(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. Dubus procède à l'appel nominal à deux heures et quart.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus communique l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Falkembergh demande l'établissement d'une caisse de retraite en faveur des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Pierson réclame l'intervention de la chambre pour connaître les motifs du rejet de sa soumission pour la fourniture de l'entretien des détenus dans la prison civile et militaire d'Arlon, et dans les maisons de passage de l'arrondissement judiciaire de ce nom. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Gheel présentent des observations contre le projet de loi sur les denrées alimentaires. »
« Plusieurs cultivateurs du canton de Looz prient la chambre de rejeter ce projet de loi et demandent un droit d'entrée d'au moins 2 francs par 100 kilog. pour les céréales, et de 50 à 50 fr. par tête de gros bétail.»
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
M. le président. - La chambre a à s'occuper des articles qui ont été l'objet d'amendements et qui ont été renvoyés à l'examen de la commission.
M. Loos (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Je viens demander à la chambre de bien vouloir ouvrir de nouveau une discussion sur le chapitre X qui traite de la revendication.
On sait dans quelles conditions le projet s'est présenté à la chambre. C'est le 20 que le rapport a été présenté; distribué le 22, déjà le 27 nous discutions. Nous discutions un rapport qui comprend près de 150 pages d'impression, une loi de plus de 200 articles. Peu de membres avaient eu le loisir d'examiner assez attentivement les dispositions du projet pour se livrer à une discussion sur chacun des articles.
Dans une de vos dernières séances, une requête vous a été présentée de la part du tribunal et de la chambre de commerce d'Anvers, réclamant contre des dispositions du chapitre X, qui traite de la revendication des marchandises. Cette requête a été renvoyée à la commission, qui persiste dans son opinion.
Je demande que cette opinion puisse être controversée dans cette séance, qu'ainsi une discussion soit ouverte de nouveau sur le chapitre X.
M. le président. - Tous les articles du chapitre X ont été votés sans discussion. Il n'y aurait donc pas lieu, à la rigueur, de revenir sur ces articles. Cependant, la chambre a la faculté de rouvrir une discussion, si elle le juge à propos. C'est ce que demande M. Loos par motion d'ordre.
M. Manilius. - Je viens étayer de mon appui la proposition qui vous est faite par l'honorable M. Loos.
Il vous a expliqué clairement la question; je ne puis que me joindre à lui pour engager la chambre à ne pas repousser les lumières qui pourront être répandues sur quelques dispositions du chapitre X. Je crois qu'une discussion sur ce chapitre pourra produire d'utiles résultats.
M. Sinave. - J'appuie aussi la proposition de l'honorable M. Loos. Comme il vous l'a dit, le rapport a été distribué l'avant-veille de la discussion, et il nous a été impossible de prendre une connaissance complète du rapport. S'il y avait eu un plus long délai entre le dépôt du rapport et la discussion, j'aurais été moi-même chargé de vous présenter des pétitions sur la question de la revendication.
- La chambre décide que la discussion sera rouverte sur le chapitre X.
M. le président. - Je suppose qu'il entre dans l'intention de la chambre de suivre l'ordre des articles? (Adhésion.)
M. le président. - Nous avons d'abord un amendement proposé par M. Allard, à l'article 443. La première partie de cet amendement consiste à ajouter après les mots: « au président du tribunal de commerce, » ceux-ci : « dans le ressort duquel le protêt a été fait. »
La commission propose l'adoption de cette partie de l'amendement.
M. Allard a proposé ensuite un paragraphe additionnel, ainsi conçu :
« Semblable tableau sera envoyé au président du tribunal de commerce du domicile des souscripteurs d'un billet à ordre ou d'une lettre de change non acceptée, lorsque ce billet à ordre ou cette lettre de change seront payables dans un ressort judiciaire autre que celui habité en Belgique par celui qui les aura souscrits. »
La commission propose de modifier cet amendement de la manière suivante :
« Semblable tableau sera envoyé au président du tribunal de commerce du domicile du souscripteur d'un billet à ordre ou de l'accepteur d'une lettre de change, lorsque ce billet à ordre on cette lettre de change sera payable dans un ressort judiciaire autre que celui habité en Belgique par celui qui l'aura souscrit ou accepté. »
M. Allard. - L'amendement que j'ai proposé à l'article 443 n’a pas eu toute l'approbation de la commission ; je ne puis, messieurs, me rallier à sa proposition; peu de mots suffiront pour vous en faire connaître les motifs.
La commission pense que le refus de payer une traite non-acceptée ne prouvant ni que le tireur a disposé sans qu’il y ait provision, ni que le tiré n’a pas payé alors qu’il y avait provision, il n’y aurait aucune utilité à porter le protêt d'une semblable lettre de change à la connaissance du président du tribunal de commerce.
Je ne suis pas de l'avis de la commission; je crois que les présidents des tribunaux de commerce doivent connaître tous les protêts faits à leurs justiciables; ils sauront bien distinguer les bons et les mauvais débiteurs.
Aujourd'hui, messieurs, tous les commerçants stipulent par leurs factures que le payement aura lieu au domicile des vendeurs ; cette condition leur permet, en vertu de l'article 420, paragraphe 3, du Code de procédure civile, d'assigner leurs débiteurs devant le tribunal de leur domicile à eux vendeurs ; vous comprenez, messieurs, que le tribunal du domicile des débiteurs ne peut actuellement connaître des protêts et des poursuites qui se font en dehors de sa juridiction ; c'est un mal, auquel mon amendement viendrait parer.
Un négociant peut, dans le ressort du tribunal de commerce dont il est justiciable, n'avoir aucune traite protestée et passer alors pour très solvable, tandis que, faisant toutes ses acquisitions en dehors de la juridiction du tribunal qu'il habite, il peut avoir quantité de protêts ; dans ce cas, il est nécessaire que le tribunal dont il est justiciable sache ce qui se passe dans les autres tribunaux; car, messieurs, un négociant qui se trouve dans la position que je viens d'indiquer est très souvent bien près de sa chute.
La chambre fera, à mon avis, chose utile au commerce en adoptant mon amendement.
M. Tesch, rapporteur. - Messieurs, quel est le motif pour lequel on exige que les protêts soient portés à la connaissance du tribunal de commerce ? C'est comme une conséquence du droit donné aux tribunaux de commerce de déclarer d'office la faillite. Voilà le véritable motif de la disposition ; il n'en est pas d'autre. M. Allard veut qu'on porte à la connaissance du tribunal de commerce les protêts d'effets non acceptés. Il ne peut y avoir à cela aucune espèce de but utile, car le tribunal de commerce ne peut prendre de mesure, quant au protêt d'un effet non accepté; il ne peut pas déclarer la faillite, car il ne sait pas si celui sur lequel l'effet a été tiré, doit ou ne doit pas, si c'est à bon droit ou si c'est à tort qu'il a refusé de payer.
- La première partie de l'amendement de M. Allard est mise aux voix et adoptée.
La seconde partie de cet amendement est mise aux voix; elle n'est pas adoptée.
L'amendement proposé par la commission est adopté.
L'article est ensuite adopté avec ces modifications.
M. le président. - A l'article 444, il y a eu un amendement présenté par M. Jullien, amendement conçu en ces termes :
« Paragraphe final. « La faillite n'affecte point les droits attachés à la puissance paternelle et à l'autorité maritale.
« Toutefois la masse peut exiger qu'il lui soit fait raison des revenus qui appartiendraient à ce titre au failli, après l'acquit des charges y attachées. »
La commission propose à la chambre de ne pas adopter cet article.
M. Jullien. - Messieurs, la loi qui nous occupe ne doit pas laisser la moindre prise à une interprétation arbitraire. Son texte doit en refléter l'esprit; il doit être en harmonie avec la pensée de ses auteurs. Ces considérations me déterminent à maintenir l'amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre.
Cet amendement, messieurs, consacre deux principes. Le premier, c'est que la faillite n'affecte pas les droits attachés à l'autorité maritale et à la puissance paternelle. Le second, c'est que la masse peut exiger qu'il lui soit fait raison des revenus qui appartiendraient, à ce double titre, au failli, après l'acquit des charges qui y sont attachées.
La commission, messieurs, ne combat pas ces deux principes ; elle reconnaît qu'ils sont vrais ; mais elle prétend qu'il n'y a pas utilité à les insérer dans la loi.
Si je démontre, messieurs, que le texte de l'article 444, pour le cas où il serait voté tel qu'il est proposé par la commission, portera atteinte à l'un ou à l'autre de ces principes, je prouverai par cela même qu'il est utile d'insérer les deux principes dans la loi, comme limitation de l'article lui-même.
Or, si je lis l'article 444, j'y vois que cet article proclame d'abord que « le failli, à compter du jugement déclaratif de la faillite, est dessaisi de plein droit de l'administration de tous ses biens, même de tous ceux qui peuvent lui échoir tant qu'il est en étal de faillite. »
Le deuxième paragraphe du même article porte que « tous payements, opérations ou actes faits par le failli, et tous payements faits au failli, depuis ce jugement, sont nuls de droit. »
(page 144) Ainsi donc le failli est réduit à un rôle purement passif ; son action, quant aux actes civils, est complètement neutralisée; il est dessaisi de l'administration non seulement de tous ses biens présents, mais encore de tous ceux qui pourront lui échoir tant qu'il est en état de faillite. L'article va beaucoup plus loin encore : il frappe de nullité toutes les opérations généralement quelconques que peut poser le failli postérieurement à la déclaration de faillite; il entache de nullité tous les payements qui seraient faits par le failli comme tous les payements qui pourraient lui être faits.
