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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 8 juin 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1581) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

- La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« L'administration communale de Liège réclame l'intervention de la chambre, pour obtenir la conclusion de l'arrangement proposé par la Société du Luxembourg, relativement à la construction du canal de l'Ourthe, de Liège à la Roche. »

M. Deliége. - Je demanderai le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

Indépendamment de la question qui fait le sujet du procès, il y en a un autre à examiner : celle de savoir si, outre l'emploi des 2 millions provenant du cautionnement, la compagnie du Luxembourg offre de faire des travaux pour une certaine somme? Car, de deux choses l'une, messieurs, ou nous perdrons le procès qui est ventilant entre l'Etat et la commission, ou nous le gagnerons. Si nous le perdons, nous serons condamnés à la restitution du cautionnement, et nous n'aurons pas le chemin de fer du Luxembourg. Si nous le gagnons, nous n'aurons pas ce chemin de fer; nous aurons les deux millions et pas plus ; car, si elle est condamnée, il y a le plus grand risque de la voir se dissoudre à l'instant même.

La commission des pétitions aura donc cette question à examiner : l'Etat aura-t-il une somme d'avantages plus grande par le gain du procès que par la transaction qui lui est offerte?

- La proposition de M. Deliége est mise aux voix et adoptée.


« Les membres du conseil communal et un grand nombre d'habitants de Gembloux prient la chambre d'autoriser le gouvernement à rembourser à la grande compagnie du Luxembourg le cautionnement qu’elle a déposé, à charge par elle de l'affecter à la construction de la ligne du chemin de fer de Bruxelles à Namur, p3r Wavre et Gembloux. »

M. de Luesemans. - Messieurs, comme il nous est déjà arrivé plusieurs pétitions se rattachant au même objet, et que la chambre a décidé qu'il serait fait un prompt rapport, je demande qu'on fasse un seul rapport sur toutes ces pétitions, et qu'on présente ce rapport assez promptement, pour que la chambre puisse examiner la question avant de se séparer.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Defoy présente des observations sur la répartition de la contribution personnelle. »

M. Lange. - Je proposerai le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la contribution personnelle.

- Adopté.


« Le sieur Léger, ancien soldat, prie la chambre de lui accorder un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Hoeylaert réclame l'intervention de la chambre pour que le gouvernement fasse une transaction avec la société du Luxembourg. »

« Même demande de plusieurs habitants de Boitsfort. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


M. Rousselle, retenu par une indisposition de sa mère, demande un congé.

- Accordé.

Rapport sur une pétition

M. Loos. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie, sur la requête des armateurs à la pêche, de Blankenberghe, qui demandent plusieurs choses, et, entre autres, une augmentation des droits d'entrée sur le stockfisch.

La commission propose le renvoi à M. le ministre des affaires étrangères et à M. le ministre des travaux publics.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport. Elle fixera ultérieurement le jour de la discussion.

Ordre des travaux de la chambre

M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance d'hier on a proposé de discuter mercredi prochain la loi sur le transit. Je crains fort que mercredi prochain on ne soit pas en nombre. Beaucoup de membres se disposent à partir, car il en est plusieurs qui n'ont pas quitté Bruxelles depuis l'ouverture de la session. Je pense qu’il vaudra infiniment mieux remettre cet objet après le 18, lorsque nous reviendrons pour la loi sur l'enseignement supérieur. On pourrait alors s'occuper de la loi du transit. D'ailleurs, cette loi n'expire que le 30 juin.

Mais je pourrais demander pourquoi l'on ne continue pas à discuter lundi prochain. On me dira qu'il y a des fêtes à Liège; les députés de cette ville peuvent aller y participer ; mais les ministres sont et doivent être ici.

Si l'on veut se séparer pour quelque temps, il vaut infiniment mieux alors s'ajourner jusqu'au 18, sauf à discuter la loi sur le transit, après le projet de loi sur l'enseignement supérieur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, les fêtes dont vient de parler l'honorable préopinant ne doivent, en aucune façon, préoccuper la chambre. Les ministres sont à la disposition de la chambre. Le projet de loi sur le transit n'a pas, à la vérité, un grand caractère d'urgence; ce projet consacre les améliorations qui déjà existent en vertu des pouvoirs qui avaient été délégués au gouvernement ; cependant il renferme des dispositions nouvelles également favorables au commerce. On a demandé que la discussion fût fixée à mercredi, nous y consentons ; si l'on veut que la discussion vienne à une autre époque, la chambre statuera; mais, je le répète, nous sommes aux ordres de la chambre.

M. Osy. - La chambre a décidé que le projet de loi sur le transît serait mis à l'ordre du jour de mercredi prochain. Je demanderai que cette décision soit maintenue. En mettant également à l'ordre du jour les crédits supplémentaires et le projet de loi de l'honorable M. Rousselle, nous arriverons au 18.

M. Rodenbach. - Je m'oppose à ce qu'on fixe à mercredi prochain la discussion du projet de loi sur le transit. Je conçois que ce jour puisse convenir aux députés de Gand et d'Anvers et à ceux qui demeurent dans le voisinage : ils ont la commodité du chemin de fer. Mais il y a d'autres représentants qui ne jouissent pas de cet avantage, qui voudraient aussi rentrer pour un moment dans leurs foyers, pour leurs affaires, mais qui ne pourraient pas être de retour pour mercredi. Puisque M. le ministre des finances vient de dire qu'il n'y a aucun obstacle à ce qu'on discute lundi prochain, je ne vois pas pourquoi nous ne discuterions pas la loi du transit ce jour-là. Nous pourrions, après le vote, immédiatement rentrer chez nous, pour nous réunir de nouveau le 18.

M. David. - Messieurs, je viens appuyer la proposition de l'honorable M. Osy. J'aurai l'honneur de faire remarquer à la chambre que lorsque nous aurons terminé la loi de l'enseignement supérieur, nous serons en session depuis neuf mois ; que, fatigués de cette discussion qui sera très importante, nous ne resterons pas réunis en nombre suffisant pour discuter la loi sur le transit, que je considère aussi comme très essentielle.

