(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 559) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
M. Coomans. - Messieurs, les Annales parlementaires sont en quelque sorte le développement du procès-verbal, et je crois pouvoir à ce propos demander la parole pour obtenir une rectification. On me fait dire qu'une bonne récolte, que deux bonnes récoltes ont de fâcheux effets. C'est évidemment une erreur involontaire de la part de ceux qui m'ont attribué ces mots. Si le Moniteur s'était borné à mettre dans ma bouche un faux argument et même une simple niaiserie, je ne demanderais pas la parole, et surtout je ne me permettrais pas d'interrompre la discussion : j'attendrais mon tour de parole. Mais quand une erreur prête à des insinuations odieuses que je dois repousser de toutes mes forces et quand les paroles qu'on m'attribue seraient pour ainsi dire la sanction de l'étrange argumentation qu'on a développée contre nous, je dois protester, et c'est ce que je fais.
Non, je ne crois pas qu'une bonne récolte soit une mauvaise chose, qu'elle ait de fâcheux effets. Lorsque j'ai eu le tort hier d'interrompre M. le ministre de l'intérieur, j'ai dit : « Une récolte abondante est une bonne chose. » M. le ministre de l'intérieur a ajouté : « Et deux bonnes récoltes? » J'ai répliqué à haute voix : « Deux bonnes récoltes sont deux bonnes choses. » J'insiste pour obtenir à ce sujet un erratum solennel, parce que je ne veux pas accréditer l'argumentation de l'honorable ministre de l'intérieur.
- Des membres. - C'est la discussion.
M. Coomans. - L'erreur contre laquelle je proteste est tellement grave que je demande encore deux minutes d'attention à la chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je reviendrai moi-même sur ce point.
M. le président. - Il s'agit du procès-verbal. Le procès-verbal est-il exact ou non? Voilà la question. Le bureau n'est pas responsable des Annales.
Approuvons d'abord le procès-verbal ; l'honorable M. Coomans fera ensuite ses observations, et il sera dans son droit.
Je demanderai donc à l'honorable membre s'il a des observations à présenter sur le procès-verbal.
M. Coomans. - Pas le moins du monde, M. le président. Si j'ai pris la liberté de faire ces remarques, c'est qu'il me semblait que les antécédents de la chambre m'y autorisaient ; que lorsqu'on avait à faire une rectification aux Annales parlementaires, c'était toujours à l'occasion du procès-verbal.
M. le président. - Si personne ne demande la parole sur le procès-verbal, s'il n'y a pas d'observations, je le déclare adopté.
M. Coomans demande, par motion d'ordre, une rectification aux Annales parlementaires. Cette rectification aura lieu par le fait même de l'insertion du compte rendu de cette partie de la séance.
M. Lesoinne. - Messieurs, j'aurai aussi une rectification à demander, c'est une rectification de chiffres : J'ai dit hier vers la fin de mon discours que, en 1845, le prix de 20 fr., comme prix rémunérateur, ne suffisait plus et qu'on avait proposé de le porter à 24 fr.; on a mis dans les Annales parlementaires 21 fr. au lieu de 24. Je demande que cette faute d'impression soit rectifiée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les pharmaciens de l'arrondissement de Verviers présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire qui autorise les médecins et les maréchaux vétérinaires à fournir des médicaments pour les animaux qu'ils seront appelés à traiter. »
M. Rodenbach. - Je demande le renvoi à la section centrale qui est déjà nommée et va se réunir pour examiner ce projet de loi.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs cultivateurs, membres du comice agricole et conseils communaux du canton de Bilsen, prient la chambre d'accorder à l'agriculture une protection égale à celle dont jouissent toutes les autres industries ou bien de proclamer la liberté illimitée du commerce.»
« Même demande de plusieurs habitants de Norderwyck. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.
« Plusieurs cultivateurs de Blaesvelt demandent une augmentation de droits d'entrée sur les céréales.»
« Même demande du marquis d'Auxy, de plusieurs cultivateurs de Sempst et du sieur Desadeler, qui prient la chambre d'élever aussi les droits d'entrée sur le bétail. »
- Même dépôt.
« Le conseil communal de Saint-Trond prie la chambre d'adopter le projet de loi de la section centrale sur les denrées alimentaires. »
- Même dépôt.
« Plusieurs habitants de Couvin demandent le maintien de la législation actuelle sur les céréales. »
- Même dépôt.
Il est fait hommage à la chambre, par M. H. Le Docte, de 115 exemplaires d'une brochure intitulée : «Les concours de l'Académie de Bruxelles. »
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je commencerai par répondre aussi brièvement que possible aux observations de l'honorable membre qui a demandé une rectification au procès-verbal ou du moins aux Annales parlementaires. Pour moi, je n'ai rien à rectifier de mes assertions et de mon argumentation. Le thème que je soutenais est celui-ci : que l'abondance des récoltes amenant le bas prix des denrées alimentaires, ceux qui considèrent le bas prix des denrées alimentaires comme un mal pour l'agriculture ne peuvent pas voir avec satisfaction l'abondance des récoltes qui amène ce bas prix.
Voilà, messieurs, le thème que j'ai soutenu; on pourra le combattre, je n'ai fait d'allusion personnelle à qui que ce soit; je suis convaincu que sur tous les bancs de cette chambre on est animé des mêmes sentiments de philanthropie et que personnelle songe à spéculer sur la misère et sur la faim.
Mais en principe, j'attends toujours qu'on puisse accommoder d'une manière quelque peu satisfaisante avec le sens commun cette opinion que l'abondance des récoltes n'est pas un obstacle à une élévation de prix.
M. Coomans. -Je m'en charge !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le bas prix dont on se plaint, et dont nous ne nous plaignons pas, ne provient pas de l'importation des céréales étrangères, attendu qu'il n'en entre pas, et que s'il en entre, il en sort en beaucoup plus grande quantité. Donc où est la cause de la baisse des prix des grains? Dans la concurrence que les céréales belges font aux céréales belges sur le marché belge; elle n'est pas ailleurs, il ne faut pas en accuser le tarif, le gouvernement; il faut pas en s'en prendre à des causes entièrement étrangères à l'état de choses dont vous vous plaignez. Il faut s'en prendre à l'abondance de nos récoltes. Voilà la seule cause de l'abaissement des prix.
Vous reconnaissez si bien vous-mêmes que des droits à l'entrée des céréales étrangères seraient aujourd'hui impuissants pour relever les prix, que, tout en faisant une proposition tendant à augmenter le tarif, vous confessez à l'avance que les avantages que vous attendez d'une augmentation de droits seront insignifiants au point de vue de l'agriculture. Voilà votre déclaration.
Vous vous retranchez derrière un autre intérêt, derrière l'intérêt du trésor. Vous dites que l'augmentation de droit sera inefficace dans l'intérêt de l'agriculture. C'est pour le trésor seul que vous voulez augmenter les droits. Voilà votre théorie nouvelle. Nous aussi nous avons soutenu que le droit sur les céréales étrangères, au point de vue de l'agriculture, serait inefficace, au moins dans les circonstances actuelles. Mais je ne puis accorder d'une manière absolue ce principe que les droits seraient toujours inefficaces. Les droits sont efficaces; quand? Précisément à une époque où ils ne devraient pas l'être, où il faudrait les supprimer, où l'on est en quelque sorte obligé de les supprimer. Un droit de douane, quand l'hectolitre est à 14 ou 15 francs, ne peut (page 560) produire d'influence très marquée; mais lorsque le prix des grains commence à dépasser 20 fr., le droit aggrave le prix d'une manière très sensible. Ceci est tellement reconnu par tout le monde que nos protectionnistes les plus renforcés ont accordé eux-mêmes la libre entrée des céréales, lorsqu'elles sont arrivées au prix de 20 fr.
Pour nous, nous ne voulons pas d'un droit qui ne commence à agir que lorsqu'il exerce une influence marquée sur le prix des denrées alimentaires.
Notre théorie absolue, à nous, est la vie à bon marché pour les populations. Qu'on traite ce système de théorie vaine, d'utopie ; qu'on le qualifie comme on voudra, nous croyons que c'est un devoir pour le gouvernement d'assurer, par toutes les manières, la vie à bon marché au pays.
Les droits élevés sont encore efficaces sous un autre rapport, et c'est surtout pour cela, je pense, qu'un certain nombre d'intéressés les réclament. Nous ne nions pas l'influence des droits élevés sur le prix des baux. On conçoit très bien que le propriétaire, lorsqu'il traite avec le fermier lui dise : Vous jouissez d'une protection de trois francs, à l'hectolitre. Eh bien! je vais augmenter mon bail non pas tout à fait dans la même proportion; mais nous partagerons le bénéfice de cette protection. On conçoit très bien que sous ce rapport les droits élevés exercent encore une influence; mais de cette influence-là, nous n'en voulons pas plus que de l'autre.
Nous croyons que le propriétaire doit, comme tous les capitalistes, recevoir l'intérêt légitime de ses capitaux. Mais nous ne pensons pas qu'il faille hausser d'une manière factice la valeur de ces capitaux; et sous ce rapport, si on a pu nier l'efficacité de l'échelle mobile quant aux prix des céréales dans le pays, il est constant que le prix des baux a subi une augmentation très marquée depuis 1834.
Voici, messieurs, le relevé, non pas des locations faites en adjudication publique, mais le relevé des baux en général opéré dans chaque commune, par les hommes les plus éclairés, les plus compétents :
En 1830, le prix moyen des baux est fixé à fr. 52 77; en 1835 à fr. 57 23; en 1840 à fr. 64 34; en 1846 à fr. 67 80.
Voilà, messieurs, des résultats obtenus par l'enquête agricole qui a été faite sous forme de statistique.
