(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1089) M. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures un quart.
La séance est ouverte.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Le sieur Jean-Thomas Braun, professeur à l'école normale de Nivelles, né à Commern (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le conseil communal d'Isenberghe demande que les administrations provinciales et communales, dans les provinces flamandes, et, autant que possible, les tribunaux, fassent exclusivement usage de la langue flamande. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Van Droogenbroeck prie la chambre de décider si un milicien qui s'est enrôlé volontairement vient ou non en déduction du contingent à fournir par la commune. »
- Même renvoi.
« Le sieur Dries, décoré de la croix de fer, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la pension de cent francs dont jouissent quelques décorés de cette croix. *
- Même renvoi.
« Le sieur Jongh, savetier, à Wommelghem, prie la chambre de lui faire obtenir le remboursement de la somme qu'il a versée dans la caisse de l'Etat, pour sa quote-part de l'emprunt de 1848. »
- Même renvoi.
« La dame Van Boterdael, ancienne institutrice, prie la chambre de lui faire obtenir une pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lorye, gendarme pensionné, prie la chambre de lui faire obtenir une place. »
- Même renvoi.
« Le sieur Devos, journalier, à Steenkerque, réclame l'intervention de la chambre, pour que son fils Emmanuel soit libéré du service militaire. »
- Même renvoi.
« Plusieurs négociants, à Marche, réclament l'intervention de la chambre pour que le gouvernement interdise à ses agents d'exercer le commerce. »
- Même renvoi.
« Le sieur Willemsen demande que le gouvernement soit autorisé à accorder, pendant un certain nombre d'années, un subside de 15,000 fr. à tout éditeur d'un journal français quotidien, existant depuis 15 ans, qui consentirait à le faire paraître en langue flamande. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants et cultivateurs de Comines demandent que les tabacs étrangers et notamment ceux des départements du Nord et du Pas-de-Calais ne puissent entrer en Belgique que par mer.
« Même demande de plusieurs habitants et cultivateurs de Houthem. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Plusieurs propriétaires et habitants du faubourg de Laeken demandent que ce faubourg soit séparé de la commune de Molenbeek-St-Jean et érigé en commune spéciale sous la dénomination de Saint-Jean. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Orts. - Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport; il s'agit d'un intérêt important, auquel il est urgent de satisfaire; il s'agit de plus, d'après les pétitionnaires, de réparer une erreur qui aurait été commise à l'égard d'une pétition antérieure.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Louis-Simon Wart, surveillant dans l'administration du chemin de fer de l'Etat, né à Rocroy (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le sieur Louis-Jean-François Neysten, facteur à la station du chemin de fer à Namur, né à Helmond (Pays-Bas) demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Damas, journalier à Rimière, réclame l'intervention de la chambre pour faire rectifier son acte de naissance qui lui donne la qualité d'enfant illégitime. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les huissiers audienciers près le tribunal de première instance de Malines, prient la chambre d'améliorer leur position. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de la justice.
« Quelques habitants de Rotheux-Rimière demandent qu'il soit interdit aux bourgmestres et aux secrétaires communaux de tenir un cabaret ou d'exercer un commerce, que les bourgmestres soient tenus de procéder au mariage civil dans la maison communale, et que les secrétaires communaux soient obligés de se trouver au secrétariat de la commune, trois ou quatre fois par semaine, aux heures fixées par l'administration communale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Hanquet, brasseur, à Tourinnes-St-Lambert, demande qu'il soit facultatif aux brasseurs de faire, plusieurs jours à l'avance, la déclaration prescrite par l'article 13 de la loi du 2 août 1822 concernant l'accise sur les bières. »
- Même renvoi.
« Le sieur Louis-Maurice Schrœter, professeur surveillant au collège de Nivelles, né à Wavrin (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Van Nerum fait hommage à la chambre de 110 exemplaires de ses réflexions sur le projet de loi concernant l'enseignement moyen, et propose la création d'un ministère de l'instruction publique, d'un conseil supérieur inamovible et de comités locaux. »
- Distribution aux membres de la chambre, dépôt à la bibliothèque et sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Lamborelle, sergent-major au 3ème de ligne, prie la chambre de statuer sur sa demande tendante à être exempté du droit d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation qui lui a été conférée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs membres du comice agricole de Lennick demandent une loi qui assure au fermier, à l'expiration de son bail, une indemnité du chef d'engrais. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Vandervoort, prie la chambre d'accorder une pension à la veuve du poète flamand Van Ryswyck. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Wavre prient la chambre d'adopter le projet de loi sur l'enseignement moyen.
« Le conseil communal d'Alost présente des observations en faveur de ce projet de loi. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs habitants de Dinant, présentent des observations contre les conditions que le projet de loi sur l'enseignement moyen impose au patronage des communes et contre le refus de tout subside du trésor public aux établissements libres patronnés. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Baguet, professeur à l'université de Louvain, soumet à la chambre des considérations sur le concours général entre les établissements d'instruction moyenne et sur la création des écoles moyennes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement moyen.
« Plusieurs habitants d'Iseghem prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen ou du moins de le modifier profondément. »
« Même demande de plusieurs habitants d'Emelghem, Steenkerque, Waerschoot, Caeneghem, Appelterre-Eychem, Moerzeke, Oyghem, Swevezeele, Rauwelkoven-sous-Gheel, Coupet, Laroche, Caeskerke, Flamierge, Ardoye, Hotton, Wevelghem, Sleydinge, Moorseele, Ruysselede, Houthem, Dadizele, Winghene, Lierre, Deerlyk, Caprjke, Binche, Zantvoorde, Beveren, Rolleghem, Capelle, Bastogne, Ambly, Haeltert, Maeter, Marcke, Westrem, Heestert, Grimbergen, Heule, Ouckene, Hooglede, Winkel-Saint-Eloy, Oostnieukerke, Roulers, Gits , Staden, Beveren, Moorstede, Menin, Courtray, Hulst, des conseils communaux de Menin, Grammont. »
« L'administration communale de Charleroy, présentant des observations sur le projet de loi concernant l'enseignement moyen, demande que la quotité des subsides de l'État soit en raison inverse de la richesse des villes, et prie la chambre d'accorder au gouvernement la direction de l'instruction publique et d'autoriser la création d'un certain nombre de collèges de l'Etat organisés sur le modèle des athénées royaux. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs habitants d'Eeckeren prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen ou du moins d'en modifier les articles 10, 11, 37 et 38. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs habitants de Mullem demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans tous les établissements d'instruction publique de la capitale et des provinces flamandes et qu'on y soit tenu de se servir de cette langue pour enseigner l'allemand et l'anglais. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Thielen demandent que les administrations provinciales et communales, dans les provinces flamandes, et, autant que possible, les tribunaux fassent exclusivement usage de la langue flamande; qu'il y ait une académie flamande annexée à l'Académie de Bruxelles et que la langue flamande jouisse, à l'Université de Gand, des mêmes prérogatives que la langue française. »
« Même demande des habitants de Thielen, Tongerloo, Westmalle. »
- Même dépôt.
« Les membres d'une société de Rhétorique établie à Bruges demandent que, dans les provinces flamandes, l’enseignement de l'allemand et de l'anglais soit donné en flamand; qu'il y ait une section flamande à (page 1090) l'Académie de Bruxelles et que le gouvernement encourage l'étude et la littérature flamande. »
- Même dépôt.
« Plusieurs habitants de Westkerke demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les établissements d'instruction publique à Bruxelles et dans les provinces flamandes ; qu'on y soit tenu de se servir de cette langue pour enseigner l'anglais et l'allemand que les administrations provinciales et communales, el, autant que possible, les tribunaux en fassent exclusivement usage ; qu’il y ait une académie flamande annexée à l’Académie de Bruxelles, et que la langue flamande jouisse à l’Université de Gand des mêmes prérogatives que la langue française.
« Même demande de plusieurs habitants de Sarlardinge, Boom, Saint-Nicolas, Thienen, Haeltert, des membres du conseil communal de Caprycke. »
- Même dépôt.
« Plusieurs habitants de Waereghem demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les athénées et collèges des provinces flamandes et qu'on y soit tenu de se servir de cette langue pour enseigner l'allemand et l'anglais. »
« Même demande des membres d'une société de rhétorique établie à Waereghem et des habitants de Meerdonck. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement moyen.
M. Rodenbach. - Parmi les pétitions dont on vient de faire l'analyse, il en est plusieurs concernant l'enseignement moyen qui ont été adressées à la chambre par des habitants de Roulers, Iseghem et 18 autres communes de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter; les pétitionnaires voient dans le projet de loi qui nous est présenté un acheminement vers le monopole; ils expriment l'opinion que la Constitution et la loi communale en sont froissées, et que si la chambre l'adopte il en résultera une aggravation de dépenses de plusieurs centaines de mille francs qui augmentera le déficit et rendra indispensable la création de nouveaux impôts. Je demande que ces pétitions restent déposées sur le bureau pendant la discussion.
M. de Denterghem. - Je demande que toutes les pétitions concernant l'enseignement moyen soient renvoyées à la section centrale. M. le rapporteur pourrait nous donner un résumé succinct des demandes qu'elles contiennent; il est impossible que chaque membre aille les compulser sur le bureau et se rendre compte de leur objet.
Une mesure analogue a été prise lors de la discussion de la loi sur les denrées alimentaires.
M. le Bailly de Tilleghem. - J'ai demandé la parole pour faire la même proposition que l'honorable préopinant. Parmi les pétitions dont il s'agit, plusieurs vous ont été adressées par l'arrondissement de Thielt.
M. de Haerne. - Je demanderai que le travail de la section centrale nous soit, autant que possible, distribué avant la clôture de la discussion générale.
- Le renvoi proposé est ordonné, ainsi que le dépôt pendant la discussion.
M. Peers, chargé d'une mission en Angleterre, demande un congé de 12 jours.
- Accordé.
M. Dechamps, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. Moreau, retenu par la santé de son épouse, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
Par dépêche en date du 30 mars, M. le ministre de la justice adresse à la chambre la demande en naturalisation ordinaire du sieur de Cote avec les pièces à l'appui.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. J. Dierexsens fait hommage à la chambre de 112 exemplaires de ses réflexions sur le rapport de M. Dequesne.
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
M. Auguste Decq adresse à la chambre 110 exemplaires de la brochure intitulée : Examen impartial du projet de loi sur l'enseignement moyeu.
- Même décision.
Le docteur Van Hecke, adresse à la chambre 112 exemplaires d'un aperçu de l'état actuel de l'aérage et de la ventilation en Belgique.
- Même décision.
M. le président. - Beaucoup d'orateurs sont inscrits. Je donnerai successivement la parole à un orateur inscrit contre le projet, à un orateur inscrit sur et à un orateur inscrit pour.
M. le ministre se rallie-t-il au projet de la section centrale?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La section centrale adopte dans son ensemble le projet du gouvernement; elle propose certaines modifications auxquelles le gouvernement peut se rallier; nous aurons à nous en expliquer lors de l'examen des articles; mais, en général, de la même manière que la section centrale s'est ralliée, ainsi que les sections, au projet du gouvernement, le gouvernement se ralliera aux modifications peu nombreuses introduites par la section centrale, modifications qui rentrent d'ailleurs dans le but et l'esprit du projet de loi.
M. le président. - Dès lors la discussion va s'ouvrir sur le projet de la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, il nous tardait d'aborder la discussion du projet de loi que nous sommes venus déposer en exécution d'un article de la Constitution, en exécution d'une promesse qui a été faite successivement par tour les ministères depuis quinze ans. Cette promesse, le pays en a vainement jusqu'ici attendu l'accomplissement, non que je veuille ici incriminer les chambres qui ont précédé celle-ci, et auxquelles d'autres travaux n'ont peut-être pas permis de s'occuper de l'examen de ces questions. Il nous tardait, dis-je, d'aborder la discussion de ce projet de loi qui a été dénaturé, en dehors de cette enceinte, entièrement dénaturé, je dirai plus, odieusement calomnié.
Cette discussion, nous désirons qu'elle se maintienne dans le calme et dans la modération. Nous sommes, quant à nous, animés d'un désir sincère de conciliation, tout en restant fermes dans nos principes, dans nos convictions, auxquels nous sommes d'autant plus attachés qu'ils s'appuient sur notre Constitution.
