Séance du 6 février 1850
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 18491850)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président)
(page 669) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à I heure et demie. La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Plusieurs bourgmestres dans la Flandre orientale prient la chambre de voter les crédits demandés par le gouvernement, afin de donner plus d'extension à la fabrication des toiles russias. »
« Même demande de quelques habitants de Langemarck. »
M. T'Kint de Naeyer. - Je demande le renvoi de ces pétitions à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de crédits supplémentaires au département de la justice.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs Van Hille et frères, distillateurs, à Eessen, présentent des observations contre la proposition tendante à réduire le chiffre de la restitution des droits accordée aux eaux-de-vie indigènes. »
M. Rodenbach. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner la proposition.
- Adopté.
« Plusieurs pharmaciens à Genappe demandent qu'il soit interdit aux médecins vétérinaires et aux empiriques de délivrer des médicaments pour des animaux ou de faire des préparations chimiques destinées à l'usage médical. »
M. Rodenbach. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur la médecine vétérinaire.
- Adopté.
M. Dumortier adresse, à M. le président, la lettre suivante :
« Bruxelles, le 6 février 1850.
« M. le président,
« Notre honorable ancien vice-président, M. F. Dubus, ayant eu la douleur de perdre sa mère, m'a prié de vouloir bien me rendre à Tournay, pour conduire le deuil. C'est un pénible service que je ne puis refuser à mon honorable ami. Je prie donc la chambre de vouloir bien m'accorder un congé.
« Veuillez agréer, M. le président, l'assurance de mes sentiments les plus distingués.
« B.-C. Dumortier. »
- Le congé est accordé.
M. Delehaye informe la chambre qu'il ne peut prendre part aux travaux de l'assemblée, à cause d'une indisposition, et demande un congé.
- Accordé.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au tarif proposé par la section centrale?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, M. le président, sauf en ce qui concerne le bétail.
M. le président. - Il s'agit de savoir s'il y aura une discussion sur l'ensemble du tarif ou sur chaque article du tarif.
M. Lebeau. - Messieurs, je n'ai rien à dire sur la proposition de la section centrale, relative au droit sur le froment étranger. Bien que j'aie voté pour le droit de 50 centimes, je reconnais qu'il y a chose jugée sur ce point. Aucune discussion, selon moi, ne peut plus s'ouvrir en ce qui concerne la taxe du froment. Mais je ne crois pas qu'il y ait chose jugée à l'égard du droit proposé sur le seigle. Je pense qu'on peut encore à cet égard présenter des amendements.
Quant à moi, je serai très disposé à en proposer un, s'il n'est répondu aux objections que je vais soumettre à mes honorables collègues et au gouvernement.
Déjà, messieurs, une première modification a été consentie par la section centrale : la section centrale a reconnu qu'il y avait justice à établir des droits différents pour le seigle et pour le froment ; elle n'avait pas tenu compte de cette différence dans son premier projet. Des réclamations se sont élevées de plusieurs bancs. D'abord, l'honorable M. Bruneau a sollicité un droit différentiel; je crois que c'est le chiffre qui a été accueilli par la section centrale...
M. le président. - Pardon, M. Lebeau, vous parler, sur le seigle ; je demandais à la chambre s'il y avait lieu d'ouvrir une discussion sur l'ensemble du tarif ou sur chaque article du tarif. Il faut d'abord décider ce point.
M. Lebeau. - Je croyais que la discussion était ouverte sur l'ensemble du tarif.
- La chambre, consultée, décide qu'il y aura une discussion sur chaque article du tarif.
Froment, épeautre, méteil, pos ; lentilles et fèves
« Froment, épeautre mondé, méteil, pois, lentilles et fèves (haricots) : 1 fr. par 100 kilog. »
- Adopté.
Seigle, maïs, sarrasin, féveroles et vesces
« Seigle, maïs, sarrasin, féveroles et vesces : 70 centimes par 100 kilog. »
M. Lebeau. - A mon avis, messieurs, le droit différentiel consenti en dernier lieu, par la section centrale, à ce qui paraît de commun accord avec le gouvernement, ne me paraît pas faire au seigle la position qu'il doit occuper dans notre loi. L'honorable M. Dedecker doit être aussi de cet avis, car il a proposé un droit inférieur à celui qui est en ce moment proposé par la section centrale. Je voudrais tout au moins que,, pour le seigle, le statu quo fût maintenu, c'est-à-dire que le droit restât à 50 centimes; et s'il ne m'est pas donné de bonnes raisons pour renoncer à cette idée, je formulerai un amendement.
Je demande donc provisoirement, et en attendant les lumières de la discussion, le maintien du statu quo sur le seigle. En réalité et en bonne justice, vous pourriez presque assimiler le seigle à la pomme de terre, car le seigle compose avec la pomme de terre la nourriture habituelle de l'ouvrier, surtout de l'ouvrier des campagnes. Je pense que sur les pommes de terre il n'y a pas de droit; qu'au moins il n'y a qu'un droit de balance.
Remarquez que, comparativement, le seigle serait plus imposé que le froment, car j'ai pris les deux moyennes des prix sur près de 20 années pour le froment et le seigle; elles font ressortir tout au plus la proportion de 1 fr. ou 100 p. c. pour le froment et 64 centimes ou 64 p. c. pour le seigle; c'est là la différence à laquelle je suis arrivé. (Interruption.)
Je n'ai pas d'idée arrêtée ; j'avoue, si l'on veut, mon peu de compétence sur cette matière, mais je demande qu'on me permette d'exposer mes doutes. D'après des moyennes prises sur une échelle qui commence avant 1834 et finit à 1848, il y aurait, je le répète, pour le prix du seigle, comparativement au froment, une différence de 38 centimes par franc. D'où la conséquence qu'il ne faudrait imposer le seigle, le mît-on sur la même ligne que le froment, qu'à 64 centimes au plus. Il y a des raisons spéciales pour maintenir une tarification très modérée quant au seigle, et peut-être pour ne pas aller au-delà du droit actuel.
Messieurs, on parle de distilleries, c'est l'objection que vient de me faire M. le ministre des finances. Mais de ce que le seigle est la matière première des distilleries, comme l'est, dans une certaine mesure, la pomme de terre, il peut en résulter, comme conséquence, qu'on doive augmenter l'impôt sur les distilleries, mais non qu'on doive augmenter le droit sur une denrée qui sert exceptionnellement de matière première aux distilleries et généralement d'alimentation à la classe ouvrière.
Selon moi, c'est la première et non la seconde conséquence qu'il faudrait tirer. Ce n'est pas dans l'intérêt des ouvriers de nos manufactures que j'insiste pour établir un droit différentiel plus marqué entre le froment et le seigle; c'est plus particulièrement dans l'intérêt des ouvriers agricoles. J'interroge les agriculteurs et les propriétaires de cette chambre; n'ont-ils pas été témoins de ce fait que l'ouvrier qui reçoit son salaire en froment, ou le petit propriétaire qui cultive cette denrée, vend le froment pour acheter du seigle?
Voici ce que je lis dans une brochure qui a été récemment publiée, et qui ne sera pas suspecte à certaine partie de cette chambre, car l'auteur demande sur le froment un droit de 4 à 5 fr. les 100 kilog. Plusieurs journaux en ont donné des extraits. Il est signé Boghe. (Je ne sais si c'est un pseudonyme.) Mais à coup sûr, il est zélé protectionniste, au moins en ce qui concerne le froment.
« Le froment est la première ressource pécuniaire des campagnes ; le froment est le pain du riche : qu'on l'impose fortement : 3 ou 4 fr. l'hectolitre.
« Le seigle sert de nourriture aux travailleurs agricoles; il sert également de nourriture à un grand nombre de citadins des classes peu aisées.... il devrait former le pain des pauvres et de tous les ouvriers des villes, car ce pain serait bien meilleur pour eux que celui qu'ils se procurent à présent et qui est en grande partie composé de son de froment… Qu'on n'impose donc pas le seigle, etc. »
Voilà les conclusions d'un écrivain, qui ne sera pas suspect aux protectionnistes de cette chambre, car , je le répète, il recommande un droit de 4 à 5 francs les 100 kilog. de froment étranger.
Selon moi, et à moins qu'on ne me donne des raisons pour renoncer à mon opinion, il y a lieu de maintenir le statu quo quant au seigle. J'en fais quant à présent la proposition. Tout au plus, pourrais-je, pour avoir plus de chance de succès, me rallier à l'amendement de l'honorable-M. Dedecker, qui propose un droit de 60 centimes.
M. Christiaens. - Non seulement, je viens combattre la proposition de l'honorable M. Lebeau, mais je suis forcé du combattre les conclusions de la section centrale relativement au seigle.
Pour les membres de cette chambre qui n'envisagent le droit qu’on appelle un droit-type sur le froment que sous un point de vue purement (page 670) fiscal, assurément, le seigle doit subir un droit différentiel. Mais pour les membres de cette chambre qui attachent une idée de protection à l’agriculture, je pense qu'il doit en être tout autrement.
Je suis étonné que la section centrale qui dans son rapport primitif avait proposé un droit égal sur le froment et le seigle, ait dévié de cette règle dans le rapport qu'elle a présenté hier.
M. Mercier. - C'est la conséquence du vote de la chambre.
M. Christiaens. - Pardon! La chambre n'a pas préjugé le droit .différentiel.
Quant à cette accusation banale qu'on pourrait adresser aux protectionnistes, que le seigle est la nourriture du pauvre, que par conséquent il ne doit pas être imposé comme le froment qui n'est pas la nourriture du peuple, nous savons ce qu'en vaut l'aune ; nous tiendrons donc cela à l'écart.
Mais il y a diverses considérations pour ne pas réduire le droit sur le seigle au-dessous du droit sur le froment. D'abord, il est certain que le seigle exige autant de soins, de frais et d'avances (quelquefois même plus, me disent d'honorables membres) que le froment. Si c'est au point de vue d'une protection quelconque, je crois qu'il est de toute justice d'établir sur le seigle le même droit que sur le froment.
Il y a plus, messieurs, les pays producteurs de seigle ne peuvent pas produire de froment, tandis que les pays producteurs de froment ont le choix entre le seigle et le froment.
Il y a plus encore : il est évident que les défrichements, auxquels le gouvernement pousse et pousse à grands frais, ne peuvent s'opérer qu'en commençant par cultiver le seigle. Car il est impossible que dans une terre nouvellement défrichée on commence par la culture d'une autre céréale que le seigle ou le sarrasin.
Je le répète donc, si c'est au point de vue d'une certaine protection qu'on impose les céréales à l'entrée, il faut mettre le même droit sur le seigle que sur le froment.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la chambre a rejeté tout droit élevé sur les denrées alimentaires. L'honorable Coomans a lui-même retiré l'amendement qui proposait de fixer le droit sur le froment à 2 fr.
La chambre n'a pas voulu d'un droit de 1 fr. 50 ; c'est au droit d'un franc sur le froment qu'elle s'est arrêtée.
La chambre, par son vote, a donc écarté toute espèce d'idée de protection quant à ce droit. Elle ne s'est préoccupée, elle n'a pu se préoccuper que d'un droit purement fiscal. Je pense que personne ne viendra soutenir aujourd'hui que c'est un droit protecteur que la chambre, par sa résolution, a entendu voter, puisqu'on a soutenu que le droit de deux francs ne serait pas lui-même un droit protecteur.
C'est donc un droit fiscal que la chambre a voulu voter, et elle a voulu que ce droit fiscal fût gradué à raison de la valeur des denrées soumises au droit.
C'est ainsi que nous avons tous compris le vote de la chambre. En conséquence la section centrale et le gouvernement ont exécuté cette résolution de la chambre, résolution résultant non d'un vote formel, mais de l'esprit de la décision qui avait été prise.
Voilà, ce me semble, ce qui répond aux observations qui ont été présentées par l'honorable M. Christiaens.
Viennent les objections de l'honorable M. Lebeau.
L'honorable M. Lebeau soutient que le droit de 70 centimes est trop élevé.
Messieurs, le droit a été fixé à raison de la valeur relative. D'après des renseignements qui nous ont été communiqués, lorsque le prix du froment vaut 1, le prix des lentilles est de 95 c., celui du méteil de 80 c, des fèves de 70 c.
C'est à la vue de ces renseignements que le tarif a été établi. Si l'on croit qu'il est trop élevé, si l'on croit que le droit de 70 centimes est hors de proportion avec la valeur, c'est un renseignement de fait que l'on peut produire, et alors je ne verrai pas d'inconvénients à établir ce rapport. Car la pensée du gouvernement comme celle de la section centrale a été d'établir un rapport entre le droit dont est frappé le froment et le droit dont doit être frappé le seigle à raison de la valeur respective de ces denrées.
M. de Theux. - Messieurs, la section centrale est parfaitement dans son droit de modifier les conclusions de son rapport, attendu que la chambre n'avait rien décidé. Mais aussi la chambre peut, sans être en contradiction avec aucun de ses votes, adopter la première proposition de la section centrale. La chose est d'autant plus évidente que l'honorable M. Jullien avait proposé de décider d'abord cette question de principe : si le droit serait uniforme ou différentiel, suivant la valeur des denrées, et sur l'observation que j'ai faite, et qui a été approuvée par M. le ministre de l'intérieur, il a été décidé que cette question ne serait pas posée.
Ainsi donc la question est parfaitement entière.
L'honorable M. Christiaens me paraît avoir présenté, messieurs, la question sous son véritable point de vue. Vous me permettrez seulement d'ajouter quelques réflexions aux réflexions très judicieuses qu'il a présentées. Répondons d'abord à l'autorité invoquée par l'honorable M. Lebeau. Il s'agit d'une brochure rédigée à Louvain, mais évidemment par quelqu'un qui a la pratique des pays, soit exclusivement à froment, soit au moins mixtes (froment et seigle) : mais l'honorable auteur a complétement perdu de vue une très grande partie du pays, où l'on ne produit d'autres céréales que du seigle. En effet, messieurs, il y a une très grande partie du pays où la culture du froment est complètement impossible, et là il est impossible que le cultivateur ou l'ouvrier trouve un dédommagement dans la vente du froment; il ne peut trouver d'avantage que dans la vente du seigle. D’autre part dans toutes ces localités le fumier doit être abondant et doit être exclusivement réservé à la production des denrées ordinaires, seigle, fourrages, pommes de terre, etc., mais il est impossible de s'y livrer à ce que j'appellerai les cultures de luxe, telles que le houblon, le tabac, le lin, le colza.