Eh bien, messieurs, en présence du texte aussi large, aussi absolu de l'article 444, je me demande si le failli, postérieurement au jugement déclaratif de la faillite, conservera l'administration des biens de son épouse non séparée; je me demande s'il conservera l'administration des biens de ses enfants mineurs. La commission me répond oui ; cela est de droit ; mais s'il est de droit qu'il n'est point dépouillé de cette administration, vous devez admettre qu'il a capacité pour percevoir les revenus des biens dont vous lui conservez l'administration.
Or, vous lui enlevez la capacité de recevoir; vous énoncez dans le paragraphe final de l'article 444 que le failli ne peut faire ni recevoir aucun payement, tant qu'il est en état de faillite.
Messieurs, il ne peut y avoir d'équivoque sur la portée d'un paragraphe aussi explicite; s'il pouvait y avoir une équivoque quelconque, elle serait dissipée par le commentaire que le gouvernement a pris lui-même le soin de nous donner dans l'exposé des motifs du projet de loi.
Dans cet exposé, M. le ministre de la justice nous fait connaître que les actes qui sont faits par le failli dans la première période de la faillite, alors qu'il est dessaisi de droit et de fait de tous ses biens, qu'il ne peut plus être considéré comme représentant la masse, sont radicalement nuls ; il ajoute qu'ils sont radicalement nuls quel que soit leur objet, quelle que soit leur nature, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils ont été faits.
Vous le voyez, le failli est frappé d'une incapacité radicale et absolue, quels que soient les actes qu'il veuille poser, quelles que soient les opérations auxquelles il veuille se livrer, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ces opérations aient lieu. Il n'y a pas l'ombre de distinction dans le texte du dernier paragraphe de l'article 444; les termes dans lesquels il est conçu sont inconciliables avec les deux principes qui servent de base à mon amendement et qui supposent que la capacité du failli, quant à l'administration des biens de l'épouse et de ses enfants mineurs, survit à la faillite.
J'ajouterai que ces deux principes recevront une atteinte non moins formelle par le premier paragraphe, en ce qu'il dessaisit le failli de l'administration non seulement de tous ses biens présents, mais encore de ceux qui pourront lui échoir tant qu'il est en état de faillite. Peut-on contester, sans résister à l'évidence, que les revenus qui peuvent échoir au failli du chef de l'administration des biens de son épouse non séparée et de l'administration des biens de ses enfants mineurs ne constituent précisément un bien à venir ? En maintenant le principe général de l'article 444 sans y apporter aucune restriction, vous déclareriez par cela même le failli incapable quant à l'administration des biens de son épouse non séparée et des biens de ses enfants mineurs. Est-ce là ce que veut la commission ? Si ce n'est pas là ce qu'elle veut, il faut bien reconnaître qu'il est utile d'insérer dans l'article 444 les deux principes formulés dans mon amendement.
Il faut que la chambre se prononce ouvertement sur ces deux principes; il faut, messieurs, que les tribunaux qui seront appelés à appliquer la loi que nous faisons en ce moment, soient éclairés sur la portée que nous lui assignons. Il faut que ces tribunaux sachent si le curateur à une faillite pourra, de son autorité privée, en vertu de son office, se substituer à l'administration du failli quant aux biens de l'épouse, quant aux revenus des enfants mineurs. Il faut que nous décidions si les droits de la puissance paternelle et de l'autorité maritale pourront être foulés aux pieds par le curateur à la faillite. Il est de toute nécessité que la chambre se prononce sur ce point. Il ne faut pas laisser la question de l'administration des biens de l'épouse du failli et des biens des enfants mineurs du failli à l'arbitraire du curateur. Il ne faut pas davantage laisser cette question à l'appréciation arbitraire des tribunaux eux-mêmes.
Pour nous, nous pensons qu'en principe le droit qu'a le mari d'administrer les biens de son épouse non séparée, le droit qu'a le père d'administrer les biens de ses enfants mineurs, sont autant de prérogatives qui tiennent à l'ordre public, comme une émanation de l'état de famille, et lie peuvent être annihilées par l'état de faillite.
Selon moi, le curateur à la faillite ne pourra jamais se substituer directement à l'administration du père de famille; selon moi, il ne pourra exercer qu'un contrôle sur cette administration ; mais il pourra intervenir pour poser des actes conservatoires des droits de la masse. C'est ainsi qu'il pourra agir contre le failli pour faire décider que le failli ne pourra disposer que d'une somme donnée, représentant les charges de l'administration des biens de la femme et des biens des enfants mineurs; c'est ainsi encore qu'il pourra, pour parvenir au recouvrement du boni qui peut retenir à la masse sur ces revenus, pratiquer une saisie-arrêt en mains des débiteurs des fermages; en un mot, il lui sera facultatif d'assurer les intérêts de la masse, mais ce droit n'ira jamais jusqu'à dépouiller le failli du droit d'administration inhérent à la puissance paternelle et à l'autorité maritale.
Je crois pouvoir borner à ces considérations les développements que j'avais à donner à l'appui de mon amendement.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je persiste à penser, avec votre commission et avec son honorable rapporteur, que le double amendement de l'honorable M. Jullien est inutile, qu'il serait même dangereux de l'adopter.
Que demande l'honorable M. Jullien? Il demande d'abord d'insérer dans la loi que « la faillite n'affecte point les droits attachés à la puissance paternelle et à l'autorité maritale. » Eh bien, c'est là un principe incontestable, un principe de droit commun, un principe qui découle évidemment d'une disposition générale du Code, de l'article 1166 qui est invoqué par votre commission et aux termes duquel « les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. » Or, les droits attachés à la puissance paternelle et à l'autorité maritale sont évidemment des droits attachés à la personne, des droits que les créanciers ne peuvent jamais, dans aucun cas, exercer à la place de leur débiteur failli.
Vous voyez donc que ce paragraphe est complétement inutile et que le principe qui est écrit dans l'article 1166 du Code civil est suffisant pour conserver et réserver au failli les droits attachés à la puissance paternelle et à l'autorité maritale.
J'ai dit, messieurs, qu'il serait même dangereux d'insérer cette disposition dans la loi, parce qu'on pourrait en inférer que les seuls droits que la faillite n'affecte pas sont ceux qui sont attachés à la puissance paternelle ou à l'autorité maritale.
Or, il existe beaucoup d'autres droits attachés à la personne du failli et auxquels la faillite ne peut porter atteinte. Ainsi, le pouvoir tutélaire et bien d'autres droits encore personnels au failli resteront intacts et ne pourront pas être affectés par la faillite, en vertu du principe général que j'ai invoqué tout à l'heure et auquel le texte de l'article 444 ne porte aucune atteinte.
Nous ne devons donc pas insérer dans la loi une disposition qui serait plutôt restrictive qu'extensive des droits personnels du failli que la faillite ne peut pas affecter.
Le second objet de l'amendement de l'honorable M. Jullien, c'est de faire insérer dans le projet de loi que la masse créancière pourra exiger qu'il lui soit fait raison des revenus qui appartiendraient au failli, soit du chef de la puissance paternelle, soit du chef de l'autorité maritale, mais toutefois après l'acquit des charges qui y sont attachées.
Messieurs, cet amendement est encore complètement inutile. C'est un principe incontesté que tous les biens et revenus du failli sont le gage de ses créanciers. Ce principe est écrit dans l'article 2093 du Code civil. Il serait donc inutile de le reproduire dans l'amendement spécial proposé par l'honorable préopinant.
Le but que veut atteindre l'honorable M. Jullien, c'est d'empêcher que le curateur à la faillite ne puisse, en vertu de l'article 444, s'emparer de l'administration des biens dont le failli jouit, soit à titre de sa puissance paternelle, soit en vertu de son autorité maritale. Eh bien! je pense encore avec votre commission qu'il faut laisser cet objet dans les termes du droit commun. Je pense que ce sera aux tribunaux à apprécier et à décider quels sont à cet égard les droits des curateurs de la faillite et jusqu'à quel point ils pourront, dans l'intérêt et pour la conservation des droits de la masse créancière, s'ingérer et s'immiscer dans l'administration des biens dont le père jouit en vertu de sa puissance paternelle et de son autorité maritale.
Je reconnais que les droits de la puissance paternelle comme ceux de l'autorité maritale doivent rester intacts sur le chef du failli. Mais quant aux revenus qui peuvent lui provenir de l'exercice de ces droits, il appartiendra aux tribunaux de décider suivant les circonstances de quelle-manière ils devront profiter à la masse créancière, quelle est l'étendue des charges qui sont attachées à l'exercice de ces droits et comment il sera pourvu à l'acquit de ces charges.
Je considère donc le double amendement de M. Jullien comme parfaitement inutile.
