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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 juin 1849

Séance du 19 juin 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1615) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Quelques habitants de Bruxelles demandent qu'il soit pris des mesures pour la délivrance immédiate des obligations définitives en échange des certificats d'emprunt. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Adolphe Roussel fait hommage à la chambre de 118 exemplaires de son ouvrage intitulé : Observations sur les jurys d'examen et le projet de loi du 22 mars 1849.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du département de la justice

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur le projet de loi qui a pour objet d'accorder un crédit supplémentaire de 45,000 francs au département de la justice , projet dont l'article unique a été adopté dans la séance d'hier.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 71 membres présents.

Ce sont : MM. Rodenbach, Rogier, Sinave, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Dequesne, Van Cleemputte, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Anspach, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, David, de Baillet (Hyacinthe), de Bocarmé, de Brouckere (Henri), Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Faignart, Frère-Orban, Dumon (Auguste), Jacques, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Mascart, Mercier, Moreau, Moxhon, Orts, Pirmez, Prévinaire et Verhaegen.

Projet de loi qui modifie la loi du 27 septembre 1835, sur l'enseignement supérieur

Discussion générale

La parole est à M. de Liedekerke.

(page 1623) M. de Liedekerke. - Messieurs, la gravité et l'importance du projet de loi ne sont pas méconnaissables. Il touche en effet à l'une de nos plus précieuses libertés et à tous les points de l'enseignement, et il les remue profondément. Quelle preuve plus convaincante, plus éclatante en voulez-vous que les longs délais qu'on a mis à aborder cette révision si impatiemment attendue, et combien ces incessants retards ne trouvent-ils pas la difficulté d'accorder des opinions diverses, de concilier des systèmes divergents ?

C'est qu'en effet il n'est rien de plus sérieux, messieurs, que de régler le haut enseignement avec lequel expire la tutelle scientifique; c'est qu'il n'est pas de mission plus haute que celle de donner aux hommes le baptême de la science, des connaissances, et de dire aux uns: Vous êtes aptes à défendre les plus grands intérêts, la vie même de vos concitoyens; vous êtes dignes de les instruire, de les soutenir dans les épreuves de l'existence, de les y préparer.

Messieurs, je voudrais, et c'est un vœu que j'exprime aux abords mêmes de cette discussion, je voudrais que nous pussions tous ici nous dépouiller de toute préoccupation politique.

Fondons cette loi sans arrière-pensée de nos lutte anciennes, et dans un esprit de louable concorde, de conciliation sincère !

Ayons à cœur de donner un nouvel exemple de patriotique union, Car c'est à elle que nous devons, au sein des conflits qui désolent et ravagent le monde, notre paix, notre tranquillité si glorieuses pour nous et nos institutions, si enviées par l'Europe entière! Ne faisons pas une œuvre de majorité contre une minorité; oublions, pour cet instant du moins, ces mots, caractères des dissensions du passé, et réalisons, par de communs, loyaux efforts, une œuvre digne de la science, digne des connaissances humaines, qui s'élèvent et rayonnent vraiment au-dessus de luttes politiques, et qui doivent vivre inviolables dans le sanctuaire de la pensée et de la méditation.

Ce qu'il faut ambitionner, c'est de faire des générations sur lesquelles repose l'avenir, non les partisans de tel ou tel système, mais de libres, de religieux, d'intelligents citoyens qui parvenus à l'âge de la raison, qui fortifiés par de solides principes, sauront à leur tour et dans la plénitude de leur liberté, s'engager dans la voie où ils croiront servir le plus efficacement les éternels intérêts de leur pays.

Pour moi, messieurs, il me semble non moins désirable de sortir enfin d'un provisoire dont chacun sent la trop longue durée, et d'inaugurer enfin une législation fixe et stable, d'enlever à toutes récriminations, et à nos discussions, un sujet qui peut si facilement irriter les passions et semer la division.

Nous ferons, je n'en doute pas, une bonne loi si nous voulons rester fidèles au principe de la liberté d'enseignement, si nous sommes décidés à l'accepter dans sa plénitude, sans vouloir la diminuer, ni la restreindre au profit de qui que ce soit.

Déjà vous en avez jeté les racines profondes dans votre loi sur l'enseignement primaire.

Mais que serait-ce si, en s'élevant, elle venait échouer contre un écueil imprévu dans le haut enseignement?

Il ne saurait s'agir en effet de formuler dans la loi nouvelle ce qui peut accorder plus ou moins de pouvoir, conférer un droit plus ou moins étendu au gouvernement ; mais la question tout entière consiste à ne rien faire qui soit en désaccord avec l'esprit de notre charte, et qui en contrarie l'essence.

Car, il serait superflu de le dire, il est inutile de le rappeler, la liberté d'enseignement n'est pas une simple loi créée par le bon plaisir législatif ; mais elle forme un principe, un dogme constitutionnel, elle émane de la loi des lois, et tout ce qui en contrarierait le libre développement deviendrait par là même inconstitutionnel !

Bien des fois, messieurs, depuis les mémorables événements de ces derniers mois, nous avons rendu hommage au libéralisme, prévoyant de notre Constitution, qui avait deviné et inscrit sur le frontispice de notre édifice politique ces grands principes que d'autres pays poursuivent à travers de si funestes orages, et qu'ils n'atteindront peut-être point au prix même des plus cruels sacrifices.

Nous avons, en effet, fondé et réalisé la liberté absolue de la presse, l'indépendance du clergé, la liberté des cultes, celle de l'enseignement, nous avons affranchi les grands éléments constitutifs de la société; et en face de cette tendance avérée, incontestable de notre civilisation actuelle de reculer le plus possible les limites de la liberté individuelle, nous les avons dégagés des fluctuations, des caprices de majorités.

C'est là une chaîne solide, et qui sert à nous ancrer sur le flot mobile des démocraties modernes. N'en rompons pas, non, n'en brisons pas, j'irai jusqu'à dire n'en limons pas, au nom de notre intérêt, un seul anneau !

Certes, messieurs, en face des deux grandes prérogatives de notre société, l'égalité politique et civile des citoyens, et la libre manifestation des opinions, la question la plus grave sera toujours celle de la liberté d'enseignement. L'Etat ne peut avoir de doctrine; il ne peut en professer d'exclusive ; il pourvoit aux libertés, il ne les inspire pas : et, d'autre part, par l'effet même de sa nature, de sa force, de sa prépondérance, de son active intervention dans tous les grands intérêts du pays, il tend à attirer à lui le plus d'influence possible.

Il faut donc naviguer entre deux extrêmes ; il faut faire voile entre deux écueils.

Nos mœurs, nos traditions, peut-être nos préjugés s'opposent à ce que l'Etat soit étranger au plus éminent intérêt d'un peuple, à l'enseignement, à l'éducation.

Les plus ardents défenseurs de l'Etat ne vont point jusqu'à réclamer pour lui le monopole de l'enseignement, mais aussi les amis les plus susceptibles de la liberté, ne repoussent pas l'intervention raisonnée de l'Etat.

La difficulté est tout entière dans la conciliation de prétentions diverses, et pour moi, je le répète, je la crois possible de la part de l'Etat, sans qu'il abdique la légitime et juste influence qui lui revient du côté de la liberté, sans qu'elle compromette ou abdique un seul de ses droits.

Aussi je regrette profondément que le gouvernement dans son projet, que la section centrale dans le sien, loin d'élargir le principe de la liberté l'ait plutôt comprimé. ou, si vous aimez mieux, circonvenu; qu'on lui ait, en un mot, imposé une gêne véritable.

Je ne doute pas un seul instant qu'avec quelques modifications essentielles, il est vrai, au point de vue des partisans sincères de la plénitude de la liberté d'enseignement, le projet n'eût passé avec un assentiment presque unanime.

Mais je dois le dire avec une franchise sans détour, il y a une tendance trop marquée, trop exclusive dans le ministère pour régler les matières les plus importantes, les plus décisives en fait d'enseignement par la voie administrative, qui n'est au fond que l’omnipotence ministérielle tolérée, appuyée et sanctionnée par une majorité.

Et si cette parole paraît un peu rude, je l'adoucirai en disant que je ne songe pas à incriminer, à soupçonner les intentions mêmes du ministère; je n'irai pas jusqu'à le taxer de tendances partiales et absolues, qui d'ailleurs ne seraient plus guère justiciables de nos jours, et n'auraient que peu de chances de durée.

Mais c'est parce que je suis prêt à rendre hommage à son impartialité qu'il me semblerait digne de lui d'éviter tout ce qui porterait le caractère de l'arbitraire, tout ce qui lui conférerait des pouvoirs trop étendus, tout ce qui lui donnerait une latitude dans laquelle il pourrait atteindre des extrémités dangereuses.

Le projet ministériel, tel qu'il est formulé, correspond-il dans ses parties importantes à cette tolérance, à cette judicieuse modération qu'annonce l'exposé des motifs, et lorsqu'elles devraient s'y manifester avec le plus d'éclat, ne sont-elles pas singulièrement amoindries et même effacées dans le projet de loi?

En effet, que dit l'exposé de motifs? Quels sont ses désirs et ses vœux? « Tenir la balance égale entre l'instruction privée et celle de l'État, ne donner dans la composition du jury de faveur réelle ou apparente à personne, et encore cette impartialité le gouvernement la désire complète et sincère. »

Messieurs, l'on ne peut méconnaître le prix de pareils aveux , et l’on ne peut que le féliciter de tels sentiments.

Aussi, la surprise est-elle profonde quand on découvre qu'ils aboutissent à l'article 40 dont le laconisme ne diminue pas toute la gravité. « Le gouvernement, y est-il dit, procède à la formation des jurys chargés de» examens et prend les mesures réglementaires que leur organisation nécessite. »

C'est, messieurs, de l'autocratie toute pure en fait d'enseignement!

Comment ! le principe de l'indépendance de la nomination des jurys a toujours paru si important, que ne sachant comment l'assurer assez pleinement, on l'avait partagé entre le pouvoir législatif et exécutif, appelant ainsi à concourir, à se balancer entre eux les susceptibilités, les scrupules, la jalouse sévérité des différentes grandes branches du (page 1624) pouvoir l'un envers l'autre, et puis soudainement l'on vous propose d'abandonner ces importantes nominations au bon vouloir du gouvernement !

Vous dites qu'il faut avant tout, et je crois que l'intérêt, la valeur de l'enseignement, la dignité de la science le réclament, des jurys scientifiques, et non politiques ; vous dites qu'il faut les élever au-dessus de la mobilité des majorités, et au même moment vous en remettiez la nomination à un ministère, qui est avant tout l'expression du principe politique qui prédomine.

Vous reconnaissez, et comment ne le feriez-vous pas, que la nomination des jurys est de toutes les questions la plus haute, la plus sérieuse, qu'elle est le pivot de la liberté de l'enseignement, et vous ne l'élevez pas au-dessus de l'importance d'un simple règlement administratif. Etrange contradiction !

Vous soutenez vouloir tenir la balance égale entre l'instruction privée et celle de l'Etat. Mais si, comme je le crois, vous êtes sincères, qui vous détourne de formuler cet équilibre nettement, carrément dans la loi.

Sans doute, depuis hier, grâce à l'interpellation de l'honorable M. Orts, nous avons fait un progrès; mais l'adoption de l'amendement de la section centrale me paraît insuffisante et j'en donnerai plus loin les motifs. Il ne faut pas que cette importante et précieuse liberté ait des apparences d'indépendance, elle mérite mieux que cela.

Vous parlez de votre amour de justice et l'honorable rapporteur de la section centrale rend un hommage flatteur, auquel son austère parole donne un prix particulier, à votre impartialité.

Je m'y rallie volontiers à travers quelques réserves, mais enfin est-ce au point de vue des principes ou à celui des personnes que nous aurons à concerter nos lois?

La chambre trouvera-t-elle une garantie suffisante d'exécution pour les lois dans les personnes chargées de les appliquer?

Cette garantie ne peut-elle leur manquer d'un jour à l'autre? Vous êtes modérés aujourd'hui, le serez-vous demain? Vous voulez l'équilibre maintenant, le voudrez-vous toujours?

Qu'est-ce que la destinée ministérielle, la longévité ministérielle en ces jours incertains et agités?

Ne peut-elle cesser soudainement, ne pouvez-vous avoir à céder vos places à des hommes exaltés, passionnés, excessifs ? Une loi est un frein toujours puissant. On ne la brise pas impunément, les susceptibilités du pays seraient trop vivement éveillées; mais s'il ne s'agit que d'un arrêté, que d'un simple règlement administratif, il peut passer et changer du soir au malin.

Enfin pour nous rassurer davantage, vous invoquez comme un contrôle vigilant, incessant, qui doit apaiser les craintes de tous, la surveillance parlementaire, les critiques de la presse, les réclamations de l'opinion publique!

Vous nous indiquez là des obstacles insurmontables qui vous arrêteront, vous retiendront, si vous pouvez songer à méconnaître la justice et la modération !

Sans doute, ce sont là des considérations très sérieuses, très vraies, très influentes; mais ce ne sont pas des garanties légales.

D'ailleurs, l'esprit de parti peut s'emparer des critiques les plus vraies, et la travestir au point de les dépouiller de leur probité même !

La surveillance parlementaire, mais elle n'est pas incessante, et d'ailleurs la discussion des noms propres au sein du parlement est presque impossible. Elle blesse toutes les convenances, elle répugne à la délicatesse individuelle.

L'opinion publique est souvent lente à se former, elle ne prévient pas le mal, elle le condamne quand il est accompli, et toute sa puissance n'éclate que lorsqu'elle est fortement excitée par le spectacle d'un grave péril, d'une menaçante éventualité !

Mais scrutons de plus près les motifs principaux sur lesquels le ministère s'appuie pour inaugurer ce système inouï d'une nouvelle législation administrative. Il en émet deux.

Comme il s'agit, dit-il, d'un système très nouveau, inexpérimenté jusqu'à présent, il est utile et désirable que le gouvernement puisse sans délai aviser aux inconvénients qu'il n'avait point prévus. Mais, messieurs, je vous le demande franchement, cette raison dans la bouche du gouvernement est-elle bien sérieuse? La prend-il pour guide dans tant d'autres matières non moins importantes sur lesquelles il appelle une délibération?

Pourriez-vous, d'ailleurs, en votre qualité de législateurs, abdiquer l'un de vos droits les plus importants, et vous réduire à un simple rôle d'expectative?

Je veux bien que la loi soit fautive, elle le sera probablement, c'est le sort de presque toutes les lois humaines; mais ne peut-on, dans ce cas, comme dans tous les autres, invoquer vos lumières pour en réparer les erreurs, pour en combler les lacunes? Votre zèle et votre activité feraient-ils défaut? Comment expliquerait-on, comment justifierait-on le droit que vous conféreriez, en une matière si haute et si délicate, au ministère d'innover seul, sous sa propre responsabilité, de changer, de réformer selon ses inspirations personnelles?

