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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 4 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1268) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et demie.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.

« La dame Hoyaux, veuve du sieur Bourguignon, demande que son fils unique soit dispensé du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Thibaut, rappelé dans sa famille par des affaires urgentes, prie chambre de lui accorder un congé de quelques jours.

- Le congé est accordé.

Propositions de loi relatives au droit sur les sucres

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Jullien pour une motion d'ordre.

M. Jullien. - La discussion de la question des sucres se rattache à un point de fait qui me paraît dominer une des parties capitales du débat.

Il est essentiel de connaître d'une manière aussi exacte que possible le chiffre de la consommation intérieure, afin de pouvoir juger l'importance du produit de l'accise, et l'importance des sommes qui en sont distraites pour couvrir les primes d'exportation.

Selon l'honorable M. Cools, le chiffre des sucres bruts soumis au raffinage pour la consommation, serait de 12,631,578 kilog.

Selon l'honorable M. Mercier, ce chiffre devrait être porté à 12,720,000 kilog.

Selon M. le ministre des finances, au contraire, ce chiffre devrait être réduit à 11,449,000 kilog.

Tous ces honorables contradicteurs varient en même temps, et d'une manière non moins saillante, sur les quantités de sucre de betterave, livrées au raffinage, et qui feraient partie des quantités de sucre qu'ils indiquent pour la consommation en général.

On comprend que des chiffres aussi différents doivent amener des appréciations également différentes.

Je demanderai que M. le ministre des finances, pour éclairer la religion de la chambre, veuille bien nous fournir des tableaux indiquant :

1° Les quantités de sucre brut exotique importées chaque année pendant la période du 1er juillet 1843 au 1er juillet 1848 et pendant le 2ème semestre de 1848.

2° Les quantités de même sucre raffiné et les quantités de sucre de betterave également raffiné exportées avec décharge de l'accise pendant les mêmes périodes.

3° Enfin les quantités brutes de sucre de betterave déclarées chaque année dans la prise en charge des fabricants de sucre de betterave du 1er janvier 1845 au 1er janvier 1849.

Je me plais à croire que M. le ministre des finances qui tient, comme nous, à ce que la vérité se fasse jour dans cette discussion, ne refusera pas les renseignements que je demande.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tous les documents que demande l'honorable préopinant existent, sont parfaitement connus et ne donnent lieu à aucune contestation dons la chambre. Je suis prêt à les réunir de nouveau et a en former un tableau pour la facilité de la discussion ; cela ne souffrira aucune espèce de difficulté. Mais je ferai remarquer à l'honorable préopinant que ce travail sera sans utilité; car la discussion porte sur des points entièrement différents. Il s'agit, en effet, de savoir non quelles sont les quantités officielles, mais ce qu'il faut y ajouter pour tenir lieu des quantités que l’on suppose avoir été soustraites à l’impôt. C’est sur ce point qu’on varie. Pour cette appréciation, il y aurait lieu de se livrer à la discussion des éléments fournis d’une part par l'honorable M. Cools, d'autre part par l'honorable M. Mercier, d'autre part par le gouvernement.

C'était afin de simplifier le débat en cette partie et pour éviter toute contestation, que, dans les explications que j'ai eu l'honneur de donner à la chambre, je m'étais rapproché autant que possible des éléments indiqués par l'honorable M. Mercier. Je différais en effet très peu des évaluations primitives de l'honorable membre : il fixait le chiffre de la consommation à 11,500,000 kil.; je le ramenais à 11,449,000 kil.

L'honorable M. Cools était également sur ce terrain, d'après ses propres bases d'évaluations, à peu près d'accord avec moi; de telle sorte que la discussion ne peut plus porter aujourd'hui que sur les nouvelles indications données, dans la séance d'hier, par l'honorable M. Mercier.

L'honorable M. Mercier, frappé sans doute, je dois le croire, des objections que j'ai formulées contre son système, éclairé sur les résultats qu'il pouvait produire, a renoncé à estimer la consommation, à 11,500,000 kil. et a voulu démontrer qu'elle s'élevait, non pas à ce chiffre, mais à 12,700,000 kil. Ce sera l'objet d'une discussion dans la séance d'aujourd'hui ou dans la séance de demain. C'est là véritablement le point sérieux de la discussion; mais, je le répète, il n'y a pas de difficultés sur les quantités officielles.

