(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 749) M. Dubus. procède à l'appel nominal à deux heures et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, la rédaction en est adoptée.
Il présente l'analyse des pièces qui sont adressées à la chambre.
« Le conseil communal d'Ichteghem et les administrations communales d'Aertryke, Thourout, Moere et Eerneghem, prient la chambre de modifier les dispositions qui règlent les frais d'entretien des indigents.»
M. Van Iseghem. - Les pétitionnaires demandent des changements aux lois qui règlent le dépôt de mendicité et de domicile de secours, et se plaignent des frais extraordinaires que la loi du 5 avril 1848 met à leur charge ; c'est une question importante pour nos communes flamandes, qui par suite des crises que nous avons essuyées, sont à bout de leurs ressources financières. Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
M. Rodenbach. - J'appuie la proposition de l'honorable député d'Ostende et je fais observer que les prompts rapports, demandés à la commission des pétitions, se font attendre bien longtemps.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Plusieurs habitants du hameau de Kerkhoven demandent que le gouvernement leur fasse construire une chapelle et un presbytère.»
M. Coomans. - Une pétition semblable, revêtue à peu près des mêmes signatures, avait déjà été adressée à la chambre, il y a dix mois environ. Cette pétition s'est égarée, soit en route, soit dans nos bureaux. Les pétitionnaires en ont rédigé une autre qui vient d'être analysée. Comme cette demande des pétitionnaires me semble aussi urgente qu'elle est juste, je sollicite de la commission un rapport aussi prompt que possible.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un très prompt rapport.
« Les huissiers-audienciers près le tribunal de première instance de Hasselt demandent une loi qui leur assure un traitement fixe pour le service intérieur du tribunal, surtout en matière de police correctionnelle. »
- Même renvoi.
« Plusieurs pharmaciens dans le Hainaut demandent le rejet de la disposition du projet de loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire, qui accorde aux artistes et aux maréchaux vétérinaires la faculté de délivrer des médicaments. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
Plusieurs membres de sociétés littéraires font hommage à la chambre de 110 exemplaires d'un mémoire sur la nécessité de rendre l'enseignement de la langue flamande obligatoire dans les établissements d'instruction primaire et moyenne des provinces flamandes.
- Distribution aux membres de la chambre, dépôt à la bibliothèque et renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'enseignement moyen, sur la proposition de M. Dedecker qui annonce l'envoi à la chambre d'un grand nombre de pétitions dans le même sens, pour lesquelles il demande le même renvoi.
M. le ministre de la guerre transmet à la chambre les explications qu'elle lui a demandées sur la requête du sieur Ayon , relative aux dégâts causés, par l'explosion de poudres qui a détruit un bastion de la citadelle de Gand, à quelques propriétés particulières situées dans la zone des servitudes militaires de cette citadelle.
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. le ministre des affaires étrangères transmet à la chambre les explications qu'elle lui a demandées sur plusieurs pétitions où est exprimé le désir que la juridiction des agents diplomatiques et consulaires de Belgique en Orient soit réglée et élargie par une loi spéciale.
- Même décision.
Il est fait hommage à la chambre par M. Coune, professeur de seconde au collège communal de Liège, membre du conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen, de cinq exemplaires de sa brochure intitulée : «Du concours général entre les établissements d'instruction moyenne. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. de Perceval (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance de vendredi dernier, j'ai eu l'honneur de vous proposer de fixer le jour où l'on examinerait en sections le projet de loi organique de l'enseignement moyen, qui avait été déposé la veille par M. le ministre de l'intérieur.
L'honorable M. de Theux fit alors remarquer que les pièces n'étaient pas encore imprimées et distribuées, et qu'il était préférable de reproduire ma motion à ce sujet, après l'envoi à chacun de nous de ces documents importants,
Aujourd'hui que cette distribution est faite, je renouvelle ma motion, et je demande que la chambre veuille bien fixer pour mardi prochain l'examen en sections de ce projet de loi.
Je désire que ma proposition reçoive l'assentiment de l'assemblée, car je la fais dans le but de donner, non seulement à nous tous, mais encore et surtout à la presse, au public, à toutes les opinions, le temps nécessaire pour examiner en détail les graves questions que soulève l'organisation de l'enseignement moyen.
Au surplus, messieurs, deux sections centrales doivent se réunir demain et jeudi. C'est là encore un motif pour que la chambre n'aborde pas, avant mardi prochain, l'examen du projet de loi qui nous a été présenté par le gouvernement.
- La proposition de M. de Perceval est adoptée.
Projet de loi modifiant la loi du 27 juin 1842 sur les distilleries
M. Veydt. - Messieurs, je remercie la chambre de ne m'avoir point demandé de parler à la fin de la séance d'hier, moins pour moi, quoique, j'aie à émettre une opinion contraire au discours de M. le ministre des finances, lequel m'a paru produire une assez vive impression sur plusieurs d'entre vous, que dans l'intérêt même de la question qu'il s'agit de résoudre.
Cette question exige un examen d'autant plus approfondi que, contrairement aux conclusions de la section centrale, la chambre a voulu qu'elle s'en occupât, seule et vous soumît son travail. Je regrette encore que les sections n'aient pas été chargées de ce soin.
Lorsque, dans le cours de la discussion du budget des voies et moyens,. M. le ministre nous a fait part de la modification qu'il voulait introduire dans la législation sur les distilleries, j'étais assez disposé à l'admettre, parce qu'il semblait qu'elle n'aurait pas donné lieu à de graves objections et que, dans ce cas, il n'y avait qu'à envisager l'intérêt du trésor.
Depuis, il m'a semblé qu'il y avait d'autres considérations à prendre en sérieuse attention et que l'intérêt du trésor ne dominait pas la question.
J'ai cherché à m'éclairer, et, en attendant, je me suis abstenu de me prononcer au sein de la section centrale.
Certes, messieurs, c'est un grand argument à mettre dans la balance que la défense des recettes de l'Etat ; mais tant qu'il ne s'agit que de chiffres peu importants, de palliatifs en quelque sorte, il faut avant tout et surtout peser les conséquences de la résolution qu'on est appelé à prendre. J'en ai agi ainsi, lorsque j'ai voté contre la suppression du conseil des mines, contre la réduction du traitement des membres de la cour des comptes, contre la diminution du nombre des députés des conseils provinciaux, contre le désarmement d'une partie de la marine; je ne regrette pas les votes que j'ai émis dans ces circonstances, quoique le maintien de charges plus grandes pour le pays en fût la conséquence. Je continuerai à tenir la même conduite.
En ce qui concerne les principes de l'économie politique, je sais qu'ils ne sont point favorables aux primes; mais quel que soit le cas qu'ils méritent qu'on en fasse, je ne prends pas l'engagement de les suivre, sans regarder autour de moi ce qui est. Au contraire, je crois qu'il faut en tenir sérieusement compte.
En effet, capitalistes et travailleurs se trouvent engagés dans des voies artificielles. Si vous aviez le pouvoir de produire un changement soudain, bien peu d'entre vous, messieurs, oseraient leur dire : « Quittez ces directions et prenez à l'instant même des directions nouvelles.»
Vous seriez retenus par la crainte de détruire une masse énorme de capitaux, de réduire au désespoir une foule de travailleurs; vous sentiriez que la transition est pleine de difficultés et de périls.
Il faut donc tenir compte des faits. N'en déplaise à la théorie, je me suis guidé d'après eux, en défendant les grands intérêts engagés dans la question des sucres; en votant pour une loi peu importante, mais opposée aux notions de l'économie politique, la prohibition des étoupes à la sortie, loi que le cabinet a cru devoir maintenir provisoirement dans l'intérêt du travail des Flandres; et je me conduirai de même en appuyant le gouvernement pour le crédit de 2 millions demandés pour la fabrication des toiles russias, confiée à l'administration de Saint-Bernard. Je ne veux rien d'absolu.
Je me rappelle des paroles de l'honorable ministre des finances, qui démontrent qu'il s'est tracé pour règle de tenir également compte des faits. Voici ce qu'il disait dans une séance du 23 janvier 1849. « Je n'ai pas besoin de dire que lorsqu'il s'agit d'apporter des modifications à un système douanier, on doit procéder avec la plus grande prudence, la plus grande circonspection. Des intérêts se sont établis à l'abri d'une législation sans doute vicieuse, mais ces intérêts sont respectables et on ne doit y porter atteinte qu'avec d'extrêmes ménagements. »
Est-ce bien conformément à ces paroles fort sages qu'on agit en cette occasion? Franchement, je ne le trouve pas.
En effet, les intérêts qu'on s'expose à léser gravement se sont établis à l'abri de la loi.
La décharge de l'accise est accordée à l'exportation aux produits suivants, fabriqués en Belgique : aux bières, aux eaux-de-vie, au sel raffiné, aux sirops et aux sucres raffinés et aux vinaigres.
(page 750) Cette décharge ne se borne pas à une simple restitution pour les sucres; la législation accorde une certaine marge, une prime, si on préfère ce mot. Un honorable député de Nivelles a saisi, hier, une occasion pour faire une nouvelle campagne contre la loi qui régit à présent l'industrie et le commerce des sucres. Je n'imiterai pas son exemple et je suis certain que la chambre m'en saura gré.
J'y reviendrai le plus tard possible : car il est de toute justice que cette industrie ait désormais de la stabilité et un avenir devant elle.
Nous n'avons à nous occuper que des eaux-de-vie. J'ai également consulté la discussion qui eut lieu en 1842, et je me suis convaincu que la législature a voulu accorder plus qu'une simple décharge à l'exportation des genièvres. Ce point me paraît si important que je crois utile de l'appuyer de nouvelles preuves. En premier lieu, le rapporteur de la section centrale, l'honorable M. Zoude dit au commencement de son travail: L'augmentation du droit pourra-t-elle permettre encore l'infiltration de nos spiritueux dans les pays voisins? Les nombreuses réclamations qui vous sont adressées contre le projet de loi rendraient hasardeuse l'opinion que la section centrale émettrait à cet égard; mais peut-être y aurait-il compensation, si une restitution suffisante était accordée à l'exportation légale.
L'honorable M. d'Huart s'exprimait en ces termes : « L'exportation, vous l'encouragez déjà passablement aujourd'hui, car on rembourse 7 à 8 fr. par hectolitre. On donne ainsi une prime à l'exportation. J'admettrai la décharge de 30 francs. »
Notre collègue M. Delehaye émit l'opinion qu'il défendait encore hier. Voici ses paroles : « Le projet de loi consacre le système du drawback. Je vois dans cette mesure une grande amélioration. Je pense qu'il est sage d'accorder pour cette industrie non seulement la restitution des droits payés, mais encore de donner des primes. Il y aura perte pour le trésor, mais elle ne sera pas sans compensation. » .
Ce fut dans la séance du 11 mai 1842 que la chambre fixa le taux de la décharge à l'exportation. M. Donny avait proposé de l'établir à 31 fr. par hectolitre.
Il fut appuyé par l'honorable M. Cogels et par M. le ministre des finances, qui se montra disposé à appuyer ce chiffre. Ce fut M. Demonceau seul qui le combattit; mais il résulte clairement de ses paroles qu'il n'était pas contraire à une restitution excédant le montant du droit. Seulement il trouvait le chiffre de 31 francs trop élevé; ce fut celui de 28 fr. qui prévalut.
