qu'on y appelle pour les remplir, on portera l'atteinte la plus grave à des modestes officiers ministériels qui ne sont ni procureurs ni avocats généraux, mais qui avaient des positions loyalement et péniblement acquises, et que la loi nouvelle, sans intention sans doute, est venue briser. Oui, messieurs, croyez-le bien, les pétitionnaires n'exagèrent pas leur détresse coemme paraît le supposer l'honorable rapporteur du budget, qui peut-être se trouve un peu trop avant sous l'impression de ce qu'il voit dans la capitale.
Car je déclare haut et ferme, sans avoir la moindre crainte d'être confondu, que cette loi a arraché aux huissiers pris des tribunaux des petites localités, la moitié de leur travail et la moitié de leur pain.
C'est ainsi, messieurs, que les huissiers près des tribunaux d'Arlon, Neufchâteau, Hasselt, Verviers, Audenarde, Turnhout, Tongres et beaucoup d'autres localités, qui recevaient en émoluments 1,800 à 2,400 fr. en font encore 700, 800, 900, 1,000 ou 1,200 tout au plus aujourd'hui.
Et alors que je considère que, pour être et rester huissier près d'un tribunal, il faut une probité à toute épreuve, de la conduite et l'habit noir, tenue de magistrat, je dis que, dans les petites localités, ces services ont toujours été mal reconnus et qu'aujourd'hui un huissier qui, au bout de vingt ans de travail, a vu augmenter les besoins de sa famille en même temps qu'il a vu diminuer ses ressources par la diminution des affaires et qui les a vu finalement anéantir par la loi dont je m'occupe, doit faire bon marché de sa dignité comme de la mission importante qui lui est confiée si on ne se hâte de porter remède au mal qu'on a fait, si on ne veut s'exposer à introduire l'immoralité dans l'antichambre de l'édifice que est le boulevard de la société.
Messieurs, l'année dernière, j'avais pour associé à la défense de ces intérêts, un honorable collègue qui ne siège plus à son ancienne place ; mais si je ne vois plus l'honorable M. Tesch sur son ancien banc, je le retrouve avec bonheur au banc des ministres, où il peut faire plus du bien ; aussi sa présence seule à la tête du département de la justice me rassure, elle me dit que les intérêts légitimes seront reconnus, et que les sinécuristes seront éconduits. Il fera, dans cette circonstance, ce que déjà il a fait dans d'autres : il sera juste. D'ailleurs, l'honorable ministre n'est pas assez longtemps au pouvoir pour que ce banc de douleurs, quelque vives qu'elles soient, puisse avoir émoussé sa sensibilité.
Je prie donc l'honorable ministre de la justice de vouloir nous donner des paroles d'apaisement, des espérances à réaliser sans retard, et de s'enquérir surtout si les moyens qu'on pourrait lui proposer sont de nature à produire un effet efficace, car déjà une des sections avise pour la diminution du nombre des huissiers, ce qui ne pourrait le pratiquer qu'en pourvoyant d'une autre manière au service intérieur des tribunaux.
M. Orts, rapporteur. - La section centrale n'a pas dénié tout fondement aux réclamations qui ont été adressées à la chambre par quelques huissiers. Son rapport en fait foi. La section centrale a dit, non pas que toutes ces réclamations fussent exagérées, mais qu'il y avait exagération pour quelques-unes ; la lecture des pétitions serait la meilleure preuve de la vérité du point de vue auquel la section centrale s'est placée. Elle a même indiqué quelques remèdes qui n'étaient en définitive que la répétition d'observations déjà présentées lors de la discussion des budgets, il est évident que, par suite des modifications apportées aux lois de compétence en matière criminelle, un grand nombre d'affaires correctionnelles passant dans les attributions des justices de paix, les huissiers près des tribunaux correctionnels ont dù éprouver une grande diminution dans leur travail. Ces considérations ont été pesées par la chambre, quand elle a adopté les modifications qui lui étaient présentées concernant la compétence. Quelque soit le motif qui a dicté la décision prise, je n'ai pas à en supporter la responsabilité, car j'ai voté contre la loi dont il s'agit.
La section centrale a émis le vœu que M. le ministre examinât la question de savoir si l'exécution des modifications apportées à la compétence répond à l'attente du gouvernement. Je propose à la chambre d'inviter M. le ministre à porter toute son attention sur l’ensemble de l'exécution de ces modifications, de contrôler les faits acquis par l'expérience et à nous soumettre le résultat de son examen. Je ne pense pas que M. le ministre recule devant ce travail, je crois qu'il en a pris l'initiative.
Les huissiers y entreront pour une grande part comme tous les fonctionnaires dépendant du ministère de la justice, et les intérêts publics et privés qui se rattachent à ces grandes questions.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je m'étonne que ce soit M. Julliot qui se constitue ici le défenseur des huissiers, car c’est à l'intervention du gouvernement qu'il fait appel pour donner aux huissiers une position que le gouvernement n'avait jamais entendu leur garantir.
Remarquez que si les huissiers souffrent dans leur position, cela tient moins au changement introduit dans nos lois de compétence que l'adoption d'une toute autre manière de procéder.
L'hnnorable M. Orts, alors que de toutes parts on réclamait des économies, a fait réduire de 100 mille francs l'article des frais de justice. Qu'a fait le gouvernement ? Au lieu de confier les assignations aux huissiers, il a employé d'autres agents : les gardes champêtres, les gendarmes, d'autres officiers de police qu'on ne paye pas pour faire ce service.
Que veut l'honorable M. Julliot ? Désire-t-il que je porte les frais de justice de 600 à 700 mille francs, en d'autres termes, que je reporte cet article au chiffre auquel il était avant la proposition de M. Orts qui a été adoptée par la chambre ?
Je ne vois pas d'autre moyen d'améliorer la situation des huissiers que de leur faire faire les exploits que font aujourd'hui les autres agents de la police judiciaire. Je suis sûr que si je proposais ce changemenr qui entraînerait une augmentation de dépense de 100 mille francs, je trouverais peu d'écho dans cette chambre.
La diminution du nombre des huissiers serait sans doute un remède ; mais il faut, avant tout, que le service se fasse ; quand une place devient vacante, le gouvernement doit, en général, s'en rapporter à ce que les tribunaux proposent ; ce sont les juges les plus compétents des besoins du service. Cela est arrivé pour la ville de Liège ; une place d'huissier s'est trouvée vacante, on a consulté le tribunal pour savoir si le nombre de 20 était nécessaire ; il a répondu qu'il était de toute nécessité de le conserver.
Le gouvernement ne peut pas réduire le nombre des huissiers quand le corps judiciaire déclare indispensable de le maintenr.
Nous sommes placés entre ces deux moyens : celui d'augmenter le budget : la chambre ne s'y prêterait pas ; l'autre, de diminuer le nombre : le gouvernement fait ce qu'il peut, mais il doit tenir compte des avis des tribunaux, des nécessités du service.
M. Jullien. - Messieurs, je ne viens pas demander que M. le ministre de la justice introduise une dépense nouvelle dans son budget pour salarier des huissiers qui se trouvent dans une situation plus ou moins triste. Je ne viens pas demander non plus que M. le ministre de la justice promette de diminuer le nombre des huissiers, sans consulter au préalable les exigences du service des tribunaux. Mais je viens appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur une réforme qui me paraît praticable sans grever en aucune manière le budget, et qui me paraît devoir venir en aide aux huissiers qui souffrent le plus de l'exécution de la loi nouvelle sur la procédure en matière criminelle.