M. Jullien. - Messieurs, je pensais que M. le ministre se serait efforcé de détruire l'argumentation que j'ai déduite du texte même de l'article 444. M. le ministre n'en a pas dit un seul mot. Or, je crois avoir prouvé qu'en laissant subsister ce texte, nous portons atteinte aux droits d'administration que M. le ministre reconnaît cependant dans le chef du mari failli, dans le chef du père failli.
M. le ministre prétend que l'article 1106 du Code civil a prévu le cas qui nous occupe. Cet article dit à la vérité que les créanciers pourront exercer tous les droits de leurs débiteurs, à l'exception de ceux qui sont attachés à sa personne. Mais cet article a-t-il été fait pour le cas de faillite, matière exclusivement commerciale?
A supposer qu'il fût applicable, lors même que la capacité du débiteur est atteinte par la faillite, quel inconvénient y aurait-il à poser, dans la loi que nous discutons, les deux principes sur lesquels M. le ministre est d'accord avec moi ? Il y a d'autant moins d'inconvénients que si vous adoptez l'article 444 sans y introduire de changement, vous laisserez au curateur la faculté de venir disputer au mari failli l'administration des biens de sa femme, au père failli l'administration des biens de ses enfants mineurs. Pour ma part, je ne puis lui accorder ce droit.
La dernière considération produite par l'honorable ministre de la justice m'a peu touché.
Il faut, dit-il, laisser aux tribunaux le droit de définir les attributions des curateurs à la faillite. Eh quoi, messieurs, nous instituons les fonctions de curateurs à la faillite, et il ne nous appartiendrait pas, il ne (page 145) nous incomberait pas d'en déterminer les devoirs et les attributions! Mais, il me paraît hors de doute que c'est à la législature qui crée une institution à régler l'institution elle-même.
Je crois donc que les considérations que je vous ai soumises restent dans toute leur force, et doivent faire adopter mon amendement.
M. Lelièvre. - La commission reconnaît que les principes écrits dans l'amendement de l'honorable M. Jullien sont incontestables. S'il en est ainsi, nous devons les inscrire dans la loi puisqu'il est indispensable de faire cesser une contestation que fait naître précisément la loi spéciale dont nous nous occupons. Eh quoi, serait-il préférable d'abandonner à l'incertitude de la jurisprudence une question dont nous sommes saisis, une question que nous pouvons résoudre immédiatement, en mettant fin à des difficultés qui ne manqueront pas de s'élever du moment que la loi sera votée ?
Pour moi, messieurs, alors que la commission et M. le ministre même donnent leur assentiment aux principes de l'amendement, je crois devoir voter pour son adoption.
M. Tesch, rapporteur. - Messieurs, la question que l'on veut faire trancher par la loi a été soulevée sous l'empire du Code civil et a donné lieu à très peu de difficultés.
Cette question a été résolue de la manière que j'ai indiquée dernièrement, et d'une manière assez unanime, tant par la doctrine que par la jurisprudence, pour qu'elle ne se reproduise plus.
Cependant on veut rédiger un article de loi qui, conforme à ces décisions, soulèverait les difficultés les plus graves.
On veut déclarer d'une manière formelle que jamais, en aucun cas, les curateurs n'interviendront dans l'administration des biens qu'administre le failli comme chef de la communauté ou comme usufruitier des biens de ses enfants.
M. Jullien. - Je n'ai pas dit cela.
M. Tesch. - Vous voulez dénier aux curateurs toute espèce d'initiative; en d'autres termes, vous voulez régler par la loi comment les curateurs interviendront. Eh bien! je disque cela est impossible.
Car là est précisément la difficulté du débat; vous voulez faire déclarer par la loi de quelle manière les curateurs interviendront, et c'est ce que la loi ne peut faire. Le mode d'intervention du curateur dépendra des différents cas qui peuvent se présenter. Il faut laisser aux tribunaux le soin de concilier les droits de la puissance paternelle avec les droits de la masse faillie et les garanties qui lui sont dues.
Ainsi je suppose un failli ayant femme ou enfants dont les revenus consistent, par exemple, en fermages qui se payent en argent. Dans votre système, qu'arrivera-t-il? C'est que le mari commencera par toucher le revenu des biens de sa femme ou de ses enfants, et que les curateurs iront lui en demander raison, comme le dit votre amendement.
De sorte que le failli, qui n'a pas de ressources, sera libre de donner aux curateurs ce qu'il lui conviendra de remettre et qu'il pourra garder par devers lui ce dont il ne voudra pas se dessaisir.
M. Jullien. - Je n'ai pas dit cela.
M. Tesch. - Veuillez me dire comment vous ferez. Irez-vous mettre des saisies-arrêts et faire des frais pour chaque somme à toucher ?
Je suppose un autre cas. Je suppose une femme ayant des immeubles et le failli ne voulant pas les administrer, le failli les laissant à l'abandon : si les curateurs ne peuvent pas intervenir dans l'administration, comment de ces immeubles sera-t-il tiré profit ?
Il faut, sous ce rapport, laisser toute latitude aux tribunaux. Si les curateurs veulent excéder leurs pouvoirs ou ne peuvent s'entendre avec le failli, ce sera aux tribunaux à prendre des mesures qui concilient, je le répète, ce qui est dû à la puissance paternelle ou à la puissance maritale avec les droits des créanciers.
- L'amendement de M. Jullien est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article est ensuite adopté tel qu'il a été proposé par la commission.
A l'art. 459, M. Orts avait proposé d'ajouter, après les mots « du tribunal de commerce » ceux-ci « et du parquet. »
La commission n'a pas donné son adhésion à cet amendement.
- L'amendement de M. Orts est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article est ensuite adopté tel qu'il a été proposé par la commission.
A l'article 468, M. Jullien a proposé de remplacer le mot «ordonnera » par les mots « pourra ordonner. »
La commission a proposé d'ajouter après les mots « du juge-commissaire » ceux-ci : « ou du juge de paix. »
M. Jullien. - Messieurs, l'amendement de la commission répond à la pensée du mien; je me rallie donc à la rédaction qu'elle a proposée.
- Le sous-amendement de la commission est mis aux voix et adopté.
L'article ainsi modifie est ensuite adopté.
L'article 479 a été renvoyé à la commission, à la demande de M. Coomans, qui a cru y voir une atteinte à l'article 22 de la Constitution. La commission propose le maintien de l'article.
M. Coomans. - Messieurs, j'avoue qu'en mettant, l'autre jour un doute sur la constitutionnalité de l'article 479, je n'y avais pas mûrement réfléchi. Je demandais votre opinion, plutôt que je n'avais la prétention de vous donner la mienne. Après les commentaires qui m'ont été fournis dans cette enceinte, après avoir examiné la question et lu le rapport supplémentaire de l'honorable M. Tesch, je n'ai plus de doute et je viens affirmer que nous ne pouvons adopter cet article sans méconnaître l'esprit et la lettre du pacte fondamental.
Permettez-moi, messieurs, de justifier cette déclaration. Votre respect pour la grande œuvre de 1831, pour cette Constitution qui est aujourd'hui la plus vieille de l'Europe, et qui fait notre force et notre gloire, me garantit sinon votre suffrage, du moins votre attention.
Vous ne vous laisserez pas émouvoir par l'argumentation de ceux qui allèguent les inconvénients commerciaux à résulter de la stricte observation de l'article 11. Je les reconnais pour ma part, et je tiens autant que mes honorables contradicteurs à les faire disparaître. Mais vous n'ignorez pas qu'il n'y a peut-être pas une seule liberté constitutionnelle dont l'exercice n'offre des difficultés souvent très graves. Les libertés de la presse, de l'enseignement et des cultes ont les leurs. Ce n'est pas un motif pour y porter atteinte.
Comparant les articles 11 et 22 de la Constitution, on objecte que la loi autorise l'expropriation pour cause d'utilité publique; que le principe de la propriété vaut le principe de l'inviolabilité de la correspondance épistolaire, et que, par conséquent, celui-ci peut fléchir au détriment du failli.
Mais remarquez, messieurs, que l'expropriation des lettres est demandée pour cause d'utilité privée : donc, pas d'analogie.
L'analogie existerait jusqu'à un certain point si l'on demandait que le secret des lettres fût violé pour cause d'utilité publique. On ne le fait pas; au contraire, on se récrierait fort si M. le ministre de la justice, d'accord avec M. le ministre des travaux publics, venait vous proposer une loi qui leur permît d'ouvrir les lettres suspectes; vous leur refuseriez cette faculté, même en temps de troubles et de complots, dût la sûreté publique en souffrir. Ce que vous n'accorderiez pas à l'Etat, dans l'intérêt de tous, on vous demande de l'accorder à quelques citoyens, dans un intérêt privé ! D'autre part, vous ne permettriez jamais l'expropriation des biens pour cause d'utilité privée ; vous ne la permettez que pour cause d'utilité publique, conformément à la charte, il est donc évident que la comparaison des articles 11 et 22 de notre charte n'est pas favorable à mes honorables contradicteurs, ou, pour mieux dire, qu'elle prouve contre eux. Afin d'être conséquents, ils devraient demander pour l'autorité le droit d'ouvrir à la poste toutes les lettres dont la connaissance pourrait intéresser le salut public. Mais refuser ce droit au gouvernement et le donner à de simples particuliers dans un intérêt de boutique, alors que l'expropriation de toute autre propriété, moins sacrée que celle des lettres, est défendue pour cause d'utilité privée, c'est véritablement bouleverser la logique, la justice et les principes du droit commun.
