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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 novembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 17) M. de Perceval rocède à l'appel nominal à une heure et demie. La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Perceval fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur Adolphe Vent, capitaine au long cours, prie la chambre de lui faire remise du droit d'enregistrement qui lui a été réclamé pour sa naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les huissiers-audienciers près la chambre correctionnelle du tribunal de première instance à Anvers et près la cour d'assises de la province prient la chambre de rapporter la loi sur la révision des tarifs en matière criminelle ou du moins de décréter un tarif qui leur alloue des droits de vacations pour le service des cours d'assises et des tribunaux correctionnels. »

- Même renvoi.


« Le sieur Spyers, ancien consul de Belgique à Bois-le-Duc, domicilié à Verviers, né à Zevenaar (Pays-Bas), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


M. le ministre de la justice transmet les explications qui lui ont été demandées sur différentes requêtes de bourgmestres et commissaires de police exerçant les fonctions d'officiers du ministère public près les tribunaux de simple police.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. le président. - Voici la lettre qui m'a été adressée par M. Cassiers, bourgmestre de Clercken, sous la date du 15 novembre :

« M. le président,

« En ma qualité de chef de l'administration communale de Clercken, en ma qualité de membre du sénat dans lequel j'ai l'honneur de siéger depuis plus de 15 ans, et surtout dans l'intérêt de ma dignité personnelle, je dois quelques explications courtes mais claires, relativement à des imputations dirigées contre moi dans le rapport de l'honorable M. Delehaye et reproduites hier par M. le ministre de la justice.

« Voici l'exposé fidèle des faits : la liste officielle des électeurs de la commune de Clercken a été formée et affichée conformément à la loi, puis définitivement arrêtée le 30 avril. Ensuite elle a été soumise à l'inspection de M. le commissaire d'arrondissement, qui l'a renvoyée à l'administration communale de Clercken le 10 mai suivant, sans y ajouter la moindre observation.

« Le 31 mai, on me communique que l'agent du gouvernement avait interjeté appel contre l'inscription de cinq électeurs de cette liste ; conséquemment je commence par ne faire convoquer que les quinze autres électeurs. Leurs noms sont inscrits sur une note pour la direction du fonctionnaire subalterne, chargé de la distribution des billets de convocation.

« Le 3 juin suivant, après avoir vainement attendu une décision de la part de l'autorité compétente, je dirai jusqu'au dernier jour que la loi accorde, je dresse une note supplémentaire pour la convocation des cinq électeurs dont il s'agit.

« En agissant ainsi j'ai cru et je crois encore avoir rempli un devoir.

« Après cela, je ne pense pas avoir besoin de dire combien j'ai été surpris et peiné de voir les faits si étrangement dénaturés et mes intentions si perfidement méconnues.

« Agréez, etc. J. Cassiers. »

Cette lettre sera déposée sur le bureau pendant la discussion.

M. Delehaye. - Comme rapporteur de la commission, je tiens à dire qu'il n'est entré dans l'opinion d'aucun de ses membres de blâmer qui que ce soit au sujet de l'élection de Dixmude. Il n'y avait rien d'hostile à faire connaître les faits tels qu'ils se sont passés. Nous avons dû citer les faits pour démontrer comment pouvait être entachée d'un vice une élection qui n'avait manqué que d'une seule voix. Donc, dans l'opinion de la commission ni dans cette du rapporteur, il n'y a eu rien de défavorable à M. Cassiers. Cependant celui-ci s'est servi en nous désignant du mot « perfidement ». Eh bien ! ce mot n'a pu lui échapper que parce qu'on lui a donné une interprétation erronée de mon rapport et qu'elle ne comporte à aucun titre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Comme l'honorable M. Cassiers a fait une mention expresse du ministre de la justice, je dois venir protester contre les paroles inconvenantes qu'il s'est permises. J'ai cité hier deux faits ; je n'ai rien fait de plus ; je me réserve d'en déduire les conséquences lorsqu'aura lieu le débat sur l'élection de Dixmude, et, à la même occasion, je répondrai pertinemment aux allégations de M. Cassiers.


M. de Perceval. - J'ai l'honneur de prévenir la chambre et le ministère qu'immédiatement après le premier objet a l'ordre du jour, j'aurai quelques interpellations à adresser au cabinet concernant notre politique extérieure et intérieure.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Dixmude

M. le président. - La parole est à M. Malou.

M. Malou. - Je n'occuperai pas longtemps les moments de la chambre : les motifs qui me paraissent commander à la chambre d'ordonner l'impression des pièces relatives à l'élection de Dixmude, ont été longuement développés hier, je n'y insisterai pas.

Je prie la chambre d'ordonner l'impression des pièces suivantes :

- Lettre du président du bureau principal, par laquelle il transmet les pièces à M. le ministre de l'intérieur ;

- Procès-verbaux du bureau principal et de la 2ème section ;

- Protestation contre l'élection ;

- Et enfin, rapport du gouverneur de la Flandre occidentale avec les pièces auxquelles ce rapport se réfère, sans toutefois y comprendre les listes électorales ni les listes des votants.

M. Delfosse. - J'ai pris inspection du dossier qui, conformément à ma proposition, a été déposé sur le bureau, et je ne vois pas le moindre inconvénient à l'impression des pièces indiquées par l'honorable M. Malou.

M. Dumortier. - Messieurs, le dossier qui se trouve déposé sur le bureau est réellement incomplet. Les personnes dont il est question dans l'enquête du gouvernement m'ont fait l'honneur de me remettre en original des pièces authentiques, des pièces administratives qui peuvent jeter le plus grand jour sur cette affaire. Je demanderai à la chambre s'il ne conviendrait pas d'imprimer ces pièces à la suite de celles du dossier.

Il me semble que, pour bien comprendre la question, il serait important que l'on pût lire toutes les pièces.

Ainsi, je démontrerai par des documents authentiques, que les cinq électeurs dont il a été parlé tout à l'heure n'ont reçu notification de la décision de la députalion permanente que huit jours après l'élection. Ce sont là des points qui sont extrêmement importants pour l'examen de la question qui va nous occuper relativement à l'élection de Dixmude.

Les pièces dont je parle et qui sont en ma possession sont des pièces administratives originales. Il me semble que la chambre devrait en ordonner l'impression dans l'intérêt de la défense.

M. Delfosse. - Je répète ce que j'ai dit hier, que je ne puis voter pour l'impression de pièces que je ne connais pas.

M. Delehaye. - Je crois que l'impression des pièces indiquées par l'honorable M. Dumorticr est inutile, attendu que nous sommes tous d'accord sur ce point, c'est que la décision de la résolution de la députation permanente de la Flandre occidentale n'a pas été notifiée avant l'élection. Il est donc inutile d'imprimer des pièces dont la commission ne s'est pas occupée, dont la chambre n'a pas à s'occuper non plus. Nous admettons que la notification n'a pas eu lieu.

Si l'on veut une autre preuve que celle-là, je désire qu'on le dise. Mais si l'on ne cherche pas à constater un autre fait que celui-là, il est acquis.

M. le président. - Je crois qu'il est inutile de prolonger cette discussion ; on est d'accord sur l'impression des pièces qui composent le dossier, sauf les listes électorales et les listes de présence. Si personne ne s'oppose à cette impression, la chambre l'ordonne.

Maintenant l'honorable M. Dumortier parle de pièces authentiques qui lui ont été remises ; on demande d'abord le dépôt de ces pièces sur le bureau ; on verra ensuite s'il y a lieu d'ordonner l'impression de l'une ou l'autre d'entre elles.

Ainsi se termine l'incident. On verra, après l'impression des pièces, à quel jour on fixera la discussion du rapport.

Motion d'ordre

Utilité de prévoir une discussion politique, en l’absence d'adresse en réponse au discours du Trône

M. de Perceval. - Messieurs, le récent et douloureux événement qui a plongé la Belgique dans le deuil n'a pas permis au chef de l'Etat d'ouvrir en personne la session législative.

Privés du discours du trône et de l'obligation dans laquelle nous aimions à nous trouver d'y répondre, pour que la nation pût constater le degré de bonne entente existant entre les pouvoirs publics, il importe cependant d'avoir, au début de nos travaux, une discussion complète sur notre politique extérieure et intérieure ; il importe aussi d'analyser les actes posés par le cabinet et de connaître pour l'avenir ses vues, ses projets, ses tendances.

Un semblable débat franchement accepté, d'un côté par la chambre et de l'autre par le ministère, aura cet avantage qu'une fois terminé, la législature pourra se livrer exclusivement à la prompte expédition des affaires et que les membres du cabinet connaîtront et apprécieront les forces sur lesquelles ils devront s'appuyer.

Du reste, messieurs, des faits dont la haute portée n'est contestée par personne, se sont accomplis depuis bientôt six mois.

(page 18) Le caractère des élections du mois de juin dernier, la chute d'un ministre de la guerre en l'absence des chambres législatives, trois nouveaux ministres siégeant dans les conseils de la Couronne, nos relations avec la cour de Rome plus ou moins aigries, des traités de commerce, ici dénoncés, là près d'expirer, voilà autant de points qui ne sauraient nous permettre de déroger aujourd'hui aux habitudes parlementaires d'un pays constitutionnel.

De plus, le cabinet lui-même doit désirer une discussion politique dans l'intérêt de sa force morale, et nous aussi nous ne devons pas la fuir, dans l'intérêt de nos principes.

Je commencerai par nos relations extérieures, et je demanderai à l’honorable ministre des affaires étrangères si la lettre encyclique du pape Pie IX, expédiée en Belgique environ dix jours avant les élections partielles du mois de juin, n'a amené soit de la part de son département, soit de la part de notre ministre plénipotentiaire à Rome, aucune démarche, aucune note tendante à en appeler au souverain pontife, mieux informé. Car, vous devez vous ressouvenir, messieurs, sous quel faux jour cette bulle représentait la situation de la Belgique et l'action de son gouvernement. Le retour inattendu de notre agent diplomatique et son séjour prolongé dans le pays, sont-ils le résultat d'une rupture ouverte ou cachée avec le Vatican, ou bien devons-nous les attribuer à d'autres causes ?

Le traité avec la Prusse expire à la fin de cette année. Sera-t-il renouvelé, pour quel terme et sur quelles bases ?

Ouvre-t-on des négociations sérieuses avec le cabinet français dans le ferme désir de conclure cette fois, à l'expiration de la convention actuelle, l'union commerciale avec la France ? Des intérêts nombreux et d'un ordre élevé nous y engagent et devraient stimuler nos efforts pour atteindre ce résultat.

L'état délabré de nos finances, que, du reste, le cabinet du 12 août 1847 a été forcé de constater depuis son avènement au pouvoir, nous conduira-t-il à une nouvelle demande d'impôt ? De quelle nature sera cet impôt ?

La réforme de l'impôt personnel, attendue par le pays depuis vingt ans, sera-t-elle enfin réalisée pendant cette session ?

L'honorable ministre des finances nous a présenté un projet de loi sur le crédit foncier. Probablement jugera-t-il opportun de mettre aussi à l'étude les moyens propres à atteindre une bonne organisation du crédit agricole ; car j'aime à croire qu'il partage cette opinion que le travailleur de la terre a droit, aussi bien que le propriétaire, à la sollicitude du gouvernement.

La révision de la loi sur l'enseignement primaire a été demandée par l'opinion libérale et promise par le ministère. La législature se trouvera-t-elle bientôt saisie d'un projet de loi tendant à faire disparaître de cette loi organique les dispositions vicieuses qu'elle renferme sous le point de vue d'un Etat laïque et de l'indépendance du pouvoir civil ?

Aurons-nous dans le courant de cette session une loi pour régler l'administration de la charité publique ; une autre pour arrêter enfin les déplorables abus qui se commettent sous l'égide des dispositions arbitraires qui règlent encore de nos jours la détention préventive, malgré les prescriptions formelles de notre Constitution qui déclarent que la liberté individuelle est garantie et que le domicile du citoyen belge est inviolable ?

La loi sur l'enseignement moyen est-elle exécutée, et l'épiscopat lui donne-t-il son concours ? Dans ce but, l'honorable ministre de l'intérieur a-t-il ouvert des négociations avec les chefs du clergé ?

L'honorable général qui se trouve à la tête du département de la guerre ne jugerait-il pas convenable et opportun en même temps, de nous dire s'il compte suivre les errements de son prédécesseur, et, dans la négative, quels sont ses projets en ce qui concerne l'organisation de nos cadres et nos dépenses militaires ?