Il existe, dans les chefs-lieux de cantons, des huissiers qui, en même temps qu'ils sont attachés aux tribunaux de première instance, ont le privilège d'exercer devant les justices de paix, à l'exclusion des autres huissiers d'arrondissement. Ces huissiers privilégiés ont seuls le droit de donner les citations devant les juges de paix, de signifier les sentences émanées de ces magistrats et de notifier les citations en conciliation ; et comme la plupart des affaires dont sont saisis les tribunaux de première instance sont soumises au préliminaire de conciliation, il en résulte que les huissiers des justices de paix ont en réalité le monopole des affaires qu'ils portent devant les tribunaux d'arrondissement après les avoir suivies devant les justices de paix.
Il y a là, je le répète, un véritable monopole que le gouvernement peut faire cesser ; il pourrait rétablir l'égalité entre les huissiers ; de cette manière il allégerait la position de ceux qui souffrent le plus sans trop nuire à l'existence des autres.
J'appelle sur cette réforme, recommandée d'ailleurs par la section centrale, l'étude de M. le ministre de la justice.
M. Julliot. - Je n'ai nullement entendu accuser le gouvernement d'être cause de la fâcheuse position des huissiers ; c'est la loi qui a fait le mal, en ce qu'elle généralise trop. Si encore elle s'était bornée à charger les gendarmes de faire les assignations aux insolvables, il n'y aurait que demi-mal ; mais aujourd'hui tous les délinquants, fussent-ils éligibles au sénat, sont exemptés des frais d'huissier, ce qui donne une économie à celui qui a commis le délit et cause la gêne de l'ofticier ministériel.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il y a quelque chose d'assez singulier, c'est que ce soit encore l'honorable M. Julliot qui plaide pour le monopole.
M. Julliot. - La justice le veut !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La justice n'exige évidemment pas qu'il y ait tel nombre d'huissiers plutôt que tel autre. Je ne vois pas pourquoi vous voudriez monopoliser en faveur de quelques-uns le droit de faire des exploits.
L’honorable M. Jul'lot nous dit qu'on n'aurait dû user de la disposition de de la loi qui autorise à faire remettre les assignations par les (page 137) gendarmes que pour les personnes insolvables. Il faudrait pour cela que les procureurs du roi, les agents du parquet connussent exactement la fortune de tous les déliquants. Or il est impossible qu’un procureur du roi sache à l’avance quel est l’état de fortune d’un individu qui est appelé à poursuivre. Je ne vois du reste pas pourquoi l'on augmenterait les frais en raison de la position des individus. C'est là un système que je n'ai vu pratiquer nulle part, et qu'il serait tres difficile de justifier.
Du reste, je ne vois pas que jamais le gouvernement ati été obligé de faire vivre des officiers ministériels. Je ne sache pas que rien puisse l'empêcher de retirer aux huissiers sa clientèle, et de faire faire les significations par d'autres agents, alors qu'ainsi elles coûteront moins à l'Etat.
M. Coomans. - Il y a une obligation morale.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est ce que je n'admets pas.
Lorsqu'un huissier est nommé, c'est à ses risques et périls. Ce n'est pas le gouvernement qui doit lui fournir une clientèle ; il ne le doit pas plus aux huissiers, qu'aux autres officiers ministériels, aux notaires, aux avoués. Le gouvernement ne peut être arrêté dans des mesures économiques par le froissement d'intérêts qu'il n'est pas chargé de sauvegarder et vis-à-vis desquels il n'y a aucun engagement.
Quant à la question soulevée par l'honorable M. Jullien, c'est une question à examiner : il s'agit d'une modification à introduire dans la législation ; le gouvernement ne peut l'introduire à lui seul.
Il s'agit de savoir si l'on fera une seule classe d'huissiers, si tous les huissiers d'arrondissement deviendront huissiers de la justice de paix. C'est une question que je n'ai pas étudiée suffisamment pour en apprécier les inconvénients et les avantages.
M. Moxhon. - La section centrale, dans son rapport, a appelé l'attention de M. le ministre sur l'amélioration introduite dans un pays voisin, le Luxembourg hollandais, où il existe une loi qui permet aux parties de récuser le juge parent de l’un des avocats plaidant en cause ; je désire connaître si le gouvernement se propose de soumettre à la chambre un projet de loi qui consacre cette garantie dans l'administration de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une question assez grave sur laquelle je ne puis m'expliquer. Il y a des tribunaux qui ne sont composés que de trois juges. Si vous donnez la faculté de récusation lorsque le fils d'un magistrat occupe, il peut en résulter de grands inconvénients. Mais je ne puis émettre à cet égard une opinion définitive. C'est une question à examiner.
M. Coomans. - Je demande la permission de dire encore un mot sur les huissiers. Lorsque j'ai dit qu'il y a obligation morale pour le gouvernement de s'intéresser au sort des huissiers, certes je n'ai pas voulu prétendre que l'obligation irait jusqu'à rendre immoral ou inique le gouvernement qui ne la remplirait pas. Mais j'entends l'obligation morale dans ce sens que le gouvernement est forcé, moralement forcé de ne pas laisser mourir de faim (et plusieurs huissiers ne seraient pas loin de cette extrémité s'ils n'avaient que leur place pour vivre) des citoyens dont il a créé lui-même les fonctions. Le gouvernement est intéressé aussi à ce que les huissiers subsistent honnêtement avec leurs propres ressources, parce qu'il y va de la bonne administration et de la dignité de la justice, parce qu'il y va encore de l'intérêt des familles, de leur fortune et de leur liberté.
Si les huissiers sont inutiles, si l'on peut s'en passer, qu'on les supprime ; mais ce n'est pas l'opinion de l'honorable ministre ni la nôtre. Ils sont nécessaires, ils remplissent des fonctions délicates et ingrates. Faites donc qu'ils puissent vivre régulièrement, honnêtement ; et certes ce n'est pas le cas pour tous depuis la réforme de 1849. L'honorable M. Julliot parle de 800, de 1,200 fr. que gagnent encore les huissiers. Eh bien, il en est, je puis le certifier, qui ne gagnent pas 500 francs et qui ont femme et enfants. Je demande où est la possibilité pour eux de vivre avec un si modique traitement. Ils ont raison de réclamer, et notre devoir à nous est d'appuyer ces réclamations, et d'y faire droit, par équité et en vue d'un intérêt public.
Les places d'huissiers, je le répète, ont été créées par le gouvernement ; en conséquence le gouvernement doit rendre ces places honorables et supportables à ceux qui en sont investis.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Proposez une allocation au budget, je vous en prie.
M. Coomans. - C'est l'affaire du miuistre de la justice plutôt que la nôtre.
- L'article est adopté.
« Art. 11. Justices de paix et tribunaux de police.
« Charge ordinaire : fr. 350,800.
« Charge extraordinaire : fr. 4,240. »
M. Julliot. - Messieurs, à l'occasion de la discussion de l'article 11, je vous demanderai la permission de vous entretenir une autre catégorie de fonctionnaires qui, aussi, ont gravement à se plaindre de la position qui leur est faite par la même loi, ce sont les commissaires de police aux chef-lieux de canton.
Les intitutions remonte à la loi du 16-24 août 1790, article 2, titre XI, où ils sont titrés de procureurs de la commune ; mais depuis cette époque leur titre a été amoindri et leurs fonctions décuplées ; c’est ainsi que la loi communale est venue considérable augmenter leur travail, et que la loi du 1er mai (manque quelques mots$) donné le double d’importance de ce qu’ils (manque quelques mots$)
Aujourd’hui le juge de paix est (manque quelques mots$) eut ton.