Il est donc incontestable que le législateur a voulu doter les distilleries d'un avantage réel pour les stimuler à l'exportation de leurs produits. Cet avantage, est-il juste de le leur ravir d'un trait, sans aucun ménagement? C'est sous ce point de vue que j'ai particulièrement envisagé la question. Je n'hésite pas à la résoudre négativement. Ce qui m'a fortifié dans cette opinion, c'est un document émané du département de l'intérieur, relatif au crédit de 2,000,000 de fr., alloué par une loi du 18 avril 1848. Il y est aussi question de primes ; mais l'honorable M. Rogier, après en avoir fait usage en faveur de deux grandes industries, se garde bien de les leur retirer brusquement. Voici, messieurs, quelques termes de comparaison entre les deux conduites.
(page 757) Le rapport expose les mesures prises pour favoriser directement les transactions industrielles et commerciales.
Il cite en première ligne l'institution de primes de sortie, décrétées pour l'industrie cotonnière par l'arrêté royal du 17 mai 1848, et pour l'industrie linière par l'arrêté royal du 15 juillet suivant.
En règle absolue, dit M. le ministre, une bonne politique commerciale peut repousser les primes; mais, indépendamment de la situation anormale du pays, le stimulant des primes est utile pour aider notre commerce à reprendre ou à conquérir une place importante sur plusieurs marchés.
Quoique la mesure n'ait qu'un caractère temporaire, voici les ménagements qu'on a eu soin de prendre avant de le faire cesser.
L'arrêté du 17 mai 1848 a été successivement prorogé jusqu'au 1er janvier 1851. A partir du 1er avril 1850, la prime sera réduite de 10 à 6 p. c.
L'arrêté du 15 juillet 1848 pour les tissus de lin doit prendre terme à la même époque. A dater du 1er avril 1850, la prime pour les tissus de lin écrus sera réduite de 11 à 7 p. c; pour les tissus blanchis, de 12 à 8 p. c; pour les fils, de 10 à 7 p. c.
Je demanderai au gouvernement de procéder de la même manière à l'égard de la restitution accordée à la sortie des eaux-de-vie, c'est-à-dire graduellement et dans une proportion modérée d'abord. C'est son exemple que je veux suivre, en ménageant la transition, en ne faisant un pas de plus, qu'après être certain qu'il y a lieu de le faire, sans entraves net l'exportation qu'il est important de conserver.
Agir autrement, c'est se mettre en contradiction avec soi-même; c'est avoir deux poids el deux mesures.
Vous faites d'une part, un sacrifice en primes de 188,834 francs, c'est le chiffre liquidé à la date du 15 décembre dernier et vous supprimez, ou bien certainement vous réduisez démesurément, le taux de la faveur, accordée durant plusieurs années à une autre industrie, qui, elle aussi, aide beaucoup à l'exportation de nos produits.
Et dans quelles circonstances voulez-vous le faire? Lorsque le département de l'intérieur reconnaît, dans le rapport que je viens de citer, que le moment n'est pas venu de débattre des théories, mais de compter avec les faits; lorsque, outre les primes, il accorde des avances, montant ensemble à 135,000 fr., pour des exportations de produits belges, notamment de tissus de lin, de coton et de laine; lorsqu'il pousse vers l'établissement de relations commerciales avec la côte occidentale d'Afrique, l'Amérique centrale et la côte occidentale de l'Amérique du Sud, pays où l'exportation de nos genièvres commence à prendre quelques développements, où, si elle n'est pas entravée, elle facilitera sans doute le placement de nos produits manufacturés, qui sont l'objet d'une si vive sollicitude.
En vérité, ne nous exposons pas à détruire d'une main ce que nous avons semé de l'autre. Ayons des vues d'ensemble, un esprit de suite. Après avoir institué des primes nouvelles, ne nous hâtons pas de détruire celles qui existent, ou, du moins, ménageons la transition pour toutes les industries Hier encore, M. le ministre des finances se félicitait d'avoir inséré le principe d'une réduction successive de la prime dans la loi des sucres. Pourquoi ne pas en agir de même à l'égard des distilleries. Si vous voulez absolument introduire un changement dans la législation qui les régit?
N'ont-elles pas également une longue possession en leur faveur? La (page 751) législature a désiré depuis longtemps qu'elles en fissent usage; elle a dans ce but augmenté le taux de la décharge et c'est après une première année, le seul exercice 1849, que l'on veut modifier la loi. Je crois qu'on peut attendre sans crainte une expérience plus prolongée. Il est prouvé, pour moi, que les exportations de nos eaux-de-vie sont dues à l'extrême bon marché des céréales. Sans cette grande abondance, le drawback n'eût que faiblement agi. Il suffît de jeter les yeux sur les années précédentes pour s'en convaincre. Les chiffres des exportations sont constamment restés insignifiants.
Le changement survenu dans la législation hollandaise, que M. le ministre des finances a rappelé, hier, date du mois de mai 1847. Les distilleries belges„ n'ont pas exporté davantage, ni durant cette année-là, ni durant l'année 1848. Le tableau B, annexé au rapport de l'honorable M. Deliége, indique, pour cette dernière année, une exportation de 2,990 hectolitres et pour l'année 1846, celle qui précéda la modification de la loi hollandaise, 2,855 hectolitres, chiffre à peu près égal. Ce n'est donc pas cette modification, qui a agi, c'est, j'en suis sûr, sur le bas prix des céréales; et en second lieu, les besoins de la consommation des pays transatlantiques, qui n'ont pu être que faiblement approvisionnés, durant les années de disette,
L'honorable ministre nous a dit encore que la diminution de recette sur les eaux-de-vie, en 1849, doit être principalement attribuée à l'exportation. Des chiffres officiels vont prouver le contraire. La recette totale a été de 3,568,126 fr. J'y ajoute la somme de 105,777 francs, restituée au maximum à l'exportation, c'est-à-dire que j'agis comme si on n'avait rien exporté pendant toute l'année et je n'arrive encore qu'à une recette de 3,673,903 fr., tandis qu'en 1844 le trésor a reçu 4,073,000 fr. et 1845 4,063,000 fr., malgré une restitution de 45,745 fr. Non, vous avez reçu plus durant ces deux années, parce que c'étaient des années d'activité, de prospérité industrielle qui ont exercé leur influence sur les consommations du pays et par conséquent sur les revenus du trésor. Jamais vous ne trouverez une compensation dans les restrictions apportées aux exportations, quand même celles-ci seraient devenues tout à fait impossibles.
M. le ministre des finances nous a donné les chiffres du droit payé par cent hectolitres de genièvre, suivant le temps employé à la fermentation des matières. Sa moyenne est de 24 heures de travail. En admettant cette donnée générale, n'y a-t-il pas une exception pour les produits destinés à l'exportation? Comme la quantité en est faible, relativement à toute la distillation du pays, elle n'affecte probablement pas la moyenne ; mais les distillateurs qui exportent n'en sont pas moins obligés de la dépasser.
Or, s'ils mettent 28 heures de travail, la restitution qui, sous la législation actuelle, serait de fr. 7-08, chiffre cité hier par M. le ministre, se réduirait à fr. 3-10, et avec 30 heures, à 1-64. Serait-il encore possible de songer à exporter avec un pareil drawback? Pourrait-on entrer en concurrence avec les distillateurs de Schiedam, sur un seul marché extérieur? Evidemment non. Si vous voulez, messieurs, conserver des chances, il ne faut donc pas admettre la réduction à 22 francs.
Une assertion de l'honorable M. Frère-Orban m'a frappé. Il nous a dit : « Je déclare, moi, que ma proposition est faite dans l'intérêt de l'agriculture. » S'il a raison, une objection sérieuse contre la modification qu'il propose, viendrait à tomber. En effet, j'ai toujours entendu dire que l'activité des distilleries est une chose précieuse pour l'agriculture, que sa prospérité y est intéressée, à cause des engrais qu'elles lui fournissent, d'une part, et à cause de la consommation qu'elles font de ses produits. Livrez des eaux-de-vie aux marchés extérieurs et vous augmenterez les engrais, pour les terres; vous contribuerez à accroître les moyens d'engraisser le bétail; vous aurez un emploi pour l'excédant de la récolte des seigles, ou pour ceux qui vous viennent du dehors. J'ai entendu dire souvent qu'exporter des genièvres c'est exporter des grains.
Tout cela n'est-il pas ainsi? Je m'en rapporterai à l'opinion de mes honorables collègues, plus compétents que moi ; je serai charmé d'entendre comment ils envisagent la question au point de vue de l'agriculture.
Une communication, qui m’a beaucoup moins frappé, c'est qu'il n'y a que 18 distillateurs qui prennent part aux exportations, et qu'il en est trois qui, à eux seuls, en ont la plus large part. Le nombre en fût-il plus restreint, je croirais encore devoir ménager leurs intérêts, parce que c'est par suite de notre législation qu'ils ont érigé et perfectionné leurs usines et que je ne voudrais pas leur enlever inopinément une position que la loi leur a faite et qui a dû leur faire croire qu'ils recueilleraient au moins le fruit de leurs sacrifices.
En définitive, l'intérêt général n'est pas autre chose que la combinaison, la réunion de tous les intérêts individuels et si on peut éviter d'en léser un seul. C'est toujours au profit de la généralité.
Jusqu'à présent, messieurs, je n'ai pas dit un mot de la question envisagée au point de vue des intérêts du commerce maritime; ce n'est pas que je les méconnaisse, bien s'en faut, et la chambre de commerce d'Anvers, par une pétition du 12 février, a signalé la liaison des intérêts de l'industrie et de l'agriculture avec ceux du commerce d'exportation et de la navigation. Mais ces derniers, malgré leur importance, ne peuvent exercer une égale influence sur la question que nous examinons; ils lui viennent fort bien en aide sans doute et apportent de puissantes raisons de plus pour se garder de modifications intempestives et exagérées à une législation, qui semblait devoir rester longtemps encore à l'abri de toute atteinte.
Je termine messieurs par la présentation d'un amendement. Il est motivé par les considérations que je me suis surtout attaché à faire valoir; il tend à concilier tous les intérêts; d'une part, il tient compte de l'intérêt du trésor; de l'autre, il accorde moins d'avantages aux distilleries, parce qu'il admet qu'elles ont perfectionné leurs procédés de fabrication. Ma proposition est un chiffre intermédiaire entre les 28 francs accordés à présent et les 22 francs proposés pour l'avenir.
C'est le parti le plus juste et le plus sûr que nous puissions prendre. Ceux de mes honorables collègues qui pensent avec M. de Brouckere que toutes les primes sont toujours des abus, qu'il faut se hâter de les détruire et de revenir aux sains errements de la liberté, doivent encore-vouloir de la transition.
D'ailleurs, en agissant ainsi, on conserve des chances de maintenir l'exportation. Si la restitution réduite à 26 francs est suffisante pour la permettre, s'il est même reconnu, après une nouvelle expérience, qu'on ne peut faire un pas de plus, on le fera en temps opportun et on aura l'avantage de faire parfaite connaissance de cause avec sécurité.