Je sais que l'on dit qu'après tout, nommer le jury ce n'est point faire une loi.

Messieurs, ne croyons pas sortir d'embarras par des équivoques.

Je confesserai, si vous voulez, sans peine, que la nomination matérielle du jury n'équivaut pas à faire une loi. Mais il n'en restera pas moins évident pour tous les esprits de bonne foi que le mode de constitution du jury ne saurait être organisé que par une loi. Est-il rien de plus important que le maintien du principe de la liberté d'enseignement? Et ne la faussez-vous pas évidemment si vous en livrez l'application, dans l'une de ses parties les plus précieuses, à une simple décision ministérielle?

Quoi! lorsque M. Nothomb proposa une loi sur la même matière en 1844, quel était son but avoué? Remédier à la prépondérance supposée de l’université catholique. Mais d'où dérivait-elle? Sans doute de ce que le jury était nommé par une chambre et un ministère dont la majorité était censée favorable à cette université.

Mais croit-on donc que si le jury était nommé sans garantie, sans contrôle par le ministère, qui ne serait que l'expression d'une majorité quelconque ; croit-on qu'il ne faudrait pas craindre que cette même prépondérance ne ressuscite et n'éclate avec plus de force en faveur des universités de l'Etat, ou de telle autre institution qui serait sympathique à l'opinion dominante?

C'est ici que je touche, messieurs, aux modifications de la section centrale. Comment celle-ci mitige-t-elle le projet du gouvernement?

D'abord en fixant un terme de trois ans, au bout desquels la loi devra être renouvelée, et pourra, si elle était mauvaise, être changée. Ainsi, messieurs, après quatorze années de tâtonnements, d’hésitations, nous aboutissons de nouveau à du provisoire, mais un provisoire, certes, beaucoup trop longs si la loi n'est pas bonne. Voilà donc tout le remède, insuffisant à mes yeux, si la loi révèle des inconvénients majeurs, inutile, si l'on est assez assuré de sa bonté pour insister sur son adoption.

Enfin, messieurs, daignez-y réfléchir; quand vous aurez investi pendant trois années le gouvernement d'un tel droit, soyez persuadés qu'il sera fort difficile de le lui retirer. L'on peut facilement ajouter aux droits et à l'influence du pouvoir, mais c'est porter une grave atteinte à sa force, à son autorité, morale que d'essayer de l'en dépouiller.

Le second adoucissement qu'introduit la section centrale est d'inspirer au gouvernement l'obligation de ne pas mettre dans la composition du jury les professeurs de l'Etat en majorité. Messieurs, je l'ai déjà dit et je le répète, j'applaudis au pas que la section centrale a fait. Pourquoi, messieurs, s'arrêter en si belle voie? Car enfin je m'empare de cette concession et je dis que c'est reconnaître qu'il faut une garantie contre la prépondérance des universités de l'Etat,

C'est admettre qu'elle peut être fatale aux institutions libres. Oui, vous reconnaissez qu'il faut choisir en dehors du corps professoral de l'État des hommes qui apporteront d'autres éléments d'indépendance, d'autres garanties dans la composition du jury.

Mais si vous nous faites cette concession, allez plus loin, dites avec nous qu'il faut aussi des garanties légales contre l'Etat, contre les ministères d'aujourd'hui, de demain, de tous les temps, car ses sympathies peuvent réaliser tantôt en faveur des universités de l'Etat ou de toute autre institution.

N'ayez pas de l'impartialité en théorie, en doctrine, mais laissez-la pénétrer ouvertement, franchement dans la loi aux yeux et de l'aveu de tous.

Non, je le répète, le système de la section centrale, quel que soit l'effort louable en lui-même qu'il révèle, ne saurait me satisfaire, il me semble insuffisant, et sa condescendance n'aboutit pas à dissiper ou à calmer mes inquiétudes.

Le second motif qu'allègue le gouvernement est celui de ne point vouloir se lier envers les institutions libres, de ne point leur conférer un droit irrévocable, ce qui arriverait infailliblement, si l'on adoptait à leur égard une disposition législative. Vous dites que de leur reconnaître par la loi un droit quelconque, c'est les ériger en personne civile. Je le nie.

Ce sont des personnes scientifiques connues, nées par la puissance de l'article 17. Voilà leur maternité et leur paternité légale, irrécusable, et vous ne pouvez pas leur dire : Soyez et ne soyez pas, vivez et ne vivez pas.

L'existence des universités libres est un fait résultant d'un principe constitutionnel, et vous ne sauriez vous soustraire à son autorité, sans altérer le principe même.

Vous viendrez peut-être soutenir que l'intervention que vous accordez ainsi aux universités libres dans la constitution du jury sera une des causes principales qui perpétueront leur existence, et que vous n'en avez ni le droit ni l'obligation.

Messieurs, je répondrai à cela qu'elles existent, non parce qu'elles interviennent, mais qu'elles interviennent parce qu'elles existent.

Ce que je demande, c'est de voir entourer cette intervention de garanties suffisantes. Je ne veux pas que le gouvernement se lie envers les universités libres, mais je réclame pour elles et par la loi des droits suffisants qui les mettent sur un pied d'égalité avec celles de l'Etat.

Comment! le gouvernement a un intérêt direct dans les universités de l'Etat, il est pour elles à la fois juge et partie, et vous iriez lui abandonner sans restriction, sans garantie légale et suffisamment définie, la nomination du jury et bien plus encore le droit inouï, exorbitant, de changer, de modifier la constitution comme il l'entendrait. Vous alléguez encore que vous n'exercez aucun contrôle sur les universités libres, et que celles-ci peuvent perdre ce caractère, et même refuser leur concours.

Messieurs, ces objections me touchent peu, et me semblent être d'une bien faible valeur.

Si une telle institution perdait son caractère universitaire, mais soyez assurés que la notoriété publique, l'incapacité des élèves sortant de ses bancs, l'indifférence des familles ne tarderaient pas à trahir son insuffisance.

(page 1625) Son nom ne suffirait pas pour voiler sa détresse, sa faiblesse intérieure, présages de sa chute prochaine. Aussi, si dominée par je ne sais quelle complication extraordinaire de circonstances, elle refusait son concours pour la constitution du jury, mais qu'aurait-elle fait? Elle se serait volontairement dépouillée d'une précieuse prérogative, et augmenterait volontairement la prépondérance et l'importance de ses rivales.

Messieurs, je touche enfin à l'organisation elle-même du jury.

La tendance fondamentale, la pensée dominante du ministère est de faire examiner autant que possible les élèves par leurs propres professeurs. Chaque phrase de l'exposé des motifs trahit cette préoccupation.

Mais alors pourquoi le projet ministériel se cabre-t-il si vite?

Pourquoi ne pas fonder quatre jurys au lieu de deux; pourquoi se borner à confier légalement des droits à deux universités de l'Etat auxquelles on adjoint par pure bienveillance, par une tolérance qui peut cesser d'un moment à l'autre, des professeurs des deux autres universités? Pourquoi alors, je vous le demande, ne point adopter ce système bien plus simple des universités conférant elles-mêmes leurs grades, puis un jury professionnel, nommé avec des garanties suffisantes en dehors des membres des corps enseignants universitaires, et qui délivrerait des « brevets de pratique » !

Je sais que l'honorable rapporteur de la section centrale y voit de grands inconvénients, qu'il y mêle même certaines appréhensions.

Je ne veux pas, dit l'honorable M. Delfosse, de la collation des grades académiques par les universités, parce que c'est un acte de la puissance publique, et qu'un tel acte ne peut lui être confié.

Soit, messieurs, je ne discuterai pas la question de savoir jusqu'à quel point le gouvernement est apte à donner ce haut brevet de capacité. J'admets ce principe facilement controversable.

Mais croit-on vraiment, sérieusement que cette collation des grades académiques préparatoires par les universités serait si dangereux!

Mais on oublie trop, me semble-t-il, la responsabilité morale qui pèse sur tout corps enseignant ! Responsabilité si haute, si grande, et qui faisait la force et la gloire des anciennes universités, et des plus illustres qui aient marqué dans les annales de la science.

Suppose-ton donc que ces institutions seraient tentées de s'exposer à une humiliation publique, qui deviendrait vraiment honteuse, si elle était souvent renouvelée, si des élèves admis au grade préparatoire étaient fréquemment repoussés par le jury professionnel !

D'ailleurs, messieurs, les universités d'Allemagne, d'Angleterre ont ce même privilège avec des nuances dans l'application. Ces pays sont-ils donc distancés en fait de science et de lumière ?

Messieurs, je découvre de graves inconvénients dans la composition du jury telle qu'elle est proposée par le gouvernement.

Je crains qu'il ne naisse un compromis entre les deux fractions qui composeront le jury. Cela est du moins possible.

L'on se fera des concessions réciproques, il y aura là un échange de bons procédés, qui affaiblira la rigueur des examens.

Vous admettez qu'un professeur un peu sévère, ou trop exigeant, et qui adresse une question embarrassante à un élève, puisse être pour ainsi dire contrôlé par le professeur de ce dernier qui aura le droit de revêtir cette question d'une forme moins embarrassante. Mais quel sera le sort de pareils examens ?

Le professeur, ainsi contrarié, pourra se plaindre et dire, non sans raison, qu'il n'examine pas librement.

Il en naîtra de l'irritation et du mécontentement, car si le professeur appartient aux universités de l'Etat, son collègue des universités libres sera presque réduit au silence; car il n'ignore pas sa position, il sait n'être là que par pure tolérance, tolérance qui peut cesser d'un moment à l'autre. C’était en vue de ces difficultés que le gouvernement avait placé au sommet du jury un président armé d'un veto.

Messieurs, il y a dans cette présidence, dans cette suprématie donnée à un individu sur tant d'hommes distingués, quelque chose de blessant. Je ne crois pas qu'aucun jury eût vu d'un bon œil un semblable chef surveillant et contestant toutes ses opérations.

Mais eussiez-vous trouvé facilement qui eût voulu, qui eût eu la force de se charger d'une mission si difficile, si délicate ? J'en doute.

D'ailleurs, il faut reconnaître que l'importance morale du jury aurait reçu un grave échec, si le droit du veto avait été souvent exercé !

Sa sagacité, sa réputation de science en eussent été singulièrement affaiblies.

Si un conflit, si une sorte de guerre civile éclatait au sein du jury, le président aurait-il la force d'intervenir efficacement? N'y aurait-il pas de déplorables délais?

Qu'auriez-vous alors à faire ? Dissoudre le jury, révoquer le président, copiant en cela la fidèle image d'un gouvernement constitutionnel, procéder à des nouvelles élections, comme on dissout une chambre pour obtenir une nouvelle majorité !

Ainsi, messieurs, au point de vue du principe de la liberté d'enseignement, le pouvoir absolu que se réserve le ministère me paraît inadmissible; il n'offre aucune garantie sérieuse et suffisante aux institutions libres, mais ne leur concède qu'un droit de tolérance qu'il est libre de leur retirer. Le jury universitaire est cependant le couronnement de la liberté d'enseignement, et vous frappez directement cette liberté, si vous la dépouillez d'un de ses droits les plus essentiels. L'application même du principe est mauvaise.

Le jury fractionné, tel qu'il est composé dans le système ministériel, sera insuffisant et inefficace. Il n'aura plus ce haut caractère d'impartialité, il ne sera plus une source d'émulation constante, il n'imprimera pas ce désirable cachet d'unité, qu'un seul jury central et souverain peut seul donner à la valeur des études ! Je le repousse pour tous ces motifs.

Mais, messieurs, là ne s'arrêtent point tous les dangers du projet de loi. La pression qu'exercera le gouvernement s'accroîtra par la création du grade d'élève universitaire.

Je ne combats pas ce grade en lui-même, je crois qu'il peut être bon ; son influence sera salutaire, et pourra stimuler les élèves, les empêcher d'aller s'asseoir, sans une suffisante instruction, sur les bancs universitaires.

Il ne faut pas, en effet, admettre trop facilement les demi-savants, les intelligences imparfaites à venir recueillir l'enseignement universitaire pour lequel ils n'auraient aucune aptitude.

J'opine donc pour ce grade qui pourra faire réfléchir l'élève, et aidera à le détourner d'une vocation qu'il n'a pas. C'est un nouveau temps d'arrêt, dont il pourra tirer son profit. Mais veuillez remarquer, messieurs, que pour la collation de ce nouveau grade, le gouvernement nommera un jury dans des conditions analogues à celles qui président à la formation du jury universitaire. Les mêmes inconvénients que j'ai déjà signalés se représenteront ici; et ce sera donner au ministère une nouvelle, une grande influence sur l'enseignement secondaire, ce sera lui permettre un empiétement évident, dont je ne signale pas toute l'étendue, sur son indépendance.

Il y aura aussi des obstacles matériels. Car si j'entends bien, il n'y aurait qu'un seul jury nomade voyageant de ville en ville. Mais s'il en est ainsi, je crains fort qu'il ne puisse suffire à sa tâche, je crains qu'il n'en résulte des retards pour les élèves.

Messieurs, l'article 33 de la loi de 1835 respectait la liberté d'enseignement. Que disait-il? « Des bourses sont accordées à des jeunes gens qui « auront montré une aptitude extraordinaire, sans astreindre les titulaires « à suivre le cours d’un établissement déterminé. »

Voilà, messieurs, la vraie liberté, celle de puiser la science aux sources que l'on préfère, selon ses sympathies, ses penchants et ses convictions.

La pensée qui présidait alors à l'octroi des bourses était celle de récompenser l'intelligence, de primer le talent.

L'on ne se préoccupait pas d'encourager tel établissement plutôt que tel autre, ce qui serait de la partialité, mais uniquement de pousser au développement des facultés de toute la jeunesse studieuse indistinctement.

Et qu'est-ce que le principe de la liberté d'enseignement? C'est une loi émanée de la volonté générale et faite pour tous. Dès lors le gouvernement, qui a d'égales obligations envers tout le monde, ne peut, sans une injustice manifeste, réserver pour lui, pour ses établissements, des faveurs particulières. Ce qu'il doit vouloir c'est de récompenser le mérite là où il se trouve, là où il lui est signalé, et non parce qu'un élève se destine à une université quelconque.

Les bourses sont fondées aux frais de tous, elles doivent être le partage de tout le monde.

Si le privilège est banni de nos lois, consentiriez-vous, messieurs, à en souffrir le rétablissement dans le domaine de l'intelligence ?

Vous dites, il est vrai, que si les particuliers sont libres de fonder des bourses, il serait étrange que l'Etat ne pût s'en réserver. C'est là un vrai sophisme. Le particulier donne telle destination qu'il veut à ses dons ; ce sera toujours un bienfait nouveau pour une partie de la société, pour quelques-uns de ses membres. Il fait ce qu'il veut et comme il veut. Mais l’Etat, messieurs, ne peut s'individualiser lorsqu'il s'agit d'un bien général; il doit, pour rester fidèle, à sa mission souveraine, vraiment sociale il doit ses encouragements à tout le monde. El si vous adoptez un autre système plus étroit, moins digne, voyez à quel contraste vous arriveriez.