Public près du tribunal de simple police a suivi le juge en élévation, les commissaires de police sont nommés par le Roi, ils sont officiers judiciaires et administratifs, et leurs appointements sont restés stationnaires. Eh bien, messieurs, ici encore tout travail mérite salaire ; ces hommes sont fonctionnaires de l'Etat, et si vous voulez des hommes probes et capables, ne les laissez pas réduits à un traitement de 1,200 francs comme l'est celui de Tongres ; mais appropriez la rémunération à son travail. Je ne propose pas de traitement à charge de l'Etat, mais il me semble opportun d'examiner la question de savoir s'il n'y a pas lieu de leur allouer une partie des amendes abandonnées aux communes, je ne sais trop dans quel but, ni à quelle indemnité les communes, qui ne déboursent rien, peuvent avoir droit. Je désirerais savoir si M. le ministre de la justice n'a déjà pas examiné cette question.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, on a proposé, dans les sessions antérieures, différentes lois dans un but d'économies ; c'est ainsi qu'on a éten du la compétence des juges de paix à la connaissance de différents délits, de différentes contraventions qui antérieurement étaient jugées par les tribunaux correctionnels.
Aujourd'hui, on demande une augmentation pour les commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public près des justices de paix.
Je demanderai d'abord à la chambre ce que deviendraient les économies qu'on s'est proposé de faire, si nous devions augmenter le traitement de tous les commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public dans les différents cantons du pays ; bien loin d'avoir fait une économie, nous aurions une augmentation considérable de dépenses.
L'honorable M. Julliot demande s'il n'y a pas lieu d'attribuer aux commissaires de police une certaine partie des amendes qui, aujourd'hui, reviennent aux communes.
Que l'honorable M. Julliot me permette de le lui dire, ce serait là le plus détestable des systèmes. Ce serait reculer de quelques siècles en arrière que d'aller rétablir des amendes au profit de fonctionnaires qui participent à l'administration de la justice.
C'est ce qui se faisait autrefois ; mais c'est ce qui, Dieu merci, ne se fait plus et ce qui, j'espire, ne se fera plus.
Quant au surcroit de besogne qui pèse sur les commissaires de police, il peut être très vrai qu'il soit réel ; mais si les commissaires de police trouvent la besogne hors de proportion avec les émoluments qu'ils reçoivent, il y a un moyen pour eux de s'en dégager : c'est de donner leur démission.
Du reste ces lois ne tarderont pas à être révisées. Le pouvoir législatif aura à s'en occuper lorsqu'il modifiera le code d'instruclion criminelle, alors nous verrons comment il faut fixer le sort des différents officiers de police judiciaire.
M. Roussel. - Je lis dans le rapport de la section centrale sur le budget de la justice, qu'un membre s'est plaint du retard qu'éprouve l'administration de la justice civile dans certains tribunaux dont les attributions nouvelles on matière criminelle, absorbent le personnel.
Je suis fâché de devoir confesser que la loi nouvelle sur la compétence criminelle, correctionnelle et de simple police, a eu dans la pratique les plus tristes résultats. Nous pouvons faire cet aveu en présence de M. le ministre actuel de la justice ; car, si mes souvenirs sont fidèles, il a voté contre cette loi.
Cette loi n'a pas organisé les tribunaux, elle les a complètement désorganisés. Elle avait pour but l'économie. Je serai quelque jour en mesure de vous donner, au sujet de ces espérances d'économie, des détails statistiques ; ils vous prouveront que, bien loin de produire une économie quelconque, les mesures nouvelles, tout en désorganisant l'administration de la justice criminelle, qui est en quelque sorte le pivot de la société, ont engendré des dépenses plus grandes.
Voici, messieurs, la preuve anticipée de cette vérité : L'on a ravi à la répression criminelle sa solennité, son caractère grave et imposant, l'effet qu'elle doit produire sur le public et sur le délinquant. Et cela pourquoi ? Pour permettre la correctionnalisalion de la plupart des crimes.
Qu'en est-il résulté ? Qu'au lieu de subir un seul degré de juridiction, la plupart des crimes d'un ordre inférieur en subissent deux, et comme la même loi a fait porter tous les appels correctionnels au chef-lieu du ressort, il s'ensuit que les deux degrés de juridiction sont, en définitive, plus coûteux que la seule juridiction criminelle qu'on voulait éviter.
En effet, tous les témoins qui auraient dû figurer durant une ou deux audiences au plus à la cour d'assises figurent d'abord pendant deux audiences du tribunal correctionnel, puis durant deux autres audiences à la chambre correctionnelle de la cour d'appel.
Les frais doivent donc être et sont considérablement augmentés, si l'on considère la nature des affaires et si l’on met cette nature en rapport avec les opérations auxquelles la justice a dû se livrer.
Mais c'est là le moindre des inconvénients. Dans un ressort tel que celui de Bruxelles, il arrive que le tribunal de première instance se trouve dans (manque la fin de l’alinéa (une dizaine de ligne$)
(page 138) Remarquez, messieurs, que je ne veux pas et ne dois pas faire le procès à la loi. Cependant il faut convenir que le Code d’instruction criminel avait été profondément médité par ses auteurs, hommes d’un grand mérite. Sous le rapport de la diffèrence à établir entre les juridictions, ils avaient tenu compte des véritables besoins sociaux. Tout au moins, si ces hommes éminents se sont trompés sur certains points accessoires, l'ensemble du système se justifiait par la logique. L'ensemble du système actuel ne reçoit, lui, nulle justification. La chambre des mises en accusation est composée de cinq conseillers de cour d'appel pour statuer sur la simple poursuite ; pour statuer, au contraire, sur la peine et sur les dommages-intérêts qui peuvent s'élever à des sommes considérables sans aucune espèce de recours ultérieur, le jugement est confié à un président, appartenant à la coup d’appel et à deux juges dont l’un est président et l’autre vice-président du tribunal de première instance. Pendant que ces magistrats s'occupent du jugement des affaires criminelles, les autres affaires resteraient à l'abandon si la magistrature belge ne portait en elle-même un dévouement et un zèle à toute épreuve.
Ce n'est en effet que le zèle au-dessus de tout éloge et la longue expérience de notre magistrature qui rendent supportable un état de choses pareil.
Il ne faut pas que M. le ministre de la justice vienne nous dire que cet ordre de choses durera jusqu'à la révision du Code d'instruction criminelle. Quand il y a des maux connus de tous ceux qui prennent part à l'administration de la justice, il faut se hâter d'y porter remède. Nous attendions de l'initiative de M. le ministre de la justice un remède provisoire à ces maux, qui ne peuvent point durer. Il est évident pour nous, qui prenons part, en qualité de membres du barreau, à l'administration de la justice, que la situation actuelle ne peut se prolonger sans les plus regrettables inconvénients.
S'il est vrai que la justice criminelle et la justice correctionnelle sont des institutions sociales indispensables ; s'il est incontestable que le mode d'organisation influe puissamment sur le mode d'action des lois répressives, il faut convenir que M. le ministre de la justice ne doit point tolérer que ces institutions manquent leur but et produisent ainsi des effets directement opposés aux sages tendances de la loi elle-même.
