(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 500) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants d'Auweghem demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les athénées et collèges des provinces flamandes, et qu'on y soit tenu de faire usage de cette langue pour l'enseignement de l'allemand et de l'anglais. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des distillateurs à Huy présentent des observations sur les modifications proposées par le gouvernement à la loi de 1842 sur les distilleries, demandent l'abolition de la prime à l'exportation, la réduction de la décharge à 16 francs, le transport gratuit par chemin de fer pour les eaux-de-vie destinées à l'exportation, et prient la chambre de rejeter la proposition de M. Pierre, du 26 décembre 1849. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner les deux propositions.
« Plusieurs habitants de Charleroy prient la chambre de ne porter actuellement aucune atteinte à l'organisation de l'armée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport de la section centrale sur le budget de la guerre.
« Un grand nombre d'habitants de Mons demandent le maintien de l(organisation actuelle de l'armée. »
- Même dépôt.
« Le conseil communal de Bruges demande l'adoption du budget de la guerre, tel qu'il est présenté par le gouvernement, et prie la chambre d’ajourner l'examen de la question de savoir quand on pourrait, sans danger, toucher à l'organisation actuelle de l'armée. »
- Même dépôt.
« Les membres du conseil communal et plusieurs habitants de Neerdinter demandent des droits protecteurs en faveur de l'agriculture. »
M. de Luesemans. - Je demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.
- Cette proposition est adoptée.
« Le commissaire de police de Gembloux demande une indemnité pour le surcroît de travail que lui occasionnent ses fonctions de ministère public près le tribunal de simple police. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Delfosse. - Messieurs, M. le ministre de l'intérieur nous a dit hier qu'il accepterait avec reconnaissance tous les votes favorables au budget de la guerre, de quelque côté de la chambre qu'ils lui viennent.
Je regrette, messieurs, que ces paroles aient été prononcées. C’est une situation malheureuse pour un ministère, c'est une chose qui l'affaiblît moralement que de ne pouvoir l'emporter, sur une question à laquelle il attache son existence, qu'à l'aide de ses adversaires politiques. Dans ce cas, on subit leur concours par nécessité, on ne doit pas l'accepter avec reconnaissance...
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. Delfosse. - Je n'entends pas toutefois, messieurs, faire un grief au ministère de ce qu'il y a de pénible et d'anormal dans la situation. Si tous les membres du cabinet ont, comme M. le ministre de la guerre et comme M. le ministre de l'intérieur, la conviction sincère et forte qu'on ne peut réduire le budget de la guerre sans compromettre la salut du pays, ils font bien; ils remplissent un devoir, en refusant la transaction qui a été indiquée hier comme le moyen d'obtenir une majorité prise dans nos rangs.
De leur côté, MM. les ministres voudront bien reconnaître qu'il m'est impossible d'aller à eux sur cette question. Ce serait renier tous mes antécédents, ce serait mentir à ma conscience. Voilà bientôt dix ans, messieurs, que je suis opposant au budget de la guerre, par des raisons qui n'ont pas varié et que je trouve aujourd'hui plus concluantes que jamais.
L'opinion publique, l'opinion du corps électoral est-elle pour MM. les ministres ou pour nous? C'est, messieurs, ce qu'il serait bien difficile de savoir, et c'est ce dont je vous avoue que je ne me préoccupe que médiocrement.
Je ne suis pas de ceux que M. le ministre de la guerre, et après lui l'honorable prince de Chimay, ont représentés comme courbés sous le joug électoral, comme montrant pour leurs électeurs une complaisance en quelque sorte servile. La veille des élections, dans une réunion préparatoire, j'ai précisément refusé de m'engager contre le budget de la guerre ; à ceux qui me demandaient cet engagement, j'ai répondu : « Je renonce à vos suffrages, s'ils sont à ce prix. »
M. le ministre de l'intérieur nous assure qu'il se représentera avec confiance devant ses commettants, sa réélection lui paraît certaines il en conclut que l'opinion du collège électoral d'Anvers est favorable au budget de la guerre; conclusion bien fausse, car la réélection de l’honorable M. Osy, qui votera contre le budget de la guerre, n'est pas plus douteuse que celle de M. le ministre de l'intérieur. Cette double réélection, si, comme je le crois, elle a lieu, ne fera connaître en rien l'opinion du collège électoral d'Anvers sur la question du budget de la guerre, comme la réélection de M. le ministre des finances et la mienne n'indiqueraient en rien l'opinion du collège électoral de Liège sur cette même question.
Votons, messieurs, votons d'après nos consciences, sans nous enquérir de la pensée souvent insaisissable du corps électoral. M. le ministre de la guerre l'a dit avec raison, il faut savoir au besoin dire la vérité aux électeurs, mais j'ajoute avec l'honorablet M. d'Elhoungne, il faut aussi avoir le courage de la dire à l'armée.
Eh bien ! je dirai à l'armée, dont je ne conteste toutefois ni le courage, ni le dévouement, qu'elle a été, dans cette discussion, louée, exaltée outre mesure. On n'en eût pas parlé autrement si elle avait remporté les victoires de Marengo et d'Austerlitz.
Nos officiers, je n'en doute pas, sont des gens de cœur, décidés à verser au premier signal leur sang pour la patrie; mais ont-ils jusqu'à présent passé par d'assez rudes épreuves, ont-ils fait assez de sacrifices au pays pour qu'on puisse dire, comme on l'a dit imprudemment, qu'il y aurait de l'ingratitude à en mettre un certain nombre en disponibilité ?
Que faisons-nous donc, messieurs, des simples soldats qui, eux aussi, sont prêts à verser leur sang pour la patrie, qui, eux aussi, ont donné des gages admirables de dévouement à la cause de l'ordre? Nous les renvoyons dans leurs foyers, sans même nous enquérir s'ils y auront du pain.
Qu'avons-nous fait des fonctionnaires civils qui, eux aussi, avaient des titres à notre sollicitude? Si les mesures qui leur ont été appliquées à cause des exigences impérieuses de la situation financière atteignaient momentanément quelques-uns de nos officiers, ceux-ci seraient-ils fondés à se plaindre et à nous accuser d'ingratitude? Ne sont-ils pas entrés au service sous l'empire d'une loi qui prévoit, qui autorise non seulement la mise en disponibilité, mais même la mise en non-activité pour suppression d'emploi, avec demi-solde?
J'aurais, messieurs, bien peu de foi dans le patriotisme d'officiers qui murmureraient parce qu'ils auraient été mis en disponibilité avec deux tiers de solde; je compterais peu sur de tels officiers pour la défense de mon pays.
Nous sommes tous d'accord avec l'honorable M. Devaux, que l'ordre et la sécurité sont les premiers biens que la société doit procurer à ses membres. Nous sommes tous prêts, comme l'honorable M. Devaux, à voter les dépenses nécessaires pour que ces biens précieux restent intacts. Mais il ne faut rien exagérer, pas même les meilleures choses, et il faut proportionner les précautions que l'on prend aux risques que l'on court.
Qu'il faille de fortes armées permanentes dans les pays où il y a des dissentiments profonds entre les populations et leur gouvernement, cela se conçoit ; c'est le seul moyen, et souvent il ne suffit pas, de contenir des populations mécontentes et agitées; mais qu'on proclame la même nécessité pour la Belgique, c'est oublier l'altitude calme et noble qu'elle a gardée dans les temps les plus difficiles, c'est la calomnier, c'est cette fois vraiment de l'ingratitude.
M. le ministre de la guerre a une singulière doctrine. Il faudrait, selon lui, pour maintenir l'ordre, des armées plus fortes dans un pays libre que dans d'autres pays: c'est précisément le contraire qui est vrai; les peuples libres, satisfaits de leurs institutions, ne pensent pas à se soulever; le sentiment du droit est l'obstacle le plus sûr à l'emploi de la force brutale. Ne voit-on pas en Angleterre le bâton d'un constable dissiper comme par enchantement les rassemblements les plus tumultueux?
Messieurs, ce n'est pas seulement dans nos institutions libres, c'est aussi dans notre industrie que M. le ministre de la guerre trouve un danger pour l'ordre, car il en trouve partout.
En 1847, à ceux qui objectaient que la Bavière dépensait moins que nous pour son armée, M. le ministre de la guerre répondait qu'il n'y avait pas en Bavière, comme chez nous, de ces agglomérations d'ouvriers que les vicissitudes de l'industrie placent souvent dans une situation fâcheuse, inquiétante pour la tranquillité publique.
Les événements ont éloquemment réfuté ces paroles de M. le ministre de la guerre.
En 1848, il y a eu en Bavière des désordres graves, tandis que la Belgique, plus libre, plus travailleuse, assistait avec calme aux tempêtes qui agitaient l'Europe entière; en présence de ces faits, M. le ministre de la guerre devrait être moins absolu dans ses opinions et plus tolérant pour les nôtres.
Il n'y a pas, messieurs, dans notre Belgique, d'aliment sérieux pour les agitateurs, et je soutiens qu'une armée beaucoup plus faible que la nôtre, jointe à la garde civique, suffirait amplement pour y maintenir l'ordre.
Mais la question a une autre face : il y a l'ennemi extérieur auquel il faut penser, il y a les dangers d'invasion auxquels il faut parer.
J'ai toujours eu, et j'ai encore sur ce côté de la question une opinion qui peut paraître étrange à quelques-uns, mais qui s'appuie sur des faits nombreux et significatifs.
Je ne crains pas l'invasion de mon pays; je n'y crois pas, parce qu'elle serait le signal d'une guerre générale, et que nulle puissance, la France moins que toute autre, ne voudrait le donner. J'admettrai, si l'on veut, que la France rêve encore la frontière du Rhin, qu'elle la prendrait volontiers s'il n'y avait qu'à prendre; mais la France sait que pour tenter cette conquête, tentative qui peut-être échouerait, elle devrait faire d'énormes sacrifices d'hommes et d'argent; elle ne se lancera pas dans une entreprise qui l'exposerait elle-même à d'épouvantables désastres.
Je n'ai jamais dit, messieurs, que le canon ne se ferait plus entendre ; je n'ai jamais dit qu'il n'y aurait plus de guerres partielles, des guerres de peuples marchant contre leur gouvernement, à la conquête d'institutions libres.
M. le ministre de la guerre m'a prêté cette opinion, que je n'ai jamais émise, pour se donner la facile satisfaction de montrer ma condamnation écrite dans les événements, de faire gronder contre moi ce qu'il a appelé le tonnerre de février.
J'ai dit qu'il n'y aurait plus de guerres générales, et tous les faits survenus depuis le vote du dernier budget m'ont, comme les faits antérieurs, donné pleinement raison.
La guerre générale n'est sortie ni de l'insurrection hongroise, ni de la question italienne, ni de la question allemande, comme elle n'était sortie ni de la révolution de juillet, ni de la révolution de septembre, ni de la question d'Orient, ni de la question des mariages espagnols, ni de la terrible révolution de février. Sur tous ces faits, j'ai eu pleinement raison contre les prédictions sinistres de l'honorable M. Lebeau.
Voici, messieurs, comment je m'exprimais dans la séance du 27 février 1849 :
« Si la guerre était à redouter, disais-je alors, c'était sans aucun doute après le 24 février. Pourquoi la nation française, libre de toute contrainte, ivre d'enthousiasme révolutionnaire, s'est-elle bornée à déclarer qu'elle ne reconnaissait plus les traités de 1815? Pourquoi n'a-t-elle rien fait pour les déchirer? Pourquoi n'a-t-elle pas marché au Rhin ? Pourquoi n'a-telle pas franchi les Alpes? Pourquoi, messieurs! on vous l'a dit, c'est que les instincts de paix ont décidément pris le dessus, c'est que les idées de guerre, triste legs des temps de barbarie, ont fait place à des idées plus fécondes et plus généreuses.
« Si la guerre n'a pas éclaté dans ce moment d'effervescence des plus mauvaises passions, il est permis de croire qu'elle n'éclatera plus, il est permis de trouver l'honorable M. Lebeau trop prompt à s'alarmer lorsqu'il voit la guerre en germe jusque dans la petite question du Limbourg.
« Des symptômes de guerre pourront apparaître encore, tantôt sur un point, tantôt sur un autre; mais les gouvernements sauront s'entendre et intervenir à temps pour les étouffer. Que si, contre toutes les prévisions, leurs efforts étaient infructueux; que si la guerre générale, la seule qui puisse mettre notre nationalité en péril, venait à éclater, alors, messieurs, je le crains bien, notre armée, quelque brave, quelque dévouée qu'elle soit, serait impuissante à nous protéger ; il faudrait dans ce cas, pour nous sauver, l'élan patriotique de tous les Belges ! Il nous faudrait, surtout, le secours de puissants alliés! »
Voilà ce que je disais dans la séance du 27 février 1849, et les événements m'ont donné complètement raison.
