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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 18 janvier 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 470) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure. La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées la chambre.

« Plusieurs cultivateurs du canton de Gembloux demandent un droit protecteur en faveur de l'agriculture et présentent des observations contre la fourniture d'une quantité de grains exotiques qui a été prescrite pour la subsistance de l'armée. »

M. de Liedekerke. - En demandant le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion, je ferai remarquer qu'elle a été signée par un grand nombre de cultivateurs du canton en présence d'un membre du comice agricole. Ces signatures sont donc très authentiques.

- Cette proposition est adoptée.


« Les huissiers audienciers près le tribunal de première instance de Termonde demandent une loi qui assure un traitement annuel pour leur service intérieur du tribunal, notamment en matière de police correctionnelle. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les habitants du faubourg de Laeken demandent que ce faubourg soit séparé de la commune de Molenbeek et érigée en commune spéciale sous la dénomination de Saint-Jean. »

- Même renvoi.


« Le sieur Toussaint-Pierre-Napoléon-Stanislas Duval, médecin-adjoint attaché à l'hôpital militaire d'Ypres, né à Hannut, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


M. Boulez demande un congé de quelques jours pour des affaires urgentes de famille.

- Le congé est accordé.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Man d'Attenrode. - Je demanderai à la chambre de suspendre un instant la discussion importante qui l'occupe et de me permettre d'appeler son attention sur l'examen préparatoire auquel les sections vont se livrer du projet de loi d'organisation d'une banque nationale.

J'ai appris que les sections seraient appelées demain à examiner ce projet. Voulant me préparer à cet examen, je me suis convaincu qu'on pouvait l'aborder utilement en sections, et avec connaissance de cause, à l'aide des conventions projetées entre le gouvernement et les banques existantes. Je conclus donc à ce que ces conventions soient imprimées et distribuées aux membres de la chambre, et à ce que l'examen en sections du projet en question ne commence que quand nous serons pourvus de ces documents importants.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quelques honorables membres, quand les projets dont vient de parler l'honorable préopinant ont été déposés, se sont empressés de demander qu'on n'examinât pas ces projets avant que les deux banques eussent ratifié les conventions faites avec le gouvernement. Je n'ai pas eu de peine à faire comprendre à ceux qui ont émis cette opinion, que ces conventions étaient indépendantes des projets soumis à la chambre; ce sont des moyens d'exécution II était évident, d’ailleurs, que la chambre ne pouvait pas se déclarer impuissante à organiser le caissier de l'Etat et une banque nationale si ce n'est sous le bon plaisir des banques qui existent en ce moment. Ce premier moyen n'a donc pas réussi.

L'honorable M. de Man demande maintenant une chose qui serait de nature à traîner en longueur l'examen du projet de loi dont il s'agit; il voudrait qu'on fît imprimer les conventions. On ne pourrait, selon lui, examiner les dispositions transitoires sans connaître ces conventions. Je répète que les dispositions principales, comme les dispositions transitoires, n'ont rien de commun avec ces conventions; en second lieu , elles sont complètement analysées; elles sont même pour ainsi dire textuellement dans l'exposé des motifs, je ne saurais rien ajouter en les imprimant. Il est donc inutile de retarder l'examen des projets de lois sous prétexte d'imprimer ces conventions.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, M. le ministre suppose bien à tort que mon intention est de traîner en longueur l'examen du projet de loi d'organisation d'une banque nationale. Telle n'est pas mon intention; mais mon désir, en vous faisant ma proposition, n'est que de réclamer des documents qui, d'après moi, sont nécessaires pour éclairer l'examen auquel nous allons nous livrer.

Et, quoi qu'en ait dit M. le ministre des finances, les dispositions transitoires du projet ne sont complètement intelligibles qu'à l'aide des conventions soumises aux banques existantes. Je ne doute pas que M. le ministre ne livre les conventions à l'appréciation de la section centrale, il ne s’y refusera pas, j'en suis certain.

Eh bien, s'il n'y a pas d'inconvénient à les lui livrer, il n'y en a pas davantage à les abandonner à l'examen des sections; si l'on ne veut pas nous donner des moyens d'appréciation suffisants, autant valait renvoyer le projet à l'examen d'une commission. J'insiste donc pour que ces conventions soient imprimées et distribuées; il n'en résultera aucun retard fâcheux, car un jour suffira pour faire cette impression.

Je persiste donc dans ma proposition.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a aucune espèce d'inconvénient à ce que les conventions soient publiées. Ces conventions, comme le demande l'honorable M. de Man, seront communiquées à la section centrale. Il n'y a pas dans ces conventions un seul point qui ne soit dans l'exposé des motifs. Ainsi, en prenant connaissance de ces conventions, l'honorable M. de Man n'apprendra absolument rien de plus que ce qu'il sait déjà. Pourquoi donc ordonnerait-on une impression de pièces de nature à occasionner des retards qui ne sont justifiés par aucune raison ?

Puisque ces conventions seront communiquées à la section centrale, et que j'offre d'en donner communication à l'honorable M. de Man, me semble que cela doit le satisfaire.

M. de Theux. - Je ne demande pas que l'examen soit retardé en sections. Mais je ne vois aucun inconvénient à ce que M. le ministre des finances fasse insérer les conventions dans le Moniteur de demain. Elles ne peuvent renfermer aucun secret, puisqu'elles sont analysées dans l'exposé des motifs. D'autre part, tous les actionnaires des deux banques en ont pris connaissance. A plus forte raison, les membres des deux chambres peuvent en prendre connaissance. Je ne vois aucune difficulté à ce que l'insertion ait lieu dans le Moniteur. De cette manière, il n'y a pas de retard.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je persiste dans ce que j'ai eu l'honneur de dire à la chambre, que je communiquerai ces conventions à la section centrale, qu'elles sont analysées dans l'exposé des motifs, et qu'absolument rien n'y est omis. En présence de cette déclaration, de l'insistance paraîtrait un acte de défiance.

M. de Man d'Attenrode. - Puisqu'il en est ainsi, je me borne à prendre acte de la déclaration de M. le ministre des finances, et, par suite, je retire ma proposition.

M. de Theux. - M. h: ministre des finances a l'air de considérer comme une marque de défiance la demande de publicité. La chambre ne donne aucune marque de défiance, lorsqu'elle demande toutes les pièces se rattachant à un projet de loi sur lequel elle doit délibérer. C'est l'ordre régulier. Il n'y a là aucune défiance.

M. le président. - M. de Man a retiré sa proposition. M. de Theux en fait-il une ?

M. de Theux. - Non, M. le président. Mais je demande au ministre qu'il publie ces pièces, parce que je crois que ce serait convenable.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1850

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur l'ensemble du budget. La parole est à M. de Bocarmé, inscrit «sur».

(page 480) M. de Bocarmé. - Malgré les sinistres prévisions de beaucoup d’honorables collègues qui se sont exprimés avant moi, mes convictions sur la valeur de l’armée n’ont pas varié depuis l’année dernière ; comme alors, je considère notre organisation militaire comme bonne, dans le degré que peut atteindre une œuvre très difficile et très compliquée. L'honorable M. Thiéfry est pénétré de cette pensée, qu'en diminuant les cadres et en augmentant le nombre des soldats sous les armes, l'armée garantirait mieux les éventualités.

Oui, sans doute, elle serait meilleure, nombre pour nombre, chiffre pour chiffre. Mais telle n'a pas été la seule pensée des législateurs de 1845; ils ont voulu posséder non seulement de bons cadres et de bons soldats, mais avoir encore instantanément disponibles les éléments de nombreux bataillons, sans cependant élever extraordinairement le chiffre de la dépense ; c'est cette complication qui rend le problème fort difficile à résoudre sans prêter à la critique. Aussi en résulte-t-il que les critiques ne manquent pas, elles abondent, nous en sommes les témoins, elles surabondent, selon moi, car je suis de ceux qui, dans l’occurrence, ne s’éloignent guère (excepté sous le rapport financier) de l’appréciation, des prévisions de M. le ministre de la guerre. Bien rarement, messieurs, une invasion subite et inattendue surprend une nation, car alors il y a félonie de la part de l'agresseur. Eh bien! avec l'organisation actuelle, en quelques mois, les miliciens, rappelés sous les armes, auraient achevé leur éducation militaire; et soixante et dix à cent mille hommes, suivant les circonstances, se joindraient aux contingents des puissances intéressées à notre indépendance. Or, le système préconisé par les honorables collègues dont je ne partage pas l'opinion coûterait probablement davantage en temps de paix sans permettre, à beaucoup près, la formation d'une armée aussi nombreuse, quand s'ouvriraient les portes du temple de Janus.

En outre, si l’on usait trop amplement du recrutement volontaire, le maintien de la discipline en deviendrait infiniment plus difficile qu'il ne l'est aujourd'hui, et certes, messieurs, vous seriez peu disposés à établir dans le Code militaire des moyens de répression plus sévères que ceux qui existent; ce serait, en effet, marcher à rebours de l'esprit de civilisation qui distingue ce siècle. Et, cependant, rappelant mes souvenirs de vingt ans, je puis vous affirmer que, sous le rapport de la discipline, la faible portion de soldats engagés volontairement qui existait dans les escadrons que j'ai commandés, pendant près de trois lustres, commettait plus de fautes disciplinaires, de délits graves qu'un bien plus grand nombre de miliciens forcément, ou bien ensuite volontairement sous le drapeau.

On reproche, au système actuel le peu de temps que les miliciens passent sous les armes ; mais l'excellence des cadres, résultat de la même combinaison, doit suppléer pour beaucoup à cette imperfection commandée, jusqu'à un certain degré, par la philanthropie et l'économie. On a cité, en défaveur de notre armée, la ressemblance de son organisation avec celle du Piémont. On a omis de dire que le désastre de Novare avait été précédé, un an plus tôt, de très beaux faits d'armes ; et l'histoire se chargera, j'en suis certain, de démentir cette objection.

Ici, messieurs, je m'arrête, car, en présence du brillant épisode de l'honorable général Chazal, mes notes ont dû disparaître comme la neige se fond au soleil. Un mot cependant n'a pas été biffé par mon crayon, c'est le nom du général d'Aspre, notre compatriote, commandant du deuxième corps d'armée qui, longtemps seul, s'est si vaillamment comporté à Novare et aux combats qui ont précédé cette bataille.

Permettez-moi, messieurs, de vous rapporter aussi, à l'appui de ce que j'avance, un exemple également puisé dans l'histoire de ce siècle. En ne faisant que signaler Lutzen et Bautzen, victoires suivies, il est vrai, par des revers, suite d'une lutte inégale ; de gros bataillons, de nouvelle levée, ralliant sans cesse l'armée des alliés.

Reportons-nous à l'ère de ce même siècle où le général Bonaparte s'écriait, dans sa véhémence :«Qu'avez-vous fait de cette France que je vous avais laissée si glorieuse et si puissante?... » Eh bien ! messieurs, il ne tarda pas à assembler précipitamment à Dijon une armée composée principalement de conscrits, alignés, il est vrai, dans des cadres aguerris. Si maintenant, avec Annibal moderne, nous franchissons les Alpes; si nous nous intéressons au drame de Marengo, si grand par lui-même, si grand par ses résultats, pourra-t-on soutenir que la jeune armée du consul n'a pas montré toute la valeur dans les combats, toute la constance dans les revers, qui sont les qualités les plus brillantes, les plus solides du soldat, et sans lesquelles, malgré la marche hardie et savante du général, Marengo eût, peut-être, éclipsé la plus grande illustration des temps modernes.

Je l'ai dit, messieurs, c'est la seule partie financière de la situation militaire de notre pays, que je trouve anormale en présence de nos ressources, et, je dois le dire, en présence d'un système financier adopté par le gouvernement, qui n'a pas mon assentiment. Ainsi l'état de nos finances m'inquiète d'autant plus que ce désaccord est plus prononcé. En définitive, messieurs, pourquoi ne compterions-nous pas sur le patriotisme de l'armée, comme nous avons compté, l'an dernier, sur le patriotisme des employés civils, alors que nous avons été réduits à la dure nécessité de leur imposer des sacrifices. Quelques mécontentements, quelques murmures suivront peut-être les modifications, d'ailleurs modérées et prudentes, qui pourront être reconnues nécessaires. Mais, soyons-en certains, messieurs, l'honneur et le devoir sont une puissance qui ne s'anéantit pas facilement et qui s'éveillerait, au jour du danger, intacte et puissante, aux cœurs des braves.

Ces motifs, messieurs, m'ont donné quelque continuée pour présenter à votre appréciation un sous-amendement à celui de mon honorable ami M. Clep ; le mien élève le maximum des dépenses pour l'armée, gendarmerie comprise, à 25 millions, et je ne pense pas que l'on puisse descendre au-dessous de ce chiffre, aussi longtemps que les puissances européennes ne nous donneront pas l'exemple du désarmement, et que le magnifique système de la paix constante et universelle cessera d'être, comme de nos jours, un beau rêve, dont les illusions se dissipent bientôt sous les ailes du temps.

Si le gouvernement ne se rallie pas à ce système, qui éviterait à la législature l'obligation de se voir entraîner annuellement dans des débats pénibles, dangereux même ; si, dis-je, le gouvernement refusait ce chiffre, on ne donnait pas d'autres garanties, suffisantes à mes yeux, dans le cours de cette discussion, je me verrais forcé de refuser mon assentiment au chiffre qu'il propose.

M. Christiaens. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appuyer mon vote de quelques mots seulement.

Je me suis abstenu dans le vote du budget de la guerre, pour le service de 1849, et j'ai motivé mon abstention, entre autres motifs, sur le refus du ministre de la guerre de s'engager envers la chambre à soumettre la loi organique de l'armée aujourd'hui en vigueur à une révision nouvelle, afin d'y chercher le moyen de réduire le chiffre des dépenses normales du budget de son département. M. le ministre de la guerre persister toujours dans l'opinion que la loi organique actuelle est la seule bonne, la seule possible, la seule qui convienne aux besoins éventuels de la défense du pays, que le chiffre des dépenses qu'il pétitionne, dans son projet de budget pour le service de l'armée, ne comporte aucune réduction.

L'opinion de M. le ministre de la guerre est sans doute fort respectable en cette matière; mais, je n'hésite pas à le déclarer, elle le serait bien plus à mes yeux, si elle était moins immuable, je dirai presque moins opiniâtre.

En effet, messieurs, un homme d'Etat, ministre de la guerre, se trouvant devant un embarras financier comme celui sous lequel la Belgique se débat si péniblement en ce moment, ne doit guère trouver en lui-même les ressources qui sont propres à un esprit organisateur, lorsque, devant une pareille situation il se trouve en défaut, en temps de paix, de trouver, sur un chiffre de 27 millions, une économie de 2 millions, par exemple, sans désorganiser l'armée, comme il se plaît de le dire. Quand les finances du pays sont dans cette situation presque extrême où elles se trouvent, quand l'armée absorbe le tiers de toutes les ressources nettes du trésor public, quand on est pays neutre, quand on est en pleine paix européenne, quand on a une garde civique largement, dispendieusement organisée, quand la nation tout entière ne cesse de donner les témoignages les plus irrécusables de son dévouement aux institutions du pays et au chef de l'Etat, je dis alors qu'il ne peut y avoir, dans le refus de consentir à une réduction de quelques centaines de mille francs sur une dépense de 27 millions que coûte l'armée belge, que de deux choses l'une : ou manque de courage et de fermeté, ou un défaut d'esprit organisateur, dans l'homme qui dirige le département de la guerre.

Quand je considère ensuite combien de travaux publics utiles, urgents pour beaucoup de localités du pays si longtemps et si injustement livrées à un isolement ruineux, on pourrait exécuter avec l'économie que nous demandons sur les dépenses de l'armée, je croirais manquer aux devoirs de mon mandat en donnant un vote approbatif au budget de la guerre déposé devant la chambre par M. le ministre; d'autant plus que j'ai la conviction profonde qu'en voulant fermement, courageusement, on peut en cette circonstance satisfaire au vœu d'une partie de la chambre, d'accord en cela avec les besoins du pays, sans compromettre ni sa sûreté à l'intérieur ni l'organisation convenable de sa défense à la frontière.

Oui, messieurs, j'ai la conviction profonde que la prétendue impossibilité que M. le ministre de la guerre nous oppose de pouvoir remplir cette double tâche par l'armée, en lui donnant une organisation plus économique, ne réside pas dans des difficultés qui sont dans la chose elle-même; que cette prétendue impossibilité réside dans des difficultés d'un autre ordre et qui ne pourraient avoir quelque valeur à mes yeux que lorsque les finances du pays se trouveraient dans un état prospère, mais qui ne peuvent être respectées devant un trésor vide et des contribuables aux abois.

Oui, messieurs, quoi qu'en aient dit d'honorables orateurs qui m'ont précédé, il y a quelque chose qui est plus à craindre pour l'indépendance de la Belgique que deux millions d'économie sur la dépense de son armée : c'est la désaffection que produit le luxe de certaines positions sociales, jugées inutiles et superflues, payées par le peuple et qu'on s'efforce de maintenir comme face à face devant sa misère, devant ses souffrances.

M. Vanden Berghe de Binckum. - Messieurs, je ne dois pas cacher l'embarras que j'éprouve en prenant la parole dans cette discussion, après les brillants discours des orateurs que vous avez entendus dans la séance d'hier; mais je dois avouer qu'ils ont raccourci à la tâche que je croyais remplir, en défendant le budget qui nous occupe.

L'honorable M. Devaux et avant lui MM. Dumortier et De Pouhon ont développé différents points que je comptais aborder, et que j'abandonne; je crois cependant devoir motiver mon vote favorable, et signaler à la chambre une erreur qui se trouve dans le rapport de la section centrale.

