(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1341) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à 3 heures et quart.
- La séance est ouverte.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse de la pièce ci-jointe qui a été adressée à la chambre.
« Les membres du conseil communal d'Aubel prient la chambre de ne pas adopter le projet de loi sur la contribution personnelle, ou tout au moins d'en subordonner l'exécution à la condition de la révision des évaluations cadastrales dans les communes qui se croiraient surtaxées. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
M. Dequesne, admis dans une séance précédente, prête serment.
M. Cans. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission permanente d'industrie sur la demande d'un crédit supplémentaire de 800,000 francs, faite par le département de la justice.
Comme ce projet présente un certain caractère d'urgence, on pourrait le mettre à l'ordre du jour de lundi prochain.
- Le rapport sera imprimé et distribué. La chambre le met à l'ordre du jour de lundi.
M. Deliége. - Messieurs, un peintre belge octogénaire, qui par son talent a fait honneur à son pays, dont les belles toiles sont admirées dans presque tous les pays de l'Europe, dont plusieurs de ceux qui ont visité l'Italie ont admiré la bonté d'âme, l'aménité de caractère, a eu à Rome, vers la fin du mois d'avril dernier, son domicile envahi, violé; ses meubles et ses tableaux brisés, anéantis, par des furieux qui l'accusaient d'avoir donné asile à un autre vieillard.
Le laconisme du Moniteur sur ce qui s'est passé en cette occasion m'engage à profiter de la présence de M. le ministre des affaires étrangères pour lui demander s'il a fait les démarches nécessaires pour que notre compatriote reçoive la réparation qui lui est due ; pour que les autres Belges qui se trouvent à Rome soient à l'abri de semblables vexations.
Je lui demanderai si nous avons encore un agent diplomatique à Rome qui puisse leur prêter son appui en cas de besoin.
Je lui demanderai crin s'il a reçu un rapport sur les faits auxquels je fais allusion, et s'il peut nous en dire la teneur.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai eu connaissance, comme l'honorable M. Deliége, du fait grave qu'il vient de signaler; mais jusqu'à présent je n'ai pas reçu un rapport officiel qui me rende un compte exact des circonstances qui ont accompagné les violences dont il paraît qu’un de nos compatriotes a été victime. En l'absence de notre légation qui a suivi, comme toutes les autres, le saint-père (page 1342) à Gaète, les intérêts belges à Rome sont confiés à un conseiller de légation du Hanovre qui s'acquitte de ces fonctions avec la plus grande activité et le plus grand zèle. Je sais qu'il a fait toutes les démarches nécessaires pour obtenir préparation, due à notre compatriote; mais immédiatement après le fait dont il s'agit, l'intervention française a eu lieu, et on conçoit que, dans les circonstances où se trouve la capitale du monde chrétien, il serait fort difficile d'obtenir aucune espèce de satisfaction. Il est très probable que d'ici à très peu de temps un gouvernement stable sera rétabli à Rome, et je prie l'honorable préopinant d'être convaincu que nous ne négligerons aucune démarche, aucune instance, pour obtenir en faveur de notre respectable compatriote la légitime réparation qui lui est due.
M. Deliége. - Il me semble qu'il est facile d'obtenir réparation de l'acte dont je viens de parler. Les anciens Romains l'avaient pas coutume d'exercer leur valeur contre des vieillards, contre des hommes âgés de 84 ans, contre des rois de tableaux; je ne crois pas que leurs descendants soient déchus au point de ratifier l'acte de vandalisme auquel j'ai fait allusion.
J*espère donc que M. le ministre des affaires étrangères fera tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir une réparation éclatante du fait dont notre ma1 heureux compatriote a été victime, qu'il sera aidé au besoin dans sa mission par les agents diplomatiques des grandes puissances. C'est ici, messieurs, la cause des arts et de l'humanité.
M. Cans. - Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien compléter ses explications. Il nous a dit que toutes les légations ont quitté Rome; comment donc se fait-il qu'il s'y trouve encore un conseiller de la légation du Hanovre, qui ait pu protéger le Belge dont on a parlé? Si tous les agents diplomatiques n'ont pas quitté Rome, pourquoi le secrétaire de notre légation n'y est-il pas resté, surtout en agence de notre ambassadeur, pour donner aide et protection à ceux de nos compatriotes qui pouvaient encore s'y trouver ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je suis intimement persuadé que le secrétaire de notre légation n'aurait pas mieux rempli les fonctions dont il est chargé, que ne l'a fait le conseiller dont je viens de parler. Il n'aurait pas pu davantage empêcher des attentats populaires, que l'agent diplomatique qui a été chargé de gérer les intérêts belges.
L'honorable préopinant nous demande pourquoi ce conseiller de légation se trouve encore à Rome, alors que tous les autres agents diplomatiques ont quitté cette ville. Je ne pourrais pas dire précisément pour motif il a fait exception au départ de toutes les légations qui ont suivi le Saint-Père à Gaète.
Ce diplomate était à Rome; il a bien voulu se charger de soigner 1rs intérêts belges; et il s'est acquitté de ce soin à l'entière satisfaction du département des affaires étrangères : des réclamations ont été finies par lui de la manière la plus instante. Mais on conçoit parfaitement que, dans les circonstances actuelles, il y ait eu interruption des correspondances avec Rome, et que la réparation, que nous continuerons de réclamer n'ait pu encore être obtenue ou, du moins, notifiée au gouvernement belge.
M. Loos. - M. le ministre des affaires étrangères vient de déclarer qu'il ignorait le motif pour lequel le conseiller de la légation du Hanovre est resté à Rome. Il résulte de cette explication que M. le ministre des affaires étrangères ne doit pas avoir été informé des circonstances qui ont éloigné la légation belge de Rome, ni des mesures de précaution qu'elle a prise, pour assurer aux Belges domicilies en cette ville une protection efficace.
Il me semble que, dans les circonstances où se trouvait Rome, lors du départ de notre légation, celle-ci aurait dû prendre des précautions pour protéger les Belges qui y résident. Je comprends fort bien les motifs qui ont éloigné de Rome notre agent diplomatique comme tous les autres ; mais je ne comprendrais pas qu'il eût quitté cette ville sans assurer à nos nationaux la protection à laquelle ils ont droit; et, je dois le dire, je suis étonné d'une chose, c'est que M. le ministre des affaires étrangères n'ait pas obtenu à cet égard des informations précises de la part de nuire agent diplomatique à Rome.