Messieurs, l'année dernière, à l'ouverture de notre session, l'honorable M. Dedecker a demandé l'amnistie pour nos condamnés politiques. En présence des manifestations non équivoques d'attachement à nos institutions constitutionnnelles, manifestations qui se produisent encore chaque jour dans le pays à l'occasion de la mort de notre Reine, j'exprime aussi le vœu de voir ouvrir les portes des cachots dans lesquels gémissent des hommes plus infortunés que coupables. Rendez les uns à la liberté et à leurs familles, faites cesser l'exil pour les autres, car les rigueurs dont vous continuez à les poursuivre ne sauraient plus aujourd'hui se justifier.

Je n'ai nul doute, messieurs, que le cabinet, en s'associant trois membres nouveaux, a eu à délibérer et à prendre une décision sur les questions que j'ai énumérées, ainsi que sur toutes les autres qu'il a désignées pour composer le programme des mesures à soumettre aux chambres législatives pendant cette session.

Je viens le prier, en conséquence, de vouloir bien, au début de nos travaux, nous faire connaître ce programme.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le ministère est prêt à répondre à toutes les interpellations. Le ministère est disposé à prendre part à une discussion politique, si tel est le désire de la chambre. Jusqu'à présent un orateur a pris la parole, mais cela ne suffît pas pour connaître l'intention de la chambre. Je le répète, le cabinet est prêt à entamer une discussion générale, une discussion politique, mais il a besoin de pouvoir mieux apprécier quel est le désir de la chambre.

M. Dumortier. - Je viens appuyer, non pas précisément toutes les demandes faites par l'honorable M. de Perceval, mais la nécessité d'une connaissance de la pensée ministérielle. En effet, messieurs, dans quelle situation se trouve le pays, en présence d'un ministère renouvelé, d'une chambre renouvelée, dont la moitié a reçu un nouveau baptème électoral ? Le ministère renouvelé ne nous a point gratifiés d'un programme indiquant quelle sera sa ligne de conduite, et l'on sait que sur plusieurs points il se compose d'èléments qui, jusqu'ici, n'ont point paru concorder d'une manière complète ; l'homogénéité ne me semble point son fait caractéristique. D'un autre côté, nous avons impérieusement besoin de voir ce que la modification ministérielle a dû produire, quant à la pensée ministérielle elle-même.

Et puis, messieurs, il nous appartient aussi de juger, d'apprécier cette politique. D'ordinaire un discours du Trône vient nous donner le programme de la session. Je fais très peu de cas des programmes, je vous le déclare, mais je fais très grand cas des discours du Trône, qui sont, à mes yeux, le seul véritable programme du cabinet. Je fais très peu de cas des programmes, je le répète, mais je me rappelle parfaitement bien que l'honorable M. Rogier reprochait au ministère Nothomb de n'avoir point fait de programme. Eh bien, ici nous sommes sans programme. Nous sommes sans discours du Trône. On dira peut-être que l'événement si douloureux qui a mis la Belgique en deuil, a été cause qu'il n'y a point eu de discours du Trône ; messieurs, le discours du Trône est l'œuvre des ministres, il pouvait très bien se faire comme en Angleterre, comme en France, être présenté aux chambres par des commissaires, de manière à nous faire connaître la pensée intime du cabinet, les projets de lois qu'il compte présenter cette année, en un mot, la ligne de conduite qu'il compte suivre ; tout cela, nous n'en savons absolument rien.

Le gouvernement entend-il présenter tel ou tel projet de loi ? Nous l'ignorons. Le gouvernement entend-il demander de nouveaux impôts au peuple ? Nous l'ignorons. Hier, j'ai eu l'honneur d'en faire la remarque, à l'occasion d'une observation de notre honorable président au sujet de la reprise des travaux relatifs au budget des voies et moyens dans les sections ; nous allons examiner un budget des voies et moyens présenté en février ou en mars dernier, sans savoir si le gouvernement va nous demander, oui ou non, de nouveaux impôts.

Il est bien vrai que le budget n'est qu'une loi d'application, mais il est vrai aussi que les impôts pour l'année 1851 doivent recevoir leur application dans le budget de 1851. Y aura-t-il ou n'y aura-t-il pas de nouveaux impôts ? Le gouvernement entend-il faire rentrer la chambre dans la voie ruineuse des travaux publics ? Entend-il la faire rentrer dans la voie désastreuse des emprunts ? Il nous importe de connaître les intentions du gouvernement à cet égard. Nous voulons savoir, nous représentants du peuple, qui sommes envoyés ici pour amener le plus d'économies possible dans les dépenses publiques, pour empêcher que le gouvernement ne mette trop avant la main dans les poches des contribuables ; nous voulons savoir jusqu'à quelle profondeur le gouvernement veut cette année l'y insinuer.

Il me semble, messieurs, que des explications sont indispensables en pareille matière ; il est nécessaire, soit aujourd'hui, soit au jour qu'il plaira à MM. les ministres de fixer, que nous sachions quelle est la ligne de conduite que le cabinet entend suivre dans cette session, au point de vue politique, et principalement au point de vue financier.

Je pense donc que l'honorable M. de Perceval a fait une chose très utile, en appelant notre attention sur ce point ; pour mon compte, j'appuie l'observation, et je crois que de telle manière que le cabinet le jugera convenable, il doit nous révéler la pensée qui le dirigera pendant la session où nous venons d'entrer ; c'est, au reste, l'usage consacré dans tous les parlements.

M. le président. - La question est donc de savoir si la chambre entend ouvrir une discussion politique.

M. Dumortier. - Je demande si le ministère nous dira quel est son programme.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas la moindre difficulté pour le ministère à exposer son programme. Ce programme est très simple : le ministère continuera de marcher dans la voie où il est entré il y a trois ans.

Maintenant, je le répète, nous ne reculons en aucune manière devant un débat politique ; nous le désirons, pour notre compte. Mais avant d'engager la chambre dans une discussion, il est juste que nous sachions si la chambre est disposée à entrer dans une discussion politique, non pas dans une discussion vague, purement théorique, sans aucun résultat, mais une discussion sérieuse, qui aboutisse à un vote sérieux de la chambre.

Si on entame une discussion politique, nous demanderons qu'après que le gouvernement aura produit sa pensée, la chambre formule la sienne dans un ordre du jour motivé.

Voilà dans quelles conditions nous croyons qu'il est convenable pour tout le monde d'accepter un débat politique. La chambre aura maintenant à prononcer.

M. le président. - Il est donc nécessaire que la chambre s'explique sur le point de savoir si elle entend avoir une discussion politique.

M. Dumortier. - Si le ministère ne nous communique rien, il est impossible d'entamer une discussion politique.

M. le président. - Le ministère vient de dire que si la chambre le juge convenable, il est prêt à entrer dans toutes les explications que comporte une discussion politique.

(page 19) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est cela !

M. Mercier. - Personne, me semble-t-il, n'a proposé d'ouvrir une discussion politique ; des interpellations précises ont été faites au ministère sur certains points bien déterminés. Avant de savoir s'il y aura un débat politique, il faut nécessairement que le ministère réponde aux questions nettement posées ou déclare qu'il n'est pas disposé à le faire ; aucun de nous n'a l'intention préconçue de soulever un débat politique, qui ne peut être que la conséquence des éclaircissements que donnera le ministère.

M. le président. - Il faut cependant que la chambre se prononce régulièrement. Il faut qu'elle se prononce sur cette question. Entend-elle que le ministère réponde aux interpellations qui lui ont été soumises par M. de Perceval ? Au reste, posez la question comme vous l'entendrez ; je n'ai qu'un but, c'est d'amener une décision.

M. de Perceval. - Messieurs, il n'entre pas dans mes intentions de revenir au discours que j'ai eu l'honneur de prononcer. Mais je dois déclarer avec franchise qu'une chose me peine profondément, c'est que le ministère, composé de nos amis politiques, ne daigne pas répondre aux questions précises que je lui ai adressées.

J'ai demandé à l'honorable ministre des affaires étrangères quels ordres il avait donnés à notre ministre plénipotentiaire, à Rome, pour venger, en définitive, l'honneur du pays, et il ne répond pas. J'ai demandé à l'honorable ministre de l'intérieur si la loi sur l'enseignement moyen est exécutée ; je lui ai demandé si nous aurions la révision de la loi sur l'enseignement primaire, et il déclare qu'il n'a rien à dire !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas du tout, je suis prêt à répondre.

M. de Perceval. - J'ai demandé à l'honorable ministre de la justice si les modifications à la loi sur la détention préventive, promise par son honorable prédécesseur, ne seraient pas proposées, dans le courant de cette session. J'ai demandé à l'honorable ministre des finances si le gouvernement solliciterait un nouvel impôt, quelle est la situation financière, et M. le ministre se croisera les bras, et nous dira : Nous n'avons rien à répondre. Je laisse la chambre et le pays apprécier cette attitude.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je n'éprouve pas plus que mes collègues le moindre embarras à répondre aux interpellations de l'honorable préopinant.

Mais doit-on répondre dès maintenant à ces interpellations et engager un débat politique, ou doit-on y répondre lorsque les budgets se présenteront ? Voilà toute la question, et l’honorable préopinant n'est pas fondé à dire que moi, qui n'étais pas présent lors de son interpellation, et qui n'en ai pas été informé, je n'ai pas voulu y répondre. Je ne sais pas, en vérité, où l'honorable M. de Perceval a été chercher qu'on refusait de lui répondre.

Toute la question est de savoir si la chambre entend engager dès maintenant un débat général sur toute la politique du gouvernement, ou si la chambre entend remettre à chaque budget les interpellations adressées aux membres du cabinet. Il me semble que cette question aurait trouvé mieux sa place dans la discussion très prochaine de mon budget. C'est à la chambre à décider si elle veut qu'on réponde immédiatement à ces interpellations.

M. Delfosse. - Comme il n'y a paseu de proposition formulée, il n'y a rien à mettre aux voix. Il est certain que le gouvernement devra s’expliquer, sinon sur tous, au moins sur la plupart des points indiqués par l'honorable M. de Perceval. Mais c'est au ministère à choisir le moment des explications, à moins que la chambre ne l'indique elle-même.

Si l'honorable M. de Perceval ne formule pas de proposition, et si personne ne dcmande plus la parole sur cet incident, nous devons passer à la discussion de l'un des budgets à l'ordre du jour.

M. le président. - Il n'y a point de proposition faite.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je tiens à constater que nous ne nous refusons en aucune manière à répondre aux différents points qui ont été soulevés par les interpellations.

Nous sommes prêts, dès maintenant, à entrer dans le débat. Ce n'est pas au ministère à décider cette question, c'est à la chambre qu'appartient ce soin. La chambre entend-elle entamer dès aujourd'hui un débat politique ? Nous sommes prêts à lui répondre. Entend-elle, au contraire, ouvrir les débats à la discussion des divers budgets ? Libre à elle. Pour notre part, nous nous soumettrons au vœu de la chambre, et c'est alors que nous répondrons aux diverses questions qui nous ont été soumises, et que nous n'avons aucune espèce de motif de vouloir éluder.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Personne ne faisant de proposition, nous passons à l'ordre du jour qui est le budget de la justice. La discussion générale est ouverte.

M. de Perceval. - Je demande la parole.

- Plusieurs voix. - Nous ne sommes pas prêts ; nous n'avons pas nos pièces.

M. de Theux. - Il y avait quatre objets à l'ordre du jour ; l'élection de Dixmude, les pétitions, le budget des affaires étrangères et de la justice. Il est naturel qu'on ne soit pas préparé à aborder le dernier de ces objets. Je crois qu'il serait plus convenable, l'heure étant avancée, d'écouler un feuilleton de pétitions ; demain on pourrait continuer la discussion du budget de la justice si tant est qu'elle commence aujourd'hui,

M. le président. - En l'absence de M. de T'Serclaes, la chambre avait décidé qu'on ne s'occuperait pas aujourd'hui du budget des affaires étrangères.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ne pourrait-on pas commencer aujourd'hui la discussion du budget des affaires étrangères ou de celui de la justice ? Dans cette discussion, le ministère pourrait répondra à des interpellations auxquelles nous ne voulons pas opposer ni le silence ni le dédain. M. le ministre des affaires étrangères étant prêt à répondre aux interpellations qui le concernent, nous demandons à la chambre de commencer la discussion générale du budget de son département.

M. de Theux. - Si on commence la discussion générale des budgets de la justice ou des affaires étrangères, je demande qu'elle ne soit pas close aujourd'hui. Mon intention n'était pas d'empêcher d'une manière absolue qu'on ouvre aujourd'hui la discussion de l'un de ces budgets, mais de la reculer quelque peu vers la fin de la séance, afin qu'elle soit continuée à demain.

