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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 février 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 793) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Un habitant de Namur prie la chambre de maintenir la jurisprudence, quant à la question d'indigénat qui a été soulevée à l'occasion de la demandé de naturalisation du sieur Ryss. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

« Plusieurs habitants de Westrem-Saint-Denis demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les athénées et les collèges des provinces flamandes et qu'on soit tenu de se servir de cette langue pour enseigner l'allemand et l'anglais.»

« Même demande de plusieurs habitants de Ninove. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'enseignement moyen.


«Les membres d'une société de rhétorique établie à Nieuport demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les établissements d'instruction publique à Bruxelles et dans les provinces flamandes; qu'on y soit tenu de s'en servir pour enseigner les langues allemande et anglaise, que les administrations provinciales et communales et, autant que possible, les tribunaux fassent exclusivement usage de cette langue; qu'il y ait une académie flamande annexée à l'Académie de Bruxelles et que la langue flamande jouisse, à l'université de Gand, des mêmes prérogatives que la langue française.»

« Même demande de plusieurs habitants de Nieuport, Gheel, Anvers et des conseils communaux de Nylen, Merxplas et Bevel. »

- Même renvoi.


« Les huissiers audienciers près le tribunal de première instance de Courtray demandent une loi qui leur assure un traitement pour leur service intérieur du tribunal, notamment en matière de police correctionnelle.»

« Même demande des huissiers audienciers près le tribunal de première instance de Verviers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs administrations communales dans la province de Liège prient la chambre de changer l'organisation des dépôts de mendicité. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport, sur la proposition de M. Rodenbach, qui est d'avis que la loi est détestable, et qu'elle devra être changée.


« Plusieurs pharmaciens dans les arrondissements de Courtray, Roulers et Thielt présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire qui permet aux médecins et maréchaux vétérinaires de fournir des médicaments.»

« Mêmes observations de plusieurs pharmaciens à Hasselt. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


Par dépêche du 24 février, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires des volumes sur le mouvement de l'état civil dans le royaume pendant les années 1847 et 1848. »

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.


Il est fait hommage à la chambre par M. F. Hennebert, professeur à l'athénée de Tournay, directeur du Moniteur de l'Enseignement, de 110 exemplaires d'un travail ayant pour titre : «Un mot sur la réorganisation de l'enseignement primaire et moyen. »

- Même décision.


Par dépêche du 25 février, Ia direction de la Société Générale adresse à la chambre 112 exemplaires de son rapport aux actionnaires sur les opérations de la Société pendant l'année 1849 et sur le bilan arrêté au 31 décembre dernier. »

- Même décision.

M. de Denterghem. - Je demande qu'il soit fait rapport sur la demande de naturalisation ordinaire adressée, depuis plus d'un an, à la chambre par le capitaine Galesloot, du 1er régiment de cuirassiers.

M. Destriveaux, président de la commission des naturalisations. - Le rapport est prêt; il sera déposé cette semaine.

Projet de loi augmentant la contribution foncière

Discussion générale

M. Cans. - Je n'ai pas l'intention de prendre la parole dans la discussion. Mais je viens faire remarquer que la discussion n'a pu être close, puisque le vote qui a suivi immédiatement, la clôture a démontré que la chambre n'était pas en nombre. Si la chambre n'était pas en nombre pour voter, elle n'était pas en nombre pour prononcer la clôture.

M. le président. - D'après le procès-verbal qui vient d'être adopté, la discussion a été close. On a procédé au vote, et l'appel nominal a constaté que la chambre n'était plus en nombre.

M. Rodenbach. - Evidemment, on n'a pu prononcer la clôture, puisqu'on n'était pas en nombre. Je demande que la discussion continue.

M. Delehaye. - Comme vient de le dire M. le président, la discussion générale a été close, et je tiens, quoi qu'en ait dit l'honorable député de Bruxelles, qu'elle a été légalement close. La chambre doit respecter ses décisions. Si elle cessait de les respecter, il pourrait en résulter de graves inconvénients.

Lorsqu'une résolution a été prise en vertu du règlement, il ne faut pas qu'elle puisse plus tard être annulée. La chambre peut, au reste, repousser une décision antérieure et en prendre une autre. Ainsi, elle peut rouvrir la discussion. Mais je l'engage à respecter la décision qui a été prise samedi ; car, messieurs, une décision contraire pourrait avoir de graves inconvénients.

- Un membre. - La chambre n'était pas en nombre.

M. Delehaye. - Certainement elle était en nombre, du moins le contraire n'a-t-il pas été constaté. Si le bureau avait eu la conviction que la chambre n'était pas en nombre, ou si un membre l'avait pensé et qu'il en eût fait l'observation, on n'aurait pas clos la discussion sans vérifier le fait. Mais personne n'a réclamé; on a admis la décision et l’on ne s'est aperçu qu'on n'était pas en nombre que lorsque l'appel nominal a eu lieu.

Ainsi, je crois que le respect est dû à ce vote et qu'on ne peut rentrer dans la discussion qu'en vertu d'une décision nouvelle.

- La chambre, consultée, décide que la discussion ne sera pas rouverte.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

79 membres répondent à l'appel nominal ;

26 votent l'adoption ;

48 votent le rejet ;

5 s'abstiennent.

En conséquence le projet n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption :

MM. Lange, Loos, Mascart, Orts, Prévinaire, Rogier, Sinave, Thiéfry, Toussaint, Van Cleemputte, Veydt, Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Cumont, H. de Baillet, de Haerne, Delescluse, De Pouhon, Dequesne, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, Frère-Orban et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Le Hon, Lelièvre, Manilius, Moncheur, Moreau, Peers, Rodenbach, Rousselle, Schumacher, Tesch, Thibaut, Tremouroux, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Ansiau, Christiaens, Cools, Coomans, David, de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, Delehaye, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, A. Dumon, Jacques, Jouret, Julliot.

Se sont abstenus : MM. le Bailly de Tilleghem, Mercier, Moxhon, Pierre et de Mérode.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. le Bailly de Tilleghem. - Je me suis abstenu parce que je n'ai pu prendre part à la discussion.

M. Mercier. - Je n'ai pas voté contre le projet parce que je connais les besoins du trésor; mais il m'a été impossible de sanctionner le principe que le projet consacre.

M. Moxhon. - Je me suis abstenu parce que je n'ai pas été présent à la discussion.

M. Pierre. — Messieurs, en présence de l'état de gêne dans lequel se trouve le trésor, je n'ai pas voulu, en votant contre, le priver de cette nouvelle ressource, d'autant plus qu'elle sera, pour ainsi dire, imperceptible pour le contribuable et qu'elle ne pèsera sur lui que par minimes fractions. Je n'ai pu voter pour, parce que j'ai voulu rester conséquent avec la déclaration formelle que j'ai faite lors de la discussion de l'adresse. J'ai dit que je ne voterais aucune aggravation d'impôt : la loi soumise au vote en constitue évidemment une, quoique très faible et n'atteignant le contribuable en quelque sorte que d'une manière indirecte.

M. de Mérode. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Mercier.

Projet de loi modifiant les limites communales entre Scy et Mohiville

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) présente un projet de loi ayant pour objet de distraire une partie du territoire de la commune de Scy, pour la réunir à la commune de Mohiville.

(page 794) - La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoi à l'examen d'une commission qui sera nommée par le bureau.

Projet de loi établissant une banque nationale

Discussion générale

M. De Pouhon. - L'érection d'une banque régulière se présente comme le complément des institutions que la Belgique réclamait depuis le moment où elle recouvra son indépendance. Comment il a fallu dix-neuf ans pour arriver à la réalisation de ce projet, je l'ai dit alors que c'était utile pour la provoquer; j'ai signalé les obstacles qu'elle rencontrait, j'ai essayé de démontrer la nécessité de les vaincre. Je ne rappellerai pas les abus, les fautes et les dangers qui se sont révélés. Une revue rétrospective serait superflue, des récriminations oiseuses. Je les éviterai autant que possible.

Nous avons une tâche plus agréable, mais très délicate à remplir, messieurs ; c'est de régler les conditions d'existence de la banque dont le projet nous est soumis, de tracer sa marche de telle sorte qu'elle réalise le plus d'utilité possible pour les intérêts généraux du pays, sans qu'elle soit exposée à devoir cesser ou ralentir son action bienfaisante dans les temps de crises politiques on financières.

Commençons par bien nous rendre compte de la mission attribuée à la Banque Nationale, des services qu'elle est appelée à rendre.

Je vous dirai tout d'abord, messieurs, que si vous voulez faire produire à l'institution le bien le plus développé et le plus durable, vous devez vous garder d'élargir le cercle d'opérations qui est tracé dans le projet de loi. Ces limites, quelque restreintes qu'elles soient, présenteraient encore du danger si l'administration de l'établissement ne se pénétrait pas de la nécessité de s'y mouvoir avec beaucoup de circonspection en ce qui sort des escomptes. J'aurai l'occasion de vous le démontrer.

La mission de la Banque Nationale sera de seconder, d'appuyer tous les intérêts du pays en escomptant à des taux modérés les règlements d'affaires consommées, qu'ils soient le produit d'opérations de l'agriculture, de l'industrie ou du commerce. Libre de tout intérêt spécial, elle sera impartiale, bienveillante envers toutes les branches du travail national.

Réalisant l'unité nécessaire dans l'émission de billets, la banque pourra, par ses agences, pondérer et régler la circulation monétaire du royaume.

Attirant à elle, au moyen de ses billets et de ses comptes courants, par la sécurité plus grande qu'elle leur offrira, les capitaux disséminés et reposant sans utilité dans les caisses particulières, elle leur donnera une force de cohésion qui permettra de pourvoir aux besoins de certaine importance que réclament parfois les opérations de banque et de commerce, besoins temporaires qui, dès qu'ils s'élevaient à quelques millions, ne pouvaient être satisfaits sans le recours à des maisons étrangères.

Par des prêts sur fonds de l'Etat, la Banque Nationale présentera encore de grandes facilités au public. Mais c'est surtout dans cette branche de ses opérations qu'elle devra apporter une prudence intelligente, non pas que ces avances sur fonds publics solides exposent à des pertes aux conditions où elles se font habituellement, mais parce qu'elles ne peuvent être considérées comme offrant des rentrées aussi certaines que les lettres de change. Dans des moments de crises politiques ou financières, les banques ne peuvent rigoureusement exiger des remboursements sans contrevenir à l'esprit qui a présidé à leur érection et à la concession de-leur octroi.

D'ailleurs, si la Banque Nationale qui aura pour mission d'aider et de faciliter le mouvement régulier des affaires en général, doit éviter de les surexciter, à plus forte raison s'interdira-t-elle sans doute d'encourager les spéculations en fonds publics.