Si le chargé d'affaires du Hanovre est le seul de tous les membres du corps diplomatique qui soit resté à Rome, je suppose qu'il y aura eu à cet égard une convention entre les différentes légations qui ont quitté la capitale des Etats Romains. Mais en ce cas il me paraît que la légation belge aurait dû informer notre gouvernement des mesures qui avaient été prises pour protéger les propriétés et les personnes des Belges à Rome.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - J'éprouve quelque surprise à entendre l'honorable membre dire qu'aucune précaution n'a été prise pour protéger les intérêts belges à Rome. Je viens de dire que le conseiller de légation du Hanovre a été chargé par notre légation à Rome de remplir ces fonctions. Il a reçu les mêmes pouvoirs que s'il était un agent belge; il a été reconnu en cette qualité par l'autorité qui existait alors à Rome. Les précautions ont été prises pour protéger les Belges qui résident dans celle ville, avec ressentiment du gouvernement
Le fait qui s'est passé a d'ailleurs eu lieu dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. On conçoit que, lors même que l'ambassade belge eût été à Rome, il lui eût été impossible d'empêcher un mouvement populaire que l'autorité elle-même n'a pas été en mesure de réprimer.
M. de Luesemans. - Je demanderai une autre explication à; M. le minière des affaires étrangères. Si j'ai bien compris, la nouvelle de l'événement dont il s'agit ne serait pas arrivée officiellement encore au département des affaires étrangères. Je me permettrai de demander à M. le ministre, puisqu'une réparation a été demandée, s'il a au moins été informé officieusement du fait par le conseiller délégation du Hanovre, ou par l'intermédiaire de notre agent à Gaète; s'il sait que les faits signalés par l'honorable M. Deliége sont vrais et se sont réellement passés comme les journaux l'on rapporté.
Puisque j'ai la parole, je demanderai au gouvernement si notre ambassadeur à Rome est définitivement investi de fonctions diplomatiques ou s'il a accepté les fonctions électives qui viennent de lui être conférées; Il nous est assez difficile, il faut en convenir, de savoir par qui nous sommes représentés auprès du Saint-Père; je crois cependant que le parlement est intéressé à connaître la qualité de notre représentant : est-il sénateur ou agent diplomatique?
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - J'ai eu l’honneur de dire, en réponse à la première interpellation, que j'avais en connaissance du fait, mais que je n'avais pas encore de rapport officiel indiquant d'une manière détaillée et exacte comment il s'était passé. Dès que j'aurai ce rapport, je le ferai connaître à L'honorable membre, s'il le désire.
Quant au point de savoir si notre agent restera ambassadeur ou sera sénateur, comme il ne peut avoir connaissance encore de l'élection nouvelle qui vient d'avoir lieu. La chambre comprendra qu'il m'est impossible de répondre. Ce qu'il y a de certain, c'est que quand il a accepté les hautes fonctions dont il a été revêtu par le gouvernement, il les a acceptées d'une manière définitive et sans arrière-pensée.
M. Cans. - Je demanderai à ajouter une observation. Nous savons que lorsque notre ambassadeur, le prince de Ligne, est arrivé en Italie, le pape avait quitté Rome, et je conçois très bien qu'il se soit, rendu à Gaète; mais je ne comprends pas pourquoi le secrétaire d'ambassade qui pendant très longtemps a représenté la Belgique à Rome, n'y est pas resté alors que d'autres y restaient.
Puisque le conseiller de la légation du Hanovre est encore à Rome, le secrétaire de la légation belge devait, ce me semble, y rester également: sa présence pouvait, dans ces circonstances, y être beaucoup plus utile qu'elle ne pouvait l'être à Gaète, où se trouvait déjà l'ambassadeur. Je pense donc que, de la part de M. le ministre des affaires étrangères, il y a eu erreur quand il n'a pas ordonné au secrétaire d'ambassade de rester à Rome; c'est là qu'était sa place. Je ne sais pas ce qui s’est passé à Rome, mais je crois que toutes les légations s'y seront fait représenter, soit par un secrétaire, soit par un autre agent; il me semble impossible que toutes se soient retirées, et qu'il ne soit resté, de tout le corps diplomatique, qu'un seul conseiller délégation.
M. de Brouckere. - Il me semble,, messieurs, que les faits s'expliquent parfaitement : Au moment où le pape a quitté Rome, notre secrétaire était le chef de la légation, et il a dû se rendre à Gaète lorsque tous les autres chefs de légation s'y rendaient. C'est probablement quand il est parti de Rome qu'il a prié le secrétaire d'une autre légation de soigner les intérêts belges en son absence.
A son arrivée, l'ambassadeur aura trouvé le secrétaire établi à Gaète, et l'agent étranger sera resté investi des pouvoirs qui lui avaient été confiés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Les faits se sont, en effet, passés comme l'honorable M. de Brouckere vient de l'indiquer. La résolution prise par notre agent l'a été également par les agents de toutes les autres puissances, à une ou deux exceptions près. Ensuite, messieurs, notre secrétaire de légation n'est pas resté d'une manière permanente à Gaète ; il retournait souvent à Rome, lorsque des affaires d'une certaine importance l'y appelaient; mais un fait qu'on ne pouvait pas prévoir, un fait extraordinaire a eu lieu tout à coup ; eh bien, nous avions là un représentant qui était investi de la même autorité que l'agent belge, qui a rempli les mêmes devoirs; aucune erreur n'a donc été commise et aucun reproche ne peut être adressé au gouvernement.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi sur les sucres.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, la section centrale, chargée de l'examen des différentes propositions relatives aux sucres, s'est réunie ce matin ; elle s'est occupée des amendements qui vous ont été soumis dans la séance d'hier après. Avoir terminé son examen, elle a chargé M. Cools du rapport. L'honorable membre est encore en ce moment occupe à son travail qui sera peut-être terminé avant la fin de la séance. Mais je ne pense pas, en fût-il ainsi, que la discussion puisse avoir lieu aujourd'hui. (Interruption.)
Un honorable voisin me demande pourquoi pas? Je lui répondrai par un seul mot, parce que nous ne pouvons pas arrêter le temps. Le rapport ne sera pas prêt avant une heure d'ici ; il faudra alors que les membres de la section se réunissent pour en entendre la lecture; de manière que la séance sera bien près de sa fin avant que le rapport puisse être présenté. Dans tous les cas, il sera déposé aujourd'hui ou au commencement de la séance de lundi.