Ces cultures sont complètement impossibles dans ces contrées par le manque d'engrais. Je dirai même que, indépendamment de ce que la paille de seigle est d'une nécessité indispensable dans ces localités, il est encore bon, au point de vue de la culture, de l'amélioration des terres, d'encourager la culture du seigle dans les pays à froment, parce que la paille de seigle est aussi extrêmement utile.
Il vaut mieux que le cultivateur ne cultive pas exclusivement le froment, mais qu'il cultive toujours une certaine quantité de seigle pour avoir la paille nécessaire aux engrais.
Maintenant, messieurs, veuillez-vous rappeler les documents statistiques que le gouvernement vous a fournis; vous y verrez que le manquant en froment est, en moyenne, de 233,000 hectolitres et que le manquant en seigle n'est que de 45,000 hectolitres, Dès lors, messieurs, l'introduction du seigle étranger est beaucoup moins nécessaire que l'introduction du froment.
D'autre part, messieurs, la culture du froment n'est guère susceptible de s'étendre, mais la culture du seigle est susceptible d'une grande extension dans nos landes, et quiconque a la moindre connaissance de la Campine dira que le manquant de 45,000 hectolitres peut être comblé en très peu de temps.
Aujourd'hui qu'on a construit des canaux dans la Campine, on peut y créer de grandes quantités de prairies qui procurent des fourrages pour le bétail, et le bétail fournira des engrais qui permettront de cultiver une certaine quantité de seigle.
Si le gouvernement décourage la culture du seigle et l'élève du bétail, ce qu'il a fait dans la Campine est complètement inutile.
Pour obtenir les 45,000 hectolitres de seigle qui manquent, en supposant que l'hectare ne donne que 10 hectolitres, tandis que la moyenne pour tout le pays est de 18 hectolitres (vous voyez que je fais la part de la Campine bien restreinte), il ne faudrait que 4,000 hectares cultivés en plus en seigle pour suffire à tout le manquant de la Belgique. Or, ces 4,000 hectares à cultiver en plus dans la Campine sont une véritable bagatelle, eu égard aux moyens d'encouragements que la législature a déjà votés et qu'elle continuera bien certainement.
Il est reconnu que la moitié des terres labourables de la Campine sont cultivées en seigle; ainsi, en supposant qu'on augmentât la culture de 8,000 hectares par an, cela suffira largement pour combler le déficit. .
En ce qui concerne la proportion de valeur entre le seigle et le froment, l'honorable M. Lebeau s'est d'abord trompé dans ses calculs, ,car j'ai fait aussi le calcul des mercuriales, et je ne trouve qu'une différence d'un tiers tout au plus entre le seigle et le froment.
Mais il est à remarquer que le droit n'est pas frappé à l'hectolitre, mais qu'il est frappé au poids. Or, de ce que le seigle est moins pesant que le froment, il en résulte une seconde différence en moins dans la protection accordée par le tarif, quant au seigle. Donc, il est vrai de dire que non seulement la proportion a été observée et que, s'il y avait inégalité, elle serait au détriment du seigle.
Comme d'ailleurs le droit qu'on a voté est fort minime, je n'hésiterais pas, si la proposition en était faite par l'honorable M. Christiaens, à adopter son amendement qui consacrerait un droit légal.
Une observation encore quant à la classe ouvrière.
L'honorable M. Lebeau a fait remarquer que la classe industrielle des villes est hors de cause et qu'il s'agit bien plus de la classe industrielle des campagnes. Mais, messieurs, cette dernière classe a le plus grand intérêt à ce que les défrichements et l'amélioration des mauvais terrains soient encouragés : cela donne lieu à une plus grande quantité de main-d'œuvre. Ainsi tous les motifs se réunissent, non pour affaiblir le droit proposé par la section centrale, mais pour établir un droit uniforme.
M. Peers. - Si, dans la séance de samedi dernier, j'ai entendu donner à la loi qui nous est soumise un caractère provisoire, en accordant mon adhésion au droit d'un franc sur l'importation des froments, je dois à plus forte raison venir vous déclarer aujourd'hui, que je ne puis donner mon assentiment au projet de loi que la section centrale vient vous proposer d'admettre. Comment! messieurs, alors que le seigle est l'assolement obligé, indispensable même des terres légères et peu fertiles, alors que cette denrée ne s'acquiert qu'à l'aide des plus lourds sacrifices, on vient nous proposer, quoi? 20 centimes d'augmentation par 100 kilog. sur les droits perçus en vertu de la loi du 31 décembre 1848. 70 cent, de droit d'importation par 100 kilog.
Mais, messieurs, autant vaudrait abandonner les contrées à culture de seigle à leur malheureux sort. Les mercuriales ne viennent-elles pas tous les jours vous démontrer jusqu'à l'évidence que le seigle est la céréale la plus dépréciée de toutes les denrées alimentaires?
Loin de pouvoir atteindre à ce prix rémunérateur, si souvent contesté dans cette enceinte, et qu'il est cependant aisé d'établir pour les terres à seigle, l'ouvrier agricole se constitue en perte de 30 à 35 fr. par hectare en cultivant cette céréale.
(page 671) Ici, certes, messieurs, c'est le cas moins que partout ailleurs, d'avoir recours aux préceptes qu'un de nos honorables collègues a bien voulu nous donner, pendant le cours de la discussion qui nous a pris dix séances entières. Enlevez à ces terres qui comportent à peine le seigle la possibilité de le produire, et vous plongerez le quart de la population agricole dans la plus profonde misère, en le condamnant à vivre comme le paysan breton, pendant neuf mois de l'année, de sarrasin ou blé noir.
Il ne me sera pas plus possible de donner mon vote approbatif au droit de 60 centimes que vous propose la section centrale sur les orges, base de la richesse de l'une des contrées les plus fertiles de l'Europe. Le littoral de la mer depuis Dunkerque jusqu'à l'Ecluse est incontestablement la partie du pays qui cultive les orges avec le plus de succès; aussi je ne puis me faire à l'idée que vous vouliez supprimer une culture essentiellement propre aux terres fortes, et cela dans quel but? Dans celui de favoriser une industrie pour laquelle la concurrence étrangère ne sera jamais à craindre.
Je me permettrai de faire la même remarque quant à l'avoine, en ce qui concerne le droit beaucoup trop bas auquel elle serait soumise d'après la proposition de la section centrale. L'avoine étant le produit qui se cultive et se récolte avec quelque avantage dans toutes les terres indistinctement, vous iriez donner une prime d'importation, en quelque sorte, à une plante, je pourrais dire industrielle.
Je propose donc que le seigle, l'orge et l'avoine soient assujettis aux mêmes droits que le froment.
M. Lebeau. - Je désirerais savoir si les honorables membres qui ont proposé un droit de 60 c. sur le seigle ne prendront pas la parole pour défendre leur proposition. Je serais bien aise d'avoir de tels auxiliaires.
M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, mon intention n'est pas de suivre les honorables orateurs sur le terrain qu'ils ont choisi. Je dois simplement expliquer le motif qui a déterminé la section centrale à présenter à la chambre la proposition qui lui est soumise.
Dans la discussion où la chambre a décidé que la loi serait définitive, et que le droit sur le froment serait d'un franc par 100 kilog., nous avons compris que la loi, en fixant ce droit, avait arrêté un chiffre-type, c'est au moins comme cela que la section centrale a compris sa mission ; dès lors elle a dû graduer sur le chiffre-type le droit sur les autres céréales.
L'honorable ministre des finances, qui a bien voulu se rendre dans le sein de la section centrale, avait déposé sur le bureau un tarif où il proposait 70 centimes pour le seigle. La section centrale a considéré, d'une part, que la proportion du droit sur le seigle était, d'après le tarif hollandais, relativement au froment, de 82 1/2 p. c, et d'autre part, que la proportion du prix du seigle, rapporté au froment, dans le tableau général du commerce qui vient d'être distribué à la chambre, était de 68 p. c. Nous avons alors considéré que la proposition ministérielle, étant une moyenne entre ces deux types, était très acceptable. Tel est le motif qui a décidé la section centrale a proposé à la chambre d'adopter le chiffre du gouvernement.
M. Dedecker. - Messieurs, lorsque mon honorable ami M. Vermeire et moi, nous avons proposé un droit de 60 centimes pour le seigle, nous partions de l'idée que la législation qu'on allait faire, ne constituerait pas une protection dans le sens qu'y attachaient certains membres de la chambre. C'est pour être conséquents avec un premier vote, émis dans une séance précédente, relativement au froment, que nous serions dès lors disposés à maintenir le chiffre de 60 centimes. En effet, nous considérions le seigle comme constituant particulièrement la nourriture du peuple et surtout des populations agricoles, et ensuite comme formant une matière première indispensable à des industries qui ne sont pas dans importance, même au point de vue de l'agriculture, telles que les distilleries et les amidonneries:
Nous avions fixé notre chiffre à 60 centimes, parce que d'après les calculs que nous avions faits, nous croyions que, comparé au droit d'un franc pour le froment, il reproduirait exactement la proportion du prix du froment à celui du seigle. Mais je dois dire que les observations qui viennent d'être présentées par les honorables MM. de Theux, Christiaens et Peers nous ont ébranlés. Il y a surtout une observation de l'honorable M. de Theux, qui est très fondée et que nous avions perdue de vue, c'est que le droit n'est pas imposé à l'hectolitre, mais au poids. Or, comme il y a une différence d'environ 10 kil. entre l'hectolitre de froment et celui de seigle, mon honorable collègue et moi, nous sommes d'avis de nous rallier au chiffre de 70 c, tel qu'il a été proposé primitivement par l'honorable M. Bruneau et auquel se rallient le gouvernement et la section centrale.
M. Lebeau. - Malgré les raisons présentées par M. le ministre des finances, par d'autres orateurs, et par l'honorable M. Dedecker, qui avaient d'abord paru partager nos idées sur la nécessité d'établir une différence entre le tarif du froment et celui du seigle, je persiste dans mon opinion, et je reprends l'amendement de l'honorable membre.
D'abord je dirai un mot de la définition que M. le ministre des finances a donnée de la loi. Il l'a appelée une loi purement fiscale. Eh bien, je crois qu'il y a des opinions très diverses dans cette chambre sur le caractère de la loi; je crois même que ces opinions changent un peu chez les mêmes orateurs, selon les besoins de la cause, comme on dit en style de palais. Ainsi du côté ou j'ai l'honneur de siéger, beaucoup de membres ont prétendu que le droit de 1 fr., inopérant dans les circonstances ordinaires, viendrait, dans certains cas, exercer une influence notable sur le prix des produits indigènes.
Cela, a-t-on dit, peu aller au point de frapper le consommateur d'un impôt de 8 à 9 millions de francs. Je ne dis pas cela pour affirmer la thèse de ces honorables membres, mais je rappelle ceci comme une preuve de l'opinion que beaucoup de ces membres attachent à la loi en discussion.
Ainsi il n'est pas exact de dire que la loi est purement fiscale; il y a à cet égard une grande dissidence d'opinions; cette dissidence, je ne la trouve pas seulement sur les bancs qui m'avoisinent, mais encore sur les bancs de nos honorables adversaires.
L'honorable M. Dedecker, et avant lui l'honorable M. de Theux reconnaissent si peu que la loi a un caractère exclusivement fiscal, qu'elle n'est pas en même temps une loi de protection, qu'ils se sont émus, au point de vue de la protection, de la légère différence qui existe entre le droit proposé aujourd'hui par le gouvernement à la section centrale et celui que propose cette même section dans son premier rapport. C'est aussi par un motif de protection et non par une considération fiscale qu'ils combattent mon amendement.
Si la tarification est tout à fait fiscale, elle ne doit donc avoir aucune influence sur l'industrie agricole; elle ne doit pas faire enchérir le prix du pain. Pourquoi dès lors la différence de 10 centimes vient-elle vous alarmer? Vous voyez que, dans le camp de nos adversaires, on soutient les thèses les plus diverses, les plus opposées, selon les circonstances. On soutient tantôt que la loi est purement fiscale, quand il s'agit de démontrer qu'elle est inoffensive pour les consommateurs ; tantôt qu'elle est très protectrice, quand il s'agit de maintenir le droit d'un franc primitivement proposé pour le seigle.
Je dis que le caractère de la loi a, pour presque tout le monde, un caractère mixte.
Pour établir la différence de 36 p. c. entre le prix du froment et le prix du seigle, je me suis basé sur les calculs mêmes du gouvernement, sur des documents officiels.
J'ai pris la moyenne des prix sur une période de près de 20 ans. L'honorable M. de Theux dit qu'il faut encourager d'autant plus la culture du seigle qu'il y a notablement de terres arables en Belgique qui ne sont propres qu'à la culture du seigle. La conséquence de ce fait, c'est évidemment l'abaissement de valeur et du fermage pour de telles terres. Voilà tout ce qui en résulte d'ordinaire.
Ce qu'on dit pour le seigle, on pourrait le dire à plus juste titre de la pomme de terre; elle vient aussi dans de mauvais terrains, dans des terrains peu propres à la culture du seigle ; ceux qui ont quelques notions de ce qui se passe dans les campagnes savent que la pomme de terre est même plantée pour préparer le terrain à la culture de toute espèce de céréales.
Cependant vous ne proposez pas d'encourager la culture de la pomme de terre par la protection douanière. Pourquoi agir différemment pour le seigle? Pourquoi ne pas dire de la pomme de terre tout ce qu'on dit pour le seigle ? Si on ne peut sans humanité demander une protection douanière pour la pomme de terre, si on reconnaît cela, pourquoi cette protection la solliciter en faveur du seigle?
La différence de volume et de poids entre le seigle et le froment n'a pas de portée. Ce qui importe, c'est le rendement en farine. Il est, je crois, en faveur du froment.