Je suis d'avis que pour ne pas dépasser la mesure de l'utilité des prêts sur fonds de l'Etat, la Banque Nationale devra se borner aux rentiers qui se trouvant dans le cas d'éprouver un besoin temporaire d'argent désirent conserver la nature de leur placement ou, si le besoin est définitif, attendre une occurrence favorable pour le réaliser; et aux maisons qui, traitant les arbitrages avec les places étrangères ou faisant le commerce régulier des fonds publics, éprouvent temporairement le besoin d'avances.

L'importance de ces prêts doit rester dans la mesure des moyens que les emprunteurs sont censés avoir de rembourser en toutes circonstances.

Il est un autre genre de prêts sur fonds nationaux par lesquels la banque pourra rendre des services précieux. Ce sont des avances en compte courant. Au moyen d'un dépôt permanent de fonds belges, dépôt régularisé par contrat, la banque ouvre un crédit d'une somme convenue. Le déposant dispose de ce crédit au fur et à mesure de ses besoins, il verse l'argent qui lui rentre, sauf à en disposer de nouveau, il ne paye d'intérêt que sur les sommes et pour le temps dont il a joui des avances.

Ces comptes courants conviennent au banquier comme au négociant, au fabricant, au notaire, aux entrepreneurs quelconques, car ils les dispensent de tenir une caisse abondamment garnie pour parer aux payements imprévus et il résulte, pour ceux qui en font usage, une grande économie d'intérêts.

Rien n'empêche que ces comptes courants soient ouverts en provinces chez les agents de la banque.

Voila quelle est, dans mon opinion, la mesure des services que la Banque Nationale est appelée à rendre au public.

Des voix s'élèvent déjà pour réclamer des extensions d'attributions. La chambre de commerce d'Anvers, qui d'habitude éclaire de si vives lumières les questions sur lesquelles elle donne ses avis, demande que l'institution nouvelle fasse des avances sur warrants et sur marchandises en cours de voyage. Vous résisterez à cette idée, messieurs ; vous ne voudrez pas secouer le fardeau des banques industrielles pour inaugurer une banque commerciale. L'action de la nouvelle banque sera générale, elle s'étendra sur tous les intérêts du pays et sur aucun plus spécialement que sur d'autres. C'est ainsi qu'elle produira la plus grande somme d'utilité.

Vous allez voir, messieurs, combien cette action sera bienfaisante quoique exercée d'une manière indirecte.

Le premier effet de l'établissement de la Banque Nationale sera de faire baisser les taux d'escompte dans le pays. Je me rappelle que cet effet fut immédiat lors de l'établissement de la Société Générale, en 1823.

La Banque attirant à elle, par un taux d'escompte modéré, les effets de commerce qui sont à présent escomptés par des capitalistes particuliers, ceux-ci sont forcés de chercher d'autres placements. Les avances sur warrants se présentent à eux comme le placement le plus solide et le plus commode. De celui-là, ils arriveront à d'autres, à des avances sur marchandises en cours de voyage; ils seront insensiblement amenés à prendre intérêt dans des entreprises utiles.

Ainsi, en refoulant les capitaux privés dans des placements qui profiteront à l'agriculture, au commerce et à l'industrie, la Banque Nationale aura servi, quoique indirectement, ces grands intérêts.

Oublierait-on, d'ailleurs, qu'en obtenant des deux grands établissements existants leur renonciation à la branche des escomptes, la Banque Nationale leur laisse le champ libre pour toutes autres opérations? Elle leur offre même la coopération, dans certaines limites, de ses agences en province. Ces établissements pourront trouver leurs convenances dans des prêts sur warrants, sur navires et marchandises en cours de voyage, dans l'ouverture de crédits à l'étranger.

En dehors du cercle tracé aux opérations de la Banque Nationale, le pays présente à des établissements indépendants et dirigés avec une prudence intelligente, des éléments d'affaires bien plus productives que celles d'escomptes de lettres de change.

Des provinces, des villes, des entreprises de chemins de fer du pays, ont des emprunts à faire avec de bonnes sécurités. Un établissement financier qui les entreprendrait pourrait replacer les titres dans le public avec bénéfices. La Banque Nationale leur viendrait en aide par l'escompte de leurs valeurs de portefeuille, par des avancées sur fonds nationaux. Il m'arrive souvent de voir des opérations qui se présentent avec les meilleures conditions de solidité et de profit, et qui me sembleraient devoir convenir à des sociétés financières.

Les services directs que la Banque Nationale est destinée à rendre à l'Etat seront également d'autant plus précieux, qu'ils se renfermeront dans des bornes modérées.

Par elle, le gouvernement sera affranchi de ces négociations laborieuses qui n'ont pas toujours été sans humiliation pour le pays, et qui ne tendaient qu'à obtenir le placement de quelques millions en bons du trésor.

Les opérations financières que l'Etat a principalement en perspective, ce sont les réductions successives des intérêts de sa dette constituée. Eh bien, messieurs, dès que les circonstances s'y prêteront, les conversions ne présenteront plus de difficultés étayées qu'elles seront par l'institution financière dont nous avons à consacrer l'érection.

Suivant l'article 16, la Banque Nationale peut être autorisée par le gouvernement à acquérir des fonds publics.

Je proposerai de donner à ces acquisitions la limite du fonds social versé

Dans cette limite même, la faculté sera exorbitante aussi longtemps que l'avance de 20 millions à un autre établissement ne sera pas rentrée. Jusque-là le capital social devra suppléer à l'immobilisation des 20millions ou de partie de cette somme.

J'admettrai que, dans des circonstances normales, la Banque s'intéresse pour une somme importante, toujours dans la limite de son capital social, à des opérations financières du gouvernement. Mais il sera désirable pour elle comme pour la chose publique, qu'elle réalise sa participation dès que le but sera atteint et qu'elle le pourra convenablement. Elle se remettra ainsi en position de rendre de nouveaux services à l'Etat.

Messieurs, si vous ne saviez déjà ce que peut une institution qui répond à des besoins réels, ne trouveriez-vous pas merveilleuse l'action bienfaisante que vous promet la Banque Nationale, quoique organisée dans des proportions que l'on considère comme mesquines, ce qui ne l'empêchera pas de devenir imposante si elle est dirigée avec sagesse.

Je viens de vous dire comment elle servira de point d'appui à tous les intérêts, à ceux du commerce, de l'industrie, de l'agriculture. Je vous ai signalé les occasions où elle sera d'une grande utilité directe à l'Etat.

Lorsque je contemple ces avantages, quand je considère le service que la Banque Nationale rendra à sa naissance en retirant le papier-monnaie de la circulation, en soustrayant la caisse de l'Etat d'un établissement (page 795) dominé par des engagements et des intérêts qui pourraient devenir périlleux pour le pays en cas de guerre ; je vous avoue, messieurs, que je n'aurais pas hésité à immoler, si cela avait été nécessaire, les établissements financiers existants à un but aussi culminant. J'ai déjà eu cependant l'occasion de vous montrer le respect que professe pour les intérêts légitimes préexistants.

Nous n'avons heureusement pas de sacrifices à imposer à aucun des deux établissements que la Banque Nationale remplacera dans certaines attributions; au contraire, ils concourent eux-mêmes à son édification et la compensation qui leur est accordée a été accueillie avec faveur par les intéressés.

Devant un pareil résultat, je ne puis m'empêcher d'adresser mes félicitations à M. le ministre des finances; j'apprécie trop l'importance du fait pour que je ne dise pas que son auteur aura bien mérité du pays.

C'est du point de vue des faits existants que nous devons juger la combinaison et le projet de loi qui sont soumis à notre examen. Ils ne nous auraient pas satisfait, il n'auraient pas été arrêtés par le gouvernement lui-même, s'il n'y avait eu des droits acquis, de grands et nombreux intérêts à ménager.

J'admets donc les bases du projet de loi et les conventions passées avec la Banque de Belgique et la Société Générale. Je tairai ce que ces arrangements laissent à désirer, persuadé que je suis, qu'il n'a pas été impossible d'obtenir mieux. Je me bornerai à vous présenter quelques considérations se rattachant à des dispositions de détail.

Le projet de loi renvoie aux statuts des dispositions importantes ; il attribue au gouvernement des facultés qui ne te sont pas moins.

J'engagerai M. le ministre des finances à ne pas perdre de vue, dans la rédaction des statuts, que s'il est utile de consacrer des dispositions préventives contre une trop grande extension d'affaires et contre toute déviation des règles; il n'est pas moins nécessaire de limiter l'action du gouvernement sur la banque; car si, dans des temps de crise, les statuts autorisaient à croire, à soupçonner même, que le gouvernement pourrait peser assez sur l'établissement pour en obtenir non seulement par contrainte, mais par une persuasion trop facile, des sommes dépassant certaine mesure, sous forme d'emprunt ou autre, la confiance se retirerait de la banque qui se trouverait ainsi réduite à l'impuissance d'être utile à l'Etat, au commerce et aux industries dans des circonstances où ses services seraient le plus impérieusement réclamés.

Il est donc indispensable que la faculté que l'article 24 confère au gouvernement de s'opposer à l'exécution de toute mesure qui serait contraire soit à la loi, soit aux statuts, soit aux intérêts de l'Etat, constitue tout le pouvoir que le gouvernement ait à exercer, sans que jamais il puisse entraîner la banque dans des opérations qu'elle jugerait inopportunes ou imprudentes.

C'est dans cet esprit que je demande à renfermer dans la limite du capital social les acquisitions de fonds publics que le gouvernement peut autoriser. Sans cette précaution, les détracteurs de la banque pourraient dire dès maintenant, et les ennemis de l'ordre plus tard, que les fonds dus au crédit de l'institution passeraient au service de l'Etat. Ils auraient une raison à alléguer : C'est que le gouvernement, aujourd'hui préoccupé du soin d'assurer des garanties au public, pourrait, dans une circonstance donnée, être dominé par ses propres besoins et faire passer l'intérêt de l'Etat au-dessus du salut de la banque.

Cette démarcation entre les pouvoirs du gouvernement et de la banque, me parait avoir été assez bien observée dans le projet de loi, mais il est essentiel que les statuts ne l'enfreignent pas.

Je me permettrai aussi de faire une recommandation au sujet des comptoirs à établir dans les provinces; c'est de rester dans les termes de l'article 2 du projet de loi et de ne pas tracer dans les statuts des règles fixes pour la formation de ces agences.

Les besoins sont différents dans les diverses localités, leur importance l'est bien davantage. Qu'importe le mode d'y pourvoir? L'essentiel c'est que tous les besoins soient satisfaits par la banque dans la mesure de ses attributions.

Elle devra avoir une succursale, soit un comptoir fortement organisé à Anvers. C'est là que s'opère le plus grand mouvement d'affaires, c'est là que se résument particulièrement les transactions de la Belgique avec les pays étrangers. Le service du caissier de l'Etat et le commerce des matières d'or et d'argent entraînent a beaucoup de négociations en changes, Anvers est encore le siège principal de cette branche d'affaires. C'est, de toute nécessité, l'équivalent d'une succursale de la banque qu'il faut sur cette place.