Voici mon amendement :
«La décharge des droits est évaluée à 26 francs par hectolitre d'eau-de-vie marquant 50 degrés, etc. »
(page 750) M. Lebeau. - Je n'avais pas l'intention de prendre part à ce débat, dont l'objet, je l'avoue, ne m'est pas très familier. Mais quand j'ai entendu les honorables MM. Delehaye et Rodenbach ne tenir aucun compte des observations si péremptoires, selon moi, présentées par l'honorable M. de Brouckere et par l'honorable ministre des finances, venir défendre le statu quo, au nom des distilleries agricoles, au nom des petites distilleries, j'ai éprouvé le besoin de déclarer, ou que je me suis grossièrement trompé, ou que, selon moi, les petites distilleries, les distilleries agricoles, ont trouvé dans ces honorables collègues des Flandres de bien dangereux protecteurs.
M. Delehaye. - Je demande la parole.
M. Lebeau. - Sans vouloir porter la moindre atteinte aux intentions, je doute beaucoup que les concurrents les plus jaloux de la prospérité, très relative du reste, des petites distilleries, des distilleries agricoles, parlassent autrement que ne l'ont fait ces deux honorables représentants. Comment ces honorables membres ont-ils essayé de démontrer qu'en se posant ici les défenseurs de statu quo, ils ont embrassé la défense des petites distilleries, des distilleries agricoles? Par ce raisonnement que je prends la liberté de soumettre à l'appréciation de la chambre : Si les grandes distilleries, si les distilleries qui sont en position d'exporter, voient le marché étranger se fermer pour elles par la suppression de la prime, condition essentielle de l'exportation, elles viendront faire une concurrence d'autant plus redoutable aux petites distilleries, aux distilleries agricoles qui ne peuvent travailler que pour la consommation intérieure et ne sauraient exporter.
Mais, messieurs, c'est précisément le contraire qui doit nécessairement résulter du statu quo. La prime étant énorme, et pour la toucher, la première condition étant une fabrication considérable, plus on exportera, plus les grandes distilleries conserveront d'eaux-de-vie indemnes de tous droits. il faudra bien dès lors qu'elles se défassent sur le marché intérieur de la quantité indemne, qui viendrait ainsi faire une concurrence désastreuse aux petites distilleries, aux distilleries agricoles. Celles-ci n'ont pas, messieurs, la faculté de jouir de la prime parce qu'elles n'exportent pas; dès lors aucune partie de leurs produits ne peut échapper à l’impôt. A mesure donc que le chiffre de l'exportation des eaux-de-vie croîtra, la ruine, la décadence des petites distilleries agricoles deviendra évidente aux yeux de tous. Je crois, messieurs, ne pas aller trop loin en disant qu'il n'y a pas un distillateur agricole, un petit ou moyen distillateur qui, ayant conscience de ses intérêts, ne doive répudier énergiquement le langage que l'on tient ici en leur nom.
Toutefois, nous ne devons pas être jaloux, messieurs, des avantages inhérents à des fabrications établies sur une grande échelle, favorisées par la situation des lieux, rapprochées du littoral, en possession de toutes les conditions qui permettent un grand développement, surtout du commerce extérieur. Jamais, quant à moi, je ne me rendrai l'organe d'étroites jalousies contre ceux qui sont uniquement favorisés par la nature des choses, par leur position.
Mais, messieurs, cette résignation que vous pouvez recommander aux intérêts froissés, vous ne pouvez la leur recommander, la leur prescrire qu'à une condition, c'est que la législation ne vienne pas au secours de leurs concurrents, c'est que ce ne soit pas de la législation seulement que leurs concurrents tiennent la faculté de détruire les intérêts rivaux. Eh bien! il s'agit ici de l'effet de la législation actuelle et cet effet ira croissant jusqu'à l'extinction complète des petits établissements, soit dans les villes de second ou de troisième ordre, soit dans les campagnes.
J'ai souvent entendu reprocher au gouvernement, au ministère, de se préoccuper trop exclusivement des intérêts du commerce, des intérêts de es qu'on appelait le haut commerce, reprochant en quelque sorte au ministère d'être inféodé aux intérêts du haut commerce, et pour dire tout, aux intérêts anversois.
Eh bien, messieurs, jamais protestation plus énergique et plus éclatante contre le soupçon, contre l'imputation d'une pareille partialité n'a été produite que par la présentation du projet actuel. Ce projet fournit une nouvelle preuve, qui du reste n'était pas nécessaire pour moi, que le ministère n'est ni liégeois, ni gantois, ni anversois, mais qu'il est belge et exclusivement national.
Le projet actuel aura donc mon adhésion, si même je ne vais pas un peu plus loin que le ministère. Cela dépendra des efforts qu'on fera d'un autre côté.
Sous le rapport fiscal seul, le projet de loi était commandé à M. le ministre des finances par les plus évident intérêts du trésor public. S'il est certain que vous continuiez la législation actuelle, que si cette législation était maintenue pendant plusieurs années, il arriverait de l'impôt sur les eaux-de-vie ce qui est arrivé de l'impôt sur le sucre, quand par l'effet d'une prime exagérée, le chiffre de l'impôt a été réduit à la chétive somme de 200,000 fr.
Voilà, messieurs, le résultat dont vous seriez menacés. Il est la conséquence inévitable d'une progression un peu large dans l'exportation des eaux-de-vie, sous l'influence de la prime actuelle. Cela n'est pas contestable. Ainsi, c'était un des premiers devoirs de M. le ministre des finances de venir s'opposer à la progression d'un tel mal.
Certes, messieurs, personne ne contestera que l'impôt sur l'eau-de-vie ne soit un des impôts les mieux établis, les plus rationnels de tous ceux que comprend notre législation. Il n'en est pas qui soit plus universellement consenti que celui-là.
Et quand je vois que dans un pays qu'on n'accusera certes pas de faire peu de compte des intérêts du commerce, de ne pas prendre souci des intérêts de la navigation; quand on voit dans un pays situé à côté de nous, d'une population bien inférieure à la nôtre, l'impôt sur l'eau-de-vie rapporter, dans certaines années, jusqu'à neuf millions et demi de francs, si les renseignements qui nous ont été donnés sont exacts, on a droit de s'étonner que l'impôt soit, dans notre Belgique, de 50 p. c. au moins inférieur, et menace, si la législation actuelle n'est pas profondément modifiée, de tomber à un chiffre véritablement insignifiant. Je dis qu'il y a un véritable scandale de voir des objets bien autrement nécessaires à l'alimentation de la partie la plus nombreuse de la population, frappés d'un impôt, alors que le droit sur les eaux-de-vie, par le jeu naturel de notre législation, finirait par tomber absolument à rien.
Il y a, messieurs, un point de vue où l'on ne s'est pas placé jusqu'à présent dans la discussion actuelle.
Ce n'est pas seulement dans un intérêt fiscal que je désire beaucoup que les abus auxquels M. le ministre veut mettre un terme cessent le plus tôt possible: ce n'est pas seulement parce que vous abaisserez par la prime le chiffre des droits, de manière à le rendre véritablement illusoire. Il est une autre raison pour laquelle je ne veux pas que le prix du genièvre soit réduit notablement, et ce serait la conséquence inévitable du maintien de la législation actuelle ; ce sont les considérations de santé et de moralité publiques.
Déjà, messieurs, les chambres législatives, le gouvernement ont reconnu le lien qui existait entre la moralité, entre la santé du peuple et la législation sur les distilleries. La loi qui a institué la patente spéciale sur le débit des boissons distillées, a été principalement dus, si vous voulez relire la discussion, à une pensée de moralité, à une considération de santé pour le peuple. C'est une raison pour laquelle, quant à moi, je serais beaucoup plus porté à voter, lorsque les circonstances le permettront, une nouvelle augmentation d'impôt sur les eaux-de-vie qu'à diminuer cet impôt. Je voudrais que graduellement, par l'effet du temps, par un heureux changement d'habitudes populaires, l'usage de l'eau-de-vie fût peu à peu remplacé par l'usage de la bière. Sous ce rapport, autant je me montrerai toujours disposé à frapper d'un droit élevé les produits des (page 751) distilleries, autant je serais disposé, si les circonstances le permettaient, à ménager, à favoriser même la production de la bière.
Un fait a été rappelé par M. le ministre dans cette discussion; je ne sais si on en a suffisamment entretenu la chambre; c'est l'abolition assez récente encore d'une prime considérable en Hollande. Il est évident que, aussi longtemps que la prime existait en Hollande, le gouvernement belge pouvait supposer que cette prime imposerait un frein assez puissant au développement de l'exportation belge. Mais l'abolition de la prime en Hollande, combinée avec son maintien chez nous, doit donner un développement considérable à l'exportation des eaux-de-vie belges. Cela me paraît évident. Savez-vous, messieurs, ce qui arriverait si vous persistiez à maintenir, en présence de ce qui s'est passé en Hollande, notre prime énormissime, pour me servir de l'expression, très juste, de M. le ministre des finances? Il arriverait probablement que les intérêts engagés en Hollande dans cette industrie, pèseraient assez sur le gouvernement de ce pays pour le forcer à relever la prime de son côté. C'est encore une considération à soumettre à la chambre. En général, je crois qu'il est extrêmement difficile, sans une entente mutuelle entre la Belgique et le gouvernement des Pays-Bas, de faire de grandes innovations, chez nous, en matière d'impôts indirects.
Je voterai, messieurs, pour le projet de loi par les mêmes raisons qui m'ont fait voter pour une augmentation d'accise sur les sucres. Je l'ai fait, parce que le gouvernement a conservé, envers cette industrie, surexcitée par la législation, de sages ménagements. Ces ménagements, le gouvernement me semble les avoir encore gardés dans la circonstance actuelle.
Le gouvernement a compris que faire le bien trop vite, si c'est bon pour la généralité, ce peut être un grand mal pour des intérêts respectables, d'autant plus respectables que notre législation, je le répète, a trop souvent contribué à leur développement exagéré. Sous ce rapport donc, j'appuierai très volontiers la proposition du gouvernement; mais j'espère que ce n'est qu'une loi de transition, et que, dans d'autres circonstances, le gouvernement fera mieux, dans l'intérêt du trésor, et sur les eaux-de-vie et, au besoin, sur les sucres.
M. Tesch dépose le rapport de la section centrale qui a examiné la loi portant institution d'une banque nationale.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met le projet à l'ordre du jour à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.
M. le président. - M. Prévinaire vient de déposer un amendement par lequel il propose de substituer le chiffre de 25 à celui de 22. La parole est à M. Prévinaire pour développer cet amendement. |
M. Prévinaire. - Messieurs, après le discours qui a été prononcé par l'honorable M. Veydt, j'aurai très peu de chose à dire pour appuyer mon amendement. La principale considération que j'ai à faire valoir, c'est celle de l'opportunité. J'ai eu l'honneur de le dire à la chambre, je suis hostile, en principe, à tout ce qui est prime. (Interruption.) Nous avons dans nos budgets des allocations qui, à mon sens, sont des primes. Vous avez au budget des crédits destinés à favoriser l'industrie et l'agriculture; ces crédits ne sont, en réalité, que des primes.
