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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 16 février 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 733) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à une heure et quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Les membres du conseil communal de Quaregnon demandent une réduction de droits sur les canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing, la liberté de passer par l'Escaut français pour se rendre en Belgique, sans être soumis aux droits du canal de Pommerœul à Antoing, et la mise en adjudication du canal de Jemmapes à Alost ou au moins de Jemmapes à Ath. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les huissiers audienciers près le tribunal de première instance à Marche demandent une loi qui leur assure un traitement annuel pour le service intérieur du tribunal et tous autres services attachés à leurs fonctions et qui leur rende les significations en matière forestière. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants du canton de Puers et des environs prient la chambre d'accorder au gouvernement les crédits demandés pour continuer la fabrication des toiles russias. »

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, je demanderai que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet d'accorder un crédit supplémentaire au département de la justice pour la fabrication de toiles russias.

- Cette proposition est adoptée.


Par message, en date du 15 février, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi qui proroge la loi du 31 décembre 1848 sur les denrées alimentaires.

-Pris pour notification.

Projet de loi interprétatif des articles 1322 et 1328 du code civil

Discussion générale

M. Fontainas. - Messieurs, la question d'interprétation qui vous est soumise me paraissait être d'une solution facile, bien qu'elle soit très importante dans ses conséquences. Mais le projet de loi proposé par le gouvernement et appuyé par la section centrale, a singulièrement compliqué les choses, sans toutefois altérer mes convictions.

Messieurs, formulons nettement la question. Une femme se marie sous le régime de la communauté. La communauté est dissoute. En terme de liquidation, on lui oppose des actes sous seing privé, émanés de son mari. Ces actes sous seing privé feront-ils foi de leur date, bien qu'ils n'aient pas été préalablement soumis à la formalité de l'enregistrement,? Oui, disent les cours d'appel de Liège et de Gand; oui, disent encore le gouvernement et la section centrale; non, dit la cour de cassation; non, dit le procureur général près cette cour.

Je viens, messieurs, appuyer le système de la cour de cassation en soutenant, que, une fois la communauté dissoute, une fois la femme remise à la tête de ses affaires, elle est nécessairement tiers relativement à son mari et par cela même elle a droit de réclamer la protection de l'article 1328 du Code civil. Vous connaissez, messieurs, les termes comme l'esprit de ce texte; l'article 1328 porte :

« Les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour on ils ont été enregistrés, etc., etc. »

Cette disposition, messieurs, est fort sage et il me semble qu'elle est méconnue dans ses conséquences par le système d'interprétation qui vous est soumis.

Je dis, messieurs, que cette disposition est fort sage, car elle renverse, en les prévenant, les calculs de la mauvaise foi.

Pour combattre ce système d'interprétation des articles 1322 et 1328, que disent le gouvernement et la section centrale? Ils disent en substance que tout dépend du point de savoir si la femme est l'ayant-cause du mari et si elle est censée partie dans les actes posés par ce dernier.

A cette objection je réponds que la femme n'est pas, à proprement parler, l'ayant-cause du mari. Pour me servir des termes d'un des considérants de l'arrêt de la cour de cassation, je dis que « l'ayant-cause d'une personne est celui qui tient d'elle ou qui puise dans un acte qui ne faisait titre qu'à l'égard de cette personne, un droit qu'il n'aurait pu exercer de son propre chef »; or, la femme ne tient point ses droits de son mari; ils dérivent directement, exclusivement des conventions anténuptielles, soit expresses, soit tacites.

Je dis donc que, dans la véritable acception du mot ayant-cause, dans le sens légal et quelque peu étroit de ce mot, la femme n'est pas l'ayant-cause du mari.

Mais, dit-on, le mari est le mandataire légal de la femme, et dès lors, tous les actes, même ceux sous seing privé, font foi relativement à leur date.

Je reconnais qu'au point de vue de la jurisprudence et de la doctrine, il est permis de dire que les actes, sous seing privé d'un mandataire font foi de leur date ; mais il ne faut pas confondre la position du mandataire proprement dit et les attributions si larges, si absolues, accordées au chef de la communauté.

Le mandataire ne peut pas abuser de sa position et des droits qui lui sont attribués; mais le chef de la communauté peut, lui, user et abuser de sa position; il le peut sans responsabilité, sans aucun contrôle.