Je suppose que la banque de Flandre remplira à Gand l'office de comptoir de la Banque nationale.

Il y a à Liège des maisons de banque, toutes solides et riches, qui peuvent escompter comme la Banque nationale. N'étant pas astreintes aux mêmes règles, elles peuvent mieux se prêter aux convenances du commerce, et elles laisseront peu à faire sur cette place à la nouvelle banque.

On voit par ces trois exemples, que les statuts ne pourraient établir de règles uniformes et invariables pour l'organisation des comptoirs.

Dans les localités de moindre importance, il sera encore plus indispensable d'approprier les agences de la banque à la nature des besoins et aux usages locaux.

En beaucoup d'endroits, les industriels préféreront adresser soit directement, soit par l'entremise des agences, leurs bordereaux d'escompte au siège principal de la banque plutôt que de faire passer leur papier au creuset d'un comité d'escompte composé de leurs concurrents à qui il feraient ainsi connaître leurs relations.

Ailleurs, où le choix des hommes propres à composer un comité d'escompte serait très restreint, on serait exposé à confier ce mandat à des personnes qui exploiteraient la banque à leur profit.

Il arrivera souvent que la banque, si elle est libre à cet égard, préférera s'entendre avec des agents très-solides pour qu'ils prennent le papier à leurs risques et le lui remettent avec leur endossement personnel moyennant une différence en leur faveur sur le taux d'escompte.

Il y a beaucoup d'autres raisons pour que le gouvernement laisse à la Banque nationale le soin d'approprier le mode d'organisation des moyens par lesquels elle fera répandre dans l'intérieur du royaume les avantages qu'elle est appelée à offrir pour l'escompte à son siège même.

Ainsi donc, point de réglementation des comptoirs dans les statuts.

J'aurais désiré, messieurs, de n'avoir que des éloges à donner au projet de loi qui en mérite tant dans son ensemble. Mais il est une disposition qui le dépare, que je ne puis admettre et dont l'effet, j'en suis convaincu, serait défavorable à l’établissement que nous voulons solidement élever, en le présentant au crédit public comme invulnérable dans ses bases premières. C'est pénétré de cette impérieuse nécessité, que je me propose de vous soumettre un amendement au deuxième paragraphe de l'article 26. Les développements de cette modification trouveront mieux leur place lorsque nous aurons à examiner cet article.

M. Cools. - Je dois commencer par demander pardon à la chambre si je l'entretiens aujourd'hui plus longtemps que je n'ai habitude de le faire; mais mon sujet m'y oblige. Je me propose de traiter la question sous le rapport des services que la banque pourra rendre à l'Etat pendant la période de transition dans laquelle nous allons entrer, en temps ordinaire et à l'approche de quelque grand danger.

Les événements de 1848 sont venus peser sur la Belgique comme ils ont pesé sur la plupart des pays de l'Europe. Dans le courant d'une seule année, nous avons dû passer par l'épreuve successive de deux emprunts forcés.

Aujourd'hui, que l’horizon se rassérène, nous nous apercevons que ces mêmes événements nous ont au moins procuré une compensation.

C'est bien la crise de 1848 qui nous a fait une position nouvelle et inespérée, la seule qui pût nous permettre de nous occuper aussi promptement de la réorganisation de nos grands établissements de crédit.

On savait depuis longtemps que le système établi était vicieux. On le disait même tout haut, et cependant, intérieurement, nous pouvons l'avouer aujourd'hui, on se persuadait qu'il serait excessivement difficile, si pas impossible, d'en sortir, à moins de vouloir imprimer une secousse brusque et fatale au commerce et à l'industrie tout entiers, comme on aurait sans doute eu soin de nous le faire remarquer au dernier moment.

Aucune issue ne venant à s'offrir, il ne nous serait reste qu'un parti à prendre, c'était de conserver ce même système, malgré nos répugnances, sauf à faire seulement disparaître les défauts les plus saillants.

On a bien raison de le dire, les temps de pénible épreuve ne sont pas perdus. Ceux que nous venons de traverser ont dissipé bien des illusions, désarmé bien des résistances. Ils ont mis à nu l'état de décrépitude du premier établissement financier du pays, en forçant le gouvernement et les chambres à décréter la création, sous la garantie de l'Etat, de 30 millions de ressources nouvelles, applicables à des intérêts privés, dans un moment où les caisses publiques étaient complètement dégarnies, ils ont éclairé le sentiment national sur la nécessite d'une réforme radicale du crédit.

Plus tard, lorsque ce sacrifice a été consommé, ils ont fait naître dans la partie éclairée du public une impatience salutaire de voir la circulation des monnaies reprendre au plus tôt son cours normal.

Si donc nous pouvons aujourd'hui remanier le système établi jusque dans sa base, rendons-en grâce d'abord à la fatalité des événements.

Mais cependant reportons aussi, pour être justes, une partie de notre reconnaissance sur le gouvernement et surtout sur M. le ministre des finances. N'oublions pas que nous devions seulement nous attendre à la présentation d'un projet réglant le service du caissier de l'Etat, et déjà nous sommes saisis d'une loi générale sur les banques.

De nombreux obstacles ont dû être aplanis, avant et pendant les négociations qui l'ont préparé; des difficultés sérieuses ont dû être vaincues pour faire aboutir ces négociations aussi promptement. Et si tout concourt à nous prouver que les circonstances ont fait la bonne moitié de l'ouvrage, il est juste aussi de reconnaître qu'il ne fallait rien moins qu'une volonté aussi intelligente et aussi énergique que celle de l'honorable M. Frère, pour pouvoir l'achever.

Lorsque j'ai quelquefois pris la parole dans d'autres circonstances, mes critiques, en se portant vers le département des finances plus souvent que vers tout autre, n'ont fait que suivre une sorte de pente naturelle, mes études habituelles étant principalement dirigées vers ces matières; cette fois je me trouve doublement heureux, et comme mandataire de la nation et comme homme privé, de pouvoir imprimer la même direction à mes éloges. Je viens donc féliciter publiquement M. le ministre des finances d'avoir su terminer une question bien importante, aussi heureusement que les circonstances le permettaient.

L'opération par laquelle toute banque nouvelle devait nécessairement (page 796) débuter, celle par conséquent, qui doit aussi attirer la première notre attention, c'est la conversion des billets anciens en billets nouveaux.

Permettez-moi, messieurs, d'examiner, avec vous si le gouvernement a bien réglé les conditions de cette opération, s'il en a suffisamment calculé les chances probables. Sous ce rapport, j'ai quelques doutes que je désire soumettre à la chambre.

A partir de l'installation de la nouvelle banque, tout le papier qui est aujourd'hui en circulation sera amorti, à l'exception d'une somme de 20 millions des billets de la Société Générale. Le gouvernement nous l'assure, et je n'ai aucun motif d'en douter.

Au fur et à mesure que les billets faisant partie de ces 20 millions sortiront de la circulation, ils seront renfermés dans les coffres de la Banque nationale, et remplacés par des billets convertibles. Si tout devait se borner à des opérations aussi simples, je n'aurais aucune observation à faire. Le gouvernement croit que les billets anciens disparaîtront assez lentement. Moi, je crois que du moment que les billets nouveaux se montreront, les anciens disparaîtront promptement. Sous ce rapport, j'e suis donc encore plus rassuré que le gouvernement.

Mais après cette première période de la rentrée des billets, il en viendra une deuxième : c'est celle-là qui me préoccupe. Je crains qu'après qu'on aura fait rentrer les derniers billets à cours forcé dans les coffres 4e la Banque Nationale, on ne soit dans l'obligation de les en faire sortir -sde nouveau dans un délai assez rapproché.

Ne craignez rien, dit le gouvernement, les billets qui à l'avenir seront jetés dans la circulation seront des billets convertibles; or la situation de la Belgique comporte au moins un chiffré de 20 millions.

Il faudrait donc que la circulation descendît au-dessous de ce chiffre de 20 millions pour qu'on dût avoir recours à la réserve qu'on va renfermer dans les coffres de la nouvelle banque ; il faudrait des événements extraordinaires, des événements en dehors de toutes les prévisions, pour que cette éventualité se réalisât. De ces explications que nous lisons dans 'exposé des motifs, il semble d'abord résulter ceci : c'est qu'aussi longtemps que le dernier billet de la Société Générale n'aura pas été amorti, on ne permettra pas à la banque nouvelle d'étendre la circulation de ses billets à plus de 20 millions au-delà de son encaisse métallique. Cela n'est dit nulle part en toutes lettres, mais c'est la conséquence où l'on est nécessairement conduit. Il serait bon cependant que l'on donnât quelques explications, d'autant plus que mon opinion s'éloigne de l'interprétation que je trouve dans le rapport de la section centrale.

Mais laissons de côté cette question et voyons s'il faudrait que des événements extraordinaires surgissent pour que l'éventualité prévue se réalisât. Peut-on dire avec une certaine assurance que la circulation du pays comporte au moins le chiffre de 20 millions, non pas en temps ordinaire, je l'admets sans peine, mais à un moment donné, dans quelque temps, quand aura cessé la crise que nous traversons?

Nous avons pour nous guider la circulation antérieure à cette crise, qui était aux environs de ce chiffre de 20 millions. On suppose avec raison, selon moi, que la circulation sera à l'avenir plus forte; le cours forcé, qui a fait connaître les billets de banque jusque dans les coins les plus reculés du pays, y aura puissamment aidé. J'avoue que c'est un peu là ce qui me rassure.

Mais on ne doit pas oublier une chose : c'est que la circulation est en ce moment très forte et que, précisément parce qu'elle est très forte, il est, je ne dis pas certain, mais probable, qu'elle descendra, dans quelque temps, assez bas pour se relever lentement ensuite, par un effet de la loi presque immuable de la nature, qui veut que toute action soit suivie de réaction.

Beaucoup de personnes pensent que le cours forcé est la cause unique du grand nombre de billets en circulation. C'est là une opinion erronée. En France, où le cours forcé existe également, où la circulation avait même été poussée plus loin qu'en Belgique, toutes proportions gardées, le commerce a demandé dans ces derniers temps, qu'on en étendît encore les limites, et le commerce pouvait le demander. Il ne doit pas porter ses regards aussi loin que le gouvernement.

Dans tous les pays sur lesquels les événements de 1848 ont exercé une certaine influence, la circulation est forte, et elle serait forte, même sans le cours forcé, parce que le crédit n'a pas encore repris tout son empire, parce que beaucoup de transactions se font au comptant, parce que la masse de ces transactions est concentrée dans l'étendue territoriale de chaque Etat. Mais un grand changement se prépare pour le moment où la confiance sera tout à fait rétablie. Une seule traite de 100 fr. passant par quatre ou cinq mains, pourra remplacer dans la circulation quatre ou cinq billets de banque de 100 fr. Les fabriques de Gand, de Liège, de Tournay qui complètent en ce moment l'approvisionnement du pays, recommenceront à travailler pour l'étranger, et chacun sait que les transactions qui passent la frontière amènent une liquidation lente et absorbent une quantité insignifiante de papier, surtout au type du pays qui livre ses produits.