Deux élèves également distingués par leurs talents, leur aptitude, leur intelligence, se présentent pour obtenir des bourses. Des deux l'un seul peut suivre les cours des universités de l'Etat; eh bien, il obtiendra une bourse, et son compagnon aussi digne de cette faveur que lui par cela seul qu'il veut s'inscrire dans une institution libre, n'aura rien; il sera la victime de ses indépendantes convictions, de ses sympathies courageusement maintenues?

Où serait, messieurs, cette balance équitable que vous voulez maintenir entre l’instruction publique et privée? Où est cette rigoureuse impartialité dont le ministère se vante si haut, et qui seule est supposée le guider!

Et que dit la section centrale à l'appui de la proposition du gouvernement ? Quelles raisons nouvelles donnera-t-elle pour s'y rallier sans réserve ?

Je ne m'occuperai pas de la question de savoir s'il sera juste ou non d'étendre la main sur les bourses de l'université de Louvain, pour les détourner de la destination qu'elles ont eue.

Le gouvernement a institué une commission, et je ne veux entrer dans aucun détail. Je ne préjugerai aucune de ses conclusions. Je ne m'occupe que du principe même de la distribution des bourses, et je trouve que la section centrale nous dit : « En fait de distribution de bourses, nous envisageons bien plus les établissements que les élèves; » et plus loin :« L'Etat doit contrôler les subsides qu'il accorde. »

Mais, messieurs, jamais, non jamais il ne sera juste, il ne sera généreux, de dire que l'Etat, pour la distribution de ses faveurs, doive considérer autre chose que la valeur intellectuelle de l'individu; jamais l'on ne pourra prétendre que ses encouragements doivent avoir pour mobile la prospérité d'un établissement. Je repousse de toutes mes forces un système aussi mesquin !

(page 1626) Les bourses données, l'encouragement accordé au mérite, vous n'avez plus de puissance, plus d'influence sur l'élève. Vous ne pouvez le contraindre à se rendre digne de cette faveur. Ce que vous pouvez exiger, c'est qu'il suive certains cours, c'est qu'il se livre à certaines études et en rapporte les preuves. Et l'élève peut satisfaire à ces conditions, n'importe quelle université il ait adoptée.

Quant au contrôle, je n'entends pas parfaitement ce que cela veut dire.

Dire ensuite, messieurs, que si le gouvernement devait accorder des bourses, l'on pourrait aussi réclamer de lui des subsides, me paraît une assimilation très inexacte. Dans un cas vous encouragez l'intelligence, qui doit vous inspirer une égale sympathie, n'importe où elle se développe; dans l'autre, vous donneriez sans motif un secours matériel à un établissement qui, pour se fonder, n'a eu qu'à consulter les éléments nécessaires à son existence.

Ainsi je puis le dire, la liberté, la générosité, qui est toujours digne de la liberté, était dans la loi de 1835; le privilège est dans l'article nouveau.

Et certes, messieurs, si je songe aux antécédents, au langage, à toutes les promesses du ministère, ce n'est point de lui que nous devions l'attendre, de ces hommes qui, je le reconnais, ont donné de nombreux gages à la liberté, et dont les scrupules sur tout ce qui peut l'atteindre devraient être aussi vifs qu'incessants.

Je me résume. Le projet de loi méconnaît, à mon avis, le principe de la liberté d'enseignement dans les trois innovations qu'il introduit.

Je ne les blâme pas précisément quant au principe même, mais bien quant à l'application; et je me rallierai à tout amendement, de quelque côté qu'il vienne, qui tendra à introduire des garanties légales pour la nomination du jury, des garanties pour la constitution du jury chargé de l'examen de l'élève universitaire, enfin égalité dans la distribution des bourses.

Et qu'il me soit permis, messieurs, de terminer par une dernière réflexion.

Hier l'honorable M. Lelièvre vous disait, et si ce n'est point l'exacte reproduction de ses paroles, c'en est assurément le sens véritable, que la liberté d'enseignement entendue comme je l'entends, pratiquée comme je voudrais la voir pratiquée, serait fatale à la liberté de l'instruction dans le monde entier.

C'était dire que cette noble cause péricliterait, que les vives lumières qu'elle doit propager seraient assombries, et que la vraie civilisation en recevrait de graves atteintes.

Eh bien, je diffère complètement d'opinion avec l'honorable préopinant.

Je crois que la liberté de l'enseignement, appliquée dans toute sa vérité, sera l'étoile polaire, qui après soixante ans de tourmentes, de douloureuses épreuves, guidera, dans un avenir plus ou moins éloigné, la société au calme du port, à un abri si ardemment désiré !

Car là où la puissance héréditaire, traditionnelle, sacramentelle de l'autorité souveraine, de l'Etat en un mot, a dû céder au développement de la puissance individuelle du self-government, comme disent les Anglais et les Américains, là aussi il faut que la force, l'énergie, l'initiative, ainsi que la responsabilité de la famille, en matière d'éducation et d'enseignement surtout, reprennent tous leurs droits.

Là est le salut, il n'est pas ailleurs, dans ma sincère et profonde conviction !

(page 1615) M. Van Hoorebeke. - Messieurs, je ne défendrai pas contre l'honorable préopinant le travail tout entier de la section centrale ; je laisserai ce soin à l'honorable rapporteur ; il s'en acquittera beaucoup mieux que je ne pourrais le faire moi-même. Mon intention est seulement de rencontrer les objections qui ont été développées par l'honorable préopinant en ce qui concerne l'organisation du jury d'examen.

Messieurs, il me semble tout d'abord que les adversaires du projet de loi devraient au moins nous rendre cette justice : c'est que la question de principe, la question de la liberté d'enseignement, se trouve aussi réellement sauvegardée dans le projet dont la chambre est saisie que dans les combinaisons dont l'honorable préopinant nous a entretenus.

La question constitutionnelle ne peut évidemment trouver son siège que dans l'article de la Constitution qui a accordé à tous les Belges la liberté d'enseignement. Déjà hier, l'honorable M. Lelièvre a traité cette question; il s'est placé sur un terrain que, pour mon compte, je trouve beaucoup trop étroit. Je ne pense pas avec lui que les jurys d'examen puissent être considérés comme des collèges purement gouvernementaux. Une semblable doctrine poursuivie dans ses conséquences rigoureuses mènerait directement à la destruction de la liberté d'enseignement. Je dis néanmoins que, selon moi, la question constitutionnelle est sauvegardée dans le projet de loi, elle l'est par les motifs suivants, que je demanderai à la chambre la permission de lui développer.

Je constate tout d'abord un fait qui est à l'honneur de notre pays. En France, en Allemagne, dans l'esprit des législations qui régissent ces pays, comme dans l'opinion des hommes d'Etat qui ont écrit sur ces matières, la liberté d'enseignement ne consiste que dans le droit pour le père de famille de faire élever ses enfants de la manière la plus conforme à sa sollicitude paternelle, de choisir l'école qui réponde le mieux à ses croyances, à ses principes, à ses préjugés même. Dans l'esprit de ces législations, la liberté d'enseignement, il importe de le remarquer, la liberté d'enseignement n'implique pas le droit absolu des enseignants. Elle n'implique pas le droit pour un individu, quel qu'il soit, de mettre la main sur la jeunesse et d'en faire la matière de ses expérimentations.

Les législateurs, dans ces pays, ont pensé, que puisqu'on attribuait à l'Etat le droit de préserver l'enfance contre l'exploitation industrielle qui dégrade le corps, on devait aussi lui reconnaître le droit de la préserver contre l'exploitation intellectuelle qui peut dégrader l'âme. Je constate le fait, et j'ajoute aussitôt, à l'honneur de mon pays, que dans la voie de la liberté, nous avons fait un pas de plus ; nous avons proclamé tous les premiers dans notre législation fondamentale, ce principe absolu, si redouté ailleurs, du droit des enseignants.

Cette liberté qu'on appelle illimitée n'existe pas seulement dans le pacte fondamental, elle existe dans les mœurs, elle est descendue dans l'opinion publique; désormais on peut dire qu'elle existe comme droit absolu du père de famille et comme droit absolu des enseignants.

Je le déclare, sans détour, à la chambre. Dans le projet qui nous est soumis, cette préoccupation de la garantie constitutionnelle, pour laquelle je me montre aussi soucieux que le préopinant, a devancé toutes les autres dans mon esprit, et si j'avais pu conserver à cet égard quelques doutes, si j'avais pu craindre un seul instant que l'un ou l'autre de ces deux éléments qui concourent à former la liberté d'enseignement, le droit du père de famille et le droit des enseignants, que l'un ou l'autre de ces deux éléments aurait pu être affecté d'une manière plus ou moins sensible par les bases du projet de loi qui vous est présenté, je n'eusse pas hésité un instant à sacrifier à mon respect pour le principe de la liberté d'enseignement, la loi tout entière, malgré les avantages pratiques incontestables qu'elle offre aux études universitaires.

Je dois le dire : les scrupules qu'on invoque n'ébranlent pas ma conviction. Je dois dire que le jour où le gouvernement le pouvoir exécutif essentiellement responsable, incessamment surveillé, je dirai plus, placé dans une sorte de défiance perpétuelle vis-à-vis de l'opinion publique et même des chambres, manquerait à ses promesses, et se départirait dans la composition du jury, de ce principe de haute impartialité qui fait la seule force des gouvernements libres, la chambre saurait faire son devoir et enlever au gouvernement le pouvoir dont il aurait mal usé.

S'il fallait raisonner dans le sens du système qu'on a développé tantôt, rien n'empêcherait de supposer la chambre capable de se rendre complice de la violation de la loi commise par le gouvernement. Je demanderais à quoi serviraient dès lors toutes les garanties insérées dans la loi? Qui ne voit que les chambres, complices de la conduite du gouvernement, pourraient défaire demain ce qu'elles auraient fait la veille ?

La question constitutionnelle se simplifie, elle se réduit aux termes très simples que voici : Nous sommes en présence de plusieurs systèmes. Nous avons à nous prononcer sur la question de savoir quel est parmi ces systèmes celui qui répond le mieux à la destination des jurys d'examen, et lui qui favorise le plus efficacement les études supérieures, en un mot, pour résumer ma pensée: celui qui réalise le mieux cette double condition qui sauvegardera tous les intérêts, double condition sans laquelle je ne conçois pas de bon jury : représentation des établissements d'enseignement supérieur, représentation des matières sur lesquelles portent les examens.

Faites d'abord que les universités, universités de l'Etat et universités libres (celles auxquelles ce principe qu'on a invoqué tantôt a communiqué la vie et qui se sont développées sous son influence féconde et puissante) trouvent dans le jury d'examen une représentation à peu près égale, qu'aucune d'elles n'ait de justes sujets de plaintes.

Faites, en second lieu, que les matières sur lesquelles porte l'examen ne soient pas abandonnées aux hasards du scrutin, qu'elles trouvent dans le jury d'examen des représentants réels, sérieux et avoués.

Soyez-en convaincus, avec cette double condition, le jury contribuera au progrès des éludes, et fera, dans la juste mesure de son influence, tout le bien qu'on peut attendre de l'institution.

Toute la question se réduit à trouver un système qui remplisse cette double condition: représentation des établissements d’enseignement supérieur existants; représentation des matières sur lesquelles portent les examens.

Or, pour réaliser cette double condition, nous avons le choix entre plusieurs systèmes. Nous avons tout d'abord le système actuellement existant. Nous avons le système d'un jury central, formé non plus cette fois avec le concours de la puissance législative (car, d'après la tournure de la discussion, il me semble que tout le monde a fait son deuil de l'intervention législative en cette matière), mais selon un mode de recrutement qui varierait à l'infini.

Il varierait suivant qu'on adopterait le système défendu par un honorable professeur de l'université de Bruxelles, ou suivant qu'on adopterait le système défendu dans la quatrième section, et que je rencontrerai.

Le système actuellement existant, il n'est certes pas besoin de l'attaquer ; car personne ici ne le défend. Déjà en 1835, ce n'est qu’à une voix de majorité que le principe de l'intervention des chambres fut admis.

(page 1616) En 1844 un nouveau projet fut soumis aux chambres. On sait quelles sont les circonstances qui en ont empêché l'adoption.

En 1848, le gouvernement soumit aux chambres un projet de loi qui avait pour but de conférer au Roi, pour les deux sessions de 1848, la nomination des membres titulaires et des membres suppléants des jurys d'examen. A cette époque encore, la section centrale, dans le rapport qu'elle fit sur le projet de loi, reconnut les vices et les inconvénients du système en vigueur; elle repoussa le projet. Mais il importe de remarquer que le motif qui a déterminé la section centrale à repousser le projet de loi c'est qu'elle ne voulait rien faire de définitif. Elle ne voulait pas aborder la question du fond :

« A l'époque où nous sommes arrivés, disait le rapporteur, dans les circonstances où se trouve le pays, et lorsque la chambre ne doit plus avoir qu'une courte existence, il y aurait de graves inconvénients à faire à cet égard quelque chose de définitif. »

Au reste, j'ai eu l'honneur de faire remarquer à la chambre que la section centrale, dès cette époque (1848), se prononça contre le système en vigueur. Voici, en effet, le passage du rapport qui se rattache à cette question :

« Assurément, ajoutait le rapport, ce système est loin d'être satisfaisant, et l'on a trop bien démontré en 1835 et 1844 ce qu'il y a de fâcheux dans l'intervention des chambres pour qu'il soit nécessaire d'insister sur ce point. »

Du reste, messieurs, les faits sont venus vérifier les craintes de ceux qui, en 1835, ont combattu le principe de l'intervention législative en cette matière. En effet, de 1836 à 1845, les chambres ont choisi 65 professeurs appartenant à l'université de Louvain, 20 professeurs appartenant à l'université de Gand, 18 professeurs appartenant à l'université de Liège, et 16 professeurs appartenant à l'université de Bruxelles. Je dois ajouter que la chambre des représentants ne nomma pas un seul membre du jury au sein de l'université de Bruxelles ; ce fut le sénat qui nomma les 16 représentants de cette université.

De plus, messieurs, à part cette partialité qui a été toute spéciale ici, je dois faire encore remarquer que le système du jury central, tel qu'il était organisé par la loi de 1835, devait être doublement défectueux. Il était défectueux d'abord, parce qu'il perpétuait le droit d'examen dans les mêmes membres du jury, contrairement à la pensée même de l'institution. Il était défectueux encore, parce qu'il immobilisait réellement la science. Il obligeait moralement les élèves à étudier les matières d'examens dans les cahiers de quelques professeurs privilégiés.

J'arrive, messieurs, au second système, le système d'un jury central, préconisé par l'honorable préopinant, mais qu'il n'a cependant pas formulé d'une manière précise.

