Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 22 juin 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1645) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la derrière séance; la rédaction en est approuvée.

Il est procédé, par la voie du sort, au tirage des sections de juin.

M. A. Vandenpeereboom en fait connaître la composition

Projet de loi prorogeant le délai pour la présentation d’une loi définitive sur le système des warrants

Rapport de la section centrale

M. David. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de lui ayant pour objet de proroger le délai pour la présentation d'une loi définitive sur le système des warrants.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et placé à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi qui modifie la loi du 27 septembre 1835, sur l'enseignement supérieur

Discussion générale

M. Liefmans. - Messieurs, vous me permettrez de prendre la parole dans cette discussion que le libéralisme a vue s'ouvrir avec autant de satisfaction et de bonheur que l'opinion réduite à l'état de minorité parlementaire aurait désiré peut-être la voir rester abandonnée et dans l'oubli. Si je demande cette faveur, messieurs, c'est bien moins parce que je prétends vous fournir des arguments nouveaux qui soient propres à faire disparaître les idées d'opposition auxquelles nous devions nous attendre de la part de quelques membres de cette assemblée, que parce que je crois pouvoir, tout en m'appuyant sur les considérations exposées dans le rapport et longuement développées par différents orateurs qui m'ont précédé, vous expliquer les motifs qui m'ont fait accepter et qui me font appuyer les principes admis par la section centrale. Ces principes, j'ai eu l'avantage de les entendre discuter, non pas superficiellement, à la course, comme le suppose l’honorable M. de Mérode, mais d'une manière bien approfondie; et je me suis imposé le devoir de les examiner de nouveau et scrupuleusement, surtout parce qu'il m'était déjà arrivé d'y vouer mon adhésion. C'est, messieurs, dans le but de justifier le vote approbatif que je me propose de prononcer que je vous prie de vouloir m’entendre, de vouloir suivre le raisonnement qui m'a guidé pour fixer définitivement mon opinion. Une question fondamentale pour moi, celle qui devait se présenter avant toute autre (les adversaires du projet de loi refusent d’attacher quelque prix à cette question; ils voudraient voir avorter ce projet de loi. Ils ont intérêt à ne pas examiner le bien qu'il renferme et à ne relever que les points sujets à contestation), la première question qui devait se présenter était celle-ci :

(Je répondrai quelques mots à ceux qui prétendraient que l'esprit de parti nous entraîne.)

La loi de 1835, les principes qu'elle renferme, exigent-ils des modifications? Ces modifications, si elles paraissent nécessaires, sont-elles la conséquence de l'avènement du libéralisme au pouvoir ministériel? Sont-elles réclamées par un libéralisme étroit qui entend rechercher et faire admettre quelques mesures vexatoires, mesquinement hostiles? Ou bien ces modifications ne doivent-elles pas, abstraction faite de toute considération politique, être favorables au développement des études, au progrès sainement compris, au bien du pays?

La question ainsi posée, il restait à la résoudre. Ma réponse était celle-ci : Le libéralisme, s’il voulait être vindicatif, s'il entendait faire usage de la peine du talion, ne devrait pas changer la loi. Il devrait la maintenir, En effet, l'honorable ministre de l'intérieur vous l'a dit aussi avec beaucoup d'à-propos et surtout avec conviction : La loi de1835 fournit à la majorité une arme terrible. Cette arme, dont d'autres mains se sont peu loyalement servies, cette arme, le libéralisme l’eût tournée sans pitié contre ses anciens oppresseurs, si ce libéralisme large, auquel nous aimons d'appartenir, ne savait pas que vaincre n'est rien, alors qu'on ne sait point user avec modération de la victoire, que la modération elle-même, que la modération seule a produite; ce n'est donc pas pour se créer des moyens de vengeance, pour en verra un système de représailles, que le projet de loi devait s'attirer un accueil favorable de notre part : ce sont des considérations au-dessus de toute passion politique, c'est l'unique désir de faire quelque chose d'efficace pour la solidité des études, de relever le haut enseignement de l'état d'abaissement où il paraît se trouver, ce sont surtout ces considérations qui nous décident à apporter des modifications à une loi qui, de l'aveu de tous, en semble impérieusement exiger. C'était là mon opinion tout d'abord, messieurs; aujourd'hui cette opinion je l'énonce avec d'autant plus de conviction, que je la vois partagée par la majeure partie de cette assemblée, qu'au début de cette discussion, j'ai pu l'avantage de la voir pleinement justifiée par quelques passages du remarquable discours que l'honorable M. Van Hoorebeke a prononcé. On admet, l'on doit admettre que l'enseignement supérieur ne se trouve pas à la hauteur qu'il devrait occuper; on le déclare en quelque sorte déchu du rang élevé où il s'est déjà vu placé, on attribue ce résultat fâcheux aux imperfections, aux vices de la loi de 1835. Ne doit-on pas conclure naturellement de ceci que c'est dans des vues d'amélioration, dans l'intérêt général qu'il faut en venir à des modifications ; qu'il faut s’efforcer de faire mieux que ce qui existe? Puisqu'on se trouve en présence d'un mal, n'est-il pas urgent de chercher un remède ? Mais pour trouver un remède efficace, messieurs, il faut tâcher de connaître la nature du mal; il faut soigneusement l'examiner. Eh bien, l'honorable M. Van Hoorebeke, dont les idées me paraissent ici d'un bien grand poids, vous en a indiqué les causes. Le gouvernement et la section centrale ont eux aussi attribué le mal aux causes signalées par cet honorable membre; et nous avons cru qu'à ce mal, le projet de loi apporterait tout au moins quelques remèdes. Le mal semble avoir et il a bien réellement sa source dans deux causes distinctes. L'une d'elles provient d'un vice reconnu dans le mode de l'enseignement, dans la manière dont le professeur donne et l'élève reçoit l'enseignement; l'autre provient d’un vice reconnu dans le mode actuel, de la formation, de la composition du jury. Sous le régime actuel bien souvent le professeur se trouve en face de quelques bancs vides d'élèves, et généralement l'élève, malgré son bon vouloir, trouve que l'intelligence lui fait défaut pour parvenir à la connaissance des matières trop nombreuses dont il se voit accablé. La loi actuelle place réellement l'élève dans la nécessité ou de compromettre l'état de sa santé et la force de son esprit en suivant tous les cours et en étudiant trop de matières à la fois, ou bien de négliger quelques cours, ou de n'effleurer que bien superficiellement quelques matières, quelques sciences qu’il est indispensable d'approfondir. Ce point est incontestable, les élèves, les professeur. Les hommes les plus compétents l'affirment.

Le projet de loi, messieurs, m'a semblé obvier à ces graves inconvénients, et sous ce rapport seul il me paraîtrait digne des plus grands égards.

Il m'a semblé que les innovations qu'il renferme apportent un remède salutaire à ces inconvénients; car d'un côté nous y trouvons le nombre des cours à suivre simultanément, diminué ; de l'autre, nous y trouvons, par la division, l'étude des différentes matières bien simplifiée; nous trouvons ainsi les rapports entre le processeur et l'élève, ces rapports dont on peut attendre les meilleurs effets, bien plus faciles ; il y a même plus ; comme la fréquentation des cours nous paraît un grand bien, on a cherché, en quelque sorte, puisque maintenant la chose peut se faire sans danger pour la santé et l'intelligence de l'élève, on a cherché, par l’inscription obligatoire aux cours qui se donneront aux universités de l'Etat, rendre obligatoire à ces cours l'assistance des élèves. Ces innovations si utiles; les adversaires du projet de loi eux-mêmes les approuvent; malheureusement ils n'y attachent pas, et pour cause, autant de prix que nous. Ils ne les considèrent que comme une chose peu importante, un faible accessoire. Le principal pour eux, c'est ce qui ne touche qu'indirectement à l’enseignement, c'est le mode de la formation de la composition du jury d’examen.

Nous sommes, messieurs, tous d'accord en ce moment, je le crois du moins, sur ce point-ci, à savoir que la décadence de l'enseignement supérieur est due en second lieu, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire, (mais je dois le répéter, cette seconde cause est moins énergique, moins directe que la première) au système vicieux, quant à la formation du jury établi par la loi actuelle ; on devrait, par conséquent, être et rester d'accord sur ce point-ci, à savoir : qu'il faut changer, qu’il faut améliorer un état de choses imparfait, vicieux.

Or, c'est là, messieurs, ce que le gouvernement et la section centrale se sont proposé.

Messieurs, on reprochait à l'institution du jury universitaire, telle qu'elle était établie par les lois de 1835 et 1844, de manquer d'impartialité dans le mode de sa composition; d'écarter trop souvent, trop généralement du jury, le professeur dont l'élève avait suivi les leçons.

Les chiffres cités au début de la discussion prouvent le fondement du premier de ces reproches. Soixante-cinq membres du jury ont été choisis dans l'université de Louvain; l'université de Bruxelles, grâce à un peu plus de tolérance qu’on a rencontré, au sénat et ailleurs, qu'à l'ancienne chambre, l'université libre de Bruxelles en a obtenu douze. Dans cette enceinte, sous l'ancienne majorité, l'université de Bruxelles n'a jamais eu l'honneur d'obtenir le choix d'un seul de ses professeurs, messieurs, si l'on compare ces chiffres, si l'on aboutit à un pareil résultat, ne rencontre-t-on (page 1646) pas la preuve la plus évidente de la partialité la plus haineuse? Un ministère quelconque aurait-il osé, quelque sombres qu'aient été les temps que nous avons traversés, un ministère quelconque aurait-il jamais osé pousser la partialité aussi loin que l’ancienne majorité.

Non, messieurs, et je le prouve. Le gouvernement dans les jours les plus accablants pour nous, le gouvernement a mis bien moins de partialité dans ses actes que la majorité parlementaire. Le gouvernement s'est fait un devoir d'adoucir, en quelque sorte, les iniquités que sa majorité aimait à voir sortir de l'urne; il y a plus, messieurs, hier nous avons vu l’honorable comte de Theux lui-même s'efforcer, mais bien vainement, de disculper l’ancienne majorité du reproche trop fondé de sa partialité.