Je ne puis pas m'arrêter sur ce point. Je dois présenter ces considérations rapidement et d'une manière sommaire. Je crois en avoir dit assez pour faire comprendre les inquiétudes que m'inspirent les fluctuations auxquelles il faut s'attendre dans la circulation des billets, pendant la période de transition dans laquelle nous allons entrer, sans qu'il survienne aucun événement extraordinaire. Je ne veux pas prédire que la circulation descendra nécessairement au-dessous du chiffre de 20,000,000, je me borne à signaler un danger possible, à montrer un écueil qui pourra se présenter sur notre roule, si le vent nous y pousse.

C'est pour ne pas s'y heurter que la banque s'allégerait au besoin des billets anciens qu'elle va renfermer dans ses coffres et qu'elle verserait de nouveau ces billets dans la circulation. Le gouvernement désire à tout événement être armé du pouvoir de lui en accorder l'autorisation.

Je veux le déclarer tout d'abord : Je suis prêt à accorder ce pouvoir au gouvernement, mais pour une seule raison, c'est que je ne suis réellement pas libre de le lui refuser.

Une considération que nous ne pouvons perdre de vue un seul instant, en examinant le projet de loi, dans son ensemble et dans ses détails c'est que le système que nous allons ériger doit s'adapter jusqu'à un certain point à celui qu'il est appelé à remplacer. Il faut bien tirer parti de quelques débris que des fautes déjà anciennes ont fini par répandre devant nous. Si le sol était plus uni, si nous pouvions adopter toute espèce de plan, je n'accepterais pas aussi facilement celui qui nous est proposé; je vous constituerais juges de la question de savoir si on ne pourrait pas adopter un système de banques qui réponde mieux aux besoins de la Belgique; car pour le dire ici en passant, je suis loin d'être un admirateur enthousiaste des banques centrales, étendant des ramifications sur tout le pays. Je préfère le système américain, un certain nombre de banques de médiocre importance, indépendantes les unes des autres, comme le seraient chez nous des banques pour chacun des grands centres industriels, mais qui se relieraient entre elles par une mutualité librement acceptée. Ce plan a été développé par M. Noiron, auteur français.

Mais passons sur ce point. A l'égard du système, nous n'avons pas notre libre-arbitre. Une banque unique d'une certaine importance pouvait seule se prêter à la transformation des banques anciennes; il fallait donc s'y arrêter. Je reconnais du reste bien volontiers que les proportions qu'on donne à la banque projetée ne sont pas de nature à effaroucher grandement des adversaires même plus prononcés que moi de la centralisation en fait de banques.

Ce même motif, la nécessité de tenir compte des faits existants; nous oblige à accepter comme valeurs éventuellement réalisables, les billets anciens qu'on va renforcer dans les coffres de la banque nouvelle; aussi longtemps que ces billets n'auront pas été éteints, ils constitueront en réalité une partie de l'encaisse de cette banque. On ne pourrait donc lui interdire de s'en servir, si la nécessité s'en faisait bien sentir. On ne le pourrait que dans un seul cas, celui où on parviendrait, au moment critique, à ajouter à son encaisse métallique des valeurs nouvelles se prêtant à faire pendant quelque temps le service qu'on veut réclamer de ces billets anciens.

J'espère bien que le gouvernement songera dès à présent à ce dernier moyen et que, même dans l'éventualité prévue, il ne se décidera qu'à la dernière extrémité à faire usage des pouvoirs que nous lui accordons.

Le moment sera déjà venu d'examiner s'il ne conviendrait pas que l'administration de la banque décrétât le versement des quatre derniers dixièmes sur chaque action. Si la situation de l’escompte, les proportions dans lesquelles il continuerait à se renfermer, ne permettaient pas d'avoir recours à ce moyen, il faudrait en chercher un autre.

Pour ma part et tout en prévoyant que cette opinion ne trouvera pas beaucoup d'écho dans cette enceinte, je ne serais pas éloigné d'accorder une avance à court terme à la banque, si le gouvernement venait m'en faire la proposition, tant est grande ma répugnance à voir les billets à cours forcé rentrer dans la circulation. J'attache un prix extrême à ce que le régime du papier-monnaie, sous lequel nous vivons, ne se prolonge pas un jour de plus qu'il ne sera rigoureusement nécessaire.

Si nous voulons que la Banque Nationale rende un jour des services à l'Etat, une commotion politique ou tout autre événement de cette gravité venant à surgir, il faut de toute nécessité revenir à un régime de liberté complète, et effacer jusqu'au souvenir du cours forcé.

Cette nécessité sera mieux comprise, lorsque j'aurai indiqué les services que nous pouvons attendre de la banque et les conditions auxquelles ces services seront rendus.

S'occuper des époques de crise, c'est agiter une question d'actualité. On peut aujourd'hui demander que les gouvernements s'y préparent. C'était à peine permis, il y a quelques années.

Jamais ni des banques, ni toutes les ressources du crédit ne suffiront pour fournir à des puissances de deuxième ou de troisième ordre, comme nous, les moyens de traverser sans déchoir ces jours d'épreuves décisives, ces temps marqués par la Providence où des luttes intestines ou internationales viennent mettre en question l'existence même de l'Etat. Il faut encore autre chose que cela; il leur faut avant tout une bonne situation financière, offrant des excédants notables, laissant même disponible une réserve d'une assez grande importance.

Je me doute qu'en me déclarant ainsi partisan des réserves, comme je l'ai déjà fait en d'autres circonstances, j'entendrai encore dire autour de moi: Des fonds retirés de la circulation? Des richesses enfouies? Quelles hérésies économiques! Laissez l'argent librement circuler dans le corps social; vous l'y retrouverez p'us tard. Ainsi, il sera fécond; tandis que dans vos coffres il serait stérile. Voilà bien le langage que certaines personnes nous tenaient avant les derniers événements. Elles n'oubliaient qu'une chose, bien petite à la vérité, c'était de donner la recette pour faire sortir l'argent du corps social, quand on en a besoin, lorsque le danger éclate.

(page 797) Nous avons appris à connaître les crises. Il nous en est arrivé une, qui heureusement a été faible; nous n'avions rien moins devant nous qu'une réserve pour en affronter le choc. Deux fois, nous avons dû recourir à l'emprunt forcé, comme je l'ai rappelé au commencement de mon discours. Et savez-vous combien de temps il a fallu pour que le produit de ces deux emprunts rentrât dans les caisses de l'Etat? Quatorze mois, pas moins que cela. Ce temps est plus que suffisant, nous le savons aujourd'hui, pour voir se succéder dans un pays deux ou trois révolutions et autant de guerres.

De tous les pays (je n'excepte pas les plus puissants) qui ont eu, dans ces derniers temps, des combats à livrer soit dans les rues, soit en rase campagne, il n'y en a que deux qui ont pu faire face aux événements, sans avoir leurs finances en désarroi. Ce sont précisément ceux qui avaient une réserve : le Piémont et la Prusse.

Le Piémont est en ce moment lancé dans des opérations d'emprunt, mais ces emprunts sont presque exclusivement destinés à acquitter la rançon de sa défaite. Le Piémont n'a pas eu besoin d'emprunt pour pourvoir aux frais de ses propres armements. Avant d'entrer en guerre, il avait une réserve qui ne s'élevait pas à moins de 72 millions de francs.

Quoique je craigne bien que la prévoyance, en matière de finances, ne nous fasse encore longtemps défaut, je dirai cependant: Prenez conseil du Piémont et sachez comme lui, aux époques de prospérité, vous ménager des ressources pour les temps difficiles. Gardez-vous bien surtout, en combinant vos moyens, de placer une confiance trop grande dans le parti que vous espérez tirer du crédit; car, ne le perdez pas de vue, son pouvoir n'est pas illimité.

Mais n'exagérons pas. Non, sans doute, le crédit ne peut pas tout. Il peut néanmoins beaucoup; il peut même, dans les plus mauvais moments, créer des richesses précieuses dans une certaine mesure. Il le peut pour nous comme pour tout autre, et si nous sommes prudents, la banque nationale saura y aider.

On fait des calculs sans fin sur la quantité de papier qu'un pays peut supporter. Le meilleur parti à prendre en temps ordinaire pour ne pas lui en imposer une quantité trop forte, c'est de ne pas lui en imposer du tout. Mais, quel que soit le chiffre que les besoins d'un pays comportent, lorsque ce pays est librement abandonné à lui-même, ce chiffre est naturellement plus élevé aux époques de crise qu'en temps ordinaire. J'en ai dit tout à l'heure la raison.

Je crois que, dans de pareils moments, on peut, sans grand danger, sans même que le pays s'en apercevrait, si le gouvernement n'avait la loyauté de l'en prévenir, s'il ne remplissait pas ce devoir, on peut, dis-je, élever légèrement le chiffre de l'émission ordinaire. Je me hâte cependant d'ajouter, et vous saisirez mieux mes observations de tantôt, qu'on ne pourrait le faire sans imprudence, que pour autant que le niveau de la circulation ne se trouve pas déjà porté à une hauteur artificielle. La mécanique nous enseigne que certaines machines à pression ne peuvent pas être chargées trop tôt si l'on veut qu'elles conservent toutes leurs forces pour le moment où il faut les faire agir. Je dis donc que si un danger sérieux nous saisissait à l'improviste, je ne verrais pas de très grands inconvénients à ce qu'on autorisât l'émission d'une certaine quantité de papier, la plus faible possible, pour les besoins du trésor public.

Plaise au ciel cependant que ce danger soit détourné de nous; car c'est toujours une extrémité des plus fâcheuses que d'être réduit à émettre du papier-monnaie. Pénétrons-nous bien de la vérité de cette maxime déposée dans l'exposé des motifs, qu'il est infiniment plus facile d'entrer dans le régime du papier-monnaie que d'en sortir. Emettre du papier-monnaie, c'est avoir tout bonnement recours à un expédient; c'est imposer au pays une charge égale au montant de l'émission, mais en lui laissant seulement un peu de temps pour l'acquitter. Plus tard des valeurs doivent être créées pour amortir l'émission, et qu'on ne s'y trompe pas, ce sont toujours les contribuables qui doivent les fournir.

Une émission de papier-monnaie est presque toujours l'avant-coureur d'un emprunt. L'Autriche a eu souvent recours à ce moyen. Les plus fortes émissions de ce siècle ont eu lieu pendant les campagnes de 1809 et de 1815. Savez-vous ce qui en est résulté? C'est qu'à partir de cette dernière époque, l'Autriche a dû par continuation inscrire des rentes sur le grand-livre de sa dette, pour diminuer, quelque peu le chiffre de ce papier-monnaie; c'est que pendant les années 1821 et 1823, elle a encore dû contracter deux emprunts sans parvenir, par ce nouveau moyen, à amortir plus de la moitié du papier-monnaie qui était resté dans la circulation; c'est qu'enfin l'autre moitié de ce papier qui a été rachetée plus récemment, mais non amortie, a continué à peser jusqu'à ce jour sur la situation de la banque de Vienne et du gouvernement autrichien lui-même.