J'ai été très frappé de ce fait dont je vous ai déjà entretenus et qui m'a été confirmé tout à l'heure encore par plusieurs honorables membres de cette chambre, qui ne votent pas toujours avec nous dans cette discussion. Oui, les ouvriers agricoles, même les ouvriers tisserands qui habitent les campagnes, les ouvriers des fermes ne mangent guère de froment; quand on leur paye leur journée en froment ou quand ils parviennent à en cultiver sur un coin de terrain, ils s'empressent de le vendre pour acheter du seigle. Ce fait, vous l'avez vu, est attesté par un homme qui regrette qu'on ne frappe pas le froment étranger d'un droit de 4 à 5 fr. par 100 kil. D'après ces considérations, je reprends l'amendement de M. Dedecker.
- Plusieurs voix. - La clôture !
M. de Mérode. - Si l'on demande la clôture, je n'insisterai pas pour avoir la parole, mais j'aurais un mot à dire en réponse à une observation faite par l'honorable membre qui vient de s'asseoir, relativement à l'intérêt qu'auraient les ouvriers agricoles et les tisserands à ce que le droit sur le seigle fût très bas.
- La discussion est close.
Le droit de 1 fr. par 100 kilog. sur le seigle, proposé par MM. Sinave. Peers et autres, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
Le droit de 75 centimes, proposé par M. Toussaint, est ensuite mis aux voix; il n'est pas adopté.
Le droit de 70 centimes, proposé par la section centrale, auquel le gouvernement s'est rallié, est mis aux voix et adopté.
Orge, drèche, avoine et épeautre
« Orge, drèche (orge germée), avoine et épeautre non inondée : fr. 60 c.»
M. Dumortier a proposé sur l'orge un droit double de celui sur le froment et le seigle. L'auteur de l'amendement supposait que le froment et le seigle seraient frappés du même droit,
La chambre ayant adopté un droit différent sur le froment et le seigle, la proposition serait de fixer le droit sur l'orge à 2 fr. ou à 1 fr. 40.
M. Dumortier n'est pas là pour faire connaître son intention.
M. Rousselle, rapporteur. - La section centrale n'a pas cru devoir consigner dans son rapport la proposition de M. Dumortier.
(page 672) Elle a considéré que la proposition tombait vis-à-vis du vote de la chambre qui n'a taxé le froment qu'à un franc.
Comme il fallait, dans la pensée de la section centrale, graduer le tarif pour les autres céréales, évidemment la proposition de l'honorable M. Dumortier s'élevait toujours au-delà du chiffre maximum d'un franc voté précédemment.
Tels sont les motifs pour lesquels la section centrale a jugé ne devoir pas mentionner cet amendement dans son rapport.
M. de Luesemans. - La proposition de la section centrale est, si je ne me trompe, de frapper l'orge d'un droit de 60 c. Je crois que la chambre n'est guère disposée à se montrer plus protectionniste, en matière d'agriculture, que ne l’ont été jusqu'à présent les législatures qui nous ont précédés. Jusqu'à présent, l'orge n'a été frappée que d'un droit inférieur au droit de 60 c. qu'on veut établir aujourd'hui.
Ainsi, d'après le tarif annexé à la loi du 31 janvier 1844, il est vrai que le droit sur l'orge a été fixé à 44 fr. par 1,000 kilog. Mais on ne tarda pas à reconnaître que ce droit était exorbitant, et les importations annuelles et nécessaires étant de 15 à 20 millions de kilog., on reconnut qu'il fallait nécessairement en réduire le taux. Je suis enchanté d'avoir l'occasion de faire l'application des principes que j'ai exposés dans le dernier discours que j'ai eu l'honneur de prononcer, et dans lequel j'ai déclaré que je tenais grand compte des besoins industriels et des avantages du commerce.
Quant à moi donc, je ne vois aucun motif pour être plus protectionniste que nos devanciers.
Or, tous les ans, ceux-là que le gouvernement accuse d'être des protectionnistes exagérés ont réduit le droit prélevé sur l'orge; c'est ainsi qu'en 1843 le gouvernement proposa de le fixer à 4 fr. par 1,000 kilog. Cette proposition n'eut pas de suite. Mais, en décembre 1844, la chambre vota pour deux années la réduction à 40 centimes par 100 kil.
Depuis la loi de 1848, l'orge a été frappée d'un droit de 50 c. par 100 kil. Je ne comprends pas pourquoi la section centrale a cru devoir élever ce chiffre: ici, je le reconnais, il s'agit d'une véritable matière première pour certaines industries. Je crois que c'est ici le cas d'appliquer les principes qui ont été professés tant par moi que par un grand nombre de membres de la chambre, de ne pas être plus protectionniste que ne le réclament les intérêts agricoles ; or, les intérêts agricoles ne sont pas en cause, le droit prélevé ne sera, à proprement parler, qu'un droit fiscal, prélevé sur le consommateur, sans grand profit pour l'agriculture belge qui produit peu d'orge.
Je me rallie donc à la proposition qu'a faite l'honorable M. Dedecker de fixer le droit à 50 c.
M. Rodenbach. - J'ai voté dans le sens d'une protection modérée, parce que, aussi bien que ceux qui ne voulaient qu'un droit de 50 c, je veux le pain à bon marché pour les classes ouvrière et bourgeoise. Mais, ici il ne s'agit pas de la panification. C’est ici un produit dont nous manquons en Belgique; car, même cette année, qui est très abondante, la récolte en avoine et en orge a été insuffisante pour les besoins de la consommation.
Nous avons des fabriques considérables : l'industrie des bières est une des premières du pays ; c'est une industrie de 80 millions. Nous avons besoin d'orge et d'avoine.
Je ne m'explique donc pas pourquoi on voudrait augmenter considérablement le droit. Je me rallie au droit de 00 c. proposé par la section centrale.
M. de Man d'Attenrode. - Aux époques où le gouvernement, d'accord avec la majorité de cette chambre, accordait une protection au travail agricole par les lois sur les céréales, il a été reconnu que l'on ne devait pas imposer un droit sur l'orge, qu'on devait se contenter d'un droit de balance sur cette denrée. On s'était donc borné porter le droit à 50 c, et pourquoi cela? C'est qu'il avait été reconnu qu'un droit supérieur sur l'orge n'était pas nécessaire à l'agriculture; c'est qu'il avait été reconnu que nos cultures ne produisaient pas assez d'orge pour la consommation du pays; c'est qu'il paraissait constant, qu'il n'était pas de l'intérêt de nos cultivateurs de multiplier la culture de l'orge.
Maintenant que vous avez décidé que le tarif des céréales ne serait plus protecteur, je me demande pourquoi l'on veut élever le droit sur l'orge? Mais, messieurs, ce serait une véritable anomalie, ce serait en réalité frapper l'industrie si nationale des bières d'une surtaxe. Or il ne s'agit pas ici d'élever les droits sur les brasseries. Je demande donc que le droit établi depuis plusieurs années soit maintenu ; il n'y a aucun motif de le modifier. J'appuie donc, comme l'honorable M. de Luesemans, la proposition faite par l'honorable M. Dedecker de fixer le droit à 50 c.
M. Rousselle, rapporteur. - Les motifs particuliers qui ont déterminé la section centrale à adopter le chiffre de 60 c. sont ceux-ci. D'abord la taxe sur l'orge, en Hollande, correspond à 72 40/100 p. c. de la taxe du froment.
Dans le tableau général du commerce, que j'ai déjà eu l'honneur de citer, et qui a été distribué récemment à la chambre, le rapport de l'orge au froment est de 68 p. c. Le gouvernement ne demande que 60 c.
Je crois que la proposition du gouvernement est extrêmement modérée; et il faut prendre en considération que le droit doit rapporter d'autant plus qu'on cultive moins d'orge dans le pays, et que généralement c'est de l'orge étrangère qui se consomme en Belgique.
Voilà les considérations qui portent la section centrale à maintenir le droit de 60 centimes
- Les chiffres proposes comme droit sur l'orge sont successivement mis aux voix.
Les chiffres de 2 fr. et de fr. 1-40, résultant de la proposition de M. Dumortier, sont rejetés.
Le chiffre de 70 c. proposé par M. Bruneau est également rejeté.
Le chiffre de 60 centimes, proposé par la section centrale, est adopté.
Gruau et orge perlé
« Gruau et orge perlé, par 100 kilog., 3 fr. »
- Adopté.
Farines
« Farines et moutures de toute espèce, son, fécule et autres substances amylacées, pain, biscuit, par 100 kil., 3 fr. 50 c. »
M. le président. - MM. de Liedekerke et de Haerne ont déposé l'amendement suivant :
« Substituer au chiffre de 3 fr. 50 c, proposé par la section centrale, celui de 4 fr. 50 pour les farines de froment et d'épeautre par 100 kil. Maintenir le chiffre de la section centrale pour les autres farines. »
Nous avons, en outre, l'amendement déposé dans une séance précédente par M. Boulez, et fixant sur les farines et gruaux de froment un droit de 5 fr. par 100 kilog. ; et celui de M. Sinave fixant à 4 fr. 50 c. le droit sur les farines.
M. Boulez. - Je me rallie à l'amendement de M. de Liedekerke.
M. de Liedekerke. - Messieurs, s'il s'agissait de la moindre protection, de la moindre faveur, même indirecte, à donner à l'agriculture, après les longs et laborieux débats que nous avons eus dans cette chambre, je resterais silencieux sur mon banc. S'il s'agissait encore de nous exposer d'une manière quelconque au reproche aussi injuste que mal justifié, de vouloir prélever quoi que ce soit sur la subsistance du peuple, je n'eusse pas proposé et n'appuierais pas l'amendement dont M. le président vient de donner lecture.
Mais je vous demande de donner une protection suffisante à une industrie nationale. Je viens vous engager à protéger la meunerie indigène contre la meunerie étrangère. Voilà quel est le but de l'amendement, et, sous ce rapport, je crois qu'il peut être accepté par les différentes opinions et par les divers principes qui divisent les membres de cette chambre.
La protection en faveur de la meunerie indigène avait été admise dans l'ancienne loi, puisque le droit était de 2 fr. 50. Mais cette protection était alors insuffisante, et si la meunerie n'a pas réclamé à cette époque, c'est qu'elle a fait la part des circonstances dans lesquelles on se trouvait, c'est qu'elle a compris qu'elle devait ce sacrifice à la consommation nationale, aux besoins de moments aussi calamiteux.
Maintenant, que dit la section centrale? Elle fait le raisonnement suivant : Si 2 fr. 50 c. étaient une protection suffisante pour la meunerie, en ajoutant 1 fr. la protection doit encore être suffisante et s'équilibrer avec le droit qui pèse sur les céréales.
Sans doute, si le point de départ est juste, si 2 fr. 50 c. constituaient une protection satisfaisante, la section centrale a parfaitement , raison ; les 3 fr. 50, en admettant ce calcul qu'il faut 100 kilog. de blé pour faire 50 kil. de farine, seraient une protection suffisante. Mais il n'en est pas ainsi.
On dira : Si le meunier français peut, par exemple, introduire dans le pays des farines à un bas prix, évidemment le meunier belge doit pouvoir, protégé par un droit de 2 fr. 50 ou de 3 fr. 50, livrer sur le marché indigène la farine à un prix de revient inférieur à celui du meunier français. La concurrence n'est donc pas possible.
Mais, messieurs, il faut tenir compte des avantages particuliers qu'a le meunier français, avantages tels qu'il est impossible, même avec le droit que propose la section centrale, que le meunier indigène rivalise avec avantage avec le meunier français.
Ainsi le meunier français achète le blé français inférieur de valeur au nôtre de première main aux fermiers français, tandis que le meunier belge est obligé d'acheter à des marchands le même blé étranger dont il a besoin. (Interruption.) On paraît protester contre cette assertion. Qu'est-ce qui fait l'avantage du meunier français, qu'est-ce qui lui permet d'introduire chez nous des farines à meilleur compte que ne peut le livrer le meunier belge? C'est évidemment la différence entre le prix du blé en France et le prix du blé dans notre pays. Si le meunier français a, outre cela, d'autres avantages dérivant de sa position et que ne possède pas le meunier belge, il est évident que la meunerie belge ne peut soutenir d'une manière avantageuse la concurrence avec la meunerie française.
Je dis donc que le meunier français achète directement, au fermier, le blé, qui passe ainsi dans moins de mains qu'il ne doit traverser lorsque le meunier belge va acheter au marchand; de ce chef (je parle ici d'après des renseignements très précis) on calcule sur un bénéfice d'un franc en faveur du premier.
Les déchets sont en tous temps en France, à 40 et 50 centimes plus cher qu'en Belgique. Pourquoi? Parce que dans les départements des Ardennes, de la Champagne, de la Picardie, qui sont les contrées qui fournissent le plus de farines, les pâturages sont moins fertiles et les déchets sont surtout employés pour l'élève et la nourriture du bétail; et ne sera pas trop de porter le bénéfice de ce chef à 75 centimes.
Pour produire 100 kilog. de farine, il faut 140 kilog. de blé. Ainsi pour produire cette quantité de farine, le meunier belge doit payer le transport pour 140 kilog. tandis que le meunier français n'a qu'à le payer pour 100 kilog. de farine.
(page 673) Il y a donc une différence de 40 p. c. sur les frais de transport; cette différence paraît équivaloir à 1 franc.
L'entrée du froment étranger est soumise en Belgique à un droit de 50 centimes et de 58 centimes avec les additionnels. Le meunier belge a à payer ce droit sur 140 kilog. de blé pour produire 100 kil de farine. Ainsi il paye de ce chef 81 centimes. Je parle du tarif qui nous régit aujourd'hui ; avec le tarif nouveau il faudra porter ce droit au double. Ici encore, il y a un nouvel avantage de 81 centimes pour le meunier français.
Enfin, messieurs, dans les départements qui sont limitrophes de nos provinces, tels que les Ardennes la Marne , l'Aisne, les cours d'eau sont abondants et continus ; l'emploi du combustible n'y est pas nécessaire, et ici je fais allusion à nos usines à vapeur de meunerie ; ce bénéfice pour l'industriel étranger peut être évalué à 50 centimes.