M. le président. - Le feuilleton de pétitions ne nous mènerait pas loin, car on ne pourrait entendre de rapport que sur trois ou quatre pétitions.

La chambre entend-elle commencer par le budget des affaires étrangères ?

M. Orts. - Je crois qu'il serait plus convenable de commencer par la discussion générale du budget de la justice que par la discussion du budget des affaires étrangères : il y a pour cela une raison de convenance : le rapporteur du budget des affaires étrangères est absent, tandis que le rapporteur du budget de la justice (c'est moi) est à son poste.

Le ministre a annnoncé qu'il répondra aux interpellations qui lui ont été adressées dans la discussion des budgets que ces interpellations concernent. Comme M. de Perceval a adressé un certain nombre d'interpellations directes au ministre de la justice, M. le ministre pourrait y répondre. Il importe peu que M. le ministre des affaires étrangères réponds avant M. le ministre de la justice.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La première question concerne le budget des affaires étrangères. Nous demandons que la discussion de ce budget ait la priorité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Puisqu'il est convenu que la discussion ne sera pas close aujourd'hui, cela ne peut nuire à personne.

- La chambre consultée donne la priorité à la discussion sur le budget des affaires étrangères.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l’exercice 1851

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'ensemble du budget.

- La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, l'honorable M. de Perceval m'a adressé une interpellation pour savoir quelle a été l'attitude du gouvernement à la suite de l'allocution prononcée par le Saint-Père le 20 mai dernier. Je crois ne pouvoir mieux répondre à la demande de l'honorable préopinant qu'en donnant lecture à la chambre de la dépêche qui a été adressée le 14 juin dernier à notre chargé d'affaires à Rome avec invitation d'en remettre la copie au cardinal prosecrétaire d'Etat, suivant les usages diplomatiques.

Le gouvernement ne pouvait accepter l'appréciation qui avait été faite dans l'allocution, de l'état des choses en Belgique, appréciation si peu conforme à la réalité. Il a cru de son devoir de protester immédiatement.

Voici le texte de la dépêche qui a été adressée à notre chargé d'affaires :

« Bruxelles, le 14 juin 1850.

« Monsieur le chargé d'affaires,

« Le journal français l'Univers publie, et plusieurs de nos journaux reproduisent l'allocution prononcée par notre Saint-Père dans le consistoire secret du 20 mai 1850, allocution dont le texte latin vient de me parvenir avec votre lettre du 25, numéro d'ordre 72.

« Ce document a naturellement appelé l'attention du gouvernement du Roi ; j'ajouterai qu'il a excité à un haut degré sa surprise.

« Assurément, il n'entre pas dans ma pensée d'ouvrir une controverse qui serait presque impossible, aucun fait précis n'étant articulé. Je dirai plus : Si les paroles du Souverain Pontife ne devaient être entendues que de la Belgique, le gouvernement pourrait se référer à ce qui est ici de notoriété publique ; mais ces paroles sont destinées à avoir un grand retentissement dans beaucoup de pays où la situation de la Belgique n'est peut-être pas suffisamment connue ; dès lors, il n'est pas permis au gouvernement belge de garder le silence ; et une explication est devenue nécessaire.

« Voici ce qu'on lit dans l'allocution de Sa Sainteté :

« Nous ne pouvons maintenant nous défendre dans notre sollicitude paternelle envers l'illustre nation des belges, qui s'est toujours fait remarquer par son zèle pour la religion catholique, de témoigner publiquement notre douleur à la vue des périls qui menacent chez elle la religion catholique. Nous avons la confiance que son Roi sérénissime, et tous ceux qui, dans ce royaume, tiennent le timon des affaires, réfléchiront dans leur sagesse combien l'Eglise catholique et sa doctrine servent à la tranquillité et à la prospérité temporelle des peuples ; qu'ils voudront conserver dans son integrité la force salutaire de cette même Eglise (page 20) et considérer comme leur tâche la plus importante celle de protéger et de défendre les saints prélats et les ministres de l'Eglise.

« La nature des allégations dirigées contre la Belgique, allégations tout à la fois si graves et si vagues, peut nous autoriser à n'y voir qu'une première impression, et non pas une opinion définitive. Cette impression, on peut l'expliquer par le langage et l'attitude de la presse et d'une partie des orateurs de l'opposition en Belgique ; mais elle ne saurait résister à un examen quelque peu sérieux.

« On parle des périls qui menacent parmi nous la religion catholique ; on espère que le Roi et son gouvernement s'appliqueront à protéger et à défendre les saints prélats et les ministres de l'Eglise. Mais ces périls, où sont-ils ? Comment et par qui la religion catholique est-elle menacée ? Comment, pourquoi et contre qui y a-t-il lieu de défendre et de protéger les saints prélats et les ministres de l'Eglise ? La Belgique a-t-elle cessé d'offrir l'exemple d'un peuple chez lequel la Religion ne rencontre que sympathies et respect ? A-t-elle cessé d'assurer à l'Eglise ces libertés et au clergé ces garanties morales et matérielles, que ne leur donne assurément au même degré aucune des autres nations dont il est parlé avec tant d'éloges dans l'allocution pontificale ? La discussion récente de la loi sur l'enseignement moyen, n'a-t-elle pas prouvé combien le gouvernement a sincèrement à cœur les intérêts de la religion, la dignité et l'autorité morale de ses ministres ?

« Les chambres, à leur tour, ne se sont-elles pas montrées animées des mêmes sentiments ? N'ont-elles pas voté à une imposante majorité cette loi toute constitutionnelle ?

« Qu'on ne perde pas de vue que celle-ci a uniquement pour but de régler l'instruction publique donnée aux frais de l'Etat ; et que tous les établissements privés, laïques ou religieux, restent complètement libres et en dehors de son action. Loin d'exclure ou de restreindre l'enseignement religieux dans les établissements publics, elle doit avoir, au contraire, pour effet d'en assurer et d'en étendre, en ce qui les concerne, la bienfaisante influence.

« Dans la situation actuelle des choses, les établissements publics de la plupart de nos villes manquent d'enseignement religieux. Désormais, en vertu de l'article 8 de la nouvelle loi, il dépendra du clergé que cette regrettable lacune soit comblée ; et ce n'est assurément pas du gouvernement que viendront les obstacles à l'accomplissement de sa mission.

« En tous cas, dans les opinions diverses qu'on peut se former relativement à tel ou tel point d'une loi particulière, y a-t-il des motifs fondés pour concevoir et pour propager des craintes sur la situation générale d'un pays où règne, sous le régime le plus libre et le plus tolérant, une tranquillité profonde, et qui, comme le rappelle si justement Pie IX, s'est toujours fait remarquer par son zèle pour la religion catholique ?

« Ajoutons que les institutions du pays, loin de les contrarier, se trouvent en harmonie complète avec ses mœurs et ses sentiments.

« La société religieuse y est complètement indépendante de la société civile. Aucune espèce d'entrave ne gêne la liberté de l'Eglise dans aucune de ses manifestations.

« Oublie-t-on, en effet, qu'en Belgique l'Etat n'intervient ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres des cultes ? Que ceux-ci jouissent de l'indépendance la plus absolue dans leurs relations avec leurs supérieurs ? Ne sait-on pas que l'Etat n'exerce aucun contrôle, aucune surveillance, soit sur les étabîhscments laïques d'instruction dirigés par le clergé, soit sur les établissements religieux, même lorsqu'ils sont subsidiés par le trésor public ? La liberté d'enseignement n'est-elle pas illimitée en Belgique ? La moindre atteinte a-t-elle été portée à ces principes constitutionnels ? Le trésor public ne s'ouvre-t-il pas libéralement pour assurer les traitements et pensions du clergé, pour l'entretien du culte et la splendeur de ses édifices ?

« Dans cette situation, je dois vous inviter, M. le chargé d'affaires, à voir sans retard Mgr le cardinal Antonelli et à déclarer à Son Eminence que nous en appelons au Saint-Père, mieux informé, et que nous avons l'espoir fondé que ee ne sera pas en vain. Déjà la cour de Rome, dans sa haute impartialité, a fait justice de certaines opinions erronées qui avaient été répandues sur les hommes et les choses de la Belgique.

« Vous ajouterez, M. le chargé d'affaires, que le gouvernement du Roi se voit à regret dans l'obligation de protester, dès à présent, contre des allégations en complet désaccord avec la réalité des faits.

« Je vous autorise, M. le chargé d'affaires, non seulement à donner lecture, mais à laisser copie à Mgr le cardinal des présentes instructions.

« Agréez, M. le chargé d'affaires, les assurances de ma considération très distinguée.

« Le ministre des affaires étrangères,

« C. d'Hoffschmidt. »

Notre chargé d'affaires a reçu, dans le mois de juillet, une réponse du cardinal secrétaire d'Etat. Cette réponse a été présentée sous la forme de note verbale ; mais la chambre n'ignore pas qu'une note verbale, quoique non signée, a une valeur tout à fait officielle :

Note verbale de M. le chargé d'affaires de Belgique :

« Le paragraphe de l'allocution relatif à la Belgique présente dans ses dernières lignes une traduction inexacte. Le Saint-Père dit : « ... ac sacros ipsius ecclesiae antistites et ministros eorumque optimam operam legere de tueri studeant » ; et non pas « ... celle de protéger et de défendre les saints prélats et les ministres de l'Eglise » Cela ne peut certainement pas passer sans observation. L'allocution ne parle donc que des périls qui menacent la religion catholique. Le Saint-Père a vu ces dangers principalement dans la loi sur l’enseignement moyen que l'on discutait alors dans les chambres.

« Les inconvénients que l'on pouvait craindre, ont été signalés dans la discussion même de cette loi, et les appréhensions sérieuses que l'on éprouvait au sujet des dommages qui pouvaient en résulter pour l'Eglise, ont été indiquées dans les plaintes et les réclamations de l'épiscopat de Belgique.

« Après cela, qu'y a-t-il d'étonnant que le Saint-Père ait épanché ses craintes dans l'allocution ?

« Du reste, il est certain que la religion jouit en Belgique d'une grande liberté, et que la loi en question a encore été en partie améliorée par la manière dont elle a été expliquée par le ministère ; mais les dangers qui peuvent en résulter pour la religion, pour la foi de la nouvelle génération sont pourtant à craindre.

« Cependant, malgré ces craintes, le Saint-Père n'a pas laissé d'exprimer encore son espoir de voir ces dangers écartés, et il attend surtout de la sagesse de S. M. le Roi des Belges et du bon esprit de la nation, que les espérances qu'il a conçues répondront au résultat désiré. »

Messieurs, le gouvernement n'ayant pas cru que cette réponse fût suffisante, a déclaré qu'il persistait dans les termes de la dépêche du 14 juin.

Ces explications répondent suffisamment, je pense, à l'interpellation qui nous a été adressée par l'honorable préopinant.

M. de Perceval. - Sans doute.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je crois que l'honorable M. de Perceval m'a adressé encore d'autres interpellations. Je n'étais pas présent lorsqu'il a prononcé son discours. S'il voulait bien les reproduire, je serais prêt également à lui répondre.

M. de Perceval. - Parmi les questions que j'ai soumises à M. le ministre des affaires étrangères, se trouvent celles-ci :

Le traité avec la Prusse a été dénoncé. J'ai demandé s'il y avait espoir de le renouveler, et pour quel terme et sun quelles bases ce traité serait renouvelé.

J'ai demandé aussi si l'on avait ouvert des conférences à Paris, dans le but de conclure une union douanière avec la France. Car, si j'ai bonne mémoire, dans un an expire la convention entre la Belgique et la France.

Je désire que M. le ministre des affaires étrangères me réponde sur ces deux points.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, quant au traité du 1er septembre 1844, je puis annoncer à la chambre que tous les Etats du Zollverein sont d'accord qu'il y a lieu de prolonger provisoirement ce traité.

- Un membre. - Pour quel terme ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je ne puis pas encore dire aujourd'hui quelle sera la durée de cette prolongation. Sera-t-elle de six mois ? Sera-t-elle d'un an ? C'est ce que je ne puis faire connaître encore à la chambre. Mais il est bien entendu dans tous les cas que, pendant la durée de la prolongation, les négociations continueront pour arriver à la conclusion d'un traité définitif entre la Belgique et le Zollverein.

L'honorable M. de Perceval m'a demandé aussi si des négociations avaient été ouvertes avec la France pour arriver, je crois, à la conclusion de l'union douanière.