Beaucoup de préventions injustes ont été accumulées autour de la loi. Je suis convaincu que la discussion fera successivement disparaître toutes ces préventions ; je suis convaincu surtout que, jugée à l'épreuve de l'exécution, la loi sur l'enseignement moyen ne laissera pas plus de traces d'irritation dans le pays que n'en a laissé la loi sur l'enseignement supérieur, à propos de laquelle aussi on avait cherché à agiter le pays et à effrayer la liberté.
Cette loi, loin de soulever et de perpétuer l'irritation, l'agitation dans le pays, viendra au contraire fermer une arène offerte depuis trop longtemps aux passions. Tarir une source d'irritation, toujours ouverte depuis près de 15 ans, voilà le but véritablement conciliant de cette loi, qu'on représente comme un brandon de discorde imprudemment jeté au milieu des passions du pays.
Nous voulons asseoir sur des bases définitives, régulières, constitutionnelles, une branche importante de l'enseignement public, qui est restée jusqu'ici sans aucune espèce de règle législative ; nous voulons faire pour l'enseignement moyen ce qui a été fait pour l'enseignement supérieur et pour l'enseignement primaire; nous venons régulariser, nous ne voulons pas révolutionner, et, pour tout dire en un mot, nous venons exécuter toute la Constitution.
La Constitution belge a été successivement exécutée par les diverses lois organiques, dont le Congrès avait réservé le vote aux législatures qui l'ont suivi.
Nous avons mis à exécution les dispositions constitutionnelles en ce qui concerne la liberté de la presse, l'ordre judiciaire, la cour des comptes, la force publique, l'organisation communale, l'organisation provinciale. Le pays est aujourd'hui en possession de toutes ces lois organiques. Un article de la Constitution reste encore inexécuté en partie ; c'est l'article 17. Il faut, messieurs, que cet article reçoive son exécution complète comme tous les autres.
Or, que veut cet article 17? Il veut d'abord, et il a raison de le vouloir, un enseignement libre, sans mesures préventives, avec la répression des délits réglée par la loi. Il veut, en second lieu, et avec non moins de raison, une instruction publique donnée aux frais de l'Etat, également réglée par la loi.
Quant au premier paragraphe de l'article 17, celui qui déclare l'enseignement libre et à l'abri de toutes mesures préventives, si le gouvernement était animé d'intentions hostiles à la liberté, il viendrait peut-être aussi vous en demander la complète exécution. Cet article suppose des lois répressives. Or, jusqu'ici personne n'a songé à venir proposer à la législature de voter des lois répressives des abus qui peuvent se commettre dans l'enseignement privé. La liberté de l’enseignement a ses abus; la Constitution a prévu qu'ils pourraient être réprimés par la loi. Jusqu'ici, messieurs, personne, je le répète, n'a songé et ce n'est pas nous non plus qui songeons à venir vous proposer des lois répressives des abus de la liberté d'enseignement.
Mais le paragraphe 2 exige une exécution complète, et cette exécution peut avoir lieu avec de grands avantages pour tous et sans inconvénients pour la liberté.
S'en prendre aujourd'hui au projet de loi, l'attaquer comme inopportun, comme contraire à la liberté, comme inconstitutionnel, c'est tout simplement , messieurs, méconnaître les prescriptions formelles de notre charte, c'est faire le procès à la Constitution.
Que philosophiquement, théoriquement on soit admis à débattre cette question, à savoir : L'Etat est-il compétent pour distribuer l'enseignement? je l'accorde. Mais en présence de la Constitution , de pareils débats ne sont pas de notre compétence. La Constitution a parlé. Nous devons lui obéir ; c'est notre premier devoir. Or, la Constitution a déclaré la compétence de l'Etat à distribuer l'enseignement.
La Constitution a décrété la liberté de la presse : elle n'a pas parlé d'une presse dirigée par l'Etat. La Constitution a décrété la liberté de la religion; elle n'a pas parlé, et avec beaucoup de raison, d'une religion de l'Etat.
La Constitution a décrété la liberté d'enseignement, mais elle a décrété parallèlement un enseignement donné aux frais de l'Etat. Et, messieurs, c'est sur ce terrain que les deux grandes opinions qui s'étaient réunies pour conquérir l'indépendance nationale et, avec l'indépendance nationale, nos belles libertés, c'est sur le terrain de la Constitution que ces deux opinions sont venues se réunir et se donner la main. Liberté d'enseignement, d'une part, enseignement de l'Etat, d'autre part; en (page 1091) d'autres termes, enseignement donné librement par le clergé, d'une part; enseignement donné par l'Etat, d'autre part.
C'est faute, messieurs, de ne pas avoir défini nettement la part de la liberté, la part du gouvernement, dans la charte française, que tant de débats malheureux ont été soulevés avant et depuis 1830.
Mon intention n'est point d'établir, je le répète, une discussion théorique , historique, philosophique sur la compétence de l'Etat à donner l'enseignement public ; mon intention n'est pas non plus de transporter la discussion en dehors des limites de la Belgique. Nous faisons une loi belge pour les besoins belges, pour les intérêts belges, et nous n'avons point, je pense, à chercher ailleurs des exemples qui ne pourraient, en aucune manière, s'appliquer au pays. Je m'en tiens strictement aux termes de la Constitution.
L'article 17, je l'ai dit, est resté inexécuté en grande partie. Il suppose un enseignement public réglé par la loi et aujourd'hui, où est la règle, où est la loi?
L'enseignement moyen, de quelle manière est-il réglé? Par l'arbitraire le plus absolu, par le caprice des ministres qui se succèdent au pouvoir. Où sont les garanties pour la commune, pour les pères de famille, pour les professeurs, pour l'enseignement en lui-même ? Où sont les garanties?
En l'absence de toute loi, c'est le gouvernement qui prescrit, qui ordonne, qui ajoute, qui retranche, qui lie, qui délie, sans qu'aucune limite, que le seul chiffre du budget, lui soit imposée.
Voilà dans quel état, depuis vingt ans, se trouve l'instruction moyenne. Nous qu'on accuse de je ne sais quelle soif d'arbitraire, de je ne sais quel désir d'empiéter sur le domaine de la commune et de la liberté, nous n'aurions garde, si nous étions animés de pareilles passions, de vous inviter à nous faire sortir de la situation actuelle; le statu quo irait parfaitement au goût de gens qui seraient dévorés d'un désir de despotisme, d'une soif d'arbitraire. Le gouvernement ne viendrait pas vous proposer d'imposer des limites à la liberté illimitée dont il jouit aujourd'hui.
Or un des premiers effets de la loi sera nécessairement de faire cesser cet arbitraire qui est resté entre les mains des ministres depuis 1830, contrairement aux prescriptions de la Constitution qui veut que l'enseignement public, donné aux frais de l'Etat, soit réglé par la loi et non par le caprice ministériel.
Lorsque nous venons vous proposer, messieurs, de poser des règles et des limites à l'autorité du gouvernement, venons-nous vous proposer en même temps d'entamer, en quoi que ce soit, la liberté d'enseignement, la liberté de la commune, la liberté des particuliers et des associations? Est-il une seule disposition de la loi en discussion, d'où vous puissiez induire que la loi consacre une atteinte quelconque portée à la liberté d'enseignement ?
Au contraire, il importe à la liberté d'enseignement que l'action du gouvernaient soit réglée, modérée par la loi. Tant que l'action du gouvernement n'est pas limitée, réglée par la loi, on peut dire qu'il n'y a pas de sécurité, de garantie pour la liberté, le gouvernement pouvant faire abus d'une telle autorité, et travailler, soit ouvertement, soit sourdement, contre la liberté elle-même.
En quoi la loi actuelle porte-t-elle atteinte à la liberté de la commune? Elle demande la création de dix athénées et de 50 écoles moyennes; et quand je me sers du mot « création », je me sers d'une expression impropre.
En ce qui concerne le nombre des athénées, nous conservons le statu quo sous une autre forme; en ce qui touche les écoles moyennes, nous maintenons également le statu quo, mais en donnant aux communes une large part dans l'administration de ces établissements.
Le gouvernement se réserve la nomination des professeurs dans les athénées; cela est indispensable, ou bien , il faut dire que l'enseignement public, donné aux frais de l'Etat, est un enseignement public à donner par les communes.
Le gouvernement demande la nomination des professeurs dans les athénées et en même temps il attache à ces athénées un bureau administratif, un bureau émanant de la commune qui sera chargé de la surveillance de l'établissement, qui sera chargé de préparer les règlements, et d'en surveiller l'exécution, en un mot d'exercer la police intérieure sur tout l'établissement. Ce bureau sera également consulté sur la nomination des professeurs ; il pourra même par les règlements particuliers recevoir du gouvernement l'autorisation de suspendre les professeurs dans certains cas déterminés.
Je passe aux écoles moyennes. Ici, loin d'envahir le domaine de la commune, de restreindre son action, nous l'élargissons; nous lui donnons plus que ce qu'elles possèdent. Les écoles moyennes, que seront-elles ? En premier lieu ce seront les écoles primaires supérieures qui donnent l'enseignement intermédiaire entre l'enseignement de l'école primaire et l'enseignement classique, des collèges et athénées.
Eh bien, aujourd'hui ces écoles sont dans la dépendance du gouvernement; le gouvernement les administre, les dirige, nomme la commission de surveillance, se passant complètement de la commune, laissant la commune complètement à part. Voilà la position du gouvernement vis-à-vis des écoles primaires supérieures qui vont devenir les écoles moyennes, qui changeront de nom et ne changeront pas de destination. En second, nous rangeons parmi les écoles moyennes, les écoles industrielles et commerciales actuellement existantes. Ces écoles se trouvent établies en vertu du pouvoir discrétionnaire dont le ministère s'est trouvé investi depuis 15 ans. Le gouvernement s'y est réservé toute autorité : nomination des professeurs, administration, direction, nomination de commission administrative, sans que la commune y participât en aucune manière.
A cette occasion, je n'ai pas remarqué que des réclamations se soient élevées. Une douzaine d'écoles ont été ainsi créées sous le nom d'écoles industrielles et commerciales, où la commune ne comptait pour rien. Je me trompe, elle était forcée de donner un subside et un local. Voilà quelle était sa part de concours.
Je n'ai pas vu qu'on ait agité pour cela le pays; je n'ai pas vu surgir des pétitions, je n'ai pas vu des personnes se poser en victime et en martyr. Quel changement la loi apporte-t-elle au régime de ces établissements ? Elle donne aux communes une autorité qu'on avait eu tort de ne pas leur donner. Auprès de ces écoles moyennes, la commune sera appelée à former un bureau d'administration qui, indépendamment d'une part dans la direction, la surveillance, les nominations, pourra dans certains cas suspendre les professeurs. Et après cela on viendra dire que le projet a pour but de détruire la liberté communale, que nous voulons tout accaparer, et ne laisser rien aux communes !
J'avais raison de dire, en commençant, que le projet dans plusieurs de ses parties avait été calomnié.
Mais, dit-on, il y a hypocrisie de la part du gouvernement, car je ne sais pas de quels vices on n'a pas accusé le gouvernement à l'occasion de la loi d'enseignement.
Il y a, nous dit-on, hypocrisie; vous vous posez en partisans de la liberté d'enseignement, mais par le grand nombre de vos établissements vous empêchez la liberté d'enseignement de se développer; vous coupez les ailes à la liberté; c'est le monopole universitaire, ce monopole odieux de l'empire que vous voulez transporter de la terre étrangère sur la terre belge !
Voyons donc la valeur de ce reproche, voyons ce nombre illimité d'établissements que le gouvernement se propose de créer.
Il y aura 10 athénées, je viens de vous dire comment ces établissements seront administrés, il pourra en outre y avoir 59 écoles moyennes. Il y a aujourd'hui entre les mains exclusives du gouvernement 22 écoles primaires supérieures; il pourrait y en avoir 26 si la loi était exécutée; il y a de plus 12 écoles industrielles et commerciales; total 38. Le gouvernement est autorisé à en porter le nombre à 50. Ce sont donc 12 écoles nouvelles en plus à créer éventuellement.
La loi ne décrète pas 50 écoles moyennes : seulement elle autorise le gouvernement à en porter le nombre à 50. Voilà l'étendue de ce monopole immense dont le gouvernement veut s'emparer. Voilà aussi la portée, l'étendue du reproche adressé au gouvernement.