Je lis, dans ce rapport, que le dépouillement des procès-verbaux des (page 481) sections ont donna pour résultat, que la première section adopte le projet et rejette la proposition d'une réorganisation ;

Que la seconde, par 9 voix 1 abstention, demande une réorganisation de l'armée qui permette d'entrer dans une large voie d'économie, et qu'après avoir voté sur les articles, elle décide, sans opposition, de ne pas voter l'ensemble du budget. Ce sont les termes du rapport.

La deuxième section, messieurs, dont j'avais l'honneur de faire partie, n’a fait qu'émettre le vœu d'une réorganisation qui permette d'entrer dans une large voie d'économie, et j'invoque à cet égard le témoignage de M. le rapporteur de la deuxième section. Emettre un vœu, messieurs, n'est pas porter une décision; la différence est grande.

Il a même été déclaré dans la deuxième section que le vœu émis n'était pas applicable à l'exercice 1850, les circonstances ne permettant pas d'y songer dans ce moment; elle n'a eu en vue que l'exercice 1851, afin de laisser au gouvernement le temps d'examiner cette importante question.

Il est vrai que la section n'a pas voté sur l'ensemble du budget par le motif que quelques membres ont pensé que ce vote les liait pour le tout, et qu'ils voulaient rester libres sur chacun des articles lors de la discussion; mais ce qui est certain, c'est que tous les articles ont été examinés et successivement adoptés par la section.

Messieurs, depuis nombre d'années on a demandé l'organisation de notre armée sur des bases fortes. A l'époque où cela fut le plus vivement réclamé, nous n'avions alors qu'un ennemi à redouter et à combattre, celui d'alors est aujourd'hui notre auxiliaire, notre position est tout autre, et au lieu d'un nous en avons plusieurs à redouter.

En 1842 avant la loi d'organisation actuelle, une commission composée d'hommes que l'on croyait compétents, a examiné cette grande question, et si je suis bien renseigné, l'organisation actuelle fixée par la loi de 1845 est le résultat de son travail ; c'est cette loi de fraîche date qui est attaquée actuellement, par qui, messieurs ? L'honorable M. Anspach vous l'a dit avant-hier. Ce travail d'ensemble a cependant reçu l'approbation d'un homme dont les connaissances ne peuvent être mises en doute, puisqu'il fut un des principaux réorganisateurs de l'année française pendant les cent-jours.

On dit avec raison que la critique est aisée et l'art difficile, et ce qui le prouve, c'est que beaucoup de monde critique l'organisation actuelle, mais que pas un homme spécial ne vient vous soumettre une organisation nouvelle en vous signalant les fautes de celle qui existe. Si un pareil travail vous était soumis, M. le ministre de la guerre l'examinerait et le ferait étudier par des hommes compétents, comme il l'a dit dans la section centrale; et dans mon opinion l'avis des hommes qui ont fait leurs études spéciales de l'art de la guerre devrait guider les nôtres, car quelles connaissances militaires ont les propriétaires, les industriels, les avocats et les commerçants, et qui de nous oserait consciencieusement se poser en homme de guerre compétent, pour organiser l'armée, ou dresser un plan d'ensemble?

Je crois ne pas me tromper en disant : Pas un !

On peut très bien commander un bataillon de garde civique, peut-être même une légion pour défiler à une parade ou lui faire exécuter quelques manœuvres, que l'on serait incapable de commander un régiment vis-à-vis de l'ennemi, par conséquent bien moins capable de réorganiser une armée et de critiquer en connaissance de cause ce qui existe.

Tout en combattant la demande d'une réorganisation immédiate, je n'entends pas préjuger la question qu'il n'y a rien à faire dans le but d'apporter des économies au budget de l'armée ; mais j'ai assez de confiance dans les bonnes intentions du cabinet, pour être persuadé qu'il se hâtera de nous les soumettre dès qu'il en aura reconnu la possibilité. Toutefois, je crois que M. le ministre de la guerre agirait prudemment, en s'adjoignant quelques officiers supérieurs et les trois membres de cette chambre les plus hostiles à l'organisation actuelle, pour examiner si des changements dans un but d'économie sont possibles, tout en conservant notre armée forte et bonne; le résultat de cet examen pourrait être communiqué à la chambre à la session prochaine.

Ceci n'est que l'expression de mon opinion, je n'en fais pas une proposition, ne voulant pas tomber dans les fautes commises par la Convention française de la première république, comme l'a rappelé l'honorable M. Devaux dans son brillant discours d'hier. Mais ce serait peut-être le meilleur moyen d'arrêter pour la suite la guerre que l'on fait à ce budget, car j'aime à croire que ces messieurs ne n'obstineraient pas, si on leur démontrait que le système actuel est le meilleur. Il est de ces affaires que l'on juge beaucoup mieux, quand on a les pièces devant soi, que par des discussions publiques où souvent on marque de documents, et où l'amour-propre est en jeu.

Réorganiser notre armée dans l'état où se trouve l'Europe actuellement, serait, à mon avis, la mesure la plus dangereuse et la plus impolitique que l'on pourrait prendre.

Si les nuages révolutionnaires qui menaçaient l'Europe entière, il y a bientôt deux ans, semblent se dissiper; il est incontestable qu'ils sont loin d'être disparus entièrement de l'horizon; le feu couve sous la cendre et le moindre souffle peut allumer un incendie immense. Ce n'est donc pas dans la situation actuelle des affaires européennes que l'on peut songer à provoquer une réorganisation de l'armée.

Il faut songer avant tout à maintenir la belle position que nous avons conquise dans l'estime de toutes les nations, et à défendre notre indépendance si elle venait à être menacée ; aussi je croirais faire acte de mauvais citoyen si je contribuais par mon vote à exposer mon pays à courir les chances de l'inconnu, car ce serait courir les chances de l'inconnu, que de voter une organisation nouvelle que personne ne présente et dont personne n'oserait assumer la responsabilité.

Quelle opinion, messieurs, auraient de nous les nations voisines qui ont admiré notre calme, lorsque partout autour de nous grondaient les mauvaises passions anarchiques, si elles voyaient que, ne tenant aucun compte des graves complications qui peuvent surgir en Europe d'un moment à l'autre, nous poussions l'imprudence jusqu'à l'aveuglement, en désorganisant en un instant, par un vote, une armée organisée, et capable, qui peut être appelée à chaque instant à rendre de grands services au pays, et cela, messieurs, remarquez-le bien, sans savoir ce que nous voulons et ce que nous pouvons mettre en place? Demander une nouvelle organisation de l'armée, ou, en d'autres termes, désorganiser celle qui existe, c'est jeter la perturbation dans toutes les branches du travail national, car c'est détruire la confiance, si indispensable à la prospérité du commerce, de l'industrie et de l'agriculture.

Les plaies faites par les événements de 1848 sont à peine cicatrisées; ne les rouvrons pas par nos fautes.

Si, le 28 février 1848, notre armée avait été, soit en réorganisation, soit sous l'influence d'une menace de désorganisation qui aurait mis la position de ses chefs dans une grande incertitude d'avenir ; croyez-vous, messieurs, que nous aurions trouvé en elle ce dévouement et ce patriotisme dont elle a fait preuve, et qui a sauvé la société? Et si ce patriotisme avait fait défaut, que serait-il avenu de la Belgique, envahie par l'écume anarchique d'un pays voisin? Où l'élan révolutionnaire se serait-il arrêté? Personne ne le sait, on recule d'épouvante à sonder la profondeur de l'abîme où la Belgique aurait pu être jetée.

Quelques germes de l'anarchie qui nous enveloppait de différents côtés, quoique peu redoutables, grâce au bon sens du peuple belge, couvaient chez nous; ils pouvaient éclore, grandir et attirer sur la Belgique les désastres et les malheurs que d'autres pays ont eu à déplorer. Ce souvenir du passé doit nous ouvrir les yeux sur l'avenir. Nous sommes petits et entourés de grands voisins; cette position nous oblige à une extrême prudence, et je suis de ceux qui pensent qu'en affaires comme en politique la même maxime est applicable. Aide-toi, le ciel l'aidera. Aussi je voterai pour le budget de la guerre.

M. Manilius, rapporteur. - Je demande la parole pour une rectification.

L'honorable préopinant vous a dit, messieurs, qu'il a fait partie de la deuxième section, et que l'analyse des délibérations de cette section n'a pas été faite avec une entière exactitude dans le rapport de la section centrale. Il est possible, messieurs, que l'opinion de l'honorable préopinant n'a pas été reproduite, mais je dois dire que le procès-verbal de la deuxième section, que je tiens en mains, constate les votes tels qu'ils ont été signalés dans le rapport de la section centrale. Je viens d'en faire la vérification sous les yeux de M. le président, et il a pu voir que je n'ai pas seulement analysé le procès-verbal, mais que je l’ai copié littéralement pour le nombre des votes et le sens des propositions.

Le fait est que, dans la discussion, l'on a commencé par émettre des vœux, mais ensuite des propositions formelles ont été déposées, et ces propositions ont été adoptées.

C'est ainsi que le vœu en faveur de la réorganisation de l'armée a été converti en une proposition qui a été votée par 9 voix contre 1. La deuxième proposition tendante à ce que le chiffre du budget de la guerre soit réduit à 20 millions, a été adoptée par 3 voix contre 2, 5 membres s'étant abstenus. Cela n'est aussi qu'un vœu dans l'éventualité d'une réorganisation.

Voilà, messieurs, les faits tels qu'ils sont constatés par le procès-verbal de la deuxième section et tels que je les ai signalés, et il me peine devoir qu'on paraisse mettre en doute la sincérité avec laquelle j'ai rédigé mon rapport.

Je dois dire, à cette occasion, que j'ai en quelque sorte prévu ce qui arrive, et que j'ai cherché à être le plus glissant possible afin d'éviter de semblables attaques. Je me suis borné à faire l'analyse des procès-verbaux de manière à indiquer simplement les décisions prises sur les vœux formulés en propositions et qui ont obtenu la majorité des suffrages; ni plus, ni moins, j'ai voulu laisser à chaque membre la défense de ses opinions, comme je défendrai aussi la mienne.

M. Van Hoorebeke. - Je dois déclarer, comme rapporteur de la deuxième section, que cette section n'a pas demandé formellement la révision de la loi organique. Elle n'a fait qu'émettre un vœu en faveur de cette révision. Je pense que l'erreur de M. Manilius provient de ce fait qu'il aura copié les décisions de la deuxième section, sur la minute tenue par M. le président, au lieu de prendre pour point de départ le procès-verbal de la deuxième section. Il doit y avoir confusion, car il est certain, et j'en appelle à tous les membres de la deuxième section, que la deuxième section n'a pas voté pour la réorganisation immédiate de l'armée.

M. Thiéfry. - Devant répondre à l'éloquent discours que vous avez entendu hier, il m'est pénible de parler encore une fois de cette organisation que je trouve si défectueuse; l'importance du sujet m'oblige à surmonter ma répugnance, pour faire connaître la vérité.

J'ai réclamé des changements à la loi d'organisation pour deux motifs. Je l'ai trouvée trop défectueuse et j'ai pensé qu'il était possible d'obtenir des économies sans diminuer la force de l'armée.

Elle est défectueuse, parce que les miliciens ne restent pas assez de temps sous les armes;

(page 482) Que l'effectif des compagnies sur le pied de paix n'est pas en rapport avec l'effectif de guerre, et qu'il ne correspond pas h celui qui est nécessaire pour le service et l'instruction ;

Et enfin, parce que les cadres ne sont pas constitués pour la masse d'hommes qu'on veut mettre sous les armes.

L'honorable général prétend que les miliciens restent dix-huit mois dans les régiments; je l'ai contesté, et ce que l'on a dit fortifie mon opinion.

M. le ministre avoue lui-même que deux classes ont été renvoyées après huit mois de service, il nous en donne les raisons; elles sont entièrement applicables à une seule classe. Quant à la deuxième, à celle qui a été incorporée le 26 mai 1848, rien ne pouvait empêcher les miliciens de recevoir leur instruction complète. Notez bien, messieurs, qu'il ne s'agit pas de congés partiels, mais bien d'envoi en masse, puisqu'il est question de 190 à 200 hommes par régiment.

On les a renvoyés, dit-on, pour désencombrer les casernes. Mais les casernes sont vides et nous voyons tous les jours des villes réclamer une plus forte garnison. Si les pétitionnaires qui se sont adressés à la chambre avaient connu mes intentions, ils se seraient servis de mon intermédiaire pour déposer leur pétition sur le bureau. C'est pour éviter le choléra, a-t-on ajouté, que l'on a renvoyé ces hommes dans leur village... A quelque chose malheur est bon, et voilà le choléra qui vient justifier M. le ministre de la guerre d'une mesure que je ne saurais trop blâmer.

Il n'y a qu'un seul moyen de me convaincre et de me faire vérifier le fait, c'est le dépôt des contrôles des compagnies; aussi longtemps que je ne les aurai pas vus, je serai en droit de croire que mes observations sont fondées.

Quoi qu'il en soit, je soutiens qu'il faut conserver les miliciens pendant trois années consécutives sous les drapeaux. Ce n'est pas un petit capitaine d'infanterie qui l'a dit, ce sont tous les généraux belges, et avant eux Préval, Rognât, Soult, Napoléon, avaient exprimé la même opinion, et devant de telles autorités chacun doit s'incliner.

Comment! messieurs, quelques mois de service suffiraient pour la Belgique, la Bavière, le Piémont, pour tous les pays, enfin, qui ne sont pas appelés à faire la guerre offensive, et il faudrait un terme plus long pour les armées qui peuvent être appelées à porter la guerre chez l'étranger, comme si la durée du service ne donnait aucun autre avantage que d'apprendre à marcher. Si la prolongation du service est bonne pour former le soldat français ou prussien, elle doit l'être aussi pour le soldat belge. J'en appelle à tout homme tant soit peu au fait du métier: peut-il y avoir deux manières de dresser un fantassin? Qu'il soit appelé à défendre son pays ou à se battre en pays ennemi, partout où il combattra, il devra réunir les qualités qu'on exige d'un bon soldat.

Le patriotisme, l'enthousiasme général doit, dit-on, suppléer au défaut d'une éducation militaire complète ! Ce sentiment, l'un des plus sublimes d'une nation, il faut oser l'avouer, il est bien difficile à faire naître, a dit, je pense, le marquis de Chambray, plus difficile encore à conserver; mais jamais il ne peut dispenser de la prolongation du service dans une armée permanente. Il ne donne pas cet aplomb, ce sang-froid dans les manœuvres, qui sont des qualités essentielles de l'infanterie. Et cet esprit militaire qui fait la force de toute une armée, l'obtient-on en si peu de temps?

Le général Paixhans, après avoir donné le total des armées en France, à diverses époques, dit :

« Napoléon eut des armées nombreuses, oui, parce qu'alors nous nous étendions de Cadix à Moscou : mais ce fut avec un petit nombre d'excellents soldats qu'il fit ses campagnes d'Italie et d'Egypte ; ce fut accompagné d'un immense cortège de conscrits qu'il fut refoulé en 1815, et son opinion sur la qualité ou la quantité ne différa nullement de celle de tous les grands hommes de guerre. Ce ne sont pas les recrues (disait-il au conseil d'Etat en parlant des campagnes de la république) qui ont remporté les succès, ce sont les hommes de vieilles troupes et les militaires retirés que la révolution a lancés aux frontières. Parmi les recrues, les uns ont déserté, les autres sont morts. Pourquoi les Romains ont-ils fait de si grandes choses? C'est qu'ils donnaient six ans à l'éducation d'un soldat, et une légion de 3,000 hommes leur en valait 30,000. »

On a rappelé les batailles de Lutzen et de Baufzen pour faire voir que de jeunes miliciens pouvaient, au besoin, rendre les mêmes services que de vieux soldats. Eh bien, ces deux batailles me fournissent un grand exemple des malheurs qu'occasionnent dans une armée des hommes trop peu instruits.

Après ces deux batailles, le nombre des blessés se trouvait dans une proportion extraordinairement supérieure à d'autres temps, à d'autres actions. Napoléon en forma un camp près de Dresde; la plus grande partie était blessée à la main ; les généraux prétendaient dans leur rapport que la lâcheté et le désir de rentrer dans leur foyer avaient porté ces hommes à se mutiler. Le baron Larrey seul soutint que ces blessures n'étaient dues qu'à la maladresse, au peu d'instruction des soldats. Il affronta le mécontentement de l'empereur. Une enquête minutieuse eut lieu ; elle prouva que ces hommes avaient été blessés par ceux qui étaient derrière eux !...

Voilà, messieurs, à quoi on s'expose quand on a de trop jeunes soldats, et cependant c'est encore le moindre des inconvénients de notre organisation. N'est-on pas en droit de penser que le camp de Dresde, qui a été parfaitement connu des alliés, a dû avoir une certaine influence sur leur décision dans le refus d'accorder la paix à la France, car rien n'annonçait davantage la décadence de l'infanterie française.

Je rappellerai un fait plus récent, la déroute des régiments piémontais, qui a fait dire à un officier général :

« Ils ont lâché le pied ignominieusement; voilà une cruelle vérité contre ceux qui s'imaginent suppléer à toutes les qualités des armées régulières par l'enthousiasme d'une multitude appelée sous les drapeaux. »

Comparez cette conduite avec celle des soldats de la garde à Waterloo. Tout le monde connaît les paroles attribuées au général Cambronne !...On prétend qu'il ne les a pas dites, mais chacun convient que la garde s'est fait tuer sur la place. Eh bien, messieurs, la Belgique, en cas de besoin, obtiendra le même sacrifice avec des soldats; le contraire est à craindre avec des miliciens qui ne restent que quelques mois sous les armes. Ce n'est pas que je veuille nier le courage qu'ils peuvent montrer, non ; mais l'expérience nous apprend que la moindre circonstance fâcheuse occasionne une déroute dans une troupe trop jeune.