Non, je le répète, aucun ministère, dans aucune circonstance, n'aurait osé pousser l'esprit de partialité aussi loin, que l'ancienne majorité parlementaire dans cette enceinte.

Le second reproche que l'on adresse à l'institution du jury, tel que les lois de 1835 et 1844 rétablissaient, celui d'écarter trop souvent du jury le professeur dont le récipiendaire a suivi le cours, paraît fondé et se trouve affirmé par le corps professoral lui-même (si je ne me trompe à cet égard).

Messieurs, parlons franchement. C'est dans l'intention d'obvier aux vices, je dirais même au scandale que je viens de signaler; qu'il faut faire abandon d'un jury essentiellement politique; c'est dans cette intention qu'on doit, pour la formation du jury d'examen, substituer un pouvoir responsable au pouvoir insaisissable, irresponsable qui existe aujourd'hui. Cette substitution, nous la proposons dans l'espoir, dans l'intime conviction que le pouvoir responsable, qu'elle investit du droit de nommer les membres du jury, que le ministère n'usera de sa prérogative qu'avec intelligence, qu'avec des vues de modération et d'impartialité.

Je dois, messieurs, vous renvoyer, pour justifier la proposition de la section centrale, à la page 3 du rapport où se trouve imprimée une lettre émanant du conseil d'administration de l'université de Bruxelles, permettez-moi la lecture de cette lettre.

(Ici l'orateur lit le passage qu'il invoque à l’appui de sa dissertation. Il en résulte que le conseil d'administration de l'université de Bruxelles réclamait la nomination des membres du jury d'examen par le gouvernement, plutôt que par la chambre. Le gouvernement, le ministère est toujours moins exclusif que la majorité, et puis la nomination par le ministère ne saurait nuire à la majorité; elle a une action puissante sur le gouvernement. Quant à la minorité, c'est trouve un appui dans l'impartialité, dans la prudence que l'autorité royale met à sanctionner un acte ministériel quelconque.) L'orateur continue en ces termes :

Cette lettre ne renferme-t-elle pas l'approbation du système proposé par la section centrale.

Messieurs, la proposition de la section centrale a été attaqué hier par l'honorable M. Dechamps, avec plus d'adresse que de fondement. L'habilité de l'orateur a surtout consisté à caresser outre mesure l'opinion libérale, à applaudir trop vivement à ses efforts que dans d'autres temps, il n'affectionnait pas autant (c'est là ma manière de voir), que dans d'autres temps il ne peut pas savoir affectionnés autant qu'il paraît, le faire aujourd'hui.

Le libéralisme belge, a dit l'orateur au début de son discours (inutile de vous dire que je ne répète pas ses paroles), le libéralisme dans cette enceinte parlementaire a été de tout temps généreux, bien plus généreux qu'il ne voudrait l'être aujourd'hui. Le cercle de toutes nos libertés a été élargi grâce aux efforts du libéralisme et cela du consentement de l'opinion contraire. On a, d'après M. Dechamps, accordé au libéralisme de bien grandes faveurs. L'abaissement du cens électoral frise le suffrage universel ; les fonctionnaires soupçonnés de trop peu d'indépendance ne peuvent plus, par un vote oblige, appuyer le gouvernement, le ministère; nos libertés communales ont été de beaucoup élargies; aujourd’hui le gouvernement ne peut plus, au mépris du choix des habitants, imposer arbitrairement un bourgmestre, son agent ministériel, à la commune. Ces faveurs, le libéralisme les a conquises par ses généreux efforts, à l'appui des événements de février 1848, et le libéralisme, d'après M. Dechamps, inconséquent avec lui-même et ses principes, réclamerait aujourd'hui l'absolutisme en fait d'enseignement. L'éloge que nous adresse M. Dechamps est bien séduisant, le reproche qu'il nous inflige après des paroles aussi mielleuses, doit nous tomber bien dur, bien amer. Mais tout d'abord que M. Dechamps me permette d'atténuer un peu les douceurs de ses éloges, de démontrer que, rigoureusement parlant, les efforts des libéraux ni les événements de février n'ont procuré aucun avantage, aucune faveur auxquels les libéraux n'étaient point en droit de prétendre; que le libéralisme n'est entré, pour ainsi dire que dans la plénitude de ses droits, des droits que la Constitution lui octroyait, que nos lois communales lui garantissaient. En effet, le cens électoral n'est fixé qu'au taux ou le congrès croyait pouvoir le fixer en février 1831. Quant à l'extension de nos libertés communales, il est encore bien moins question d'avantages ou de faveur à cet égard.

La loi du 20 mars 1836 accordait aux communes tout ou moins autant que ce qui existe aujourd'hui. Le libéralisme n'a rien gagné de ce côté. Les applaudissements que M. Dechamps lui donne sous ce rapport ne sont pas mérités, et je crois que l'honorable M. Dechamps le sait lui-même très bien; ses éloges ont, d'après moi, pour but, bien moins de complimenter la majorité actuelle que de faire oublier quelques mesures réactionnaires de la majorité tombés. Le libéralisme a réclamé des droits que la Constitution lui permettait d'espérer. Qui donc, messieurs, lui a refusé l'exercice de ces droits, qui donc s'est toujours opposé à l'abaissement même progressif du cens électoral? L'ancienne majorité. Les communes vivaient sous une loi libérale. Qui donc leur a envié la liberté, qui donc la leur a ravie? L'ancienne majorité, nonobstant les clameurs du libéralisme. Il ne fallait pas, M. Dechamps, pour adoucir les libéraux, rappeler le sujet d'anciens griefs.

Le libéralisme, tous les Belges, ne jouissent aujourd'hui que des avantages que leur accordait la Constitution, que le parti catholique s'obstinait à leur refuser ; les communes n'ont acquis aucune liberté; elles sont rentrées dans la plénitude de leurs droits, en brisant l'entrave que vos passions aveuglées avaient imposée à une loi qui aurait dû vous imposer en faveur des communes, au moins le respect pour quelques-unes de leurs plus précieuses libertés. Le libéralisme depuis 1847 et depuis le mois de février 1848 a poursuivi avec conviction l’exécution de nos lois politiques. Cette exécution pour laquelle toute lutte aurait toujours dû être inutile, il la poursuivra en tout et contre tous ceux qui s'y opposent. Il s’est assuré l'exécution des lois électorales, de la loi communale, il veut s'assurer l'exécution franche, loyale, de la liberté de l'enseignement.

N'accusez pas le libéralisme d'avoir des idées d'absolutisme, de se montrer inconséquent dans sa marche de progrès. Discutons d'abord. Que reprochait-on à l'ancienne majorité? De méconnaître le principe de la liberté de l'enseignement à tous les degrés; de fausser l'esprit des lois qui en réglaient l'organisation. Que réclamait-on de toutes parts? L'affranchissement du pouvoir, l'affranchissement de l’enseignement. Eh bien ! que voulons-nous aujourd'hui, que veux la section centrale. Rien que la liberté, la liberté pleine et entière, de l'enseignement, la liberté pleine et entière pour tous, et envers tous dans la formation du jury d'examen.

M. Dechamps a dénaturé ici la pensée qui a dominé les travaux de la section centrale ; sa pensée était de sauvegarder les droits de tous; de n'avantager personne. L'honorable M. Dechamps a été jusqu'à dire que la section centrale proposait l'exclusion des universités libres de la composition du jury. Vous leur refusez, dit-il, le droit d'y intervenir directement et même indirectement. Or, messieurs, rien n'est aussi faux que cela ; la section centrale n'exclut personne ; elle reconnaît ses droits à tout le monde; mais ce que la section centrale ne veut pas, c'est qu'il soit dit dans la loi que les universités libres ont plus de droit que tout autre établissement d'enseignement, que le simple particulier.

Messieurs, la section a formulé la proposition que vous connaissez; mais elle ne la présente pas avec arrogance; ses prétentions ne me paraissent pas exagérées. La section centrale ne dit pas en effet, ne prétend pas que le mode qu'elle indique constitue la perfection ; elle ne croit pas qu'il est tout à fait impossible de faire mieux ; mais ce qu'elle croit, ce dont elle est convaincue c'est, ainsi qu'on l'a déjà démontré, que le mieux qui est peut-être à faire ne s'est pas encore fait jour jusqu'ici. Aussi est-ce avec réserve, est-ce avec prudence qu'on avance ce système; et aussi la section centrale se méfiant en quelque sorte d'elle-même, ajoute-t-elle une limitation quant à la durée de sa proposition. Cette mesure de prudence, on l'a critiquée avant-hier, mais c’est à tort. Ou votre système est bon ou il ne l'est pas, a dit l'honorable M. de Liedekerke. S'il est bon, la limitation est inutile; s'il est mauvais, il ne faudrait pas l'introduire; le laisser subsister pendant trois ans, c'est une espèce de calamité. Cette objection trouve une réfutation facile. La voici: La section centrale croit que son système est le meilleur, elle le propose à la chambre; mais comme on peut se tromper de très bonne foi, la section centrale ne désire pas, si son erreur est démontrée, si ses adversaires mêmes indiquent tôt ou tard un système meilleur, que la proposition erronée, vicieuse, reste subsister. Il est, messieurs, une chose remarquable et qui peut en quelque sorte nous encourager, nous enhardir; c'est que nos adversaires, n'ayant rien de mieux à proposer, sont d'accord avec la section centrale ne pas contester au gouvernement l'aptitude, la capacité de composer les jurys d'examen ; ne veulent pas que cette prérogative lui soit enlevée. Ce qu'ils veulent, et c'est une prétention qui ne saurait se justifier, ce qu'ils veulent, c'est qu'on leur donne des garanties, que la liberté de l'enseignement ne sera pas violée. Mais ces garanties n’existent-elles donc pas? La Constitution ne consacre-t-elle pas la liberté de l'enseignement; et peut-on croire raisonnablement que pour le gouvernement, que pour nous, la Constitution soit une lettre morte?