J'ai beaucoup de respect pour la liberté d'enseignement ; ce n'est pas d'aujourd'hui que nous sommes pour la liberté; et si j'avais en principe à faire un choix entre la liberté d'enseignement et l'enseignement de l'Etat, c'est du côté de la liberté que je pencherais. Mais nous ne voulons pas que, sous la forme et le drapeau de la liberté, vous étendiez sur le pays un vaste monopole.
Quand nous défendons l'enseignement de l'Etat, c'est par amour de la liberté que nous le faisons; car supprimer l'enseignement donné aux frais de l'Etat, dans l'étal actuel des choses, ce serait consacrer le monopole entre les mains du clergé.
On parle beaucoup de la liberté d'enseignement, de la liberté communale. Eh bien, voyons les choses sérieusement. Qu'est-ce que c'est que la liberté d'enseignement dans notre pays? En quoi consiste cette liberté ? Où sont les établissements fondés par des particuliers pour l'instruction moyenne? Qui use de la liberté d'enseignement? Qui en profite? Je voudrais qu'on me fît le plaisir de me citer un seul, non, n'exagérons pas, mais trois établissements libres d'enseignement moyen dirigés exclusivement par des laïques.
Une influence, une seule, use de la liberté d'enseignement dans le pays. C'est le clergé séculier, le clergé régulier, les corporations religieuses. Si donc nous n'avions pas l'enseignement public donné par l'Etat, en fait, en 1850, nous serions en plein monopole, nous aurions le monopole de l'enseignement donné par le clergé. Je conçois, j'admets que très consciencieusement d'honorables membres dans cette enceinte pensent que cet enseignement est le seul utile, le seul durable, le seul qu'il soit permis de donner et de recevoir. Je conçois très bien qu'ils contestent théoriquement à l'Etat sa compétence en matière d'instruction.
(page 1092) Il y a une opinion qui pense qu'il ne peut rien sortir de bon de l'enseignement de l'Etat, une opinion qui professe que, de l'enseignement donné dans ses établissements, il ne peut sortir que des impiétés, des impuretés, des révolutions. Cette opinion est professée par un certain nombre d'hommes dont je ne veux pas suspecter la bonne foi.
Je veux bien l'admettre; mais nous n'appartenons pas à cette catégorie de penseurs. Tout en faisant la part de l'enseignement donné par le clergé, tout en reconnaissant qu'il est utile, nécessaire dans un pays comme le nôtre, nous protestons contre ces outrages imprimés à l'enseignement de l'Etat ; nous soutenons qu'il y aurait un danger grave à l'annihiler; nous croyons qu'il faut laisser une part, la plus forte possible, et le mieux réglée possible, au gouvernement, au gouvernement responsable.
On s'est beaucoup préoccupé de la liberté communale. Mais, de bonne foi, ceux qui reprochent aux auteurs de la loi de vouloir absorber les libertés communales ont-ils bien le droit de tenir ce langage? Comment ont-ils agi à l'égard des libertés communales? Je ne veux pas parler des lois politiques; je veux rester sur le terrain de l'instruction publique. Comment le clergé a-t-il agi vis-à-vis des communes, lorsqu'il s'est agi de traiter avec elles? Quelle a été la part de celles-ci? Une part dans la nomination, une part dans la direction? Rien.
Il a tout pris : direction, administration, nomination. Il a tenu sévèrement l'administration communale à la porte ; il s'est contenté de recevoir d'elle des subsides, des bâtiments, et cette espèce de patronage moral qui s'attache toujours à l'influence de l'autorité communale, vis-à-vis des pères de famille. Voilà comment on a traité ces libertés communales qu'on vient appeler à son aide, en cette circonstance.
Les libertés communales, on ne les a pas respectées ; on les a entièrement absorbées; on a déclaré que le gouvernement de la commune n'était pas plus compétent que le gouvernement de l'Etat pour donner l'instruction publique.
Ne venez donc pas invoquer la liberté communale, c'est là un très mauvais terrain pour vous.
L'Etal auquel on adresse tome espèce de reproche d'arbitraire, de violence, l'Etat que fait-il vis-à-vis de la commune? Il transige avec elle. Lors même qu'il vient lui apporter des subsides, il lui laisse une grande part de liberté.
Dans les athénées purement gouvernementaux, l'autorité communale a une forte part d'action. Dans les collèges subsidiés par l'Etat, la commune a la nomination des professeurs. Dans les collèges communaux sans subside, la commune est entièrement libre. Seulement, elle reste soumise à l'inspection el au concours, et vous reconnaissez que la loi a parfaitement le droit d'imposer certaines conditions aux communes.
Restent les collèges adoptés par les communes, c'est-à-dire les collèges privés auxquels la commune accorde son patronage, sous la forme de subside, ou toute autre forme matérielle. Ces établissements sont également reconnus par la loi et demeurent libres.
Le gouvernement, dans son projet, traite la commune avec les plus grands ménagements. En est-il de même de la part de ceux qu'on peut appeler jusqu'à présent les seuls concurrents de l'Etat? Est-ce ainsi qu'ils agissent, lorsqu'ils traitent avec la commune ?
Continuons le parallèle. Lorsque l'Etat s'adresse au clergé, il transige avec lui, il l'admet à exercer sa part d'intervention dans ses établissements; il l'invite à venir donner et surveiller l’enseignement religieux.
Est-ce que vous voyez le clergé inviter les représentants de l'Etat, les représentants du gouvernement à venir exercer une surveillance quelconque dans ses établissements ? Jamais.
Je vais plus loin, si l'on proposait ce qui a été fait ailleurs aux applaudissements de quelques adversaires de la loi, si l'on proposait une disposition analogue à celle admise par la loi française, si l'on réclamait pour le gouvernement le droit de visiter les établissements libres (établissements libres et établissements du clergé sont, en Belgique, en fait d'instruction moyenne, des mots synonymes), vous diriez qu'on met en avant de très mauvaises doctrines. Cependant, ce sont ces doctrines qui ont triomphé dans la loi française qu'on a osé opposer au projet de loi belge comme un modèle de liberté.
Essayez donc de proposer aux établissements libres de venir, même à titre d'autorité morale, surveiller l’enseignement, de venir s'enquérir si tous nos principes constitutionnels, si tous les principes de nos lois civiles y sont convenablement enseignés !
Nous n'avons pas la pensée d'intervertir dans ces établissements malgré le clergé. Je fais seulement remarquer cette grande différence de position et de conduite entre le gouvernement el le clergé. Le gouvernement, vis-à-vis du clergé, use de tous les bons procédés, il l'invite à venir dans ses établissements donner l'instruction religieuse. Que voulez-vous de plus? Je vous supplie, vous qui trouvez que le gouvernement ne fait pas assez, de proposer dans la loi une autre formule que celle-ci : Le clergé est invité à donner el à surveiller l'enseignement religieux dans les établissements de l'Etat. Je demande que l'on cherche, que l'on trouve une meilleure formule, qui soit plus en rapport avec la Constitution, avec la dignité réciproque, l'indépendance réciproque du clergé et de l’Etat.
Voulez-vous la formule impérative? Voulez-vous faire entrer le clergé de par la loi dans vos établissements publics ? Diez-vous : Le clergé donnera l’enseignement religieux? Si vous vous exprimez ainsi, le clergé aura le droit de donner cet enseignement; mais quelles seront les garanties que vous lui fournirez, quelles garanties lui-même demandera-t-il pour que l'exercice de ce droit ne soit pas pour lui une illusion? Vous-mêmes, je vous engage à désigner quelles devraient être les garanties à donner au clergé pour qu'il puisse user efficacement, honorablement des droits que lui conférerait la loi.
Mais la loi ne confère pas seulement des droits; la loi impose des obligations ; la loi ordonne, la loi commande, et lorsque vous aurez dit dans la loi: L'enseignement religieux sera donné par le clergé, il y aura obligation pour le clergé de donner l'enseignement religieux. Il pourra refuser ; mais alors il sera en révolte ouverte avec la loi, et un pareil rôle ne convient pas sans doute au clergé.
C'est déjà beaucoup que le clergé, dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons, montre en certains lieux une opposition si violente à l'égard du gouvernement, n'essaye pas de calmer les populations, n'essaye pas de les éclairer. Voilà le rôle, me semble-t-il, qui lui conviendrait dans les circonstances actuelles. Mais enfin, le clergé, avec la formule impérative verrait sa liberté enchaînée, ou bien il se déclarerait d'avance prêt à se mettre en révolte ouverte avec la loi. C'est, messieurs, ce que nous voyons déjà survenir dans un pays voisin, dont on a eu la bonté de nous citer tant de fois l'exemple, à propos de la loi sur l'enseignement moyen. On a donné entrée aux évêques, dans les conseils académiques, dans le conseil supérieur. Voilà de la grandeur d'âme, voilà de la tolérance! Tandis que ce pauvre gouvernement belge, composé d'hommes intolérants, pour ne pas dire plus, chasse la religion et le clergé de la loi, fait pour les populations religieuses une loi impie, une loi athée, une loi démoralisatrice.
Voilà, messieurs, dans quels termes on parle de la loi ; et parce que nous n'avons pas commande au clergé une chose qu'il n'aurait pas faite, parce que nous prions le clergé de venir donner l'enseignement religieux dans nos établissements, on nous accuse de vouloir faire une loi impie, une loi athée. Est-ce là de la bonne foi? Est-ce là de la modération? N'est-ce pas là de la calomnie?
J'en appelle, messieurs, à votre justice! J'espère qu'une grande majorité donnera son adhésion à cette loi. Nous attendons cette adhésion de la représentation nationale comme une satisfaction à donner au gouvernement en retour des insultes et des outrages dont on l'abreuve. Nous croyons que la majorité, guidée toujours par les mêmes sentiments vis-à-vis du ministère, lui donnera, dans cette circonstance, une haute, une nouvelle marque de sa confiance, elle fera avec d'autant plus d'unanimité que ce projet a été plus injustement attaqué. Je ne désespère pas même, grâce aux lumières qui peuvent naître de la discussion, grâce même aux dispositions conciliatrices qui peuvent en surgir, bien entendu tous les principes restant saufs, je ne désespère pas de détacher de l'opposition des voix qui viendront se joindre à la majorité pour imprimer à la loi le cachet d'impartialité complète que nous avons cherché par tous les moyens à lui donner, que nous chercherons par tous les moyens à lui maintenir.
Messieurs, j'ai dû, dans ce discours en quelque sorte préliminaire, m'attacher spécialement au côté politique de la loi. Il resterait à examiner la loi en elle-même, dans son objet essentiel ; car toutes les questions que nous venons d'agiter sont en quelque sorte en dehors de la loi.
Messieurs, la loi a pour but, pour objet unique de procurer au pays, aux frais de l'Etat, le meilleur enseignement possible.
Eh bien, sous ce rapport, je dois le dire, il n'est sorti des sections aucune observation critique qui puisse nous faire penser que la loi soit mal faite. Il nous a paru résulter de l'examen des sections que si l'opposition méconnaissait, quant au côté politique, le but et le caractère de la loi, au moins, quant au côté scientifique proprement dit, tous lui rendaient justice.
Nous n'avons pas rencontré une seule objection contre le programme des cours, contre la distribution et la direction des études. Cela, messieurs, est un bon symptôme, un signe rassurant quant à l'objet même de la loi.
En ce qui concerne les professeurs, qui à eux seuls font le bon enseignement, je n'ai pas remarqué non plus que les dispositions qui les concernent donnassent lieu à des objections. La loi aura ce résultat immense pour l'avenir de l'enseignement public, c'est qu'elle procure aux professeurs une existence nouvelle, c'est qu'elle leur assure une carrière, c'est qu'elle ouvre à un grand nombre de jeunes gens des perspectives nouvelles, c'est qu'elle viendra par là renforcer les études universitaire. A l'avenir, les jeunes gens qui prendront dans les universités des grades scientifiques seront au moins assurés de ne pas avoir perdu leur temps, leurs peines, leur argent. Ils auront une carrière ouverte devant eux; ils apporteront dans notre enseignement de précieux éléments qui aujourd'hui lui font souvent défaut.
Aujourd'hui la carrière de l'enseignement, il faut bien le dire, est le pis-aller de beaucoup de jeunes gens. Il n'y a pas de carrière de l'enseignement.
La destinée d'un professeur, où commence-t-elle? où finit-elle? Dans les limites de la commune, entre la sixième classe et la rhétorique. Voilà tout l'avenir qui est réservé aux professeurs.