(page 1343) Je crois d'ailleurs être bien informé en disant que M. le président de la chambre a reçu de nouveaux amendements qui lui ont été transmis par le gouvernement : peut-être la chambre, après en avoir entendu la lecture, jugera-t-elle à propos d'agir pour ces amendements comme elle l'a fait pour ceux qui lui ont été présentés hier.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai en effet préparé quelques amendements nécessités par les changements qui ont été votés dans les séances précédentes, mais j'ai adressé ces amendements à la section centrale qui se trouvait réunie.
M. H. de Brouckere. - Ils ont été remis à M. le président de la chambre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). -Mon intention a été de les adresser au président de la section centrale.
M. le président. - Messieurs, voici ce qui a eu lieu; comme je ne faisais pas partie «le la section centrale, et que je n'avais rien à faire à la chambre avant deux heures, j'y suis arrivé à deux heures, et alors on m'a remis la lettre de M. le ministre des finances. Cette lettre, la voici :
« Monsieur le président,
« La chambre ayant décidé, dans la séance d'hier, que le droit sur le sucre de betterave s'élèverait au maximum à 37 francs par 100 kilog., il devient nécessaire de soumettre à son approbation un article additionnel conçu comme il suit :
« Les sucres bruts de betterave placés sous le régime de l'entrepôt fictif au 1er juillet 1849, seront passibles de l'impôt établi au moment où ils ont été emmagasinés, quelle que soit l'époque à laquelle ces sucres seront déclarés en consommation. »
« Vous savez qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 17 juillet 1846, l'arrêté royal déterminant l'aggravation de l'impôt sur le sucre de betterave n'a sorti ses effets qu'à l'égard des prises en charge inscrites après sa publication.
« Ainsi les sucres bruts déposés en entrepôt fictif après que l'impôt a été élevé à fr. 34, n'ont été soumis qu'au droit de 30 francs, quand ils ont été déclarés en consommation. Le même système a été appliqué plus tard avec l'impôt de 40 francs.
« Maintenant que l'impôt se trouve réduit à 37 francs, les sucres bruts qui existeront en entrepôt fictif au 1er juillet 1849, devront nécessairement être soumis à l'impôt de 40 fr.
« L'article dont je viens de parler pourrait être placé parmi les dispositions transitoires et avant l'article 9.
« Je crois également devoir vous proposer, M. le président, de substituer à l’article 9 aux mots : « Session ordinaire de 1849-1850 » ceux: « Session ordinaire de 1851-1851. » Ce délai n'est pas trop long pour mettre l'administration à même de préparer le régime de surveillance auquel on pourra définitivement s'arrêter.
« Agréez, M. le président, les assurances de ma considération distinguée.
« Bruxelles, le 12 mai 1849.
« Frère-Orban. »
M. Mercier. - Je demande l'impression et le renvoi de ces amendements à la section centrale.
- Adopté.
M. Manilius. - Je demande que le rapport de la section centrale puisse être imprimé avant d'être déposé.
M. H. de Brouckere. - Si le rapport est prêt avant la fin de la séance, la section centrale pourra se rendre à ce désir; sinon, la section centrale ne pourra se réunir que lundi prochain, un peu avant le commencement de la séance; car l’honorable membre sait qu'il y a des membres de la section centrale qui ont l'habitude de retourner chez eux le samedi.
M. Manilius. - J'avais cru comprendre que la section centrale avait fini de délibérer, qu'on faisait le rapport et que cela dépendait d'une question de temps. Quant aux nouveaux amendements de M. le ministre des finances, c'est une simple régularisation.
M. Mercier. - Messieurs, je doute beaucoup que la section centrale puisse présenter son rapport aujourd'hui. Mais pour qu'il n'y ait de surprise pour personne, je demande que la discussion de la loi des sucres ne soit pas reprise avant mardi prochain.
- Adopté.
M. le président. - Les amendements seront imprimés, distribués et renvoyés à la section centrale.
- La chambre décide qu'en tout cas le bureau est autorisé à faire imprimer le rapport de la section centrale.
M. Delfosse. - Messieurs, l'honorable M. Lelièvre, qui est l'auteur des amendements sur lesquels nous avons à nous prononcer, m'a témoigné le désir que la discussion de ces amendements n'eût pas lieu en son absence. (Interruption.)
Je remplis un devoir : j'ai promis à l’honorable M. Lelièvre de faire part à la chambre de son désir. La chambre décidera.
M. Vanden Berghe de Binckum. - Messieurs, dans d'autres circonstances analogues, la chambre a passé outre.
- La chambre consultée décide qu'elle n'ajourne pas la discussion.
M. le président. - Il nous reste d'abord à statuer sur l'article 32, proposé par M. Lelièvre.
Cet article est ainsi conçu :
« Art 32. Tout capitaine ou pilote chargé de la conduite d'un navire ou autre bâtiment de commerce ou de pêche, qui, volontairement.et dans une intention criminelle, l'aura échoué, perdu ou détruit par tous moyens autres que celui du feu ou d'une mine, sera puni des travaux forcés à temps.
« Si, du fait de l'échouement, de la perte on de la destruction du navire, il est résulté un homicide, la peine sera celle énoncée en l'article 304, paragraphe premier du Code pénal.
« Les officiers et gens de l'équipage, coupables de ces crimes, encourront les mêmes peines. »
- La commission adopte l'article, en se bornant à modifier légèrement la rédaction du deuxième paragraphe, au lieu de : « la peine sera celle énoncée en l'article 304 paragraphe premier du Code pénal; » elle propose de dire : « la peine énoncée en l'article 304 paragraphe du Code pénal sera appliquée. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je suis d'accord avec l'honorable M. Lelièvre et avec la commission sur le fond de l'amendement, mais je crois qu'il conviendrait d'introduire quelques modifications dans la rédaction. Il s'agit, dans l'article 32 du projet, du crime de baraterie commis par le capitaine-ou le pilote qui, volontairement ou dans une intention criminelle, fait échouer ou détruit le navire dont la conduite lui était confiée.
L’article primitif du projet du gouvernement proposait de punir ce crime des travaux forcés à temps quand il n'y avait eu ni homicide ni blessures graves; de le punir des travaux forcés à perpétuité lorsqu'il en était résulté des blessures graves, et de la peine de mort s'il y avait eu homicide. La commission spéciale de la chambre avait adopté ces distinctions, sauf que pour ne rien préjuger sur la question du maintien de la peine de mort dans nos lois pénales, elle proposait de se référer à l'article 304, paragraphe premier, du Code pénal.