M. Loos. - Je pense qu'il y a lieu de maintenir la fixation de la discussion de la loi sur le transit, à mercredi. Avec ce qui se trouve à l'ordre du jour, la chambre aura des travaux jusqu'à la fin de la semaine ; les membres qui seront revenus mercredi seront occupés sans interruption jusqu'à lundi, jour où doit commercer la loi sur l'instruction supérieure. J'ajouterai que, parmi les objets à l'ordre du jour à la suite de la loi sur le transit, il en est plusieurs d'urgence.

Je demande le maintien de la décision prise.

M. Mercier. - Je pense qu'on ne nous distribuera que jeudi au plus tôt le rapport sur l’enseignement supérieur ; la discussion est fixée au lundi suivant, aurons-nous assez de temps pour étudier un objet aussi important, si nous avons des séances publiques? Il serait inopportun, ce me semble, de reprendre les séances mercredi, alors que nous serons nantis d'un document que nous devrons étudier.

M. le président. - Plusieurs propositions sont faites.

La chambre a fixé à mercredi la discussion de la loi sur le transit.

M. Rodenbach propose de la fixer à lundi.

M. Delfosse. - Je pense que ce qui reste à l'ordre du jour pourra être terminé en trois séances; on pourrait alors commencer jeudi ; je serai ici mercredi, mais il serait inutile de faire revenir les membres mercredi, alors qu'il n'y aurait du travail que pour trois jours et qu'on se trouverait n'avoir rien à faire le samedi.

Je propose donc de fixer la discussion de la loi sur le transit à jeudi.

M. Osy. - Je me rallie à la proposition de M. Delfosse.

M. Rodenbach. - Je vois que la chambre désire se reposer quatre ou cinq jours, je retire ma proposition.

- La chambre consultée fixe la discussion de la loi sur le transit à jeudi.

M. le président. - Et les autres objets...

M. Delfosse. - Ils viendront à la suite; mais il y a un crédit (page 1582) supplémentaire au département des finances, qui me paraît urgent et qu'on pourrait voter aujourd'hui.

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt) dépose sur le bureau le rapport relatif au service des malles-postes d'Ostende à Douvres, prescrit par une disposition du budget de l'exercice actuel.

Projet de loi prorogeant le délai prévu pour la présentation d’un projet de loi définitif sur les warrants

Dépôt

Il présente ensuite un projet de loi tendante proroger d'une année le délai fixé par l’article 7, de la loi du 26 mai 1848 pour la présentation d’un projet de loi définitif sur le système des warrants.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces documents et renvoie le projet de loi à l'examen des sections.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Article 3

La discussion continue sur l’article 3.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je crois qu'avant que la discussion continue, il importe de donner une explication à la chambre. Je pense que plusieurs des honorables membres qui ont pris la parole dans la séance d'hier sur la question des comptoirs, et entre autres l'honorable auteur de la proposition d'ajournement, n'ont pas bien compris la portée de la communication qui a été faite à la section centrale. Ils ont cru, je pense, qu'il s'agissait d'un engagement définitif sur lequel la chambre doit nécessairement se prononcer.

Eh bien, la communication faite à la section centrale est simplement une idée émise par le gouvernement, un mode d'emploi possible d'une partie du crédit.

Il n'y a absolument aucun engagement contracté. Mais cette proposition paraissant importante, le gouvernement a cru de son devoir de la faire connaître immédiatement à la chambre.

Dans tous les cas, avant que le gouvernement ne prenne une résolution sur ce point, il admettra la concurrence, il consultera même les chambres de commerce sur l'utilité de l'établissement de comptoirs dans les Indes orientales. Cette question a déjà été examinée d'une manière générale par les chambres de commerce : elle le sera encore, en présence d'une proposition sérieuse.

Nous n'avons nullement l'intention de brusquer une décision sur ce point. Nous avons voulu seulement émettre une idée qui nous parait utile.

Voilà la portée de la proposition. Il n'y a aucun engagement pris.

Le conseil des ministres n'a pas même délibéré sur les conditions proposées par les négociants d'Anvers.

M. De Pouhon. - Un de nos honorables collègues demandait hier ce que l'on entendait par les comptoirs qu'il s'agit d'instituer à Syngapore et sur d'autres points des Indes orientales. Quoique M. le ministre de l'intérieur ait répondu à cette question, je crois devoir y revenir, moins pour expliquer la dénomination que pour définir le sens que l'on attache à la chose.

Je me ferai mieux comprendre, messieurs, si je vous indique les besoins auxquels on a en vue de satisfaire par l'établissement de ce que l'on appelle des comptoirs.

Le choix des correspondants est un des grands écueils que présente le commerce avec les pays lointains; si vous voulez entreprendre des affaires avec un point quelconque, vous vous enquérez des bonnes maisons du lieu. C'est la solidité que vous cherchez d'abord, puis la moralité, puis l'aptitude, l'activité, la spécialité des branches d'affaires. Chacune de ces conditions importe beaucoup.

On vous indique la première maison de la place; elle est, je le suppose, solide et honnête.

Mais vous apprenez trop tard, que sa branche d'affaires est étrangère à celle que vous lui avez confiée et que, par ignorance, elle a sacrifié vos intérêts.

Ou bien, elle vous écrira qu'elle a pris avec telle maison anglaise ou d'ailleurs l'engagement de ne vendre que pour elle des draps, des cotons, ou autres articles dont vous lui aurez fait un envoi ; elle vous invite à faire retirer vos marchandises, ou elle les fait vendre à l'encan pour se rembourser de ses avances si elle a dû acquitter des droits élevés.

Etonnez-vous d'après cela, messieurs, s'il y a tant d'éloignement à entreprendre des affaires avec des marchés distants de quelques mille lieues quand il n'y a pas déjà des relations régulièrement établies.

