(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen)
(page 741) M. Dubus procède à l'appel nominal à deux heures et quart.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
M. Dubus présente l'analyse des pièces qui sont adressées à la chambre.
« Plusieurs conseillers communaux de Bossut demandent une réduction des droits sur les canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Quelques distillateurs à Liège prient la chambre d'adopter la proposition qui a pour objet de réduire la prime d'exportation à la sortie des eaux-de-vie indigènes. »
- Sur la proposition de M. Rodenbach, dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition.
« Plusieurs négociants et industriels de Gand et des environs demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher l'introduction dans le pays de la monnaie de cuivre française. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le Bailly de Tilleghem demande une prolongation de congé, pour cause d'indisposition.
- Ce congé est accordé.
M. Orts. - Messieurs, avant de poser mon interpellation à M. le ministre de la guerre, je crois devoir en deux mots justifier l'importance que je lui attribue devant la chambre qui veut bien me prêter un instant sa bienveillante attention.
La chambre se rappelle qu'à l'occasion de la discussion récente du budget de la guerre, une pluie considérable de documents de toute nature nous a assaillis. Des brochures, principalement consacrées à la défense du système que produisait dans cette enceinte le gouvernement, nous ont été distribuées. Les manifestations d'opinion favorables à ce système ne s'en sont pas même tenues à des brochures. Les intéressés les ont produites, comme c'était, je me hâte de le dire, leur droit, à mon avis, sous d'autres formes encore.
A l'occasion de ces publications, un fait s'est produit. Parmi les auteurs de ces publications appartenant à l'armée, se trouvait un officier qui récemment vient d'être frappé d'une peine disciplinaire. Cet officier était l'auteur de la publication, à peu près unique parmi celles qui émanaient d'officiers de l'armée, qui se prononçait contre le système défendu par M. le ministre de la guerre.
Ce fait, messieurs, a été signalé à l'attention publique par la presque unanimité de la presse dans le pays. Ceux qui signalaient ce fait lui ont attribué un caractère sur lequel nécessairement il est du devoir de la chambre de se faire renseigner afin de pouvoir se prononcer en connaissance de cause. Presque partout l'opinion a été produite en public que la punition disciplinaire dont il s'agit était motivée par le caractère de la publication, par son caractère hostile au système défendu, dans cette enceinte, par M. le ministre de la guerre.
Je n'admets pas encore, avant d'avoir une réponse à l'interpellation que je me propose d'adresser à M. le ministre, ce fait comme acquis ; mais je constate seulement ce qui est tout au moins, dès à présent, une fâcheuse, une déplorable coïncidence.
Pour moi, messieurs, j'ai cru devoir appeler l'attention de la chambre, par voie d'interpellation, sur cette circonstance, et voici mon motif. Si le caractère généralement attribué à ce fait était exact, la chambre serait intéressée à pouvoir apprécier la doctrine, le système qui a dicté, dans cette circonstance, la conduite du ministère. En effet, messieurs, nous avons intérêt à ce que, dans les questions relatives à l'armée, comme dans les questions relatives à tous les grands intérêts du pays, la lumière se produise de la manière la plus large, la plus complète et surtout nous vienne de ceux qui, mieux que nous, peuvent connaître une matière qui, aujourd'hui, n'a plus dans cette enceinte de spécialités pour la traiter. Tout le monde sait que les fonctionnaires, de quelque catégorie qu'ils soient, par suite de la réforme parlementaire dont nos prédécesseurs nous ont dotés, sont exclus de la législature et ne peuvent plus faire valoir auprès de nous, autrement que par la voie de la presse, la défense les intérêts qui les touchent.
D'autre part, messieurs, dans la récente discussion du budget de la guerre, M. le ministre a, sinon promis, au moins annoncé à la chambre que la discussion de l'année prochaine serait accompagnée de documents nouveaux sur cette grave question et de renseignements qu'il irait puiser aux sources plus sûres, c'est-à-dire parmi les intéressés, parmi les hommes appartenant à l'armée.
Il est incontestable que les paroles de M. le ministre de la guerre ont été chez plusieurs membres de la chambre, pour beaucoup, dans le vote approbatif donné à son budget. La sincérité que ces membres ont cru devoir présider à l'examen que le cabinet promettait a été la condition ou le motif de leur vote. Or, cette sincérité serait gravement, moralement au moins, compromise s'il pouvait passer en doctrine que l’opinion, des officiers de l'armée, pour être entièrement libre et sans danger pour eux, doit se conformer à celle du chef du département de la guerre.
Dans cette circonstance, j'ai cru qu'il était de l'intérêt de la chambre d'avoir des explications nettes sur ce fait, et en conséquence, je me permettrai de poser à M. le ministre de la guerre la question suivante, qui fait l'objet de mon interpellation :
L'officier dont il s'agit a-t-il subi une punition disciplinaire à cause ou à l'occasion de la publication dont il est l'auteur ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, lorsque j'ai pris la mesure disciplinaire au sujet de laquelle je viens d'être interpellé par l'honorable M. Orts, je ne me suis pas dissimulé que cette mesure serait vivement critiquée par une partie de la presse et m'exposerait à des récriminations de la part de ceux qui ne connaîtraient pas les motifs qui m'ont fait agir, et surtout de la part de ceux qui ont intérêt à jeter le désordre dans l'armée et à déconsidérer ses chefs. Cependant, comme j'avais un devoir à remplir, je ne me suis pas laissé arrêter par cette considération, sans influence sur moi lorsqu'il s'agit du maintien de la discipline et de l'accomplissement de mes devoirs. Mais j'avoue, messieurs, que je ne m'attendais pas à être interpellé dans cette enceinte à ce sujet. Si le ministre de la guerre est obligé, chaque fois qu’il infligera une punition disciplinaire dans l'armée, de venir justifier sa sévérité devant la chambre et devant le public, vous reconnaîtrez qu'il n'y a plus de discipline et par conséquent plus d'armée possible. En effet, messieurs, lorsque le ministre de la guerre inflige une punition à un officier, il le fait sur le rapport des chefs sous les ordres desquels cet officier est placé, en raison de ses antécédents, en raison de la gravité des fautes qu'il a commises, et enfin d'après l'ensemble de sa conduite. C'est ainsi que le veulent nos règlements.
Je suppose que deux officiers aient commis la même faute : l'un aurai des antécédents parfaitement honorables, l'autre, au contraire, aura souvent tenu une conduite répréhensible. La punition qui sera infligée à ces deux officiers pour le même fait sera différente ; l'un sera puni avec modération ; l'autre, au contraire, sera puni très sévèrement. Voilà nos principes militaires.
Il faudra donc que le ministre, pour vous mettre à même d'apprécier sa conduite, vienne vous donner communication des rapports qui lui auront été adressés par les chefs, vous exposer publiquement tous les faits à charge du coupable, tous ses antécédents et vous faire en quelque sorte sa biographie.
Eh bien, messieurs, savez-vous ce qui résulterait de là? C'est que certains chefs, pour peu qu'ils aient de la faiblesse dans le caractère, et pour peu qu'ils redoutent la publicité, les inconvénients qui en résultent, les embarras qu'elle peut leur susciter, fermeront les yeux sur les fautes de leurs subordonnés, afin de ne pas être exposés à se défendre, et à se justifier des mesures de répression qu'ils auraient dû prendre dans l'intérêt de la discipline et dans l'intérêt du service.
Ce n'est pas tout encore, le ministre serait obligé d'initier le public à toutes les fautes commises par l'officier puni. Mais n'est-ce pas là une aggravation de peine? N'est-ce pas une espèce de flétrissure publique qu'on lui imprimera? Et n'y a-t-il pas là de quoi déconsidérer même l'armée?
Une punition disciplinaire ne porte pas atteinte à l'honneur d'un officier lorsque les faits qui l'ont provoquée ne sortent pas du cercle de la famille militaire. Mais lorsque ces faits recevront une grande publicité, lorsqu'ils auront été envenimés par la discussion ou par l'esprit de parti, ces faits, soyez-en sûrs, pèseront sur toute la carrière de l'officier et le mettront dans la plus fausse et la plus pénible position.
Quelle confiance pourra-t-il inspirer à ses inférieurs lorsqu'ils auront le secret de ses faiblesses et de ses fautes? Quelle autorité morale pourra-t-il exercer sur eux?
Et puis, envisagez encore dans quelle position vous placeriez le ministre de la guerre. Le ministre de la guerre doit être le soutien , le guide, le protecteur, le défenseur des officiers, et vous le forceriez, pour sa défense personnelle, à en être l'accusateur, à les charger, à les perdre peut-être sans retour. Je dis, à les perdre sans retour, car il sera bien difficile à un officier auquel vous aurez donné par des débats de cette nature la célébrité du scandale de ses fautes, de se relever aux yeux de ses camarades, de ses chefs et même à ses propres yeux.
Croyez-vous, messieurs, qu'un ministre puisse accepter cette position? Pour ma part, je la considérerais comme peu digne et peu honorable, et elle blesserait mes sentiments militaires.
Soyez bien persuadés, au reste, que ce n'est pas ma cause personnelle que je plaide, mais la cause de la discipline des principes militaires sur lesquels reposent l'existence et la force de l'armée.
Quant au fait dont il est question, je déclare à l'honorable M. Orts que l'officier qui a été puni ne l'a pas été pour avoir émis une opinion opposée à la mienne ; car beaucoup d'officiers ont des opinions qui ne sont pas les miennes, plusieurs même ont publié des écrits qui renferment des principes que j'ai combattus ; mais ces officiers n'ont pas manquer aux égards, au respect qu'ils doivent à leurs chefs ; ils n'ont pas fait des insinuations perfides contre eux; ces officiers se sont conformes aux règlements existants. Mais l'officier qui a été puni l'a été, en outre, pour l'ensemble de sa conduite, comme je le disais tout à l'heure, pour ses antécédents, antécédents que je ne ferai pas connaître à la chambre, parce que je croirais manquer à mon devoir, et ensuite, parce que je conserve (page 742) l'espoir que cet officier, jeune encore, reviendra à de meilleurs sentiments, quand il aura plus d'expérience et de raison.