Le mandataire peut être révoqué à la volonté du mandant. Mais en est-il de même du chef de la communauté? Evidemment non ; il ne faut donc pas confondre ces deux positions.

Comme il s'agit d'une question nécessairement étroite dans son interprétation, vous ne pouvez pas conclure du cas du mandataire proprement dit au cas du chef de la communauté.

Mais, messieurs, il est, pour répondre à l'objection, des considérations, beaucoup plus décisives; ma réponse, je la trouve dans les considérants de l'arrêt même de la cour de cassation. Ils me semblent tellement forts de logique, que je ne résiste pas au besoin de vous en donner lecture; ils résument nettement la question et ils m'ont déterminé à combattre le projet de loi.

Voici les termes de ces considérants :

« Attendu que si le mari, en sa qualité de chef de la communauté, est le mandataire légal de sa femme, et si celle-ci est censée partie dans les actes passés par son époux durant la communauté, elle n'en est pas moins étrangère aux actes que son mari a pu poser après sa dissolution;

« Que, pour décider si une femme séparée de biens est censée avoir été partie dans un acte souscrit par son mari, il faut donc préciser au préalable si l'acte a été passé durant la communauté, et commencer ainsi par en fixer la date;

« Attendu qu'au moment où, dans l'espèce, la quittance dont il s'agit était opposée à la demanderesse, celle-ci était devenue tiers à l'égard de son mari, que cette pièce n'avait donc contre elle date certaine que du jour de son enregistrement ;

« Que c'est en effet au jour de leur production qu'il faut apprécier si les actes font ou ne font point foi contre ceux à qui on les oppose ;

« Que si l'on avait égard au jour indiqué par la date apposée, on restreindrait la portée de l'article 1328 du Code civil d'une manière évidemment contraire aux vues du législateur;

« Qu'il suffirait, dans ce système, qu'une personne eût eu à une époque quelconque une qualité, pour que tous les actes sous seing privé, par elle souscrits et se rapportant par leur date à cette époque, fussent réputés sincères vis-à-vis de ceux à l'égard desquels elle a depuis perdu cette qualité, ce qui ouvrirait la voie à d'inévitables abus;

« Qu'on ne peut échapper à ces abus que la loi a voulu prévenir, qu'en admettant que la date doit être légalement établie, avant que celui dont émane l'acte n'ait perdu la qualité en vertu de laquelle il a agi;

« Attendu que, d'après la doctrine consacrée par l'arrêt attaqué, le mari contre lequel la séparation ou la divorce a été prononcé conserverait le pouvoir exorbitant d'obliger encore l'ancienne communauté au moyen d'antidatés, contre lesquelles la femme séparée ou divorcée ne pourrait se prémunir;

« Que si le système contraire présente également des inconvénients, ces inconvénients peuvent au moins être évités soit par l'enregistrement, soit en faisant intervenir les femmes dans les actes, et qu'en tous cas, ces inconvénients résultent de la loi et des principes de la matière, et ne peuvent ainsi faire fléchir l'application de la règle. »

Il me semble, messieurs, que ces considérants sont nets, précis et d'une grande logique; sans doute en interprétant la loi, vous entendez sauvegarder l'intérêt des familles, les droits de tous ; sans doute, et c'est le plus beau côté de votre rôle, vous entendez suivre les inspirations de l'équité et de la raison.

Or, l'intérêt des familles, la raison et l'équité me semblent repousser avec une égale énergie le système d'interprétation qui vous est soumis. L'intérêt des familles veut qu'on n'abandonne pas à l'arbitraire d'un époux irrité et disposé à la vengeance la fortune de l'épouse qui s'est adressée à la justice.

La femme séparée de corps a repris l'administration de ses biens; on ne peut pas vouloir qu'à partir de cette époque la femme soit encore livrée aux caprices de son mari, qui toujours pourra compromettre les intérêts de sa femme en contractant des dettes, en souscrivant des actes sous seing privé antidatés.

Mais pour admettre ce raisonnement, dit-on, il faut repousser un principe déposé dans le Code civil, à savoir que la mauvaise foi ne se présume pas et qu'il en faudrait beaucoup pour oser antidater des actes sous seing privé.