La minorité de cette chambre, l’ancienne majorité d'autrefois réclame des garanties, dit-elle ; mais pouvons-nous lui en offrir de plus fortes que les dépositions de notre pacte constitutionnel? Ah ! messieurs de la minorité! Non, vous êtes dans l'erreur, vous ne réclamez pas des garanties ; vos prétentions vont plus loin. Vous êtes de bonne foi, peut-être ; mais ce que vous réclamez, ce ne sont pas des garanties que notre proposition laisse subsister intactes ; c'est un privilège, un privilège en faveur d'un établissement que vous affectionnez outre mesure. Vous voulez que cet établissement soit représenté obligatoirement dans la formation du jury; vous voulez que le sort, alors même que cet établissement se placerait en état d'hostilité avec le gouvernement. Vous voulez qu'on inscrive dans cette loi ce qu'on aurait repoussé dans la Constitution, à savoir qu'un établissement privé, indépendant de toute action, de tout contrôle de la part du pouvoir, concourra par une espère de privilège, obligatoirement à la composition du jury. Et ce concours obligatoire pour l'Etat, vous le réclamez en vertu de la liberté de l'enseignement ! en vertu d'une disposition constitutionnelle qui veut que tout enseignement soit traité sur le même pied ! Mais du moment qu'on veut s'arroger un titre qui force le pouvoir à choisir des examinateurs parmi un corps professoral quelconque, on veut s'arroger un droit exclusif en sa faveur, droit qui ne saurait subsister en face du principe de la liberté d'enseignement, qui doit être la même pour tous, sans que l'on puisse prendre égard à quelle clause de la société l'on appartienne.

(page 1647) Messieurs, si l’on nous proposait de contraindre le gouvernement à choisir les examinateurs parmi les professeurs des universités du l'Etat, nos adversaires avant tout et nous aussi, nous repousserions une pareille proposition, parce que cette obligation imposée au pouvoir l'empêcherait d’être juste envers tout le monde. Si l'on faisait cette proposition seulement pour une partie, nous la repousserions encore, parce qu'elle empêcherait le gouvernement, pour une partie, d’être juste envers tout le monde. Eh bien, messieurs, que vous demandent nos adversaires? Ils demandent en leur faveur une disposition, un privilège que nous devrions refuser aux universités de l'Etat, parce que ce privilège évidemment porterait atteinte aux droits des autres; n'est-il pas vrai de dire, en effet, que, lorsque la liberté d'action du gouvernement est limitée en faveur des universités libres, elle se trouve entravée vis-à-vis des universités de l'État et vis-à-vis de l'enseignement privé? Ne faut-il pas écarter toute disposition qui, en fait d'enseignement, constituerait un avantage pour un établissement, au détriment du principe de la liberté dont doivent jouir tous les établissements et tous les particuliers généralement et sans aucune entrave? Non, d'après moi, je le répète, la minorité ne réclame pas un droit; elle veut un privilège, et ce qui me le démontre clairement, c'est qu'on ne saurait accorder, dans tous les cas, à d'autres établissements d'instruction publique ou privée la faveur qu'elle sollicite pour son université ; ce point me paraît incontestable, et j'en découvre la démonstration dans le projet de loi lui-même. En effet, messieurs, mais ici je me vois appelé à parler du grade d'élève universitaire, qu'il me soit permis, avant tout, mais en passant, de vous exprimer ma façon de penser au sujet de cette importante innovation ; cette création, messieurs, je la regarde comme des plus heureuses, comme celle qui sera la plus féconde en bons résultats. En effet, aujourd'hui l'enseignement moyen laisse beaucoup à désirer. Il se donne, en général, irrégulièrement, imparfaitement, par la raison que cet enseignement échappe à la surveillance et à la direction du gouvernement; et parce que, par respect pour la liberté de l'enseignement, on ne peut le réglementer par aucune disposition légale. C'est bien là, messieurs, la cause du déclin des études élémentaires, moyennes. Eh bien, à ce mal, à ce vice, le projet soumis à notre appréciation offre encore un remède. L'obligation où l'élève sera de passer un examen pour obtenir le grade d'élève universitaire, forcera des professeurs de relever leur enseignement, forcera l'élève de suivre avec plus de soin les cours de ses professeurs; de s'appliquer aux études avec plus de soin, de se rendre capable d'obtenir le grade qui seul peut lui ouvrir les portes de l'université. C'est, messieurs, de cette façon qu'on a trouvé une espèce de contrôle légal, conforme à l'esprit de nos institutions, et qui manquait jusqu'à ce jour. Ce contrôle aura, en quelque sorte, pour effet de contraindre l'élève à ne se livrer aux études universitaires que dans le cas seulement où il pourra le faire avec fruit. J'approuve donc énergiquement cette importante innovation. Mais j'en reviens à mon argumentation.

J'ai dit qu'on ne saurait accorder, dans tous les cas, à d'autres établissements d'instruction publique ou privée, le droit que voudrait s'arroger la minorité, ou, si vous le voulez, leur université libre ; et en effet, messieurs, pour la collation du grade d’élève universitaire, il faudra un jury, il faudra des examinateurs. Eh. bien, comment le composera-t-on? Voudra-t-on que tous les établissements d'enseignement moyen y soient représentés? Mais alors vous auriez un jury monstre, un jury impraticable. Et puis, comme l’enseignement ne doit pas, légalement parlant, se puiser dans un établissement d'instruction quelconque, ne faudrait-il pas que les études particulières aussi fussent représentées dans ce grand jury? Messieurs, qu'on y réfléchisse bien, le nombre des établissements d'instruction moyenne est considérable. Tous ces établissements seraient en droit d'élever la voix, de solliciter le bénéfice que réclame l'université de Louvain; comment pourrait-on y satisfaire? Nos adversaires ont voulu admettre, j'en conviens, une limitation à leurs exigences; ils ont avancé que, pour jouir du droit d'être représenté, il faudrait au moins que l’établissement privé comptât cent élèves. Pour l’enseignement moyen, messieurs, la fixation de pareil nombre n'empêcherait pas l'impossibilité de composer un jury où tous les établissements d'enseignement moyen ayant cent élèves seraient représentés.

Mais les adversaires du projet de loi, ceux qui réclament la représentation pour un établissement comptant cent élèves, ont-ils donc oublié de conclure de la qu'ils voulaient quelque chose de plus pour eux que pour des établissements qui ne comptent pas cent élèves, qui n'en comptent que quatre-vingt-dix-neuf, par exemple? Eh bien, où donc ces messieurs voient-ils écrit dans la loi qu'un établissement d’instruction qui compte cent élèves doit jouir d'une faveur, d'un privilège dont ne peut jouir un établissement qui n'en a que vingt, dont ne peut jouir le simple particulier? Où donc trouvent-ils une pareille disposition? Nulle part, messieurs; et, si cela est, n'ai-je donc pas raison en disant que nos adversaires ne réclament pas un droit, ne réclament pas des garanties (qu'ils trouvent, on le sait, dans la Constitution), mais qu'ils exigent un privilège, rien que cela ; or, messieurs, comme les privilèges se trouvent proscrit, je dois le déclarer, nous le déclarons hautement, ce privilège, nos adversaires ne l'obtiendront pas!

C’est, messieurs, guidé par ce raisonnement et surtout mu par les différentes considérations qu'on a fait valoir en faveur du système de la section centrale, considérations que je ne répéterai pas pour ne pas abuser de vos moments, et surtout parce qu'elles ont déjà été longuement discutées, que je me prononce pour le projet de la section centrale. Il m'est démontré que tous les systèmes mis en avant pour le combattre, aucun ne se montre entouré de moins d'inconvénients. On a pu juger de quelques-uns par leur application ; l’expérience les fait rejeter. Eprouvons celui qu'on nous conseille, messieurs, il serait injuste de le condamner avant de l'avoir éprouvé; il est à espérer qu'il satisfera à toutes les exigences. Messieurs, je termine ici, quoiqu'il me reste beaucoup à dire. J’aurais à vous faire connaître avec de longs développements les motifs qui ont engagé la section centrale à ne pas proposer la fusion des deux universités de l’État en une seule, mais ce soin l'honorable rapporteur voudra bien s'en charger et il s'en acquittera bien mieux que je ne pourrais le faire. Je me propose aussi, messieurs, de vous faire connaître les raisons qui m'engagent à admettre l'article 33 relativement aux bourses; mais je vous prierai de m'accorder votre attention lorsqu'on parviendra à la discussion de cet article, si toutefois la discussion générale, messieurs, ne parvient à épuiser la matière.

Mais, non, puisque j'ai la parole, je me permettrai de faire brièvement quelques observations que je considère comme péremptoires, pour que, lors de la discussion de l'article article 33, je ne me mette plus dans le cas d'abuser de votre indulgence.

Messieurs, l'Etat vous demande l'autorisation de disposer de quelques bourses en faveur d'élèves doués d'une aptitude extraordinaire à l'étude;, ils demandent de pouvoir disposer de ces bourses en faveur de pareils élèves qui fréquentent ses universités. Le gouvernement et la section centrale supposent, avec raison, que des élèves dans les universités de l’État peuvent se trouver dans la position d'avoir beaucoup d'aptitude pour lest études supérieures, et trop peu d'argent pour pouvoir s'y livrer. Si des élèves se trouvent dans une pareille situation d'intelligence et de fortune, que vous conseillerait de faire l'intérêt de l'élève ; je dis plus , l'intérêt de tout le monde? Il vous conseillerait de rechercher les moyens pour que cet élève puisse développer ses facultés intellectuelles, pour qu'il puisse parvenir à les faire tourner, après les avoir développées, au bien, à l'avantage de ses concitoyens. Quel est le moyen le plus simple pour obtenir ce résultat de fournir à cet élève un léger secours, de lui procurer une certaine somme d'argent? Ce moyen, le gouvernement vous demande de pouvoir, dans certains cas, en faire l'application. Rien n'est plus simple, plus rationnel, et l'on trouve cependant des hommes qui s'y opposent!