Sans rappeler 1831, je citerai un exemple pris dans les événements qui se sont passés dans notre pays ; j'aime, autant que possible, à parler de faits que chacun peut vérifier : et il y a encore bon nombre de militaires dans l'armée belge qui se souviendront de celui dont je vais entretenir la chambre.

Le général Chassé avait sous ses ordres à Waterloo la 3ème division, composée de 10 bataillons de troupe de ligne belge et de miliciens hollandais, dont la formation datait de 15 mois : les officiers et sous-officiers étaient tous d'anciens militaires qui avaient fait de nombreuses campagnes.

Toute cette troupe, placée d'abord en réserve, le 16 et le 17, montra beaucoup de fermeté et fit une contenance digne d'éloge. Le 18 elle fut héroïque au moment du dernier effort des Français. Quatre bataillons de la vieille garde marchaient en avant, le général Chassé ordonna à ses batteries d'attaquer l'ennemi en flanc, et lui-même se mit à la tête de la 1ère brigade et repoussa les bataillons français.

Voilà une troupe jeune et brave se conduisant admirablement.

La bataille gagnée, la 2ème brigade de cette même division, sous les ordres du général Daubremé et une brigade anglaise du général Colville, durent exécuter une marche forcée sur Bavai : elle firent route ensemble; les Anglais arrivèrent dans un ordre parfait. Il n'en fut pas de même de la brigade de Daubremé : après avoir fait six lieues, les hommes découragés sortirent des rangs, s'affaissant sur eux-mêmes, par suite de la fatigue, à mesure que l'on avança, le désordre se propagea dans la colonne, l'autorité des officiers fut méconnue, tous les liens de la discipline rompus; il fallut quarante-huit heures pour rallier cette brigade qui perdit la moitié des hommes dans cette seule marche.

Ainsi, d'un côté, on voit une vieille troupe se conserver compacte et prête à recommencer le combat, et d'un autre, les bataillons de jeunes soldats se fondre de manière que si la bataille de Waterloo eût été perdue et s'ils eussent dû marcher en retraite, il ne s'en serait pas échappe un seul homme.

Il y a encore des témoins de cette marche. Les généraux Goethals, Capiaumont, Crossée, les colonels Brunei, de Renette, Bouvier, Boucher, Huybrechts, et beaucoup d'autres encore, faisaient partie de cette brigade, ils peuvent attester tout le danger d'avoir en campagne de trop jeunes soldats.

A entendre l'honorable ministre, nous n'avons pas à craindre de semblables déroutes avec l'armée belge ; malgré les événements de 1831 et ceux de Waterloo, on nous dit que notre armée est la plus instruite, la plus disciplinée de l'Europe! Si mes souvenirs sont exacts, M. le ministre de la guerre nous a dit hier que nulle part il n'a rencontré une armée supérieure à la nôtre; comme Belge, je le remercie de la bonne opinion qu'il a de ses compatriotes; mais, messieurs, ne trouvez-vous pas, comme moi, que prétendre que des recrues, qui pour la plupart n'ont passé que quelques mois sous les armes, puissent être comparés aux soldats de ces peuples à qui leur organisation militaire permet de les conserver sous les drapeaux pendant 3, 5 et même 8 ans; c'est avoir, messieurs, trop de présomption; n'oublions pas combien quelquefois la présomption, l'aveugle confiance même, peut donner lieu à de cruels mécomptes ! Comment voulez-vous, messieurs, que nous possédions à nous seuls l'art de changer les hommes? Nous seuls, Belges, nous aurions le talent de transformer les paysans en soldats en quelques mois! Tâchons de comprendre que nous ressemblons aux autres hommes, ni plus, ni moins parfaits.

Vous trouverez peut-être, messieurs, que j'entre dans trop de détails; mais la durée du service est l'objet le plus important pour obtenir une bonne troupe, et je veux convaincre tout le monde et notamment l'honorable député de Bruges, qu'en fait de soldats, la qualité vaut toujours mieux que la quantité.

M. le ministre a visité la Prusse, la Bavière, la Sardaigne, et il m'a dit que je m'étais trompé quant à la durée du service des soldats prussiens; cela est possible, cependant j'ai des raisons d'en douter, j'ai voulu savoir si les auteurs que j'avais lus étaient bien renseignés. Je suis allé tout exprès en Prusse, pour m'assurer par moi-même de ce qui s'y pratique. J'ai pris des informations près des officiers de l'armée active et de la Landwehr, et tout particulièrement près d'un conseiller de régence, chargé de l'administration militaire. C'est le résultat de tous ces renseignement» que j'ai transcrit, et aujourd'hui, au moment même où nous discutons, le bataillon est de 800 hommes, dont une partie a au-delà de trois ans sous les drapeaux.

Je persiste donc à dire que les Français et les Prussiens ont un immense avantage sur nous, par la durée du service.

Quant à l'effectif nécessaire pour l'instruction, on ne m'a rien répondu, on ne pouvait rien m'objecter, car je possède des pièces qui m'ont fait connaître l'effectif des corps pendant toute l'année.

(page 483) Il est donc vrai que le tiers de l'infanterie est dans l'impossibilité matérielle d'exécuter l’école de bataillon et les évolutions de ligne : oui il est vrai que cette partie de l'armée, faute de soldats, ne peut faire l'écolo de bataillon qu'au cordeau : et cet exercice-là n'est en usage dans aucune armée de l'Europe.

Est-ce ainsi que l'on forme le soldat français, le soldat prussien? Est-ce de cette manière que l'on instruit le Hollandais? Et voilà cependant les hommes contre lesquels nous pourrions avoir à lutter un jour!

Ce fait suffirait à lui seul pour motiver un changement dans l'organisation : car, remarquez-le bien, messieurs, il ne suffit pas d'avoir des cadres, et de très bons cadres, il faut encore des soldats, et des soldats instruits; l'un ne peut marcher sans l'autre, une juste proportion est indispensable pour que le tout soit parfait.

J'ai été on ne peut pas plus charmé d'entendre M. le ministre faire l'éloge de l'organisation de l'armée piémontaise, que je n'approuve cependant pas dans certaines parties; cela me donne l'assurance qu'il n'envisage pas le fractionnement du bataillon à 4 compagnies comme un inconvénient à l'adoption du projet que j'avais esquissé et que j'aurais désiré ne pas être dans l'obligation de produire, afin de laisser aux hommes spéciaux le soin de discuter cette question importante.

Eh bien, tout mon secret, qui, certes, n'en est pas un, consiste à encadrer l'infanterie dans des bataillons à 4 compagnies, comme en Prusse, en Hollande, en Russie, en Sardaigne, etc., etc.

12 régiments de 4 bataillons.

12 compagnies de dépôt.

6 bataillons de chasseurs, s'administrant séparément.

Il y a aujourd'hui 49 bataillons et 32 cadres de compagnies qui représentent 5 bataillons, soit 54 bataillons ; tout le reste est à organiser au moment du passage sur le pied de guerre.

On aurait, par mon système, 54 bataillons entièrement organisés, par conséquent, le même nombre de bataillons.

Sur le pied de paix, il y a aujourd'hui 13,574 soldats y compris les enfants de troupe; il y en aurait alors 17,418. Sur le pied de guerre, d'après l'organisation actuelle, les 49 bataillons contiendraient 36,162 soldats, et les 32 compagnies, 5,984. En tout, 42,146 soldats.

Les 54 bataillons auraient un effectif de guerre de 42,552 soldats et les 12 compagnies de 4,364. En tout, 46,916 soldats.

Par conséquent, l'effectif encadré serait aussi plus élevé sur le pied de guerre.

Les compagnies ont 4 officiers, 100 hommes dans les chasseurs, et 94 dans les régiments, toujours présents, l'hiver comme l'été, les miliciens restant trois années consécutivement sous les armes.

J'ajouterai que l'infanterie organisée de cette manière coûterait un peu moins qu'aujourd'hui.

Il y aurait en moins, 11 officiers d'administration. 11 médecins, 270 officiers de troupes et 116 sous-lieutenants en plus. Soit 154 officiers de troupes en trop.

Les discussions importantes auxquelles nous nous livrons ont donné naissance à quantité de projets; plusieurs de leurs auteurs ne tiennent pas compte de la situation du pays et raisonnent comme s'il était aussi facile de faire disparaître toutes nos places fortes que de démolir une bicoque; ils ne font nulle attention à la position du pays vis-à-vis des grandes puissances qui ont garanti notre neutralité, et qui y ont mis certaines conditions, parmi lesquelles se trouve l'obligation de maintenir les forteresses, sauf quelques-unes qui ont fait l'objet d'un traité spécial. Il nous est bien permis d'élever des fortifications autour d'Anvers, pour y abriter notre armée en cas de besoin, mais nous ne pouvons, je pense, raser ni Mons, ni Charleroy, etc., etc., sans déchirer le traité qui garantit notre neutralité.

J'envisage donc le pays dans la situation où il se trouve, comme la commission des généraux l'a considéré elle-même. Nous avons des places fortes à garder. Si nous ne les conservons pas, notre allié, qu'il soit Allemand ou Français, n'aura plus d'intérêt à accourir à notre secours.

Des hommes compétents ont évalué le nombre de troupes pour leur défense, et, déduction faite de celle qui y est nécessaire, ils ont dit qu'il nous resterait 50,000 hommes pour tenir la campagne, si notre armée en réunissait 80,000. Ce sont sept généraux qui l'ont affirmé, sept hommes d'expérience, et parmi lesquels il y en avait d'un mérite incontestable comme organisateur et comme officier du génie.

Or, nous aurions sur le pied de guerre 8,603 cavaliers, y compris la gendarmerie. En déduisant pour les forteresses 403, il resterait 8,200, ce qui correspond à un corps d'armée de 57,000 hommes, savoir : infanterie 41,000, cavalerie 1/5 8,200, artillerie 1/6 : 6,800 et génie 1/40 1,000. Total ; 57,000.

La comparaison de la force de ce coups d'armée, avec celui que les généraux ont annoncé comme pouvant être mis sur pied, prouve à évidence que nous avons beaucoup trop de cavalerie.

J'ai supposé qu'au lieu de 30,000 hommes, on pourrait peut-être élever ce chiffre à 34,000, et même, dans cette supposition, on obtiendrait des économies excessivement importantes ; mais, va-t-on me répondre, 34,000 hommes en campagne sont insuffisants, il en faut 50,000.

Je me hasarderai à dire que 50,000, c'est trop ou trop peu, selon les circonstances ; par exemple en 1848 c'était trop, en 1815 cette armée eût été insuffisante: La force nécessaire à la défense de la Belgique dépendra toujours de l'armée envahissante. Si nous devions soutenir une guerre contre la Hollande, 34,000 hommes en campagne nous suffiront ; si c'est contre la France ou la Prusse, les 50,000 hommes seront insuffisants ; si nous sommes soutenus par la France ou par la Prusse, ce que personne ne mettra jamais en doute, en cas d'attaque de l'une ou l'autre de ces puissances, 54,000 hommes formeront un corps d'autant plus respectable, que la qualité compensera largement la quantité ; s'il s'agit enfin de faire respecter notre neutralité, en menaçant de traiter comme ennemi celui qui envahirait la Belgique , 54,000 hommes, avec des soldats restant trois ans sous les armes, ayant un excellent esprit militaire, des bataillons et des escadrons dont l'effectif de paix serait en rapport avec une bonne organisation, produiront bien plus d'effet qu'une armée de 50,000 hommes, composée de recrues ou de miliciens ayant trop peu de temps de service.

Le maréchal de Saxe l'a dit : Ce sont les bonnes armées et non les grandes, qui gagnent les batailles.

D'ailleurs, si la Prusse ou la France ne veut pas respecter notre neutralité, ce ne seront pas 8,000 ou 10,000 hommes de plus qui leur en imposeront ; il faudra, dans ce cas, se retirer vers une place de secours, et l'ennemi, si nous conservons nos forteresses, hésitera pour se placer entre nos 34,000 hommes, qui seraient immédiatement renforcés par les Anglais et les Hollandais, et une autre armée qui accourrait bien vite à notre secours.

Si, au contraire, on se retire vers l'armée alliée, les chances de la victoire dépendront plus d'eux que de nous, et nos 34,000 hommes, bien organisés, leur rendront plus de services qu'une masse de soldats ayant une douzaine de mois de présence sous les armes, voire même dix-huit.

Pour moi, messieurs, la question n'est pas de savoir si l'on peut, ou si l'on ne peut pas réunir 80, 90 ou 112,000 hommes, comme on a dit que nous avions eu ; elle est de connaître si cette force réunie peut être convenablement encadrée, et si elle offrirait de la consistance; ce ne seraient plus 51,000 soldats d'infanterie que l'on aurait avec 100,000 hommes, mais 70,000 : il faudrait pourvoir à 7,500 emplois pour les encadrer, afin de former 25 bataillons nouveaux et compléter ceux existants; d'un autre côté l'on aura tout au plus 6 à 7,000 anciens soldats dans les régiments, et c'est avec un noyau aussi faible que l'on incorporera 60,000 hommes et plus composés de recrues, ou de miliciens ayant été environ un an sous les armes, et dont la plupart auront demeuré pendant plusieurs années dans leur village. C'est avec une troupe semblable que l'on se mesurera contre une armée française ou prussienne ! Non, messieurs, cela n'est pas possible. Je crois que l'on ne rencontrera jamais un général assez téméraire pour oser ainsi compromettre la nationalité belge.

Permettez-moi, messieurs, de revenir encore sur l'organisation de la cavalerie, l'objet est excessivement important. L'effectif des escadrons est de 100 chevaux, le besoin du service, l'effectif nécessaire pour l'instruction, et, quoi qu'on en ait dit, la difficulté de se procurer des chevaux au moment du passage sur le pied de guerre, m'ont fait demander l'augmentation de la force des escadrons.

Pour savoir si mes observations méritent d'être prises en considération, je consens à m'effacer complètement, ou plutôt j'admets que mon opinion personnelle ne soit d'aucun poids.

Je ne parlerai plus de celle des généraux belges, tout le monde sait que ce principe a été reconnu dans des instructions émanant du ministère de la guerre, et dans l'arrêté royal de 1831 qui avait fixé l'effectif de l'escadron à 147 hommes et 125 chevaux.

Voyons ce qui s'est passé en France : En 1821 et 1825 les comités de cavalerie demandèrent « que chaque escadron eût la force nécessaire pour y entretenir l'unité et l'intégralité pour la manœuvre, comme pour l'administration et le service. »

En 1828, le conseil supérieur de la guerre maintint ce principe et ses conséquences à l'unanimité moins 1 voix.

En 1832, le maréchal Soult le consacra par l'ordonnance du 19 février. Jusqu'en 1833 les escadrons conservèrent à peu près leur complet en chevaux, et lorsqu'en 1834 tous les régiments de cavalerie furent réduits de 6 escadrons à 5, l'effectif en chevaux fut porté de 125 à 130.

Les budgets de 1836 à 1841 n'ont porté l'effectif des escadrons qu'à 100 chevaux, les officiers généraux n'ont cessé d'en réclamer 130.

En 1830, le ministre demanda des rapports particuliers aux inspecteurs (page 484) généraux et aux colonels, tous se prononcèrent pour un effectif de 125 à 130 chevaux. Notamment les généraux de la Tour Maubourg, Oudinot, Wattriez, Faudous, de la Roche-Aymon, Lelang, etc., etc.; le général Préval dit que 125 suffisent.

Sur 44 colonels, 18 demandèrent 125 chevaux par escadron, 16 130 et 10 132 à 150.

Le ministre voulut connaître l'opinion du comité de cavalerie; celui-ci répondit qu'il fallait sur le pied de paix, 140 chevaux par escadron de cavalerie de réserve. 145 par escadron de cavalerie de ligne et 150 par escadron de cavalerie légère.

Et sur le pied de guerre, 164 chevaux pour la cavalerie de réserve. 172 pour la cavalerie de ligne. 200 pour la cavalerie légère.

En 1842, on admit ce dernier effectif ; mais depuis 1843, on adopta celui de paix, proposé par le comité de cavalerie : 140, 145 et 150 chevaux.

Voilà, messieurs, un grand nombre d'officiers très compétents, qui se prononcent contre le système admis en Belgique.

Un régiment de cavalerie légère française de 5 escadrons a, non compris les officiers et l'état-major, 910 hommes et 750 chevaux.

Un régiment belge de 6 escadrons a 666 hommes et 600 chevaux.

Différence, 244 hommes et 150 chevaux.

Ma demande de l'augmentation de l'effectif de l'escadron est donc basée sur des principes reconnus par tous les généraux. Peut-on l'obtenir en augmentant la force de la cavalerie? Evidemment non : car notre sollicitude pour l'armée doit s'allier aux devoirs que nous impose le poste que nous occupons, et un des plus importants est de diminuer les dépenses. Cette augmentation ne peut être réalisée que d'une seule manière, par la diminution des régiments, en incorporant les cavaliers et les chevaux des escadrons supprimés dans ceux conservés. J'ai prouvé, d'ailleurs, que l'on aurait trop de cavalerie sur le pied de guerre.

Conserver des cadres pour 8,603 cavaliers, quand il faudrait se pourvoir de 2,715 chevaux en cas de guerre, c'est user ses ressources pendant la paix et se mettre dans l'impossibilité d'avoir des chevaux pour s'en servir en temps utile.

Voici ce que dit M. Fallot, auteur très estimé : « Des cavaliers braves et exercés, montés sur des chevaux de remonte, auront un immense désavantage devant des hommes de qualité inférieure montés sur des chevaux habitués aux manœuvres et à la fatigue.