Du reste, je ne me refuse en aucune façon à faire former un tableau des diverses quantités indiquées par l'honorable M. Jullien.

M. Mercier. - Je déclarerai d'abord à la chambre que les nouvelles appréciations que je lui ai soumises sur la consommation du sucre en Belgique étaient faites, écrites avant que j'eusse entendu les objections de M. le ministre des finances, dans la séance d'avant-hier.

Comme l'a observé M. le ministre des finances, le débat ne porte pas sur la production du sucre indigène constatée par l'administration ni sur les importations de sucre étranger. Ces quantités sont bien connues. Mais je ferai remarquer à l'honorable M. Jullien que la différence entre mes premières évaluations et les secondes provient de ce qu'elles portent sur des séries d'années différentes.

Comme, depuis le moment où j'avais indiqué la première appréciation, il s'est passé une année et que je pouvais établir mes évaluations sur trois années dont deux nous donnent des résultats certains, je me suis rapproché beaucoup plus de la vérité en prenant la moyenne de consommation de ces trois années qui sont 1846, 1847 et 1848.

M. Cools, rapporteur. - J'appuie ce que vous a dit tout à l'heure M. le ministre des finances. Les renseignements ou les éclaircissements que désire obtenir l'honorable M. Jullien peuvent uniquement jaillir de la discussion. A cette occasion, je dirai qu'un débat s'établira probablement sur les documents qui ont été cités hier par l'honorable M. Mercier; j'ajouterai que moi-même je me suis livré à de nouvelles études. J'ai pris une base différente de celle de l'honorable M. Mercier et qui se rapproche davantage des bases adoptées par M. le ministre des finances. A cette occasion, je demanderai la parole sur le fond de la question; quand mon tour de parole arrivera, je produirai quelques explications nouvelles et je tâcherai de donner toute satisfaction à l'honorable M. Jullien. Mais je crois qu'il faut laisser continuer la discussion.

M. Jullien. - Je n'entends pas que la discussion doive être suspendue.

M. Cools. - Je le répète, les renseignements que vous désirez obtenir peuvent uniquement jaillir des débats.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, en prenant la parole dans cette discussion, mon intention n'est pas d’examiner la question des sucres sous toutes ses faces. Je me propose seulement de l'examiner au point de vue de l'intérêt commercial et maritime.

Un honorable préopinant, qui a parlé hier à la fin de la séance, disait que cette question de l'influence du commerce des sucres sur nos exportations ne pouvait être trop approfondie. Je suis parfaitement de cet avis; je crois qu'il importe que la chambre, qui va avoir à se prononcer sur cette grave question, puisse en apprécier parfaitement toute la portée de la résolution qu'elle doit prendre.

Si la chambre veut décider, dans l'intérêt d'une augmentation de nos ressources financières, que M. le ministre des finances a évaluée à 400,000 ou 500,000 fr., on doit supprimer la prime d'exportation, faire cesser le commerce des sucres. Eh bien, il est nécessaire que chacun de nous, avant de se prononcer, connaisse parfaitement l'importance de ce commerce et ne se trompe pas quant à la portée du vote qu'il aura à émettre et sur les conséquences fâcheuses qu'il peut entraîner.

Un honorable préopinant a soutenu, messieurs, une opinion extrêmement absolue sur cette question. Suivant lui, non seulement le commerce des sucres n'a point d'influence en faveur de nos exportations, mais il va même jusqu'à craindre que l'exportation du sucre raffiné ne puisse nuire à l'exportation des autres produits de notre industrie.

Messieurs, c'est là un véritable paradoxe En matière commerciale, c'est une opinion qui n'est partagée ni par aucune nation maritime, ni par aucun commerçant. De quoi se plaint-on toujours en Belgique, (page 1269) messieurs? N'est-ce pas de l'absence d'un grand commerce maritime? N'attribue-t-on pas à cette absence l'insignifiance de nos exportations dans les pays transatlantiques ? Eh bien, messieurs, quel est le trafic qui s'opère dans les pays transatlantiques?

C'est celui des denrées coloniales, et dans les denrées coloniales évidemment les cafés et les sucres forment la partie la plus importante. Or, messieurs, pour les cafés nous avons déjà amoindri considérablement les importations qui peuvent avoir lieu directement par nos navires, nous les avons amoindries considérablement par la faveur que nous avons accordée à la Hollande pour l'importation de 7 millions de kilog. de café.

Il en résulte donc que c'est le sucre qui forme l'élément par excellence de nos échanges dans les pays transatlantiques.