M. Orts. - Je ne pense pas qu'il soit entré dans la pensée de l'honorable ministre de la guerre de me ranger dans la catégorie de ceux qu'il a désignés, au début de son discours, comme voulant semer la division dans l'armée.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Cette supposition n'est pas admissible. Je range l'honorable membre dans la catégorie de ceux qui ne connaissent pas suffisamment les faits. Je ne comprends pas qu'on puisse supposer que j'aie pu ranger un membre quelconque de cette assemblée dans une autre catégorie.
M. Orts. - C'est ce que je voulais savoir.
M. le ministre de la guerre, ceci écarté, pose la question au point de vue de la discipline, sur un terrain où j'avais soigneusement évité de me placer. Je n'entends pas soutenir que le ministre de la guerre est tenu de venir déduire devant la chambre les motifs des peines disciplinaires qu'il juge convenable d'infliger à des officiers de l'armée ; c'est tellement loin de ma pensée que mon interpellation exclut formellement cette idée. Je ne suis pas venu interpeller M. le ministre, en lui demandant pourquoi il avait infligé une peine disciplinaire à l'officier dont il s'agit. J'ai demandé, ce qui est tout différent et semble le gêner dans sa réponse : Cet officier a-t-il été puni à raison de la publication qu'il a faite, c'est-à-dire à raison de l'exercice d'une liberté qui incontestablement, à mon avis, appartient aux officiers de l'armée comme à tous les autres citoyens, la liberté de manifester ses opinions en toute matière ? Je n'ai donc pas demandé à M. le ministre quels étaient les motifs de la peine infligée, mais si ce n'étaient pas les motifs dont je viens de parler, motifs qui ne peuvent entacher la moralité ni le caractère, qui sont exclusivement politiques, que nous pourrions apprécier sans nuire à l'officier dont il s'agit.
M. le ministre m'a répondu sur ce terrain, d'une manière assez ambiguë et qui ne peut me satisfaire. Je suis forcé d'y revenir.
Je laisse donc de côté tout ce qui peut se rattacher à des motifs différents, et je demande derechef si la publication de la brochure a été la cause ou l'occasion de la peine disciplinaire.
Je persiste à le demander, surtout après avoir entendu M. le ministre faire une allusion obscure à des règlements et des obligations de service, qui, si je comprends bien, auraient pour résultat d'interdire à tout militaire de discuter les questions intéressant l'armée et notre organisation militaire.
Je demande une explication claire et nette sur ce point : Est-il permis à un citoyen appartenant à l'armée de produire publiquement, par la voie de la presse, ses opinions, ses critiques théoriques, sans manquer au respect légalement dû à ses chefs, sur toutes les questions relatives à notre état militaire?
La chambre a un intérêt évident à connaître l'opinion de M. le ministre de la guerre sur ce point. Elle appréciera ses réponses.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si c'est la question de principe que l'honorable M. Orts veut poser, je ne refuse pas de m'expliquer catégoriquement et de vous faire connaître nettement ma pensée.
Un officier n'a pas le droit de publier son opinion sur les questions relatives à l'armée, à notre organisation militaire, ou à la défense du pays, sans avoir prévenu ses chefs, et sans avoir obtenu leur autorisation préalable. Il en est ainsi dans toutes les armées du monde; il n'est pas une seule armée où cela ne soit pas établi en principe.
Voici quelques preuves à l'appui de mon assertion.
Les Etats-Unis, que l'on cite souvent pour leurs institutions libres et démocratiques, poussent la sévérité en matière de discipline plus loin que tous les autres peuples. Je vois dans le code pénal militaire de ce pays qu'un officier peut être cassé de son grade pour avoir tenu seulement des propos irrévérencieux envers ses chefs ou les agents du gouvernement.
On a compris dans ce pays que plus il y avait de liberté dans les institutions , plus il fallait tenir à une discipline sévère dans l'armée. En France, ces principes ont été de tout temps proclamés.
J'ai pris trois circulaires de trois ministres différents qui traitent la question dont il s'agit. La première est du maréchal Maison.
«Général,
« J'ai remarqué avec autant de surprise que de mécontentement, que des officiers supérieurs et autres ont pris récemment la voie des journaux, soit pour exposer leurs réclamations, soit pour engager des discussions de service, ou pour réfuter les allégations inexactes de certaines feuilles publiques.
« Une pareille manière d'agir est subversive de toute hiérarchie, de toute subordination, de toute discipline.
« C'est à son chef direct que tout militaire doit porter plainte lorsqu'il se croit lésé dans ses droits, sauf recours à l'autorité supérieure, en cas de déni de justice. De même, la publication de toute réponse à une assertion quelconque des journaux, et en général de tout écrit relatif au service, ne doit avoir lieu de la part d'un militaire, quel que soit son grade, qu'après qu'il en a obtenu l'approbation de l'autorité supérieure immédiate.
« Vous voudrez bien, général, rappeler aux militaires de tout grade employés sous votre commandement, que l'observation de ces règles inhérentes à l'existence même d'une armée est un devoir dont ils ne peuvent s'affranchir, et vous les préviendrez que je me verrais dans la nécessité de punir sévèrement ceux d'entre eux qui, désormais, se permettraient de l'enfreindre.
« Recevez, etc. »
Voilà une première circulaire du maréchal Maison.
M. Orts. - Quelle est la date?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Du 17 juillet 1835.
En voici une autre du général Bernard, ministre de la guerre de France, lequel avait été, pendant de nombreuses années, au service des Etats-Unis, et chargé d'établir le système de défense de ce pays.
« Général,
« Par sa circulaire du 17 juillet 1835, insérée au Journal militaire, mon prédécesseur a rappelé à MM. les lieutenants généraux commandant les divisions territoriales les règles de la discipline qui interdisent aux militaires de tous grades d'employer la voie des journaux, soit pour exposer leurs réclamations, soit pour engager des discussions de service ou pour réfuter des allégations inexactes, à moins qu'ils n'aient été préalablement autorisés par leurs chefs à user de ce moyen.
« Cependant, au mépris des prohibitions formelles contenues dans cette circulaire, des officiers se sont récemment permis d'adresser des écrits aux journaux sans avoir obtenu, à cet égard, l'approbation de l'autorité supérieure.
« Vous voudrez bien mettre la circulaire du 17 juillet 1835 à l'ordre de la division que vous commandez, et vous ferez en même temps connaître aux militaires de tout grade qui y sont employés que ceux d'entre eux qui contreviendraient à ces dispositions seraient punis d'une manière exemplaire. »
Celle-ci est du 15 mars 1837.
Et enfin en voici une de M. le maréchal Soult :
« Général,
« C'est un devoir pour l'armée de donner au pays l'exemple du respect envers les lois qui le régissent. Cependant, des critiques plus ou moins vives contre les lois constitutives de notre organisation militaire ont trouvé place récemment dans des articles de journaux ou dans des brochures, signées par des officiers appartenant à l'armée active. J'ai vu avec un sentiment profond de mécontentement cet oubli des dispositions des circulaires des 17 juillet 1855 et 13 mars 1837, dont la stricte observation est si essentielle au maintien de la discipline.
« J'ai l'espoir qu'il aura suffi de signaler le mal pour en arrêter les progrès ; mais s'il en était autrement, et s'il arrivait à l'avenir, contre mon attente, que des militaires se permissent de nouvelles publications, sans l'approbation formelle et préalable de l'autorité supérieure, je n'hésiterais pas à leur faire l'application des dispositions de la loi du 19 mars 1834 sur l'état des officiers, en demandant immédiatement au roi de les priver de leur emploi, indépendamment des peines plus sévères qu'ils pourraient avoir encourues.
« Je vous invite, général, à veiller à l'exécution des dispositions que je viens de rappeler et à me rendre compte sur-le-champ de la moindre infraction dont elles seraient l'objet.
« Vous voudrez bien aussi m'accuser réception de la présente et la faire mettre à l'ordre de la division. »
Ces trois circulaires vous font connaître les principes admis dans l'armée française par trois hommes dont on ne pourra pas récuser la compétence en fait de discipline militaire.
Quant aux controverses sur des questions d'art, sur des questions scientifiques, je suis le premier à les encourager, parce que je suis convaincu qu'elles produisent de la lumière et qu'elles poussent aux études sérieuses et utiles. Mais lorsqu'un officier publie une brochure qui critique les actes du gouvernement, qui porte atteinte à la considération des chefs, il est constant que le ministre de la guerre ne peut tolérer un fait semblable, sans briser tous les liens de la discipline et sans porter un coup funeste à l'armée.
Si vous lisez la brochure dont il est question ici, vous y trouverez les fautes dont je viens de parler. Un manque d'égard et de respect envers les chefs, des insinuations malveillantes et des assertions complètement fausses. En outre, l'auteur de cet écrit a des antécédents dont je ne veux pas donner connaissance à la chambre, parce que j'espère que l'avenir de ce jeune homme n'est pas entièrement perdu. Je pense donc que la mesure prise à son égard est parfaitement juste. Je crois même que j'ai été plutôt trop indulgent que trop sévère à son égard.
M. Thiéfry. - Je crois, comme l'honorable général, qu'un ministre de la guerre ne doit pas venir ici rendre compte de toutes les punitions qu'il inflige; je ne pense même pas qu'un seul membre de cette chambre ait une opinion contraire : mais tout le monde conviendra que, dans certaines circonstances, il est de notre devoir d'exiger des explications; c'est quand nous pouvons supposer que le ministre a outrepassé ses pouvoirs, qu'il y a eu abus; sinon, ce serait accorder au chef de ce département le droit d'être injuste envers ses subordonnés, ce serait consacrer l'arbitraire et mettre l'armée en dehors des prérogatives de la Constitution ; et nous ne devons pas oublier que le pouvoir législatif est obligé de faire rendre justice à chacun ; c'est dans ce but que nous recevons chaque jour une masse de pétitions. Le fait qui a motivé l'interpellation de l'honorable M. Orts, est de ceux sur lesquels des renseignements doivent être donnés.