Les avantages dont jouit le meunier français peuvent donc monter en total à 4 fr. 6 c. Ainsi quand nous demandons un droit de 4 fr. 50 c. sur les farines de froment, nous ne donnons pas au meunier indigène un avantage bien considérable. Messieurs, je vous supplie de remarquer qu'il s'agit ici d'une industrie nationale, et non des consommateurs.
Je le répète, je crois qu'il faudrait admettre la proposition de la section centrale, si son point de départ était juste ; mais je viens de vous démontrer qu'il n'en est pas ainsi. Vous pouvez donc, sans gêner la consommation, admettre le droit de 4 fr. 50 c. pour les farines de froment et d'épeautre.
Quant aux farines de seigle, nous avons laissé subsister le chiffre de la section centrale; nous ne le contestons pas.
M. de Haerne. - Messieurs, j'ai besoin de donner quelques explications à la chambre, sur les motifs pour lesquels j'ai retiré l'amendement que j'avais présenté dans la séance de samedi sur l'article Farine, et j'ai signé conjointement avec l'honorable M. de Liedekerke un nouvel amendement.
Messieurs, dans la séance de samedi, j'avais eu l'honneur de vous faire une proposition tendante à établir un droit un peu plus élevé, parce qu'alors il n'y avait pas de décision prise relativement à l'article qui constitue la base des questions dont nous nous occupons, c'est-à-dire à l’article Froment.
Mon amendement était calculé en vue d'une protection plus forte que celle qu'on a accordée à l'agriculture, protection qui paraissait pouvoir s'élever au chiffre de 1 fr. 50 sur le froment. D'après cela, il va sans dire que le chiffre sur les farines devait être plus élevé aussi.
Maintenant que la chambre a décidé que le droit sur le froment sera d'un franc, pour être conséquent avec moi-même et pour ne nuire d'une manière quelconque à aucun intérêt, je dois abaisser aussi nécessairement le chiffre relatif aux farines. C'est pourquoi j'ai cru devoir le fixer avec mon honorable collègue M. de Liedekerke, à 4 fr. 50.
Cet honorable membre vous a fait comprendre toute l'importance de la protection que nous demandons en faveur d'une industrie réellement intéressante, et il a combattu à cet égard les chiffres et les raisonnements de la section centrale. Permettez-moi, messieurs, d'ajouter une seule observation à celle que l'honorable comte de Liedekerke a fait valoir avec tant de raison.
Il y a, selon moi, un autre motif pour admettre un chiffre un peu plus élevé que celui de la section centrale, c'est qu'en admettant le chiffre d'un franc, au lieu de celui de 50 centimes qui existait auparavant, on a placé les grands établissements de meunerie dans des conditions moins favorables que celles où ils se trouvaient précédemment quant à l'achat de la matière première.
Remarquez bien que ces grands établissements se pourvoient très souvent à l'étranger ; les usines qui marchent à la vapeur et celles qui marchent à l'eau font très souvent leurs approvisionnements dans les pays étrangers. Or, en élevant la protection pour le froment de 50 centimes à 1 fr., vous avez, je le répète, placé ces établissements dans une position inférieure à celle où ils se trouvaient précédemment. C'est pourquoi je ne puis pas admettre dans toute sa rigueur le raisonnement de la section centrale. Ce raisonnement serait concluant si, par suite du vote de samedi, les établissements dont il s'agit n'avaient pas été un peu préjudiciés sous ce rapport.
Voilà, messieurs, le motif pour lequel j'ai cru devoir appuyer un chiffre supérieur à celui qui est proposé par la section centrale.
Je ne dirai plus rien sur l'importance de la main-d'œuvre à laquelle donne lieu l'industrie que je viens défendre devant vous; mais je crois devoir insister sur ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous exposer samedi dernier, à savoir qu'il y a ici en jeu un intérêt des plus graves, l'intérêt de la santé publique. J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion d'appeler l'attention de la chambre sur ce point : l'étranger a la coupable habitude de mêler des matières malsaines aux farines qu'il importe dans le pays. Il se pratique en cette matière une sophistication considérable. (Interruption.) Je sais, comme on me le fait entendre, que cela se fait aussi dans le pays; mais si le mal se commet en Belgique, ce n'est pas une raison pour ouvrir la porte à l'invasion du même mal venant de l'étranger.
Ensuite je réponds à cette interruption en disant qu'il est bien probable que le mal se commette dans le pays, précisément parce qu'il nous vient de l'étranger; car veuillez bien remarquer que lorsque les farines venant de l'étranger sent sophistiquées on peut les vendre à bien meilleur compte, et alors les fabricants de farines belges, pour pouvoir soutenir la concurrence sont obligés, en quelque sorte, d'entrer dans la même voie pernicieuse. Vous voyez donc, messieurs, que ce mal, que je blâme de toutes mes forces, ne se commet dans le pays que parce qu'il nous vient de l'étranger. Il y a donc là un motif d'humanité pour adopter une protection spéciale, une protection d'un ordre plus élevé que celle qui existe en matière d'agriculture ou d'industrie, puisqu'il y a ici un intérêt tout spécial, l'intérêt de la santé publique.
Il est à remarquer, messieurs, que malgré le droit, il entrera encore des farines, mais en moins grande quantité. D'un autre côté, notre amendement donnera lieu à une plus grande introduction de céréales en remplacement des farines. La mouture, comme on sait, réduit le grain à environ la moitié de son poids. On peut donc présumer que les droits perçus sur les farines qui entreront encore et sur les grains qui les remplaceront produiront une somme qui ne sera pas beaucoup moindre que celle qu'on perçoit aujourd'hui sur les farines seules. D'ailleurs, il y a ici des intérêts qu'il faut sauvegarder avant tout.
Le droit que nous proposons n'est pas exagéré quand on le compare à la valeur des farines importées. Il y a peu de nos industries qui ne jouissent d'une protection semblable; mais je ne puis assez le dire, l'intérêt de l'humanité domine ici celui de l'industrie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le droit proposé par la section centrale n'est pas celui qui avait été indiqué par le gouvernement. Le gouvernement demandait le maintien du droit de 2 fr. 50. La section centrale a pensé que, puisqu'on doublait le droit sur le froment, il y avait lieu d'augmenter dans la même proportion le droit sur les farines. L'honorable comte de Liedekerke, d'accord avec l'honorable M. de Haerne, propose maintenant un droit encore beaucoup plus élevé que celui de la section centrale. Le gouvernement combat l'un et l'autre droit. Il soutient que le droit de 2 francs 50 centimes est suffisant.
Messieurs, vous avez entendu dans la longue discussion à laquelle la loi des céréales a donné lieu, vous avez entendu la plupart des membres de cette chambre, partisans de droits élevés, déclarer qu'ils n'agissaient que dans l'intérêt du trésor. C’était uniquement leur préoccupation. Eh bien, voici qu'ils changent complètement d'avis. Leur dévouement aux intérêts du trésor s'évanouit tout à coup. Ils veulent aujourd'hui ravir au trésor une somme assez notable ; ils ne proposent ni plus ni moins que de lui enlever une somme de 45,000 francs.
Je prie les honorables membres de vouloir bien mettre d'accord leurs prétentions actuelles et la thèse qu'ils ont soutenue précédemment. (Interruption.) On se préoccupait alors uniquement des intérêts du trésor. On faisait valoir bien haut la pénurie de nos finances; aucune mesure ne devait être négligée pour combler le vide que l'on signalait. Eh bien, soyez conséquents : soutenez encore aujourd'hui la même opinion en faveur du trésor, et veuillez-lui laisser cette recette de 45,000 fr., que vos propositions auraient pour effet de lui enlever.
Sur quoi se fonde-t-on pour réclamer une augmentation de droits? La section centrale nous dit : puisque vous augmentez le droit sur le froment, le droit général sur les denrées alimentaires, vous devez augmenter dans la même proportion le droit sur les farines, car la matière première de la farine coûtera plus cher au meunier belge. Mais, messieurs, vous avez soutenu jusqu'à présent que le droit de douane n'augmente pas le prix des céréales. Vous l'avez soutenu et vous deviez le soutenir pour récuser les calculs de l'honorable M. Prévinaire. Or, si le droit n'augmente pas le prix du grain, à quoi bon changer le droit sur les farines? Encore une fois, messieurs, mettez vos actes d'accord avec les opinions que vous exprimez.
Nous pensons, quant à nous, messieurs, que pour les farines comme pour les autres denrées alimentaires, il s'agit ici principalement d'un droit fiscal, et un droit de 2 fr. 50 nous paraît complètement suffisant.
Messieurs, nous avons notablement diminué le droit, car il était auparavant de 15 fr.; nous l'avons réduit à 2 fr. 50; eh bien, messieurs, en nous plaçant au point de vue des protectionnistes, est-il vrai qu’en présence de ce droit la crainte de la concurrence étrangère soit fondée ? Je n'hésite pas à dire que non, et j'en ai la preuve dans un fait notoire : sous l'empire de la libre entrée, des agences de meuneries étrangères s'étaient établies dans vos villes, notamment à Gand et à Bruxelles; or, le simple droit de 2 fr. 50 a obligé ces agences à se retirer.
Voilà donc une preuve palpable qu'un droit de 2 fr. 50 c. suffit. J'ajouterai qu'en définitive on a entendu la meunerie, lorsqu'il s'est agi de fixer le droit de 2 fr. 50, et qu'il n'y a pas eu de réclamation contrarie droit fixé à ce taux.
M. de Liedekerke. - M. le ministre des finances vient de nous engager nous, ses adversaires, à nous mettre d'accord, à ne pas tomber dans des contradictions constantes, à ne pas en donner des preuves flagrantes et irrécusables à la chambre.
Lorsque M. le ministre des finances se reporte aux souvenirs de la grande discussion qui a eu lieu dans cette enceinte pendant dix séances, consécutives, il nous dit : « Vous ne vouliez alors qu'un droit fiscal, vous ne parliez pas de droits protecteurs pour l'agriculture. »
Messieurs, nous n'avons pas été si absolus; nous avons d'abord déclaré que nous ne pensions pas que le droit d'un franc ni même celui d'un franc 50 c. pût être une protection suffisante, constante, pour l'agriculture; nous avons dit que le droit d'un franc viendrait régler, modérer le marché, le maintenir dans des conditions plus justes, plus légitimes, plus normales. Voilà ce que nous avons soutenu ; nous n'avons pas prétendu qu'on pouvait atteindre, au moyen de ce droit, une protection élevée ou efficace.
(page 674) Nous avons ajouté que le trésor avait des besoins avérés; nous vous avons dit : « Ne refusez pas la ressource qu'on vous offre; acceptez-la: elle ne sera pas inutile. » Voilà quelles ont été nos paroles. Je n'y découvre, pour ma part, aucune contradiction.
On nous reproche maintenant de vouloir ravir au trésor 45,000 fr. et de trahir ainsi tout d'un coup une grande indifférence pour ses besoins.
Nous vous demandons, messieurs, de ne pas prélever ces 45,000 francs au profit d'une industrie étrangère et au détriment de l'industrie de la meunerie nationale. Et nous croyons être parfaitement justifiés à le faire.
J’ai eu l'honneur d'indiquer à la chambre les motifs pour lesquels les meuniers français pouvaient lutter avec des avantages qui ne pourraient être balancés par ceux qu'obtenait le meunier indigène. Ces avantages ne dépendent pas seulement de la matière première, mais des avantages de la situation, de la localité. Ils tiennent aussi en partie à la facilité qu'a le meunier français d'acheter de première main aux fermiers français la matière première, les céréales qui sont moins chères, ne l'oublions pas, que nos céréales indigènes.
J'ai ajouté une autre raison : c'est que les déchets avaient un prix plus considérable en France qu'ils n'en avaient chez nous ; que le meunier indigène était obligé de payer les frais de transport de 140 kil. de froment nécessaires pour pouvoir obtenir 100 kil. de farine; tandis que le meunier étranger ne paye des frais de transport que pour les 100 kil. de farine qu'il importera dans le pays; donc, en ce qui concerne les frais de transport, il y a une différence de 40 p. c. au profit du meunier étranger. Pouvez-vous le nier?
Maintenant faut-il encourager la meunerie étrangère au détriment de la meunerie indigène? Est-ce un résultat que vous puissiez désirer? Je ne le crois pas, car à qui bénéficiera-t-il?
Enfin il se présente à mon esprit une dernière considération que je livre à la chambre.
Pour fabriquer 100 kilog. de farine, on trouve un déchet de 25 p. c, déchet qui est d'une haute importance pour l'agriculture, car ils deviennent du fourrage et de l'engrais. Ces 25 p. c. sont complètement perdus, quand le meunier peut introduire des farines dans le pays, car ils restent dans le pays de provenance, et c'est une conséquence à éviter.
Je persiste dans mes observations, dont M. le ministre des finances n'a nullement atténué la portée par les considérations tant générales que particulières qu'il vient d'exposer à la chambre.
M. Mercier. - Messieurs, l'honorable ministre des finances alléguait tout à l'heure que les farines étrangères n'étaient frappées que d'un droit fiscal par l'arrêté du 31 décembre 1848. Cette assertion n'est pas tout à fait exacte. Si l'on n'avait voulu imposer qu'un droit fiscal, comme pour les céréales, le droit eût pu être porté à 1 franc et non à 2 francs 50 centimes, pour être à peu près dans la même proportion que le droit de 50 centimes établi pour les céréales, attendu qu'on extrait environ 50 kilog. de farine de 100 kilog. de froment ; il est donc évident que le gouvernement a voulu donner une protection à l’industrie de la mouture. Cette protection est d'un franc 50 centimes par 100 kilog.
La section centrale, en élevant le droit de 2 fr. 50 c. à 3 fr. 50 c, croit avoir, sous ce rapport, maintenu le statu quo. Si j'avais eu mon tour de parole dans la discussion générale, j'aurais formellement déclaré que, dans mon opinion, tout droit, imposé à l'importation, empêche, dans une proportion quelconque, l'avilissement des prix à l'intérieur. C'est une chose qui ne peut être sérieusement contestée. Seulement cette proportion n'est pas égale au droit imposé, comme on l'a prétendu en tombant dans d'excessives exagérations. Mais bien certainement ce droit exerce une certaine influence qui se modifie selon les circonstances. Il en est ainsi de tout droit de douane.