Si vous supprimez, messieurs, cet élément de commerce, il est clair que vous nuirez considérablement aux relations directes que nous avons poursuivies par notre système commercial. Vous attaqueriez par cela même la base de nos lois commerciales, la loi des droits différentiels, celle sur les entrepôts, sur le transit, etc. Le but principal de la loi des droits différentiels n'est-il pas d'ouvrir des relations directes avec les pays transatlantiques et de favoriser la marine nationale?

Eh bien, le sucre est l'élément essentiel de ces rapports, et comment voulez-vous obtenir des retours avantageux pour notre commerce d'échange, chose si essentielle, si vous réduisez considérablement le commerce des sucres, si, comme l'honorable M. Osy le disait hier, vous réduisez ce mouvement de 40 millions à 6 millions de kilogrammes?

Voici, messieurs, comment l'honorable M. Mercier résume son argumentation pour démontrer le peu d'influence du commerce des sucres sur le commerce d'exportation, il prend un des pays qui nous fournissent du sucre brut, par exemple, la Havane, et il dit : La Havane nous fournit 12 à 13 millions de kilog. de sucre brut par année, et nous ne lui fournissons en retour que pour une valeur moyenne de un million de francs, de nos produits. On a déjà répondu, messieurs, à cet argument de l'honorable membre et dans le document du 1er mai 1848 qu'on a cité plusieurs fois dans la discussion, et dans le discours de M. le ministre des finances.

Evidemment, en ne peut pas prendre chaque marché isolément pour l'examen de cette question. Il faut prendre l'ensemble des opérations et hier on vous citait encore une importation très importante qui va s'accomplir par le départ du port d'Anvers, d'un navire d'un fort tonnage, du Charles-Quint. Ce navire transporte 600 tonneaux de nos marchandises au Chili et dans la Californie; ensuite il ira prendre des sucres bruts à Manille ou aux Philippines. Voilà la grande opération qui vient d'être combinée; eh bien si, à la suite de cette opération, nous prenions isolément le chiffre de nos exportations vers Manille, nous trouverions que l'importation des sucres bruts de cette colonie a été sans influence sur le chiffre de nos exportations.

D'ailleurs, personne n'a jamais dit qu'il suffisait d'avoir un commerce de sucre pour amener une exportation fort étendue de nos produits. Il y a pour cela d'autres conditions essentielles; mais l'élément commercial, les relations directes, le fret modéré, une marine marchande, sont aussi des conditions de la plus haute importance pour pouvoir amener des exportations.

La première condition d'exportation, c'est sans doute le perfectionnement des produits, c'est qu'ils soient vendables et exportables. Si vous parvenez à produire mieux que vos rivaux en industrie, vous n'avez à la vérité d'autre condition pour exporter. Plusieurs de nos produits, par exemple, les armes, les clous, les verres à vitre, certains tissus de laine, nous les plaçons déjà, dans l'état actuel des choses, sur la plupart des grands marchés du globe; mais il n'ensuit pas que le commerce des sucres et les nombreuses relations qu'il amène ne puissent pas exercer une très large influence en faveur de ces produits eux-mêmes.

Si nous avions des relations plus suivies encore, si nous avions des comptoirs à l'étranger, si notre navigation maritime s'étendait, évidemment nos exportations grandiraient et dépasseraient en peu de temps le chiffre actuel même pour ces produits privilégiés. Qu'est-ce que nous exportons en armes, en verres à vitre et autres produits que nous fabriquons d'une manière supérieure, en comparaison de la consommation immense qui se fait de ces produits sur l'étendue du globe?

Mais nous ne sommes pas supérieurs pour tous les produits de notre industrie; il s'en faut de beaucoup; il en est un grand nombre où nous avons peine à rivaliser avec l'industrie étrangère, par exemple, pour presque toutes les espèces de tissus.

Si nous n'avions pas un commerce maritime d'exportation, nous garderions à cet égard le statu quo pendant de longues armées encore, tandis que si des relations nombreuses s'établissent, des débouchés nouveaux s'ouvriront inévitablement au bout d'un certain nombre d'années.

L'honorable M. Mercier s'est élevé avec beaucoup de force contre le système des primes à l'exportation des sucres. Je crois que personne n'a jamais soutenu comme principe d'économie politique un semblable système.

