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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 15 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1355) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à 1 heure et quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre :

« Plusieurs inventeurs brevetés demandent que la concession des brevets soit facilitée, en attendant une nouvelle loi sur la matière. »

M. Rodenbach. - Messieurs, une trentaine m'ont chargé de déposer cette pétition. Ils ont déjà adressé plusieurs requêtes à la chambre. Ils expriment le désir que l'on présente promptement une nouvelle loi sur les brevets. Je demande que cette requête soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Houtteman, instituteur, à Thielt, demande une indemnité du chef des pertes qu'il a subies en 1814, ou une pension pour ses services dans l'enseignement primaire. »

- Même renvoi.


Par dépêche du 12 mai, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 112 exemplaires du tome VI des Annales de l'observatoire royal de Bruxelles.

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.

Propositions de loi relatives au droit sur les sucres

Discussion des articles

Article 6

M. le président. Les amendements de M. H. de Brouckere et de M. le ministre des finances ont été renvoyés à l'examen de la section centrale. M. le rapporteur a fait son rapport sur ces amendements. Nous avons d'abord à nous occuper de l'article 6.

L'amendement présenté par M. H. de Brouckere était ainsi conçu :

« Art. 6. Le minimum du produit de l'accise sur le sucre est fixé à 875,000 francs par trimestre.

« Si la recette est inférieure à ce minimum, la différence sera répartie entre les fabricants et raffineurs, au marc le franc des prises en charge ouvertes à leurs comptes.

« Le montant du déficit sera acquitté en espèces dans les dix jours qui suivront la notification. »

Voici la rédaction proposée par M. le ministre des finances :

« Art. 6 (nouveau). Le produit de l'accise sur le sucre de canne et sur le sucre de betterave est fixé au minimum à.....francs par trimestre.

« Si, à l'expiration de chaque trimestre, à partir du 1er octobre 1849, ce minimum n'est pas atteint, la somme composant le déficit sera répartie par le ministre des finances au marc le franc des termes ou fractions des termes de crédit ouverts aux comptes des raffineurs et fabricants raffineurs, et non échus au dernier jour du trimestre précédent.

« Ne sera point comprise parmi les éléments, de la répartition la décharge afférente aux quantités de sucre raffiné ou de sirop, pour lesquelles il aura été délivré, pendant le trimestre, des permis d'exportation ou de dépôt de sucres raffinés en entrepôt public, alors que ces documents ne seraient pas rentrés, dûment déchargés, au dernier jour du même trimestre. »

Voici la rédaction de la section centrale :

« Art. 6 (nouveau). Le produit de l'accise sur le sucre de canne et sur le sucre de betterave est fixé au minimum à 875,000 fr. par trimestre.

« Si à l'expiration de chaque trimestre, à partir du 1er octobre 1849, ce minimum n'est pas atteint, la somme composant le déficit sera répartie par le ministre des finances au marc le franc des termes ou des fractions des termes de crédits ouverts aux comptes des raffineurs et fabricants-raffineurs et non échus au dernier jour du trimestre précédent.

« Ne sera point comprise parmi les éléments de la répartition la décharge afférente aux quantités de sucre raffiné ou de sirop, pour lesquelles il aura été délivré, pendant le trimestre, des permis d'exportation ou de dépôt de sucres raffinés en entrepôt public, lorsque ces documents ne seraient pas rentrés, dûment déchargés, au dernier jour du même trimestre. »

M. H. de Brouckere se rallie-t-il à la proposition de la section centrale?

M. H. de Brouckere. - Oui, M. le président.

M. le président. - M. le ministre s'y rallie-t-il ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cet article est le même que celui que j'ai présenté ; par conséquent, je m'y rallie. Mais je ne puis me rallier aux autres dispositions présentées par la section centrale.

Pour plus de précision, on pourrait dire au dernier paragraphe :

« Ne sera point comprise, etc.....des permis d'exportation ou de dépôt de sucres raffinés en entrepôt public, alors même que ces documents ne seraient pas rentrés, dûment déchargés, au dernier jour dudit trimestre. »

M. Jacques. - Messieurs, la rédaction de cet article laisse dans mon esprit un doute sur lequel je crois devoir appeler votre attention.

Le deuxième paragraphe porte :

« Si, à l'expiration de chaque trimestre à partir du 1er octobre 1849, ce minimum n'est pas atteint, la somme composant le déficit sera répartie par le ministre des finances au marc le franc des termes ou des fractions des termes de crédits ouverts aux comptes des raffineurs et fabricants raffineurs et non échus au dernier jour du trimestre précédent. »

Je demande si le trimestre dont on parle à la fin du paragraphe est bien le même que celui dont on parle au commencement? Ainsi, par exemple, au 1er octobre 1849, il y a une répartition à faire ; est-ce que cette répartition se fera sur les termes de crédit qui restent ouverts au 30 octobre 1849 ou sur ceux qui restaient ouverts au 30 juin 1849?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) et M. H. de Brouckere. - Au 30 septembre.

M. Jacques. - Il me semble qu'il y a du doute à cet égard. Je crois qu'il vaudrait mieux dire, à la fin du paragraphe : « au dernier jour du même trimestre. »

M. H. de Brouckere. - Messieurs, le trimestre qui précède le 1er octobre, c'est évidemment celui qui comprend les mois de juillet, août et septembre; je ne vois pas de possibilité de donner un autre sens à la disposition.

Du reste, le mot « précédent » pourrait être supprimé sans inconvénients et je proposerai même cette suppression. Je propose de dire : «...non échus au dernier jour du trimestre. »

- L'article est adopté avec cette modification.

Article 6bis

« Art. 6 (bis). Le gouvernement modifiera au besoin le taux de la décharge pour les sucres de la catégorie A et les candis, de manière que le produit de l'accise soit au moins de 875,000 francs par trimestre.

« A cet effet, à partir du 1er octobre 1849, et ainsi successivement à l'expiration de chaque trimestre, la décharge sera réglée par arrêté royal, d'après la recette effectuée pendant le trimestre précédent.

« La décharge fixée par l'article 5 ou par le dernier arrêté royal, sera maintenue si la recette atteint ou excède le minimum de 875,000 francs; si elle est inférieure de plus de 25,000 francs à ce minimum, elle sera réduite de vingt-cinq centimes pour chaque somme de 25,000 francs composant le déficit, sans avoir égard aux taux établis par le dernier paragraphe du même article.

« Quand la décharge aura été réduite au-dessous de 62 francs, elle sera reportée à ce taux, si la moyenne des recettes constatées pendant deux années consécutives s'élève à plus de 4,000,000 de francs. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la section centrale a fait remarquer, au début de son rapport, que les amendements nouveaux qui ont été présentés par le gouvernement constituaient une innovation très grave dans le système primitivement indiqué. La section centrale dit :

« Un abaissement régulier et à terme de la décharge est substitués un abaissement irrégulier et sans limite, devant se régler sur l'importance de la recette. »

M. Mercier. - C'est un membre qui dit cela, et la section centrale répond.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Que ce soit un membre ou la section centrale, il y a ici une erreur évidente.

Messieurs, dans le projet primitif du gouvernement, on avait fixé deux choses, une réduction successive de la décharge et le moyen d'assurer la recette. Le but que l'on voulait atteindre était d'arriver dans un temps donné au rendement le plus élevé possible, c'est-à-dire à un rendement qui se rapprocherait très sensiblement du rendement hollandais. Car au-delà de ce rendement, il est évident que le commerce des sucres est impossible en Belgique.

Les amendements qu'a présentés le gouvernement n'ont rien changé à ces premières résolutions. L'abaissement régulier et à terme de la décharge continue à subsister ; la chambre l'a voté. L'abaissement irrégulier et sans limites, qui se trouvait dans l'article 6, n'était destiné à fonctionner que pour autant que la recette de 3,500,000 francs ne fût pas rentrée dans les caisses de l'Etat. C'était, comme je le disais en interrompant l'honorable M. Dechamps pendant son discours, c'était, non pas un but, mais un moyen d'assurer la recette, et le gouvernement était naturellement très heureux de rencontrer une combinaison qui lui permettait de se dispenser d'employer ce moyen, destructif du projet. C'est dans ce but que les nouveaux amendements ont été proposés.

(page 1356) Que demande la section centrale? C'est qu'à la suite de l’article 6 on insère, comme article 6 bis, l'article 6 du projet primitif du gouvernement ; en d'autres termes, que le gouvernement, indépendamment des moyens d'action nouveaux qui lui sont donnés, soit également armé du pouvoir d'élever indéfiniment le rendement. Remarquez que ceci n'a plus d'objet...

- Un membre. - Subsidiairement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas subsidiairement que cela est présenté; il faut alors une toute autre rédaction.

M. Mercier. - En cas d'insuffisance.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suis cependant obligé de rencontrer ce que j'ai sous les yeux.

Les objections ont peut-être été mal présentées ; je me suis borné à démontrer que le gouvernement n'avait nullement changé de système; il a substitué un moyen à un autre. Après l'article 6 qui vient d'être voté, doit venir l'article 7 présenté par le gouvernement. Que dans l'hypothèse où le montant des termes ou fractions de termes de crédits ouverts aux comptes des raffineurs non échus ne compenserait pas le déficit, on prenne une mesure, je le comprends, mais il faut une autre rédaction. Voici comment il faudrait rédiger l'article :

« Dans le cas où le montant des termes ou fractions de terme de crédit ouverts aux comptes des raffineurs, et des fabricants raffineurs et non échus au dernier jour du trimestre ne couvrirait pas le déficit constaté dans les recettes du même trimestre, le gouvernement réduira la décharge pour les sucres de la catégorie A, de 25 centimes par chaque somme de 25,000 fr. existant en moins dans les comptes comparativement au déficit, sans avoir égard aux taux établis par le dernier paragraphe de l'article 5.

« Quand la décharge aura été réduite au-dessous de 62 fr., elle sera reportée à ce taux, si la moyenne des recettes constatées pendant 2 années consécutives s'élève à plus de 4,000,000 de fr. »

Dans ce sens-là, cela se comprend ; mais c'est évidemment surabondant; à moins de supposer la cessation complète du commerce des sucres ; il y aura toujours des termes ouverts aux comptes des raffineurs et fabricants raffineurs qui ne seront pas arrivés à échéance à l'expiration d'un trimestre; pour qu'il en fût autrement, il faudrait qu'il y eût cessation complète du commerce des sucres. Mais ce qui abonde ne vicie pas, ne dût-on user de la mesure qu'une fois.