Je me borne à constater ces résultats ; ils sont en concordance avec la législation des céréales, telle qu'on l'a établie postérieurement à 1833.
Quand nous repoussons une aggravation de tarif sur les céréales, quand nous la refusons pour le fisc, nous ne sommes pas absolus à cet égard, puisque nous avons accepté un droit modéré. Nous considérons le droit de 50 c. aux 100 kilog., de 58 c. avec les additionnels, comme un droit modéré au point de vue fiscal et qui peut rapporter des sommes assez considérables.
Messieurs, un des avantages de ce droit modéré au point de vue fiscal est celui-ci: C'est que le commerçant n'ayant que 50 c. à payer par 100 kilog., ne prend pas attention à ce droit et verse les céréales étrangères dans la consommation, au lieu de les mettre en entrepôt; la différence de 50 c. n'est pas assez considérable pour qu'il trouve un avantage à entreposer. Il peut donc arriver qu'une assez grande quantité de grains versés ainsi dans la consommation soit destinée à l'exportation. C'est, messieurs, ce qu'on nous a dit hier : les quantités qui sortent de la Belgique ne sont pas tous grains belges, ce sont des grains étrangers qui sont entrés dans le pays et qui en sont ensuite exportés. Il n'en serait plus de même si vous éleviez les droits, parce qu'alors le commerçant trouverait un intérêt à entreposer ses grains.
Mais un droit plus élevé, au point de vue fiscal, nous n'en voudrions pas, parce que, selon nous, notre système d'impôts ne doit pas reposer sur cette base, nos contributions ne doivent pas tomber sur ce qui fait la nourriture du peuple.
M. Coomans. - Le sel.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On nous dit : « Le sel, » parce que nous avons un droit sur le sel, il faut en établir un sur le pain; quel raisonnement! Mais parce que nous avons déjà malheureusement un droit sur le sel dont nous avons besoin, n'est-ce pas un devoir de n'en pas établir sur les autres denrées alimentaires dont nous avons plus besoin encore?
Messieurs, on a beaucoup parlé et on parle encore du prix rémunérateur du travail agricole.
Eh bien, nous ne demanderions pas mieux, nous le répétons, que d'obtenir par une loi quelconque, par un procédé quelconque, le prix rémunérateur du travail pour tout le monde; mais il n'est pas possible d'assurer aux producteurs, d'une manière permanente, ce prix rémunérateur, pas plus au propriétaire qu'au fermier, pas plus à l'agriculteur qu'au simple ouvrier. Nous ne pouvons pas garantir à l'ouvrier le salaire rémunérateur de son travail. Mais ce que nous pouvons faire, ce qu'il nous est commandé de faire, c'est de ne pas aggraver la situation de l'ouvrier en augmentant d'une manière factice le prix des choses nécessaires à sa vie. Voilà ce que nous sommes maîtres de faire et ce que nous devons faire. Nous pouvons atteindre ce but d'une manière beaucoup plus certaine que cet autre résultat que vous poursuivez sans pouvoir l'atteindre, d'assurer de par la loi le prix rémunérateur du travail.
Je voudrais, messieurs, que mes paroles puissent contribuer à réconcilier, en quelque sorte, certaines catégories d'habitants des campagnes avec le régime libéral, en matière de denrées alimentaires. Je voudrais parvenir à mettre d'accord l'agriculture avec le commerce, à démontrer que, loin de nuire aux intérêts agricoles, le commerce leur vient presque toujours utilement en aide. Un pays agricole sans commerce est, je le pense, généralement un pays peu prospère. Si nous n'avions pas de commerce dans le pays, le prix de nos céréales tomberait beaucoup plus bas.
Lorsque la Belgique n'avait pas de commerce, le prix des céréales était à un taux beaucoup moins élevé, ce qui n'empêchait pas, ainsi que je l'ai fait observer hier, ce qui n'empêchait pas les gouvernements d'alors de prohiber par tous les moyens, non seulement l'exportation à l'étranger, mais encore la circulation à l'intérieur, parce qu'on était préoccupé avant tout du désir d'assurer sur place la vie des habitants.
Le commerce, messieurs, soutient l'industrie, l'industrie soutient l'agriculture. Quels sont les débouchés des produits agricoles? Ce sont nos grands centres industriels. Supprimez nos grands centres industriels, les produits agricoles se vendront à des prix beaucoup moins élevés.
Je sais qu'il y a un obstacle contre lequel on réclame avec certaine raison : ces grands centres industriels repoussent jusqu'à certain point les produits agricoles par leurs octrois. Si l'on pouvait obtenir une reforme sous ce rapport, je considérerais une pareille réforme comme très utile à l'agriculture; mais il faut aussi des ressources aux grandes villes pour vivre, et jusqu'à ce qu'on ait trouvé la réforme des impôts communaux, il est à craindre qu'on ne parvienne que difficilement à supprimer les octrois.
Quant à moi, mes vœux sont pour l'adoucissement graduel des tarifs des villes contre les produits de la campagne.
Messieurs, le commerce ne tend pas, par ses opérations, à avilir le prix des céréales ; au contraire, il tend à les soutenir.
Prenez pour terme de comparaison les mercuriales du marché d'Anvers avec celles du marché d'Arlon; il y a toujours une différence en plus pour les prix du marché d'Anvers. Donc, l'intervention du commerce dans les céréales ne tend pas à avilir leur prix.
Le commerce agit sur le prix des céréales non seulement par ses acquisitions à l'intérieur, mais encore et surtout par ses exportations.
Et ici j'appellerai l'attention de la chambre sur les faits remarquables qui se passent dans notre pays, notamment depuis la grande réforme anglaise. Nos exportations agricoles prennent un développement qui devient d'année en année plus considérable. Si, par malheur, le système restrictif et prohibitif qu'on préconise dans cette enceinte, venait à renaître en Angleterre, si les arguments qu'on fait valoir ici, en faveur du système restrictif, pouvaient passer la Manche et obtenir en Angleterre un triomphe que, je l'espère, ils n'obtiendront pas en Belgique, si on allait ramener en Angleterre le système restrictif et prohibitif dont aucun ministre anglais ne veut plus, il y aurait là une cause de perturbation pour notre agriculture, il y aurait là pour nous une source de souffrances... Vous faites un signe négatif, M. Coomans, consultez les faits et ils vous instruiront beaucoup.
Messieurs, qu'est-ce qui contribue à soutenir dans le pays les prix de nos céréales au taux où nous les voyons encore aujourd'hui? Ce sont, en grande partie, nos exportations. Si nous n'avions pas d'exportations, si les grains exportés par le commerce restaient dans le pays et ajoutaient à l'encombrement, nécessairement le prix en baisserait. Comme le marché anglais leur offre des prix supérieurs, ils s'y rendent et le marché anglais exerce ainsi une influence sur le marché belge.
Ce fait de l'influence de l'exportation sur le prix des denrées alimentaires n'est pas niable. Je vais, messieurs, vous lire quelques extraits des réclamations qui, à une autre époque, nous sont parvenues de divers côtés à cette occasion. On disait que l'exportation vers les pays étrangers tendait à accroître démesurément le prix des denrées alimentaires, et l'on demandait au gouvernement de faire usage de la faculté d'interdire l'exportation. Eh bien, nous sommes restés justes et fermes en cette circonstance; passant peut-être avec quelque imprudence sur les réclamations , sur les menaces mêmes, nous avons déclaré que l'agriculture avait droit à la liberté des transactions comme toutes les autres industries, et nous avons maintenu la liberté d'exportation; une circulaire publiée au Moniteur (circulaire au gouverneurs du 30 avril 1848) en fait foi. Pour notre instruction, rappelons de quelle manière étaient envisagées alors les exportations. Voici une pétition de Courtray.
« L'accaparement des grains, y est-il dit, destinés à l'exportation en masse, nous fait présager une hausse de prix inévitable.
Pétition de Roulers «Une forte demande s'est fait sentir pour les grains, et des achats considérables pour compte anglais ont produit une hausse d'un tiers dans l'espace de huit jours.»
(page 561) Chambre de commerce du Bruges : «Nous voyons faire des achats immenses de froments pour compte de l'Angleterre.
« Partout les marchés sont à la hausse, des ordres sont même donnés pour faire dans le pays de Furnes des achats à tout prix. »
Chambre de commerce d'Ypres : « Une exportation déjà considérable de grains pour l'Angleterre et la France, a fait éprouver à nos marchés une hausse considérable.»
Administration de Tournay: «Depuis quelque temps, il se fait dans nos environs un commerce très actif en céréales, et ce commerce a pour but l'exportation. Nos fermiers sont journalièrement visités par des facteurs en grains. Plusieurs bateaux stationnent en chargement sur l'Escaut. Le chemin de fer en transporte chaque jour d'abondantes quantités. »
A cette époque, on n'entendait pas, de la part des producteurs des céréales, des récriminations contre le commerce.
A cette époque, on percevait tranquillement, silencieusement, 30 à 35 francs par hectolitre; personne ne réclamait de loi pour faire cesser ce prix exorbitant des céréales.
Nous savons quels ont été les effets de cette rareté des denrées alimentaires sur notre population. Nous savons que si la rareté des denrées alimentaires engendre les hauts prix, elle concorde, d'autre part, avec une forte décroissance dans la population; que le manquant dans les denrées alimentaires est suivi d'un manquant dans la population ; que quand, par des mesures restrictives, prohibitives, on tend à réduire les quantités de denrées alimentaires, sans le vouloir, malgré soi, fatalement, on tend à réduire la population. C'est le système de Malthus révisé. Malthus prévenait l'excès de population en restreignant les mariages ; en restreignant les denrées alimentaires, on supprimerait le trop plein des populations, mais ce serait un système beaucoup moins humain que celui de Malthus.