Mais quels peuvent être les motifs d'une pareille opposition? La création des bourses, serait-ce par hasard une innovation; serait-ce une mesure répréhensible, nuisible aux intérêts de la société ? Inutile de vous; dire que je ne le pense pas. La création des bourses, à mon avis, peut être tout aussi ancienne que la création des établissements d'instruction ou publique ou privée. Le but de cette création ne saurait jamais, avoir été que louable; car, pour créer une bourse en faveur de l'instruction,, il faut aimer l'instruction, il faut en savoir apprécier les avantages; et, l'homme qui aime l'instruction, qui en apprécie les avantages, me semble toujours devoir professer les principes louables de l'honneur et de la probité. Aussi trouve-t-on que depuis bien longtemps il existe des bourses pour les études théologiques, pour les études, philosophiques, pour les études du droit, de la médecine.

L'existence de ces bourses, qui donc a jamais pu l'imputer à grief aux différents fondateurs ? Nos adversaires critiquent-ils, désapprouvent-ils l'existence de certaines bourses? Mais comment se fait-il donc que leurs établissements se montrent si empressés de se les approprier, d'en user ? Comment serait-il qu'ils votent annuellement, sans objection aucune, au budget de la justice, la somme de 62,000 francs et plus, pour les bourses des séminaires?

S'ils approuvent la création de bourses pour les études théologiques, qu'ils se montrent un peu moins intolérants, qu'ils les approuvent par voie de conséquence pour les études philosophiques, pour les études du droit, de la médecine.

Dans les temps que nous traversons, s'il est vrai pour eux de dire que les études théologiques méritent quelque sollicitude et quelque protection, qu'ils veuillent bien ne pas dénier au pouvoir temporel le droit de montrer quelque sollicitude pour le progrès des études qui, pour ne| pas être toutes théologiques, n'en offrent pas moins toutes un haut degré d'utilité.

Ce ne saurait être, messieurs, raisonnablement, le principe de l'établissement de bourses qu'on voudrait attaquer ; c'est autre chose.

On se méfie du libéralisme et de son ministère, quoique l'on dise le contraire. Ce ministère, affectionnant trop ses universités, voudra, si l'on veut , écouter les craintes et les exagérations de nos adversaires, écraser les universités libres, pour faire servir leurs débris à l'agrandissement et à la prospérité des universités de l'Etat. C'est, on le suppose, c'est pour ce motif, c'est dans ce but que le gouvernement et que la section centrale, que la majorité de cette chambre probablement, demandent 60 bourses, soit 24,000 francs ! Messieurs, de pareilles appréhensions ne sont-elles pas absurdes? Comment ! si la majorité voulait attenter à l'existence de la liberté de l'enseignement, si la majorité voulait miner vos établissements, voterait-elle 24,000 francs pour venir en aide au défaut de ressources pécuniaires de quelques élèves de ses universités? Evidemment, non; elle trouverait un moyen sûr et facile : elle ouvrirait gratuitement les cours de ses universités. Ce moyen lui imposerait d'insignifiants sacrifices, et de cette façon on pourrait, pour bien longtemps, inscrire sur les portes de l'université de Louvain : Nul n’est privé du droit d'enseigner ici. Le gouvernement, la section centrale vous font-ils une pareille proposition? Ah! messieurs, il est bien loin de leur pensée d'y avoir recours. La rétribution exigée de la part des élèves dans les universités de l'Etat, est plus forte que (page 1648) celle qu'exigent les établissements qu'on appelle rivaux. On vous l'a dit, messieurs, ce n'est pas en mettant les leçons au rabais, c'est par le mérite de l'enseignement que l'Etat doit et veut s’attacher à soutenir la concurrence des institutions privées.

Que l'opposition rejette, repousse des craintes, des insinuations non fondées; qu'elle accorde à l'Etat qu'il constitue pour ses établissements, des bourses comme il en existe pour les établissements qu'il couvrent de toute leur sollicitude, et l'article 33 obtiendra l'assentiment unanime dans cette enceinte.

Je finis donc, messieurs, en déclarant, pour ma part, que j'appuie le projet de loi pour le bien seul qu'il renferme, indépendamment de toute considération politique.

Pourquoi le libéralisme voudrait-il torturer la minorité actuelle? Mais n'avons-nous pas souffert assez longtemps, assez rudement, l'oppression de la part de nos adversaires? N'avons-nous pas éprouvé combien il est dur pour une minorité de se sentir impitoyablement opprimée? Voudrions-nous faire endurer autant de tourments au parti que nous avons combattu et que nous avons détrôné, parce qu'il était injuste et oppresseur?

Non, messieurs, en le faisant nous fournirions peut-être des armes pour nous détruire un jour ; et d'ailleurs, messieurs, la prudence n'exige-t-elle pas que nous agissions avec modération, avec équité?

Messieurs, on nous l'a dit, les majorités ne sont pas éternelles. Il peut nous arriver, ce qu'à Dieu ne plaise, que la minorité devienne encore ce que nous sommes maintenant, majorité.

Eh bien, messieurs, si ce mal doit nous arriver, notre conduite sera, je l'espère, au moins d'un enseignement utile. Elle apprendra à nos adversaires à nous traiter alors et à leur tour avec plus d'impartialité et de justice qu'il ne l'ont fait antérieurement.

M. Dumortier. - Messieurs, depuis longtemps des réclamations s'élevaient de divers côtés du pays sur plusieurs points de la loi sur l'enseignement supérieur. Les uns demandaient des modifications dans la création du jury d'examen ; d'autres formaient le vœu d'arriver à une simplification des matières d'examen dans l'intérêt des élèves. C'est principalement dans ce double but qu'un projet de loi nous est présenté aujourd'hui.

Ne croyez pas, messieurs, que je vienne devant vous trouver mauvais tout ce qu'a de bon le projet de loi que nous avons à examiner; je ne veux pas accepter le rôle que l'honorable préopinant semble indiquer. Je suis le premier à reconnaître qu'il y a d’excellentes choses dans le projet qui nous est présenté; je lui donnerai sincèrement, loyalement mon appui ; cependant, malgré les bonnes choses que j'y trouve, je me réserve d'examiner ses dispositions, article par article, pour démontrer en quoi on peut l'améliorer encore, et je crois qu'en cela j'obtiendrai votre approbation.

Le projet qui nous est présenté se résume en quatre questions principales : la simplification des matières d'examen, la création du grade d'élève universitaire; la modification apportée au jury et celle apportée aux bourses d'études. Voilà, messieurs, eu résumé, les modifications fondamentales apportées à la loi d'enseignement supérieur.

La simplification des matières d'examen, j'aurais bien mauvaise grâce de désapprouver en ce point ; le gouvernement, puisque depuis 15 ans je n'ai pas cessé de la réclamer dans cette enceinte.

Il est évident que, par suite de la loi de 1835, les matières d'examen désordonnément multipliées avaient amené un affaiblissement graduel et successif dans les études eu Belgique; c'est là principalement, plus que partout ailleurs, qu'il faut chercher la cause de l'amoindrissement des études dont se sont plaints les orateurs qui m'ont précédé et spécialement mon honorable collègue et ami, M. Van Hoorebeke; l'affaiblissement des études est dû avant tout à la multiplicité des matières d'examen.

L'homme (j'ai eu souvent l'honneur de le dire dans cette enceinte), peut acquérir des connaissances variées; mais à une seule condition : c'est d'étudier chaque science successivement et non cumulativement. La loi de 1835 avait produit ce résultat funeste que l'élève était obligé d'étudier cumulativement une foule de matières différentes, inutiles dans la carrière à laquelle il se destinait. Forcé d'étudier cumulativement, rien ne se gravait dans sa tête. On faisait de lui un perroquet, une réponse à un questionnaire.

Les études perdaient donc en intensité ce qu'elles avaient acquis en étendue désordonnée, et il n'arrivait que trop souvent de voir le jeune homme sorti du jury oublier bien vite ce qu'il avait appris d'une manière si peu conforme à l'organisme.

Voilà la position que la loi avait faite à la jeunesse, position que les jeunes gens déploraient, que le pays tout entier devait désapprouver. Il en résultait que forcé d'étudier une foule de matières complètement différentes, étrangères même à la profession à laquelle il se préparait, l'élève s'attachait à trouver une solution à des questions sur des matières qui plus tard ne devaient plus lui servir. Ce temps était perdu pour l'étude des matières nécessaires à la carrière qu'il devait embrasser, pour ses études professionnelles, et après ces études, lancé sans guide dans cet océan sans rivage, il ne savait pas donner une direction réellement savante à ses travaux.

C'est un grand vice de la loi de 1835. Pour mon compte, je félicite le gouvernement d'avoir porté remède à un si grave abus, à un mal aussi préjudiciable aux études et à la fois à la jeunesse. Au moyen de la loi présentée, l'élève aura cet avantage que les matières d’examen étant débarrassées de ce qui était superflu, il pourra, disposant d'un temps plus considérable, se livrer à une étude approfondie des matières nécessaires à sa carrière; il sortira donc de l'université bien plus fort, bien plus capable qu'avec le système précédent. La science y gagnera, ainsi que la santé des jeunes gens.

Loin de moi de penser que les élèves sortis des universités pendant ces quinze dernières années n'ont été que des sujets médiocres.

Je reconnais que notre brillante jeunesse a fourni à toutes les carrières des sujets distingués. Ce n'est pas la jeunesse que j'attaque; c'est la loi de 1835 qui a affaibli ses études. Sous ce rapport, je remercie le gouvernement d'avoir compris que le temps était venu de simplifier les matières d'examen, d'y donner un caractère professionnel.

Il ne faut pas s'y tromper, dans la loi sur l'enseignement universitaire, deux intérêts d'une nature opposée sont en jeu : l'intérêt du professeur ; l'intérêt de l'élève, et je dois le dire, la loi de 1835 a trop négligé l'intérêt de l'élève, au profit du professeur. On s'est préoccupé uniquement de savoir ce que deviendrait le professeur, si l'on ne contraignait pas les élèves à suivre ses cours.

