(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1136) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à une heure et demie.
La séance est ouverte.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
« Plusieurs habitants de Ferriere prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »
« Même demande de plusieurs habitants de Meulebeke, Middelbourg, Overpelt, Thirimont, Wervicq et Cortemarck. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi et renvoi à la section centrale.
« Le conseil communal de Louvain présente des observations sur le projet de loi concernant l'enseignement moyen. »
- Même décision.
« Plusieurs habitants de Tongerloo prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l’enseignement moyen ou de le modifier profondément. »
« Même demande de plusieurs habitants de Westroosebeke, Tillet, Erpsquerbs, Corbeek-Dyle, Barthem, Blanden, Weert-Saint-Jooris, Velthem, Louvain, Termonde, Achel, Aerseele, Pervyse, Bruxelles, Vichte, Wonderghem, Londerzeel, Wilryck, Liernes, Niel, Comines, Aertselaer, Waesmunster, Steenhuffel et Wetteren. »
- Même décision.
« Le sieur Lhoest-Halen demande une indemnité du chef des sacrifices qu'il a faits l'année dernière pour assister des personnes atteintes du choléra. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal d'Aspelaere demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les athénées et collèges des provinces flamandes; qu'on y soit tenu de se servir de cette langue pour enseigner l'allemand et l'anglais; qu'elle soit exclusivement en usage dans les administrations provinciales et communales et, autant que possible, dans les tribunaux de ces provinces; qu'elle ait une section spéciale à l'Académie de Bruxelles et qu'elle jouisse à l'université de Gand des mêmes prérogatives que la langue française. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement moyen et renvoi à la section centrale.
« Le sieur Colibrant, ancien employé à l'administration des chemins de fer, prie la chambre de lui accorder une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Brun demande une loi qui décharge les communes des grosses réparations à faire aux églises, presbytères et cimetières anciens. »
- Même renvoi.
« Le marquis d'Auxi prie la chambre de décréter dans la loi sur l'enseignement moyen que l'instruction religieuse doit être donnée par le clergé. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi et renvoi à la section centrale.
« L'administration communale d'Amay prie la chambre d'adopter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »
« Même demande des membres de l'administration communale et de plusieurs habitants de Braine-le-Cointe. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi et renvoi à la section centrale.
Message du sénat faisant connaître l'adoption, par cette chambre, du projet de loi de délimitation entre les communes de Lambusart et de Moignelée. »
- Pris pour information/
MM. Olivier et Casterman font hommage à la chambre de 110 exemplaires d'un travail sur la loi relative à renseignement moyen.
- Distribution aux membres.
M. de Chimay ayant eu le malheur de perdre sa tante la comtesse Maurice de Caraman, et retenu à Paris par d'importantes affaires de famille, se voit, à son grand regret, forcé de solliciter de la chambre un congé de 15 jours. »
- Le congé est accordé.
M. le président. - La parole est continuée à M. de Haerne.
M. de Haerne. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai eu l'honneur d'appeler l'attention de la chambre sur une tendance dangereuse que je découvre dans le projet de loi, et que j'ai signalée à un triple point de vue : 1° point de vue religieux; 2° point de vue politique; 3° sous le rapport de la science. J'étais arrivé à la deuxième partie de mes observations.
Avant de faire voir tout le danger qui se trouve dans le projet sous le rapport de la centralisation politique, il faut d'abord jeter un coup d'œil sur l'article particulièrement en discussion. Examinons l'article 17 de la Constitution pour en saisir le sens et l'esprit. Il y a dans cet article deux principes fondamentaux : le premier concerne la liberté; le deuxième se rapporte à ce qui concerne l'enseignement donné aux frais de l'Etat. Dans la première partie, la Constitution prescrit, pour sauvegarder la liberté, qu'il ne sera permis, sous aucun rapport, d'établir des mesures préventives à l'égard de l'instruction libre. Les mesures seraient préventives, en ce qu'elles empêcheraient l'érection d'établissements, ou qu'elles apporteraient des entraves, quant à leur développement, quant à leur prospérité.
D'après le projet de loi, le gouvernement serait autorisé à établir un grand nombre de collèges. D'un autre côté, le gouvernement imposerait des règles, des entraves à tous les collèges communaux et provinciaux, et cela en vertu du droit, du devoir qu'on prétend lui attribuer de donner par lui-même l'instruction.
Un tel nombre d'établissements érigés par l'Etat, ou se trouvant plus ou moins sous son contrôle, sous sa direction, doit nécessairement apporter de grandes entraves au développement de la liberté dans cette partie.
Je mets donc en fait qu'il y a là une véritable mesure préventive à l'égard de la liberté. C'est en cela que consiste le danger. C'est là qu'est l'esprit de centralisation et de monopole, esprit évidemment contraire à la Constitution.
D'après l'ensemble des dispositions que la Constitution a établies sur cette matière, on peut, on doit accorder au gouvernement la faculté d'ériger des établissements comme modèles ou servant à combler certaines lacunes qui existeraient dans l'enseignement. Mais lui accorder un droit absolu à cet égard, lui imposer un devoir semblable à celui qui est imposé au père de famille de donner de l'éducation à ses enfants, je dis que non seulement c'est aller au-delà de la limite tracée par la Constitution, mais que c'est établir une véritable mesure préventive.
S'il en est ainsi, voici la position difficile où sera le gouvernement, pour ce qui regarde l'accomplissement de ce prétendu devoir.
Tous les Belges sont égaux devant la loi. Si le gouvernement est chargé par devoir de donner l'éducation au peuple, il faut qu'il n'ait pas deux poids et deux mesures, et qu'il la distribue également à tout le monde. De là l'obligation d'établir des maisons d'éducation, non seulement dans les grandes villes, non seulement dans les villes secondaires, mais je dirai dans toutes les localités, afin de mettre ces établissements à la portée de tout le monde ; car, enfin, si c'est un devoir absolu pour le gouvernement de donner l'instruction, il ne peut établir de distinction entre les citoyens; tous sont égaux devant la loi ; tous sont égaux aux yeux de l'Etat.
Il en est tout autrement lorsqu'on considère le rôle du gouvernement comme un rôle d'initiative, comme un rôle d'émulation, comme un rôle qui tend à venir au secours de la liberté, à venir combler la lacune qua pourrait laisser la liberté, le vide qui serait laissé sous ce rapport par les particuliers.
Messieurs, je le demande, si l'on attribue ce devoir social à l'Etat, par quel motif de préférence accorderait-on, par exemple, un athénée à une ville telle qu'Arlon, à une ville telle que Hasselt, et n'accorderait-on pas le même privilège à ces gros bourgs des Flandres qui l'emportent, par la population, sur ces chefs-lieux de province?
Ici se découvre avec ce prétendu devoir tout l'esprit de centralisation du gouvernement dont je signale les dangers.
Si le gouvernement, en partant du principe que l'on veut faire consacrer, doit ériger des espèces d'ateliers nationaux intellectuels, car je ne puis qualifier autrement les écoles créées pour tout le monde, on entre évidement dans la voie de centralisation universelle quant à l'intelligence, quant au travail, quant à tous les besoins de la société. C'est manifestement le système socialiste.
Ne croyez pas que j'exagère à cet égard ; je jetais, il y a quelques jours, les yeux sur le Moniteur; j'y rencontrais un article relatif à l'industrie et j'y voyais ces propres expressions émanées évidemment du ministère, qu'il fallait que le gouvernement établît une industrie, afin de s'opposer à une espèce de monopole de l'industrie privée. C'est dans le même sens que M. le ministre de l'intérieur nous parlait l'autre jour du monopole de la liberté d'enseignement.
(page 1137) Telles sont les tendances du gouvernement en matière d'industrie ; telles sont ses tendances en matière d'instruction ; c'est une tendance de monopole, de centralisation exorbitante.
Pour échapper aux conséquences du principe que je viens d'établir, on a cherché des subtilités, je crois devoir me servir de cette expression. On a voulu donner une définition particulière de l'Etat, On a dit que l'Etat comprend non seulement le pouvoir central, mais aussi la province et la commune.
Je ne m'attacherai pas à faire voir ce qu'il y a de subtil dans cette définition. Seulement je ferai remarquer que jusqu'ici on n'avait pas donné une telle notion de l'Etat. Mais je suppose qu'on comprenne par Etat l'ensemble des pouvoirs que je viens d'énumérer; il ne s'ensuivrait pas encore que chacun de ces pouvoirs particuliers ne devrait pas avoir son action propre. Il ne s'ensuivrait pas, par exemple, que la commune, tout en faisant partie de l'Etat, n'aurait pas son action à elle, sa personnalité. Son action doit rester libre; alors même qu'elle fait partie de l'Etat. Car si vous n'admettez pas cela, vous pouvez aller plus loin ; par voie de conséquence, vous pouvez dire que tous les citoyens font partie de l'Etat, et par ce moyen vous confisqueriez non seulement la liberté communale, mais la liberté individuelle même.
Ainsi, messieurs, quoi qu'il en soit de la définition que l'on donne de l'Etat, dans aucun cas elle ne peut être invoquée pour entraver le moins du monde la liberté communale, la liberté provinciale dans cette matière.
Voici comment je comprends, moi, la liberté d'enseignement et les devoirs qui incombent au pouvoir en matière d'instruction publique. D'après l'esprit de la Constitution, et c'est là ma profonde conviction, le premier rôle appartient au père de famille. Ensuite vient la commune, puis ce qu'on appelle l'Etat, soit que vous entendiez par l'Etat le pouvoir central seul, soit que vous vouliez considérer l'Etat comme étant composé des trois éléments que j'ai énumérés tout à l'heure.
Et, messieurs, quand je dis que la commune doit avoir la préférence sur l'Etat, à cet égard, je vous prie de bien remarquer qu'il y a une différence essentielle entre la commune et l'Etat sous le rapport des devoirs à remplir en matière d'instruction. Le gouvernement, comme je viens d'avoir l'honneur de le dire, ne peut établir des écoles sans froisser l'égalité. Mais il n'en est pas de même de la commune: le cercle dans lequel se renferme l'action de la commune lui permet d'étendre sa sollicitude à tous ses administrés, et lorsque la commune établit une école, l'école profite à tout le monde dans la commune. Ainsi, l'égalité des citoyens n'est froissée en aucune manière.
Je trouve que le projet de loi, quoi qu'on en ait dit, établit un véritable monopole. Je trouve qu'il y a monopole à l'égard de la liberté communale, à l'égard de la liberté provinciale et à l'égard des institutions privées. Mais, messieurs, avant de développer cette pensée, permettez-moi d'entrer un moment dans quelques détails sur la discussion d'hier. Vous l'avez entendu, l'on est allé hier jusqu'à dire qu'il n'y avait pas de franchises communales, pas de libertés communales, qu'il n'y avait que des institutions communales. S'il s'agissait seulement, messieurs, d'une distinction de mots, je n'aurais garde d'appeler votre attention sur une chose aussi futile; mais il s'agit, au fond, de tout autre chose; car lorsqu'on parle ainsi, on entend bien combattre la liberté communale. Voyons donc ce qui en est.
Je demanderai d'abord, si les libertés communales, les franchises communales sont si peu de chose en Belgique, comment il se fait que, il y a peu de temps, une certaine loi que je n'ai pas approuvée, une certaine foi que l'on a appelée loi réactionnaire et qui autorisait le gouvernement à nommer le bourgmestre en dehors du conseil sans l'intervention de la députation permanente, comment cette loi a produit dans le pays une si vive , une si grande , une si générale irritation? C'est parce que le sentiment de la liberté communale avait été froissé par cette loi. Et cependant, remarquez que , dans l'article de la Constitution qui concerne la liberté communale, il est dit que la loi pourra régler ce qui se rapporte à la nomination des chefs des administrations communales. Il n'y avait donc au fond, dans cette loi réactionnaire, rien de contraire à la Constitution. Mais pourquoi a-t-on attaqué cette loi? Parce qu'elle était contraire à l'esprit de la liberté communale, contraire à ce sentiment de liberté qui est inscrit dans toutes les pages de notre histoire, dans nos mœurs; il constitue, en grande partie, la vie propre à la nation belge.
Je sais bien que la Constitution a réglé les libertés communales; mais comment les a-t-elle réglées? En déclarant que tout ce qui est d'intérêt purement communal appartient à la commune, fait partie de ses libertés.
On me dira peut-être, comme on l'a déjà dit, que l'instruction publique ne concerne pas la commune, que c'est un objet d'intérêt général. J'ai déjà eu l'honneur de faire observer que c'est aller contre l'évidence, au rebours du bon sens que de soutenir que l'instruction publique n'est pas d'intérêt communal.