L'honorable M. Lelièvre a proposé, par son amendement, de ne distinguer que deux cas, savoir le crime de baraterie simple et le même crime suivi d'homicide.
Dans le premier cas l'honorable M. Lelièvre applique la peine des travaux forcés à temps, et dans le deuxième cas, la peine capitale comminée par l'article 304, paragraphe premier, du Code pénal. Je pense avec l'honorable auteur de l'amendement, que le crime de baraterie simple est suffisamment puni par les travaux forcés à temps, même lorsqu'il en est résulté des blessures graves; la durée de cette peine pouvant être de 5 à 20 années, le juge aura toujours assez de latitude pour proportionner la peine à la criminalité du fait. Mais quand le crime a été suivi d'homicide, je pense qu'il est préférable de s'en référer au droit commun.
Et comme il importe d'établir toute l'harmonie possible entre les diverses dispositions de nos lois pénales, je pense qu'il conviendrait d'adopter une disposition analogue à celle de l'article 6 de la loi du 15 août 1843 sur la police des chemins de fer; cet article punit de six mois à 2 ans d'emprisonnement celui qui aura entravé volontairement la circulation sur les chemins de fer en y déposant des objets quelconques ou en dérangeant des rails, billes, coussinets, etc.
Mais prévoyant ensuite le cas où des accidents plus on moins graves seraient résultés de ces délits, cet article renvoie pour l'application de la peine aux dispositions du droit communs
Voici comment est conçu le paragraphe de cet article que je propose d'adopter :
« Si ce fait a occasionné la mort, le coupable sera puni des peines prononcées au titre II, chapitre premier, section première, du livre III du Code pénal selon les distinctions qui y sont établies. »
Je crois, messieurs, que c'est cette formule que nous devons appliquera la disposition dont il s'agit ici, plutôt que de renvoyer purement et simplement à la peine comminée par l'article 304, paragraphe premier, du Code pénal. Il ne faut pas perdre de vue que l'homicide, pour entraîner la peine de mort, doit être volontaire.
Cependant il pourrait arriver que le capitaine qui aurait commis le crime de baraterie eût fait tout ce qui était nécessaire pour assurer le sauvetage des gens de l'équipage et des passagers; or, s'il était prouvé qu'il n'a pas été dans son intention de commettre un homicide, et qu'il a même pris toutes les précautions possibles pour l'empêcher, il me semble que la peine de mort ne pourrait pas être appliquée, et c'est ce qui résulterait de l'adoption de la rédaction que je propose, puisqu'en renvoyant purement et simplement aux dispositions du Code pénal, et en adoptant les distinctions qui y sont établies, les juges auront toujours à apprécier s'il y a eu volonté et intention criminelle, et ils appliqueront la peine suivant les distinctions du droit commun.
Je proposerai donc de modifier le second paragraphe de l'article amendé ainsi que je viens de l'indiquer ; et je ferai observer qu'ayant communiqué mon sous-amendement à l'auteur de l'amendement, l'honorable M. Lelièvre, il m'a déclaré qu'il s'y ralliait et trouvait cette rédaction préférable.
M. H. de Brouckere. - Le paragraphe 3 du projet de la commission porte : « De la peine comminée par l'article 304, paragraphe 1, du Code pénal, s'il en est résulté un homicide: u.
Il paraît que la commission a éprouvé une sorte de pudeur à écrire les mots : « peine de mort » ; mais, en réalité, c'est bien cette peine qu'elle établit entre le fait prévu par ce paragraphe, et sous ce rapport, aucun changement n'est proposé par M. le ministre de la justice.
(page 1344) Eh bien ! je vous le demande, messieurs : Le moment est-il bien choisi, pour prononcer la peine capitale à raison d'un crime dont nous enrichissons notre législation pénale? Vous allez en juger.
Il est incontestable que l'introduction du système cellulaire doit amener des modifications très grandes dans l'échelle des pénalités prononcées par notre législation criminelle. Quand nous nous occuperons de la révision du Code pénal, parmi les grandes questions qu'on aura à examiner, celle qui se présentera en premier lieu sera celle de savoir s'il faut maintenir la peine de mort, et en cas d'affirmative, jusqu'à quel point on peut réduire les cas dans lesquels elle est prononcée.
Je ne crains pas de dire que le nombre des crimes contre lesquels la peine de mort sera maintenue, sera singulièrement diminué. Et c'est dans des circonstances pareilles que nous allons porter une disposition prononçant la peine de mort pour un crime nouveau ! Je n'ai nullement l'intention de discuter ici les questions qui se rattachent à la peine de mort, mais je déclare que j'éprouve une répugnance invincible comminer cette peine contre un crime nouveau, à la prononcer une fois de plus qu'elle n'existe, quand nous sommes à la veille de la révision du Code pénal, révision qui doit avoir pour effet de réduire le nombre des cas auxquels la peine de mort sera appliquée.
En conséquence je propose, par amendement au projet de la section centrale, de comminer la peine des travaux forcés à perpétuité, pour le cas où il est résulté de la baraterie, soit un homicide soit des blessures graves.
M. le ministre, dans les explications qu'il vient de donner, dit que la peine de mort ne sera appliquée que quand l'homicide aura été volontaire; mais cela ne résulte pas du texte du projet de loi ; il en résulte au contraire que du moment où la mort d'un homme est la conséquence du crime de baraterie, qu'elle soit l'effet de la volonté du coupable ou non, le crime est passible de la peine de mort. Voilà le texte; il est possible que dans l'application on adopterait le commentaire de M. le ministre, mais même avec ce commentaire, je ne puis admettre la disposition.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne pense pas que nous puissions adopter l'amendement de l'honorable M. de Brouckere; ce serait porter la perturbation dans notre législation pénale, et ce n'est pas dans une loi toute spéciale, telle que celle que nous faisons ici, que nous pouvons venir déroger au système pénal en vigueur.