Le traité du 13 décembre 1845 entre la Belgique et la France expire le 10 août 1852. Il est indubitable que des négociations devront être entamées pour étendre, je l'espère, les dispositions de ce traité. Quant à une négociation pour une union douanière, aucune ouverture n'a été faite d'aucun côté. Mais, dans tous les cas, je suis persuadé que la France n'accepterait pas la négociation sur ce terrain. Je n'ai pas besoin de rappeler qu'il y a une dizaine d'années, des négociations ont été entamées sur ce sujet ; mais qu'elles n'ont abouti à aucun résultat qu'à faire connaître les immenses difficultés qui s'élevaient contre la conclusion d'un semblable arrangement. Je ne pense pas que ces difficultés, qui semblaient insurmontables à cette époque, se soient évanouies aujourd'hui.

M. Osy. - M. le ministre des affaires étrangères vient de nous donner les renseignements qui lui ont été demandés sur les négociations avec la cour de Rome par suite de l'allocution papale relative à la Belgique.

Mais il est un autre point sur lequel je désire avoir une explication franche et nette de M. le ministre des affaires étrangères. Nous avons vu dans les journaux français, et notamment dans l'Univers, qui paraît très au courant des affaires qui se traitent à Rome, diverses demandes qu'on attribue au gouvernement belge. On y rapporte, entre autres, qu'il aurait demandé à la cour de Rome la suppression d'un évêque, le droit d'exercer certaines influences dans les séminaires et autres choses encore.

Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères de me dire franchement si ces demandes ont été adressées au nonce accrédité à Bruxelles, ou si elles ont été transmises à notre ministre à Rome pour être communiquées au Saint-Père.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai (page 21) lu aussi, il y a cinq ou six mois, dans un journal français, une dissertation sur des instructions qui auraient été adressées à notre ministre près de la cour de Rome.

Je puis déclarer à la chambre qu'il n'y a eu aucune demande faite à la cour de Rome, ni au nonce apostolique à Bruxelles ; qu'aucune négociation, aucune ouverture de quelque nature que ce soit n'a été adressée dans le sens de ce qui est indiqué dans l'article du journal étranger. Il n'y a pas eu même de délibération par le conseil des ministres sur aucun de ces sujets, et je déclare qu'il est parfaitement faux, qu'il soit jamais entré dans la pensée du gouvernement de demander la suppression d'un évêque, ou plutôt, je suppose, d'un évêché.

Voilà, je crois, messieurs, une réponse qui peut tranquilliser l'honorable préopinant.

M. Osy. - L'honorable ministre des affaires étrangères vient de nous dire qu'il n'y a eu aucune négociation avec la cour de Rome pour les différents objets dont on a parlé dans les journaux français.

Mais, messieurs, si je suis bien informé, je crois que ces diverses demandes ont été adressées par M. le ministre de la justice à M. le ministre des affaires étrangères. (Interruption.)

Je demande positivement si M. le ministre de la justice n'a pas fait de demande à l'honorable ministre des affaires étrangères pour être communiquées à notre ambassadeur à Rome. Si le fait est faux, je serai charmé de l'apprendre.

M. Dolez. - Nous n'allons pas écouler aux portes.

M. Osy. - Je conçois que des négociations n'aient pas eu lieu avec la cour de Rome, mais si la démarche dont je parle avait eu lieu, même sans que le conseil des ministres eût été consulté, elle nous donnerait l'indication des tendances du gouvernement ; et c'est sur ce point que je voudrais avoir une réponse catégorique.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, si les faits que vient d'articuler l'honorable M. Osy étaient exacts, ils se rapporteraient à mon prédécesseur et non pas à moi ; mais si je les avais posés, je refuserais de la manière la plus positive de répondre à l'interpellation de l'honorable membre. Je n'admets pas que l'on vienne écouter aux portes des ministères ou que l'on puisse profiter des indiscrétions de certains employés. Nous n'avons à répondre qu'aux interpellations qui portent sur des négociations suivies entre le gouvernement et des cours étrangères ; nous n'avons pas à répondre à ce qui concerne les différentes conversations qui peuvent avoir été tenues, nous ne pouvons discuter toutes les idées qui peuvent avoir été émises par l'un ou l'autre membre du gouvernement, mais qui n'auraient eu aucune espèce de suite.

Maintenant l'honorable M. Osy reconnaît d'un côté que le gouvernement lui-même n'aurait pas délibéré sur ces propositions, et d'un autre côté, il a dit qu'elles dénoteraient cependant les tendances du gouvernement. Mais quelle preuve des tendances du gouvernement qu'un fait qui n'a pas été délibéré en conseil des ministres, et dont la plupart des membres du cabinet n'ont aucune espèce de connaissance ?

Encore une fois, messieurs, dans l'intérêt des principes, je crois que le gouvernement ne peut pas répondraà des interpellations comme celles qui viennent d'être faites.

M. Dechamps. - M. le ministre de la justice, répondant à l'honorable M. Osy, a dit avec raison qu'il ne pouvait pas admettre qu'on vînt écouler aux portes des ministères et que les ministres dussent répondre à des interpellations puisées à de pareilles sources. Mais, messieurs, si j'ai bien compris l'honorable M. Osy, il a fait une interpellation qui n'a pas une telle origine et à laquelle il n'a pas été clairement répondu : l'honorable M. Osy a demandé, afin qu'on ne jouât pas sur les mots, si le document dont il a parlé et dont l'existence a été révélée par un journal français, avait été adressé à notre ministre à Rome.

Il est peu important de savoir si la pensée de ce document provient du ministère de la justice, mais il peut être important de connaître si M. le ministre des affaires étrangères a envoyé à notre ministre à Rome une dépêche renfermant les points dont on a parlé.

Voilà, messieurs, la question qui a été posée par l'honorable M. Osy. Il y a, messieurs, une distinction à faire : le ministre a pu envoyer une pièce diplomatique à notre ministre à Rome, pour que celui-ci sondât les dispositions du Saint-Siége, mais sans qu'aucune négociation en soit résultée.

Ce n'est donc pas répondre, en se bornant à dire qu'aucune négociation n'a été entamée, qu'aucune note n'a été remise au Saint-Siège ; la pièce dans laquelle les vues et les intentions du ministère sont consignées, n'en existerait pas moins.

Voilà sur quoi M. Osy a interpellé le ministère.

Permettez-moi, messieurs, d'ajouter un mot. On a soulevé tout à l'heure un incident relativement à l'allocution papale ; si cette discussion devait s'ouvrir, évidemment la chambre aurait le droit de demander la production non seulement de la pièce qui a été lue par M. le ministre, mais la production de toutes les pièces relatives aux négociations pendantes devant le gouvernement romain et des dépêches adressées à notre ministre à Rome.

Je ne sais pas, messieurs, si cette discussion doit continuer, mais la chambre a le droit, pour s'éclairer, de demander le dépôt sur le bureau de toute la correspondance entre le gouvernement belge et le Saint-Siège ainsi que des instructions données à notre agent diplomatique, afin que nous puissions connaître l'état complet de la question. Je ne demande pas maintenant ce dépôt, je veux seulement dire que la réponse de M. le ministre n'est pas complète, qu'il n'a pas bien saisi l'interpellation de M. Osy, et qu'il n'y a pas répondu avec précision et clarté.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - L'honorable M. Dochamps a dit, avec raison, que s'il y avait eu des négociations avec la cour de Rome, et si un débat devait s'engager sur ces négociations, il aurait le droit de demander communication de toutes les pièces qui se rapportent à la négociation. Mais, messieurs, il n'y a pas eu la moindre négociation avec la cour de Rome, il n'y a pas eu d'autre communication officielle que celle dont il vient de vous être donné lecture.

Maintenant l'honorable membre insiste sur l'interpellation de l'honorable M. Osy ; mais il me semble que la réponse que j'ai faite à cette interpellation est tout à fait péromptoire, et je ne sais pas, en vérité, quelle autre explication l'on pourrait désirer. Voudrait-on, par hasard, me demander quelles conversations j'ai pu tenir avec notre agent diplomatique, quelles lettres confidentielles j'ai pu lui écrire à l'un ou à l'autre sujet ?

A cela messieurs, je ne crois pas devoir répondre. Je ne veux pas poser un semblable antécédent. Le gouvernement doit donner communication de toutes les pièces quand il y a eu négociation, mais il ne doit pas donner communication des correspondances confidentielles. Du reste, quand j'aurais écrit à notre agent diplomatique à Rome pour l'entretenir de certains points discutés dans les chambres, pour y appeler son attention, ou bien quand je l'aurais entretenu de ces points dans une conversation particulière, où serait le mal ? Peut-on contester ce droit au gouvernement ?

Je le répète, messieurs, la chambre serait parfaitement dans son droit en demandant communication des pièces, s'il y avait eu des négociations ou des ouvertures ; mais peut-on dire que la moindre démarche ait été faite auprès de la cour de Rome, que celle-ci ait fait la moindre réponse formulé la moindre plainte, la moindre observation ? Je le dis donc encore une fois, la réponse si explicite que j'ai faite à l'honorable M. Osy me semble complètement satisfaisante, et je pense qu'elle s'applique à toutes les parties de l'interpellation de l'honorable membre.

M. Dumortier. - Messieurs, vous ne devez point être surpris, si le pays s'est fortement ému à la lecture de l'article du journal français auquel j'ai fait tout à l'heure allusion. En effet, messieurs, d'après cet article on remet en question une notable partie des garanties religieuses que la Constitution a consacrées. Je regrette de ne point avoir prévu que cet incident se serait produit aujourd'hui, car j'aurais apporté avec moi cet article, que je conserve précieusement à cause de son importance. Si ma mémoire est fidèle, on allait jusqu'à demander si l'Etat, puisqu'il paye les ministres du culte, ne devait pas intervenir dans leur nomination, ce qui serait une violation flagrante de la Constitution dans la première des garanties religieuses. Vous devez comprendre, messieurs, combien de pareilles tentatives ont dù préoccuper sérieusement toutes les personnes qui portent intérêt à la conservation des libertés religieuses inscrites dans notre pacte fondamental ! Je désirerais, pour mon compte, que tout cela fût non fondé, que ces assertions ne fussent point vraies ; mais je dois le dire, la manière dont on s'explique me laisse excessivement dans le doute. M. le ministre des affaires étrangères a bien raison de dire qu'il ne doit communication à la chambre que des choses accomplies ; mais, d'un autre côté, nous avons le droit de voir comment le gouvernement marche, de voir si la tendance de ses négociations convient au pays. (Interruption.)

Il y a commencement de négociation, M. le ministre des finances, dès le jour où vous envoyez une note à une cour près de laquelle siège un agent belge, car vous aviez, dans votre note, manifesté votre intention. Eh bien, l'intention exprimée dans la note à laquelle j'ai fait allusion, pouvait très bien représenter l'opinion de M. le ministre des finances qui vient de m'interrompre ; et ne pas représenter celle du pays.

Je dis donc que le pays s'est gravement ému de la lecture de cette note. J'adjure M. le ministre des affaires étrangères, dans la loyauté duquel j'ai pleine confiance, de vouloir bien, sans aucune réticence, tranquilliser le pays sur l'existence d'une note semblable. Il est d'une grande importance que le gouvernement belge ne soit pas même soupçonné d'avoir envoyé à Rome une note de ce genre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, un objet très important appelait l'attention de la chambre : c'était celui de savoir quelle a été l'attitude prise par le gouvernement en présence de l'allocution papale. Nous croyons que les explications qui ont été données par le gouvernement sont de nature à satisfaire complètement la chambre et le pays.

Il semble maintenant qu'on veuille éviter la discussion sur ce point, et détourner l'attention d'un objet sérieux, pour la porter sur l'objet le plus frivole, le plus indigne d'occuper l'attention de la chambre. (Interruption.)

Je dis que c'est un objet frivole, parce qu'en présence de la déclaration du gouvernement, qu'il n'y a eu aucune espèce de communication à la cour de Rome sur les points qui ont été indiqués, qu'il n'y a eu même aucune espèce de délibération du cabinet sur ces points, il est évident que ceux qui prétendent qu'on menace les libertés constitutionnelles doivent renoncer à manifester des craintes qui pour eux-mêmes sont, j'en suis sûr, très peu sérieuses.

Et si l'honorable M. Dumortier qui, suivant sa coutume, m'a mis personnellement en cause dans cette circonstance, veut savoir quelle est mon opinion sur les points en question, je la lui dirai très franchement. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir lieu à délibération seulement à cet (page 22) égard ; il n'y a pas lieu à traité, il n'y a pas lieu à concordat, parce qu'il n'y a rien à abandonner ni de l'un ni de l'autre côté. Nous sommes et resterons sous le régime plein et entier de la liberté.