Messieurs, on ne doit pas trop complaisamment s'arrêter devant ce principe, car le législateur lui-même ne l'a pas admis d'une manière absolue; témoin les articles 1343 et 1328; l'article 1343 porte textuellement qu'en matière civile, la preuve testimoniale n'est pas admissible quand la somme excède 150 fr. et qu'il n'y a pas de commencement de preuve écrite.

Pourquoi cette défense? Parce que, et c'est un pénible aveu, le législateur a craint le mensonge et la mauvaise foi.

Dans l'article 1328, pourquoi le législateur a-t-il dit que les actes sous, seing privé ne font foi de leur date à l'égard des tiers, qu'à compter du jour de l'enregistrement? Parce qu'il a prévu la possibilité de l'antidate. Il faut donc abandonner ce raisonnement tiré de la bonne foi présumée, pour raisonner logiquement et sans flatterie pour personne.

(page 734) Eh bien, si nous raisonnons logiquement, nous devons nécessairement admettre les conséquences du principe. Et je m'explique s En bonne logique, nous devons reconnaître que la femme qui a poursuivi son mari pour obtenir le divorce ou la séparation de corps et de biens, ou la séparation de biens seulement, que cette femme étant remise à la tête de ses affaires, ne doit plus à l'avenir être abandonnée aux caprices de son mari et aux calculs de sa mauvaise foi. Or, si vous admettez, comme faisant foi de leur date, les actes qu'il a pu poser en les antidatant, après la dissolution de la communauté, ne voyez-vous pas que le pouvoir que vous restituez à la femme est détruit, est effacé complètement?

Il faut, messieurs, comme je l'ai dit tantôt, raisonner sans flatterie pour personne. Or, en partant de cette idée, il faut reconnaître que celui-là sera tout naturellement disposé à créer des dettes fictives, à poser des actes sous seing privé antidatés, qui aura été blessé dans ses susceptibilités, dans son amour-propre. En d'autres termes, un mari qui a été poursuivi, qui a été condamné, doit éprouver le besoin de se venger. Eh bien, il pourra, pour punir sa femme de s'être placée sons la protection de la loi, s'entendre avec des tiers, faire des actes antidatés, reconnaître des obligations fictives et doleuses.

Voilà les conséquences du système d'interprétation que l'on vous propose et que je viens combattre.

Messieurs, que le mari ait toute puissance pendant la communauté rien de plus juste, rien de plus naturel. En toutes choses, dans les grandes comme dans les petites associations, il faut un chef, il faut une autorité; c'est là une condition d'ordre et d'existence. Mais consacrer l'abus de ce pouvoir, mais le maintenir après la dissolution de la communauté, mais conseiller en quelque sorte au mari condamné de se venger en compromettant les intérêts de la femme, voilà ce que je ne puis admettre, et telle est la conséquence du système d'interprétation que l'on vous propose.

Messieurs, le meilleur des guides, le conseiller le plus sûr, c'est l'expérience. C'est pour avoir méconnu cette vérité, c'est pour être restés sourds aux conseils de l'expérience, que bien des hommes, d'un esprit cependant élevé, se sont jetés dans d'inconcevables écarts, se sont abandonnés à des illusions, à des rêves irréalisables.

Eh bien, je consulte mon expérience et elle me dit que si l'on reconnaît comme faisant nécessairement foi de leur date les actes sous seing privé émanés du mari, il s'en suivra qu'il y aura abus de la position qui lui est faite, qu'il pourra se venger de sa femme qui cependant est placée sous la protection de la loi.

Ce danger, je le vois dans le système d'interprétation qui vous est soumis. Ce danger, s'il n'est pas complètement effacé, est au moins singulièrement atténué par la sage et prudente jurisprudence de la Cour de cassation.

Je voterai contre le projet de loi.