Lorsque le professeur appartiendra à une espèce d'association officielle, lorsqu’il pourra voir devant lui une perspective assurée d'avancement, lorsque la loi lui assurera un traitement, lui assurera une pension, (page 1093) une position honorable, en un mot, alors vous allez rendre le courage à beaucoup d'hommes capables qui l'ont perdu, et vous en attirerez beaucoup d'autres qui s'en tiennent éloignés aujourd'hui.
Alors vous aurez fortifié, grandi, honoré l'état de professeur. Ce sera là un des excellents résultats de la loi.
Pour moi. je ne le mets pas en doute, cette loi qui est attendue depuis vingt ans, et qui est attendue avec une impatience chaque année croissante, cette loi sera accueillie avec reconnaissance; exécutée avec impartialité, avec loyauté, loin de devenir pour le pays une source d'irritation ou de discorde, cette loi viendra avec toutes nos autres institutions, consolider le gouvernement donner un nouveau ressort à l'esprit public et, je l'espère, établir un nouveau lien d'union entre tous les Belges.
M. Dumortier. - Messieurs, la loi que nous sommes appelés à discuter aujourd'hui soulève les questions les plus difficiles, les plus délicates, j'oserais même dire les plus irritantes que les lois puissent soulever dans les pays constitutionnels. A la question de l'enseignement, et spécialement à celle de l'enseignement moyen, se rattachent toutes les grandes questions sociales, tous les intérêts des pères de famille, tous les intérêts de l'avenir du pays. Cette loi, messieurs, ne doit point être faite dans un esprit de parti; elle doit être faite dans l'intérêt du pays lui-même, dans l'intérêt de son présent, et bien plus encore de son avenir.
Cette loi doit avoir pour but de conserver, avant tout, entières, intactes toutes les libertés dont le gouvernement provisoire et le congrès ont doté la Belgique, tout en donnant au pouvoir les moyens de propager dans notre pays les lumières et de développer l'instruction par l'émulation. Une loi pareille, une loi qui partirait de ces principes, une loi qui, en même temps, tiendrait compte d'une nécessité plus pressante encore, d'une nécessité reconnue chaque jour de plus en plus comme impérieuse, la nécessité des garanties morales et religieuses que le pays réclame d'une manière si évidente, que l'Europe entière réclame aujourd'hui, une loi pareille obtiendrait immédiatement l'assentiment de tous. Une loi faite dans le sens des paroles que M. le ministre de l'intérieur a prononcées au commencement de son discours, une loi faite dans le sens de la conciliation, obtiendrait l'assentiment unanime de l'assemblée et du pays.
L'honorable ministre s'est beaucoup étendu sur le désir de la conciliation, désir que j'apporte aussi du plus profond de mon cœur dans cette discussion ; c'est mon vœu le plus ardent que nous fassions une loi de conciliation, c'est que nous puissions éviter au pays les funestes catastrophes qui arriveraient infailliblement si nous faisions une loi de parti.
Une loi de parti, à la suite des événements de février 1848, serait un anachronisme. J'aurais conçu une loi de parti en 1846, je ne la conçois plus après les événements de Février.
Aujourd'hui, que tout en Europe est dans un état d'incertitude telle qu'il est impossible de prévoir ce qui arrivera demain, lorsque la Belgique seule a montré à l'Europe cette sagesse, cette modération en toutes choses qui l'a fait citer comme un pays modèle, c'est aujourd'hui surtout qu'il faut éviter de faire une loi de parti, qui après tout, je le répète, ne serait autre chose qu'un véritable anachronisme.
Faisons donc, je vous en supplie, messieurs, faisons une loi de conciliation. Que tous les hommes de cœur et d'énergie qui ont contribué à créer et à maintenir l'ordre de choses actuel (et parmi eux je m'empresse de citer l'honorable M. Rogier lui-même), que tous ces hommes se prêtent à une loi de conciliation, et le pays accueillera cette loi par d'unanimes acclamations. Mais si, au contraire, vous faites une loi de parti, s'il était dit qu'en Belgique un parti sera sacrifié à l'autre, que l'intérêt éternel de la société sera sacrifié à un intérêt politique, oh ! messieurs, une loi pareille serait fatale au pays.
A en croire ce que vient de dire l'honorable ministre de l'intérieur, la loi, telle qu'elle est présentée, telle que nous avons à l'examiner aujourd'hui, offrirait toute espèce de garantie. Pour moi, messieurs, je dois le dire, quelque désir que j'aie de me rallier aux principes de M. le ministre de l'intérieur, je ne puis trouver des garanties dans la loi. Je désire que des garanties y soient introduites pour faire disparaître ce qu'il y a de trop extrême dans les dispositions qu'elle renferme.
D'abord, messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur part de ce principe que la Constitution a ordonné, ordonné, remarquez-le bien, une instruction donnée aux frais de l'Etat, pour faire concurrence à la liberté. Eh bien, la Constitution n'a rien dit de semblable.
Remarquez, messieurs, que je ne suis nullement contraire à un enseignement de l'Etat pour servir de régulateur et d'émulation à la liberté d'enseignement ; mais je constate que la Constitution n'a point fait au gouvernement la prescription de donner un enseignement et surtout un enseignement destiné à faire la guerre à la liberté. La Constitution a stipule une garantie en faveur de la liberté ; elle n'a pas fait autre chose. En effet, que porte l'article 17 ?
« L'enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n'est réglée que par la loi.
« L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est également réglée par la loi. »
Nous le voyez, messieurs, c’est là, non point un ordre donné au gouvernement d'établir une instruction pour faire la concurrence a la liberté, mais une garantie donnée à la liberté elle-même.
Reportez-vous, messieurs, à l'époque du Congrès, et dites ce qui serait arrivé si à cette époque on était venu dire : Vous aurez la liberté d'instruction, mais on créera 60 établissements aux frais de l'Etat pour faire concurrence à la liberté. Un rire sardonique se serait immédiatement emparé de toutes les bouches; tout le monde aurait dit : Ce n'est point la liberté, c'est le monopole. Comment ! vous prétendrez que la Constitution veut en même temps la liberté et ce qui tue la liberté ! Mais évidemment, la Constitution prise en ce sens serait une véritable contradiction. Non, messieurs, le principe de l’article 17, c’est la liberté, et le paragraphe 2 renferme quoi ? Non point un ordre de faire concurrence à la liberté, non point l'ordre d'élever des établissements pour lutter contre la liberté, pour lui faire concurrence ; il donne simplement des garanties en faveur de la liberté.
Appliquez cet article à la presse; la liberté d'instruction et la liberté de la presse, c'est tout un ; c'est la faculté de manifester ses opinions et de prêcher ses doctrines; eh bien, supposez un article sur la presse, ainsi conçu :
« La presse est libre, toute mesure préventive est interdite. ,
« La presse publiée aux frais de l'Etat est réglée par la loi. »
Il en résulterait donc que l'Etat, pouvant publier partout des journaux, ferait la concurrence à la liberté de la presse ! Mais évidemment ce serait stupide. Et voilà cependant où vous arrivez avec l'interprétation que vous voulez donner au texte de la Constitution ! La Constitution a donné des garanties à la liberté dans son article 17, voilà à quoi s'est bornée la Constitution ; il ne faut donc pas tirer de ce texte ce qui ne s'y trouve pas. Il ne faut pas prétendre qu'au moyen de ce texte, on puisse tuer la liberté ; car, encore une fois, ce serait faire de l'article 17 de la Constitution un véritable contre-sens.
Messieurs, voulez-vous, au surplus, avoir l'interprétation bien positive du sens de l'article 17 ? Prenez toutes les discussions du Congrès; prenez mieux que cela; prenez le projet de loi présenté en 1834 par l'honorable ministre de l'intérieur actuel. Alors on était encore empreint des souvenirs du Congrès, on savait ce qui s'était passé au Congrès; eh bien, l'honorable ministre demandait-il alors à pouvoir fonder 60 établissements pour faire concurrence à la liberté? Nullement. M. le ministre de l'intérieur disait à cette époque, dans son exposé des motifs : « L'esprit général qui a dirigé la commission dans la partie de l'enseignement moyen peut se résumer en peu de mots : créer des établissements modèles, favoriser l'institution de bonnes écoles en donnant des secours pour leur premier établissement, accorder des subsides annuels aux communes qui en ont besoin pour soutenir des collèges dont le mérite et l'utilité sont reconnus. Trois athénées modèles, fondés aux frais de l'Etat, ont paru suffisants ; ils seront, sous tous les rapports, soumis aux soins du gouvernement, qui en a la responsabilité morale. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est toujours le même système.
M. Dumortier. - Il me semble que le système a une immense élasticité. Comment! il ne s'agissait alors que de créer trois établissements-modèles en Belgique; aujourd'hui on veut en créer 60. Comment ! si demain vous veniez créer dans chaque commune une école, deux écoles, trois écoles, vous seriez toujours dans le même système? Mais alors que deviendrait la liberté ?
Je suppose que le gouvernement vienne créer dans chaque commune un journal, deux journaux, trois journaux, et qu'il dise ensuite : « Vous avez la liberté de la presse. » Je le demande : que deviendrait la liberté de la presse? Avec l'action du gouvernement, entendue d'une telle manière, il est évident que la liberté n'existe pas.
La question de monopole, question qui n'est pas absolue, je le reconnaît, git donc principalement dans le grand nombre d'établissements qu'on crée. Le jour où l'on sort des limites raisonnables pour stimuler l'émulation, ce jour-là on arrive à une véritable espèce de monopole.
Ainsi, le monopole absolu n'existe pas et ne peut pas exister de par la Constitution, puisque la Constitution consacre la liberté dans les termes les plus formels; mais ce que le projet de loi consacre, c'est le monopole des établissements publics qu'on accapare et qu'on prétend diriger pour faire concurrence aux établissements privés.
Messieurs, je disais qu'en 1834 on était mieux à même d'apprécier l'esprit dominant du Congrès; on était encore empreint de ses traditions. Eh bien, à cette époque, le gouvernement demandait à pouvoir créer trois athénées modèles (il en existait trois sous le gouvernement hollandais); il demandait seulement le droit d'inspection dans les établissements communaux. Voilà à quoi se bornait la loi de l'enseignement moyen, présentée à la législature au moment où les traditions du Congrès étaient encore dans toute leur force.
Le gouvernement demandait aussi à pouvoir accorder des subsides; mais ces subventions ne donnaient au gouvernement aucune espèce d'intervention dans la direction de l'instruction moyenne ; cette instruction était communale. Et lorsqu'on vient dire que depuis 1830 la Belgique est sans loi sur l’instruction moyenne, on tombe dans une très grave erreur. Sans doute nous n'avons pas une loi en 60 articles, qui règle l'instruction moyenne en Belgique; mais il y a une loi en un seul article, qui est venue la régler : c'est la loi communale qui déclare que l'instruction est communale; c'est le noble décret du gouvernement provisoire, (page 1094) qui émancipe les communes et qui leur donne le droit d'avoir des collèges et de les diriger.,.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En proclamant la liberté des communes, le gouvernement provisoire n'a pas entendu supprimer l'enseignement public donné aux frais de l'Etat.
M. Dumortier. - Je l'ai déjà dit et je le répète, je ne veux pas non plus supprimer l'enseignement public donné aux frais de l'Etat.
Messieurs, je dis que les principes de la Constitution, interprétés comme on l'a fait plusieurs fois, offriraient ce résultat, que l'article 17 présenterait deux textes qui seraient en opposition directe l'un avec l'autre, qui se tueraient l'un l'autre. Une pareille interprétation, appliquée à chacune de nos libertés, serait la mort de toutes nos libertés.
Encore une fois, ne croyez pas que je veuille supprimer les institutions fondées par l'Etat; je veux maintenir ces établissements, mais je veux les maintenir dans des termes tels qu'ils respectent la liberté de la commune, la liberté du père de famille, la liberté de chaque individu qui veut enseigner, et que les établissements de l'Etat offrent au père de famille toutes les garanties morales et religieuses.
A la suite de la révolution, l'instruction moyenne a été spécialement accordée à la commune, et elle lui a été donnée d'une manière définitive par la loi communale; à la commune appartient aujourd'hui la direction des établissements d'instruction moyenne.