Je vous signalerai un autre désavantage que vous avez sur ces marchés en regard des négociants anglais, français ou autres qui vous y ont devancés de longtemps. Ceux-ci ont des agents permanents exclusivement occupés du soin de leurs affaires.

Les négociants de ces marches lointains ont leurs relations les uns avec l'Angleterre, d'autres avec la France ou l'Allemagne, ils sont le plus souvent originaires de ces pays. Leur intérêt, leurs inclinations, leurs habitudes les portent naturellement à donner la préférence à ces anciens et principaux correspondants dans la distribution de leurs ventes ou de leurs achats, dans les informations utiles qu'elles ont à passer en Europe pour la direction d'affaires nouvelles.

On ne pare qu'imparfaitement à une partie de ces inconvénients en envoyant des agents avec la marchandise ; des subrécargues ne dispensent point de l'obligation de consigner le navire et la cargaison à une maison; devant faire le choix du consignataire à leur arrivée, ils n'ont pas le temps d'en apprécier le mérite. L’envoi d'agents spéciaux entraîne d'ailleurs une dépense que ne comportent guère que des expéditions assez considérables.

En présence de ces dangers, de cette infériorité de moyens de succès comparativement à ceux dont jouissent nos rivaux en industrie, on a senti le besoin d'avoir, sur les marchés que l'on veut explorer, des agents belges qui soient favorablement connus, à qui nos négociants et fabricants puissent avec plus de sécurité confier leurs intérêts.

Si c'est une grande société de commerce qui soit appelée à satisfaire ce besoin, on pourra donner le nom de factorerie à son agence à Syngapore.

Est-ce une association comme celle qui veut se former à Anvers ? Elle désignera son agence par le nom de comptoir.

Le gouvernement voudra-t-il encourager par une indemnité des frais de premier établissement ou autres faveurs, des individus qui se rendront sur un point désigné, pour s'y établir et y faire des ventes et achats pour compte de fabricants et négociants belges ? Ce sera tout uniment une maison de commerce belge, un commissionnaire belge.

L'intervention de l'Etat dans l'établissement de ces agences ne sera que temporaire, il faut l'espérer. Le gouvernement n'intervient qu'au même titre qu'il le fait dans la voirie vicinale, l'assainissement des villes et communes, et autres améliorations utiles, c'est-à-dire pour encourager, inciter les intérêts particuliers.

J'ai voté de tout cœur ces subventions. Quand je considère dans leur ensemble les résultats obtenus au moyen des crédits alloués précédemment au ministère, aux mêmes fins, je ne suis nullement tenté de me demander si ces dépenses ont été faites en parfaite harmonie avec les principes rigoureux de l'économie politique.

La formation de comptoirs aux Etats-Unis ne réclamerait plus le concours de l'Etat en vue de certaines branches de notre production industrielle.

La fabrication de draps a été suivie par de grandes maisons de Verviers, qui ont ouvert la voie des progrès de l'industrie et des débouchés. L'une d'elles a eu un agent à New-York, mais un agent spécial et exclusivement chargé du soin de ses affaires. Elle a fait connaître les produits de Verviers aux Etats-Unis, et des négociants américains sont venus faire des achats en fabrique même. D'autres fabricants, voyant qu'il y avait là des ventes à faire, y sont allés également, et aujourd'hui ils n'ont plus besoin d'être excités ni encouragés; leur propre intérêt les stimule suffisamment. L'intervention de l'Etat pour l'établissement de comptoirs aux Etats-Unis ne se justifierait donc plus qu'en vue d'attirer sur les lieux mêmes les fabricants de toiles de lin et de coton.

La fabrication des armes a aussi la bonne fortune de compter, parmi ses représentants au dehors, des maisons entreprenantes, d'une activité remarquable, qui poursuivent des débouchés jusque dans les contrées où la chasse est encore la principale industrie. Elles envoient partout des agents qui vendent aussi de la quincaillerie.

Ces faits vous démontrent, messieurs, l'utilité, utilité temporaire au moins, de ces agences que vous appellerez comptoirs, factoreries, entrepôts belges, maisons de commission, comme cela-vous conviendra.

Je ferai encore ressortir, messieurs, ce grand avantage, que présentent des citoyens belges établis à l'étranger, où ils observent les faits en rapport avec les faits de leur pays natal. Ils voient des produits du sol et de l'industrie qui peuvent être utilement consommés en Belgique ; ils remarquent des besoins que le sol et l'industrie belges peuvent satisfaire. Ils en écrivent à leurs commettants, ils font des essais et finissent par créer de nouveaux éléments d'échanges fructueux.

J'ai été heureux d'apprendre que des négociants des plus honorables d'Anvers eussent pris la noble initiative d'entreprises qui pourraient devenir une source féconde et durable de prospérité pour le pays. Je vous conjure, messieurs, de seconder ces bonnes dispositions. Je ne vois rien de plus utile à tenter, au-dehors au moins; c'est le moyen de donner une forte impulsion à l'esprit commercial, et, par suite, à tous les intérêts. La prudence naturelle aux négociants anversois, prudence à laquelle cette place doit une si belle renommée de solidité, et les avantages d'une fortune constante, les éloigne d'entreprises qui seront hasardeuses aussi longtemps que nous n'aurons pas conquis des débouchés, établi des rapports permanents dans les contrées transatlantiques. S'ils se décident à entrer dans une voie aussi contraire à leurs habitudes, il faut bien qu'ils y soient déterminés par des considérations d'intérêt général, et par le sentiment de leur devoir envers le pays.

Je ne connais de leurs propositions que ce que j'ai lu dans la note annexée au rapport de la section centrale. Je suis surpris qu'elles aient pu paraître exorbitantes, léonines même, à quelques membres de la chambre; je les trouve, au contraire, modérées et établies sur les bases les plus équitables.