M. Lelièvre. - Je dois d'abord féliciter M. le ministre de la justice de l'énergie et de la fermeté dont il a fait preuve en présentant le projet de loi qui vous est soumis. Certes il a fallu du courage pour préférer à une décision rendue par la cour suprême (chambres réunies) l'opinion en sens inverse des cours d'appel. Cet acte prouve que, quel que soit le rang qu'occupe un corps judiciaire, quelle que soit la juste considération dont il jouit, il y a quelque de plus élevé, quelque chose qui entraine les suffrages et commande le respect, c'est la puissance de la justice. Le projet, du reste, est pour l'avenir une garantie en faveur du progrès de la science. Les cours d'appel sauront qu'elles peuvent hardiment obéir à leurs convictions et proclamer ce qu'elles croient être la vérité; elles sauront que leurs opinions consciencieuses sont pesées par la législature avec une impartialité qui ne le cède à aucune considération quelle qu'elle puisse être.

Plus j'examine la question qui vous est soumise, plus je suis convaincu qu'elle doit recevoir la solution que lui a donnée la section centrale. Il est incontestable que le mari est le mandataire de la femme. Voyez les règles relatives à l'administration de la communauté, c'est bien un mandataire qui agit au nom de l'épouse, qui stipule ses droits et gère ses intérêts. Ces actes, messieurs, le mari les pose en vertu de la convention qui a présidé au mariage.

Mais, dit l'honorable M. Fontainas, le mari peut user et abuser. Eh bien, cette circonstance n'est pas exclusive de la qualité de mandataire, elle prouve seulement que le mandat a, en général, certaine étendue, bien que relativement aux biens personnels de la femme, il soit assez restreint.

Le caractère irrévocable de l'administration du mari n'exclut pas également l'existence de mandat, le mandat n'est pas essentiellement révocable, ce caractère est seulement de la nature du contrat. Il y a nombre de cas où l'on conçoit un mandataire irrévocable, et il en est ainsi notamment lorsqu'un mandat est la condition d'un acte à titre onéreux.

Ces prémisses posées, la question qui vous est soumise ne présente, à mon avis, aucune difficulté sérieuse.

Du moment que le mari est le mandataire de son épouse, celle-ci est réputée partie dans tous les actes posés par lui comme chef de la communauté. C'est comme si elle y était intervenue en nom. Dès lors les actes sous seing privé font foi de leur date vis-à-vis d'elle.

Mais, dit-on, il sera facile au mari d'antidater des actes au préjudice des droits de son épouse ou de ses héritiers. La réponse est facile.

D'abord la mauvaise foi ne se présume pas, et l'on ne peut jamais impugner un principe à l'aide d'abus possibles résultant d'une fraude qui peut être pratiquée; en second lieu il ne manquera pas à la femme ou à ses héritiers des moyens de nature à démontrer le vol ou la fraude dont on voudrait les rendre victimes. De simples présomptions suffisent à cet effet, et les circonstances pourront souvent jeter une vive lumière sur les manœuvres qui pourraient être pratiquées.

Mais le système que je combats présenterait des inconvénients plus réels, plus sérieux. Tous les actes faits de bonne foi pendant la durée de la communauté seraient dans le cas d'être annulés à l'aide d'une simple dénégation. Toutes quittances émanées du mari, tous actes sous seing privé faits par lui pourraient être mis à néant au préjudice des tiers, parce que ceux-ci, se conformant aux usages habituels et aux règles de la vie commune, auront négligé de les faire enregistrer. A-t-on bien pesé la perturbation que produirait un pareil système dans toutes les transactions sociales ?

Si donc, messieurs, il y avait lieu à décider la question d'après les inconvénients que présentent l'un et l'autre système, ce serait encore celui que je défends qui devrait l'emporter. Ne le perdez pas de vue, messieurs, si vous admettez la doctrine soutenue par M. Fontainas, vous forcez tout individu qui reçoit une quittance d'un mari à la soumettre à la formalité de l'enregistrement. Vous annulez tous actes sous seing privé faits pendant le mariage qu'on aurait omis d'assujettir à une forme qui cependant n'est jamais observée qu'exceptionnellement.

Il en sera de même de tout individu qui contractera avec un mandataire ordinaire; lui aussi sera victime de sa bonne foi. Ce système n'a, selon moi, aucun fondement. Aussi il est proscrit par la jurisprudence de la cour de cassation de France et celle des cours d'appel du même pays. Vous n'hésiterez pas, messieurs, à le condamner par le vote que vous êtes appelés à émettre.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, les observations que vient de présenter l'honorable M. Lelièvre me dispenseront, je crois, d'entrer très avant dans le fond de la question. Je ne pourrais, d'ailleurs, que répéter ici devant vous les arguments qui ont été développés dans l'exposé des motifs et ceux qui se trouvent reproduits dans le rapport très court, mais très lumineux, de l'honorable rapporteur de votre section centrale.