Je ne pense pas que ce soit là un principe constitutionnel; je ne suis pas de ceux qui voudraient soutenir que c'est en vertu de la Constitution que la commune jouit du droit d'élever un collège; je dis que ce droit, elle le tient de nos lois; que de même que nous lui avons accordé ce droit, nous pourrions le lui retirer. Mais, je vous le demande, messieurs, lorsque les communes ont usé avec tant de modération du droit de créer des établissements d'instruction moyenne, lorsque les communes ont organisé de toutes parts des collèges si remarquables, est-il juste, raisonnable de venir, après 20 ans d'expérience, enlever ce droit aux communes? N'est-ce pas créer en Belgique une université au petit pied? N'est-ce pas vouloir établir chez nous ce qu'on démolit en France : une université hiérarchisée?
Voyez en effet toute la marche du projet de loi : les communes n'ont plus la direction suprême de leurs établissements; les grandes villes, qui ont des athénées, en sont dépouillées; elles n'ont rien à dire dans l'athénée de l'Etat; je me trompe : elles ont à payer le tiers de la dépense. Voilà leur seule intervention.
D'un autre côté, les communes qui ont abandonné les bâtiments de leurs collèges, et qui, par des conventions quelconques, ont trouvé le moyen de fournir à leurs habitants une bonne instruction moyenne, sans ruiner la caisse communale; les communes voient toutes ces conventions enlevées, anéanties d'un seul trait; la loi une fois promulguée , tout est remis en question, tout disparaît, et déjà un journal qui passe pour être l'organe du gouvernement nous a fait connaître que, par suite de l'adoption de la loi, une notable partie des conventions qui ont pu être faites viendraient à tomber. Quand une pareille déclaration émane de la presse qui a l'habitude de soutenir le gouvernement... (Interruption de M. Rogier.)
Je ne vous accuse pas, M. le ministre de l'intérieur, d'être l'auteur de ces articles; mais vous avez parlé tout à l'heure des journaux qui ont attaqué votre projet, permettez-moi de dire un mot, en passant, d'un journal qui l'a défendu, d'un journal réputé l'organe semi-officiel du gouvernement; ce journal vient de reconnaître que la moitié des établissements communaux, aujourd'hui dirigés en vertu de conventions, viendront à tomber par le fait de l'adoption de la loi proposée. Comment veut-on que cela n'excite pas par la vive exaltation que nous avons tous remarquée?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne touche pas à la liberté communale!
M. Dumortier. - Tous les actes de l'autorité communale, toutes les conventions ont dû recevoir l'assentiment de l'autorité provinciale; munis de cet assentiment, ces actes, aux termes de la loi communale, ont maintenant force de loi et ne peuvent être annulés que par la loi.
Vous venez demander par votre loi d'annuler tous ces contrats, sans tenir compte des intérêts engagés, des droits qu'on peut faire valoir contre les communes. Tout cela est annulé le jour où la loi est volée, sans aucune espèce de garantie pour l'avenir. Voilà ce qui a excité vivement l'attention publique, et les nombreuses pétitions dont vous avez entendu tout à l'heure l'analyse sont peu de chose à côté de la grande sur excitation que le projet de loi a causée dans le pays.
Pour mon compte, je crois que les communes sont beaucoup plus aptes que le gouvernement pour la surveillance continue à exercer, pour la direction à donner aux établissements d'enseignement moyen.
Il n’existe d'établissements de ce genre que dans les villes importantes, où le conseil communal compte des hommes éclairés qui ont fait de brillantes études et qui peuvent donner à l'enseignement une direction supérieure à celle qui viendrait des bureaux du gouvernement. Il ne faut pas se faire illusion, la centralisation en matière d'enseignement, c'est la direction de l'instruction par un employé d'un ministère.
De bonne foi, le ministre peut-il intervenir, peut-il savoir ce qui se passe dans les établissements d'instruction? Le ministre, absorbé par les affaires politiques, par le gouvernement de l'Etat, a tout autre chose à penser que de s'occuper de ce qui se passe dans tel collège de telle ville de la Belgique.
Toutes les affaires de l'instruction pour tout le pays deviennent donc le privilège d'un seul employé des bureaux du ministère, et le monopole des établissements publics devient le monopole entre les mains d'un agent irresponsable.
Voilà ce que je repousse. Je ne veux pas que l'instruction entière du pays soit abandonnée à un employé de ministère.
Le conseil communal serait mieux à même de surveiller la conduite, les doctrines, les maximes des professeurs, et il peut réprimer immédiatement leurs écarts s'ils se laissent aller à enseigner de mauvaises doctrines, de mauvaises maximes.
La même chose arrivera-t-elle avec la loi qui nous est proposée? Non, l'action du gouvernement est trop éloignée des athénées ; elle ne pourra se faire sentir.
Vous aurez sans doute émancipe le professorat, mais vous aurez aussi émancipé ses doctrines.
Vous lui aurez ouvert une carrière plus libre et par là plus exposée aux erreurs; mais vous aurez compromis l'avenir du pays.
Aujourd'hui le professeur peut enseigner toutes les bonnes doctrines, mais sous l'œil de l'autorité communale, sous l'œil de ses maîtres; s'il s'en écartait, il serait immédiatement rappelé à l'ordre; mais quand il sera sous l'œil du gouvernement, son émancipation sera complète. Il pourra donner un libre cours à toutes les mauvaises doctrines, au socialisme, au communisme, et il en résultera que le pays sera exposé à une catastrophe semblable à celle que nous déplorons dans un pays voisin.
La centralisation de l'instruction, c'est une chose fatale sous tous les rapports; c'est ce que tous les bons esprits déplorent en France ; c'est ce qu'on a cherché à diminuer dans la loi qu'on vient de faire en France; c'est ce qu'on doit éviter de faire en Belgique, parce que le professeur, éloigné de celui qui doit le surveiller, pourrait se livrer à l'enseignement de doctrines dangereuses pour la société. Ce qui n'arrivera jamais sous la direction et la surveillance de la commune.
Une autre conséquence de ce système est de créer une cause incessante de mécontentement et de désorganisation en Belgique. Aujourd'hui, quand une place de professeur est vacante et que la commune la donne à telle personne, elle ne fait pas des concurrents des mécontents contre le gouvernement. Quand ce sera le gouvernement qui nommera, s'il y a cinquante postulants pour une place, il fera 49 mécontents. La centralisation en France a été une des causes des bouleversements successifs de ce pays, à cause des nombreux mécontents qu'elle a suscités.
Aujourd'hui si des mécontentements surviennent, ils ne dépassent pas la commune, le gouvernement n'en souffre pas. Quand le gouvernement aura les nominations qui appartiennent maintenant aux communes, il fera des mécontents qui s'en prendront à lui de leur insuccès, conspireront contre lui et le renverseront. Or, le renversement du gouvernement, c'est le bouleversement du pays.
Rien de plus funeste que la centralisation, elle soulève contre l'Etat les passions les plus vives des hommes à prétentions et qui se croient prédestinés aux emplois, des hommes de plume qui lui suscitent embarras sur embarras et aggravent la situation du pays; ces mécontents qui ont toujours la plume à la main ne lui laissent ni paix ni trêve, et si le gouvernement cède, il corrompt le pays ; s'il ne cède pas, il se perd et perd le pays avec lui. Il n'en est pas de même quand c'est la commune qui dirige et surveille l'enseignement et nomme les professeurs; le postulant écarté n'éprouve pas de mécontentement contre l'Etat, il n'a pas de motif pour s'engager dans une hostilité activé contre le gouvernement.
Il suit de ces vérités incontestables que nous devons conserver les garanties communales en les mettant en harmonie avec la direction à donner à l'enseignement par l'Etat. Cela est facile , et si personne ne présentait d'amendement sur les points que j'ai eu l'honneur d'indiquer, j'en présenterai.
Action communale avec la surveillance de l'autorité supérieure sur l'instruction, voilà le but qu'on doit se proposer dans la loi que nous avons à faire. Je suis heureux de me trouver d'accord avec l'honorable M. Rogier... car je suppose que M. Rogier de 1850 est d'accord avec M. Rogier de 1830 et de 1834.
- Une voix. - Non pas de 1834.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre n'a pas le droit d'en douter.
M. Dumortier. - Pour moi, je n'en doute pas, et je suis heureux de me trouver d'accord avec l'honorable ministre sur ses principes de 1834.
Voici comment s'explique l'honorable M. Rogier dans les développements de son projet de loi :
« En laissant la libre direction des établissements d'instruction moyenne à la commune, on stimulera le zèle de l'autorité locale, qui seule aura l'honneur du succès ou la responsabilité de ses fautes. D'ailleurs, les subsides étant accordés tous les ans, ils ne seront conservés aux écoles que pour autant qu'elles continuent à s'en rendre dignes. » Voilà le système que je désire voir introduire dans la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'est pas besoin de l'y introduire; il y est.
M. Dumortier. - L'administration des établissements d'instruction moyenne par les communes était-elle soumise aux mêmes règles dans le projet de 1834, et dans le projet maintenant en discussion? Que M. le ministre voie la disposition qu'il proposait, en 1834 : « Art. 31. Les écoles moyennes, même lorsqu'elles reçoivent des subsides de l'Etat, sont (page 1095) librement administrés par les communes. » Aujourd'hui, eu est-il de même ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui !
M. Dumortier. - Permettez-moi de vous faire remarquer que les grandes communes n'ont plus rien à dire dans l'administration de leurs établissements même lorsqu'elles ne reçoivent pas de subside; et, en 1834, vous veniez demander la libre administration par les communes, même lorsqu'elles recevaient des subsides de l'Etat. Maintenant, qu'ont-elles à dire? Rien, absolument rien ; payer, à la bonne heure! Il faut qu'elles payent. Voilà à quoi se borne leur action sur les athénées.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre n'a pas lu le projet de loi.
M. Dumortier. - Pardon ! je l'ai lu, je l'ai examiné dans les sections et avec le plus grand soin.
Dans les dix athénées, les communes n'ont plus rien à dire. Mais, dit le ministre, nous avons donné une bien plus grande garantie aux communes; nous leur donnons quelque chose à dire dans 50 écoles primaires supérieures et écoles moyennes, dont on fait des collèges au petit pied.
D'abord, je ne conçois pas, pour mon compte, pour quel motif l'on place les écoles primaires modèles dans la loi sur l'enseignement moyen. Il est évident que si elles sont dans le projet de loi, ce ne peut être que par un motif secret qu'on ne voudrait pas avouer en public. Si un tel motif n'existe pas, il est évident que c'est là une mesure complètement déraisonnable pour ne pas dire plus.
En effet, qu'est-ce que ces écoles primaires supérieures? Ce sont des écoles où l'on apprend l'alphabet, l'a b c, où l'on apprend à lire, à écrire, à chiffrer. Ce sont des écoles primaires un peu plus relevées que les autres, de véritables écoles primaires et rien de plus.
Vouloir donner aux communes une action sur ces écoles primaires modèles, en remplacement de l'action qu'elles perdent dans leurs athénées et dans leurs collèges, et représenter ce système comme une large compensation en faveur des libertés communales, permettez-moi de le dire, c'est une véritable mystification.
Les communes ont aujourd'hui tout à dire dans leurs écoles primaires; elles les dirigent; elles les surveillent.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est complètement inexact.
M. le président ; - Je prie M. le ministre de ne pas interrompre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne puis laisser l'honorable membre dire que les communes dirigent et surveillent les écoles primaires supérieures, où elles n'ont rien à voir.
M. Dumortier. - L'honorable ministre ne m'a pas compris. J'ai dit que les communes ont tout à dire dans leurs écoles primaires.
Quant aux écoles primaires supérieures, je sais que les communes n'ont rien à y voir. Mais lorsqu'en compensation de ce qu'on enlève à Bruxelles, à Gand, à Anvers, à Tournay, leurs athénées, on leur donne un mot à dire à l'école primaire supérieure, je dis que c'est une mystification.
Les communes qui ont leurs écoles primaires, qui souvent même en ont plusieurs, un grand nombre, ne s'inquiètent que très secondairement d'avoir leur mot à dire à l'école primaire modèle. Du jour où on leur enlève toute intervention dans leurs collèges et athénées, il n'y a aucune espèce de compensation, au contraire on enlève au profit du gouvernement l'une des plus précieuses libertés communales.
Quant aux écoles industrielles, il y en a huit ou dix fondées dans de petites villes où il n'y a pas d'athénée, et ces petites localités se trouvent heureuses d'avoir une école que dirige le gouvernement ; le gouvernement ne leur accorde donc aucune compensation.