Je le répète, je n'entends faire allusion à aucun membre dans cette enceinte. On a reproché au système que nous défendons d'être la cause de la détresse des campagnes; je montre qu'on peut faire des reproches plus graves au système que défendent nos adversaires ; nous sommes convaincus que sur tous les bancs, il n'y a qu'un même sentiment en faveur des populations pauvres. Si nous nous trompons, nous ne demandons pas mieux que d'être éclairés; ce sont des questions qui depuis longtemps divisent le monde, qui partagent les meilleurs esprits; mais notre opinion fait de grands progrès, c'est ce qui nous encourage à y persister.
Messieurs, j'ai parlé de l'importance des exportations de nos produits agricoles, permettez-moi de citer quelques chiffres intéressants.
De 1843 à 1847 inclus, nous avons exporté, en moyenne, pour une somme de 29 millions 625,000 fr.; en 1848 nous avons exporté pour une somme de 39 millions 345,000 fr.; j'évalue nos exportations en 1849 à une somme de 50 millions; à peu près le tiers des exportations générales de tous les produits du pays.
Veut-on des détails? Nous avons exporté en 1848, bestiaux, pour 5 millions 289 mille francs; beurre, pour 1 million 945 mille francs; fromage, 356 mille francs; grains, 9 millions 390 mille francs; légumes, 51 mille francs; œufs, 323 mille francs. Les pommes de terre, qui comptent aussi pour quelque chose dans la production agricole, bien qu'elles ne soient favorisées par aucun droit protecteur, on en a exporté pour 2 millions 155 mille francs. Viandes de toute espèce, gibier, volaille, 708 mille francs ; abeilles, 148 mille francs; chevaux et poulains 2,780,000 fr.; écorces, 1 million cinquante mille francs; houblons, 352,000 fr. ; lin 10 millions 487 mille fr. ; il est certains partisans de l'agriculture qui ont longtemps demandé la prohibition des lins à la sortie; mais, je pense, que c'est là une des branches de l'école protectionniste qui tombe. Nous avons toujours combattu cette prétention de l'école protectionniste; un très grand nombre de ceux qui se posaient en protecteurs de l'agriculture étaient partisans de la prohibition du lin à la sortie.
- Un membre. - C'étaient des industriels.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous étiez du nombre (Interruption.)
Je ne pense rien dire d'offensant pour personne en rappelant que longtemps on a réclamé dans cette enceinte la prohibition du lin à la sortie, et que parmi ceux qui la réclamaient figuraient les protecteurs de l'agriculture. Ceci est un fait acquis à notre histoire parlementaire.
M. Van Grootven. - C'étaient des protecteurs maladroits.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si nous comparons les denrées alimentaires exportées en 1848 avec celles exportées en 1848, nous avons à constater de nouveaux progrès.
M. le ministre donne lecture de quelques articles empruntés au tableau comparatif entre les exportations de 1848 et de 1849. Il annonce que pour ne pas fatiguer l'attention de la chambre par des chiffres, il fera publier ce tableau dans les Annales parlementaires.
Il continue en ces termes:
J'espère que nos agriculteurs trouveront dans ces documents d'utiles enseignements pour l'avenir. Plus ils produiront , plus ils varieront, plus ils perfectionneront leurs produits, plus ils seront assurés de les vendre avantageusement, plus ils seront assurés de faire concurrence dans le pays même et à l'étranger aux produits similaires dont on redoute tant l'importation dans notre pays.
Pour cela, les campagnes ont encore beaucoup de progrès à faire. Pour cela, les mesures administratives ou législatives sont utiles, nécessaires et peuvent être vraiment protectrices.
Longtemps, trop longtemps on a fait croire aux campagnes qu'il n'y avait de salut pour elles que dans l'échelle mobile; que du jour où les grains étrangers cesseraient d'entrer dans le pays, les campagnes seraient florissantes et prospères; que les cultivateurs n'auraient qu'à laisser faire, à se croiser les bras, à se reposer sur les effets de l'échelle mobile.
Voilà ce qui a trompé, ce qui pourrait tromper encore.
Il faut faire comprendre aux campagnes que leur protection véritable n'est pas dans les tarifs, mais dans leurs propres efforts, secondés par l'administration, pour perfectionner et varier leurs produits. C'est à cette protection seule qu'il faut penser.
Sous ce rapport, si le gouvernement et les chambres ont eu des mesures efficaces à prendre, des devoirs à remplir, il est permis de dire que le gouvernement et les chambres ont pris ces mesures, ont rempli ces devoirs.
Cette partie du programme ministériel a été exécuté. En annonçant franchement que nous ne reviendrions pas à l'échelle mobile, que nous ne rétablirions pas des droits élevés, nous avons dit que l'agriculture avait droit à une protection efficace, et qu'elle aurait cette protection.
Sous ce rapport, des efforts nombreux ont été faits par le gouvernement pour accorder à l'agriculture cette protection efficace.
Rappelons d'abord que l'agriculture qu'on présente comme succombant sous le poids des impôts, n'a pas subi d'aggravation d'impôt depuis 1830; que plusieurs impôts qui tombaient précédemment sur la propriété foncière, sur les produits de l'agriculture, ont même été supprimés, tandis qu'ils ont été et sont encore maintenus dans un pays voisin.
Nous avons supprimé, en 1830, la loi de mouture, ce n'était pas pour la rétablir sous la forme de droit protecteur; nous avons supprimé le droit d'abattage ; nous avons réduit les droits qui pesaient sur les distilleries, les droits qui pesaient sur les brasseries.
On a dégrevé complètement l'agriculture des droits de barrières dont le produit pourrait être très considérable. C'est là un grand encouragement donné à l'agriculture. Assurez les transports faciles, à bon compte, aux produits agricoles et vous relèverez les prix là où ils sont fatalement avilis; vous tendrez à niveler les prix des divers marchés aujourd'hui si différents.
Tandis, messieurs, que l'on allégeait certaines charges de l'agriculture, on augmentait certaines dépenses en sa faveur. Comparons les époques ; l'époque actuelle et celle où l'on croyait que la protection était complète pour l'agriculture au moyen de l'échelle mobile, 1849 et 1834.
En 1835, que voyons-nous figurer au budget pour la voirie vicinale, cette première condition de tout progrès agricole? Pas un centime. Aujourd'hui une allocation de 300,000 fr. figure annuellement au budget pour l'agriculture. On ne s'est pas borné à cette somme de 300,000 fr. ; par suite de crédits spéciaux, une somme d'environ 1,200,000 fr. a été affectée aux travaux de la voirie vicinale, et vous savez si nos campagnes s'en montrent reconnaissantes. De toutes parts encore on réclame des subsides on faveur de la voirie vicinale et ces subsides nous les dispensons de la manière la plus libérale que nous pouvons.
Pour l'enseignement primaire qui intéresse particulièrement les campagnes, au budget de 1835, nous voyons figurer une somme de 242,000 francs. Au budget de 1848 figure une somme de 865,000 fr. Or, les campagnes participent bien autrement que les villes à cette allocation destinée à l’enseignement primaire.
Les subsides accordés pour encouragement à l'agriculture étaient en 1835 de 350,200 fr. ils sont, au budget de 1849, de 615,000 fr.
Au budget de 1848 figure une sommes de 128,000 fr. destinée à l'école vétérinaire qui n'existait pas en 1835.
J’en viens maintenant aux mesures directes qui ont été prises par le gouvernement, afin de pousser l'agriculture dans la voie de tous les progrès réalisables.
Commençons par le défrichement.
Depuis la loi de 1847, que nous devons à l’honorable M. de Theux, les terrains défrichés par les communes, présentent une étendue de 8n458 hectares; les terrains irrigués 1,822 hectares; les terrains reboisés 2,312 hectares.
Il y a de plus un reboisement de 3,000 hectares décrété en principe.
On a défriché depuis 1847, 1,475 hectares de bois.
(page 562) Des comités de reboisement ont été établis, dans les provinces d'Anvers, de Limbourg, de Liège, de Namur. Un service spécial a été créé dans la province de Luxembourg.
Dos pépinières ont été créées dans diverses communes; et pour donner, en passant, la preuve que ces mesures ne sont pas restées à l'état de pure théorie, permettez-moi, de vous dire, je suis un peu long, je crains de fatiguer la chambre, mais je crois que ces détails présentent de l'intérêt; permettez-moi de vous dire comment une commune du Luxembourg rend compte, dans une délibération, des premiers effets produits par une pépinière qu'elle a établie. Il s'agit de la pépinière communale de Heinsch.
«Considérant qu'il existe dans les bois appartenant à la commune des vagues considérables que le conseil communal est d'intention de reboiser, de même que les cotes, coteaux, buttes, non susceptibles d'être livrés à l’agriculture ;
« Considérant que, pour arriver le plus promptement à ce but, l'administration communale a établi une sapinière qui donne les plus belles espérances ;
« Considérant que le semis de cette année, provenant de la graine fournie par le gouvernement, produit plusieurs millions de jeunes plants de la plus belle venue, dont le repiquage a été commencé au mois d'octobre dernier, pour être continué au printemps et à l'automne de l'année prochaine ;
« Considérant que les nombreux amateurs de sylviculture, qui ont bien voulu visiter nos pépinières, ont été émerveillés du résultat de nos essais, etc. »
Nous avons tenu, messieurs, à constater ces premiers résultats de nos essais de pépinières.
Quant aux irrigations, des études spéciales ont été faites dans le Luxembourg et dans la Campine. Le résultat vous en sera communiqué ultérieurement.