M. Julliot. - M. le ministre de la justice m'a fait l'honneur de me répondre que si les commissaires de police trouvaient qu'ils étaient trop mal rétribués, ils avaient un moyen bien simple d'échapper à cet inconvénient : c'était de donner leur démission. En vérité, messieurs, en présence d'une déclaration pareille, et au point de vue des économies seulement, j'éprouve le regret le plus amer de ce que l'honorable M. Tesch n'était pas ministre de la justice en 1844 ; il aurait certes repoussé par la même fin de non-recevoir la proposition de l'amélioration du sort de la magistrature, ce qu'elle a obtenu ; car, en conservant ces sommes considérables dans le trésor, on aurait trouvé de quoi rémunérer un peu mieux les petits agents que je défends.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne puis guère me livrer à une discussion rétrospective sur des lois qui datent en quelque sorte d'hier. Ces lois doivent, nécessairement, dans le principe, donner lieu à certains inconvénients, mais ces inconvénients ne sont-ils pas le résultat du passage d'une législation à une autre ? Ne sont-ils pas temporaires ? C'est ce que l'expérience seule peut nous apprendre. Ce qui, messieurs, me ferait croire qu'il en est ainsi, c'est que le système introduit en Belgique n'est pas nouveau ; ce système existe en France ; il peut y avoir quelque différence, mais en général c'est le même système ; or on ne s'en plaint pas et on persiste à le maintenir.
Maintenant, messieurs, ainsi que je le disais tantôt, en répondant à l'honorable M. Julliot, la révision du Code d'instruction criminelle n'est pas éloignée.
L'honorable M. Roussel répond qu'une révision semblable doit être mûrie. Je suis parfaitement de son avis ; mais cette révision est préparée depuis un certain temps ; la commission a vu fonctionner le système actuellement introduit, elle pourra tenir compte de tous les inconvénients que vous signalez, et c'est alors que l'on pourra réellement dire si ces inconvénients tiennent à la loi même. Nous ne pouvons pas, quand une loi est à peine introduite depuis quelques jours, en demander déjà l'abrogation. Il faut évidemment attendre un certain temps pour voir si ces inconvénients sont inhérents à la nature des choses, ou s'ils ne sont que temporaires, s'ils ne sont, comme je le disais, que le résultat du passage d'une législation à une autre.
M. Roussel. - M. le ministre de la justice a prétendu que les inconvénients que j'ai eu l'honneur de signaler à la chambre sont le résultat du passage d'une législation à une autre. Qu'il me permette de lui faire observer que c'est précisément le contraire qui se rencontre dans l'expérience fournie par la loi nouvelle. Aucun des inconvénients nombreux que je n'ai signalés qu'en partie à la chambre (car je me suis borné à une très légère esquisse), aucun des inconvénients nombreux qui résultent de l'application de la loi nouvelle ne dérive de la transition. Ils sont tous engendrés par le système défectueux qui a prévalu et dont les défectuosités ont été démontrées a priori lors de la discussion de la loi, par l'honorable M. Orts et, je crois, par l'honorable M. Tesch lui-même. Ainsi, messieurs, il n'y a dans le mal rien de transitoire ; le mal est permanent de sa nature, il découle des vices de la loi nouvelle. Si le mal est permanent, il ne faut pas ajourner les remèdes qu'il réclame.
Mais, dit-on, ce système fonctionne en France sans inconvénient. Je réponds qu'il suffit de comparer à notre loi le Code français de 1832 et les lois portées depuis cette époque en France, pour apercevoir de notables différences entre les deux systèmes. Veuillez, d'ailleurs, ne pas oublier, messieurs, que les situations ne sont pas identiques. En France, le système a été introduit dans des localités où la statistique des crimes, délits et contraventions est différente de ce qu'elle est chez nous.
Les habitudes aussi diffèrent ; les principes de la législation criminelle ne sont pas identiques par suite des modifications qui ont été introduites en Belgique depuis notre séparation de la France ; de sorte que l'analogie entre les deux pays n'est pas complète.
On nous affirme que la révision du Code d'instruction criminelle ne peut plus être éloignée. Messieurs, lorsque l'on songe que la Constitution belge de 1831 avait placé dans son article final, comme objet recommandé à la sollicitude de nos législateurs, la révision de tous les Codes, qu'elle nous avait adressé cette recommandation en 1831 et qu'à l'heure qu'il est, en 1850, la révision du premier Code n'est pas même commencée ; quand on songe à ce fait, on doit convenir que la législature aurait tort de reculer devant la reconnaissance et la réparation d'une erreur. Nous nous devons aux justiciables et au pays. Nous ne devons pas permettre la désorganisation de la justice, spécialement de la justice criminelle, qui forme, en quelque sorte, le pivot de la société. Nous ne le devons pas surtout, quand les défectuosités sont d'une évidence telle, que le public, sans connaître ces matières spéciales, ne peut s'empêcher de critiquer la loi nouvelle et d'ôter ainsi à la loi une partie de son autorité morale.
On ajoute que nous ne pouvons pas demander l'abrogation immédiate de lois qui viennent d'être votées ; on prétend que l'expérience n'est pas suffisante.
Mais ces lois elles-mêmes ont été improvisées. Par conséquent, elles n'ont pas le droit de réclamer la sanction du législateur qui vient après elles et qui reconnaît leurs inconvénients. Ces lois ont été adoptées, si je ne me trompe, contre l'avis de toute la magistrature ; quand les hommes spéciaux qui doivent appliquer les lois ont contesté la justice des principes qu'elles consacrent ; quand on demande à ces vénérables magistrats, à ces hommes blanchis au service de la justice, d'appliquer des lois qu'ils ont reconnues mauvaises, je crois qu'on agit au détriment de leur considération, au détriment de l'intérêt public, et surtout au détriment du plus grand intérêt de la société, je veux parler de l'intérêt de la justice. Quel mal peut-il y avoir à réparer immédiatement un tort qu'on ne peut méconnaître ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je dois protester contre ce que vient de dire l'honorable M. Roussel.
« Ces lois ont été improvisées, » dit-il. Rien, messieurs, ne le démontre ; tout prouve, au contraire, et j'ai eu lieu de m'en assurer, qu'avant de proposer ces lois, on s'est enquis de ce qui s'était passé et de ce qui se passait dans un pays voisin.
C'est à raison des principes qui ont été adoptés dans la législation de ce pays voisin, à raison de ce qui s'y pratiquait, à raison de la manière dont cette législation y fonctionnait, qu'on a cru pouvoir l'introduire on Belgique.
On dit : « Il y a des différences ; les principes sont différents ; il y a une statistique différente. »
Quele sont ces principes différents ? Quelle est cette statistique différente ? Je croyais, au contraire, que notre législation pénale avait avec la législation pénale française beaucoup d'analogie ; qu'il y avait de même beaucoup de rapports enlre nos mœurs et notre caractère et le caractère et les mœurs de nos voisins ; je ne vois pas dès lors pourquoi une législation qui fonctionne bien dans un pays avec lequel nous avons tant d'analogie, ne pourrait pas fonctionner également bien en Belgique.
Enfin, la réprobation aurait, au dire de l'honorable préopinant, frappé cette législation. Mais où en est donc la preuve ? C'est de Bruxelles que sont parties les plaintes. Aucune plainte n'est émanée, à ma connaissance du moins, des autres tribunaux, ni des autres cours.
Maintenant quant à Bruxelles, où il y a un très grand nombre d'affaires, celles-ci se trouvent un peu arrêtées dans leur expédition, je le comprends ; mais alors la faute en est-elle à la législation nouvelle qui a été votée ? Non ; cet état de choses se sera bien plutôt produit, parce que le personnel du tribunal était insuffisant.
Si cette législation n'avait pas été votée, peut-être auriez-vous dù augmenter le personnel de la cour.
Quant aux critiques que j'aurais faites moi-même de la législation nouvelle, et je crois pouvoir dire que ce fait est inexact, je n'enai aucune souvenance. Je ne pense pas avoir pris la parole dans la discussion relative à ces lois ; mais j'ai participé au débat relatif au renvoi, devant les juges de simple police, de différents délits qui avaient été réprimés jusque-là par les tribunaux correctionnels ; mais quant aux lois sur la compétence, je le répète, je ne m'en suis pas occupé.