M. de Theux. - Messieurs, l'honorable ministre des finances vient de dire que la réponse qui a été faite au cardinal secrétaire d'Etat sur l’allocution du pape, est de nature de donner pleine et entière satisfaction à la chambre et au pays. Je conviens que les intentions exprimées dans cette dépêche du gouvernement sont satisfaisantes, ou tout au moins doivent paraître telles ; mais ne nous hâtons pas de proclamer notre satisfaction complète. Avant d'aller aussi loin, nous attendrons les faits. Voilà la seule réserve que j'avais à faire à cet égard.

Relativement à la négociation, il est une chose qui ressort pleinement des explications de M. le ministre des affaires étrangères : c'est qu'il n'a pas existé réellement de négociation dans le sens proprement dit ; mais d'autre part il me semble évident qu'une note renfermant les objets indiqués par l'honorable M. Osy et signalés par la presse française, a été envoyée à notre ministre plénipotentiaire ou à notre chargé d'affaires à Rome. Pour quel motif il n'en pas été fait usage par notre envoyé à Rome ? C'est ce que nous ne pouvons pénétrer d'après la réponse donnée par le gouvernement. Mais le fait de l'envoi de cette note à notre ministre plénipotentiaire ou à notre chargé d'affaires me paraît constant.

Maintenant, je le répète, puisqu'il n'y a pas de négociation ouverte, je comprends très bien que nous ne devons pas demander communication de la négociation ; mais dans quel but cette note a-t-elle été envoyée ? Pour quel motif n'y a-t-il pas été donné suite ? Ce sont cependant là des points qui sont dignes d'exciter notre curiosité.

Je regrette que M. le ministre des affaires étrangères n'ait pas donné d'explication sur ce point. Nous étions désireux de les entendre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne pense pas qu'il puisse entrer dans les intentions d'un ancien ministre des affaires étrangères d'insister pour la communication à la chambre, d'observations échangées entre un ministre et l'un de ses agents. Je pense qu'il serait contraire à tous les usages constitutionnels qu'on a invoqués hier, de vouloir entraîner la chambre et le gouvernement dans une pareille voie.

L'on peut, messieurs, se livrant à son imagination, supposer toute espèce de correspondance entre le gouvernement et ses agents ; la curiosité peut être vivement excitée par les révélations faites à certains journaux ; peut-être serait-il intéressant pour quelques membres de cette chambre, que le ministère apportât ici sa correspondance, non seulement avec ses agents extérieurs, mais encore avec ses agents intérieurs ; mais je ne pense pas que l'honorable M. de Theux soit d'avis d'engager le gouvernement à suivre une pareille marché. Au reste, ce n'est pas pour nos correspondances que nous éprouverions des scrupules.

En ce qui concerne ce qu'on a appelé la question papale, il n'y a pour le moment qu'une question dont la Chambre doive s'occuper, c'est celle qui a fait l'objet de la correspondance dont mon honorable ami, M. le ministre des affaires étrangères, vient de vous donner connaissance ; c'est la seule affaire officielle que nous ayons en ce moment avec Rome.

L'honorable M. de Theux vient de nous dire qu'avant de faire connaître sa satisfaction, la chambre attendrait les faits.

De quels faits l'honorable membre entend-il parler ? La cour de Rome, trompée, dans cette circonstance, par des communications que nous ne pouvons attribuer qu'a de manvais citoyens ; trompée dans cette circonstance, comme dans une autre, sur ce qui se passait en Belgique, a cru devoir adresser à la Belgique catholique, libérale, constitutionnelle, des reproches immérités. Le gouvernement a voulu, en prenant en mains sa propre défense, prendre en même temps celle du pays, et nous avons des motifs de penser que le pays se montrera satisfait de la réponse du gouvernement.

Nous avons aussi la conviction que si la chambre avait à manifester une opinion sur l'attitude prise par le gouvernement, elle ne manquerait pas de lui donner un témoignage de satisfaction ; peut-être l'honorable M.de Thcux lui-même ne voterait-il pas contre une adhésion donnée dans cette circonstance à la marche suivie par le gouvernement. Savez-vous pourquoi ? C'est parce que le gouvernement est dans la vérité, c'est parce qu'il avait à répondre à des erreurs fâcheuses, répandues peut-être par quelques adversaires politiques qui ont cru trouver qui sait ? dans cette circonstance un expédient électoral ; car la coïncidence de l'allocution papale avec les élections a frappé beaucoup d'esprits en Belgique.

M. de Perceval. - C'est très vrai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a un certain droit des gens entre les partis. Nous permettons à nos adversaires d'aller aussi loin qu'ils le veulent dans leur opposition politique et personnelle contre nous. Mais ce qu'ils devraient respecter toujours, c'est la vérité. Ce qu'on devrait éviter, ce serait d'appeler à son aide telle ou telle puissance étrangère. Ce qu'il faudrait repousser comme un déshonneur pour un parti, ce serait d'aller calomnier son propre pays à l'étranger. (Interruption.)

Pour notre part, nous eussions désiré une discussion de l'adresse, nous l'eussions désirée, principalement pour le fait sur lequel on vient de soulever un débat. Nous eussions voulu obtenir de la chambre une forte adhésion à la conduite et au langage tenus par le cabinet dans cette circonstance, et nous l'eussions obtenue, nous n'en doutons pas.

Pour ce qui est des observations échangées entre les départements, puis entre les départements et leurs agents sur des affaires à traiter ou des thèmes à étudier, nous n'avons pas de communication à faire à la chambre.

Y a-t-il quelque point difficultueux à soumettre à la cour de Rome ? Y a-t-il des questions mixtes, administratives et religieuses à la fois, qui exigeraient une solution désirable surtout pour le clergé ? Cela n'est pas douteux.

Il reste un certain nombre de difficultés qu'il serait désirable de voir disparaître. Le gouvernement s'est préoccupé de ces difficultés, il ne le cache pas ; mais, jusqu'ici, il n'y a eu, à ce sujet, aucune espèce de négociation avec Rome.

Dès lors il n'y a aucune espèce de communication à faire à la chambre sur cette matière.

M. de Theux. - M. le ministre de l'intérieur vient de parler d'une communication qui aurait été faite à la cour de Rome par de mauvais citoyens, pour obtenir, au moment des élections, une allocution capable d'agiter les consciences catholiques.

Messieurs, aussi longtemps que le gouvernement qui a un agent accrédité à Rome qui, en cas d'attaque, a le moyen de savoir ce qui s'est passé, de s'éclairer sur les circonstances qui ont amené cette allocution ; aussi longtemps que le gouvernement n'aura pas dénoncé les calomniateurs, nous sommes en droit de ne point y croire, et nous sommes d'autant plus fondés de ne pas y croire, que, si nous avons bien entendu la lecture de la dépêche du cardinal-secrétaire d'Etat, nous avons compris que l'allocution a été faite d'après le projet de loi présenté sur l'enseignement moyen, et d'après les discussions qui ont eu lieu dans le parlement, d'après le projet de loi présenté, sur l'enseignement moyen et d'après les discussions qui ont eu lieu dans le parlement. J'aime à croire que ce n'est pas à des membres de cette chambre ou du sénat que s'adresse la qualification de mauvais citoyen.

En critiquant le projet de loi sur l'enseignement, comme nous l'avons fait avec nos honorables amis, nous avons exprimé une pensée vraie sur les dangers de cette loi, sur l'esprit de cette loi révélé dans l'exposé des motifs. Si notre pensée n'a pas été acceptée d'une manière complète par la majorité, la discussion a cependant amené des amendements importants, et des explications de la part du gouvernement, nous dirons même qu'elle a amené certain changement de position.

Il est évident que l'exposé de motifs et le texte du projet était un acte hostile à la liberté d'enseignement en tant qu'elle s'exerçait dans un but religieux, dans le but de développer la religion de la majorité du pays.

Nous avons exprimé, dans le temps, notre appréciation du projet et les craintes que ce projet faisait concevoir. Le ministère est maintenant en voie d'exécuter la loi. Il dépendra du gouvernement de diminuer beaucoup l'importance des craintes que nous avons manifestées ; mais aussi longtemps que nous n'aurons pas vu l'exécution complète de l'article 8 et des explications données dans cette enceinte et au sein du sénat en vue d'apaiser les craintes manifestées, nous suspendrons toute espèce de marque d'approbation.

Le gouvernement manifeste ses intentions, les intentions sont une bonne chose, mais en politique surtout il nous permettra d'attendre les faits avant d'exprimer notre opinion.

M. Dechamps. - Je ne puis pas laisser sans réponse les paroles que vient de prononcer M. le ministre de l'intérieur. Il a parlé de calomnie ; mais s'il y a eu des calomnies dont on ait ici à se plaindre, ce sont celles que l'honorable ministre de l'intérieur s'est permises contre un parti tout entier et contre la cour de Rome elle-même. Il a accusé la cour de Rome d'avoir joué un rôle électoral dans notre pays, en publiant l'allocution quelques jours avant nos élections de juin ; on n'a pas osé dire que ce fût intentionnellement, mais on a insinué qu'on l'y avait convié d'ici, dans un but électoral. La cour de Rome aurait joué un rôle odieux et M. le ministre de l'intérieur accuse un grand parti de le lui avoir fait jouer, en faisant acte de mauvais citoyen.

S'il y a des dénonciations à faire, qu'on les fasse ! Mais on n'en fera pas parce que cette allégation ne repose sur rien. Vous venez d'entendre la lecture de la note du cardinal Antonelli ; il explique les motifs qui ont fait élever la voix au souverain pontife ; il n'est pas besoin de recourir à des dénonciations ; l'appréciation du Saint-Père, il le déclare, a été puisée dans nos discussions parlementaires, dans des actes publics, dans les faits politiques posés.

Après tout, n'exagérons pas la portée de cette allocution papale. Pie IX a dit deux choses : Je crains et j'espère. J'ai des craintes, mais en même temps j'ai des espérances. Voilà le résumé de ce document solennel.

N'était-il donc pas permis à la cour de Rome, quand des questions religieuses de la plus haute importance agitaient le pays, d'exprimer, en termes modérés, les craintes que les évêques et les catholiques belges ont hautement manifestées, non seulement sur les dangers de la loi d'enseignement moyen, mais sur les dangers de la politique du ministère en ce qui concerne la question plus brûlante encore de la charité ?

Vous trouvez étonnant que le chef du monde catholique exprime des craintes quand vous avez changé la loi sur l'enseignement supérieur dans un esprit contraire à la liberté, de l'aveu des hommes les plus considérables de l'opinion libérale ; quand votre loi sur l’enseignement moyen, si elle ne viole pas la liberté d'instruction, la restreint évidemment ; quand son but avoué est d'opposer l'action de l'Etat à l'action du clergé ; quand vous voulez aller plus loin, en réformant la loi si sage sur l'instruction (page 23) primaire votée presque à l'unanimité des deux chambres ; quand vous voulez séculariser la charité en nuisant à l'influence religieuse et en même temps à l'intérêt des pauvres !

En présence de ces faits, vous trouvez que le souverain pontife a été trompé, parce qu'il a élevé sa voix pour dire : Je crains, mais j'espère ?

Je ne blâme pas le gouvernement de la réponse qu'il a faite ; il n'apprécie pas ces faits comme nous.

Si le débat n'avait pas continué, si on en était resté aux explications calmes de M. d'Hoffschmidt, je n'aurais pas pris la parole, j'aurais, comme mon honorable collègue, M. de Theux, laissé aux faits le temps de se produire ; mais je ne pouvais pas laisser passer, sans y répondre, les paroles inconvenantes adressées par l'honorable ministre de l'intérieur à la cour de Rome et à un grand parti belge.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je n'ai accusé ni la cour de Rome ni un grand parti belge, comme on l'appelle, des actes inconvenants que j'ai relevés. Voici ce que j'ai dit : La cour de Rome, dans cette circonstance comme dans une autre, a été trompée sur la Belgique. Le vérité n'a pas été connue ; la véritable situation du clergé et de la religion a été présentée sous un faux jour à la cour de Rome. Par quelle inspiration ces fausses notions sont-elles parvenues à la cour de Rome ? Nons n'avons pas l'avantage de fouiller dans les correspondances particulières ; mais il n'est pas bien difficile de remonter à l'origine de ces notions transmises à la cour de Rome. La cour de Rome a des relations avec le pays ; le pays a des relations avec la cour de Rome ; des agents non officiels sont souvent à Rome, des rapports s'établissent ; des renseignements sont donnés ; déjà il y a quelques années on avait trouvé moyen de noircir près de la cour de Rome un des plus nobles caractères, un des plus pieux esprits du pays. Sans doute le saint-siége ne connaissait pas l'agent dont il est question, mais il arriva qu'il le repoussa comme un personnage peu digne de représenter la Belgique à Rome.