Nous avons affaire, messieurs, à des gens qu'il n'est pas facile de rassurer. Les événements devraient dissiper leurs craintes, et cependant ils craignent encore. Ils nous parlent, ne pouvant plus nous opposer des faits alarmants, de je ne sais quel volcan qui fume, du socialisme qui s'agite pour bouleverser le monde. Vaines terreurs! Messieurs, le socialisme a perdu son prestige. Les populations ouvrières ont fait à leurs dépens une expérience qu'elles n'oublieront pas de si tôt; elles ont appris l'inanité des promesses dont on les avait bercées. Là où on leur avait promis aisance et bonheur, elles n'ont trouvé que misère et ruine. Soyez-en sûrs, les populations ouvrières (je parle du grand nombre) seront désormais sourdes à la voix des agitateurs.
Si, messieurs, j'avais eu l'honneur de siéger, dans cette enceinte, avant 1839, j'aurais voté avec l'honorable M. Dumortier; alors il y avait des dangers sérieux; alors notre nationalité n'était ni reconnue, ni garantie par les grandes puissances ; alors il y avait à la frontière une armée hollandaise prête à nous envahir; alors il y avait du patriotisme à voter un gros budget de la guerre. Aujourd'hui que les dangers n'existent plus que dans les imaginations trop promptes à s'alarmer, il y aurait sagesse à le réduire.
Heureux le Piémont, s'il s'était contenté d'une petite armée ! Il n'eût pas été possédé du démon de la conquête, il ne gémirait pas sous les désastres dont M. le ministre de la guerre nous a narré si éloquemment les causes. Ces désastres, messieurs, je ne les redoute pas pour mon pays. Nous serons plus sages que le Piémont; nous ne marcherons pas à la conquête des pays voisins, et M. le ministre de la guerre, qui fait si bien, le récit des batailles, pourra écrire, mais non guerroyer comme César; nous ne lui en fournirons pas l'occasion.
Vous voyez, messieurs, que si nous repoussons le budget de la guerre, c'est que nous avons la conviction qu'on peut le réduire, le réduire notablement, sans compromettre en rien l'ordre intérieur et la nationalité du pays. Si nous n'avions pas cette conviction, nous n'hésiterions pas à voter des impôts nouveaux, comme nous n'hésiterions pas à en voter au besoin pour ces travaux publics que l'honorable M. Julliot paraît avoir en horreur, bien que la province qui l'a envoyé dans cette enceinte en ait obtenu une bonne part; travaux qui font, selon moi, la prospérité et la gloire des nations, et qui, sagement conçus et loyalement exécutés, rendent à l'Etat par mille voies indirectes cent fois plus qu'ils n'ont coûté.
L'honorable M. Julliot, a fait, je ne sais en vérité pourquoi, une sortie quelque peu brutale contre les députés de Liège, qui n'avaient pas pris part à la discussion, qui n'avaient rien demandé. Je n'ai pu m'expliquer cette sortie que par l'inexpérience parlementaire de l'honorable membre.
Pourquoi donc, s'il vous plaît, la province de Liège n'aurait-elle pas obtenu le canal latéral à la Meuse, comme le Limbourg a obtenu le canal de la Campine, comme les Flandres ont obtenu le canal de Zelzaete et le canal de Deynze à Schipdonck? Si le canal latéral à la Meuse, qui, d'après les devis primitifs, ne devait coûter que 5 millions et demi, en a coûté 8, est-ce la faute des députés de Liège? Sont-ils responsables des bévues de MM. les ministres (je ne parle pas du ministre des travaux publics ici présent) et de MM. les ingénieurs? Que l'honorable M. Julliot le sache bien, et il aurait dû, lui membre nouveau, prendre des renseignements avant de nous accuser; j'ai été le premier à signaler, à blâmer dans cette enceinte le marché onéreux qui a contribué en grande partie à ce déplorable accroissement de dépense.
M. Julliot. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. Delfosse. - Il y a encore, messieurs, de grands travaux à exécuter et dans la province de Liège et dans d'autres provinces, et ces travaux s'exécuteront tôt ou tard, quoique fasse et quoique dise l'honorable M. Julliot.
Mais je reconnais qu'il faut avant tout parer aux dangers de la situation financière qui devient de plus en plus menaçante. Le découvert du trésor, que l'on évaluait au 1er septembre 1848, à 30,219,000 fr., s'est élevé, en 1849, le 1er décembre 1849, à 35,195,000 fr.
Le découvert s'est accru en une année de cinq millions, et cependant le budget de 1849 présentait un excédant de recettes sur les dépenses, de plus de 5 millions de francs. Qu'attendre donc du budget de 1850 qui ne présente entre les recettes et les dépenses qu'un équilibre fictif?
Il est temps, messieurs, il est plus que temps d'arrêter, dans sa marche ascendante, un découvert qui va toujours croissant, dont j'ai plus d'une fois signalé les dangers et qui, en 1848, nous a créé de sérieux embarras.
Pour arriver à ce but, il n'y a que deux moyens : une réduction sur le budget de la guerre et des impôts nouveaux. Des impôts nouveaux,. M. Tesch vous l'a dit avec raison, vous n'en obtiendrez pas, tant que vous n'aurez pas réduit le budget de la guerre. La plupart de ceux qui s'opposent au budget de la guerre sont décidés à ne voter d'impôts nouveaux que lorsque vous aurez notablement réduit ce budget, et dans la majorité qui vous appuie en ce moment, il y a plusieurs membres qui déclarent déjà qu'ils repousseront toute proposition de charges nouvelles.
Le reste de la majorité devenu probablement minorité s'entendra-t-il sur la préférence à donner à tel ou tel impôt? J'en doute fort. Quand il s'agit d'impôts dans cette enceinte, les voix les plus discordantes se font entendre. On parle chemin de fer, sucre, café, genièvre, bière, tabac, titres de noblesse, droit de succession en ligne directe, que sais-je enfin? chacun a son projet; au milieu de cette confusion, fidèle image de la tour de Babel, M. le ministre des finances n'obtient rien et reste gardien d'une caisse vide.
Le seul moyen, messieurs, de mettre un terme aux dangers de la situation financière, c'est donc de réduire le budget de la guerre. C'est par là qu'il faut commencer. Sans cela on n'obtiendra pas d'impôts nouveaux. Tant que le ministère ne se sera pas résigné à ce sacrifice douloureux peut-être, mais inévitable, nous nous trouverons dans une position critique, dans une position mille fois plus redoutable que l'éventualité d'une guerre générale.
(page 502) Je ne puis, messieurs, mieux terminer qu'on vous rappelant ce que je disais dans la séance du 28 décembre 1847 :
« Nous payons, dites-vous, nous payons moins que dans d'autres pays. Avez-vous tenu compte de toutes les charges qui pèsent sur nous? Avez-tous tenu compte des impositions provinciales et communales? Avez-tous tenu compte des avantages que d'autres gouvernements procurent à leurs administrés, en compensation des impôts? Avons-nous une marine pour protéger notre commerce? Avons-nous des colonies pour le placement de nos produits ? Sans doute d'autres nations ont une armée comparativement plus forte que la nôtre; sans doute l'Autriche, la Prusse, la France, l'Angleterre supportent pour leur armée des charges plus lourdes que nous; mais avons-nous, devons-nous avoir la prétention de nous élever au rang des grandes puissances ? de peser fortement dans la balance européenne ? N'ayons pas, messieurs, de telles prétentions, soyons plus modestes ; cela sied mieux à notre taille.
« Les honorables collègues qui défendent le budget de la guerre me paraissent, qu'ils me permettent de le dire, ressembler un peu à l'astrologue de la fable, qui dirigeait ses regards vers les astres et ne voyait pas le puits ouvert à ses pieds.
« Ces honorables membres tournent constamment leurs regards vers la frontière pour voir si quelque armée ennemie ne vient pas à poindre prête à nous envahir, et préoccupés de ce danger éventuel, ils n'aperçoivent pas un autre danger sérieux, imminent; ils n'aperçoivent pas la misère des populations qui s'étend, qui nous serre de près et qui, si nous n'y prenons garde, finira par envahir le pays tout entier.
« Messieurs, les gouvernements ont péri plus souvent par les embarras financiers et par l'impopularité de leurs mesures que par la faiblesse de leurs armées; demandez-le aux Bourbons de la branche aînée, demandez-le aux Stuarts! »
Mes paroles n'ont été que trop prophétiques, car je puis ajouter aujourd'hui : « Demandez-le aux Bourbons de la branche cadette. »
M. le président. - La parole est à M. Julliot pour un fait personnel.
M. Julliot. - Messieurs, je ne sais si réellement l'honorable M. Delfosse a dit que mon attaque avait été brutale ; si l'honorable membre a tenu réellement ce propos et qu'il le maintienne, je prendrai alors la parole pour un fait personnel.
M. Delfosse. - J'ai dit : quelque peu brutale.
M. Julliot. - Cela devient tellement anodin que je renonce à demander la parole pour un fait personnel.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la plupart des orateurs que vous avez entendus dans cette discussion ont fondé leur opposition au budget de la guerre sur notre état financier. L'honorable préopinant vient également de renouveler l'expression de son opinion sur ce point; c'est encore et surtout à l'état financier qu'il attribue le vote hostile qu'il se prépare à donner au budget de la guerre.
On nous dit: « Prenez bien garde à la position qui va vous être faite; vous ne rencontrerez qu'un appui compromettant; on votera les dépenses, on refusera de vous donner les moyens de les couvrir. D'honorables membres s'en sont expliqués catégoriquement ; ils ont tenu ce langage significatif : « Nous voterons le budget de la guerre; mais nous vous déclarons solennellement que nous ne voterons pas de nouveaux impôts.»
Messieurs, il aurait fallu que je fusse bien naïf pour ne pas savoir à l'avance qu'il en serait ainsi. Mais je ne fais pas, je l'avoue, une grande différence entre ceux qui s'expliquent de cette manière catégorique, et ceux qui nous déclarent, à l'avance aussi, qu'à moins d'une réduction assez notable sur le budget de la guerre, ils ne voteront pas de nouveaux impôts. Au fond, je dois les placer sur la même ligne; car les réductions qu'ils réclament sont insuffisantes - l'engagement qu'ils proclament l'atteste - pour établir l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat; et dès lors, s'ils sont pénétrés, comme ils l'affirment, des dangers de notre situation financière, ils devraient voter tous les impôts nécessaires, moins la somme qu'ils croient possible de prélever sur le budget de la guerre. El pourtant ils ne le feront pas. Le ministre des finances n'aura pas plus leur appui que l'appui de ceux qui votent le budget en refusant de voter les ressources nouvelles. Soyons francs : tout cela cache le même sentiment : la répugnance à voter des impôts; celle-là, je la comprends; mais je sais aussi que la nécessité sera plus forte que la répugnance et que tôt ou tard, avec moi ou sans moi, la nécessité vaincra.
D'autres nous disent : « C'est l'annonce de ces impôts, c'est l'exposé de cet état financier qui compromet aujourd'hui peut-être le sort du budget de la guerre. »
À ceux-là je réponds : Ce sont ceux qui ont laissé les finances de l'Etat dans la situation où nous les avons trouvées, qui ont compromis le sort du budget de la guerre, si ce budget est réellement compromis.
Et puis, suis-je donc si coupable sous ce rapport? Et à cet égard, y avait-il un mystère quelconque pour un membre de cette chambre, non pas aujourd'hui, mais depuis bien des années? Est-ce que mes prédécesseurs n'avaient pas tenu le même langage que moi? Je me trompe : lorsque l'opposition d'autrefois disait : « Votre état financier n'est pas tel que vous l'annoncez, il n'est pas satisfaisant; l'équilibre n'existe pas; » ils niaient d'une manière plus ou moins formelle cet état; ils indiquaient vaguement que cet équilibre existait. Mais à l'occasion même du budget de la guerre, quelques mois avant notre avènement, pressé par l'évidence de la vérité, le cabinet précédent reconnaissait explicitement devant cette chambre, lui aussi, qu'il faudrait de nouveaux impôts.
Après avoir soutenu que l'équilibre existait, l'honorable ministre des finances ajoutait, dans la séance du 8 mars 1847 :
« Il y a quelque chose de plus à faire, sans doute, et chaque jour le démontrera davantage. Nous devrons augmenter les ressources permanentes de l'Etat Ici il n'y a vraiment pas de question de principe, mais pour tout gouvernement une question d'opportunité … Si le moment était opportun, la nécessité étant d'ailleurs démontrée, nous n'hésiterions pas à soumettre à la chambre une demande d'augmentation d'impôts. »
Qu'on cesse donc de me répéter que c'est la franchise que j'ai mise à exposer la situation financière du pays qui peut compromettre le sort du budget de la guerre. Quelle est, d'ailleurs, cette situation?