Quel est notre but en augmentant le droit établi sur les farines? Nous voulons empêcher que les conditions auxquelles l'étranger peut faire ses importations ne soient meilleures qu'elles ne le sont aujourd'hui, sous l'empire de l'arrêté du 31 décembre 1848. Si nous avons jugé utile de porter à un franc le droit sur le froment, c'est que nous avons pensé qu'il y aurait autour de nous des pays d'où l'on pourrait importer des céréales à des prix inférieurs encore aux prix du pays. Tel a été le mobile qui nous a guidés en ce qui concerne les céréales; nous devons nécessairement avoir égard à cette augmentation de droit qui doit être notre point de départ lorsque nous nous occupons de la tarification des farines. Si nous laissons subsister le droit actuel de 2 fr. 50 sur les farines, l'étranger aura plus d'intérêt qu'il n'en avait auparavant à importer plutôt des farines que des céréales.
Voilà les motifs pour lesquels la section centrale a cru devoir adopter le droit de 3 fr. 50 c., qui lui a paru suffisant, bien qu'elle fût en présence de plusieurs propositions tendant à fixer à un taux bien supérieur le droit sur les farines.
M. Dechamps. - Je prie la chambre de remarquer que la question des denrées alimentaires n'est nullement engagée dans le droit à fixer sur l'entrée des farines étrangères. Quel est le but que vous avez voulu atteindre, en fixant le droit d'un franc et les autres droits correspondants sur les céréales, en décrétant pour ainsi dire en Belgique le libre commerce des grains ? Le but a été d'assurer l'alimentation des classes ouvrières, par le bon marché du pain. Ce but, vous l'avez atteint, s'il est vrai que le bas prix du pain résulte de l'abaissement des droits de douane sur les céréales. La question alimentaire est donc vidée par les votes émis sur les céréales. Avec la liberté du commerce des grains, pouvez-vous croire qu'un droit de fr. 3-50 et même de fr. 4-50 sur les farines exerce une influence réelle sur le prix du pain ?
Vous avez obtenu un droit que nous regardons comme insignifiant, sur l'entrée des céréales étrangères. Vouloir encore obtenir un droit nul sur l'entrée des farines étrangères; c'est, permettez-moi de vous le dire, faire du libre-échange à double tranchant. C'est happer l'agriculture, d'abord par la libre entrée des grains, puis par la libre entrée des farines, et en troisième lieu, c'est frapper une industrie importante, celle de la moulure et de la féculerie.
Ainsi, la question agricole et l'intérêt des classes ouvrières, au point de vue du bon marché du pain, sont ici hors de cause, ou à peu près. La question à résoudre est industrielle, il s'agit de conserver une main-d'œuvre importante à nos classes ouvrières.
Vous avez voulu venir en aide à la classe ouvrière, en lui fournissant le pain à bon marché, par le droit très modéré que vous avez établi sur le» céréales.
Eh bien, maintenant, nous venons vous demander de venir en aide à une classe nombreuse d'ouvriers en leur conservant le travail.
Je vous demande dans quel intérêt le gouvernement s'oppose non seulement au droit de 3 fr. 50 que propose la section centrale, mais même à celui que proposent MM. de Haerne et de Liedekerke? Ce n'est pas dans l'intérêt de l'alimentation des classes ouvrières; car cet intérêt est sauvegardé par le régime libéral que vous avez admis pour les céréales; ce ne peut être donc que pour conserver à la meunerie française et américaine la main-d'œuvre que nous voulons conserver à notre classe ouvrière.
Je rappellerai un fait important : pendant la crise alimentaire de 1845 et 1846, alors que le gouvernement et les chambres avaient intérêt à approvisionner le pays par tous les moyens possibles, les chambres se sont bornées à accorder au gouvernement la faculté de réduire ou de supprimer le droit sur les farines, ne voulant pas assimiler les farines aux céréales.
Lorsque plus tard on supprima le droit sur les farines, ce fut sous le coup de circonstances impérieuses ; on dut avoir recours à des moyens, qui froissaient même de grands intérêts. En Hollande où la législation est dominée par l'idée de la liberté commerciale, en 1846, pendant la disette, la Hollande a conservé sur les farines un droit élevé.
En 1846, un honorable membre, qu'on range parmi les partisans du libre-échange, proposa, quand le prix du grain chez nous était fort élevé et que le prix des farines aux Etats-Unis était tel que l'importation était impraticable, et cet honorable membre, M. le baron Osy, proposa un droit de 3 fr. par 100 kil. sur les farines, et il considéra ce droit comme très modéré, même en présence de la libre entrée des céréales et de l'élévation du prix des farines américaines.
En tenant compte du droit d'un franc adopté sur le froment et de la dépréciation considérable survenue dans le prix des farines aux Etats-Unis et en France, le droit de 3 francs proposé comme modéré, en 1847,. par M. Osy pourrait s'élever à 4 fr. 50 et même au-delà sans cesser d'être modéré.
M. le ministre des finances vient de dire que le droit de 2 fr. 50 est suffisant, qu'il a été établi de concert avec les intéressés.
La preuve qu'il n'a pas été suffisant, c'est que les importations n'ont pas diminué sous l'empire de l'arrêté du 31 décembre 1848. Je trouve ce fait consigné dans les nombreuses pétitions déposées sur le bureau de la chambre.
M. le ministre des finances ne veut qu'un droit fiscal. L'honorable M. Mercier vient de rappeler que l'intention de M. le ministre n'avait pas été seulement d'établir un droit fiscal en 1848, mais une protection modérée en faveur de la mouture, par le droit de 2 fr. 50 c. M. le ministre prétend que, si on élève ce droit, le trésor perdra une recette de 45,000 francs. Je comprends que le droit proposé par M. de Haerne amènerait peut-être pour résultat de ne plus permettre l'importation des farines de qualité inférieure, je le reconnais ; mais je ne pense pas que ce droit puisse empêcher l'importation des bonnes farines françaises sur le prix desquelles le droit de 4 fr. 50 c. n'exercerait pas une influence marquée.
L'importation diminuera dans une certaine mesure, c'est le but de l'amendement : mais comme le droit sera plus élevé, il y aura compensation. Je ne pense pas que la recette de 45,000 fr. soit compromise.
En résumé donc, je maintiens que lorsque vous avez admis la liberté du commerce des grains ou à peu près, vous n'avez pas à vous préoccuper de la question alimentaire à propos des farines; le droit de 3 fr. 50 c. ou de 4 fr. 50 c. n'exercera aucune influence sur le prix du pain; c'est un intérêt industriel important que nous vous demandons de ne pas compromettre sans motif.
Une autre raison qu'a fait valoir l'honorable M. de Haerne, c'est la raison hygiénique ; on reproche aux farines américaines d'être falsifiées. Je puis citer ce fait, qu'un négociant d'Anvers, qui avait reçu des farines américaines, reconnut qu'elles étaient tellement falsifiées, qu'il renonça à les livrer à la consommation et leur donna une autre destination, en subissant une perte considérable. Ce fait n'est pas isolé. Je pense que la santé du peuple est aussi engagée jusqu'à certain point dans cette question.
M. de Brouckere. - Vous devez vous étonner d'entendre l'honorable député de Charleroy demander une protection pour la meunerie; si vous vous souvenez, messieurs, que quand M. Dechamps était député d'Ath, il a aboli le droit d'entrée sur les farines...
(page 675) M. Dechamps. - C'était en temps de disette.
M. de Brouckere. - C'est vrai; mais les chambres n'avaient pas voulu prendre la responsabilité de cet acte, c'est vous qui l'avez posé. Vous avez changé d'habit.
On vous disait tout à l'heure qu'il y avait des arguments pour toutes les causes ; l'honorable M. Dechamps vient encore d'en fournir la preuve.
Il nous reproche de faire du libre-échange à double tranchant. Dans la discussion de la semaine dernière on nous reprochait, au contraire, de faire bon marché de l'agriculture et de garder la protection pour l'industrie; on nous reprochait alors de faire du libre-échange à un tranchant, on vient de nous faire un grief d'en faire à deux tranchants. Nous demandions la liberté pour donner le pain à bon marché au peuple, à l'ouvrier; aujourd'hui on renverse l'argument; on demande la protection dans l'intérêt de la classe ouvrière; d'où il résulte évidemment que ceux qui professent la doctrine du libre-échange pour les céréales sont dans le vrai et que les archi-protectionnistes pour l'industrie sont encore dans le vrai, parce que, par ce double moyen, d'un côté, l'on fait vivre l'ouvrier à très bon marché; de l'autre côte (c'est toujours l'honorable M. Dechamps qui parle), on donne de gros salaires à l'ouvrier des manufactures aux dépens de l'ouvrier agricole.
Vous voyez dans quel système, tombent nos contradicteurs. Chaque fois que viendra une nouvelle loi, parce qu'ils n'ont aucun principe, ils tomberont dans des contradictions semblables. Vous ne verrez pas cela chez ceux que vous appelez des libre-échangistes, des théoriciens.
On vous a dit (l'honorable M. de Liedekerke s'est servi du même argument) : Ce n'est plus une question alimentaire. (Interruption.) Permettez-moi : Ce n'est plus une question alimentaire! Quoi! Vous me ferez payer la façon de la farine 4 fr. 50 c, que je payais naguère 2 fr. 50 c, et vous soutiendrez que si je paye la farine 2 fr. de plus, et par conséquent le pain 2 fr. de plus, ce n'est pas une question de consommation, de renchérissement du pain.
Savez-vous quelle protection on nous demande ? 4 fr. 50 c. sur 100 kil. de farine. Que coûte la meunerie (et il ne s'agit que de la meunerie) ? Elle ne coûte pas 2 fr. par 100 kilog. Donc c'est un droit de 250 p. c, droit exorbitant, qui n'a son pareil dans aucun tarif. Voilà la petite protection que l'on veut donner à la meunerie. Cela s'appelle protéger une industrie !
A l'appui de cette prétention, on vous a dit que le meunier belge était dans d'autres conditions que le meunier français. Mais il faut généraliser, ne pas considérer un meunier mal placé, ou dans des conditions exceptionnellement défavorables. Il ne faut pas que la Belgique entière soit victime de ce que certain meunier a mal placé son moulin.
L'honorable M. de Liedekerke nous dit que le meunier belge n'est pas dans les mêmes conditions que le meunier français. Pourquoi? Parce que le meunier français achète au cultivateur, tandis que le meunier belge achète au négociant.
Il faut conseiller au meunier belge de faire comme ceux du pays voisin. Car le cultivateur belge aime tout autant à vendre son grain que le cultivateur français.
On ajoute encore que les conditions ne sont pas les mêmes sous ce rapport, que le meunier français n'a que la farine à transporter, tandis que le meunier belge doit transporter le grain qui pèse 40 p. c. de plus. C'est une erreur, le meunier français doit transporter et le grain et le farine, tandis que le meunier belge n'a que les grains à transporter. Le meunier français doit transporter les grains à son moulin et venir d'au-delà la frontière avec sa farine, tandis que le meunier belge qui est sur les lieux n'a pas besoin de transporter sa farine.
Mais, dit un honorable membre (M. Mercier), on ne retire que 50 kilog. de farine de première qualité de 100 kilog. de grains. Donc, il faut doubler le droit sur la farine. Mais que deviennent les 50 autres kilog.? Ils ne sont sans doute pas jetés. On en fait de la farine de deuxième, de troisième, de quatrième qualité; il y a de plus un résidu qui a une valeur. C'est, encore une fois, une argumentation fausse.
De tous les arguments qu'on fait valoir pour défendre la meunerie, il n'y en a pas un qui soutienne un examen sérieux.
Je voterai pour la proposition du gouvernement.
M. de Haerne. - L'honorable M. de Brouckere nous dit que nous n'avons aucune espèce de principes économiques. C'est à cela que je désire répondre. Nous n'avons aucune espèce de principes ! Mais nous avons les principes qu'ont les 9 dixièmes des peuples, et notamment l'Angleterre, surtout quand il s'agit de protection en faveur de l'industrie. (Interruption.) L'Angleterre, soyez-en persuadés, suit son intérêt. En voulez-vous un exemple qui touche à l'agriculture? Je citerai son tarif sur les bois :
Bois, excepté le sapin, les 50 pieds cubes, 15 schellings.
Id., des possessions britanniques, 1 schelling.
Sapin, 1 liv. sterl.
Id., des possessions britanniques, 2 schellings.
Ainsi le droit varie pour les bois venant de l'étranger de 15 schellings à une livre sterling, et pour les bois des colonies anglaises de 1 à 2 sch. !
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. de Haerne. - Si vous ne voulez pas de réponse, messieurs, j'obéis et je me tais, avec la conscience que, quoi qu'en dise l'honorable préopinant, nos principes sont ceux du sens commun.
L'honorable M. de Brouckere, dont je suis loin de contester l'intelligence supérieure, les profondes connaissances, nous a dit, à plusieurs reprises, qu'il professait cette grande science moderne de l'économie politique. Me sera-t-il permis de lui dire que, bien que je n'aie pas unie chaire aussi retentissante que la sienne, j'ai une chaire où je professe cette même science depuis 15 ans. Je me suis trouvé, pomme l'honorable M. de Brouckere, en position d'étudier les maîtres de la science; j'ai trouvé chez eux tant de contradictions que j'ai renoncé, sur plus d’un point et notamment sur celui des échanges, à ce qu'on appelle la science et que j'appelle la théorie, pour m'en tenir à la pratique des peuples, pratique qui, dans cette partie, est la véritable base scientifique.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. de Haerne. - J'aurais désiré, messieurs, développer mou amendement. Mais je cède à l'impatience de la chambre. Je renonce à la parole, tout en me réservant de la reprendre, si la discussion se renouvelle, à propos du nouvel amendement qui vient d'être présenté.
M. le président. - M. Osy propose de fixer le droit à 3 fr. Il a la parole pour développer cet amendement.
M. Osy. - En 1848, lorsque nous avions un droit de 50 c. sur le froment, le gouvernement, par un arrêté du 31 décembre 1848, a fixé le droit à 2 fr. 50 c. Aujourd'hui que le droit est porté à 1 fr. sûr le froment, je crois que, pour maintenir le statu quo, il faut élever à 3 fr. le droit sur la farine.