Par qui les renseignements avaient-ils été fournis ? Par les adversaires politiques de ce personnage. (Interruption.) Vouléz-vous que ce soit par ses amis ?

Eh bien, le pape a été trompé dans cette circonstance, comme il l'avait été dans l'autre, et je dis qu'il faut être mauvais citoyen pour faire parvenir à Rome des notes fausses sur la situation de son propre pays. Je n'ai pas calomnié pour cela le parti de nos adversaires ; j'ai encore moins songé à calomnier le Saint-Père.

Je pense que les observations que nous avons transmises à Rome en réponse à l'allocution, sont parfaitement claires et concluantes, et, je le répète, j'ai la conviction que la chambre, appelée, comme nous le demandons, à se prononcer sur le langage tenu dans cette circonstance, donnera au gouvernement sa pleine approbation.

Nos honorables adversaires devraient le reconnaître eux-mêmes ; cette allocution a produit sur le pays une impression des plus fâcheuse, et pourquoi ? Parce que chacun a reconnu qu'elle contient des allégations entièrement contraires à la réalité, à la vérité. Dans tous les rangs on s'est demandé : Est-il vrai que la religion coure des dangers en Belgique, est-il vrai que le clergé y soit persécuté ? Tous les hommes de bonne foi ont accueilli ces allégations par des dénégations formelles.

Vous qui prétendez représenter particulièrement les intérêts de la religion et du clergé, c'est à vous à vous joindre à vos adversaires politiques pour venger le pays des fausses allégations dont il a été l'objet.

J'ai fait allusion à l'époque où le document est arrivé en Belgique, et là-dessus on base une accusation qui n'a aucune espèce de fondement. J'ai dit que dans le pays on avait remarqué cette coïncidence, mais je n'ai pas du tout prétendu dire que le Saint-Père se soit préoccupé des intérêts individuels de quelques candidats menacés. Ne faisons pas descendre le débat à d'aussi mesquines proportions. Lorsque j'ai dit qu'il y avait une coïncidence fâcheuse entre l'allocution et l'époque des élections, je n'ai fait que constater un fait.

Trouve-t-on que le gouvernement avait une autre conduite, un autre langage à tenir, qu'on dépose une proposition, nous sommes prêts à en accepter les conséquences. Trouve-t-on au contraire que la conduite, que le langage du gouvernement ont été ce qu'ils devaient être, que la chambre le déclare.

Nous attendrons avec confiance son jugement.

M. le président. - La proposition suivante vient d'être déposée par M. de Perceval :

« La chambre, approuvant le langage et la conduite du ministère, passe à l'ordre du jour. »

M. Dumortier. - J'ai été tout à l'heure très affligé d'entendre M. le ministre de l'intérieur qualifier, en présence d'un pays tout entier, les Belges appartenant à un grand parti, de mauvais citoyens. Et, messieurs, je démontrerai tout à l'heure que ce que nous avons dit, c'est justement ce qu'a pensé le ministère lui-même, qui ainsi a donné entièrement gain de cause à notre opinion.

En effet, on vous dit que l'allocution du Saint-Père contient des allégations entièrement contraires à la vérité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Assurément !

M. Dumortier. - Vous l'entendez, messieurs, M. le ministre tic l'intérieur le répète.

Maintenant, je vous le demande, est-il défendu au Saint-Père de juger certains actes comme vous les jugez vous-mêmes ? N'est-il pas en effet constant que le passage de l'ancien ministre de la justice aux affaires a été une suite non interrompue de mesures réactionnaires contre les libertés religieuses ? N'est-il pas constant que vous avez congédié ce ministre à cause de ses vexations incessantes contre nos opinions catholiques ? (Interruption.)

Voilà ce que vous avez fait vous-mêmes. Vous avez ainsi donné raison au Saint-Père ! (Interruption.)

Vous avez donné raison à son allocution, à ses doléances.

Il est donc étrange, il est complètement inexact de prétondre que l'allocution du Saint-l'ère contient des choses contraires à la vérité, relativement à notre pays, puisque le ministère a donné raison à cette allocution en congédiant peu après, et de la manière la plus nette, celui qui vexait nos opinions religieuses.

Il est un fait incontestable, c'est que les actes posés par le ministre de la justice avaient ému le pays tout entier. Et pourquoi cette émotion publique ? Parce qu'ils étaient une atteinte à toutes nos libertés religieuses et surtout à la liberté de donner aux pauvres, à cette liberté qui consiste à faire la charité par l'intermédiaire auquel on donne la préférence. Ce ministre avait pour système que toute charité devait passer par les mains de l'administration ? Qui s'en est ressenti ? Les pauvres, car en voulant frapper l'Eglise, c'est le pauvre que vous frappiez.

On voulait séculariser la charité...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute !

M. Dumortier. - Ainsi, vous conservez le même système ! Vous voulez séculariser la charité. Mais c'est la liberté que vous attaquez ! La liberté.....

- Un membre. - C'est la loi.

M. Dumortier. - Ce système est celui de 1791 ; il est tombé devant la Constitution. Il n'y a pas de loi contre la Constitution. La Belgique n'entend pas rétrograder à 1791. C'est contre les principes de cette époque qu'elle a fait sa révolution.

M. Orts. - Je demande la parole.

M. Dumortier. - La Belgique jouit de la liberté en tout et pour tous. Or, le plus sacré des droits que la liberté nous confère, c'est que chacun a le droit de faire la charité comme il l'entend, par qui il l'entend.

Cette liberté est la plus sacrée de toutes, c'est la liberté de soulager le malheur, c'est la liberté au profit des pauvres. Ou bien la liberté n'est qu'un mot en Belgique, ou bien chacun a le droit de faire la charité par les mains du clergé, par les mains du prêtre, comme par les mains de vos bureaux de bienfaisance.

- Un membre. - Il faut respecter la loi.

M. Dumortier. - La loi ! Mais allez voir comment on l'applique dans le pays où elle a été faite ; allez voir comment on l'applique en France. Vous y trouverez la condamnation de votre système.

M. le président. - M. Dumortier, ces observations se rattachent au budget de la justice.

M. Dumortier. - Pardonnez-moi, M. le président, elles se rattachent directement à la question qui nous occupe. Nous parlons de l'allocution papale dans laquelle le Saint-Père a exprimé ses regrets sur la conduite du gouvernement en certaines matières qui touchent à la religion catholique. Eh bien, M. le ministre vient nous dire que les allégations qui s'y trouvent sont entièrement contraires à la vérité ; je dis au contraire que ces allégations sont tout à fait conformes à la vérité et que le ministère a prouvé lui-même qu'il les trouvait vraies en congédiant M. de Haussy.

Quant au projet de loi primitif sur l'instruction auquel il est fait allusion dans la réponse de la chancellerie romaine, dont M. le ministre des affaires étrangères vient de nous donner lecture, vous tous dans les sections n'avez-vous pas vu avec douleur, j'allais dire avec indignation, que dans ce projet tel qu'il était présenté, la gymnastique fût obligatoire pour la jeunesse belge et la religion facultative ? N'a-t-il pas fallu que notre honorable collègue, M. Lelièvre, vînt présenter un amendement pour comprendre l'instruction religieuse dans la loi ? Dans la discussion, le ministre n'a-t-il pas déclaré qu'il voulait opposer monopole à monopole et établir ainsi, aux frais des contribuables, des établissements pour lutter avec l'enseignement dû à la liberté religieuse ?

Et vous vous étonnez des craintes que l'on a conçues dans le pays ait point de vue des garanties religieuses, au point de vue de la religion ? Vous vous étonnez que le père commun des fidèles se soit affligé à son tour ? Il n'y a rien de surprenant à cela. Ce qui a été devait être parce que vous marchiez dans une voie de réaction qui faisait croire que vous vouliez porter atteinte au principe catholique, et que tous vos actes la proclamaient hautement.

Je dis donc que l'allocution du Saint-Père est l'expression exacte de la vérité et que le gouvernement l'a prouvé lui-même en faisant, à la suite de l'allocution papale, cesser une partie des abus dont nous nous plaignions, par le remplacement du ministre de la justice. Je l'en remercie vivement, hautement ; qu'il reçoive ici l'expression de ma reconnaissance ! Et j'espère que, comprenant qu'il faut entrer dans une voie nouvelle, et que ce système de réaction ne convient pas à la Belgique, il fera aussi cesser nos craintes sur d'autres points. Ainsi nous pourrons (page 24) entrer dans une voie que tout Belge doit avoir à cœur de suivre et conserver, en matière religieuse, toutes les libertés que nous avons conquises par notre glorieuse régénération politique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai interrompu tout à l'heure l'honorable M. Dumorlier par un mot qui devait lui faire comprendre que toutes les observations qu'il soumettait à la chambre n'avaient aucune espèce de fondement.

L'honorable M. Dumortier a supposé qu'il y avait un changement dans les idées politiques du cabinet par suite de la retraite de l'honorable M. de Haussy ; l'honorable membre s'est trompé complètement, et je m'empresse de lui déclarer que mon honorable collègue M. Tesch est décidé à pratiquer les mêmes principes que ceux qui ont été défendus par l'honorable M. de Haussy. Voilà qui est extrêmement clair, extrêmement précis, et qui doit démontrer à l'honorable M. Dumorlier que les expressions dont il s'est servi à l'égard d'un ancien ministre de la justice sont bien peu convenables.

L'honorable M. de Haussy n'a pas été renvoyé ; l'honorable M. de Haussy est sorti librement du cabinet pour des raisons tout à fait personnelles, et que nous n'avons pas à communiquer à l'honorable M. Dumortier.

M. Orts. - Messieurs, j'avais demandé la parole lorsque l'honorable M. Dumorlier a porté la discussion sur le terrain de la charité légale ; je voulais faire observer à ia chambre que je crois cette question trop importante et posée dans des circonstances trop difficiles en présence d'un changement de cabinet pour qu'il faille l'aborder incidemment.

La section centrale du budget de la justice, dont j'ai l'honneur d'être l'organe comme rapporteur, a eu cette question à examiner ; elle en a proposé l'ajournement à la chambre dans les circonstances où elle s'est trouvée, ajournement motivé davantage encore par les circonstances d'aujourd'hui.

Cependant je dois le déclarer, si l'honorable M. Dumortier, si d'autres membres de cette chambre veulent contester l'opportunité de cet ajournement, au nom de la section centrale, je suis prêt à accepter, dans la discussion du budget de la justice, une discussion complète sur tous les actes du ministère précédent, dont l'appréciation nous avait été soumise. Mais je crois qu'il est prématuré d'aborder aujourd'hui une question aussi grave.

Je dirai également que je regrette de voir traiter aussi durement l'application de lois, qui, j'en suis certain, seront, après un mûr examen, reconnues par l'honorable M. Dumortier lui-même être les lois actuelles du royaume ; sous réserve cependant pour l'honorable M. Dumortier comme pour tout autre, de préférer un législation différente, que l'honorable M. Dumortier et ses amis ont toujours été libres de proposer dans cette enceinte.

J'ajouterai une dernière observation : si les plaintes dont l'honorable membre se fait l'organe sont fondées, il y avait un moyen bien simple d'obtenir justice : il suffisait de saisir les tribunaux de la question, ce que personne n'a jamais osé tenter.

M. Mercier. - Je ne comprends pas l'opportunité de la proposition que nous fait l'honorable M. de Perceval. Elle tend à faire approuver la conduite du gouvernement dans ses relations avec la cour de Rome. Messieurs, nous avons entendu la lecture d'un seul document qui ait rapport à cette conduite. Or, je n'ai pas entendu dans cette chambre un seul membre formuler la critique du document dont je viens de parler.

J'ai entendu M. le ministre de l'intérieur provoquer jusqu'à trois fois une proposition d'approbation de la conduite du gouvernement. L'honorable M. de Perceval se fait maintenant l'organe d'une proposition dans ce sens. La discussion a porté sur tout autre chose ; elle a porté particulièrement sur des insinuations, sur de prétendues calomnies ; mais elle n'a eu aucun rapport avec le document dont nous avons entendu la lecture, et c'est le seul qui nous donne une notion des relations du gouvernement avec la cour de Rome. Personne, je le répète, ne l'ayant critiqué, il me paraît singulier que l'on provoque un vote d'approbation sur la communication de cette pièce à la cour de Rome.

Si la proposition de l'honorable M. de Perceval est mise aux voix, je m'abstiendrai.