Messieurs, le gouvernement, avant de se décider à adopter l'opinion des cours d'appel, et à lui donner la préférence sur celle de la cour de cassation, y a, vous pouvez le croire, réfléchi très sérieusement. Il s'est entouré des lumières de tous les jurisconsultes qui pouvaient le mieux l'éclairer. Il a consulté la doctrine, la jurisprudence. Il a calculé et pesé les inconvénients et les avantages des deux systèmes. De cet examen, messieurs, est résultée pour lui l'intime conviction que la jurisprudence des cours d'appel est la seule vraie, la seule juridique, et que c'est du côté opposé que se trouve l'erreur.

En présence de l'unanimité avec laquelle la section centrale a adopté le projet de loi qui vous est soumis, je ne m'attendais pas, je dois le dire, à ce qu'il pût être sérieusement attaqué dans cette enceinte.

Le projet n'a pas, d'ailleurs, seulement en sa faveur l'autorité de deux cours d'appel; il a également pour lui celle de la doctrine, c'est-à-dire de tous les auteurs, car je crois qu'il est très peu d'auteurs qui n'aient pas soutenu et enseigné l'opinion que nous vous proposons d'adopter. Nous pouvons également l'appuyer sur l'autorité de la cour de cassation de France, et je pourrais produire des arrêts qui tranchent la question dans le sens de l'interprétation que nous vous proposons d'adopter.

Quant aux avantages et aux inconvénients des deux systèmes, il suffit, messieurs, de les mettre en présence pour qu'il soit impossible d'éprouver la moindre hésitation sur l'opinion qui doit être préférée. Pour mieux vous le faire comprendre, messieurs, je vous rappellerai en très peu de mots le fait, extrêmement simple d'ailleurs, qui a fait surgir la question que vous avez à résoudre.

Deux époux, mariés à Liège, il y a très longtemps, sous le régime de la communauté du Code civil, font, pendant la durée de la communauté, une succession du chef d'un parent de l'épouse. Cette succession reste longtemps en souffrance; ce n'est qu'en 1822 qu'elle est réglée et liquidée entre le mari et les cohéritiers de son épouse. Le mari reçoit la part de revenus et de deniers qui appartenait à celle-ci et en donne quittance. Treize années se passent, et en 1833 l'épouse fait prononcer la séparation de corps et de biens contre son mari. Elle ne réclame rien encore du chef de la succession dont il s'agit. Dix années après seulement, en 1843, l'épouse assigne ses cohéritiers pour les faire condamner à lui payer cette pari de succession dont son mari a donné quittance 23 ans auparavant.

Telle est, messieurs, l'origine de la question que vous êtes appelés à résoudre. La cour de Liège, saisie de cette question, a décidé que la quittance opposée à la femme par les cohéritiers pouvait lui être opposée; et que s'il était vrai que la femme fût devenue un tiers vis-à-vis de son mari depuis la séparation de corps et de biens, elle avait été, pendant les 15 ou 20 années de la durée du mariage, l'ayant-cause de son mari et que, par conséquent, elle devait, aux termes de l'article 1328 du Code civil, accepter toutes les quittances, tous les actes souscrits par son mari portant une date antérieure à l'époque de la dissolution de la communauté.

La question est portée devant la cour de cassation, et cette cour, s'appuyant sur l'article 1328 du Code civil, décide contrairement à l'avis du ministère public, qui avait conclu au rejet du pourvoi, que la femme séparée était devenue un tiers vis-à-vis de son mari, et qu'on ne pouvait lui opposer une quittance qui n'avait point de date certaine antérieurement à la dissolution.

(page 735) La cause fut renvoyée devant la cour de Gand et cette cour jugeant, chambres réunies, a, par un arrêt fortement motivé, décidé, comme la cour de Liège, que ce n’est pas l’article 1328 qui était applicable dans l’espèce, mais bien l’article 1322 du Code civil, et que si la femme avait changé d’état ou de qualité, par l’effet de la séparation de corps et de biens, elle n'en était pas moins tenue à respecter tous les actes, toutes les quittances émanés de son mari, et souscrit par lui pendant la durée de la communauté.