Les règlements sur la discipline ne sauraient détruire la liberté de la presse, et, si cette liberté doit être restreinte dans une armée, elle n'est (page 743) certainement pas condamnable dans la publication du la brochure dont il est question. On dit. qu'il s'y trouve des passages offensants pour les officiers supérieurs, des manques d'égards, Voici ce à quoi on a fait allusion :
« Les grades élevés doivent être entourés d'un certain prestige ; on admire un colonel, un major, à la tête d'une troupe; ils représentent un principe de force imposant; placé dans un bureau, ce grade perd tout son prestige; l'homme taillant des plumes et fabricant quelques circulaires, paraît petit et mesquin à côté de l'homme de guerre.
« D'ailleurs, rien de plus nuisible à l'état militaire que cet abus de grades élevés, sans que les titulaires exercent les fonctions qui appartiennent à ce grade.
« Quand, dans un bureau, on peut acquérir tous les grades et parvenir au généralat, il arrive aux bienheureux qui ont profité de cette faveur qu'ils sont tout dépaysés, lorsqu'ils quittent leurs pupitres pour jouer un rôle actif. »
Je n'approuve pas cette manière d'écrire, mais y a-t-il là de quoi mettre un officier en non-activité ? Evidemment non. Aussi, je pense que ce n'est là que le prétexte. Ce lieutenant de chasseurs a, dans ma pensée, reçu une punition des plus sévères, pour avoir fait imprimer une brochure dans laquelle il a exprimé, sur l'organisation de l'armée, une opinion qui n'est pas partagée par M. le ministre. Ce n'est pas pour la publication que l'on a sévi, puisque plusieurs autres officiers ont fait aussi paraître des brochures, parmi lesquelles il y en a qui ont été écrites pour ainsi dire sur la table du ministre et ils n'ont pas été réprimandés, bien qu'il y ait certains passages très inconvenants envers les membres de cette chambre.
C'est donc pour avoir critiqué l'organisation actuelle que cet officier a été envoyé à Nieuport. En vérité, messieurs, on est en droit de douter si la Constitution a été faite pour l'armée aussi bien que pour les autres Belges. Tous, messieurs, vous êtes incompétents pour distinguer une bonne organisation d'une mauvaise, les uns l'ont déclaré, les autres en ont été prévenus. Qui peut donc vous éclairer, sinon les officiers? Eh bien, ils ne peuvent vous donner des renseignements, et malheur à celui qui écrira autrement que ne pense l'honorable général! Vous serez, messieurs, de très habiles stratégiciens, si vous finissez par vous pénétrer de la valeur réelle de notre organisation militaire.
Le rapprochement de deux faits qui ont eu lieu à deux mois de distance est de nature à faire naître de sérieuses réflexions. En décembre dernier, les sous-officiers de l'ancien régiment de M. le ministre firent une manifestation contre une partie de la chambre des représentants, et comment a-t-on sévi contre eux? Par un ordre du jour que l'on peut traduire ainsi: Je vous blâme parce que je ne puis faire autrement; mais intérieurement, je vous approuve.
Pour moi, messieurs, je ne connais rien qui dénote plus l'indiscipline dans une armée, qu'une manifestation de la troupe contre l'un des pouvoirs de l'État; celle qui commet de tels actes d'insubordination a déjà, comme l'a dit M. Thiers, jugé et jugé tout haut ses officiers et ses généraux. En Prusse, en France, en Angleterre même, on eût agi différemment; le sous-officier instigateur eût été cassé immédiatement, et le colonel du régiment mis aux arrêts. Cette juste sévérité était d'autant plus nécessaire, qu'elle eût mis fin à ces manifestations qui ont continué sous l'apparence de repas de corps.
Si je compare les deux faits, je vois d'un côté une punition des plus fortes pour un auteur dont tout le tort a été d'émettre des opinions que M. le ministre ne partage pas; et d'un autre côté un très léger avertissement pour l'un des plus grands actes d'indiscipline, sur lequel on a fermé les yeux, parce qu'il devait exercer beaucoup d'influence dans une discussion importante qui allait avoir lieu. Et aujourd'hui encore, quel doit être l'effet de la punition infligée à ce lieutenant de chasseurs? Ce sera évidemment d'empêcher les officiers de dire que l'organisation est défectueuse, même quand ils en seront intimement convaincus; et cette mesure est prise à la veille de la nomination d'une commission qui sera appelée à faire un rapport sur l'organisation. Mais de quelle liberté jouiront donc ceux qui en feront partie? Ils n'oseront certainement pas exprimer franchement leur opinion, dans la crainte d'être envoyés en garnison à Nieuport ou à Bouillon.
M. le président. - Le premier article amendé est l'article 3.
« Art. 3. Le gouvernement n'accordera l'autorisation demandée qu'autant qu'il reconnaisse qu'il est satisfait aux conditions suivantes :
«1° Situation et locaux salubres, bien aérés, d'une étendue suffisante et d'une distribution convenable;
«2° Séparation des sexes et classement des aliénés de chaque sexe d'après les exigences de leur maladie et la nature des soins dont ils doivent être l'objet;
«3° Organisation d'un service médical et sanitaire, et régime intérieur approprié aux besoins et à l'état des malades;
«4° Approbation tous les trois ans, par la députation permanente, du personnel des médecins, sauf recours au gouvernement;
«Ces conditions feront l'objet d'un règlement général et organique approuvé par un arrêté royal, qui déterminera également les obligations auxquelles seront soumis les chefs ou directeurs des établissements et les cas où les autorisations pourront être retirées.
«Ce règlement astreindra les fondateurs ou propriétaires actuels d'établissements à soumettre à l'approbation du gouvernement les plans des établissements à créer, et ceux de toutes les modifications à introduire dans les établissements existants. »
M. Moncheur propose de substituer aux mots «sauf recours au gouvernement», ceux-ci : «sauf recours au Roi».
M. Moncheur. - L'objet de mon amendement est de mettre cet article en rapport avec nos principes administratifs, et, je pense aussi, de rendre d'une manière plus complète, la pensée véritable de l'honorable auteur de l'amendement.
M. Lebeau. - Il est inutile d'insister. Je me rallie entièrement à votre proposition.
M. Moncheur. - J'étais certain de l'appui de l'honorable M. Lebeau , car la décision d'une députation permanente ne peut être infirmée par le gouvernement. Elle ne peut l'être que par arrêté royal.
M. Lebeau. - L'arrêté royal est rendu par le gouvernement.
M. Moncheur. - Oui, mais ce mot n'a pas une signification bien déterminée. Dans toutes nos lois organiques, dans la loi communale, dans la loi provinciale, partout où il s'agit d'infirmer une décision de députation, on dit toujours : «Sauf recours au Roi». C'est la seule expression propre. Mon amendement est donc nécessaire.
- La modification proposée par M. Moncheur est adoptée.
L'article 3, ainsi modifié, est définitivement adopté.
Les articles 4, 12, 17, 21 et 28, modifiés au premier vote, sont définitivement adoptés.
« Art. 29. Les personnes qui se trouveront placées dans des établissements d'aliénés et qui ne seraient ni interdites, ni placées sous tutelle, pourront, conformément à l'article 497 du Code civil, être pourvues d'un administrateur provisoire par le tribunal de première instance du lieu de leur domicile, sur la demande des parents, de l'époux ou de l'épouse, sur celle de la commission administrative ou sur la provocation d'office du procureur du roi.
«Cette nomination n'aura lieu qu'après délibération du conseil de famille et sur les conclusions du procureur du roi. Elle ne sera pas sujette à l'appel.
«Les dispositions du Code civil sur les causes qui dispensent de la tutelle, sur les incapacités, les exclusions ou les destitutions des tuteurs, sont applicables à l'administrateur provisoire nommé par le tribunal. Sur la demande des parties intéressées, le tribunal pourra constituer sur les biens de l'administrateur provisoire une hypothèque jusqu'à concurrence d'une somme à déterminer par le jugement. Le procureur du roi devra, dans le délai de quinzaine, faire inscrire cette hypothèque au bureau de la conservation : elle ne datera que du jour de l'inscription. »
M. de Luesemans. - L'amendement que j'ai proposé au dernier paragraphe de cet article est copié à peu près exactement de la disposition du projet primitif. Mais j'ai oublié d'y ajouter ces mots : «ou du procureur du roi», à la suite de ceux-ci : «à la demande des parties intéressées». Je propose le rétablissement de ces mots.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Ces mots figuraient dans le projet primitif; c'est par omission qu'ils n'ont pas été introduits dans l'article.
- L'amendement de M. de Luesemans est adopté.
L'article ainsi modifié est adopté.
Les articles 30 et 34, modifiés au premier vote, sont définitivement adoptés.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet. En voici le résultat :
68 membres sont présents.
66 adoptent.
2 rejettent.
En conséquence le projet de loi est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Clep, Cools, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, Faignart, Fontainas, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon. Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Schumacher, Sinave, Tesch. Thibaut, Thiéfry, Toussaint, Van Cleemputte. Van den Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom Alphonse, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Cans et Verhaegen.
Ont voté le rejet : MM. de Brouckere et de Meester.
M. Mercier. - Messieurs, la section centrale, dans son rapport, prétend que les chambres, en votant la loi actuelle sur les distilleries, n'ont pas entendu allouer une prime d'exportation. C'est là, messieurs, une assertion qui n'est point exacte. L'intention du gouvernement, en présentant le projet de loi, l'intention de la chambre, en le votant, a été (page 744) d'allouer une primo à l'exportation des eaux-de-vie indigènes. C'est l'honorable M. Smits, député d'Anvers, qui se trouvait alors à la tête du département des finances. Voici, messieurs, comment il s'exprimait dans l'exposé des motifs.