Au point de vue moral et matériel, il n'y a rien de plus important que l'instruction publique, en fait de prérogatives communales. Comment! l'instruction publique serait une chose indifférente pour la commune ! Sans parler de l'instruction primaire, qui est un des premiers besoins de la population, peut-on contester les immenses avantages qui résultent, pour une population tout entière, de l'existence d'un établissement d'instruction secondaire? Combien de personnes, peu fortunées, ne jouissent pas, grâce à une telle institution, de faveurs qui leur seraient refusées si elle n'existait pas!
Combien d'artisans ne trouvent pas dans l’établissement communal la faculté de donner à leurs enfants une éducation qui pourra faire un jour l'honneur, la gloire, la fortune, non seulement de ces enfants, mais de toute la famille! Et l'on viendrait dire que la commune, qui n'est après tout que l'agrégation des citoyens d'une même localité, serait indifférente à l'existence d'un établissement de ce genre! L'on viendrait dire que l'instruction publique n'est pas d'intérêt communal! C'est insoutenable.
Au point de vue moral, au point de vue des immenses avantages qui doivent résulter de l'éducation publique, je ne crains pas de dire que l'instruction doit être placée au premier rang parmi les intérêts communaux.
Au point de vue matériel, rien ne se rattache d'une manière plus sérieuse aux intérêts communaux, au budget communal, que l'instruction générale, et particulièrement l'instruction secondaire qui exige des dépenses beaucoup plus grandes que l'instruction primaire.
Ainsi, sous tous les rapports, l'intérêt communal est ici incontestablement en jeu. On ne peut donc pas nier que la commune n'ait le droit de créer et d'administrer librement des établissements de ce genre.
En partant de ce principe, je ne puis m'empêcher de repousser le projet de loi ; car s'il porte atteinte à plus d'un intérêt, comme j'ai eu l'honneur de le dire hier, ce sont surtout les prérogatives de la commune qu'il lèse le plus profondément.
La liberté communale est froissée par le projet, parce qu'il n'appartient à aucune commune d'ériger un établissement absolument libre, un établissement qui serait libre comme l'établissement d'un particulier.
Qu'appelons-nous liberté en matière d'instruction? C'est la faculté d'ériger un établissement et de le diriger de la manière qu'on l'entend. Dans une séance précédente, M. le ministre de l'intérieur appelait l'attention de la chambre sur l'entrave qui résulte de la surveillance, pour les établissements d'instruction en France; il faisait ressortir la différence entre le régime nouveau établi en France et celui qu'on propose d'établir en Belgique.
Il faisait voir la charge, la gêne qui résulte de la simple surveillance pour les établissements d'enseignement prives ; eh bien, il n'est pas un établissement communal qui, d'après le projet, échappe à cette entrave; et il y en a bien d'autres encore. Je dis que, d'après l'ensemble du projet de loi, il n'y a pas d'établissement communal libre, tout à fait libre, ce qu'on appelle libre.
Voilà ce qui constitue la centralisation, le monopole. Les concours qui doivent toujours se faire sous l'œil d'un jury nommé par le gouvernement ; la nomination des professeurs limitée d'après certains articles du projet; la révocation qui est faite par le ministre; puis les règlements, les programmes imposés aussi par le ministre, le budget qui doit être soumis au ministre ; tel est l'ensemble des formalités qui constituent à l'égard de tous les établissements de la commune et de la province une centralisation qui les enchaîne à l'Etat.
Vous connaissez à cet égard la haute susceptibilité de nos conseils communaux. L'honorable M. Osy, dans la séance d'avant-hier, a cité ce qui s'est passé en 1841 dans le conseil communal de Gand. Je ne m'appesantirai pas sur cette circonstance, cet honorable membre a suffisamment appelé votre attention sur ce point important de la discussion.
Messieurs, quand je parle des entraves, des formalités, exigées en ce qui concerne la nomination et la révocation des professeurs, je vous prie de ne pas perdre de vue l'importance de cette matière. Les nominations des professeurs dans les établissements d'instruction secondaire sont une chose de la plus haute importance, que tous ceux qui ont l'expérience de ces choses doivent apprécier à sa juste valeur. D'après ce projet de loi, les professeurs doivent être agrégés ou docteurs en sciences ou philosophie et lettres. Il est vrai que dans une précédente séance M. le ministre de l'intérieur a paru faire une concession qui m'a semblé sérieuse ; il a dit qu'on pourrait aller jusqu'à admettre les candidats en sciences et philosophie.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pour les classes inférieures.
M. de Haerne. - Puisqu'il ne s'agit que des classes inférieures ; j'aurai l'honneur de dire que ces nominations sont très importantes, et surtout sous un autre rapport que celui de la science. Il faut sans doute de la science pour être professeur; il en faut pour toutes les classes. Mais quant aux classes inférieures, savez-vous quelle est la première qualité, la première condition d'un bon professeur ? Ah ! l'expérience l'a prouvé, ce n'est pas tant la science qu'une autre qualité trop peu appréciée, mais bien précieuse. La première qualité c'est ce tact, cette autorité, cette manière d'agir à l'égard des élèves, par laquelle on se fait craindre et aimer tout à la fois ; et le diplôme ne confère pas cette qualité-là.
Puisqu'on m'a mis sur le terrain de la distinction à faire entre les classes inférieures et les classes supérieures, j'admets cette distinction. Pour les classes supérieures, pour la rhétorique, pour la seconde, j'admets que la science doit venir en première ligne, parce que, alors, les élèves sont déjà assez avancés pour que le prestige de la science puisse exercer sur leurs esprits toute l'influence nécessaire. Mais quant aux autres classes, la première condition, croyez-moi, c'est de bien régler, de bien conduire la classe.
M. Dequesne, rapporteur. - Cela est vrai.
M. de Haerne. - Je suis charmé de voir que l'honorable rapporteur est de mon avis.
(page 1138) J'en conclus que, sous ce rapport, on ne peut donner trop de liberté à la commune; elle aura déjà beaucoup de difficulté pour faire un choix convenable parmi les personnes qui lui sont connues, sans qu'on circonscrive son choix dans un cercle plus ou moins restreint. Quoique ce soit une véritable concession que M. le ministre de l'intérieur nous a faite lorsqu'il a dit qu'on pourrait admettre au professorat des classes inférieures les candidats en philosophie et en sciences; cependant pour ces classes, ce n'est pas aller assez loin.
A propos de libertés communales, je sais qu'on va me faire une objection, objection qui a déjà été présentée dans les sections, et, je crois même, dans le cours de la discussion publique. On dira que la liberté communale a également été froissée par le projet de loi sur l'instruction primaire.
D'abord, je n'ai pas de reproches à me faire, parce que je n'ai pas été appelé à donner mon vote sur cette loi. Il est vrai que, pour être sincère, je dois dire qu'en parlant de cette loi dans cette enceinte, je l'ai envisagée comme une loi de transaction qui fonctionne bien. Mais de là à approuver toutes les dispositions d'une loi, il y a une grande distance.
Il y a cependant des remarques à faire sur la différence qui existe sous ce rapport entre l'instruction primaire et l'instruction secondaire.
D'abord, on a imposé des sacrifices aux communes ; on a rogné la liberté communale pour l'instruction primaire. Mais la commune a de bien plus grandes ressources pour l'instruction primaire que pour l'instruction secondaire ; les écoles ne sont pas à beaucoup près aussi coûteuses, et à côté d'un établissement d'instruction primaire que la commune, d'après la loi, est obligée de soumettre aux formalités prescrites, elle trouve de grands avantages dans la liberté.
La liberté fait souvent presque tous les sacrifices en matière d'instruction primaire. Il y a une foule d'établissements à côté de l'établissement officiel. Ainsi la commune profile de la variété que présentent les établissements d'instruction libres; elle se trouve donc bien moins frappée dans ses intérêts, dans ses susceptibilités par le régime de la loi sur l'instruction primaire que par celui que l'on nous propose d'établir, quant à l'instruction secondaire.
Mais il y a autre chose. L'instruction primaire, on vous l'a déjà dit, est réglée d'une manière toute différente pour ce qui regarde les grades que doivent avoir obtenus les professeurs. Vous avez d'un côté les écoles normales de l'Etat, les écoles normales libres de l'autre.
Je sais qu'en fait d'écoles normales libres, il n'y a que celles du clergé. Mais il est évident que le principe serait le même pour d'autres écoles normales qu'on pourrait ériger.
Il y a ici un régime de liberté complète pour les écoles normales primaires. Dans le projet qui nous est soumis, le système change entièrement de nature, et dans mon opinion cela établit une différence essentielle, quant à l'ensemble de la loi. Dans le premier cas, le système est libéral, dans le second il est exclusif, et ouvre la porte à l'arbitraire.
On a dit aussi que dans le projet qui a été présenté par un honorable ministre précédent, la liberté communale était froissée par l'établissement des athénées. Je l'avoue, et je dois dire que, sous ce rapport, le projet n'aurait pas eu mon assentiment, car l'établissement d'athénées dans certaines villes, avec défense d'établir d'autres écoles secondaires, est contraire à la liberté communale.
Mais remarquez que la disposition dont on parle et que je blâme existe dans le projet de loi à l'égard de toutes les villes, pour tous les établissements d'instruction moyenne, en ce que ces établissements doivent toujours subir le régime gênant de la loi.
Ainsi, si la liberté communale est froissée dans le projet de l'honorable M. de Theux, elle l'est bien davantage dans le projet qu'on nous propose, en ce que la mesure se rapporte à toutes les communes.
On dit, il est vrai, qu'on accorde une influence aux communes dans les athénées et les écoles moyennes par les bureaux établis près de ces établissements. Il est vrai qu'il y a là une concession à l'influence communale. Mais je ferai remarquer que ces bureaux sont tous nommés par le gouvernement et que la commune n'a que la présentation des candidats.
Venons-en aune question qui a été traitée hier par un honorable député de Bruxelles. Je veux parler des collèges patronnés. Cette question, vous ne l'ignorez pas, est de la plus haute importance.
Le projet ne ménage aucunement ces collèges; on dirait que c'est principalement contre ces collèges qu'est dirigée l'action envahissante du gouvernement, car aux termes de l'article 8, il suffit qu'un collège ait cette qualification, qu'il soit protégé à un degré quelconque par une ville sans même recevoir d'elle ni subside ni local, pour qu'il soit rangé dans la catégorie des collèges patronnés qui doivent subir tout le régime de la loi.
Voici l'article 5 : « Les établissements communaux d'instruction moyenne reçoivent une organisation analogue :
« 1°…
« 2°…
« 3° Etablissements privés auxquels la commune accorde son patronage, soit purement et simplement, soit en leur fournissant des subsides ou des immeubles. »
Je vous demande ce que signifient ces mots : « soit purement et simplement »; mais c'est le nom seul de collège patronné qui donne lieu à la défaveur. Je ne puis expliquer cette expression autrement.
Ainsi le nom seul suffit pour ravir à un établissement la liberté, c'est-à-dire pour le soumettre à une approbation préalable quant à son existence, et pour lui faire subir l'inspection, de même que pour l'exposer plus tard à la suppression, si l'on y rencontre ce qu'on appelle un abus grave et dont, dans tous les cas, le ministère sera juge. Ou je ne comprends pas la disposition de la loi, ou elle doit avoir cette conséquence. Le nom seul suffit. Il suffirait qu'un bourgmestre allât se présenter â une distribution des prix en disant : Je vous accorde mon patronage, je vous accorde ma protection, pour que ce collège passât pour patronné.
- Un membre. - Il faut une décision du conseil communal.
M. de Haerne. - Oui, mais cette décision du collège communal peut n'entraîner aucune autre charge que d'aller présider certaines cérémonies, d'accorder une protection quelconque au collège, de lui accorder, par exemple, le nom de collège de la ville. Cela suffirait pour le ranger sous le régime de la loi et lui ravir la liberté.
Messieurs, pour jeter le blâme sur qu'on a appelé les collèges patronnés, on vous a cité hier plusieurs formules de contrat. L'honorable M. Fontainas, à qui je réponds particulièrement dans ce moment, vous a lu des contrats qui ont été conclus entre l'épiscopat et plusieurs régences de villes.
Il y a, je dois le dire, plusieurs de ces contrais dont la forme ne me plaît pas plus qu'elle n'a paru être agréable à l'honorable membre. Mais il ne s'agit pas ici de la forme; il s'agit du fond.
Qu'est-ce qu'un collège patronné? Ce n'est pas un collège communal ; c'est un collège libre que la ville adopte; et il me semble que les villes doivent rester libres d'adopter des collèges. Pourquoi le font-elles? On le sait, c'est presque toujours par mesure d'économie.
Ainsi on a cité hier le collège d'Ostende et on a cru devoir vous donner lecture du contrat intervenu entre cette ville et l'épiscopat de Bruges.
Savez-vous, messieurs, ce que c'est que le collége d'Ostende? C'est un collège libre auquel la ville accorde, je crois, 1,000 fr. de subside, sans assurer la continuation de cette subvention. Remarquez-le bien; avant que cet établissement fût érigé à Ostende, il n'en existait aucun, et il est bien certain, personne ne me donnera un démenti à cet égard, que si cet établissement privé était supprimé, il n'y en aurait pas d'autre.