Et que se produit-il d'ailleurs chez nous en ce moment? N'est-ce pas par une opération qui ressemblera beaucoup à un emprunt, qui en aura tous les caractères, sans en avoir le nom, qu'on parviendra à retirer les 12 millions de billets qui ont été émis pour le service du trésor public depuis les événements de 1848 ?

Messieurs, je viens de vous entretenir de beaucoup de choses. Je vous ai parlé de la période de transition du cours forcé, des crises et des moyens de les traverser. Jusqu'à présent cependant, je ne suis pas encore entré dans le cœur de la question. Ce qu'il importe d'examiner avant tout, c'est le rôle que la Banque nationale jouera en temps ordinaire. Je n'en ai pas encore dit un mot.

Le principal mérite que je reconnais au nouvel établissement, c'est qu'il formera une banque purement commerciale, c'est qu'il n'aura pas le caractère d'une banque du gouvernement. Je regarde cette distinction comme radicale, elle ressort de l'ensemble du projet. J'aurais cependant voulu que l'exposé des motifs l'eût indiquée un peu plus clairement. Je ne sais si je m'abuse, mais je crains que ce titre de banque nationale n'induise quelques personnes en erreur. Qui sait si, dans une partie du public, on n'en est pas déjà venu à s'imaginer que la banque de la nation est destinée à devenir l'auxiliaire naturel et on quelque sorte obligé du trésor public? Je regarderais cette crainte ou cette espérance, selon qu'on voudra l'appeler comme très dangereuse. Je veux la combattre. Il importé d'imprimer dès le commencement une bonne direction aux esprits pour que plus tard on ne vienne pas dénaturer notre couvre.

La banque sera centrale. Au moyen de ses comptoirs, elle étendra son action sur tout le pays; à ce titre elle sera nationale.

Comme banque de circulation, elle remettra au gouvernement une faible partie de ses bénéfices. Comme caissière de l'Etat, elle prendra des bons du trésor dans une limite à déterminer. C'est à cela que se borneront ses rapports avec l'Etat. Hors de là, elle sera libre et indépendante. Elle est créée pour être utile au commerce et elle ne doit fonctionner que pour lui.

Si je vous disais que le crédit de l'Etat a ses destinées comme celui du commerce a les siennes, que l'un et l'autre ne sont pas soumis toujours ni surtout simultanément aux mêmes influences, que le commerce peut manquer d'aliments dans un moment où l'Etat éprouve des besoins tout aussi bien que dans un pareil moment où il ait des capitaux en abondance, qu'on ne saurait forcer une banque d'escompte, sans nuire à son utilité ou à sa solidité, soit à restreindre ses opérations parce que le trésor lui aurait emprunté de l'argent, soit à les étendre parce qu'elle devrait chercher un emploi au reliquat d'opérations entreprises pour le compte de l'Etat ; si je vous exposais tout cela avec un peu de développements, je me livrerais inutilement à des considérations qui n'ont besoin d'aucune démonstration. Et cependant, c'est parce que des notions aussi simples ont été méconnues que la plupart des banques centrales que l'on cite toujours se sont jetées ou ont été poussées dans une fausse route. ?

Si le temps me le permettait, je passerais ces banques successivement en revue et je vous ferais voir que presque toutes manquent de solidité ou rendent des services insuffisants aux commerce, parce qu'elles ont été ou parce qu'elles se sont engagées trop avant dans des opérations pour compte de l'Etat, Je vous prouverais même par quelques exemples frappants que l'exiguïté du capital n'est pas toujours une garantie suffisante contre d'aussi dangereux entraînements.

La banque de France, jusque dans ces derniers temps, n'a guère été utile qu'au haut commerce de Paris ; on lui en a fait souvent le reproche. Une grande partie de son fonds social étant immobilisé en fonds sur l'Etat, elle se serait exposée à des découverts si elle n'avait pas limité ses escomptes à un petit nombre de traites de choix, offrant des rentrées certaines.

La banque de Londres peut à peine s'appeler une banque commerciale; son caractère distinctif, c'est d'être le grand agent du chancelier de l'Echiquier. Presque tout son avoir, vous le savez, est entre les mains du gouvernement. Aussi sa solidité a toujours été fort problématique. Ses suspensions ont été fréquentes. Le commerce du grand nombre, celui qui opère au-dessous des sommités, s'adresse rarement à elle ; il a ses private-banks et ses joint-stok-banks.

Je pourrais ainsi citer toutes les grandes banques connues et vous montrer le vice caché de leur constitution. Je ne le ferai pas. Je vous demande seulement la permission de m'arrêter un instant à deux d'entre elles : la grande banque américaine et la banque de Vienne.

Il n'est personne d'entre vous qui ne se souvienne de la crise qui vint frapper le commerce des Etats-Unis il y a une douzaine d'années. On y vit éclater faillites sur faillites. Le contre-coup s'en fit sentir jusqu'en Europe. Pendant plusieurs années des pertes cruelles affligèrent le commerce des deux mondes.

Je n'entrerai pas dans les détails de ces désastres. Ils n'ont pas un rapport direct avec l'objet qui nous occupe. Je me bornerai à rappeler leur origine, afin de faire saisir l'argument que je prétends tirer de ce rapprochement.

Le congrès américain avait adopté la sage mesure que je préconisais tout à l'heure, il avait réuni une réserve; cette réserve avait été placée en dépôt près de la banque de Philadelphie, jouissant d'un capital de 187,000,000 francs (35 millions de dollars).

Or, si le gouvernement fédéral avait bien voulu confier sa réserve à la plus grande banque du pays, c'était apparemment pour pouvoir la retirer lorsqu'il le jugerait convenable. C'est ce que pensa le général Jackson, le président d'alors.

Il reprit donc cette réserve pour la placer ailleurs. Cette mesure fut peut-être inopportune, mais à coup sûr, elle était parfaitement régulière.

Cependant elle mit la banque dans le plus grand embarras. Celle-ci supprima pour ainsi dire son escompte et fit rentrer son argent de tous les côtés.

Les banques des divers Etats, munies presque toutes d'un faible capital, durent à leur tour restreindre leur escompte, afin de pouvoir faire face aux éventualités que la situation critique de la banque de Philadelphie pouvait engendrer.

Le commerce américain, privé de la sorte de son aliment habituel d'échange, entreprit des spéculations en grand et à découvert sur les cotons. Elles furent désastreuses. De là naquit une des crises les plus épouvantables dont le monde commercial ait gardé le souvenir.

(page 798) Une commotion qui s'étend à plusieurs pays et qui se prolonge pendant une série d'années n'est jamais due à une cause unique. Il en fut sans doute ainsi pour celle que nous rappelons. Cependant l'enchaînement des faits démontre que le choc imprimé par des banques devenues tout d'un coup inertes, eut pour cause première les relations trop intimes qui s'étaient établies entre le principal établissement de crédit des Etats et le gouvernement central de la République.

La banque de Vienne nous fournit des enseignements encore plus utiles. Cette banque a commis des fautes, rappelant celles qui pèsent sur notre Société Générale. Seulement à Vienne, c'est le gouvernement qui en est jusqu'à un certain point responsable.

La banque actuelle de Vienne a été établie en 1816. Aux termes de sa charte primitive elle ne pouvait consacrer à l'escompte qu'un sixième de son capital social. Dans l'origine ce fonds ne dépassait pas 12 à 13 millions de francs, comme M. le ministre nous le dit dans son exposé des motifs.

Mais la banque ne se maintint pas longtemps dans d'aussi sages conditions. Elle se chargea pour le compte du gouvernement du retrait, sur une grande échelle, du papier-monnaie dont le chiffre s'élevait encore à près de 450 millions de florins, valeur nominale, et, si l'on peut dire, avec M. le ministre des finances, que cette opération importante, dépassant les forces de l'établissement, fit renaître le cours forcé en 1848, il est bon d'ajouter qu'elle eut d'abord pour conséquence de mener la banque, en 1841, sur la pente de la ruine et de causer à la même époque un préjudice réel et très notable au commerce.

Le gouvernement avait fait des conditions favorables à la banque. Il fournissait tout l'argent nécessaire au remboursement des billets nouveaux. Pour ceux qui continueraient à circuler, remplaçant des billets anciens, il payait à la banque des intérêts pour une partie et pour le surplus une rente devant servir à l'extinction lente des billets anciens.

La banque vit de la sorte l'argent affluer dans ses coffres comme par enchantement. Il fallait lui trouver un emploi. L'escompte fut augmenté dans les plus fortes proportions. A partir de 1824, il fut doublé, puis quadruplé, puis enfin décuplé. Le portefeuille de la banque s'élevait à la fin de 1840 à 63 millions de florins. Malheureusement la majeure partie de ce mouvement commercial était factice. La ville de Vienne, qui n'est qu'une place de commerce de deuxième ordre, ne fournit pas des valeurs aussi considérables. Voici le mot de cette énigme.

De ces 63 millions de florins, il y en avait 30 millions qui étaient représentés par des mandats provinciaux, assez semblables à nos bons du trésor, mandats qui se renouvelaient sans cesse.

Pour le surplus, écoutez ce que nous apprend M. le conseiller russe de Tegoborski, dans le remarquable ouvrage qui se trouve cité dans l'exposé des motifs.

« Le comité de censure, composé d'actionnaires et appelé à prononcer sur l'admissibilité des lettres de change présentées à l'escompte, ne regardait ordinairement qu'à la raison des maisons de commerce par lesquelles elles étaient tirées ou acceptées , et lorsque c'étaient des maisons jouissant d'un certain crédit, on ne mettait plus de limites à l'escompte de leurs effets, de sorte que la banque se trouvait souvent avoir en portefeuille pour 8 à 10 millions de florins de lettres de change tirées sur une seule et même maison. Cette facilité d'avoir à la banque autant d'argent qu'on en voulait à 4 pour cent, tandis que ceux qui usaient de ce crédit pouvaient placer leurs fonds à 5 et 6 pour cent, encourageait les spéculations d'agiotage, et entraînait dans toutes sortes d'entreprises hasardeuses, des maisons de commerce autrefois connues pour leur solidité. ».

Ces traites complaisantes dont parle M. de Tegoborski, ressemblent étonnamment à ces prêts sur valeurs industrielles, qualifiées improprement de fonds publics, que la chambre a vu figurer pour un chiffre si considérable dans le bilan de la Société Générale, lorsque il y a deux ans, elle a voulu connaître sa véritable situation avant de venir à son aide.