En outre, l'expropriation n'a lieu constitutionnellement que moyennant une indemnité préalable. Le moyen de désintéresser l'exproprié existe.
Ici ce moyen n'existe pas, précisément parce qu'il s'agit d'un intérêt tout moral, l'honneur, la dignité, les secrets du cœur ou de l'esprit, les affections intimes, toutes choses qui ne sont pas appréciables à prix d'argent.
On objecte encore que le mineur, l'interdit, le prévenu d'un crime ou d'un délit sont soustraits de fait au bénéfice du principe constitutionnel de l'article 22.
Quant à ce dernier, il est sous le poids de la justice qui a la société à venger. Tout semble devoir fléchir devant une nécessité sociale et par conséquent d'ordre public.
Quant à l'interdit, il n'a plus, quant à l'enfant mineur, il n'a pas encore l'exercice de ses facultés naturelles. Si le principe fléchit, c'est réellement en leur faveur. Le tuteur leur sert de père. La loi suit la nature.
Quant au failli, il est malheureux dans ses affaires privées, mais il a ses facultés naturelles, il jouit de ses prérogatives constitutionnelles. Il n'est pas hors de la loi. Ce serait l'assimiler au coupable du crime de banqueroute frauduleuse que d'autoriser à son égard la violation du secret des lettres. Ce serait le mettre hors la loi, à rencontre de la nature.
J'ai donc l'honneur de vous proposer un amendement qui concilie nos légitimes scrupules avec les intérêts du commerce.
(page 160) Cet amendement consiste à rédiger l'article 479 de la manière suivante :
« Les lettres adressées au failli seront ouvertes par lui en présence des curateurs, ou, s'il est absent, et s'il n'a pas désigné l'un de ceux-ci ou un membre du tribunal de commerce, par le juge-commissaire, qui sera censé avoir reçu procuration à cet effet. :
« Les lettres qui n'intéressent pas les créanciers seront immédiatement mises à la disposition du failli. »
(page 145) Messieurs, il y a un mot, dans le rapport de M. Tesch, qui m'engage à persister dans ma manière de voir. L'honorable M. Tesch semble nous dire qu'il n'y a plus violation du secret des lettres quand l'acte que j'appelle, moi, une violation, est autorisé par la loi. Je sais bien, messieurs, que le fait qui nous occupe est, par lui-même, assez peu important, mais ce qui l'est beaucoup, c'est d'empêcher que par les lois on n'empiète sur la charte et que d'autres, après nous, s'autorisant de ces précédents, ne disent : « Il y a dans la Constitution, quelque chose qui nous gêne ; (page 146) faisons un bout de loi pour y remédier. » C'est donc surtout au point de vue des principes et au point de vue de l'avenir, que je maintiens mes observations, dont, au reste, vous ferez, messieurs, ce que vous jugerez convenable.
M. Tesch, rapporteur. - Messieurs, ceux de mes honorables collègues qui ont bien voulu se donner la peine de lire le rapport supplémentaire de la commission, se seront aperçus d'une chose, c'est que l'honorable M. Coomans n'a rencontré aucun des arguments que la commission a fait valoir pour repousser le système de cet honorable membre. La commission a tâché d'établir et a établi, je pense, d'une manière très péremptoire que les auteurs de la Constitution, en inscrivant l'article 22 dans notre pacte fondamental, n'ont eu en vue que de stipuler une garantie contre les agents de l'administration des postes et en faveur des lettres confiées à la poste. Voilà, messieurs, ce qui a été établi, par le rapport supplémentaire et par le texte même de l'article 22 de la Constitution et par toutes les discussions qui ont précédé l'adoption de cet article. A cela, je le répète, l'honorable M. Coomans n'a rien répondu.
M. Coomans. - J'y répondrai.
M. Tesch. - Vous répondrez, il est donc inutile quant à présent que j'entre dans des développements ultérieurs : je vous attends.
Il n'est pas dit un mot dans le rapport de l'expropriation forcée: je ne puis donc pas suivre l'honorable M. Coomans sur ce terrain.
M. Coomans. - Je m'adresse à la chambre tout entière. |
M. Tesch. - Je ne vous conteste pas le droit de vous adresser à la chambre tout entière; mais j'ai au moins le droit de vous dire que quand vous discutez la question de savoir quelles relations il peut y avoir entre une expropriation pour cause d'utilité publique, et l'ouverture des lettres d'un failli, vous rencontrez, vous discutez un argument qui ne vous a pas été opposé. Je constate un fait, mais je ne conteste pas un droit.
Maintenant, j'ai dit, dans le rapport, que, selon moi, le pouvoir judiciaire avait le droit d'ouvrir des lettres ; que le pouvoir judiciaire qui avait le droit d'entrer dans une maison, d'y saisir tous les papiers, d'y scruter tous les secrets, devait également avoir le droit d'ouvrir les lettres qui pouvaient s'y trouver. (Interruption.)
On lui accorde ce droit, me dit l'honorable M. Coomans ; mais alors permettez-moi de vous dire que le congrès national aurait commis une grave inconséquence....
M. Coomans. - Il en était incapable.
M. Tesch, rapporteur. - Raison de plus pour qu'il ne l'ait pas commise. Car, comment admettre que l'on confère à la justice le droit d'entrer dans une maison, de saisir les papiers qui s'y trouvent, de fouiller les secrets; et qu'on lui dise ensuite, en lui conférant un droit aussi étendu: Vous vous arrêterez devant un pain à cachet! Je ne puis admettre une pareille inconséquence.
Quant à l'amendement de l'honorable M. Coomans, il est impossible dans son exécution, et il serait tout aussi inconstitutionnel que la disposition proposée si l'article 22 était applicable. Si l'article 22 doit être entendu d'une manière aussi absolue, vous ne pouvez pas conférer au juge-commissaire le droit d'ouvrir des lettres; vous ne pouvez pas lui donner, de par la loi, un mandat que vous déclarez par avance inconstitutionnel.
J'ai dit que l'amendement était impossible , en effet, il faudrait supposer qu'il y eut toujours un juge-commissaire dans les lieux où la faillite éclate ; le juge-commissaire peut se trouver à 5 ou 6 lieues du domicile du failli ; vous forcerez les curateurs à se transporter jusqu'au domicile du juge-commissaire ou vous imposerez au juge-commissaire l'obligation de se rendre sur le lieu de la faillite, afin d'ouvrir les lettres; vous comprenez les retards fâcheux qui peuvent résulter de l'application de ce système, alors que d'une part les lettres peuvent contenir des valeurs qui doivent être immédiatement encaissées ou qui doivent être protestées, et que d'autre part vous exposez la faillite a d'énormes dépenses.
Je persiste donc à demander le maintien de l'article, tel qu'il a été proposé par le gouvernement et adopté par la commission.
M. de Liedekerke. - Messieurs, je viens appuyer l'amendement de l'honorable M. Coomans, que je trouve plus en accord, eu harmonie avec l'article 22 de notre Constitution.
J'en demande pardon à la commission ainsi qu'à son honorable rapporteur, mais ses arguments n'ont point dissipé tous mes doutes, ne m'ont pas suffisamment convaincu.
Le législateur de 1830 n'a point voulu se borner à envisager la violation des lettres par les agents de la poste. Ses vues ont été plus générales, plus élevées. Il a sans doute été principalement frappé de cette éventualité, en se souvenant que, dans les temps d'oppression et de tyrannie politique, l'on se livrait, sous je ne suis quel faux prétexte d'intérêt gouvernemental, à une aussi odieuse inquisition.
En effet, le congrès, s'inspirant de la probité publique, n'a fait que rendre hommage à l'honneur national, en insérant cette belle et noble maxime dans nos lois fondamentales.
Il a voulu que les confidences des familles, les épanchements de l'affection, les rapports les plus intimes des citoyens entre eux, le commerce des absents, en un mot, fussent mis sous la sauvegarde de la loyauté nationale.
Mais il n'a point voulu restreindre une telle inspiration, il a dû désirer qu'elle l'étende et prenne toutes les proportions d'une maxime constitutionnelle et publique.
Il l'a voulu, n'en doutez pas, dans tous les cas, pour toutes les circonstances; quoi qu'en dise mon honorable collègue, le député d'Arlon, qui dit que, s'il en était ainsi, la Constitution aurait dû imposer aux législateurs à venir l'obligation de comminer des peines contre les indiscrétions des particuliers.
Mais, messieurs, et je m'adresse directement à la perspicacité, à la pénétration de l'honorable rapporteur, peut-on vouloir que ceux qui posent les principes généraux, qui n'embrassent qu'un point de vue élevé, prévoient tous les cas, et même qu'ils lèguent et indiquent à leurs successeurs tous ceux auxquels ils auront à en faire l'application ! Non, cela n'est pas possible.
Ce qu'on peut vouloir, ce qui est désirable, c'est de faire pénétrer cette belle maxime dans toutes nos lois, c'est de l'inoculer dans notre législation, d'en étendre, d'en développer tous les bienfaits.