M. Mercier. - Un changement de réduction suffisait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il fallait de plus une transposition.

M. Mercier. - Je tiens à constater qu'un simple changement de rédaction suffit pour faire droit à l'observation de M. le ministre des finances. M. le ministre semble combattre la proposition de la section centrale. Il n'en est rien. Voici le passage du rapport de la section centrale qui se rapporte à cet objet : « On a fait observer que bien que les garanties déterminées par le gouvernement promettent d'être suffisantes dans la plupart des cas et probablement dans tous, il pourrait arriver cependant que le total des crédits encore ouverts ne suffise pas pour couvrir le déficit. » C'est donc uniquement pour le cas où la somme de 875 mille francs ne pourrait pas être complétée, que la disposition est proposée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me suis borné à faire observer que la rédaction proposée laissait de côté l'intention annoncée.

M. Mercier. - C'est une erreur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ne discutons pas là-dessus; mais d'après l'article 6 et l'article 6 bis, le gouvernement aurait pu opérer l'élévation du rendement.

M. Cools, rapporteur. - Je crois que M. le ministre a fait une confusion. M. Mercier vient de rectifier l'erreur commise par M. le ministre dans l'appréciation du passage du rapport concernant l'article qui nous occupe. Nous avons dit : Il faut prévoir le cas où le total des crédits encore ouverts ne suffirait pas pour combler le déficit, et c'est parfaitement juste.

Dans le premier passage cité, qui se trouve au commencement du rapport, nous nous occupions de l'article qui vient d'être voté, et nous disions que la diminution de la prime devait être indéfinie d'après le projet primitif. Nous l'entendions complètement dans le sens du gouvernement, comme M. le ministre vient de l'expliquer. Il se peut que notre opinion n'ait pas été indiquée d'une manière assez claire et assez explicite, mais elle résulte clairement des faits et du système sur lequel a porté la discussion.

M. Loos. - Je crois, avec M. le ministre des finances, qu'on ne sera pas dans le cas de recourir à l'article 6 bis.

Je voulais, par les motifs qu'il a fait valoir, combattre non pas le raisonnement de la section centrale, mais l'article tel qu'il est rédigé. Puisque nous sommes d'accord qu'il y a erreur, je n'insiste pas.

Mais il y a un autre point sur lequel je dois appeler l'attention de la chambre, c'est qu'aux termes du dernier paragraphe de l'article 5 il y a déjà une augmentation de rendement. C'est-à-dire qu'au 1er juillet 1850, la décharge est fixée à 63 fr.; au 1er juillet 1851 elle sera réduite à 62 francs.

Si contre toute attente (pour ma part, je ne m'attends pas à ce qu'une pareille situation se présente; mais puisqu'on veut tout prévoir, il faut bien prévoir ceci), si, au 1er juillet 1850, il y a un manquant de 25,000 fr. alors la décharge, qui est de 64 fr., serait-elle réduite de 25 centimes en même temps, qu'aux termes du premier paragraphe de l'article 5, elle serait réduite déjà à 63 francs? La réduirez-vous donc en réalité à fr. 62 75 c. ?

Vous voyez qu'il peut se présenter un double emploi dans la réduction de la décharge. Il conviendrait donc que, dans certains cas, l'article 6bis n'opérât pas avant le 1er juillet 1851.

Je crois qu'il n'opérera jamais. Mais s| vous devez recourir à cet article, il faut au moins qu'il n'y ait pas une double aggravation, celle résultant du premier paragraphe de l'article 5 et celle résultant de l'article 6bis.

M. Cools, rapporteur. - Je crois, comme l'honorable préopinant, que l'article n'opérera pas, du moins d'ici à longtemps. Mais cette précaution est tout à fait indispensable.

Il est certain qu'il y aura anticipation, et qu'on ne payera jamais que le minimum de 3,500,000 fr. Il faut bien vous rendre compte d'une chose, c'est que le déficit ira en augmentant de trimestre en trimestre. Or, que voulons-nous? Assurer la recette de toute manière. Je dis que le déficit à combler ira toujours en augmentant, vous allez le comprendre.

Le premier trimestre il y aura déficit; il y aura une répartition à faire. Le déficit aura une cause : une décharge trop élevée. Il faudra, pour combler le déficit, prendre quelque chose sur le trimestre suivant.

Au deuxième trimestre, vous aurez deux causes de déficit : l'insuffisance de la décharge et le vide que vous aurez opéré dans la caisse par le prélèvement dont je viens de parler.

Au troisième trimestre, vous aurez trois causes de déficit : la cause permanente, provenant du taux trop élevé de la décharge, puis deux autres causes provenant de prélèvements faits au profit de deux trimestres successifs. Et ainsi de suite.

Vous voyez donc bien que la répartition augmentera continuellement d'importance, et comme nous voulons de toute manière assurer une recette de 3,500,000 francs, le moment viendra où il faudra faire usage du moyen proposé dans l'article nouveau.

Il faut qu'avant comme après 1851, ce moyen coercitif soit laissé au gouvernement,

M. Mercier. - Je ne sais si j'ai bien compris l'honorable M. Loos, mais je crois qu'il demande, et ceci me paraît très rationnel, qu'il n'y ait pas double emploi dans l'abaissement de la décharge; c'est-à-dire que si le déficit possible, mais non probable, venait à se manifester, et s'il ne donnait lieu qu'à la décharge de 63 prévue ici, pour la première année, au dernier paragraphe de l'article 5, l'honorable membre demande si, dans ce cas, il y aurait d'abord abaissement de la décharge à 63, et en outre une autre diminution proportionnée au déficit. Je dis non, si l'abaissement qui devra avoir lieu par suite de l'insuffisance du produit est égal à celui qui résulte du dernier paragraphe de l'article 5 ; si l'insuffisance du produit détermine une plus forte diminution de décharge, c'est la différence seulement qu'il faut déduire de celle qui est exigée par l'article 5. En aucun cas, il ne peut y avoir double emploi. Je pense que ces explications sont de nature à satisfaire l'honorable membre.

M. Loos. - Il faudrait que cela fût dit dans la loi.

M. Mercier. - Ces explications doivent suffire, le gouvernement étant d'accord.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La décharge fixée par l'article 5 opère. Elle est suffisante pour assurer la recette. Donc il n'y a pas lieu d'user de l'article 6. Elle est insuffisante pour assurer la recette ; dans ce cas on appliquera l’article 6, comme vient de l'indiquer l'honorable M. Mercier.

Il me paraît évident que c'est ainsi que les deux articles doivent être appliqués.

- La discussion est close.

M. Delfosse. - Cet article 6 bis doit être placé après l'article 7 nouveau.

M. le président. - En ce cas, nous le mettrons aux voix après l'article 7.

Article 7

« Art. 7 (nouveau). La quote-part assignée, dans la répartition prescrite par l'article 6, à chaque raffineur ou fabricant-raffineur, devra être acquittée, nonobstant toute opposition, dans les dix jours, au plus tard, qui suivront l'avertissement à délivrer par le receveur du bureau où les comptes sont établis.

« Sans préjudice des poursuites ordinaires en recouvrement de cette redevabilité, aucun permis d'exportation ou de dépôt de sucres raffinés en entrepôt public ne pourra être délivré aux raffineurs et fabricants-raffineurs, après l’expiration du délai fixé par le paragraphe précédent, aussi longtemps qu'ils ne seront pas libérés.

« Toutefois, les droits payés par les raffineurs ou fabricants-raffineurs, entre le premier jour du trimestre et la date de l'avertissement, viendront en déduction de leur quote-part. »

- Adopté.

Article 6bis (devenu article 8)

L'article 6 bis, devenant article 8, est mis aux voix avec la rédaction proposée par M. le ministre des finances, et adopté.

Article 9 (nouveau)

M. le président. - Nous arrivons aux dispositions transitoires.

M. le ministre des finances a présenté un article nouveau à placer parmi les dispositions transitoires et avant l'article 9. Il est ainsi conçu :

« Les sucres bruts de betterave, placés sous le régime de l'entrepôt fictif au 1er juillet 1849, seront passibles de l'impôt établi au moment où ils ont été emmagasinés, quelle que soit l'époque à laquelle ces sucres seront déclarés en consommation, »

(page 1357) La section centrale n'a pas adopté cet article. Un membre a voté pour; 1 membre a voté contre; 3 se sont abstenus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est probable que je n'aurai pas eu l'avantage de me faire comprendre dans la lettre que j'ai en l'honneur d'adresser à la section centrale ; sans quoi, je le pense du moins, elle n'aurait fait aucune difficulté d'admettre l'amendement que j'ai dû proposer après le vote de la chambre sur la fixation de l'impôt sur les deux sucres.

J'avais proposé que l’impôt fût de 48 fr. pour le sucre de canne, et j'avais maintenu l'impôt à 40 fr. pour le sucre de betterave. Dans cet ordre d'idées, je n'avais aucune espèce de modification à soumettre en ce qui concerne les sucres de betterave déposés en entrepôt fictif, parce qu'en effet le droit de 40 fr. continuait à être maintenu.

La chambre au contraire a réduit l'impôt sur le sucre de betterave. Ici commence la difficulté. La section centrale me dit : Mais vous avez proposé une différence de 8 fr. entre les deux sucres ; la différence est encore de 8 fr. ; par conséquent s'il y a des mesures à proposer maintenant, vous deviez aussi les proposer dans le premier système. Autrement, nous ne vous comprenons plus; il est impossible de justifier logiquement cette manière d'agir.

Ce que je viens de dire répond déjà suffisamment. Du moment où l'impôt était maintenu sur le sucre de betterave, je n'avais aucune espèce de disposition à prendre. Je n'avais pas à en prendre en ce qui touche le sucre de canne, par la raison fort simple que les comptes des raffineurs sont réglés conformément à la législation en vigueur au moment où les prises en charge ont lieu.