Nous sommes à la veille de nous occuper de la révision du Code pénal et je crois que la peine de mort, si elle y est conservée, sera réduite à un très petit nombre de cas. Mais, dans la circonstance actuelle, nous devons nécessairement nous référer au droit commun. Il ne faut pas perdre de vue que, d'après les articles 434 et 435 du Code pénal, le fait d'avoir incendié ou fait sauter un navire au moyen d'une mine est puni de mort, et vous puniriez des travaux forcés à perpétuité seulement l’échouement ou la perte d'un navire qui aurait occasionné la mort d'une ou plusieurs personnes; ce serait là, vous le voyez, troubler l'harmonie et déranger toute l'économie de nos lois pénales, et c'est ce qui arrive fréquemment quand, par des dispositions spéciales et sans embrasser l'ensemble de la législation, on introduit des dérogations plus ou moins graves dans une loi qui fait partie d'un système complet de législation.
Ce qu'il y a de mieux à faire, je le répète, c'est donc de s'en tenir au droit commun jusqu'à la réforme de notre Code pénal ; et quand les dispositions de ce Code, qui sont, je le reconnais, empreintes d'une excessive sévérité, auront été modifiées et adoucies par la législation nouvelle, ses dispositions s'appliqueront nécessairement aux crimes maritimes prévus par la loi actuelle.
D'ailleurs, s'il était nécessaire que la loi actuelle subît alors certaines modifications; eh bien, un projet de loi serait immédiatement présenté à cet effet à la législature, mais jusque-là il faut rester sous l'empire du droit commun et ne pas innover légèrement.
M. Orts. - L'amendement de l'honorable M. de Brouckere, comme l'a fort bien fait remarquer M. le ministre de la justice, serait en contradiction avec tout notre système pénal; il n'y aurait plus aucune proportion entre les crimes que l'on veut punir par la loi nouvelle et des crimes analogues, je dirai même des crimes d'une gravité moindre punis par la loi commune actuelle, par le Code pénal de 1810.
L'amendement de l'honorable M. de Brouckere aurait pour premier résultat cette bizarrerie que je signale à l'attention de la chambre, c'est que celui qui ferait sauter son navire à l'aide d'une mine, ou bien y mettrait le feu, devrait nécessairement subir la peine de mort, alors même qu'aucun matelot n'aurait été atteint ni blessé par ce désastre, tandis que si, détruisant son navire par un autre moyen, il arrivait à faire perdre la vie à l'équipage ou seulement à une partie de l'équipage, il ne serait condamné qu'aux travaux forcés à perpétuité. Serait-ce juste ? serait-ce équitable? cela serait-il bien conforme au système de notre Code pénal ? Les articles 434 et 435 du Code pénal punissent de la peine capitale celui qui met le feu à son navire ou le fait sauter. Quelle différence y a-t-il entre ce crime et celui de faire échouer un navire? Il est donc impossible, sans bouleverser complètement notre système pénal, d'admettre l'amendement de l'honorable M. de Brouckere.
Maintenant, il est encore en contradiction avec les dispositions de nos lois actuelles. L'article 437 du Code pénal punit le même fait que celui que vous voulez atteindre sans nommer les navires; cet article prévoit le cas de la destruction d'une maison ou d'un bâtiment terrestre quelconque ; et, pour ce crime, le législateur a admis le système que le gouvernement propose d'introduire, par la loi nouvelle, pour les navires. On punit de mort la destruction d'un édifice, si cette destruction a eu pour conséquence la mort de quelqu'un, et l'on punit des travaux forcés le même fait lorsqu'il n'a pour conséquence que des blessures. C'est le système que propose le gouvernement pour le cas de destruction d'un navire.
Ainsi, pour rester d'accord avec ce qui existe, il faut adopter la proposition du gouvernement qui se borne, en définitive, à étendre aux navires ce que l'article 437 du Code pénal a décrété pour toute autre espèce de construction.
L'honorable M. de Brouckere a fait une observation qui me paraît fondée, c'est qu'il ne faudrait pas, à la veille d'une réforme du Code pénal, que tout le monde réclame, introduire la peine de mort dans une loi spéciale, de façon à ne pas pouvoir la changer si, lors de la réforme du Code pénal, la peine de mort venait à disparaître.
Pour éviter cet inconvénient, au lieu de renvoyer à l'article. 304, il suffirait de renvoyer à l'article 437 du Code, qui fait une distinction pour les édifiées terrestres, distinction que le gouvernement demande d'introduire pour les navires. De cette façon si, plus tard, la législature veut diminuer la sévérité de l'article 437, en révisant le Code pénal, elle modifiera en même temps, par voie de conséquence, les dispositions de la loi actuelle.
Cependant je dois faire remarquer que si, dans une révision de nos lois pénales, la peine de mort est maintenue pour un crime quelconque, ce doit être nécessairement pour le crime que vous voulez punir maintenant. Il n'en est pas de plus odieux, de plus révoltant, de plus grave parmi tous ceux qui peuvent compromettre la vie de l'homme. En effet, le capitaine de navire qui fait échouer le bâtiment dont la garde et la conservation lui sont confiées, le fait généralement dans un but de spéculation, pour obtenir un bénéfice sur l'assurance, par exemple, ou, dans d'autres circonstances, pour réaliser un lucre illicite. Et cependant ce crime n'est pas puni de la peine de mort, bien qu'il soit plus répréhensible, à mon avis, que le fait d'un simple meurtre sans échouement d'un navire. Dans ce cas, il y a non seulement meurtre, mais encore une spéculation honteuse en vue de laquelle le crime a été commis. Or, dans le système du Code pénal, le meurtre commis volontairement et accompagné d'un autre délit est puni de la peine de mort. Je crois que si cette peine est maintenue, elle le sera surtout pour un fait qui entraîne une double criminalité.
M. Destriveaux. - Si le Code pénal qui nous régit encore aujourd'hui avait été à l'abri de toute espèce de critique, et si la nécessité d'y apporter des réformes salutaires et nombreuses n'avait pas été généralement sentie, je dirais qu'on peut le considérer comme la lui commune à laquelle on doit se référer. Mais il n'en est pas ainsi; le Code pénal, dans un grand nombre de ses dispositions, est totalement défectueux; non pas par trop de réserve, par trop d'indulgence; c'est le contraire. La peine de mort a été prodiguée dans ce code de la manière la plus terrible ; on a puni de mort non seulement le fait, mais la résolution arrêtée, concertée entre plusieurs de le commettre.
La peine de mort semblait être une espèce de monnaie de justice, dont les auteurs du Code pénal se sont réservé l'emploi.