A mon avis, sous ce rapport, on s'est trompé. Ce n'est pas pour les professeurs que les universités sont établies, c'est pour les élèves. Ce sont eux qui doivent être l'objet de notre sollicitude. Aussi, dans le projet de loi, c'est de la jeunesse qu'on s'occupe; c'est son sort qu'on améliore. Je remercie le gouvernement d'avoir porté remède à un système qui devait nécessairement porter de mauvais fruits, et qui souvent même a compromis jusqu'à la santé des élèves.

Dans ce nouveau système, il a fallu dédoubler les études : au lieu de faire porter l'examen à la fois sur les branches d'études de l'enseignement moyen et de l’enseignement supérieur, le gouvernement propose un grade d'élève universitaire, qui aura l'avantage de prendre l'élève au sortir du collège, de l'interroger sur les matières qu'il vient d'apprendre, et de dégager ainsi l'examen supérieur de tout ce qui est nécessaire pour la philosophie, le droit et la médecine, pourvu qu'il ait prouvé qu'il avait acquis les connaissances préliminaires dans le cours de ses études humanitaires. C'est dans ce but que l'on vous propose la création du grade d'élève universitaire.

Je donne, messieurs, ici encore mon assentiment à la mesure qui vous est présentée, mesure qui, sans nul doute, aura ce résultat de fortifier les études humanitaires, comme on vous l'a dit, et de dégager les études universitaires de ce qui, en réalité, n'aurait jamais dû y appartenir.

Mais précisément à cause que j'adhère au système du gouvernement, je désire, pour mon compte, le rendre parfait, et je ferai remarquer que, dans le système qui nous est présenté, il est à craindre que le jury ne soit pas réellement pratique.

Permettez-moi, messieurs, à cet égard une simple observation de calcul.

Le jury qui devra décerner le grade d'élève universitaire doit fonctionner entre la fin de l'année scolaire des humanités et le commencement de l'année scolaire académique, c'est-à-dire qu'il doit accomplir sa mission pendant ce qu'on appelle les grandes vacances, ainsi depuis la fin d'août jusque vers le 10 octobre.

Le nombre des élèves qui entrent dans les universités annuellement est, chiffre moyen, d'environ quatre cents. Or, comment est-il possible qu'un seul jury puisse examiner quatre cents élèves dans le cours de six semaines?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y en aura plus d'un.

M. Dumortier. - Il y en aura plus d'un. Mais je prendrai la liberté de vous faire remarquer que le dédoublement des questions, d'après l'exposé des motifs, n'est qu'un dédoublement pour les matières d'examen, et que chaque élève devra passer successivement devant les trois jurys, puisqu'on promet un dédoublement pour les diverses matières, de manière à faciliter l'examen.

Vous aurez donc en général 400 élèves qui se proposeront d'entrer dans les universités. Or, comment est-il possible d'imaginer qu'un jury, fonctionnant pendant six semaines et se transportant de ville en ville, puisse examiner 400 élèves?

D'ordinaire, messieurs, nos jurys d'examen ne peuvent examiner jour par jour que 4 élèves. Il faudrait donc 100 jours d'examen pour les 400 élèves que vous aurez à examiner; par conséquent, il faudrait trois mois.

Il en résulterait de deux inconvénients l'un : ou que l'élève devrait manquer la fin de la rhétorique ou qu'il ne pourrait assister au commencement des cours de l’année académique. Ce seraient là de véritables abus, et je suis convaincu que ce n'est pas du tout l’intention du gouvernement qu'il en soit ainsi.

Ce n'est pas tout, messieurs, le grade d'élève universitaire sera recherché non seulement par les jeunes gens qui se destinent aux universités, mais par une foule de jeunes gens qui voudront embrasser la carrière de l'administration. Beaucoup de jeunes gens qui n'ont pas les moyens d'aller fréquenter les universités, mais qui auront terminé leurs études humanitaires, voudront prendre le diplôme d'élève universitaire, afin de s’en former un titre pour entrer dans des fonctions publiques quelconques.

Il y a plus ; les jeunes gens qui se destinent à entrer dans les séminaires prendront le grade d’élève universitaire pour s’en former un titre.

Dans quelques années donc, dans un temps rapproché, nous arriverions forcément à ce résultat que le nombre des élèves que le jury aura à examiner sera présumablement le double de celui des élèves qui entrèrent dans les universités. Je ne serais pas surpris, pour mon compte, si avant très peu d'années le nombre des personnes qui solliciteront le (page 1649) grade d'élève universitaire s'élevait à 600 ou 800 chaque année. N'est-il pas évident dès lors qu'il sera nécessaire de former plusieurs jurys, des jurys provinciaux par exemple, ou bien des jurys nommés pour une réunion de plusieurs provinces qui offrent moins d'établissements d’instruction moyenne que les autres.

Devant ces jurys les jeunes gens pourraient passer leurs examens sans se déplacer, comme le dit la loi, et pourtant dans le cours des vacances, qui commencent au mois d'août pour finir au commencement d'octobre. Je ne doute pas, messieurs, que lorsque nous en serons à l'examen des articles, une modification dans ce sens n'obtienne l'assentiment de l'assemblée et ne soit même appuyée par le gouvernement.

Si j'approuve, messieurs, la création du grade d'élève universitaire, je dois cependant faire ressortir tout ce que cette création pourrait avoir de dangereux pour la liberté de l'enseignement moyen, si la disposition que la section centrale a introduite dans le projet, pour le jury du haut enseignement, n'était étendue au jury pour la collation du grade d'élève universitaire.

M. Delfosse, rapporteur. - Elle s'y applique.

M. Dumortier. - Ce n'est pas dans le projet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est la pensée du gouvernement. Si la chose est nécessaire, ou pourra introduire un amendement dans le projet.

M. Dumortier. - Ainsi, cette difficulté est résolue. Eh bien, je déclare, pour mon compte, que cette partie du projet encore aura mon plein et entier assentiment. Je suis heureux de me rencontrer ici encore avec le gouvernement. Cela prouve de nouveau la sincérité des paroles que l'honorable M. Rogier a prononcées il y a trois jours, lorsqu'il dit qu'il ne voulait pas porter atteinte à la liberté d'enseignement.

J'arrive, messieurs, à la question du jury d'examen, question singulièrement controversée et qui a donné lieu, dans cette enceinte, depuis bien des années, aux discussions les plus vives.

Plusieurs orateurs ont blâmé fortement et outre mesure, selon moi, le principe de la loi de 1835. J'ai été, messieurs, un des plus ardents promoteurs de ce principe, et je dois à la chambre d'expliquer comment et pourquoi nous avons admis l'intervention des chambres dans la nomination du jury d'examen.

Pour bien comprendre la position que nous avons prise en 1835, dans la loi sur le jury, il faut se rendre compte de l'action du parlement depuis 1830 jusqu'en 1840, c'est-à-dire pendant les 10 premières années de la régénération de la Belgique. A cette époque, messieurs, le libéralisme ne s'entendait pas dans le sens exprimé par d'honorables orateurs qui m'ont précédé. Il n'y avait point alors de questions dans le genre de celles dont on a parlé. Leur libéralisme était tout autre chose : il consistait à assurer dans toutes les lois politiques l'action des corps délibérants issus de l'élément populaire, à établir le gouvernement du pays par le pays.

Relisez, je vous en prie, les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte depuis 1830 jusqu'à 1840, sur toutes les lois organiques, sur la loi communale, sur la loi provinciale, sur la loi d'instruction, sur les lois relatives à la collation et à la perte des grades militaires; vous verrez que la pensée des hommes avancés du libéralisme, de ceux qu'on qualifiait de bousingots de l'assemblée (interruption)... oui on nous qualifiait ainsi, c'était l'épithète du jour; que la pensée de ces hommes n’était autre chose que celle-ci :

« Nous voulons le gouvernement du pays par le pays; nous voulons la moindre action possible du gouvernement et la plus grande action possible des corps électifs dans les affaires publiques. (Interruption de M. le ministre de l'intérieur.)

Je sais, mon honorable collègue, que nous n'étions pas alors tout à fait d'accord ; que vous défendiez le système de l'action du gouvernement; que nous défendions le système contraire.

Ah! nous n'étions pas seuls. Sans doute, le banc de Tournay a eu une part très honorable dans les actes publiques de cette époque ; mais il n'était pas isolé; avec lui marchaient des hommes considérables, tels que les Gendebien, les Séron, les de Robaux, que le libéralisme ne désavouera pas, qui défendaient avec nous le système du gouvernement du pays par le pays. Et sans cette opposition ferme et vigoureuse, peut-être aujourd'hui la Belgique ne serait-elle plus ce qu'elle est.

Voilà, messieurs, la grande pensée qui a présidé à la discussion de toutes nos lois organiques de 1831 à 1840; nous voulions en toutes choses fortifier l'action des corps électifs. Notre axiome était celui-ci ; Le gouvernement a toujours assez de pouvoir pour faire le bien, et toujours trop de pouvoir pour faire le mal.

Messieurs, vous avez dans cette explication si simple et si vraie, la raison de la formation du jury par les chambres.

Et, messieurs, le mot seul de jury n'indiquait-il pas que le gouvernement ne devait pas être chargé de le composer ? Dans aucun autre pays, le gouvernement n'a fait un jury. Est-il entré dans la pensée de personne de donner au gouvernement le pouvoir de composer le jury en matière politique? En matière d'enseignement, nous avons voulu former un grand jury national ; ce jury ne pouvait être composé que par les chambres, pour conserver la prérogative des pères de famille dans la liberté.

C’est le principe qui nous a dirigés, et qui nous a dirigés à tel point que la plupart d’entre nous ne voulaient même pas que le gouvernement eût la moindre part à la composition des jurys. Ce principe n’avait rien d’étroit ; il était large, trop large peut-être, comme principe.

Vient ensuite l'application. Ici, messieurs, j'admets de grand cœur tous les reproches qui ont été adressés à l'application par tous les orateurs qui m'ont précédé.