« Nous espérons que les avantages accordés à l'exportation détermineront le développement de ce commerce , à l'extension duquel les intérêts généraux du pays se rattachent. Comme marchandise d'encombrement, le genièvre serait un article précieux pour la navigation ; de même que le sucre raffiné, il peut former la base d'un chargement, et il est vivement à désirer, pour l'écoulement de nos autres produits industriels, gêné souvent par le défaut de marchandises d'encombrement, que nous puissions l'utiliser sous ce rapport. En conservant au drawback la proportion que lui a donnée la loi du 25 février 1841, il est incontestable que la loi nouvelle offrira au distillateur des avantages d'exportation assez importants pour qu'il puisse être amené à écouler vers cette voie une partie de ses produits, aujourd'hui déversés en totalité dans la consommation. »
Messieurs, on dit aussi, dans le rapport de la section centrale, qu'à l'époque de la discussion de la loi, la chambre pensait que 36 heures étaient nécessaires pour le travail de fermentation des matières employées à la fabrication des eaux-de-vie destinées à l'exportation. C'est encore là une erreur. M. le ministre des finances, dans son exposé, indiquait d'une manière générale le temps nécessaire comme étant seulement de 24 heures, et il ne faisait pas dans cet exposé de distinction entre le genièvre destiné à l'exportation et le genièvre employé à la consommation intérieure. Il est vrai que plus tard, répondant à une observation de la section centrale, M. le ministre des finances de l'époque a allégué que, pour le genièvre destiné à l'exportation, l'espace, de temps consacré à la macération devait être de 30 à 36 heures. Enfin, dans la discussion des articles, M. le ministre n'a plus parlé que de 36 heures. Voilà, messieurs, la progression qui a été suivie pendant le cours des débats.
Messieurs, dans la dernière discussion, celle qui a eu lieu spécialement au second vote, car au premier vote le ministre acceptait provisoirement le chiffre de 25 fr. ; dans la discussion spéciale sur les drawback, les députés des ports de mer principalement ont prétendu qu'il fallait 36 heures pour la macération des matières employées à la fabrication des eaux-de-vie destinées à l'exportation ; d'où il serait résulté qu'un drawback de 28 fr. n'eût donné qu'une prime de quelques centimes. Mais la chambre n'a posé aucun acte qui fût de nature à faire supposer qu'elle partageât cet avis; la section centrale, au contraire, qui est une émanation de la chambre, a déclaré, dans son rapport, que plus de la moitié des distilleries achevaient la fermentation en 24 heures et même en moins de temps.
Au moment du vote, l'honorable M. Zoude, qui était rapporteur de cette section, s'exprima dans les termes que je vais rappeler à la chambre :
« Voici comment la section centrale a établi ses calculs. Elle a reconnu qu'avec le droit et le drawback maintenant établis, la prime est de 6 fr. 50 c; avec le droit adopté par la chambre, pour que la prime restât la même, il faudrait fixer le drawback à 26 fr. 50; cependant, d'accord avec mes collègues de la section centrale, je propose de fixer le drawback à 28 fr., par hectolitre de genièvre. »
Ainsi, la section centrale avait bien l'intention d'accorder une prime; elle était, quant au but, d'accord avec le gouvernement.
La section centrale avait donc bien l'intention d'accorder une prime à l'exportation du genièvre; le vote de la chambre ayant eu lieu immédiatement après la déclaration de l'honorable rapporteur, M. Zoude, et ayant été favorable à la proposition de la section centrale, il s'ensuit évidemment que la chambre s'est associée à cette intention.
Ces circonstances sont d'autant plus présentes à ma mémoire, que j'ai rejeté le drawback, par cela même qu'il impliquait une prime à l'exportation.
Je citerai encore quelques paroles de l'honorable M. Smits, alors ministre des finances :
« Il est peu de personnes qui contestent maintenant les bienfaits qu'a produits le commerce d'exportation des sucres raffinés. A cet article qui amène le placement à l'étranger de tant de nos produits industriels, ajoutons l'exportation de nos genièvres, et bientôt, comme pour l'industrie sucrière, nous parviendrons à faire concurrence à la Hollande sur les marchés étrangers; car, il ne faut pas s'y tromper, messieurs, la préférence donnée aux fabricats de ce dernier pays doit être attribuée, moins à l'antique réputation de leur qualité , qu'aux conditions de vente que les distillateurs hollandais sont à même de rendre plus favorables. »
Dans un autre passage de l'exposé, on trouve les observations suivantes :
«Le taux élevé de la décharge proposée à l'article 21, doit faire craindre qu'on n'abuse de cette faveur comme en ont abusé les négociants en sucre. Il a été jugé nécessaire, par ce motif, de lui interdire la faculté d'exporter, et celle de déposer des genièvres en entrepôt. »
Vous le voyez, messieurs, les primes que l'on accorde à l'exportation du genièvre sont mises sur la même ligne que celles dont sont gratifiées les exportations de sucre raffiné. J'ai combattu les unes et les autres, et je ne cesserai de le faire. Mais avant tout, il faut de la justice distributive. Qu'on propose la suppression des primes d'exportation pour le sucre raffiné, pour les fils et tissus de coton, pour les fils et tissus de lin, et à l'instant mon concours est acquis pour la suppression de la prime octroyée aux eaux-de-vie indigènes, sauf toutefois à débattre quelle est la véritable prime dans le drawback qui est fixé par la loi en vigueur.
On s'effraye beaucoup d'une prime qui a pu s'élever, dit-on, à une centaine de mille francs à l'exportation de l'eau-de-vie indigène pour 1849, et qui, antérieurement, s'est restreinte à une somme beaucoup plus faible; et l'on défend des primes qui causent au trésor un préjudice de plus de 1,500,000 francs; je veux parler des primes pour l'exportation du sucre raffiné. Les premières sont établies en faveur d'un produit exclusif du sol et de l'industrie belges; les secondes, pour la plus grande partie au moins, sont attribuées à une main-d'œuvre insignifiante, donnée à un produit étranger.
L'industrie des distilleries est utile à l'agriculture; la fabrication du genièvre exporté, comme celle du genièvre livré à la consommation intérieure, favorise l'élève du bétail et la formation d'engrais qui fertilisent la terre; la prime qui lui est concédée est cent fois plus féconde en bons résultats que celle qui est si largement distribuée au raffinage du sucre étranger.
Aussi longtemps que cette dernière subsistera, je croirai manquer à la justice, en prêtant mon concours à la suppression de celle qui est concédée à l'exportation des eaux-de-vie indigènes.
Mais si le gouvernement prenait l'engagement d'abolir, non tout d'un coup, mais successivement, graduellement, la prime à l'exportation du sucre; si, par exemple, par une combinaison à déterminer, il faisait chaque année rentrer pour 500,000 fr. de plus au trésor, jusqu'à ce que la prime vînt à cesser; si le gouvernement promettait de ne pas prolonger la prime pour les fils et tissus de coton et de lin au-delà du terme assigné à ces primes par les derniers arrêtés royaux qui les ont prorogées, je consentirais également à une réduction successive de la prime qui est établie à l'exportation du genièvre indigène. Mais, sans cette condition, je croirais sacrifier injustement une branche d'industrie considérable, si je prêtais les mains au retrait de cette prime.
Je ne demande pas, qu'on le remarque bien, que le gouvernement fasse cesser tout à coup la prime à l'exportation du sucre raffiné, bien qu'une mesure de ce genre ait été prise en Angleterre, aussitôt qu'une enquête approfondie eut constaté que la prime existait; la majorité de la chambre n'a pas adopté la proposition que je lui avais soumise dans le même but ; je ne viens pas la renouveler; je me borne à demander que le gouvernement s'engage à faire cesser les primes d'une manière graduelle et successive, tout aussi bien pour les autres objets que pour l'eau-de-vie indigène.
M. Delehaye - Messieurs, j'aurais préféré ne parler que demain; je ne m'attendais pas à voir cette discussion arriver aujourd'hui ; j'ai laissé mes notes chez moi ; cependant, je ne puis pas laisser clore ce débat sans soumettre quelques observations à la chambre.
Messieurs, je commencerai par dire que, dans mon opinion, il faudrait des considérations bien puissantes, des intérêts très graves engagés, pour que je puisse donner mon assentiment à ce projet de loi, tel qu'il est présenté. J'ai voté pour la loi des sucres; je maintiendrai, autant que je pourrai, la prime accordée au coton et à d'autres tissus de cette nature; et en agissant ainsi, je croirai être fidèle aux principes que j'ai toujours professés.
Pour quel motif accordons-nous des drawbacks à certaines industries? C'est parce que l'intérêt majeur du travail national est engagé; c'est pour maintenir ce travail national; c'est pour ne pas porter atteinte à ces graves intérêts, que nous accordons de semblables primes.
Je n'examinerai donc pas si la section centrale a commis des erreurs dans les procédés mis en avant relativement à la distillation. J'avoue très ingénument que tous ces procédés me sont en grande partie inconnus ; je déclare sans détour, qu'il me serait très difficile de dire si le drawback est de 4, 3 1/2 ou 3 francs; ce que je sais, c'est qu'il existe un drawback...
- Un membre. - Ce n'est pas un drawback, c'est une prime.
M. Delehaye. - J'admets que ce soit une prime.
Je dis donc que pour moi il est très indifférent que la prime soit de 3 francs ou de 3 francs et demi; mais j'ajouterai que je voudrais qu'elle fût moins élevée, pourvu qu'elle le fui assez pour ne pas détruire immédiatement l'exportation de nos genièvres. En présence de quel fait sommes-nous aujourd'hui? Avant la loi de 1842, la Belgique ne pouvait pas soutenir la concurrence contre la fabrication de Hambourg et contre la fabrication hollandaise.
La Belgique ne plaçait ses genièvres que sur les marchés belges; encore y trouvait-elle une concurrence redoutable que lui faisaient les distilleries étrangères. Grâce à la loi de 1842, quand on est parvenu à en saisir l'esprit, on a placé des genièvres belges sur les marchés étrangers; et c'est après huit années d'essais, quand deux années ont été favorables, qu'on propose de détruire cette loi dont on ne peut méconnaître les effets avantageux.
Qu'allez-vous faire? Vous vous trouvez en présence d'une prime de 100 et quelques mille francs. Dans quel but a-t-on institué cette prime? D'accorder une protection à l'agriculture, protection que chacun de vous a déclaré devoir être accordée d'une manière ou d'une autre à l'agriculture.