On enlève donc aux grandes communes la direction supérieure et la surveillance de leurs athénées, de leurs collèges, et ce qu'on leur donne, à titre de compensation, n'est, je le répète, qu'une mystification.
Mais je vais plus loin : je demande ce qui arrivera si les communes n'acceptent pas. Dira-t-on que la loi est impérieuse? Forcera-t-on la main aux communes? Je voudrais savoir comment le gouvernement agira en pareil cas.
Veut-on mettre l'école dans une autre localité ? Ainsi il y aurait un athénée communal au chef-lieu de la province, subsidié par l'Etat, et dans une ville de 6 ou 8 mille âmes il y aurait un athénée qui ne serait pas communal, et qui coûterait annuellement 30,000 ou 40,000 francs à charge du trésor. Cela ne me paraît pas exécutable, à moins qu'on ne veuille saisir un pareil moyen pour faire tomber les établissements élevés par la liberté.
Je crois qu'agir de la sorte ce serait faire une concurrence illimitée à la liberté d'enseignement. Or, c'est ce dont je ne veux pas. Je veux de l'émulation. Je ne veux pas de la concurrence à la liberté; car la concurrence faite par le gouvernement à la liberté, c'est du despotisme. (Interruption.) Oui, messieurs, quand le gouvernement vient avec les deniers de tous agir contre la liberté, c'est du despotisme ; le czar de Russie ne l'entend pas autrement.
- Un membre. - C'est absurde!
M. Dumortier. - Si c'est absurde, il vous sera facile d'y répondre. Mais je crois qu'il vous serait bien difficile d'en démontrer l'absurdité. L'émulation seconde, nuit; la concurrence, c'est la guerre faite à la liberté au moyen des deniers des contribuables, par le parti qui ne sait pas la faire au moyen de ses propres sacrifices. Une telle concurrence, c'est la guerre à la liberté, et la guerre à la liberté c'est le despotisme.
Une autre disposition du projet de loi qui ne peut avoir mon assentiment, c'est celle qui aurait pour but de ne permettre la nomination d'aucun professeur dans les établissements d'enseignement moyen s'il n'a reçu du gouvernement un brevet de capacité. Comment! lorsqu'il s'est agi de l'enseignement supérieur, de l'enseignement universitaire, vous n'exigiez pas de certificats de capacité de la personne que vous appelez au professorat. Et lorsqu'il s'agit de l’enseignement moyen, vous exigez qu'on ait passé par les écoles normales du gouvernement!
Mais ne dites donc pas que ce n'est pas le monopole que vous voulez ; car vous voulez le monopole de tous les établissements publics de la Belgique. Comment! Un homme qui a fait les plus hautes études, mais qui dans les premières années de sa carrière, ne se sera pas destiné à l'enseignement, un homme qui aura passé ses examens de docteur en droit, par exemple, qui aura passé ces examens avec la plus grande distinction, ne sera pas propre à devenir professeur de sixième ?
M. Devaux. - Mais oui ! il sera docteur.
M. Dumortier. - Les docteurs en droit ne sont pas compris dans la loi; vous ne l'avez pas lue ou vous l'avez mal faite. L'homme qui aura passé tous ses examens de docteur en droit avec la plus grande distinction, qui aura donné les preuves les plus incontestables, les plus multipliées de son mérite, ne sera pas propre à devenir professeur de sixième.
Eh bien ! je dis que c'est là de l'absurdité; je dis que c'est fermer la carrière aux plus vastes intelligences, surtout aux intelligences que le hasard ne seconde pas. C'est vouloir créer une classe de parias à côté d'une classe d'hommes privilégiés en Belgique, qui seront toujours mécontents, lorsqu'on ne les placera pas, parce qu'ils se regarderont comme devant obligatoirement obtenir des places el des emplois.
Il est de toute évidence, messieurs, qu'une pareille disposition est une atteinte véritable portée à l'article de la Constitution qui prescrit que tous les Belges sont aptes aux emplois et qui veut que tous les Belges soient sur le pied de l'égalité la plus parfaite.
Je sais qu'il y a des carrières pour lesquelles on a exigé des conditions spéciales ; on a exigé des médecins, on a exigé des avocats des études spéciales. Mais exiger de semblables conditions de tous ceux qui veulent devenir professeur de sixième dans un collège, c'est aller au-delà des bornes; c'est violer la Constitution. Il y a plus, messieurs, cet article offre encore cet inconvénient qu'il écarte de l'instruction toute une classe de citoyens. Ainsi, supposez qu'une petite ville, qu'une ville qui a très peu de ressources, veuille avoir un établissement dirigé par des membres du clergé; elle ne le pourra pas; car tous les membres du clergé sont écartés d'un trait de plume de la possibilité de devenir professeur.
M. Dequesne, rapporteur. - La section centrale a modifié cette disposition.
M. Dumortier - M. le ministre de l'intérieur ne nous a pas dit s'il se ralliait à cette modification, et je m'occupe ici du projet tel qu'il a été présenté par le gouvernement.
Remarquez, messieurs, que les personnes dont je parle seront arrivées à un âge où il ne leur sera plus possible de se remettre sur les bancs de l'étude, d'aller recommencer à suivre l'instruction de l'école normale.
A côte de ces inconvénients, il en est un autre beaucoup plus grave que je remarque, c'est celui relatif à l'absence de garanties religieuses.
On l'a dit, messieurs, et on ne saurait trop le répéter : la loi, sur ce point, peut se résumer en deux mots : l'enseignement de la gymnastique est obligatoire; l’enseignement religieux est facultatif. Evidemment, messieurs, un pareil système, c'est la perte du pays. Si la chambre voulait faire prédominer un pareil système dans les circonstances où se trouvent aujourd'hui les esprits, il est évident qu'avant peu nous arriverions à une situation analogue à celle qui a amené tant de bouleversements en France.
Qu'est-il arrivé dans les pays voisins? Dans les royaumes qui nous environnent, on a élevé des générations en l'absence de tout sentiment du devoir; on ne leur a inculqué que le sentiment de leurs droits. Je me trompe; on leur a inculpé un devoir, et ce devoir on l'a qualifié saint; c'est le devoir de s'insurger. L'insurrection, a-t-on dit, est le plus saint des devoirs.
Vis-à-vis des mauvaises doctrines, vis-à-vis de l'esprit de désordre qui tend à envahir la société de toutes parts, il est évident que nous avons un devoir à remplir au point de vue du pays; c'est de veiller à ce que l'éducation donnée aux frais de l'Etat, donnée aux frais de nous tous, offre toutes les garanties que le père de famille est en droit de réclamer, les garanties religieuses sur lesquelles seules repose le sentiment du devoir.
Et ici, ce n'est pas au nom du clergé que je réclame ces garanties; c'est au nom de la société, au nom des pères de famille. Les pères de famille désirent que l'enseignement donné à leurs enfants soit religieux.
On me dira qu'il ne dépend pas de l'Etat seul de donner ces garanties. Je répondrai : Nous avons, dans la loi sur l'instruction primaire, donné des garanties qui ont été acceptées par le clergé. Donnons, dans la loi sur l'instruction moyenne, des garanties proportionnelles, des garanties raisonnables, des garanties que nous pouvons donner sans violer notre conscience, et sans violer la Constitution ; et je n'hésite pas à croire que le clergé s'empressera d'accepter la loi. (page 1096) Donnons dans la loi des garanties de moralité, ces garanties si hautement réclamées par les pères de famille. Si vous voulez que les enfants affluent dans vos établissements, il faut que les pères de famille aient toute quiétude sur l’enseignement qui y est donné.
Si, au contraire, vous repoussez ces garanties, vous faites la guerre à vos propres établissements; c'est vous qui faites la concurrence à vous-mêmes aux établissements que vous créez, et vous aurez beau faire, ils tomberont devant l'opinion publique. Messieurs, je l'ai déjà dit dans cette enceinte, la Belgique n'est ni bigote ni cagote. La Belgique est un pays de foi et de liberté. Donnez-lui la liberté et des garanties pour la foi, et vous verrez vos établissements florissants.
Adoptez le système contraire, vous verrez ces établissements dépérir; vous froisserez l'opinion publique, et vous créerez un grand nombre de mécontents. Ne croyez pas que ce soit par la centralisation, par l'action du gouvernement que vous verrez fleurir vos écoles. Non ; vous ne pouvez les faire fleurir que par deux moyens : par l'action combinée de la commune et de l'intervention religieuse. Si vous repoussez ces deux moyens, je vous le prédis, non seulement vous faites une loi sans effet, une loi morte, une loi de persécution contre les idées religieuses, dont chacun proclame aujourd'hui la nécessité, mais avant peu de temps, avant un petit nombre d'années, vous serez dans la nécessité de la modifier; votre loi deviendra un grief comme les arrêtés de 1825 au sujet de l'instruction.
Messieurs, les garanties religieuses et morales sont aujourd'hui reconnues par tous les bons esprits des garanties indispensables de toute loi d'instruction. Voyez la France; après avoir marché cinquante ans sans ces garanties, elle a reconnu la nécessité de les introduire dans la loi. Un des hommes les plus marquants de ce pays, M. Thiers, n'est-il pas venu déclarer à la tribune que ses idées d'autrefois n'étaient que de simples préjugés ?
Eh bien ! abdiquons ces préjugés et reconnaissons que si nous voulons une loi de conciliation, une loi qui réunisse toutes les opinions, il est indispensable qu'elle offre des garanties religieuses aux pères de famille. Sans ces garanties, vous n'arriverez qu'à faire une loi de parti, violente comme toutes les mesures de ce genre. Et pourquoi? C'est que l'Etat, comme Etat, n'a pas de religion, n'a pas de morale; et le peuple au contraire doit avoir une religion, une morale. L'Etat n'a pas de morale. La morale de l'Etat, quelle est-elle? C'est le Code pénal. L'Etat n'a pour sacerdoce que les juges, et pour l'exécution de sa morale, le grand prêtre de l'Etat, c'est le bourreau. (Interruption.)
Voilà, messieurs; la morale, la seule morale de l'Etat; il n'en a pas d'autre ; et je prie ceux qui m'interrompent de me dire quelle est la morale de l'Etat si ce n'est celle-là. Où est son symbole, où sont ses doctrines ? Sera-ce le décalogue? Mais c'est une croyance religieuse? L'Etat n'a ni symbole, ni croyance, il n'a que des peines et un Code pénal; et à moins que d'enseigner ce code aux élèves, il faut bien reconnaître que l'Etat ne peut leur enseigner d'autre morale que la morale religieuse.
En dehors des principes religieux d'une communion quelconque, il n'existe point de morale écrite, point de morale fixe, sur laquelle vous puissiez faire reposer l'instruction du peuple, et je pose ici le défi d'en signaler une. Où est votre symbole? Vous n'avez point de symbole comme Etat; vous admettez tous les cultes, toutes les morales; vous n'avez qu'une seule chose en fait de morale, c'est la loi répressive, c'est le Code pénal.
Il faut donc, messieurs, que l'instruction soit à la fois morale et religieuse. L'honorable M. Leclerc, cet homme d'un si haut mérite, qui occupe un rang si élevé dans l'opinion libérale, l'honorable M. Leclerc nous déclarait ici en 1842, qu'il fallait que l'instruction morale et religieuse formât la base principale de l’enseignement moyen, que l'instruction moyenne ne pouvait être séparée de l'éducation et que celle-ci doit être religieuse. Voilà ce que voulait l'honorable M. Leclerc, dont le témoignage ne doit pas vous être suspect et c'est ce que je veux avec lui. (Interruption.)
J'entends d'honorables membres dire : Tout le monde est d'accord à cet égard ; je dis, moi, que tout le monde n'est pas d'accord à cet égard, car qui veut la fin veut les moyens, et si vous voulez vous borner à mettre dans la loi que le clergé sera invité à donner l'instruction religieuse , je dis que vous ne voulez pas sérieusement d'une instruction religieuse. En effet, messieurs, le jour où le clergé arrive dans un établissement d'instruction, il prend sur lui une grande responsabilité vis-à-vis des pères de famille et il faut qu'il ait le pouvoir de couvrir cette responsabilité. Comment ! le clergé viendra donner l'enseignement religieux dans un établissement, et il dépendra de tout professeur de défaire ce que le clergé aura fait! Donnez au clergé la garantie que d'autres ne détruiront pas l'effet de son enseignement, et alors il est évident qu'il serait dans son tort s'il ne s'associait pas à l'exécution de la loi.