M. Malou. - Ce n'est pas la première fois, messieurs, qu'à l'occasion d'un débat analogue à celui-ci, des accusations vagues sont produites contre ceux que M. le ministre de l'intérieur nomme ses adversaires politiques. Lorsqu'il s'est agi, à propos de la nomination de l'honorable M. Leclercq, de ce qu'on a appelé l'incident de Rome, on a accusé une partie de la chambre, indirectement et à mots couverts, d'avoir donné à Rome de faux renseignements. Un démenti unanime, énergique, s'est produit. On a demandé que les faits fussent articulés et je me hâte d'ajouter que, pas plus qu'aujourd'hui, les faits n'ont été, les faits ne seront articulés.

Ceux qui tromperaient le souverain d'un pays étranger, ceux qui tromperaient la religion du chef de l'Eglise, seraient assurément, comme le dit M. le ministre, de mauvais citoyens. Mais on va chercher bien loin une cause qu'on peut trouver en soi-même.

Que prouve, en effet, le document dont il vous a été donné lecture ?

Il prouve que le Saint-Père, comme chef de la religion catholique, s'est occupé d'actes publics connus, d'actes qu'il cite. Lors donc que M. le ministre de l'intérieur, sans articuler aucun fait, je le répète, accuse ses adversaires politiques, c'est à lui-même qu'il doit demander, c'est dans ses actes qu'il doit rechercher pourquoi le chef de l'Eglise a exprimé ses craintes et ses espérances.

C'est là et pas ailleurs qu'il faut rechercher les causes de l'allocution dont on a parlé.

On fait allusion au moment où cette allocution a paru, mais je demande, le Moniteur en main, si elle pouvait paraître plus tôt ou plus tard.

N'était-ce pas lorsque les faits que le Saint-Père invoque, venaient d'être posés, qu'il devait parler ? Pouvait-il parler plus tôt ? Et ne parlez pas de candidats menacés ; au mois de juin, les candidats ministériels étaient seuls menacés, et ce n'est pas sans doute en leur faveur que le pape avait à élever la voix.

On nous demande toujours si notre intention est de blâmer le gouvernement. Quand nous aurons cette inlention, nous ferons une proposition formelle. Mais, à cette question, je réponds par une autre : Le ministère a-t-il besoin qu'on lui donne chaque jour, pour chacun de ses actes, ce que j'appellerai un certificat de bonne conduite ? Y a-t-il, dans les besoins du gouvernement, dans les convenances de la chambre, dans les intérêts du pays, des motifs pour faire émettre aujourd'hui un vote déclarant que le gouvernement s'est bien conduit ?

Je réponds encore par une autre question : Que signifie l'ordre du jour proposé ? On me demande : Est-ce un blâme contre le ministère que vous voulez ? Je demande : Est-ce un blâme contre le chef de l'Eglise catholique, agissant comme tel, que vous voulez nous faire voter ? Mais s'il en est ainsi, quelle est donc la situation que l'on fait à cette chambre ? Il ne faut pas d'équivoque ; si l'on veut l'ordre du jour motivé, qu'on dise quel doit en être le caractère et le sens. Je suis persuadé qu'en posant la question sur ce terrain, j'aurai l'appui de tous les membres du cabinet ; ils ne peuvent pas vouloir que la chambre émette un vote sur un acte posé par un gouvernement étranger, dans les limites de son droit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la question, telle qu'elle se présente, a une haute importance. L'acte auquel on a fait allusion est, en lui-même, un document d'une haute portée ; il était dénature à émouvoir non seulement le pays mais, je puis le dire, tout le monde chrétien, auquel il s'adressait. Il résulte de cet acte, que je ne puis m'empêcher de qualifier de regrettable, que la Belgique serait gouvernée de telle manière que les prêtres y seraient persécutés et que la religion y courrait des dangers. Voilà l'interprétation qui vient d'être donnée par l'honorable M. Dumortier lui-même.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez donné à entendre que depuis que nous avions renvoyé un de nos collègues, les prêtres sont moins persécutés et que la Belgique court moins de dangers, ou n'en court plus du tout, ce dont vous nous félicitiez.

Eh bien, messieurs, nous pensons que, sans faire remonter le blâme jusqu'à l'auguste auteur de l'allocution, sans entendre en aucune manière l'impliquer dans un vote parlementaire, qui ne le concerne point, la chambre doit au ministère, la justice de déclarer que les reproches dont il s'agit ne peuvent pas l'atteindre. Elle doit à la vérité, elle se doit à elle-même de notifier à ceux qui ont pu concevoir des idées contraires, de leur notifier, par une manifestation officielle, que chez nous le clergé est libre, que la religion est libre, qu'il n'y a point de persécution ni pour l'un ni pour l'autre.

Voilà, messieurs, quelle sera la signification du vote, et je pense que sur tous les bancs il y aura unanimité, au moins pour reconnaître ces deux faits, à savoir que ni le clergé ni la religion ne sont persécutés en Belgique et qu'ils n'y courent aucun danger.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne croyais pas que l'ordre du jour motivé de M. de Perceval fût sérieux ; je n'aurais jamais cru que le gouvernement y donnât son assentiment. Il paraît cependant que le ministère est d'accord avec l'honorable membre. Il s'agit donc d'examiner cette proposition.

Il est hors de doute, messieurs, que la proposition, telle qu'elle est faite, est une improbation claire, positive, lucide de l'allocution du souverain pontife ; c'est une improbation formelle d'un acte purement religieux ; c'est une improbation parlementaire d'un acte qui ne se rapporte qu'aux consciences ; c'est un démenti donné au Saint-Siège. Eh bien, je dis que la chambre ne doit pas et ne peut pas émettre un pareil vote, que cela sort complètement de son domaine.

Que le ministère demande un vote d'approbation pour lui-même, s'il le juge convenable, mais que ce vote soit dégagé de tout rapport avec l'allocution du souverain pontife.

Vous ne pouvez pas blâmer le souverain pontife ; ce qu'il a dit, il avait le droit de le dire, et quand bien-même il se serait trompé, ce qui n'est pas, vous n'avez pas le droit d'émettre un vote pour blâmer le chef de l'Eglise ; la chambre ne l'a jamais fait envers aucun gouvernement étranger et elle doit le faire dans cette circonstance moins que dans aucune autre. Eh bien, messieurs, il ne faut pas s'y tromper, la proposition de M. de Perceval est directement cela ; c'est un démenti donné par la chambre à l'allocution du souverain pontife, Si c'est là ce que vous voulez, ayez le courage de le dire, déployez votre drapeau, non pas à demi, mais développez-le tout entier, dites que vous voulez blâmer le souverain pontife, le digne chef de l'Eglise, et nous verrons ce que la chambre vous répondra : vous ne trouverez pas dix voix dans la chambre pour (page 25) vous appuyer. Eussiez-vous une majorité qui votât un acte aussi inqualifiable, elle serait hautement blâmée par le pays catholique. L'Eglise a son infaillibilité, et jamais votre majorité ne prévaudra contre elle.

Ainsi, messieurs, je demande pour mon compte, la question préalable sur la proposition de M. de Perceval, en laissant au ministère le soin de faire telle autre motion qu'il jugera convenable ; mais je demande la question préalable sur la proposition de M. de Perceval, parce qu'elle a pour objet de blâmer le souverain pontife, le chef de l'Eglise catholique, le père de la chrétienté que nous devons tous entourer du respect que commandent et son caractère et ses vertus. Un vote comme celui qu'on veut faire émettre serait une honte pour la chambre qui plus tard rougirait de l'avoir émis.

M. Lelièvre. - La proposition de l'honorable M. de Perceval a un caractère de généralité qui ne permet pas de l'adopter dans les termes dans lesquels elle est conçue. Cette proposition porte : « La chambre, approuvant la conduite du gouvernement, passe à l'ordre du jour ». Il y a là un défaut de précision évident. Il est nécessaire qu'on spécifie quel est l'acte qu'on entend soumettre à l'approbation de la chambre. S'agit-il de la lettre dont lecture a été donnée, ou bien est-il question de la correspondance en général ? Il est donc indispensable de faire cesser le vague que présente la proposition ; sans cela il est impossible de la voter.

M. de Perceval. - L'ordre du jour motivé que je propose se rapporte uniquement aux actes posés par le cabinet dans la correspondance qu'il a eue avec notre ministre plénipotentiaire à Rome, pour rectifier ce qu'il y avait d'erroné dans la lettre encyclique du pape au sujet de la situation de notre pays et de l'action du gouvernement. Je laisse de côté la personne du souverain pontife ; elle est parfaitement libre à Rome. Je me place sous le point de vue belge et j'examine en Belgique un acte du gouvernement belge. Je déclare donc que cette correspondance m'a donné mon plein et entier apaisement et qu'elle me satisfait comme représentant de mon pays. Voilà le but et la seule portée de mon ordre du jour motivé, et je repousse toute autre interprétation que mes adversaires politiques voudraient lui donner. Il ne s'agit donc pas d'un blâme à infliger au souverain pontife ; Je ne m'occupe én ce moment que de la correspondance que M. le ministre des affaires étrangères a eue avec notre ministre à Rome au sujet de cette bulle pontificale.

M. de Haerne. - Je m'étonne de l'espèce de précipitation qu'on semble mettre à appeler un vote sur la proposition très grave qui vient de tomber à l'improviste au milieu de l'assemblée. Je crois, messieurs, qu'il y a quelque chose de très insolite d'abord dans cette proposition. Ne trouveriez-vous pas étrange, si l'honorable M. de Perceval, qui a tout à l'heure adressé plusieurs interpellations au gouvernement et sur les intérêts religieux du pays quant à l'intérieur et quant à nos relations avec le Saint-Siège et sur nos intérêts de politique générale et sur nos intérêts industriels et commerciaux, si l'honorable M. de Perceval eût formulé une autre proposition ? S'il vous avait demandé un vote d'approbation de la conduite du ministère dans les négociations entamées avec le Zollverein pour le traité qui doit être renouvelé, vous trouveriez cette proposition insolite et imparlementaire ; pourquoi ? Parce qu'il n'y a rien de conclu en ce moment, quant au renouvellement du traité.

Eh bien ! il y a parité complète, en ce qui concerne la question de Rome ; il n'y a rien de conclu non plus dans les négociations qui ont été entamées avec la cour de Rome sur la grave question qui a été indiquée. M. le ministre des affaires étrangères nous a donné lecture tout à l'heure de la protestation adressée par le cabinet belge au Saint-Siége ; et ensuite de la note verbale remise en réponse à cette protestation par le cardinal secrétaire d'Etat. J'avoue que j'ai à peine pu saisir le sens de ces pièces. J'ai compris néanmoins que le gouvernement belge a adressé une nouvelle note à la cour de Rome ; rien n'est donc conclu. Eh bien, dans l'état actuel de cette négociation si grave, et qui doit avoir du retentissement dans toute l'Europe, je vous le demande, est-il prudent de procéder hic et nunc, à l'instant même, à un vote d'approbation ? Donnez-nous au moins le temps d'examiner les pièces dont on a fait une lecture rapide et que nous n'avons pas même su saisir.

Je ne comprends rien à cette précipitation ; en tout cas, je dois appuyer la question préalable, dans l'état actuel de la négocialion qui n'est pas encore arrivée à son terme. On ne peut pas, d'après les usages constitutionnels et parlementaires, proposer un vote de confiance sur une négociation qui est encore pendante.

- La discussion est close.

M. le président. - Nous avons deux questions : 1° l'ordre du jour motivé, présenté par M. de Perceval ; 2° la proposition de M. Dumortier, qui demande la question préalable sur cet ordre du jour.

Je mets la question préalable aux voix.

- Des membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

Voici le résultat de cette opération :

74 membres ont répondu à l'appel ;

24 ont dit oui ;

50 ont dit non.

En conséquence, la question préalable n'est pas adoptée.

Ont répondu oui : MM. Coomans, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Theux, de Wouters, Dumortier, Jacques, Julliot, Landeloos, Malou, Mercier, Moncheur, Osy, Pirmez, Rodenbach, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe et Vermeire.

Ont répondu non : MM. Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Brouwer de Hogendorp, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, d’Hoffschmidt, Dolez, Dumon (Auguste), Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Manilius, Mascart, Moreau, Orts, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Roussel (Adolphe), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Allard et Verhaegen.

M. le président. - Je mets maintenant aux voix l'ordre du jour motivé, proposé par M. de Perceval.

Il est procédé à l'appel nominal :

74 membres ont répondu à l'appel nominal.

48 ont répondu oui.

26 se sont abstenus.

En conséquence, la motion d'ordre du jour motivée est adoptée.