Aujourd'hui on fait une loi d'exception ou plutôt une loi spéciale. Par cette loi spéciale, faut-il, pour être juste, s'en rapporter au Code pénal comme à une loi commune consacrée de tout temps et qui sera toujours inattaquable? Ou bien faut-il, par cette loi spéciale, adopter un système qui établisse une meilleure proportion entre les crimes et les délits?
Voyons maintenant si, dans le Code pénal même, les dispositions des articles 304 et 437 sont conformes aux véritables règles de la justice; je ne le crois pas. Il est bien certain que l'article 304, dans sa généralité, est d'une application qui bien souvent peut mener à l'injustice : c'est encore la peine de mort que l'on inflige; et pourquoi? Parce que le meurtre et non pas l'accident a été précédé, accompagné ou suivi d'un crime ou d'un délit, et la loi ne dit pas si le crime ou le délit qui a précédé, accompagné ou suivi le meurtre, y est connexe. Il faut donc un commentaire pour pouvoir l'établir; la loi ne le dit pas. Appliquez la loi dans sa simplicité et vous prononcerez la peine de mort contre celui qui, auteur d'un meurtre, a commis encore un délit, avant, pendant ou après, et un délit qui n'aura aucune corrélation avec le crime. Eh bien, messieurs, je dois le dire, ce n'est pas là de la bonne justice ; il faut (c'est un axiome bien connu} que la peine soit proportionnée au délit et surtout à l'intention qui a présidé à sa perpétration.
Il en est de même de l'article 437, qui rend un individu responsable d'un fait qui pouvait même être en dehors de ses prévisions. Qu'il y ait criminalité dans le fait de la destruction d'un vaisseau ou d'un édifice quelconque, c'est une chose qui ne peut pas être niée.
Mais ce crime doit-il entraîner l'application de la peine de mort? Le doit-il, lorsque le hasard, le cruel hasard fait qu'un acte qui peut être qualifie délit ou crime peut être commis sans intention du crime principal? A coup sûr là il n'y a pas de justice; le Code pénal est défectueux comme il l'est dans l'article 305. Suivons les règles que nous trace la loi commune, mais n'ayons pas un respect aveugle pour ce qui a été fait. S'il arrive que la loi commune soit défectueuse dans ses dispositions, hâtons-nous d'y apporter de salutaires amendements. Il y a longtemps qu'une révision fondamentale sérieuse du Code pénal qui nous gouverne encore aujourd'hui, a été demandée. Cette réforme est nécessaire ; elle devient tous les jours plus indispensable, parce que tous les jours le Code pénal s’éloigne davantage de nos mœurs, et je le dirai, de la conscience des juges qui l'appliquent.
Ainsi, j'appuierai, par une espèce de transaction, l'amendement de (page 1345) l’honorable M. de Brouckere, et je m'élèverai de toutes mes forces contre l'introduction de la peine de mort dans la loi qui nous occupe.
M. H. de Brouckere. - L'honorable M. Orts m'accuse d'inconséquence et voici pourquoi : Le Code pénal en vigueur prononce la peine de mort contre le capitaine comme contre tout autre individu qui aurait fait sauter son navire à l'aide d'une mine, soit qu'il s'ensuive mort d'homme, soit que le fait n'ait pas eu cette triste conséquence ; et d'après ma proposition, le capitaine qui aurait fait périr son navire d'une autre manière ne serait puni que des travaux forcés à perpétuité, alors même qu'un homicide s'en serait suivi.
Voilà, dit l'honorable M. Orts, de l'inconséquence. Eh bien, je vais démontrer que l'inconséquence est bien plus palpable, et bien plus forte dans le projet du gouvernement et dans le projet de la commission.
Le projet de la commission et celui du gouvernement ne prononcent que la peine des travaux forcés à temps contre le capitaine ou le pilote qui aurait échoué, perdu ou détruit son navire par un moyen autre que le feu ou la mine, et il laisse subsister le Code pénal qui prononce la peine de mort, si le navire a été détruit à l'aide d'une mine.
Or, je vous le demande, le capitaine qui perd son navire, par exemple, en le faisant échouer ou en le faisant couler, et ces cas arriveront plus souvent que celui de la mine, est-il moins coupable que celui qui emploie ce dernier moyen? Cependant, la commission, d'accord avec le gouvernement, ne punit le premier fait que de la peine des travaux forcés à temps; il punit le second de la mort.
Je crois que cette contradiction, que l'honorable M. Orts semble approuver, est bien plus choquante que celle qui pourrait résulter de mon amendement et qui est plus apparente que réelle.
Au reste, je ne veux pas examiner si le crime dont nous occupons est plus ou moins grave que tel autre crime qu'on pourrait citer. Voici ma seule p4Bsée. Je ne veux plus prononcer la peine de mort pour des faits nouveaux jusqu'à ce que nous ayons révisé le Code pénal.
Mais puisqu'on a cherché à vous démontrer que le fait dont il est question est le plus criminel de tous ceux que l'on puisse imaginer, qu'alors même que la peine de mort serait supprimée pour tous les autres cas, il faudrait qu'elle fût maintenue pour celui-ci, je demande à la chambre la permission de lui faire à cet égard une observation, pour lui montrer où on va l'entraîner, si elle adopte facilement cette disposition.
Le crime, tel qu'il est défini par le projet de la commission, est très grave, je l'avoue. Mais l'honorable M. Orts a probablement perdu de vue l'article 65 du projet. Cet article assimile la tentative au fait consommé et le punit de la même peine.
M. Tesch. - Dans le cas de tentative, il n'y a pas mort d'homme.
M. de Brouckere. - L'article 65 déclare l'article 2 applicable à tous les cas prévus par le projet dont nous nous occupons, de manière qu'après avoir prononcé la peine de mort contre le fait que vous voulez atteindre, vous seriez infailliblement et fatalement entraînée à prononcer la même peine de mort contre la tentative du fait.
On me dit : Dans ce cas il n'y a pas tentative d'homicide. Mais le cas de tentative d'homicide peut très bien exister. La tentative peut être telle qu'elle soit considérée comme portant non seulement sur la perte du navire, niais aussi, car l'homicide que le projet veut atteindre. Il est même très possible, messieurs, que le but principal du capitaine soit de faire périr une partie de son équipage et que la perte du navire ne soit qu'accessoire. Dans ce cas, je le répète, vous seriez fatalement entraînés à punir la tentative du crime de la peine de mort comme vous auriez puni le crime même.