Messieurs, votre rapporteur dit encore qu'en poussant à leur dernière expression les principes de l'honorable M. Coomans, il faudrait admettre ce singulier système, que le magistrat qui pénétrera dans le domicile d'un prévenu ne pourrait y rompre le cachet d'une lettre!
Mais, mon Dieu! il s'agit ici d'un intérêt social. C'est tout autre chose. Celui qui s'est mis en hostilité avec l'intérêt public, qui l'a violemment froissé, a volontairement abdiqué les précieuses prérogatives du citoyen car les droits d'un seul ne peuvent être supérieurs à ceux de tout le monde, ni rester inviolables en présence de l'intérêt général.
Mais le failli n'est pas un prévenu, sa position n'est pas la même, ce n'est point un homme toujours coupable, il n'est souvent que malheureux ; car qui de nous ne sait que ni l'intelligence, ni l'activité, ni les plus honnêtes efforts ne' peuvent vaincre quelquefois des calamités imprévues, ni éloigner un désastre, résultat des bourrasques financières et industrielles !
Eh bien, messieurs, je demande quelques égards pour ce malheur; et c'est parce que l'amendement de l'honorable M. Coomans respecte mieux les sentiments de l'humanité, sans nuire aux droits des tiers, c'est parce qu'il respecte plus scrupuleusement la Constitution, que je lui donnerai mon cordial et sympathique appui.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'honorable M. de Liedekerke donne à l'article 22 de la Constitution une portée qu'il est impossible de lui donner. Il est évident que cet article n'a eu d'autre but que d'interdire aux agents du gouvernement, et spécialement aux employés de l'administration des postes, de violer le secret des lettres dont le transport et la remise sont confiés à leur foi. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur les discussions qui ont eu lieu au sein du congrès national, et d'où est résulté l'amendement qui forme le second paragraphe de l'article 22 de la Constitution :
« La loi, dit ce paragraphe, détermine quels sont les agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à la poste. » Cela prouve clairement que le congrès, en déposant le principe dans la Constitution, ne s'est adressé qu'aux agents du gouvernement ; il a voulu que la loi ne put atteindre que les employés de la poste, et en général les fonctionnaires du gouvernement qui se permettraient de violer le secret des correspondances privées. La discussion qui a eu lieu à cet égard, au congrès, ne peut donc laisser aucun doute sur ce point, et d'ailleurs si vous jetez les yeux sur la disposition de nos lois pénales qui parle de la violation du secret des lettres, c'est-à-dire sur l'article187 du Code pénal, vous verrez que c'est seulement aux fonctionnaires ou agents du gouvernement ou de l'administration des postes qu'est applicable la peine de 16 à 500 fr. d'amende que cet article commine contre le délit de suppression ou d'ouverture des lettres confiées à la poste.
Sans doute, la violation du secret des lettres sera toujours un acte immoral, un acte d'indiscrétion ou d'indélicatesse pour les particuliers qui le commettent ; mais cet acte ne constitue pas un délit aux yeux de la loi, lorsqu'il n'est pas le fait des agents du gouvernement ou des employés de l'administration des postes, il appartient donc à la loi de déterminer les cas où, dans un grand intérêt public ou même pour un intérêt privé, le secret d'une correspondance peut être livré à des tiers. Eh bien, la législation commerciale de tous les pays, je pense, a toujours considéré les faillis comme dessaisis, par le fait même de la faillite, du droit d'ouvrir leur correspondance privée; du moins elle a reconnu aux curateurs ou aux agents de la faillite, le droit de se faire remettre cette correspondance et d'en pénétrer le secret.
Cette disposition existe dans le Code de commerce actuel, elle est écrite dans le nouveau Code français de 1838 ; je crois qu'il serait facile de la trouver dans la législation commerciale de presque toutes les autres nations.
L'honorable préopinant a dit que le failli ne peut être considéré comme suspect et qu'il est souvent plus malheureux que coupable. Cela n'est pas du tout exact. De l'instant qu'un commerçant est en état de faillite, il est suspect aux yeux de la loi ; la justice répressive a le droit de s'enquérir dès lors de sa moralité. des causes de son désastre et de rechercher si ce failli n’est pas coupable du délit de banqueroute simple : ou même du crime de banqueroute frauduleuse. Eh bien, dans l'intérêt de la vindicte publique et de la répression du délit ou du crime dont le failli peut être toujours présumé coupable par le seul fait de sa faillite, il importerait déjà, indépendamment même des intérêts de la masse créancière, que le ministère public ou les curateurs à la faillite eussent le droit d'ouvrir la correspondance du failli et d'en pénétrer le secret.
Je considère donc l'amendement de l'honorable M. Coomans, s'il était adopté, comme pouvant introduire dans l'administration et la liquidation des faillites des entraves sérieuses et de graves difficultés.
(page 147) M. Coomans. - Messieurs, ne craignons pas de consacrer encore quelques instants à l'examen de la question qui nous occupe. Moins mes scrupules vous paraissent fondés, plus il est honorable pour la chambre de s'y arrêter; elle ne fera que démontrer par là son profond, son scrupuleux respect pour la Constitution.
Je n'ai pas rencontré tous les arguments indiqués dans le rapport de l'honorable M. Tesch, parce que plusieurs me paraissaient se réfuter eux-mêmes. Je ne puis pas admettre, par exemple, que l'article 22 n'ait été inscrit dans la Constitution que pour prendre des précautions contre les agents du gouvernement.
Il y a eu chez le législateur belge une pensée plus haute, plus morale, c'est celle de relever la dignité du citoyen et de le protéger non seulement contre le gouvernement, qui ne doit pas être considéré comme un ennemi public, mais contre tous les indiscrets.
L'honorable M. Tesch prétend très positivement qu'il n'y a pas de délit quand un individu autre qu'un agent du gouvernement ouvre des lettres confiées à la poste. Prétextant la difficulté qu'il y aura parfois de rapprocher le curateur du failli, il veut qu'on ne s'en inquiète guère, et que toutes les lettres de celui-ci soient remises à l'autre. L'intention de la commission est bien que tout commerçant qui a cessé ses payements soit privé de sa correspondance, même des lettres de famille et d'amis.
Si donc le failli demeure à Anvers, par exemple, et le curateur à Bruxelles, celui-ci avertira la poste de Bruxelles que toutes les lettres adressées à l'Anversois devront être arrêtées en route et remises à lui curateur, demeurant dans la capitale. Il y a là évidemment violation de la Constitution. Qu'entendons-nous par le secret des lettres au point de vue de l'autorité publique ? C'est que la poste remette les lettres à leur adresse, aux personnes à qui elles sont envoyées.
Si vous permettez par une loi à des agents officiels de remettre des lettres à d'autres qu'au propriétaire, vous ouvrez la porte à de très grands abus. Voici ce qui pourrait arriver entre autres : c'est que des employés de la poste déposent les missives dans des mains complices, qui les ouvriraient et en abuseraient; dans le système que je combats, cet acte ne serait pas coupable, uniquement parce que la lettre n'aurait pas été décachetée dans un bureau officiel par un fonctionnaire public. Eh, messieurs, il serait bien facile de reconstituer ainsi les cabinets noirs. Vous ne pouvez pas admettre une interprétation si étrange de la Charte; vous direz avec moi qu'une lettre appartient à celui dont elle porte l'adresse, et que le devoir de la poste est de la lui délivrer.
Je prétends donc que l'article constitutionnel veut que la lettre soit remise à son propriétaire: c'est une propriété aussi respectable que toute autre; ce n'est pas un simple morceau de papier qui devient la propriété de la masse comme toute autre marchandise; il y a dans la lettre quelque chose de plus ; elle renferme une valeur morale que vous ne pouvez pas méconnaître.
En général, notre législation sur les faillis, je pourrais dire contre les faillis, est bien dure. Nous traitons le failli en ennemi public. Je n'admets pas ce que disait tout à l'heure M. le ministre de la justice, qu'il y a quelque raison d'en agir ainsi, parce que le failli est un individu suspect, un individu, sinon criminel, du moins censé ne pas être innocent.
Je crois au contraire qu'il doit être supposé innocent aussi longtemps qu'il n'est pas condamné comme banqueroutier. Tout prévenu, fût-il accusé d'avoir tué son père, est censé innocent devant la justice ; M. Tesch, j'en suis certain, plaiderait cela. L'assassin est innocent jusqu'à ce que le verdict du jury l'ait frappé, et vous ne voudriez pas qu'un failli fût considéré comme innocent! Il est innocent légalement; il ne faudrait peut-être pas le traiter aussi durement que nous le faisons. Tous les peuples qui ont l'esprit commercial le comprennent ainsi; en Angleterre, aux Etats-Unis, les faillis ne sont pas traités aussi sévèrement que dans notre législation, et pourtant ces peuples prospèrent et le commerce n'y est pas moins honoré que chez nous.
La preuve que le failli est réputé innocent aussi longtemps qu'il n'est pas condamné, c'est que vous lui conservez ses droits de père et de mari; ; vous venez de l'entendre. L'honorable ministre de la justice et l'honorable rapporteur ont reconnu tout à l'heure que la puissante paternelle et maritale n'est pas enlevée au failli. Il n’est donc pas coupable à vos yeux; pareilles facultés ne sont pas laissées au malfaiteur. Vous ne destituez pas le failli de ses droits civils, pourquoi le destitueriez-vous de ses droits politiques?