Oui, il est vrai de dire que la majorité de cette époque s'est montrée intolérante dans ses votes; il est vrai de dire que la majorité n'a jamais compris ce qu'elle aurait dû comprendre : qu'elle ne serait pas toujours majorité; il est vrai de dire qu'elle avait parlé au nom de la liberté, et qu'elle aurait dû défendre la liberté par ses choix.

Je n'accepte aucune part de la responsabilité qui incombe à l'ancienne majorité du chef de ces votes. Plusieurs de mes honorables collègues pourront l'affirmer, je suis sorti souvent de cette enceinte, pour ne pas voter comme les membres de la majorité.

Je ne prends donc ici que la défense du principe ; je ne prends pas la défense de l'application du principe; au contraire, je l'ai combattue fréquemment dans les conversations privées ; je n'entends pas en assumer la responsabilité.

Voilà comment les faits se sont passés. Cependant dans son ensemble, le jury a été impartial et n'a jamais été accusé de partialité. Maintenant qu'arrive-t-il? Les opinions ont fait un mouvement, on demande que le gouvernement ait la nomination du jury d'examen, on présente cela comme la pensée du parti libéral.

Pour moi, messieurs, si j'abandonne l'ancien système, c'est parce que j'ai vu les abus de l'application d'un principe que je persiste à trouver excellent. Si vous vouliez en user, je dirais : faites-le ; donnez à vos devanciers une leçon de sagesse. Mais vous ne voulez pas en user; je ne crois pas que j'aurais la moindre chance de le faire maintenir. Je suis donc forcé de me rejeter sur un autre système. Quel est le système auquel on doit donner la préférence ? Je vais parler avec la sincérité que je mets dans tous mes discours : en pratique tous les systèmes sont, selon moi, assez indifférents ; quel que soit le système que vous adopterez, vous arriverez au même résultat, à une véritable justice distributive.

Le gouvernement ne veut pas autre chose; le voulût-il, qu'il ne le pourrait pas; la liberté si grande dont jouit la presse, la liberté de la tribune, qui n'est entravée par rien, y rappelleraient bientôt le gouvernement s'il s'en écartait.

De sorte que, quel que soit le système qu'on adopte, on arrive au même résultat, une juste répartition.

Cependant, à côté du fait pratique vient la question du droit. Convient-il ou ne convient-il pas que, dans une loi que nous faisons relative à une matière aussi délicate, qui touche à tant d'intérêts, qui pour beaucoup de personnes est considérée comme mettant en péril la liberté d'enseignement, ne convient-il pas d'insérer des garanties pour rassurer les timorés, les craintifs, qui désirent voir ces garanties dans la loi?

Pour ma part, j'examinerai les amendements qui seront présentés, je voterai ceux dont je trouverai le système meilleur, mais je forme le vœu que des garanties puissent être insérées dans la loi afin de donner satisfaction au public qui le désire, aux établissements libres qui le réclament, afin d'amener la paix sur cette matière si importante et qui peut si facilement soulever les passions dans le pays.

Je ne partage pas, messieurs, l'opinion des membres qui disent : Introduire les noms des universités qui devraient fournir les candidats, ce serait un privilège. Je ne pense pas que ceux qui désirent qu'on introduise les noms des universités libres veuillent exclure les universités de l'Etat. Il y aurait privilège si les seules universités libres étaient investies de ce droit, mais non quand vous l'accordez aux établissements de l'Etat comme aux autres.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et les études privées.

M. Dumortier. - J'y viens. Le jury doit être impair; rien ne s'oppose à ce qu'un membre représente les études privées, si au lieu de sept membres le jury n'est composé que de cinq membres; vous feriez une économie des deux diplômes, sur les dépenses des jurys d'examen, et chacune des universités, et les études privées seraient représentées dans une proportion égale. Mais, dit-on, il pourrait se former une troisième université dont les principes seraient tels que nous ne pourrions pas les approuver, dont les principes seraient subversifs de l’ordre social, des lois, de la Constitution, et vous iriez composer un jury avec de pareilles gens!

Je répondrai que précisément parce que ce seraient des principes subversifs de la Constitution, je ne l'admettrais pas; et cela n'est pas à craindre. Nous avons deux universités libres, d'opinions différentes, mais qui, toutes deux, donnent des garanties de leur respect pour la Constitution. Voilà quinze années que ces universités fonctionnent; est-ce que la jeunesse qui en est sortie est socialiste ou communiste ? Certainement non.

Vous trouverez en elle des hommes disposés à défendre la Constitution et toutes vos libertés constitutionnelles, à consacrer leur plume, leur talent, tous les efforts à la défense de notre nationalité, qu’ils soient sortis des universités libres ou des universités de l’État. Il n’y aurait donc pas de privilège, et s’il y a privilège, c’est pour les universités de l’État.

Savez-vous, messieurs, ce qu’ont coûté ces universités depuis l’année 1832 ? Neuf millions 75 mille fr. Je vous demanderai ce qu’ont coûté les deux universités libres ? Non seulement elles n’ont pas coûté un million, mais elles n’ont pas coûté un centime pour leur organisation et leur existence.

Si donc il y a privilège quelque part, c’est là ; car le privilège d’argent est le plus grande de tous.

- Un membre. - C’est dans la Constitution !

(page 1650) M. Dumortier. - Il n'est pas dit dans la Constitution qu’on donnera 9 millions en 13 ans.

Voilà donc un privilège, un privilège immense. Quel en a été le résultat? Il me paraît que bien qu'on parle beaucoup de liberté, il règne chez certains membres de l'assemblée quelque chose qui me dit que ce n'est pas de la liberté qu'on veut.

Comparons donc le résultat des deux systèmes sur le père de famille. Quel a été le résultat des deux modes quant au nombre de jeunes gens qui se sont présentés et provenant de chacune des universités? J'ai ici le tableau des élèves qui se sont présentés au jury d'examen depuis la création jusqu'en 1846.

Il résulte de ce tableau que les universités de l'Etat ont fourni depuis 1836 jusqu'en 1848, 2,551 élèves, tandis que les universités libres ont fourni 3,474 élèves, et les études privées 850. De manière que l'enseignement qui a coûté 9 millions, a fourni 2.551 élèves, et que celui qui n'a rien coûté à l'Etat a fourni 4,524 élèves; c'est-à-dire près du double. Ainsi, la liberté a fourni presque deux fois autant d'élèves que l'enseignement si chèrement rétribué par l'Etat.

Je vous le demande, en présence de tels faits, ne devons-nous pas tenir compte de cet enseignement libre qui chez le père de famille obtient un si grand assentiment?

J'ai entendu un honorable membre nous dire, dans une séance précédente, que les universités libres n'existent pas, qu'elles ne doivent pas avoir les mêmes droits que les universités de l'Etat.

Les universités libres existent ; elles existent en vertu de la loi des lois, en vertu de la Constitution. Elles ont fourni à peu près les deux tiers des élèves qui se sont présentés devant les jurys d’examen.

Quand vous considérez les résultats des examens, vous reconnaissez non seulement que les pères de famille ont eu confiance dans les universités libres, mais encore que cette confiance a été justifiée : en effet, le nombre des élèves des universités libres qui ont obtenu des distinctions est plus considérable que celui des universités de l'Etat. Sans vouloir blâmer les universités de l'Etat, je dis que ce sont des faits dont il faut tenir compte.

Je vous ai indiqué les dépenses qu'avait coûté l'enseignement supérieur, non compris la loi; j'ai fait connaître les imputations du budget relatives à l'enseignement supérieur de l'Etat depuis 1831 jusqu'aujourd'hui. Si nous défalquons les années 1847 et 1848, pour lesquelles j'ignore le nombre des élèves présentés, nous arrivons à ce résultat que jusqu'en 1846 l'Etat a consacré à l'enseignement supérieur 7,822,000 fr., et comme il a fourni jusqu'en 1846, 2,551 élèves, il en résulte que chaque élève sorti des universités de l’Etat, a coûté non pas 1,000 fr. comme ledit la section centrale, mais 3,066 fr.

Ainsi d'une part la liberté qui fournit les, deux tiers des élèves et qui ne coûte rien. D'autre part, les universités de l'Etat coûtant 9 millions en 18 ans, et fournissant des élèves qui coûtent en moyenne 3,066 fr. à l'Etat.

Ne croyez pas que je veuille conclure de ces paroles qu'il faille le moins du monde porter atteinte aux universités de l'État. Mais je ne veux pas, par cela seul que le présent et l'avenir des universités libres seraient garantis, qu'on y trouve un motif de privilège en leur faveur. J'ajoute que s'il y a un privilège, ce doit être pour la liberté, et non pour les établissements du gouvernement.

Le dernier objet que soulève la loi est relatif aux bourses d'études. Le gouvernement demande que les bourses d'études, jusqu'aujourd'hui conférées aux élèves, soient à l'avenir mises exclusivement à la disposition des universités de l’Etat. C'est un système auquel je ne puis donner mon assentiment. J'aurai l'honneur d'en indiquer le motif.

Aujourd’hui, les bourses d'études sont accordées aux élèves, non pas qui entrent à l'université, mais qui y sont déjà, qui en fréquentent les cours et ont subi leurs premiers examens; à ceux qui ont obtenu des grades académiques et que leurs moyens de fortune empêchent de continuer leurs études. A qui ces élèves doivent-ils les distinctions qu'ils ont obtenues? A leurs professeurs. Vous viendriez donc aujourd’hui transférer toutes ces bourses aux universités de l'Etat ! Quelle serait la conséquente de cette disposition? Que vous enlèveriez aux universités libres tous les élèves peu favorisés de la fortune pour les attirer dans les universités de l'Etat. Un pareil système est celui de l'embauchage. Pardon de l'expression. Mais c'est évident.

C'est un privilège que je ne puis admettre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est l'effet de toutes les bourses.

M. Dumortier. - Pardon. Les bourses conférées par le gouvernement le sont après le premier examen. Par conséquent, les élèves qui obtiendraient une bourse devraient sortir de l'université.

Ce n'est pas tout, ce serait un autre privilège. Veuillez remarquer, messieurs, qu'une foule d'élèves ne pourront pas même profiter de ces bourses.