Est-ce qu'on peut sérieusement, dans ce pays le plus riche du continent, nous parler de contribuables aux abois? Non, dans ce pays le plus riche du continent, il devrait être interdit de tenir un pareil langage; dans la Belgique qui, loin de subir des aggravations d'impôt depuis vingt ans, a obtenu au contraire pour des millions de réductions d'impôts!
Est-ce dans ce pays le plus riche du continent qu'on peut si légèrement prononcer le mot de banqueroute, à propos de notre situation financière? Quoi ! deux francs, un franc cinquante centimes par tête d'habitant vous feront la situation la plus prospère des Etats européens, et vous parlez de banqueroute et de contribuables aux abois. (Interruption.)
Oui, l'honorable M. Dumortier ne croit pas que l'équilibre soit rompu et qu'il y ait à cet égard quelque chose à faire. J'ai une conviction contraire, permettez-moi de l'exprimer, et pour vous démontrer que cet état de choses n'a rien d'alarmant, qu'un léger sacrifice suffirait à y parer, permettez-moi de vous répéter que tout se réduit à cette misérable somme d'un franc cinquante centimes ou de deux francs par tête pour rétablir les finances de l'Etat.
Et ces deux francs, on ne vous les demande pas à l'instant même, en un jour, en un mois, en un an; vous avez le temps, car en dépit de toutes vos prophéties vous avez du crédit.
Je ne suis pas de ceux qui pensent, comme vient de le dire tout à l'heure l'honorable M. Delfosse, que notre situation n'ait fait que s'aggraver; les circonstances malheureuses que nous avons traversées ont servi, au contraire, à améliorer cette situation, en ce sens que le découvert a été en partie consolidé.
Or, c'est le découvert qui est la seule chose dont on puisse sérieusement se préoccuper... (Interruption.) La dette consolidée ne vous effraye pas apparemment! Au moment où les événements du 24 février ont éclaté, le découvert était de 39,727,000 fr.; il y avait des engagements contractés pour environ cinq millions; le découvert était alors de quarante-quatre millions, il a été porté par suite des événements à soixante millions de francs; mais une partie ayant été consolidée, il est aujourd'hui ramené à 35,195,000 francs.
La circulation des bons du trésor a été, à toutes les époques, depuis un grand nombre d'années, de beaucoup supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui ; elle a été de 25, de 28, de 29 millions. Depuis l'an passé elle a été de beaucoup inférieure à de pareilles sommes.
M. Vilain XIIII. - Et nous avons toujours satisfait à nos engagements.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, comme le dit l'honorable M. Vilain XIIII, nous avons le droit de proclamer bien haut qu'au milieu des circonstances les plus difficiles, nous avons su toujours remplir loyalement nos engagements. Le pays a noblement répondu à la confiance que nous avons eue en lui. Quand, malgré de sinistres prédictions, nous sommes venus demander les sommes nécessaires pour faire face à la situation, le pays n'a pas hésité; il est venu, tandis que tout menaçait ruine, que tout était ébranlé, que l'industrie et le commerce étaient menacés, que les sources du travail étaient sur le point de se tarir, il est venu avec empressement, avec joie, livrer les fonds nécessaires pour acquitter les dettes et assurer la défense de l'Etat. Ces sentiments patriotiques nous rassurent pour l'avenir.
Je ne suis pas de ceux qui subordonnent les exigences du budget de la guerre aux accidents de notre état financier.
Notre état financier fût-il le plus prospère, que je ne donnerais pas un denier de plus que ce qui serait nécessaire pour la défense et la sécurité du pays; et de même cette situation fût-elle bien autre que ce qu'elle est aujourd'hui, fût-elle cent fois plus délabrée, je ne consentirais pas à retrancher un centime de ce qui serait rigoureusement nécessaire pour la défense et la sécurité du pays, C'est une question qui doit être examinée, non d'une manière relative, mais d'une manière absolue.
Si, comme le reconnaît l'honorable M. Delfosse, le premier besoin pour une société c'est l'ordre, la sécurité, il n'y a pas à marchander sur le prix qu'il faut y mettre.
Nous avons eu depuis bien des années des idylles, des pastorales, et sur la sérénité du ciel et sur les douceurs et la certitude de la paix. On n'apercevait pas dans le ciel bleu le moindre point noir qui pût faire craindre un orage. On se berçait des plus douces illusions. A quoi bon cette armée que nous avons? Elle coûte trop cher! Réduisons-la. Soudain la révolution de 1848 éclate, tout se tait quant au budget de la guerre, le silence se fait; les voix les plus agressives la veille sont muettes le lendemain. Je me trompe : ceux-là mêmes qui avaient contesté la nécessité de cette armée, ceux qui nous parlaient comme on nous parle encore aujourd'hui, ceux-là s'écrièrent immédiatement qu'une responsabilité immense pesait sur le gouvernement; qu'ils se considéreraient comme de mauvais citoyens si de la voix ou du vote ils ne donnaient une énergique approbation aux millions demandés pour l'armée !
M. Delfosse. - On pouvait croire alors à des dangers sérieux.
(page 503) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y avait un danger, me dit l'honorable M. Delfosse, vous avez donc reconnu qu'il pouvait se présenter! Vous avez donc reconnu alors que la nécessité d'une armée était évidente! Si vous l'aviez affaiblie jusqu'à la rendre impuissante au moment du danger, à quoi vous auraient servi les sacrifices faits jusque-là et les nouveaux millions que vous vous empressiez de voter?
Si, en décembre 1847, la chambre avait accueilli les propositions des adversaires du budget de la guerre, si elle avait suivi leurs conseils, si elle avait tenté d'exécuter les plans de réorganisation qui lui étaient alors soumis, comme on le fait encore aujourd'hui, sait-on les conséquences qui pouvaient en résulter en février 1848?
Si l'armée, comme on le soutenait en décembre 1847 et comme on le soutient encore aujourd'hui, était trop largement dotée, pourquoi n'a-t-on pas refusé en mars 1848 de lui donner un supplément de neuf millions pour sept mois seulement! Le crédit de neuf millions accordé presque à l'unanimité quelques mois après la discussion si vive, si animée du budget de la guerre de 1848, est la démonstration la plus évidente du danger des propositions plusieurs fois renouvelées à propos du budget de 1850. Le temps n'est pas propice aux expérimentations que l'on veut faire; si je croyais à l'efficacité des réformes proposées, j'en ajournerais néanmoins l'exécution. Je craindrais par-dessus tout d'ébranler le moral de l'armée. Il faut que l'armée soit confiante dans le pays, car le pays a besoin de l'armée.
Messieurs, d'honorables orateurs me paraissent mal comprendre quelle est la nécessité de notre situation politique.
Notre neutralité, disent-ils, est garantie par les traités, et d'ailleurs, si l'on envahit notre territoire, nous serons impuissants à résister, nous serons foulés aux pieds; la conclusion rigoureuse de cette opinion, c'est que nous ne devrons pas nous défendre, c'est qu'il faut supprimer l'armée.
Nous avons la conviction contraire; nous pensons que le droit est quelque chose, mais que le droit sans la force n'est que trop souvent stérile. Notre droit doit être appuyé sur une armée capable de le faire respecter, sinon seule, en concours du moins avec les puissances dont l'appui ne saurait nous manquer. Si nous nous abandonnions nous-mêmes, on ne viendrait pas nous aider; on se disputerait la possession de notre territoire. ,
Mais on ne songe pas que nous n'avons pas seulement le péril d'une invasion à redouter. Le besoin de la défense ferait une loi à nos voisins d'occuper notre territoire, abstraction faite de toute idée de conquête, s'il n'était pas défendu.
Supposons que nous n'ayons pas d'armée ou qu'elle soit insuffisante en cas de guerre entre la France et les autres puissances, n'est-il pas indubitable que la France, avant tout, devra être garantie du côté de la Belgique? Il vous faut donc (je ne parle ni d'invasion ni de conquête), il vous faut, en cas de guerre, sous peine d'occupation, une armée suffisante pour garder votre territoire.
Cette conviction que j'exprime par l'utilité et la nécessité d'une armée pour la Belgique, est partagée par la plupart des honorables membres qui réclament des réductions sur le département de la guerre. Mais je demande si vraiment il y a une bien grande différence entre ces adversaires que je combats et le gouvernement? On semble d'accord sur tous les principes ; les prémisses semblent communes; tout se réduit aune question d'appréciation des besoins. Je ne parle point de ceux qui veulent combler le vide du trésor en supprimant l'armée. Ils sont, ici, en nombre si restreint que je crois pouvoir me dispenser de leur répondre. Mais, pour les autres, pour tous les opposants au budget de la guerre qui veulent ramener ce budget à 25 millions, la distance qui nous sépare ne devrait pas faire éclater une division dans nos rangs. Déduction faite de 3 ou 400,000 francs de dépenses extraordinaires qui figurent au budget de la guerre, la différence entre eux et nous est de 14 ou 15 cent raille francs; et encore, 14 ou 15 cent mille francs qu'on ne demande pas même immédiatement. (Interruption.)
Quant à ceux qui ne croient pas à la nécessité d'une armée, quant à ceux même qui voudraient réduire le budget à 20 millions, je pense que leur avis ne réunirait pas dix voix à la chambre. (Interruption.) C'est mon opinion. Je soutiens que l'immense majorité des opposants n'est séparée du ministère que par cette différence de 14 ou 15,000,000 de francs; et cette différence, il ne s'agit pas même de l'obtenir immédiatement; ce serait dans un an, dans deux ans, enfin dans le temps qui serait reconnu nécessaire pour réaliser l'économie indiquée. Cette économie est-elle possible? où sont vos preuves ? Il les faut claires et palpables. Je ne les vois point.
Eh bien, messieurs, comment voulez-vous que le ministre des finances, malgré ses embarras, malgré les dangers dont on le dit menacé et que j'accepte ; comment voulez-vous qu'il se prononce aujourd'hui? Il a à ses côtés un homme d'honneur, plein d'intelligence et de loyauté; ce collègue, cet ami, a fait tout ce qui était en son pouvoir, j'en ai l'assurance, pour ramener les dépenses de l'armée dans les plus étroites limites. Il vous l'a dit, il me l'a déclaré; il lui a été impossible d'aller au-delà.
Je trouve, il est vrai, d'honorables adversaires pleins de loyauté, pleins d'honneur, pleins de patriotisme, qui déclarent qu'on peut encore réduire sans danger; mais qu'ils me permettent de leur dire que j'ai plus de confiance dans mon honorable collègue qu'en eux; je crois à son expérience plus qu'à la leur; je crois surtout qu'ils méritent moins de foi parce qu'ils n'ont pas la même responsabilité. Messieurs, je suis de cet avis que pour l'armée comme pour les autres services publics, il faut faire tout ce qui doit être fait, rien que ce qui doit être fait.
Lorsque le ministre responsable, après avoir introduit dans le budget de son département de notables réductions; après vous avoir présenté, dans les circonstances graves où nous sommes, le budget le moins élevé de tous ceux que vous ayez votés depuis notre émancipation politique ; lorsque cet homme vous dit qu'il est impossible d'aller au-delà, vous devez le croire.
Cependant s'il existe des doutes il faut les dissiper. Il ne faut pas qu'il y ait pour cela acte de défiance et d'hostilité contre le cabinet; il faut s'éclairer. Mon honorable collègue m’en a spontanément offert les moyens; il comprend, nous comprenons tous que cette question de l'armée doit être définitivement, irrévocablement vidée. Il est impossible que, sans danger, sans péril pour l'armée, par conséquent pour le pays lui-même, cette question puisse se représenter tous les ans dans les mêmes conditions... (C'est vrai !). C'est ce que veut empêcher M. le ministre de la guerre; il veut (si vous me permettez de prendre pour point de comparaison ce que j'ai fait), il veut faire pour la question de l'armée, ce que j'ai fait pour cette fameuse question du monopole des assurances par l'Etat.
Pendant combien d'années cette question n'a-t-elle pas défrayé toutes les imaginations financières? Avec les assurances, on devait rétablir les finances de l'Etat ! J'avais une conviction contraire; j'ai voulu la faire passer dans l'esprit de mes contradicteurs. J'ai livré à la publicité un travail complet contenant l'examen de cette question ; eh bien, messieurs, je doute qu'en présence du travail qui est maintenant sous vos yeux, et que chacun de vous peut apprécier, je doute qu'il y ait désormais un seul membre de cette chambre qui puisse encore demander que l'Etat monopolise les assurances à son profit.
Or, l'honorable M. Pierre, si convaincu à l'endroit du budget de la guerre, l'était également à l'égard des assurances : huit jours auparavant, il vous entretenait encore de la panacée des assurances, comme aujourd'hui du moyen héroïque à l'aide duquel on veut combler le vide du trésor. Cet honorable membre avait alors une conviction également profonde, également sincère ; eh bien, il était alors dans l'erreur; et, s'il se trompait sous ce rapport, pourquoi croiriez-vous qu'il ne se trompe pas à l'égard de l'armée ? Pourquoi voulez-vous que je le croie sur parole, que j'ajoute foi à ses convictions sur le budget de l'armée, alors qu'il s'est trompé si profondément sur la question des assurances?