Je proposerai, si personne d'autre ne le propose, je proposerai, qu'en cas de concours du clergé, une intervention lui soit donnée dans le bureau de l'athénée et dans le conseil de perfectionnement, ainsi que cela vient d'être fait en France. Cette proposition sera parfaitement justifiée par l'importance de la matière. Nous reconnaissons tous, en effet, que la base de l'instruction moyenne doit être l'enseignement moral et religieux.
Il ne suffit pas de faire des lettrés et des savants; il faut faire de bons citoyens, des hommes qui aient le sentiment de leurs devoirs et le sentiment du devoir, vous ne le trouverez nulle part que dans le sentiment religieux, excepté dans la philosophie. Or, vous ne pouvez point enseigner la philosophie au peuple.
Il faut donc un enseignement religieux, et si vous voulez un enseignement religieux, donnez au clergé des garanties que l'effet de son instruction ne sera pas détruit par d'autres professeurs. Alors, je le déclare, le clergé ne manquera pas d'adhérer à votre loi, comme il a adhéré à la loi sur l'instruction primaire. Alors nous aurons réalisé le vœu exprimé par l'honorable ministre de l'intérieur, nous aurons fait une loi de conciliation, une loi que nous pourrons voter à l'unanimité et à laquelle le pays entier applaudira. Nous aurons donné au pays un gage de conciliation au lieu de lui jeter une pomme de discorde. Nous aurons en un mot prouvé que nous comprenons un pays qui, depuis deux ans, est cité comme modèle par l'Europe entière.
Le pays, a-t-on dit, a besoin d'une loi d'instruction moyenne, mais est un besoin qui se fait bien plus sentir , un besoin que le pays proclame, celui de l'union. Evitons donc, messieurs, tout ce qui pourrait faire naître dans le pays des divisions intestines, restons unis, évitons les lois de partis et toutes les luttes violentes qu'elles traînent à leur suite; faisons une loi de conciliation sur les principes les plus larges, les plus sérieux; dépouillons nos anciennes idées, rappelons-nous que l'Europe tremble sous nos pas, que la société a besoin d'un retour aux principes qui lui servent de base; faisons une loi qui unisse aux garanties communales les garanties morales et religieuses; une telle loi sera une loi de conciliation, et le pays nous bénira d'avoir ainsi consolidé la nationalité et travaillé sérieusement à assurer l'avenir de la patrie.
M. le président. - La parole est à M. le Bailly de Tilleghem, inscrit sur le projet. Mais je dois faire observer, dès le début de cette discussion, qu'aux termes du règlement, les orateurs inscrits sur le projet doivent, immédiatement après leur discours, déposer un amendement.
M. le Bailly de Tilleghem. - Je considère d'abord le projet de loi dans ses rapports directs avec la liberté d'enseignement consacrée par l'article 17 de la loi fondamentale.
Je poserai mes questions nettement.
Que fait-on par ce projet de loi organique?
Je répondrai que l'on rencontre d'une part, par les dispositions principales du projet, que le gouvernement a pour but de créer un grand nombre d'établissements d'instruction publique relevant de lui seul. Et cela avec la faculté de les multiplier, au point d'y absorber, d'y concentrer en quelque sorte les études, de façon que les établissements d'instruction libre devront nécessairement succomber par suite d'une concurrence inégale, concurrence que le gouvernement peut leur opposer par la faculté de s'emparer de tous les degrés d'instruction publique, en soutenant les établissements de l'Etat aux frais du trésor public, et en s'entourant de tous les moyens d'action dont le pouvoir peut disposer.
Quelles sont maintenant les conséquences de ce système?
C'est, selon moi, que le gouvernement fonde en quelque sorte un système de centralisation de l'enseignement en faveur de l'Etat.
Et cela par l'abus de la faculté qu'il se sera procurée d'agir lui seul pour exploiter l'enseignement public à l'aide d'une convention qui lui permet d'apporter des entraves réelles à l'action de l'enseignement qui, aux termes formels de la Constitution, doit être pratiquée librement!
D'autre part, le système de la loi tend également à priver les communes de la liberté d'action qui leur est indispensable pour diriger leurs collèges d'après les intentions et les vœux de leurs administrés.
On s'attache à restreindre autant que possible l'action de la franchise communale, et cela à tel point que son rôle principal sera de payer, sans pouvoir même discuter la dépense quand il s'agira des établissements gouvernementaux,
Ainsi les villes qui ont érigé des collèges, en observant toutes les formes légales, ne peuvent les maintenir qu'en vertu d'une nouvelle autorisation.
Défense absolue à l'autorité communale de déléguer tout ou partie de son autorité sur ses établissements, etc.
Nécessité de la double autorisation de l'autorité provinciale et gouvernementale pour patronner un établissement privé, ne coûtât-il pas un centime à la caisse communale, etc., et faculté constante de retirer cette autorisation sous le prétexte d'abus graves qui se découvrent toujours à point nommé.
Défense de faire usage de cette faculté, telle quelle, dans les villes où le gouvernement établit un athénée; défense encore s'il existe un collège communal : ne suffit-il pas aux besoins des habitants. Les places de professeurs réservées aux élèves des écoles normales; la révocation des professeurs des établissements communaux, subsidiés ou non, est réservée au gouvernement.
Enfin, la tendance à paralyser la libre action de l'autorité communale se rencontre dans presque toutes les dispositions du projet de loi.
En définitive, à mes yeux, le système du projet de loi est conçu de façon que l'action parfaitement complète de ce grand et large principe constitutionnel de la liberté d’enseignement est singulièrement battu en brèche par des mesures tellement répressives, que l'existence de la liberté d'enseignement ne sera plus qu'une illusion.
On me demandera : En quoi donc consiste le grand principe de liberté?
Mais puis-je répondre autrement que par la pratique de cette liberté dans toute sa plénitude constitutionnelle, n'ayant de bornes que celles qui assurent aux membres de la société la jouissance des mêmes droits légaux ?
Et à mon tour je demanderai si les dispositions réglementaires du projet de loi sont parfaitement conformes à cette définition ?
(page 1097) Je pense avec conviction pouvoir répondre négativement. Car bien certainement, on ne peut pas soutenir que dans le régime du projet de loi, la liberté de l'enseignement soit maintenue sans atteinte aucune, puisque son système favorise le monopole, tandis que par l'effet direct de la Constitution, la liberté de l'enseignement doit être commune à tous; parce qu'en réalité le pacte fondamental de notre association politique n'a pas pour objet, en fait d'enseignement, la liberté d'action d'un ou plusieurs individus, mais bien la liberté entière de tous les membres qui la composent.
Dès lors toute disposition législative organique, qui est de nature à gêner directement ou indirectement cette liberté, est bien incontestablement contraire à l'esprit de la loi qui en fait le fondement.
Sous ce rapport donc le projet de loi, selon moi, serait essentiellement vicieux.
Pour que la liberté de l’enseignement existe dans les termes que la Constitution lui attribue, il faut que l'exercice de cette liberté soit sans entraves, en dehors de toute coercition gouvernementale.
Selon moi, le principe de la liberté d'enseignement n'admet pour condition vitale et moyen de réalisation que la liberté d'accord avec la Constitution et les lois qui en déterminent le régime, conformément à ce principe constitutionnel.
Si donc des lois organiques que l'on se propose de lui appliquer sont de nature à menacer cette liberté, à froisser des intérêts légitimes, on ne peut absolument pas s'en accommoder. Car le principe constitutionnel a perdu le balancier de son mouvement. Son action est privée de force motrice et s'arrête comme une pendule dont le ressort est détendu.
Qu'est-ce qui peut faire réellement la valeur constitutionnelle de la loi organique que l'on propose? C'est d'être essentiellement mobile, sans monopole, sans immobilisme, ne se réglant que par la facilité de la concurrence, c'est-à-dire par la faculté que tous les exploitants trouvent en eux-mêmes ou en autrui, de pouvoir se passer des services de celui que la loi met en demeure de les surfaire.
La loi organique ne peut avoir d'autre mesure légale.
Son prix, comme sa valeur, doit se déterminer par la libre concurrence des producteurs en harmonie avec les besoins de tous les consommateurs.
La somme totale des bienfaits de l'économie politique et domestique de la loi doit pouvoir profiler à tous, sans pouvoir dans aucun cas composer exclusivement le bénéfice de l'un du déficit de l'autre.
Pour ces motifs, je pense qu'on ne peut réellement pas admettre le projet de loi dans toutes ses possibilités.
Il faut absolument qu'on y introduise des variations, des modifications propres à satisfaire en tout point au vœu de nos institutions constitutionnelles, comme aux exigences de l'ordre social, deux considérations qui dans mon opinion prédominent ici sur toute autre question.
Car il faut encore rechercher également le but de la loi dans l'ordre moral, et sous ce rapport, il me paraît que le projet de loi laisse beaucoup à désirer.
Il semblerait, en étudiant consciencieusement l'économie du projet que toute idée sur l'utilité de l'enseignement religieux paraît s'effacer ou se perdre totalement.
Un système qui prévoit le refus du concours du clergé pour l'enseignement religieux et qui autorise le gouvernement à y suppléer, en confiant l'enseignement à un laïque, détermine, dans mon esprit, un caractère en quelque sorte exclusif.
Il faut, au contraire, que la loi puisse allier sincèrement l'influence des ministres du culte, pour établir un enseignement officiel qui puisse satisfaire complètement à tous les besoins religieux.
Que l'on me permette donc de le dire avec franchise, sans arrière-pensée !
Le projet de loi est une conception fâcheuse, et les inconvénients et les périls qui peuvent en résulter en l'acceptant, pour le bien-être de la religion et la sauvegarde de l'une de nos plus précieuses libertés constitutionnelles, sont d'une évidence incontestable.
Je n'entends point supposer de mauvaises intentions aux auteurs de cette charte.
Bien au contraire, je suis convaincu qu'elles sont bonnes.
Seulement les moyens indiqués pour atteindre le but, d'après mon jugement, ne sont pas acceptables
Et en effet, ils semblent nous dire : Hors du gouvernement point de liberté d'enseignement.
Je crois faire preuve de sagesse, lorsque je viens conseiller au gouvernement de ne pas persister dans la voie où il s'est ainsi engagé, en lui disant d'être prudent, de prendre garde, qu'il s'expose à se perdre.
On sait généralement que l'expérience est une bonne conseillère, qu'il est dangereux pour un pouvoir de se heurter contre les écueils où d'autres pouvoirs se sont brisés avant lui.
Réformez plutôt votre projet de loi.
Retrempez-le dans les formes tracées par la Constitution.
Vous en avez les moyens les plus expéditifs, et j'accepterai votre œuvre avec reconnaissance.
La liberté d'enseignement doit rester inaliénable.
Il y a plus, elle ne saurait abdiquer un seul instant, n'importé sous quelle forme, sans cesser d'être inaliénable.
En acceptant votre projet, ce serait la négation de la liberté d'enseignement.
On ne peut plus faire un seul pas, promulguer une seule mesure qui puisse recevoir la sanction directe et positive de la Constitution.
Telle est l'issue qu'elle nous laisse; c'est ainsi, d'après moi, que la question doit être envisagée.
Quand on se réclame d'un principe, il faut au moins avoir le courage et la bonne foi d'en pousser la logique jusqu'au bout.
Puissiez-vous avoir les mêmes inspirations; j'en appelle à toutes vos intelligences.
Je traite la question économique et sociale du projet exclusivement au point de vue de la science pure des questions de principes et des intérêts généraux du pays, en dehors de toute considération d'esprit de parti.
Je désire de tout mon cœur que le pouvoir ne s'irrite pas.
Mon but, c'est d'essayer de le fléchir en éclairant sa route.
Je ne juge aucunement le projet de loi au point de vue libéral ou au point de vue catholique.
Je laisse à d'autres la conception de le déclarer bon ou mauvais, suivant la position qu'on a pu avoir prise dans des luttes antérieures, et dont aujourd'hui un siècle nous sépare. Car avec de telles dispositions d'esprit, au lieu d'avoir une loi réellement utile, on s'expose peut-être à avoir une loi de parti et, par conséquent, une mauvaise loi.
Je pense qu'il existe un point de vue plus élevé et, par conséquent, plus impartial. C'est celui dont la base serait la conciliation des opinions rivales.
Le principe constitutionnel étant parfaitement sauvegardé, le pouvoir communal restant entièrement debout, ces deux éléments ne pourraient-ils donc pas devenir le lieu commun pour conclure une transaction qu'on doit désirer?