Je suppose un élève de l'université de Bruxelles sans fortune ; sujet très brillant, il a par son mérite obtenu une bourse; vous lui donnez une bourse de 400 fr. à une université de l'État. Croyez-vous qu'une telle bourse lui permette d'étudier dans une ville autre que celle qu'habite sa famille? Evidemment non.

Le système actuel de la collation des bourses est beaucoup plus large, beaucoup plus libéral. En quoi consiste-t-il ? En un avantage aux élèves. N'est-il pas bien préférable d'accorder des bourses aux jeunes gens peu fortunés, plutôt qu'à des établissements fortement subsidiés par le trésor public.

Je voterai pour les bourses, si elles sont accordées aux jeunes gens, en leur donnant la faculté de puiser l’enseignement où ils voudront, soit dans les universités libres, soit par des études privées. Car l'élève qui veut faire des études privées, et qui se distingue d'une manière brillante, a autant de droits à notre sollicitude que s'il sortait des établissements du gouvernement.

Messieurs, qu'y a-t-il de plus cher au monde que la liberté ? Eh bien, c'est la liberté de l'élève que vous allez entraver en le forçant de sortir de l’établissement où il a puisé la première science, et d'aller dans un autre qu'il désirerait peut-être ne pas fréquenter.

Messieurs, je viens d'examiner successivement les quatre points principaux de la loi qui est maintenant en discussion. Vous avez dû voir qu'en règle générale mon opinion est favorable à ce projet, que cependant je désire y voir apporter plus de garanties qu'il n'en contient. M. le ministre de l'intérieur nous donne déjà des garanties quant au grade d'élève universitaire. Ces garanties, j'en suis pleinement satisfait. S'il est possible d'introduire dans les dispositions relatives aux jurys d'examens des garanties semblables, je crois que nous aurons fait une loi qui pourrait satisfaire le pays en faisant disparaître un des plus grands abus qui aient pu jamais exister dans une loi d'enseignement, celui de la complication des études. Rappelez-vous ce qui s'est passé jusqu'aujourd'hui. Très fréquemment, au sortir des études, les jeunes gens étaient exténués de fatigue, étaient épuisés. Il fallait arriver au déclassement des matières d'examen. C'est là un véritable bienfait, et pour mon compte je remercie encore le gouvernement de l'avoir présenté.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je remercie à mon tour l'honorable préopinant de la modération, je dirai de l'impartialité avec laquelle il s'est livré à l'examen du projet de loi. Je ne veux pas, messieurs, interrompre la discussion et empêcher les orateurs qui ne se sont pas fait entendre encore, de nous apporter le tribut de leurs lumières. Je dois seulement, pour faciliter et éclairer la marche de la discussion, faire connaître d'abord à la chambre de quelle manière le gouvernement entend que le jury chargé des examens des élèves universitaires soit composé. Nous avons dit qu'il serait composé dans le même sens que le jury chargé des examens universitaires. Cela veut dire, que le jury d'examen chargé de la collation du grade d'élève universitaire sera composé de telle sorte que les professeurs des établissements publics, dirigés ou subventionnés par l’Etat, n'y soient pas en majorité.

Messieurs, puisque j'ai la parole, je dirai que l'honorable préopinant nous a parfaitement jugés quand il a reconnu que nous étions animés des vues les plus impartiales quant à la composition du jury; que nous cherchions à composer le jury de manière à ce qu'il offrît des garanties à. tout le monde. Nous poussons tellement loin ce désir d'arriver à un jury impartial, que nous repoussons les propositions faites par d honorables adversaires, comme n'allant pas assez loin dans la voie de l'impartialité, de l'égalité, de la liberté.

D'honorables adversaires pensent que tout serait dit, que satisfaction sera donnée à la liberté, lorsque les universités de Louvain et de Bruxelles seront appelés concurremment avec les deux universités de l'Etat à conférer les grades. Nous croyons que cela ne suffit pas ; qu'en dehors des quatre universités existantes, il y a encore des intérêts de liberté à sauvegarder ; que l'enseignement, qui se donne en dehors des limites universitaires, a droit aussi à la protection et aux sympathies de la législature. Pour mieux préciser mon idée, je demande à formuler l'amendement de la section centrale de la manière suivante :

« Le gouvernement composera chaque jury d'examen de telle sorte que les professeurs de l'enseignement privé et ceux de l'enseignement public s'y trouvent en nombre égal. »

Il n'est pas question ici des universités libres. Mais je réserve à l'enseignement libre, donné en dehors de l'enseignement de l'Etat prescrit par la Constitution, je lui réserve dans le jury un nombre de professeurs égal à celui des professeurs de l’enseignement public. N'est-ce pas là, messieurs, de l'impartialité ? Ne faut-il pas tenir compte, je le répète, en dehors des deux universités libres, de l'enseignement donné par des professeurs privés ?

La liberté d'enseignement en Belgique n'a pas encore dit son dernier mot. Je ne présume pas qu'une cinquième, qu'une sixième université vienne à s'élever dans le pays. Il y a quatre universités. Quelques-uns-trouvent que c'est trop. Tout le monde est d'accord pour penser que c'est assez. Toutefois des écoles privées peuvent se former. Nous avons la liberté des opinions en toutes matières. Des professeurs très distingués, de grands philosophes, des savants illustres, que dirai-je, des réformateurs dans toutes les branches des connaissances humaines peuvent se produire , qui ne seraient pas professeurs de l'une ou l'autre de nos universités. Ils sont parfaitement libres d'ouvrir des cours publics, d'y distribuer la science, d'y enseigner leurs préceptes, leurs doctrines. Messieurs, qui vous dit qu'il ne peut pas sortir de la liberté ainsi entendue, ainsi pratiquée, des écoles remarquables, fournissant des élèves très distingués et de grands citoyens? L'éducation publique, en Grèce, à Rome, n'était pas le produit de l'enseignement universitaire. Il y avait alors de très grands professeurs qui formaient d'illustres élèves, de grands citoyens.

(page 1651) On a vu aussi, au moyen-âge, de grands professeurs former des esprits très distingués, et surtout, messieurs, ce qui manque peut-être un peu à notre époque, de grands caractères. Eh bien, il faut faire la part de ces éventualités. Il faut bien penser que la liberté d'enseignement produira un jour dans le pays autre chose que quatre universités, qu'il peut se former de grandes écoles tenues par un seul ou par plusieurs professeurs. Et nous qui faisons la loi, non seulement pour aujourd'hui, mais pour l'avenir, nous devons la mettre à la hauteur de ces grands résultats de la liberté de l’enseignement.

Messieurs, la rédaction dont je viens de donner lecture à la chambre résume d'une manière précise, les intentions du gouvernement qui sont aussi celles de la section centrale. Il n'y a pas ici de privilège pour deux corps universitaires spéciaux. Il y a égalité, d’une part, entre l'enseignement de l'Etat, reconnu nécessaire par la Constitution, et la liberté d'autre part. Ils se trouveront l'un et l'autre sur la même ligne au sein du jury d'examen.

Je ne veux, messieurs, surprendre personne. Je désire que l'idée que je communique à la chambre soit mûrie par chacun d'entre vous, Car, je ne voudrais pas vous proposer une loi dont ceux qui l'auraient votée auraient plus tard à se repentir.

Nous tâchons d'arriver ici à un système digne de la Constitution, digne de la liberté, à un système qui assure à chacun la liberté, et qui ne donne de privilège à personne.

Nous attendrons la suite de la discussion, mais j’ai cru qu’il était utile, dans l'état actuel du débat, de bien préciser la pensée du gouvernement.

M. d’Elhoungne et M. le Bailly de Tilleghem renoncent successivement à la parole.

M. de Mérode. - Dans l'avant-dernière séance, comme j'ai cité à l'appui île mes observations la périlleuse situation de la France, on a cru me réfuter en me disant : Voyez Rome, regardez Rome!

Eh bien, que savons-nous de Rome? Nous savons que les sociétés secrètes y ont organisé la terreur par l'assassinat; nous savons que le peuple de cette grande ville, précédemment tenu en tutelle par la censure des écrits, s’est trouvé tout à coup et sans transition quelconque livré non seulement à la plus grande licence de la presse, mais à la licence exclusive de la presse, licence despotique, qui faisait poignarder le contradicteur assez osé pour essayer de lui résister.

Rien ne prouve, qu'avant ces circonstances extrêmes, le peuple romain fût mauvais; néanmoins, comme tous les peuples, même les mieux élevés, il était corruptible, et si j'étais bien informé par des témoins oculaires, il a présenté, longtemps encore après l'avènement du bienveillant pape Pie IX de très bons éléments. Malheureusement, les hommes capables de gouverner dans des circonstances extraordinairement difficiles manquèrent au pontife, et lorsqu'il eut le bonheur de trouver M. Rossi, cet homme d'Etat habile et courageux tomba sous le fer des « bravi », qui livrèrent Rome à la cohue des démagogues étrangers. Lord Palmerston lui-même vient de le reconnaître par un document officiel.

Mais la France vivait comme nous depuis longtemps sous un régime constitutionnel. Elle n'avait plus à passer du régime ancien au régime nouveau, c'est pourquoi j'ai eu le droit de comparer sa situation avec la nôtre; et d'indiquer les causes de leur différence respective, pour nous tenir en garde contre ce qui pourrait aussi nous perdre. Rome ne fournissait point d'analogie semblable.

Messieurs, de ce que j'ai dit ne résulte pas pour conséquence que je désire changer ce qui existe et affaiblir les universités entretenues aux frais de l'Etat.

Mais ma conclusion clairement posée est, qu'il faut éviter de leur part une suprématie attribuée par la loi qui serait contraire à la plus juste, à la plus inoffensive, et j'ajoute sans hésiter, à la plus conservatrice des libertés.

M. de Haerne. - Messieurs, je renonce à la parole; mais je me réserve de présenter quelques observations dans la discussion des articles.