En Angleterre, il est aujourd'hui une sorte d'institution qui fait en quelque sorte fureur parmi les populations agricoles et surtout parmi les propriétaires : c'est le drainage. Nous avons envoyé un ingénieur spécial en Angleterre pour étudier le système du drainage. Il y a passé plusieurs mois. Nous avons fait venir d'Angleterre les machines nécessaires pour construire dans le pays même les tuyaux destinés au drainage.
M. de Bocarmé. - C'est une mesure excellente.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je remercie l'honorable M. de Bocarmé; il est très compétent pour l'apprécier.
Nous avons fait venir plusieurs machines destinées à fabriquer les tuyaux pour le drainage; nous les avons établies sur divers points du pays, elles commencent à fonctionner utilement et je ne doute pas des bons résultats que nous obtiendrons par cette intervention du gouvernement.
Nous avons essayé la colonisation de nos contrées incultes sur deux points. Nous l'avons fait avec prudence, avec modération. Nous ne voulons pas entraîner le pays dans des dépenses considérables. Nous avons entrepris ces essais de colonisation sur un point de la Flandre et sur un point de la Campine.
Une protection très efficace accordée à l'agriculture, c'est, messieurs, la propagation des engrais à prix réduit. Ici encore le gouvernement est intervenu d'une manière très utile, notamment dans la province de Luxembourg. En 1849, 136,000 hectolitres de chaux ont été distribués dans le Luxembourg. Au moyen de cette quantité on a pu chauler 600 hectares en culture et 780 hectares de terres à défricher. En 1850, nous arriverons à chauler 2,800 hectares, et je me plais à ajouter que nous le ferons sans accroissement de dépenses pour l'Etat, au moyen de réductions sur les prix antérieurs. Les campagnards commencent à comprendre toute l'importance des dépôts de chaux; on n'a plus besoin de les encourager par l'appât d'un bénéfice considérable; le gouvernement a pu, par conséquent, réduire le montant de la prime et en même temps augmenter les quantités distribuées.
Nous avons étendu les bienfaits de la propagation des engrais, aux localités voisines du Luxembourg, qui se trouvent dans les mêmes conditions; je veux parler de la province de Namur. Tout récemment le gouvernement a appliqué la même mesure aux Flandres, par l'introduction du plâtre, engrais reconnu excellent pour certains produits et dans certaines localités des Flandres: d'ici à peu de temps les agriculteurs flamands pourront venir chercher à Bruges et à Gand le plâtre destiné à améliorer leurs terres. Cette mesure a encore été introduite avec prudence et modération, de manière à ne pas trop grever le trésor.
Nous ne nous bornons pas, messieurs, à propager les engrais et à en faciliter le transport par les routes pavées ; mon collègue des travaux publics et moi, nous nous occupons de dégrever le transport des engrais par les canaux et les rivières. C'est une déclaration dont on peut prendre acte.
Rappellerai-je, messieurs, les mesures prises pour l'amélioration des différents espèces d'animaux. Je ne parle pas du haras et des diverses stations établies dans le pays. M. le ministre de la guerre vous a fait connaître quels résultats avantageux ont été recueillis de cette institution.
Nous avons établi des stations pour l'espèce bovine, nous avons été jusqu'à établir des stations pour l'espèce porcine.
Nous n'avons pas voulu, messieurs, dédaigner cet humble bétail, véritable richesse du pauvre ouvrier des campagnes et qui, par l'énorme quantité que nous en livrons à l'étranger, devient en outre une grande source de revenus pour le pays.
Nous avons donc cherché à améliorer l'espèce porcine et nous avons aujourd'hui 33 stations de porcs, qui fonctionnent dans le pays.
Non seulement nous cherchons à améliorer les espèces, mais nous cherchons aussi à propager les produits nouveaux, les végétaux nouveaux par la distribution de graines. Messieurs, tous ces détails sont peut-être un peu minutieux, mais je les crois nécessaires et je pense être parfaitement dans la question, puisque nous soutenons cette thèse que c'est par d'autres moyens que par des droits élevés que nous devons, gouvernement et chambres, venir en aide à l'agriculture.
Il est, messieurs, une culture nouvelle qui me semble avoir un grand et bel avenir, c'est la culture du mûrier liée à l'industrie de la soie. Il y a là des millions pour le pays (Interruption.) Il y a des millions, je vous en donne l'assurance. Voyez, messieurs, pour quelle somme énorme figure la soierie étrangère dans nos importations; le développement que commence à prendre chez nous l'industrie de la soierie est très notable. Rien de mieux pour un pays que cette alliance de l'industrie agricole avec l'industrie manufacturière proprement dite.
Eh bien, messieurs, nous avons distribué en 1848, 48 mille plants de mûriers. Pour 1849 il nous en est déjà demandé 160 mille. Je ne donne pas cela comme un immense résultat, mais je dis que c'est le commencement d'une industrie agricole nouvelle et d'une industrie manufacturière nouvelle, qui peuvent rapporter les plus grands avantages au pays.
Un point des plus importants, messieurs, pour nos populations agricoles, un point qui longtemps a été négligé, c'est l'instruction, c'est l'instruction agricole proprement dite.
Eh bien, nous avons, dans cette direction, imprimé une grande impulsion à l'action administrative.
Nous avons établi dans le pays dix écoles d'agriculture qui, à l'heure qu'il est, renferment déjà au-delà de 200 élèves. Comprenant l'importance de l'horticulture nous avons établi deux écoles destinées aux jeunes gens qui veulent étudier cette branche spéciale.
Non contents de propager l'instruction par des écoles théoriques et pratiques, nous avons créé une bibliothèque agricole. Nous répandons ainsi dans les campagnes le résumé de tout ce qui se publie de plus scientifique et en même temps de plus pratique.
Ces ouvrages sont accueillis dans les campagnes avec la plus grande faveur ; les premiers volumes ont été distribués au nombre de plus de 4,000 exemplaires. Preuve que là il y avait de grands besoins à satisfaire; preuve que, dans les compagnes, on est avide de s'instruire.
Ce qui fait parfois l'ignorance des habitants des campagnes, ce qui fait surtout leur faiblesse, c'est le complet isolement où il vivent, c'est la séparation presque absolue qui existe entre eux et ceux qui par leur commerce, par leur contact, pourraient leur fournir d'utiles lumières, souvent même adoucir certains sentiments plus ou moins hostiles.
Eh bien, nous croyons avoir atteint ce but en poussant à la création, à l'organisation des comices agricoles; c'est l'application du grand principe de notre constitution qui a consacré l'association en toutes choses; c'est l'application de ce principe à l'agriculture. Aujourd'hui, sur tous les points du royaume, se trouvent établis des comices dans lesquels on voit figurer, à côté du propriétaire, le plus modeste des cultivateurs; on les voit figurer ensemble dans des conférences, dans des expositions, dans des banquets où il y a toujours un heureux échange d'idées et de sentiments.
En 1849, 53 sociétés ont ouvert des concours, non pas seulement pour un seul genre de produits, pour des fruits ou des fleurs, mais pour les chevaux, pour les charrues, les instruments aratoires. Là il était rendu compte des visites faites aux diverses fermes du district, et des récompenses étaient proposées en faveur de ceux qui gouvernaient le mieux leur ferme ou leur terrain.
Le nombre des membres ainsi associés dans le pays s'élève au moins à 5,000 aujourd'hui. Ces réunions locales viendront se centraliser périodiquement au chef-lieu de la province, et à de grandes époques se donner la main pour ainsi dire dans la capitale. C'est par la création d'une exposition nationale qui doit avoir lieu à Bruxelles tous les cinq ans que nous devons atteindre ce but; de cette manière, l'horizon autrefois si restreint, trop personnel, des agriculteurs, s'agrandira de plus en plus. Ils se mettront en rapport d'intérêts et de sentiments, d'abord au chef-lieu de la province, puis au sein de la capitale.
Ces relations entre tous les Belges, ne peuvent que conduire au développement de tous les bons éléments de civilisation dans le pays.
Aujourd'hui, ce sont les pensées, les sentiments qui s'associent dans les comices; plus tard, ce seront les capitaux. L'isolement des capitaux est encore une des grandes causes de l'infériorité de notre agriculture.
Que les personnes s'associent, et les capitaux ne tarderont pas à s'associer, et pour cela la législature et le gouvernement ont encore des devoirs à remplir. De bonnes mesures administratives ne suffisent pas, il faut aussi de bonnes lois.
(page 563) A ce point de vue, vous êtes déjà saisis d'une loi qui pourra être très utile, particulièrement dans les campagnes : c'est la réforme hypothécaire. J'espère que cette session qui promet d'être féconde, ne finira pas sans que la réforme hypothécaire ne soit votée.
Une loi vous est annoncée sur le crédit foncier. J'espère, messieurs, que cette loi pourra aussi être examinée dans le cours de cette session.
Messieurs, vous avez voté une loi utile sur les irrigations et une autre loi sur les vices rédhibitoires. Une loi vous est encore proposée pour garantir les campagnes contre les empiriques, et assurer l'exercice de l'art vétérinaire dans les mains d'hommes capables et qui ont fait leurs preuves.
Messieurs, quand je rappelle les diverses mesures, qu'avec votre concours et votre assentiment, le gouvernement a prises dans l’intérêt de l'agriculture, je n'entends pas dire que le gouvernement a fait assez et qu'il doit finir. Ces mesures ont besoin d'être continuées avec persévérance, elle ne peuvent être transformées du jour au lendemain en améliorations importantes: ce sont des essais, des commencements, c'est à ce titre seul que nous vous les présentons.
Mais je me demande si le système que j'ai combattu au début de ce discours venait à prévaloir, c'est-à-dire, s'il venait à être établi en principe que l'abondance des récoltes, amenant le bas prix des denrées , occasionne des pertes dans les campagnes; je me demande s'il serait bien prudent pour le gouvernement de pousser au perfectionnement de l'art agricole, d'encourager la population de la campagne à produire davantage.