Mais pour le sucre de betterave, il en est tout autrement. Conformément à l'article 5 de la loi du 17 juillet 1846, l'aggravation de l'impôt ne sort ses effets qu'à l'égard des prises en charge inscrites après la publication de l'arrêté modifiant le taux de l'accise. Par quelle législation les sucres déposés en entrepôt fictif seront-ils régis? Sera-ce par la législation qui était en vigueur au moment où l'emmagasinage a été effectué? Sera-ce par la législation nouvelle postérieure à cet emmagasinage ? L'article 5 dont je viens de parler, avait prévu et dû prévoir ce cas et avait décidé que la législation en vigueur à l'époque à laquelle les sucres avaient d'abord été déposés en entrepôt fictif, leur serait applicable lorsqu'on les déclarerait en consommation.

Je propose la même disposition; c'est exactement celle qui est contenue dans l'article 5 de la loi de juillet 1846. Par le fait, elle opère à l'inverse dans la loi de juillet 1846. On avait voulu éviter que l'aggravation d'impôt ne vînt atteindre le sucre mis en entrepôt. Mais, par la même raison, je ne puis admettre que les sucres déposés en entrepôt, qui ne pouvaient pas être soumis à une aggravation d'impôt en vertu de l'article 5, jouissent aujourd'hui du bénéfice de la réduction. Cela serait tout à fait injuste; cela ne se justifierait sous aucun rapport, et cela présenterait un inconvénient très grave. Que feriez-vous a l'égard des sucres en entrepôt fictif qui ont été fabriqués sous l'impôt de 30 ou de 34 fr. ? Leur appliquerez-vous l'impôt de 37 francs?

M. Mercier. - Evidemment.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dis que cela n'est pas admissible; ce serait agir contrairement à la loi de 1846. On sait que s'il existe encore de ces sucres, il en existe très peu, et on se hâte de dire : Oui, nous leur appliquerons l'aggravation. En d'autres termes, vous modifieriez la loi de 1846 par l'affirmation de l'honorable M. Mercier et non par une disposition légale. Car il n'est pas vrai qu'on puisse leur appliquer l'aggravation, à moins que vous ne preniez une disposition rétroactive, et que vous ne déclariez que les sucres mis en entrepôt à l'époque de la promulgation de la loi de 1846, seront assujettis au droit de 37 francs.

Je vous propose de maintenir ce qui a été décidé. Cela est parfaitement juste, parfaitement équitable ; autrement il faudrait faire subir l'augmentation aux sucres admis en entrepôt, sous une législation qui les grevait d'un impôt moins considérable.

Je pense, messieurs, que ces explications suffisent pour démontrer qu'il est indispensable d'admettre ta disposition additionnelle proposée par le gouvernement.

M. Mercier. - Je ne comprendrai jamais, messieurs, que l'industrie doive souffrir par suite d'une note qui se borne à changer la quotité du droit, en laissant au sucre indigène tout l'avantage que le gouvernement lui-même voulait lui faire.

M. le ministre des finances nous dit que c'est la loi de 1846 qui a réglé les choses comme il propose de les établir maintenant. Mais, messieurs, la loi de 1846 n'a d'action qu'aussi longtemps qu'elle subsiste ; cette loi étant abolie, nous retombons dans la règle générale, qui est que toute mesure qui améliore la situation d'une industrie, est applicable aux quantités existant en entrepôt au moment de sa publication : s'il y a une réduction de droits de douane, les marchandises qui se trouvent déposées dans les entrepôts et dans les entrepôts fictifs, jouissent de la réduction. L'entrepôt est considéré comme territoire étranger, sous le rapport de la recevabilité du droit. Ainsi, lorsqu'une nouvelle législation intervient, tous les objets qui se trouvent en entrepôt doivent acquitter, non pas le droit ancien, mais le droit nouveau.

Que voulait faire M. le ministre des finances lorsqu'il proposait de fixer le droit à 40 et a 48 fr.? Il voulait laisser à tout le sucre eu entrepôt fictif la faveur de 8 fr. Maintenant, parce que la chambre a réduit le droit à 37 et à 43 fr., on voudrait retirer une partie de cette faveur ! M. le ministre vient dire qu'il peut encore y avoir du sucre qui ne devrait être imposé qu'à 30 et 34 fr., je crois que c'est là une erreur; dans tous les cas, il n'y aurait pas compensation pour les fabricants.

Je soutiens, messieurs, qu'il n'est pas logique de venir présenter une semblable disposition uniquement parce qu'il y a eu un changement dans la quotité du droit. Ce n'est pas la quotité du droit qu'il faut envisager ici, c'est la différence ; la différence seule intéresse les fabricants.

Voyez, messieurs, quelles seraient les conséquences de la proposition de M. le ministre. Je suppose que la chambre ait décidé que la différence ne serait que de 5 fr. ; eh bien, avec la proposition de M. le ministre des finances, cette différence serait réduite à 5 fr. pour les sucres qui sont déposés en entrepôt fictif. Supposons maintenant que la chambre ait décrété l'égalité des droits et qu'elle ait fixé le droit à 37 fr. ; eh bien, d'après le système de M. le ministre, le sucre brut de canne, qui se trouve maintenant en entrepôt, payerait 40 fr., tandis que l'autre ne payerait que 37 fr. Vous voyez, messieurs, combien ce système est injuste, et à quelle anomalie il pourrait conduire.

M. Osy. - Messieurs, je partage l'opinion de l'honorable M. Mercier pour les entrepôts publics; là les marchandises doivent être soumises au nouveau droit, qu'il soit plus faible ou plus élevé que l'ancien; mais dans la proposition de M. le ministre des finances, il ne s'agit que des entrepôts fictifs; or les entrepôts fictifs ne sont véritablement qu'un crédit accordé au raffineur pour le payement des droits, mais les droits sont acquis au gouvernement; c'est ainsi que la chose a été appliquée en 1846; alors le droit a été augmenté et cependant tout ce qui avait été déclaré sous l'empire de la législation précédente n'a payé que l'ancien droit. Je crois que, dans la circonstance actuelle, nous devons appliquer le même principe et je vous avoue, messieurs, que c'est seulement pour le principe que j'y tiens, car en résultat la chose est peu importante : au mois de juillet dernier tout le produit de la campagne précédente était déjà consommé.

J'appuie la proposition du gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Mercier se borne à faire valoir cette objection-ci : « Il n'y a qu'une chose à considérer, c'est la différence qu'on a voulu établir entre les deux sucres ; celle différence est de 8 fr. et vous la renversez. » C'est là toute l'objection de l'honorable membre. Eh bien, messieurs, je réponds que la différence de huit francs est maintenue, mais elle ne l'est et elle ne doit l'être que pour les sucres qui seront fabriqués sous l'empire de la nouvelle législation. Que demande l'honorable membre? Que le bénéfice de la loi dont nous nous occupons s'étende aux quantités qui ont été produites sous la législation précédente. Je dis que cela n'est pas juste. (Interruption.) La loi de 1846 consacre le principe que l'aggravation d'impôt ne doit peser que sur les quantités à produire postérieurement à l'arrêté royal qui opère cette aggravation. Nous demandons exactement, identiquement la même chose aujourd’hui qu'il s'agit d'une faveur.

En un mot, messieurs, nous demandons que les quantités produites sous l'empire de la législation ancienne soient soumises au droit établi par cette législation.

Les quantités qui seront produites sous l'empire de la loi nouvelle jouiront du bénéfice que cette loi accorde.

M. Mercier. - Messieurs, encore une fois je fais cette observation à M. le ministre des finances : il ne s'agit pas ici de la quotité du droit, mais de la différence du droit. Or, la différence du droit, le projet primitif l'accordait pleine et entière aux sucres indigènes qui se trouvaient dans l'entrepôt fictif.

Messieurs, on ne cesse d'appuyer sur la loi de 1846. Mais, messieurs, cette loi consacrait une alternative. Dans certaines circonstances, il y avait faveur pour les fabricants ; dans d'autres, il pouvait y avoir dommage. Ainsi, si la fabrication du sucre indigène était descendue à 3,200,000, le droit eût été reporté à 30 fr. Il y avait donc une alternative favorable ou défavorable, selon les circonstances, et le fabricant était prévenu par une disposition expresse de la loi.

Il n'en est plus de même aujourd'hui. Quand une nouvelle législation intervient, on rentre dans les principes généraux. Or, M. le ministre des finances a si bien compris que, d'après les principes, en l'absence d'une disposition spéciale, ce serait le droit de 37 fr. qui serait appliqué, qu'il vient présenter un amendement pour qu'il en soit autrement; ce qu'il n'avait pas fait dans ses premiers amendements, pour les sucres des campagnes antérieures, passibles des droits de 30 et 34 fr.

L'honorable M. Osy a fait des distinctions que je ne puis pas admettre. Faut-il établir une différence, quant au droit, entre ce qui se trouve en entrepôt public et ce qui se trouve en entrepôt particulier? Absolument aucune. Quand il s'est agi de l'exécution de la convention commerciale avec la France, il ne s'est élevé aucune difficulté pour les vins qui se trouvaient eu entrepôts particuliers ; mais la chambre a été plus loin : elle a voulu que tous les vins qui se trouvaient en magasin jouissent de la réduction ; une déposition dans ce sens, adoptée par la chambre des représentants et par le sénat, n'a pas reçu la sanction du gouvernement à cette époque.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est bien vrai, comme le dit l'honorable préopinant, que le droit dont doivent être frappées les marchandises qui se trouvent en entrepôt, est, en règle générale, le droit qui existe au moment où ces marchandises sont déclarées en consommation. Par exception, on a fait autre chose dans la loi de 1846, lorsqu'il s'est agi d'une aggravation; suivant la même règle, aujourd'hui qu'il y a un bénéfice possible, il y a lieu de maintenir le principe de la loi de 1846.

(page 1358) L'honorable membre ne répondra pas à mon objection ; je lui ai dit : « Que ferez-vous quant aux quantités de sucre qui ont été fabriquées sous l'empire d'un droit inférieure celui qui est réglé aujourd'hui? » L'honorable membre a été obligé de répondre : « On leur appliquera le droit de 37 fr. » C'est impossible. Ces quantités doivent jouir du bénéfice de la loi de 1846 qui leur est acquis. On ne peut donc leur appliquer le droit de 37 fr.

Maintenant j'ai eu l'honneur de dire que les sucres de betterave dont nous nous occupons peuvent non seulement être placés en entrepôt fictif, mais qu'ils peuvent être transférés sur l'entrepôt fictif concédé à un raffineur ; eh bien, l'honorable membre veut que ce raffineur qui a acheté du sucre avec l'impôt de 40 fr. ne paye plus que 37 fr. Ce serait donc lui accorder un bénéfice de 3 fr. par 100 kil. au détriment du trésor. Il est impossible que la chambre ne reste pas conséquente avec le principe qui a été déposé dans la loi de 1846.