Eh bien, cette protection résultant des cent et quelques mille francs de prime accordées aux distilleries qui sont l'âme de l'agriculture, si, acceptant la loi que vous proposent le gouvernement et la section central, vous la supprimez, quelle certitude avez-vous que les exportations de genièvre pourront encore avoir lieu ? Après le vote de la loi, vous (page 745) n'avez aucune certitude que vous ne retomberez pas dans la position où vous étiez avant la loi de 1842.
Je suppose un seul instant, personne d'ailleurs ne pourrait fournir la preuve du contraire, je suppose que le chiffre soit inférieur à celui qui est porté dans la loi, c'est-à-dire qu'avec 22 fr. d'apurement vous ne laissiez pas au distillateur les moyens de lutter avantageusement avec l'étranger; voyez le mal que vous feriez à une des grandes industries du pays. Je sais que quelques distilleries prétendues agricoles ont appuyé le projet de loi présenté par le gouvernement.
Permettez-moi de vous dire que je n'en connais pas d'exclusivement agricoles.
Une distillerie est-elle agricole parce qu'elle est à la campagne et qu'on cultive quelques hectares de terre? Les grandes distilleries rendent d'autres services à l'agriculture que celles des campagnes. Qu'arrive-t-il pour les grandes distilleries, les distilleries urbaines? Les résidus de leur fabrication sont transportés dans les campagnes et vendues à des hommes, à des cultivateurs qui n'ont pas les moyens d'établir des distilleries agricoles. L'effet des grandes distilleries est de venir au secours des petits cultivateurs qui sont établis autour des villes.
On l'a déjà dit, il faut de la stabilité dans les lois qui concernent l'industrie. Et cependant il est peu d'industries dont on n'ait songé à entraver la marche dès qu'on a vu les premiers germes de leur prospérité se développer.
C'est ainsi que les raffineries ont été à plusieurs reprises atteintes dans leur prospérité; les salines ont été obligées de renoncer au placement d'une partie de leurs produits; les distilleries sont en ce moment livrées au scalpel de la législature.
Si vous voulez que vos produits atteignent de la supériorité sur ceux des autres nations, il faut donner aux industriels la certitude que vous n'entraverez pas le développement de leur prospérité.
J'ai déjà dit que personne n'ignorait que le drawback renfermait une prime; que, lorsque la loi de 1842 a été votée, chacun savait que, dans l'apurement de 28 francs, il y avait un avantage pour l'exportateur, que non seulement on remboursait les droits perçus, mais qu'on donnait quelque chose de plus.
Je comprends qu'en présence de la pénurie du trésor et de nos immenses besoins, le gouvernement ait cherché de nouvelles ressources et que M. le ministre se soit dit : Les chambres, promptes à voter des dépenses, votent difficilement des recettes. Trouvons d'autres moyens. Voilà comment s'explique la conduite de M. le ministre.
Mais vous n'avez pas la certitude que, la loi votée, les perfections introduites dans les machines suffisent pour maintenir les exportations en présence de l'inconnu, car personne ne sait si l'avantage que présente le drawback est de 3 ou 4 francs.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est davantage !
M. Delehaye. - J'ai dans la distillerie des amis dont je puis garantir la sincérité... (Interruption.)
Quand il s'agit de distillerie je ne vais pas consulter des apothicaires ou des avocats; pour une partie, M. de Brouckere a parfaitement raison; mais quand nous voulons avoir des renseignements, nous nous rendons chez ceux que leur position met à même de nous les fournir; et nous nous adressons de préférence aux plus intelligents.
Eh bien, les distillateurs m'ont assuré qu'il était de toute impossibilité de déterminer le rendement d'une manière exacte, car un même distillateur obtient un jour un rendement plus grand que le lendemain ; par conséquent on ne peut pas préciser l'avantage que peut présenter l'apurement.
J'ai dit qu'il importait, dans ces matières comme dans les autres, d'agir avec prudence. Et comme vous vous trouvez en présence de chiffres que vous ne pouvez pas apprécier, pourquoi ne diriez-vous pas qu'à partir du 1er juillet prochain l'apurement sera réduit de 28 à 27 fr., au 1er janvier à 26? Et si malgré celle réduction, les exportations continuent, vous verrez que vous pouvez encore baisser; si elles diminuent, vous vous arrêterez.
Vous auriez regret d'avoir voté la loi qu'on vous propose si elle avait pour effet d'empêcher les exportations de genièvre, car il ne peut entrer dans la pensée d'aucun de nous d'arrêter l'exportation des genièvres, d'en restreindre la fabrication. La distillerie est l'âme de l'agriculture.
En adoptant le système que je vous propose, de réduire graduellement les primes jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus, vous ne lésez aucun intérêt, pas même les intérêts du trésor; vous ne portez atteinte à aucune partie du travail national; vous maintenez l'activité dans une industrie importante par elle-même et à laquelle s'en rattachent beaucoup d'autres, car elle joue un grand rôle dans nos exportations.
On a parlé de la côte d'Afrique. Il est à ma connaissance qu'un premier essai d'exportation sur ce point a été tenté, cet essai était très peu important dans le principe. Il n'y a qu'un an qu'il a commencé à acquérir de l'importance. J'ai la certitude que cette importance ne fera que s'accroître. Ce n'est pas le moment d'entraver les négociations commerciales. Remarquez que nous n'avons pas là une grande diversité de produits à placer. Il faut commencer par placer certains produits. En même temps, l'on fait connaître les autres produits du pays, et l'on finit par ouvrir un débouché à tous nos produits.
Je le répète, je ne saurais donner mon assentiment au projet de loi. Je pense qu'il faut commencer par faire un essai. On pourrait dire qu'à dater de telle époque, par exemple à dater du 1er juillet, la décharge sera réduite à 27 fr. par hectolitre.
Vous comprenez que malgré cette réduction les distilleries continueront à prospérer, Vous réduirez encore plus tard. Mais au moins ainsi ne réduirez-vous pas tout d'un coup à 22. Ce serait une réduction de 20 p. c. Il faudrait qu'une industrie eût les reins très forts pour supporter cette réduction.
Je regrette la présentation du projet de loi, dont l'adoption serait fatale à une branche importante d'industrie et à l'agriculture.
Si la chambre ne veut pas du système de primes, je concevrais que l'on réduisît la prime, mais graduellement et sans détruire un élément du travail national.
M. de Brouckere. - Messieurs, les deux orateurs, qui m'ont précédé ont donné de singuliers motifs pour repousser les conclusions de la section centrale.
L'honorable M. Mercier a commencé par vous rappeler comment le ministre des finances de 1842 s'était expliqué, et il lui a fait, par là même, son procès; car de deux choses l'une : ou le ministre qui a présenté la loi de 1842 ne savait pas ce qu'il présentait, ou il n'a pas voulu dire à la chambre où il la menait.
En effet, il a commencé par avouer, d'une manière générale, qu'il ne fallait que 24 heures pour la macération des matières. Quand la chambre a hésité, quand il a vu que le projet ne passerait pas, il a dit qu'il fallait 30 heures. L'hésitation durant encore, quand on a abordé le drawback, il a déclaré qu'il fallait 36 heures. Je dis donc que de deux choses l'une, ou il ne savait pas ce qu'il proposait, ou il n'a pas voulu dire à la chambre où il la menait. Il n'y a pas à sortir de là.
Maintenant, l'honorable M. Mercier prétend qu'il est l'adversaire de toutes les primes. Si l'on veut les supprimer toutes, il votera le projet de loi. Mais il est impossible que, par un même projet de loi, nous supprimions, à la fois, tous les abus. Je partage l'opinion de l'honorable M. Mercier, que toutes les primes sont des abus. Mais toutes les fois que je puis limiter les abus, en faire disparaître un, je n'hésite pas à donner mon adhésion au projet de loi qui doit avoir ce résultat.
L'honorable M. Delehaye, au contraire, a dit : Je suis partisan des primes (il s'est servi du mot drawback; mais le drawback est une simple restitution) sur les sucres et sur les cotons; et il vient de vous démontrer qu'il est partisan des primes sur les eaux-de-vie.
Si nous voulions, nous pourrions exporter ainsi immensément de produits, favoriser le travail national au-delà de toute expression , mais à nos dépens. Comment ! on prétend que le trésor souffre ; mais le trésor puise dans nos bourses. Quand on demande 500,000 fr. au trésor, c'est au contribuable qu'on les demande. Quand on donne, en primes, 500,000 fr. aux cotons, 500,000 fr. aux sucres, 500,000 fr. aux eaux-de-vie, c'est le contribuable qui les paye.
Continuons dans ce système; nous arriverons à dix millions de déficit, qu'il nous faudra combler. Au bénéfice de qui? Au bénéfice de quelques entrepreneurs d'industrie. Car la journée de travail ne sera pas augmentée, et vous aurez cependant payé une taxe des pauvres, en faveur du travail.
Je dis que c'est au bénéfice de quelques industriels. Mais permettez-moi d'ajouter que dans la prime sur les eaux-de-vie, il y un abus très grave : La prime accordée par le gouvernement permet aux villes d'accorder des primes à leur tour et les campagnes (car bien que je sois bourgmestre d'une ville, je remplis mon devoir de député) ont tout à perdre, à l'avantage exclusif des villes. Le gouvernement aurait très mauvaise grâce à dire à une commune : Vous accordez une prime sur les eaux-de-vie, vous donnez une prime à l'exportation des eaux-de-vie, alors que la commune pourrait dire : Je suis vos errements.
M. Mercier. - Je demande la parole.
M. de Brouckere. - Si l'honorable membre n'admet pas cela, il a donc deux poids et deux mesures. La commune, dis-je, aurait le droit de répondre au gouvernement : Je marche sur vos brisées. Avant de critiquer nos primes, supprimez celles que vous avez établies.
Permettez-moi de vous dire que les primes qu'on donne à la sortie des eaux-de-vie constituent un grand avantage en faveur des distilleries des villes, au détriment des distilleries des campagnes. Les grandes distilleries sont presque toutes dans les villes; il n'y a que les grandes distilleries qui exportent, les petites distilleries ne peuvent exporter. Qu'en résulte-t-il? C'est que les grandes distilleries, par le bénéfice qu'elles font sur la prime, peuvent vendre à l'intérieur à meilleur marché, se contenter d'un bénéfice moindre et faire ainsi aux distilleries des campagnes une concurrence ruineuse.