J'éprouverais quelque doute si j'étais à la place de quelques-uns de mes honorables adversaires; car il va de soi que si nos campagnes produisent plus qu'elles ne consomment la population s'accroîtra ; mais il est probable aussi que le prix des produits diminuera.
Pour nous, nous envisageons ces résultats sans aucune frayeur, parce que nous pensons que le producteur trouve dans les quantités produites une ample compensation à l'infériorité des prix ; mais ceux qui ne voient qu'un côté de la question, qui sont alarmés de la baisse des prix provenant de l'abondance, devraient arrêter le gouvernement dans ses tentatives et lui dire: Prenez garde! en poussant l'agriculture à produire davantage, vous allez amener l'avilissement des prix des denrées alimentaires.
A nos yeux, que les campagnes produisent beaucoup et vendent à bon compte, voilà les meilleures conditions pour l'habitant des champs comme pour l'habitant des villes. Pour atteindre ce double but, encouragements directs et de tout genre pour les producteurs agricoles. Et si nous amenons par ces moyens le bas prix des denrées alimentaires en les multipliant, ne nous en plaignons pas. Car la population des villes comme celle des campagnes a pour première loi de vivre et pour premier besoin de vivre à bon marché.
M. Ch. de Brouckere. - Je vais donner lecture à la chambre de l'amendement que je propose au projet de loi qui a été présenté par le gouvernement. Je propose la suppression des mots : « Jusqu'au 1er janvier 1851. »
Messieurs, vous-vous souvenez peut-être que, dans un débat récent, j'ai donné rendez-vous à un honorable membre de cette chambre sur le terrain de la loi des céréales. Si je n'avais, messieurs, à combattre que l'honorable comte de Liedekerke, je pourrais lui faire beaucoup de concessions. Et d'abord, je dirais avec lui que l'industrie manufacturière n'a pas plus de droit à la soi-disant protection que l'industrie agricole; je lui dirais encore qu'un droit d'un franc sur les céréales ne m'effraye ni ne me révolte. Mais j'ajouterais, bien qu'il m'ait traité de fanatique en matière de libre échange, que je n'appartiens en aucune manière aux libre-échangistes qui ne tiennent compte ni des faits, ni de la possession.
Il y a plus de 15 ans que je professe en chaire l'opinion qu'il faut tenir un grand compte des faits. 11 y a deux ans que, périodiquement, à une autre tribune, il est vrai, je soutenais la même opinion. Je l'ai cent fois publiée par la voie de la presse.
Je veux le progrès sage et mesuré, mais je veux le progrès ; et c'est parce que je veux le progrès, que je diffère d'opinion avec l'honorable membre. Si le débat était entre nous, je repousserais ses conclusions avec toute la modération qu'il a mise à les présenter; je dirais que le droit d'un franc étant un pas en arrière, un pas rétrograde, je ne puis le faire avec lui; seulement, par concession, par conciliation, je puis me prêter à un temps d'arrêt et voter le droit qui a été établi l'an dernier. Mais le débat n'est pas seulement entre nous: il a pris avant-hier un autre caractère, d'autres proportions.
Vous avez entendu un orateur, après une série de précautions oratoires, vous dire qu'il avait la ferme volonté de n'incriminer en rien les intentions de ses adversaires, et demander le même respect pour ses opinions.
Cependant cet orateur nous a traité en premier lieu d'adeptes d'une science fausse et orgueilleuse, ce qui, pour le dire en passant, prouve qu'il n'en connaît pas le premier mot. Il a ajouté que nous étions des charlatans phrasiers, des mathématiciens politiques, des théoriciens sans entrailles, enfin que nous élions des mystificateurs. (Interruption.)
L'honorable membre me fait l'honneur de me dire qu'il n'a pas entendu parler de moi ; cependant il a glissé quelque part, ce qui est très adroit, la qualification de professeur d'économie politique.
M. Coomans. - Il y en a tant.
M. Ch. de Brouckere. - Je voudrais les voir pulluler.
Si ce n'est pas à nous ou à nos amis que s'adressaient ces gentillesses, l'orateur s'est battu contre des moulins à vent. De deux choses l'une, il ne s'est pas adressé à nous, ou il s'est battu contre des moulins à vent...
M. Coomans. - Je me suis adressé aux économistes; au reste, c'est synonyme.
M. Ch. de Brouckere. - S'il s'est adressé à nous ou à nos amis, je lui répondrai : Vous ne m'avez blessé ni le cœur ni l'esprit, vous m'avez tout au plus éclaboussé.
Si c'est au-dehors de cette chambre, je dirai : Vos gentillesses ne sont pas parlementaires ; nous ne sommes pas ici, alors surtout que nous disposons d'un journal, pour faire de la polémique, pour répondre aux attaques de la presse ; nous sommes ici pour faire des lois et nous éclairer par la discussion avant de les voter.
M. Coomans. - Je ne reçois de leçons de personne !
M. Ch. de Brouckere. -Vous avez voulu en donner; je vais vous le prouver tout de suite.
L'honorable membre a dit que nous foulions aux pieds le libre-échange par intérêt, et que nous l'adorions par pudeur.
Permettez-moi de le prouver, ce reproche était direct, car l'honorable membre a ajouté : « Je sais ce que vous allez me dire; vous me répondrez que c'est votre Credo économique. » C'est donc à mes amis et à moi que vous adressez le reproche de fouler aux pieds le libre-échange par intérêt, et de l'adorer par pudeur.
Messieurs, j'ai lu quelque part, je crois dans la Sagesse des nations, que l'homme est enclin à mesurer les autres à son aune; avant donc d'aller plus loin, d'entrer dans le débat, j'ai besoin de dire quelle est ma position.
Je suis avant tout propriétaire foncier; les quatre cinquièmes de mon revenu proviennent de la rente de la terre; je suis industriel pour l'autre cinquième; je suis intéressé dans deux industries : l'industrie linière et l'industrie sidérurgique.
Je n'examinai pas où était mon intérêt, lorsque le gouvernement, par une mesure récente, a laissé entrer dans le pays une certaine qualité de fils anglais; je dis à mes coassociés que j'applaudissais à la mesure.
M. de Haerne. - C'était pour l'exportation.
M. de Brouckere. - Que ce soit pour l'exportation ou pour une autre cause, je ne m'y arrête pas.
Cette mesure me frappait individuellement. Mais je ne défends pas ici mes intérêts individuels, je défends les intérêts du pays.
Je suis intéressé dans l'industrie sidérurgique. Eh bien, il y a deux ans, quand la fonte arriva au prix excessif de 15 à 16 fr., de tous mes vœux, de toutes mes forces, par tous les moyens possibles, je demandai que le gouvernement abaissât le droit d'entrée de 50 p. c. Cela a été publié, et répandu à profusion.
Je cherchai à démontrer à mes amis , à mes coassociés , que leur intérêt pouvait être froissé pendant quelques moments, mais que, grâce à la protection, nous nous détruirions les uns les autres, et que le fer s'avilirait par l'excès de la production. C'est ce qui est arrivé.
Aujourd'hui, nous vendons les fontes, et nous avons de la peine à les vendre, à 7 fr. 50.
Si l'on avait abaissé ou supprimé les droits, le prix des fontes aurait baissé sans catastrophes intérieures, sans secousses dans le pays, parce que la production intérieure n'aurait pas été aussi sottement exagérée qu'elle l'a été.
Maintenant que je vous ai expliqué quel était mon intérêt, et comment je le comprends, permettez-moi de vous le dire, j'aime peu les généralités; je n'aime pas à discuter d'une manière purement théorique. Mars alors que je considère le discours de l'honorable M. Coomans comme une espèce de manifeste jeté à la nation, j'ai cru que le premier d'entre nous qui obtiendrait la parole devait démolir pièce à pièce ce manifeste.
L'honorable M. Coomans nous a traités de théoriciens; il tient les théories en mépris ; mais il a beaucoup parlé de vieilles et d'anciennes vérités que nous méconnaissons.
Je voudrais bien savoir quelle est la différence qu'il y a entre des vérités et des théories. Les théories sont des conclusions tirées de l'observation de faits généraux et constamment répétés. Et la vérité serait-elle autre chose?
A moins que l'on ait la prétention d'avoir la révélation d'en haut, ou que les erreurs les plus grossières ne deviennent des vérités parce qu'elles sont anciennes. A ce compte, l'esclavage, le servage seraient des vérités dans l'ordre politique; car ils étaient suffisamment anciens l'un et l'autre.
(page 564) Voyons donc ce que c'est que ces anciennes vérités. J'ai compulsé le discours de l'honorable membre, et je suis parvenu à en constater jusqu'à six.
La première vérité formulée sous la forme d'axiome est celle-ci : « Les nations les plus riches sont celles qui travaillent le plus, et qui, tout en consommant beaucoup, augmentent le plus, chaque année, le capital de leurs épargnes. »
Le deuxième axiome est celui-ci : « Une nation doit employer tous ses ouvriers avant d'occuper ceux de ses rivales. »
Le troisième axiome est formulé ainsi : « Un peuple n'a d'autre revenu que son travail. »
Le quatrième : « Toute importation qui se substitue à un produit indigène occasionne au peuple, qui la reçoit, une perte égale à la somme de main-d'œuvre qu'elle représente. »
Le cinquième, le plus ébouriffant de tous, le voici : « Le libre-échange n'est que du communisme international ! »
A ces cinq axiomes, formulés d'une manière nette et précise, s'en joint un autre, qui découle de tout le discours de l'honorable membre.