Voilà donc le mal produit par ces collèges patronnés. Voulez-vous de l'instruction, ou n'en voulez-vous pas ? Voilà la question.
Ainsi, messieurs, il faut savoir ce qu'on entend par collèges patronnés; ce sont les collèges libres qui reçoivent un léger subside de la ville et qui souvent lui font beaucoup de bien, parce que, s'ils n'existaient pas, la ville serait privée d'instruction secondaire. Il y a un grand nombre de villes qui se trouvent dans cette position, et je pourrais les nommer au besoin. Ailleurs, comme à Courtray, on pourrait créer un collège communal, mais en décuplant les dépenses, et encore cet établissement n'aurait pas, à beaucoup près, les mêmes chances de succès, ne réussirait pas au même degré dans l'internat, ne verserait pas en ville, comme le collège actuel, une somme annuelle de 70,000 fr., et ne produirait pas à l'octroi une somme à peu près égale au montant du subside, c'est-à dire 1,500 à 2,000 fr.
Si le projet est adopté tel qu'il est conçu, savez-vous ce qui arrivera aux collèges patronnés? La plupart ou deviendront des collèges entièrement libres, et dans ce cas ils seront souvent plus ou moins mutilés par suite de l'impossibilité où l'on se trouvera de maintenir un collège de plein enseignement, ou bien ils seront supprimés par la concurrence d'un établissement communal proprement dit.
Il est évident qu'on portera ainsi un coup funeste non seulement à ces établissements, mais, j'ose le dire, à beaucoup de villes qui se trouvent dans la nécessité absolue d'adopter un collège pour avoir un établissement de ce genre. Je ferai remarquer que le clergé, à qui l'on reproche de diriger ces établissements, fait souvent des sacrifices de tout genre et notamment des sacrifices pécuniaires, pour maintenir ces institutions sur un pied convenable.
Il faut avouer que si c'est là de la domination, elle est assez rare aujourd'hui.
Les collèges patronnés, dont on parle, ont souvent des contrats plus ou moins en règle avec les villes.
Le gouvernement, je l'espère et je dois le croire d'après le rapport de la section centrale, respectera les contrats onéreux conclus à terme, il est des collèges patronnés qui se trouvent avoir de semblables contrats, mais la plupart ne sont pas dans cette position. Ensuite, à l'expiration du contrat, remarquez-le bien, le principe de la loi est remis en vigueur. Alors l'article qui concerne les collèges patronnés doit recevoir son application, et ces collèges doivent subir les inconvénients que je viens de signaler. Ainsi l'entrave que l'on porte à la liberté communale n'est pas levée ; elle est seulement reculée alors même que les contrats sont tout à fait en règle, ce qui est l'exception.
Messieurs, il est un autre article qui a été un peu modifié par la section centrale, et qui concerne l'érection des pensionnats. Il me semble qu'il y a dans la rédaction primitive de cet article, tel qu'il se trouve dans le projet du gouvernement, quelque chose qui est aussi conçu dans un esprit d’hostilité à l'égard des collèges patronnés ou des collèges libres, qui pourraient profiter de l'établissement d'un pensionnat créé par les villes. Car il est dit à l'article 4 que les élèves de ce pensionnat « seront obligés de fréquenter » les cours de l'athénée, ou de l'école moyenne.
On change la rédaction dans le rapport de la section centrale et l'on dit que les élèves « fréquenteront » les cours de l'athénée ou de l'école moyenne. Le mot « obligés » est remplacé par un futur. Je ne sais si, dans (page 1139) l'esprit de la section centrale, cette modification emporte la faculté, de la part des élèves du pensionnat, de fréquenter une école libre.
Mais, vous le savez, en terme de loi, le futur est impératif; il emporte toujours une obligation. Je pense donc que ce n'est qu'un simple changement de rédaction.
L'honorable rapporteur me fait un signe d'assentiment. Eh bien, voyez où vous arrivez; je tire la conclusion de cette disposition, et je dis qu'elle est évidemment une nouvelle entrave, une nouvelle gêne à la liberté.
Car enfin, une ville peut ériger un pensionnat pour y loger les élèves qui fréquenteront l'athénée ou l'école moyenne, et il ne sera permis à cette ville d'admettre dans cet établissement aucun autre jeune homme, non seulement un enfant qui fréquenterait une école libre d'enseignement moyen, mais les jeunes gens par exemple qui viendraient fréquenter des cours de dessin, les leçons de musique, les leçons de l'observatoire. Tout cela est interdit. Tous ces jeunes gens ne peuvent pas profiter des avantages que présente l'internat. Remarquez que cela froisse évidemment l'intérêt des villes, car très souvent l'internat n'aura pas une population suffisante s'il doit recruter cette population exclusivement parmi les élèves de l'école moyenne de l'Etat.
Je le répète, cette disposition est évidemment conçue contre les collèges patronnés. C'est pour ne pas donner aux collèges libres l'avantage de profiter indirectement d'une maison d'internat créée par la ville, ce qui constituerait une espèce de patronage.
Cette question du patronage est extrêmement importante. Elle mérite toute votre attention, et si vous avez l'imprudence de consacrer dans la loi ce qu'on vous propose à cet égard, savez-vous jusqu'où iront les conséquences de votre décision? Je ne crains pas de le dire, ces conséquences s'étendront aux universités libres; car les universités libres se trouvent dans la même position ; ce sont des universités patronnées par les villes où elles existent. Si vous supprimez les collèges patronnés dans le projet soumis à vos délibérations, vous supprimez en principe et par avance les universités libres, ou au moins vous leur enlevez la liberté.
Messieurs, par les considérations dans lesquelles je viens d'entrer, je crois avoir démontré qu'il y a ici, de la part du gouvernement, un véritable envahissement à l'égard de la liberté communale. Pour ce qui regarde les libertés provinciales, dont on ne fait pas plus de cas dans le projet de loi, je ferai remarquer que c'est une véritable innovation que la création d'établissements provinciaux. C'est une innovation, mais si vous vouliez créer des établissements provinciaux, il fallait aussi laisser aux provinces une certaine liberté à cet égard; il fallait ne pas les soumettre, dans tous les cas, à toute l'action de la loi.
Je sais bien qu'il y a une différence entre les provinces et les communes, au point de vue de l'instruction. Je dois le reconnaître, l'instruction n'est pas d'intérêt provincial au même degré qu'elle est d'intérêt communal; mais je ne sache pas qu'on puisse bien soutenir, à part le principe de la Constitution et prenant les choses d'après leur nature même, qu'il y a une grande différence entre la province et l'Etat, par rapport à l'instruction. L'Etat intervient dans l'instruction, par la nature des choses, au même titre que la province. Il est vrai que la Constitution donne d'autres prérogatives à l'Etat, cela change la question, mais par la nature des institutions la province est sur le même rang que l'Etat. C'est donc une raison qui est prépondérante pour accorder à la province tout ce qu'on peut lui accorder en fait de liberté. Du moment qu'on admet que la province peut et doit avoir ses écoles, il faut lui laisser aussi la liberté à cet égard.
Messieurs, je dois dire encore quelques mots en ce qui regarde l'instruction privée, j'ai l'honneur de dire que l'instruction privée, la liberté en matière d'instruction privée est également froissée dans le projet, et que l'on établit en principe la centralisation, un véritable monopole.
Comment, messieurs, l'enseignement privé pourra-t-il lutter contre les athénées, contre les écoles moyennes converties en petits collèges par l'adjonction de cours latins ou d'autres cours qu'on voudra y annexer, contre les écoles communales, devenues plus ou moins écoles gouvernementales, par le régime de la loi, et puis contre une dizaine, contre une vingtaine d'écoles agricoles ? Car enfin, aujourd'hui il existe une dizaine d'écoles d'agriculture, et là où il en existe, elles tiennent aussi lieu d'écoles moyennes. Or, pour ce qui regarde les écoles agricoles, le gouvernement se réserve toute latitude. Il n'en est pas même fait mention dans le projet de loi.
Quant aux écoles provinciales, je dois relever le vague qui se trouve dans le projet de loi, et il ne vous échappera pas que c'est là une arme dont on pourra abusera l'avenir, car on pourra placer l'école provinciale devenue plus ou moins gouvernementale dans tel ou tel endroit où l'on voudra faire concurrence à l'industrie privée. Le nombre des écoles provinciales est indéterminé et les localités où les écoles provinciales peuvent être établies ne sont pas désignées non plus. On pourra ainsi attaquer les petits séminaires mêmes.
Pour ce qui regarde les entraves apportées à la liberté, à l'existence des institutions privées, je dois ici faire une observation en ce qui concerne le jury d'examen pour le grade d'élève universitaire. Tons savez, messieurs, que j'ai voté contre cette disposition, et que le motif pour lequel je l'ai repoussée c'est que l'institution dont il s'agit et qui a bien fonctionné, je l'avoue, depuis qu'elle existe, peut devenir vicieuse dans son exécution.
Le gouvernement a nommé deux membres appartenant à des institutions privées, deux membres pris dans les institutions publiques et trois membres choisis en dehors de toute institution. Or, messieurs, il est évident que, si le gouvernement le veut, d'après ce système, il peut avoir cinq personnes contre deux, cinq voix contre deux, pour ce qui regarde la décision à prendre à l'égard de candidats qui se présentent pour obtenir le grade d'élève universitaire.
Je dis donc que c'est là une arme puissante pour le gouvernement, c'est une arme dont il pourra abuser à l'avenir. Evidemment, si cette loi n'existait pas, on pourrait accorder quelque chose de plus au gouvernement, pour ce qui regarde le régime des écoles secondaires.
Messieurs, l'on a dit dans une séance précédente que quelques écoles moyennes libres profiteront peut-être du régime de la loi, par suite de l'indifférence qui se manifestera parfois dans les établissements de l'Etat, pour ce qui regarde l'instruction religieuse.
Cela peut être partiellement vrai. Toutefois si le jury fonctionne d'une manière partiale ou qu'on établisse contre ces collèges libres des écoles provinciales, le contraire pourrait fort bien avoir lieu. Cependant je dis avec l'honorable M. Osy que quelques établissements libres profiteront peut-être du régime de la loi ; mais la plupart des établissements seront froissés; c'est là qu'est le danger. C'est dans les petites villes que se fera sentir surtout l'action du gouvernement.
Voilà, messieurs, comment le projet établit le monopole, tant chéri des socialistes, le monopole communal, provincial et privé.
Si ce malheur arrive, je crains que nous ne devenions la risée de l'Europe, et qu'au lieu de dire : La liberté comme en Belgique, on ne dise : Le monopole comme en Belgique !
Il est vrai qu'en fait de liberté, il nous restera le libre échange qui nous donne un air ingénu et tout à fait jeune à l'étranger, c'est consolant.
Quant à la partie scientifique de la loi, et la position que j'occupe dans l'enseignement me fait espérer que la chambre voudra encore me prêter quelques moments d'attention, messieurs, je trouve qu'au point de vue scientifique, il y a aussi beaucoup trop décentralisation. La science, le génie ont besoin de liberté. Il faut sans doute de l'ordre en tout, mais en fait d'études, il faut de la liberté.
Qu'a-t-on souvent reproché aux catholiques ? Et ce reproche n'a pas été articulé seulement dans ce pays, mais encore dans d'autres pays; on leur a reproché de viser trop à l'uniformité en matière de science, d'imposer un certain joug aux intelligences.
Ces reproches ne sont pas fondés; si le catholicisme impose un joug, c'est un joug salutaire, c'est le joug du dogme qui sert de règle au génie dans ses élans les plus hardis. Pour le reste, pleine et entière liberté. Quoiqu'il en soit, on fait ce reproche au catholicisme; eh bien, au point de vue scientifique, au point de vue des études, le projet de loi établit aussi une véritable centralisation que je trouve dangereuse pour ce qui regarde le progrès intellectuel du pays.
Et remarquez que l'élément politique est introduit dans les études par le projet. Eh bien, il n'y a rien de plus nuisible à l'intérêt des études que l'élément politique. La mobilité des systèmes politiques qui se succèdent au ministère jettera une certaine déconsidération sur le corps professoral.
Pour blâmer le régime de la liberté, on a dit que le niveau des études a baissé, et ici je dois dire un mot en réponse au rapport de la section centrale.
Le niveau des études a baissé ! mais, messieurs, il faut s'entendre ; si l'on veut dire que les études ont perdu par rapport au latin, je suis d'accord avec l'honorable rapporteur de la section centrale. Mais les études n'ont pas baissé pour le grec, les mathématiques, l'histoire, la physique, l'histoire naturelle; et nous devons reconnaître que lorsque nous étions assis sur les bancs de l'école, c'était à peine si on nous enseignât ces choses et l'on se contentait de nous initier à la connaissance du latin. Pour ce qui regarde cette langue, les études ont perdu, mais elles ont gagné immensément sous d'autres rapports. Si c'est un mal, c'est le mal du progrès, c'est la marche du siècle.