Et pour accueillir toute idée de rapprochement, si l'on ne se sent pas en mesure d'aborder la discussion avec un esprit calme et tranquille, pour arriver à un résultat aussi salutaire, il vaudrait alors mieux s'abstenir que de trancher le différend avec passion.
Une simple transaction fera plus pour le repos du pays que n'obtiendront les plaintes, les imprécations et les cris.
Ne saurait-on, par des moyens de conciliation, tirer notre pays de cette situation antagonique, au lieu de résoudre le problème par des dissentiments et des passions toujours funestes?
Ne saurait-on se donner la main pour une œuvre de concession mutuelle, sans faire revivre ces irritantes querelles élevées autrefois entre le parti catholique et le parti libéral?
Je sais bien qu'on viendra me dire que le projet de loi qui soulève aujourd'hui tant d'irritation n'est que la conséquence même de l'article 17 de la Constitution; que, du moment où l'Etat intervient dans les dépenses des établissements publics, il a une surveillance à exercer, une direction supérieure à faire valoir. Ce que j'accepte.
Mais par votre système de loi organique, on s'attache généralement à restreindre autant qu'il se peut l'action des franchises, de l'autorité communale.
Le projet, tel qu'il est conçu, fait bon marché des libertés communales; son but principal, c'est de fortifier le gouvernement même aux dépens de l'autorité communale; de mettre entre les mains du pouvoir un moyen d'action qui augmente d'une manière considérable les attributions de l'Etat.
Examinez consciencieusement le projet de loi dans tous ses détails.
Mais il est évident que l'on méconnaît totalement les droits, les privilèges, les franchises de la commune.
On serait tenté de se demander si notre pays est gouverné sous le régime du bon plaisir.
Que deviendront les écoles communales indépendantes? Elles deviendront impossibles avec la nouvelle organisation.
Vous enlevez à la commune l'une de ses plus précieuses prérogatives, tandis que vous lui imposez des charges auxquelles elle ne pourra se soustraire.
Vous arrachez aux communes la nomination des professeurs de leurs athénées et de leurs écoles moyennes.
Mais le conseil communal n'est-il donc pas la direction la plus directe du père de famille.
L'intervention de l'Etat, en matière d'enseignement, ne doit avoir lieu que là où le père de famille fait défaut, là où la commune ou la province rencontre des obstacles de pouvoir organiser un enseignement complet.
C'est alors à l'Etal de venir en aide.
Envisagée sous ce point de vue. la médiation du gouvernement ne pourrait assurément détruire la liberté; au contraire, elle lui viendrait en aide. Ce serait une œuvre de conciliation, d'équilibre. Mais là se borne la mission de l'Etat ; s'il va plus loin, peut-on encore prétendre qu'il ne viole pas la liberté d'enseignement. Mais à coup sûr il sort du moins de ses attributions et abandonne son rôle de médiateur pour devenir concurrent.
Et si l'on entend encore soutenir que, par cette concurrence, il ne tend pas au monopole et qu’il ne pèse pas sur la liberté d'enseignement au point d'y porter atteinte.
Mais incontestablement il viole du moins la liberté du père de famille, dont la manifestation la plus directe se trouve dans l'organisation communale.
(page 1098) Mais malheureusement la question n'est pas uniquement posée sur ce terrain.
Le système apparaît avec les caractères de l'envahissement au point de mettre le gouvernement à même de pouvoir accaparer l'enseignement et d'anéantir les établissements libres.
Si, par ce système, encore une fois, on aspire à entraver l'action individuelle, en matière d'instruction, en investissant le gouvernement d'un pouvoir absolu, mais alors il est évident que la liberté d'enseignement est abolie, et de fait qu'elle n'a plus d'espace pour exercer cette liberté dans toute sa plénitude, et qu'elle ne figure dans la Constitution que pour une lettre morte.
Il se peut qu'il y ait des hommes graves et probes qui se familiarisent plus ou moins avec l'idée du monopole en le voyant se former insensiblement sous leurs yeux, sans presque donner lieu à des réclamations !
Mais c'est que le monopole est comme un joug élastique, qu'il est aussi aisé à celui qui l'impose, d'élargir en faveur des uns et de serrer au détriment des autres.
Si, maintenant, vous favoriser le monopole parce qu'il est dirigé dans votre système, demain lorsque par un effet de cette mobilité des choses humaines, votre système aura fait place au mien, le monopole qui est votre ouvrage sera dirigé contre vous, et vous vous trouverez ainsi avoir forgé vos propres chaînes !
C'est donc dans la vue du bien-être général, c'est dans l'intérêt de tous qu'il faut comprendre de bonne foi: sans prévention, sans préjugés, la grande, l'importante question de la liberté d'enseignement.
Je le demande si, parce que quelques établissements libres ou privés jouissent dans notre patrie d'une plus grande confiance que certains collèges publics, est-ce là une raison pour nous proposer des mesures légales pour détruire les premiers en faveur des derniers?
Combien n'est-il donc pas à désirer, dans l'intérêt de la civilisation et du véritable progrès des lumières, qu'en fait d'instruction publique le gouvernement s'en tienne rigoureusement au principe lumineux de la libre concurrence?
Or, je le demande, en présence de ce système de contradictions économiques, n'y a-t-il pas lieu de protester contre les dispositions du projet de loi et de réclamer vivement pour que ce grand principe de la liberté de l'enseignement soit maintenu intact et dans toute son intégrité?
A mes yeux, le nouveau projet de loi bouleverse tous les rapports que la liberté a eus jusqu'à présent avec la loi. La pression administrative que le nouveau système tend à introduire, combat les établissements libres, pour ne point dire qu'il les écrase au point de les faire disparaître peu à peu. C'est là une conséquence nécessaire du système. On a beau soutenir que la liberté n'est point ici en cause; mais lorsque vous appliquez à son action des mesures préventives, entre autres le droit d'une surveillance, d'une inspection, qui équivalent à une censure, mais cela suffit pour anéantir toute liberté à l'enseignement.
Si le pouvoir prenait, à l'égard de la liberté de la presse, de semblables mesures répressives, pourrait-on croire un moment qu'on reste en possession de cette liberté? C'est impossible. Dans ce cas, son principe vital serait éteint; cette liberté ne serait plus qu'un fantôme.
L'instruction publique, donnée aux frais de l'Etat, doit être réglée par la loi, dit l'article 17 de la Constitution.
Mais, en réglant ainsi cette instruction, est-ce que le gouvernement doit s'emparer des athénées et des collèges qui sont aujourd'hui propriétés de la province ou des communes ?
Ensuite, le pouvoir va encore plus loin par l'article 29 du projet de loi.
Car, pour recevoir un subside de l'Etat, soit de la province, soit de la commune, une institution privée cesse-t-elle par cela même d'être privée ?
Des objections se présentent encore, relativement aux articles 30 et 31 qui concernent les établissements exclusivement provinciaux ou communaux.
Que fait-on par l'article 32, qui a pour objet les établissements patronnés?
L'instruction de ces établissements, encore une fois, est libre.
Ce n'est pas une instruction publique donnée par l'Etat qui seule doit être réglée par la loi, c'est une instruction, un enseignement qui ne doit, qui ne peut subir les entraves d'une loi régularisatrice.
Malgré cela, que fait-on? Ce sera au gouvernement à autoriser les villes à avoir ces établissements sous certaines réserves, sous certaines conditions.
Et si la commune se refuse à se soumettre à ces prescriptions, le gouvernement pourra faire cesser les effets du patronage, c'est-à-dire que la commune ne pourra plus lui accorder des subsides, l'usage de ses immeubles, etc.
Mais, par cela seul, vous détruisez l'existence des établissements libres soit en les supprimant, soit en les incorporant à l'Etat.
Donc vous portez atteinte à la liberté de l'enseignement.
Maintenant quand on apprécie les mémorables débats qui ont précédé, le vote de l'article 17 de la Constitution, quand on étudie la question de l'enseignement, dans son ensemble et dans sa connexion intime avec les libertés qui lui sont corrélatives, finalement quand on réfléchit mûrement sur les termes, sur la portée de l'article 17, peut-on méconnaître que le projet de loi n'a pas été puisé dans les doctrines du Congrès ?
En effet, que voulait le Congrès, quel était son principe dominant, sa pensée invariable, en matière d'instruction ?
C'était à coup sur la liberté d'enseignement dans toute sa plénitude, et que les lois organiques de cette institution ne gênassent en rien cette liberté.
C'est dans cet esprit que l'article 17 a été voté. Que discutons-nous?
Une loi organique, une loi qui doit déterminer par des dispositions réglementaires le développement et l'exercice d'un droit primordial dont le principe a été fondé, consacré primordialement par une institution mère; d'un droit positif qui ne peut être changé, ruiné ou mutilé que par des règles prescrites dans la charte constitutionnelle elle-même (la révision).
Comment cette loi organique doit-elle fonctionner, dans ses rapports directs avec la loi fondamentale, de ce droit, de ce privilège constitutionnel ?
En impliquant nécessairement pour son exercice, une concurrence entièrement libre, faite dans des conditions égales, sans que par des mesures légales, on puisse accorder ou favoriser aux uns des faveurs, des protections, des privilèges qu'elle oppose aux autres.
En un mot, l'action de cette loi organique doit être telle qu'elle ne puisse gêner en rien la liberté d'enseignement, dont le droit est garanti à tous.
Dès que cette égalité n'existe plus, l'équilibre est rompu. L'action complète de la liberté d'enseigner est entravée.
La loi qui en règle l'exercice, qui en détermine le développement, est en contradiction avec la loi fondamentale.
Le projet de loi qui nous est présenté est-il conforme à cette définition?
Je pense que non.
Au point de vue de la rigueur des principes, le projet de loi comprend mal son économie; car c'est faire dépendre d'un vote la tradition fidèle de la liberté d'enseignement.
On a beau dire, la liberté d'enseignement ne se présente nullement sous une forme unique; la question du principe se complique de divers modes d'application possible ; tout cela est très bien !
Mais alors quelle foi peut-on avoir dans l'efficacité de la Constitution?
Si elle se trouve singulièrement ébranlée, sinon ruinée, dans beaucoup d'esprits par la facilité même avec laquelle cette Constitution peut s'évanouir.
Peut-on vouloir ainsi fortifier un ordre de choses qui se fonde si essentiellement sur la raison publique?
Les grandes questions du genre de celles que nous discutons ne peuvent se résoudre de cette manière.
A suivre les voies régulières, si on y a confiance, portez vos regards sur le besoin de réviser la Constitution, si on ne veut pas la prendre au sérieux, si on ne veut pas travailler dans les limites qu'elle a tracées, pour fortifier les principes d'autorité dont on croit avoir besoin pour remédier aux prétendus abus auxquels l'expérience de la liberté d'enseignement peut avoir donné lieu.
La question de la liberté d'enseignement proprement envisagée domine toutes les questions. Aucune liberté constitutionnelle ne peut subsister sans celle de l'instruction; car celle-ci est la véritable garantie des autres.
Si on aspire, par une loi organique, à mutiler la liberté de l'enseignement, mais prenez alors le parti de ruiner également celles de la presse, des opinions, des cultes enfin.
Nivelez aussi un système pour le faire adopter par le pouvoir, et à le faire soutenir irrésistiblement par le pouvoir auquel l'exécution en est confiée.
Sinon, donnez de bonne foi et sans arrière-pensées, la préférence à un système de liberté qui embrasse toutes les parties corrélatives et indivisibles d’un même tout et qui trouve dans son propre fonds le moyen propre d'en corriger l'abus et qui seul garantisse à un peuple libre avec la durée de ses institutions, son repos public et sa prospérité.
Messieurs, aux termes du règlement, ayant parlé sur le projet de loi, je dois déposer un amendement,
Je propose en conséquence un amendement à l'article 8.
« L'instruction moyenne comprend l'enseignement religieux.
« Les ministres des cultes seront appelés à donner et à surveiller l’enseignement religieux dans les établissements soumis au régime de la présente loi.
« Le gouvernement et les communes se concerteront dans ce but avec les chefs des cultes, pour assurer dans cette matière une instruction religieuse qui puisse donner au père de famille les garanties les plus satisfaisantes. »
Je demanderai la permission de pouvoir développer mon amendement.
M. le président. - L'amendement de M. le Bailly de Tilleghem sera imprimé et distribué.
- La séance est levée à 5 heures.