Pour apprécier sainement ces propositions, il faut bien se pénétrer de la nature des affaires qu'il s'agit de poursuivre. Elles présentent la chance de gros bénéfices, sans doute, mais qui ne demandent pas moins d'un an et demi pour leur réalisation, en supposant même que les marchandises se vendent à l'arrivée au lieu de leur destination première. Supposition gratuite, puisque, expédiées à Syngapore, ces marchandises peuvent devoir être dirigées de ce point central sur les ports de Chine et les îles de la mer des Indes.

En concurrence des Anglais et des Américains du Nord, qui suivent régulièrement ces opérations et les renouvellent sans cesse, c'est beaucoup (page 1583) admettre qu'un bénéfice de 25 p. c, et vous ne jugerez pas que ce soit une trop grande chance favorable à côté des éventualités mauvaises.

Le danger des affaires lointaines ne se borne pas à trouver des marchés désavantageux; vous avez encore celui de l'insolvabilité des acheteurs, de l'infidélité des agents, du vol, des accidents qui se multiplient en raison que vous disséminez les marchandises d'un point central sur diverses directions secondaires.

Ce qui prouve à mes yeux la sincérité et le bon vouloir de l'association anversoise, c'est sa renonciation à toute répartition de dividende au-delà de l'intérêt de 5 p. c, jusqu'à ce que le gouvernement soit remboursé de ses avances. En effet, messieurs, les chances de bénéfice sont faibles en définitive, si l'on considère que le hasard a autant de part que l'intelligence et l'activité dans les résultats de ces opérations. Ce serait une chose extrêmement naturelle, que sur le point de rembourser les avances du gouvernement, la société éprouvât des revers qui les absorberaient, et qu'après plusieurs années elle perdît ainsi le fruit de ses travaux. Cette hypothèse n'est pas seulement possible, mais vous la jugerez même en quelque sorte probable, messieurs, si vous considérez que périodiquement il se déclare aux Indes, bien plus qu'en Europe, des crises effroyables durant lesquelles les affaires engagées ne se réalisent qu'avec des pertes énormes, par l'avilissement du prix des marchandises et par les banqueroutes.

Qu'après trois ou quatre années de prospérité, le comptoir de Syngapore soit surpris par une de ces crises, il peut tout à coup perdre tous ses bénéfices sur ses opérations au comptoir principal, et dans les succursales de Manille, de Batavia et de Chine, soumises aux mêmes lois naturelles.

Dans cette hypothèse, le gouvernement est du bon côté, car son capital reste encore intact, si la société ne perd que des bénéfices. Et si son capital était ainsi absorbé, il aurait au moins alimenté une succession d'affaires des plus profitables pour le pays.

Non, messieurs, l'arrangement proposé par l'association anversoise n'est pas désavantageux pour l'Etat; il prouve les intentions les plus louables, et j'ose vous engager vivement à encourager autant que possible ces bonnes dispositions.

Ce n'est pas, messieurs, que je ne désire tout autant qu'aucun de vous, que les conditions d'un contrat à intervenir soient aussi favorables que possible à l'Etat ; je suppose qu'il serait entendu que l'association devrait exporter pour les destinations désignées, des produits industriels pour tout le capital social en dehors du fret, assurances, etc., avant que le résultat des premières expéditions fût connu ou quel que fût ce résultat.

Je me repose, du reste, sur la sollicitude du gouvernement pour obtenir encore si c'est possible, d'autres modifications favorables; mais ce que je désirerais éviter, c'est qu'en présence d'observations critiques émises dans la chambre sur les bases de la convention, le ministère se montrât irrésolu, et apportât dans la négociation l'hésitation qu'on lui reproche quelquefois et des lenteurs dont ne s'accommodent pas des négociants quand ils ne sollicitent point pour un intérêt très directement personnel.

On dit, je crois l'avoir entendu, que les membres de l'association peuvent faire des bénéfices particuliers sur les opérations sociales. Cela est possible, cela se fait, messieurs, dans les sociétés anonymes. Là, les administrateurs et agents peuvent diriger les opérations de la société en vue de leurs intérêts personnels. Personne ne les contrôle, les actionnaires n'ont rien à dire. Une fois par an ils se réunissent en assemblée générale, on leur soumet le bilan où ils ne voient pas grand-chose; on leur fait un rapport sommaire qui ne leur fait pas connaître les avantages personnels que les gérants ont pu retirer du mouvement des affaires sociales.

Mais l'association qui s'offre au gouvernement n'est pas, comme la société anonyme, une simple association de capitaux; elle se compose, m'a-t-on dit, d'une dizaine de maisons ou chefs de maisons qui, en formant le capital, vous assurent du concours de leurs lumières, de leur expérience, de leur surveillance commune, de leur activité et de leurs relations.

Un des membres voulût-il, par exemple, fréter son navire à la société? Ses partenaires sont à même d'en apprécier le mérite relatif, de débattre les prix et conditions du fret.

L'expérience est une chose précieuse, messieurs; une association de négociants de Bruxelles ou de toute autre ville du royaume, composée d'hommes les plus honorables et les plus éclairés, vous offrît-elle de se substituer à l'association anversoise pour la réalisation du projet avec la moitié du subside, je n'hésiterais pas un instant à vous conseiller de traiter de préférence avec les négociants d'Anvers qui sont en position de connaître bien mieux la nature des opérations que vous voulez encourager.

L'honorable M. Cumont se montrait hier opposé au projet par la seule raison qu'il ne devait point profiler à l'industrie linière. Je conteste que l'industrie linière ne retirât aucun avantage du comptoir à Syngapore, lors même qu'il ne serait pas expédié une seule pièce de toile vers cette destination. L'industrie linière a tout intérêt à ce que le commerce d'exportation se développe, car il ne se bornerait pas à un seul marché; une fois l'impulsion donnée, l'intérêt privé porterait ses spéculations dans des directions diverses.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je trouverais les prétentions de l'industrie linière bien exorbitantes, si elles allaient jusqu'à s'opposer à une chose utile à d'autres industries, par la seule raison, non pas qu'elle y perdrait, mais qu'elle n'y profiterait point. Cet égoïsme aurait tort de se faire jour dans cette enceinte, parce qu'il ne pourrait qu'affaiblir les dispositions excessivement bienveillantes qui animent le gouvernement et les chambres envers l'industrie linière.