En France, les études ont baissé aussi à plusieurs égards; et cependant là existait non la liberté, nuis le monopole. Ce n'est donc pas à la liberté qu'on peut faire ce reproche, mais cela est dû à l'extension donnée aux études; et si la science a perdu en profondeur, elle a gagné en étendue.
Un écrivain allemand, M. Thiersch, dans son remarquable ouvrage sur les collèges d'Allemagne, de France et de Belgique, fait voir que cette extension donnée aux éludes est due en Belgique à l'impulsion des athénées, « parce que, dit-il, depuis que la liberté existe en Belgique, les athénées ont pris l'initiative pour tout ce qui regarde le développement de la science, et ils ont entraîné les autres collèges à la suite. » Si c'est un abaissement des étoiles que cette extension, encore une fois ce n'est pas à la liberté qu'il faut s'en prendre, mais à l'initiative prise par les écoles gouvernementales.
Les jurys académiques, émanation de la liberté, ont fortifié les études en général.
On ne connaissait pas la centralisation des études aux âges d'or des littératures et des grandes découvertes scientifiques. Sans parler des anciens, le monopole a-t-il produit des Dante, des Hoquet, des Milton, des Galilée, des Descartes, des Newton?
Non, les intelligences ne peuvent être jetées dans un même moule; (page 1140) il faut une impulsion nationale, donnée par la supériorité de l'enseignement public. Le reste doit être acquis à la liberté. Je termine en disant que je rencontre dans le projet de loi centralisation partout; centralisation au point de vue religieux, de telle sorte que dans certains cas le gouvernement prétend enseigner lui-même, et déposer ainsi dans la loi le germe d'une Eglise nationale; centralisation au point de vue politique et particulier de la liberté communale qui est confisquée dans plusieurs circonstances; centralisation enfin au point de vue scientifique.
Tels sont les vices que je trouve dans la loi, et qui me forceront à émettre un vote négatif.
M. le président. - M. Orts a présenté à l'article 6 un amendement qu'il développera, lorsque viendra son tour de parole.
M. de Brouckere. - Messieurs, je m'étais fait inscrire contre, et je vais parler sur le projet de loi. J'éprouve, avant tout, le besoin de vous expliquer cette volte-face.
En premier lieu, après l'apostrophe un peu sévère que nous a adressée M. le ministre de l'intérieur, je me suis mis à relire et à étudier de nouveau le projet de loi.
En second lieu, plusieurs de mes amis m'ont témoigné le désir de m'entendre parler de préférence sur le projet, et j'ai voulu me montrer de bonne composition; enfin, vous le savez peut-être, quelques journaux m'ont signalé comme un phénomène, et je veux me dérober à leur curiosité.
Messieurs, je pensais, après une première étude du projet de loi, vous proposer une série de 26 amendements. Je vous avoue que, reculant devant cette tâche, je m'étais fait inscrire contre le projet de loi. Après avoir étudié de nouveau bien consciencieusement le projet, je crois que je pourrai me contenter de 14 amendements. Et comme, pour parler « sur », il faut donner immédiatement connaissance de ses amendements, je vais lire les miens et je les ferai passer au bureau. Je propose donc les rédactions suivantes :
« Art. 2. Les établissements du gouvernement sont de deux espèces :
« 1° Les athénées royaux ;
« 2° Les écoles royales d'industrie et de commerce. »
« Art. 3. Il pourra être établi, d'après les bases fixées par la présente loi, dix athénées et autant d'écoles d'industrie et de commerce. »
« Art. 4. Supprimer le deuxième paragraphe. »
« Art. 6. Les résolutions des conseils communaux portant fondation d'un établissement d'instruction moyenne, sont soumises à l'approbation de la députation permanente du conseil provincial, conformément à l'article 77 de la loi communale.
« Les communes, etc. »
« Art. 7. Supprimer. »
« Art. 9. Les professeurs... des athénées, des écoles d'industrie et de commerce, des collèges, etc.
« Supprimer le deuxième paragraphe. »
« Art. 12. § 1er.... de quatre membres au moins et de six au plus.... par le conseil communal.
« § 3. Le gouverneur de la province pourra présider le bureau de l'athénée et celui de l'école de commerce et d'industrie chaque fois qu'il le jugera convenable. »
« Art. 20. Les villes où les athénées et les écoles de.... par une subvention annuelle au moins du tiers et au plus de la moitié de la dépense. »
« Art. 21. L'athénée et l'école d'industrie et de commerce seront confondus en un seul établissement dans les villes dont la population ne dépasse pas 80,000 âmes.
« L'enseignement sera distribué, etc. »
« Art. 22. L'algèbre jusques et y compris le binôme de Newton et ses applications au calcul des probabilités. »
« Art. 25, 26 et 27. Supprimer. »
« Art. 28. Supprimer : Soit du premier, soit du second degré. »
« Art. 33. Supprimer.
« Art. 34. Il y a pour l'enseignement moyen deux inspecteurs généraux. »
Je ne vous fatiguerai pas dans la discussion des articles, je n'abuserai pas de votre patience en défendant mes amendements. Ceux qui n'auront pas de chances de réussir, je les abandonnerai, sauf à voter ensuite comme je l'entendrai.
Je suis au nombre de ceux qui regrettent le plus vivement la présentation du projet de loi qui nous est soumis. Le ministère, je le sais, a cédé à une espèce d'obsession, assez générale, puisque successivement tous les ministères ont présenté un projet de loi sur l'enseignement moyen.
Je le répète, je regrette très vivement la présentation du projet de loi, et je me suis posé cette double question : « Faut-il un enseignement moyen donné aux frais de l'Etat? 2° établit-on un enseignement moyen aux frais de l'Etat?
Faut-il un enseignement moyen donné aux frais de l'Etat? Oui, si j'en crois l'honorable M. Destriveaux qui a fait partie du Congrès comme moi, mais qui n'est pas compétent pour résoudre la question, puisqu'il a voté contre l'article 17. Faut-il un enseignement moyen institué aux frais de l'Etat? Oui, si j'en crois un livre qui, à cause de son titre, se trouve outre les mains de tout le monde : le Code constitutionnel de la Belgique.
Savez-vous comment le commentateur résout cette grave question de l’enseignement aux frais de l'Etat?
Voici comment il s'exprime :
« Aux frais de l'Etat. - La rédaction de cet article a fait naître la question de savoir si l'instruction de l'Etat était obligatoire pour lui, ou seulement facultative. Elle a été résolue dans le premier sens et mise en action par la loi du 27 septembre 1835 qui a organisé l'enseignement supérieur. »
Cela-veut-il dire que la Constitution a impérieusement voulu qu'il y eût un enseignement donné aux frais de l'Etat? Non. Mais la législature usant de la faculté que lui donnait la Constitution, a usé de son droit une première fois en organisant l'enseignement supérieur, et une seconde fois en organisant l'enseignement primaire.
A ces autorités permettez-moi d'en opposer une autre. Au Congrès j'ai eu l'honneur d'être nommé rapporteur du premier chapitre de la Constitution. Je portais la parole au nom d'une section centrale composée en nombre double, c'est-à-dire de 18 membres, qui exprimaient l'opinion du Congrès tout entier. Voici comment je m'expliquais dans le rapport : « L'article relatif à l'enseignement n'a, pour ainsi dire, rencontré aucune objection dans les sections ; une seule avait désiré une rédaction plus large du second paragraphe, craignant qu'on ne tirât de la rédaction primitive la conséquence obligée d'un enseignement aux frais de l'Etat. »
Ainsi une seule section avait désiré une rédaction plus large du deuxième paragraphe, craignant qu'on ne tirât de la rédaction primitive la conséquence obligée d'un enseignement aux frais de l'Etat. Sur 9 sections, une seule avait exprimé la crainte que, dans l'avenir, on pourrait interpréter l'article de cette manière que l'instruction aux frais de l'Etat serait obligatoire. Le Congrès a été beaucoup trop sage, beaucoup trop prudent pour lier l'avenir; il a voulu laisser à la législature toute son action.
On a organisé l'instruction du premier degré et l'enseignement supérieur. Y a-t-il la même importance à organiser l'instruction moyenne aux frais de l'Etat? A mon sens, non. Le gouvernement doit intervenir et intervenir plus largement qu'il ne le fait dans l'instruction du premier degré, car elle est nécessaire à tous. Il doit également intervenir dans l'instruction supérieure, indispensable au progrès des sciences et des lettres, à la civilisation même, et qui n'est pas à la portée des fortunes individuelles. Mais l'instruction moyenne est à la portée des individus, et ils la trouveront dans des établissements de toute espèce, sans l'intervention du gouvernement.
Maintenant, je ne m'oppose pas à l'institution de l'enseignement moyen donné aux frais de l'Etat ; j'en ai donné la preuve par mes amendements. Tout en ne trouvant pas qu'il y ait nécessité de créer cet enseignement, je ne m'y oppose pas d'une manière absolue. J'aurais préféré beaucoup le projet de 1834 au projet actuel; j'aurais préféré deux ou trois amenées et autant d'écoles d'industrie et de commerce, grandement montés aux frais exclusifs du gouvernement, à cette masse d'établissements mixtes que l'on veut créer. Non pas que je croie que ce sera dans les établissements du gouvernement que se feront les perfectionnements; que ce sera dans les athénées royaux que les nouvelles méthodes s'expérimenteront, que les améliorations surgiront.
Mon Dieu! permettez-moi de vous citer une opinion qui repose sur des faits, et qui date de 22 ans à peu près. Permettez-moi, avant de citer et pendant que je tiens en main ce petit volume, de prendre une précaution. Si, dans le cours de la discussion, l'on voulait me mettre en contradiction avec moi-même, bien que je n'aie pas une pensée à désavouer, je vous prie de vous rappeler que ce livre a été écrit en 1828, sous un tout autre régime que le régime actuel.
Voici donc ce que j'écrivais :
« Je n'ai pas la prétention de prononcer sur le mérite des différentes méthodes; une décision de cette nature exige un examen approfondi. En France, le ministre de l'instruction publique avait compris l'importance de la chose. Une commission fut instituée par M. de Vatismenil pour examiner, comparer les méthodes et présenter les moyens d'améliorer celle qui était suivie dans les collèges de l'université.
« Je ne puis taire toutefois qu'en général les innovations prennent naissance dans les institutions libres. Ainsi c'est chez M. Morin, à Fontenay-aux-Bois, que l'on applique la méthode de M. Ordinaire; là aussi les jeunes gens, après avoir traduit en français quelques fragments d'un auteur latin, font l'exercice inverse, se pénètrent du style de l'écrivain original et, par des déviations successives, parviennent à imiter le modèle avec une heureuse facilité, au point d'écrire en latin, sous la dictée, un thème français. C'est dans une école libre à Paris qu'on a importé la méthode de Pestalozzi, dans une autre, celle de M. Jacotot. »
Ainsi, quant à moi, je ne crois pas que ce soit du gouvernement ou des établissements publics que vienne le progrès en matière d'instruction. Je crois que le progrès nait de la liberté, naît de la concurrence. Et c'est précisément parce que j'ai cette conviction intime que je demande la suppression de l'article du projet qui est relatif au conseil de perfectionnement.
Je désire qu'il n'y ait pas de conseil de perfectionnement, et surtout qu'il n'y ait pas de conseil de perfectionnement semblable à celui que nous subissons aujourd'hui. Je pense que si l'honorable rapporteur voulait être bien franc, il nous avouerait lui-même qu'il n'attend pas grand-chose du conseil de perfectionnement qu'il a présidé.
M. Dequesne, rapporteur. -Vous n'êtes pas initié dans ce qui s'y est passé.
M. de Brouckere. - Cela est vrai. Mais je m’en vais vous dire comment on l'a composé.
(page 1141) Il y a depuis deux ou trois ans un congrès de professeurs ; et ce congrès de professeurs (le compte rendu de ses séances a été imprimé) ne nous a que trop prouvé que si jamais on érigeait les professeurs en corporation, ils afficheraient des prétentions bien plus exclusives que celles de l'université d'outre-Quiévrain.
Les professeurs de l'athénée de Bruxelles se sont souvenus qu'ils étaient des fonctionnaires communaux, et ils n'ont pas voulu braver, décrier la commune dans le congrès professoral : ils s'en sont séparés.
Indépendamment de l'athénée, il y a aux environs de Bruxelles un autre établissement de premier ordre, l'école centrale d'industrie et de commerce. Lorsqu'il a fallu faire parmi les professeurs les élections pour le conseil supérieur, on a eu la générosité de n'en déléguer qu'un seul de ces deux grands établissements, et l'on a choisi précisément le seul qui, par des raisons de famille, s'était détaché de tous ses collègues, et élisait partie du congrès professoral.