Dans une autre partie de son ouvrage, M. de Tegoborski déclare que le chiffre total de ces prétendus effets de commerce, s'élevait bien à 20,000,000 ou 25,000,000 de florins.

Cette situation tendue attira, en 1841, l'attention du ministre des finances d'alors. Il ordonna à la banque de restreindre son escompte dans de sages limites. C'est à cette mesure de prudence, exécutée avec fermeté, que le commerce de Vienne attribua la crise qui éclata à peu près à la même époque sur la place de Vienne et, par contrecoup, sur celle de Trieste. Il paraît que cette crise était encore due, en partie, à des causes plus anciennes, mais il n'en est pas moins vrai, et M. de Tegoborski le constate, que son intensité fut considérablement augmentée par les facilités que certaines maisons de Vienne avaient eues à se procurer des fonds à la banque, pour se livrer à des opérations chanceuses. Il est également vrai, et c'est la démonstration que je voulais tirer de ces faits, que ces facilités avaient été créées pour trouver de l'emploi à un argent, dont la banque ne savait que faire et qui provenait d'opérations entreprises pour le compte de l'Etat.

Ainsi, en Autriche comme aux Etats-Unis, les rapports qui se sont établis entre les banques et le gouvernement ont fini par tourner au détriment du commerce.

Le même effet se produira partout où des banques ne se renfermeront pas dans le cercle assez vaste des opérations commerciales, partout où elles viendront au secours de l'Etat dans des moments de calme, alors que l'Etat doit se suffire à lui-même.

Et pourtant des rapports de cette nature s'établissent si facilement, ils sont même inévitables dans de certains moments, si les grandes institutions financières du pays, autres que les banques n'ont reçu qu'une organisation incomplète.

Le trésor public a été mis en mesure de faire face à tous les besoins prévus. C'est la tâche qui lui est naturellement dévolue. L'occasion est belle pour entreprendre une opération très profitable au pays. L'argent manque. A qui voulez-vous que le trésor public s'adresse pour sortir d'embarras, si ce n'est aux banques, à moins cependant qu'il n'ait à côté de lui un auxiliaire qui lui fournisse les moyens de gagner du temps?

Mais cet auxiliaire, nous n'avons pas besoin de le créer; nous le possédons. Seulement il est faible et chétif. Ses proportions ne sont pas en rapport avec sa constitution vigoureuse.

La colonne la plus solide du crédit public, la seule, d'après moi, sur laquelle des gouvernements, se trouvant dans les conditions de la Belgique, doivent s'appuyer en temps ordinaire, j'oserais presque dire en tout temps, ce ne sont pas des banques, c'est leur caisse ou leur syndicat d'amortissement. C'est cette institution et aucune autre qui doit agir pour compte de l'Etat, lorsqu'il est question d'entreprendre des opérations financières d'une certaine importance. C'est encore cette institution, lorsqu'elle est solidement établie, qui peut faire résister à la tentation de puiser dans les coffres des banques, ces réservoirs du commerce et de l'industrie, lorsqu'il survient des besoins pressants, dépassant les forces du trésor public. Notre caisse d'amortissement, si vous le voulez bien, formera le complément de la Banque nationale; vous n'aurez pas mis cette dernière à l'abri des périls qui la menacent, que je viens d'indiquer et que j'ose prédire dès ce moment, si vous n'améliorez pas la position de la caisse d'amortissement, si vous ne changez pas le principe constitutif de cette institution.

La thèse que je développe me conduit ainsi à examiner, et je terminerai par là, quels services pourrait rendre la caisse d'amortissement et ce que son organisation offre d'incomplet. Loin, de moi, cependant, je me hâte de le dire, la présomptueuse envie de développer un système complet. Je me bornerai à émettre un petit nombre d'idées très simples que j'abandonnerai à vos méditations.

Je croirais manquer de respect à la chambre si je m'attachais à démontrer que les peuples doivent s'efforcer d'amortir leurs dettes; le seul point qui soit digne de son examen est celui de savoir comment l'amortissement doit s'opérer.

Qu'une nation ayant des siècles d'existence, l'Angleterre, par exemple, parvienne à consacrer tous les ans 50 à 60 millions de francs à la réduction de sa lourde dette sans avoir conservé son fonds d'amortissement, je le conçois. Elle y emploie les excédants de ses budgets et elle sait que ses ministres et son parlement auront la sagesse de maintenir toujours ces excédants à des chiffres aussi élevés, si même ils ne le sont pas davantage.

Mais la position des peuples qui n'ont pas une aussi longue expérience parlementaire, n'est pas la même. Il ne leur est pas aussi facile de résister aux entraînements. Je suis intimement convaincu qu'un pays se trouvant dans la position de la Belgique, a rigoureusement besoin d'un fonds d'amortissement; je dirai plus, il a rigoureusement besoin d'un fonds d'amortissement solidement constitué.

Nous avons notre fonds d'amortissement. Il se compose d'une série d'allocations. Chacune de ces allocations a sa destination distincte et obligatoire. Je ne m'en plains pas : il est prudent, lorsque l'on contracte des emprunts, d'établir que tous les ans une somme déterminée sera consacrée au rachat ou à l'amortissement des obligations de ces mêmes emprunts.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, toute notre dette n'est pas aussi bien assise. Aucune dotation ne garantit l'amortissement de près de la moitié des fonds belges de toute nature qui sont ce moment entre les mains du public. Je donne ce chiffre proportionnel en calculant le capital à raison d'un intérêt uniforme de 5 p. c. Ce capital, en le calculant à ce taux, s'élève à près de 170 millions de francs. Je ne fais entrer dans ce relevé ni les bons du trésor émis pour couvrir les insuffisances des budgets, ni les deux rentes que nous payons, l'une à la Hollande et l'autre à la ville de Bruxelles. Voici du reste le compte exact :

Obligations 2 1/2 p. c. provenant du traité conclu avec la Hollande: 110,052,815 fr.

Emprunt de 1848: 37,768,000 fr.

Bons du trésor, émis pour la construction des canaux de Zelzaete, Schipdonck, etc., en supposant que sur ces bons du trésor on en amortisse jusqu'à concurrence de 15 millions, au moyen d'une partie du produit des emprunts de 1848, reste: 20,519,326 fr.

Total: 168,340,141 fr.

Vous connaissez maintenant, messieurs, la force de notre caisse d'amortissement. A défaut de moyens suffisants, elle doit laisser en dehors de son action près de la moitié des fonds belges. Les charges qui pèseront un jour sur elle, que nous aurions déjà dû lui imposer, dépassent de près du double les ressources dont elle dispose.

Or, je dis qu'une caisse de cette espèce aussi faiblement dotée, se trouve dans une situation qui, non seulement n'est pas bonne, mais qui n'est pas même satisfaisante.

A mon avis, nous devons augmenter l'action de notre amortissement, nous le devons pour deux raisons. La première, c'est que l'amortissement (page 799) doit pouvoir s'étendre à toutes les parties sans distinction de notre dette que l’on peut considérer comme invariables. La seconde, c'est que ce n'est pas la seule mission que la caisse ait à remplir : elle doit aussi pouvoir s'offrir comme auxiliaire au trésor public dans les grandes occasions, et garantir de la sorte une existence heureuse à notre Banque nationale.

Il faudrait que l'action de l'amortissement s'étendît à la fois à toute notre dette constitué sans distinction, et au moins à une partie de ce qu'on est convenu d'appeler la dette flottante; il faudrait aussi que sa dotation fût mise en rapport avec ses charges nouvelles. Si la caisse d'amortissement subissait cette transformation, elle deviendrait ce qu'elle doit être à mon avis, la grande banque de dépôt de l'Etat, s'offrant à opérer pour lui dans toutes les occasions importantes, et couvrant en tout temps de son égide les banques d'escompte et tous les établissements de crédit du pays.

Je dois rappeler un fait qui s'est passé il y a quelques années, pour montrer le parti qu'on pourrait tirer de la caisse d'amortissement, si elle acquiert un jour l'importance que je désire lui voir assigner ; et c'est ici que je ferai ressortir l'appui qu'elle prêtera indirectement à la Banque nationale.

Il s'est agi en 1840 de contracter un emprunt. Les circonstances n'étaient pas favorables. Cependant des engagements avaient été pris, qui devaient être tenus. Le gouvernement a dû s'adresser à la Société Générale, pour en obtenir une avance. Tout mon discours tend à prouver que ce serait un malheur réel, si, les mêmes circonstances se reproduisant, il fallait recourir à la Banque nationale. Mais ce danger n'est pas à craindre, si mes vœux, quant à la caisse d'amortissement, se réalisent. Le gouvernement, en prenant bien ses mesures, et tout en restant fidèle à tous ses engagements, trouvera les moyens de vaincre la difficulté dans les ressources nombreuses dont la caisse disposera.

Plus j'y songe, plus je trouve qu'un pays comme le nôtre a un besoin supérieur de se créer une caisse d'amortissement abondamment fournie, largement dotée. Aucun autre ne s'est lancé avec tant de hardiesse et comme d'un seul bond dans d'aussi vastes entreprises, dans d'aussi nombreuses constructions de routes, de chemins de fer et de canaux ; aucun autre, par conséquent, ne s'est mis autant dans la nécessité d'en construire de nouvelles, en surexcitant, dans l'esprit des populations, le désir de voir le réseau de ces communications s'étendre presque sans limites. Et puisqu'un jour, plus tard, quand nous aurons surmonté tous nos embarras financiers, il faudra reprendre nos grands travaux d'utilité publique, avisons dès ce moment au moyen de le faire avec économie, commençons par fortifier l'action de notre amortissement, pour que nous puissions faire, avec encore plus de succès que jadis, un appel au crédit de notre belle, de notre opulente patrie!

Mais j'ai peut-être tort de parler d'emprunts. Ils viendront toujours assez vite. La caisse d'amortissement pourra nous rendre des services plus signalés, des services qui seront mieux appréciés du public que d'élargir la voie des emprunts.

C'est elle qui préparera ces difficiles, ces grandes opérations de finance, les conversions de la rente. Rappelons-nous qu'il y a eu une époque où l'on a pu, dans un pays voisin, à peine sorti d'une liquidation des plus pénibles, créer une dette nouvelle au capital d'un milliard; dans le même moment où bien loin de devoir recourir à une aggravation d'impôt, on trouva dans une conversion faite à propos, le moyen d'apporter aux contribuables une diminution de charges de plusieurs millions. Je ne m'occupe pas, vous le sentez bien, de l'emploi qui a été fait de ce milliard, mais je dis qu'elles sont belles, qu'elles sont magnifiques, les opérations qui conduisent à des résultats semblables à ceux que je viens d'indiquer.