Il faut donc que l'on fasse des questions relatives à l'armée un examen complet, approfondi; que toutes les idées qui ont été émises soient scrutées impartialement et de bonne foi ; que tous les projets soient traduits en chiffres; que l'on puisse reconnaître si ceux qui, comme l'honorable M. Thiéfry, parlent de la réduction du budget de la guerre par suite d'une organisation nouvelle et plus économique, n'amèneraient pas au contraire un surcroît de dépense. Il faut que toutes ces idées bien exposées, bien mûries, soient débattues par des hommes compétents; il faut que toutes les lumières soient appelées, que toutes les opinions soient entendues. Vous pourrez alors, mais alors seulement, vous prononces franchement, loyalement, en connaissance de cause sur le sujet si grave qui préoccupe justement l'opinion publique.
M. Le Hon. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Messieurs, l'honorable ministre des finances vient de vous tenir un langage qui a obtenu les sympathies assez marquées d'une partie de la chambre. Il a donné un commentaire à la déclaration qu'a faite l'honorable ministre de la guerre dans le second discours que nous avons entendu. Il nous a fait comprendre que l'intention de son collègue était de s'entourer de toutes les lumières qui pouvaient être répandues sur la question agitée devant vous.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. le ministre de la guerre l'a dit lui-même.
M. Le Hon. - J'en demande pardon à M. le ministre de l'intérieur ; mais je m'exprime d'après l'interprétation que j'ai donnée aux paroles de M. le ministre des finances. J'ai lu attentivement le discours de M. le ministre de la guerre. J'y ai vu qu'il se propose de présenter à la chambre un développement complet de toutes les questions relatives à l'organisation de la guerre, et qu'il y joindrait des documents où seraient consignées les opinions d'hommes compétents.
Je crois être traducteur fidèle de la pensée de M. le ministre de la guerre. Eh bien, messieurs, le commentaire de M. le ministre des finances est, dans ma pensée, plus explicite, plus complet.
Je serais heureux d'obtenir de M. le ministre de la guerre la confirmation du sens qui s'attache aux paroles de M. le ministre des finances ; c'est-à-dire que M. le ministre de la guerre entend, en vertu de son initiative, soumettre toutes les questions relatives à l'organisation de l'armée, à une commission d'hommes compétents dont le travail serait joint au rapport développé qu'il nous a promis, et livré à la publicité. Cette commission serait chargée de se prononcer sur toutes les questions qui nous divisent et à l'égard desquelles on émet des opinions si diverses.
Ma motion d'ordre n'a donc d'autre but que celui-ci : je désire savoir si je me trompe sur la portée du commentaire de M. le ministre des finances, et si M. le ministre de la guerre veut bien ratifier les conclusions que j'en déduis.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, j'ai annoncé à la chambre qu'au commencement de la session prochaine, si j'avais l'honneur d'être encore à la tête du département de la guerre, je soumettrais à la chambre un travail complet sur l'organisation de l'armée; que dans ce travail toutes les questions qui se rattachant à l'organisation, tous les (page 504) systèmes qui ont été présentés seraient examinés, examinés à fond, traduits en chiffres et accompagnés, comme vient de le dire l’honorable M. Le Hon, de documents émanant des hommes les plus compétents. Je me rallie complètement à ce que vient de dire mon honorable collègue, M. le ministre des finances. Mais, messieurs, j'entends conserver toute ma liberté d'action, toute mon initiative.
M. le président. - La parole est à M. de Royer.
- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture!
- La clôture est demandée par plus de dix membres.
M. de Mérode (contre la clôture). - Messieurs, l'interruption qui vient d'avoir lieu, sous le nom de motion d'ordre, ne doit pas empêcher les membres de la chambre, qui sont inscrits sur le budget de la guerre, de s'expliquer. L'interpellation de l'honorable M. Le Hon n'était pas nécessaire pour que M. le ministre de la guerre exprimât la pensée qu'il vient d'émettre. Cette pensée, il nous l'avait communiquée déjà plusieurs fois ; il nous l'avait communiquée hier, avant-hier.
Je ne sais donc ce que signifie cette motion d'ordre, qui empêche les orateurs inscrits d'exprimer leur opinion.
M. de Renesse. - Je ne m'oppose pas à la clôture, mais étant inscrit depuis plusieurs jours et ayant cédé mon tour de parole à d'autres orateurs, je demande qu'en cas de clôture je puisse faire connaître dans le Moniteur les motifs de mon vote.
M. Pierre (contre la clôture). - Messieurs, le dernier discours prononcé par M. le ministre de la guerre me force à vous soumettre quelques considérations nouvelles que je considère comme très importantes. Je prierai la chambre de me permettre de les lui présenter.
J'ai d'ailleurs à répondre à quelques autres orateurs.
M. Manilius, rapporteur. - Messieurs, après la déclaration que vient de faire M. le ministre de la guerre, je serais bien disposé à me rallier à la proposition de clôture. Cependant la dernière observation qu'il a faite m'oblige, en ma qualité de rapporteur, à donner quelques détails afin de parvenir à ramollir un peu la roideur des dernières expressions de M. le ministre.
Jusqu'ici, messieurs, je n'ai pas encore été entendu dans la discussion. Vous savez toute la réserve que j'ai mise à la rédaction de mon rapport pour n'y faire figurer que l'opinion de la section centrale. Je n'ai pas juge à propos d'émettre ma propre opinion dans un document qui n'était pas le mien, mais qui était celui d'une section centrale dont je voulais rapporter fidèlement les discussions.
Maintenant je vous le demande, pouvez-vous clore dans une pareille situation? Je pense que vous ne ferez pas ce que vous n'avez pas fait jusqu'ici. Vous avez toujours accordé la parole au rapporteur. Je la ne demande pas pour faire un discours bien long, bien étendu; la discussion a déjà été longue; beaucoup de faits ont déjà été énoncés, et je n'ai pas l'habitude de me livrer à des redites. Je me restreindrai aux idées que je ne crois pas avoir été suffisamment développées.
Je demanderai donc que, si la chambre veut clore, elle daigne au moins m'entendre un instant.
M. d'Elhoungne. - Messieurs, j'éprouve de l'embarras à venir m'opposer à la clôture, parce que je comprends que cette longue discussion doit arriver à son terme. Mais, d'un autre côté, les déclarations faites par les membres du cabinet nécessiteraient cependant une observation de ma part.
- Plusieurs membres. - Parlez.
M. le président. - La chambre en décidera.
- Un membre. - Laissez parler M. d'Elhoungne.
M. le président. - Je n'en ai pas le droit. C'est à la chambre de statuer.
M. de Royer. - Je ne m'oppose pas à la clôture, mais je désirerais faire connaître mon opinion par la voie du Moniteur. Du reste, je céderai volontiers mon tour de parole à M. d'Elhoungne.
M. Delehaye (contre la clôture). - Messieurs, les explications données par M. le ministre des finances satisfont une partie de la chambre, parce qu'elles sont conformes à la pensée de cette partie; mais, messieurs, tous les membres n'attachent pas le même sens à cette déclaration; il importe donc, messieurs, que vous leur permettiez de provoquer les explications dont ils ont besoin.
Je désire que la clôture ne soit pas prononcée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, du moment qu'un certain nombre des membres de la chambre désire qu'on ne prononce pas la clôture, le gouvernement appuiera la continuation de la discussion. Il est d'autant plus nécessaire que la discussion continue, sauf à la terminer dans la séance de ce jour s'il est possible, que, d'après l'honorable préopinant, la déclaration faite dans la séance d'aujourd'hui par le cabinet, serait de nature à modifier l'opinion, à modifier l'attitude d'un certain nombre de membres quant au vote du budget de la guerre.
Eh bien, messieurs, je dois faire remarquer que le gouvernement n'a absolument rien déclaré de nouveau dans la séance de ce jour. (Interruption.)
Il faut, messieurs, dans cette discussion, de la franchise avant tout. Nous voulons laisser à chacun la liberté et la responsabilité de son vote.
M. le ministre des finances n'a fait que répéter en d'autres termes la déclaration faite par mon honorable ami le ministre de la guerre, la déclaration que j'ai répétée moi-même hier dans les mêmes termes. (Interruption.)
Nous étions parfaitement d'accord avant la discussion. Nous sommes restés d'accord pendant la discussion, et nous resterons d'accord après la discussion quoi qu'en soit le résultat.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je me suis associé aux actes et à la pensée du cabinet, je me suis mis d'accord avec mes collègues. Mon honorable collègue M. le ministre de la guerre, en d'autres termes, mais avec la même pensée, avec les mêmes intentions, a exprimé la même chose que moi. Il y a de part et d’autre une volonté ferme, arrêtée, de mettre, s’il se peut, un terme à cette déplorable discussion. Eh bien, je l’ai dit et je le répète, pour que cela soit possible, il faut que la chambre soit éclairée.
Personne, dans cette enceinte, n'oserait exprimer la conviction forte, inébranlable, qu'on peut, sans inconvénient, sans danger, réduire les dépenses de l'armée. On peut bien le conseiller, mais je doute qu'on osât exécuter. Or, c'est à cause de ce doute, de cette perplexité, qu'on demande un examen. Cet exemple, le gouvernement promet de le faire, mais il entend se réserver et sa liberté et son initiative.
Le gouvernement prend un engagement, c'est celui de soumettre à la chambre un travail complet sur cette matière, comme celui que je vous ai soumis sur la question des assurances.
- Un membre. - Une enquête.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement fera ce qu'il jugera convenable. C'est un examen loyal que l'on veut faire.
M. Manilius, rapporteur. - Voilà deux ministres qu'on écoute, et nous ne pouvons pas être entendus.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Lorsque ce travail vous aura été soumis, messieurs, je soutiens qu'alors seulement vous serez en mesure de discuter d'une manière convenable la grave question qui s'agite en ce moment.
M. le président. - La chambre ayant entendu deux fois MM. les ministres, je pense qu'on s'est désisté par là de la demande de clôture? (Adhésion.).
La parole est à M. de Royer.
M. de Royer. - Je l'ai cédée à M. d'Elhoungne.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, lorsque j'ai demandé la parole tout à l'heure, c'était pour poser nettement la question telle qu'elle me semble résulter de l'ouverture faite par le cabinet.
Si j'ai bien compris la pensée qui a inspiré MM. les ministres, cette pensée peut être la même dans l'esprit de l'honorable général ChazaI et de M. le ministre des finances ; mais elle a été, selon moi, plus nettement exprimée par M. le ministre des finances que par M. le général Chazal. Si je comprends bien la question, c'est un véritable ajournement du débat sur l'organisation de l'armée. (Interruption.) J'explique comment je comprends la question.
Le gouvernement nous dit : Je comprends comme vous qu'il est déplorable que le débat sur l'organisation de l'armée vienne se reproduira périodiquement, tous les ans, dans cette enceinte.
Il faut, et pour l'armée, et pour le gouvernement, et pour le pays que cette grande question soit, une fois pour toutes, tranchée; qu'il y ait un grand et solennel débat entouré de toutes les lumières nécessaires, établi sur tous les éléments possibles et qui permette de donner une solution définitive à la question de l'organisation de l'armée.
Le gouvernement nous dit : « Aujourd'hui votre discussion ne peut pas aboutir à cet égard. La chambre n'est pas assez éclairée. Il lui faut, pour pouvoir apprécier, non seulement le système du gouvernement, mais les différents systèmes qui ont été plus ou moins développés dans cette discussion, il lui faut des éléments, il lui faut en quelque sorte une enquête gouvernementale. Le gouvernement repousse l'enquête, si elle est ordonnée par la chambre, si elle émane d'une sorte de méfiance de la chambre. Mais le gouvernement, qui veut sincèrement que cette discussion aboutisse à un résultat en quelque sorte irrévocable, le gouvernement veut exécuter loyalement, par sa propre initiative, une enquête sur cette question ; cette enquête, il en apportera loyalement les éléments, lors de la discussion du prochain budget, et alors la chambre, ayant tous les éléments de la question sous les yeux, pourra mieux apprécier les pensées d'économie et d'organisation qui se sont produites dans la discussion, et elle prononcera. »
Je pense que c'est ainsi que l'on comprend la question,
- Des membres. - Oui ! oui !
M. d’Elhoungne. - Et cela est d'autant plus vrai, que M. le ministre des finances nous a cité ce qu'il avait fait pour une grave question d'un autre ordre, pour la question des assurances. C'est une véritable enquête que M. le ministre a faite; c'est une instruction étendue, complète, sur toutes les opinions qui se sont produites relativement à cette question. C'est la même chose que le gouvernement nous promet sur la question de l'armée.