Pour ma part, je suis prêt à voter tous les encouragements efficaces qui sont et seront proposés en sa faveur.

J'ai été enchanté d'apprendre par le discours que M. le ministre dos affaires étrangères a prononcé dans la séance d'avant-hier, que le gouvernement voulait aussi encourager la création d'un comptoir à Santo-Thomas de Guatemala. Il y a là des débouchés pour l'industrie linière. C'est une situation unique pour fonder un établissement commercial. Point central du globe, et, ce qui vaut mieux des Amériques, Santo-Thomas est admirablement placé pour de là introduire des marchandises dans les différents Etats de l'Amérique centrale, pour en diriger au nord et au sud du continent, et pour établir des relations suivies avec les Antilles, la Havane surtout, et le golfe du Mexique. Santo-Thomas jouit de l'une des plus belles baies du monde; il avait été déclaré le seul port d'importation dans l'Etat de Guatemala ; j'ignore si cette faveur lui a été conservée.

Cet avantage est plus important que vous ne le supposeriez, messieurs. Je possède un ouvrage, publié il y a une quinzaine d'années, par un inspecteur général des douanes anglaises, où les exportations de l'Angleterre vers ce pays figurant pour l,500 mille liv. st., et de la Jamaïque, pour 400 mille liv. st.; soit en tout 1,900,000 hv. st. ou 47 millions et demi de francs. Nos toiles ont été connues dans ces parages sous la domination espagnole. Les Anglais y vendent encore des toiles avec la dénomination de toiles des Flandres.

Ce n'est pas seulement au point de vue commercial, messieurs, que Santo-Thomas offre des ressources précieuses à la Belgique. Vous n'avez qu'à le vouloir, il en est peut-être temps encore, et vous assurez au pays un exutoire pour les hommes à imagination ardente qui ne respirent pas à l'aise en Europe ; pour les enfants trouvés et les jeunes délinquants qui, au lieu d'un avenir précaire et peut-être périlleux, pourraient aller s'ouvrir une carrière profitable pour eux et pour leur pays, en même temps qu'ils se moraliseraient par l'instruction et un travail généreux. Les rapports du pays avec cette belle colonie familiariseraient nos populations avec l'idée des voyages lointains, et c'est une chose à désirer.

Cet établissement colonial, dont la Belgique retirerait des résultats si utiles, sous tant de rapports, vous pouvez lui en assurer la jouissance, au moyen de l'acquit de 100,000 à 200,000 francs, qui sont hypothéqués sur les établissements coloniaux au profit de deux créanciers, l'un Anglais, l'autre Guatémalien.

Vous riez, M. d'Elhoungne ; si j'avais votre talent, je vous ferais partager ma conviction, à vous et à la chambre, et j'assurerais au pays un établissement précieux. Cette affaire de Santo-Thomas a été condamnée sans examen. C'est « Méphistophélès » qui a formé l'opinion du pays; il a lancé des quolibets, on a ri, et tout le monde s'est accordé à trouver l'affaire détestable. Mais j'ai vu des hommes haut placés, qui la jugeaient telle, avouer qu'ils n'avaient pas lu un mot des rapports venus de la colonie de la part des agents du gouvernement. On appréciera mieux l'importance de cette affaire quand elle sera passée en des mains étrangères.

M. de Brouwer de Hogendorp. - J'ai demandé hier la parole au moment où M. le ministre de l'intérieur déclarait que l'établissement de comptoirs était désiré par toutes nos chambres de commerce, moins deux. Je sais que l'idée est générale dans le pays, que la Belgique pourrait trouver sur les marchés transatlantiques des débouchés qu'elle ne trouve pas dans les marchés européens. Cette idée est générale : elle a trouvé autrefois, et elle trouve encore de l'écho dans cette chambre.

Relisant, il y a quelques jours, ce qui s'est dit à propos de l'enquête commerciale que la chambre a ordonnée en 1840, je trouvai dans un discours de M. Dechamps cette phrase : « Sans espérance fondée d'exportation vers les marchés européens, avec un marché intérieur insuffisant, que reste-t-il à la Belgique? Ce qui lui reste, c'est un large commerce d'exportation. »

L'honorable membre disait encore : « Nos houilles, nos draps, notre industrie linière, nos forgeries trouvent des industries rivales en France, en Angleterre, en Allemagne. Or, il résulte déjà à la dernière évidence, de ce seul fait, qu'à mesure que ces industries rivales se développeront dans ces pays, les débouchés qu'ils nous offrent se restreindront dans la même proportion. »

Messieurs, cette idée, je la trouve malheureuse, parce qu'elle a donné lieu à des mesures extrêmement fâcheuses. C'est à cette idée malheureuse que nous devons la détestable loi sur les droits différentiels ; c'est à cette idée malheureuse que nous devrons encore bien des mécomptes.

On dit, messieurs, que le marché européen se perd de plus en plus pour nos produits, que nous devons chercher des débouchés dans les pays transatlantiques. Messieurs, a-t-on donc oublié quelles sont les conditions auxquelles nos produits peuvent être placés sur les marchés étrangers ? A-l-on donc oublié quelles sont les conditions auxquelles nos produits se vendent sur le marché intérieur?