Le système du jury central est un système qui, à beaucoup d'égards, a aussi mes sympathies. Je comprends parfaitement la sollicitude des honorables membres pour l'institution telle qu'ils la conçoivent. L'institution d'un jury central, avec le désir d'en faire découler l'homogénéité dans les études universitaires, d'y rattacher une pensée en quelque sorte nationale, de le donner comme la garantie, comme la sanction du principe de la liberté d'enseignement, cette institution, ainsi comprise, ainsi réalisée, offrirait sans doute d'incontestables avantages.

Mais je crois aussi que dans l'application il offrira toujours quelques lacunes fort regrettables.

Et d'abord dans le système du jury central, il devient extrêmement difficile, avec les ménagements que nous avons à garder envers le principe de la liberté d'enseignement, en présence de quatre institutions rivales, d'assurer à chacune de ces institutions une représentation tellement bien équilibrée que les établissements et les matières qui font l'objet de l'examen puissent y trouver tout à la fois leur place.

Il y a là, lorsqu'on vient à l'application, un double écueil contre lequel viennent se briser presque toutes les combinaisons qui reposent sur la pensée d'un jury central.

Mais, messieurs, il y a un inconvénient d'un autre ordre, d'une autre nature, et celui-là me paraît bien grave.

Dans le système du jury central, placé en présence d'élèves qu'il ne connaît pas, qui appartiennent à des établissements auxquels il est lui-même étranger, l'examinateur doit forcément, pour ainsi dire fatalement, sous peine d'embarrasser l'élève, sous peine de lui tendre en quelque sorte un piège, il doit déserter sa méthode d'enseignement, il doit délaisser les questions de controverse, les questions philosophiques, s'en tenir au terre-à-terre des matières.

Savez-vous dans quel cas cet examinateur conserve l'entière de ses allures, son individualité ? C'est, messieurs, quand, comme cela est arrivé depuis quelques années, il est continué pendant plusieurs années dans ses fonctions. Mais alors les autres examinateurs sont réduits au rôle de répétiteurs, et les élèves doivent se préparer aux examens dans les cahiers de l'examinateur privilégié. Ce n'est pas tout. Quand on en vient, dans la composition du jury d'examen, à la question si délicate de savoir comment on formera le jury central, oh! alors, les dissentiments, les divergences éclatent de toutes parts. Ainsi, les uns acceptent sans répugnance aucune le système préconisé et défendu avec beaucoup d'habileté et de talent, par un honorable professeur de l'université de Bruxelles.

D'après ce système le jury serait composé de neuf personnes ; deux membres seraient désignés par chacune des facultés et soit l'Académie des sciences, soit l'Académie de médecine compléterait le jury. Jusque-là tout est assez bien dans ce système, quoique, à la rigueur, on puisse soutenir avec beaucoup de fondement qu'il ne tient pas assez compte des études libres, des études privées. Mais, messieurs, il me paraît évident que, dans l'opinion de ceux qui soutiennent avant tout le principe du jury central, le système de l'honorable professeur, tel qu'il a été formulé, tel qu'il semble encore formulé dans une brochure qui vient de m'être remise à l'instant, que ce système doit offrir un vice radical; car son auteur, en le formulant, est parti de ce principe que je trouve, pour mon compte, excellent et que j'aperçois dans le projet de la section centrale, du principe que, pour bien interroger il faut enseigner. Ce que l'on demande en effet aux élèves, ce sont des principes généraux et les applications essentielles de ces principes, des vues d'ensemble, l'intelligence des méthodes dont leur esprit a été appelé à suivre les déductions.

Eh bien, je ne ferai certainement injure ici à personne, je ne ferai certainement pas injure aux honorables magistrats qui ont été appelés à siéger au jury d'examen, en reconnaissant ici publiquement un fait que plusieurs ont avoué sans détour : l'embarras que leur esprit éprouvait à se plier aux proportions étroites d'un examen.

Ainsi, dans la pensée de ceux qui rêvent l'institution d'un jury central, le système de l'honorable professeur de Bruxelles doit offrir un vice radical, eux qui comprennent un jury central placé dans une sphère élevée, au-dessus des influences professorales et universitaires, destiné à se recruter dans les sommités de la science et à élever le niveau des études supérieures.

Je fais, pour mon compte, beaucoup plus modeste la part de la mission pratique des jurys d'examen ; je pense que cette mission se borne à constater l'aptitude des élèves et à délivrer les diplômes. Quant à l'avenir de l'enseignement supérieur, il est et il restera ailleurs; il est et il restera dans l'école, autour de la chaire du professeur ; il dépendra du choix des hommes, du mérite des professeurs; il dépendra des rapports entre les élèves et les professeurs, des communications sympathiques qui s'établiront entre eux, la science aura trouvé dans ceux-ci des interprètes dignes d'inspirer ceux-là.

Je n'éprouverais, du reste, aucune répugnance à me rallier au système défendu par l'honorable professeur de Bruxelles, si je ne trouvais un danger réel, un danger sérieux à abandonner au hasard du scrutin la répartition des matières la désignation des établissements appelés à fournir des représentants au jury, et si je ne voyais la nécessité de sauvegarder les études libres.

On a aussi, messieurs, à propos du jury central, et cette idée vient encore de se faire jour dans le discours de l'honorable préopinant, on a préconisé le système défendu au sein de la 4e section, système qui consisterait à attribuer la collation des grades préparatoires aux universités existantes et à abandonner à un jury central la collation des grades définitifs. C'est à tort que l'honorable préopinant a prétendu que ce système existe en Angleterre et en Allemagne. Il n'en est rien.

En Angleterre, les universités existantes, celles d'Oxford et de Cambridge, sont dans une position de véritable monopole ; elles sont tellement riches, tellement puissantes, si largement dotées, que toute concurrence est impossible. En 1829, on a voulu leur faire concurrence : le célèbre publiciste lord Brougham a essayé de fonder à Londres une université libre; il a dû y renoncer. Et aujourd'hui l'université de Londres n'est plus qu'un collège, si je ne me trompe.

C'est à tort qu'on a considéré ce système comme un emprunt fait à la législation allemande.

En Prusse la liberté d'enseignement, telle que nous la comprenons, n'existe pas. On y connaît bien un jury central, mais les commissions d'examen, quoique entièrement séparées et indépendantes des universités, sont provinciales et se composent de conseillers du gouvernement de la province. De plus, pour se rendre un compte exact de cette organisation, il importe de ne pas perdre de vue le système général de l'enseignement supérieur adopté par la Prusse.

Les facultés des universités délivrent des diplômes de docteurs, mais ce grade est purement honorifique; il ne donne au titulaire un droit réel à l'exercice des professions libérales ou des emplois publics que lorsqu'il a subi devant ces commissions le « Staats-examen ».

Ainsi, celui qui se destine à la carrière de l'enseignement subit un double examen, et pour être admis au premier il doit avoir achevé son « triennium academicum », c'est à-dire produire un certificat de fréquentation des cours exiges par la loi. Comment, je le demande, appliquerait-on cette exigence à un système qui repose sur la liberté illimitée de l'enseignement?

Pour la carrière judiciaire, il en est encore de même. Ici encore avant d'être admis au premier « staats-examen », il faut avoir achevé son « triennium academicum », et la commission devant laquelle on le subit se compose de conseillers à la cour d'appel. Ce premier examen ne donne que la qualification d' « auscultator », et ne confère d'autre droit que celui d'être admis aux examens suivants et à celui du notariat. Le second examen donne au récipiendaire le titre de référendaire et lui ouvre la carrière de juge de paix ou de juge d'un tribunal de première instance.

Un troisième examen subi devant une commission centrale siégeant à Berlin, et composée de conseillers des cours supérieures, couronne les deux premiers. Il donne la qualification d'assesseur près des cours d'appel et ouvre la carrière à l'exercice des fonctions judiciaires et à la profession d'avocat.

Pour la carrière administrative et pour la carrière médicale, on suit à peu près les mêmes principes.

Eh bien, il résulte à l'évidence de ces simples notions que ce système n'est pas celui qui a été proposé dans le sein de la quatrième section ; il (page 1617) en résulte ensuite que ce système est inapplicable en Belgique, qu'il repose sur une pensée de centralisation complète ; les épreuves sont bien, il est vrai, échelonnées de distance en distance, mais à chaque épreuve, l'on voit la puissance publique intervenir par l'organe de ses agents directs.

Du reste, l'éclat et la supériorité de l'enseignement universitaire en Prusse, ne sont pas dus à l'organisation de ce jury central qui siège à Berlin et de ces commissions provinciales; cet éclat et cette supériorité sont dus à d'autres causes; ils sont dus surtout à ce que j'appellerai non plus la liberté d'enseignement, mais la liberté des études. En Prusse, contrairement à ce qui se passe en Belgique et en France, les titulaires des cours n'en sont pas les propriétaires ; à côté d'eux viennent se placer des abrégés, des « privat docenten » qui fournissent au dédoublement des cours, qui ont le droit de libre concurrence avec les professeurs, et excitent partout cette noble rivalité que je voudrais voir régner dans mon pays, rivalité qui importe à l'éclat et à la force de l'enseignement supérieur, parce que, comme toutes les institutions, la science pour grandir et se fortifier a besoin d'air, d'espace et de liberté. Messieurs, un fait pour moi est incontestable: c'est l'affaissement scientifique, la décadence des études supérieures en Belgique. J'attribue ce mal à une double cause.

Je l'attribue en premier lieu à l'exubérance, à la multiplicité des matières d'examen ; je l'attribue, en second lieu, au délaissement où sont tombés beaucoup de cours dans les universités de l'Etat.

En multipliant les matières d'examen, la loi de 1835 a fatalement provoqué aux études superficielles, mal digérées. On a, sans le vouloir, peut-être, accru le nombre déjà si considérable de ces demi-savants qui, selon moi, constituent dans le corps social l'élément le plus dangereux. L'élève n'a plus en vue que son examen ; il se souci médiocrement de la science; sa grande préoccupation, c'est l'examen, et il en trouve le secret dans le questionnaire de quelques examinateurs privilégies.

La seconde cause, c'est le délaissement où sont tombés les cours dans les universités de l'Etat, et je trouve la preuve de ce fait dans un rapport qui nous a été distribué. Chaque élève qui suivrait seulement les cours les plus importants aurait à payer un minimum par an de 260 francs dans la faculté de droit, et de 220 francs dans les autres facultés. Or, en moyenne, chaque étudiant a payé, pour l'inscription des cours : à l'université de Gand, 57 francs, et à celle de Liège 60 francs. Il est évident, d'après ces faits, qu'un grand nombre de cours sont déserts. Eh bien, je crois que le projet de loi remédie à ce double inconvénient. Le projet de loi simplifie les matières d'examen, et sous ce rapport, il rend service à la science ; le projet de loi tend à rétablir les rapports entre l'élève et le professeur, et sous ce rapport, je crois encore qu'il rend service à la science.

Quant à la question des jurys d'examen, je sais que le projet de loi laisse entrevoir la mise en pratique d'un système que la chambre ne connaît qu'imparfaitement et dont il est très difficile de préciser dès à présent les effets. Mais je ne pense pas que ce système mérite tous les reproches qui lui ont été adressés.

On a prétendu d'abord que ce système n'est pas irréprochable; mais quel est donc le système irréprochable, quelle est la combinaison qui soit à l'abri de tout reproche ?

On prétend en second lieu que ce système tend à immobiliser l'enseignement supérieur, en le renfermant dans des commissions permanentes qui ne seraient en quelque sorte que les facultés elles-mêmes. Pour mon compte, je suis très sensible à ce reproche, et s'il ne présentait quelque chose de réel, de vrai, je n'hésiterais pas un instant à proclamer excellent le système annoncé. Mais je ne crois pas que l'objection ait la gravité qu'on lui prête.

D'abord, la faculté qui siégera à côté d'une autre faculté dans un jury d'examen, ne sera pas réduite à un rôle passif; elle aura un droit de contrôle, elle examinera aussi l'élève ; il y aura donc émulation entre deux établissements. En second lieu, il s'établira nécessairement un roulement entre les universités qui seront appelées à constituer le jury.

En troisième lieu, la section centrale a apporté un tempérament à ce qu'il pouvait y avoir d'excessif dans cette attribution illimitée donnée au gouvernement. La première restriction est celle du temps; la seconde doit avoir pour effet immédiat de sauvegarder les intérêts des établissements libres.

Je dois dire en terminant que les garanties qu'offre à cet égard le projet de loi tel qu'il a été modifié par la section centrale, me paraissent suffisantes. Je n'ai pas à ce sujet les frayeurs qui animent les honorables membres qui combattent le projet de loi. En résumé, si je me trompais, si l'événement venait démentir mes prévisions, je prie ces honorables membres d'en être bien convaincus, je n'attendrai pas qu'ils m'en fournissent l'exemple, usant de mon droit d'initiative, je demanderais qu'on enlevât au gouvernement une prérogative dont il aurait abusé ; et dans cette circonstance, je compte assez sur l'attachement de la chambre à l'une de nos plus précieuses garanties constitutionnelles pour avoir la certitude qu'elle ferait prompte justice d’un pouvoir qui aurait menti à ses promesses et à ses engagements.

M. Orts. - J'éprouve le besoin d'exprimer mon opinion après le discours que vous venez d'entendre. La position commune que mon honorable ami M. Van Hoorebeke et moi nous occupons dans l'enseignement supérieur , exige que je ne laisse pas passer sans réserve l'opinion qu'il vient d'émettre, car si je laissais passer son discours sans protestation, on pourrait croire que c'est une opinion commune qu’il a exprimée. Loin de là, messieurs, je regrette de devoir le dire. J’examine ce regret avec une profonde conviction, je ne puis pas voter le projet de loi sur l'enseignement supérieur. Je crois que le projet présenté ne sauvegarde pas suffisamment les trois grands intérêts qui devaient les premiers appeler l'attention de quiconque songeant à modifier la loi organique de l'enseignement supérieur dans les circonstances actuelles.

Je comprends qu'abordant la direction des affaires du pays avec la pensée de faire dominer une politique nouvelle, on touche aux lois organiques dans trois circonstances, pour trois motifs. En premier lieu, la situation financière du pays, en présence des événements du dehors, pouvait nécessiter une réorganisation des institutions, faite en vue d'amener des économies dans les dépenses d'administration. Je comprends un deuxième mobile : la nécessité d'améliorer une loi organique qui n'aurait pas satisfait à l'objet spécial dont elle s'occupe ; j'en comprends un troisième plus puissant, plus pressant que les deux premiers, le désir démettre en harmonie avec une politique plus large, plus libérale, des institutions qui n’auraient pas été suffisamment imprégnées de ses principes.