Eh bien, pour nous, adversaires du budget de la guerre, c'est là un véritable ajournement du débat; c'est comme si une enquête parlementaire avait été votée du consentement du gouvernement, et que, cette enquête votée, nous eussions accordé un vote approbatif au budget, sans renoncer à nos pensées d'économie, sans en déserter une seule.
La seule différence, c'est que l'enquête se fera administrativement, c'est que l'enquête émanera de l'initiative, de la pensée spontanée du (page 505) gouvernement. Si la question se présente ainsi, elle peut se réduire, pour nous, adversaires du budget, à l’ajournement de la question à l'année prochaine. Eh bien, dans cet état, je ne reproduirai pas les idées de transaction que j'ai apportées hier dans le débat, et, dans ces termes, je puis voter pour cette année le budget, tout en conservant entières, sans en abandonner une seule, les pensées d'économie que j'ai poursuivies.
- Des membres. - Très bien !
M. Dumortier. - Messieurs, les paroles du gouvernement, interprétées comme vient de le faire l'honorable député de Gand, seraient, à mes yeux, tout ce qu'on pourrait décider de plus défavorable pour l'armée dans les circonstances actuelles.
Comment! on réclame avec force une solution définitive de la question de l'armée ; nous voulons, au nom de la patrie, que cette question disparaisse de nos débats, nous voulons qu'enfin l'armée soit rassurée sur son sort ; et dans cet état de choses, que vient-on nous dire? « Nous ajournons la question à un an. » Mais si, dans l'intervalle, de graves événements éclatent en Europe, que fera l'armée qui se trouvera sous le coup de cet ajournement?
Messieurs, il faut en finir. Il faut que le pays sache si nous aurons ou si nous n'aurons pas une armée ; il faut que le pays connaisse enfin la solution que la chambre entend donner à la question de l'armée.
Je n'admets en aucune manière l'interprétation donnée par l'honorable M. d'Elhoungne aux paroles si claires des honorables ministres qui ont parlé tout à l'heure. Sanctionner cette interprétation, encore une fois ce serait ajourner à l'année prochaine une question qu'il importe de résoudre aujourd'hui, au nom d'un intérêt sacré, au nom de la nationalité, au nom de la patrie.
Ce n'est pas une de ces questions qui se marchandent par sous et par deniers ; il s'agit de savoir si vous aurez, oui ou non, une nationalité; voilà la question réduite à ses véritables termes. Si vous ne considérez l'armée que comme une forêt où il faut faire une coupe réglée chaque année, dites alors que vous ne voulez pas une nationalité. Il ne faut pas ici des échappatoires, il faut que le vote soit sincère et loyal, il faut qu'il n'y ait pas d'équivoque.
M. le président. - Voici une proposition qui vient d'être déposée sur le bureau par M. Orts.
« La Chambre, confiante dans le caractère loyal et complet de l'enquête gouvernementale annoncée par le cabinet, passe à la discussion des articles du budget. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il ne faut pas qu'il y ait la moindre équivoque dans le vote ; ce ne serait honorable pour personne; le gouvernement n'a pas annoncé une enquête gouvernementale qui supposerait de sa part un doute sur l'état actuel des choses; l'interprétation de l'honorable M. d'Elhoungne a pour résultat de faire supposer également un doute dans la pensée du gouvernement ; nous ne saurions être d'accord qu'à cette condition ; or, à cette condition, nous ne sommes pas d'accord.
Il n'y a aucun doute dans la pensée du gouvernement; l'honorable ministre de la guerre a une conviction profonde, sincère, loyale; il l'exprime, il la soutient, il la soutiendra. Maintenant, il s'agit d'éclairer la minorité. Qu'ai-je donc fait autre chose, lorsque j'ai livré à la publicité le travail relatif aux assurances sur l'Etat? Je me suis livré à une enquête ; j'avais une opinion raisonnée sur cette question ; je l'avais exprimée dans cette enceinte ; nonobstant cette opinion, des doutes s'élevaient, on persistait à reproduire la question; j'ai alors livré le travail à la publicité; j'ai dit : « Examinez; vos convictions résistent-elles? »
Voilà ce qu'il y avait à faire pour cette question ; voilà ce qu'il y a à faire pour le budget de la guerre? Il faut donc que les opposants au budget de la guerre ne prennent pas prétexte d'une question d'ajournement pour donner un vote favorable au budget actuel.
M. Manilius, rapporteur. - Messieurs, avant que M. le ministre des finances prît la parole, j'étais disposé à me rallier à la déclaration du gouvernement, entendue dans le sens que lui a donné mon honorable ami, M. d'Elhoungne ; je croyais pouvoir le faire au nom même de la section centrale qui n'avait en vue qu'une chose ; c'était de savoir s'il n'y avait pas moyen, après un examen sérieux, de diminuer le budget de la guerre; c'est aussi pour ce motif qu'on a posé une question de principe, tendant à ajourner le vote du budget, parce qu'on voulait voir premièrement si, par un moyen quelconque, il n'était pas possible de diminuer l'importance des chiffres demandés par M. le ministre de la guerre.
Je dis donc qu'au point de vue où je me trouve placé, je devais m'empresser d'accepter les propositions du gouvernement, entendues dans le sens donné par mon honorable ami M. d'Elhoungne. Si M. le ministre des finances ne s'était pas levé, je crois que la grande majorité de la chambre eût accepté ces propositions ainsi entendues.
Je ne vois pas pourquoi M. le ministre des finances a jugé à propos de s'y opposer après. De quoi s'agit-il? De satisfaire à une forte minorité qui fait partie au fond de la majorité politique du cabinet. Cette minorité n'est-elle pas toute disposée à mettre toute sa confiance dans des ministres qui sont de ses amis, qui sont sortis de ses rangs, qui font partie de la majorité politique d'aujourd'hui, c'est-à-dire de notre majorité ? S'ils disent : Nous examinerons la question au moyen d'une enquête gouvernementale, nous n'avons plus rien à dire, car nous avons confiance en eux; seulement, nous n'avons pas confiance dans la déclaration telle qu'elle a été commentée; car, d'après l'explication, M. le général Chazal n'aurait entendu que les généraux désignés par lui et serait venu nous apporter pour l'année prochaine un superbe exposé de motifs avec un budget en tout semblable à celui qui nous est en ce moment soumis.
Je le répète, avec l'explication de M. d'Elhoungne, la déclaration de M. le ministre eût été admise et le budget voté à une immense majorité, car la minorité rentrait dans le bercail de la majorité; j'aurais, je pense, pu déclarer, au nom de la section centrale, qu'on pouvait surseoir à toute discussion si le gouvernement avait admis cette position.
S'il ne le veut pas, je demande à parler sur le fond de la question, car pour détruire toutes les raisons qu'on a fait valoir en faveur du maintien du régime actuel, et prouver qu'on peut faire des économies considérables sans changer profondément l'organisation de l'armée, sans restreindre sa force et sa valeur, j'ai entre les mains une foule de documents que j'ai réunis.
M. Delfosse. - Je ne veux me mêler à cet incident que pour déclarer que je ne serais pas satisfait de la promesse du gouvernement d'examiner la question. Ce que je veux, c'est une réduction immédiate des dépenses du budget de la guerre. Je volerai contre le budget de la guerre, s'il n'est pas réduit.
M. Devaux. - Je conçois qu'avec l'interprétation que lui donne l'honorable M. d'Elhoungne, la déclaration faite par M. le ministre de la guerre rallierait la plus grande partie de l'opposition, car voter le budget avec une réserve dans ce sens, ce serait, en réalité, donner à l'opposition gain de cause.
Que demande-t-elle, en effet? Elle veut bien voter provisoirement des fonds au département de la guerre sur le pied de son budget; mais elle veut que l'organisation de l'armée soit désormais aussi regardée comme provisoire et qu'une commission procède par voie d'enquête à la révision de cette organisation.
Toute la différence, c'est que maintenant la commission, au lieu d'être nommée par la chambre, le serait par le ministre en vertu d'un engagement pris devant nous. Vous voyez que non seulement la discussion qui nous occupe depuis plusieurs jours n'aboutirait qu'à un ajournement, mais que par notre vote même, toute l'organisation de l'armée serait remise en question et en suspicion; elle serait désormais frappée d'un caractère provisoire, et de notre assentiment à tous, tout serait à refaire.
Cette interprétation des paroles du gouvernement conviendrait, je pense, trop à l'opposition pour être la véritable. Voici comment j'ai compris les paroles de MM. les ministres : Le gouvernement conserve l'opinion qu'il a professée dans la discussion. Il tient que l'organisation actuelle ne doit point être révisée et qu'elle conserve son caractère définitif. Seulement, comme dans une pareille matière, il est difficile qu'une discussion orale puisse comparer des organisations diverses avec toute l'étendue et la précision nécessaire, le gouvernement promet de faire ce qu'il a fait dans l'affaire des assurances, c'est-à-dire de donner, dans un travail étendu et fait à loisir, des lumières nouvelles à l'appui de son opinion.
La position de chacun de nous devient ainsi très nette et très facile pour le vote. Ceux qui sont convaincus dès aujourd'hui que l'organisation actuelle est trop chère ou doit être révisée voteront contre le budget ou pour une des propositions d'enquêtes. Ceux qui pensent comme le gouvernement voteront avec lui, et ceux qui ont des doutes et dont l'opinion n'est pas formée pourront attendre la session prochaine, et le document qui nous est promis, avant de se prononcer contre le gouvernement.
L'honorable M. Delfosse a, je pense, compris aussi dans ce sens la déclaration ministérielle. De cette manière, en effet, il n'y a d'équivoque pour personne.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je me suis expliqué d'une manière si nette, si précise, qu'il ne peut pas y avoir la moindre équivoque sur mes paroles. L'honorable M. Devaux vient d'expliquer parfaitement ma pensée. Personne ne peut avoir de doute sur mon opinion, je suis convaincu que l'organisation de l'armée est bonne, et j'entends la maintenir; seulement je ne négligerai rien pour faire passer ma conviction, dans l'esprit de la minorité, comme elle existe dans l'esprit de la majorité, qui a toujours soutenu cette organisation et qui l'a votée. Je veux donner toute les lumières désirables, mais garder mon initiative et toute ma liberté d'action.
M. d'Elhoungne. - Rien n'est plus clair que la situation; après la déclaration de M. le ministre, il ne peut y avoir la moindre équivoque; il n'est pas un seul des opposants au budget de la guerre qui cherche le moindre prétexte pour ne pas voter contre; en conséquence, je voterai contre le budget de la guerre.
M. Jullien. - La discussion du budget de la guerre a fait naître deux opinions diamétralement opposées. Le gouvernement veut le maintien de l'organisation actuelle de l'armée, et comme conséquence du. maintien de cette organisation, ii demande le vote pur et simple du budget.
La section centrale propose, au contraire, de décréter en principe la révision de l'organisation de l'armée. Par suite de cette motion, elle demande l'ajournement de la discussion du budget et un vote de crédits provisoires jusqu'à la révision de la loi organique de l'armée. Les propositions de la section centrale sont évidemment acquises au débat, et tout (page 506) membre dans cette enceinte a droit de les appuyer. Nous ne pensons pas que la déclaration du gouvernement puisse y faire obstacle. Que nous a dit le gouvernement? Vous demandez une enquête parlementaire, je la refuse, comme un acte de défiance envers le cabinet ; je la refuse, parce que l'organisation actuelle de l'armée est parfaite ; des renseignements pour vous éclairer, vous minorité, je les donnerai ; mais ils seront fournis par le gouvernement, inspiré de la pensée qu'il n'y a pas à toucher à l'organisation de l'armée.
Le gouvernement, messieurs, sera donc juge et partie dans le débat. Eh bien! cette position, pour ma part, je ne l'accepte pas. Je veux que l'enquête (si tant est qu'elle soit ordonnée) parte de l'initiative de la chambre; et je crois qu'émanant de cette initiative, elle amènera un travail sur lequel la chambre pourra asseoir une conviction mûre et approfondie. En résumé, nous sommes en présence de la déclaration du gouvernement qui offre de nous donner des renseignements, mais qui nous demande, notez-le bien, le vote immédiat du budget, dont il ne veut pas retrancher une obole. Il y a, d'un autre côté, la proposition de la section centrale, qui demande l'ajournement du vote du budget avec allocation de crédits provisoires. Je ne sache pas que l'honorable M. Manilius ait reçu le mandat de ses collègues d'abandonner cette dernière proposition, qui doit rester soumise aux délibérations de la chambre.
Je demande donc que l'incident soit clos et que la chambre continue la discussion du budget.
M. Le Hon (sur l'incident). - Je demande, messieurs, à expliquer comment j'avais compris moi-même l'incident que j'ai fait naître par ma motion d'ordre. Le ministère s'est expliqué; mais, comme il y a eu, de la part d'un membre du cabinet, des explications plus étendues qui avaient paru différer en quelques points par leur portée de la déclaration de M. le ministre de la guerre...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sur aucun point. Nous vous prions de signaler cette divergence.