Et pourquoi l'opération que je rappelle, a-t-elle pu se conclure? Parce qu'il s'est trouvé un ministre des finances que j'oserai appeler grand, malgré ses déplorables aberrations politiques, qui avait compris la puissance du crédit autant et peut-être plus que jamais homme de son pays, qui l'avait envisagé sous toutes ses faces, qui pensait, que si le crédit commercial peut se laisser diriger utilement par une grande banque d'escompte, le crédit de l'Etat par contre doit recevoir l'impulsion d'une robuste caisse d'amortissement. Sa haute intelligence lui avait fait facilement comprendre que, sans un pareil établissement, agissant avec énergie sur le mouvement de la rente, des opérations aussi importantes que celles qu'il méditait, présenteraient toujours les difficultés les plus sérieuses.

Il est vrai que, dans le même pays où d'aussi grandes choses se sont accomplies, grandes au point de vue financier, on a plus tard traité l'amortissement avec assez de dédain : vous connaissez la résolution qui vient d'y être prise à l'égard de son fonds de réserve. La caisse est à jamais privée de cette ressource précieuse, de celle dont la destination naturelle est précisément de préparer ces opérations dont je m'occupe, les conversions de la rente. Mais vous admettrez avec moi que cet exemple ne saurait fournir aucune espèce de preuve. Hélas, la situation toute spéciale de ce pays ne l'explique que trop! La nécessité, dans la vie des peuples, comme dans celle des individus, peut légitimer plus d'une erreur, absoudre plus d'une faute.

Mais ne sortons pas de notre pays, nous-mêmes nous avons pu apprécier les avantages que présentent les conversions de la rente. Un honorable membre, qui siège près de moi, a rappelé, lors de la discussion sur la caisse de retraite, qu'en 1841 une conversion, faite, il est vrai, dans des circonstances exceptionnellement favorables, nous avait procuré une économie annuelle de dépense de près de 900,000 fr.

Les mêmes circonstances peuvent se reproduire. Le mouvement qui se manifeste depuis quelque temps dans nos fonds nous fait espérer que le moment n'est pas éloigné où nous pourrons entreprendre une conversion qui aura à peu près la mémo importance, si les circonstances sont favorables, car elle pourra s'étendre aux emprunts de 1840, de 1842 et de 1848, ainsi qu'à la partie des bons du trésor, émis pour construction de canaux, qui n'auront pas été amortis par ce dernier emprunt.

Voilà des opérations que nous devons sans cesse avoir en vue, qui appellent toutes les sollicitudes de la chambre, car elles procurent plus de soulagement aux contribuables que des centaines de misérables économies extirpées péniblement du budget.

Je le répéterai donc encore : si vous voulez procurer de tels bienfaits à votre pays, asseoir son crédit sur de larges bases, et garantir en même temps la sécurité de votre jeune Banque nationale, augmentez l'importance de votre caisse d'amortissement.

Je sais que ce conseil est plus facile à donner qu'à mettre à exécution. Il faut pouvoir trouver des ressources pour fournir à la caisse l'aliment qui lui manque, mais cette difficulté ne m'effrayerait pas, si j'étais assez heureux de voir mes vues partagées par M. le ministre des finances. La tâche qu'il aurait à remplir, pour améliorer notre situation financière, serait sans doute agrandie, mais s'il était convaincu, cette tâche, quelque proportion qu'elle prît, ne serait au-dessus ni de son patriotisme, ni de son talent.

Je ne m'arrêterai pas à indiquer les dotations dont on pourrait enrichir la caisse. A cet égard cependant encore un seul mot, une idée que je veux vous livrer sous la forme d'une ébauche comme toutes celles que mon esprit me suggère en ce moment.

Parmi les articles de nos voies et moyens, il en est un qui est sujet aux plus grandes variations et dont le chiffre est très élevé; c'est le produit du chemin de fer. Chaque fois qu'il surviendra non pas une commotion politique, mais une crise industrielle, et vous savez si elles sont fréquentes, il y aura mécompte.

Je pense qu'il y a une certaine imprudence à consacrer à nos dépenses courantes la totalité d'une ressource tout à la fois aussi incertaine et aussi considérable. Je crois que ce serait faire acte de sagesse. que de décider qu'une partie de cette ressource, ce qui dépasserait un chiffre déterminé, par exemple, 13 millions, serait dévolu à la caisse d'amortissement. A défaut de cette ressource, il s'en présente d'autres; peut-être en trouverons-nous dans quelques-uns des projets annoncés par le gouvernement.

Messieurs, la loi que nous allons voter formera la première assise d’un nouveau système de crédit ; à ce point de vue elle a presque l’importance d'une loi organique. J'ai cru l'occasion favorable pour traiter la question du crédit, en me plaçant à un point de vue général; les trois grandes colonnes du crédit public, dans la plus large acception du mot, seront à l'avenir le trésor public, la Banque nationale et la caisse d'amortissement. J'ai tâché de démontrer que les rapports de l'Etat avec le crédit doivent s'établir en temps ordinaire par l'intermédiaire de la caisse d'amortissement; qu'ils pourront aussi, dans un moment suprême, choisir pour intermédiaire la Banque nationale. J'aurais pu ajouter qu'à toutes les époques, il faudra ménager le crédit et que la meilleure précaution à prendre pour pouvoir en agir ainsi, c'est de fournir à la trésorerie les moyens de faire convenablement son service en mettant ses ressources au niveau de ses dépenses.

Aujourd'hui nous allons ériger la Banque nationale; demain, sans doute, M. le ministre des finances nous dira comment il entend améliorer la situation du trésor. J'espère que la session ne se passera pas sans que nous ne couronnions l'édifice en améliorant l'organisation de la caisse d'amortissement.

M. Vermeire. - Messieurs, le gouvernement, dans la louable intention d'asseoir le crédit sur des bases stables et solides, nous présente le projet de loi décrétant l'institution d'une banque nationale, qui fonctionnera comme banque de dépôt et comme banque d'escompte ou de circulation, et qui sera, en outre, chargée de faire le service du caissier de l'Etat.

Avant d'entrer en matière, je ne puis m'empêcher, messieurs, de féliciter le gouvernement du soin minutieux avec lequel il a fait étudier l'œuvre qu'il présente à nos délibérations; je comprends dans les mêmes félicitations la section centrale, qui, par son rapport clair et lucide, fruit d'un examen approfondi, facilite tant la tâche des membres de cette chambre, venant, à leur tour, présenter leurs observations sur ce projet important, lequel consacre un système transactionnel, qui a pour but de concilier de grands intérêts, engagés dans la question.

L'exposé des motifs et le rapport de la section centrale manifestent, d'une manière évidente, le désir sincère d'augmenter le bien-être général du pays, par le développement du crédit sagement et universellement réparti. Ils bâtissent leur édifice sur le principe fondamental suivant : Le crédit sens base stable, c'est un jeu ; sans chance de remboursement, c'est la banqueroute.

Animé des mêmes sentiments, je viens examiner ce projet de loi d'une si haute importance, en me mettant au même point de vue. Je me hâte, tout d'abord, de dire que, sauf quelques détails, sur lesquels, sans doute, la discussion m'éclairera davantage, ce projet a toutes mes sympathies.

La mission de la Banque Nationale est :

(page 800) 1° De séparer le crédit public du crédit privé, lesquels cependant se prêtent un appui mutuel par l'action du gouvernement qui ne se fera sentir que dans une juste mesure;

2° D'étendre son action sur tout le pays;

3° D'opérer avec un capital suffisant ;

4° De ne point diminuer son capital, pour quelque motif ou sous quelque prétexte que ce soit;

5° De ne point immobiliser le capital;

6° De ne faire aucune avance à découvert, et

7° De soumettre au régime de la publicité la plus complète et la plus étendue, toutes les opérations de la Banque.

Ces sept propositions, messieurs, renferment, certes, toutes les garanties que l'on puisse exiger, tant dans l'intérêt du public, que dans celui de l'institution à laquelle elles s'appliquent.

Les avantages qui résultent de la séparation du crédit public d'avec le crédit privé, tout en se prêtant un appui mutuel dans de justes mesures, et des bienfaits du crédit répandus sur toute la surface du pays, sont trop palpables, et trop péremptoirement déduits dans le rapport de la section centrale, pour que je me permette de leur prêter encore l'appui de mon argumentation.

Je passe donc à la troisième proposition qui me paraît dominer, en quelque sorte, tout le projet, celle de savoir si le capital social est suffisant.

La Banque Nationale devant fonctionner, et comme banque de dépôt et comme banque d'escompte ou de circulation, il convient de bien définir le caractère qui les distingue. 1° Banques de dépôt. Leur opération consistant seulement et uniquement à recevoir en dépôt des monnaies ou des lingots, contre lesquels elles donnent leur reconnaissance et qu'elles s'obligent à restituer à la première demande, aucun capital n'est nécessaire pour ces sortes d'opérations, la confiance seule suffit; puisque le dépôt, et le mot seul l'indique suffisamment, ne pouvant changer de destination par le fait du dépositaire, tout déplacement devient impossible.

Les banques d'escompte ou de circulation, donnant leurs billets contre des effets de commerce, ou d'autres valeurs promptement réalisables, ont besoin d'un capital en écus, parce que les billets de banque, n'étant que le signe de la valeur qu'ils représentent, deviennent, si le porteur le désire, échangeables contre de la monnaie.

Comme dans les opérations d'une banque il y a tous les jours des échéances nouvelles, que les billets de banque, représentés d'ailleurs par des effets de commerce, restent souvent en circulation pendant des temps indéterminés, l'émission des billets de banque peut dépasser l'encaisse métallique.

Mais quelle est la proportion dans laquelle on peut dépasser cette émission? Cette proportion peut-elle être double, triple, quadruple ou quintuple? Pourquoi admettre l'une proportion plutôt que l'autre? Jusqu'ici cette question n'a point encore été logiquement résolue par la science; mais les statuts des banques d'Angleterre et de France la portent au double, soit avec l'encaisse y compris une circulation triple. Le projet du gouvernement et le rapport de la section centrale admettent la même proportion ; c'est-à-dire qu'avec un encaisse de 15 millions, on aurait une circulation de 45 millions. Ainsi en supposant que la moyenne des échéances des effets escomptés, soit de 2 mois, la circulation se renouvellerait 6 fois à l'année, et l'on obtiendrait ainsi un mouvement annuel de 270,000,000.

Comparant ce mouvement au tableau d'escompte publié par le Moniteur du 21 février dernier, page 472, qui accuse, par le comptoir central d'escompte, la Société Générale, la Banque de Belgique et la Banque des Flandres, sur le million mis à sa disposition, du 1er au 15 février dernier un escompte d'environ 5 millions de francs, et prenant cette quinzaine comme moyenne ordinaire, l'escompte annuel de ces divers établissements serait de 120 millions.

Le capital de la Banque de France ne fut plus, en 1847, au moment de la crise des céréales, que de 67,900,000 fr., et cependant, la même année, elle a eu un mouvement général d'espèces, billets et virements, de plus de 14,214,000,000.

Elle a escompté, pendant la même année, à Paris, 1,329,470,900 fr.