Le projet de loi qui nous est soumis ne peut, à mon sens, avoir été dicté par aucun de ces trois principes ; car il contrarie chacune des grandes pensées que ces principes représentent. Au point de vue de l'économie, le projet n'offre rien de satisfaisant. La seule économie notable que pouvait commander l'intérêt de nos finances, fortifié par d’autres intérêts plus élevés, cette seule économie n'est pas touchée par le projet ministériel, et la section centrale la présente comme dangereuse ; venant démentir une opinion contraire exprimée, à l'unanimité moins nue vois, par la section centrale qui a examiné, le budget de 1840. Au point de vue scientifique, des améliorations de détail sont apportées, je me plais à le reconnaître, par la loi nouvelle. Mais ces améliorations sont utiles en présence d'une innovation qui me paraît compromettre de la manière la plus sérieuse les intérêts de la science dans l’avenir, je veux parler de l'organisation du triple système de jury. Tous les bienfaits que le projet de loi promettait, qu'il accorde même dans d'autres parties, sont empoisonnés par le dangereux voisinage de la nouvelle création.

L'intérêt libéral, enfin, celui qui devait préoccuper avant tout autre le ministère auquel la chambre accorde un si complet appui, est celui qui me semble le plus sérieusement menacé par la loi. Je ne dis pas que la question constitutionnelle soit mal résolue; la question mal résume est la question libérale ; celle qu'on devait résoudre et bien résoudre la première.

Pour cette solution mauvaise, on a oublié les promesses que l'opinion libérale a faites au sein de la législature à laquelle nous succédons.

J'aborde les deux premiers griefs qui m’empêchent de donner à la loi l'appui de mon vote. Une seule réforme dans l'enseignement supérieur pouvait procurer à l'Etat une large économie, celle qui aurait permis de concentrer l'enseignement supérieur donné aux frais de l'Etat, soit en réunissant les deux universités en une seule, soit en divisant les facultés entre les vides qui sont aujourd'hui en possession d'une université complète, sauf à combler le déficit par des compensations ultérieures.

Cette question, votre section centrale du budget de l'intérieur pour 1849 avait demandé qu'on l'étudiât et qu'on la résolût dans la loi nouvelle ; elle l'avait demandé en présence des besoins sérieux d’économie qui se manifestaient, de ces besoins que l'opinion publique a su mettre dans un jour si vif. Que fait le gouvernement devant cet intérêt? Il se tait.

Le gouvernement que la section centrale avait engagé à étudier la question, ne l'étudie pas, ne la résout pas S'il l'avait étudiée, il l'aurait dit dans l'exposé des motifs ; c'était là son devoir, il devait nous éclairer en exposant le résultat de ses études, en nous les communiquant. La section centrale vient dire que, dans l'état des esprits, elle ne peut sans danger aborder cette question, quoiqu'elle eût été posée cependant par trois sections dans la discussion préparatoire du projet. Il faut, dit-elle, dégager le projet de tout ce qui peut froisser les intérêts de certaines classes de citoyens.

S'il ne s'agissait que de discuter en présence d'intérêts privés, d'intérêts individuels ou de localité, seuls engages dans la question, je ferais le sacrifice de mon opinion au principe d’union que la section centrale invoque; mais en présence d'intérêts spéciaux prives, d'intérêts de localités, je trouve le grand intérêt national froissé. Quand c'est entre l'intérêt local et l'intérêt national qu'il faut se prononcer, les raisons que présente la section centrale doivent disparaître.

Remarquons-le, messieurs, la question qui s'agite est non seulement une question d'argent, mais une question d'avenir et d'intérêt moral pour le pays.

La question de la centralisation de l'enseignement supérieur devait être surtout résolue par ceux qui n'avaient pas craint de la présenter une première fois à la solution du pays, qui quinze années auparavant, par leur parole et leur vote, avaient réclamé la création d'une seule université de l'Etat.

L'intérêt moral engagé dans ce débat, je vais vous le dire.

Aussi longtemps que la jeunesse belge ne sera pas élevée en commun, aussi longtemps que les deux races qui se partagent le sol du royaume n'auront pas fait une fusion intellectuelle et intime par le contact d'une éducation commune, vous aurez toujours deux races, et vous n'aurez jamais une nation ayant un seul caractère, un seul esprit, un seul nom ; vous aurez toujours avec deux universités une université flamande et une université wallonne. Vous aurez des Flamands et des Wallons, et vous (page 1618) n’aurez pas de Belges. Voilà pourquoi, messieurs, je trouve, au point de vue économique que le projet mérite d'être critique ; voilà pourquoi je trouve que, pour ce premier intérêt il ne présente rien de satisfaisant à nos délibérations.

J'aborde le deuxième côté de la question, l'intérêt scientifique. Comprenez-vous l'avenir de la science, alors que vous aurez pour appréciateurs de l'enseignement donné dans les établissements libres et dans les établissements de l'Etat, des juges différents, des juges entre lesquels la coalition d'intérêts est possible, des juges qui pourraient être la critique vivante les uns des autres, qui pourraient avoir à se venger les uns des autres. Les frais de cette vengeance ne seraient-ils pas faits par la science, par ses adeptes, par les élèves ?

C'est pourtant là, ce que l'on vous propose.

Le gouvernement vous demande d'autoriser la destruction du système du jury central. En même temps, il vous annonce la substitution à ce système d'une combinaison d'après laquelle les élèves d'une université seraient examinés par cette université même, à laquelle serait adjointe une université voisine.

Avec cette combinaison, vous auriez trois jurys, trois jurisprudences, trots tribunaux, avec des juges différents, venant apprécier différemment un même fait, qui évidemment doit être apprécié d'une manière uniforme pour que l'appréciation demeure équitable.

Or en présence de tribunaux, composés d'hommes ayant chacun une manière de voir, de penser différente, comment peut-on espérer une justice impartiale quant à la capacité des récipiendaires? C'est chose impossible. Il faudrait admettre qu'il y aurait entre tous les membres du corps professoral une parfaite conformité de vues, de manière de penser, de juger, il faudrait admettre que ces hommes, si différents les uns des autres, se confondent dans une seule et même appréciation, au sujet d'un récipiendaire. Cette supposition n'est pas admissible.

Mais à côté de cette institution, vous en trouvez une autre qui constitue un système encore plus vicieux au point de vue scientifique. Vous créez à côté du jury des établissements de l'Etat et des établissements libres un troisième jury destiné à examiner les élèves qui ont fait des études privées, à apprécier des capacités qui ont puisé la science à des sources anonymes au lieu de la puiser aux sources publiquement connues pour la distribuer.

Ce jury sera nécessairement (je le dis d'avance, sans craindre que les faits me donnent un démenti) le refuge de tous les pécheurs qui auront succombé devant les jurys des universités de l'Etat et des universités libres. Ce jury aura à examiner, non pas des capacités, mais des incapacités. Alors surgit un danger nouveau.

De deux choses l'une : ou ce jury, jugeant les incapacités, de quelque lieu qu'elles viennent, sera sévère, ou il ne le sera pas. S'il n'est pas sévère, vos universités seront désertes. A l'instant même, les études privées vont produire une diversion dangereuse pour la science, pour l'avenir du pays; car ces études sans contrôle moral, sans contrôle scientifique, ne sont pas bonnes.

Si le jury est, au contraire, trop sévère, les études privées vont crier à l'injustice, à l'absence d'impartialité; les élèves sortis des études privées se plaindront de ce qu'on les traite plus sévèrement que ceux qui ont fait leurs études dans les universités de l'Etat ou dans les universités libres. Ils vous diront : Vous respectez les universités libres, vos rivales, parce qu'elles sont fortes et peuvent se défendre. Vous favorisez les universités de l'Etat parce qu'elles sont vos enfants. Vous nous frappez, parce que nous sommes faibles. Là est le danger. Vous n'y échapperez pas, quelle que soit la combinaison. Ce danger certain a d'ailleurs été compris déjà; car cette combinaison, si elle est mauvaise, n'est pas nouvelle.

Dès 1835 elle avait été proposée; elle émanait d'un honorable membre de cette chambre, qui voulait même l'introduire dans la loi, alors que le gouvernement aujourd'hui ne veut l'introduire que par mesure administrative. Là seulement est la différence. C'est à peu de chose près, sauf certaines modifications de détail, le système que proposait en 1835 l'honorable M. Devaux.

M. Devaux. - Je n'ai rien proposé de semblable.

M. Orts. - Je n'ai pas vérifié la citation au Moniteur de l'époque, mais voici mon autorité. M. Nothomb, dans l'expose des motifs de la loi de 1844, a compris une revue des divers systèmes proposés en 1835 pour la formation du jury. Cette revue attribue à l'honorable M. Devaux le système que je viens de définir, et j'ai lieu de croire la citation exacte, car l'exposé des motifs renvoie, pour contrôle, aux actes de la chambre en indiquant les numéros.

M. Devaux. - C'est une erreur.

M. Orts. - Du reste, je ne crois pas qu'il y ait lieu de décliner cette paternité. Le système vaut mieux que bien d'autres alors proposés. Je ne dis pas que ce soit le meilleur, puisque je le combats : je reconnais toutefois qu'on en a présenté de plus mauvais et beaucoup.

Telle est mon appréciation.

Je ne me donne pas pour juge souverain et sans appel. Il est possible que, par suite de la discussion, on parvienne à me convaincre d'erreur; mais jusqu'à présent je la maintiens.

Messieurs, je laisse maintenant de côte les deux faces de la question qui me paraissent le moins dignes de fixer l'attention de la chambre. Je crois que la question placée au troisième point de vue que j'ai indiqué tantôt à une valeur qui absorbe celle des deux premières.

Je dis que le projet de loi, tel qu'il est présenté, ne sauvegarde pas d'une manière suffisante l'intérêt de la liberté d'enseignement. En deux de ses dispositions elle y porte, selon moi, atteinte. Peut-être l'expression est-elle trop forte ? Je vais la rendre plus exacte. Le projet, dans une de ses dispositions, porte une atteinte véritable à la liberté d'enseignement. Dans la deuxième, il ne la protège pas suffisamment et selon son droit.

La disposition qui, selon moi, porte atteinte à la liberté d'enseignement, c'est la disposition qui, venant modifier ce qui s'est toujours pratiqué depuis 1835, n'attribue les bourses qu'aux élèves suivant les cours des universités de l'Etat.

Je sais qu'il y a des objections très fortes à faire en faveur de l'opinion contraire à celle que je défends. Je conviens qu'elle peut être logique et que la Constitution, je le concède, n'a rien de contraire au système du ministère et de la section centrale. Mais j'ai été profondément affecté d'entendre sortir de la bouche d'un honorable préopinant une parole aussi parfaitement vraie qu'elle est dure pour l'opinion à laquelle j'appartiens, j'ai été affecté de la vérité de ce reproche adressé par l'honorable comte de Liedekerke au libéralisme qui tient le pouvoir, lorsqu'il s'est écrié : « Ce n'est pas de vous que nous devions attendre un amoindrissement de la liberté d'enseignement ! »

Ce reproche, je ne saurais consentir à le mériter avec vous.

Que vous ayez tort ou que vous ayez raison, en strict droit peu m’importe; je dis et cela me suffit :Le système qui retire les bourses aux élèves des universités libres est moins grand, moins large, moins généreux que celui qu'ont pratiqué vos adversaires politiques depuis 1835, ceux à qui vous n’avez cessé d'annoncer dans l’opposition que vous compreniez mieux et plus largement la pratique de toutes nos libertés.

Un pareil système est jugé par le résultat. J'en repousse la solidarité comme d'une mesquine mesure d'économie dont je suis honteux pour l'opinion libérale.

Que dit la section centrale pour justifier plus fortement encore le système du ministère, quant au retrait des bourses? La section centrale, après avoir expliqué ce que je ne conteste pas, c'est que l'Etat a le droit strict d'agir ainsi, et que nous ne violons pas la Constitution, en agissant avec lui, la section centrale conclut par un exemple, j'allais presque dire par une menace. Elle nous dit : Prenez garde ! avec le système contraire vous pourriez entraîner l'Etat dans une voie où on le mènerait loin. Ce que vous demandez pour l'enseignement supérieur, mais pourquoi ne le demanderait-on pas pour l'enseignement primaire ? Pourquoi ne le demanderait-on pas pour l'enseignement moyen? Et l'objection est bien près d'être fondée sur l'expérience, d'être passée dans les rails. Déjà, dans une circonstance antérieure, on est venu demander la même chose pour l'instruction primaire, et les hommes les plus éminents de la chambre et la grande majorité de la chambre, à l'époque où cette demande a été faite, ont reculé devant ce monstre dont vous demandez l'introduction dans la loi d'enseignement supérieure.

Voici, messieurs, en réalité, à quoi on fait allusion. Lors de la discussion de la loi de 1842 sur l'instruction primaire, on avait demandé, au nom de la liberté d'enseignement, que les élèves pauvres, ceux qui ne peuvent étudier sans que l'Etat ou les communes viennent à leur secours, eussent la faculté d’aller puiser l'instruction soit dans les écoles communales, soit dans les écoles privées, et on avait demandé quelque chose de plus : ou avait demandé, toujours au nom de la liberté d'enseignement, que dans le cas où les enfants pauvres iraient étudier dans les écoles privées, les communes fussent obligées de payer 6 fr. par tête d'enfant à l'instituteur qui les recevrait. C'est la conséquence logique, d'après la section centrale, du principe posé dans la loi de 1835, concernant les bourses universitaires, du principe dont je demande le maintien pour l'enseignement supérieur.

Mais la section centrale se méprend du tout au tout dans l'exemple qu'elle choisit pour nous effrayer. Elle tombe dans une erreur des plus évidentes.

En demandant le maintien de la loi de 1835, je ne viens demander autre chose, sinon le maintien je ce qui existe depuis bientôt quatorze années. Viens-je demander que l'on condamne l’Etat à donner des bourses à tous les individus qui iront étudier dans les établissements prives d'instruction supérieure? Pas le moins du monde. Que demandait-on en 1842 vis-à-vis des commune*? Que, dès l'instant où des enfants pauvres iraient dans une école privée, la commune fût condamnée à payer 6 fr. par tête au professeur libre.

Oh! si je demandais que l'Etat fît les frais de l'éducation de tous les individus dépourvus de fortune, qui vont dans les établissements privés d'enseignement supérieur, je serais parfaitement dans l'analogie où l'on veut me placer. Mais je demande le maintien de quoi? De ce que la chambre pratique depuis quatorze ans en votant les fonds nécessaires au budget. Je demande que l’État conserve la faculté de donner, quand il le jugera convenable, une bourse à l'élève d'un établissement privé. Rien de plus, rien de moins; je demande qu'on laisse à l'Etat la faculté d'en agir ainsi, et je ne crois pas que, pour une université dont les intérêts pourraient m’être supposés plus chers que toute autre, j'aie lieu de réclamer un bienfait qui dans le passé au jamais été bien important.