La cause fut portée de nouveau devant la cour de cassation, et cette cour, entraînée par un savant réquisitoire de son honorable procureur général, s'est prononcée de nouveau dans le sens de son premier arrêt, et a renvoyé l'affaire devant la cour, de Bruxelles pour y être statué après interprétation de la loi.

Messieurs, je ne me lancerai point ici dans des distinctions plus ou moins subtiles, plus ou moins obscures, entre les tiers et les ayants-cause. Ces discussions ont longtemps occupé les auteurs, qui ne sont point encore parvenus à se mettre d'accord.

Je ramènerai la question à un point de vue plus pratique et je vous rappellerai, comme vient de le dire l'honorable rapporteur de la commission, que le mari est pendant le mariage non seulement le mandataire légal de sa femme, mais aussi son mandataire conventionnel, puisque les époux se mariant sans contrat sous le régime de la communauté sont censés adopter les stipulations de la loi qui forment pour eux un contrat tacite ayant la même force que le contrat exprès. Eh bien, si le mari est le mandataire de sa femme, pourquoi ne le placeriez-vous pas dans la même position que le mandataire particulier qui a posé un acte en vertu de ses pouvoirs? L'honorable M. Fontainas en est convenu lui-même, si je donne à un tiers un mandat pour gérer une affaire ou pour poser des actes quelconques en mon nom, si je révoque le mandat un an après, à une époque où je ne connais pas encore qu'il en ait été fait usage, et si l'on vient ensuite produire l'acte posé par mon mandataire pendant la durée du mandat, je ne puis pas repousser cet acte sous prétexte qu'il n'a point de date certaine; ce serait non seulement de l'immoralité, de la mauvaise foi, mais encore une chose illégale. La jurisprudence, à cet égard, est positive; l'honorable M. Fontainas s'est empressé de le reconnaître.

Il en est de même, messieurs, dans une foule d'autres circonstances. Ainsi, par exemple, l'interdit est frappé d'incapacité à partir du jour de son interdiction, tous actes passés par lui depuis cette époque sont nuls de plein droit. Eh bien, peut-on lui opposer après son interdiction des actes qu'il a posés auparavant, lorsqu'il était, «integri status»? Evidemment oui ; et le tuteur de l'interdit ne peut pas repousser ces actes sous prétexte qu'ils n'auraient pas de date certaine, antérieure au jugement d'interdiction. La jurisprudence est encore positive sur ce point.

Il en est de même en matière de faillite. Le failli, à compter du jour de la déclaration de la faillite, est dessaisi de l'administration de tous ses biens. Cela empêche-t-il les créanciers de faire valoir les titres sous seing privé que le failli a souscrits de bonne foi avant sa faillite? Non sans doute, et c'est encore là un point, qui est reconnu sans contestation.

Il en, est de même encore en matière de saisie-arrêt ; si je fais une saisie entre les mains d'un tiers que je crois être le débiteur de mon débiteur, et si ce tiers saisi produit une quittance qui prouve sa libération, pourrai-je repousser cette quittance sous prétexte qu'elle n'a pas de date certaine antérieurement à la saisie? Encore une fois, la quittance est valable, et elle doit être admise si elle a été donnée et reçue sans fraude.

Pourquoi donc, messieurs, n'en serait-il pas de même des actes posés par le mari pendant la durée de la communauté, à une époque où il était investi de la plénitude des droits de son épouse, comme mari comme chef de la communauté et en vertu de la puissance maritale?

Voyons maintenant, messieurs, quels seraient les inconvénients qui résulteraient de l'un et de l'autre système.

L'honorable M. Fontainas se préoccupe beaucoup de ce que le mari, irrité contre sa femme parce que celle-ci aurait poursuivi contre lui la séparation de corps et de biens, viendra, par vengeance, antidater des actes qui lui seraient préjudiciables. Mais, messieurs, les tribunaux ne sont-ils pas là? Permettront-ils que le dol et la fraude s'accomplissent? Le dol et la fraude seraient-ils donc si difficiles à constater et à découvrir? Que l'on soit donc sans crainte, ta justice veillera sur les droits de la femme, l'action de dol et de fraude lui sera toujours ouverte et obviera à tous les inconvénients qui ont été signales par l'honorable M. Fontainas.