M. Rousselle, rapporteur. - Je prie la chambre de remarquer que, si le droit proposé par le gouvernement était adopté, on ne maintiendrait, pas à l'industrie de la meunerie la protection que le gouvernement avait cru devoir lui assurer; car le droit de 2 fr. 50 c. a été établi, non par une loi, mais par un arrêté royal du 31 décembre 1848. Evidemment le gouvernement a dû avoir de très bonnes raisons pour adopter ce chiffre. Il faut en tenir compte; et si l'on maintient le droit de l'année dernière, il y aura diminution de la protection jugée nécessaire.
Puisque vous augmentez le droit sur le froment de 50 cent, cette augmentation pèsera sur 100 kil. de froment.
La section centrale s'est dit : Ces 50 centimes de droit de plus sur les grains doivent être représentés par 1 fr. sur les farines, puisque l'on ne tire que 50 kil. de farine fine de 100 kil. de grain.
L'honorable M. de Brouckere demande ce que deviennent les autres produits? Il y a d'autres produits sans doute; mais leur valeur est infiniment inférieure à la valeur des 50 kil. de farine fine.
Ce sont ces considérations qui ont déterminé la section centrale à ajouter un franc au droit adopté par le gouvernement l'année dernière.
Maintenant je crois que la chambre est suffisamment édifiée sur la question et que nous pouvons passer au vote. Cependant je dois dire que la section centrale n'a pas cru qu'il y eût lieu de faire une distinction entre les farines soit de froment soit de seigle, parce qu'il y aurait trop de difficultés pour la tarification et la vérification.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne rentre pas dans la discussion. Je donne à la chambre quelques renseignements que je crois essentiels pour qu'elle puisse voter en connaissance de cause.
Je fais d'abord remarquer que lorsque le gouvernement a fixé le droit de 2 fr. 50 par l'arrêté du 31 décembre 1848, il était en face d'un droit de 15 fr., et il lui a paru que passer du droit de 15 fr. à celui de fr. 50 c'était une assez notable réduction de tarif pour qu'on pût reconnaître qu'il ne persévérait pas dans les idées anciennes.
Quel est, messieurs, le droit fixé pour les farines en Hollande? L'honorable M. Dechamps nous a dit tout à l'heure que ce droit était de 5 florins.
M. Dechamps. - J'ai dit : A été.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez. La loi du 30 mai 1847 fixe le droit sur le last de froment à 8 florins et le droit sur les farines à 4 florins 50. Ainsi le droit sur le froment répond à 56 centimes à l'hectolitre, tandis que le droit sur la farine répond à 31 centimes.
M. Dechamps. - J'ai parlé de 1846.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voilà l'état des choses actuel.
En Angleterre, le droit sur l'hectolitre de froment est de 43 centimes, et le droit sur 100 kilog. de farine est de 93 centimes.
Nous nous maintenons, quant à nous, par le droit de 2 fr. 50, dans des proportions analogues.
Ce droit est-il suffisant ? Y a-t-il quelque chose à redouter de ce chef? Messieurs, consultons les faits. Est-ce que nous avons vu les farines étrangères envahir le marché belge? Avons-nous eu quelque calamité à redouter? Sous l'empire de la liberté complète, des agences de meuneries étrangères s'étaient établies dans le pays; avec le droit de 2 fr. 50, elles ont été obligées de cesser. Le droit a donc été suffisant.
Qu'est-il entré de farines dans le pays? Le droit étant le même pour les fécules, pour les sons, pour les autres substances amylacées, pour les biscuits que pour les farines, tout est confondu. Mais supposons qu'on n'ait importé que des farines. A quel chiffre s'est élevé cette importation? A 1,667,000 kil. Voilà ce qui a été importé au taux de 2 fr. 50.
N’est-il pas évident que c'est uniquement pour les besoins des populations des frontières que ces farines ont été importées? Si l'on consulte les lieux de provenance, on voit que c'est par la frontière française seule qu'une quantité de 1,500,000 kil.de farine a été importée. Mais cela est indispensable aux populatons. S'il n'y avait pas pour elles avantage, nécessité de prendre ces farines, elles ne le feraient pas : On va donc nuire à ces populations en les empêchant de prendre les farines étrangères qu'elles obtiennent à de meilleures conditions que les farines belges.
(page 676) Maintenant le droit fiscal (et c'est de l'intérêt du trésor que je me préoccupe), sera-t-il perçu, si vous élevez le droit? Les faits vous démontrent à l'évidence qu'il n'en sera pas ainsi; on peut dire avec certitude que le trésor perdra la recette de 48,000 fr. qu'il fait aujourd'hui.
Je persiste donc à demander que le droit de 2 fr. 50 c. soit maintenu.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Sinave et celui de MM. de Liedekerke et de Haerne sont successivement mis aux voix ; ils ne sont pas adoptés.
La proposition de la section centrale est mise aux voix par appel nominal :
Voici le résultat :
86 membres ont répondu à l'appel nominal.
42 membres ont répondu oui.
43 membres ont répondu non.
1 membre (M. Sinave) s'est abstenu.
Ont voté l'adoption : MM. Le Hon, Lelièvre, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moxhon, Peers, Pierre, Rodenbach, Rousselle, Schumacher, Tremouroux, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Iseghem, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Boulez, Christiaens, Clep, Coomans, Cumont, de Bocarmé, Dechamps, de Denterghem, de Haerne, Delescluse, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, de Theux, Faignart, Jouret, Lange.
Ont voté le rejet : MM. Lesoinne, Loos, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Van Cleemputte, Van. Hoorebeke, Vermeire, Veydt, Bruneau, Cans, Cools, Dautrebande, David. H. de Baillet, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, Delfosse, Deliége, de Meester, De Pouhon, Dequesne, Destriveaux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, Dumont (Guillaume), Fontainas, Frère-Orban, Jacques, Jullien, Lebeau el Verhaegen.
M. le président. - M. Sinave, qui s'est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Sinave. - Dans la discussion qui a eu lieu la semaine dernière, j'ai déclaré que je ne pourrais me rallier à aucune proposition relative aux céréales tant que le droit s'appliquerait isolément aux denrées alimentaires. J'ai proposé, par un amendement, d'étendre le droit aux autres produits du sol. La chambre n'a pas cru pouvoir entrer dans ce système, et c'est ce qui m'a obligé de m'abstenir.
- L'amendement de M. Osy, qui consiste à fixer le droit à 3 francs, est mis aux voix et adopté.
Macaroni, semoule, vermicelle et pain d’épice
« Macaroni, semoule, vermicelle et pain d'épice : les 100 kil. fr. 00 »
- Adopté.
Riz
« Riz.
« Riz en paille ou non pelé, directement des pays de production, ou d'un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par mer :
« Sous pavillon belge : fr. 2 00.
« Du pays de provenance : fr. 3 50.
« D’autres pays : fr. 3 50.
« Riz en paille ou non pelé, d’ailleurs : fr. 5 00.
« Riz pelé, directement des pays de production, ou d'un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par mer :
« Sous pavillon belge : fr. 6 50.
« Du pays de provenance : fr. 8 80.
« D’autres pays : fr. 8 80.
« Riz pelé, d’ailleurs : fr. 10 60. »
M. le président. - MM. Dedecker et Vermeire ont proposé le tarif suivant :
« Riz des Indes orientales, en paille ou non pelé, directement des pays de production, ou d'un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par mer :
« Du pays de provenance : fr. 2 00.
« D’autres pays : fr. 2 00.
« Riz en paille ou non pelé, d’ailleurs : fr. 3 00.
« Riz des Indes orientales, pelé, directement des pays de production, ou d'un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par mer :
« Sous pavillon belge : fr. 3 50.
« Du pays de provenance : fr. 6 50.
« D’autres pays : fr. 6 50.
« Riz pelé, d’ailleurs : fr. 8 50.
« Riz, autres que des Indes orientales, en paille ou non pelé, par mer et directement des pays de production, ou d'un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par mer :
« Sous pavillon belge : fr. 1 00.
« Du pays de provenance : fr. 2 50.
« D’autres pays : fr. 2 50.
« Riz en paille ou non pelé, d’ailleurs ou autrement : fr. 4 00.
« Riz, autres que des Indes orientales, pelé, par mer et directement des pays de production, ou d'un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par mer :
« Sous pavillon belge : fr. 7 00.
« Du pays de provenance : fr. 8 50.
« D’autres pays : fr. 8 50.
« Riz en paille ou non pelé, d’ailleurs ou autrement : fr. 4 00.
Il y un amendement de M. Bruneau qui propose le même tarif, sauf pour le dernier article, pour lequel M. Bruneau fixe le droit à 10 fr.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) déclare que le gouvernement se rallie à la proposition de la section centrale.
M. Loos. - Messieurs, la section centrale d'accord avec le gouvernement a proposé, quant au riz, un régime différent de celui qui existait jusqu'à présent. Nous n'avons reçu qu'hier soir les propositions qui nous sont faites, et il nous est resté fort peu de temps pour en étudier l'économie. Cependant ce qui m'a frappé, c'est que la navigation des Grandes Indes me paraît sacrifiée. Vous savez tous, messieurs, quels sacrifices le pays a déjà faits pour rétablir les relations qui existaient autrefois entre la Belgique et les Indes occidentales. Il existait un droit de faveur pour les riz de cette dernière provenance, pour les riz du Bengale et des possessions néerlandaises ; aujourd'hui on veut les assimiler à ceux des autres pays. Je crois qu'on n'a pas suffisamment réfléchi à la perturbation qu'un pareil régime jetterait dans les opérations qui sont déjà en cours d'exécution et dans celles qui se combinent depuis quelque temps et qui présentent de grandes chances de succès.
Messieurs, nous n'avons guère d'autre moyen de faire des exportations dans les Indes occidentales que d'y aller chercher du riz. C'est un objet d'encombrement qu'on est toujours certain d'y rencontrer, et si vous ôtez à ces retours la faveur dont ils ont joui jusqu'à présent, les importations viendront à cesser, et vous perdrez le fruit de tous les sacrifices que vous avez faits en faveur de la navigation vers les Grandes-Indes.
Le commerce a tenté différents essais d'exportation de nos produits industriels vers les Indes. Le gouvernement a subsidié des services de navigation; mais si, en définitive, l'aliment principal que la navigation peut rencontrer vient à faire défaut, évidemment tous les sacrifices faits seront perdus.
Je remarque aussi, messieurs, que la proposition de la section centrale ne laisse pas une différence assez grande entre le riz importé en paille et le riz pelé. Vous n'ignorez pas, messieurs, que depuis quelque temps (page 677) des établissements se sont formés dans notre pays pour peler et monder le riz; il s'en est établi dans différentes villes. C'est sons l'empire du tarif actuel que ces établissements se sont formés; ils ont exigé de grands capitaux et si vous adoptez le régime proposé par la section centrale, ils ne pourront que se fermer.
Car il est évident que la différence que vous établissez pour le droit entre le riz pelé et le riz non pelé, ne permettra plus d'importer dans le pays du riz non pelé ou du riz en paille.
Mais indépendamment de la différence de droit qui existe, on n'a peut-être pas calculé la différence qui résulte de l'opération qui se fait dans les moulins pour peler le riz. 100 kil. des riz en paille des Etats-Unis ne produisent que 67 kil. de riz pelé et cassé. Ainsi le droit doit se calculer sur une perte de 33 p. c. pour déchet. Faites cette opération, et vous trouverez qu’il ne reste plus aucune protection pour cette industrie qui est introduite dans le pays depuis quelques années, c'est-à-dire qu'il y aura perte pour ce qui concerne le riz des Indes orientales; ce riz, importé en paille, payera un droit plus considérable que celui qui est importé pelé. Au lieu d'une protection, il y aura plutôt défaveur. Evidemment c'est vouloir renoncer tout à fait à l'importation de cette qualité de riz.
Ainsi, par exemple, le riz des Indes orientales subit une perte de 33 kilog. dans l'opération du mondage, cela fait monter le droit, avec les centimes additionnels, à fr. 8 26, tandis que le droit proposé pour le riz pelé n'est que de fr. 7 54. Il me semble résulter de là que la section centrale ne s'est pas livrée aux mêmes calculs que moi, en d'autres termes, que la section centrale n'a pas réfléchi suffisamment à la portée des prépositions qu'elle a faites à la chambre.
Par les considérations que je viens d'avoir l'honneur de soumettre à la chambre, je propose l'amendement suivant :
« Riz des Indes orientales.
« En paille ou non pelé, directement des pays de production ou d'un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, par 100 kil. :
« Pas pavillon belge fr. 0 10
« Par pavillon étranger fr. 0 50
« D’ailleurs, fr. 3 00.
« Pelé.
« Par pavillon belge : fr. 4 50.
« Par pavillon étranger : fr. 6 50.
« D’ailleurs : fr. 8 50.
« Riz autres que des Indes orientales.
« En paille ou non pelé.
« Par pavillon belge : fr. 1 00
« Par pavillon étranger : fr. 2 50.
« D'ailleurs : fr. 4 00.
« Pelé.
« Par pavillon belge : fr. 7 00.
« Par pavillon étranger : fr. 8 50.
« D'ailleurs : fr. 10 00. »
Je crois qu'il serait utile, afin de donner le temps au gouvernement et à la section centrale d'examiner cet amendement, que la discussion sur ce point fût remise à demain. Il est impossible de saisir, dans la discussion, la portée des divers chiffres qui sont proposés.
- L'amendement est appuyé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'amendement de l'honorable M. Loos soulève une question dont je reconnais toute la gravité: je ne m’oppose pas à ce que l'amendement soit imprimé et distribué et à ce que la discussion soit remise à demain.
- La chambre, consultée, décidé qu'elle remet à demain la discussion de la partie du tarif qui concerne le riz.
M. le président. - Nous arrivons à l'article Viandes.
« Jambons fumés : 15 fr. les 100 kil. »
- Adopté.
« Lard et viandes de toute espèce, non dénommées ci-dessus : 5 fr. les 100 kil. »
- Adopté.