Quelques chevaux vicieux ou effrayés suffiront souvent pour occasionner la perte des pièces dans les rapides mouvements que l'artillerie sait à présent exécuter. »

Pensez-vous, messieurs, qu'un général belge puisse faire mieux que Napoléon?

Après les désastres de Moscou, l'empereur arriva à Paris le 19 décembre; tout le monde connaît l'activité et le génie de ce guerrier célèbre; il jouissait alors d'une certaine dictature, son trésor était bien fourni, il a pu se procurer des chevaux dans toute la France, l'Italie, l'Allemagne, et malgré ces immenses ressources, il n'avait le 2 mai suivant à Lutzen que 4,000 cavaliers, chiffre bien inférieur à ce que nous aurions sur le pied de paix. Or, si un homme comme Napoléon n'a pas su, dans ces circonstances, se procurer plus de chevaux, comment espérer que, dans notre petite Belgique, nous pourrons en avoir tout à coup 2,715 !...

Je le répète, c'est une illusion, et je crois, messieurs, que nous donnerons un grand exemple de sagesse à toute l'Europe en exigeant que l'on mette notre effectif militaire en rapport avec notre situation et celle de nos finances.

J'ai déjà fait voir que la division de l'artillerie en 4 régiments avait donné lieu à une majoration de dépenses très notable et non à des économies!

Voyons maintenant les motifs que l'on allègue pour le maintien des régiments à 10 et 11 batteries.

L'intérêt de la discipline et de l'instruction exige, dit-on, la division en quatre régiments plutôt qu'en trois.

L'instruction est dirigée par les officiers des batteries ; la discipline est également maintenue par eux. Le colonel donne l'impulsion par des ordres du jour, et par des observations faites lors de ses inspections; il peut, par conséquent, transmettre sans inconvénients ses ordres à 1, 2 ou 3 batteries de plus.

Le colonel du 1er régiment est en garnison à Louvain; ses batteries sont à Louvain, Bruxelles, Menin, Gand, Termonde, Anvers, Nieuport, Ath et Ostende.

Si ce colonel, qui a déjà une batterie de siège à Anvers, en avait deux de plus, parmi celles qui se trouvent dans la même ville, quelqu'un pourrait-il croire que la discipline ou l'instruction eu souffrirait?

N'en est-il pas de même pour le 2ème régiment dont le colonel est à Liège? Celui-ci a sous ses ordres une batterie à Charleroy, et dans la même ville de Charleroy il y a une autre batterie appartenant au 4ème régiment, dont le colonel est à Anvers.

L'instruction et la discipline laissent-elles quelque chose à désirer en France, on les régiments sont de 14 et de 15 batteries, en Autriche de 18, en Prusse de 15, en Bavière de 12 et 14 ?

On a dit que les régiments, en France, avaient presque le double d'officiers supérieurs, mais on ne dit pas que les batteries françaises ne comportent que quatre officiers, tandis qu'il y en a en Belgique six par batterie à cheval et cinq par batterie montée.

Voici, du reste, le nombre d'officiers supérieurs qui existe par régiment el celui des officiers subalternes par batterie.

(tableau non repris dans la présente version numérisée)

La Belgique peut certainement s'enorgueillir de l'instruction du cadre de l'artillerie, mais ce n'est pas au fractionnement en 3 ou 4 régiments qu'on le doit; les résultats obtenus ne peuvent être attribués qu'aux études continuelles de ces officiers studieux et intelligents.

L'honorable ministre a dit hier : « Messieurs, une autre accusation a été portée contre mon administration. Cette accusation avait déjà surgir l'année dernière, et elle avait été réfutée victorieusement. On prétendait aussi que j'avais maintenu un général de plus que la loi d'organisation ne le comportait.

« Messieurs, voici ce que la loi d'organisation porte : 9 lieutenants généraux, et il n'y en a que 8; 18 généraux-majors, et il n'y en a que 16; 5 commandants de province, et il n'y en a qu'un!

« Une simple observation fera justice de cette incroyable accusation. » Oui cette observation a été faite l'année dernière, mais on n'y a pas répondu victorieusement, on change aujourd'hui les faits pour y répondre. Ai-je parlé des nominations? Non; qu'ai-je dit? Qu'il y avait au budget plus de généraux que la loi n'autorisait à y porter, et cela est parfaitement exact, puisque la loi n'accorde la solde que pour 22 généraux-majors et qu'au budget il y en a 23. Il y a même encore un major d'artillerie en trop, le nombre en est fixé à 17 et la solde pour 18 figure au budget. Si on ne nomme pas aux emplois, pourquoi y porter les appointements?

On nous a répété hier que l'organisation française n'avait pas changé, qu'elle avait seulement subi des réductions. Nous allons peut-être nous trouver d'accord avec M. le ministre. La France, en 1848, a diminué le cadre des généraux en activité de 240 à 195; eh bien, ne changez pas l'organisation, imitez la France et que nous ayons un peu moins d'état-major.

La France en 1834 a supprimé 50 escadrons ; ne changez pas l'organisation , et diminuez notre cavalerie qui est par trop nombreuse. La France a réduit ses divisions territoriales à 17, eh bien, ne changez pas l'organisation, mais un peu moins de 4 divisions rendrait le budget plus léger.

La France a réduit les indemnités, faites mieux qu'elle, supprimez-les totalement.

Quand nous voyons les ministres de tous les départements être obligés, dans des vues d'économie, non seulement de diminuer les traitements de leurs employés, mais encore de les renvoyer définitivement, on ne sait comment qualifier le maintien, au budget de la guerre, des indemnités aux officiers détachés au ministère, des frais de représentation, des indemnités de logement de 4,300 fr. au gouverneur de la résidence, de 5,000 francs au commandant de l'école, etc., etc. Chacun ne doit-il pas ses services à l'Etat pour ses appointements? N'en est-il pas récompensé par l'avancement, par des décorations?

Quelques-uns de mes honorables adversaires pensent que les défauts que je reproche à l'organisation datent seulement de la loi de 1845; ils croient que cette loi n'est pas depuis assez longtemps en vigueur pour qu'on puisse juger si elle est bonne ou mauvaise : c'est là une erreur, le budget de 1841 fournit la preuve que déjà, à cette époque, les bataillons n'avaient pas l'effectif suffisant pour l'instruction et le service, et toujours les miliciens sont restés trop peu de temps sous les armes ; aussi cette organisation est-elle jugée depuis bien des années par tous les militaires.

L'armée, dit-on, a fait ses preuves. Oui, ses preuves en temps de paix, et tout le monde sous ce rapport a donné dans cette enceinte des éloges mérités à l'armée ; aussi n'est-ce pas pour la paix que je demande une autre organisation, c'est pour le cas où on devrait s'en servir en campagne, et pour cette situation, l'armée n'a pas pu heureusement nous montrer toute la défectuosité de cette organisation.

Nous devons donc la juger par des comparaisons avec des armées que la nôtre pourrait combattre, et par deux exemples, séparés à la vérité par 18 ans d'intervalle, mais qui nous présentent deux terribles catastrophes qui devraient nous servir de leçons.

J'adjure la chambre, dans l'intérêt du pays, de ne pas laisser échapper l'occasion de donner plus de force à l'infanterie, car une expérience nouvelle serait achetée aux dépens de nos libertés ou de notre (page 485) territoire, et elle aurait toujours pour conséquence l'épuisement de nos finances.

Ce n'est pas le moment, me dit-on ; considérez la situation politique de l'Europe, etc.

Eh bien, messieurs, je vous avouerai franchement que c'est précisément cette situation qui me fait songer qu'il est plus que temps de donner à la Belgique une armée fortement constituée. Je vous ai fait voir que les miliciens restent trop peu de temps sous les armes pour en obtenir des soldats. Je demande qu’on les conserve plus longtemps ; vous craignez des bouleversements dans les pays voisins qui pourraient faire naître la guerre, et vous venez me dire : Ne touchez pas à l'organisation. D'après mes honorables contradicteurs, il faudra envoyer les miliciens en congé, et pour vous opposer à une invasion, vous aurez des conscrits, tandis que, si vous adoptiez mon système, vous auriez des soldats. Vous avez des hommes que l’on ne saurait instruire convenablement, parce que les bataillons sont trop faibles; je vous propose de les renforcer pour vous en servir, et vous voulez inconsidérément vous exposer à la tempête, attendre qu'elle soit passée et être certain de ne pas devoir employer vos bataillons en campagne.

Je vous le demande, messieurs, est-ce là de la prudence? Si le pays pouvait conserver constamment la tranquillité dont il jouit, il importerait peu alors que l'organisation soit défectueuse : c'est l'inquiétude que j'éprouve pour l'avenir qui me fait un devoir d'employer tous mes efforts pour obtenir une armée fortement constituée, et je considérerai le général qui en dotera le pays comme ayant bien mérité de la patrie.

La situation du trésor présente un déficit, et ce n'est pas le moment d'alléger les charges! Certes voilà un raisonnement qui ne peut guère convenir à M. le ministre des finances.

M. le ministre nous a parlé, hier, des désastres de l'armée piémontaise; chacun les envisage à sa manière; pour moi, j'en trouve la véritable cause dans la mauvaise organisation de son armée. Avant de dire qu'elle était mal organisée, j'en avais étudié la composition, le recrutement, la durée du service. Les événements n'ont pas tardé à prouver que mes prévisions étaient justes.

Je demanderai d'abord si les Piémontais eux-mêmes n'ont pas exagéré l'importance de leurs premières victoires. L'extrait d'une lettre du feld-maréchal autrichien, baron Pirquet, dont je vais donner lecture, semblerait le faire croire : et il est bon que vous sachiez, messieurs, que le général Pirquet est né à Liège, c'est un homme qui fait honneur à h Belgique.

« Le maréchal Radetzky se fraya, avec 12,000 hommes, un passage à travers des centaines de barricades, des incendies et des inondations. Après la prise de chaque deuxième barricade, qui toutes étaient défendues par des masses d'insurgés et de tireurs piémontais, on devait s'arrêter jusqu'à ce que la première fut déblayée, de manière que la cavalerie et l'artillerie pussent passer. De Milan à la première station, ce que l'on fait ordinairement en 3 heures, on dut en mettre 18. Une faible brigade autrichienne, à Pastrengo, défendit sa position pendant trois jours contre 30,000 mille Piémontais.

« Au reste, cela va de mal en pis; tous les jours nous amènent de nouvelles fautes, c'est comme si la malédiction de Dieu était tombée sur notre empire. On voit maintenant que tout, excepté l'armée, était mal organisé. Aussi cette dernière a été sacrifiée bien mal à propos, étant laissée trop faible et trop éparpillée dans un pays peuplé comme une fourmilière, et où les habitants, les employés, toute la population enfin sont nos ennemis acharnés.

« La révolution ayant éclaté à l'improviste, toutes les garnisons furent coupées l'une de l'autre; l'armée était sur le pied de paix, sans chevaux ni chariots, lorsque les Piémontais, qui nous avaient donné l'assurance qu'ils n'agiraient pas contre nous, nous déclarèrent la guerre à l'improviste. Toutes les petites garnisons durent nécessairement succomber, les plus grandes se frayèrent un passage, et se rassemblèrent près de Vérone. D'un autre côté, la terrible révolution arrivée à Vienne, à la même époque, fut cause qu'on ne nous envoya pas les renforts nécessaires, et maintenant nous sommes bien trop faibles pour agir offensivement; avec 30,000 hommes de plus nous aurions bientôt balayé tous nos ennemis devant nous; mais ils sont une fois plus forts que nous, et toute la population est pour eux. »

Si nous nous en rapportions à ce qu'a écrit le général Pirquet, les premiers succès des Piémontais seraient, dus à la surprise.

Passons à la deuxième campagne :

Je ne m'arrêterai pas sur les mouvements stratégiques, ni sur les fautes ou la trahison d'un général qui a facilité aux Autrichiens le passage du Tessin : ce sont là des faits qui exercent bien une influence sur le résultat d'une bataille ou d'une campagne, mais qui n'ont aucun rapport avec l'organisation : une armée bien organisée, qui a un excellent esprit militaire , répare les fautes de son général, elle résiste aux attaques de l'ennemi; si elle succombe, c'est avec honneur. Ce qui démontre réellement la mauvaise organisation de l'armée piémontaise, ce qui en est une preuve évidente, c'est le peu de résistance de cette armée qui, placée dans une position avantageuse, n'a offert aucune résistance à l'ennemi; ce qui prouve le mauvais esprit qui l'animait, c'est sa déroute immédiate après quelques coups de canon.

A la bataille de Mortara 7,000 à 8,000 Autrichiens mettent en peu d'heures 20,000 Piémontais en pleine déroule.

A Novare, un corps d'armée autrichien combat 4 à 5 heures des forces plus que doubles, et il n'est pas anéanti!

Enfin, en 5 jours l'armée piémontaise est complètement dispersée.

De ces faits d'armes, il résulte évidemment pour tout le monde que l'armée piémontaise n'avait aucune consistance, et qu'elle était bien inférieure en courage à l'armée autrichienne.

Recherchons-en maintenant les causes et voyons si, abstraction faite de la situation intérieure du pays, l'organisation même n'empêche pas d'obtenir une bonne armée. M. le ministre nous a dit qu'on lui avait donné une extension exagérée au moment du danger : mais c'est précisément la conséquence du système du Piémont, ce que l'on serait obligé de faire ici si de 50 mille hommes on voulait porter l'armée à 80, 100, 112 mille hommes, comme on l'a dit.

En Autriche, le soldat reste 8 ans sous les armes, sauf quelques permissions accordées après 4 et 5 ans de service.

En Piémont, l'infanterie est composée de soldats d'ordonnance ou permanents, et de soldats provinciaux : ceux-ci représentent nos miliciens; quoiqu'ils soient pendant 16 ans au service de l'Etat, ils ne restent cependant que 14 mois et demi sous les armes, ils sont alors envoyés en congé : une seule fois pendant qu'ils sont en permission, ils font partie d'un camp d'instruction.

Quoique vous ne soyez pas militaires, vous comprendrez facilement, messieurs, que des soldats ayant si peu de service ne pouvaient présenter une grande résistance à des hommes aguerris.

La compagnie piémontaise, forte en temps de guerre de 225 hommes, compte 201 soldats dont 25 d'ordonnance et 176 provinciaux, et sur ces 176, 35 seulement ou 1/5 sont sous les armes en temps de paix et 141 ou 4/5 en permission : cette masse d'hommes, constamment en congé, n'a en rentrant au régiment aucun esprit militaire; elle n'offre pas de consistance.

En Autriche, la force de l'infanterie sur le pied de paix est d'un peu moins des 3/5 du pied de guerre, l'augmentation n'est donc que de 2/5.

En Piémont, l'effectif de l'infanterie, qui est de 24,110 sur le pied de paix, doit être de 130,248 sur le pied de guerre, c'est près de 5 fois 1/2 l'effectif de paix ; indépendamment de l'inconvénient de l'augmentation des compagnies que je viens de signaler, il faut encore organiser 55,536 hommes de la réserve en 76 bataillons, pour lesquels il n'y a que 76 cadres de compagnie dont 38 capitaines et 58 lieutenants sont des officiers provinciaux.

Pour former les bataillons, le gouvernement désigne un nombre d'officiers et de sous-officiers pris dans les bataillons d'activité, et il remplit par de nouvelles nominations les vides laissés dans ces bataillons. Par cette mesure, on affaiblit les cadres de l'armée, qui doivent être presque doublés par une énorme quantité de nominations; de sorte que les officiers ne connaissent pas leurs soldats et que ceux-ci ne connaissent pas leurs officiers.

Telles sont les ordonnances royales pour porter l'armée sur le pied de guerre; mais quand on en vient à l'exécution, arrivent les déceptions, et l'on n'a sous la main qu'une armée qui se fond comme la neige.

Par quels hommes l'armée est-elle renforcée?

Par des fantassins dont le long séjour chez eux et les habitudes de la vie ordinaire ont amolli le courage.

Les soldats manquent donc, comme chez nous, de cet esprit militaire qui fait la force de l'infanterie.

Cette situation est très bien rendue dans la correspondance d'un officier piémontais.

« Figurez-vous, dit-il, que nos paysans, enlevés par la conscription, restent un peu plus d'un an sous les drapeaux et reviennent ensuite dans leurs familles où ils demeurent pendant 14 ans à la disposition de l'Etat.

« Dans ce long espace de temps, le soldat reprend ses anciennes habitudes, contracte mariage, perd son instruction et son éducation militaire; c'est ainsi qu'en cas de guerre, l'armée ne présente plus qu'une cohue de paysans ou d'ouvriers, pères de famille, détestant tout ce qui les éloigne de chez eux, tout ce qui compromet leurs intérêts privés. »

L'infanterie piémontaise présente encore un défaut non moins grand.

Les compagnies fortes de 225 hommes n'ont que 4 sergents; c'est un sergent pour 54 hommes, il est reconnu que ce nombre est hors de toute proportion avec l'intelligence d'un sous-officier.

Et quand l'infanterie est exposée à l'artillerie, ou lorsqu'elle essuie une charge de cavalerie, elle a besoin, pour maintenir les soldats dans leur rang, d'avoir de bons sous-officiers aux extrémités de chaque peloton et en serre-files. Ces sous-officiers doivent être d'autant plus nombreux que les hommes sont moins aguerris ; sans cette précaution la troupe n'offre aucune résistance.

Jugez alors, messieurs, de la consistance des cadres, quand avec si peu de ressource, il faut encore former une masse de bataillons nouveaux !

Le manque de maréchaux des logis et de brigadiers se fait fortement sentir dans la cavalerie piémontaise : la différence entre l'effectif du pied de paix et du pied de guerre de cette arme me paraît assez bien réglé, seulement je trouve l'effectif en chevaux trop faible sur le pied de paix. Je ferai à ce sujet une observation générale qui s'applique également à la Belgique.