Pourquoi a-t-on adopté ce système? Parce que les autres pays l'ont mis en vigueur, parce qu'il est une condition essentielle de l'exportation. Si vous supprimez les primes, vous supprimez en même temps l'exportation, ; ce n'est pas à cause de la bonté du système en lui-même qu'on a institué ces primes, mais parce que les autres pays et la Hollande surtout font admis, et que si nous ne l'avions pas adopté, nous aurions dû renoncer au commerce et au raffinage des sucres. Un système de prime d'ailleurs peut être utile dans certaines conditions et dans certaine mesure, mais appliqué d'une manière trop large il peut être nuisible.

La Hollande, dit-on, dans peu d'années supprimera ces primes, elle y sera forcée par sa situation financière.

Je ne sais si la Hollande dans l'avenir supprimera ce système; mais ce que je sais, c'est que dans le moment actuel elle n'y songe pas le moins du monde.

Il est regrettable qu'une entente ne puisse pas avoir lieu sous ce rapport entre les deux pays. Mais si un jour la Hollande supprimait de commun accord les primes, nous ne délibérerions pas longtemps pour accepter un semblable arrangement.

Mais aussi longtemps que les Pays-Bas et les autres pays maintiennent les primes d'exportation, nous sommes obligés de les maintenir aussi; à moins que, dans un intérêt financier, nous sacrifiions le commerce du sucre.

On vous l'a déjà dit : ce commerce est aussi très essentiel si l'on veut arriver à établir une société d'exportation. La formation d’une société d'exportation présente déjà de très grandes difficultés, non pas dans la présentation et la discussion des bases du projet. Il serait très facile au gouvernement de présenter immédiatement et de discuter un projet sur cette matière, mais la grande difficulté est dans la formation du capital social. Chacun reconnaît que la formation de ce capital doit avoir lieu par le concours des capitaux particuliers et des capitaux de l'Etat. On est assez généralement d'accord pour finir à deux tiers pour les particuliers et un tiers pour l'Etat. Or j'ai des raisons de croire que dans les circonstances actuelles il serait fort difficile, si pas impossible, de réunir les capitaux particuliers; eh bien, vous compromettrez davantage encore la formation de la société d'exportation par la suppression du commerce des sucres; je doute qu'alors on puisse un jour réunir les capitaux dont vous avez besoin, car la confiance dans le succès de la société s'évanouira complètement. Que demanderez- vous à cette société? d'affréter des navires, de combiner des opérations commerciales?

Eh bien, il n'est pas pour ainsi dire une seule combinaison commerciale avec les pays d'outre-mer où les sucres ne soient considérés comme la denrée la plus sûre pour constituer des retours avantageux. Du moment où vous aurez annihilé ce commerce, vous nuirez donc à la formation de cette société que tant de fois vous avez réclamée dans cette enceinte, il en est de même de la fondation des comptoirs. J'ai une conviction arrêtée que des comptoirs belges à l'étranger sur les marchés lointains constituent un des moyens les plus efficaces pour amener des relations commerciales suivies, fructueuses avec ces contrées.

En effet, si nous examinons ce que font les autres pays maritimes et commerçants, nous voyons que tous ces pays ont un très grand nombre de maisons établies sur les principaux marchés transatlantiques. Je citerai, par exemple, l'Angleterre, la France, les villes hanséatiques et même la Suisse, qui exporte sur tous les marchés. La Suisse possède deux avantages, d'abord la perfection et le bon marché de ses produits, ensuite l'avantage d'avoir des maisons établies sur tous les marchés transatlantiques, qui tiennent constamment l'industrie de la Suisse au courant des changements qui surviennent dans le mode et dans les goûts de tous les consommateurs.

Nous, nous n'avons presque pas de maisons à l'étranger. Là où il s'en est établi depuis quelques années, par exemple à Valparaiso (Chili), nous exportons déjà des quantités importantes de nos produits. Il est donc très essentiel de favoriser l'établissement de comptoirs. C'est une des choses que je considère comme les plus avantageuses. Si une société se formait dans ce but (et il en est fortement question en ce moment), elle baserait ses calculs non seulement sur le bénéfice des exportations, qui sont toujours plus ou moins hypothétiques, mais aussi sur les retours en denrées coloniales et surtout sur les retours en sucres.

Eh bien, il est question en ce moment de rétablissement d'une société d'armement, qui établirait des comptoirs à l'étranger, qui aurait des navires, qui expédierait des quantités considérables de produits fabriqués vers les pays lointains.