M. Osy. - Messieurs, l'honorable M. Mercier veut que l'entrepôt fictif et l'entrepôt public soient les mêmes. Je citerai, à cette occasion, un cas qui s'est présenté sous l'honorable M. Malou.

En 1846, après le traité avec la Hollande, nous avions en entrepôt public une masse de cafés hollandais qui, avant le traité, auraient dû payer le droit de 11 fr. 50 c; mais l'honorable M. Malou a compris que l'entrepôt public était un territoire neutre. Ces cafés n'avaient à acquitter que l'autre droit, et il en fut ainsi pour tous ces cafés.

M. Le Hon. - Messieurs, je désire adresser une question à M. le ministre des finances.

Je supposerai que, sous l'empire de la loi de 1846, des raffineurs ont fait entrer en entrepôt public des quantités données de sucre exotique et des fabricants ont produit et déposé en entrepôt fictif des quantités égales de sucre indigène. Aux termes de cette loi, l'accise est, pour le premier sucre de 45 fr. par 100 kilog. et pour le second, de 40 fr. Les faits d'importation et de fabrication se sont accomplis également sous le régime fiscal de 1846.

Il importe de remarquer que, relativement à l'administration des finances, la situation des deux sucres, en tant qu'entreposés, est la même, les termes de crédit ne s'ouvrent pour l'un comme pour l'autre que lorsqu'ils sont déclarés en consommation.

Eh bien ! L'accise est essentiellement un impôt de consommation. Je demande à M. le ministre des finances comment, on pourra, sans violer les principes les plus incontestables, frapper d'un pareil impôt le sucre brut indigène déposé dans un entrepôt fictif, alors que l'accise n'atteindra pas le sucre brut exotique dans l'entrepôt public. Vous devez l'application des mêmes règles et des mêmes principes aux deux produits à l'état brut. L'honorable baron Osy me fait l'honneur de me dire que l'entrepôt public est un terrain neutre. Je lui réponds qu'il en est de même de l'entrepôt fictif, quant à l'accise, et je cherche vainement les raisons plausibles d'une différence.

Le sucre exotique étant importé de l'étranger attend, au lieu même de l'arrivée, dans l'entrepôt public qu'il convienne au raffineur de le déclarer en consommation. Comme il est dans la nature du sucre indigène d'être fabriqué dans le pays, et qu'il peut l'être sur les différentes parties du territoire, il attend, lui, sa mise en consommation, au lieu même où il est produit, dans un dépôt confié à la garde du fabricant, sous sa responsabilité, dépôt que la loi appelle entrepôt fictif.

L'administration financière est si bien de l'avis de cette assimilation, qu'elle considère le sucre indigène ainsi entreposé comme en dehors de l'action du fisc, et qu'elle ne le soumet à aucun terme de crédit ni de payement aussi longtemps qu'il n'a pas été déclaré en consommation.

Mais, me dit-on, il est pris en charge dans l'usine même qui le produit. Oui; mais on oublie d'ajouter que cette première prise en charge à la défécation n'est qu'une mesure de contrôle, un moyen de garantie, pour empêcher la fraude au détriment du trésor; ce qui le prouve, c'est que ce n'est qu'à la sortie de l'entrepôt fictif qu'a lieu, pour le sucre indigène, la véritable prise en charge à dater de laquelle court le terme de crédit, et c'est absolument de cette manière qu'on procède à l'égard du sucre exotique.

Je désirerais que M. le ministre des finances voulût bien me démontrer, les choses étant ainsi établies, que l'on peut, sans méconnaître et violer les principes, frapper de l'accise un sucre encore en entrepôt et qu'il n'y aurait pas injustice à grever l'un d'un impôt de consommation dans un cas où l'on avoue qu'on épargnerait l'autre, malgré la loi qui assimile, dans son caractère et des effets, l'entrepôt fictif à l'entrepôt public.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois avoir répondu à la question de l'honorable préopinant.

Je reconnais que, suivant les principes généraux de la législation sur les entrepôts, le droit ne pouvait être réglé quant aux marchandises entreposées qu'au moment de la mise en consommation.

Je reconnais le principe; mais j'ai dit que par la loi du 17 juillet 1846 une exception a été faite; on a déclaré que les quantités placées en entrepôt ne subiraient pas l'aggravation quand elles seraient déclarées en consommation. En vertu du même principe, nous demandons que les quantités actuellement en entrepôt fictif, lorsqu'elles seront déclarées en consommation, ne jouissent pas de la diminution.

M. Le Hon. - C'est une exception que vous invoquez, et j'invoque le principe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le législateur peut dire que les marchandises entreposées seront grevées du droit nouveau, si elles sont déclarées en consommation. Il peut également dire le contraire. C'est lui qui fixe le principe.

Je vous ai dit : Le principe, en règle générale, pour ce qui concerne les entrepôts, est tel que le présentent les honorables MM. Le Hon et Mercier. Mais vous avez décidé la question dans un autre sens par la législation sur les sucres; vous ne révoquez pas votre décision, il faut donc que dans la loi nouvelle vous mainteniez le même principe.

Dans l'article 8 vous avez prévu l'hypothèse de la réduction de l'impôt en faveur du sucre de betterave si la production venait à se restreindre. Qu'avez-vous décidé? « Que le montant des prises en charge sera constaté, à l'expiration du premier semestre de chaque année, par un arrêté royal qui fixera le taux de l'accise et dont les dispositions seront appliquées aux prises en charge inscrites aux comptes des fabricants le lendemain de sa publication. »

C'est le même principe qu'il y a lieu d'appliquer ici.

M. Le Hon. - M. le ministre des finances me semble confondre deux choses parfaitement distinctes : la prise en charge à l'usine et la prise en charge lors de la mise en consommation. J'ai expliqué que la première avait pour unique but de constater exactement les quantités produites, afin de prévenir l'infiltration frauduleuse dans le marché intérieur de sucres qui auraient échappé à l'impôt. C'est un contrôle commandé par le fait même d'une fabrication qui s'exerce dans le pays.

On conçoit que ce contrôle n'est plus nécessaire à l'égard du sucre exotique qui arrive de l'étranger. La seconde prise en charge, celle du sucre indigène déclaré en consommation, est la seule qui donne cours à l'obligation d'acquitter l'accise et qui en fasse courir le terme; et alors la position des deux sucres, vis-à-vis de l'impôt et du trésor, est absolument la même.

Vous le voyez donc, messieurs, et cela me semble de toute évidence ; tout objet entreposé, tout sucre quelconque, qu'il soit indigène ou exotique, placé en entrepôt, est sur terrain neutre quant à l'accise. Entre l'entrepôt fictif et l'entrepôt public, la loi n'admet et ne fait aucune différence à cet égard. Je persiste à penser qu'il est contraire à toutes les règles d'aller percevoir un impôt de consommation dans un entrepôt.

Au surplus, la thèse que je défends est d'un faible intérêt, quant à son application actuelle ; mais elle est très importante comme question de principe, et c'est à ce point de vue surtout que je la soutiens.

M. Jullien. - Nous avons, dans la loi qui fait l'objet de nos délibérations, introduit une faveur pour le sucre de betterave. Il est clair que nous avons le droit de limiter cette faveur. Il ne peut y avoir, en ce qui regarde les quantités de sucre brut placées sous le régime d'entrepôt fictif, un droit acquis à jouir du bénéfice d'un dégrèvement qui n'existait pas au moment de l'emmagasinage. Si ce droit n'existe pas, il va de soi que nous avons la faculté de n'admettre à la jouissance de la faveur de la loi nouvelle que les quantités qui seront entreposées depuis sa publication.

Les partisans du sucre de betterave confondent donc l'expectative d'un droit avec le droit même.

Le droit acquis, les raffineurs de sucre de betterave ne le possèdent pas. La chambre peut dès lors indubitablement déclarer que les quantités placées jusque-là sous le régime de l'entrepôt fictif subiront le régime de la loi de 1846. Il est juste qu'il en soit ainsi. Je dis qu'il est juste qu'il en soit ainsi, parce que les raffineurs qui se sont procuré du sucre de betterave et qui l'ont placé sous le régime de l'entrepôt fictif ne l'ont acheté que dans la prévision qu'il serait frappé de l'ancien droit, quand ils le livreraient au raffinage.

Il est conséquemment équitable que l'on ne fasse point réagir la faveur de la loi nouvelle pour l'appliquer à des mises en entrepôt qui ne se sont point opérées sous son empire, et pour faire ainsi profiter les raffineurs d'un bénéfice auquel ils n'ont pas dû s'attendre.

M. Mercier. - En présentant son amendement, M. le ministre des finances a nié le principe dont il parlait tout à l'heure. Si, en principe, les sucres qui étaient en entrepôt fictif étaient soumis à l'ancien droit, l'amendement était inutile.

Toutes les distinctions qu'a faites à cet égard l'honorable M. Osy sont inexactes. La loi sur les entrepôts dit formellement que l'entrepôt est un lieu de dépôt de marchandises assimilé au territoire étranger, sous le rapport de la redevabilité des droits.

Aux termes de l'article 2, il y a quatre espèces d'entrepôts : l'entrepôt public, l’entrepôt franc, l’entrepôt particulier et l’entrepôt fictif.

En règle générale, quand les marchandises sortent de l'entrepôt, elles sont soumises au droit existant au moment où elles sont déclarées en consommation.