M. Le Hon. - Si vous vouliez m'écouter, vous la comprendriez peut-être.
Je suis de ceux qui ne veulent pas soumettre l'organisation de l'armée à un rabais arbitraire; je ne conçois pas l'assurance de la sécurité publique à prix fixe, à forfait. Ainsi, ma position est nette dans ce débat. Je voulais qu'avant tout la lumière se fît, non pour la minorité seulement, mais pour la chambre et pour le pays; pour le pays dont l'opinion, sur les dépenses de la guerre, n'est pas ce qu'en pense le cabinet et a besoin d'être éclairée.
Eh bien ! j'avais compris la première déclaration de M. le ministre de la guerre, en ce sens qu'elle promettait simplement un travail très développé à l'appui de son système et, comme annexes, des documents émanés d'hommes compétents. C'était, à mon jugement, une plus ample démonstration des idées fortement arrêtées de l'honorable général, se constituant d'une manière absolue le défenseur de la loi d'organisation de 1845.
Le langage de M. le ministre des finances m'avait paru aller plus loin et attribuer à son collègue le dessein d'examiner et de faire étudier toutes les questions en rapport avec l'organisation de l'armée ; de s'entourer, pour cela, de toutes les lumières; de faire appel aux hommes les plus compétents ; en un mot, d'entrer dans la voie qui conduit le plus sûrement à la vérité, en réunissant une commission spéciale chargée d'émettre sur ces questions une opinion impartiale et indépendante.
Ainsi commentée, la promesse de M. le ministre de la guerre devenait pour moi complètement satisfaisante. Son initiative restait intacte. Quel que fût l'avis des membres de la commission, il pouvait communiquer à la chambre ses convictions, indépendamment de leur travail, et l'on arrivait honorablement, dans la session prochaine, à une solution qui mettait fin aux conflits de chaque année.
Dans cet ordre d'idées, mon vote était acquis au budget de 1850, et c'est dans le seul but de vérifier l'exactitude de mon interprétation que j'ai fait ma motion d'ordre.
M. le ministre des finances répond qu'il n'a pas dit ce que j'ai cru comprendre, ainsi que beaucoup de mes collègues; M. le ministre de la guerre affirme que j'avais bien compris sa première déclaration, et qu'il n'entend pas tenter autre chose que de nous convaincre qu'il a raison ; sans rechercher si l'organisation actuelle de l'armée est, dans la mesure de nos besoins, la meilleure et la plus économique. Je ne puisque regretter cette résolution.
M. Orts. - J'ai fait tout à l'heure à la chambre la proposition d'un ordre du jour, parce que je croyais qu'il y avait un doute, et l'événement a prouvé que j'avais raison. Je voulais voir la discussion close avec le caractère que l'honorable M. d'Elhoungne lui a donné, et je craignais qu'on l'eût close sans qu'il y eût un acte de la chambre attribuant au fait posé sa véritable signification. Je vois qu'on n'est pas d'accord avec l'honorable M. d'Elhoungne: des lors, ma proposition n'a plus de but; je la retire.
M. le président. - La discussion continue ; la parole est à M. Manilius.
(page 511) M. Manilius, rapporteur. - Messieurs, dans la situation où se trouve la chambre, après l'espèce d'intermède que nous avons eu dans la discussion, ma position est devenue beaucoup plus délicate, et d'un autre côté, elle a été beaucoup allégée. Je dis qu'elle est beaucoup allégée; car, je dois le confesser avec humilité, il me serait extrêmement difficile d'attirer encore l'attention de la chambre sur les détails de la question qui l'occupe depuis six jours.
Je préviens donc la chambre que j'abrégerai beaucoup les détails dans lesquels je voulais entrer pour combattre le gouvernement. Pour arriver à cette fin il suffit d'une chose, c'est de fournir la démonstration contraire à l'assertion de l'honorable baron Chazal.
Le gouvernement, inspiré par cet honorable général, se rallie à lui pour déclarer qu'il n'y a rien de mieux que l'organisation actuelle pour mettre à couvert la garantie et la sécurité du pays dont le ministre de la guerre a seul la responsabilité.
Le gouvernement étant d'accord à cet égard, je le répète, nous n'avons qu'à faire une démonstration : c'est celle qui est diamétralement opposée à celle de M. le ministre.
Messieurs, cette tâche, encore une fois, a été singulièrement allégée par les démonstrations qui ont été faites par mes honorables collègues, entre autres la démonstration faite par l'honorable M. Thiéfry.
Déjà précédemment d'autres systèmes avaient été mis en avant. Il y a deux ans, j'avais l'honneur d'être encore rapporteur de la section centrale, et alors nous argumentions de ce que la loi d'organisation, tout incomplète qu'elle paraissait, n'était pas de nature à devoir être modifiée, parce qu'elle n'avait pas encore subi son entière exécution; parce qu'alors il y avait encore un excédant nombreux d'officiers, et qu'il était impossible d'arriver à une révision, sans compromettre le sort d'un nombre d'officiers très considérable. C'est ce qui explique comment un système ayant été déposé sur le bureau, a subi, pendant deux ans, le silence dédaigneux du gouvernement.
C'était un système étudié par des hommes experts ; il avait été déposé entre les mains d'un de nos honorables collègues auquel nous avons pleine confiance, dans les mains de l'honorable M. Osy. Eh bien ! deux ans d'étude n'ont pas encore permis au gouvernement d'en dire un seul mot. Cependant cette proposition fait partie de nos documents; elle a été soumise au jugement de l'honorable baron Chazal ; car c'est la première fois qu'il est venu comme ministre dans cette enceinte, qu'elle a été présentée.
Ainsi vous le voyez, messieurs, ce ne sont pas les systèmes qui ont manqué à l'appréciation de M. le général Chazal, c'est le bon vouloir de M. le général Chazal qui a manqué à la révision de la loi.
Messieurs, comme je vous le disais tout à l'heure, suivre les orateurs qui ont parlé contre les conclusions de la section centrale, dans tous leurs arguments, ce serait recommencer la discussion et je ne crois pas que l'intention de la chambre soit de la continuer au-delà de cette séance. Je commencerai donc par vous donner quelques détails sur l'examen du budget en sections. Des journaux semi-officiels ont annoncé que quelques membres seulement s'étaient rendus dans les sections. C'est là une erreur qu'il importe de rectifier.
La majorité de la chambre s'est rendue dans les sections; et la résolution qu'ont prise cinq sections sur six, est venue mettre obstacle à l'examen par la section centrale des détails du budget. La section centrale, dans l'intérêt du gouvernement, et dans l'intérêt de nos coreligionnaires politiques, si je puis m'exprimer ainsi, s'est empressée de donner connaissance de l'état des choses à M. le ministre de la guerre; elle lui a demandé s'il ne croyait pas qu'il fût possible d'arriver à une conciliation.
Je répète, messieurs, que c'était par bienveillance pour le gouvernement, par intérêt pour des hommes qui sont de notre opinion à nous, que nous engagions le ministère et notamment M. le ministre de la guerre à réfléchir mûrement sur la situation, qui était dessinée non pas uniquement par la majorité des membres de la section centrale, mais par cinq sections sur six. Cinq sections avaient exprimé de la manière la plus formelle le vœu d'une révision de la loi d'organisation de l'armée. Dès lors, que devait faire la section centrale? Ne devait-elle pas venir dans cette enceinte vous rendre un compte fidèle de cette situation? L'a-t-elle fait légèrement, aveuglément? Non, elle l'a fait avec toute la réflexion, avec toute la mesure, avec toute la prudence que lui commandait l'intérêt du gouvernement. Eh bien! vous l'avez vu dans le rapport, M. le ministre de la guerre est venu à la section centrale et il nous y a tenu identiquement le même langage que tout à l'heure. Il nous a dit que l'organisation de l'armée était complète, qu'elle n'était pas trop coûteuse; qu'elle répondait aux intérêts comme aux ressources du pays; que c'était la plus économique possible.
M. le ministre vient de vous répéter la même chose; seulement il vous dit en d'autre termes ce qu'il a dit en section centrale : « Si vous avez des systèmes, présentez-les; je veux bien les examiner.» Messieurs, savez-vous ce que c'est que cet examen que nous promet M. le ministre? Il nommera, (je ne dirai pas dans quel esprit, je vous le laisse à supposer) une commission d'officiers très expérimentés. Et savez-vous ce que fera ensuite M. le ministre de la guerre? Il viendra, le 28 février, terme fatal pour la présentation des budgets, vous présenter absolument le même budget pour 1851 que pour 1850. Seulement dans cet espace de temps d'un mois et demi, il rédigera un superbe exposé des motifs, appuyé par l'avis de ses généraux, et nous en serons précisément au point où nous en sommes aujourd'hui. Vous aurez cessé toute discussion aujourd'hui pour recommencer votre opposition dans quelques mois.
C'est là la véritable situation que nous fait le gouvernement. Il vous demande une trêve ; il vous dit : « Attendez jusqu'au budget que je vous présenterai en février, je vous apporterai de nouvelles lumières et nous verrons. Mais quant à moi, je suis convaincu que tout est au mieux, qu'il n'y a rien, absolument rien à dire à l'organisation actuelle.»
Voilà, messieurs, la position qui vous est faite; et M. le ministre de la guerre s'en est expliqué à la chambre. M. le ministre de la guerre a parlé avant-hier; il a très bien parlé et je lui en fais mon compliment. (Interruption.)
Mais il a dit des choses sur lesquelles nous ne sommes pas entièrement d'accord. Ainsi, il a répondu à M. Thiéfry, avec ce beau sang-froid qui le distingue :
« Il n'y a pas un officier de plus dans le budget, on ne fait pas un officier de plus que ne le permet la loi sur l'organisation de l'armée, car la cour des comptes ne permettrait pas de payer ! M. Thiéfry a dit qu'il y a un général en disponibilité et par conséquent un général de trop; eh bien ! je proteste contre cette assertion, car la cour des comptes ne le payerait pas.» Eh bien! toute cette assertion de M. le ministre est inexacte.
Messieurs, j'ai trouvé dans le budget deux choses qu'il ne faut pas confondre : Dans les articles qui concernent les troupes et les officiers, on demande tout juste, tous les officiers déterminés par la loi sur l'organisation militaire, sans en excepter un seul, sauf quelques officiers du cadre de réserve qui sont déduits.
Mais il y a un petit appendice aux articles qui comprennent tous les officiers des cadres organiques; appendice auquel la cour des comptes n'a rien à redire, car la cour des comptes a l'habitude de toujours ordonner ce que la chambre a voté.
Eh bien, à côté de tous les officiers, de tous les états-majors, du service de santé, du service des intendances, de tous les services spéciaux et exceptionnels, il y a encore un article dont le chiffre était en 1849 de 223,000 francs.
Je vais donner quelques détails sur ce chiffre; il est très intéressant et ; il a paru très intéressant à M. le ministre, car il en fait un chapitre et un article à part.
Toutes les dispositions qui répondent au personnel de la loi sur l'organisation militaire, sont comprises dans les articles du budget qui précèdent l'article 29. Cet article ne parle plus des corps, des états-majors, ne parle plus de rien de ce qui est prévu par la loi sur l'organisation de l'armée, mais il parle d'une chose qui est prévue par la loi de 1836. J'ai coopéré à la confection de cette loi, et je me souviens très bien de ce qu'elle renferme. J'ai l'habitude de bien me souvenir des faits de l'histoire, surtout de l'histoire contemporaine, à laquelle je tiens beaucoup plus qu’à toute autre. Eh bien, il a été dit en 1836, que les officiers qu'on ne peut pas employer, parce qu'on n'est pas toujours en guerre, parce qu'on ne peut pas, tous les jours, livrer des batailles, que ces officiers seront mis en disponibilité. Il y a beaucoup d'officiers qui ont été mis dans cette position, non point par dédain, ce sont de braves officiers, mais parce que c'est une position que la loi a permis de leur faire. Or, pourquoi ne sont-ils pas en activité? Parce que tous les emplois se trouvent remplis. Eh bien! c'est pour payer ces officiers en non-activité qu'on a inséré au budget l'article 29.
Maintenant, quand l'honorable M. Thiéfry a dit qu'il y a un général-major de trop, s'il avait été bien au courant de la situation il aurait (page 512) ajouté à ce général-major un médecin en chef; il y aurait ajouté un major d'artillerie en disponibilité ; il y aurait ajouté 4 colonels; il y aurait ajouté 5 majors; 25 capitaines de première classe, 24 capitaines de deuxième classe, 41 lieutenants, 30 sous-lieutenants, 2 intendants de deuxième classe, 1 médecin de garnison, 1 médecin de régiment, 1 de bataillon de deuxième classe, 1 médecin adjoint, 1 vétérinaire de première classe, etc. En tout au-delà de 130 officiers qui sont en dehors de la loi d'organisation.