Les hommes capables qui sont à sa tête ont fait leurs calculs, leurs combinaisons, ils comptent essentiellement sur les retours en denrées coloniales, en sucres surtout. Si vous portez atteinte à cette base du commerce et de la navigation, je ne sais si cette société pourra persévérer dans ses projets.

Messieurs, l'honorable M. Mercier s'est livré à de nombreux développements pour motiver son opinion; je n'ai pas eu le loisir de vérifier tous ses calculs; je ne doute nullement de leur exactitude. L'honorable membre a trop étudié la question pour qu'on puisse douter des chiffres qu'il présente; niais, selon moi, il en tire des conclusions tout à fait inadmissibles. Mais en définitive, quels que soient ces chiffres et ces calculs, l'honorable M. Mercier n'a pas détruit des faits incontestables de la plus haute importance, faits qui doivent surtout frapper la chambre, au milieu de cette série de chiffres qui lui est soumise.

Ainsi nous trouvons dans ce document dont on a parlé plusieurs fois, et que je voudrais voir étudier par chacun d'entre vous, dans le document déposé le 1er mai 1848, les résultats suivants qui ont déjà été indiqués plusieurs fois, mais on ne peut les indiquer trop souvent. D'ailleurs dans cette matière si souvent discutée, on ne peut s'empêcher de répéter les mêmes arguments.

Voici quelques faits qui sont démontrés :

En 1847, 149 navires ont impôt le du sucre brut. 236 navires ont exporté des sucres raffinés. (page 1270) Et en tout 489 navires, jaugeant 66,629 tonneaux, ont pris part au commerce des sucres. Ils ont à la sortie 50,024 tonneaux de marchandises représentant :

En sucres raffinés : fr. 11,177,986

En autres produits belges : fr. 2,401,926

Le commerce des sucres a done déterminé le placement de 23,579,912 fr. de marchandises belges.

Enfin, cette branche d'opération maritime déplace annuellement une valeur de 50,000,000 de francs.

Voilà des faits incontestables, évidents, et que l'on ne peut pas détruire.

Ainsi 459 navires sont employés au commerce des sucres. Ce commerce déplace une valeur de plus de 50 millions, il favorise nos exportations qui se sont ainsi élevées par ce commerce à 23 millions en 1847.

Veuillez remarquer ensuite que la législation en vigueur ne l'est que depuis peu d'années. Nous ne prétendons pas que par suite de l'adoption de cette législation, on doive exporter immédiatement des quantités considérables de marchandises sur les marchés transatlantiques. Il faut du temps et de la persévérance.

Ce n'est que quand quelques années se seront écoulées, qu'on parviendra à étendre ces relations et à les rendre fructueuses. Une instabilité constante a plané sur cette législation, et l'on s'étonne que les exportations n'aient pas grandi considérablement. Evidemment, il faut du temps pour étendre les relations directes avec les contrées lointaines. Mais je ne doute pas qu'au bout de quelques années, si nous ne détruisons rien, nos exportations ne grandissent d'une manière remarquable.

Dans l'état actuel des choses, ces exportations ne sont pas déjà à dédaigner. On doit donc reconnaître que partout où nous allons chercher des sucres bruts, partout où nous exportons des sucres raffinés, nous plaçons également d'autres produits.

Ainsi nous exportons dans les contrées ci-après :

(Suite un tableau intitulé : Importations (commerce spécial) de sucres bruts et exportations de marchandises belges en 1837 et en 1847. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

Ainsi partout où nous exportons des sucres raffinés, et où nous allons chercher des sucres bruts, nous avons déjà organisé des relations. Il est désirable qu'elles s'étendent; elles s'étendront indubitablement, mais on ne peut le contester, qu'il n'existe déjà des relations importantes.

Si nous examinons maintenant l'ensemble du commerce des sucres, il présente les résultats les plus remarquables. On a cité hier des évaluations contre les effets de ce commerce; mais on peut citer également des chiffres nombreux pour faire apprécier toute son importance. Je regrette de devoir entrer dans l'examen de questions de chiffres devant la chambre qui doit en être déjà fatiguée. Mais dans cette question c'est indispensable.

Le relevé des principales marchandises coloniales importées en Belgique pendant l'année 1847 donne :

Pour le commerce général comprenant le transit : 99,379,874 kil.

Pour le commerce spécial (mises en consommation) :68,136,096 kil.