M. le ministre des finances pense maintenant qu'il est indispensable de stipuler dans la loi nouvelle que les sucres bruts de betterave, placés sous le régime de l'entrepôt fictif, au 1er juillet 1849, seront passibles de l'impôt établi au moment où ils ont été emmagasinés, c'est-à-dire qu'il croit qu'à défaut de cette stipulation, c'est le droit de 37 fr. qui serait applicable à ces sucres; ce n'est pas, remarquez-le bien, en vertu de la loi de 1846 que l'ancien droit sera appliqué; s'il en était ainsi, la disposition nouvelle serait surabondante. Que devient donc son objection quant aux sucres, qui en vertu de la loi de 1846 seraient soumis aux droits de (page 1359) 30 ou de 34 francs? Elle ne l'avait pas touché, quand il a présenté ses premiers amendements. Cependant la question était la même, puisqu'ils fixaient les droits à fr. 40 et 48 ; si fortuitement le droit de 40 fr. est égal à celui auquel le sucre indigène de la dernière campagne est actuellement soumis en vertu de la loi de 1846, il n'en est pas de même pour les sucres bruts des campagnes précédentes, qui pourraient encore se trouver en entrepôt fictif, et qui sont passibles seulement des droits de 30 et 34 fr. Si le nouvel amendement est utile par la raison qu’en son absence le droit de 37 fr. seulement serait perçu sur les sucres de la dernière campagne qui sont en entrepôt fictif, ne fallait-il pas pour la même raison, dans le système des nouveaux droits de 40 et 48 fr., qui avaient été proposés par M. le ministre, une disposition analogue pour les sucres bruts passibles des droits de 30 et 34 fr., si l'on voulait que ces sucres ne fussent pas soumis au droit de 40 fr., établi par la loi nouvelle ? Evidemment, si la disposition était jugée inutile pour la production de la dernière campagne, par la raison que les droits étaient égaux, il n'en pouvait être de même pour la production des campagnes antérieures; mais on prenait alors peu de souci de ce qui adviendrait des sucres provenant des campagnes antérieures, qui auraient pu se trouver en entrepôt ; ils auraient été soumis au nouveau droit de 37 fr., ou bien l'amendement actuel de M. le ministre des finances est inutile.

L'honorable M. Jullien fait observer que s'il a plu à la chambre d'accorder une faveur au sucre indigène, elle peut la restreindre. Assurément ; mais elle n'a accordé cette faveur que parce qu'elle la trouvait juste; il serait inconséquent de la retirer aux sucres déposés en entrepôt fictif.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il peut se trouver des sucres en entrepôt fictif aux droits de 30 fr., de 34 fr. et de 40 fr.

M. Mercier. - Ceci n'est pas nouveau. Vous l'avez dit plusieurs fois.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je l'ai déjà dit. Mais c'est essentiel. C'est parce que vous ne cessez de détourner l'attention de la chambre du véritable point en discussion, que je le répète.

A quel impôt seraient soumis ces sucres? Si vous n'admettez pas mon amendement, les sucres placés en entrepôt fictif, qui doivent payer un droit de 40 fr., ne payeront qu'un droit de 37 fr.

Que ferez-vous à l'égard des sucres soumis aux droits de 30 et de 34 fr. ? Allez-vous proposer d'altérer le principe déposé dans la loi de 1846, et leur ferez-vous supporter également le droit de 37 fr. ? Vous ne le pouvez pas. La chambre ne se prêterait pas à une telle violation du droit déposé dans une loi ; elle ne voterait pas une disposition ayant un tel effet rétroactif.

Cela seul démontre qu'il est impossible de ne pas admettre l'amendement.

Je répéterai, d'ailleurs, que des sucres bruts de betterave fabriqués pendant la dernière campagne, ont pu être transférés sur l'entrepôt fictif d'un raffineur qui les a achetés avec l'impôt de 40 francs. Or, si vous lui faites supporter T'impôt de 37 fr., c'est évidemment lui accorder une modération d'impôt de 3 francs au préjudice du trésor.

M. Mercier. - M. le ministre des finances, me demande ce que nous ferons des sucres placés sous le régime des droits de 30 fr. et de 34 fr. Je ne pense pas qu'il s'en trouve encore en entrepôt fictif. Mais je demanderai à mon tour à M. le ministre pourquoi cette sollicitude, alors qu'il ne l'a pas eue dans son premier projet de loi ? Il n'avait pas réglé, dans ce projet, sous quel droit tomberaient les sucres en entrepôt fictif, qui, d'après la loi de 1846, sont passibles des droits de 30 et de 34 fr.

Evidemment ces sucres dans le système du gouvernement seraient tombés sous l'application du principe général ; s'il l'entendait autrement, le gouvernement eût présenté, je le répète, pour la production des campagnes qui ont précédé la dernière, une disposition analogue à celle qu'il propose aujourd'hui, tant pour cette production que pour celle de la dernière campagne. Il ne modifie donc son système que parce que les droits actuels, au lieu d'être établis à 40 et 48 fr. comme il le voulait, ont été fixés par la chambre à 37 et 45 fr.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'erreur de l'honorable M. Mercier est patente. Je n'avais pas à proposer d'amendement, lorsque je ne proposais pas de dégrèvement d'impôt.

- La clôture est prononcée.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article nouveau présenté par M. le ministre des finances, à placer parmi les dispositions transitoires avant l'article 9.

En voici le résultat :

75 membres prennent part au vote.

64 votent pour l'article ;

11 votent contre.

En conséquence, l'article est adopté.

Ont voté pour l'adoption : MM. d'Hoffschmidt, d'Hont, Frère-Orban, Jouret, Jullien, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Schumacher, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Brande de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Cans, Christiaens, Cools, Coomans, Cumont, David, de Baillet (Hyacinthe), de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, de Renesse, Desoer et Verhaegen.

Ont voté contre : MM. Dumont, Faignart, Lange, Le Hon, Mascart, Mercier, Thibaut, Ansiau, Clep, de Breyne et de Liedekerke.

Articles 9 et 10

« Art. 9 (à substituer à l'article primitif). Par dérogation à la loi du 26 mai 1848 {Moniteur du 30, n°151), le gouvernement soumettra aux chambres législatives, dans leur session ordinaire de 1851-1852, les mesures de surveillance en vigueur aujourd'hui pour assurer l'efficacité des prises en charge aux comptes des fabricants de sucre de betterave et de glucoses, et celles qu'il établira pour la vérification et la justification des sucres et sirops de canne et de betterave, présentés à l'exportation avec décharge de l'accise.

« Les autres dispositions de l'article 1er de la loi du 16 mai 1847 (Moniteur du 20, n° 140) sont maintenues. »

- Adopté.


« Art. 10. Dans le cas où les recettes perçues sur le sucre de canne et sur le sucre de betterave, du 1er juillet 1848 au 30 juin 1849, n'atteindraient pas la somme de 3,000,000 de francs, la somme composant le déficit sera recouvrée de la manière indiquée aux articles 6 et 6bis et à l’articles 7, paragraphes premier et deuxième. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faudra changer les numéros des articles.

M. le président. - Le changement pourra se faire au second vote.

M. Delfosse. - On pourrait le faire immédiatement et dire : aux articles, paragraphe premier et deuxième, et 8. »

- L'article est adopté.

Article 7

M. le président. - Reste l'article 7 du projet primitif, précédemment réservé :

« Art. 7. Seront soumises au taux de la décharge réglée en exécution de l'article 7, les prises en charge ouvertes aux comptes au moment de la publication de l'arrêté royal.

« Toutefois, le montant de l'accise à décharges aux comptes du chef des permis d'exportation ou de dépôt en entrepôt, levés avant la date de l'arrêté, sera calculé d'après le taux de la décharge précédente, si l'exportation a été consommée ou le dépôt effectué avant ladite publication. »

M. Cools, rapporteur. - Il est bien entendu que cet article 7, dans la pensée première, s'appliquait à l'article 6 du gouvernement.

L'article 6 du gouvernement a été remplacé par un autre système. L'article dont nous nous occupons s'applique à l'article 6 bis nouveau qui a été proposé par la section centrale, et il doit venir après cet article nouveau.

- L'article 7 est mis aux voix et adopté.


M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer le vote définitif?

- Plusieurs membres. - A vendredi.

M. Osy. - On pourrait mettre le second vote à vendredi, avant celui du Code pénal et disciplinaire de la marine marchande. Comme nous sommes d'accord sur tous les principes de la loi des sucres, le vote définitif ne demandera que très peu de temps.

M. Delfosse. - Le vote définitif du Code pénal disciplinaire de la marine marchande ne nous prendra que peu de temps ; il sera peut-être terminé en une heure.

M. le président. - On pourra prendre une décision à cet égard à la fin de la séance.

Projet de loi sur le droit de débit au détail des boissons distillées

Discussion générale

M. d'Hondt. - Si jamais loi a soulevé des réclamations unanimes dans le pays, c'est bien celle sur le débit des boissons distillées.

Et rien n'était plus fondé, plus légitime.

C'est qu'en effet, d'une part, cette loi n'a aucunement répondu à son principal but qui était de restreindre le nombre des débits, et par conséquent de diminuer la consommation des boissons alcooliques.

Au contraire, les nombreux débits clandestins auxquels elle a donné lieu dans des endroits inaccessibles à l'action de la police, ont prouvé que loin d'atteindre ce but moral, elle a été plutôt une source d'immoralité en même temps que de fraude.

C'a donc été tout bonnement, comme l'a prédit avec infiniment de raison l'honorable M. de Jaegher lors de la discussion législative en 1838, une loi centre les enseignes.

D'autre part, consacrant la plus révoltante inégalité dans la répartition de l'impôt, la loi du 18 mars 1838 frappait du même droit les grands et les petits débitants.

Aujourd'hui l'honorable ministre des finances, fidèle à ses promesses, nous a présenté un projet nouveau destiné à remplacer la loi primitive.

J'avoue, messieurs, que ce projet de révision est déjà un grand bien, car il tend à établir une plus équitable répartition de l'impôt, et à faire comprendre celui-ci dans le cens électoral.

Sous ce rapport le projet, qui a d'ailleurs été favorablement accueils dans toutes les sections, doit rencontrer nos communes sympathies.

(page 1360) Mais est-ce là tout ce que les nombreux pétitionnaires qui ont stigmatisé la loi de 1838, pour ainsi dire dès sa naissance, sont en droit d'attendre du ministère libéral, qui tient (j'aime à lui rendre cette justice) à réformer les abus ?

La simple révision peut-elle détruire le vice fondamental, le principe injuste de l'impôt sur le débit des boissons distillées ?

En un mot, le pays ne pourrait-il pas se flatter d'obtenir l'abolition pleine et entière de la loi du 18 mars 1838?

Je sais parfaitement bien, messieurs, qu'aux partisans de cette suppression, parmi lesquels j'aime à me ranger, l'on objecte tout d'abord la raison dominante du trésor public dont il faut ménager la situation.