Vous voyez que ce que je demande, en combattant le projet qui vous est proposé, ne ressemble nullement à ce qui était demandé pour l'instruction primaire, par l'honorable M. Brabant et par ceux qui appuyaient (page 1619) sa proposition. Je demande que l'on ne donne qu'une faculté là où l'on demandait qu'on introduisît une obligation. Il y a un abîme entre ces deux choses, et je n'entends pas le franchir.

J'arrive, messieurs, à ce qui concerne le jury d'examen.

Le jury d'examen, selon moi, est organisé par la loi nouvelle de manière à ne pas protéger suffisamment l'exercice de la liberté d'enseignement. Je dis que la pratique sérieuse de la liberté d'enseignement n'est pas suffisamment sauvegardée, même par les tempéraments que la section centrale a apportés au projet primitif.

En effet, messieurs, quelle est la position faite à l'enseignement libre, à cet enseignement avec lequel, quoi que vous disiez, vous devez compter ? Le gouvernement nomme les jurés, nomme ceux qui en définitive tiennent entre leurs mains l'existence des établissements d'enseignement privé. Car il est incontestable que si un jury se montrait systématiquement mal disposé envers un établissement quelconque d'enseignement privé, cet établissement serait fortement ébranlé dans son existence, sinon complètement ruiné. L'établissement a pour but de procurer à l'élève le moyen d'obtenir les grades académiques ; les grades sont l'entrée de la profession; et si ce moyen n'existe plus, si un jury systématiquement hostile ferme l'entrée de toutes les carrières à ceux qui sortent de l'établissement, celui-ci ne peut plus avoir de clientèle quelle que soit la bonté théorique de son enseignement. Nous ne sommes plus au temps où l’on prendrait les diplômes uniquement dans l'intérêt de la science. Je le regrette; il vaudrait mieux que ta science fût étudiée pour elle-même; mais quand on fait une loi, il faut tenir compte des faits, des préjugés, des besoins de la nation pour laquelle on opère, plutôt que des spéculations théoriques.

Ainsi donc le jury est nommé par le gouvernement. Ce principe, je ne le combats pas. J'admets la nomination du jury par le gouvernement, et là n'est pas le vice capital du projet. Mais je ne puis admettre qu'un pouvoir dont je vous ai montré tout à l'heure les dangers, s'il est mal exercé, appartienne au gouvernement sans limite, sans sauvegarde, sans garantie, pour les intérêts vis-à-vis duquel il fonctionne. Vos garanties, où sont-elles? Vous avez le contrôle de l'opinion publique, me dit-on ; vous avez la presse, vous avez la voie des réclamations au sein du "parlement, si par bonheur l'opinion peu favorisée par le jury trouve dans le corps électoral assez d'appui pour avoir un représentant au sein des chambres, ce qui est encore une hypothèse.

Mais enfin, admettons tout cela. Quand l'opinion publique, quand la presse, quand les réclamations d'une opposition parlementaire auront-elles assez de poids pour obtenir une meilleure application du principe, si le principe est mal appliqué? On vous l'a dit, le jour où l'opinion publique, où l'opposition parlementaire auront tellement grandi, que la position du pouvoir qui applique mal sera elle-même compromise et que le pouvoir sera renversé. Avant cette époque, le ministère pratiquant mal la loi, appuyé sur une majorité qui évidemment sera sa complice, car sans elle il n'oserait rien tenter, continuera à pratiquer mal, car il n'aura ni intérêt ni motif pour reculer devant le système qu'il suit.

Sommes-nous, messieurs, sans enseignement dans le passé ? Pourquoi s'est-on récrié contre la loi précédente et la formation du jury? Parce qu'on prétendait que, dans ce système, le gouvernement et la majorité parlementaire formaient le jury en vue de favoriser certains intérêts, certaines idées, et de combattre la manifestation des idées contraires. Quand est-on parvenu à corriger ce vice à l'aide de l'opinion publique, à l'aide de la presse, à l'aide de l'opposition parlementaire? On y est parvenu le jour où le ministère a été renversé. Etait-ce avec beaucoup d'utilité que la garantie de la presse, et de l'opinion publique, et de l'opposition parlementaire était invoquée avant cette date?

Non : ces garanties sont sérieuses, lorsqu'on n'a plus besoin de se réfugier derrière des garanties : elles profitent à celui qui est devenu le plus fort, et qui, au besoin, se ferait bien justice à lui-même. Il nous faut des garanties, des garanties sérieuses.

Lorsqu'on veut traiter la question des jurys d'examen, comme l'a fait l'honorable préopinant, en se préoccupant uniquement du point de savoir qui composera les jurys, on se place en dehors de la difficulté. Il ne suffit pas de comparer la nomination par le gouvernement à la nomination par les chambres. Rappelez-vous qu'alors que pour la première fois on a proposé de charger le gouvernement de la nomination des jurys, ce mode de nomination était entouré de garanties. Il n'était trouvé bon par ses auteurs qu'au milieu de cet entourage, et cet entourage est précisément ce qui a fait la fortune de la combinaison.

Il semble vraiment que le préopinant, le projet et la section centrale aient oublié ces précédents. On suppose, en présence des principes, des systèmes qui tous sont mauvais, sans garanties pour leur application, et l'on ne sonne mot d'un système tout formulé sous ce rapport, du système de 1849.

Permettez-moi, messieurs, de le rappeler à vos souvenirs. Lors de la discussion de 1844, une combinaison avait été proposée par le ministère et appuyée par plusieurs honorables membres qui siègent encore dans cette enceinte.

En 1844 l'opinion libérale insista fortement pour la nomination par le gouvernement, mais qu'avait-on proposé? Était-ce une nomination pure et simple par le chef de l'Etat, était-ce une nomination abandonnée au caprice ministériel? Je demanderai à l'honorable rapporteur de la section centrale et à l'honorable ministre de l'intérieur, si en 1844 ils auraient eu assez de confiance dans l'homme qui dirigeait le département de l'intérieur pour lui confier un pouvoir exorbitant et sans limites. Les restrictions que l'opinion libérale mettait à l'appui donné par elle au système de 1844 justifient ma manière de voir. L'honorable ministre de l'intérieur (je parle du ministre de l'intérieur de 1849) faisait remarquer dans cette discussion que l'opinion libérale était grande et généreuse, dans sa manière de se poser vis-à-vis d'une question de principe, qu'elle accordait des pouvoirs considérables à un homme qui depuis de longues années semblait avoir pris à cœur de contrecarrer toutes les idées libérales. L'honorable M. Rogier aurait-il voté la loi de 1844 s'il avait fallu abandonner la nomination des jurys d'examen exclusivement à l'honorable M. Nothomb?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je l'ai voté.

M. Orts. - Vous avez voté toute la loi, mais vous n'avez pas voté la question de principes, dégagée de toutes garanties, car personne ne vous l'a demandé.

La question s'est agitée entre le système du gouvernement et le système de la section centrale. Le système du gouvernement consistait à donner la nomination au Roi, à la condition que tous les établissements privés et de l'Etat seraient également représentés dans le jury. Voilà ce que vous avez voté; ce n'est pas ce que vous proposez aujourd'hui. Si vous le proposiez, je voterais avec vous à côté d'un principe de nomination que je crois aussi le meilleur ; vous demandiez des garanties pour les établissements nés de la liberté d'enseignement. Vous le demandiez, pourquoi? Parce que, disiez-vous, jusqu'alors le système en vigueur avait été pratiqué sans impartialité!

Vous qui ne changiez pas les hommes, vous qui votiez une loi qui devait être appliquée par cet homme auquel manquait, selon vous, l'impartialité, vous eussiez pu lui dire : Je vous confère des pouvoirs bien plus grands que ceux dont vous aviez abusé.

Vous ne l'auriez pas fait; vous ne l'avez pas fait. Vous avez voté pour la loi avec les garanties qu'elle offrait. Relisez le discours prononcé par l'honorable M. Devaux à la séance du 30 mars, vous verrez que cet honorable membre, pour motiver son vote d'adoption, insistait avec justesse, avec conviction sur les garanties plus importantes qu'offrait le projet du gouvernement comparativement à celui de la section centrale. Il repoussait le projet de la section centrale qui admettait, lui aussi. un droit d'intervention indirecte pour les établissements libres.

L'honorable M. Devaux faisait remarquer que ce droit que donnait indirectement la section centrale n'offrait pas autant de garanties de justice et d'impartialité que le projet du gouvernement.

Si cela était contesté, je ferais appel à un honorable membre qui annonçait hier, à mon vif regret, l'intention de ne pas prendre part à la discussion. Voici ce que disait cet honorable membre à la séance du 30 mars ; voici ce disait l'honorable M. d'Elhoungne :

« On a dit, il est vrai, que le projet du gouvernement, à côté d'un principe salutaire, a posé une limitation qui peut entraîner de graves inconvénients; j'entends parler de la reconnaissance des établissements libres, de l'obligation imposée à la couronne de choisir .nécessairement des représentants de ces universités pour la composition du jury d'examen.

« Messieurs, cette limitation apportée à la prérogative de la couronne, je dois l'avouer, cette reconnaissance et cette représentation forcée des établissements libres me paraît pouvoir engendrer quelques inconvénients. Mais j'ai considéré, pour ma part, que nous vivons à une époque où les idées absolues, où les systèmes absolus n'ont guère de chance de succès.

« En effet, messieurs, nous sommes sous un régime de liberté; or, un régime de liberté est nécessairement un régime de transaction. Aussi entendons-nous tous les jours et incessamment parler de conciliation, parler de transaction ; c'est le mot d'ordre de tous les partis. Eh bien, pour le jury d'examen, c'est comme transaction que j'ai cru devoir accepter cette reconnaissance des établissements libres et la limitation que par leur représentation forcée le projet du gouvernement impose aux choix de la couronne. Toul le monde doit voir une très grande concession, une immense garantie pour les établissements libres, dans cette transaction que nous acceptons de bonne foi. »

Je demanderai maintenant aux membres de cette chambre qui acceptaient cette transaction de bonne foi, et disaient qu'il y avait là de grandes garanties pour les établissements libres et qui précisément pour cela la votaient, je leur demanderai s'ils pourraient donner leur approbation à un projet qui rétracte en 1849 la transaction et les garanties de 1844.

Ce principe de l'intervention directe ou indirecte des établissements libres dans la formation des jurys, était-ce donc une idée qui n'avait jamais germé dans la tête d'aucun esprit sérieux? Est-ce quelque élucubration de cerveau malade, dangereuse pour l'Etat ou la société?

La section centrale nous a dit que jamais les professeurs de l'Etat ne formeront la majorité des jurys.

Après cette garantie, la section centrale, comme si elle était en présence du principe le plus dangereux pour l'ordre social, refuse positivement d'inscrire dans une loi un seul mot, une seule ligne qui pourrait donner aux établissements libres le droit de concourir à la composition du jury d'examen, d'une manière quelconque, directement ou indirectement.

Si c'est là un langage conciliant, si c'est là la transaction promise en 1844, j'avoue que je n’y comprends plus rien. Et cependant c'est cette même idée que vous appuyiez tous en 1844 (page 1620) les uns la qualifiaient « de juste satisfaction donnée à l'opinion libérale » ; c'était l'honorable M. Rogier.

Il ajoutait que le projet de loi avait été accepté par toute l'opinion libérale à ce titre de satisfaction avec une faveur marquée ; l'honorable rapporteur de la section centrale d'aujourd'hui allait plus loin : il disait que cette mesure avait été accueillie par l'opinion libérale avec enthousiasme. (Interruption.) Le mot y est.

M. Delfosse. - Je n'ai pas dit cela. Il ne faut pas me prêter une opinion que je n'ai pas émise. Votre citation est inexacte ou incomplète.

M. Orts. - Lisez la séance du 30 mars, et vous y trouverez le mot enthousiasme.

M. Delfosse. - Je vous défie de prouver que j'aurais dit que j'avais accueilli le projet de loi avec enthousiasme.

M. Orts. - Vous avez dit que l'opinion libérale avait accepté le projet de loi avec enthousiasme, mais vous avez ajouté que vous ne partagiez pas cet enthousiasme.

M. Delfosse. - A la bonne heure !

M. Orts. - Oui, mais je vais vous dire à mon tour pourquoi, tout en déclarant que vos amis avaient accueilli le projet avec enthousiasme, vous avez ajouté que vous ne partagiez pas cet enthousiasme. Vous ne le partagiez pas, non point parce que vous aviez peur de la garantie donnée aux établissements libres, mais parce que vous aviez peur du pouvoir attribué au gouvernement. Vous aviez peur de l'honorable M. Nothomb qui allait exécuter la loi. La nomination exclusive par le gouvernement ne vous paraissait pas exempte de toute espèce de critique, et vous avez dit que vous alliez vous rallier au projet.

M. Delfosse. - J'ai voté contre la loi.

M. Orts. - Vous n'avez pas voté contre, sur une question de principe; vous avez voté contre la seule proposition soumise au vote, la proposition de la section centrale. Vous savez annoncé que vous voteriez la loi avec vos amis, parce que la loi était devenue transitoire ; comme loi définitive, vous aviez peur du trop long avenir ministériel de M. Nothomb. Une fois qu'il ne s'est plus agi que d'appliquer la loi pendant trois ans, vous avez voté comme les autres membres de l'opinion libérale.

Ce n'est pas seulement en 1844 que les hommes qui ont toujours parlé et avec raison au nom de l'opinion libérale, ont proposé de laisser intervenir les établissements libres dans la formation du jury d'examen et même très directement. Déjà, en 1835, des garanties pour les établissements libres ont été réclamées; plusieurs membres de cette chambre ont demandé que ces établissements concourussent à la formation du jury. Le système qu'a proposé alors l'honorable M. Devaux reconnaissait d'une manière expresse le droit des établissements libres à concourir à la collation des grades.

L'honorable membre proposait différentes combinaisons pour la formation du jury, selon qu'il s'agissait ou d'élèves sortant des établissements libres, ou d'élèves se livrant à des études privées, ou d'élèves appartenant aux universités de l'Etat. Mais de cela même que l’honorable membre proposait en 1835 une combinaison pour les élèves sortant des universités libres, combinaison dans laquelle figuraient nécessairement des membres de ces universités pour les juger, il reconnaissait dans la loi la nécessité de laisser intervenir dans le jury les universités libres pour la défense de leurs intérêts.

L'honorable M. H. de Brouckere disait en 1835, qu'il voulait un système de jury nommé par le concours du gouvernement, des universités libres et des universités de l'Etat.

L'honorable M. de Brouckere défendait son idée contre les objections, précisément par l'argument que je lisais dans la brochure de l'honorable professeur de l'université de Bruxelles, dont l'honorable M. Van Hoorebeke parlait tout à l'heure ; il disait, en réponse à cette objection que l'on considère souvent comme capitale à l'objection : Que ferez-vous, s'il se fonde demain une troisième université libre ? Il disait : Je n'accorderais ni le titre ni les droits d'université au premier venu qui s'intitulera professeur d'enseignement supérieur. Je ne verrai d'université que là où il y aura un corps professoral complet, quatre facultés et cent élèves au moins.