Quant aux dispositions de l'amendement que j'ai proposé, je dirai qu'il n'y a aucun inconvénient à les accepter.
Je fais des concessions réelles au commerce en rédigeant l'amendement tel que je vous l'ai soumis, car il ne m'a pas été facile de concilier sur ce point les intérêts du commerce avec ceux de la liberté, il n'y a aucune raison de s'opposer à ce que le failli ouvre ses lettres en présence du curateur, à ce que vous lui donniez le droit, en cas d'absence, de désigner le curateur ou le membre du tribunal du commerce qui pourra ouvrir ses lettres pour lui. Ce sont des hommes qui oui votre confiance comme la sienne; vous rendrez ainsi hommage aux principes, et il n'en peu! résulter aucun danger. Que craignez-vous? Que le failli ne détourne des valeurs?
Quand il le fera, vous en aurez la preuve; vous aurez action contre lui; vous le traiterez eu banqueroutier, et vous ferez bien. Mais aussi longtemps qu'il n'a pas commis d'acte frauduleux, vous n'avez pas le droit de le mettre hors la loi, et c'est le mettre hors la loi que de le dépouiller du droit de lire sa correspondance; messieurs, j'en appelle à votre raison ou plutôt à votre cœur, ce droit est précieux, nous y tenons autant qu'à beaucoup d'autres libertés constitutionnelles. Je suis sûr que beaucoup d'entre nous attacheraient moins de prix à exercer le droit de patrouiller en qualité de gardes civiques, qu'au droit de lire seuls leurs lettres. Bien des personnes même tiennent plus au droit de disposer de leur correspondance qu'au droit d’élire et de juger leurs compatriotes. Nous pardonnerions peut-être à notre capitaine de ne pas nous convoquer pour une revue militaire, mais nous lui saurions certes fort mauvais gré de détourner nos lettres.
Messieurs, c'est une forte peine qu'on impose à un citoyen que de ne pas lui permettre de disposer de son bien le plus cher, de sa correspondance épistolaire. Ne décrétez pas cette peine contre des hommes qui ne l'ont pas méritée, respectons à la fois leur dignité et la Constitution, et ne sacrifions pas un intérêt moral à des considérations financières. La plupart de nos lois sont faites au point de vue de la bourse ; tenons compte des besoins de l'âme, dans celle-ci ; rédigeons-la sans blesser les mœurs, et donnons raison à la conscience de tous contre l'intérêt de quelques-uns.
Messieurs, pour ne pas abuser des moments de la chambre, je bornerai là mes observations.
M. Le Hon. - Je me vois forcé, par mes souvenirs et mes convictions, de répondre quelques mots à l'honorable auteur de l'amendement. On a fait intervenir dans le débat les desseins du congrès et on a élevé, outre mesure, la pensée qui a guidé notre assemblée constituante, lorsqu'elle a inséré dans le pacte constitutionnel ces mots : « Le secret des lettres est inviolable. »
Un honorable membre a été jusqu'à dire tout à l'heure que cette disposition relevait beaucoup la dignité du peuple belge. J'avoue franchement que les membres du congrès n'y ont pas vu tant et de si grandes choses. Il me semble d'abord que ce ne serait guère à l'honneur d'une nation qu'il fallût mettre un frein constitutionnel à l'indiscrétion de sa curiosité; et si l'article avait eu la portée qu'on lui donne, le peuple belge, avouons-le, n'aurait pas à s'enorgueillir que le législateur se fût assez défié de sa moralité, pour se croire obligé de défendre aux citoyens, par une ; loi aussi solennelle, de trahir le secret de la correspondance privée.
Dieu merci ; le congrès a posé, dans la Constitution, beaucoup d'autres principes qui honorent la prévoyance de son libéralisme et qui ont eu une influence heureuse et féconde sur notre destinée.
Quant à ceux-là, le pays peut, à bon droit, s'en glorifier; mais n'allons pas dénaturer le sens de l'article 22, pour y chercher un relief qu'il ne nous donnerait pas le moins du monde.
Je me rappelle ce qui s'est passé au congrès; mes souvenirs sont parfaitement exacts; on a voulu, à cette époque d'affranchissement et de réaction, instituer une garantie purement politique du secret des lettres; c'est-à-dire protéger la correspondance des citoyens, non entre eux, mais contre l'arbitraire et l'esprit d'inquisition du pouvoir. On a voulu en même temps que cette garantie fût indestructible.
En un mot, on a passé ce principe sacrementel, que jamais dans la libre Belgique, il ne pourrait exister de cabinet noir.
La rédaction des deux paragraphes de l'article me paraît avoir mis en évidence la pensée du législateur. J'avoue qu'après l'explication si nette, si claire, si logique qu'a donnée l'honorable rapporteur, je ne croyais pas que la question serait encore soutenue dans cette séance.
Parmi les constitutions européennes, je n'en ai trouvé qu'une seule qui consacre explicitement l'inviolabilité du secret des lettres; c'est celle du Portugal, dont l'article 18 est ainsi conçu : « Le secret des lettres est inviolable; l'administration des postes est rigoureusement responsable de toute infraction à cette loi. »
Comme chez nous, cette prescription est essentiellement et exclusivement politique.
Dans les Etats les plus libéralement constitutionnels, chez les peuples qui respectent et pratiquent le plus les principes de moralité sociale, les constitutions sont muettes sur ce point. La loi ordinaire a seule décrété des peines contre la violation de la correspondance privée par les dépositaires et les agents de l'autorité publique.
Mais il y a un argument bien plus fort contre le système de l'honorable M. Coomans. C'est l'amendement même de cet honorable membre. En effet, il défend dans l'article 22 un principe absolu, inflexible, supérieur à l'action même du pouvoir législatif, et l'amendement qu'il propose est la négation de ce principe; à moins de jouer sur les mots, il est indubitable que si nul autre que le failli, en vertu de la loi d'inviolabilité, n'a le droit d'ouvrir les lettres qui lui sont adressées, nul aussi, quand il les aura ouvertes, n'a le droit d'en prendre communication qu'avec le consentement du failli; et M. Coomans doit admettre qu'il est loisible au failli de refuser cette communication au curateur présent, et de lui dire : « Cette lettre est confidentielle, vous ne la lirez point. »
C’est là une conséquence rigoureuse, inévitable du principe qu'on soutient: et alors les intérêts de la faillite peuvent être compromis, disons même qu'ils le seront le plus souvent. M. Coomans doit se soumettre à cette conséquence, ou bien il renie et déserte son principe.
Poursuivons. Quand le failli est absent, vous ne voulez pas que le curateur ouvre ses lettres; mais vous attribuez ce pouvoir au juge-commissaire; c'est là une concession illogique et contradictoire ; car si l'inviolabilité du secret des lettres est absolue (et telle est la base de tout votre système ), il ne peut pas plus être dérogé à ce principe en faveur du juge-commissaire qu'en faveur du curateur.
M. Coomans. - Si le failli ne désigne pas une personne chargée d'ouvrir ses lettres, le juge-commissaire est investi de ce droit.
(page 148) Si l'honorable comte Le Hon veut bien me permettre de l'interrompre, j'expliquerai cette pensée dont j'ai omis le développement.
M. Le Hon. - Volontiers!
M. Coomans. - Le failli est averti qu'il a le droit d'ouvrir lui-même ses lettres en présence des curateurs, s'il reste présent aux opérations. Mais il juge convenable de s'en aller. Alors nous faisons quelque chose de plus pour lui, par respect pour la Constitution. Nous lui donnons la faculté de déléguer le droit d'ouvrir ses lettres; il peut le déléguer à un homme qui a sa confiance et celle de la loi, c'est-à-dire au curateur, ou à un membre du tribunal de commerce.
S'il ne le fait pas, c'est qu'il acquiesce à la disposition légale qui, à défaut de désignation de sa part, charge le juge-commissaire d'ouvrir ses lettres.
La même chose se passe chaque jour dans cette chambre. Les absents sont censés acquiescer au vote de la majorité; qui ne dit mot consent.
M. Le Hon. - L'explication de l'honorable M. Coomans ne me paraît pas le faire sortir du cercle vicieux où il est enfermé. Sa raison lui a dicté l'amendement qu'il a produit à cette séance; elle a parfaitement compris que, sous peine de méconnaître toutes les règles de justice, toutes les garanties d'ordre public en matière commerciale, il était nécessaire, en cas d'absence du failli, de conférer à un tiers le pouvoir d'ouvrir la correspondance ; et en confiant cette attribution au juge-commissaire, il a imaginé de lui supposer un mandat tacite du failli. Je le répète, cette supposition est un expédient qui heurte de front le principe que M. Coomans prétend faire prévaloir. Ce qui ressort avec évidence à mes yeux de cet inextricable embarras de l'honorable membre, C’est que sa raison et son amendement protestent de fait contre l'interprétation qu'il fait de l'article 22.