Aussi, messieurs, je ne le dissimule pas. Ce n'est pas après que le gouvernement, par l'organe de l'honorable ministre des finances, nous a annoncé, dans la discussion de la loi sur les successions, qu'il lui fallait des ressources nouvelles jusqu'à concurrence de 5 à 6 millions, ce n'est pas, dis-je, après un pareil avertissement, que nous devions espérer la suppression immédiate d'un impôt d'environ 900,000 francs.

Mais ce que, du moins, je croyais pouvoir espérer, c'était l'abolition de cet impôt dans un temps plus ou moins prochain, et alors que le ministère eût pu parvenir à y faire face, soit au moyen d'une augmentation du droit sur la fabrication du genièvre, augmentation que l'honorable ministre des finances ne regarde pas comme impossible, soit au moyen d'économies ultérieures, ou, s'il le faut absolument, de ressources nouvelles, mais plus justes, plus équitables que le droit sur le débit des boissons spiritueuses.

Ce n'est donc pas sans quelque étonnement que j'ai vu, dans le rapport de la section centrale, l'intention que l'honorable ministre des finances a exprimée au sujet de l'entière suppression de l'impôt.

L'intention de l'honorable ministre est que, s'il était ultérieurement reconnu que te droit d'accise peut être augmenté, les ressources que le trésor doit y trouver serviraient, en ce cas, à en remplacer d'autres, qui pourraient éventuellement faire défaut, et qu'il serait peu prudent de renoncer aujourd'hui à un impôt qui n'a guère soulevé des critiques qu'à raison des vices de la répartition.

Ici je ne puis me mettre d'accord avec M. le ministre. D'abord, est-il bien exact de dire que le droit sur le débit des boissons distillées n'a guère soulevé des critiques qu'à raison des vices de la répartition.

Ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire observer lors de la discussion du dernier budget des voies et moyens, la plupart, je dirai même la généralité des nombreuses pétitions qui ont été adressées à la chambre dans le cours de la présente session, ne se plaignaient pas seulement de l'inique répartition, mais du principe même de l'impôt, du vice radical qui l'affecte dans sa nature ; et en effet, cet impôt n'est rien moins qu'une seconde, une double patente, et partant de là toutes ces pétitions ne se bornent pas à en demander la révision, mais la complète abrogation.

C'est au reste, messieurs, ce que l’honorable ministre des finances ne peut point ignorer ; puisque dans l'exposé des motifs de son projet, il nous dit en termes formels, qu'en général, les réclamants se sont bornés à demander la suppression de cette contribution.

Ceci établi, je pense que l'impôt sur le débit des boissons alcooliques serait le premier dont le gouvernement devrait avoir à cœur d'effacer les traces.

Et vraiment, messieurs, si c'est là une contribution réellement injuste et exorbitante, il faut qu'elle disparaisse de notre législation. Il le faut, dès l'instant que des économies ou des ressources nouvelles le permettront.

Et qui pourrait contester cette injustice?

Je vous le demande, messieurs, une fois le but moral de l'impôt écarté, et l'expérience est là pour démontrer qu'il doit l'être (c'est d'ailleurs un point sur lequel tout le monde est d'accord), une fois, dis-je, le but moral mis de côté, de quel droit frappe-t-on d'une patente spéciale le débitant en détail de boissons distillées plutôt que tout autre trafiquant, plutôt que le débitant en détail de vins, de cigares ou de mille autres objets.

Pourquoi faut-il que le marchand ou le cabaretier, par exemple, qui vend ou livre une quantité de cinq litres de genièvre ou au-dessous, soit imposé à un droit de débit, à une patente supplémentaire, à une contribution spéciale que ne paye pas le cabaretier ou le marchand qui vend ou livre une égale quantité de litres de vins ?

Tout ce qui forme exception comme tout ce qui constitue privilège est odieux et injuste.

Il ne faut pas qu'une classe de débitants soit frappée exceptionnellement, sans plus de motifs que d'autres.

Et puis n'est-ce pas là un impôt qui atteint surtout les classes inférieures, les classes ouvrières?

Car le genièvre, après tout, n'est-il pas principalement la boisson du peuple?

Si aujourd'hui donc, messieurs, je donne mon vote au projet de révision de la loi de 1838, ce n'est point que cette loi ne me semble devoir être abolie jusque dans ses dernières traces, mais parce qu'il faut saisir avec empressement toute amélioration en cette matière, parce que la loi nouvelle sera plus équitable, plus proportionnelle dans la répartition, et qu'en comprenant le droit comme impôt direct, dans le cens électoral, elle aura fait justice d'un grief constitutionnel.

Il est toutefois dans le nouveau projet une disposition qui me semble devoir disparaître immédiatement ; c'est celle de l'article 14, qui prononce impérativement, en cas d'insolvabilité, le remplacement de l'amende par un emprisonnement d'un à quinze jours. Cette disposition me paraît par trop sévère.

L'emprisonnement, comme peine absolue, impérative, doit, dans mon opinion, être réservé pour les lois pénales proprement dites. Dans une loi d'impôts je ne saurais l'admettre.

Cela n'existe d'ailleurs nulle part dans nos lois financières.

Ainsi, d'après la disposition de l'article 14, celui dont tout le crime aura été d'avoir, un jour après l'expiration d'un trimestre, vendu un verre de genièvre, sans qu'il ait au préalable payé le droit pour le trimestre nouveau, droit qu'il comptait cependant pouvoir aller acquitter, par exemple le lendemain, devra, s'il devient insolvable, forcément être condamné à l'emprisonnement.

Il y a plus, le malheureux qui ne représentera pas sa quittance parce qu'elle se trouvera peut-être momentanément égarée, tandis qu'il a cependant en réalité acquitté le droit, sera pour ce seul fait, impitoyablement mis en prison, s'il a le malheur d'être insolvable.

Cela me paraît d'une sévérité vraiment draconienne.

Je veux que le juge soit constitué appréciateur des circonstances; que la loi n'enchaîne point sa conscience, qu'elle lui laisse par conséquent la latitude de prononcer ou de ne pas prononcer la peine subsidiaire de la prison.

Si le juge a devant lui un homme qui a fait preuve de mauvais vouloir, qui mérite la rigueur, il le condamnera à la prison pour le cas d'insolvabilité. S'il a à juger un malheureux que les circonstances viendront moralement justifier, il fera acte de bonne justice en le laissant libre.

Nos tribunaux offrent d'ailleurs toute garantie contre les abus qu'on pourrait craindre du chef de cette latitude.

M. Rodenbach. - Messieurs, j'approuve le principe du projet de loi qui divise en plusieurs classes les débitants des boissons distillées; mais je trouve que le chiffre de 60 francs, affecté à la première classe , n'est pas assez élevé, et que celui de 12 francs, affecté à la dernière classe, l'est trop.

Je donne la préférence au projet de la section centrale, qui propose 200 francs pour la première classe et 8 francs pour la dernière. Toutefois, quand nous arriverons aux articles, je proposerai un taux plus fort pour les patentables de la première classe, qui, certains d'un débit considérable dans les grandes villes, peuvent très bien payer cet impôt.

L'honorable préopinant pense qu'il ne faudrait pas faire payer un droit de patente aux débitants des boissons distillées.

Je ne suis pas de cet avis. S'il est un article de commerce susceptible d'être frappé d'un impôt, ce sont les alcools. Les alcools devraient être imposés plus fortement; ils le sont davantage ailleurs, notamment en Angleterre, et même en France. La modération du droit chez nous s'explique par notre position géographique. Sur neuf provinces, nous avons huit provinces-frontières. Lorsque le droit était élevé sur les boissons indigènes, la Hollande introduisait frauduleusement des genièvres ; il en était également de la Prusse et de la France; les employés français protégeaient les colporteurs jusque sur notre propre frontière; on a diminué le droit depuis lors, et à partir de cette diminution, il n'y a plus eu de fraude.

Messieurs, si l'on augmentait considérablement le droit d'abonnement sur les boissons distillées, le fisc recevrait moins; on consommerait des eaux-de-vie étrangères au lieu des eaux-de-vie indigènes; on engraisserait moins de bétail ; on aurait moins d'engrais et ainsi l'on nuirait à l'agriculture. Ainsi on ne peut pas augmenter considérablement l'accise sur les boissons distillées. Sinon on devrait le faire.

Je crois, messieurs, que si, pour la première classe, on va de deux à 300 fr., et si on descend jusqu'à cinq pour la dernière classe, je pense que l'impôt, au lieu de 800,000 fr. pourrait atteindre le chiffre de 900,000 fr.

J'approuve également la section centrale, lorsqu'elle ne propose que des peines prononcées par des tribunaux de simple police; dans ce système, les frais ne seront pas considérables.

Je pense que la quittance de l'impôt qu'on a payé doit servir pour le colportage et débit des spiritueux sur les places publiques et ailleurs où l'on fait des ventes.

J'attendrai qu'on discute les articles pour présenter un amendement; mais je crois que nous devons tous approuver le principe du projet de loi, qui tend à diviser les débitants dont il s'agit en plusieurs classes; c’est un principe fondé en justice et en équité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, les honorables préopinants viennent de rendre justice aux intentions du gouvernement dans la présentation du projet de loi qui nous occupe. Le gouvernement s'était engagé à proposer des modifications à la loi de 1838 sur les débitants des boissons distillées, afin d'amener une plus équitable répartition de l'impôt. Le gouvernement a tenu sa promesse.

Messieurs, dans le système de la loi qui nous régit encore, trois classes de patentables existent, à 20, 25 et 30 francs. Le gouvernement propose d'augmenter le nombre de classes, de les fixer à 7 ; la première payant 60 fr. et la dernière payant 12 fr.

Selon l'honorable M. Rodenbach, ce ne serait pas encore assez. Il faudrait suivre le système adopté par la section centrale, accroître le nombre de classes, augmenter beaucoup les classes supérieures, réduire encore un peu les classes inférieures.

Mais, messieurs, on ne tient pas suffisamment compte des intérêts du trésor. En adoptant le projet de la section centrale, il y aurait une perte (page 1361) de plus de 170,000 fr. ; en adoptant les idées de l'honorable préopinant, ce serait bien pis encore,

A côté de cela se place l'injustice de la répartition de l'impôt. On voit quelques individualités exceptionnelles, et l’on veut faire une loi en vertu de ces individualités. On signale tel débitant qui pourrait payer un impôt beaucoup plus élevé. Ce débitant paye d'abord sa patente, puis son supplément de patente pour le débit des boissons distillées ; il n'est tenu aujourd'hui à payer de ce dernier chef que 30 francs.