Il y a certaines villes de Belgique où l'eau-de-vie paye à l'octroi un droit d'entrée de 5 centimes par litre. Dans ces mêmes villes, l'eau-de-vie fabriquée à l'intérieur est soi-disant taxée à 4 c.
Mais comme ce n'est pas l'eau-de-vie qui est taxée, comme c'est la matière qu'on met en macération ou bien la capacité des vaisseaux, par son activité le distillateur est parvenu à réduire le droit à 3 c, c'est-à-dire qu'il ne paye en réalité à la commune que 3 c. Voici ce qui arrive: l'eau-de-vie des campagnes est exclue de la ville, puisqu'elle paye 5 c. On restitue 4 c. sur l'eau-de-vie qui sort. Comme le distillateur ne paye que 3 c, il a un centime de prime, pour lutter contre les distilleries des campagnes, et ainsi il tue ces distilleries.
Ce n'est pas tout : il ne paye que 3 c. ; mais comme l'habitant sait que le tarif est à 4 c, il lui fait payer 4c. Il ajoute ce bénéfice à la prime pour débiter ses eaux-de-vie, à la campagne. Il achève ainsi de tuer les petites distilleries.
(page 746) Si les campagnes avaient des octrois et procédaient de même, qu'en résulterait-il? C'est qu'on boirait l'eau-de-vie des campagnes dans les villes, et l'eau-de-vie des villes dans les campagnes, en frustrant les caisses des villes au détriment des campagnes et les caisses des campagnes au détriment des villes.
Admettons, dans le système qu'on vous propose, qu'il y ait une nation à nos portes, une nation voisine qui comprenne, comme les honorables membres, la protection du travail national, et que cette nation, pour protéger le travail national, accorde, comme nous, une prime à la sortie des eaux-de-vie, qu'en résultera-t-il? C'est que les Belges boiront de l'eau-de-vie étrangère au détriment du trésor du pays où cette eau-de-vie est fabriquée, et que nos voisins boiront de notre eau-de-vie aux dépens de notre trésor public, c'est-à-dire que nous travaillerons les uns aux dépens des autres.
Mais si les nations voisines sont plus sages que nous, si elles ne veulent pas accorder comme nous des primes, qu'est-ce qui en résultera? C'est que, comme le dit l'honorable M. Delehaye, notre exportation ira en grandissant. Déjà dans certains pays, elle décuple; elle pourra décupler partout, et au lieu d'une prime de 100,000 francs, le trésor finira par payer 2 ou 3 millions de fr. Alors que dira-t-on? On dira que l'industrie est trop développée, qu'elle est trop ancrée dans le pays, que les intérêts qui y sont engagés sont trop grands pour qu'on puisse y toucher. Eh bien, je dis que c'est parce qu'aujourd'hui il n'en est pas ainsi, parce que les intérêts engagés ne sont pas considérables, qu'il faut se hâter de détruire cette prime et de revenir aux sains errements de la liberté et de l'équité.
M. Mercier. - Messieurs, l'honorable M. de Brouckere a. donné à mes paroles, relativement aux faits qui concernent l'honorable ministre qui tenait le portefeuille des finances en 1842, une portée qu'elles n'avaient pas. Cet honorable ministre a déclaré de la manière la plus formelle, dans les passages que j'ai cités textuellement, qu'il voulait une prime d'exportation pour l'eau-de-vie indigène. Quant aux détails dans lesquels je suis entré au sujet de la durée de la macération, je les ai indiqués pour établir que la chambre n'avait pas partagé l'opinion qu'il fallût 36 heures pour la fermentation des matières employées à la production du genièvre destiné à l'exportation, malgré l'opinion émise à cet égard par le ministre.
L'honorable M. de Brouckere s'étonne de ce qu'étant l'adversaire des primes, je ne vote pas pour la suppression de celle dont il s'agit. Mais celle-ci est très secondaire à côté d'autres primes qui existent, et je désire m'en faire une arme, je l'avoue, pour déterminer le gouvernement et les membres qui seraient disposés à sacrifier certaines primes, pourvu que d'autres plus préjudiciables au trésor fussent maintenues, pour les amener, dis-je, par l'accroissement du mal même, à en adopter la suppression générale.
Il est un moyen que je veux employer pour arriver à un résultat beaucoup plus utile que celui que l'on se propose en supprimant une prime isolée qui est la plus faible... (interruption), qui est très faible au moins comparativement à celle qu'on accorde à une industrie peu considérable, celle du raffinage du sucre livré à l'exportation.
L'honorable M. de Brouckere a voulu établir de l'analogie entre les primes établies à l'importation de nos produits à l'étranger et les primes qui résulteraient de certaines réductions de droits à la sortie des villes à octrois. C'est, dit l'honorable membre, un mauvais exemple à donner aux villes.
Messieurs, il ne peut y avoir aucune analogie entre ce que feraient à cet égard les villes et ce que fait l'Etat. En effet, s'il y avait, analogie, il se trouverait que l'Etat ne pourrait plus imposer à la frontière des droits protecteurs sur les marchandises étrangères, sans que les villes fussent aussi autorisées à le faire relativement aux produits belges fabriqués hors de leur enceinte. L'honorable M. de Brouckere ne prétendra pas que parce que l'Etat frappe de droits l'entrée des marchandises étrangères, pour les empêcher de faire une concurrence trop redoutable aux produits de nos manufactures, une ville a le droit de protéger par des droits d'octroi la fabrication de ses produits pour écarter de sa consommation des produits similaires belges.
Eh bien, il en est de même des primes. Qu'est-ce que la prime d'exportation qu'une ville accorderait à une industrie? Ce serait, sous une autre forme, une protection identique à celle qu'elle accorderait par des droits à l'entrée sur les produits fabriqués à l'extérieur et similaires de ceux que fournit l'industrie de la ville même.
S'il est vrai que, malheureusement, certaines villes accordent de semblables primes, c'est le résultat d'une erreur, c'est un abus que, sans doute, le gouvernement n'a pas été à même de corriger. Car jamais le gouvernement n'a pu sanctionner un pareil système.
Ce système serait contraire à tous les principes qui ont été posés en matière d'octrois par le gouvernement. Dans l'enquête qui a été faite, par rapport aux octrois, le principe dominant qui a été posé, était qu'une ville ne pouvait protéger une industrie existant dans son sein au détriment d'industries similaires établies sur d'autres points du royaume, soit par des droits d'entrée, soit par des restitutions exagérées qui sont de véritables primes; ces deux moyens sont exactement les mêmes, quant aux résultats.
Si l'honorable membre venait combattre les octrois, je comprendrais les observations qu'il a présentées, car il peut s'agir ici d'une difficulté parfois insurmontable. Tous les fabricants ne faisant pas usage des mêmes procédés, les administrations communales sont souvent embarrassées pour déterminer certains droits ou certaines restitutions de droits; mais, je le répète, si en fait des villes accordent des primes, c'est un abus; le gouvernement manquerait à ses devoirs, si à la première révision des tarifs de ces villes, il ne le faisait cesser.
Je n'ajouterai rien à ces observations et je crois avoir répondu aux objections qui m'ont été faites dans la discussion,
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suis fort étonné d'entendre le langage de l'honorable M. Mercier.
Cet honorable membre déclare qu'il votera contre le projet qui vous est soumis et qui a pour objet de réduire d'une manière notable la prime accordée à l'exportation des eaux-de-vie, en se fondant sur ce que l'on n'a pas aboli la prime qui existait sur le sucre. Mais l'honorable membre a suivi un tout autre système, lorsqu'on a décrété la loi de 1842. En 1842, la prime sur le sucre existait ; elle existait avec un caractère beaucoup plus intolérable qu'aujourd'hui ; les vices de la législation étaient très graves ; et l'honorable membre n'a pas pour cela voté la prime sur les eaux-de-vie ; il a, au contraire, à cette époque voté contre la prime. Singulier revirement et singulier système : l'honorable membre veut que nous fassions disparaître à l'instant même toutes les primes, que nous prenions au moins l'engagement de les faire disparaître successivement; sinon il refuse de voter pour le projet de loi. Eh bien, je fais un appel à la loyauté de l'honorable membre.
La législation que nous avons eu l'honneur de vous proposer sur les sucres n'est-elle pas une réduction notable des avantages qui existaient antérieurement? N'ai-je pas inséré dans cette loi le principe de la réduction successive de la prime? Cette loi fonctionne ; elle fonctionne non pas dans des proportions telles que pourrait le désirer l'honorable membre; mais le principe existe dans la loi, et nous avons arrêté d'une manière bien autrement efficace les effets de la législation, puisque nous avons assuré au trésor la perception d'une somme de 3,500,000 fr. et que pour la première fois le sucre a produit 3,800,000 fr.
M. Cools. - Et les fabriques sont très-prospères, quoi qu'on en ait dit.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et les fabriques sont prospères et le commerce d'exportation se développe; c'est très exact. Mais ce qui est exact aussi, c'est que j'ai introduit ces modifications dans la législation, et que l'honorable M. Mercier devrait m'en tenir compte pour me venir en aide, lorsque je veux introduire les mêmes modifications dans la législation des distilleries.
M. de Man d'Attenrode. - Le gouvernement a adopté malgré lui la réduction de la prime concernant les sucres.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. de Man est dans l'erreur la plus complète. Je suis étonné qu'il ne sache pas ce qu'il a lui-même voté.
Toutes les dispositions du gouvernement ont été adoptées.
Le chiffre minimum de la recette a été seul modifié. De 3,200,000 fr., que proposait le gouvernement, il a été porté à 3,500,000 fr.
Mais toutes les mesures prises tant pour réduire la prime que pour assurer la perception de la recette émanent du gouvernement.
L'honorable M. Delehaye, lui, combat le projet de loi par d'autres motifs, c'est dans l'intérêt de l'agriculture.