C'est précisément, sauf le chiffre, ce que propose, si je ne me trompe, l'honorable M. Roussel, ou ce qu'a proposé un de ses collègues.

Vous voyez donc que cette idée de l'intervention des établissements privés dans la formation du jury d'examen est une idée présentée à plusieurs reprises et acceptée par l'opinion libérale. Que si, en 1844, elle a appuyé le projet de M. Nothomb qui présentait des garanties aux établissements libres et qui, pour sauvegarder ces garanties, réclamait le droit de nomination par l'Etat ; si, dis-je, elle a appuyé ce projet, c'était plus pour les garanties que pour le principe.

Je suis donc en droit d'exiger que les promesses de 1844 soient tenues ; que la position promise, à cette époque, aux établissements libres soit conservée, aujourd'hui qu'une politique plus libérale domine dans les conseils du gouvernement. Je le demande, non pas seulement parce que je le crois juste, mais je le demande comme une mesure protectrice du droit de minorité en matière d'enseignement. Vous me le refuserez peut-être, parce que aujourd'hui vous êtes forts pour le maintien d'un enseignement où le principe libéral domine; mais ce que vous savez comme moi, c'est que le gouvernement et le principe des majorités change; vous savez comme moi, que ce qui peut aujourd'hui être considéré par vous comme une garantie peu importante, sera demain peut-être la dernière sauvegarde de l'opinion à laquelle vous appartenez ; vous savez que si vous étiez ramenés à l'époque de 1844, vous seriez comme je le suis aujourd'hui, les chauds défenseurs de l'intervention directe des établissements libres dans la nomination du jury d'examen.

Je réclame cette garantie, quel que soit l'avenir réservé à l'opinion libérale. On me dira peut-être : « Que craignez-vous? Des mains impartiales tiennent le pouvoir, et tout fait présager qu'elles le garderont longtemps. » Je le sais; je crois que la situation de 1844 ne se reproduira plus ; mais ce que je sais aussi, c'est que les grands partis formés, unis par la lutte, se déclassent après le triomphe; qu'ils se séparent pour certaines questions que les luttes générales absorbent.

Parmi les opinions nouvelles qui se produisent alors, surgissent et majorité et minorité du sein même du parti triomphant. La cause que je plaide est celle des minorités libérales à venir, et vous qui me combattez, vous ne savez pas encore aujourd'hui à laquelle des opinions déclassées vous appartiendrez.

M. Delfosse (pour un fait personnel). - L'honorable M. Orts a cru trouver une contradiction entre les paroles que j'ai prononcées en 1844 et le rapport que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre au nom de la section centrale.

Si j'avais changé d'opinion depuis 1844, je n'hésiterais pas à en convenir ; on peut changer honorablement d'opinion, l'expérience est là pour nous éclairer ; il n'y a de honte à changer d'opinion que lorsqu'on en change pour obtenir des avantages personnels, pour arriver au pouvoir.

Mais l'honorable M. Orts est complètement dans l'erreur. Je veux aujourd'hui justement ce que je voulais en 1844.

En 1844, le débat portait sur deux grands principes : la nomination du jury par les chambres et la nomination par le gouvernement. J'ai dit à cette époque, comme l'honorable M. Orts vient de le rappeler, que la proposition de conférer la nomination du jury au gouvernement avait été accueillie avec enthousiasme par la plupart de nos amis politiques; mais j'ai ajouté qu'il m'était impossible de partager cet enthousiasme et j’ai déclaré que la proposition du gouvernement n'aurait mon assentiment que comme mesure temporaire; eh bien, c'est encore ce que je demande. Je demande que les pouvoirs qu'il s'agit de conférer au gouvernement soient limités à un terme de trois ans; aujourd'hui, comme en 1844, je vois dans cette limite une garantie pour la liberté d'enseignement.

Il y a donc une parfaite concordance entre l'opinion que j'ai soutenus en 1844 et celle qui est consignée dans le rapport; je n'ai pas eu en 1844 occasion de m'expliquer sur les détails du projet de M. Nothomb, je ne me suis expliqué que sur la question de principe.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On se montre susceptible dans cette enceinte à l'endroit de nos libertés constitutionnelles; on a raison. Si, par malheur, si, de mon fait ou de mon assentiment, la moindre atteinte était portée à la pureté, à la hardiesse de notre belle Constitution, ma conscience de citoyen, ma conscience de ministre en serait troublée pour longtemps. Mais, messieurs, en apportant aux discussions de cette chambre la loi qui la préoccupe avec tant de raison, je n'ai pas cru poser un acte ou contraire aux principes de notre Constitution, ou contraire aux intérêts du libéralisme que nous représentons, mais que nous n'avons pas mission de faire prévaloir en opprimant une autre opinion respectable; nous avons voulu concilier les droits de tous et les intérêts de tous; nous avons recherché avant tout l'impartialité, et nous n'hésitons pas à le dire, si dans les systèmes nouveaux qui peuvent surgir, des garanties plus fortes d'impartialité peuvent être consacrées, nous serons heureux de pouvoir nous rallier à un pareil système. Au point de vue politique, avant tout l'impartialité ; au point de vue scientifique, garanties propres à assurer le progrès des hautes sciences, des hautes études ; voilà, en deux mois, l'esprit qui a présidé à la préparation du projet de loi.

Si nous avions voulu poser un acte de parti, notre rôle était bien facile. Au lieu de prendre la peine de nous occuper du long travail de la préparation d'un nouveau projet de loi, nous n'avions qu'à laisser subsister la loi ancienne, et la livrer aux mains d'une majorité nouvelle: il serait sorti du sein de cette loi que nous considérons aujourd'hui comme morte, des choix vengeurs des injustices passées, mais dont notre opinion n'a pas gardé le souvenir.

Donc, messieurs, en venant proposer un système nouveau, en venant proposer à la majorité qui nous appuie aujourd'hui de se dépouiller de la prérogative dont elle pourrait faire un si dur usage contre d'anciens adversaires, en venant proposer un pareil changement, nous croyons avoir fait acte de véritable libéralisme et de tolérance politique.

Un honorable orateur qui vient de parler le dernier a annoncé qu'il ne pourrait pas voter la loi, parce qu'elle ne lui donne satisfaction ni au point de vue de l'économie, ni au point de vue de la science, ni au point de vue des intérêts libéraux.

Au point de vue de l'économie, l'honorable membre aurait voulu que, supprimant tout d'un coup les deux universités de l'Etat dans les villes de Liège et de Gand, nous eussions, comme nous l'avions fait à une autre époque, propose l'établissement d'une université centrale unique. L'honorable préopinant n'a pas dit s'il aurait choisi Bruxelles pour siège de cette université.

(page 1621) M. Orts. - Il va de soi que je n'aurais pas choisi Bruxelles, professeur de l'université libre, puisque cette université serait morte du jour où celle de l'Etat y aurait été installée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable député de Bruxelles qui rappelle une autre fonction qu'il honore, n'aurait pas choisi la ville de Bruxelles pour siège de l'université nationale. Pourrai -je, sans transformer la discussion en dialogue, lui demander quelle autre ville il aurait jugée propre à devenir le siège de l'université nationale? Serait-ce, comme je l'avais proposé en 1835, la ville de Louvain? Je ne pense pas qu'une pareille proposition aurait été accueillie sur certains bancs avec les mêmes applaudissements qu'a mérités à l'honorable député de Bruxelles une partie du discours qu'il vient de prononcer.

M. Orts. - M. le ministre veut-il une réponse? Je suis prêt à la lui donner.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous répondrez plus tard; il me suffit de savoir que ce n'est pas à Bruxelles que vous eussiez établi le siège de l'université nationale.

Messieurs, il y a de bonnes raisons à faire valoir en faveur d'une université centrale unique ; ces raisons, je les ai longuement développées dans la discussion de 1835. J'ai fait même une proposition spéciale ayant pour but d'établir à Louvain, avec tous les avantages attachés à cette situation, une seule et unique université. Cette proposition n'a pas prévalu. On a décidé qu'il fallait maintenir à Liège et à Gand les universités dont jouissaient ces villes, et supprimer celle de Louvain.

Sans vouloir faire injure à ceux qui à cette époque adoptèrent cette combinaison, on peut dire qu'on supprima l'université nationale de Louvain pour laisser la place ouverte à l'université libre qui vint s'y établir bientôt après, se transportant de Malines au siège bien plus favorable de Louvain, ainsi que l'avenir l'a prouvé.

Maintenant que ce système des deux universités de l'Etat a prévalu, maintenant qu'il a pris racine dans deux de nos importantes cités, maintenant que l’enseignement universitaire de l'Etat fleurit dans l'une et l'autre université, y a-t-il des raisons assez fortes pour transporter ailleurs le siège de ces universités, au risque de détruire l'université de Bruxelles ou celle de Louvain? Est-ce là le libéralisme dont on faisait étalage tout à l'heure ? Voulez-vous établir une université de l'Etat unique sur les ruines de l'université libre ou de l'université catholique? Ce n'est pas ainsi que nous entendons le libéralisme.

M. Orts. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Au point de vue scientifique, le système consistant dans l'existence de plusieurs jurys, indiqué dans le projet de loi, ne satisfait pas l'honorable député de Bruxelles. Quoi, dit-il, vous aurez trois jurys, trois tribunaux, avec une jurisprudence différente ! Quelle garantie y aurait-il là pour la science? J'avoue que je ne saisis pas bien les rapports qui peuvent exister, entre la science même et le nombre des jurys, chargés d'examiner les élèves.

Si tous les intérêts de la science, si toutes les questions scientifiques devaient se porter dans un seul et unique jury, je comprendrais que l'on eût éprouver quelque appréhension, que l'on pût craindre de voir la science se rétrécir, s'immobiliser dans le sein d'une espèce de corporation unique, enchaînant le progrès. Mais parce que la science serait représentée par trois juges différents, croyez-vous qu'elle ne marchera pas ? Il me semble que tenir ce langage, c'est aller contre la nature même des choses.

Sous le royaume des Pays-Bas, nous avions non pas trois jurys, mais six jurys. Nous avions six universités, faisant chacune chez elle ses examens et délivrant des diplômes. Je ne crois pas que ce système ait été si préjudiciable aux intérêts de la science.

M. Rodenbach. - On vendait alors les diplômes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est possible. Il est possible qu'il soit sorti des universités de l'Etat d'alors des hommes médiocres. Mais ce que je puis dire, c'est que l'enseignement d'alors a fourni au pays des hommes très remarquables dans toutes les carrières.

Le système formulé dans l'exposé des motifs, loin d'être antiscientifique, a au contraire un but, une portée toute scientifique : il a pour but de substituer au système antiscientifique d'aujourd'hui un système plus scientifique : il a pour but de mettre l'élève en contact avec le professeur et de le forcer à diriger ses études moins en vue de l'examen qu'à étudier la science pour la science.

Messieurs, le vice du système d'aujourd'hui, c'est précisément d'avoir matérialisé les études scientifiques, c'est d'avoir transformé en des efforts de pure mémoire les efforts de l'esprit, qui doivent se porter vers les recherches scientifiques, vers le progrès de la science.

Le système que nous indiquons, aura pour but d'introduire entre les professeurs et les élèves, entre la science et l'étudiant, ces rapports intimes, fréquents, qui doivent nécessairement concourir au progrès des études scientifiques.

Le système de la loi porte atteinte, dit-on, à la liberté de l'enseignement; en premier lieu en réservant pour les universités de l'Etat les bourses d'étude universitaires; en deuxième lieu, par la manière dont le jury sera composé.

Je commence par la question des bourses.

Est-il vrai que la liberté d'enseignement soit violée, parce le gouvernement serait autorisé à donner certaines bourses aux élèves qui suivraient les établissements dirigés par le gouvernement ?

Nous faisons une loi qui a deux objets.

Dans une de ses parties, la loi a pour but de régler l'enseignement général ; de consacrer l'établissement de jurys devant lesquels viendront se faire examiner tous les élèves, n'importe la source où ils ont puisé leurs connaissances.

Voilà une partie de la loi.

Dans l'autre partie de la loi, que faisons-nous? Nous réglons l'enseignement public donné aux frais de l'Etat.

Mettons pour un instant de côté la partie du projet qui concerne le jury d'examen. Ne nous occupons que de la partie de la loi qui concerne l'enseignement donné aux frais de l'Etat. Parmi les objets qui doivent occuper le législateur, figurent les encouragements, les subsides; ici se présente la question des bourses. Nous disons que dans les établissements de l'Etat organisés comme le veut la loi, un certain nombre d'élèves, seront admis au moyen de bourses. Où est l'entrave apportée à la liberté d'enseignement? Est-ce que nous forçons les jeunes gens à, venir fréquenter les établissements de l'Etat? Nullement, messieurs, nous encourageons un certain nombre d'élèves à fréquenter les universités de l'Etat.

On veut outrer le principe de la Constitution ; non seulement on veut que la liberté, et nous le voulons aussi, soit garantie, mais on veut que la liberté soit en quelque sorte rémunérée, reçoive des subsides. Mais c'est aller évidemment beaucoup trop loin. L'Etat doit à la liberté protection, garantie ; mais il ne lui doit pas de largesses.

Voyez où vous conduirait un pareil système appliqué à toutes nos libertés constitutionnelles ! Bientôt on viendra nous demander de favoriser la liberté d'association par des subsides, la liberté de la presse par des subsides ; et sans doute aussi, il faudra, si quelque jour l'un ou l'autre jeune homme, l'un ou l'autre élève se sent porté par une vocation irrésistible vers telles ou telles idées qui aujourd'hui ont le privilège d'effrayer bien du monde, il faudra aussi favoriser la vocation d'un tel élève qui se dira destiné à suivre un établissement où seront professées ces doctrines. Dira-t-on, que les fonds de l'Etat doivent recevoir une pareille destination? Je crois que ce serait pousser beaucoup trop loin le respect pour la liberté ; ce serait de l'exagération, ce serait de l'anarchie.

Messieurs, il y a des antécédents, des autorités qui doivent nous faire croire que nous sommes dans la bonne voie, en réservant, dans une loi sur l'enseignement de l'Etat, l'argent de l'Etat pour les élèves qui suivront ses établissements. La ville de Bruxelles, la province de Brabant ont créé des bourses universitaires. Je ne pense pas que les jeunes gens qui demandent ces bourses à la province ou à la ville aient la faculté d'aller étudier dans une université de l'Etat. Il y a plus. Je ne pense pas qu'ils aient la faculté d'aller étudier, dans leur province même, avec la bourse provinciale, à une autre université que celle de Bruxelles. Trouve-t-on que cette manière de distribuer les bourses provinciales blesse la liberté. Je m'étonnerais que l'honorable député de Bruxelles, qui vient de prendre fait et cause d'une manière si remarquable pour le principe de la liberté la plus illimitée, souffrît qu'un établissement auquel il est attaché avec tant de distinction, jouît du privilège si exorbitant, si illibéral, d'accaparer à lui tout seul des boursiers qui seraient appelés par leur vocation à aller étudier, par exemple, à l'université de Louvain avec une bourse provinciale fondée au moyen des deniers de la province de Brabant.