Dans le total des 99,379,874 kil. le sucre brut figure pour 30,179,705 kil.

Et dans le total des 68,156.096 kil. pour. 16,150,395 kil.

Ainsi sous le rapport de la quantité, calculée au poids, le sucre brut figure pour le tiers environ dans l'importation au commerce général et pour plus du quart dans l'importation au commerce spécial.

Veut-on savoir maintenant quelle est l'influence exercée par le commerce des sucres sur nos relations directes avec les pays transatlantiques?

Sur les 68,136.096 kil. qui figurent à l'importation pour le commerce spécial, 29,153,043 kil. ont été envoyés des entrepôts d'Europe, 38,983,053 sont venus directement des pays transatlantiques.

Ce qui donne la proportion suivante :

Arrivages des entrepôts d'Europe, 43 p. c.

Arrivages des pays transatlantiques, 57 p. c.

Voilà, pour l'ensemble de l'importation des marchandises coloniales, Je rapport existant entre les arrivages directs et les arrivages d'entrepôt.

Si on envisage isolément l'article sucre, la proportion en faveur des arrivages directs est infiniment plus forte. En effet, comment se répartissent les 16,150,395 kil. de sucre importés? Tandis que les entrepôts d'Europe n'en ont fourni que kil. 3,695,462, il en est venu des pays transatlantique 12,454,933 kil. En chiffres ronds, 16,000,000 kil.

Ce qui donne respectivement :

Pour les arrivages d'entrepôt environ 23 p. c.

Pour les arrivages transatlantiques 77 p. c.

C'est-à-dire que lorsque l'ensemble de l'importation des denrées coloniales donne pour les arrivages des entrepôts une proportion de 43 p. c. ou plus des 2 p. c. de la totalité, l'importation du sucre brut, considérée isolément, ne laisse aux arrivages indirects des entrepôts qu'une proportion de 25 p. c.

La différence que nous signalons serait bien plus forte encore si de l'ensemble des denrées coloniales on défalquait, comme il conviendrait de le faire pour arriver à une comparaison rigoureusement exacte, l'article sucre qui y est compris et qui figure dans l'ensemble pour plus du quart.

Afin de simplifier la chose, nous n'avons cité que les chiffres du commerce spécial. Les résultats sont d'ailleurs à peu près identiques pour le commerce général ; ils sont même plus favorables encore, car pour ce genre de commerce la quantité de sucre importée des entrepôts d'Europe, comparée à la quantité importée directement n'est pas même de 23 p. c, elle n'est que de 20 p. c.

Si maintenant nous envisageons la question des sucres au point de vue de la navigation, les résultats sont encore plus frappants.

Parmi les pays transatlantiques, le Brésil et Cuba sont les contrées avec lesquelles nous avons les relations les plus suivies. En effet, pendant l'année 1847, sur 329 navires mesurant 91,160 tonneaux, venant des pays hors d'Europe qui sont entrés dans les ports belges, 131 navires mesurant 32,473, venaient de Cuba et de Brésil ; et sur 282 navires sortis pour les pays hors d'Europe et dont le tonnage était de 83,345 tonneaux et le chargement effectif de 19,288-97 navires jaugeant 23,196 tonneaux et ayant un chargement effectif de 6,383 tonneaux étaient destinés pour Cuba et le Brésil.

Ainsi, les arrivages de Cuba et du Brésil figurent pour le tiers environ, quant au nombre des navires et quant au tonnage.

A la sortie, sur le nombre total des navires (exception faite des navires sortis à l'aventure), le tiers environ était destiné pour Cuba et le Brésil, et la quantité de marchandises expédiées vers ces pays représente aussi le tiers de l'exportation totale vers les contrées transatlantiques.

C'est surtout au point de vue de la navigation sous pavillon belge que les relations avec Cuba et le Brésil priment toutes les autres.

Sur 84 navires, nombre total des navires belges venant des pays hors d'Europe, arrivés dans nos ports en 1847, avec un chargement effectif de 20,541 tonneaux, 45 navires d'une capacité de 10,271 tonneaux venaient de Cuba et du Brésil.

Sur 85 navires belges, ayant un tonnage de 22,111 tonneaux et un chargement réel de 8,143 tonneaux sortis en destination des pays hors d’Europe, 42 navires jaugeant 9,820 tonneaux et dont le chargement effectif était de 4,661 tonneaux, étaient destinés pour Cuba et le Brésil.