M. le ministre cherchera sans doute à mettre tout cela de côté, mais j'ai très bien additionné ces officiers et il est bien certain que la cour des comptes ne les paierait pas, si la chambre ne votait pas l'article 29 ; mais celui-ci répond à tout.
Maintenant, M. le ministre de la guerre ne manquera pas de dire qu'il y a dans les régiments des vacatures, beaucoup de vacatures. Oui, messieurs, cela est vrai.
Il y en a beaucoup ; mais, si nous n'avions pas soulevé cette question à la veille du 16 décembre, M. le ministre aurait fait une grande promotion, il aurait rempli tous les cadres de la loi organique, ou bien il aurait dépensé d'une autre manière les crédits du budget.
En effet, messieurs, on vous demande pour les quatre armes, l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie et le génie, ou vous demande quatre crédits globaux, qui font l'objet de quatre articles ; l'un est de 9,559,000 franc, l'autre de 3,115,400 fr., le troisième de 2,668,000 fr., le quatrième de 732,400 fr., total; 16,074,800 fr., crédits globaux pour soldé de troupes, c'est-à-dire officiers et soldats pêle-mêle.
La décomposition de l'article 12, dont le chiffre est de 9 millions, fournit le détail de tous les officiers exactement d'après la loi d'organisation; mais cet article comprend aussi, comme je l'ai dit, la solde des troupes, et il en résulte que quand des places d'officiers sont vacantes on peut reporter sur les troupes les sommes destinées à payer les traitements qui sont attachés à ces places.
C'est ainsi qu'on peut faire des frais de voyages; qu'on peut prolonger le séjour au camp ; que l'on peut faire des dépenses qui ne sont pas mises sous nos yeux dans le budget. On y applique l'argent de la solde des sous-officiers et des soldats.
Je préviens M. le ministre de la guerre, que, si nous passons à la discussion des articles, je proposerai un amendement, tendant à diviser la solde des officiers de celle des troupes, afin qu'il n’y ait plus de confusion à l'avenir.
Messieurs, c'est, je le répète, au moyen de l'article 29, comprenant les officiers mis en disponibilité, que se commettent le plus d'abus. Je vais vous dire comment ces abus se commettent, car il faut être vrai avant tout. Ils ne se commettent pas depuis que l'honorable général Chazal est aux affaires; ils sont le fait de ses prédécesseurs; voici comment ils se produisaient le plus souvent :
Quand les ministres de la guerre arrivent aux affaires, ils ont l'habitude de se doter ou de se ménager, ou du moins on a l'habitude de les doter d'un grade de plus ; nous avons vu que ceux qui n'avaient pas eu cette promotion, en entrant au ministère, l'obtenaient au moins en sortant des affaires. Il résulte de là qu'il y a en quelque sorte obligation d’honneur pour le nouveau ministre, d'avoir des égards pour tous les collègues avec lesquels il a vécu dans l'armée ; ses collègues sont souvent plus anciens que lui; il leur faut de l'avancement, il faut de l'avancement aux officiers qui suivent. Eh bien, que fait-on ? On donne des pensions aux anciens officiers; si cette pension est donnée à un général, alors il y a autant de vacatures qu'il y a de grades.
Si, au contraire, les pension ne peuvent être données qu'en nombre tel qu'elles doivent exciter les réclamations des chambres, alors il y a un second moyen : on met en disponibilité, on met même en non-activité, toujours sans profit pour le budget.
A l'heure qu'il est, si on voulait faire rentrer dans les cadres les officiers en non activité ou en disponibilité, il n'y aurait pas de promotions à faire d'ici à deux ans. Cela est constant.
Voilà pour ce qui concerne l'assertion avancée par l'honorable général Chazal, à savoir : qu'il n'y a pas un officier de plus que ne le comporte la loi d'organisation. Les chiffres que j'ai cites sont un démenti péremptoire.
Jusqu'ici, je ne me suis prononcé sur aucun système; mais je ne veux pas laisser clore ce débat sans développer en quelques mois mes idées à cet égard. Je dirai que j'ai dû être l'esclave d'abord des vœux émis par les sections, ensuite des volontés de la section centrale. Car, quoi qu'on en ait dit, je ne tiens pas mon mandat de rapporteur de la moitié, mais de l'unanimité de mes collègues de la section centrale; tous déclinaient cette tâche ingrate et pénible ; j'avais voté inutilement pour un autre; six voix portèrent sur moi; il a bien fallu céder; j'avais accepté les fonctions de rapporteur, et j'accomplirai ma tâche jusqu'au bout avec tout le courage dont je suis capable, pour suppléer au talent qui pourrait me manquer.
Du reste, ce n'est pas la première fois que je suis membre de la section centrale du budget de la guerre; depuis 15 ans que je siège dans cette enceinte, je dirai qu'à quelques années près, j'ai constamment fait partie de la section centrale du budget de la guerre. Je n'étais donc pas tout à fait étranger aux questions de ce budget; et quand l'honorable M. De Pouhon, qui sait si bien applaudir les ministres, est venu vous dire : « Il s'agit de se prononcer entre le général Chazal et le rapporteur de la section centrale; je donne la préférence au général Chazal sur le rapporteur de la section centrale.» C'était sans doute très intéressant. (Interruption.) Mais on dépit do l'honorable M. De Pouhon, je n'en développerai cependant pas moins mon système.
Tout ce qu'on a dit sur le compte du rapporteur de la section centrale n'a pas fait grand effet, parce que tout le monde sait, et notamment mes anciens collègues savent que je suis l'homme de la chambre qui brigue le moins les honneurs, et qui n'accepte que les charges d'honneur. Moi qui n'ai jamais demandé, ni colifichets, ni place, ni faveurs, ne me suis-je pas vu accuser d'ambitionner ridiculement la place de l'honorable général Chazal? (Interruption.)
Si je décline ma compétence pour ce poste élevé, je ne crains pas cependant d'émettre un système; je vais le développer, en me plaçant à un tout autre point de vue que celui où s'est placé M. le ministre de la guerre.
Et d'abord je ferai franchement une déclaration, c'est qu'à sa place j'agirais comme lui; attaché à l'armée seulement depuis 19 ans, il veut la conserver intacte, et moi aussi, à sa place, je ne laisserais pas toucher à l'épaulette d'un seul officier. Je comprends tout ce qu'a de pénible la position de l'honorable général Chazal devant l'opposition qui s'attache à son budget, qui veut réduire le nombre des officiers. Aussi, je le déclare volontiers, ce n'est pas au général Chazal que je m'attaque; je ne m'attaque pas non plus à aucun de ses collègues du ministère, qui sont mes amis politiques; je n'attaque que les chiffres du budget de la guerre, et mon opposition naît de l'étude approfondie que j'ai faite des dépenses de ce budget. Il ne s'agit pas ici de tactique militaire; s'il s'agissait de tactique militaire, je verrais ce que j'ai à répondre.
Mais aujourd'hui il s'agit de finances ; il s'agit des ordonnances créant des emplois et des dépenses résultant de la création de ces emplois. Il s'agit de savoir si en multipliant les emplois on n'a pas eu pour but de placer des officiers qu'on voulait favoriser.
Mon système, je vous l'exposerai sans grands détails. Je l'ai déclaré dans le rapport de la section centrale, des éléments, des matériaux pour une réforme ne manquent pas.
Ils se résument en ceci : il faut retrancher le superflu.
Je ne veux pas que l'armée s'arrête ; le progrès doit avoir lieu dans l'armée comme ailleurs, mais je dirai qu'il y a des moments où elle doit marquer le pas; eh bien, c'est ce que je veux, pendant quelque temps, à l'égard de l'avancement des hauts grades.
; Car on a été trop vite jusqu'à présent, j'en ai pour preuve l'expérience de tous les temps, de tous les gouvernements militaires.
Je sais bien que l'armée qui nous écoute ou qui lira ce que nous disons est composée d'officiers capables et sensés, qui comprennent cette position; ils sont touchés de cet avancement disproportionné dont nous nous plaignons, même quand il tombe sur eux; il y en a qui s'excusent de la promptitude de leur avancement, et qui en sont embarrassés. ( Interruption.)
Soyez bien convaincus, messieurs, que je ne viens avancer de semblables allégations que parce qu'elles n'ont été communiqués par des hommes loyaux et sincères en qui je puis avoir toute confiance. Quand MM. les ministres parlent, leurs paroles, a dit un honorable membre, ont une très grande valeur, parce qu'ils peuvent puiser leurs renseignement à bonne source, ils ont autour d'eux des hommes capables qui leur donnent sans cesse des renseignements sur toute chose. Mais croyez-vous que nous soyons placés en interdit, que nous ne puissions puiser des renseignements à bonne source?
Avant de développer davantage le détail des mesures que je crois de nature à amener une grande économie dans les dépenses du budget de la guerre , je dois encore donner une explication. L'honorable M. d'Elhoungne a répondu déjà à M. le ministre de la guerre, en repoussant bien loin tout son plan d'alliance avec les hommes dont nous condamnons les doctrines. Je dirai à mon tour que j'ai le plus grand intérêt à ce que la force publique ne soit pas énervée ; que je suis de ces hommes qui ont intérêt à l'ordre, parce qu'ils ont tout à perdre à l'anarchie. Ma carrière est déjà avancée et je suis très conservateur de ce que je possède, de ce que j'ai acquis par mon travail.
Je n'accepte pas l'accusation d'être un homme de désordre, je ne suis pas un démolisseur. Demandez tout ce qui est nécessaire à l'organisation de l'armée, je suis prêt à y donner la main. La garde civique en est la preuve. L'honorable M. d'Elhoungne vous l'a dit : Il y a des hommes généreux, d'anciens militaires qui se sont dévoués pour faire partie de la force publique, pour l'organiser dans l'intérêt du pays, et qui, en toute occasion, sauront faire voir ce qu'ils sont et justifier la confiance qu'ils ont su acquérir.
Messieurs, vous vous rappelez tous que lorsque nous avons eu cette manifestation si animée de patriotisme, dans un moment où il fallait combattre l'ennemi commun, où le gouvernement réunissait tous ses moyens en argent, en hommes, en expédients, c'était en 1839 ; jusqu'à cette époque on avait conservé tous les officiers étrangers comme étant en droit de conserver leur position jusqu'à la fin de la guerre ; on avait reçu en mission de France plus de 300 officiers, répartis dans l'ensemble de nos forces; c'est ainsi que dans cet état d'animation, d'ardeur de combattre, on a donné des brevets définitifs, en si grand nombre, que quand le général Buzen est venu au pouvoir, il y avait un excédant d'officiers et qu'on ne savait comment les placer. C'était la première période de la cessation du pied de guerre; l'expédient le plus favorable, c'était d'augmenter les cadres ; on créa une quatrième division territoriale, ce qui entraînait la création d'une quatrième direction d'artillerie, d'une quatrième direction du génie, d'une quatrième direction de l'intendance, et (page 513) enfin d'une quatrième division du service de santé ; on a ainsi quadruplé les états-majors, on a augmenté les régiments; on a créé un régiment d'élite ; un régiment de cuirassiers; et formé une brigade de plus en prenant les gendarmes pour une demi-brigade de grosse cavalerie. On a placé ainsi un grand nombre d'officiers qui formaient un trop plein, lors du passage du pied de guerre au pied de paix. Je comprends que, dans une pareille situation, il y a encore une difficulté très grande à ramener le nombre des officiers à ce qu'il devrait être ; on ne peut le faire qu'avec un vote formel, obligatoire, impérieux de la chambre.
Ainsi, avec les cadres tels qu'ils existent aujourd'hui, en suivant le système préconisé par l'honorable M. Thiéfry, je vais vous amener à une économie immédiate, sans même toucher à la loi d'organisation, à laquelle M. le ministre tient tant.
Resserrez nos cadres dans trois divisions, tels qu'ils existaient, au lieu d'en conserver quatre; maintenez vos régiments de ligne; ne réformez aucun homme, faites-les rentrer tous dans les cadres, et vous aurez trois divisions comme vous aurez trois divisions territoriales au lieu de quatre.
Il en résultera une économie dans l'état-major d'une division, économie d'une division d'infanterie et de tous les commandants qui en font partie.
Faites, dans cette proportion de trois divisions, votre répartition de la cavalerie, que vous pouvez réduire à trois brigades, car la quatrième, la gendarmerie, est une invention qui mérite d'être brevetée.
Les gendarmes ne peuvent pas former une brigade, ils ne doivent être mis qu'à la disposition des conseils de guerre en campagne ; ils ne peuvent jamais faire une brigade avec les soldats d'état-major. Les soldats d'état-major eux-mêmes doivent se répartir; ils sont détachés près des divisions pour faire le service des officiers de cette arme.