Dans les provinces, 481,000,000 fr.

Total, 1,810,470,000 fr.

Il me paraît donc, que si on pouvait employer 15,000,000 de capital, ou avoir un encaisse de la même somme, applicable uniquement à l'escompte, il suffirait amplement aux besoins commerciaux de la Belgique.

Pour répondre à l'objection, qui ne manquera sans doute pas de se produire, qu'une banque ayant une circulation triple de son encaisse, doive suspendre ses payements, je citerai Joseph Garnier, qui s'explique sur cette question de la manière suivante :

« Jamais banque n'a péri; quand elle a pu montrer au grand jour ses opérations, prouver que ses escomptes et ses avances étaient faits sur des valeurs de bon aloi, et expliquer que son embarras ne provient que de la panique des porteurs de billets qui font irruption à la banque, pour en demander l'échange contre des espèces.

« Ces paniques, continue-t-il, ne sont jamais l'effet d'un besoin instantané d'écus; elles n'éclatent que dans les temps exceptionnels de révolution ou de calamité publique, et la raison ne tarde pas à les calmer. Si on admet qu'elles durent, voici ce qui se passe : Les caissiers de la banque payent avec plus de lenteur qu'à l'ordinaire, s'il le faut, les premiers venus au moyen du numéraire en dépôt; un tiers des billets se trouve ainsi retiré de la circulation. Pendant ce temps les effets de commerce, dont l'époque commune est à un petit nombre de jours, et qui sont munis de bonnes signatures, arrivent à échéance, et, en peu de temps, les deux autres tiers des billets sont payés en espèces, et le dépôt reconstitué en entier : c'est tout au plus si les non-valeurs absorbent les bénéfices de l'escompte. »

Ensuite Gustave de Puynode, dans son Elude sur les banques, dit : « L'expérience a démontré qu'il suffit aux banques de conserver dans leurs caves le quart de la valeur représentée par leurs billets, pour être à l'abri de tout embarras sérieux, pourvu qu'elles ne prennent pas de papier à trop longue échéance. »

Le danger principal pour les banques d'escompte, messieurs, consiste donc dans l'immobilisation de ses capitaux, dans les avances à découvert, sur dépôt de fonds ou de marchandises, dans l'achat| de fonds publics promptement irréalisables.

Examinons maintenant, messieurs, si, dans le projet qui nous est soumis, nous rencontrons ces dangers.

Voici, d'après l'article 8 du projet, les opérations auxquelles se livrera, la Banque Nationale :

1° L'escompte des lettres de change et autres effets de commerce et des bons du trésor dans les limites à déterminer par les statuts;

2° A faire le commerce d'or et d'argent;

3° A faire des avances de fonds sur des lingots, ou des monnaies d'or et d'argent;

4° A se charger du recouvrement d'effets qui lui seront remis par des particuliers ou des établissements;

5° À recevoir des sommes en compte courant, et, en dépôt, des titres des métaux précieux, et des monnaies d'or et d'argent ;

6° A faire des avances en compte courant ou à court terme sur dépôt d'effets publics nationaux ou d'autres valeurs garanties par l'Etat ;

Les statuts fixeront le maximum de la somme qui pourra recevoir cette dernière destination.

Messieurs, malgré toutes les garanties dont on a entouré le projet en discussion, il me paraît que, dans un moment donné, il pourrait y avoir, pour la banque du danger à escompter les bons du trésor, si les limites ne sont pas déterminées par la loi même. Il est vrai, que, leur détermination par les statuts offre aussi des garanties; mais les statuts, pouvant être changés par arrêté royal, pourvu qu'on suive les formalités prescrites, les sommes destinées à cet usage pourraient, dans un moment de crise surtout, être majorées; et ainsi, la banque, au lieu de venir en aide au commerce et à l'industrie, emploierait, au contraire, ses capitaux pour faciliter les opérations du gouvernement; ce serait une immobilisation de fonds, tout à fait au détriment du commerce et de l'industrie; ce serait, d'après moi, aller à rencontre des motifs pour lesquels la banque est instituée.

Car dans l'exposé des motifs même, le gouvernement reconnaît qu'elle (la banque) ne peut point immobiliser ses capitaux ; qu'elle ne doit pas emprunter; mais agir avec ses propres ressources; qu'elle doit être l'intermédiaire entre le capitaliste et le producteur, pour distribuer les capitaux avec justice, avec libéralité.

L'exposé des motifs nous apprend encore, que l'autorisation d'escompter les bons du trésor, a été déterminée par des considérations d'intérêt public; que la banque d'Angleterre escompte les bons de l'échiquier, et la Banque de France, les bons du trésor.

Cela est vrai, mais cela n'empêche pas qu'en 1847, au moment de la crise des céréales, et du besoin excessif du numéraire, il a fallu l'intervention de l'empereur de Russie, pour tirer la Banque de France d'embarras; puisqu'elle ne pouvait, sans grande perte pour elle, sans secousse effroyable à la bourse, sans coup funeste pour le crédit de l'Etat, jeter sur le marché, les rentes qu'elle avait acquises dans des moments de prospérité. Quant à la Banque d'Angleterre, la similitude qui existe entre elle et l'établissement que nous fondons, est peu apparente. La Banque d'Angleterre, dit Adam Smith, est tout d'abord un des grands rouages de l'Etat, le crédit public et le crédit privé y sont confondus. Elle reçoit et paye les annuités dues aux créanciers de l'Etat, elle paye toutes les dépenses de l'Etat; elle fait au gouvernement les avances de l'impôt; escompte les bons de l'échiquier; en un mot, elle fait plutôt les affaires du gouvernement, que celles du public; parce que, presque toujours l'émission de ses billets pour compte du gouvernement, est double de ceux émis pour compte du crédit privé.

Les escomptes à la banque d'Angleterre sont habituellement peu considérables ; elle ne veut point entrer pour cet objet en concurrence avec les banques particulières; et, c'est dans le but de restreindre ses opérations commerciales, que son taux d'escompte est généralement plus élevé que le cours de la place.

Or, comme c'est en grande partie, un but entièrement opposé que nous nous proposons d'atteindre, je pense, que parmi les dangers que peut courir la Banque Nationale, figure d'abord celui qui autoriserait et faciliterait l'emploi de sommes, pour l'achat de bons du trésor, pour l'avance sur dépôt de fonds publics. Et, puisque ce danger est si grand, il me semble, qu'il serait très prudent d'inscrire dans la loi un maximum qui ne peut être dépassé pour recevoir pareille destination. J'appelle l'attention toute spéciale de la chambre sur ces observations.

(page 801) Le même article 8 désigne encore comme opérations de la banque, la réception des sommes en compte courant, et, en dépôt, des titres, des métaux précieux, et des monnaies d'or et d'argent.

Mais on ne détermine pas si la banque sera autorisée à payer des intérêts sur les dépôts, les sommes avancées en compte courant, etc.

Quant aux dépôts purs et simples, avec faculté de restitution à la première demande, on ne peut certes bonifier aucun intérêt ; cette opération, ainsi que je l'ai déjà dit, ne pouvant guère profiter à la banque que pour une simple commission de dépôt.

En admettant la distinction que fait le gouvernement entre des sommes empruntées et des sommes reçues en compte courant, je pense que la bonification d'un léger intérêt, pour ces dernières sommes, bien inférieur au taux de l'escompte, ne pourrait point compromettre la banque, si elle met comme condition au remboursement : 1° Un délai moral, soit par exemple six semaines; 2° La faculté de se libérer, au besoin, en bons du trésor, au pair, déduction faite des intérêts, à compter du jour de la remise, jusqu'à celui de l'échéance.

En ce cas, des sommes avancées en compte courant, pourraient profiter à la banque, et recevoir la destination prescrite, c'est-à-dire celle de l'escompte des bons du trésor.

Le capital de la banque étant certes très restreint pour les trois opérations principales, je pense qu'il serait très prudent de ne commencer l'escompte des bons du trésor, et l'avance sur dépôt d'effets publics ou en compte courant que quand on pourra opérer avec le capital complet des 25,000,000 francs, et de réserver les 15,000,000 francs à l'escompte; car, si on veut réduire le taux de l'intérêt, et servir efficacement le commerce et l'industrie, il faut que de bons effets de commerce, à courte échéance, trouvent toujours un placement prompt, facile, et à bon marché.

Sous ce rapport je partage entièrement l'avis de la section centrale émis à la page 15 de son rapport que le but à atteindre dans l'établissement d'une banque, c'est l'abaissement du taux de l'intérêt; et, que, pour y arriver, il faut que la banque emploie son capital à l'escompte.

Quoique je sois très dévoué aux intérêts du commerce et de l'industrie, et que je n'aie rien plus à cœur que de pouvoir travailler à leur prospérité et à leur développement, je ne puis cependant m'associer à ceux qui voudraient assigner à la banque, des opérations, pouvant, pour un temps plus ou moins long, immobiliser les capitaux ou du moins les rendre promptement irréalisables; et, pour ce motif de haute prudence, que l'on pourrait peut-être môme taxer de prudence outrée, j'approuve M. le ministre des finances, qui a repoussé comme dangereux, l’escompte des warrants, parce qu'on ne peut pas compter, à jour fixe, sur la rentrée des avances.

Messieurs, pour ma part, j'aurais désiré que la banque eût pu être formée par des capitaux particuliers, et que le trésor, pour les privilèges qu'il octroie, eût pu récupérer une plus forte part dans les bénéfices que doit faire nécessairement cet établissement; mais, ainsi que je l'ai dit en commençant, j'applaudis au système transactionnel qui a présidé à sa création.

Messieurs, les observations que je viens de soumettre à la chambre, n'ont pour but que de renforcer encore la sécurité de la banque, d'augmenter la prudence qui doit présider à toutes ses opérations, afin de mettre l'édifice que nous élevons à l'abri de tous sinistres, qui, malheureusement, viennent à des époques, pour ainsi dire périodiques, saper le crédit jusque dans ses bases les plus profondes.

Si je le crois utile, messieurs, je proposerai, à la fin de la discussion générale, deux amendements.

Le premier tendant à inscrire dans la loi le maximum du fonds social, qui pourra être employé à l'escompte des bons du trésor, et aux avances à faire sur dépôt des fonds nationaux.

Le second, à ne commencer ces deux opérations que quand le capital de fr. 25,000,000 sera complété.

Ces deux amendements suffisamment développés dans le cours de ce discours, je crois pouvoir borner ici mes observations.

M. le président. - Pour permettre aux sections de s'occuper des projets qu'elles ont à examiner, je propose de fixer la séance de demain à 2 heures.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui!

M. Vanden Berghe de Binckum. - Vous ne pouvez pas prendre décision, vous n'êtes pas en nombre.

- Plusieurs voix. - Si ! si ! nous sommes en nombre.

- Un grand nombre de voix. - A 2 heures demain! à 2 heures!

- La séance est levée à 5 heures.