Vous avez au budget des crédits destinés à permettre au gouvernement d'établir des dépôts de chaux dans la province de Luxembourg et dans la province d'Anvers. Ces crédits ne sont que des primes; car, en définitive, ce sont des moyens d'encouragement qui constituent, en quelque sorte, un privilège. Si nous devions, messieurs, détruire d'une manière absolue toutes les primes qui existent dans nos budgets et dans nos lois, si nous voulions ne pas tenir compte des faits, de la nécessité de marcher d'une manière graduée, d'une manière modérée, dans les modifications à introduire dans la situation économique, il est évident que nous arriverions à des bouleversements tout en voulant le progrès.
C'est à cause de ces considérations, messieurs, que j'ai proposé de réduire provisoirement la prime à 25 francs, au lieu de la réduire immédiatement au taux indiqué par M. le ministre dans le projet de loi.
C'est ainsi, messieurs, que le gouvernement a marché, on l'a déjà dit, par rapport aux sucres, par rapport aux toiles de lin, par rapport aux toiles de coton. Je ne vois pas pourquoi, dans une question qui intéresse, quoi qu'on en ait dit, l'industrie agricole, on veut marcher d'une manière plus prompte et réduire immédiatement la prime dans la proportion de 60 p. c.
On a dit, messieurs, que les distilleries agricoles sont peu intéressées dans la question ou plutôt qu'elles ont intérêt à ce que le projet de loi soit adopté. Messieurs, les distilleries agricoles sont intéressées à ce qu'il n'y ait pas sur la place une grande quantité de genièvre indemne de droits; cela n'a pas besoin de démonstration. Mais il n'en est pas moins vrai que si vous menaciez d'une manière sérieuse l'écoulement des produits des grandes distilleries, les distilleries agricoles en ressentiraient immédiatement le contre-coup.
Une autre circonstance, messieurs, qui n'a pas été signalée jusqu'ici, c'est que la loi sur les distilleries contient un autre privilège. Les distilleries agricoles jouissent d'une prime de 15 p. c, dont on ne propose pas la suppression. Or, si vous changez la condition des grandes distilleries, nous aurons le droit de demander une mesure analogue pour les petites distilleries, or la suppression de la prime de 15 p. c. accordée à celles-ci, constituerait pour les autres un encouragement considérable et je pense que si le projet de M. le ministre des finances avait compris, la suppression de la prime dont il s'agit, les grandes distilleries, rendues à leur condition naturelle, à des conditions plus égales, ne se seraient pas plaintes dansai même proportion.
En résumé, messieurs, je demande que pour l'industrie dont il s'agit, on procède avec les mêmes tempéraments qu'on a appliqués jusqu'ici à l'industrie cotonnière, à l'industrie du lin et à l'industrie des sucres.
M. Osy. - Messieurs, j'aurai très peu de chose à ajouter au discours qui a été prononcé par l'honorable M. Veydt.
Je suis persuadé que lorsqu'on a voté la loi de 1842, on a voulu donner une prime à l'exportation. Il sera peut-être bon de réduire successivement cette prime, comme on l'a déjà fait pour les sucres. Avant la dernière loi sur le sucre, le trésor ne percevait, de ce chef, qu'une recette de 14 à 15 cent mille fr. Aujourd'hui une recette de 3,500,000 fr. est assurée; la prime est donc déjà considérablement réduite.
Mais vouloir, comme le propose le gouvernement, supprimer brusquement la prime pour l'exportation des eaux-de-vie, ce ne serait pas agir conformément à tous les antécédents que nous avons posés depuis bien des années.
Ainsi que l'a rappelé l'honorable M. Veydt, le gouvernement a institué des primes pour les industries des Flandres ; moi-même, j'ai engagé le gouvernement à abaisser successivement ces primes; c'est ce qu'il a fait, et je crois qu'il y a d'autant plus lieu à agir de même en cette circonstance, que les calculs donnés par M. le ministre des finances sont contestés par les industriels.
M. le ministre nous a lu hier la lettre d'un industriel dont il ne nous a pas donné le nom, j'avoue qu'après avoir relu cette lettre dans le Moniteur, je crois que c'est un industriel qui aura fait de mauvaises affaires et qui est jaloux de ceux qui travaillent encore.
Cet industriel parle d'un rendement de 6 1/2, c'est impossible, car les genièvres n'ont chance d'être exportés qu'autant qu'ils sont, autant que possible, de la même qualité que celui de Schiedam; on n'achèterait pas dans les colonies du genièvre qui serait moins bon que le genièvre hollandais.
Messieurs, il y a huit ans que nous avons fait une loi ; je vois par le tableau joint au rapport de la section centrale, que nous avons exporté 4,000 hectolitres en 1846; depuis, par suite de la cherté des grains, l'exportation a été presque nulle ; seulement en 1848, on a exporté 2,900 hect.; en 1849, il est vrai, l'exportation s'est élevée à 13,000 hect., mais pourquoi? Parce que les grains ont été à des prix assez bas, pour qu'on ait pu exporter. En outre, le marché intérieur était tellement encombré, qu'on a été obligé d'exporter; et c'est la raison pour laquelle les petits industriels ont réclamé le maintien de la loi avec les grands industriels et avoir ainsi moins de concurrence.
M. le ministre des finances nous dit que dans le pays, il n'y a que trois distillateurs qui exportent; il y a à Anvers des distillateurs qui exportent la moitié.
Comme il y a du vague sur la question du rendement, comme on ne sait pas s'il faut 24 ou 28 ou 30 heures pour avoir du genièvre clair comme le schiedam, je ne pense pas qu'on puisse abolir brusquement une loi qui a été votée, il y a huit ans, et cependant pendant les sept premières années, on n'a presque rien exporté. Ce qu'il y a de plus sage à faire, à mon avis, c'est d'adopter l'amendement de l'honorable M. Veydt; d'ici à un ou deux ans, le gouvernement nous dira si les exportations peuvent continuer, si le trésor peut en souffrir; on pourra peut-être constater alors si un calcul est plus exact que l'autre.
Messieurs, depuis quelques années, on a mis une foule de systèmes en avant. Si nous avions appliqué ces systèmes, que serait devenu le pays? Ainsi, par exemple, on a nommé une commission pour proposer une solution à la question de l'abolition des octrois; eh bien, ce projet sera bientôt enterré comme celui des assurances, parce que toutes les villes sans exception, je crois, ne veulent pas du système de l'abolition des octrois; on aurait donné aux villes l'impôt du personnel et celui des patentes, et le gouvernement eût cherché à combler ce déficit en augmentant les impôts indirects. On peut mettre des systèmes en avant ; mais il faut procéder avec modération quand il s'agit de les appliquer.
Eh bien, je ne puis pas abolir d'un coup une prime qui existe depuis longtemps, et qui n'a eu réellement d'effet que pour une année. La sagesse réclame que nous allions graduellement, et dans ce but, je le répète, la chambre ne saurait mieux faire que d'adopter l'amendement de l'honorable M. Veydt.
Messieurs, le maintien de la loi de 1842 ne présente pas un si grand intérêt pour le commerce et la navigation, le négociant achète son eau-de-vie hollandaise à l'entrepôt d'Anvers comme il peut l'acheter chez le fabricant, et là où il peut le trouvera meilleur compte. Mais tout se lie, et le commerce soutient la prospérité de l'industrie et de l'agriculture, et si on exporte beaucoup de produits du pays, on importe des marchandises pour la fabrication, et on obtient une plus grande activité d'affaires.
La question est d'un grand intérêt pour l'agriculture; en distillant beaucoup, vous avez beaucoup de résidu avec lequel vous engraissez votre bétail, vous vous créez le moyen de fructifier vos terres. Je bornerai là mes considérations.
(page 752) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, un fait nouveau s'est produit. Il y a, dans une pétition qui vous a été remise, un aveu tellement significatif qu'à mon avis on ne peut plus hésiter à adopter le projet du gouvernement.
Les distillateurs-exportateurs qui ont réclamé si vivement, annoncent à la chambre qu'ils sont en perte, que les exportations leur nuisent considérablement et qu'elles ont lieu uniquement dans l'intérêt de l'agriculture et du commerce. Les pétitionnaires disent :
« Les grains du pays de la récolte de 1848 ont été très bons et sont descendus par exception au-dessous des prix du Nord. Les distillateurs avaient beaucoup acheté; ils ont dû fabriquer beaucoup, ils ont forcé les exportations. Les premiers résultats connus annoncent beaucoup plus de perte que de bénéfice.
« Si la loi doit pousser à l'exportation des boissons distillées, ce n'est pas dans l'intérêt des distillateurs qui, tout le monde le sait, ne pourront jamais en retirer de grands bénéfices, mais pour favoriser l'agriculture d'abord, le commerce ensuite. »
Ainsi, la question des distillateurs travaillant pour l'exportation doit être mise de côté, nous allons leur rendre le service de ne pas les convier davantage à faire des exportations qui les constituent en-perte; nous avons leur aveu.
Si les exportateurs essuient ce préjudice, c'est dans l'intérêt de l'agriculture ; nous leur avons démontré qu'ils se trompent puisque les exportations laissent à leur disposition une quantité considérable de genièvre indemne de droit qu’ils livrent à la consommation en concurrence avec les distilleries agricoles; par conséquent qu'ils nuisent à l'agriculture; la chambre les fera sortir de leur illusion, car elle ne veut pas continuer à favoriser de cette façon les distilleries agricoles.
Pour le commerce, il est vrai qu'il a exporté 13 mille hectolitres ; il ne les exportera plus; peut-être ! C'est ce que nous verrons. On me fait observer que l'honorable M. Osy ne voit pas que l'intérêt du commerce soit engagé dans la question; nous devons l'en croire ; d'après lui, c'est dans l'intérêt de l'agriculture et non dans l'intérêt du commerce que la chambre doit repousser la loi. Nous venons de voir en quoi consistait l'intérêt de l'agriculture. Quant au commerce, eût-il un intérêt dans la question, cet intérêt est bien peu important; le bénéfice qu'il a pu faire sur le fret de 13 mille hectolitres est un intérêt si minime que la chambre ne peut l'acheter au prix de plus de 100,000 fr.
Personne n'est donc réellement intéressé, si ce n'est le trésor ; qu'on lui laisse 100 mille fr. qu'on veut lui enlever, somme qui ne manquerait pas de s'accroître l'année prochaine. Si j'en juge par les exportations qui ont été effectuées pendant le mois de janvier 1850, la recette, à la fin de cet exercice, serait singulièrement exposée. Il arriverait ce qui a eu lieu pour les sucres, un beau jour le produit de l'impôt est tombé à 200 mille francs.
Si vous persévérez dans la prime accordée à l'exportation des genièvres, il est évident que ce résultat se produira en peu d'années. Cette prime, M. Osy ne la connaît pas, il ne peut la déterminer ; mais ce que j'ai dit hier permet à tout le monde de l'établir et de voir, que dans quelque hypothèse qu'on se place, il y a une primé énorme.
J'ai dit qu'il fallait réformer les abus sans causer de perturbation, de préjudice; c'est ce que je fais, car il reste encore une prime de 4 fr. 58 c. en réduisant la décharge de 6 francs ; cela est reconnu par tous les distillateurs.