D'une part, il veut restreindre les importations, et d'autre part, il trouve que les exportations sont trop restreintes. Il veut donc qu'on exporte beaucoup et que l'on importe peu. C'est là une de ces vérités fondamentales pour les protectionnistes, qu'ils résument de la manière suivante: une nation s'enrichit quand elle exporte beaucoup, et qu'elle importe peu.
Commençons par cet axiome.
Les nations se composent d'individus. La richesse d'une nation n'est pas autre chose que la somme des richesses de tous les individus qui vivent sur son territoire.
Eh bien, lorsqu'un de vous sort de sa poche une pièce de 5 francs, ou, ce qui revient au même, une valeur de 5 francs, et qu'il remet en échange dans sa poche une valeur de 4 francs ou deux pièces de 2 francs, je vous demande si vous croyez qu'il s'est enrichi; ou si vous n'êtes pas convaincu que, par cet échange, il s'est appauvri d'un franc. Or, si un million d'habitants font la même opération, et s'ils font sortir de la poche générale, qui est le territoire national, cinq millions pour n'en recevoir que quatre, n'est-il pas clair que tous les individus qui composent la nation auront perdu un million?
Le deuxième axiome ou le premier qui est formulé d'une manière nette et précise, c'est que les nations les plus riches sont celles qui travaillent le plus, et qui, tout en consommant beaucoup, augmentent le plus, chaque année, le capital de leurs épargnes, axiome que nous méconnaissons, ajoute l'orateur, parce que nous sommes éblouis par les abstractions de la science.
Eh! mon Dieu, en changeant à cette phrase un seul mot qui, pour la forme, a peu d'importance, mais qui, à notre point de vue, en a beaucoup, parce que nous regardons le travail comme un moyen, et non comme un but ; en changeant un seul mot, nous disons que les nations les plus riches sont celles qui produisent le plus de valeurs, et qui, par conséquent, peuvent se procurer le plus de jouissances, tout en épargnant le plus. Nous admettons cet axiome. Mais, dites-vous, nous ne pouvons l'admettre, parce que nous confondons le bon marché relatif avec le produit net.
M. Coomans. - J'ai dit profit net.
M. de Brouckere. - Que l'honorable membre me permette de le lui dire, je ne pense pas qu'il comprenne ce que c'est que le profil net. Toute chose, quelle qu'elle soit, ne se compose que de produits nets ou de profits. Dans un produit quel qu'il soit, il n'y a pas un élément de valeur qui ne soit un produit net. La valeur brute est une réunion de profits ou de produits nets. Précisément, parce qu'un produit quelconque se compose d'une somme, d'une réunion de profits nets, nous disons que quand le prix relatif de cette chose diminue d'une manière permanente, constante, le prix de toutes les autres restant le même, nous disons que cela ne peut provenir de ce que le travail n'est pas bien rémunéré, mais de ce qu'il a fallu moins de travail pour faire la chose, de ce que l'on a profilé d'un don de la Providence, d'un agent naturel pour l'allier au travail.
Nous soutenons que cela est au plus grand bénéfice de la société, parce qu'alors, chacun, avec, la même quantité de travail, peut produire plus de choses et que la nation en peut consommer davantage, comme le désire l'honorable membre.
Nous disons plus : c'est qu'à mesure qu'il y a baisse dans le prix des choses, la consommation augmente dans une proportion plus forte que la baisse des prix, que par conséquent il y a plus de travail et que l'on obtient plus de profits. Nous le disons, et si vous voulez des faits récents à l'appui, mon Dieu! l'Angleterre est là. Depuis quelques années, sa législation sur les sucres a subi des variations, et à chaque variation qui a donné une diminution dans le prix du sucre, a répondu une consommation plus que double de celle qui correspond à la diminution des prix.
Mais, messieurs, trouvez-vous par hasard que la meilleure chose du monde n'est pas la gratuité? Trouvez-vous qu'il y a quelque chose de plus heureux pour l'humanité que de se procurer des. produits pour rien ?
M. Coomans. - C'est une utopie.
M. de Brouckere. - C'est une utopie! Eh bien, Dieu a répandu certains produits sur la terre, avec une telle profusion que nous en jouissons tous au même titre. Nous sommes tous également riches quant à l'air que nous respirons; nous sommes tous également riches quant au soleil qui nous éclaire. (Interruption.) Vous riez, messieurs! Mais ce sont là des dons inappréciables de la Providence; ce sont des richesses naturelles.
Eh bien, que doit faire l'homme? Jamais il ne peut aspirer à faire ce qu'a fait Dieu ; mais il faut qu'il tâche de s'en rapprocher le plus près possible. Or, qu'est-ce qu'il y a de plus près de la gratuité que le bon marché ?
Le deuxième axiome, c'est qu'une nation doit employer tous ses ouvriers avant d'occuper ceux de ses rivales.
Messieurs, c'est là une vérité qui peut être vieille, mais qui a été bien rajeunie depuis quelques années. Car ce n'est pas autre chose que la formule de tous les socialistes, depuis les fouriéristes jusqu'à Louis Blanc.
Que veulent-ils? Ils veulent que tout le monde, sans exception, vive par son travail et ils veulent y arriver par une réglementation qu'heureusement nous n'avons pas expérimentée. La seule différence qu'il y a, c'est que l'honorable M. Coomans veut y arriver par les tarifs de douanes.
Nous avons hélas! essayé des tarifs de douanes de toutes les façons, de toutes les manières. Nous avons vu, à notre époque, chez les différents peuples, essayer toutes les espèces de tarifs, et puisque l'honorable membre a cité des exemples el des faits, je vais reprendre les faits qu'il vous a cités.
Nous avons vu l'Angleterre prospérer, non pas à cause, mais malgré la protection, (Interruption.) C'est ce que je ne démontrerai pas aujourd'hui pour ne pas abuser de vos moments. Dites que c'est à cause, je vous abandonne cet argument.
Je me borne donc à indiquer que, pendant un siècle, nous avons vu l'Angleterre prospérer avec la protection ; et certes le système de l'Angleterre était bien le plus prohibitif qu'on ait jamais pu concevoir. Y avait-il du travail pour tout le monde en Angleterre? Y a-t-il un pays au monde où, à côté de grandes richesses, on ait vu plus de misère, plus de paupérisme?
On vous a parlé de la Hollande. L'exemple est malheureux.
La Hollande, nous dit-on, doit sa prospérité à un système en vertu duquel on payait chez elle tous les produits au double de leur valeur. Les flottes de la Hollande se sont substituées aux flottes espagnoles. - Il y a une petite erreur; c'est à la flotte portugaise. Mais savez-vous pourquoi? Je m'en vais vous le lire pour inspirer plus de confiance: « Quelquefois l'administration, pour satisfaire à des vues qu'elle croit profondes... » C'était l'administration de Philippe II, qui, en haine des Hollandais, avait mis une barrière en Portugal pour priver, par la douane, la Hollande des produits des colonies portugaises.
« Quelquefois l'administration, pour satisfaire à des vues qu'elle croit profondes ou à des passions qu'elle croit légitimes, interdit ou change le cours d'un commerce et porte des coups irréparables à la production. Lorsque Philippe II, devenu maître du Portugal, défendit à ses nouveaux sujets toute communication avec les Hollandais qu'il détestait, qu'en arriva-t-il ? Les Hollandais, qui allaient chercher à Lisbonne les marchandises de l'Inde dont ils procuraient un immense débit, voyant cette ressource manquer à leur industrie, allèrent chercher ces mêmes marchandises aux Indes mêmes, dont ils finirent par chasser les Portugais. »
Voilà, messieurs, une leçon de tarifs.
Messieurs, la liberté commerciale et ses bienfaits étaient tellement présents dans le souvenir des Hollandais, que la grande lutte qu'il y a eu pendant quinze ans sous le rapport de l'industrie et du commerce, entre les députés belges et les députés hollandais, fut due à ce que les députés belges, en grande majorité, voulaient des tarifs et que les Hollandais n'en voulaient pas.
Aussi en 1822 la Hollande, dominant par ses votes, a obtenu le tarif le plus libéral qu'il y eût alors au monde, un tarif dont les bases étaient 6 p. c. pour les marchandises dénommées et 3 p. c. pour les marchandises non dénommées, et il a fallu donner aux protectionnistes belges, sur le budget,1,500,000 florins paran de dédommagement.
Enfin on vous a cité l'Amérique. On vous a dit que l'Amérique du .Nord avait des droits prohibitifs. Messieurs, c'est une erreur, et une erreur grave. Il y a une douane en Amérique; mais il n'y a pas de système plus libéral sous le rapport commercial, que le système américain, parce que le tarif y est exclusivement fiscal. Ou met des droits élevés là où l'on sait que les droits élevés n'empêcheront pas l'entrée, pour les rendre productifs au trésor. On met des droits modérés ou l'on admet l'entrée libre, là où un droit pourrait faire tort aux transactions internationales.
Messieurs, il n'y a qu'un moyen de procurer du travail à tout le monde, avant de prendre les produits des autres nations. Quoique ce moyen répugne à l'honorable orateur, qu'il ait dit qu'il n'en voulait pas, il n'y eu a pas d'autre : un mur autour du pays; mais un mur qui défende l'exportation des personnes et des capitaux, qui défende toute espèce d'exportation; parce que la fortune publique s'en irait avec les particuliers sous toutes les formes possibles. Et alors encore, pour donner du travail à tous, il faudrait supprimer dans le pays les machines à vapeur, l'imprimerie et bien d'autres choses. Mais combien de temps cela durerait-il? Vingt jours, peut-être moins: car la consommation diminuerait par le renchérissement des produits; et, la consommation diminuant, la production diminuerait dans la même proportion.