M. Delehaye. - Et de la navigation.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Laissez-moi rappeler d'abord votre premier motif. C'est dans l'intérêt de l'agriculture, c'est également dans l'intérêt du commerce et de la navigation. Eh bien, messieurs, je ne crois pas trop m'aventurer en déclarant à l'honorable membre qu'il n'a pas suffisamment examiné l'état des faits et les conséquences de la proposition que nous soumettons à la chambre. Je déclare, moi, que ma proposition est faite dans l'intérêt de l'agriculture. Voilà qui étonne l'honorable membre.
Je sais bien que quelques intéressés ont voulu sonner le tocsin, exciter des oppositions et persuader qu'il s'agissait ici d'une mesure hostile à l'agriculture. Mais, messieurs, la question est éclairée en tous points, et vous allez voir jusqu'où va l'avidité des intérêts particuliers ; vous allez voir s'il s'agit de l'intérêt de l'agriculture.
Messieurs, il y a une prime énorme. Cette prime, nous pouvons facilement la déterminer, parce que j'accepterai toutes les hypothèses qu'on voudra. Si je suppose que la durée de la fermentation est de 24 heures l'impôt de 1 fr. par hectolitre et par jour de travail, et le rendement seulement de 5 litres et 1/2, j'aurai pour l'impôt 18 fr. 18 cent. Si je suppose que le rendement est de 6 litres, j'aurai pour l'impôt fr. 16,66 ; la moyenne de ces deux impôts c'est 17 fr. 42 centimes.
La prime, dans cette hypothèse, est de 10 fr. 58 c. Prétendez-vous que la fermentation exige plus de 24 heures? voulez-vous qu'elle soit de 25 heures? J'y consens. La prime en ce cas sera de 9 fr. 85 cent. Voulez-vous 26 heures? C'est 9 fr. 15 cent. Vous convient-il de n'opérer qu'en 27 heures? c'est 8 fr. 40 cent. En 28 heures, ce sera 7 fr. 08 c; en 29 heures, 6 fr. 95 c; en 30 heures 6 fr. 22 cent. Ainsi, messieurs, il est impossible de nier que la prime ne soit très considérable.
Quelle est maintenant, au vrai, la durée du travail et l'intérêt que peuvent avoir les distillateurs? Permettez-moi, messieurs, de vous lire un extrait d'une lettre d'un distillateur, à cet égard :
« (…) Lorsque j'eus l'honneur de vous parler, j'ai dit que le rendement d'un hectolitre et par jour de travail pouvait être largement porté à 6 litres de genièvre à 50 degrés, aucun distillateur n'oserait sérieusement soutenir que ce n'est pas 6 1/2 litres; le gouvernement ne doit donc en aucune manière se laisser persuader du contraire.
(page 747) « Le rendement par hectolitre matière a de tous les temps été la pierre d'achoppement, parce que, en induisant l'administration sur ce point en erreur, la loi sur les eaux-de-vie a toujours donné des faveurs aux uns au détriment des autres et du trésor. Dans un pays libéral comme le nôtre, où toutes les laveurs sont abolies, cela ne doit, cela ne peut plus être ; il faut franchement exposer au gouvernement les affaires afin qu'il puisse faire des lois justes et imposer avec équité les matières qu'il veut frapper; en matière d'impôt les faveurs peuvent moins qu'en toute autre chose être tolérées et le gouvernement ne doit pas s'enquérir de tous les intérêts de clocher qu'on peut mettre en avant, car, quoi qu'il fasse, il ne parviendra jamais à régler les intérêts des industries de manière à donner à chaque place le moyen de se faire une égale concurrence.
« Je suppose qu'un distillateur à Anvers travaille avec 40 cuves de 20 hectolitres font 800 hectolitres de matières par jour, à 6 1/2 litres, font 52 hectolitres de genièvre, qui font pour 310 jours, non compris les dimanches et jours fériés, 16,120 hectolitres genièvre.
« Il sera pris en charge pour 800 hectolitres cuve matière pendant 310 jours de travail à un franc par hectolitre et par jour pour 248,000 fr., 54 dimanches et jours fériés à fr. 0 25, 10,800 fr. En tout, 258,800 fr.
« S'il exporte 9,243 hectolitres à 28 francs, il lui sera remboursé 258,800 fr.; il lui reste donc des 16,120 hectolitres, 6,877 hectolitres genièvre qu'il ne peut exporter, puisqu'il ne peut exporter qu'à concurrence de ce qui a été pris en charge, c'est-à-dire pour 258,800 fr. qui sont payés avec les 9,243 hectolitres exportés, il doit donc écouler ces 6,877 hectolitres dans les pays; et parce que ces 6,877 hectolitres ne lui coûtent plus aucun droit il peut les donner à bon compte et faire une concurrence ruineuse aux autres distillateurs dans le pays et se conserver à lui seul le marché d'Anvers, puisque l'octroi pour lequel il est pris en charge d'après le même mode se trouve également liquidé avec les 9,243 hectolitres. Il est donc clairement établi que le rendement par hectolitre doit être pris tel qu'il existe réellement, que le droit doit être calculé, tant pour l'impôt que pour l'octroi à raison de 16 fr. au lieu de 28. »
Voilà, messieurs, ce que déclare un distillateur parfaitement compétent ; il ne fait, au surplus, que confirmer des faits qui sont à la connaissance parfaite de l'administration. Il résulte de ce qu'il expose que les distillateurs qui se livrent à l'exportation, grâce aux largesses du trésor, ont des quantités très considérables indemnes de droits, qu'ils livrent à la consommation, et, par conséquent, qu'ils font une concurrence ruineuse aux autres distillateurs, et principalement aux petits distillateurs et aux distillateurs agricoles.
Vous voyez, messieurs, que rien n'est plus nuisible à l'agriculture que le système qui existe actuellement.
Maintenant, messieurs, cet avantage si considérable, comme vous venez de le voir, qui est accordé aux distillateurs-exportateurs, fait-il un intérêt immense dans le pays? Cela s'applique-t-il à un grand nombre? Messieurs, il y a 18 distillateurs qui ont exporté en 1849 et trois d'entre eux ont alimenté le commerce d'exportation jusqu'à concurrence de 75 p. c. C'est-à-dire, qu'il s'agit d'une prime de plus de 100,000 fr. distribuée entre trois personnes!
Messieurs, j'ai sous les yeux le tableau indiquant les distillateurs qui ont apuré tout ou partie de leurs prises en charge par l'exportation.
Voici le résumé des faits constatés :
« Les comptes des distillateurs exportateurs ont été crédités pendant 1849 d'une somme de 458,076 fr. 49 c, représentant une quantité de 16,359 hect. 87 lit. d'eau-de-vie indigène à 50 degrés, pour laquelle les receveurs ont délivré des permis d'exportation ou de dépôt en entrepôt public.
« De cette quantité, il faut déduire celle de 2,440 h. 30 lit., qui a été enlevée des entrepôts publics pour la consommation sous payement des droits.
«Reste 13,919 h. 57 l.
« Il existait au 1er janvier 1850 en entrepôt une quantité de 856 h 34 l. Il s'ensuit qu'il a été réellement exporté, pendant 1849, une quantité de 13,063 h 23 l., donnant lieu à une décharge de 365,770 fr. 44 c.
« A déduire le montant de l'impôt à raison de 17 fr. 52 centimes, 227,561 fr. 47 c.
« Reste à titre de prime, 138,208 fr. 97 c.
«Durant cet exercice, l'exportation a été alimentée :
« A. Par le sieur......, jusqu'à concurrence de 3,656 h.72 l.
* B. Par le sieur......, jusqu’à concurrence de 3,982 h. 18 l.
« C. Par le sieur......, jusqu’à concurrence de 2,859 h. 27 l.
«Ensemble: 10,498 h. 17 l.
« La quantité de 10,498 hect. 17 litres représente 75 p. c. de l'exportation totale, les 25 p. c. restants ont été fournis par 13 autres distillateurs. »
Messieurs, je crois que ces faits sont tellement concluants que ce serait abuser de vos moments que d'entrer dans de nouveaux détails; vous serez convaincus que la mesure est dans l'intérêt des distilleries et surtout des distilleries agricoles et qu'elle est aussi, ce qui est fort heureux cette fois, dans l'intérêt du trésor public. On a fait remarquer que la mesure semblait d'autant moins opportune que le produit de l'accise sur les eaux-de-vie s'était relevé dans ces dernières années.
Mais on a cité pour terme de comparaison les années où il y a eu une forte réduction dans la fabrication et dans la consommation, par suite de la cherté des céréales.
En 1846, on avait estimé le produit probable de l'accise sur les eaux-de-vie à 4,000,000; le trésor n'a perçu en réalité que 3,322,711 francs, insuffisance sur les prévisions, 677,189 francs.
En 1847, on n'a plus estimé le produit probable qu'à 3,500,000 fr.; le trésor n’a perçu que 2,870,989 francs, insuffisance sur les prévisions 629,011 francs; pour 1848, les prévisions ont été de 3,500,000 francs, tandis que la recette effective ne s’est élevée qu’à 3,342,028 francs; nouvelle insuffisance de 157,972 francs. Pour 1849, l'évaluation du produit probable avait été de 3,800,000 francs; on n'a perçu que 3,568,126 francs; insuffisance sur les prévisions, 231,874 francs.
Comme on l'a fait remarquer, le produit de 1849, comparé à celui de 1840 et à celui de 1846, est supérieur de plus de 200,000 fr.; mais ce qu'on ne nous a pas fait connaître, c'est qu'antérieurement, le produit de l'accise, en 1844 et en 1845, était beaucoup plus élevé. En 1844, on n'avait estimé le produit qu'à 3,900,000 fr., et on a obtenu 4,073,000;fr.; en 1845, on n'avait estimé le produit qu'à 4 millions, et on a obtenu 4,063,000 fr.
La diminution, sur 1849, doit principalement être attribuée au commerce d'exportation. De 1843 à 1848, ce commerce a été alimente en moyenne par 2,347 hectolitres, tandis que cette quantité s'est tout à coup élevée, en 1849, à 13,919 hectolitres.