La section centrale propose de porter ce droit à 200 fr. pour celui qui se trouve dans la première classe. C'est un changement si brusque, si considérable, qu'au point de vue de l'individu, cela me paraît constituer une véritable injustice, une iniquité que l'on consacrerait en vain. Des réclamations trop vives s'élèveraient, et l'on serait obligé de céder ; peut-être les répartiteurs, chargés de classer les individus, n'oseraient-ils placer un seul établissement dans la première classe, tant le droit paraît exorbitant.

Mais ce qui me préoccupe ici avant tout, c'est l’intérêt du trésor. Il importe que le revenu que nous donne cet impôt ne soit pas atténué, ou ne le soit que le moins possible. Je crois que personne dans cette chambre n'adoptera les propositions de la section centrale, s'il est démontré qu'elles doivent occasionner une perte considérable au trésor. C'est ce qu'il est facile d'établir.

En supposant que la répartition des débitants auxquels les classes pourront être appliquées, soit conforme aux résultats indiqués dès à présent par les statistiques, c'est-à-dire, en maintenant, d'après le projet de la section centrale, 8 patentables dans la première classe, 8 dans la seconde et 184 dans la troisième, on trouve une augmentation de 4,200 fr. Mais comme corollaire de cette disposition qui accroît l'impôt pour les premières classes, la section centrale réduit les propositions du gouvernement, quant aux dernières classes; et de ce chef en fixant à 8 au lieu de 12 fr. le taux de l'impôt pour les dernières classes, il y a un déficit de 161,960 fr.

On doit considérer que de nombreuses diminutions analogues seraient la conséquence nécessaire des modifications proposés au tarif du gouvernement par la section centrale.

Si on admet au contraire que le tarif et la classification indiquée par la section centrale seront appliqués de la manière la plus large dans chaque localité, voici quel serait le produit qu'on obtiendrait :

(tableau non repris dans la présente version numérisée)

Total, fr. 718,050 Le produit total serait donc de 718,050 fr. D'après les prévisions du gouvernement, au contraire, le produit serait de 888,500 fr., différence, 170,450 fr. Ce résultat démontre, me semble-t-il, que la chambre ne peut pas accueillir les propositions de la section centrale.

Il faut encore considérer que, d'après le nouveau projet de loi, à la différence de la législation ancienne, beaucoup de frais seront à la charge de l'Etat : frais d'assiette de l'impôt, de confection de rôles comme en matière de patentes, remises partielles en cas de cessation de débit, parties de l'impôt irrécouvrables par suite de l'insolvabilité des débitants, frais de poursuites irrécouvrables; de ces divers chefs, nous pouvons évaluer la dépense à 50 mille francs. Ces considérations m'ont empêché de me rallier à la proposition de la section centrale.

M. Moreau, rapporteur. - Répartir l'impôt sur les boissons distillées d'une manière proportionnelle et juste entre tous les débitants, et ménager, en même temps, les intérêts du trésor, qui, dans les circonstances actuelles, a besoin de toutes ses ressources, tel est le problème que la section centrale a eu à résoudre. Il me semble qu'elle lui a donné une solution aussi satisfaisante que possible, par les modifications qu'elle a proposées à l'article premier du projet de loi. Elle n'a pas à admettre le tarif proposé par le gouvernement, parce qu'il lui a semblé que la différence entre la première et la deuxième classe n'était pas suffisante.

Vous le savez, messieurs, la loi de 1838 a donné lieu à de nombreuses réclamations, parce qu'on trouvait la répartition de l'impôt vicieuse, en ce que la quote-part supportée par les petits détaillants et les grands établissements était à peu près la même et ne variait que de 20 à 30 francs. Si donc, messieurs, vous voulez éviter que la loi que vous allez voter suscite des réclamations semblables à celles qui se sont produites dans cette chambre, il est nécessaire que chaque débitant paye d'après la quantité de boissons qu'il débite et d'après le bénéfice qu'il réalise. Or, messieurs, il est évident que le petit débitant ne peut être taxé à 12 fr., alors que de grands établissements débitant cent fois plus de boissons et réalisant cent fois plus de bénéfice, ne payerait que 60 fr. Si, comme l'a dit M. le ministre, les grands établissements doivent payer une patente, une contribution personnelle assez élevée, il n'en est pas moins vrai que le cabaretier de la campagne est aussi imposé aux mêmes contributions. D'après sa position, je ne vois donc ni injustice, ni iniquité à frapper ces grands détaillants d'un impôt plus fort en proportion du bénéfice qu'ils réalisent. D'ailleurs, pour atteindre son but, la section centrale a cru devoir prendre un précédent pour guide; elle a trouvé dans la loi de patentes de 1819, que les cabaretiers vendant des liqueurs fortes pouvaient être cotisés depuis la douzième classe jusqu'à la quatrième du tarif B, ce qui équivaut à un impôt pouvant s'élever à 175-66 et descendre jusqu'à 3-57.

Ainsi le tarif du gouvernement est dans la proportion de 1 à 5, celui de la section centrale est comme 1 est à 25, et celui de la loi de 1819 environ comme 1 est à 52.

La loi des patentes laisse donc aux commissaires répartiteurs une latitude deux fois plus grande que le projet de la section centrale qui propose de fixer l'impôt à 200 fr. pour la première classe et à 8 fr. pour, la dernière. Ainsi, on peut dire que la section centrale est restée dans des limites justes et raisonnables.

Une objection a été faite au système présenté par la section centrale, c'est que son tarif ne fournira pas les 828,500 fr. demandés à cet impôt.

Je vais rendre compte des calculs auxquels on s'est livré en section centrale. Sans doute ces calculs ne peuvent donner que des résultats éventuels. Il est toujours difficile de connaître d'une manière exacte quel sera le montant d'un impôt, lorsqu'on en change les bases. Cependant nous avons tout lieu de regarder ces calculs comme exacts.

D'après les documents statistiques fournis par le gouvernement, il y aurait en Belgique 52,544 cabaretiers, et 6,639 débitants de boissons distillées par quantités de 5 litres et au-dessous. Total 59,183.

Le gouvernement déduit de ce chiffre 4,083 contribuables, parce qu'il suppose qu'il y aura encore fraude; il fixe donc le nombre des personnes qui payeront l'impôt à 55,000.

Je dois faire remarquer que je ne puis admettre que, sous la loi nouvelle, surtout si le taux de la première classe est modère, il y ait un débit clandestin sur 12. Cette proportion est évidemment trop forte.

De plus, il est certain que ceux qui veulent frauder l'impôt, sous la loi actuelle, ne prenaient pas de patente, comme cabaretiers, pour débiter des liqueurs fortes, afin de ne pas donner l'éveil aux employés qui les auraient surveillés de plus près. Or les renseignements statistiques fournis par le gouvernement sont le résultat du dépouillement des rôles de patentes de 1847. Ils ne peuvent donc donner que le chiffre minimum des débitants des boissons distillées. Lorsqu’on aura moins intérêt à frauder, le nombre des détaillants augmentera.

Quoi qu'il en soit, en section centrale on a opéré d'après le chiffre de 55,000 débitants indiqués par le gouvernement.

D'après les éléments statistiques, il y aurait dans la première classe 200 contribuables à 60 fr. La section centrale répartit ces 200 contribuables dans les trois premières classes, elle en met (page 1362) (tableau détaillé, non repris dans la présente version numérisée) Ainsi, d'après le gouvernement, le produit de l'impôt serait de 888,500 fr. D'après les bases de la section centrale, de 877,125 fr. Différence,11,375 fr.

En résumé, d'après l'article premier du projet de la section centrale, les 200 contribuables de la première classe payeraient 16,125 au lieu de 12,000 fr., différence en plus, 4,125 fr. La septième à 16 fr. au lieu de 15, donnerait en plus, 24,500 fr.

Total en plus, tandis que la dernière classe serait dégrevée de 40,000 fr.

Différence, 11,375 fr.

Ainsi donc la différence entre les bases du projet de loi et celles admises par la section n'est pas aussi grande qu'on le croirait ; seulement la section centrale a cru qu'il fallait prendre en considération la position de 8 à 10 mille petits cabaretiers. Elle a cru que si, par une loi récente, le gouvernement avait jugé qu'il était juste de dégrever du droit de patente un grand nombre de petits artisans, il fallait, dans le même esprit, faire aussi quelque chose pour les petits cabaretiers, qui sont en définitive des chefs de famille vivant de leur état, aussi bien que les artisans dégrevés par la loi récente dont je viens de parler.

Ainsi, je crois que le projet de la section centrale doit être adopté; car il concilie les intérêts du trésor avec ceux de la classe la plus nécessiteuse des débitants de liqueurs fortes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le projet du gouvernement se résume en deux mots en face de la législation actuelle. Il y a trois classes de débitants, à 20, à 25 et à 30 fr. Que fait le gouvernement? Il élève la taxe des classes intermédiaires, et porte la première à 60 fr., tandis qu'il réduit de 20 à 12 fr. la taxe pour la dernière classe au lieu de 8 fr. comme le propose la section centrale.

La section centrale fait une chose qui ne me paraît en aucune manière admissible en matière de contributions; elle porte l'impôt de la première classe, de 30 fr. qu'il était, à 200 francs.

Lorsqu'on est dans son cabinet, quand on estime le nombre des débitants qui existent dans le pays, on peut facilement, au moyen de calculs, établir ce que l'on obtiendra de l'impôt que l'on a en vue ; mais dans l'application il en est autrement. Ce sont des répartiteurs qui sont chargés de classer les individus au rôle pour telle ou telle patente, et il ne se trouvera pas de répartiteurs qui consentiront à reconnaître qu'un débitant peut être imposé d'une manière supplémentaire, accessoire, à une somme de 200 francs. Il faut dont rabattre beaucoup des calculs qui viennent d'être présentés par l'honorable rapporteur de la section centrale.

Tous ces calculs sont poussés à l'extrême, pour justifier quoi? Non pas que le trésor ne subira pas de perte, mais que le trésor, même dans cette hypothèse, subirait une réduction encore assez importante sur les produits signalés par le gouvernement.