Par conséquent, dans le mouvement général de la navigation belge avec les pays transatlantiques, la part attribuée à Cuba et au Brésil est de plus de la moitié pour le nombre de navires pour le tonnage à l'entrée, et pour la moitié à la sortie, tant pour le nombre de navires que pour le tonnage et le chargement.

De l'ensemble de ces faits il résulte que nos rapports avec Cuba et le Brésil importent la moitié du mouvement de notre commerce maritime avec les pays hors d'Europe.

Or, quels sont les articles qui forment la base de notre commerce avec ces contrées?

Nous avons reçu du Brésil, en 1847, des produits pour une valeur réelle de 5,466,000 fr.

Dans ce total le sucre figure pour 916,000 fr., soit pour un cinquième environ.

De Cuba, la valeur totale des produits reçus est de 9,522,000 fr.

Dans cette somme le sucre seul figure pour 7,953,000 francs, c'est à 1,769,000 fr. près la totalité de l'importation de Cuba en Belgique.

Supposez le commerce du sucre anéanti, et il n'y a plus de relations du tout avec la Havane, et celles avec le Brésil sont privées d'un élément tout à fait essentiel.

En présence de ces faits, peut-on raisonnablement prétendre que le commerce du sucre est sans influence sur notre commerce maritime ; qu'il importe peu qu'il existe ou qu'il n'existe pas, et que le plus ou moins de vitalité de cette branche ne réagit en aucune façon sur l’ensemble de nos relations, et notamment sur notre propre exportation?

Pouvons-nous expédier nos produits manufacturés dans les pays transatlantiques, sans qu'il y ait échange des produits coloniaux en retour? Comment n'aperçoit-on pas que la question de l'exportation se lie étroitement, nécessairement à la question de l’exportation ?

Mais on a prétendu aussi que la navigation belge ne prenait qu’une part extrêmement restreinte à ce mouvement commercial. Eh bien ! messieurs, cette part augmente chaque année d'une manière extrêmement remarquable. Il est à considérer en effet que la part du pavillon (page 1271) belge, qui n'était que de 30 p. c. en 1846, s'est élevée à plus de 50% c» 1847. On ne peut donc pas dire que notre navigation ne profite pas grandement du commerce des sucres ; indubitablement la navigation belge prendra une part de plus en plus large dans ce commerce.

Dira-t-on, messieurs, que la marine marchande nationale n'exerce pas une influence considérable sur nos relations à l'étranger, qu'il suffit de la marine étrangère? Mais tous les faits sont là pour démentir une semblable assertion, si elle pouvait se produire. Dans l'état actuel des choses, une très grande partie de nos exportations sont faites déjà par la faible marine belge. Cette marine elle-même grandit depuis quelques années. D'un tonnage de 25,000 tonneaux qu'elle était il y a deux ans, elle est parvenue à 28,000 tonneaux; et le commerce des sucres y contribue considérablement.

Or, il n'y a rien de plus avantageux pour favoriser les exportations dans les pays lointains que la marine nationale.

Voilà, messieurs, des résultats patents et qui présentent certainement de très grands avantages pour le pays. On ne peut pas se dissimuler que si l'on adopte une des deux propositions qui vous sont soumises, celle de l'honorable M. Cools et surtout celle de l'honorable M. Mercier, comme l'a fort bien démontré M. le ministre des finances, vous frapperez d'un coup funeste notre commerce des sucres et notre commerce maritime tout entier en subira les plus fortes atteintes.

La chambre a donc à examiner si une augmentation de recettes de 400,000 à 500,000 fr. est assez importante pour détruire une branche de notre commerce maritime et entraver dans l'avenir tous les efforts qu'on pourra faire pour augmenter les exportations, pour empêcher la formation de sociétés de commerce, l'établissement de comptoirs, le développement de notre marine marchande, indépendamment d'une importante industrie à l'intérieur, celle du raffinage, que vous frapperez d'un coup mor tel.

Telle est la position de la question. Eh bien ! je ne crains pas de dire que si nous adoptions une opinion aussi absolue que celles des honorables MM. Mercier et Cools, on le regretterait dans peu d'années. On désirerait de revenir sur ses pas. Mais alors il serait trop tard ; notre commerce maritime aurait reçu un coup funeste et l'industrie du raffinage aurait péri.