Un produit fabriqué en Belgique se vend sur les marchés extérieurs, sur les marchés neutres, au prix auquel le produit étranger se vend sur ces mêmes marchés. D'un autre côté, ce produit, lorsqu'il s'agit d'une grande fabrication, ne peut pas se vendre sur le marché intérieur à un prix plus élevé que celui auquel on peut le vendre sur les marchés étrangers. Cela est évident ; s'il en était autrement, si le prix à l'intérieur était plus élevé qu'à l'extérieur, il s'ensuivrait que les exportations cesseraient pour un certain temps ; tous les fabricants vendraient leurs produits sur le marché intérieur jusqu'à ce que la concurrence eût fait baisser le prix au niveau du prix sur le marché étranger. Alors les exportations reprendraient de nouveau. Il est impossible que nos produits se vendent dans les marchés étrangers autrement qu'au prix auquel se vendent les produits similaires des Anglais, des Allemands, des Français (page 1584) et des autres peuples avec lesquels nous nous trouvons en concurrence; et ce prix règle celui à l'intérieur.

Messieurs, ces conditions de vente sont absolues. Cela est tellement vrai que, supposé que la Belgique eût des colonies, elle ne pourrait y vendre ses produits à un prix supérieur à celui qu'elle en obtiendrait sur les marchés neutres ou sur le marché intérieur. Il n'y a qu'un seul cas où ces conditions puissent être changées, c'est le cas où une coalition s'établit entre les fabricants. Nous en avons eu un exemple en Belgique. La Belgique a payé les fers sur le marché intérieur à un prix plus élevé que celui auquel l'étranger venait vous les chercher. La même chose a existé en Angleterre : l'étranger payait moins cher le cuivre que ne le payaient les manufacturiers anglais qui achetaient sur le marché intérieur. Mais dans toutes les autres circonstances, il est évident que les prix sur le marché intérieur et les prix sur le marché colonial sont toujours exactement les mêmes.

Messieurs, pour que la Belgique trouve des débouchés, il y a une nécessité, c'est que la Belgique fabrique bien, et qu'elle fabrique à bon marché.

Ce n'est qu'à cette condition-là que vous pourrez trouver des débouchés à l'étranger, et à cette condition vous en trouverez en Europe, comme en Asie et en Amérique.

Eh bien, messieurs, je crois que la Belgique possède toutes les ressources industrielles nécessaires pour bien produire et pour produire à bon marché. Si nous ne produirons pas aussi bien que d'autres peuples, si nous ne produisons pas à aussi bon marché, ce n'est pas, comme on l’a dit souvent, au défaut de capitaux qu'il faut l'attribuer, c'est que nous ne suivons pas le progrès que l'industrie doit faire.

A l'appui de ce que je viens ai dire, permettez-moi, messieurs, de citer un exemple. Nous entendons parler continuellement de l'industrie linière; l'industrie linière, en Belgique, se trouvait autrefois dans les conditions les plus favorables ; pourquoi a-t-elle perdu ses débouchés ? Pourquoi a-t-elle perdu le débouché de l'Espagne, le débouché de la France, le débouché des Etats-Unis? C'est uniquement parce que nous nous sommes laissé dépasser par nos rivaux.

M. Bruneau. - C'est le tarif prohibitif de la France.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, permettez-moi ; je répondrai à l'interruption. Je disais que si nous avons perdu ces débouchés, nous devons l'attribuer à notre propre inertie. On dit que nous nous trouvions devant un tarif prohibitif : cette objection-là est nulle. (Interruption.) Laissez-moi parler; je n'ai pas assez l'habitude de la parole pour résister à toutes ces interruptions, qui ne se font pas à haute voix. Je dis que cette objection n'a pas une grande valeur et voici comment je le prouve.

Ce n'est que depuis l'année 1827 que l'Angleterre a commencé à exporter des fils de lin. Avant cette époque l'Angleterre recevait une quantité considérable de fils et n'en exportait point.

Eh bien, messieurs, quel est le marché sur lequel l'Angleterre a fait ses exportations? C'est surtout vers la France qui auparavant exportait des quantités considérables de fil en Angleterre. La quantité exportée en 1827 est presque nulle, et en 1842, au moment où cette loi dont je viens de parler a été établie, la quantité exportée par les filateurs anglais était considérable; elle était, je pense, de plus de 22 millions de livres. Eh bien, le marché français a été presque complètement fermé à la fabrication anglaise ; la fabrication anglaise en a-t-elle souffert ? Non, messieurs, l'exportation n'a point diminué ; elle a diminué vers la France, mais elle a augmenté vers d'autres contrées.

Ce que je disais tout à l'heure...... (Interruption.) Je vous demande pardon. Je disais tout à l'heure que ce qu'il fallait à la Belgique pour pouvoir trouver des débouchés, c'était de fabriquer bien et à bon marché, et j'ai cité l'industrie linière.

J'ai dit que l'industrie linière est un exemple frappant de la ruine à laquelle une industrie est condamnée lorsqu'elle ne fait point de progrès.

Je crois, messieurs, que je ne suis pas dans l'erreur. Si l'industrie linière avait fait des progrès, nous aurions fait comme l'Angleterre. Un marché s'est fermé pour l'Angleterre, un marché se serait fermé pour la Belgique; l'Angleterre a trouvé d'autres débouchés, la Belgique en aurait trouvé d’autres.

Messieurs, je disais, en commençant, que l'idée qui vous ferait croire que si les débouchés européens se ferment pour nous, nous pourrions en trouver ailleurs, que c'est là une idée malheureuse, parce que c'est surtout à cette idée-là que nous devons d'être restés dans une voie dont nous aurions dû sortir depuis bien longtemps.

On a fouillé le vieil arsenal de la protection en Angleterre pour imposer à l'industrie de nouvelles entraves, pour l'empêcher d'avoir à sa disposition et des matières premières à bon marché, et d'autres denrées qui entrent en partie dans la fabrication. Messieurs, au lieu de fouiller dans ce vieil arsenal de protection, si l'on avait examiné l'histoire du peuple anglais on aurait vu que ce n'est pas de cette manière qu'une nation peut devenir réellement forte, réellement puissante.

Les débouchés européens, dit-on, se ferment pour nous ; il faut en chercher dans les pays transatlantiques. Mais, messieurs, permettez-moi d'ouvrir ici l'histoire industrielle et commerciale de l'Angleterre. On cite très souvent l'Angleterre, je le répète, on l'a citée autrefois pour prôner un système différent, permettez-moi de la citer pour prôner le système que je représente dans cette enceinte.