Troisième axiome : « Un peuple n'a d'autre revenu que son travail. » Messieurs, c'est précisément parce que l'honorable membre est dans ces (page 565) errements qu'il est presque toujours à côté de la vérité. Un peuple n'a d'autre revenu que son travail! Mais si l'honorable orateur avait voulu réfléchir, il se serait souvenu qu'il lui a fallu des études, qui représentent un capital, pour connaître l'histoire du maître d'école, des navets et des choux-fleurs; il aurait vu qu'il avait en main une plume qui est aussi un capital, et du papier sur lequel il écrivait son discours, qui est un autre capital. Il aurait compris ainsi que le travail sans capital ne peut absolument rien, que l'homme ne sait pas produire sans capital...
M. Coomans. - C'est clair.
M. de Brouckere. - C'est clair; mais cela va singulièrement rectifier l'axiome de l'honorable membre, il faut que le travail soit uni, marié au capital; eh bien, le revenu de la nation dépend, non pas du travail, mais de la valeur de toutes les choses produites dans une année; or la valeur des choses produites provient de l'alliance intime, du mariage du capital et du travail. Ce qui a manqué partout, ce qui manque encore partout, c'est ce maudit capital ; c'est ainsi que le qualifiait un socialiste. Ce qui fait qu'il n'y a pas de travail pour tout le monde, c'est que le capital manque. Tout le monde a la faculté de travailler; mais pour exercer cette faculté, il faut des outils, des matières premières; ce qui manque, c'est le capital sous toutes les formes.
Quatrième axiome. « Toute importation qui se substitue à un produit indigène occasionne au peuple qui la reçoit une perte égale à la somme de main-d'œuvre qu'elle représente. » Apparemment, messieurs, qu'une nation, quand elle reçoit des produits de l'extérieur, ne les reçoit pas gratuitement, et si elle les recevait gratuitement, je crois qu'elle remercierait la nation qui aurait la galanterie de lui faire cadeau de ses produits. Lors donc que nous recevons des produits, nous les payons, mais avec quoi les payons-nous? Avec d'autres produits, avec nos produits. (Interruption). Non, a dit l'honorable membre, nous les payons avec nos écus.
Mais nous ne faisons pas la matière des écus, nous devons recevoir l'or et l'argent de l'étranger, et comme probablement l'étranger ne nous envoie les écus que contre d'autres produits que nous exportons, c'est du travail qui s'en va et du travail qui revient. Et qu'on ne dise pas que nous détruisons ainsi le capital, comme on l'a avancé quelque part, car nous avons un fait trop important, trop essentiel, qui s'est passé il y a deux ans, et qui donne un démenti à ceux qui tiennent un compte particulier du capital en numéraire. Lorsque, en 1846 et en 1847, les récoltes avaient manqué dans l'occident de l'Europe, lorsque la France, l'Angleterre, la Hollande et nous fûmes obligés de demander des grains étrangers à la Russie, aux Etats-Unis, voire même à l'Orient, nous avons dû payer ces grains en écus ; grâce au système protecteur qui ne nous avait pas permis, dans les temps ordinaires, de fournir nos produits à ces nations et de les leur faire connaître. Nous avons eu alors une pénurie épouvantable de numéraire. Eh bien, malgré la crise de 1848, les écus sont revenus, le trésor de la banque de France et la banque d'Angleterre regorgent d'or. Comment sont-ils revenus ? Probablement en payement de produits, en payement de travail français, de travail anglais, de travail belge.
Ainsi donc, quand nous importons un produit, nous exportons, en échange, un autre produit, et il y a cet avantage que quand nous importons un produit à bon marché, ce n'est pas, comme on l'a dit, que le travail étranger est moins rémunéré que le nôtre, car à ce compte, comment pourriez-vous admettre, ce que l'on a dit bien gratuitement, que l'Angleterre exporte les cinq sixièmes de ses produits? Est-ce que la main-d'œuvre, en Angleterre, coûte moins cher que dans les autres pays de l'Europe? Ce n'est donc pas parce que la main-d'œuvre coûte moins, c'est parce que les Anglais savent mieux utiliser les agents naturels, les dons de la nature, les dons du Créateur. Et, en échange, quels produits donnons-nous? Ceux pour lesquels nous avons le plus d'aptitude et pour lesquels nous rencontrons le concours de la nature.
Enfin, messieurs, le cinquième axiome, c'est que le libre-échange n'est que du communisme international. Je crois, et j'en demande pardon à honorable membre, qu'il ne se fait pas une idée bien nette tic ce que c’est que le communisme, tout comme il ne se fait pas une idée bien nette du droit de propriété, lorsqu'il dit : Respectez la propriété de la terre.
Respectez la propriété de la terre. dit l'honorable M. Coomans, et n'intervenez pas dans les baux, dans les contrats qui se font entre les locataires et les propriétaires. Il a raison. Respectez la propriété de la terre, dit l'honorable M. Coomans, et ne vous mêlez pas des transactions, des mutations des biens, du prix de vente et du prix d'achat, et il a cent fois raison. Mais respectez la propriété de la terre, ajoute l'honorable M. Coomans, et il demande une protection pour la terre, il demande des droits d'entrée sur les grains de toute nature. Mais le droit de propriété, c'est le droit de jouir dans la limite la plus large possible, à une condition : de ne pas troubler la jouissance de la propriété d'autrui. Or, lorsque nous respectons votre propriété et que vous venez demander un privilège, vous troublez notre propriété, vous troublez la jouissance de toute propriété autre que celle de la terre.
M. Coomans. - Nous ne demandons pas un privilège.
M. de Brouckere. - J'entends dire : Nous ne demandons pas un privilège. Un mot, s'il vous plaît, en réponse à cette observation.
L'honorable membre nous a dit dernièrement : Si vous avez des convictions, si vous êtes libre-échangiste, saisissez la chambre d'une proposition; vous en avez le droit, vous en avez le devoir. L'honorable membre m'a fait observer tout à l'heure qu'il ne reçoit pas de leçons, je n'en reçois pas non plus, et je n'en dois pas recevoir surtout de quelqu'un qui est nouvellement dans cette chambre et qui, jusque-là, n'avait fait que de la théorie parlementaire.
J'ai un peu plus de pratique que lui, et je crois avoir montré dans d'autres temps et en d'autres circonstances que je savais user de l'initiative parlementaire. Mais je ne voudrais pas abuser du temps de la chambre et la saisir, dans l'ordre matériel, je ne me permettrais cela que dans l'ordre politique; la saisir, dis-je, d'une proposition, alors que je n'aurais pas la quasi-certitude de réussir; je ne saisirais pas la chambre d'une proposition d'intérêt matériel, qui viendrait grossir encore ses comptes arriérés qui ne sont déjà que trop gros; je ne ferais pas une pareille proposition sans l'assentiment des ministres, alors que mes amis politiques sont au banc ministériel. Je ne conserve mon droit absolu d'initiative, que pour les questions politiques, et alors que je n'ai pas à compter avec un ministère. Dans ce cas, peu m'importe le résultat de mes propositions, si la vérité se fait jour.
Je reprends le fil de mes idées. Je disais que l'honorable membre ne se rend pas bien compte de ce que c'est que le communisme. Le libre-échange, c'est, en effet, du communisme international, en ce sens qu'il constitue la communauté de jouissance de tous les dons que Dieu a mis à profusion à notre disposition, dans une mesure telle que nous pouvons tous en user et en mésuser sans qu'il en manque jamais à personne.
Ainsi, le libre-échange, c'est le communisme des lois de la physique, des lois de la chimie, des lois de la mécanique; le libre-échange, c'est le communisme du soleil.
Il nous associe indirectement aux chaleurs de la région tropicale par ses produits, comme il associe le Nord et le Midi aux bienfaits de la région tempérée par nos propres produits. Mais le libre-échange, la liberté commerciale entre tous, est aussi la consécration la plus grande, la plus étendue du droit de propriété ; c'est le respect de la propriété de chaque créature humaine par l'humanité tout entière.
Messieurs, la liberté et la propriété sont deux choses tellement inséparables, que l'une est l'expression de l'autre. Et qu'est-ce en effet que la liberté individuelle, si ce n'est la propriété de soi? Qu'est-ce que la liberté de la presse, si ce n'est la propriété de la pensée. Qu'est-ce que la liberté du travail, si ce n'est la propriété de nos facultés? Et vous voudriez nous dénier la liberté commerciale, qui n'est pas autre chose que la propriété des fruits, des produits de nos facultés!
M. Coomans. - Vous n'en voulez pas.
M. de Brouckere. - Tant et autant que vous voudrez nous en donner.
Ce que nous demandons, nous qu'on traite de théoriciens sans entrailles, ce que nous demandons une fois pour toutes, c'est le respect inviolable de la propriété, à l'encontre des socialistes de toute nuance; ce que nous demandons, c'est la liberté, à l’encontre de tout règlement, de tout tarif: c'est la liberté en tout et la liberté pour tous.
Et, messieurs, qu'on n'accuse pas notre patriotisme; qu'on ne dise pas que nos tendances ne sont pas patriotiques, tout comme on a cherché à mettre en opposition les intérêts des villes et les intérêts des campagnes. La prospérité des villes rejaillit nécessairement sur la prospérité des campagnes, comme la misère des campagnes rejaillit infailliblement sur les villes. Qui donc achète les produits manufacturés? C'est l'habitant de la campagne, et s'il est dans la misère, pouvons-nous, nous, habitants des villes, lui vendre avantageusement nos produits? Qui achète les produits de la campagne? Ce sont les habitants des villes; et ils en achètent d'autant plus qu'ils sont plus riches.