En organisant son armée dans des proportions qui surpassent les ressources en chevaux, on éprouve un grand vide dans l'effectif lorsqu'on la met sur le pied de guerre; cette situation est d'autant plus (page 486) dangereuse pour un Etat, que lo gouvernement, pour ses relations politiques avec les autres puissances, pèse la résistance qu'il pourra offrir avec une armée qui est colossale sur le papier, il se fait illusion : c'est ainsi que la totalité des forces de terre de la Sardaigne, non compris les corps sédentaires et les milices de l'Ile de Sardaigne, s'élève à 36,555 hommes sur le pied de paix, et à 149,395 sur le pied de guerre ; il y a donc à organiser 113,040 hommes, c'est toute une armée; il faut 11,741 chevaux pour la cavalerie et l'artillerie, et il n'y en a que 6,079, il en manque donc 5,644.

En ajoutant à ce chiffre celui des chevaux des officiers, des ambulances, etc., etc., non repris dans ce relevé, on trouve que la Sardaigne doit se pourvoir d'environ 7,000 chevaux pour mettre son armée sur le pied de guerre. Eh bien, en Belgique, il n'en manquerait pas moins.

La conséquence de ce grand nombre de chevaux à acheter nous est bien indiquée dans une correspondance de Turin, insérée dans le Journal des Débats :

« Les préparatifs nécessaires pour entrer en campagne n'étaient pas encore terminés à la bataille de Novare, l'on n'avait pas assez de chevaux pour le transport des parcs, des vivres et des ambulances. »

J'ajouterai encore une circonstance qui fera voir combien il est difficile de se pourvoir de chevaux dans un court espace de temps. La cavalerie piémontaise comptait 32 escadrons; en 1843 une ordonnance royale l'augmenta de 800 chevaux. On était en pleine paix, et on ne put s'en procurer que la moitié; il a fallu une permission de l'empereur d'Autriche pour obtenir l'autre moitié dans le Mantouan.

De toutes ces observations il résulte, messieurs, que l'armée piémontaise était très mal organisée et qu'elle devait être battue.

Notre organisation ressemble beaucoup à celle-là, sous certains rapports elle est même inférieure, puisque nos compagnies n'ont sur le pied de paix que la moitié de l'effectif des compagnies piémontaises, et que celles-ci ont le double de volontaires. Dans la cavalerie il nous manque, pour compléter l'escadron, presque le double d'hommes et de chevaux.

On a crié à la trahison!... N'a-t-on pas dit la même chose en 1831 ? Les vaincus ne font-ils pas toujours entendre les mêmes clameurs? Rappelez-vous, messieurs, la réponse du général Baraguay-d'HillIiers, homme certainement très compétent : il soutenait à l'assemblée nationale que les Piémontais, ayant si peu de service, ne pouvaient résister aux vieux soldats autrichiens. C'est la raison qu'il donnait à la défaite de Novare ; les Piémontais ont été trahis, lui disait-on. »Oui, répondit le général, ils ont été trahis par la fortune. »

M. Massimo d'Azeglio, ministre des affaires étrangères en Piémont, a fait connaître, en mai dernier, les principes qui devaient servir de base à la politique du cabinet : voici le passage qui a rapport à l'armée; vous y verrez, messieurs, une analogie parfaite avec la situation de la Belgique. J'appelle votre sérieuse attention sur ce document.

« Après avoir raffermi et revivifié l'action du pouvoir judiciaire dans notre pays, nous croyons devoir donner à l'armée toute la force qui lui convient.

« Nous estimons que cette force consiste plus dans la qualité que dans le nombre des soldats. Le nombre ne nous a pas donné et ne nous donnerait pas la victoire dans une guerre offensive.

« Dans une guerre défensive, dans laquelle nous ne pourrions jamais être abandonnés complètement à nos seules forces, une armée moins nombreuse, mais bien organisée, nous suffirait.

« De cette réduction résulterait, d'ailleurs, un avantage des plus considérables pour nos finances. » (Extrait de l’Opinione du 16 mai.)

Voilà comment s'est exprimé tout un ministère dans un acte destiné à être imprimé dans tous les journaux de l'Europe. Ou ne fait pas un tel aveu sans que tous les généraux aient réellement reconnu que l'organisation était des plus mauvaises.

M. le ministre nous a dit que cette armée allait être réorganisée sur les mêmes bases. Eh bien, je puis lui prédire d'avance qu'il arrivera encore un jour où elle recevra la même leçon qu'en 1849.

M. Desoer. - Messieurs, partisan sincère de toutes les économies utilement possibles dans les dépenses publiques, afin d'arriver un jour à un équilibre effectif entre les recettes et les dépenses, et quelque désir que je puisse avoir d'obtenir une modération dans le chiffre du budget de la guerre, j'ai la conviction qu'il serait tout à fait inopportun, dans l'état où se trouve presque toute l'Europe, de réduire le budget qui nous occupe, parce que cette réduction aurait pour résultat de diminuer, de désorganiser notre force armée, que je veux conserver intacte, en ce moment. L'heureuse Belgique a fait assurément une noble exception aux commotions désordonnées qui ont bouleversé tant de pays; il est vrai qu'aujourd'hui les révolutions semblent éprouver un temps d'arrêt, mais qui oserait affirmer qu'après tant de troubles déplorables, tous les esprits soient calmés, corrigés et que beaucoup d'utopistes ne rêvent encore de funestes théories sociales? Les impatients ont-ils dit leur dernier mot? Je n'ose l'espérer.

D'un autre côté, la position géographique de la Belgique lui fait un devoir de ne pas rester désarmée contre d'odieuses convoitises, afin qu'après s'être d'abord opposée à une invasion, elle puisse mettre son épée dans la balance en faveur de la puissance qui prendrait, contre l'esprit de conquête, la défense de notre pays.

Mais dès que l'horizon politique se sera éclairci, et j'appelle ce moment de tous mes vœux, je serai le premier à demander, dans toutes les dépenses publiques, et notamment dans le budget de la guerre, des réductions qui les mettent même au-dessous des recettes.

A cette époque avancée de la discussion du budget de la guerre, je dois renoncer aux considérations que j'avais préparées, parce qu'il serait impossible de ne pas revenir sur les faits et les arguments déjà présentés, dans cette enceinte, sur le budget de la guerre. A mes yeux, le maintien de l'armée, est, en ce moment, pour la Belgique, une question d'honneur, de sécurité.

Je me borne donc à ce peu de mots ; mais je n'ai pas voulu, dans cette conjoncture importante, par un vote silencieux, ne pas faire connaître les motifs qui me déterminent à voter en faveur du budget de la guerre qui nous est présenté.

M. Coomans. - Messieurs, j'ai dû renoncer hier à la parole, parce que, désirant de réserver mon vote jusqu'à la fin du débat, je n'ai voulu m'inscrire ni pour ni contre. Il est vrai que la parole m'aurait été accordée, si j'avais ajouté un amendement à tous ceux qui sont déjà entassés sur le bureau. Je me soumets, aujourd'hui, à cette nécessité réglementaire, à ce devoir de pure formalité, et j'ai l'honneur de vous proposer un amendement anodin, qui n'aura pas le tort de soulever une vive discussion. Comme l'une des interpellations que je dois adresser à M. le ministre regarde le génie militaire, je propose de supprimer les deux derniers chiffres du littera A de l'article 15 du budget, il ne s'agit que de 85 centimes. Si cet amendement vous paraît peu sérieux, veuillez me le pardonner, messieurs, car je ne le formule que par respect pour notre règlement, dont M. le président est le scrupuleux, l'implacable exécuteur.

Je ne pense pas faire preuve d'une bien grande modestie en reconnaissant mon incompétence relativement à la plupart des questions militaires que soulève l'examen de ce budget. Aussi me garderai-je de formuler mon opinion sur les divers systèmes en présence.

Vous ne vous souciez pas d'avoir là-dessus mon avis, et j'avoue qu'il me serait mal aisé de vous le fournir. J'aime mieux admirer les connaissances stratégiques que tant d'honorables collègues déploient tour à tour à cette tribune, et attendre modestement que mon éducation se complète sur un point où je m'aperçois, à ma confusion, qu'une lacune existe. Encore quelques discussions générales dans le genre de celle-ci, et je deviendrai peut-être digne un jour de mêler ma voix aux savants débats dont le budget de la guerre est périodiquement l'objet dans cette enceinte.

Mais s'il sied à un simple garde civique comme moi de s'abstenir sur les problèmes d'organisation militaire, le cabinet, qui n'est pas non plus composé tout entier de spécialités guerrières, me permettra d'exprimer mes réserves sur deux points qui sont assurément de ma compétence. En premier lieu, je regrette que le contingent annuel de dix mille hommes n'ait pas encore été réduit au moyen des enrôlements volontaires, si faciles à opérer dans un pays comme le Belgique, où tant de travailleurs désœuvrés souhaitent de gagner honnêtement leur pain. Je voudrais non seulement réduire ce contingent de 10,000 hommes, mais le supprimer tout à fait en quatre ou cinq années, comme constituant, à mes yeux, un impôt inique, odieux, illibéral, contraire à nos mœurs et à l'esprit de nos institutions, un impôt aveugle, accablant quelques familles sans frapper les autres, une loterie de sang bien autrement immorale que la loterie d'argent qui a été supprimée.

Je désirerais que la milice forcée disparût de nos Codes, dans l'intérêt de l'humanité et de la justice d'abord, et puis aussi dans l'intérêt de la nationalité belge. Voulez-vous opposer à des ambitions voisines un obstacle qui vaudra presque une armée, affranchissez la Belgique de la contribution brutale et despotique prélevée sur elle par l'invention révolutionnaire de la conscription. La Belgique, même vaincue, serait ingouvernable par un peuple quelconque qui voudrait lui imposer derechef le tribut de la milice. Une nation se défend par ses lois et ses usages aussi bien que par ses baïonnettes.

La force de la nôtre qui dans les libertés sans exemple qu'elle a conquises avec audace et qu'elle soit exercée avec honneur. A toutes les libertés politiques et civiles dont jouissent les citoyens belges, ajoutez une liberté fondamentale, celle de disposer de leur temps et de leur vie, et ils auront un grand motif de plus de braver l'invasion étrangère.

Messieurs, je ne fais qu'effleurer ce point qu'il serait inopportun, je le sais, d'approfondir en ce moment. J'y reviendrai plus tard, et j'espère vous démontrer qu'on pourrait formuler un système de recrutement volontaire qui offrirait le double avantage de fortifier l'armée et d'affranchir annuellement dix mille familles d'un impôt ruineux et injuste, sans exiger une grande augmentation de dépenses.

Pour moi la question financière ne vient qu'en seconde ligne : je ne trouverais pas les chiffres du budget trop élevés, je serais plutôt porté à les augmenter encore, si le travail national prospérait, si la conscription pesait moins sur les familles, si l'institution de la garde civique, autre impôt très lourd qui se résume, pour les contribuables, en une perte de temps et d'argent, était adoucie dans la pratique, si l'on trouvait le moyen de respecter une prescription constitutionnelle sans gêner un si grand nombre de citoyens. Tout est relatif eu matière d'impôts. Ils sont lourds ou légers d'après les ressources et les forces des populations qui les supportent. Dans la situation présente, les chiffres du budget de la guerre semblent élevés, parce que la crise financière est un peu partout, dans les fortunes privées comme dans les fortunes publiques, et que chacun redoute l'établissement de nouveaux impôts. Mais je ne repousse pas absolument ces chiffres, je consens même à les élever encore, pourvu que j'obtienne une compensation sérieuse, la suppression ou la réduction de la milice obligatoire.

(page 487) Mon intention n'est pas de voter cette fois contre le budget de la guerre. Mais je n'hésite pas à déclarer que je le repousserai l’an prochain si la loi du contingent n'est pas modifiée dans le sens que j'indique, si l'on ne fait pas un premier pas dans la voie où la Belgique peut entrer plus facilement que tout autre peuple.

Ces réserves faites, je prendrai la liberté d'adresser deux interpellations à l'honorable ministre de la guerre.

L'honorable ministre autorise, semble-t-il, une aggravation intolérable des charges résultant de la conscription militaire. Son département refuse le certificat LL ou la permission de contracter mariage aux miliciens qui ont pleinement accompli leur corvée, qu'on n'a plus le droit de rappeler sous les drapeaux, mais qui ont laissé une dette à la masse. Voici un exemple de l'abus que j'ai l'honneur de vous signaler. Un milicien qui avait accompli depuis 6 à 7 ans son temps de service et qui était resté redevable de 80 francs à la masse, sollicitait l'autorisation de se marier avec une personne à laquelle la religion et l'honneur lui ordonnaient de s'unir légitimement. Ne recevant pas le certificat LL, malgré ses demandes réitérées, il s'adressa à des personnes honorables qui le sollicitèrent en sa faveur. Il leur fut répondu assez lestement que les règlements militaires défendaient d'autoriser le mariage des ex-miliciens qui ne s'étaient pas acquittés envers la masse. J'ai dû lire cette réponse pour y croire.

Quoi! non content d'interdire le mariage aux citoyens que vous forcez de servir sous les drapeaux pendant huit années, vous l'interdisez encore à ceux qui ont payé cette lourde dette, vous leur enlevez l'exercice d'un droit naturel, vous retenez un grand nombre d'entre eux dans le concubinage; et pourquoi, je vous prie? Parce qu'ils doivent quelque argent à l'Etat. Comme si le gouvernement pouvait empêcher ses débiteurs d'exercer leurs droits civils, comme s'il n'était pas souverainement immoral de maintenir dans le libertinage, sans profit pour la chose publique, des hommes qui désirent en sortir !

Remarquez, messieurs, que dans le cas que j'ai cité, et dans bien d'autres, les débiteurs sont insolvables. Ils le sont au point que le gouvernement n'exerce contre eux aucune poursuite. Je comprendrais, à la rigueur, qu'on maintînt ces miliciens sous les drapeaux jusqu'à ce qu'ils se fussent acquittés; mais les renvoyer définitivement chez eux et leur interdire le mariage, c'est consacrer un abus que je n'hésite pas à condamner de toutes mes forces. Les sentiments généreux de l'honorable ministre de la guerre me garantissent qu'il me donnera une réponse satisfaisante sur cette première interpellation.

Voici la seconde et la dernière.

L'arrondissement de Turnhout sollicite depuis 18 ans une voie de communication avec la Hollande. Il n'en possède pas une seule sur une ligne de frontière qui a plus de dix lieues de développement.

La route projetée de Turnhout à Tilbourg serait depuis longtemps construite, si le génie militaire ne s'y était opposé. Nul ne conteste la haute utilité de cette route. Chacun reconnaît que la prospérité de Turnhout et de ses environs en dépend, que le commerce, l'industrie et l'agriculture de ces localités ne peuvent prendre le développement convenable aussi longtemps que cette chaussée ne sera pas établie. Le génie militaire l'a proscrite, sous prétexte d'utilité publique, alléguant que cette route faciliterait trop une invasion étrangère. C'est une véritable expropriation, sans indemnité aucune, et à ce point de vue déjà, la conduite du département de la guerre n'est pas à l'abri de la critique.

Mais il est surprenant, messieurs, qu'après les leçons de l'expérience, on s'obstine à maintenir à l'état de désert une portion considérable de notre frontière. Pichegru n'a-t-il pas traversé la Campine avec une nombreuse artillerie, et l'absence de bonnes routes a-t-elle empêché les Hollandais d'y paraître en 1831 ?

Pour être conséquent, le génie militaire devrait détruire toutes les chaussées qui mènent de Belgique en France et en Allemagne. Il devrait le faire à plus forte raison, car le danger pour la Belgique n'est pas aujourd'hui à la frontière du Nord, au contraire. Pour ma part, loin de redouter un rapprochement de ce côté, je souhaite qu'il s'opère, dans la mesure du possible, et qu'il soit commercial en attendant qu'il devienne politique.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je puis répondre immédiatement à l'une des interpellations de l'honorable M. Coomans.

Lorsque le génie militaire s'est opposé à la construction de la route partant de Turnhout cl se dirigeant vers la Hollande, le génie militaire avait parfaitement raison. A cette époque, nous étions encore en hostilité avec la Hollande; à cette époque, la place de Diest n'était pas faite ; il était tout naturel que le génie militaire s'opposât à la construction d'une route qui pouvait faciliter à nos ennemis les moyens d'arriver au cœur de la Belgique.

Aujourd'hui ces circonstances n'existent plus; la citadelle de Diest est assez avancée. J'ai pris quelques informations sur l'état de la question, et je puis dire à l'honorable M. Coomans que, aujourd'hui, le gouvernement ne mettra plus obstacle à la construction de cette route.

Quant à la deuxième question, je dois prendre des renseignements, et demain je pourrai donner à l'honorable M. Coomans tous les éclaircissements qu'il désire.

M. Coomans. - Messieurs, un seul mot. M. le ministre de la guerre semble croire que, relativement aux miliciens qui n'obtiennent pas l'autorisation de contracter mariage, je me suis appuyé sur un seul cas; je le supplie de penser que je ne me serais pas permis d'appeler l'attention de la chambre sur un cas individuel. Mais des officiers supérieurs du département que l'honorable ministre dirige m'ont assuré que c'était une règle générale, et je pourrais, pour ma part, citer dix miliciens qui se trouvent dans ce cas; par conséquent, la question est loin d'être aussi peu importante que quelques personnes paraissent le croire.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, il est bien vrai que lorsqu'un milicien, à l'expiration de son terme de service, a une dette à sa masse, on ne lui accorde pas un certificat de libération du service, certificat dont il a ordinairement besoin pour pouvoir se marier. S'il n'en était pas ainsi, beaucoup de miliciens partiraient sans rembourser à l'Etat ce qu'ils leur doivent, et il en résulterait pour l'Etat de grandes pertes.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, j'ai suivi avec la plus grande attention les discours qui ont été prononcés devant vous dans cette discussion, et je vous l'avoue, je n'ai pas trouvé dans les paroles des adversaires du budget de la guerre un seul argument de nature à faire changer mon vote, qui sera favorable au budget.