L'honorable M. Osy prétend que tous les distillateurs sont intéressés dans la question, que tous pétitionnent; cela est vrai. Mais il y en a beaucoup plus qui pétitionnent pour le projet que contre ; les distillateurs de Namur, Huy, Hasselt, demandent l'abolition de la prime. Le maintien n'est réclamé que par ceux qui en profilent. Ils sont au nombre de dix-huit, dont trois enlèvent à eux seul, 75 p. c. du montant total de la prime. Deux sont établis à Anvers et le troisième dans le Brabant.
Messieurs, tous sont intéressés à réclamer l'adoption du projet du gouvernement par la raison que ceux qui ne méconnaissent pas leur intérêt savent bien que la prime n'a d'autre effet que de leur créer une concurrence mortelle sur le marché intérieur; il faut être aveugle pour ne pas s'apercevoir que si quelques-uns prélèvent une prime, c'est au détriment du plus grand nombre.
- Plusieurs voix. - La clôture! la clôture!
M. de Breyne (contre la clôture). - Je viens d'entendre M. le ministre des finances énoncer que le trésor seul est intéressé dans la question. Je demande à pouvoir présenter quelques observations pour prouver que je ne partage pas son opinion.
J'espère que la chambre voudra m'accorder mon tour de parole avant de clore la discussion générale.
M. Manilius (contre la clôture). - Je pense que la chambre doit encore avoir un peu de patience. Elle vient d'entendre M. le ministre des finances après M. Lebeau qui l'avait brillamment suppléé; elle voudra bien entendre quelques mots en faveur de l'industrie que le projet dont il s'agit met en question.
M. Deliége (contre la clôture). - Je demande, si on ferme la discussion, que le rapporteur soit entendu. Dans un écrit qui a été répandu à profusion, qui a été distribué à tous les membres et inséré dans les journaux, on a dit que les conclusions du rapport étaient basées sur des données fausses, inexactes; on a dit qu'on avait passé avec une sorte de préméditation sur l'intérêt de l'agriculture; on a dit qu'on avait que dédain pour elle, etc. Je demande à pouvoir défendre les conclusions de la section centrale.
- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
M. de Breyne. - Messieurs, le projet de loi modifiant la décharge accordée pour l'exportation des eaux-de-vie indigènes me semble devoir être examiné sous différents rapports. L'industrie, le commerce, la navigation, l'agriculture et les finances de l'Etat, sont intéressés dans la question, et dès lors le projet de loi mérite d'être traité de la manière la plus sérieuse.
En effet, messieurs, quelle a été l'intention du législateur en votant l'article 21 de la loi du 27 juin 1842? Il est évident, messieurs, qu'il a voulu développer l'industrie indigène, favoriser le commerce, fournir des marchandises pondéreuses et encombrantes à la navigation et donner de l'encouragement à l'agriculture, sans grever le trésor d'une charge trop lourde.
Que la loi de 1842 ait atteint le but que le législateur a eu en vue, n'en n'est plus certain, et personne dans cette chambre ne viendra contester cette assertion, puisque l'on en trouve la preuve évidente dans le développement de M. le ministre des finances et dans le rapport de la section centrale.
Messieurs, je l'avoue franchement, je ne comprends pas comment il se trouve dans le pays un seul individu qui veuille s'aventurer dans les risques des entreprises industrielles, avec notre système d'instabilité des lois industrielles et fiscales. A peine un ministère a-t-il fait adopter par les chambres un projet qui tend à développer les principales branches de notre richesse nationale, à peine l'industrie a-t-elle fait des sacrifices considérables pour introduire dans ses usines, dans ses ustensiles et ses machines les changements et les transformations indispensables pour profiter des bénéfices de la loi, qu'un autre ministère, pour des motifs que j'appellerai respectables, mais qui me semblent peu fondés, vient bouleverser le système existant, et enlever à l'industriel la récompense de ses peines et de ses sacrifices.
Si j'examine la question sous le point de vue du commerce, quel est le reproche que j'ai entendu faire cent fois au commerce du pays, tant en dehors qu'en dedans de cette enceinte? Mais que le commerce belge est trop prudent, qu'il n'est pas assez entreprenant pour faire des expéditions lointaines à ses risques et périls et qu'il faut l'encourager à s'exposer aux chances de gain et de perte que la recherche de nouveaux débouchés présente.
Eh bien, messieurs, les bénéfices de la loi de 1842 livrent un produit nouveau au commerce maritime, des essais sont faits, les premiers résultats sont favorables, le commerçant belge devient plus entreprenant, et va se laver des reproches qu'on n'a cessé de lui faire. Mais il est bientôt arrêté dans ses projets, M. le ministre des finances ne partage pas la manière de voir de ses devanciers, le système des primes ne semble pas mériter sa protection et, dans sa sollicitude pour les intérêts du trésor, sollicitude qui, sous un certain rapport et dans d'autres circonstances, obtiendrait mon appui et mon assentiment, M. le ministre, dis-je, vient d'un trait de plume annuler l'espoir du commerçant et mettre des entraves au commerce maritime et aux expéditions lointaines.
Ce que j'ai l'honneur de vous dire du projet de loi, par rapport au commerce, peut également s'appliquer à la navigation.
Vous voulez encourager la navigation, vous faites une loi différentielle, vous donnez des primes pour la construction de navires; et par le projet qui est en discussion, vous arrêtez des mesures diamétralement opposées au but auquel vous voulez arriver.
Nous payons de gros appointements à nos envoyés près des cours étrangères, nous établissons à grands frais des consulats dans tous les pays, nous nous réjouissons des moindres traités que nos négociateurs parviennent à signer, à force de sacrifices, avec les nations voisines, et le gouvernement semble vouloir aller à rencontre de tous ces efforts, en nous présentant des projets qui doivent restreindre, au lieu de développer, les transactions commerciales, et les expéditions des produits de nos industries.
Si j'envisage la proposition ministérielle sous le point de vue de l'agriculture, la question s'agrandit encore et la mesure proposée n'est pas moins fâcheuse que sous tous les autres rapports.
Sans avoir égard aux nombreux avantages indirects, que le développement de la fabrication des eaux-de-vie indigènes apporte à l'industrie agricole, je n'examinerai la question que sous une seule face et je prendrai pour point de départ un chiffre ministériel.
D'après l'évaluation de M. le ministre des finances, douze à treize mille hectolitres d'eau-de-vie seront exportés dans le courant de cette année. Moi, messieurs, au lieu de déplorer ce résultat, je m'en applaudis: et je suis certain que tous les amis de l'agriculture partageront ma manière de voir à cet égard. Treize mille hectolitres de spiritueux ne représentent-ils pas plus de quarante mille hectolitres de grains enlevés à notre trop-plein, pour, après avoir subi une transformation dans le pays, servir de moyen d’encouragement à notre commerce maritime dans les expéditions lointaines?
Quarante mille hectolitres de céréales ne forment-ils pas le produit de trois mille hectares de terre à labour? N'est-ce pas une somme de quatre cent cinquante mille francs, versée dans la campagne, dans un moment où le cultivateur est heureux de trouver une occasion de se défaire de ses produits, afin de pouvoir faire honneur à ses engagements?
Et cette quantité considérable de grains, convertis, au moyen de la distillation, en résidu ou matière servant à la nourriture du bétail, ne va-t-elle pas restituer à la terre la propriété fertilisante, après avoir fourni le moyen de fabriquer une énorme masse de viande, cette nourriture bienfaisante et indispensable à la conservation des forces vitales de l'homme?
(page 753) Il résulte de tous ces faits et d'un grand nombre d'autres, qui ont été cités par d'honorables collègues dans ces deux séances, et particulièrement par l'honorable membre qui siège à ma droite, que les intérêts de l'agriculture sont si intimement liés à ceux de l'industrie de la distillation des spiritueux, que la décadence ou la prospérité de celle-ci doit nécessairement exercer une influence funeste ou salutaire sur celle-là.
Enfin, messieurs, examinons le projet sous son dernier point de vue; sous le rapport de la question financière, et voyons approximativement ce que l'industrie du distillateur d'eau-de-vie produit au trésor, et ce que l'Etat sacrifie pour encourager une des industries des plus importantes du pays.
Le produit de l'accise sur l'eau-de-vie indigène peut être évalue a une somme ronde de 3,500,000 fr.
L'impôt sur le débit des boissons alcooliques rapportera 1,000,000 fr.
Si nous ajoutons à ce calcul la part contributive que le commerce de ces boissons paye comme droit de patente, soit 500,000 fr., nous arrivons à un chiffre rond de produits que l'on peut, sans exagération, évaluer à 5,000,000 fr.
D'un autre côté, voyons quel est le sacrifice que l'Etat peut avoir fait pour l'exportation du genièvre, avec décharge de l'accise, en six ans, depuis le 1er janvier 1843 jusqu'au 31 décembre 1848.
L'exportation, année commune, s'est élevée à 2,350 hectolitres pour lesquels l'Etat a fait un sacrifice de 75,000 fr., c'est-à-dire un et demi pour cent de ce que cette industrie produit au trésor.
Cette prime, messieurs, si faible sous le point de vue du trésor, ne devrait pas fixer notre attention, si ce n'est pour les avantages qu'elle n'a cessé de produire; cette prime, dis-je, est encore trop forte pour M. le ministre des finances et pour la section centrale. Quant à moi, je ne pourrais les suivre dans cette voie, et je voterai contre le projet en discussion, tout en déclarant que je suis disposé à accepter toute proposition raisonnable de conciliation.
M. Manilius. - Dans la situation où en est la discussion, il s'agit de saisir immédiatement la question du rendement. C'est ce qui doit être rendu clair et précis.
On ne peut vouloir (du moins je ne puis supposer que ce soit la pensée de la chambre) qu'une industrie chargée d'un droit de consommation ne puisse avoir des moyens d'exportation. C'est ce que la chambre et le gouvernement ne peuvent vouloir.
De quelle manière est-on venu argumenter pour modifier la loi? M. le ministre des finances a cherché à nous démontrer par des tableaux très longs, très développés, en groupant une masse de chiffres reposant sur des hypothèses et finissant par conclure par des suppositions, que le rendement est extrêmement élevé, même au-dessus de la réalité. Mais en définitive, cette argumentation n'a trouvé qu'un seul appui : c'est l'appui bénévole de l’honorable M. Lebeau, qui n'a rien produit pour appuyer ces chiffres. Il a parlé longtemps; il a parlé beaucoup; mais il s'est borné à déclarer pour appuyer les chiffres de M. le ministre, qui reposent, je le répète, que sur des hypothèses, sur des suppositions, que cette démonstration était péremptoire.
Devant quoi sommes-nous? Devant une loi qui a accordé une restitution de 28 fr. Ces 28 fr. constituent la ristourne pure, claire, exacte des droits prélevés sur la consommation intérieure. On n'a pas voulu plus. Je ne vous conteste pas que, dans l'exposé des motifs comme dans le rapport de 1842, il a été dit qu'il ne fallait jamais rester en dessous, qu'il fallait plutôt être au-dessus. Mais on n'a pas voulu accorder une prime : on a simplement voulu ne pas être ingrat envers une industrie qui a droit à des moyens d'exportation.