M. Rodenbach renonce également à la parole.

M. Van Hoorebeke. - Messieurs, je comprends parfaitement qu'en présence de l'impatience de la chambre je dois être bref; je le serai pour un autre motif encore, c’est que je n'ai demandé la parole que pour fournir quelques explications sommaires à la chambre. L'honorable M. Orts et l'honorable M. Dechamps m'ont mis en cause; je leur dois deux mots de réponse.

L'honorable M. Orts, au début du discours qu'il a prononcé en réponse aux considérations que j'avais eu l'honneur de présenter à la chambre, a cru devoir déclarer qu'il devait protester contre l'opinion que j'avais émise. Je commence par dire à la chambre que, quoique profondément attaché à la prospérité de l'université de Bruxelles, je n'ai point parlé dans cette enceinte comme professeur de cette université ; je ne puis parler ici que comme représentant de la nation. Je regrette que l'honorable membre n’ait pas cru devoir articuler un seul fail à l'appui de sa protestation.

L'honorable membre a traité quatre questions. Il a parlé longuement de la fusion des deux universités. Je n'en avais pas dit un seul mot : ce n'est donc pas sur ce point que portait la protestation de l'honorable membre.

L'honorable membre a regretté que cette question n'eût pas reçu de solution. Il me semble que si celle question était résolue dans le sens de l'honorable député de Bruxelles, elle serait moins résolue que jamais. La protestation de l'honorable M. Orts ne pouvait pas non plus porter sur la question qui se rapporte à la collation des bourses, puisque je me suis trouvé d'accord avec lui, à cet égard, au sein de la section centrale.

En troisième lieu, l'honorable M. Orts a recherché très longuement dans les Annales parlementaires les précédents de la question, et il s’est efforcé d'établir une contradiction entre les libéraux de 1844 et des libéraux de 1849, entre M. Delfosse de 1844 et M. Delfosse de 1849; j'ignore, pour ma part, jusqu'à quel point il a réussi, mais quant à moi, je n'ai pas recherché ce genre de succès. Par conséquent, ce n’est pas encore sur ce point que peut porter la protestation de l’honorable député de Bruxelles.

Enfin l'honorable M. Orts a critiqué (et c’est probablement ici l'objet de sa protestation, il a critiqué, moins au point de vus scientifique qu'au point de vue politique, le système de la section centrale. Je demanderai à l’honorable membre si, pour être libéral en cette matière, on doit vouloir plus que ce que j'ai voulu. J'ai voulu deux conditions, une double garantie : la représentation dans la composition du jury des établissements d'enseignement supérieur qui existent, et la représentation des matières sur lesquelles porte l'examen. Cette double garantie, je l'ai réclamée dans les développements que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre. Il y a une différence entre l'honorable membre et moi, c’est qu'il entend le libéralisme avec des restrictions, en limitant la représentation aux établissements qui ont 100 élèves et 4 facultés. Sous ce rapport, j'ai une autre manière de voir que l'honorable membre, mais je crois être resté dans les termes d’un véritable libéralisme.

Je dois un mot de réponse à l'honorable M. Dechamps qui a critiqué les observations très sommaires que j'avais présentées, en réponse au discours de l'honorable comte de Liedekerke.

J’ai prétendu qu’en fait, et laissant de côté la question de principe, il existe en Angleterre un véritable monopole au profit des deux universités d'Oxford et de Cambridge. Je maintiens l'opinion que j'ai émise à cet égard. Cette opinion est parfaitement fondée. Le monopole existe et toute concurrence est, en réalité, impossible. On le comprendra parfaitement quand on considère que l'existence de ces universités remonte au XIIIème siècle, qu'elles ont été dotées si largement, si splendidement par tous les souverains qui se sont succédé, qu'elles sont dotées de privilèges si considérables que d’après des statuts, elles peuvent seules conférer les grades ecclésiastiques. Or le haut enseignement tel qu'il est donné dans ces deux républiques scientifiques et littéraires comprend précisément et principalement la collation des grades ecclésiastiques et la collation des grades nécessaires pour l'exercice, du professorat les avocats et tes médecins ne sortent pas de ces universités. J'ai donc eu raison de dire qu'en fail, ces deux universités oui un véritable monopole.

On oppose l'Angleterre et l'Allemagne à la liberté d'enseignement telle qu'elle existe en Belgique. Mais je demanderai à l'honorable M. Dechamps s'il voudrait de la liberté d'enseignement telle qu'elle existe en Angleterre, s'il voudrait des privilèges qui existent en Angleterre et qui sont parfaitement inconciliables, incompatibles avec la liberté telle que nous la comprenons ici. L'élève, avant d'être admis à l'université d'Oxford ou à l'université de Cambridge, doit signer une profession de foi anglicane. Certainement ce n'est pas là un régime qu'il faille envier à l'Angleterre. C'est même à raison de cette intolérance que l'université dont j'ai parlé a été créée à Londres.

J'ai dit que cette université n'est plus qu'un simple collège, et j'ai eu parfaitement raison : si l'honorable M. Dechamps veut vérifier le fait, il est cité dans la Revue de l’Instruction publique en France, numéro du 15 avril 1849, page 17, article intitule : Organisation de l'enseignement en Angleterre. L'honorable membre trouvera là que l'université de Londres renonça à l'enseignement en 1829, et qu'un collège prit sa place. C'est précisément ce que j'ai dit.

Les universités d'Oxford et de Cambridge ont sous leur dépendance l'un, 24 collèges, l'autre 18, et les élèves, avant d'être adms à l'université doivent justifier d'un certificat d’admission dans ces collèges. Ces universités ont même des exécuteurs des hautes-œuvres, qui sont nommés boule, dogue, et qui ont la charge d'appréhender au corps les turbulents et les tapageurs.

Voilà l'organisation universitaire qui existe en Angleterre, et qui fait, paraît-il, l'admiration de l'honorable M. Dechamps.

Ensuite, les fils aînés des lords, les héritiers futurs de la pairie, sont exempts d'examen ; ils ont droit à leurs grades au bout de trois ou six années d'études.

Les élèves qui fréquentent les universités sont divisés en deux classes : les « noblemen », qui sont les jeunes gens de famille, et les « commoners », qui sont les manants.

La liberté, en Allemagne, telle qu'elle a été réglée par la Constitution de Francfort, est encore une liberté que nous ne devons nullement envier à l'Allemagne et qui certainement ne serait pas du goût de l'honorable M. Dechamps.

En effet, je lis dans cette Constitution, à l'article 4, paragraphes 17 et 18 :

« 17. La science et son enseignement sont libres.

« 18. Tout Allemand est libre d'enseigner comme de fonder des établissements d'éducation et d'instruction, dès qu'il a donné aux fonctionnaires de l'Etat, charges de cette mission, des preuves de sa capacité morale et scientifique, respectivement techniques. »

C'est-à-dire que voilà encore une mesure qui est en opposition avec la liberté d'enseignement, telle que nous la comprenons en Belgique.

M. Dechamps. - Messieurs, je dirai peu de choses en réponse à M. Van Hoorebeke ; la chambre est impatiente de terminer ce débat, que je ne veux pas prolonger.

J’ai soutenu que le système de la collation des grades, tel qu'il existe en Angleterre, est plus libéral que celui qu'on voulait introduire en Belgique.

L'honorable préopinant n'a rien dit qui puisse détruire ce fait, que (page 1652) je maintiens ; sans doute les institutions anglaises ne sont pas les nôtres; il est plusieurs côtés par lesquels elles sont moins libres que les nôtres; J'avais indiqué moi-même que les universités d'Oxford et de Cambridge possédaient certains privilèges, comme celui d'envoyer des membres au parlement. Mais on oublie toujours que ces universités sont des corporations libres, fondées non pas par l'Etat, mais par l'Eglise établie, et je me vois pas quelles conclusions l'honorable membre peut tirer des faits qu’il a rappelés.

Il n'y a donc rien d'extraordinaire si ces universités exigent un serment anglican des élèves qui demandent à en suivre les cours. C'est comme si l'université catholique de Louvain exigeait, et elle l'exige, une profession et foi catholique des élèves qui se destinent à entrer dans cette université, mais que fait ce serment dans la question qui nous occupe?

La question, je vais la rétablir : en Angleterre, lorsqu'une université libre est instituée en concurrence avec l'une des deux universités qui ont été fondées par le culte anglican, cette université a-t-elle le droit de conférer des grades?

L'honorable préopinant a parlé de l'université de Londres, qui a été fondée en 1820, sous le patronage de lord Brougham ; il a dit que cette université n'était plus aujourd'hui qu'un simple pensionnat.

Mais l'honorable M. Van Hoorebeke ignore sans doute que, depuis cette époque, une autre université, qui est très florissante, a été créée à Londres, en 1836, sous le patronage du lord-maire, des archevêques de Canterbury, d'York et d'autres personnages importants. Eh bien, cette université a obtenu, dès 1836, le droit de conférer les grades pour les professions du droit et de la médecine. L'honorable membre pourra trouve les détails sur cette institution dans la Revue britannique et dans les rapports du parlement.

Après cela, je ne veux pas contester que les immenses fondations dont jouissent les universités d'Oxford et de Cambridge rendent la concurrence des autres établissements difficile; mais je ne puis admettre qu'elles exercent un monopole, puisque l'université de Londres est prospère.

Je crois pouvoir me borner à ces observations.

M. Delfosse, rapporteur. - Avant de m'expliquer comme rapporteur, sur la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de l'intérieur, je désire en référer à mes collègues de la section centrale. Je demande donc à n'être entendu que demain.

M. Lelièvre. - Je demande l'impression de l'amendement et un rapport supplémentaire de la section centrale.

M. Dumortier. - Si vous renvoyez tous les amendements à la section centrale, vous ne finirez jamais.

M. Delfosse, rapporteur. - Je ne demande pas le renvoi de l'amendement à la section centrale; je demande à n'être entendu que demain; d’ici à demain je consulterai mes collègues de la section centrale, et alors je pourrai m'expliquer en leur nom comme au mien.

M. Lelièvre. - Cela suffît; je n'insiste pas.

- La chambre remet la suite de la discussion générale à demain pour entendre M. le rapporteur.

La séance est levée à 4 heures.