C'est pour motiver ce vote que je vous demande la permission de dire quelques mois.

Que n'a-t-on pas dit sur la grande question qui nous occupe? Quelles erreurs n'a-t-on pas commises? On a dit que la neutralité armée c'est la guerre avec toutes ses dépendances, toute sa destruction commerciale; que c'est un système qui tue pacifiquement le commerce, l'industrie, l'agriculture; qui arrache des générations entières aux travaux de la paix pour les corrompre dans l'oisiveté des garnisons; qui ravit aux entreprises productrices la force financière du pays pour alimenter les entassements d'armes, de canons, de fer, de citadelles ; ceux qui disent cela raisonnent mal, et apprécient mal l'utilité des armées permanentes et les services qu'elles ont rendus.

L'institution des armées permanentes fut un progrès, non vers l'état de guerre, mais, au contraire, vers une modification sociale, plus pacifique que l'état de choses auquel il succéda.

Avant nos temps modernes, la guerre était partout, entre les individus, entre les petits seigneurs, entré les grands vassaux, entre les royaumes divers qui morcelaient nos grands empires. Peu à peu, cet état de guerre, d'individualité qu'il était, se concentra dans des régions plus hautes et moins nombreuses, et à mesure que les forces guerroyantes se formèrent par une plus grande étendue de pays, et par de plus grandes organisations de guerre, la guerre cessa d'être multiple, divisée, sans cesse renaissante jusqu'à ce qu'enfin la paix étant devenue l'essence de l'état social dans les rapports individuels, la guerre n'exista plus qu'entre les grands gouvernements eux-mêmes. Tel fut l'effet de l'institution des armées permanentes.

Je sais que la civilisation a marché, et que ce n'est plus en arrière qu'il faut regarder.

Je crois que le système des armées permanentes devra être profondément modifié, je crois que l'humanité marche vers une civilisation pacifique où les armées permanentes pourront être remplacées par de simples forces civiles, commerciales; mais le moment est-il venu d'y songer? Peut-on supprimer les armées permanentes à une époque transitoire comme la nôtre, lorsque le passé nous a légué des dangers, conséquence d'institutions sociales dont les effets subsistent encore, tandis que les causes organiques ont en partie disparu?

Peut-on seulement songer à diminuer les forces des armées, lorsque les rivalités haineuses qui divisent les gouvernements des Etats européens, lorsque les rivalités tout aussi haineuses et plus absurdes peut-être que de faux systèmes d'économies commerciales ont fait naître parmi les peuples eux-mêmes, ne permettent pas de regarder encore la paix comme assurée?

Plus que personne, je crois que les représentants du pays doivent défendre les intérêts des contribuables et demander sans cesse des économies dans les dépenses. Je crois qu'il est possible de réaliser des économies sur le budget de la guerre. Mais est-ce bien une question d'économie qui nous est soumise à propos d'un budget? Ce qui est sans précédent, on nous demande de changer la loi si importante de l'organisation de l'armée que nous avons votée il y a à peine cinq ans. En présence d'un tel système, moi qui voulais réclamer des économies je suis forcé de renoncer à ce projet pour défendre l'armée.

Ce n'est pas que je pense que l'armée a des adversaires parmi ceux qui veulent changer, dans l'espace de quelques semaines, la loi organisatrice; mais ces organisateurs nouveaux n'ont pas assez compris que l'armée tient à la société par mille liens, et que méconnaître, trancher, resserrer mal à propos un seul de ces liens, c'est détruire l'équilibre. En voyant chaque année son existence remise en question, l'armée torturée, sans soutien, toujours indécise devant des décisions contradictoires, s'arrête confuse, craintive; le trésor public paye par millions les frais de cette position anormale, et le pays ne peut pas recueillir tout le prix des sacrifices qu'il s'impose.

L'armée a rendu d'immenses services à la cause de l'ordre et de la liberté. Son attitude grave au milieu des passions, sa fidélité au devoir, son humanité, son courage sont des faits que nul ne méconnaît et qui méritent la reconnaissance du pays. La chambre ne doit pas l'oublier, et dans cette discussion les intérêts moraux doivent passer avant les intérêts matériels; car l'armée, c'est le patriotisme organisé et non pas une manufacture.

Il faut se placer pour juger l'armée dans une sphère plus élevée que celle où se pèsent les dépenses et les recettes. Il faut voir ces 50,000 hommes vivant au sein d'une société active, intelligente, dont les besoins (page 489) augmentent chaque jour, dont les croyances s'affaiblissent, dont l'avenir est difficile à prévoir; et se demander si les milliers de soldats qui sortent chaque année de l'armée pour rentrer dans le travail des champs ou de l'atelier, ne sont pas les meilleurs défenseurs de la paix publique, les meilleurs moralisateurs de cette population au milieu de laquelle ils apportent les lumières qu'ils ont acquises, leur habitude de la discipline, leur respect pour la hiérarchie, leur amour pour l'ordre.

Que si nous descendons à des considérations d'un ordre moins élevé, il me semble que l'on regarde trop la dépense faite pour l'armée comme une dépense perdue pour le contribuable.

Pourtant, l'armée répand dans le pays cet argent que lui donne le trésor public, et combien de villes, combien de communes regardent leurs garnisons comme une de leurs ressources les plus importantes ! Je voudrais bien savoir si, parmi ceux qui veulent diminuer l'armée, il ne se trouve pas plusieurs députés qui demandent au nom de leurs commettants l'augmentation des garnisons dans les villes de leur arrondissement. Il faut être logique cependant, et ne pas vouloir à la fois diminuer l'armée et augmenter les garnisons.

On a beaucoup discuté sur l'organisation des cadres, sur la durée du service, sur les congés ; mais il est des considérations que j'ai regretté de ne pas trouver dans les discours des adversaires du budget, des partisans des économies. J'en dirai un mot. On a fait beaucoup de citations, permettez-moi d'en faire une à mon tour : Napoléon, rappelant un jour que le légionnaire romain broyait son grain, et cuisait son pain ajoutait :« Il faut que l'armée se suffise. » C'est là le germe d'une grande pensée. Oui, le soldat peut se suffire, c'est-à-dire coûter moins cher à l'Etat, peut-être même ne plus rien lui coûter plus tard. Il y a dans un régiment des bras vigoureux pour tracer le sillon, des mains habiles pour forger les armes; des hommes de toutes les professions, de tous les métiers, des intelligences actives pour diriger toutes ces forces.

A quoi ces forces sont-elles employées? Il semble que, jusqu'à présent, dans les armées on se soit posé ce problème à résoudre : Occuper le soldat. Pourquoi ne pas en changer les termes en disant : Utiliser le soldat?

Franklin a dit que si tout le monde travaillait avec intelligence deux heures par jour on produirait tout ce qui est nécessaire à la vie. N'oublions pas ces paroles.

On le conçoit, je n'ai voulu ici qu'indiquer un point sur lequel je crois que dans l'avenir devront porter les réformes.

Je me résume; toutes les fois qu'il s'agira de réaliser des économies possibles, et qui ne mettront pas en question l'existence de l'armée, je me prononcerai pour les économies. Lorsqu'on voudra perfectionner l'institution militaire, en mieux coordonner les éléments, de manière à améliorer la situation du soldat, tout en utilisant mieux qu'on ne le fait cette grande puissance humaine, l'association disciplinée, en sorte qu'elle coûte moins à l'Etat, j'appuierai de toutes mes forces les perfectionnements, les améliorations qui seront proposées.

Mais aujourd'hui ce n'est pas de cela qu'il s'agit, la section centrale propose de procéder en quelques semaines à la réorganisation de l'armée ; elle remet en question l'existence de l'armée dans des circonstances où plus que jamais elle est nécessaire pour protéger notre nationalité; elle veut, à propos d'un budget, refaire à la hâte et pour ainsi dire occasionnellement une de nos lois les plus importantes; je ne puis que voter contre les conclusions de la section centrale en exprimant le regret que, par ses exigences trop absolues, elle m'ait ôté le moyen de réclamer des économies partielles qui eussent été réalisables. Je me prononcerai également contre les amendements proposés et contre la proposition de nommer une commission d'enquête, parce que, selon moi, l'existence de l'armée serait mise en doute par l'adoption de cette proposition, tout aussi bien que par celle des conclusions de la section centrale. Cette proposition a le même but, elle a seulement un caractère insidieux qui en dissimule le danger, et qui, si on n'y prenait garde, aurait pour résultat de ranger parmi les adversaires du budget les membres encore incertains qui cependant ne veulent pas des conclusions de la section centrale.

M. d'Elhoungne. - Messieurs, l'opposition qui grandit chaque année contre le budget de la guerre est déterminée par les vices que notre organisation de l'armée semble présenter, par la dépense excessive que notre état militaire entraîne, par la situation obérée du trésor public qui a forcé la chambre à se résigner, bien à regret, à apporter des économies, cruelles souvent, dans tous les autres services publics.

L'année passée, c'était aux opposants à prendre l'offensive; cette année, d'après la tournure que la discussion a prise, ils doivent se tenir sur la défensive, et si je parviens à répondre à quelques-uns des reproches nombreux qu'on nous a prodigués, j'aurai besoin déjà de toutes l'indulgence et de toute l'attention que je puis demandera la chambre.

Je veux donc modestement me borner à rencontrer ces graves reproches qu'on a accumulés à plaisir et avec une habileté redoutable sur la tête des opposants au budget de la guerre. Je n'aurai, à vrai dire, que l'embarras du choix.

Et d'abord on a charitablement supposé que les partisans des économies n'avaient d'autre mobile qu'une vaine popularité. Ce reproche, pour n'être pas nouveau, ne nous en est pas moins prodigué avec une insistance remarquable.

On nous a rappelé qu'il fut un temps où il pouvait y avoir du courage à dire la vérité aux rois ; et l'on a ajouté que le temps est venu de dire la vérité aux électeurs.

Messieurs, je pense que pour les rois qui sont debout, c'est encore un courage assez rare quelquefois, que de leur dire la vérité en face. Il est vrai que cette vérité, on la leur prodigue quand ils sont tombés. Aux électeurs, on la leur doit aussi, suris doute ; je ne suis pas de ceux qui pensent qu'on doive se prosterner devant leurs caprices; mais, qu'il me soit permis de le dire, il est un autre courage qui est plus rare peut-être chez un ministre de la guerre, c'est de dire la vérité à l'armée. S'il y a la popularité vis-à-vis des électeurs, il y a pour le chef du département de la guerre, la popularité vis-à-vis de l'armée.

Il y a ensuite, quant à la popularité, une distinction essentielle à faire, une distinction qu'il ne faut pas oublier; une distinction que bien des gouvernements, pour ne l'avoir pas comprise, ont payés de leur existence. La popularité est peu de chose pour les hommes politiques, elle est beaucoup pour les institutions.

Si, dans quelques circonstances, l'homme politique doit savoir se placer avec un profond dédain au-dessus de l'impopularité, il n'en est pas de même des institutions ; celles-ci ne doivent pas braver l'impopularité.

Conseillerait-on à la royauté de braver l'impopularité? Conseillerait-on aux chambres de braver l'impopularité ? Conseillerait-on à un gouvernement de braver l'impopularité? Faut-il conseiller dès lors à l'armée, qui est aussi une institution essentielle, de vouloir se maintenir dans un statu quo immuable, malgré l'impopularité qui s'attache à des dépenses dont l'opinion signale avec insistance l'exagération ? Ne perdons pas de vue, messieurs, que nous vivons sous un gouvernement représentatif; ce n'est là que le gouvernement du pays par le pays. Sous ce régime, c'est le pays qui doit, en définitive, trancher les conflits qui s'élèvent entre les divers pouvoirs qui sont les organes politiques du corps social. Il s'ensuit que les députés qui engagent le gouvernement à consulter l'opinion publique, qui lui conseillent d'écouter de justes réclamations, de ne pas les repousser avec dédain, de les satisfaire dans la mesure du possible et de la raison, que ces députés remplissent consciencieusement un devoir impérieux.

Savez-vous, M. le ministre, quels sont ceux qu'on pourrait accuser de courtiser la popularité? Ce sont ceux qui se trouvent d'accord avec vous quand il s'agit de voter les dépenses et qui reculent quand il s'agit de voter des recettes ; ce sont ceux qui sont toujours prêts à voter les mesures qui épuisent le trésor, et qui ne reculent devant aucun prétexte, devant aucune inconséquence, quand on les appelle à remplir ce trésor qu'ils ont contribué à vider.

Ce n'est pas non plus par je ne sais quelle sorte d'étourderie (le mot a été dit), par je ne sais quelle sorte d'aveuglement et d'aberration (on a encore employé ces mots contre nous) , que nous sommes mus, messieurs, quand nous demandons une réduction dans les dépenses du département de la guerre.

Et pourquoi donc ferions-nous preuve d'étourderie, d'aveuglement, d'aberration? Parce que nous voulons toucher à l'organisation de l'armée? à la loi qui organise l'armée? Mais, d'abord, avons-nous une loi qui organise l'armée? Non, nous n'en avons pas. Je vais vous le prouver par des autorités, que je défie nos honorables adversaires de récuser.

Voici ce que disait un orateur dans la séance du 8 avril 1845, à propos de la loi qu'on appelle pompeusement « la loi sur l'organisation de l'armée » :

« L'intitulé de la loi ministérielle manque d'exactitude et pouvait, par conséquent, égarer l'opinion publique et amener des déceptions. La section centrale n'a pas voulu s'associer à cet abus de mots, dont elle a loyalement et nettement rétabli le sens et la portée, dès le début de son travail, A ses yeux, a-t-elle dit, le projet de loi a simplement le caractère d'une organisation de cadres. Le gouvernement s'est donné là un tort grave; mais en dehors des détails et des principes économiques. dont la libre discussion reste entière, c'est le seul reproche fondé qu'on soit en droit de lui adresser.»

Ainsi cet orateur disait qu'il ne s'agissait pas d'une loi d'organisation de l'armée, mais d'une simple organisation des cadres. C'est M. le prince de Chimay qui tenait ce langage.

M. le prince de Chimay. - Je l'ai répété hier.

M. d'Elhoungne. - Je regrette de ne l'avoir pas écouté; cela prouve du reste que telle était bien la pensée de l'honorable membre.

Dans la séance du 10 avril, un autre orateur disait :

« J'examinerai le plus rapidement possible ce projet de loi. Evidemment son titre est trop ambitieux. Le magasin ne renferme pas ce que l'enseigne promet. On annonce une organisation de l'armée et on fournit quoi? Une loi dont le but unique est de renfermer dans des limites fixes le nombre de nos officiers. J'en ai fait la remarque dans ma section. Cette loi peut avoir son côté utile, je ne le nie pas, mais n'en exagérons pas la portée. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est moi qui ai dit cela.

M. d'Elhoungne. - « On nous l'apporte, dit-on, en exécution de l'article 139 de la Constitution, qui a recommandé comme urgente une loi relative à l'organisation du l'armée. Mais pour organiser l'armée, la première condition à exiger, c'est qu'il y ait une armée. Or, sans recrutement, point d'armée. Et ce n'est pas sans raison que la commission militaire, déjà citée, a posé en quelque sorte comme question préalable à l'organisation de l'armée, celle du recrutement ». « La commission, dit le rapport, est convaincue de la nécessité d'être fixée sur le mode de recrutement de l'armée, en le considérant comme l'élément le plus essentiel pour sa bonne organisation. »

« Voici donc une loi d'organisation de l'armée à laquelle manque, d'après la commission, son élément le plus essentiel.

(page 489) « Cet avis de la Commission sur le recrutement de l'armée a été évidemment inspiré par l’article 118 de la Constitution qui s'exprime ainsi ;

« Le mode de recrutement de l'armée est déterminé par la loi. Elle règle également l'avancement, les droits et les obligations des militaires.»

« L'article 139 a-t-il voulu autre chose que recommander comme urgentes les lois à faire en vertu de l'article118 ? A-t-il entendu par organisation de l'armée la fixation des cadres? Il est permis d'en douter. Mais il n'a, certes, pas abrogé l'article 118, qui veut que le mode de recrutement soit déterminé par la loi. Et la commission déclarant que ce mode de recrutement constitue l'élément le plus essentiel d'une bonne organisation de l'armée, il suit que, pour répondre à la fois au vœu de la Constitution et aux conseils dictés par l'expérience, le projet de loi de l'organisation de l'armée est tout à fait incomplet. Il aurait dû prendre pour point de départ le recrutement. Aussi longtemps que cet élément essentiel manquera, on aura le faîte de l'édifice, mais non la base. »

Comme vient de le dire M. le ministre de l'intérieur, c'est M. Rogier qui tenait ce langage.

Un honorable membre qui a pris la parole dans la séance d'hier pour défendre l'organisation de l'armée, appréciant en 1845 la même loi. disait : « Aussi longtemps que la question des forteresses ne sera pas résolue, la loi d'organisation de l'armée n'aura, je le crois, qu'un caractère provisoire ; cette loi n'aura guère plus de fixité et.de stabilité qu'un budget. » Voilà comment cette grande charte de l'armée, cette arche sainte à laquelle ou s'attache aujourd'hui, comme si le salut du pays était dans ses flancs ; voilà comment elle a été appréciée par des hommes compétents dont l'opinion doit avoir une grande influence sur vos esprits.