Et pourquoi l'exportation s'était-elle ainsi développée? La Hollande avait également accordé une prime à l'exportation. En présence de cette prime, celle dont jouissent les distillateurs belges se justifiait peut-être sous certains rapports; mais la prime accordée en 1836 par la Hollande a été abolie en 1847, comme l'a très bien dit l'honorable M. de Brouckere, il serait très facile d'exporter avec une prime prise dans les caisses du trésor public. (Interruption.)
C'est ce qu'on fait pour le sucre, me dit l'honorable M. de Mérode. Il est vrai qu'il y a une prime à l'exportation du sucre ; mais ce que j'ai contesté, c'est que la prime eût l'importance qu'indiquait l'honorable M. de Mérode.
Au reste, les intérêts qui se sont formés à l'abri de la prime du sucre raffiné sont bien autrement graves que ceux qui se sont créés à l'abri de la prime des eaux-de-vie indigènes. Mais, prenez-y garde, messieurs, vous auriez avec cette dernière prime les inconvénients que vous avez avec la prime du sucre. Aujourd'hui il est facile d'abolir la prime du genièvre, il ne s'agit que de l'intérêt de trois personnes : vous pouvez ne pas vous en préoccuper; mais si vous laissez subsister la prime, sous prétexte qu'il en existe d'autres, il deviendra probablement très difficile de la faire disparaître.
M. Delehaye. - La chambre est sans doute bien convaincue que j'appartiens à une localité où ne se trouve aucun des distillateurs auxquels M. le ministre des finances a fait allusion. Presque tous les distillateurs de cette localité appartiennent à la classe de ce qu'on appelle les petits distillateurs.
Pourquoi les petits distillateurs de Gand se sont-ils adressés à la chambre? C'est parce qu'ils ont intérêt à ce que les grands distillateurs exportent leurs produits.
Que sont, je vous le demande, les petits distillateurs à côté des grands distillateurs? Ce sont de chétifs industriels à côté d'industriels puissants, et quand les puissants distillateurs n'ont pas de débouchés à l'extérieur, ils viennent écraser sur vos marchés les petits distillateurs.
C'est ce qui est arrivé pour la loi des sucres. Croyez-vous que la loi ait atteint les grands fabricants? Non, ce sont les petits fabricants qu'elle a atteints. Eh bien, les petits distillateurs ont parfaitement compris leur intérêt; ils se sont dit : « Si les grands distillateurs ne doivent plus exporter, quelle sera notre position? Nous aurons immédiatement à lutter contre ces grands distillateurs qui, au moyen de leurs capitaux, de leurs machines perfectionnées et des débouchés qu'ils ont déjà, finiront par nous écraser.»
Ainsi, si nos petits distillateurs ont réclamé, c'est parce qu'ils comprenaient bien leur intérêt.
Et ici, je n'ai en vue que l'intérêt général. Je rougirais de défendre ici des intérêts particuliers qui croiraient que les lois doivent fléchir devant leurs exigences. J'ai trop de soins de la dignité de mon mandat parlementaire pour la mettre jamais aux pieds d'un intérêt particulier.
Je n'examine donc la question qu'au point de vue de l'intérêt général; eh bien, cet intérêt s'oppose à ce que des personnes qui ont établi des usines à l'abri d'une législation protectrice, soient brusquement privées de cette protection.
L'honorable député de Bruxelles, M. de Brouckere, a fait une observation très fondée; quelques localités accordent une prime à la sortie de leurs genièvres. Comme conseiller communal, j'ai eu à examiner cette question, et j'ai reconnu que les distillateurs des grandes villes ont une infinité de charges que n'ont pas les distillateurs de la campagne: la main-d'œuvre, la location des maisons, des usines coûtent bien autrement dans les grandes villes qu'à la campagne ; si vous supprimiez la prime qui compense en partie les charges extraordinaires que les distilleries ont (page 748) à supporter dans les grandes villes, elles iraient s'établir toutes dans les campagnes et ce serait une grande porte de travail pour les grandes villes.
Nous avions été aussi frappes que M. de Brouckere des inconvénients qu'il a signalés. Mais quand nous sommes les mandataires de localités, nous devons examiner les intérêts de ces localités et la position particulière dans laquelle se trouvent les individus qui procurent du travail à la population.
Le genièvre fabriqué dans les grandes villes est destiné à l'exportation, et comme le genièvre s'obtient avec des céréales c'est comme si nous exportions des céréales; mais, me dit-on, par cette exportation vous augmentez la valeur des céréales et il faut que les denrées alimentaires soient à bas prix.
Je réponds qu'au point de vue de l'agriculture dégagée de ses autres intérêts, il est avantageux qu'elle puisse se débarrasser de ses produits. Il est impossible qu'en frappant tout à coup de stérilité ce grand mouvement commercial produit par l'exportation de la distillerie, vous ne portiez pas atteinte à l'agriculture.
J'ai fait avec bonne foi la critiqué du projet de loi; j'ai démontré qu'il serait dangereux de l'adopter, car il n'est pas dans l'intention du gouvernement de détruire ou restreindre les distilleries (personne ne le voudrait), puisqu'il déclare que les exportations continueront après comme avant la loi. Si je consulte les individus appartenant à l'industrie, tous m'assurent que si la loi est adoptée, les distilleries des grandes villes devront fermer toutes un peu plus tôt ou un peu plus tard.
Pourquoi ne pas adopter une échelle comme pour les sucres? A propos des sucres on disait : Fixons d'abord le rendement à tant; si nous n'obtenons pas tel produit, nous l'augmenterons et nous finirons par atteindre le rendement réel ; procédons d'une manière analogue à l'égard des distilleries; diminuons successivement le drawback et à la fin nous parviendrons à supprimer toute la prime qu'il renferme. Aurez-vous tant perdu en échelonnant la réduction, en retardant d'un an la suppression de la prime?
Est-il juste après tout de modifier tout à coup une loi sur la foi de laquelle les intéressés ont fondé des usines et fait des achats de grains considérables? Quand une loi industrielle existe, qu'elle n'ouvre pas la porte à la fraude, on ne peut pas l'abolir tout à coup. Réduisez, si vous voulez, l'apurement à 27 fr. au 1er juillet et à 26 fr. au premier janvier, c'est une manière d'agir sage qui vous permettra de supprimer la prime sans porter atteinte à une industrie qui mérite la considération de la chambre.
M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai à dire très peu de mots sur les questions dont la chambre est saisie. Je dois, malgré ce qu'a dit M. le ministre et d'autres honorables orateurs, faire observer que le gouvernement ne peut pas avoir deux poids et deux mesures. Il doit être conséquent ; s'il admet le système des primes pour quelques industries, il ne peut pas en refuser le bénéfice à d'autres. On a dit que la somme des primes accordées pour les sucre, s'élevait à 600 ou 700 mille francs ; c'est exorbitant; elle est, je crois, de 7 fr. par 100 kil. C'est une faveur immense que vous accordez à la raffinerie.
Je sais que les raffineurs prétendent que l'exportation de leurs sucres n'est encouragée que parce qu'elle facilite l'exportation des produits manufacturiers du pays. Mais les distillateurs peuvent dire la même chose en faisant remarquer que ce n'est pas une somme énorme de 700 mille francs, mais seulement une centaine de mille francs qu'ils demandent. Si on a tant exporté dans ces derniers temps, c'est que le grain a été à vil prix ; mais il n'est pas dit que cela continuera ; ce serait à plus forte raison une erreur de croire que les exportations augmenteront d'année en année.
Quand on accorde 700 mille fr. pour les sucres, y aurait-il justice à refuser la misérable somme qu'on vous demande pour les distilleries? Il est impossible de ne pas continuer à l'accorder jusqu'à ce qu'on soit sorti du système de prime; c'est d'ailleurs la doctrine du gouvernement.
Pourquoi ne commencez-vous pas par la suppression des primes, que reçoivent plusieurs autres industries? Vous n'osez pas.
Je dirai quelques mots des octrois. L'honorable député de Bruxelles.. M. de Brouckere et plusieurs autres, ont parlé des octrois des villes et de la prime accordée aux produits exportés. Ces primes sont une injustice ; on exploite les campagnes au moyen de la prime d'exportation du genièvre; la prime que les villes accordent au distillateur qui exporte du genièvre est ce qui vaut le plus aux distilleries agricoles comme on les appelle.
Qui en est la cause? C'est le gouvernement. Pourquoi le gouvernement sanctionne-t-il des mesures semblables? Qu'il refuse son autorisation, qu'il ait de l'énergie et qu'il n'autorise pas des choses aussi iniques.
Aujourd'hui ces distilleries exportent beaucoup à l'étranger ; si ce débouché leur est fermé, elles jetteront leurs produits en plus grande quantité dans les campagnes au grand détriment des petites distilleries.
Je pense que le gouvernement doit changer de système; s'il veut supprimer les primes, qu'il les supprime pour toutes les industries qui en reçoivent; sans cela on pourra, avec raison, l'accuser d'injustice.
- Sur la proposition de M. Veydt., la discussion est continuée à demain.
La séance de demain est fixée à deux heures, sur la proposition de M. Tesch, qui fait observer qu'il faut laisser à la section centrale chargée de l'examen des projets de loi sur le service du caissier de l'Etat et sur l'institution d'une banque nationale, le temps d'achever son travail.
Il est donné lecture d'un message du sénat, accompagnant l'envoi du projet de loi sur l'institution d'une caisse de retraite, amendé par cette chambre.
Sur la proposition de M. le président, renvoi à la section centrale qui a examiné le projet de loi primitif.
M. Lebeau demande que le projet de loi sur l'enseignement moyen soit mis à l'ordre du jour des sections pour jeudi prochain. Sur l'observation faite par M. le président que M. de Perceval renouvellera demain la motion qu'il a faite à ce sujet, et sur l'observation faite par plusieurs membres, qu'on n'a pu jusqu'ici prendre connaissance du projet de loi, qui vient seulement d'être distribué, il déclare ne pas insister dans sa demande.
- La séance est levé à 4 heures trois quarts.