Je ne reviendrai pas sur ce point. Mais je dirai que j'ai un regret : c'est de pas voir à leur banc MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères, qui ont l'agriculture, l'industrie et le commerce dans leurs attributions ; car je pense qu'ils auraient partagé ma manière de voir, qu'ils seraient restés fidèles aux principes qui les ont guidés toutes les fois qu'ils ont été au pouvoir.
Qu'avons-nous vu, en effet? Quels sacrifices n'a-t-on pas faits dans le temps pour favoriser l'exportation !
L'honorable M. Rogier, comme l'honorable M. Lebeau, n'étaient-ils pas au ministère lorsqu'on a fait l'acquisition du steamer British-Queen? N'était-ce pas pour favoriser l'exportation de nos produits? Car je ne sais ce que l'on peut vouloir exporter, si ce n'est les produits de notre industrie nationale, et les eaux-de-vie sont certes an nombre de ces produits.
Je pense que nous avons voulu la restitution des droits, comme pour les sucres. Nous avons cherché à faire quelque chose de raisonnable. La situation est identiquement la même, sauf que, dans la question des sucres, vous vous êtes trouvés en présence de deux espèces de produits : le sucre exotique et le sucre indigène qui est venu compliquer la question et en rendre la solution très difficile. A cet égard, il y a une différence du tout au tout, puisque nous n'avons pas une double voie de production pour les eaux-de-vie. Vous n'en avez pas voulu; car lorsqu'il s'est agi des sucres, on avait proposé la libre entrée des mélasses, on l'a prohibée, on continue de la prohiber, dans un intérêt purement fiscal, tant pour les accises sur les sucres que sur les alcools. Or, vous voulez éviter de voir tarir ces ressources du trésor, et vous avez raison.
Tout à l'heure j'ai interrompu M. le ministre des finances pour lui faire observer que les nombreuses pétitions qui sont déposées sur le bureau émanent de la partie du pays où il y a le moins de distilleries, c'est-à-dire où il y a le moins d'intéressés. En effet, quand vous faites le dénombrement de nos distilleries, vous reconnaissez bientôt qu'elles ne sont pas dans les provinces de Namur et de Liège, ni dans le Limbourg et le Luxembourg, mais qu'elles sont, au contraire, dans les cinq autres provinces. Je trouve, en effet, dans une des pièces qui ont été imprimées qu'il y a 886 distilleries dans les provinces flamandes, le Brabant et le Hainaut; tandis qu'il n'y en a que 254 dans le Limbourg, le Luxembourg, les pays de Liège et de Namur. Il ne se trouve donc dans ces quatre dernières provinces que le cinquième environ des intérêts; je crois même que cette proportion est encore trop forte, car les grandes distilleries, celles auxquelles M. le ministre a fait allusion, pour prouver que l'exportation ne profitait qu'à un petit nombre d'industriels, se trouvent dans le Brabant, la province d'Anvers, les Flandres et le Hainaut.
On a objecté aussi que dix-huit industriels seulement profitaient de l'exportation et que parmi ces dix-huit industriels il y en avait trois qui faisaient des exportations colossales, qui à eux seuls les feraient bientôt toutes.
Mais, messieurs, il faut tenir compte des faits qui se passent dans ce commerce. Ne vous figurez pas que ces trois industriels n'exportent que des produits de leurs usines. Ce sont trois agents, trois aides à l'exportation, qui achètent les produits des autres distillateurs. Les exportations se font par l'achat des eaux-de-vie en entrepôt et la prise en charge.. C'est ce qui se fait aussi pour les raffineries de sucre. Croyez-vous que les industriels raffineurs seuls exportent et qu'ils n'exportent que leurs produits? Non, il en est qui exportent pour le compte d'autrui, qui achètent le droit d'exportation.
Cet argument qu'on a fait valoir ne dit donc rien, Comment croire en effet, messieurs, que sur plus de onze cents distillateurs 18 seulement auraient pensé à exporter, à prendre une part dans cette somme hypothétique de cent mille francs? Le prétendre, c'est réellement supposer bien du génie à ces 18 industriels et faire injure aux mille à onze cents autres, qui auraient assez peu connu leurs intérêts pour ne pas voir que le gouvernement leur jetait des millions en pâture.
Remarquez, messieurs, que la loi est en vigueur depuis huit ans. Et c'est lorsqu'une loi a été exploitée par ce qu'il y a de plus adroit, par les industriels, que l'on viendra prétendre que 18 d'entre eux seulement, sur 1,100, ont connu leurs intérêts, que 3 seulement les ont pris au sérieux! Messieurs, cela n'est pas admissible; aussi ne l'a-t-on pas prouvé. On a groupé des chiffres, on s'est basé sur des hypothèses, on a conclu sur des suppositions, mais on n'a rien prouvé. Ce que nous prouvons, nous, au contraire, c'est que l'industrie des distilleries a toujours payé, beaucoup payé. Vous avez perçu, pendant les temps les plus calamiteux, des sommes énormes; en 1848, vous avez perçu des sommes énormes; en 1849 vous avez perçu une somme de 3 millions et plusieurs centaines de mille francs, ce qui est encore une somme énorme. Or, si l'exportation avait procuré de si grands avantages, vous n'auriez pas reçu ces somme, comme vous ne les avez pas reçues dans le temps pour le sucre. Votre raisonnement n'est donc basé sur aucun fondement solide.
Messieurs, ce que nous voulons, c'est que l'industrie puisse continuer ses opérations en jouissant de la liberté des exportations. Faut-il maintenir le taux de la charge à 28 fr. ? Peut-on le réduire à 26, à 25, à 22 fr. C'est la question. Quant à moi je craindrai toujours de frapper trop vivement et trop brusquement des industries qui ont des droits acquis. La justice nous ordonne de ne pas admettre un chiffre trop bas, je me rallierai donc à l'amendement de l'honorable M. Veydt, qui l'a appuyé de raisons assez solides pour que je me dispense d'entrer dans de plus grands développements.
(page 758) M. Deliége, rapporteur. - Les conclusions de la section centrale reposent sur deux données :
La première, c'est le temps employé dans les distilleries pour la fermentation, pour le travail des cuves matières.
La deuxième, c'est le rendement, c'est-à-dire la quantité de litres de genièvre que le distillateur obtient d'un hectolitre de matières premières.
Le temps employé dans les distilleries pour obtenir une fermentation convenable est de 24 heures au plus. La section centrale en est convaincue.
Le rendement : la section centrale l'a évalué à 5 3/4 litres de genièvre par chaque hectolitre de matières.
Nous croyons, messieurs, que ces données sont exactes ; nous croyons que, s'il y a eu erreur de notre part, elle est toute en faveur de l'exportation.
Le rapport de la section centrale, les discours des honorables membres qui ont pris la parole vous auront laissé peu de doute sur ce point.
Je me bornerai donc à résumer la discussion en développant quelques nouveaux moyens qui n'ont pas encore été produits.
D'abord, quant au temps employé pour obtenir une fermentation convenable, on le croyait de 36 heures en 1842. La législature a versé alors dans une erreur grave ; car les observations que le gouvernement a fait faire depuis, et qui ont été suivies par l'administration des accises, avec la plus scrupuleuse attention, et pendant sept ans, prouvent d'une manière irréfragable que ce temps n'est que de 24 heures, pour obtenir un rendement de 6 litres au moins.
Le résumé du travail de l'administration des accises se trouve dans le tableau littera A, annexé au rapport; il est de nature à convaincre les plus incrédules.
Aussi une foule de distillateurs avouent-ils aujourd'hui que le temps nécessaire pour obtenir des matières convenablement fermentées est de 20 à 24 heures.
C'est un point qui doit être mis hors du débat, il est incontestable. Le second point, le rendement, est prouvé d'une manière tout aussi incontestable.
D'abord deux distillateurs ont avoué, dans les bureaux du ministère, qu'il était de 5 3/4 litres au moins. Dans une assemblée de distillateurs qui a eu lieu récemment, un distillateur a dit qu'il n'obtenait qu'un rendement de 5 à 5 1/2 litres en 24 heures, et ses paroles ont été accueillies par des murmures, et un autre distillateur lui a dit, que s'il en était ainsi, il pouvait fermer sa distillerie.
C'est ce qu'un honorable membre de la chambre est venu certifier.
D'ailleurs, messieurs, vous avez au milieu de vous un honorable collègue qui a des connaissances spéciales en cette matière; l'honorable M. Dautrebande, il m'excusera si je cite son nom, a trouvé, dans la succession d'un parent, une distillerie, avec d'autres biens; il a continué à l'activer, en société je crois, avec l'un de ses fils; demandez-lui si le chiffre de 5 3/4 est exact, il vous dira qu'il est au-dessous de la vérité, qu'il obtient bien davantage.
A Anvers, messieurs, c'est du reste un fait consigné dans les archives de la ville, il s'est fait des expériences qui ne laissent pas le plus petit doute sur la solution que nous devons donner à la question qui nous occupe.
Voici ce qui s'est passé à Anvers :
Vous savez que, dans cette ville et dans plusieurs autres villes du royaume, il existe, quant au genièvre qui s'exporte extra muros, le même système de drawback que celui résultant de l'article 21 de la loi sur les distilleries.
A Anvers, l'octroi sur le genièvre rapportait beaucoup; il se trouva diminué des deux tiers en 1838.
Le drawback fut réduit en 1841, il fut prouvé, par des expériences faites dans deux distilleries d'Anvers, que le rendement était de 6 litres 39 centilitres, soit 6 litres et un tiers, un peu plus.
La section centrale, en adoptant la moyenne entre 5 1/2 et 6, alors qu'il avait été constaté, au sein même de la ville d'Anvers, que ce rendement était de 6 et un tiers, alors que la lettre datée d'Anvers, qui vous a été lue hier par M. le ministre des finances, dit qu'il est de plus de six, a-t-elle été injuste envers les distillateurs qui exportent? N'a-t-elle (page 759) pas montré beaucoup de modération? N'a-t-elle pas fait preuve de respect pour les positions acquises, disons-le franchement, pour les privilèges existants? D'autant plus que ce privilège frappe bien durement les distilleries agricoles ; les distilleries agricoles dont on déplorait encore le sort, il y a quoique temps, que l'on disait alors écrasées par une concurrence qui se faisait avec les fonds de l'Etat, au moyen d'un privilège que l'on traitait d'odieux.
Si vous n'avez aucun égard pour la déclaration des distillateurs eux-mêmes, si vous n'avez pas foi dans la parole de l'honorable M. Dautrebande, ayez au moins foi dans les expériences faites par le conseil communal d'Anvers, car c'est principalement dans la province d'Anvers que résident les distillateurs qui jouissent de la prime, qui réclament le plus vivement. Deux distillateurs de cette province et un autre de Bruxelles en enlèvent les 3/4. Vous pouvez donc avoir pleine confiance dans les expériences faites à Anvers.
Le directeur de l'octroi d'Anvers est convaincu que le rendement est de plus de 6 p. c.
Il en est de même du directeur de l'octroi de Gand.
Il en est de même du conseil communal d'Ypres.
Demandez à l'honorable M. Vandenpeereboom, à notre honorable secrétaire, ce qui se passe à Ypres, quant à l'octroi sur le genièvre; il vous fournira son contingent d'arguments en faveur des conclusions du rapport de la section centrale.