Je crois que la chambre agira très sagement, très prudemment en ne prononçant pas la peine de mort, mais seulement celle des travaux forcés perpétuité, qui est déjà très grave.
M. Delfosse. - La commission n'a pas entendu se prononcer sur la grave question de savoir si la peine de mort doit être maintenue dans notre législation pénale; c'est pour cela qu'elle n'a pas inscrit nominativement cette peine dans la loi. Ce n'est pas, comme l'a pensé l'honorable M. de Brouckere, par une espèce de pudeur qu'elle a évité de prononcer le mot ; c’est pour que l'on sût bien que si la peine de mort disparaissait un jour du Code pénal, elle disparaîtrait également de la loi spéciale que nous faisons en ce moment. Voilà pourquoi la commission a cru devoir s'en référer au Code pénal ; voilà pourquoi elle n'a pas inscrit dans la loi les mots « peine de mort. »
Mais la commission, sans vouloir se prononcer sur cette grave question, a dû se dire que, puisque la peine de mort existe encore dans nos lois, il fallait, tant qu'elle n'en disparaîtrait pas, l'appliquer à certains crimes commis sur les navires comme aux crimes qui se commettent dans le pays. Nous ne pouvons pas être moins sévères pour des crimes commis sur un navire que pour des crimes commis dans le pays.
Au contraire, là il faut plus de sévérité, parce que la société n'y a pas à sa disposition autant de moyens préventifs et répressifs. Vous vous rappellerez, messieurs, que dans plusieurs dispositions que nous avons déjà votées, nous avons montré pour les délits maritimes plus de sévérité que pour les délits ordinaires ; nous aurions cru être inconséquents, Si alors que la peine de mort existe dans le Code pénal, nous avions décidé qu'elle ne serait jamais prononcée pour des crimes commis sur un navire.
Messieurs, d’après la législation française, le crime de baraterie seul, alors même qu'il n'occasionne ni blessure ni homicide, est puni de mort.
M. Orts. - Et dans tous les pays du monde.
M. Delfosse. - Nous n'avons pas voulu être aussi sévères ; nous n'avons proposé que In peine des travaux forcés pour le crime de baraterie; mais, pour le cas d'homicide, nous ne pouvions nous dispenser de proposer la peine de mort ; remarquez bien, messieurs, que, dans notre intention comme dans celle des auteurs du projet, il n'est pas nécessaire que l'homicide soit volontaire; il suffit que l'homicide résulte du crime de baraterie, celui qui commet ce crime est responsable des suites ; il sait qu'il expose, par son fait, la vie, non seulement d'un homme, mais de tout l'équipage.
Messieurs, comme l'honorable M. Orts l'a très bien fait observer, d'après l'article 437 du Code pénal, celui qui détruit volontairement un édifice est puni de mort lorsque la destruction de l'édifice a occasionné la mort d'une ou de plusieurs personnes. Et cependant la destruction d'un édifice est un fait moins grave que la destruction d'un navire, puisque le premier fait n'est puni que de la réclusion, tandis que, pour le second, nous prononçons les travaux forcés à temps. Nos contradicteurs eux-mêmes ont admis cette peine sans contestation pour le cas où il n'y aurait pas d'homicide.
Je soutiens qu'en présence de cette disposition du Code pénal et en tenant compte de la nécessité d'une répression plus efficace pour les crimes commis sur un navire, en pleine mer, la chambre ne peut se dispenser de prononcer la peine de mort pour le crime de baraterie suivi d'homicide.
Je ne puis pas, messieurs, me rallier à la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de la justice, M. le ministre renvoie à un titre tout entier du Code pénal; or, dans ce titre il y a plusieurs dispositions qui ne peuvent s'appliquer au cas dont il s'agit. On peut très bien adopter la rédaction de la commission, sauf à faire droit à l'observation de l'honorable M. Orts, c'est-à-dire qu'au lieu de renvoyer à l'article 304, paragraphe premier, on renverrait au deuxième paragraphe de l'article. 437.
Ainsi je proposerai de dire : « Si du fait de l'échouement, de la perte ou de la destruction du navire, il est résulté un homicide, la peine énoncée en l'article 437, paragraphe 2, du Code pénal sera appliquée.»
- Un membre/ - Et s'il y a eu des blessures?
M. Delfosse. - Il n'est plus question de blessures : la commission a pensé avec l'honorable M. Lelièvre, que l'on peut, en cas de blessures, se borner à la peine des travaux forcés à temps.
M. de Luesemans. - Je désirerais savoir si M. le ministre de la justice persiste dans son amendement. (Interruption.) Je crois qu'il serait préférable de s'en rapporter purement et simplement au paragraphe 2 de l'article 437; c'est la disposition qui prévoit le cas où un homicide a été la suite d'un fait qui, cependant, n'avait pas l'homicide pour objet. L’amendement de M. le ministre de la justice, comme l'a dit M. Delfosse, renvoie à un titre entier du Code pénal, où il s'agit de différents faits entièrement étrangers à la loi dont nous nous occupons.
Ainsi, vous avez le guet-apens, le parricide, l'infanticide, les différents caractères de l'assassinat. Je crois que la question sera parfaitement précisée, si l'on renvoie à l'article 437, paragraphe 2 ; je préfère, quant à moi, cette rédaction, parce que dans l'article 304 l'homicide est le fait principal, tandis que dans le cas actuel le fait principal est le crime de baraterie, et que l'homicide n'en est, en quelque sorte, que l'accessoire.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, si j'ai proposé de remplacer le deuxième paragraphe de l'article 32 amendé par la même formule qui a été consacrée par la loi du 15 avril 1843, c'est parce qu'il existe entre cette loi et le projet actuel, la plus grande analogie; dans l'un et dans l'autre cas il s'agit d'un délit ou d'un crime qui peut occasionner soit des blessures graves, soit la mort. Eh bien, la loi de 1843, préparée par des hommes très compétents, examinée dans cette chambre par une commission spéciale composée des jurisconsultes les plus éminents, dont le rapport a été fait par l'honorable M. Liedts, cette loi renferme la rédaction que je présente aujourd'hui; et qui a été préférée alors comme plus générale et comme pouvant le mieux s'appliquer à toutes les conséquences quelconques du fait qu'il s'agissait de punir.