M. Jullien. - Messieurs, je dois également, de mon côté, protester contre l'opinion de l'honorable M. Roussel.
« La magistrature, a-t-il dit, a perdu de sa considération depuis la loi nouvelle. »
Quelle est donc la déconsidération que la loi nouvelle aurait jetée sur un conseiller de cour d'appel qui vient présider une cour d'assises, assisté du président et d'un vice-président d'un tribunal de première instance ? La déconsidération, je l'avoue, je ne la vois pas. Le prestige peut ne plus être le même, mais le respect de la magistrature n'est pas pour cela altéré.
(page 139) La loi présente peut-être des inconvénients, à Bruxelles ; mais je ne les vois pas dans les autres chefs-lieux de province.
Avant la nouvelle loi, les cours d'assises se composaient, dans les chefs-lieu de province qui ne sont pas chefs-lieux de cours d'appel, d'un conseiller-président et de quatre juges de tribunal de première instance ; eh bien, sous cette organisation, les tribunaux de six chefs-lieux de province, qui ne sont pas des chefs-lieux de cour d'appel, chômaient littéralement pendant la session de la cour d'assises ; tandis qu'aujourd'hui, dans ces mêmes chefs-lieux, il n'y a que deux juges de chaque tribunal qui sont appelés à prendre part à la session de la cour d'assises, ce qui permet aux tribunaux civils de ces chefs-lieux de siéger pendant la tenue des assises. Il y a donc, sous ce rapport, un avantage réel à n'avoir que des juges de première instance pour assister le conseiller présidant la cour d'assises.
Qu'il y ait eu des inconvénients à Bruxelles, je ne veux pas le contester ; mais, en définitive, on peut parer à ces inconvénients en assumant des suppléants qu'il est toujours bon d'initier à l'administration de la justice, ou bien en augmentant le personnel du tribunal de Bruxelles, si les nécessités du service le commandent.
Il ne peut donc pas être question, pour le moment, de réformer une loi que vous n'avez pas improvisée, messieurs, mais que vous avez mûrement délibérée, et qui, je le crois, offrira dans l'application un côté avantageux.
M. Roussel. - Messieurs, je suis étonné vraiment que l'honorable M. Jullien m'ait si mal compris. Je n'ai pas parlé de la déconsidération que la loi nouvelle aurait jetée sur la magistrature ; j'ai prétendu seulement que la nouvelle organisation avait pour résultat d'ôter à la justice une grande partie de la considération, du prestige (comme on le dit fort bien à côté de moi) que l'ancienne organisation lui avait donnée.
Messieurs, il est impossible d'entreprendre en ce moment une discussion approfondie sur le mérite de la loi de 1849. L'honorable M. Jullien a soulevé un débat que je crois inopportun et prématuré ; mais puisqu'il m'a placé sur ce terrain, force m'est bien de dire à quel point de vue la loi nouvelle est désavantageuse au souverain degré, et comment elle s'est montrée telle, non seulement à Bruxelles, mais aussi dans les provinces.
Ce qui avait donné naissance au système d'organisation criminelle, correctionnelle et de simple police, c'était la distinction des faits punissables. Cette distinction des faits punissables avait engendré la nécessité d'une juridiction spéciale pour chacun d'eux. Toute la charpente législative était entée sur ce système : non seulement le Code d'instruction criminelle, mais le Code pénal dans presque chacune de ses dispositions, se rapportent à cette grande division en trois parties.
Il est résulté de là que toutes les lois, toutes les dispositions légales sur les matières répressives, non seulement en ce qui concerne l'application des peines, mais encore au sujet de la simple administration. : la tenue des greffes, l'emmagasinage des pièces de conviction, l'immatriculation des arrêts de la justice eux-mêmes, il en est résulté, dis-je, que tout cela s'est trouvé organisé d'après cette division primordiale.
Notre Constitution elle-même, dans différents de ses articles, fait allusion à cette grande distinction. Le premier inconvénient de la loi nouvelle, non seulement pour Bruxelles, mais pour tout le pays, a été d'établir une confusion et une indécision complète sur ce point, en laissant subsister toutes les autres dispositions légales eten changeant complètement l'organisation.
La faculté de corrcctionnalisation illimitée pour les chambres de conseil et les chambres de mises en accusation peut conduire à des résultats déplorables. Cette faculté, non seulement pour les circonstances atténuantes, mais encore pour les circonstances d'excuse, lie irrévocablement la compétence du juge auquel l'affaire est renvoyée.
Je vais me permette de citer un exemple qui doit vous démontrer combien ce système est irrationnel, et combien il doit diminuer le prestige auquel la justice sociale a droit. Supposons un homme accusé du crime d'assassinat sur sa femme ; conduit devant le juge d'instruction, il prétend s'être trouvé dans le cas d'excuse parce qu'il a surpris sa femme en flagrant délit d'adultère. Il indique au juge d'instruction deux témoins du fait. Ces deux témoins entendus devant le juge confirment, sous serment, cette déclaration. L'affaire renvoyée devant le tribunal, les témoins reparaissent, et comme ils savent que la loi ne punit point le faux témoignage devant le juge d'instruction, ils avouent leur mensonge.
Que fera la justice correctionnelle ? Impuissante par l'ordonnance de la chambre du conseil, elle ne prononcera qu'une peine correctionnelle pour un crime avéré.
Quelle considération, quel prestige voulez-vous que la justice conserve, si de pareils cas se présentent ? Ils ne se sont pas encore présentés, il est vrai ; mais ne se produiront-ils jamais ?
Je vous prie de réfléchir mûrement à cette supposition, je l'ai choisie parce qu'elle montre tous les vices intrinsèques de la loi nouvelle.
Voilà pour le fond ; voyons la forme.
Pour la forme, des inconvénients se révèlent dans la nouvelle organisation, même dans les provinces, car j’ai démontré que la loi avait par la correctionnalisalion et l'appel au chef-lieu détruit elle-même l’économie qu'elle attendait de la réduction du personnel de la cour d'assises.
De façon que si d'un côté la justice perd de son prestige, d'un autre côté elle ne l'ait rien gagner à l'État sous le rapport financier.
J'ai négligé, dans ce court exposé, des détails très importants, surtout en ce qui concerne l'administration intérieure de la justice. J'aurais pu demander comment il se fait que les minutes des sentences judiciaires de la cour d'assises doivent figurer dans les greffes correctionnels ou dans ceux des tribunaux de première instance.
J'aurais pu demander comment les institutions nouvelles s'harmonisent avec le système général de notre législation ; comment on empêchera les conflits et les difficultés qui doivent résulter de la loi nouvelle, sans rapport avec les autres lois ; mais il me suffit d'avoir appelé l'attention sur l'état des choses, bien convaincu que M. le ministre de la justice fera droit aux réclamations d'un grand nombre de magistrats vénérés, réclamations qui se sont produites avant et depuis l'adoption de la loi. Il est plus que temps de revenir à un système conforme aux sentiments des hommes spéciaux. Que diriez-vous, messieurs, de la prétention qu'aurait le législateur de régler le commerce et l'industrie d'une manière contraire à l'opinion des industriels etdes commerçants ?
Il n'y a plus belle justice que celle dont l'organisation est approuvée par les hommes pratiques appelés à la distribuer.
- La discussion est close. Les chiffres sont adoptés.
M. Moncheur. - On a parlé de plusieurs parties de notre législation pénale et des modifications réclamées par l'état de nos mœufs et par l'opinion. La législation pénale militaire est une de celles dont la révision me semble la plus urgente.