L'inspecteur des accises de la Flandre orientale a constaté lui-même dans une distillerie de Gavres que le rendement était de 6 litres en 20 heures, ce qui équivaut à 7 1/5 litres par 24 heures.
Qu'on ne prenne pas, messieurs, ce rendement comme règle, parce qu'il dépend peut-être de la perfection des appareils ; quoique tous les distillateurs perfectionnent aujourd'hui leurs appareils distillatoires.
A Anvers, messieurs, permettez-moi de revenir encore à Anvers (je prends les distillateurs qui exportent sur leur propre terrain), l'exportation extra muros s'est élevé, en 1849, au chiffre énorme de 28,482 hectolitres, et au lieu de 90,000 francs que la caisse communale avait perçus en 1829, savez-vous ce que cette caisse a perçu en 1849? 13,200 francs.
Et savez-vous, messieurs, pour combien le plus grand distillateur a contribué dans cette faible somme de 13,200 fr.?
Pour le chiffre de 1,600 fr. environ, messieurs, et encore il est plus que certain que ce distillateur a bien voulu payer ces 1,600 fr., car dernièrement on l'a soupçonné de fraude et il a insinué qu'il ne payerait plus rien.
Voilà ce qui s'est passé à Anvers, et les chiffres que j'ai posés je les garantis, je les livre à la chambre ; je les livre aux honorables députés d'Anvers, sans crainte de les voir vérifier sur les documents officiels.
De nouvelles expériences ont été faites récemment à Anvers, et on prétend que la grande perfection des instruments dont certain distillateurs se servent aujourd'hui leur procure 7 p. c. en 20 heures, soit 8 1/4 en 24 heures.
Un rapport du contrôleur des accises le prouve, et ce qui vient à l'appui de ce rapport, c'est la diminution si notable du revenu de l'octroi jointe à une activité des plus remarquables, dans les distilleries.
Un tel état de choses n'est-il pas alarmant pour l'une des sources les plus légitimes de notre revenu?
J'ai dit, dans le rapport de la section centrale, que dans nos villes où il y a des distilleries (et j'ai pris pour exemples les villes d'Ypres, de Gand et d'Anvers, de Gand et d'Anvers où on réclame le plus vivement contre le projet de loi que nous discutons), on accordait à l'exportation pour l'octroi une décharge qui, si le droit était d'un franc par hectolitre de cuve matière et par jour, s'élèverait en moyenne à fr. 17-08.
Et cependant, dans ces villes, les distillateurs qui exportent ne réclament pas; les autres distillateurs, au contraire, disent qu'ils sont écrasés par le monopole créé par le plus injuste privilège.
Nous savions qu'on ne manquerait pas de dire que nous sacrifions encore une fois les intérêts de l'agriculture.
Mais, messieurs, ne boit-on pas du genièvre dans les campagnes? ne voit-on pas des hommes, des femmes, des enfants en boire à grands verres et, comme bien des ouvriers des villes, devenir plus méprisables, plus déraisonnables que des brutes, ruiner leur santé et leur famille? Allez au sein de ces familles, et elles vous confieront les tristes effets de la conduite du père !
Allez voir ce qui se passe aux cours d'assises, aux tribunaux correctionnels, aux tribunaux de police, là vous entendrez continuellement la même excuse, j'avais bu un petit coup.
Non, messieurs, les agriculteurs ne consentiront pas à sacrifier leurs intérêts moraux, leurs intérêts les plus sacrés en vue de faibles intérêts matériels.
Mais voyons si l'agriculture et les distilleries agricoles sont matériellement intéressées à accorder une prime exorbitante à quelques distillateurs? D'abord les petits distillateurs, les distillateurs agricoles, qui se plaignent aujourd'hui du monopole accordé aux grands distillateurs, résident dans une foule de localités du pays. Ils devront cesser leur industrie, écrasés qu'ils seront, si vous n'admettez pas le projet de loi, par les distillateurs qui jouissent de primes qui se sont élevées pour trois d'entre eux, en 1849, à plus de 110,000 francs.
Déjà plusieurs petites distilleries sont fermées.
Les distillateurs qui exportent sont placés de manière à ne pas toujours pouvoir vendre les résidus de la distillation à l'agriculture. L'importance de ces établissements empêche que ces résidus ne parviennent aux cultivateurs que chargés de frais de transport, et alors les agriculteurs ont peu ou point d'intérêt à les acquérir.
Ensuite, messieurs, un propriétaire voulant améliorer ses terres, que faisait-il? Une distillerie agricole. Aujourd'hui la concurrence de quelques grands établissements l'en empêchera, les avantages qui résulteront pour lui, pour sa propriété, de la création d'une distillerie, ne seront nullement en rapport avec les sacrifices qu'il devra faire.
En dernier lieu, les grands distillateurs où vont-ils acquérir leurs grains? Où ils sont au meilleur prix.
Ils sont assez riches pour faire leurs achats à l'étranger.
Les distillateurs agricoles, au contraire, achètent leurs matières premières dans le pays.
L'agriculture est donc intéressée et très intéressée à ce que nous tenions la balance entre les distillateurs, à ce que nous n'accordions pas à quelques-uns un monopole au détriment des autres.
Ce qui le prouve à l'évidence, c'est que ce sont les petites distilleries qui demandent l'adoption du projet de loi. C'est Huy, c'est Namur, c'est Hasselt, c'est Liège.
En quatrième lieu, l'honorable M. de Brouckere me l'a dit, que fait-on dans les villes? Au moyen du système de drawback, on établit des primes, au préjudice des industriels des campagnes, au préjudice des négociants qui habitent hors ville, au grand détriment de nos négociants des campagnes, qui sont ainsi hors d'état de soutenir la concurrence.
Voilà, messieurs, ce que vaut ce fameux argument tiré de l'intérêt des campagnes.
Aussi, un orateur qui a pris la parole dans la séance d'hier, et qui est défavorable au projet, nous a-t-il démontré qu'il ne s'agissait nullement ici de l'intérêt des campagnes , mais bien de l'intérêt des villes. Il craint, nous a-t-il dit, de voir émigrer la distillerie; de la voir quitter la ville, pour aller s'établir à la campagne. Crainte chimérique, mais qui démontre le peu de valeur de l'argument que l'on emprunte à l'intérêt agricole.
Nous ne sommes, du reste, nullement embarrassé de prouver que les exportations continueront comme auparavant.
D'abord nous l'avons démontré, en accordant une décharge de 22 fr. à l'hectolitre, les distillateurs qui exportent auront encore fr. 4 58 de prime à l'hectolitre.
Ils en ont exporté, en 1849, près de 14,000.
L'exportation continue, messieurs, elle prend même de nouveaux développements.
En 1850, ils auront à partager 64,000 fr., et trois d'entre eux prendront dans cette somme, chacun 16,000 francs, un peu plus, un peu moins.
Je trouve, messieurs, qu'il n'y a pas là de quoi se plaindre.
D'un autre côté, combien vend-on le genièvre au Brésil? combien le vend-on à Rio de Janeiro ?
J'ai ici, messieurs, sous la main, les prix de novembre 1849, et tandis qu'à Anvers le genièvre était côté à 26 centimes le libre en entrepôt, il se vendait, à Rio de Janeiro, tous frais déduits, même l'intérêt pour le retard du payement, à 36 centimes.
C'est, messieurs, un négociant d'Anvers qui a fait des expéditions de genièvre au Brésil qui m'a donné ces prix.
Je les ai communiqués à un distillateur qui exporte, et il m'a répondu qu'il fallait bien cela pour le danger que l'on courait quand on exportait !
Ainsi, messieurs, 10 francs de gain au Brésil, et 10 francs de prime, font bien 20 francs sur 26, soit 77 p. c. de bénéfice.
Je me demande, messieurs, si nous agissons bien durement en réduisant 77 p. c. de bénéfice à 54 p. c.
La prime n'est donc pas nécessaire au commerce pour exporter.
La prime, c'est en ce cas de l'argent que nous tirons de la poche du contribuable pour en faire un cadeau.
Il n'y aurait que demi-mal, je le répète, si ce cadeau ne servait pas à ruiner ceux qui exercent la même industrie et à qui nous n'en faisons pas; ceux même qui contribuent à le payer.
Et il sert en effet à le ruiner, car au moyen de la prime les grands distillateurs ont pu jeter, en 1849, sur le marché intérieur 8,450 hectolitre indemnes du droit. Trois d'entre eux en ont pu jeter 6,300 hectolitres.
N'est-ce pas là une faveur injuste, alors que le distillateur qui élève une distillerie pour améliorer sa terre, doit payer 17 fr. de droit, ou à peu près, pour chaque hectolitre ?
Messieurs, on a dit, on a publié que j'avais écrit dans le rapport, qu'en 1842, le temps voulu pour obtenir une fermentation convenable était de 36 heures, et qu'aujourd'hui, il n'était que de 24 heures.
Je n'ai rien écrit de semblable dans le rapport. J'ai écrit qu'en 1842, le ministre M. Smits, avait dit que ce temps était de 30 à 36 heures.
Voici la teneur d'une note que M. Smits a fournie alors à la section centrale :
« Lorsqu'on fabrique du genièvre pour l'exportation, on prolonge la fermentation de 30 à 36 heures.
« En supposant, car on l'a fait jusqu'ici, que le rendement en genièvre soit de 5 1/2 litres par hectolitre de manières macérées l'accise, proposée répondrait à 27 fr. 27 c. par hectolitre de genièvre, à 50 degrés, préparé pour l'exportation. Le revient réel de l'impôt est cependant inférieur à cette somme, car il est très peu de fabriques où l'on n'obtienne que cinq et demi de rendement.
(page 760) « Toutefois, pour être certain de ne pas léser les intérêts des distillateurs, on admet le chiffre de 27 fr. 27 c, qui fournirait le montant de la décharge à accorder à l'exportation, dans l'hypothèse que l’on se bornât à la restitution de l'accise dont l'exportateur est redevable. »
Vous voyez donc, messieurs, que M. Smits croyait que le rendement était de 5 p. c, que le temps voulu pour la préparation des matières premières était de 30 à 36 heures.
Mais alors, comme aujourd'hui, ces données étaient fausses, et ce qui le prouve, c'est ce qui a été constaté chez les distillateurs d'Anvers.
La législature n'a donc pas voulu accorder de prime à l'exportation.
La législature a été trompée par la parole du ministre, qui s'était lui-même trompé.
Si la prime est le résultat d'une erreur, doit-on subir éternellement la conséquence d'une erreur ?
Les distillateurs qui exportent viennent faire la concurrence à Namur, à Huy, à Liège, jusqu'aux portes de Hasselt.
Et cette concurrence, ils l'exercent au détriment du trésor, par suite d'une erreur; mais il y a là, messieurs, une flagrante injustice pour les autres distillateurs.
Je sais que l'on a dit que d'autres industries jouissent de primes considérables, et on n'a pas manqué de citer le sucre.
Mais, messieurs, n'avons-nous pas déjà réduit la prime sur le sucre ? Et cependant le sucre est au moins une nourriture; le sucre est à bon compte, c'est le luxe du pauvre, et le genièvre ne sert qu'à altérer la santé, à rendre l'homme semblable à la brute.