Ainsi la loi qui a organisé les cadres n'a été, elle n'a pu être votée qu'avec un caractère temporaire et provisoire. La raison en est que les questions les plus graves, des questions vitales de l'organisation de l'armée sont restées en suspens. On ne s'est occupé ni du recrutement de l'armée, ni de la question des forteresses, ni de l'organisation de la garde civique. On n'a donc fait qu'une loi essentiellement provisoire, et il n'y a ni légèreté, ni étourderie, ni moins encore aveuglement ou aberration à demander qu'on examine si cette loi est en rapport avec les besoins du pays et les nécessités inexorables du trésor.

« Mais, dit-on, cette discussion est inopportune. Les réductions que vous demandez sont plus inopportunes encore. Ne voyez-vous pas qu'en France les coups d'Etat sont dans l'air ; que l'Allemagne est mal rassise encore de ses récentes convulsions; que l'Italie s'agite encore et gronde sourdement comme un volcan? »

Messieurs, je demanderai à nos honorables adversaires de commencer par se mettre d'accord.

En effet, qu'a dit le général Chazal dans le discours, si remarquable, par lequel il a ouvert cette discussion? Il vous a dit la situation de la France, qui est bien le pays de l'imprévu, qui l'était hier, qui le sera demain, qui peut-être le restera toujours. Il vous a dit la situation de l'Allemagne, de l'Europe entière, agitée partout, non par des questions de fait, mais par de grandes questions de principe qui peuvent tenir les esprits en suspens et en luttes pendant des années, comme les guerres de religion les ont tenus pendant un siècle.

Voici ce que disait le général Chazal :

« Ne croyez pas, messieurs, que les causes qui ont donné lieu à de tels bouleversements soient d'une nature éphémère. Il ne s'agit pas de questions de fait, mais de questions de principes dont une seule suffirait pour occuper l'esprit humain pendant une longue suite d'années. Si les disputes de religion ont duré des siècles, devons-nous espérer voir bientôt finir les luttes entre le principe de la souveraineté nationale et de l'autocratie, comme entre les idées d'ordre et d'anarchie? »

Vous le voyez donc, messieurs, prétendre qu'il y a inopportunité aujourd'hui ; nous renvoyer à l'époque où la France sera calmée et définitivement assise sous un régime d'ordre et de liberté, qui ne laisse plus de place à l'imprévu ; nous faire attendre que l'Allemagne entière soit initiée à la pratique des libertés constitutionnelles; nous faire attendre tout cela avant de toucher à l'organisation de l'armée, avant d'introduire des économies dans le budget, c'est ajourner à toujours les économies, c'est ajourner à toujours la reforme, c'est perpétuer la discussion qui occupe la chambre en ce moment.

Mais, dit-on, cette discussion qui a pour mobile la popularité, qui est inspirée par l'étourderie, par un vertige d'aberration et d'aveuglement, qui est si inopportune; cette discussion est dangereuse. Vous jouez, sans le savoir, nous dit-on, le jeu des anarchistes ; car eux aussi sont d'accord pour demander la réduction de l'armée. Or, ce qu'ils veulent eux, c'est la destruction de l'armée, et du même coup la destruction de nos institutions, le bouleversement de la société.

Eh, prenons-y garde, messieurs, les partis qui veulent l'anarchie ont, comme tous les autres, la même tactique. Ils savent cacher leur véritable drapeau pour arborer celui qui peut leur concilier le plus de suffrages et de popularité. Les partis ont trop le sentiment de leur intérêt, ils calculent trop juste, pour ne pas inscrire sur leur bannière le cri de ralliement qui peut être accepte par le plus grand nombre et surtout par ceux-là qui veulent avancer, mais sans aller aussi loin que leurs alliés du moment?

C’est ainsi qu'au cri de « vive la réforme! » s'est formée l'opposition que le gouvernement de Louis-Philippe a bravée, et qui a abouti à une révolution.

Messieurs, les gouvernements sages, au lieu de résister, s'empressent de satisfaire à ce qu'il y a de légitime dans ces prétentions des partis extrêmes, afin de mieux combattre ce qu'elles ont de funeste et de dangereux pour la société.

N'est-ce pas ainsi que, sous la pression des événements, vous avez proposé la réduction au minimum du cens électoral qui était demandée par le parti avancé? N'est-ce pas ainsi (et c'est votre honneur) que vous, avez pris des mesures favorables aux classes laborieuses, ce qui était aussi réclamé par le parti avancé?

Eh bien ! ce que vous avez fait pour la réforme électorale, ce que vous avez fait pour les classes laborieuses, ce que vous avez fait pour l'impôt sur les successions, car le parti avancé le demandait également, ce que vous avez fait là, ayez le courage de le faire aujourd'hui pour ce qu'il y a d'abusif, pour ce qu'il y a de trop onéreux dans notre organisation militaire.

Non, les objections que nous faisons contre le budget de la guerre n'ont rien de dangereux, quoi qu'on en ait dit dans les récriminations, (je n'ai point d'autre expression) qui ont été lancées contre nous dans cette discussion.

On nous accuse de mettre en question la nationalité de la Belgique. Eh! messieurs, nous ne mettons pas plus en question la nationalité de notre pays que la nécessité de l'armée. Mais c'est toujours la même tactique. Pour combattre ce qu'il y a de fondé, de vrai, dans nos objections, on est obligé de nous prêter des intentions qui sont impossibles, qu'on sait être impossibles. On dit que nous ne voulons pas le maintien de notre nationalité, que nous ne voulons pas d'armée ! Mais qui donc demande la suppression de l'armée? Qui donc proteste contre notre nationalité? Ne sommes-nous pas tous d'accord pour être Belges , pour rester Belges ? Qui donc a la prétention de le vouloir plus énergiquement, plus intelligemment que nous? De même, ne sommes-nous pas unanimes dans cette enceinte, que pour le maintien de l'ordre à l'intérieur, pour la défense de notre nationalité et de notre indépendance contre les attaques de l'extérieur, il faut une armée?

Qu'est-ce, en définitive, que nous demandons? L'examen sévère du budget de la guerre comme des autres budgets.

On nous accuse encore de jeter le découragement dans l'armée. Mais qui donc a jeté l'anxiété dans les rangs de l'armée? C'est vous, vous qui nous calomniez aux yeux de l'armée; vous qui nous prêtez des intentions que nous n'avons pas, que nous n'avons jamais eues, que nous n'aurons jamais ; vous qui nous proclamez les ennemis de l'armée.

Oh! si vous rendiez justice aux sentiments qui nous animent, si vous disiez à l'armée qu'elle n'a rien à craindre pour ses droits, qu'elle n'a rien à craindre du patriotisme de ceux qui considèrent comme un devoir le respect des positions légitimement acquises, et qui sauront remplir ce devoir aussi scrupuleusement que celui que leur mandat leur impose, d'examiner sévèrement le budget de la guerre; si l'on avait cette loyauté, l'armée ne s'effrayerait point; elle saurait que nous ne voulons méconnaître ni ses services, ni ses droits ; elle saurait que nous ne voulons oublier ni ce qu'elle a fait pour le pays, ni ce que son dévouement peut lui faire faire.

Je répéterai ce que j'ai dit dans une autre discussion : Ce sont ceux qui veulent ajourner ce débat, avec l'arrière-pensée de réduire le budget, quand leur peur sera passée, ce sont ceux-là qui préméditent l'ingratitude et l'injustice. Ce n'est pas nous.

Messieurs, nos adversaires nient qu'il y ait dans la situation financière des considérations graves, décisives, en faveur de la réduction du budget de la guerre; on trouve que nous ne payons pas trop pour l'armée; on trouve que nous ne devons pas marchander le prix de la sécurité que nous devons à l'armée. Mais, je le demande, ne peut-on pas dire absolument la même chose de tous les services publics? Ne pouvait-on pas dire, lorsque nous avons réduit le traitement du cardinal archevêque de Malines, que nous marchandions ce qu'il y a de plus noble, de plus pur, de plus précieux dans le cœur de l'homme : La foi religieuse? Lorsque nous avons examiné la position de la magistrature, que nous avons réduit le nombre des magistrats dans certaines juridictions, ne pouvait-on pas dire aussi que nous marchandions la justice, que nous en voulions a raison de 2 fr. 50 c. par tête, que nous n'en voulions plus à raison de 2 fr. 51c. par tête? Ce sont là des raisonnements que j'ai été étonné, je dois le dire, de trouver dans l'argumentation toujours si sévère, toujours si digne de faire impression sur vos esprits, de notre respectable collègue M. Devaux.

Le pays n'a jamais marchandé les sacrifices que lui imposait l'indépendance nationale. L'honorable M. Devaux a été constamment témoin, il a eu cet honneur, de l'ardeur entraînante avec laquelle, dans cette enceinte, on a toujours voté toutes les dépenses du département de la guerre, quand la nationalité était en question. En 1839, a-t-on marchande les millions ? Dans des circonstances récentes, en 1848, n'a-t-on pas été unanime pour accorder au gouvernement les crédits qu'il demandait?

On s'est prévalu aussi des dissentiments qu'on a cru découvrir entre les partisans des économies; l'honorable M. Tesch ne veut des économies, a-t-on dit, que pour éviter de nouveaux impôts, tandis que moi, dans le discours que j'ai prononce l'an passé, j'ai dit ne vouloir d'économies que pour donner aux sommes économisées une autre destination.

Messieurs, si l'honorable membre qui a fait cette objection veut relire le discours que j'ai prononce l'an passé pour le comparer au discours de l'honorable M. Tesch, il verra que mon honorable ami et moi nous (page 490) sommes parfaitement d'accord. Nous sommes d'accord pour demander des économies qui n'entravent point les services publics, et pour voter, afin d'équilibrer le budget, la création des impôts nouveaux qui seront reconnus nécessaires. En cela nous sommes plus courageux, plus logiques que les honorables membres qui votent avec enthousiasme des dépenses et qui crient que la propriété est perdue, la patrie menacée, quand on vient leur demander des impôts.

On a donc tort de nous dire à nous : « Vous n'éviterez pas les impôts. » Car nous répondons que les économies allégeront le fardeau des impôts nouveaux, et certes, c'est beaucoup. Ne vous le dissimulez pas, messieurs, vous ne serez véritablement forts pour demander au pays une aggravation des charges publiques, que lorsque vous l'aurez convaincu, lorsque vous lui aurez prouvé que vous avez atteint l'extrême limite du possible, en fait d'économies, dans tous les services publics.

Après cela, croyez-le bien, les partisans des économies n'ont pas plus d'engouement que qui que ce soit pour les invasions. Ils savent autant que personne que rien n'est plus déplorable pour un pays, que rien n'est plus désastreux que les invasions, qu'il provoque lui-même lorsqu'il néglige de se mettre honorablement sur un pied respectable de défense.

Mais toutes les analogies qu'on a citées, tous les exemples qu'on est allé prendre dans notre histoire et à l'étranger, ne sont pas également concluants. Les différentes invasions qu'a subies la Belgique n'ont pas eu lieu parce que la Belgique était sans défense, mais parce que les armées qui défendaient la Belgique ont été vaincues par les armées de la France.

Il ne faut pas non plus se faire d'illusions. Nous sommes un petit pays; nous ne pouvons avoir de sécurité absolue comme les grandes nations, comme la France, l'Autriche, l'Angleterre ; nous ne pouvons, par notre état militaire, être absolument assuré contre les invasions étrangères; nous ne pouvons que prendre les précautions les plus prudentes, d'après les probabilités qui nous semblent le plus plausibles, pour tâcher, à tout événement, de sauvegarder notre nationalité, notre neutralité.

En cas d'invasion, ce n'est pas, je le pense, une armée belge qui livrera la première bataille. En cas d'invasion, l'armée belge ne sera guère que l'avant-garde des armées qui viendront à son secours.

A ce point de vue, la question pour la Belgique, c'est surtout la conservation de ses forteresses; parce que le moindre coup de main qui entraînerait la prise d'une de nos forteresses par une puissance, serait une cause d'invasion pour les autres puissances belligérantes.

D'un autre côté, tant que nous posséderons nos forteresses, nous aurons un gouvernement belge, un noyau d'armée belge ; il y aura une Belgique enfin, pour traiter avec les puissances de l'Europe, et il faudra que, dans les traités qui interviendront, on compte avec elle.

Messieurs, on a affirmé qu'en l'absence de toute espèce de grief financier contre l'organisation de l'armée, nous n'avions formulé rien de sérieux contre cette organisation. Mais j'en appelle à vos souvenirs, cette allégation est-elle exacte? Le discours que vient de prononcer l'honorable M. Thiéfry n'a-t-il pas rappelé des griefs véritablement sérieux contre notre organisation militaire? Ainsi le chiffre même du budget actuel n'est pas un minimum; il est exceptionnellement réduit d'une part, parce les substances alimentaires et les fourrages sont à un prix anormal ; d'autre part, parce que notre matériel et les chevaux de notre armée ont été exceptionnellement renouvelés avec les crédits extraordinaires votés en 1848. Il est évident que les budgets prochains, quand ces influences auront cessé, devront s'élever à un chiffre supérieur.

Ce que nous avons reproché à notre organisation militaire, à l'égard de la qualité du soldat, est resté sans réponse. L'honorable ministre de la guerre a dû convenir qu'il y avait beaucoup de vrai dans ces objections.

La question de savoir si les cadres sont suffisamment garnis de soldats, est encore restée sans solution. On a cité ce fait que, pour fournir 140 hommes à la prison de St-Bernard, il a fallu épuiser les soldats de huit compagnies. A-t-on répondu à ce fait?

On a cité la profusion des généraux; on n'a pas réfuté ce vice si évident et si onéreux de notre organisation.

On a dit que l'effectif de 80,000 hommes, en temps de guerre, était un rêve, une illusion, et on l'a dit, non seulement avec l'autorité d'un capitaine d'infanterie, autorité que je prise beaucoup quand ce capitaine a vu le feu et qu'il a une longue expérience de la troupe, mais on l'a dit avec l'autorité d'une commission de généraux qui a été nommée pour préparer l'organisation de l'armée, autorité que l'honorable M. Rogier a invoquée sur ce point dans la discussion de 1845.

Et veuillez remarquer, messieurs, que les objections que l'on fait contre notre organisation militaire ne sont pas de ces objections qu'une simple dénégation de M. le ministre de la guerre, si habile, si éloquent qu'il soit, suffise pour détruire. On a parlé du luxe des états-majors, du grand nombre d'officiers dans les grades supérieurs. Eh bien, les faits qui ont été cités par M. le ministre de la guerre prouvent que nos réclamations sur ce point sont fondées. En effet, ne vous a-t-il pas dit qu'en 1839, notre armée a eu un effectif qui s'élevait jusqu'à 112,000 hommes? Eh bien, pour cette armée de 1 12,000 hommes, il n'y avait pas quatre divisions territoriales comme aujourd'hui, il n'y en avait que trois...

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il y en avait sept!

M. d'Elhoungne. - Il n'y en avait que trois. De même il n'y avait à cette époque que trois régiments d'artillerie. Ce n'est que depuis la paix que l'on a augmenté le nombre des commandements. Et cela tient à une cause extrêmement simple, c'est que la guerre avait multiplié le nombre des officiers; de telle façon qu'on a créé les places pour les officiers, qu'on n'a pas nommé les officiers pour les places.

Je sais bien que l'organisation de 1844 a déjà en grande partie apporté un remède au mal; qu'un grand nombre d'officiers ont été mis hors d'emploi. Mais il est évident aussi que la loi de 1844 n'a pas fait tout ce qu'on peut faire à cet égard.

Messieurs, il est un autre aspect de la question, sur lequel nos adversaires ont beaucoup insisté : ils ont dit que ce débat manquait de base logique; que nous avions la prétention de lancer la chambre et le pays dans l'inconnu, par la raison que nous n'opposions pas de contre-projet d'organisation. Mais, je l'ai déjà dit, c'est là intervertir tous les rôles. Que fait le gouvernement? Il vient demander de l'argent pour faire mouvoir son organisation de l'armée. Quel est notre rôle à nous? C'est de voir si cette organisation ne donne pas lieu à des critiques fondées ; c'est d'examiner sévèrement cette organisation, d'en faire voir les vices, d’en indiquer les parties défectueuses et celles surtout qui sont susceptibles de simplifications, d'économies. Or, c'est ce que nous avons fait.

Quant à dire que le débat manque de base logique, parce qu'on n'oppose pas de contre-projet, c'est une équivoque. Dans le discours que j'ai prononcé l'année dernière, j'ai cité tous les budgets qui avaient été présentés par les ministres précédents jusqu'en 1842, et dans lesquels la dépense ordinaire, normale de notre état militaire était invariablement fixée à 25 millions. On a donc des précédents; on a une base logique.

Rappelez-vous, messieurs, ce qu'a fait la chambre sous le général de Liem. En repoussant le budget de la guerre, la chambre n'a pas adopté immédiatement un contre-projet. Le rejet du budget de M. fie Liem a eu pour résultat sa retraite et l'avènement du général Dupont, qui a présenté un projet d'organisation militaire conforme aux vues d'économie que la chambre avait manifestées. Et ne croyez pas qu'à cet égard l'honorable général Dupont ait eu une tâche fort facile à remplir. Il s'est plaint lui-même de l'impopularité qui s'attachait dans l'armée à l'opinion qu'il venait défendre devant la chambre. Il s'est excusé en quelque sorte de venir se mettre en opposition avec l'opinion généralement admise dans l'armée.

Ainsi, la position était bien celle que nous avons aujourd'hui.

L'honorable général de Liem déclarait que l'armée était impossible sans les conditions qu'il y mettait La chambre a rejeté le projet de M. de Liem, et M. Dupont, malgré l'opinion de tous les généraux et l'opposition qui se manifestait dans les rangs de l'armée, a présenté un projet de loi que la chambre a sanctionné.