L'année dernière MM. les ministres de la justice et de la guerre avaient proposé un projet de loi apportant quelques modifications au Code pénal militaire en vigueur ; ce projet a été renvoyé à une commission, la commission avait transmis quelques observations à M. le ministre de la guerre avec prière de les communiquer à M. le ministre de la justice. Depuis lors, aucune réponse n'est parvenue à la commission.
Je prie M. le minisire de vouloir bien nous dire s'il a eu te temps de porter son attention sur cet objet, et si son intention est de faire sien le projet qui a été soumis à la chambre par son prédécesseur, à la session dernière.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les réponses aux observations dont vient de parler l'honorable membre, parviendront incessamment à la commission.
« Art. 12. Cour militaire. Personnel.
« Charges ordinaires : fr. 16,070.
« Charges extraordinaires : fr. 10,474. »
M. Orts, rapporteur. - N'y aurait-il pas lieu de réduire le chiffre des charges extraordinaires par suite de certains faits qui se sont passés depuis le dépôt du rapport, par suite de nominations qui ont eu lien récemment ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce chiffre est destiné à payer les anciens fonctionnaires ; par suite des deux mises à la demi-solde qui viennent d'avoir lieu, il pourrait être réduit de 4,400 fr. environ. Je propose dès à présent une réduction de 4,000 fr. sur le chiffre de 10,474 fr.
- L'article 12, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
« Art. 13. Cour militaire. Matériel.
« Charges ordinaires : fr. 2,000.
« Charges extraordinaires : fr. 500. »
- Adopté.
« Art. 14. Auditeurs militaires et prévôts, charges ordinaires.
« Charges ordinaires : fr. 29,819.
« Charge extraordinaire : fr. 2,212. »
- Adopté.
« Art. 15. Frais de bureau et indemnité pour feu et lumière : fr. 3,540. »
- Adopté.
« Art. 16. Frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police : fr. 646,385. »
- Adopté.
« Art. 17. Traitement des exécuteurs des arrêts criminels et des préposés à la conduite des voitures cellulaires.
« Charges ordinaires : fr. 9,800.
« Charges extraordinaires : fr. 22,815. »
- Adopté.
« Art. 18. Constructions, réparations et loyers des locaux. Subsides aux provinces et aux communes, pour les aider à fournir les locaux convenables pour le service des tribunaux et des justices de paix.
« Charges ordinaires : fr. 35,000.
« Charges extraordinaires : fr. 50,000. »
- Adopté.
« Art. 19. Impression du Recueils des lois, d Moniteur et des Annales parlementaires, pour laquelle il pourra être traite de gré à gré : fr. 110,000. »
- Adopté.
« Art. 20. Abonnement au Bulletin des Arrêts de la cour de cassation ; fr. 3,000. »
- Adopté.
« Art. 21. Publication d'un recueil des anciennes lois des Pays-Bas autrichiens, de la piincipauté de Liège et d'autres pays dont le territoire est compris dans le royaume de Belgique ; publication d'un recueil d'instructions-circulaires émanées du département de la justice depuis la réunion de la Belgique à la France en 1795 ; impression d'avant-projets de loi à envoyer à l'avis des cours et tribunaux et des facultés de droit des universités du royaume. : fr. 9,000. »
- Adopté.
« Art. 22. Pensions civiles : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 23. Secours à des magistrats ou à des veuves et enfants mineurs de magistrats, qui, sans avoir droit à une pension, ont des titres à un secours, par suite d'une position malheureuse : fr. 12,000. »
- Adopté.
« Art. 24. Secours à des employés ou veuves et enfants mineurs d'employés dépendants du ministère de la justice, se trouvant dans le même cas que ci-dessus : fr. 3,000. »
- Adopté.
« Art, 25. Clergé supérieur du culte catholique, personnel enseignant et dirigeant des grands séminaires, bourses et demi-bourses affectées à ces établissements, à l'exception du personnel enseignant et des bourses du séminaire de Liège : fr. 373,710 53. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande que cet article soit divisé en deux articles libellés comme suit :
« Clergé supérieur du culte catholique, personnel enseignant et dirigeant des grands séminaires, à l'exception de celui de Liège, 311,700 fr. »
« Bourses et demi-bourses affectées aux grands séminaires, à l'exception de celui de Liège, 62,018 55. »
Les chiffres restent les mêmes. Mais, pour la comptabilité, il faudrait faire des articles différents, l'un pour le personnel, l'autre pour le matériel.
M. Orts. - Comme rapporteur de la section centrale, je me rallie à la modification proposée.
- Les articles 25 et 25bis sont mis aux voix et adoptés.
« Art. 26. Clergé inférieur du culte catholique, déduction faite de 8,462 fr., pour revenus de cures : fr. 3,317,030. »
M. Coomans. - Dans le cours de la dernière session, messieurs, j’ai eu l’honneur d’appeler l’attention de la chambre et du gouvernement sur la triste situation de 500 Belges, isolés dans la bruyère campinoise, et éloignée de deux lieues de l’église et de l’école les plus voisines. Il s'agit de la population du hameau de Kerckhoven (province de Limbourg), hameau qui est peut-être le plus abandonné et le plus misérable qu'on puisse rencontrer dans l'Europe occidentale. Figurez-vous, messieurs, l'état où cette population végète, sans église, sans école, sans prêtres, sans autorité civile ou ecclésiastique quelconque. Elle n'a avec le gouvernement d'autres relations que celles de l'impôt et de la milice. Elle paye ses contributions, quand elle peut, et elle envoie ses enfants à l'armée. Voilà tout le profit qu'elle tire du gouvernement ! Messieurs, cette situation est déplorable et, si elle se prolongeait, elle deviendrait un scandale.
La chambre a demandé, sur ce point, des explications à M. le ministre de la justice. Nous sommes encore à les attendre ; je crois devoir les demander formellement aujourd'hui.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les faits sur lesquels l'honorable M. Coomans appelle mon attention m'étaient complètement inconnus ; s'il avait bien voulu me prévenir, j'aurais pu lui donner des explications.
Du reste, il y a plusieurs demandes d'érection de chapelles, de succursales et de vicariats. Il est très possible que le hameau auquel s'intéresse l'honorable membre soit au nombre de ceux qui doivent être prochainement érigés en succursale ou en chapelle. Je pourrai, à la séance de demain, donner à l'honorable M. Coomans ses apaisements à cet égard.
Je demanderai que l'article en discussion soit augmenté de 24 mille francs dont sera diminué l'article 27 « subsides aux provinces, aux communes, etc., pour les églises servant au culte catholique. » Ainsi que je viens de le dire, les besoins des populations réclament l’érection de différentes succursales. Il est indispensable que cet article soit augmenté.
Le budget ne sera pas augmenté ; car les 24 mille francs seront diminués de l’article 27. D’après les calculs qui ont été faits, cette réduction peut être opérée sans nuire aux engagements qui ont été pris par le gouvernement.
- L'article 26 est adopté avec le chiffre de 3,341,000 fr.
La discussion est ouverte sur l'article 27.
« Art. 27. Subsides aux provinces, aux communes et aux fabriques d'églises pour les édifices servant au culte catholique, y compris les tours mixtes et les frais du culte dans l'église du camp de Beverloo. »
- Par suite de la proposition de M. le ministre de la justice, le chiffre de cet article est réduit de 440,000 fr. à 420,000 fr.