Bétail
M. le président. - La chambre est arrivée à l'article « Bétail »; le gouvernement a déclaré tout à l'heure qu'il ne se ralliait pas au droit proposé sur cet article par la section centrale. M. le ministre des finances demande-t-il que le tarif annexé à l'arrêté du 31 décembre 1848 soit inséré dans la loi?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Précisément.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet du gouvernement; nous avons, en outre, les amendements de M. Bruneau, de M. Boulez, de MM. Dedecker et Vermeire, de MM. Delehaye et Vandenpeereboom, et l'amendement de la section centrale.
La parole est à M. Alphonse Vandenpeereboom.
M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, à la fin de la séance de samedi dernier, l'honorable ministre des finances a rappelé à la chambre que la question du bétail était restée, pour ainsi dire, sans examen. En effet, messieurs, la plupart des orateurs qui ont pris la parole dans cette grave discussion n'ont examiné qu'accidentellement cette question.
En me faisant inscrire, il y a quinze jours, sur l'article premier, mon intention était d'expliquer le vote que j'ai émis lors de la prorogation de la loi provisoire, de motiver celui que j'étais disposé à émettre sur les diverses parties de la loi en discussion et d'attirer spécialement votre attention sur la question si importante du bétail.
Cette question, messieurs, touche à de bien graves intérêts, aux intérêts de l’agriculture avant tout, de l'industrie agricole ensuite, aux intérêts des consommateurs et du commerce, enfin.
Veuillez, messieurs, m'accorder un instant d'attention. Je serai bref.
Que l’élève et l'engraissement du bétail soient des conditions essentielles de la prospérité agricole, c'est là une vérité incontestable qui n'a plus besoin de démonstration.
Aussi, messieurs, ne puis-je admettre, en aucun cas, l'exactitude du proverbe cité par M. le ministre des finances : le bétail est un mal nécessaire. En effet le bétail procure à l'agriculture un double avantage, un bénéfice direct, un bénéfice indirect; un bénéfice direct par la vente des élèves et des produits que l'engraissage améliore, un bénéfice indirect par l'engrais sur place que le bétail fournit.
Le bétail est donc, comme l'a dit l'honorable M. Bruneau, un instrument de production et un produit, et c'est surtout parce que le bétail est un instrument de production que, lors de la discussion de la loi du transit, j'ai déposé un amendement qui avait pour objet d'empêcher que cet instrument si utile de la production agricole fût livré à des agriculteurs étrangers à des conditions plus favorables, au moyen du transit libre par chemin de fer, qu'à nos agriculteurs belges et surtout à ceux qui sont éloignés de nos voies ferrées.
Messieurs, les partisans du libre-échange, comme les partisans du système protecteur, reconnaissent donc que l'élève et l'engraissage du bétail sont des conditions essentielles de la prospérité de l'agriculture et de l'industrie agricole.
Eux, comme nous, jugent le progrès que l'agriculture fait dans un pays par l'accroissement du nombre des têtes de bétail qu'on y élève. Mais, si nous sommes d'accord sur les faits, nous ne le sommes plus sur les causes qui les amènent, et qui, d'après eux, sont la libre entrée du bétail, d'après nous, une protection sage.
Messieurs, s'il est une industrie qui pour se développer a besoin qu'on inspire une grande confiance, une sécurité complète à ceux qui s'y livrent, c'est sans doute l'industrie agricole.
Le cultivateur est essentiellement craintif, il ajoute peu de foi aux théories, l'expérience est sa seule règle de conduite. S'il lui a été démontré par les faits que dans certaines circonstances, pour des causes qu'il ne s'explique pas même, le bétail étranger vient sur nos propres marchés faire concurrence aux produits indigènes, en avilir le prix, diminuer et parfois rendre nuls les bénéfices que nos éleveurs étaient en droit d'attendre, que fera le cultivateur? Il restreindra son industrie, vendra à la hâte quelques têtes de bétail et n'en conservera désormais que le nombre strictement nécessaire.
Mais, au contraire, s'il a confiance, s'il sait que la loi le protège par un droit de douane, il ne craindra plus de peupler ses étables, il comptera avec confiance sur un bénéfice.
La question qui nous occupe aujourd'hui fut sérieusement examinée en 1844.
Une enquête administrative fut ouverte dans le pays, des commissions composées d'hommes ayant des connaissances spéciales furent réunies dans nos provinces; la première question que le gouvernement soumit à l'examen de ces commissions fut celle-ci : Quels ont été jusqu'à ce jour tant pour les consommateurs en général que pour l'agriculture, les effets du tarif plus élevé établi par la loi du 31 décembre 1835, sur l'entrée du bétail?
Voici quelle fut l'opinion de ces commissions spéciales en ce qui concerne les effets de la loi de 1835 pour l'agriculture. Je dirai ensuite comment elles apprécièrent les résultats de cette même disposition législative au point de vue de l'intérêt des consommateurs.
Sur neuf commissions, six, les commissions réunies à Anvers, à Gand, à Bruges, à Liège, à Arlon et à Namur émirent l'opinion que la loi du 31 décembre 1835 avait été favorable à l'élève du bétail et à l'agriculture.
La septième commission, celle du Limbourg, déclara que les effets de la loi avaient été éludés par la fraude et les mesures prises par le commerce, et la commission ajoute : Si la loi a eu de l'influence sur l'augmentation du bétail, c'est uniquement en Campine, du côté de la frontière où la bonne surveillance de la douane empêche toute infiltration en fraude et où, à cause de l'éloignement, les bestiaux ne pénètrent pas.
La commission du Brabant seule, car celle du Hainaut ne tranche pas la question, semble se prononcer contre le système de la loi du 31 décembre 1835, mais elle proposa l'adoption d'un tarif nouveau et ce tarif était plus élevé que le tarif admis aujourd'hui par le gouvernement, que celui annexé à l'amendement de l'honorable M. Bruneau; car il était établi comme suit :
Taureaux, bœufs et veaux, 25 fr. par tête.
Taurillons, bouvillons, 20 fr. par tête/
Génisses, 12 fr. par tête.
Veaux d'un an, 10 fr. par tête.
Veaux au-dessous d'un an, 5 fr. par tête.
Telles furent, messieurs, les opinions émises par des commissions compétentes et spéciales. Ces opinions ne méritent-elles pas d'être prises en considération sérieuse, et ne peut-on pas se baser sur elles pour soutenir qu'un système de protection sage, bien plus que le libre-échange, est favorable à l'élève, à l'engraissement du bétail et par conséquent à l'agriculture?
Ainsi, messieurs, l'honorable ministre des finances d'alors, dans son exposé des motifs de la loi du 24 février 1845, constata cette vérité, et le rapporteur de la section centrale reconnut, avec M. le ministre, que (page 678) l’éducation du bétail avait fait de rapides progrès en Belgique sous l'empire de la loi de 1835.
Dans cette discussion, on nous a souvent cité l'Angleterre. Permettez-moi, messieurs, d'y puiser à mon tour un argument à l'appui de mon opinion.
Au commencement de cette discussion un honorable collègue nous a dit : Nous ne possédons en Belgique que 900,000 têtes de bétail. En Angleterre il y en a 14 millions d'une valeur moyenne de 400 fr. par tête, ce qui représente une valeur de 5 milliards 600 millions de fr. Je demanderai à l'honorable M. Bruneau si cet accroissement immense du bétail en Angleterre a été obtenu sous le régime du libre-échange ? Il devra reconnaître avec moi que cet accroissement s'est opéré sous l'égide d'un tarif protecteur, et que les chiffres qu'il a cités sont un argument contre l'opinion qu'il défend, en faveur du système que nous lui opposons.
Mais, diront nos adversaires, les droits d'entrée sur le bétail auront pour résultat de diminuer le chiffre de nos exportations, car si le prix du bétail augmente en Belgique, nous ne pourrons plus soutenir la concurrence sur le marché étranger.
A cette objection, je répondrai par des chiffres. En 1844, 1845 et 1846, c'est-à-dire sous l'empire de la loi de 1835, rendue ensuite applicable à toutes nos frontières par celle de 1845, le chiffre de nos exportations s'élève à 46,850, c'est-à-dire en moyenne, à 15,617 têtes de bétail par an, et le chiffre de nos importations à 36,500 têtes, soit 12,167 par an en moyenne.
Durant ces trois années, les droits perçus rapportèrent au trésor la somme de 1.210,017 fr.
En 1847 et 1848 l'entrée étant libre, 50,548 têtes de bétail, 25,284 en moyenne furent importées dans le pays et cependant le chiffre de nos exportations ne dépassa, n'atteignit pas même le chiffre moyen des années antérieures, Il fut, en moyenne, de 15,381 têtes de bétail.
Je sais, messieurs, que la crise alimentaire peut avoir eu une certaine influence sur ces résultats, du moins pour l'année 1847. Mais, en 1848 la crise avait cessé et cependant le chiffre des exportations fut moins élevé cette année qu'en 1844. En 1848 il était de 16,359 têtes, de 17,546 en 1844; alors cependant des droits de douane, que nous voulons rétablir, étaient perçus à l'entrée du pays.
Un droit d'entrée sur le bétail étranger n'a donc pas annulé, ni même amoindri l'importance de notre commerce d'exportation. Ce droit doit-il avoir, a-t-il eu, une influence sensible sur le prix de la viande de boucherie?
Cette question fut soumise aux commissions spéciales réunies en 1844. Presque toutes reconnurent que la viande de boucherie avait été plus chère pendant la période de 1835 à 1843, que pendant celle de 1822 à 1829. Mais quatre commissions, celles des deux Flandres, du Limbourg et de Namur, déclarèrent que l'influence de la loi de 1835 avait été nulle sur l'augmentation du prix de la viande. Celle du Hainaut, que cette influence avait été insensible, la commission de Liège reconnut que la loi n'avait contribué que pour la plus petite part dans l'augmentation de ces prix; celle d'Anvers n'osa affirmer que ce renchérissement fût dû à la loi de 1835; enfin la commission du Brabant n'indiqua pas les causes de l'augmentation de prix que celle réunie à Arlon attribua à des circonstances locales
Voici, messieurs, comment s'exprimait la commission du Hainaut : il résulte du tableau des mercuriales tenu au gouvernement provincial, que le prix de la viande n'a pas suivi une progression ascendante plus rapide que celle de toutes les autres denrées; on y voit aussi que les années postérieures à l'introduction de la loi du 31 décembre 1835 ne se distinguent pas des années antérieures à cette loi par un renchérissement de la viande.
La commission de la province de Liège reconnaît que cette augmentation de prix n'avait fait que suivre la progression du renchérissement d'autres produits, non seulement en Belgique, mais encore à l'étranger; elle ajoutait, ainsi que plusieurs autres commissions, que la loi n'avait pu avoir qu'une influence imperceptible sur l'industrie ou plutôt sur le renchérissement de la main-d'œuvre.
Cette appréciation des effets de la loi de 1835 sur le prix de la viande, appréciation faite par des hommes compétents, me paraît entièrement fondée; d'ailleurs l'expérience ne nous en fournit-elle pas souvent la preuve ? Chaque année, à certaines époques, le prix du bétail sur pied, comme celui de toutes les autres denrées, est sujet à des fluctuations, quand le prix hausse ou baisse. Celui de la viande de boucherie subit-il une augmentation ou une diminution proportionnelle, le prix de la viande de boucherie a-t-il baissé depuis que le bétail est introduit libre de tout droit ?
C'est parce qu'il n'en est pas ainsi, messieurs, que presque toutes les administrations communales des villes du pays ont adopté, dans l'intérêt du consommateur, des mesures tendantes à obtenir ce résultat que le gouvernement lui-même paraît désireux d'atteindre.
Le prix de la viande de boucherie ne suit donc pas exactement celui du bétail sur |pied, quand sa valeur diminue ou augmente soit par suite de mesures douanières soit pour toute autre cause.
Messieurs, deux systèmes sont en présence quant à l'assiette des droits d'entrée sur le bétail ; le droit par tête, le droit au poids. Je n'hésite pas à me prononcer en faveur du dernier, car il me paraît le plus juste. De toutes les bases d'un droit d'importation quelconque, la plus équitable est sans contredit celle de la valeur de l'objet importé. Mais comme, dans la pratique, l'évaluation de cette valeur donne souvent lieu à la fraude, à des injustices, à des contestations interminables, le législateur doit autant que possible déterminer une autre base généralement appréciable qui varie en raison même de la valeur de l'objet imposé et qui indique autant que possible cette valeur.
Un autre motif me détermine encore à préférer le droit au poids au droit par tête.
D'honorables membres de cette chambre ont fait remarquer avec beaucoup de raison qu'il serait désirable qu'une distinction fût établie entre le bétail maigre et le bétail gras; je partage parfaitement cette opinion, mais je l'avoue, il n'est pas facile de trouver le moyen d'établir cette distinction sans donner lieu dans la pratique à de nombreuses difficultés, car souvent il sera impossible de déterminer d'une manière certaine dans laquelle des deux catégories doit être placé l'animal présenté à la douane.
Du reste, le rétablissement du droit au poids doit en partie du moins réaliser le but qu'on se propose d'atteindre, puisque le bétail maigre pèse moins que le bétail gras, et si la chambre veut bien admettre l'amendement déposé par M. Delehaye et par moi, le petit bétail maigre, que les cultivateurs recherchent, ne payerait à l'entrée du pays qu'un droit insignifiant.
On objectera, messieurs, que le poids moyen des bêtes grasses et maigres introduites en Belgique ne diffère que d'une quantité insignifiante, de 25 kil. par tête pour les bœufs, de 50 kil. par tête pour les vaches ; je ne puis admettre ces calculs; l'expérience prouve tous les jours qu'ils sont très contestables. Il résulte de renseignements qui m'ont été fournis par des hommes pratiques que le poids net d'un bœuf maigre de 300 kilogrammes s'élève en moyenne de 394 kilogrammes après 150 jours d'engraissage, et que le poids net de la vache maigre, qui pèse en moyenne 250 kil., s'élève à 320. Il y a donc là, pour les bœufs, une augmentation nette de 94 kil., pour les vaches de 70 kil., et quant au poids sur pied, une augmentation bien plus importante.
Il est juste, je pense, de tenir, lors de l'introduction du bétail gras qui vient de l'étranger, compte de cette augmentation de poids et de valeur, et par conséquent de ne pas admettre le droit par tête.