Voilà une foule d'économies qui peuvent se réaliser tout en laissant l'organisation ce qu'elle est, car la loi d'organisation n'empêche pas le ministre d'encadrer les troupes comme il le veut.
Ensuite, vous aurez les mêmes économies dans l'artillerie; au lieu de répartir vos batteries en quatre régiments, partagez-les en trois. De là, économie d'état-major, économie dans le nombre des batteries, proportionné à la force de l'infanterie.
Je le répète, ces réductions ne changeraient rien à l'organisation ; le mode que je propose se rapproche le plus du système de M. le ministre ; j'espère donc que la chambre voudra bien me prêter encore quelque attention.
Je viens de dire toute ma pensée sur le budget de la guerre. Une autre tâche m'incombe; j'arrive à la section centrale.
Messieurs, la volonté de la section centrale, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Jullien, est acquise au débat; et certainement il n'entre pas dans ma pensée de rien retrancher de l'opinion qu'elle a émise.
Il faut nécessairement qu'on en vienne à voter sur ses conclusions, c'est-à-dire sur la question de savoir s'il y a lieu à révision, pour arriver à des économies. Si tantôt j'ai été amené à dire que j'espérais que la section centrale serait d'accord avec moi, relativement à l'opinion de MM. les ministres de la guerre et des finances, expliquée par les dires de M. d'Elhoungne, je ne l'ai fait que conditionnellement; mais il n'est nullement entré dans ma pensée de céder sur aucun point des principes de la section centrale.
(page 506) - Plusieurs membres. - La clôture!
M. de Renesse (sur la clôture). - Je demande à pouvoir faire insérer mon discours au Moniteur. (Oui! oui !)
M. de Mérode. - Il me semble qu'il vaudrait bien mieux discuter une fois sérieusement une question comme celle-ci... (interruption) que de la remettre encore. L'honorable rapporteur de la section centrale vient de présenter diverses observations qui ont une grande valeur; il conviendrait au moins que M. le ministre de la guerre pût lui répondre. Je ne vois pas pourquoi on arrêterait la discussion au moment où il est si désirable d'arriver à une solution définitive. Il ne faut pas l'écourter, comme on l'a fait constamment, alors qu'on consacre quelquefois quinze jours à la discussion de lois qui en elles-mêmes n'ont certes pas la même valeur.
M. le Bailly de Tilleghem. - Je demande également à pouvoir insérer mon discours au Moniteur.
M. d'Elhoungne. - Dans la séance d'hier, notre honorable collègue, M. de Renesse, m'a cédé son tour de parole, et dans la séance d'aujourd'hui il allait parler quand un incident que j'ai soulevé l'a interrompu. Je pense que nous devons lui laisser exprimer son opinion, d'autant plus que, comme l'a dit l'honorable M. de Mérode, il y aurait une certaine injustice à ne pas entendre tous les membres qui désirent exprimer leur opinion. L'insertion au Moniteur de discours non prononcés à la séance est un mauvais précédent.
- La clôture est mise aux voix, elle est prononcée.
M. le président. - Nous sommes donc en présence de la proposition de la section centrale et des amendements qui s'y rattachent. Il y a d'abord l'amendement de M. Pierre, celui de M. Lelièvre et les deux sous-amendements de MM. Tesch et de Bocarmé. L'amendement de M. Pierre semble se confondre dans celui de M. Lelièvre. M. Pierre est-il d'accord sur ce point ?
M. Pierre. - Oui, M. le président; M. Lelièvre a complété mon amendement ; je m'y rallie.
M. le président. - Voici l'amendement de M. Lelièvre :
« Je propose à la chambre de nommer dans son sein une commission qui sera chargée d'examiner s'il y a lieu à réviser la loi concernant l'organisation de l'armée, entendra sur ce point les hommes spéciaux et fera ensuite son rapport.
« Entre-temps des crédits provisoires seront accordés au département de la guerre pour le terme qui sera fixé par la chambre. »
Voici le sous-amendement de M. Clep :
« Je propose d'ajouter, à la proposition de l'honorable M. Lelièvre, que la nouvelle réorganisation devra être formulée sur des bases telles que le chiffre de la dépense du nouveau budget de la guerre ne pourra pas dépasser la somme de vingt millions de francs. »
M. de Bocarmé sous-amende cette proposition en ce sens qu'il substitue le chiffre de vingt-cinq millions à celui de vingt millions.
Il y a lieu de voler d'abord sur l'un ou l'autre de ces amendements.
M. Lelièvre. - Je pense qu'il faut d'abord voter sur l'amendement de la section centrale. En effet, celle-ci propose de déclarer qu'il y a lieu à réviser la loi concernant l'organisation de l'armée.
Telle est la question qui doit être résolue préalablement.
L'amendement que j'ai proposé, et tendant à faire décréter une enquête, ne vient qu'en second lieu, et pour le cas seulement où la question principale soulevée par la section centrale soit résolue négativement. Ma proposition n'est réellement que subsidiaire.
M. le président. - Ainsi M. Lelièvre demande que l'on procède par questions de principes et que l'on vote d'abord sur la première question posée par la section centrale : « Y a-t-il lieu à réviser la loi d'organisation de l'armée pour arriver à une économie sur le budget de la guerre? »
- La chambre décide qu'elle votera d'abord sur cette question. L'appel nominal est demandé.
En voici le résultat :
100 membres répondent à l'appel nominal.
61 répondent non.
31 répondent oui.
8 s'abstiennent.
En conséquence, la chambre décide négativement la question posée par la section centrale.
Ont répondu non : MM. Cools, Coomans, Dautrebande, H. de Baillet, de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, Delescluse, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, Devaux. d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, A. Dumon, G. Dumont, Dumortier, Fontainas, Frère-Orban, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Loos, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Peers, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Rolin, Schumacher, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Van Hoorebeke, Van Iseghem. Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Allard, Anspach, Bruneau, Cans et Verhaegen.
Ont répondu oui : MM. Clep, Cumont, David, Debourdeaud'huy, Debroux, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Meester, de Perceval, de Royer, Destriveaux, d'Hont, Jacques, Jouret, Jullien, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Manilius, Moxhon, Pierre, Reyntjens, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Ansiau et Christiaens.
Se sont abstenus : MM. de Haerne, de Mérode, Le Hon, Prévinaire, Rousselle, Sinave, Thibaut et T'Kint de Naeyer.
(page 507) M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. de Haerne. -Si j'avais voté en faveur de la proposition de la section centrale, j'aurais craint de donner à mon vote une couleur politique qui est loin de ma pensée dans les circonstances actuelles, surtout à propos de l'armée, qui a toutes mes sympathies. Si j'avais voté contre la proposition, j'aurais craint d'approuver implicitement les impôts nouveaux ou les augmentations d'impôt qu'on nous annonce et donner lieu par là, vu la situation où se trouve encore le pays, à un affaiblissement moral, à un mécontentement auxquels on ne trouverait pas, je pense, me compensation suffisante dans l'armée, telle qu'elle est organisée aujourd'hui. Dans cette alternative, j'ai cru devoir m'abstenir.
M. Le Hon. - Messieurs, j'ai déclaré dans la discussion que je ne voulais pas de rabais arbitraire, de réduction quand même, dans les devises de notre état militaire; j'ai dû m'abstenir de préjuger et décider immédiatement la nécessité de les réduire, à défaut d'éléments de conviction sur les besoins réels, indispensables de la défense du pays.
Je ne voulais pas non plus voter contre la révision qui, lorsqu'elle sera décidée dans un sens plus large, doit être, selon moi, le seul moyen efficace de résoudre les difficultés.
M. Prévinaire. - Je me suis abstenu pour des motifs semblables à ceux que vient d'énoncer l'honorable comte Le Hon.
M. Rousselle. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.
M. Sinave. - Je me suis abstenu, parce que je ne crois pas qu’il soit nécessaire de toucher à l'organisation de l'armée pour obtenir des économies.
M. Thibaut. - Messieurs, je me suis abstenu, parce qu'il ne m'est pas démontré que l'organisation actuelle de notre armée soit la meilleure possible, et que, d'autre part, je ne suis pas certain qu'on puisse nous offrir un système plus perfectionné ou plus économique. Je ne veux prendre aucun engagement avant de recevoir les renseignements promis par M. le ministre de la guerre.
M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, la question de la réorganisation de l'armée n'ayant pas été discutée, je n'ai rien voulu préjuger sur ce point.
M. le président. - Je crois que, par suite du vote que la chambre vient d'émettre, il n'y a plus à mettre aux voix les divers amendements et sous-amendements.
M. Manilius, rapporteur. - Je pense que, les questions préalables étant décidées, il s'agit maintenant d'examiner les articles.
M. Lelièvre. - Le vote que la chambre vient d'émettre décide que la nécessité de la révision de la loi sur l'organisation de l'armée n'est pas démontrée pour le moment. Mais, messieurs, il reste la question de savoir, conformément à ma proposition, s'il n'y a pas lieu à nommer une enquête pour examiner cette question. On conçoit que plusieurs membres ne soient pas actuellement convaincus de la nécessité de l'organisation, ce qui n'exclut nullement une information sur le même objet; je pense donc que la décision qui vient d'être prise laisse intacte ma proposition, sur laquelle il reste à voter.
M. Pierre. - Tout à l'heure je me suis rallié à l'amendement de M. Lelièvre et je demande qu'il soit mis aux voix. C'est évidemment une chose tout à fait différente de la question sur laquelle on vient de voter.
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
La chambre vient de décider qu'il n'y a pas lieu de réviser la loi sur l'organisation de l'armée. On ne peut donc pas la faire voter maintenant sur la nomination d'une commission d'enquête qui serait chargée d'examiner précisément la question de savoir si cette loi doit être révisée.
Aux termes du règlement, il n'y a plus qu'une chose à faire, c'est de passer à la discussion des articles.
M. Lelièvre. - Je ne puis partager l'opinion de l'honorable M. d'Elhoungne. Il a été entendu formellement que ma proposition viendrait en seconde ligne et qu'il y serait statué après le premier vote. Du reste, la résolution de la chambre n'écarte nullement la demande d'enquête, et une information que des membres ayant répondu négativement au premier vote, peuvent cependant juger utile et même nécessaire.
M. le président. - Le rappel au règlement que M. d'Elhoungne vient de formuler se résume en une question préalable. C'est la question préalable sur les amendements de MM. Pierre, Lelièvre, Clep et de Bocarmé. Je vais mettre la question préalable aux voix.
M. de Mérode. - Il vaudrait mieux voter sur la proposition de M. Lelièvre.
M. le président. - Aux termes du règlement la question préalable a la priorité.
M. Rousselle. - Ce qui m'embarrasse en ce moment-ci, c'est qu'une partie de la chambre paraît vouloir passer immédiatement à la discussion des articles. Je ferai observer qu'il n'y a pas de rapport sur les articles.
M. le président. - C'est une autre question. Il s'agit avant tout de statuer sur la question préalable.
- La question préalable est mise aux voix et adoptée.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des employés civils.
« Charges ordinaires : fr. 140,000.
« Charges extraordinaires : fr. 6,500. »
- Adopté.
« Art. 3. Supplément aux officiers et sous-officiers employés au département de la guerre.
« Charges ordinaires : fr. 4,000.
« Charges extraordinaires : fr. 8,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Matériel : fr. 40,000. »
- Adopté.
M. le président. - Nous passons à l'article 5.
M. de Theux. - Messieurs, la chambre vient de décider uniquement qu'elle passerait à la discussion des articles, mais elle n'a pas entendu décider qu'elle se bornerait à entendre la lecture des divers articles du budget et qu'elle les voterait sans discussion.
Je demande le renvoi à lundi.
M. Delfosse. - La chambre n'a pas décidé qu'on irait aujourd'hui jusqu'au bout du budget.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il demeure entendu que la décision par laquelle la chambre a statué qu'elle passerait à l'examen des articles, est maintenue.
M. le président. - La chambre a déjà voté quatre articles.
M. d'Elhoungne. - Continuons ; on n'est pas en désaccord sur les détails, mais sur le système.
M. Rousselle. - Messieurs, je voulais présenter à la chambre quelques considérations pour lui faire voir la nécessité de remettre la discussion à lundi. Nous n'avons pas de rapport de la section centrale sur les observations de détail des sections; dans ma section, on a présenté plusieurs observations de détail assez importantes, puisque l'une d'elle entraînerait une économie d'environ 40,000 francs; d'autres économies ont encore été signalées dans ma section; la chambre n'a pas sous les yeux le détail de tous ces objets. Il faut donc que les membres de ma section, qui seraient disposés à reproduire en leur nom cette proposition d'économie, aient le temps d'examiner leurs notes.
- La chambre, consultée, remet à lundi la suite de la discussion sur les articles du budget de la guerre.
La séance est levée à 5 heures.