M. Rodenbach. - A l'occasion de cet article, je ferai remarquer à M. .le ministre que lorsqu'on examine le tableau de l'emploi des subsides on reconnaît que c'est aux grandes villes que sont accordées les sommes les plus considérables. Je conçois qu'il en soit ainsi, dans certaines limites, puisque c'est dans les grandes villes que sont les grands monuments.
Cependant il y a des communes rurales où il y a des églises, des monuments qui méritent d'être conservés et qui menacent ruine, parce que les fabriques d'églises n'ont pas assez de ressources pour les restaurer, et que le gouvernement et la province ne veulent contribuer aux dépenses de restauration que, pour un sixième chacun. Telle est la situation des communes de Moorslede, Gits, Roulers et Rumbeke, dont la tour menace ruine et met en péril la vie des habitants, parce que le gouvernement et la province ne veulent contribuer à la dépense que pour un sixième chacun.
Je prie M. le ministre de la justice de prendre ces observations en considération et de ne pas tout donner aux villes. Les campagnes ne peuvent pâtir, parce que c'est dans les grandes villes que sont les plus beaux monuments.
En cela, comme en tout, il faut de la justice distributive.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Comme la plupart des monuments se trouvent dans les grandes villes, il en résulte que c'est là que doit se dépenser la plus grande partie du subside.
M. Rodenbach. - Oui, mais la part des villes est trop forte : on a deux poids et deux mesures.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On n'a pas deux poids et deux mesures. Mais le gouvernement doit calculer son concours sur les efforts que font les provinces, les communes et les fabriques d'églises.
M. Rodenbach. - Mais il faut déroger à ce principe quand les communes sont pauvres comme dans les Flandres.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce n'est pas seulement dans les Flandres qu'il y a des communes pauvres. C'est un système admis pour les divers services, que l'on donne en proportion des efforts des communes et des provinces. Il en est ainsi pour les chemins vicinaux et pour d'autres constructions.
Si le gouvernement se départit de ce système, il serait amené à faire seul toutes les dépenses qui incombent aux communes et aux provinces. Le gouvernement ne subsidierait plus, dans la véritable acception du mot, il ferait la dépense principale.
M. Dumortier. - Je vois avec peine réduire ce chiffre relatif à la restauration des églises monumentales du pays. Il est certain que c'est au moyen de ces subsides que l'on est parvenu à donner une splendeur convenable aux magnifiques monuments que la Belgique possède encore. Ces monuments sont l'une de nos gloires nationales. Ils font voir à l'étranger notre glorieux passé. C'est une belle et noble pensée d'entrer dans le système de la restauration de ces églises.
Au nombre de ces édifices, il en est, messieurs, quelques-uns qui n'appartiennent pas aux villes où ils sont placés, mais qui appartiennent en quelque sorte à la Belgique entière. La chambre a cru devoir faire des sacrifices particuliers pour ces édifices. C'est ainsi qu'elle a volt des sommes considérables pour l'église de Sainle-Gudule, à Bruxelles, pour la cathédrale de Malines, pour la cathédrale d'Anvers, pour le palais des princes-évêques de Liège, pour l'église de Saint-Jacques à Liège, pour la cathédrale de Tournay, et pour quelques autres encore. Ces édifices, par leur importance, n'appartiennent pas, je le répète, à la ville dans laquelle ils sont placés ; ils appartiennent, en réalité, à la Belgique tout entière. Ce sont des chefs-d’œuvre, des gloires du pays, et c'est une vérité qu'avaient reconnue le gouvernement et la chambre, en concourant à la restauration de ces édifices.
L'an dernier, lorsqu'il fut question de voter des fonds pour la restauration du palais des princes-évêques de Liège, j'ai eu l'honneur d'appuyer, autant qu'il était en moi, la partie de la demande qui était relative à la restauration même du palais. J'avoue qu'il m'a été impossible de voter les 50 ou 60 mille francs qui nous étaient demandés pour dorer les salons du gouverneur ; cela n'entrait point dans mes principes ; mais d'un autre côté, j'ai appuyé de tous mes moyens la demande qui nous a été faite par le gouvernement pour la restauration monumentale de l'édifice.
A cette occasion, j'ai cru devoir faire remarquer que, depuis un an, la restauration de la cathédrale de Tournay, le plus vaste, le plus magnifique et le plus important édifice du pays, se trouvait suspendue par le fait très singulier du précédent ministre de la justice. L'honorable M. Delfosse, l'honorable M. Lesoinne, les députés de Liège, prenant la (page 141) parole dans cette séance, ont eu la bienveillance d'appuyer les observations que je faisais, en disant avec infiniment de raison qu'il ne fallait pas isoler un édifice, qu'il fallait restaurer tous les édifices de première importance pour l'archéologie qui se trouvaient en Belgique. Depuis lors, on a fini par arriver à une transaction avec le précédent ministre de la justice ; mais, je dois le dire, cette transaction est telle qu'avec les crédits alloués il sera littéralement impossible de terminer la restauration de ce magnifique monument.
Il est certain que le gouvernement, qui dans cette affaire a fait de grands sacrifices, ne peut pas cependant exiger de la province une somme proportionnelle à celle qu'accordent d'autres localités. La province du Hainaut a voté à elle seule une somme de 150,000 fr. pour la restauration de la cathédrale de Tournay, et je pense que peu de provinces ont fait un sacrifice aussi considérable.
Ce n'est pas tout. La province de Hainaut se trouve dans une position financière très défavorable, et cela par suite de lois que nous avons nous-mêmes votées ; ainsi nous lui avons enlevé, au profit du trésor, le plus beau de ses revenus, le revenu du canal de Mons à Condé, qui aujourd'hui entre pour la majeure partie dans le trésor public.
On enlève donc d'une part à la province de Hainaut ses revenus ; on exige d'elle d'autre part de grands sacrifices.
Cela n'est pas juste.
Je demanderai à M. le ministre de la justice de ne pas insister pour la réduction du crédit destiné à la restauration des édifices du culte. Je suis convaincu qn'il voudra suivre les traces de ses devanciers en coopérant autant qu'il est en son pouvoir à la restauration des monuments qui couvrent notre sol et en particulier de ceux qui font l'admiration de l'étranger. Je suis convaincu qu'il trouvera facilement l'emploi de tout le crédit en en appliquant une partie au monument que je viens d'avoir l'honneur de citer.
Cette dépense fait le plus grand honneur au gouvernement et au pays. Je laisse, au surplus, la disposition des fonds à M. le ministre de la justice ; il les emploiera avec sagesse ; mais il serait fâcheux qu'alors que depuis dix à quinze ans nous sommes entrés dans une voie qui fait l'admiration de l'Europe, qui est citée avec honneur dans tous les traités d'archéologie, nous missions le gouvernement dans l'impossibilité de la continuer.
Je fais cette observation, parce que je me suis particulièrement occupé de ce genre d'étude. Je pense que M. le ministre de la justice ne trouvera pas mauvaise la demande que je lui fais.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si j'ai proposé une réduction de 24,000 fr. sur l'article 27 pour reporter cette somme sur l'article 26, c'est que, d'après les calculs qui ont été faits au département de la justice, ce transfert peut s'opérer sans nuire en rien aux travaux qui ont été commencés. Toutefois, il est possible qu'au budget de 1852, je devrai demander de nouveau que cette somme de 24,000 soit ajoutée à l'article 27 ; mais pour le besoin de l'exercice 1851 on peut la réduire sans inconvénient.
Je dois dire, du reste, à l'honorable M. Dumortier, que quand bien même cette somme ne serait pas reportée à l'article 26, elle ne serait pas affectée au monument dont il a parlé.