Mais, dit l'honorable M. Delfosse, et, après lui, l'honorable M. de Luesemans, la disposition renvoie à un titre tout entier du Code pénal. Sans doute, messieurs, elle renvoie à un certain nombre d'articles du Code pénal, concernant les différents faits d'homicide; mais remarquez que dans les cas d'homicide quelconques peuvent être la conséquence du crime de baraterie. Ce crime peut être commis non pas seulement dans le but de détruire un navire, mais aussi dans le but de donner la mort à une ou plusieurs personnes qui se trouvent sur le navire.
Le parricide lui-même pourrait être la conséquence du crime de baraterie, si le capitaine, qui le commet, voulait, par ce moyen, donner la mort à son père. C'est là sans doute un cas qui ne se présentera probablement jamais, mais enfin il est dans l'ordre des choses possibles, et c'est dans cette pensée que les auteurs de la loi de 1845 ont cru devoir se référer d'une manière générale au titre du Code pénal auquel je propose de renvoyer également, parce qu'il s'applique à tous les cas d'homicide quelconques, qui peuvent être la conséquence du fait qu'il s'agit de punir. La loi que nous discutons est une loi pénale spéciale, tout à fait analogue à celle de 1843; nous ne pouvons donc mieux faire que d'adopter la formule qui y a été introduite et qui a été généralement approuvée par tous les jurisconsultes qui ont concouru à la rédaction de cette loi.
Ce n'est pas au reste, messieurs, que j'éprouve de répugnance à me rallier au sous-amendement de l’honorable M. Delfosse, ni que je trouve un grave inconvénient à se référer au paragraphe 2 de l'article 437 du Code pénal ; (page 1346) mais je crois que la disposition que je propose et qui est absolument la même que celle de la loi de 1843, serait plus complète et qu'elle embrassera d'une manière plus générale et plus rationnelle toutes les dispositions du droit commun applicables aux conséquences du crime prévu par l'article 32 du projet.
M. Jullien. - Messieurs, je me joins à mes honorables collègues, MM. Orts et Delfosse, pour demander à la chambre de repousser l'amendement de l’honorable M. H. de Brouckere. Les raisons qu'ils ont fait valoir sont, suivant moi, péremptoires; mais outre ces raisons décisives, il en est une autre : c'est que l'honorable M. H. de Brouckere propose d’infliger la peine des travaux forcés à perpétuité à l'auteur de l'échouement d'un navire qui a occasionné l'homicide, comme à l'auteur de l'échouement d'un navire qui n'aurait occasionné que des blessures graves. Il est évident que l'auteur de l'échouement d'un navire qui n'aurait occasionné que des blessures graves ne peut pas être puni d'une manière aussi sévère que l'auteur de l'échouement d'un navire qui aurait entraîné un homicide. Il me paraît qu'a moins de fouler aux pieds la règle qui veut que les peines soient en rapport avec la gravité des faits qu'elles atteignent, il faut tenir compte des distinctions qui ont été introduites dans les articles 309 et 437 du Code pénal. Sous ce nouveau rapport, la chambre ne peut pas s'associer à la proposition de l'honorable M. H. de Brouckere.
- La discussion est close.
Le sous-amendement de M. Henri de Brouckere est mis aux voix et n'est pas adopté.
M. le président. - Je mets maintenant aux voix le sous-amendement de M. Delfosse.
M. Delehaye. - La chambre n'est plus en nombre. Il serait inouï de voter la peine capitale, alors que la chambre ne serait pas en nombre.
M. Lebeau. - Messieurs, s'il y a des scrupules puisés dans la composition actuelle de la chambre, le plus simple est qu'on mette le sens-amendement aux voix par appel nominal, pour constater le nombre des membres présents.
J'avoue que je n'attache pas à un vote affirmatif sur l'amendement proposé l'importance qu'y attache l'honorable préopinant. Je crois, au contraire, que pour se prononcer dans le sens de l'amendement qui a été présenté par M. de Brouckere, s'il avait chance d'être adopté, alors seulement il faudrait désirer que la chambre fût en plus grand nombre, car alors il s'agirait de modifier le droit commun, de préjuger une question très importante, le maintien ou l'abolition de la peine capitale.
Messieurs, celui qui a l'honneur de vous parler en ce moment croit avoir prouvé qu'il n'est pas partisan exagéré de la peine de mort, puisque dans un document qu'il a déposé sur le bureau de la chambre, il y a quinze ans, cette peine est considérablement réduite, surtout dans les cas où les criminalistes l'avaient le plus énergiquement réprouvée, c'est à-dire en matière politique.
Remarquez avec quelle modération et quelle réserve la commission a procédé; elle a vu dans une législation toute récente, dans la législation d'un peuple voisin, à laquelle nous avons souvent fait des emprunts, le simple fait de baraterie puni de la peine de mort; eh bien, qu'a fait la commission? Demande-t-elle, à cette occasion, une nouvelle application de la peine de mort? Nullement : la commission a admis des circonstances qui atténuent ce fait et le rendent passible de diverses peines non perpétuelles, tandis que la législation française le punit en tous cas de la peine capitale; la commission n'a rien préjugé : elle n'a pas modifié le droit commun. Si le droit commun est modifié un jour, si la peine de mort doit être rayée de nos Codes, par ce seul fait la loi spéciale que nous votons sera modifiée.
Il s'agit donc purement et simplement, je le répète, de ne rien innover, de ne rien préjuger quant à la question de l’abolition complète de la peine de mort. D'après cela, je ne conçois pas les scrupules qu'éprouve l'honorable préopinant, et moins encore les reproches ou les insinuations d'un autre de ses collègues.
M. le président. - On peut procéder à un appel nominal sur le sous-amendement de M. Delfosse.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - La rédaction de l'amendement me paraît vicieuse. L'homicide est le fait de l'homme qui cause la mort. Or, le fait de l'homme qui cause la mort peut bien se produire à l'occasion de l'échouement ou de la perte du navire ; mais il ne peut en être la conséquence ou en résulter, comme dit l'amendement. Ainsi, l'article 437 du Code pénal ne dit-il pas : « S'il est résulté un homicide ou des blessures de la destruction des édifices, etc.. », mais bien : « S'il y a eu homicide ou blessures. » il conviendrait donc de modifier la rédaction dans le sens de cet article.
M. Delfosse. - C'est un simple changement de rédaction à faire; on pourra y revenir lors du second vote.
M. le président. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur le sous-amendement de M. Delfosse.
M. le président. - D'après l'appel nominal, la chambre n’est plus: en nombre.
La discussion est renvoyée à lundi.
- La séance est levée à 4 heures.