Le passé me donne la mesure de l'avenir. Je demande qu'il n'y ait pas de conseil supérieur.
Libre au ministre de convoquer, toutes les fois qu'il le voudra, non des hommes nommés en vertu de la loi, mais à côté de ses inspecteurs, toutes les personnes dans les lumières desquelles il aura confiance.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est de la liberté.
M. de Brouckere. - La liberté ainsi comprise a toujours eu de mauvais résultats. Partout où il y a eu corporation, il n'y a pas eu progrès. Je vous citerai, en France, les armes de l'artillerie et du génie: elles se sont transformées en corporations représentées par des comités, et il y a eu une foule de progrès utiles pour les deux armes qui ont été rejetés parce qu'ils n'avaient pas été inventés par les membres de ces corporations. (M. le ministre de l'intérieur prononce quelques mots qui ne parviennent pas jusqu'à nous.)
Vous allez me dire que la commune est aussi une corporation. (Dénégation de la part de M. le ministre de l'intérieur.)
S'il s'agit d'une autre corporation, nommez-la. Je vous répondrai.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous me comprenez.
M. de Brouckere. - J'avoue que non. Quand je suis occupé d'un ordre d'idées, il m'est impossible de songer à un autre.
C'est, d'une part, mon aversion pour tout ce qui sent la corporation qui me fait supprimer, je le répète, l'article relatif au conseil de perfectionnement, et une partie de l'article 9. Je ne donne pas le titre de fonctionnaires de l'Etat aux professeurs et je les fais tous participer à la caisse des pensions instituée pour les écoles urbaines.
J'ai posé une seconde question, et j'ai oublié d'y donner une solution. Je me suis demandé : Etablit-on une instruction publique aux frais de l'Etat? Pas le moins du monde. On fait une simple inversion ; on ne change rien aux charges de la commune et de l'Etat, mais on met l'Etat à la place de la commune, dans l'administration, dans la direction. On dit aux communes : Nous vous avons subsidiées ; c'est vous qui allez à votre tour nous donner des subsides. C'est-à-dire que par une de ces anomalies (car il faut bien le dire, c'en est une), le tuteur demande à son pupille de lui venir en aide.
Ce n'est pas là organiser l'enseignement public aux frais de l'Etat, parce que je n'admets pas que la commune, la province, ce soit l'Etat. Ce n'est pas là ce que l'article 17 de la Constitution entend par l'instruction donnée aux frais de l'Etat.
Je disais donc que j'aurais préféré le projet de 1834 au projet actuel ; et cependant, par esprit de conciliation, je vais assez loin. J'admets les dix athénées, et dix écoles de commerce et d'industrie. Je rentre dans l'esprit du projet de loi. C'est la même idée si vous voulez. Mais comme le projet de loi est fait tout d'une pièce, comme c'est un bâton qui ne se plie à aucune circonstance, j'ai préféré une autre rédaction.
D'après le projet, il y aura dix athénées, mais les écoles de commerce pourront être séparées des athénées. Cela n'implique pas que le gouvernement pourra avoir, à la fois, dans une même localité, une école de commerce et un athénée. Tout au moins le texte donnera lieu à contestation. On pourra soutenir que le nombre dix serait dépassé. Ce que je veux, c'est que dans toutes les villes où il y a aujourd'hui un athénée, il y ait indépendamment de l'athénée une école de commerce et d'industrie; ce qui ferait vingt écoles. Mais l'athénée et l'école de commerce seraient réunis en un seul établissement dans les villes d'une population inférieure à 80 mille habitants.
Dans des villes comme Gand, Anvers et Bruxelles, il est impossible qu'un établissement puisse réunir à la fois les deux enseignements. Certains cours seraient suivis par 150, 200 élèves ou plus; ce qui est incompatible avec une bonne instruction.
Ainsi donc, je demande cette modification. Si c'est la même idée que celle du projet, je la crois plus claire. Si ce n'est pas l'idée du projet, je préfère la mienne; je la crois plus praticable. Il est bien dit dans le projet que dans les athénées on donnera à la fois les cours d'humanités et de commerce. Eh bien, pour deux, trois ou quatre communes, je divise les deux sections, et je dis que les communes contribueront pour un tiers jusqu'à la moitié de la dépense, parce que j'ai voulu aller au-devant de l'objection. Comme les grandes communes auront un double établissement, elles payeront la moitié; les autres communes qui auront un établissement simple payeront un tiers dans les frais. Ce n'est pas parce que nous appartenons à une grande ville que nous venons demander une part plus large au gâteau; bien loin de là.
Messieurs, on vous l'a dit, le projet, tel qu'il est conçu, porte atteinte aux franchises communales. Ce mot a fortement blessé hier un de nos collègues, et sa langue brûlait même alors qu'il devait prononcer le mot de libertés communales. Je dirai l'indépendance communale, et pour ne pas encourir de reproche, je pose en fait que notre Constitution est aussi libérale, au moins, que la Constitution de 1815. Or, voici comment s'exprimaient les auteurs de la loi fondamentale dans leur rapport au Roi.
« Les villes, les communes rurales et les arrondissements de ces communes jouiront pour leur régime intérieur de toute l'indépendance que n'interdit pas le bien général. Les autorités locales administreront leur ressort comme de bons pères de famille. Mais ce ressort fait partie de la grande famille, et ils ne doivent pas blesser son intérêt. »
Je pense donc pouvoir, sans blesser aucune susceptibilité, parler de l'indépendance de la commune.
Mais M. le ministre de l'intérieur nous a dit dernièrement : On parle d'indépendance de la commune, et les communes se livrent pieds et poings liés. Voyez Charleroy, voyez Huy, voyez, je ne sais encore quelles communes l'on a citées, et vous-mêmes, autant que vous êtes, dès que le projet sera loi, c'est à qui de vous viendra me demander des subsides.
Eh, mon Dieu, oui. M. le ministre de l'intérieur, ni le gouvernement ne nous font pas de cadeau sur leur fortune en nous donnant des subsides. Voici la position.
Nous sommes ici cent qui représentons, je le suppose, autant de communes. Le gouvernement vient nous prendre ce que nous avons dans nos deux poches, et puis quand il l'a pris, il nous dit par le budget : j'ai un quart de trop et je le restituerai à quelques-uns d'entre vous.
Et vous trouvez étonnant que nous qui avons payé, qui avons mission de protéger ceux qui payent, nous sollicitions notre part dans le retour. Mais nous faisons notre devoir en demandant ces subsides.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On ne demande pas seulement des subsides. On demande des collèges de l'Etat.
M. de Brouckere. - C'est un abus. Quand nous demandons des subsides, c'est un abus ; mais c'est un abus dont il faut détruire la source. Arrivons à ceci, ce sera beaucoup plus logique, beaucoup plus rationnel.
Que le gouvernement, une fois pour toutes, dans aucun article du budget, n'ait de subsides à donner, ni aux communes, ni aux provinces, sauf pour les cas tout à fait de force majeure. Le budget de l'Etat s'en trouvera considérablement dégrevé, et les provinces et les communes sauront qu'elles doivent se suffire à elles-mêmes. Ce système est bien préférable. D'abord, il est beaucoup plus moral. Je n'incrimine pas plus le ministère actuel que les ministères qui l'ont précédé; mais je dis que les subsides sont un moyen de corruption comme les places de gardes champêtres et de débitants de tabacs étaient en France des moyens de corruption, qui ont mené le gouvernement de M. Guizot... où ?
Messieurs, on sourit à côté de moi, on pense peut-être que je serais bien attrapé en une qualité que je n'ai pas dans cette enceinte, de ne pas avoir de subsides; et l'on fera voir dans le tableau des dépenses pour l'instruction publique, que Bruxelles reçoit 25,000 fr. pour son athénée, 10,000 francs pour l'école de commerce, 5,000 fr. pour son école primaire supérieure.
D'abord, quant à l'école primaire supérieure, si le gouvernement veut nous l'abandonner avec ses ressources, je donnerai moi-même très volontiers un subside au gouvernement sur l'école primaire; on sait qu'elle peut se suffire.
Quant à l'athénée, nous recevons25,000 fr. Mais qu'on compare notre population aux populations des autres villes et qu'on se souvienne que nous payons le huitième de la contribution personnelle de tout le royaume.
Quant à notre école de commerce, et ici je réponds directement à M. le ministre de l'intérieur, ce n'est pas nous qui avons demandé les 10,000 fr., pas plus que nous n'avons demandé l'école de commerce.
On vous dit que les communes se livrent pieds et poings liés. Mais la ville de Liège a résisté longtemps; elle ne voulait pas abandonner la nomination de ses professeurs.
La commune de Gand a fait résistance. Quant à la commune de Bruxelles, elle a repris l'école de commerce; elle ne l'a pas créée. C'était un établissement libre. Ils s'est trouvé un moment où cet établissement allait faire une chute; et Bruxelles, dans l'intérêt public, l'a tenu debout. Voilà la situation, et certainement on ne nous fera pas un crime d'avoir 10,000 francs que nous n'avons jamais demandés pour soutenir cet établissement.
J'ai dit que le projet de loi blessait jusqu'à un certain point l'indépendance de la commune. Permettez-moi de parcourir les articles qui auront ce résultat, je les ai amendés.
D'abord l'article 6. Je vais très rapidement. J'en passe quelques-uns pour ne pas abuser de vos moments. L'article 6 porte : « Les résolutions des conseils communaux, portant fondation d'un établissement d'instruction moyenne, sont soumis à l'avis de la députation permanente du conseil provincial et ne peuvent recevoir leur exécution qu'après avoir été approuvées par la loi. »
Je crois que le gouvernement, dans l'intérêt de l'opinion qu'il représente, fait une faute en demandant l'approbation du Roi. Je crois que, dans l'intérêt de l'opinion que le gouvernement représente, il faut se borner à l'approbation de la députation permanente.
Les députations permanentes sont des corps libres, résultat de l'élection, et qui représentent les différentes opinions du pays, chacune dans une localité séparée. Permettez-moi de vous le dire naïvement : avec un ministère, et nous n'en avons pas eu de cette espèce, je me plais à le (page 1142) déclarer ; avec un ministère catholique et des hommes, non pas comme l'honorable M. de Theux, mais des hommes qui seraient peu scrupuleux, peu consciencieux, nous n'aurions plus qu'une espèce de collèges, que des collèges d'une opinion, d'une couleur.
Je crois plus sage, dans l'intérêt de notre opinion, de demander simplement l'approbation de la députation permanente, conformément à l'article 77 de la loi communale, et lorsque la députation refusera, la commune pourra se pourvoir auprès du Roi.
L'article 7, encore une fois, je dois répéter mon expression, fait les écoles tout d'une pièce, fait des écoles qui sont toutes coulées dans le même moule. Voici ce qu'il porte :
« Les conditions d'érection d'un établissement communal sont les suivantes: … qu'il donne l'instruction complète suivant le degré auquel il appartiendra. »
C'est-à-dire que les communes ne pourront absolument faire qu'un collège tout entier ou une école de commerce tout entière.
Dans l'école de commerce du gouvernement on enseigne la trigonométrie et la géométrie à trois dimensions : cela demande un professeur. Une petite ville ne peut pas faire des efforts suffisants pour organiser cette école de manière qu'elle soit au même niveau que l'école du gouvernement. Pourquoi ne voulez-vous pas qu'après l'instruction primaire ou donne pendant un an, deux ans, trois ans l'instruction moyenne, sauf aux jeunes gens, en sortant de là, et avant d'entrer à l'université d'aller dans un collège plus grand? Ce que je voudrais, c'est que l'on pût, dans une ville, pourvu que les écoles fussent agencées de telle manière qu'en sortant d'une classe dans un établissement, on puisse entrer dans une classe supérieure d'un autre établissement, pourvu qu'il y ait harmonie complète entre toutes les écoles, je voudrais, dis-je, qu'à cette condition il fût permis aux villes d'établir ce que j'appellerai des morceaux d'écoles....
M. Dequesne, rapporteur. - On le peut.
M. de Brouckere. - Mais je viens de citer le texte de la loi; vous ne me reprocherez plus de ne l'avoir pas lu.
Eh bien, je voudrais que l'instruction pût être incomplète lorsqu'il ne serait pas possible qu'elle fût complète.
Je dis donc que toutes ces écoles communales seront taillées sur un même patron.
On me répond : Vous avez les écoles moyennes. Eh bien, messieurs, vous avez compris, par mes amendements, que je ne veux pas d'écoles moyennes.