Ont répondu oui : MM. Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Dautrebande, H. de Baillet, de Brouwer de Hogendorp, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Meester, de Perceval, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, A. Dumon, Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Lesoinne, Manilius, Mascart, Moreau, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Van Cleemputte, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Yan Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Allard et Verhaegen.

Se sont abstenus : MM. Coomans, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Theux, de Wouters, Dumortier, Jacques, Julliot, Landeloos, Lelièvre, Malou, Moncheur, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, A. Roussel, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe et Vermeire.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Coomans. - Messieurs, je n'aurais pu émettre un vote formel, un oui ou un non, que dans le cas où la division de la proposition aurait été admise, dans le cas où j'aurais eu à me prononcer sur le langage d'une part, sur la conduite de l'autre. En tant que le mot « langage » s'applique au document que nous a lu M. le ministre des affaires étrangères, et que je n'ai qu'imparfaitement entendu, j'aurais été assez disposé à l'approuver.

Quant à la conduite du ministère, ce que j'en connais, dans cette affaire, ne suffit pas pour que je signe complaisamment le certificat, rédigé, par un honorable député de Malines, en faveur du ministère.

M. Dechamps. - Quand M. le ministre des affaires étrangères a fait connaître la correspondance avec notre ministre à Rome, comme justification du gouvernement, mon intention n'était pas de jeter le moindre blâme sur l'acte que le gouvernement faisait connaître ; en effet, personne n'a élevé la voix pour infliger un blâme ; mais après le discours de M. le ministre de l'intérieur qui s'est traduit bientôt en une proposition, il m'a paru évident, comme l'a dit mon honorable ami, M. Dumortier, que le vote qu'on nous demandait serait envisagé en même temps comme un vote de confiance pour le ministère, et comme un blâme indirect à l'adresse du gouvernement pontifical...

- Plusieurs voix. - Il fallait voter contre.

M. Manilius. - Il ne fallait pas vous abstenir.

M. Dechamps. - Permettez !

M. Manilius. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. - M. Dechamps a la parole, je dois la lui maintenir, laissez-le terminer.

M. Manilius. - J'ai le droit d'interrompre pour un rappel au règlement.

M. le président. - Je n'avais pas entendu, vous avez la parole.

M. Manilius. - Je crois que l'honorable membre s'écarte de son devoir et de son droit. Il est appelé à exprimer les motifs de son abstention ; au lieu de cela il expose les motifs d'un vote négatif. La chambre ne peut accueillir que des motifs d'abstention et non des motifs de vote négatif, parce que la discussion est close et que personne n'a plus le droit d'émettre ses motifs d'adoption ou de rejet. On ne peut plus que motiver son abstention, rien que son abstention ; sans quoi on rouvrirait la discussion, et je serais en droit de dire pourquoi j'ai voté pour la proposition. Je prie donc l'orateur de se renfermer dans les motifs d'abstention.

M. le président. - Il est très difficile de distinguer la vraie limite des motifs d'abstention. Mais voici ce que j'ai pensé que voulait exprimer l'orateur, et c'est pour cela que je l'ai laissé aller, qu'il craignait, en votant la proposition, d'émettre un vote impliquant un blâme à l'égard de la cour de Rome.

M. Dechamps. - L'honorable président m'a parfaitement compris ; je n'ai pas violé le règlement, chacun a le droit d'apprécier les motifs de son vote ; j’usais de mon droit en exposant pourquoi j'ai refusé de voter ; mon abstention est un refus de voter. J'ai dit que dans mon (page 26) appréciation personnelle dont je suis libre, je craignais que le vote qu'on nous demandait eût cette portée, de mettre ici en discussion l'allocution papale et de jeter un blâme sur un gouvernement digne de respect à tant de titres. Voilà le motif de mon refus de voter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il fallait voter contre.

M. Dedecker. - Je n'ai pas voulu voter contre la proposition, parce que c'eût été jeter un blâme sur la réponse que le gouvernement a faite par notre ministre à Rome à l'allocution papale. D'un autre côté, je n'ai pas voulu lui donner mon adhésion parce que le vote pouvait avoir une portée politique et religieuse que je ne voulais pas lui donner.

M. de Theux. - Je n'ai pas voulu avoir l'air de blâmer l'intention exprimée par le ministère dans la dépêche qu'il a chargé notre minisire à Rome de remettre au secrétaire d'Etat de Sa Sainteté ; mais je n'ai pas voulu non plus qu'on pût, dans cette chambre ou au dehors, considérer mon vote comme une approbation des actes et de la conduite du gouvernement, parce que, dans mon opinion, le système proclamé par le ministère en ce qui concerne la charité légale est une attaque indirecte contre les intérêts religieux et matériels des indigents, comme la loi sur l'enseignement moyen était hostile aux intérêts religieux. En tout cas elle était insuffisante quant aux garanties qu'elle aurait dû contenir. Volà les motifs pour lesquels je me suis abstenu.

M. de Haerne. - Je me suis abstenu, parce que dans la précipitation avec laquelle cette proposition a été introduite, je n'ai pu me rendre compte des documents dont on vous a donné lecture. Je ne sais si le ministère mérite ou ne mérite pas mon approbation. Dans l'impossibilité de mesurer la portée du vote qu'on me demandait, dans une question d'une telle gravité, j'ai dû m'abstenir.

M. Delfosse. - Je demande à dire un mot sur l'abstention de M. de Haerne.

- Plusieurs voix. - Après les abstentions.

M. le président. - Vous aurez la parole après les abstentions.

M. de La Coste. - Je n'ai point voulu refuser mon adhésion à un acte qui a eu pour objet de maintenir à l'étranger la dignité du gouvernement belge ; mais la question était complexe, et l'adoption de la proposition de l'honorable M. de Perceval impliquait l'approbation de la politique du gouvernement relativement à des questions sur lesquelles je me réserve de m'expliquer lorsque l'occasion s'en présentera. Voilà pourquoi je me suis abstenu.

M. de Man d'Attenrode. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que M. de La Coste.

M. de Meester. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

M. de Mérode-Westerloo. - Je me suis abstenu par les motifs exprimés par M. Dedecker.

M. de Muelenaere. - Je me suis abstenu parce que, dans un débat qui touche directement ou indirectement à nos relations internationales, je n'émets jamais un vote sans avoir sous les yeux toutes les pièces de la négociation. Il ne me suffit pas d'en avoir entendu la lecture, je veux les apprécier par moi-même. M. le ministre nous a donné lecture de la pièce principale à ses yeux ; mais il y a une autre correspondance dont il ne nous a pas donné communication.

M. de Wouters. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

M. Dumortier. - Mes motifs d'abstention sont dans la proposition de la question préalable que j'avais faite. J'étais d'avis qu'il n'y avait pas lieu de délibérer, on a passé outre, je devais m'abstenir.

M. Jacques. - Je ne puis ni approuver ni blâmer des relations diplomatiques dont je ne connais pas l'ensemble.

M. Julliot. - Je me suis abstenu parce qu'en présence de la liberté absolue des cultes, les questions moitié religieuses moitié civiles sont sur un mauvais terrain pour venir nous y demander notre adhésion au cabinet.

M. Landeloos. - Je me suis abstenu par les motifs énoncés par M. de La Coste.

M. Lelièvre. - Je me suis abstenu parce que la proposition n'était pas suffisamment précisée et que s'il s'agit de la correspondance en général, des éléments complets ne nous ayant pas été fournis, je n'étais pas à même d'apprécier ce qui a été fait.

M. Malou. - Je me suis abstenu par les motifs qu'ont indiqués, tout à l'heure, mes honorables amis.

(erratum, page 43) M. Mercier. - Je me suis abstenu pour les motifs que j’ai énoncés dans la discussion.

M. Moncheur. - Je me suis abstenu parce que je n'ai pas entendu émettre, sur un objet si important, un vote dont la portée ne peut être déterminée.

M. Orts. - Je n'ai pas voulu voter contre la proposition, parce que je n'ai aucune raison pour blâmer le gouvernement à raison des pièces qui nous sont actuellement soumises. Je n'ai pas voulu voter pour la proposition, parce qu'elle nous demande une approbation complète de la conduite du gouvernement, dans ses relations avec la cour de Rome. Or, je ne puisjuger cette conduite d'une manière complète, d'après une seule lettre du gouvernement au chargé d'affaires de Belgique à Rome. Je ne pourrai la juger avant la réponse de M. le ministre de l'intérieur aux interpellations de l'honorable M. de Perceval, sur l'exécution donnée à la loi sur l'instruction moyenne.

M. Osy. - Je me suis abstenu, parce que les explications données par M. le ministre des affaires étrangères ne m'ont pas suffi et qu'il m'est impossible de me former une opinion par la simple audition des deux lettres dont il a donné lecture.

En outre, les paroles de M. le ministre de l'intérieur m'ont fait craindre que le vote de la chambre ne puisse être interprété comme un blâme dirigé contre l'allocution papale.

M. Pirmez. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Orts.

M. Rodenbach. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. de Theux.

M. Roussel. - Je me suis abstenu par les motifs allégués par mon honorable collègue M. Orls et parce que je ne juge jamais une affaire sans la connaître à fond.

M. Vanden Branden de Reeth. - Je ne pouvais voter ni pour ni contre une proposition dont la portée me semble tout à fait vague et indéterminée.

M. Vermeire. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

M. Van Renynghe. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Lelièvre.

M. le président. - La parole est à M. Delfosse.

M. Delfosse. - Je ne puis laisser passer sans réponse l'observation faite par l'honorable M. de Haerne, que la chambre aurait mis de la précipitation dans le vote. On n'en met que lorsque la clôture est prononcée, alors que des orateurs ont demandé la parole ou lorsque l'ajournement a été demandé et rejeté. Or ici rien de semblable. Il n'y a donc pas de précipitation.

Un mot maintenant sur l'un des motifs de l'abstention de MM. Orts et Roussel, parce qu'il pourrait faire prendre le change sur la portée de notre vote.

M. Malou (pour un rappel au règlement). - Chaque membre a le droit de développer les motifs de son abstention. Il n'est pas dans les usages de la chambre de les discuter lorsqu'il n'y a pas de fait personnel. J'en fais l'observation parce que j'ai eu l'occasion d'en invoquer un jour le bénéfice.

M. Delfosse. - Je n'avais pris la parole que parce que la chambre me l'avait accordée ; si l'on réclame, je n'insiste pas.

M. Roussel. - L'honorable M. Delfosse prétend-il que nous manquons à notre conscience et à notre mandat en ne jugeant pas une affaire que nous ne connaissons pas à fond ? Nous demandons qu'il s'explique.

M. le président. - Il est certain que les motifs d'une abstention ne peuvent faire l'objet d'une discussion.

M. Delfosse. - Je ne sais où l'honorable M. Roussel a vu que je l'avais accusé de manquer à son mandat et à sa conscience. Loin de moi une telle pensée ; j'ai seulement dit que l'un des motifs de son abstention pourrait faire prendre le change sur la portée de notre vote. En effet, M. Roussel a dit, comme M. Orts, qu'il ne pouvait voter la proposition parce que l'ensemble de la conduite du gouvernement ne lui était pas connu. Je tiens à déclarer que je n'ai, en votant la proposition, entendu approuver que ce qui fait l'objet des communications données dans cette séance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous n'en demandons pas davantage.

M. Roussel. - J'ai dit que, ne connaissant pas les négociations à fond, je ne pouvais me prononcer ni pour ni contre.

Le vote de la chambre se réduit-il à l'approbation d'une simple lettre ?

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. Roussel. - Mais, messieurs, c'est oublier que nous sommes la chambre des représentants et que nous ne sommes point appelés à apprécier une lettre quelconque que peut écrire un ministre en acquit de son devoir et de la position qu'il tient du pays et du Roi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Chacun a interprété le vote à sa manière ; veut-on nous permettre de dire comment nous l'interprétons ?

M. Coomans. - Nous avons ce droit ; mais vous ne l'avez pas. Vous n'avez pas le droit d'expliquer votre vote puisqu'il a été affirmatif.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et vous n'avez pas le droit de m'interrompre.

M. de Man d'Attenrode. - Mais le règlement interdit cette discussion.

M. le président. - La portée du vote a été expliquée. Tout le monde a su sur quoi on votait. M. de Perceval, auteur de la proposition l'a expliquée clairement ; le gouvernement a adhéré à ses explications. Je crois que tout débat doit cesser.

M. de Haerne. - J'aurais désiré répondre à M. Delfosse qui m'a interpellé personnellement.

M. le président. - M. Delfosse s'est borné à dire qu'il n'y avait point eu de précipitation dans le vote. Il n'y a rien là qui vous soit personnel.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 1/2 heures.