Messieurs, dans la société humaine, il y a action et réaction entre tous. La prospérité des campagnes est invariablement, liée à la prospérité des villes; de même, la prospérité d'une nation est liée à la prospérité de toutes les autres nations....
M. Lesoinne. - C'est cela.
M. de Brouckere. - Et quand nous faisons des vœux pour la prospérité de tous, nous en faisons surtout et avant tout pour la prospérité de notre propre pays.
M. Moxhon. - Messieurs, le brillant discours de l'honorable M. de Brouckere a vivement impressionné la chambre. Quelque modeste que soit la place que je compte tenir dans cette enceinte, je crois pouvoir user de mon droit en réclamant un instant d’attention. J’ai d’autant plus de droit à le réclamer que je n’ai pas l’habitude d’en abuser.
Messieurs, le projet de loi qui vous occupe soulève une discussion d'un grand intérêt ;'il ne pouvait en être autrement dès que deux principes se trouvent en présence et dès que des convictions formées depuis longtemps n'attendaient que le moment favorable de se manifester dans cette enceinte.
Jusqu'à la fin du dernier siècle, les sociétés avaient pour principe, en matière de commerce, de sacrifier la liberté des individus à l'intérêt de l'Etat. Les législateurs, n'agissant que sous la pression des préjugés vulgaires, étaient toujours prompts à solliciter des prohibitions, et le commerce des grains était le premier atteint par les mesures restrictives du gouvernement autrichien que l'honorable ministre de l'intérieur qualifiait hier de paternel.
La science économique est venue depuis éclairer et les gouvernements et les particuliers sur leurs véritables intérêts. Le libre-échange, la liberté illimitée du commerce, telle est l'idée dominante de notre époque. Je crois, pour mon compte, que d'ici à un temps peu éloigné, les (page 566) gouvernements reconnaîtront la nécessité de démolir les barrières qui séparent les nations.
Mais s'ensuit-il, messieurs, que la Belgique doive être la première à adopter les nouvelles idées économiques, tandis que les pays voisins poussent la prudence jusqu’à ne recevoir nos produits qu'à des conditions désavantageuses pour nos industries, conditions auxquelles notre faiblesse politique nous fait une nécessité de souscrire ?
Beaucoup se croient des économistes, parce qu'ils lisent tous les ouvrages qui traitent d'économie politique ; mais les hautes conceptions de cette science sont encore à l'état de théorie et attendent du temps la sanction de l'expérience.
L'Angleterre seule convie les peuples à entrer dans une voie nouvelle; quant à moi, je crains les présents qui nous viennent de cette nation. Ne sait-on pas, messieurs, comment, dans ses immenses possessions, la compagnie des Indes opère, sous le régime libéral, proclamé par le gouvernement? De son autorité privée, elle enjoint au possesseur du sol de cultiver les plantes qu'elle lui indique, lui prête à cet effet forcément son or, et, s'il se montre peu disposé à subir l'injonction des agents de la compagnie, celle-ci ne le dépossède pas, mais elle fait cultiver pour lui et en son nom, s'empare de toutes les récoltes dont elle fixe elle-même le prix ; et puisque dans ses possessions, elle éloigne la concurrence, elle se trouve toujours la maîtresse du marché.
Il y a peu d'années, un gouvernement essaya de secouer le joug que fait peser sur lui le commerce anglais; il voulait accomplir un acte moral et d'humanité en amoindrissant les effets désastreux que l'usage de l'opium produit sur le peuple.
Vous savez tous, messieurs, que c'est à coups de canon que l'Angleterre a forcé un peuple indépendant à recevoir ses produits homicides; par cet acte, et d'autres semblables, elle a déshonoré à jamais la liberté commerciale qu'elle proclame.
Et. dût la langue me brûler, selon l'expression de M. le ministre de l'intérieur, je dirai à la chambre que, quand sir Robert Peel fait décréter la libre importation des céréales, j'aime à examiner si ce progrès a produit, dans un pays bien plus industriel qu'agricole, les heureux résultats qu'on en attendait.
Les nouvelles d'Irlande continuent à nous montrer ce malheureux pays se dépeuplant chaque jour par l'émigration de ceux qui survivent à la misère; les terres naguère productives sont en friche. Qu'il me soit permis de demander, si c'était en avilissant les produits du sol irlandais qu'était le moyen de relever de sa léthargie le courage de ses habitants ? J'aime à croire qu'il n'entrait pas dans les vues de la politique mercantile du gouvernement anglais qu'il en fût ainsi, et que le gouvernement n'est pas l'auteur des maux qu'il se refuse de guérir.
M. le ministre de l'intérieur ne néglige aucun moyen de faire progresser notre agriculture, il veut résoudre le problème, en apparence fort simple, de rendre productifs les terrains jusqu'ici incultes; mais ici encore, qu'il me soit permis de demander si c'est en laissant avilir les prix des produits du sol belge que ce problème sera résolu ?
J'arrive, messieurs, aux denrées alimentaires. L'agriculture est une industrie. A-t-elle les mêmes besoins et les mêmes droits que les autres établissements industriels du pays. Qui pourrait le contester avec fondement ?
Presque toutes nos industries vivent ou demandent des protections déguisées sous différentes formes ; je n'hésite pas même à dire que quelques-unes pèsent d'un poids bien lourd sur le pays, et que si la Belgique doit se glorifier d'exporter en Angleterre des sucres et des cotons fabriqués, c'est à des primes d'encouragement qu'elle est redevable de cet honneur insigne. Voilà, messieurs, de l'abus de protection.
Une fois admis que l'industrie agricole a les mêmes droits, les mêmes besoins que les autres industries, ne devons-nous pas admettre que celui qui a employé son intelligence, ses capitaux et son temps à améliorer la terre, a des droits acquis bien légitimes que nous devons respecter? Avant d'adopter une réduction radicale des droits protecteurs sur les céréales. La législature ne devait-elle pas avoir égard aux capitaux engagés? Ces capitaux sont de deux sortes : le capital roulant d'exploitation qui comprend les sommes dépensées pour améliorer le sol, et le prix de la rente.
A ceux qui à ce point de vue, établissent un rapprochement entre la production de 1849 et les prix rémunérateurs de 1834, j'ai hâte de faire remarquer que depuis 1834 l'agriculture a considérablement augmenté ses frais de culture, c'est-à-dire qu'un capital roulant plus considérable est employé annuellement dans la culture du sol. L'agriculture a progressé, c'est un fait notoire, par le seul fait de cette augmentation de capital. En outre, messieurs, depuis lors la rente de la terre s'est augmentée de près d’un quart sur tous les points du pays.
L’année 1847 a été peu productive, et malgré le haut prix des céréales, elle n’a pas été profitable aux cultivateurs. Aujourd'hui le prix des grains est trop faible pour rémunérer le travail, rembourser les intérêts des capitaux engagés et acquitter le prix de la rente.
Messieurs, il y a encore quelque chose à faire pour l'agriculture, et ainsi que vous le disait, il y a quelque temps, l'honorable député de Turnhout, un fait digne de remarque, c'est que le bétail soit à vil prix, tandis que la viande de boucherie reste chère. Le prix d'un kilog. équivaut encore à la valeur d'une journée de travail de la plupart de nos journaliers; il s'ensuit que la viande est encore chez nous un objet de luxe, dont l'usage n'est pas accessible à la masse de la population.
Pour faire progresser sous ce rapport l'agriculture, il faut d'abord encourager par tous les moyens possibles l'élève du bétail, en avisant aux moyens d'assurer à l'éleveur un prix équitable de ses produits, aviser ensuite aux moyens de rendre complètement accessible aux pauvres l'achat des céréales en leur procurant du travail équitablement rémunéré. A ceux de mes honorables collègues qui sont persuadés que le pain est en grande partie la nourriture des classes pauvres, je dirai : qu'ils se détrompent : plus de la moitié de la population belge vit presque entièrement de légumes et seulement d'un peu de pain. Si l'état du trésor était satisfaisant, je vous dirais : Faites une chose utile, efficace pour la portion la plus malheureuse du peuple, diminuez d'une manière notable les 120 p. c. que l'Etat prélève sur le sel, plus indispensable au pauvre que le pain. Accomplissez un grand acte d'humanité et de justice pour les campagnes comme pour les villes; car cette substance sert d'unique assaisonnement à la fade et débilitante nourriture de bien d'honnêtes ouvriers. Et souvenons-nous, messieurs, que lorsqu'on prélève des impôts indirects, c'est faire payer le pays sans qu'il le sache.
M. Lelièvre. - Je pense qu'il serait convenable de renvoyer dès maintenant les divers amendements à la section centrale, qui pourrait les examiner et faire son rapport avant la clôture de la discussion générale. Cette mesure aurait pour résultat d'activer les travaux de la chambre. On serait ainsi certain que l'examen des amendements n'interromprait pas la discussion des articles du projet.
- Il sera statué demain sur cette proposition.
M. le président (pour une motion d’ordre). - Je dois informer qu'il y aura à voter un crédit supplémentaire pour le service de la Chambre et que la Chambre devra, à cette fin, se former en comité secret.
- La Chambre, consultée, décide qu'elle se formera immédiatement en comité secret pour cet objet.
La Chambre décide qu'elle se réunira demain à 1 heure.
M. Orts. - Dans l'intérêt des travaux de la chambre, je demande le renvoi à une commission spéciale d'un projet de loi qui nous est soumis, dont les sections ne se sont pas encore occupées, et dont le titre cache une mesure d'économie très importante qu'il est de l'intérêt de tous de voir réaliser le plus tôt possible ; je veux parler de la révision du Code pénal militaire, dont le but est de substituer des pénalités moins coûteuses pour l'Etat à la détention dans la prison d'Alost.
- Cette proposition est adoptée.
La chambre se forme en comité secret à 4 heures.