C'est encore là une vieille opinion qui dite de 22 ans; je ne connais que trois degrés d'instruction : l'instruction primaire, l'instruction moyenne, et l'instruction supérieure. Je veux la juxtaposition des établissements de ces trois ordres, mais jamais je n'admettrai des écoles qui tiennent un peu de l'un et de l'autre. Je ne veux pas revenir sur les écoles primaires supérieures; elles existent, mais, d'après moi, c'est une superfétation. Il faudrait bien organiser les écoles primaires; les organiser de manière que lorsqu'on en sort on puisse entrer à l'école moyenne, et quant à l'école moyenne, si elle n'est pas complète, on peut, après y avoir passé deux ou trois années, poursuivre ses études dans une école moyenne plus complète.
J'ai mis les écoles de commerce et d'industrie au même rang que les athénées et c'est pour cela, quand vous appelez ceux-ci athénées royaux, que j'appelle les autres écoles royales. Je ne sache pas que, dans le monde, parce qu'on a, pendant six ans, usé des dictionnaires grecs et des dictionnaires latins, l'on soit plus savant qu'un homme qui n'a pas étudié les langues anciennes, mais qui est versé dans les langues modernes, qui a fait des études approfondies de physique, d'astronomie ou de mathématiques.
Je ne sache pas que cet homme ne soit pas un savant à l'égal de celui qui sait le plus de grec, qui sait le plus de latin. Les écoles d'industrie et de commerce répondent à des besoins tout nouveaux de la société, il ne faut pas les placer au-dessous des athénées; il faut faire marcher les deux espèces d'établissements parallèlement, les mettre sur la même ligne.
Maintenant, messieurs, précisément pour donner aux communes toute latitude dans l'organisation de leurs écoles, pour les mettre à même de les organiser comme elles l'entendront, suivant les besoins de la localité, j'ai supprimé tout le chapitre III de la loi, ce chapitre en vertu duquel on crée 50 de ces écoles que j'appelle bâtardes et que je ne veux pas voir introduire dans la loi. D'après un article suivant, le gouvernement pourra donner aux communes des subsides pour créer des écoles moyennes, là où elles le croiront utile. Ainsi dans la ville de Huy, par exemple, on éprouve peut-être plus le besoin d'une école latine que d'une école de commerce, eh bien, laissez prendre l'initiative à la commune et donnez-lui des subsides pour l'institution qu'elle croit la plus nécessaire.
Rapportez-vous-en aux pères de famille qui siègent au conseil communal et qui représentent la masse des pères de famille qui forment la communauté.
L'article 12 (et ce n'est pas ici par le fait du gouvernement, c'est par le fait de la section centrale), l'article 12 lèse encore les intérêts communaux et les lèse d'une manière vraiment déplorable. Le gouvernement avait donné toute liberté à la commune pour le choix des candidats de la commission administrative.
Si la commune voulait se faire représenter directement par ses membres, elle formait une liste de candidats composée exclusivement de conseillers communaux ; mais la section centrale a vu dans cette disposition je ne sais quel inconvénient, et elle veut que la moitié des candidats soient pris en dehors du conseil, de telle manière que si le gouvernement choisit cette moitié, la commune ne sera plus représentée dans le conseil de l'athénée, si ce n'est par son bourgmestre.
On mettra peut-être, au lieu d'habitants de la commune, quelques fonctionnaires qui ne résideront que momentanément dans la commune, et je le répète, la commune ne sera pas représentée.
La rédaction du gouvernement était beaucoup meilleure, elle donnait à la commune la faculté de se faire représenter par ses conseillers communaux ou de se faire représenter par d'autres si elle le jugeait plus utile au bien-être de l'athénée.
Messieurs, indépendamment de ces observations qui concernent la commune, j'ai des observations à présenter sur le programme. J'ai déjà touché au programme; je viens d'avoir l'honneur de vous dire que je voulais que les athénées royaux et les écoles industrielles et commerciales marchassent parallèlement. L'article 10, auquel j'ai proposé un amendement, porte : …
Je ne trouve pas l'article; c'est la disposition qui stipule qu'il y aura dix athénées; que dans ces dix athénées, le programme est de deux espèces, l'un pour les humanités, l'autre pour l'industrie et le commerce. Je demande qu'il y ait séparation à cet égard dans les grandes villes; parce que les élèves sont trop nombreux pour qu'ils suivent tous les mêmes cours. Vous ne pouvez pas faire deux écoles dans des locaux différents, avec un préfet des études qui est professeur de rhétorique et qui est déjà accablé...
M. Dequesne, rapporteur. - Le préfet des études n'est pas professeurs de rhétoriques,.
M. de Brouckere. - Il est impossible de surveiller, de diriger à la fois deux grands établissements situés dans des quartiers différents. Les deux établissements doivent être complètement séparés; sous tous les rapports, sauf à s'aider mutuellement.
A l'article 22, j'ai demandé un changement peu important; c'est relativement à l'enseignement; on a mis : « algèbre jusqu'aux équations du second degré inclusivement, » je demande qu'on étende cet enseignement jusqu'au binôme, y compris le calcul des probabilités, calcul que la plupart d'entre nous ignorent et qui est une ressource dans une foule de circonstances de la vie ; et comme tous ceux qui se destinent à l’étude du droit ou de la médecine ne font pas des études mathématiques plus élevées, ils ne reviennent plus à cette partie toute pratique de la science.
Enfin, l’article 34 institue trois inspecteurs pour l'enseignement moyen, et si le besoin s'en fait sentir, il pourra être nommé un inspecteur général. Eh bien, ce sont des inspecteurs sans crédit et sans considération que vous nommeriez, en les subordonnant à un inspecteur général. Je demande qu'il y ait deux inspecteurs généraux, et je supprime les inspecteurs secondaires.
Dans un athénée où il y aura des professeurs qui auront vieilli dans la carrière, vous ne pouvez pas envoyer un inspecteur subalterne, un homme qui n'ait pas fait lui-même une carrière dans l'instruction et qui, comme en France, n'ait pas obtenu l'inspectorat comme la récompense de cette carrière. Je veux donc que les inspecteurs soient tellement haut placés, qu'on ne puisse pas confier cette position à des jeunes gens qui, quelle que soit leur science, ne peuvent pas avoir d'autorité sur les professeurs dont ils inspecteraient l'enseignement.
Nous avons eu à Bruxelles un inspecteur qui a été chargé de faire un rapport sur l'école centrale de commerce et d'industrie, et qui, malgré nos vives instances, n'a jamais visité les classes. Je l'ai engagé deux fois à vouloir bien se donner la peine de voir l'intérieur de l'école ; il est allé causer avec le directeur de l'établissement, avec le bourgmestre de Bruxelles, et il a cru qu'avec ces éléments il pouvait faire un rapport sur l'organisation et les études de l'école.
Je demande donc encore une fois que l'inspection soit une chose très sérieuse, et qu'elle soit faite par des hommes très haut placés; je demande que les inspecteurs soient des inspecteurs généraux.
Messieurs, je ne veux pas vous fatiguer plus longtemps; je ne donnerai pas de plus amples développements sur mes amendements. Je le répète, je ne veux pas abuser de votre bienveillance; mais mon vote dépendra de l'accueil que l'on fera aux divers amendements que j'ai en l'honneur de vous soumettre.
(page 1143) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, malgré les violentes accusations que le projet de loi a soulevées en dehors de cette enceinte, le gouvernement est décidé à persévérer, jusqu'au bout, dans la voie de modération et de conciliation qu'il s'est tracée, et il ne désespère pas de rallier à lui, avant la fin de ces débats, tous ceux des membres de cette chambre qui n'y sont pas venus avec des opinions préconçues, avec d'incurables préventions, et une détermination bien arrêtée de fermer les yeux à toute lumière et les oreilles à toute vérité.
Quant à moi, très disposé à aborder cette discussion avec une entière franchise, je dirai plus avec une vive et profonde sympathie pour les défenseurs de la cause communale et de la cause religieuse dont j'ai toujours été et dont je me déclare encore un des partisans les plus convaincus et les plus dévoués, je m'adresserai surtout à ce côté de la chambre, et je la prierai de me prêter une bienveillante attention.
Avant d'entrer dans le fond de ce débat, il ne sera peut-être pas inutile de suivre un des honorables préopinants dans la revue rétrospective à laquelle il s'est livré des circonstances dans lesquelles l'opinion qu'il représente a prêté au gouvernement son appui.
Cet appui, messieurs, nous n'avons nulle envie de le méconnaître. Nous l'avons accueilli au contraire avec cette estime et cette reconnaissance que mérite toute conviction sincère qui ne tient pas compte des hommes qui passent, mais des principes qui restent.
Dans d'autres circonstances au contraire, et là où nous avons paru faillir nous-mêmes aux idées d'ordre et de conservation, on s'est séparé de nous, et tel est encore aujourd’hui, dit-on, le parti auquel on croit devoir se résoudre.
Parmi les lois auxquelles l'honorable membre et ses amis ont refusé leur assentiment, il a cité la loi sur la caisse de retraite et de secours. L'honorable membre a oublié que cette loi avait rencontré, même sur les bancs où il siège, un accueil très sympathique, accueil qui honore tout à la fois et l'opinion conservatrice et le gouvernement, parce que cette loi est en même temps une loi de conservation et de progrès.
Le gouvernement en vous proposant cette loi, et les amis de M. de Liedekerke, en l'appuyant, n'ont pas cru devoir reculer devant le fantôme du socialisme, devant une apparence de solidarité avec des hommes dont ils répudient hautement les doctrines. Nous croyons, en effet, messieurs, que c'est commettre une grande et dangereuse erreur que de permettre à ces sectes nouvelles le monopole de toutes les idées généreuses, de toutes les idées populaires.
Ces idées ne datent pas d'hier. Elles ont été réalisées dans notre pays depuis des siècles; et elles l'ont été sous l'empire des idées religieuses plus que de toutes autres. C'est trop de générosité d'en abandonner l'honneur au socialisme. C’est à nous qu'il les a dérobées; en les pratiquant, nous ne faisons que lui arracher des armes qu'il voudrait tourner contre nous pour arriver au bouleversement social. Cette politique est, à nos yeux, la meilleure digue à opposer au torrent qui nous menace
Je ne m'occupe pas ici de telle ou telle disposition particulière de la loi qui pourrait, d'après l'honorable M. de Liedekerke, entraîner des conséquences plus ou moins préjudiciables pour le trésor. C'est du principe de la loi qu'il s'agit; et ce principe, je le répète, est un principe d'ordre et de conservation que ses amis ont proclamé avec nous.
Je passe à ce que l'honorable membre a dit de la loi sur l'enseignement supérieur. Il pense que cette loi trahit le germe de cet esprit d'hostilité contre la liberté et la religion qui éclate dans le projet de loi sur l'enseignement moyen.
Je l'avoue, messieurs, je n'ai jamais compris l'opposition que la loi sur l'enseignement supérieur a rencontrée, sous ce rapport, d'un des côtés de la chambre, car jamais, à mes yeux, la liberté de l'enseignement n'a reçu une consécration plus manifeste et plus décisive.
Je le demande: y eut-il jamais un pays où l'autorité publique consentît, comme en Belgique, à mettre l'enseignement public en quelque sorte sous le contrôle de l'enseignement libre, où l'Etat admît des institutions sur lesquelles il n'exerce ni action, ni surveillance d'aucune nature, au partage de la puissance publique, en les appelant à concourir à la collation des grades en faveur des élèves sortis de ses propres institutions?
On se plaint de ce que les universités libres n'ont pas reçu de la loi même la mission qui leur a été donnée par application des principes que la loi consacre! Mais n'a-t-on pas répondu à cette objection de la manière la plus irréfutable? Comment eût-il été possible de donner des attributs, des droits déterminés à des êtres qui n'ont pas reçu le baptême légal, dont l'Etat ignore, dont il doit ignorer l'existence? Comment donner une portion de la puissance publique à des établissements qui n'ont pas même la personnification civile?
Et ce droit que la loi leur aurait conféré n'aurait-il pas constitué un privilège en leur faveur et au préjudice d'autres établissements de même nature qui auraient existé dans le pays, ou qui auraient pu y naître dans l'avenir ?
On ne pouvait donc pas inscrire dans la loi le droit des universités libres, mais seulement le droit de la liberté.
L'honorable M. de Liedekerke accuse le ministère d'avoir failli à l'esprit conciliant et généreux du passé, en refusant d'attribuer aux universités libres les mêmes bourses qui sont attribuées aux universités de l'Etat.
On le voit, la prétention est la même, et la même réponse y suffit. Tout ce qu'il était possible de faire, on l'a fait. No -seulement des bourses de voyage ont été créées par la loi en faveur de sujets qui obtiendraient dans leurs études des succès signalés, sans distinction des établissements où ils auraient puisé l'instruction, mais le gouvernement a déclaré qu'il se réservait d'accorder des bourses d'études, même en faveur de l'enseignement libre, sur les ressources ordinaires du budget.
Messieurs, je ne suivrai pas plus longtemps l'honorable M. de Liedekerke dans cette discussion préliminaire ; et je répondrai tout d'abord à la critique qui nous a été adressée par l'honorable membre qui vient de se rasseoir, au sujet de l'inopportunité de la présentation de la loi sur laquelle vous êtes appelés à délibérer.