Envisagez maintenant, messieurs, les inconvénients du système contraire; qu'en résultera-t-il, en effet? C'est que, tout individu qui traitera avec un mari, devra toujours avoir en vue l'éventualité de la séparation de corps et de biens qui pourrait être prononcée dans l'avenir sur la demande de la femme, et qu'il devra faire enregistrer tous les actes qu'il fera avec le mari pendant la durée de la communauté, et même ceux dont la loi ne requiert pas l'enregistrement, et vous savez que ces actes sont les plus nombreux.

Il en est de même de ceux qui contracteront avec un individu quelconque qui peut être frappé d'interdiction judiciaire à toutes les époques de sa vie; même chose vis-à-vis d'un négociant qui peut être atteint plus tard par la faillite; enfin, comme l'a dit votre honorable rapporteur, il en résulterait une perturbation générale dans toutes les transactions sociales, et cela uniquement pour éviter, ce qui est facile à prévenir, qu'une femme mariée ne puisse, dans des circonstances extrêmement rares, être lésée, atteinte par l'antidate d'un acte, par la fraude que son mari aurait pu exercera son préjudice, fraude dont il sera presque toujours facile d'établir la prouve, laquelle entraînera la nullité de l'acte Je crois inutile, messieurs, de prolonger ces observations.

- La discussion est close.

Vote de l’article unique

On passe à l'appel nominal sur l'article unique du projet de loi qui est ainsi conçu :

«Les articles 1322 et 1328 du Code civil sont interprétés de la manière suivante:

«L'acte sous seing privé signé par le mari durant la communauté et relatif à des revenus de biens personnels de la femme, s'il est reconnu par celle-ci à laquelle on l'oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a entre elle et ceux qui l'ont souscrit, même après la séparation de corps et de biens, la même foi que l'acte authentique. »

Voici le résultat de l'appel nominal :

56 membres ont répondu à l'appel.

50 ont répondu oui.

6 ont répondu non.

La chambre a adopté. Le projet de loi sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Mercier, Moncheur, Moxhon, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Schumacher, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Van Grootven, Van Hoorebeke, Vermeire, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Bruneau, Clep, Cools, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dechamps, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, de Theux, Faignart, Jacques, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Prévinaire, Rousselle, Cans, de Liedekerke, de Pitteurs et Fontainas.

Projet de loi délimitant les communes de Lambusart et Moignelée

M. le président. - L'ordre du jour appelle la délimitation des communes de Lambusart et Moignelée.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - M. le ministre de l'intérieur, retenu au sénat par la discussion du projet de loi des denrées alimentaires, m'a chargé de demander la remise de la discussion sur cet objet à lundi ou mardi.

M. Lelièvre. - Je demande la remise à mardi.

-La remise à mardi est prononcée.

Rapports sur des pétitions

M. Toussaint, rapporteur. - «Par pétition datée d'Anvers, le 5 décembre 1849, le sieur Van den Haute prie la chambre de sanctionner, par une loi pénale, la disposition de l'article 600 du Code de procédure civile. »

Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Toussaint, rapporteur. - « Par pétition datée d'Anvers, le 4 décembre 1849, le sieur Grégoire Dom, artiste musicien, réclame l'intervention de la chambre pour qu'il soit interdit aux musiciens militaires de faire des entreprises de bals et de soirées musicales. »

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


M. Toussaint, rapporteur. - « Par pétition datée de Pepinghen, le 3 décembre 1849, plusieurs cabaretiers, boulangers et boutiquiers à Pepinghen demandent qu'il soit interdit au bourgmestre de cette commune d'exercer le commerce. »

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


M. Toussaint, rapporteur. - « Par pétition datée de Renaix, le 17 juillet 1849, le sieur Jean-Baptiste Bouvrie, ouvrier teinturier à Renaix, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une pension en faveur de son fils Emmanuel, congédié du service militaire du chef d'une infirmité qui le met dans l'impossibilité de pourvoir à son entretien. »

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


« Par pétition datée de Liège, le 5 décembre 1849, le sieur Galhausen, ancien militaire, prie la chambre de lui accorder un secours. »

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.

La séance est levée à 3 heures.