J'ai eu occasion de m'occuper des subsides qui ont été accordés pour la restauration de cet édifice, et j'ai pu me convaincre que le gouvernement avait été aussi généreux qu'il était possible de l'être.
On a parlé d'une somme de 150,000 francs qu'avait votée la province de Hainaut ; mais on a oublié de dire que le gouvernement avait de son côté donné une somme de 350,000 francs.
Il restait une autre dépense de cent et quelques mille francs à faire. Le gouvernement a commencé par en donner la moitié. On est venu réclamer ultérieurement. Le gouvernement a encore augmenté le subside.
Mais d'un autre côté, je désirerais que l'honorable M. Dumortier nous fît connaître dans quelle proportion la ville de Tournay et la fabrique ont contribué dont la dépense de six cent et quelques mille francs.
M. Dumortier. - Cinq cent mille francs.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pardonnez-moi, cinq cent mille francs ont été la première dépense. Le gouvernement a commencé par en donner 350,000 ; il est resté à dépenser une somme de cent et quelques mille francs ; le gouvernement est de nouveau intervenu pour moitié de cette somme. La commune de Tournay, au contraire, et la fabrique n'ont contribué que pour la somme la plus insignifiante.
Ainsi, je le répète, quand bien même le chiffre de 24,000 francs serait maintenu à l'article 27, il ne pourrait être affecté à l'usage que demande l'honorable M. Dumortier.
M. Dumortier. - J'avais effectivement oublié de dire tout à l'heure que le gouvernement avait donné 350,000 fr. pour la restauration de la cathédrale de Tournay.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pour premier subside.
M. Dumortier. - Il n'a encore rien donné de plus. Je prie M. le ministre d'être convaincu que je connais parfaitement les faits, parce que j'ai l'honneur d'être président du comité de restauration de la cathédrale de Tournay.
Un demi-million a déjà été affecté à cette restauration. Cette somme paraîtra peut-être considérable ; mais il faut remarquer l'importance de l'édifice dont il s'agit. Certainement, s'il ne s'agissait que d'une chapelle, comme on en trouve dans nos provinces, la somme paraîtrait prodigieuse. Maïs il ne faut pas oublier que la cathédrale de Tournay est le sixième édifice de la chrétienté en étendue, que c'est le monument roman le plus célèbre du monde entier ; que le chœur de la cathédrale de Tournay, était dans un tel état de délabrement, que sans les fonds accordés par le gouvernement, il est probable qu'à l'époque actuelle il n'existerait plus. Il s'agissait là d'un ouvrage de consolidation impérieux, urgent au dernier degré. On dit : La ville n'a rien donné, mais c'est bien simple, c'est qu'il s'agit d'une cathédrale et qu'aux termes des décrets la ville n'avait pas à contribuer à la dépense. La province devait y contribuer. Elle a fait sa part, et certes elle l'a faite très largement, puisqu'elle a donné 150,000 francs. Les ressources de la province ne sont pas inépuisables, d'autant plus qu'on lui a enlevé, au profit du trésor public, la majeure partie de ses revenus.
Vous ne pouvez pas prendre, d'une part, les revenus de la province et, d'autre part, la faire payer.
Quant à la fabrique de la cathédrale de Tournay, elle est tellement peu fortunée qu'elle ne peut pas satisfaire aux besoins de première nécessité. Il est à ma connaissance qu'on ne peut pas même nommer des chanoines parce qu'on n'est pas à même de payer leurs jetons de présence. La fabrique de la cathédrale de Tournay a des dépenses considérables à faire, et pour vous en donner une idée, messieurs, je dirai que trois tours seules de l'édifice occupent une superficie d'un hectare et demi ; jugez par là des frais d'entretien que cet édifice exige.
Il me semble aussi que M. le ministre de la justice a grandement tort de reprocher à la ville de Tournay de ne point contribuer à la dépense dont il s'agit. Evidemment, aux termes, de la loi elle ne doit point intervenir dans cette dépense ; d'ailleurs, elle contribue largement pour les autres édifices dont l'entretien est à la charge de la province. Quant à la province elle-même, il serait difficile de trouver une province en Belgique, qui ait fait des dépenses aussi considérables que le Hainaut pour les édifices.
Du reste, messieurs, il ne faut jamais perdre de vue la distinction essentielle qui doit être établie entre les monuments d'une importance secondaire et les monuments qui font la gloire et l'honneur du pays. Jusqu'ici le gouvernement a toujours cru qu'il était de son devoir d'affecter des fonds à ces monuments, et chaque fois que l'occasion s'en est présentée, j'ai appuyé les demandes de crédit qui les concernaient. Je l'ai fait pour Saint-Jacques à Liège, pour Sainte-Gudule à Bruxelles, pour Saint-Rombaut à Malines, pour le palais des Princes-Evêques de Liège et, sous peine d'être inconséquent, je dois le faire aussi pour la cathédrale de Tournay qui est, sans comparaison, le plus magnifique monument de la Belgique.
M. Allard. - Je viens appuyer la proposition de l'honorable M. Dumortier. Il ne sera pas dit que je ne réclamerai pas pour nos cinq clochers. La cathédrale de Tournai, comme l'a dit M. Dumortier, est certainement un des plus beaux monuments de la Belgique. Je dois remercier le gouvernement de ce qu'il a fait jusqu'à présent, et j'espère qu'il continuera à accorder des subsides sans lesquels il serait impossible de continuer les réparations commencées. Or, il est impossible qu'on ne les continue point.
J'espère que M. le ministre de la justice n'insistera point pour la diminution qu'il a proposée.
M. Rodenbach. - Messieurs, vous avez décidé qu'il serait fait un prompt rapport sur les pétitions qui sont relatives au régime des dépôts de mendicité. Comme nous nous occuperons demain du chapitre IX, où il est question des établissements de bienfaisance, je voudrais que le rapport dont il s'agit put être fait à l'ouverture de la séance de demain.
M. le président. - Si la chose est possible, il sera fait droit à la demande de M. Rodenbach.
- L'article 27 est mis aux voix et adopté avec le chiffre proposé par M. le ministre de la justice.
« Art. 28. Culte protestant et anglican (personnel) : fr. 48,871. »
- Adopté.
« Art. 29. Subsides pour frais du culte et dépenses diverses : fr. 9,029. »
- Adopté.
« Art. 30. Culte israélite (personnel) : fr. 8,600. »
- Adopté.
« Art. 31. Frais de bureaux du consistoire central et dépenses imprévues : fr. 900. »
- Adopté.
« Art. 32. Pensions et secours pour les ministres des cultes, secours aux anciens religieux et religieuses : fr. 24,030. »
- Adopté.
- De toutes parts. - A demain !
M. le président. - Demain nous avons à nous rendre au palais pour présenter au Roi l'adresse de condoléance. S. M. nous recevra à midi et demi. Nous nous réunirons donc ici à 11 heures 3/4. La séance s'ouvrira à 2 heures.
Il sera nécessaire, messieurs, d'activer les travaux des sections. Il y a plusieurs projets à examiner. Les sections sont convoquées pour après-demain à l'effet de s'occuper du budget de la guerre. Je réunirai (page 142) MM. les présidents pour mettre les autres objets à l'ordre du jour. Mais il est un projet qui avait été renvoyé aux sections d'avril et dont aucune d'elles ne s'est encore occupée ; c'est le projet relatif à l'établissement d'une institution de crédit foncier. Je proposerai à la chambre de le renvoyer aux sections de novembre, pour simplifier les choses.
M. Rousselle. - Je proposerai à la chambre de prendre une résolution générale et de décider que tous les projets qax n'ont pu encore été examinés par les sections, seront examinés par les sections de novembre.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 5 heures.