Vous le savez, ce n'est pas nous les premiers qui avons contracté vis-à-vis du pays l'engagement solennel de faire régler par la loi l'enseignement moyen donné aux frais de l'Etat. Toutes les opinions qui ont passé aux affaires l'ont successivement renouvelé. Comment nous, issus de l'opinion libérale, eussions-nous pu refuser plus longtemps l'acquit d'une dette tant de fois ajournée? Ah ! messieurs, croyez-le bien, si le gouvernement vous a apporté cette loi, ce n'est pas par l'impatience de provoquer une lutte qui n'a rien de bien doux pour ceux qui sont condamnés à l'affronter.
Mais il a pensé que, malgré la difficulté des temps, malgré les attaques auxquelles il avait à s'attendre, il ne lui était pas permis de répudier l'héritage que lui avaient légué se prédécesseurs ; il a pensé que, reculer plus longtemps, c'eût été pusillanimité. Du reste, grâce au ciel, notre pays est d'une constitution assez forte pour supporter un tel débat, et en expliquant franchement toute notre pensée, en nous montrant sincèrement disposés à accueillir toute modification qui ne porterait pas atteinte aux principes essentiels sur lesquels la loi repose, nous espérons qu'il nous sera possible, non seulement de fonder une bonne loi, mais encore de calmer les agitations qu'elle a produites au dehors.
L'honorable membre auquel je réponds a dit que l'article 17 de la Constitution n'emporte pas par lui-même l'obligation de donner un enseignement moyen aux frais de l'Etat; et je ne puis m'empêcher de reconnaître que je partage cette manière de voir. A ne consulter que le texte même de l'article, abstraction faite de tout commentaire, je n'y vois aucune obligation précise, déterminée. Il y a plus. Il n'en est pas seulement ainsi de l'enseignement moyen, mais encore de l'enseignement à tous les degrés : car l'article ne distingue pas. Il se borne à dire : « L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est également réglée par la loi. »
Mais, d'un autre côté, ce qu'on ne pourra s'empêcher de reconnaître, c'est que si cet article ne prescrit point une instruction publique donnée aux frais de l'Etat, il la suppose; et par cela même qu'il ne distingue pas, il la suppose donnée à tous les degrés.
- Plusieurs membres. - Certainement.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je vois que j'obtiens l'assentiment de ce côté de la chambre (le côté droit) et j'en prends acte.
Que si l'on est d'accord sur ce point, il en résulte, d'une manière certaine, incontestable, qu'on ne peut nous accuser de violer ni le texte, ni l'esprit de la Constitution, alors que nous venons simplement vous proposer d'organiser, par la loi, une institution que la Constitution elle-même a supposée, et que, dans la supposition de son existence, elle a ordonné d'organiser.
- Plusieurs membres du même côté. - C'est évident.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je vais plus loin, et je demande comment cet article 17 a été entendu par la législature, et comment, à part cet article, a été entendue l'obligation de l'Etat à l'égard de l'enseignement.
Un premier projet pour les trois branches de l'enseignement a été préparé en 1831; un deuxième a été présenté par une commission en 1832; un troisième a été soumis à la chambre des représentants le 31 juillet 1834 par M. Rogier. En 1835, la chambre, sur la proposition de M. Deschamps, a détaché de ce projet la partie qui concerne l'enseignement supérieur et renvoyé à la session suivante celles qui concernent l'enseignement primaire et moyen. En 1842, a été votée la loi sur l'instruction primaire. En 1846, un projet de loi sur l'enseignement moyen a été élaboré par M. Van de Weyer. Pendant la même année, un autre projet a été présenté par M. de Theux.
De bonne foi, en présence de ces faits, pout-on révoquer en doute que le gouvernement, en proposant enfin de régler par une loi la partie moyenne de l’enseignement, obéisse à un devoir précis, certain? Est-il possible qu'après avoir réglé législativement l'enseignement donné aux frais de l'Etat pour les deux degrés extrêmes, on laisse subsister, entre les deux, la lacune de l'enseignement moyen, c'est-à-dire qu'on néglige de relier entre eux l'enseignement supérieur et l'enseignement primaire par le chaînon qui les sépare? Concevrait-on que l'Etat se chargeât de donner l'instruction publique à l'enfance et à la jeunesse, et abandonnât l'âge intermédiaire aux hasards de la liberté?
Mais au surplus l'obligation précise, légale, constitutionnelle naît du fait. L'article 17 n'a pas prescrit de donner l'instruction publique, aux frais de l'Etat, mais il a formellement prescrit que, si l'instruction publique, à un degré quelconque, était donnée aux frais de l'Etat, elle fût réglée par la loi. Or, l'enseignement moyen donné aux frais de l'Etat existe. Que fait-il en faire? Il faut ou le supprimer, ou le régler par la loi. Mais aussi longtemps qu'il existe et qu'il est abandonné au caprice du pouvoir, il est certain que la Constitution n'est pas exécutée.
M. Coomans. - Mais certainement.
(page 1144) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je suis heureux d'entendre que nous sommes parfaitement d'accord sur le point de départ. Mais la chambre reconnaîtra qu'il n'était pas inutile d'obtenir cet assentiment, puisqu'on a soutenu non seulement que le gouvernement, en présentant cette loi, n'avait pas agi en exécution d'un devoir, mais encore qu'il avait fait chose inopportune.
Pour justifier cette thèse, au point de vue même de l'intérêt de l'instruction, l'honorable préopinant vous a dit qu'il n'y a de progrès à attendre que de la liberté.
Si cette proposition devait être admise dans sa généralité, il en résulterait que la législature aurait déjà commis deux grandes inconséquences, l’une en instituant un enseignement public primaire, et l'autre en instituant un enseignement public supérieur. Mais je crois qu'on doit la modifier en ce sens, que le progrès n'est pas seulement dans la liberté, mais dans la lutte entre l'action individuelle et l'action publique, entre les établissements privés et les établissements entretenus ou subsidiés par l'Etat. C'est dans cette lutte et dans l'émulation qu'elle crée que réside la garantie d'une instruction morale et solide, l'espoir de l'avenir.
Mais la loi qui vous est soumise satisfait-elle à tous les besoins? Respecte-t-elle tous les droits ?
Le projet de loi ne crée-t-il pas un monopole au profit de l'Etat ?
Ne porte-t-il pas atteinte à la liberté communale?
Offre-t-il des garanties suffisantes d'un enseignement religieux et moral?
C'est sous ce triple rapport que le projet a été attaqué, et que je propose de le défendre dans des dispositions essentielles.
Sous le rapport du monopole, qu'y a-t-il à répondre à cette observation si simple, que la loi proposée ne fait que régaliser ce qui existe, et à limiter un pouvoir qui est resté jusqu'ici sans limite ?
La loi permet au gouvernement de porter le nombre de ses écoles moyennes de 38 jusqu'à 50 ! Mais sous le régime actuel, rien ne s'oppose à ce que le gouvernement le porte aussi haut que le lui permettent les ressources du budget. Et d'ailleurs, mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur vous l'a dit : nous ne voyons pas le principe de la loi dans le nombre de 50 écoles moyennes, plutôt que de 45 ou de 40. La chambre le déterminera, suivant qu'elle appréciera les besoins intellectuels du pays.
Nous sommes les premiers à reconnaître qu'on peut porter atteinte à l'instruction libre, non seulement par des restrictions légales, mais encore par un excès de concurrence officielle ; non seulement en la gênant dans son action, mais encore en lui disputant l'air et l'espace. Nous n'entendons nullement y porter atteinte , ni d'une manière, ni de l'autre. Il s'agit de limiter l'action de l'Etat dans une mesure juste et utile ; c'est une appréciation sur laquelle il ne nous paraît pas impossible de s'entendre.
Mais voyons de plus près l'accusation, en ce qui concerne d'abord les athénées, et ensuite les écoles moyennes. On nous a demandé pourquoi nous ne nous sommes pas bornés à demander trois athénées de l'Etat au lieu de dix, et on m'a opposé la protestation dont j'ai pris l'initiative, en 1846, dans le conseil communal de Gand, contre le projet de loi présenté à cette époque, qui avait la même portée que celui d'aujourd'hui.
Je déclare, messieurs, que je n'ai rien à rétracter de ce que j'ai dit, soit en 1841, soit en 1846. Telles étaient mes convictions alors : telles elles sont restées.
J'ai sous les yeux le procès-verbal de la séance du conseil communal dans laquelle j'ai fait la motion de protester contre le projet de loi de M. de Theux, portant création d'un athénée de l'Etat dans chaque chef-lieu de province, outre un athénée à Tournay. J'y lis :
« M. l'échevin Rolin donne lecture au conseil de l'article premier du nouveau projet de loi sur l'enseignement moyen présenté à la section centrale, sous forme d'amendement, par M. le ministre de l'intérieur, et il fait remarquer que l'adoption de ce projet aurait pour conséquence la suppression de l'athénée de Gand, comme institution communale, et son remplacement par un athénée qui serait exclusivement sous l'administration et la surveillance du gouvernement. C'est contre cette disposition que le collège propose au conseil de former une protestation dont la rédaction serait confiée à une commission spéciale. »
Je veux le demande, messieurs, entre le projet d'alors et le projet d'aujourd'hui y a-t-il identité? Dix athénées d'une part comme de l'autre. Mais que disait le projet de M. de Theux?
« Art. 1er. Il sera établi immédiatement au chef-lieu de chaque province et dans la ville de Tournay, un athénée de l'Etat. »
« L'administration el la surveillance de ces établissements appartiennent au gouvernement. »
« Il en nomme les directeurs et les professeurs.
« Les communes sont tenues de fournir les locaux, le matériel et les collections, et de contribuer pour un tiers dans les traitements du personnel. »
Que dit le projet de loi en discussion ? A côté de l'athénée, il place un bureau d'administration, émanation de la commune, chargé de dresser le budget, de préparer le règlement intérieur, d'étendre sa surveillance sur tout l'établissement; en outre, aux termes de l'amendement proposé par la section centrale et auquel le gouvernement se rallie, aucune nomination de personnel ne pourra se faire sans que le bureau soit consulté. Enfin le gouvernement est disposé à lui attribuer le droit de suspension .
Est-ce là tout ce qui était dans mes vœux de 1846? Eh bien, messieurs, sans me retrancher derrière les termes d'un procès-verbal, je répondrai franchement. Non, ce n'est pas toute ce qui était alors dans mes vœux; et bien qu'au point de vue où je suis placé, j'aperçoive des besoins qui m'avaient échappé alors dans une autre sphère, j'aurais peut-être désiré davantage encore aujourd'hui.
Aussi si, dans le cours de la discussion, il se présentait tel amendement qui aurait pour effet de donner une plus grande extension aux droits de la commune, et auquel le gouvernement croirait pouvoir se rallier, je serais heureux, pour ma part, de le voir accueillir.
Mais est-ce à dire qu'en 1850 j'ai eu les mêmes motifs de protester qu'en 1846? Vous en jugerez, messieurs, par ce que je viens de vous dire ; et déjà le conseil communal de Gand en a jugé, non seulement en s'abstenant de toute protestation, mais en se bornant à demander trois modifications qui pourront être acceptées, sinon en totalité, du moins pour la plus grande partie.
Vous eussiez voulu, dites-vous, qu'au lieu de dix athénées, il n'y en eût que trois modèles. Mais permettez-moi de vous faire observer que vous tombez dans une étrange contradiction, Vous contestez à l'Etat la capacité ou les conditions nécessaires pour donner un bon enseignement. Vous dites, les uns, qu'il n'y a de progrès que dans la liberté, les autres, que l'enseignement donné aux frais et sous la direction de l'Etat n'offre aucune garantie de religion et de morale.
Mauvaises études, mauvais principes, rationalisme, socialisme, voilà ce que vous attendez d'un enseignement officiel.
Mais, je vous le demande, est-ce avec de tels éléments que vous voulez que l'Etat fonde des athénées modèles? Des athénées modèles, où les études seraient déprimées, où la morale et la religion seraient méconnues, foulées aux pieds! Ah sans doute vous voudriez qu'on les offrît comme modèles, à la manière de l'esclave ivre de Sparte ! Que si vous croyez que l'Etat soit vraiment capable d'offrir au pays des établissements bons à servir d'exemple, pourquoi pas dix, plutôt que trois?
Et remarquez bien, je vous prie, dans quelles conditions le gouvernement s'est trouvé placé, et dites-nous de bonne foi si quelqu'un de nous aurait pu songer à borner le nombre des athénées à trois.
Vous savez que le cabinet Van de Weyer, composé en grande partie d'éléments catholiques, s'est dissous à l'occasion d'un dissentiment qui s'était élevé entre ses membres au sujet de la loi sur l'enseignement moyen, et les causes de ce dissentiment ont été exposées dans un écrit qui a reçu une publicité officielle.