Je crois, messieurs, que la ville de Bruxelles, comme la ville de Gand, sont parfaitement dans leur droit en créant des bourses avec destination spéciale, en accordant ces bourses conditionnellement, pour tel ou tel établissement.

On se pose comme très libéral ; mais on ne l'est qu'à demi. Nous sommes beaucoup plus complètement libéraux que vous, et nous allons le prouver.

Il semble, messieurs, qu'en fait de liberté, après qu'on a parlé de l'université de Bruxelles et aussi de l'université de Louvain, il faut fermer la porte à toute autre liberté, qu'il n'y a plus en Belgique de liberté à sauvegarder du moment que la liberté de ces deux établissements est sauve. Cela ne me suffit pas, quant à moi. En dehors des établissements de l'Etat, je tiens compte des établissements privés, de l'établissement de Louvain et de l'établissement de Bruxelles; mais, en dehors de ces deux derniers établissements, je tiens compte aussi des études privées, des études solitaires, des études qui peuvent se faire sous la direction d'un professeur très distingué, alors même qu'il n'appartiendrait pas à l'une de nos quatre universités.

Il peut s'en trouver et il s'en trouve. Eh bien! que faites-vous pour les études privées? Un étudiant n'a confiance ni dans vos universités ni dans les nôtres. Sa vocation le porte à étudier sous un professeur distingué, ou à étudier chez lui, solitairement. Il viendra vous demander une bourse. De quel droit la lui refuserez-vous?

M. Orts. - Je la donnerai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous la donnerez! Je vous amène à faire cette concession. Moi aussi, je la donnerai ; mais ce ne sera pas en vertu de la loi sur l instruction donnée aux frais de l'Etal. Le budget renferme des subsides pour encouragement aux lettres, aux sciences et aux arts.

Il arrive quelquefois que le gouvernement accorde sur cette partie de son budget des subsides à des jeunes gens qui se distinguent. Je ne serais pas éloigné, si je rencontrais un jeune homme de cette espèce, de lui donner un subside. Mais ce n'est pas dans une loi ayant pour objet (page 1622) l'enseignement donné aux frais de l'Etat, que je voudrais introduire un pareil principe.

Messieurs, j'ai dit à l'honorable député de Bruxelles, qu'en fait de libéralisme il n'allait pas assez loin, et que le projet était beaucoup plus libéral que tout ce qu'on propose et que tout ce qui existe.

Dans le jury encore, tel que l'honorable député de Bruxelles ne le propose pas, mais semble l'insinuer, le conseiller, dans le jury qui aurait ses prédilections, je vois bien figurer les représentants des universités de l'Etat et les représentants de deux établissements libres; mais quant aux représentants des études privées, des études solitaires, il n'en est pas question.

Il semble, encore une fois, que tout est dit, que toutes les libertés sont garanties lorsque l'université de Bruxelles et celle de Louvain se trouvent représentées dans le jury d'examen. Ce n'est pas ainsi, messieurs, que nous l'entendons dans le système du gouvernement. Louvain et Bruxelles seront représentés au sein du jury comme Liège et Gand, mais il y aura aussi pour les études privées, un jury central où pourront venir s'adresser les jeunes gens dont les parents n'auront pas eu confiance dans les universités de l'Etat ou dans les universités libres, les jeunes gens qui se seraient livrés à des études solitaires.

Ce jury central a été fortement attaqué. On a dit qu'il serait le refuge des vaincus des autres jurys. Eh bien, messieurs, en le prenant même à ce point de vue étroit, ne serait-ce rien pour la liberté de l'enseignement que ce refuge, que cette espèce de cour d'appel contre les jugements injustes ou passionnés dont un jeune homme aurait été victime ? Vous qui voulez la liberté illimitée, vous devriez être les premiers à applaudir à ce refuge qui n'a pas mérité l'ironie dont vous le poursuivez. Oui, messieurs, il faut un refuge contre les coalitions possibles entre les universités de l'Etat et les universités libres. Cela s'est vu et pourra se voir encore. Lorsqu'ils auront agi pendant quelque temps en commun, il s'établira une entente cordiale entre les professeurs des universités de l'Etat et les professeurs des universités libres et cela sera utile sous beaucoup de rapports. Mais cela pourrait aussi avoir pour résultat de faire repousser ceux qui n'auraient pas fait leurs études dans une université. Eh bien, pour ce cas il faut un refuge pour les jeunes gens qui auraient été injustement repousses par le jury universitaire. Cette institution est la meilleure preuve que le gouvernement veut la liberté pour tout le monde.

Il ne veut pas, comme certaines opinions le voudraient, il ne veut pas un monopole à quatre, il veut la liberté pour tout le monde.

Le système de 1844, que nous avons accueilli, je dirai tout à l'heure pourquoi, ce système consacrait le monopole universitaire des deux établissements libres et des deux établissements de l'Etat; mais ce système valait mieux que celui qu'il était destiné à remplacer, celui que nous avions toujours combattu, celui dont la majorité que nous combattions avait fait, suivant en cela la pente naturelle aux majorités, avait fait un si étrange et si long abus. La minorité d'alors accueillit avec satisfaction ce projet de loi, parce qu'il enlevait à la majorité les moyens dont elle avait abusé, il faut le dire, vis-à-vis de l'opinion libérale ; elle remettait au gouvernement la nomination du jury et, bien que l'opposition d'alors n'eût pas confiance dans le gouvernement, elle préférait ce système, parce qu'elle attendait de l'action du gouvernement plus d'impartialité que de l'action de la majorité. Elle savait à qui s'en prendre des mauvais choix qui auraient été faits; elle avait un pouvoir responsable substitué à un pouvoir irresponsable. Voilà pourquoi le projet a été accueilli avec faveur par l'opposition.

Du reste, je ne pense pas, pour mon compte, avoir approuvé le système de 1844 par cela qu'il appelait, de par la loi, les universités de Bruxelles et de Louvain, à prendre part aux opérations au jury. Ce n'est pas pour cela, je l'ai accueilli avec faveur ; je l'ai accueilli avec faveur, je le répète, parce qu'il substituait à un système mauvais un système meilleur, parce qu'il substituait un pouvoir responsable à un pouvoir irresponsable.

On croit, messieurs, faire beaucoup pour la liberté en faisant entrer les établissements libres dans la loi ; je crains qu'on ne s'aperçoive pas des dangers qu'un pareil système peut renfermer. Car enfin vous ne ferez pas entrer les établissements libres dans la loi, sans conditions, sans restrictions. Vous-mêmes, faisant allusion à un système proposé par un de vos honorables collègues, vous dites : On n'admettra à faire partie du jury que les établissements ayant tel programme d'études, renfermant tel nombre d'élèves. Voilà déjà des restrictions que vous faites, mais, prenez-y garde ! à ces restrictions la loi peut en ajouter d'autres, et de restrictions en restrictions, la liberté pourrait bien y passer tout entière. Que la liberté reste dans la Constitution, elle sera beaucoup mieux garantie qu'elle ne pourrait l'être en entrant dans la loi; du moment qu'elle entre dans la loi elle est exposée à des restrictions, elle s'enchaîne : « lex est quod ligat ».

Voici, messieurs, comment le rapporteur de la section centrale en 1844 appréciait et condamnait le système mis en avant par l'honorable député de Bruxelles; c'était l'honorable M. de La Coste, rapporteur émanant de la majorité d'alors :

« Les universités, disait l'honorable rapporteur, se décomposent en facultés, et chaque jury a pour objet l'examen dans une faculté. Or, il peut exister ou se former dans un établissement qui n'a pas le caractère universitaire, une faculté aussi florissante, plus florissante peut-être que dans telle université. Pourquoi alors celle-ci jouirait-elle du droit de représentation dans cette faculté, à l'exclusion de l'établissement rival ? Ce serait un véritable privilège. Remarquons ensuite que, par une conséquence logique de la liberté d'enseignement, chaque établissement libre choisit à son gré ses principes : les vérités les plus hautes ou les sophismes les plus dangereux pour l'Etat et pour la société civile, pourvu que ceux-ci n'aillent pas se traduire en infractions aux lois. Nous ne partions pas de l'idée que des maximes funestes soient professées dans aucun établissement ; nous augurons mieux du sens moral de ceux qui les dirigent, de l'intérêt des établissements mêmes. Toutefois, on ne saurait nous contester la possibilité du fait, car elle découle du principe que nous défendons; on ne saurait nous contester la possibilité qu'un établissement, aujourd'hui à l'abri de tout reproche, ne décline et ne se corrompe. Eh bien ! peut-on écrire dans une loi qu'en toute hypothèse, par conséquent dans celles aussi que nous venons de poser, l'établissement aura droit de fournir au jury un représentant de ses principes, avec juridiction non seulement sur ceux qu'il aura initiés et formés, mais sur toute la jeunesse studieuse du pays?

Il n'y a pas cependant d'antre choix entre les partis à prendre. Si vous voulez d'autorité introduire l'enseignement libre dans le jury, ou bien vous imposez de fortes conditions à l'enseignement libre, ou vous l'admettez sans condition, et alors vous l'enchaînez, vous courez la chance de rencontrer les inconvénients qui faisaient repousser alors par la section centrale les propositions de l'honorable M. Nothomb. A cette époque, la section centrale proposait le maintien du système de la nomination par les chambres, système que personne ne demande plus aujourd'hui, et j'en suis vraiment surpris après l'enthousiasme qu'il occasionnait de son vivant.

Messieurs, je dis que le projet de loi que nous avons présenté est beaucoup meilleur une ce qui existe ou ce qui a été proposé. Ce n'est pas seulement la question du jury qui se trouve dans le projet de loi; il renferme un grand nombre d'améliorations dont, je l'espère, toutes les opinions dans cette chambre tiendront compte au gouvernement. A part la question du jury, sur laquelle je ne désespère pas encore de ramener un certain nombre d'opposants, je considère le projet de loi comme devant réunir l'unanimité des suffrages par le grand nombre d'améliorations qu'il contient.

Un côté bien libéral du projet de loi est celui-ci : Il vient en aide aux élèves; il allège de beaucoup les travaux dont ils sont aujourd'hui accablés au grand détriment de leur santé, ce qui est un inconvénient grave, et au grand détriment des bonnes études, ce qui n'est pas un inconvénient moins grave.

Il crée le poste d'élève universitaire, c'est-à-dire qu'il supprime beaucoup de matières dans l'examen de candidat; il le divise de telle manière qu'il le rend plus facile. Par là il relève l'enseignement moyen qu'on trouvait généralement trop abaissé; il force les établissements d'enseignement moyen à relever le niveau de leurs études. D'un autre côté, il met les professeurs des universités en position de rehausser eux-mêmes leur enseignement, qui aujourd'hui doit souvent descendre au niveau de l'enseignement moyen. Sous ce rapport, je ne pense pas qu'on rencontre dans cette enceinte une seule voix contre la création du grade d'élève universitaire.

Mais on critiquera peut-être la manière dont le titre d'élève universitaire sera conféré ; on attaquera le mode de composition du jury qui sera chargé de conférer ce grade; la loi ne s'en explique pas; elle s'en réfère au gouvernement pour la composition de ce jury, comme elle s'en réfère à lui pour la composition du jury d'examen chargé de délivrer les grades académiques. (Interruption.)

Nous entendons composer les deux jurys, dans le même esprit, d'après le même système. (Nouvelle interruption.)

Le jury qui sera appelé à décerner le grade d'élève universitaire, sera nécessairement un jury ambulant, comme on l'a appelé ; il devra se rendre dans un certain nombre de villes. Voilà pour la facilité des élèves. Quant au jury lui-même, il devra être composé d'éléments impartiaux. Je n'ai pour cela d'autre garantie à donner que ma responsabilité.

Les matières d'examen ont été généralement réduites et simplifiées, de telle manière toutefois que l'intérêt de la science se trouve sauvegardé. Par d'autres mesures, au contraire, on encourage les élèves à approfondir certaines parties de la science. Ils sont autorisés à subir des examens sur telle partie de la science qu'ils entendent étudier d'une manière plus particulière. Par la, nous espérons pouvoir arriver à la création de ces spécialités scientifiques qui trop souvent font défaut au progrès de la science.

Je ne veux qu'indiquer très sommairement les autres améliorations.

Nous créons un grade nouveau : c'est celui de docteur en sciences administratives.

Nous soumettons à des examens certaines fonctions qui aujourd'hui sont occupées sans qu'on exige des titulaires des garanties suffisantes de capacité et de science ; le notariat sera soumis à un examen ; la profession de pharmacien deviendra aussi le prix d'un examen scientifique.

J'espère que l'ensemble de la loi sera de nature à satisfaire toutes les opinions dans cette chambre. J'espère même, après les explications données, que la frayeur avec laquelle certaines opinions timorées ont accueilli le principe déposé dans le projet de loi disparaîtra successivement. Je vois avec grand plaisir la modération qui a présidé jusqu'ici à notre discussion. Cela est d'un bon augure.

Il est à désirer que l'irritation ne s'empare pas de pareils débats, que de part et d'autre, nous examinions de bonne foi, avec sincérité les (page 1623) moyens d'organiser un jury propre à concilier les intérêts de la science et de la liberté; l’une et l'autre nous sont également chères.

Je le répète, je serais le premier à repousser un système qui aurait pour but d’entraver la liberté de renseignement. Nous sommes anciens dans ces sortes de luttes; nous avons concouru à établir la liberté d'enseignement et les autres libertés qui font l'honneur et la force du pays; soyez-en convaincus, tant que nous aurons l'honneur d'occuper ces bancs, nous ne contribuerons à entraver aucune de nos libertés constitutionnelles.

Recherchons donc de bonne foi, avec sincérité, le meilleur système à suivre pour garantir en même temps les intérêts de la science et ceux de la liberté.

Jusqu'ici, je dois le dire, le système proposé par le gouvernement est le plus complet, le plus libéral de tous. Peut-on offrir quelque chose de plus complet, de plus libéral, de plus impartial? Nous ne demandons pas mieux que de l'examiner cl de nous y rallier.

M. Orts. - Je demande à donner à M. le ministre de l'intérieur la réponse à la question qu'il m'a adressée. Je n'ai pas demandé la suppression de l'une et l'autre université de l'Etat et la création d'une université nouvelle dans une localité quelconque. Cela ne me regarde pas; j'ai indiqué comme moyen le maintien de deux facultés à Gand et à Liège, avec d'autres compensations.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y aurait pas eu d'économie.

- La séance est levée à 5 heures.