Au reste, il y a plus; le silence de notre législation ordinaire prouve aussi que le système de l'honorable M. Coomans est tout à fait erroné. J'ai vérifié qu’il n'existe dans nos lois pénales aucune disposition qui érige en délit et qui frappe d'une peine la violation du secret des lettres par de simples citoyens. Je pourrais dire ici avec plus de vérité que la moralité de la nation se manifesté hautement dans ce silence de la loi répressive : et que, grâce à l'honnêteté de nos mœurs sociales, la trahison qui intercepte ou divulgue les secrets de la correspondance privée, est tellement flétrie par l'opinion publique, qu'aucune sanction pénale n'a été jugée nécessaire. Quelle est, en effet, la violation du secret des lettres qu'on s'est borné à punir? Les articles 187 et 173 du Code pénal vous le disent :
« Art. 187. Toute suppression, toute ouverture de lettres confiées à la poste, commise ou facilitée par un fonctionnaire ou un agent du gouvernement ou de l'administration des postes, sera punie d'une amende de 13 fr. à 500 fr. Le coupable sera en outre interdit de toute fonction ou emploi public pendant 5 ans au moins et 10 ans au plus. »
La loi française du 28 avril 1832, restreinte aux mêmes cas, punit le coupable de 16 fr. à 300 fr. et d'un emprisonnement de 3 mois à 3 ans, outre l'interdiction ci-dessus.
L'article 175 prévoit, non plus la suppression ou l'ouverture des lettres, mais les faits de détournement et de soustraction. Cet article porte :
« Pour le cas de détournement ou de soustraction :
« Tout juge, administrateur, fonctionnaire ou officier public qui aura détruit, supprimé, soustrait ou détourné les actes et titres dont il était dépositaire en cette qualité ou qui lui auraient été remis ou confiés à raison de ses fonctions, sera puni des travaux forcés à temps. »
« Tous agents, préposés ou commis soit du gouvernement, soit des dépositaires publics qui se seront rendus coupables des mêmes soustractions, seront soumis à la même peine. »
Il nous paraît donc démontré jusqu'à l'évidence que par ces mots : « le secret des lettres est inviolable », la Constitution a voulu donner une garantie politique aux citoyens contre l'inquisition arbitraire du pouvoir et de ses agents.
J'ai cru devoir entrer dans ces explications, pour apporter dans la discussion le témoignage de mes souvenirs sur la pensée qui avait dirigé le congrès et ma ferme conviction que la loi positive n'a pas songé à punir, comme un délit, jusqu'à présent, la simple violation des lettres par les particuliers; laissant à la loi morale de l'opinion publique le soin d'en faire justice.
- La discussion est close.
L'amendement proposé par M. Coomans est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 479 est adopté.
M. le président. - A l'article 556, M. Jullien a proposé de substituer aux mots : « pour cause de mort », le mot : « testamentaire ». La commission adopte cet amendement.
M. Lelièvre a proposé d'ajouter à la fin du paragraphe 2 du même article, les mots: « et acceptée par la femme ». La commission propose l'adoption de cet amendement en le modifiant comme suit : « et acceptée par la femme dix jours au moins avant la cessation de payement ».
M. Lelièvre. - Je pense, messieurs, qu'il faut se borner à énoncer les expressions et acceptée par la femme. En effet, la question de savoir si la femme peut accepter le remploi par acte subséquent est controversée. La plupart des auteurs pensent que l'acceptation doit avoir lieu dans l'acte même d'acquisition. La rédaction de la commission résolvant la question en sens contraire, il me semble qu'il est préférable de se référer à cet égard aux principes du droit commun et à la jurisprudence.
D'un autre côté, puisque la cause du remploi doit être justifiée par acte probant, il n'y a pas lieu à redouter la fraude et, sous ce rapport, il est inutile de simuler une acceptation antérieure aux dix jours qui précèdent la cessation de payement. En effet, l'aliénation des propres de la femme ou toute autre cause de remploi doit être établie préalablement. Cette addition pourrait aussi donner lieu à des inconvénients. En effet, la femme peut acquérir de bonne foi des immeubles en remploi de ses propres par acte passé dans les dix jours qui précèdent la cessation des payements de son mari.
Or, dans le système de la commission l'acte d'acquisition ainsi passé de bonne foi dans ce délai ne recevrait pas son exécution, ce qui n'est pas admissible.
M. Tesch, rapporteur. - La plupart des auteurs ne disent pas comme le prétend l'honorable M. Lelièvre, que l'acceptation du remploi ne peut pas être faite par un acte subséquent. La plupart des auteurs, je puis même dire tous les auteurs à l'exception de M. Delvincourt, enseignent que ce remploi peut être fait par un acte subséquent. Cela résulte d'ailleurs à la dernière évidence des discussions qui ont eu lieu au conseil d'État lors de la rédaction de l'article du Code civil relatif au remploi.
Si la commission a admis que le remploi ne peut être accepté que dix jours avant la cessation de payement, c'est par suite de l'application du principe que nous avons consacré dans la loi même sur les faillites. Quand le remploi n'est pas accepté par la femme, il n'est considéré que comme une offre de la part du mari, offre qui pourrait même être révoquée par lui. Il faut donc que le mari soit capable, lorsque la femme accepte, lorsque la propriété vient se consolider sur la tête de la femme. Or, le mari, quand à un certain point, cesse d'être capable dix jours avant lu cessation de payement. Nous avons voulu que le remploi rentrât dans la catégorie de ces actes.
L'honorable M. Lelièvre dit que son amendement ne peut donner lieu à des fraudes, qu'il faut justifier de la vente d'un autre immeuble pour que le remploi soit admissible. Mais l'honorable M. Lelièvre admettra avec moi que l'immeuble acquis en remploi peut augmenter de valeur, et que dès lors l'on ne peut admettre que lorsque déjà la déroule des affaires du failli existe, la femme vienne profiter d'une plus-value qui doit appartenir aux créanciers.
M. Lelièvre. - Si le principe que vient d'émettre l'honorable M. Tesch était même vrai, c'est-à-dire s'il était permis à la femme d'accepter le remploi par acte subséquent, alors encore l'amendement de la commission devrait être rejeté ; en effet, la femme est évidemment habile à faire cette acceptation tant que son mari n'a pas cessé ses payements.
Remarquez bien qu'il s'agit ici d'une stipulation régulière de remploi fondée sur un juste motif, l'aliénation des biens propres de la femme. Or à quel titre déclarerait-on inefficace l'acceptation faite par la femme d'une stipulation légitime dans les dix jours qui ont précédé la cessation des payements? Quel motif plausible justifierait une disposition aussi exorbitante, alors que, comme je l'ai démontré, il n'y a pas même termes possibles à la fraude?
Si un événement peut empêcher l'acceptation, c'est seulement la faillite elle-même, c'est-à-dire la cessation des payements, parce que cet événement seul ne laisse plus les choses entières et donne ouverture aux droits de la masse. Il est donc nécessaire d'adopter purement et simplement mon amendement, en rejetant les changements apportés par la commission.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je pense avec votre commission qu'il faut ajouter à l'amendement de l'honorable M. Lelièvre la restriction qu'elle propose, c'est-à-dire qu'il faut exiger que le remploi soit accepté par la femme dix jours au moins avant la cessation de payement. C'est à dater de cette époque que commence pour le failli une période de suspicion pendant laquelle un grand nombre d'actes qu'il pourrait poser sont frappés de nullité. Eh bien, parmi ces actes et pour éviter toutes les fraudes qui pourraient intervenir entre les faillis et leurs épouses, il importe de ranger l'acceptation du remploi qui aurait été fait au profit de l'épouse, lorsque celle-ci ne l'a pas accepté antérieurement.
L'honorable M. Lelièvre vous a dit que c'était préjuger la question de savoir si le remploi pouvait être accepté par un acte subséquent. Cette question, je crois pouvoir le dire, n'en est pas une. Il est bien vrai qu'un ou deux auteurs ont enseigné le contraire, et l'honorable M. Lelièvre a cité Delvincourt.
Mais les meilleurs auteurs reconnaissent presque unanimement que la femme peut toujours accepter le remploi qui a été fait par le mari, lorsqu'elle n'est pas intervenue dans l'acte d’acquisition. Il y a cependant une limite à le droit d'acceptation : c'est le cas de la dissolution de la communauté par le décès du mari ou par la séparation de biens; alors cesse pour la femme le droit d'accepter le remploi qui a été fait à son profit par le mari, par un acte auquel elle n'a pas concouru.
Je pense donc qu'il est essentiel de déterminer que la femme ne pourra accepter le remploi dans les dix jours qui précèdent la cessation de payement; parce qu'alors les choses ne sont plus entières; le mari est déj dessaisi d'une partie des droits qui lui appartiennent. Permettre l'acceptation du remploi endéans ce délai, ce serait ouvrir la porte à des fraudes nombreuses qui pourraient se commettre au préjudice de la niasse créancière.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Jullien, tendant à substituer aux mots : « pour cause de mort », le mot : « testamentaire », est mis aux voix et adopté.
Le sous-amendement de la commission tendant à rédiger la disposition présentée par M. Lelièvre, comme suit : « et acceptée par la femme dix (page 149) jours au moins avant la cessation de payement », est également adopté.
- L'article 556, ainsi modifié, est adopté.