On y lit que tous ses membres s'étaient trouvés d'accord sur la nécessité de donner à l'Etat une intervention plus large dans l'enseignement public, soit en créant, aux frais de l'Etat, un plus grand nombre d'établissements dirigés par lui seul, soit en accordant au gouvernement une action ou un contrôle sur les établissements communaux réputés tels, ou même employant, dans certaines limites, les deux moyens à la fois. Aussi les collègues de M. Van de Weyer n'eurent-ils aucune objection contre le projet de porter le nombre des athénées de l'Etat à dix.
Bien plus, M. Van de Weyer se retire, et M. de Theux, qui le remplace, propose, à son tour, un projet de loi portant création de dix athénées, mais avec cette différence que, tandis que le projet Van de Weyer attribuait à la commune non seulement une part de la direction et de la surveillance, mais encore la présentation de candidats pour les places de professeurs, le projet de Theux mettait administration, surveillance, nomination des directeurs et des professeurs, tout exclusivement dans les mains du gouvernement, et ne laissait aux communes que la charge de fournir les locaux, le matériel et les collections, et de contribuer pour un tiers dans les traitements du personnel.
Et vous eussiez voulu que nous, issus de l'opinion libérale, nous portés aux affaires par le mouvement électoral de 1847 qui avait apparemment quelque signification sérieuse, nous fussions venus présenter aux chambres trois athénées, au lieu des dix proposés par l'honorable M. de Theux! Vous eussiez voulu que nous libéraux, nous eussions proposé de restreindre l'action du gouvernement, là où l'opinion catholique et l'opinion libérale, réunies dans un même cabinet, étaient tombées d'accord sur la nécessité de l'étendre!
Non, de bonne foi, dans vos consciences, vous ne sauriez le vouloir, ni condamner le ministère pour ne l'avoir pas voulu.
Vous vous plaignez que le projet de loi attribue au gouvernement la faculté de créer 50 écoles moyennes, au lieu de 38 qui existent en principe, ou de 36 qui existent de fait, en y comprenant 26 écoles primaires supérieures et 12 écoles commerciales et industrielles.
Remarquez bien, messieurs, que je n'ai pas à rencontrer en ce moment la question de savoir s'il y a lieu d'ériger les écoles primaires supérieures ou les écoles commerciales et industrielles en écoles moyennes. Je m'occupe du nombre, je m'occupe du monopole, de la question de savoir si on vous ravit l'espace et la liberté.
Eh bien, messieurs, comment prétendre que les conséquences sont dans la loi, si elles ne sont pas dans le fait ? Faut-il vous répéter que le principe de la loi n'est pas dans la possibilité d'étendre le nombre des écoles de 38 à 50? Mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur, est allé plus loin. Il vous a dit, tout en réservant son opinion : Si vous voyez quelque danger dans l'érection des écoles primaires supérieures en écoles moyennes, dites-nous où vous voulez les placer. Dès lors, je vous le demande, où est donc le profond dissentiment qui nous sépare? Que devient cette accusation de monopole, d'esprit d'empiétement et de domination, en présence d'une discussion franche et loyale des conséquences qui déroulent de la loi ?
(page 1145) Mais le projet de loi ne porte-t-il pas atteinte à la liberté communale ? Déjà nous avons examiné cette question en ce qui concerne les athénées; nous n'avons plus à y revenir. Je dirai seulement que ce n'est pas de M. de Theux que le gouvernement doit redouter, à cet égard, la moindre objection.
En ce qui concerne les collèges communaux, il y a une distinction essentielle à faire entre les établissements subventionnés par l'Etat et ceux qui sont entretenus exclusivement aux frais des communes.
A l'égard des premiers, que demande la loi? Que les communes se soumettent au concours, à l'inspection, au programme d'études, arrêté par le gouvernement et à l'approbation du budget du collège, également par l'autorité supérieure.
Or, à tous ces égards, aucune objection ne peut s'élever d'aucun côté de cette chambre, puisque tout cela existe de fait depuis 1841 ; tout cela a été régulièrement exigé par des ministères catholiques, aussi bien que par des ministères libéraux.
Tout au plus pourrait-on, de ce chef, élever une objection contre moi personnellement, en invoquant mes paroles et mes actes de 1841; mais encore, en les invoquant, on se tromperait gravement, messieurs. Qu'on relise tout ce qui a été dit à cet égard dans le sein du conseil communal de Gand, et l'on verra que jamais je n'ai entendu soustraire l'athénée à l'inspection et au concours, et qu'il ne s'est élevé de difficulté qu'au sujet de l'approbation du budget par le gouvernement.
Je l'avoue, j'ai poussé le scrupule, ou, si l'on veut, la subtilité, jusqu'à ce point que j'ai été d'avis de n'accepter cette dernière condition qu'après qu'il aurait été déclaré qu'elle ne devait point s'entendre dans le sens d'une approbation administrative proprement dite, impliquant droit de modification et de rejet, mais seulement dans le sens d'une adhésion à l'emploi du subside demandé. Quoi qu'il en soit, plus tard, sur ma proposition, le conseil communal se soumit à cette condition comme aux autres, et j'aurais conséquemment mauvaise grâce à la repousser aujourd'hui.
Reste la disposition de la loi qui restreint le choix du personnel enseignant des collèges subventionnés, mais des collèges subventionnés seulement (car le gouvernement se rallie à l'amendement de la section centrale qui en exclut les autres), parmi les professeurs agrégés de l'enseignement moyen, et les docteurs en philosophie et lettres ou en sciences.
Cette disposition, peut-on se demander, n'est-elle pas contraire à celle de l'article 84 de la loi communale qui attribue aux communes, quant au choix du personnel enseignant de leurs collèges, un droit illimité?
Messieurs, bien que je sois jaloux à l'excès des libertés communales, bien que je pense avec les honorables membres qui siègent derrière moi, que c'est dans l'organisation si forte et si libérale de nos communes que réside une des principales garanties d'ordre et de stabilité de la Belgique, et que nous devons peut-être, en partie, à cette cause, la merveilleuse tranquillité dont nous avons joui depuis deux ans, au milieu du bouleversement de l'Europe, non, je ne saurais pousser aussi loin le scrupule, surtout lorsqu'il s'agit d'une loi nouvelle à formuler. N'entre-t-il pas en effet dans le domaine du législateur de prescrire, en tout temps, les conditions de capacité nécessaire pour arriver à certains emplois communaux, sans qu'on puisse dire que par là l'organisation communale est atteinte.
Ce n'est donc pas d'une question de légalité, mais d'une question de liberté qu'il s'agit. Or on peut dire, avec une certaine apparence de fondement, que la liberté n'est pas satisfaite, alors que le choix du personnel enseignant est restreint dans une catégorie de citoyens qui auront du nécessairement passer par les écoles normales de l'Etat.
Toutefois, ne nous hâtons pas de juger. Dit-on que la liberté de l'instruction publique est violée, parce qu'on ne peut arriver au grade d'ingénieur soit des ponts et chaussées, soit des mines, qu'en suivant les écoles fondées à cet effet par l'Etat? Or si l'on reconnaît que cette restriction n'a rien d'illibéral, pourquoi en serait-il autrement d'une restriction analogue quant au choix du personnel des écoles moyennes subsidiées par l'Etat?
Encore si la restriction était absolue! Mais la loi excepte les docteurs en philosophie et lettres ou en sciences, et le gouvernement est disposé à élargir le cercle des exceptions, dans une certaine mesure, en faveur des candidats qui, de même que les docteurs, arrivent à ce grade, à quelque source qu'ils aient puisé l'instruction, à la suite d'examens subis devant un jury composé avec toutes les garanties possibles de justice et d'impartialité.
A l'égard des collèges communaux non subsidiés, aucune restriction aux droits de la commune. Libre administration, libre surveillance, libre choix de professeurs. La loi ne prescrit, n'autorise l'intervention du gouvernement que pour la fondation même de l'établissement, et cette disposition, dans notre pensée, n'est nullement essentielle au système de la loi. S'il se produit, dans le cours des débats, un amendement ayant pour objet d'exempter les communes de la nécessité de cette autorisation, le gouvernement se réserve de l'examiner avec bienveillance, et j'espère qu'il reconnaîtra la possibilité de s'y rallier.
Vous le voyez, messieurs, de notre côté aucun parti pris; aucun, si ce n'est de maintenir intact le principe de l'indépendance absolue de l'autorité civile, et les conditions qui constituent à nos yeux les garanties de la solidité et du progrès de l'instruction.
Il ne me reste plus à examiner, sous le rapport communal, que la question des établissements patronnés, et je vous prie de suivre mes développements jusqu'au bout, avec la même attention et la même bienveillance que vous m'avez montrées jusqu'ici.
Ici, encore une fois, on se plaint que les communes soient gênées dans leur action ; on se plaint qu'il ne leur soit pas permis de patronner des établissements privés comme elles l'entendent, sans être astreints à aucune nécessité d'approbation. Moi-même je le déclare avec une entière franchise, j'ai insisté pour que la loi fût modifiée en ce sens. Pourquoi cette modification n'a-t-elle pu être acceptée par mes collègues? Par une raison dont il m'a été impossible de méconnaître le fondement.
Vous le savez, il est arrivé que des communes ont abdiqué, sans réserve, tous les droits que la loi communale leur attribuait sur leurs propres établissements d'instruction publique. Aucune voix ne s'est élevée, jusqu'ici, dans cette enceinte, et aucune ne s'élèvera sans doute dans la suite de ces débats, pour légitimer de telles abdications. Ce n'est pas nous, certes, qui trouverions un seul mot pour leur justification, nous qui avons contesté aux communes le droit d'abdiquer, même à prix d'argent, même en faveur du gouvernement, leur tuteur naturel, la moindre parcelle de leurs attributions légales.
Aussi, même dans le projet de loi de M. de Theux, trouve-t-on une disposition qui interdit aux communes de déléguer à des tiers le droit de nomination et de révocation des professeurs.
Or, il pourrait se faire qu'une commune, pour échapper à cette interdiction, supprimât son collège et le rétablît sous l'administration et la surveillance exclusive d'un tiers, d'une corporation, en gardant pour elle toutes les charges de l'entretien, sans exception. En pareil cas, tout homme de bonne foi doit le reconnaître, il serait fait fraude à la loi, puisqu'on arriverait indirectement au résultat que la loi aurait voulu empêcher d'atteindre par des voies directes. Que s'il en est ainsi, il semble que, pour prévenir de tels abus, on ne puisse contestera l'Etat le droit de soumettre les résolutions des conseils communaux qui accordent le patronage, à l'approbation d'une autorité supérieure quelconque.
Il y a plus. Cette nécessité découle, jusqu'à un certain point, des dispositions légales en vigueur. D'après l'article 76 de la loi communale, sont soumises à l'approbation du Roi les délibérations des conseils communaux qui ont pour objet de changer le mode de jouissance de tout ou partie des biens communaux. Or, lorsque la commune abandonne à l'autorité ecclésiastique un local qui lui appartient, à l'effet d'y fonder un établissement d'instruction publique, n'en change-t-elle pas le mode de jouissance ? Lorsqu'elle accorde à un établissement patronné un subside en argent, sa décision n'est-elle pas implicitement subordonnée à la sanction de la députation permanente qui approuve ou rejette le budget ?
Tels sont, messieurs, les motifs qui ont déterminé le gouvernement, et non point, croyez-le bien, un esprit de défiance haineuse et jalouse contre des établissements dont il ne conteste pas l'utilité et les bienfaits et qu'il veut régulariser, mais non détruire.
Le gouvernement l'a prouvé par tous ses actes : il ne redoute pas la liberté; il l'appelle au contraire de tous ses vœux, il la convie, par les concours, aux luttes pacifiques de l'intelligence. C'est de la lutte entre l'enseignement public et l'enseignement libre qu'il attend le progrès, et j'ajouterai, pour mon compte, que c'est de cette lutte que j'attends une double garantie plus précieuse encore : garantie de morale et de religion pour les établissements de l'Etat; garantie de raison, de constitutionnalité et de tolérance pour les établissements religieux.
C'est dans cet esprit de bienveillance, messieurs, qu'est rédigé l'article 32 de la loi qui permet aux communes, sous réserve de l'approbation de l'autorité supérieure, d'accorder leur patronage à des établissements d'instruction moyenne, soit purement et simplement, soit en leur concédant des immeubles ou des subsides ; et à l'égard de ces établissements le gouvernement n'entend se réserve que la seule inspection, abandonnant à ces établissements eux-mêmes le droit de s'administrer et de composer leur personnel selon leur gré, sans l'intervention d'aucune autorité publique.
J'ai achevé d'examiner le projet de loi en discussion sous le rapport des droits de la commune ; je passe à son examen sous le rapport de L'intervention religieuse.
plusieurs membres : A lundi.
(page 1142) - La séance est levée.