Les débouchés européens se ferment pour les produits belges, il faut chercher de nouveaux débouchés dans les pays transatlantiques ; mais, messieurs, voici des faits tirés de la statistique de la Grande-Bretagne.

La Grande-Bretagne exporte annuellement pour environ 58 millions de livres sterling de produits britanniques. De ces 58 millions de produits britanniques, il en a été placé en 1846, sur les marchés d'Europe, pour environ 27 millions de livres. Dans toutes les possessions britanniques, les Indes orientales comprises, l'Angleterre n'a placé de ses produits que pour 14 millions et demi de livres, dont un peu plus de six millions dans les Indes orientales, et huit millions dans les autres colonies. Ses exportations vers les villes hanséatiques sont supérieures à ses exportations vers les Indes orientales; ses exportations vers la France sont plus considérables que celles vers les Indes occidentales et vers l'île de France. Ses exportations vers la Hollande excèdent considérablement les exportations qu'elle fait vers ses possessions de l'Amérique du Nord; celles vers l'Italie les excellent également; les exportations qu'elle fait en Turquie excèdent les exportations qu'elle fait dans sa nouvelle colonie de l'Australie.

De ces faits, il résulte évidemment qu'alors même qu'on se trouve devant des tarifs très élevés et que l'on considère chez nous comme des tarifs prohibitifs, il est encore possible qu'un peuple, qui travaille bien et à bon marché, trouve un débouché considérable sur les marchés européens.

Messieurs, il y a quelques jours, un honorable membre que je regrette de ne pas voir sur ces bancs, me traitait presque d'idéologue, parce que je soutiens un autre système que celui de la protection. Ce membre me disait: « Descendez de la région de la théorie dans la région des faits, et prouvez-moi que la protection n'est pas seulement une chose extrêmement utile, mais indispensable à notre industrie. »

Cet honorable membre a donc oublié les faits qui se passent actuellement sous ses yeux ? Qu'est-ce donc que cet accroissement considérable que nous avons en ce moment dans l'exportation des toiles dites russias ? N'est-ce pas au système de liberté commerciale que nous devons ce résultat?

Je ne veux pas qu'on applique immédiatement ce système dans toute sa rigueur, je ne veux pas jeter la perturbation dans les industries qui sont nées à l'ombre de la protection ; mais je tiens à ce qu'on s'assure qu'il n'y a de vérité que dans le système de la liberté de commerce, et que ce n'est que de cette façon que nous pourrons tirer tout l'avantage que nos ressources industrielles renferment et que nous deviendrons une nation puissante et forte.

L'honorable M. Delehaye, qui voit les choses d'un autre point de vue, citait, pour prouver l'excellence du système prohibitif, et exaltait précisément comme un acte extrêmement sage de la part du gouvernement fiançais, ce tarif prohibitif sur les fils et les toiles de lin dont je parlais tout à l'heure. Il semble qu'ici encore les faits ont échappé à l'attention de cet honorable membre. Il est bien vrai que depuis 1842 on n'a plus importé une quantité aussi considérable de fils anglais en France, mais qu'en est-il résulté? C'est que l'exportation des toiles a considérablement diminué.

En France, l’exportation des toiles s'était élevée en 1841 jusqu'à une valeur de 29,300,000 fr. ; en 1842, après qu'on eut frappé le fil anglais d'un droit prohibitif, l'exportation des toiles françaises a diminué de 9,300 mille francs. (Interruption.) Le chiffre est officiel.

L'honorable M. Coomans, qui défend dans cette enceinte, et qui défend souvent avec beaucoup d'esprit et de talent le système protectionniste, l'honorable M. Coomans me dit : « L'on a vendu beaucoup plus de toiles en France; la consommation en France a donc dû augmenter par suite de l'élévation des droits. »

Il me semble que, dans cette déduction, l'honorable M. Coomans ne met pas la logique qui caractérise ordinairement ses assertions. L'honorable membre est parfaitement logique quand il défend la protection pour l'agriculture, et qu’il la défend également pour l'industrie. D'autres honorables membres, qui avec moi professent le système du libre échange, ne sont pas toujours aussi logiques, qu'ils me permettent de le leur dire; mais je dois déclarer qu'en cette circonstance l'honorable M. Coomans est loin de raisonner juste.

C'est une règle fixe que, plus un produit se vend à bon marché, plus il trouve de consommateurs. Or, il est évident que la toile en France a dû renchérir, par suite des droits dont on a frappé les fils anglais; et ce qui le prouve, c'est la diminution même qui s'est montrée dans l'exportation. Si les toiles n'avaient pas augmenté de prix, il n'y aurait eu aucun motif pour lequel l'exportation fût devenue moindre.

Messieurs, je sais que ce que je dis en ce moment n'est pas intimement lié à la discussion qui est engagée dans cette chambre, mais permettez-moi de dire encore un mot. Jusqu'à présent j'ai entendu des lois protectionnistes et personne ne leur a répondu.

J'ai cité ce qui se passait en Belgique relativement aux russias; j'ai cité l'effet qu'a produit le droit protecteur des fils en France. Ces faits répondent à la demande de l'honorable M. Delehaye. Il ne dira assurément pas que c'est là de la théorie. S'il en fallait davantage, je pourrais citer ce qui s’est passé en Angleterre relativement à l'industrie des soieries.

Cette industrie se trouvait il y a vingt-cinq ans dans la situation la plus misérable, dans un état pire que celui dans lequel se trouve notre industrie linière. C’était cependant en Angleterre une grande industrie et on y prohibait absolument les produits similaires venant de la France ; eh bien, un ministre, celui qui a ouvert la route de la liberté commerciale en Angleterre, M. Huskisson proposa de diminuer dans une proportion considérable le droit sur les soieries françaises. Voici l’effet qu'eut cette mesure.