Il ne me semble pas qu'il serait prudent de s'engager dans cette voie, la chambre peut en être convaincue, il y aurait une perte telle que le gouvernement l'a signalée. Les agents de l'administration sont mieux à même que tout autre de signaler ce qui est réellement pratique, et c'est après avoir expérimenté divers projets, qu'on est arrivé à celui qui vous est soumis, comme étant le plus praticable, offrant le moins d'inconvénients, en un mot le projet qui assure la plus grande somme de recettes, en grevant le moins iniquement, le moins injustement le contribuable.

Je persiste donc à repousser de toutes mes forces le projet de la section centrale.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je crois, comme vient de le dire M. le ministre des finances, que l'on ne trouvera pas un répartiteur dans le royaume, qui taxera à 200 fr. de patente extraordinaire et supplémentaire, un homme patenté pour un commerce dans lequel il réalise son bénéfice sur dix ou vingt articles différents et à qui vous allez faire supporter, sur un seul article de son débit, une patente de 200 fr., une patente de banquier ; car la patente de 200 fr. est une patente de banquier de deuxième ou de troisième classe.

Il me semble qu'on perd complètement de vue et l'origine et le but de la loi. Messieurs, on en est venu à taxer les débitants de boissons alcooliques, pourquoi? Il faut bien le dire, parce qu'on s'était fourvoyé relativement à l'accise des boissons alcooliques. On avait considérablement diminué, on avait même un moment réduit presque à rien l'accise sur les boissons alcooliques, et alors on a trouvé un biais pour renchérir ces boissons, pour que la tentation du bon marché ne fût pas trop grande et ne contribuât pas à énerver davantage nos populations.

Ainsi la loi a pour but, d'abord, de limiter l'usage des boissons alcooliques, de ne pas les laisser s'étendre trop loin. Et malheureusement l'extension n'en est déjà que trop grande; je vous citerai des communes rurales qui ne comptent pas 2,000 âmes de population et où l'on trouve de 90 à 100 débitants de boissons alcooliques. Il y a deux de ces communes aux portes de Liège ; ce sont celles de Chênée et de Grivegnée; je les ai habitées assez longtemps pour le savoir; j'ai eu plusieurs fois en main l'état des débitants de boissons; ils sont à plus de 90.

On a voulu mettre un terme à cet état de choses. Mais le projet de la section centrale atteindra un but tout contraire. Il réduit le droit de consommation, pour la dernière classe, de 20 fr. à 8 fr. Le gouvernement le réduit dans une proportion beaucoup plus restreinte ; il le fixe à 12 francs. C'est un moyen d'éviter que les habitants des communes rurales, qui demeurent sur les grandes routes, ne deviennent tous des débitants de boissons, et que de maison en maison on ne pusse s'arrêter pour s'enflammer le gosier.

Je dis, en second lieu, que la section centrale manque complètement le but et que personne, pas un répartiteur ayant le sens commun, ne voudra, dans une grande ville, taxer un marchand à 200 fr.

Certes, messieurs, il y a une très grande différence, une différence immense entre les petits débitants de genièvre et un homme qui tient dans une grande ville, comme Bruxelles, Anvers et Gand, un café achalandé. Celui qui tient un café achalandé ne vend pas de genièvre ou de boissons alcooliques pour le 25ème de sa recette ; et vous avez calculé, non pas ce qu'il vend de boissons alcooliques, et ce qui est fort pou de chose relativement à son débit général, mais ce que rapporte ce débit général, pour dire : Il y a des gens qui peuvent payer énormément. Mais alors, mettons-nous dans le vrai. A votre point de vue, il ne s'agit plus de restreindre la consommation des boissons alcooliques; c'est une loi de patente que vous faites.

Eh bien! appliquez, pour un moment, votre loi supplémentaire de patente aux débitants de café, aux débitants de vin, aux débitants de chocolat, aux débitants d'orgeat et de limonade, et vous arriverez à taxer le même individu, tenant un café, à une douzaine de patentes de 200 fr. chacune, indépendamment de la patente qu'il paye déjà d'après la loi du 21 mai, n'est-ce pas là un système monstrueux? Pouvez-vous frapper d'une taxe de 200 francs un seul article de débit, sans arriver à l'absurde par une application générale?

Je conjure la chambre de ne pas admettre la proposition de la section centrale, proposition exagérée en ce qu'elle porte à un chiffre trop élevé le droit pour la première classe et à un chiffre trop bas le droit pour la dernière classe ; elle manque le but fiscal, elle manque le but moral de la législation actuelle.

M. Moreau, rapporteur. - Comme vient de le dire, avec raison, l'honorable M. de Brouckere, la loi que nous faisons est une véritable loi des patentes ; elle n'a pas pour but de restreindre la consommation des boissons distillées; te gouvernement le reconnaît lui-même dans l'exposé des motifs. La loi actuelle n'a pas atteint le principal but qu'on s'était proposé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Parce que le droit était trop élevé et qu'il y a eu fraude.

M. Moreau, rapporteur. - C'est donc une loi fiscale que nous faisons ; et par conséquent il faut qu'il y ait une proportion équitable entre la somme que doit payer le petit détaillant et celle que doit payer celui qui vend cent fois plus de liqueurs fortes. Et je vous le demande, n'est-il pas à votre connaissance que, dans les grandes villes, il y a quantité d'établissements qui débitent cent fois plus de liqueurs alcooliques qu'un petit détaillant, et cela avec cent fois plus de bénéfice? Puisque vous établissez diverses classes entre les débitants, il est donc de toute justice que chacun paye en raison du revenu qu'il retire de son débit.

La seconde objection qui a été faite par M. le ministre des finances et par l'honorable M. Ch. de Brouckere, c'est qu'on ne trouvera pas en Belgique un seul répartiteur qui veuille taxer à 200 fr., à une patente égale à celle d'un banquier, un établissement…

M. Ch. de Brouckere. - Un morceau d'établissement.

M. Moreau, rapporteur. - Je réponds à l'objection que les répartiteurs auront égard à l'importance du débit des boissons alcooliques dans l'établissement.

Les honorables préopinants disent donc qu'on ne trouvera pas un seul répartiteur qui voudra imposer à 200 fr. un maître d'hôtel ou d'estaminet. Messieurs, l'honorable préopinant sait sans doute qu'aux termes de la loi des patentes de 1819, ce ne sont pas les commissaires répartiteurs seuls qui classent les contribuables, que cette loi donne autant de pouvoir au contrôleur seul qu'à tous les répartiteurs.

Aux termes d'une disposition de cette loi, s'il y a désaccord entre le contrôleur et les commissaires répartiteurs pour le classement d'un contribuable ils doivent dans un registre, sur la matrice du rôle, consigner chacun leurs observations. Et qui décide, messieurs, le différend entre le contrôleur et les commissaires répartiteurs? C'est encore un agent du fisc, le directeur des contributions, sauf appel du contribuable devant la députation, s'il se croit lésé. Ainsi, vous voyez, messieurs, que sous ce rapport le gouvernement a (page 1363) toutes les garanties possibles. Lorsque le contrôleur jugera que tel débitant vend 25 fois plus que tel autre, le contrôleur, remplissant son devoir, ramènera aussi au leur les commissaires répartiteurs, au besoin le directeur des contributions statuera et les droits du trésor seront sauvegardés.

Si vous voulez, messieurs, faire une loi juste, une loi qui ne suscite plus de plaintes, il faut que les petits débitants sachent que celui qui vend beaucoup plus que lui paye aussi beaucoup plus. Si vous ne faites pas votre loi dans ce sens, elle fera naître, comme celle qu'il s'agit de modifier, et, je dois le dire, à juste titre, de nombreuses réclamations.

M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à ajoutera ce que tient de dire l'honorable rapporteur. M. le ministre des finances, dans sa statistique, n'a pas fait entrer en ligne de compte les trois quarts des personnes qui vendaient clandestinement.

Si vous fixez le minimum du droit à 12 fr., les petits cabaretiers continueront à vendre clandestinement des boissons distillées, et dès lors vous n'aurez pas atteint votre but, tandis que si vous descendez jusqu'à 8 fr., ou même jusqu'à 5 fr., le nombre de ceux qui payeront le droit, au lieu d'être de 50,000, sera peut-être de 70,000 à, 75,000 ; il n'y a plus personne qui fraudera, et vous n'aurez pas besoin de comminer la peine de l'emprisonnement pour une si faible somme.

Ainsi, messieurs, en abaissant le minimum du droit vous augmenterez le produit et vous ferez une loi beaucoup plus juste. Si au contraire vous adoptez le minimum de 12 francs, la fraude continuera et la loi sera mauvaise. L'expérience démontrera que j'ai raison.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, dans les derniers discours que vous venez d'entendre, on ne s'est occupé que d'un seul côté de la question, du point de savoir s'il pouvait être juste d'arriver tout à coup à 200 francs, pour un impôt qui n'est aujourd'hui que de 30 fr.

Il faut aussi se préoccuper du produit de l'impôt. La section centrale vous signale elle-même un déficit sur le produit actuel.

M. Moreau, rapporteur. - 11,000 francs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, c'est déjà une perte, et vous arrivez à ce résultat, en augmentant d'une manière extraordinaire le chiffre de l'impôt.

Mais, messieurs, pour que la perte ne soit que de 11,000 fr. il faut que toutes les prévisions favorables de la section centrale se réalisent; il faut que vous trouviez partout des répartiteurs et des contrôleurs qui soient disposés à appliquer dans son entier le système de la section centrale. Mais supposons, ce qui est beaucoup plus raisonnable, que les autorités n'agissent point partout avec la même rigueur ; supposons par exemple, que dans tout le royaume 8 débitants soient rangés dans la première classe, qu'il y en ait autant dans la deuxième classe, et 184 dans la troisième classe ; tout cela est encore peu probable, mais dans ce cas même il y aurait un déficit de 170,000 fr. Etes-vous disposés à faire une chose aussi rigoureuse, je me servirai même de l'expression de M. Ch. de Brouckere, aussi monstrueuse que de porter à 200 fr. un impôt de 30 francs et cela en exposant le trésor à une perte considérable. Je ne pense pas, messieurs, qu'il faille suivre la section centrale dans cette voie.

- La discussion générale est close.


M. le président. - Le second vote de la loi des sucres aura lieu vendredi, ainsi que le second vote du Code pénal et disciplinaire pour la marine marchande et la pêche maritime.

- La séance est levée à 4 heures.