M. Mercier s'est bien gardé de contester les bases des calculs de la section centrale; il sait que ces bases sont exactes. Il n'a pas fait ainsi en 1842, pour le genièvre ; car il nous a dit qu'il avait combattu, en 1842, le drawback, dans lequel il voyait, lui, une prime! Et aujourd'hui il le défend.
Mais, dira-t-on, respectez les positions acquises; des capitaux ont été engagés dans l'industrie qui fait le sujet de notre discussion, en vue de la prime, et ces capitaux, vous les amoindrissez, vous les annihilez.
Messieurs, si cet argument peut exercer la moindre influence sur votre vote, veuillez consulter les archives du ministère des finances.
Il s'y trouve un inventaire des appareils distillatoires qui existaient en Belgique avant que l'exportation n'ait pris les proportions qu'elle a aujourd'hui.
Et cet inventaire, tenu constamment au courant, vous prouvera que les distillateurs n'ont pas augmenté ces appareils, qu'ils n'ont eu ainsi aucune dépense à faire en vue de l'exportation.
(page 753) - La clôture est de nouveau demandée.
M. Loos (contre la clôture). -Messieurs, l'honorable rapporteur vous a fait connaître des faits donc il tire des conclusions complètement fausses. Je désire le prouver à la chambre.
- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.
«Par modification au paragraphe premier de l'article 21 de la loi du 27 juin 1842, sur les distilleries (Bulletin officiel, n° 464), la décharge des droits est évaluée, dans les cas énoncés aux litteras b, c et d du paragraphe 2 de l'article 20 de la même loi, à 22 francs par hectolitre d'eau-de-vie marquant 50 degrés à l'alcoomètre de Gay-Lussac, à la température de 15 degrés du thermomètre centigrade, et proportionnellement à cette base pour les qualités inférieures ou supérieures en force.»
M. le président. - M. Veydt a proposé de fixer le décharge à 20 fr. ; M. Prévinaire propose de la porter à 23 fr. Je mets l'amendement de M. Veydt aux voix.
- L'appel nominal est demandé.
En voici le résultat :
71 membres sont présents.
13 adoptent.
58 rejettent. En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Schumacher, T'Kint de Naeyer, Van Grootven, Van Iseghem, Veydt, H. de Baillet, de Breyne, Delehaye, Faignart, Loos, Manilius, Mercier, Osy.
Ont voté contre: MM. Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Tesch, Thiéfry, (page 754) Toussaint, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, A, Vandenpeereboom, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Anspach, Boulez, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Coomans, Dautrebande, David, de Bocarmé, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, A. Dumon, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Moncheur, Peers, Pierre, Pirmez et Verhaegen.
- L'amendement de M. Prévinaire est mis aux voix; il n'est pas adopté.
L'article premier est ensuite adopté, tel qu'il a été proposé par le gouvernement.
«Art. 2. Seront soumis à cette décharge les droits résultant des travaux effectués à partir du jour où la présente loi deviendra obligatoire, en vertu des déclarations alors en cours d'exécution.
«Toutefois, les eaux-de-vie indigènes déposées en entrepôt public avant cette époque, en apurement des droits constatés antérieurement, ne peuvent être enlevées pour la consommation que sous payement de l'accise au comptant, calculée d'après le taux de la décharge établie au moment où elles ont été emmagasinées.»
M. Jacques. - Messieurs, si je comprends bien le paragraphe premier de l'article 2, il signifie que les droits résultant de travaux effectués avant le jour où la loi que nous discutons deviendra obligatoire pourront encore être apurés avec la décharge de 28 francs, établie par la loi de 1842 ou, en d'autres termes, que cette décharge de 28 fr. sera applicable à l'apurement de toutes les prises en charge existant au moment de la mise à exécution de la loi nouvelle. Or, messieurs, à chaque époque de l'année, les comptes des distillateurs sont chargés d'à peu près deux millions de droits acquis au trésor ; les distillateurs pourraient donc apurer pour deux millions de droits avec la décharge de 28 fr., à partir du jour où la loi deviendra obligatoire.
Vous savez, messieurs, que les distillateurs jouissent, d'après la loi de 1842, pour le payement de l'accise, d'un crédit de trois, six et neuf mois, et que ces termes de crédit ne commencent à courir pour les droits dus à raison de la série des jours de travaux qui ont été compris dans chaque déclaration, que le dernier jour du mois dans lequel s'est terminée cette série de travaux continus.
Ainsi, comme on peut comprendre dans la même déclaration une série de 60 jours consécutifs, il en résulte que les droits dus, par exemple, pour une déclaration de 60 jours qui commencent en février pour se terminer en avril ne seront exigibles de celui qui a fait cette déclaration qu'à l'expiration d'un crédit de 3, 6 et 9 mois à partir du 30 avril, de sorte que le crédit, au lieu d'être limité réellement à 3, 6 et 9 mois, peut aller jusqu'à 5, 8 et 11 mois. En tenant compte de la prolongation de crédit qui résulte de ce que les termes de 3, 6 ou 9 mois ne commencent à courir que le dernier jour du mois dans lequel la série des travaux a été terminée. Je pense qu'en moyenne la durée réelle du crédit est de 4 mois pour le premier tiers, de 7 mois pour le deuxième tiers et de 10 mois pour le troisième tiers. Or, la fabrication annuelle donne ouverture à des droits qui s'élèvent à peu près à 3,600,000 fr., ce qui fait 300,000 fr. par mois. J'en conclus qu'à toutes les époques de l'année les crédits accordés aux distillateurs pour les droits acquis au trésor sur les travaux exécutés s'élèvent à peu près à 2,100,000 fr.
Si vous maintenez le premier paragraphe de l'article 2 tel qu'il est rédigé, et s'il a bien la signification que j'ai indiquée en commençant, ce qui paraît être admis par M. le ministre des finances, il en résultera que la décharge de 28 francs par hectolitre pourra s'appliquer encore après la mise à exécution de la nouvelle loi jusqu'à l'expiration des termes de crédit accordés aux distillateurs pour les droits résultant des travaux exécutés antérieurement et qu'ainsi 2,100,000 francs de droits acquis au trésor, au moment où la loi que nous discutons deviendra exécutoire, pourraient encore être assurés pendant les dix mois qui suivront, par des dépôts d'eaux-de-vie dans les entrepôts publics ou par des exportations, avec la jouissance de la décharge de 28 francs par hectolitre.
Nous arriverions ainsi probablement à voir diminuer le produit réel de l'accise pour 1850, ainsi que M. le ministre des finances le prévoyait lorsqu'il a présenté le projet de loi, et le remède que ce projet contient n'aurait ainsi d'efficacité que pour les années ultérieures.
Je pense donc que, pour éviter une trop forte diminution de l'accise en 1850, il est nécessaire de n'admettre à jouir de la décharge de 28 fr. que les eaux-de-vie qui existent dans les magasins des distillateurs.
Au moment de la mise à exécution de la loi nouvelle, je pense aussi que pour atteindre ce but il faudrait que le délai pendant lequel le distillateur pourra exporter ou entreposer avec la décharge de 28 fr. d'après la mise à exécution de la loi que nous discutons, fût limité à un mois.
Si la loi n'est pas modifiée dans ce sens, le distillateur pourra continuer à déposer des eaux-de-vie en entrepôt et à les exporter avec jouissance de la décharge de 28 fr., jusqu'à ce qu'il ait assuré les droits acquis au trésor, et pendant toute la durée des termes de crédit; ce qui, ainsi que je l'ai dit, va jusqu'à 10 ou 11 mois; cela ne peut évidemment pas être dans l'intention du gouvernement ni dans l'intention de la chambre.
Je proposerai donc, messieurs, de rédiger le premier paragraphe de l'article 2 de la manière suivante :
« Pendant un mois à partir du jour où la présente loi deviendra exécutoire, la décharge de 28 fr. par hectolitre suivant la loi de 1842, continuera d'être appliquée en apurement des droits résultant de travaux exécutés avant le jour susdit. »
Quant au deuxième paragraphe, je crois, messieurs, qu'il y aussi, quelques mots à en retrancher. Ce paragraphe porte :
« Toutefois, les eaux-de-vie indigènes déposées en entrepôt public avant cette époque, en apurement des droits constatés antérieurement,, ne peuvent être enlevées pour la consommation que sous payement de l’accise au comptant, calculée d'après le taux de la décharge établie au moment où elles ont été emmagasinées. »
Ainsi que je viens de le faire, dans les développements de la première partie de mon amendement, le distillateur pourra continuer à obtenir la décharge de 28 francs par hectolitre pendant 4, 7 et 10 mois après la mise à exécution de sa nouvelle loi, si tant est que vous mainteniez le premier paragraphe de l'article 2 tel qu'il se trouve au projet. Mais si vous adoptiez en même temps le deuxième paragraphe tel qu'il est rédigé, le distillateur, après avoir obtenu la décharge de 28 francs sur les eaux-de-vie déposées en entrepôt après le jour de la mise à exécution de la loi, pourrait les en retirer à la consommation en ne payant que 22 francs.
En effet, le paragraphe 2, tel qu'il est rédigé, porte bien que pour retirer de l'entrepôt les eaux-de vie qui y ont été déposées avant la mise à exécution de la nouvelle loi, il faudra payer l'accise au comptant d'après le taux de la décharge établie au moment où elles ont été emmagasinées. Ce paragraphe suffit donc pour que le trésor ne soit pas lésé par le retrait des eaux-de-vie entreposées avant la mise à exécution de la nouvelle loi; ces eaux-de-vie ne pourront être livrées à la consommation qu'en acquittant au trésor la décharge de 28 fr. qui leur avait été appliquée; mais la même réserve n'est pas contenue dans le paragraphe tel qu'il est rédigé pour les eaux-de-vie qui seront entreposées après la mise à exécution de la loi que nous discutons, et qui seraient cependant, en vertu du premier paragraphe, admises à jouir de la décharge de 28 fr. Ainsi, le paragraphe 2, tel qu'il est rédigé, pourrait produire ce singulier résultat que les eaux-de-vie entreposées après la mise à exécution de la loi seraient admises à sortir de l'entrepôt pour être livrées à la consommation en ne payant que 22 francs, tandis que le distillateur aurait obtenu la décharge de 28 francs à leur entrée dans l'entrepôt.
Je proposerai donc, messieurs, de rédiger le paragraphe 2 dans les termes suivants :
« Les eaux-de-vie indigènes déposées en entrepôt public ne peuvent être enlevées, etc. »
(Le reste comme au projet.)
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le pensée du gouvernement a été d'appliquer, dans l'article 2 du projet qui nous est soumis, le même principe qui a été admis lors de la révision de la législation sur les sucres. Les droits inscrits au compte des raffineurs et des fabricants, au moment de la promulgation de la loi, devaient être assurés d'après l'ancienne décharge. L'honorable M. Jacques veut qu'il ne puisse en être ainsi que pendant un certain délai ; je ne refuse pas d'examiner cet amendement, mais je ne puis me prononcer avant d'avoir réfléchi sur le point de savoir quelles en seraient les conséquences.
- - De toutes parts. - A demain!
La séance est levée à 4 heures trois quarts.