En 1824, l'Angleterre à l'époque où M. Huskisson proposait l'abolition du droit prohibitif sur les soieries, l'importation de la soie brute s'élevait à 2,800,000 livres; en 1848, alors que cette industrie avait eu à lutter contre tous les désavantages possibles, car l'industrie de la soie n'est pas (page 1585) naturelle en Angleterre, c'est de la Chine, de l'Italie, de la France qu'elle tire ses matières premières, l'importation de la soie brute ne fut pas de moins de 4,400,000 livres. Et chose étonnante ! la France est devenue un débouché considérable pour les souries anglaises.

Messieurs, ce ne sont pas des utopies; pour que la Belgique trouve des débouchés, il faut qu'elle entre dans une voie nouvelle et cherche à produire au meilleur marché possible.

Je reviens aux comptoirs. Je ne repousserais pas le nouvel essai qu'on veut faire, si les conditions étaient autres que celles qui sont énoncées dans la note remise par le ministère à la section centrale. Si le gouvernement devait entrer dans la société à des conditions égales avec les autres commanditaires, je ferais violence à mes principes; je voudrais donner satisfaction à ce public qui croit que nous avons des débouchés à conquérir dans les mers éloignées. Je ne voudrais pas m'opposer à ce nouvel essai dont, pour ma part, je n'attends, du reste, que des mécomptes. Mais telle qu'on se propose d'organiser cette compagnie, je crois qu'elle ne peut avoir aucun résultat favorable. Le gouvernement substitue sa responsabilité à celle des individus. C'est là où je vois dès à présent la cause d'insuccès de l'entreprise.

Il en sera de l’établissement de ce comptoir, croyez-en ma prédiction, comme il en a été de toutes les compagnies commerciales.

La compagnie des Indes en Angleterre, la compagnie des Indes en Hollande et en France, ont succombé par suite de la même cause. C'est que ces sociétés ne sont pas stimulées par l'intérêt privé; les conditions sous lesquelles ces entreprises se forment sont de nature à ne pas permettre qu'elles puissent avoir des éléments de succès.

Je finis, messieurs, car je remarque l'impatience de la chambre, en disant que je crois que ce n'est pas dans les mers des Indes que la Belgique trouvera des débouchés considérables pour ses manufactures. Ce n'est là ni un marché favorable pour nos toiles de coton, ni possible pour nos toiles de lin. Les articles qui y trouveront un placement, nos draps, nos verreries, nos armes, y sont déjà importés par l'industrie privée. Prenez garde, messieurs, que le comptoir que vous voulez établir avec les fonds de l'Etat, en nuisant à l'industrie des armateurs qui, actuellement, exploitent l'archipel Indien, ne nuisent à ces produits qui, par leur excellence et leur bon marché, ont su, sans l'assistance du trésor public, se créer des débouchés.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. David. - Je demande la parole contre la clôture.

Le discours qu'a prononcé M. le ministre des affaires étrangères peut avoir de l'influence sur le vote de plusieurs membres; il serait utile de continuer encore quelque temps la discussion.

M. Cumont. - Messieurs, quand j'ai eu l'honneur de présenter l'amendement que vous connaissez au sujet de la société qui se propose de former un comptoir à Syngapore, je pensais que les conditions qu'on avait fait connaître à la section centrale étaient en quelque sorte arrêtées. M. le ministre des affaires étrangères ayant déclaré que rien n'est fait, et que, lorsqu'il s'agira d'arrêter une convention, il consultera les chambres de commerce, je n'ai plus rien à demander. Comme je proposais l'ajournement d'une proposition que M. le ministre déclare ne pas exister, je retire mon amendement.

M. Rodenbach. - Je désirerais pouvoir dire quelques mots ; on ne m'a pas laissé parler sur l'article premier. (Aux voix ! La clôture!)

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L'article 3 est ensuite mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Voici le résultat du vote :

57 membres sont présents.

5 membres, MM. Pirmez, Coomans, de Brouwer de Hogendorp, de Liedekerke et de T’Serclaes, s'abstiennent.

52 membres prennent part au vote.

48 votent pour l'adoption.

4, MM. Mercier, Moncheur, Thibaut et Cools, votent contre.

Ont voté pour l'adoption : MM. Jouret, Lange, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moxhon, Osy, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Dequesne, Van Cleemputte, Vanden Brande de Reeth, Vandenpeereboom ( Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Renynghe, Allard, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe], de Bocarmé, Debroux, Dechamps, Dedecker, d'Elhoungne, de Luesemans, de Perceval, De Pouhon, de Royer, d'Hoffschmidt, Dumon (Auguste), Faignart, Frère-Orban et Verhaegen.

MpV invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.

M. Pirmez. - Je l'ai dit hier, il aurait fallu une loi spéciale pour chaque nature de dépenses. Je ne pouvais les accepter toutes, ni, dans les circonstances actuelles, les rejeter toutes.

M. Coomans. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai assez longuement développés hier.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Je n'ai pas pu voter contre la loi, parce qu'elle contient des mesures que j'admets , notamment celles en faveur de la classe ouvrière.

Il est d'autres articles que je ne pouvais admettre.

C'est par ce motif que je me suis abstenu.

M. de Liedekerke et M. de T'Serclaes déclarent s'être abstenus par les motifs qu'ils ont fait connaître hier.

Ordre des travaux de la chambre

Sur la proposition de M. Osy, la chambre ajourne après la discussion sur le projet de loi relatif au transit, la discussion des projets de loi sur les objets ci-après :

Règlement des comptes de 1843.

Restitution d'intérêts de fonds provinciaux.

Crédit supplémentaire au département des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cette demande de crédit comprend les intérêts de l'emprunt. Cependant, comme il s'agit de la dette publique, je tiens que je puis faire le payement sans crédit.

Sous ce rapport, il n'y a pas d'inconvénient à ajourner la discussion.

- La séance est levée à 3 heures et demie.