Je ne pense pas, messieurs, que la tarification au poids offre dans la pratique des inconvénients graves. Le système de jaugeage dont M. Quetelet est l'auteur est d'une simplicité extrême et à la portée de toutes les intelligences.
D'ailleurs, pendant douze années, le droit sur le bétail a été perçu au poids. Ce que notre douane a pu faire, elle le peut encore faire.
Le droit par tête ne me paraît pas équitable; en supposant que la différence du poids moyen du bétail gras et du bétail maigre soit peu importante, n'est-il pas juste d'atteindre autant que possible cette différence?
J'adopterai donc, avec la section centrale, pour base du droit d'entrée du bétail celle du poids. J'adopterai aussi le tarif qu'elle propose.
Le droit fixé par la |loi du 31 décembre 1835 est de 10 centimes par kilogramme.
Ce droit peut paraître élevé; mais je ferai remarquer que, par suite du traité avec la Hollande, ce droit est réduit à 7 1/2 pour les bœufs et à 5 centimes pour les génisses et que, sur 25,000 têtes de bétail introduites dans le pays durant l'année, 20,000 sont entrées par notre frontière du Nord.
Au début de cette discussion, un honorable collègue nous a dit : « Les droits fixés par la loi du 31 décembre 1835 représentent pour les bœufs, taureaux, bouvillons et génisses (c'est-à-dire pour le gros bétail), 20 p.c. de la valeur. »
Cette évaluation, messieurs, est exagérée; la note fournie à la section centrale par M. le ministre des finances le prouve, et cependant il serait facile de démontrer que la valeur y indiquée n'atteint pas la valeur réelle du bétail.
Je sais, messieurs, que les droits d'entrée du bétail maigre sont, proportionnellement à sa valeur, plus élevés que les droits perçus sur le bétail gras. C'est là je l'avoue un inconvénient que l'on ne pourrait faire cesser qu'en formant deux catégories. Cette classification rencontrerait, comme je l'ai déjà dit, dans la pratique de très graves difficultés.
Du reste, le système du droit par tête ne ferait pas cesser cette disproportion, car les droits s'élèveraient à 15 ou 20 fr. quelle que fût la valeur. Et l'on payerait donc le même droit pour une vache maigre d'une valeur de 180 francs et pour un bœuf gras dont le prix est de 360 francs.
Je ne pense donc pas, messieurs, que le tarif dont la section centrale propose le rétablissement accorde à l'agriculture une protection exagérée. Cette protection, en supposant même qu'elle fût telle que l'établit la note de M. le ministre des finances, serait en tous cas bien inférieure à celle accordée à grand nombre de nos industries nationales.
Je ne puis admettre non plus avec M. le ministre des finances qu'il y a lieu de taxer le bétail à un droit qui ne dépasse pas celui qu'on a établi pour le froment, c'est-à-dire à un droit qui représente aujourd'hui 3,8 p. c. de la valeur.
Le bétail mérite une protection plus large, plus efficace, car l'élève et l'engraissage du bétail sont les éléments les plus certains de toute prospérité, de tout progrès agricole.
On nous a demandé, messieurs, où serait le mal si les céréales nécessaires à la consommation du pays nous étaient gratuitement fournies par l'étranger?
Je demanderai à mon tour ; Notre agriculture nationale, la source (page 679) principale de nos richesses, ne serait-elle pas ruinée bientôt si la concurrence du bétail étranger, destiné à la consommation, forçait nos éleveurs à dépeupler leurs étables, et si le nombre de têtes de bétail, élevées et engraissées dans le pays, décroissait chaque année?
Je voterai donc contre le projet du gouvernement et pour les propositions de la section centrale, et je ne pourrai voter l'ensemble de la loi, si les droits à l'entrée du bétail ne sont établis sur une base juste et si le montant de ces droits ne constitue pour la première de nos industries agricoles une protection légitime et suffisante.
M. de Perceval. - Je viens appuyer par quelques considérations la proposition que nous fait la section centrale d'établir, pour le bétail, une tarification au poids et non par tête. L'industrie agricole, messieurs, est fortement intéressée à ce que les droits soient perçus de cette manière, et je vais tâcher de le prouver.
Le droit fixé par tête de bétail est injuste et illogique, car il frappe indistinctement, et pour ainsi dire aveuglément deux produits qui demandent à ne pas être confondus, le bétail gras et le bétail maigre. Au détriment des éleveurs du pays, il favorise l'importation du bétail gras, tandis qu'il devrait au contraire provoquer l'entrée du bétail maigre, ou tout au moins ne point peser de la même manière sur deux objets si dissemblables. Il est bien plus rationnel de varier le droit d'après l'importance et la valeur de la marchandise. Si ce n'est pas là un principe d'économie politique, c'est au moins une vérité indiquée par le simple bon sens.
J'accepterai donc le mode de tarification au poids, et je l'adopterai en vue surtout de favoriser l'agriculture et d'améliorer la position qui est faite de nos jours aux éleveurs de bestiaux, car il importe d'encourager le petit cultivateur à engraisser le bétail.
Au moyen d'une protection sage et modérée, nous donnerons une impulsion salutaire à l'élève du bétail, et, comme conséquence immédiate, à l'agriculture elle-même. Car, tout s'enchaîne dans cette branche importante de la richesse nationale.
Par l'élève du bétail, l'engrais devient plus abondant et il servira à rendre la terre plus fertile et les moissons plus fécondes. Par l'engraissage du bétail, encouragé dans une juste mesure, vous relèverez, messieurs, cette classe de petits fermiers dont il constituait jadis une importante ressource ; vous alimenterez aussi nos marchés de bonnes et saines viandes, et l'abondance amenant la concurrence, vous aurez la baisse des prix, et ainsi, une nourriture plus substantielle que le pain se trouvera également à la portée des classes ouvrières.
Soyez convaincus, messieurs, que la tarification au poids, si elle est introduite dans la loi en discussion, aura pour résultat d'augmenter considérablement le nombre des éleveurs de bestiaux.
La plupart de nos fermes en Belgique possèdent tous les éléments nécessaires pour s'adonner avec succès, et pour ainsi dire sans dépenser de grands capitaux, à ce genre d'industrie.
Mais jusqu'à ce jour, les étables sont restées à peu près désertes, le nombre de nos prairies n'a pas augmenté, les pâtures n'ont pas été soignées comme elles auraient pu l'être, et comme bien évidemment elles l'eussent été, si le campagnard, le fermier, l'éleveur de bétail se fussent trouvés sous l'empire d'une législation moins ruineuse pour leurs intérêts.
Depuis l'époque de la libre entrée, depuis encore la tarification du bétail étranger en Belgique avec le droit par tête et non au poids, le prix de la viande n'a pas baissé, et jusqu'à ce jour la viande constitue pour la classe ouvrière un luxe qui ne lui est pas accessible, et auquel, par conséquent, il ne peut en quelque sorte songer. Sur ce point, mon honorable collègue et ami M. A. Vandenpeereboom vous a cité des chiffres qui sont concluants. Et cependant cette tarification par tête devait avoir pour effet de favoriser l'importation du bétail gras.
Cette disposition législative, loin donc d'avoir été favorable pour le pays, lui a été fatale à un double titre; d'abord elle a tué une industrie, l'engraissage du bétail, sur une vaste échelle, chez nos cultivateurs; ensuite, elle a introduit sur nos marchés et pour la consommation intérieure, un bétail d'une qualité bien inférieure à celui qui sortait jadis des étables du pays.
En Hollande, en France, en Allemagne, l'élevage du bétail est une industrie des plus actives, des plus prospères. Elle y est protégée, encouragée; elle y met en circulation des capitaux considérables, elle y constitue en un mot une des plus belles ressources de la fortune publique. Ce qui se pratique en Hollande, en France et en Allemagne, ne pourrions-nous pas aussi l'exécuter en Belgique ?
Notre pays, pour une bonne moitié de ses provinces, est agricole; les Flandres, les provinces d'Anvers et du Limbourg possèdent de riches pâturages; efforçons-nous d'y implanter définitivement et d'une manière efficace une industrie que nos campagnards connaissent et apprécient; l'élevage du bétail deviendra bien vite une spéculation très lucrative, et loin d'être un mal nécessaire, il sera une source féconde d'une prospérité réelle.
Depuis 1830, le nombre des bestiaux a considérablement augmenté en Belgique. Par suite de notre séparation d'avec la Hollande, l'élève du bétail a suivi une marche ascendante très rapide. Que devons-nous en conclure? c'est que livrés à eux-mêmes, nos campagnards n'ayant plus à craindre aussi fortement depuis cette époque l'introduction du bétail hollandais, sont en mesure de s'adonner avec de nombreuses chances de succès à ce genre d'industrie, qui est si bien compris et si largement exploité par nos voisins du Nord.
En outre, la position de la Belgique est favorable à l'élève et à l'engraissage du bétail. Nous avons déjà des débouchés assez importants en France et en Allemagne ; nous pouvons rendre l'exportation chez nos voisins de l'Est et du Midi plus importante encore en adoptant une mesure propre à relever, à sauvegarder, à encourager cette industrie dans nos campagnes. Et de plus, pourquoi ne songerions-nous pas aussi au marché anglais, fermé et inaccessible pour nous jusqu'à ce jour, par notre faute? Jusqu'ici la Hollande en garde le monopole; mais en perfectionnant quelque peu l'engraissage du bétail, il nous serait possible de lutter avantageusement en Angleterre avec les éleveurs hollandais. Cela ne nous serait pas si difficile, et nous aurions de la sorte une grande exportation des plus productives pour nous.
La chambre, qui se préoccupe avec sollicitude des graves intérêts de l'agriculture, ne peut perdre de vue que l'élevage et l'engraissage du bétail sont des conditions indispensables pour qu'elle s'améliore et-prospère.
J'aime à croire qu'elle lui donnera l'encouragement, si pas la protection à laquelle elle me paraît avoir des droits que l'on ne saurait nier; qu'elle votera dans ce but le mode de tarification au poids proposé par la section centrale, avec le maintien des droits généraux établis par le tarif. Du reste, ces droits, ainsi que l'a fait observer mon honorable collège, M. Alphonse Vandenpeereboom, dans le remarquable discours qu'il vient de prononcer, sont réduits en fait de 25 p. c. et de 50 p. c, pour es deux catégories de bétail énumérées au rapport de l'honorable M. Rousselle par suite du traité de navigation et de commerce conclu avec les Pays-Bas.
Je voterai donc pour la tarification au poids établie par le tarif général; j'accepterai également et pour les mêmes motifs l'amendement proposé par nos honorables collègues MM. Delehaye et Alph. Vandenpeereboom, tendant à ne frapper que du droit de 4 centimes par kilogramme les veaux pesant plus de 30 et moins de 75 kilogrammes.
Qu'il me soit permis, messieurs, de dire, en terminant, que je regrette que le ministère ne se rallie point à ces deux mesures, non moins utiles à l'industrie agricole et à nos marchés intérieurs, qu'à notre consommation et à nos exportations.
M. Peers. - Messieurs, le gouvernement vous propose de percevoir les droits d'importation sur le bétail par tête. Je pense que ce mode de procéder est diamétralement opposé aux intérêts agricoles.
Fixer ce droit par tête dans le but d'abaisser le prix de la viande n'atteindrait aucun résultat; ce serait au contraire contribuer à lui donner un mouvement de hausse; vouloir le droit par tête parce que l'on pourrait prétendre encourager l'agriculture par ce mode de perception, c'est au contraire la conduire à sa ruine, et on la ruinerait complètement si nous n'étions liés par le traité du 29 juillet 1846 avec la Hollande. L'élève et l'engraissement du bétail étant à l'heure qu'il est la seule ancre de salut pour l'industrie agricole, vous voudriez, messieurs, détruire la branche la plus importance de la richesse de notre sol. Empêchez au contraire, par la perception au poids, l'introduction d'animaux gras qui viendraient faire une concurrence ruineuse à tous ceux qui s'occupent de l'engraissement, et par ce système vous satisferez à de légitimes exigences, vous faciliterez l'entrée d'un genre de bétail qui manque quelquefois à l'éleveur et vous lui permettrez, à l'aide de son industrie de lui assurer une valeur plus grandes acquise dans le pays lors de son abattage ou de son exportation.
On vous fait observer, messieurs, que la perception au poids présente des difficultés graves, qu'elle amène des conflits regrettables entre le déclarant et les employés , et qu'en second lieu elle entrave l'introduction de cette marchandise par certains bureaux; de connaissance certaine je puis vous affirmer que ce genre de perception n'a donné lieu à aucun conflit fâcheux; habitant non loin d'une frontière par laquelle il entre annuellement une certaine quantité de ces animaux, je n'ai jamais ouï dire que le système en vigueur eût donné lieu à des difficultés.
Ce n'est pas non plus sur les droits d'entrée que l'on peut faire rejeter le prix trop élevé de la viande; les années 1847 et 1848 l'ont bien prouvé; alors l'introduction du bétail n'était soumise à aucune entrave, et cependant a-t-on vu baisser le prix de la viande? Tout le monde répondra avec moi : Non.
Cette cherté ne peut non plus être attribuée à l'inhabileté de l'agriculture belge, car le producteur vend à raison de 70 centimes par kilog. et le consommateur achète à raison de fr. 1-26 ; mais, bien à une foule de circonstances qui tendent à augmenter considérablement le prix avant que l'animal soit abattu.
Ainsi, l'octroi à l’entrée des villes généralement perçu par tête, l'usure, l'agiotage qu'exercent scandaleusement les revendeurs, et le beau bénéfice que réalisent les bouchers peuvent être évalués à 25 p. c. Que l'on prenne donc des mesures efficaces pour détruire tous ces abus, et l'on parviendra bientôt à faire manger à la classe des travailleurs de la viande dont le prix ne dépassera pas 60 centimes par kilogramme.
Je ne puis me ralliera la proposition du gouvernement qui veut la perception par tête, et je donnerai mon adhésion au projet de la section centrale.
M. Lelièvre. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant l'interprétation des articles 1322 et 1328 du Code civil.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La chambre le met à l'ordre du jour, à la suite des objets qui y sont déjà.
La séance est levée à 4 heures 1/2.