M. le président. - Les articles 557, 562 et 563 ont été renvoyés à la commission, à l'effet d'examiner s'il n'y a pas lieu d'admettre le même genre de preuves dans les différents cas prévus par ces articles; s'il n'y a pas lieu de déclarer par l'article 562 que la preuve se fera par acte authentique, comme cela est ordonné dans le cas dont s'occupent les articles 557 et 563.
La commission propose de terminer le n°1 de l'article 562 par les mots : « et dont elle prouvera la délivrance ou le payement par acte authentique ».
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
L'article 562, ainsi modifié, est adopté.
A la fin de l'article 558, M. Lelièvre a proposé d'ajouter les mots : « par titre légal. »
La commission n'a pas adopté cet amendement.
M. Lelièvre. - L'article que nous discutons a été emprunté à la loi française de 1838. Eh bien, tous les auteurs qui ont écrit sur cette loi enseignent que, pour être conséquent avec lui-même et avec les autres dispositions que nous avons adoptées, le législateur doit exiger dans la disposition qui nous occupe un acte authentique ou tout au moins un titre légal.
Voici comment s'exprime Esnault, traité des faillites et banqueroutes, tome 3, n°585.
« L'art. 559 est évidemment corrélatif à l'article 558, il en est le corollaire obligé. Or lorsque le législateur y parle de preuve contraire, ses exigences dans son esprit et d'après son intelligence s'adressent nécessairement à la preuve par inventaire ou par autre acte authentique érigée en règle commune par l'article précédent. Il est donc indispensable que la femme qui n'a pas pris la précaution de faire constater l'emploi par son acte d'acquisition l'établisse par un titre séparé, et qu'elle apporte en outre la preuve authentique par inventaire ou par autre acte analogue de l'origine des valeurs qui ont servi à liquider le prix de son acquisition. »
La même doctrine est professée par Bedarride, traité des faillites et banqueroutes, tome 2, n°1006 : « Si, dit cet auteur, dans les cas que l'article 558 énumère, la preuve par acte authentique est seule admissible, il y a un motif plus grave pour l'exiger aussi dans celui de l'art. 559. Décider le contraire, serait annuler cette disposition. Pourquoi la femme déclarerait-elle l'emploi, si dans ce cas l'origine des deniers devait être prouvée d'une manière authentique, tandis qu'en achetant purement et simplement en son nom, elle pourrait prouver cette origine à l'aide de simples présomptions? Ce serait de plus convaincre le législateur d'une inconséquence, il se serait en effet relâché de ses prétentions au moment précisément où la fraude devient plus probable, parce qu'elle est plus facile, ce qui est inadmissible. »
MM. Goujet et Merger partagent aussi cette opinion dans le Dict. de droit commerc, v° Faillite, n°614.
Les annotateurs de la jurisprudence de la cour de cassation de France (1847, part. 2, page 130, dans la note), ajoutent :
« Si l'on admet que le législateur a entendu parler d'un acte authentique dans l'article 559 comme dans l'article 558, la conséquence logique est que l'acte authentique doit être exigé pour la preuve de l'emploi comme pour la preuve de l'origine des deniers. Quelque rigoureuse que soit cette conséquence, nous sommes forcés de l'admettre, parce que nous pensons qu'en cette matière le législateur, dans son désir de couper court à toute possibilité de combinaisons frauduleuses, a voulu un acte authentique dont il restât minute, comme il a voulu un acte de cette espèce pour quelques autres cas particuliers, notamment pour les donations, les subrogations, etc. »
Un arrêt de la cour de Nancy, du 17 janvier 1846, a consacré les mêmes principes.
On y lit :
« Attendu qu'aux termes de l'article 559 du Code de commerce les biens acquis par la femme d'un failli sont toujours présumés, même sous le régime de la séparation de biens, avoir été payés avec les deniers du mari failli et ce à moins a une preuve contraire.
« Attendu que, pour déterminer le sens légal de ces mots, preuve contraire, employés dans l'article susdit, il faut coordonner son contenu, non seulement avec l'article 558 qui le précède, mais encore avec l'ensemble des dispositions du Code de commerce relatives au droit des femmes en matière de faillite.
« Attendu que la facilité qu'ont les époux commerçants de tromper les tiers, en simulant d'avance des reprises fictives ou des revendications frauduleuses, a fait admettre, en règle générale, que lorsque le mari fait faillite, les réclamations ne peuvent être accueillies qu'autant qu'elles sont accompagnées de la preuve par titre légal de l'origine des deniers qui ont servi à des acquisitions d'immeubles et de la désignation du remploi faite au moment de la passation de l'acte.
« Attendu que ces conditions de rigueur ayant été exigées par l'article 558 pour les acquisitions faites par la femme avec les deniers lui provenant de donations ou successions à elle propres, il y a raison identique et motif plus puissant encore d'appliquer la même règle pour acquisitions faites par la femme dans les cas prévus par l'article 559.
« Qu'en effet, la présomption que les biens acquis par la femme du failli st edui qui énonce la dispOïition que nous discutons.
failli ont été payés des deniers du mari, est la même pour les deux cas prévus par ces deux articles ; qu'ainsi, il y a entre eux corrélation intime, et que, par conséquent, la nature des preuves exigées dans l'article 558, pour justifier la revendication de la femme du failli, doit déterminer le véritable sens des mots : « sauf la preuve contraire », employés, dans l'article 559. »
Ces considérations prouvent, pour être conséquent avec l'ensemble du Code de commerce et avec les propositions de la commission elle-même, qui exige un titre légal dans des cas identiques énoncés en la même section, pour être conséquent avec le vote que nous venons d'émettre, il est indispensable d'adopter l'amendement que je propose, en exigeant que la preuve énoncée en l'article 558 soit faite par titre légal. Sans cela l'harmonie entre la disposition que nous discutons et celle dont la commission propose l'adoption disparaît complètement. Ces considérations démontrent le fondement de l'amendement qui sera sans doute accueilli par la chambre.
Par les mots « titre légal » j'entends un titre authentique ou au moins u» acte privé ayant date certaine, ce qui exclut la preuve testimoniale et les simples présomptions, et certes, ces genres de preuves ne sauraient être admis dans une matière où la fraude, au préjudice des tiers, est si facile.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, la disposition de l'article 558 que l'honorable M. Lelièvre veut amender, est textuellement celle de l'article 559 de la loi française de 1838.
S'il était vrai que la loi française dût être interprétée comme l'entend l'auteur cité par l'honorable préopinant, comme semblerait le dire l’arrêt qu'il a invoqué et que je n'ai point vérifié, il en serait de même de l'article que nous insérons dans le projet actuel, c'est-à-dire que si cette doctrine et cette jurisprudence sont fondées, elles seront également appliquées dans notre pays, puisque nous adoptons le texte même de la loi française.
Mais, messieurs, je ne pense pas que la doctrine et la jurisprudence dont il s'agit soient fondées. Lorsque le législateur français a dit que la femme pourrait détruire par la preuve contraire la présomption légale qu'il établit contre elle, il a entendu qu'elle pourrait employer fous les moyens de preuve que la loi accorde, c'est-à-dire qu'elle pourrait invoquer non seulement un acte authentique, ou un titre privé ayant date certaine vis-à-vis des tiers, mais aussi la preuve testimoniale dans les limites fixées par la loi, et surtout quand il existerait un commencement de preuve par écrit. En un mot, par cela même que la loi n'a pas distingué, n'a pas restreint le mode de preuve, je crois que tous les modes de preuve légale sont admissibles.
L'honorable M. Lelièvre confond, selon moi, la disposition de l'article 558 avec celle de l'article précédent; or, il y a entre eux une différence essentielle : dans l'article 557, il s'agit de prouver l'origine de deniers provenant à la femme de successions ou de donations qui lui sont propres ; dans l'article 558, on suppose que la femme a pu faire des acquisitions avec le produit de ses économies, avec les deniers qui lui sont propres, provenant, par exemple, de ses biens paraphernaux, qui ne sont pas entrés dans la communauté; or, comment serait-il possible qu'elle pût constater par acte authentique l'accumulation d'économies qu'elle a pu faire lentement et successivement sur ses revenus?
Il a donc fallu être beaucoup plus large pour la justification de l'origine des deniers formant le prix de ces sortes d'acquisitions, et c'est pour cela que le législateur français, qui a été suivi en ceci par les auteurs du projet et par la commission, a entendu réserver à la femme tous les genres de preuve que la loi accorde et ne les a point limités.
- L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article est adopté tel qu'il a été proposé par la commission.
- L'article 502 est adopté sans discussion avec la rédaction proposée par la commission.
A l'article 563 M. Jullien a proposé de substituer le mot « testamentaire » aux mots : « à cause de mort ».
M. Thibaut a proposé de remplacer les mots : « par inventaire ou tout autre acte authentique » par ceux-ci : « par acte ayant date certaine. »
M. Tesch, rapporteur. - Je ferai remarquer que l'amendement de M. Thibaut vient à tomber par suite du vote que la chambre a émis sur l'article 558.
- L'amendement de M. Jullien est mis aux voix et adopté.
L'amendement de M. Thibaut n'est pas adopté.
L'article est ensuite adopté avec l'amendement de M. Jullien.
La séance est levée à 4 heures 1/2.