Loin de vouloir pousser la chambre et le pays dans l'inconnu, c'est nous qui avons le droit de dire à M. le ministre de la guerre et aux membres qui appuient le budget, qu'ils veulent, eux, nous lancer dans l'inconnu. En effet, en 1847, on nous demandait un budget, sinon tout à fait égal, au moins analogue à celui de cette année. Il y a cependant quelque chose de changé depuis 1847. A côté de ce budget de la guerre, il y a un deuxième budget militaire que nous avons édifié. A côté de l'armée, nous avons placé la garde civique qui, comme on l'a rappelé, impose des sacrifices très considérables au pays. Or je demanderai quel est le rôle de la garde civique dans le pays? M. le ministre de la guerre assigne un double rôle à l'armée : protéger l'ordre à l'intérieur, défendre le pays contre les attaques de l'extérieur.

Mais la garde civique, quel est son rôle à elle? N'a-t-elle rien à faire dans cette double mission de l'armée? Si elle vient remplir dans une proportion quelconque le rôle de l'armée, est-il juste de nous faire supporter ce double budget, sans aucune réduction? Vous dites que depuis 1847 vous avez fait des économies ; je dis, moi, que depuis 1847 le budget de notre était militaire a été considérablement augmenté; car, si vous avez fait des économies sur le budget de l'armée, d'un autre côté vous avez aussi le budget de la garde civique qui forme une dépense nouvelle.

Je dis qu'on nous lance dans l'inconnu, puisqu'on ne nous dit pas quelle sera la mission de la garde civique. Certainement on ne veut pas la réduire au rôle dérisoire qu'un officier haut placé lui assignait par une sorte d'injure.

Eh bien, on devra reconnaître qu'un corps de 40,000 hommes, animé du meilleur esprit, ayant dans ses cadres un grand nombre d'anciens militaires, peut rendre de grands services, au moins pour le maintien de l'ordre. Par conséquent, l'armée dont on pourra disposer pour la mettre en campagne sera d'autant plus considérable. Eussiez-vous seulement un effectif de 60,000 hommes, comme le supposait l'honorable M. Devaux; avec la garde civique, vous pourriez mettre autant d'hommes en campagne que si vous aviez un effectif de 80,000 hommes, sans la garde civique.

Messieurs, permettez-moi de le dire, l'institution de la garde civique a rencontré dans tout le pays une adhésion peut-être inattendue ; mais si tant de citoyens se sont ainsi dévoués; s'ils ont accepté les charges qu'impose le service de la garde civique, c'est qu'ils ont cru faire quelque chose de sérieux dans l'intérêt du pays; c'est qu'ils ont cru qu'un rôle leur était réservé pour le maintien de l'ordre et la défense du territoire; c'est qu'ils ont compté que la garde civique serait l'auxiliaire de l'armée, et que cette institution devait conduire à une diminution des dépenses de l'armée proprement dite.

Messieurs, on a été jusqu'à dire que les membres qui croient une réduction possible dans les dépenses de l'armée auraient dû se borner à agir par voie de conseils. Eh bien, je rappellerai à l'honorable membre qui (page 491) disait cela dans la séance d'hier, que quand on a voulu agir par voie do conseil, M. le ministre de la guerre a repoussé nos conseils d'une façon très cavalière. Ainsi l'honorable M. Thiéfry a précisément reçu cette réponse:

« Que quand on aurait des conseils à demander, on les demanderait à des hommes spéciaux, dignes de confiance et non à l'honorable M. Thiéfry.»

Après cela, je demanderai à l'honorable M. Devaux, ce qu'il reste à faire à ceux qui croient que le budget de la guerre est susceptible de réductions.

L'année dernière, nous n'avons posé la question ni d'une manière irritante, ni d'une manière absolue. Moi-même j'ai dit que si M. le ministre de la guerre ne déclarait point que le budget était un minimum irréductible, que s'il admettait que dans l'avenir il fût plus ou moins possible de réaliser des économies, d'opérer une révision, je voterais pour le budget.

Mais loin de là, M. le ministre de la guerre déclara qu'il lui était non seulement impossible de promettre aucune réduction sérieuse, mais il a ajouté cette année qu'il mettait au défi son successeur de maintenir une armée convenable en réduisant les dépenses.

Je demanderai, messieurs, si la question ainsi posée, il nous est possible, à nous, de reculer.de faire fléchir nos convictions, de les déserter.

Je ne veux point, messieurs, pour ma part, la commission d'enquête que l'on a proposée; c'est un moyen détourné, il amènerait un vote équivoque, car je pense que le gouvernement y attacherait le même sens qu'au rejet du budget. Mais je n'accepte pas, non plus, pour les honorables membres qui ont proposé une enquête parlementaire, les reproches qu'on leur a adressés hier. Je ne trouve pas dans une enquête l'odeur de Convention nationale, qu'on a bien voulu hier lui attribuer. Je pense, messieurs, qu'on ne trouvera pas plus ici les traditions de la Convention nationale que celles de la majorité des « satisfaits » de 1848, que celles du parlement croupion d'Angleterre.

Mais puisque je cite l'Angleterre, ce pays constitutionnel par excellence, ce pays où les traditions monarchiques sont si religieusement conservées, je dirai que dans ce pays une enquête parlementaire sur l’armée n'est ni une chose inusitée, ni une chose nouvelle. J'ai en main l'indication de toutes les enquêtes parlementaires et gouvernementales qui ont été faites en Angleterre sur l'armée et sur la marine: j'y vois une enquête pour rechercher les abus qui se sont introduits dans le service militaire. J'y vois des enquêtes pour prescrire au gouvernement de ne plus nommer de nouveaux généraux. J'y vois des suggestions de réduire d'un certain nombre d'officiers la liste d'activité. J'y vois une enquête pour déterminer la suppression des généraux et colonels de la marine au fur et à mesure des extinctions et décréter l'abolition des grades pour l'avenir.

J'y vois aussi une enquête sur les promotions et les retraites dans l'armée et dans la marine. J'y vois, en un mot, des enquêtes parlementaires et gouvernementales sur toutes les questions qui se rattachent au service de l’armée, au service de la marine, aux promotions, aux grades, à l'organisation des ambulances, aux dépenses, enfin à toutes les questions spéciales qui, de leur nature, sont susceptibles d'être éclairés par une enquête.

Je trouve même dans ces enquêtes les dépositions des témoins qui ont été cités et qui étaient ou d'anciens officiers ou d'autres dignitaires de l'armée.

Vous voyez donc, messieurs, que le parfum de Convention nationale qui effarouchait un honorable préopinant ne se trouvait point dans la proposition d'enquête. C'est une tradition de la royauté constitutionnelle.

J'ai déjà prouvé que l'imprudence ne s'y trouvait pas non plus, et à cet égard, je me permettrai d'insister pour que le gouvernement jette un regard impartial et froid sur la situation qui se prépare.

J'admets le vote du budget de la guerre; comment passera-t-il? Il passera avec une opposition très forte, plus considérable que l'année dernière. Il passera, parce que les voix catholiques de cette chambre auront prête leur appui au gouvernement, et que nous aurons eu le bonheur de ne pas subir leur concours...

- Plusieurs membres. - Il n'y a pas de catholiques ici.

M. d’Elhoungne. - Je serais charmé de le croire. (Interruption.)

M. Rodenbach. - Je vote comme Belge et non pas comme catholique.

M. d’Elhoungne. - Eh bien, ce sera une heureuse exception dans vos votes. (Interruption.)

Messieurs, en parlant de voix catholiques, je n'ai cru éveiller les susceptibilités de personne. Je permets aux honorables membres que j'ai désignés sous le nom de catholiques de m'appeler libéral. J'en serai très flatté.

Mais je reviens à la pensée que j'émettais. Je demande au gouvernement si le pays gagnera beaucoup, si l'armée sera bien rassurée lorsque le budget de la guerre aura passé en présence d'une opposition considérable. Je ne le crois pas et dans ces termes-là, je n'hésite pas à le dire : ce que la prudence conseille, ce que la circonspection réclame, ce que la situation indique, ce ne sont point les récriminations qui enveniment le débat : c'est une transaction.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je commence par remercier l'honorable préopinant pour la modération de ses paroles; je pense, avec lui, que, dans cette grave discussion, l'on doit, de part et d'autre, s'abstenir de toute récrimination, de toute violence dans les formes, et, sous ce rapport, nous devons le dire, la discussion remarquable dont nous sommes témoins ne me semble avoir donné prise à aucune critique. Les reproches qui ont pu être adressés à certains adversaires du budget de la guerre n'ont eu, je pense, rien de personnel pour aucun membre de cette chambre.

L'honorable préopinant a fini par convier le gouvernement à ce qu'il a appelé une transaction sur le budget de la guerre.

Messieurs, il est des questions sur lesquelles le gouvernement peut transiger sans compromettre les graves intérêts qui lui sont confiés, sans manquer à sa haute mission, sans méconnaître ses premiers devoirs; il en est d'autres, au contraire, qui, par leur solution, peuvent entraîner des conséquences tellement graves, qu'elles ne peuvent admettre de transactions. Telle est, à nos yeux, la question de l'armée.

Toutefois, je dirai que pour le budget de la guerre, le gouvernement a été aussi loin qu'il a pu aller dans la voie de transaction, hier encore M. le ministre de la guerre a fait connaître à la chambre que son intention était de lui présenter, pour la prochaine session, un travail complet où seraient examinées, par des hommes spéciaux, toutes les questions qui se rattachent à l'organisation de l'armée, tous les systèmes qui ont été produits, toutes les opinions qui ont été mises en avant.

Certes, M. le ministre de la guerre a ses convictions, et vous devez tous lui rendre cet hommage, qu'il sait les défendre avec chaleur et talent; vous ne voudriez pas l'amener à des transactions avec sa conscience; il a ses convictions; il y tient, il les exprime franchement dans cette chambre; mais certes mon honorable collègue ne s'est pas refusé à examiner et à faire examiner tous les systèmes, toutes les questions qui se rattachent à l'organisation de l'armée; je le répète, hier encore il vous a déclaré qu'un travail complet vous serait présenté à cet égard.

Voilà, ce me semble, de la transaction, et je ne mets pas en doute que tout membre de cette chambre qui peut aspirer à l'honneur de gouverner un jour le pays, ne tienne, une fois assis sur ces bancs, la même conduite que nous tenons en cette circonstance.

Rien ne nous serait plus agréable que de pouvoir proposer à la chambre une réduction de deux millions, par exemple, sur le budget de la guerre, et de transformer ces deux millions en subsides que nous répartirions libéralement entre les divers arrondissements du royaume. Croyez-le bien, messieurs, ce n'est point par aveuglement, par une opiniâtreté non motivée que nous maintenons le chiffre qui vous est présenté. Ce chiffre lui-même est d'ailleurs une véritable transaction.

D'ailleurs, on vient de nous dire que, depuis 1830, le budget de la guerre avait toujours reposé sur le chiffre normal de 25 millions; c'est une erreur; dans aucune année, depuis 1820, le budget de la guerre n'a reposé sur le chiffre de 25 millions. J'ai ici le relevé de tous les budgets de la guerre depuis la révolution; le budget de 1850 présente le chiffre le moins élevé.

Année 1831 :73,428,000 fr,

1832 : 62,459,737 fr.58

1833 : 66,433,000 fr.

1834 : 42,980,000 fr.

1835 : 39,868.000 fr.

1836 : 37,341,000 fr.

1837 : 41,319,000 fr.

1838 : 42,078,035 fr.

1839 : 49,813,000 fr.

1840 : 32,790,000 fr.

1841 : 30,525,000 fr.

1842 : 29,500,000 fr.

1843 : 29,435,000 fr.

1844 : 28,130,000 fr.

1845 : 28,022,000 fr.

1846 (premier budget d'application de la loi d'organisation que l'honorable M. d'Elhoungne vota alors avec moi.) : 28,010,000 fr.

1847 : 29,405,100 fr.

1848 : 28,842,000 fr.

1849 : 27,085,000 fr.

1850 : 26,792,000 fr.

Ainsi, depuis que l'honorable général Chazal est au département de la guerre, le budget a subi une réduction de plus de deux millions.

L'honorable M. d'Elhoungne nous annonce que, pour l'année 1851, le budget de la guerre remontera vers les anciens chiffres. L'honorable membre est dans l'erreur : à moins de circonstances tout à fait extraordinaires, circonstances dans lesquelles le premier, je l'espère, il accorderait les sommes nécessaires, le budget de la guerre de 1851 ne sera pas présenté à un taux plus élevé que celui de 1850; déjà le budget de la guerre de 1851 est entre les mains de M. le ministre des finances, et le chiffre de ce budget est inférieur de 100,000 fr. au montant du budget de 1850.

Messieurs, vous voyez que tout pénétrés que nous soyons de l'importance de l'institution de l'armée, nous n'avons pas hésité à présenter (page 492) successivement à la chambre toutes les réductions compatibles avec la bonne organisation de l'armée et si nous avions sous ce rapport quelques scrupules, ce serait peut-être d'avoir été trop loin dans notre désir de donner satisfaction à une partie de cette chambre.

L'honorable préopinant a témoigné le regret que le budget de la guerre rencontrât de l'opposition dans une partie de cette chambre qui, sur d'autres questions, a l'habitude de voter avec le cabinet. Ce regret, que j'éprouve aussi, ce regret, l'honorable préopinant a les moyens de se l’épargner. Ce n'est pas, messieurs, le cabinet seul qui souffre de cette opposition; dans mon opinion, la majorité est atteinte beaucoup plus vivement que le cabinet, par cette division qui se manifeste dans son sein;

On parle de l'impopularité de la question du budget de la guerre, on parle des vœux du pays ; eh bien, il ne m'est nullement démontré, quant à moi, que la question du budget de la guerre soit impopulaire dans le pays. J'appartiens, par mon mandat, à une localité où l'on prétend que domine avant tout l'intérêt matériel. Eh bien, je me présenterai plein de confiance devant les électeurs de cette localité, et portant bien haut le drapeau du budget de la guerre, tant je suis convaincu que dans cette question le député la représente fidèlement.

Ne nous faisons pas illusion : le budget de la guerre a de nombreux partisans dans le pays, et de fortes adhésions ; que la voix de la majorité se mêle à celle du gouvernement pour éclairer les esprits là où ils sont prévenus ou encore ignorants, et il faudra peu d'efforts pour rendre et maintenir longtemps populaire dans le pays l'institution si libérale de l’armée.

L'armée , je l'espère , ne confondra pas avec ses ennemis ceux de nos honorables collègues qui aujourd'hui demandent des réductions au budget de la guerre; ils cherchent à faire des économies; nous devons supposer chacun de nos collègues animé de bons sentiments ; mais, messieurs, si l'on tient à ce que devant l'armée la majorité qui soutient le gouvernement conserve toute sa force, tout son prestige, on devrait soi-même faire des sacrifices, on devrait chercher à transiger avec soi-même pour ne pas se séparer de ceux qui appuieront le budget de la guerre.

Apres tout, l'armée est une institution constitutionnelle; elle n'est par sa nature ni catholique, ni libérale, elle est nationale; nous acceptons avec reconnaissance toutes les voix qui viendront la défendre avec nous.

Si, messieurs, l'on veut aider le gouvernement dans cette circonstance, si l’on a le désir d'arriver à un vote imposant pour l'armée, eh bien, que l'on accepte le budget tel que déjà il se trouve réduit. L'année prochaine un travail complet sera soumis à la chambre; toutes les questions seront examinées par le ministre de la guerre, et vous savez s'il est capable sous ce rapport de fournir un travail complet; ce sera le moment pour ceux qui sans être hostiles à l'armée recherchent des économies avant de se prononcer définitivement pour ou contre l'organisation actuelle. Jusque-là, tout ce qui se fera contre le budget de la guerre sera fait prématurément, et suivant moi, imprudemment.

Nous défendons, nous dit-on, la loi d'organisation de l'armée comme une charte inviolable de l'armée. Nous n'avons pas exagéré l'importance de la loi d'organisation de l'armée ; nous savons ce qu'on a organisé en 1845; ce que nous défendons, c'est l'organisation de l'armée sur son pied actuel, sa discipline, sa force, que nous trouvons nécessaires pour maintenir la sécurité à l'intérieur et, au besoin, pour défendre le pays contre les attaques de l'extérieur.

Voilà ce que nous défendons; c'est l'organisation actuelle de l'armée; ce que nous combattons, c'est un commencement de désorganisation.

L'avenir peut fournir de nouvelles lumières; le travail de 1845 n'est pas tellement parfait qu'il ne puisse recevoir de perfectionnement.

On parle d'enquête ! Mais quel est le rôle d'un gouvernement constitutionnel? Il doit toujours être à l'état d'enquête, rechercher toujours les améliorations que les lois et les institutions peuvent recevoir. Sous ce rapport, nous ne pensons pas avoir donné à la chambre le droit de se défier de notre activité.

Nous avons recherché quelles étaient les économies qu'on pouvait introduire dans les services sans les désorganiser; nous les avons introduites peut-être d'une manière exagérée; il y a un moment où nous avons dû nous arrêter. L'armée même a subi les économies que nous avons imposées à tous les autres services.

Apres ce qui vient d'être dit, je n'ai pas besoin de faire connaître à la chambre que le ministère repousse de la manière la plus absolue : 1° les propositions de réduction sur le budget de la guerre ; 2° la proposition de nommer une commission parlementaire chargée d'examiner l'organisation de l'armée, Nous considérons l'une et l'autre proposition comme inadmissibles. Nous considérerions l'adoption de l'une ou l'autre proposition comme un vote de défiance contre le cabinet. Et sous ce rapport, le cabinet n'a pas besoin de vous dire quelle serait la conséquence d'un pareil vote.

- La discussion est contin1uée à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.