M. Delehaye. - Messieurs, l'honorable député de Nivelles, qui a pris la parole hier, a dû, pour justifier l'étrange proposition qu'il vous a soumise, entasser devant vous des séries de chiffres dont il serait bien difficile d'apprécier la valeur, alors même qu'il nous serait donné plusieurs jours pour étudier la relation qu'ils peuvent avoir entre eux.

Il est un fait constant, et mon honorable contradicteur en conviendra lui-même, c'est que les documents qu'il a invoqués et que tous les efforts pour les rendre obscurs ne sauraient détruire, c'est que les sucres, indépendamment de la consommation, ont fourni, terme moyen, pendant les années 1845 à 1847, plus de 10,000,000 de kil. par an ; ce chiffre à l'importation et à l'exportation présente une masse de 20,000,000 de kil. à fournir à la navigation. Elle présente de plus, en adhérant à l'opinion de l'honorable membre, une somme de 2,000,000 de fr. consacrée exclusivement au travail.

Eh! messieurs, c'est lorsque le gouvernement cherche partout à fournir au travail quelque activité, quelque élément, que nous renoncerions à un travail assuré, à un objet d'encombrement indispensable ?

M. Mercier nous dira que les pays qui nous ont fourni le sucre n'ont pris en échange aucune denrée, aucun fabricat belge; singulière assertion dans la bouche d'un ancien ministre ! le plus mince commis marchand, ne sait-il pas que l'armateur peut avoir fait plusieurs échanges avant de s'être arrêté à l'achat de sucre. Il cède les produits belges dans tel pays donné contre des produits qui à leur tour sont échangés contre d'autres.

Il est vrai que l'honorable membre ne doit pas tenir grand compte du mouvement commercial auquel le sucre donne lieu; ce mouvement est même pour lui un sujet sérieux de crainte, puisque le sucre prend dans nos échanges avec l'étranger la place que pourraient occuper d'autres produits.

Jusqu'ici on avait généralement admis que plus les objets d'échange étaient nombreux, plus aussi ils étendaient les relations commerciales. Grâce aux nouvelles idées d'économie, il faut proscrire un produit, pour qu'il n'occupe pas la place d'un autre.

Enfin, messieurs, notre honorable collègue nous a révélé un fait qu'en sa qualité de négociateur auprès du gouvernement hollandais il a pu mieux que nous vérifier, c'est qu'avant 2 ans la Hollande aura renoncé au système d'exportation des sucres qu'elle a sanctionné.

Et c'est en présence d'un événement de cette nature que nous renoncerions dès à présent à la faculté de partager un marché sur lequel dans deux ans nous aurons le monopole?

L'ouvrier en Belgique chôme une partie de l'année, le travail manque, les bras, dit-on, sont trop nombreux; et c'est lorsque nous sommes à la veille de jouir seuls, exclusivement à tout autre, de ce riche débouché que nous présente l'Allemagne, que nous renoncerions à un système qui nous permettra dans deux ans, au dire de M. Mercier, de porter notre fabrication à des quantités incalculables, que nous décréterions la fermeture de nos usines? Non, messieurs, ce projet serait absurde, il est indigne d'un parlement belge.

Si jamais l'idée de renoncer aux marchés de l'Allemagne prend le dessus, ayons du moins le bon esprit de nous en emparer comme moyen de négociation avec nos voisins. Ce moyen nous vaudra d'importantes concessions pour le pays, et alors la renonciation à un élément de travail certain trouvera du moins une légitime excuse.

Si la Hollande, par suite de la situation fâcheuse de ses finances, renonçait à la législation sur les sucres, elle abandonnerait inévitablement à l'industrie belge un marché de 100 millions de kilog. Et l'honorable M. Mercier veut nous faire abandonner un système qui nous mettrait en possession de ce marché! Evidemment, ce serait là faire les affaires de la Hollande et non pas celles de la Belgique.

Messieurs, nous sommes en présence de quatre propositions différentes ; qu'il me soit permis d'exprimer mon opinion à l'égard de chacune d'elles. Je m'empresse de dire que je n'en admets aucune : la loi qui nous régit a répondu à l'attente du législateur; cette loi a maintenu en présence deux industries rivales, et elle a fourni au trésor la somme qu'on avait exigée; elle n'a trompé l'attente de personne. Quelle nécessité y a-t-il dès lors de la modifier?

C'est, nous dit l'honorable membre, l'intérêt du trésor. Mais, messieurs, quand il s'agit du travail national, l'intérêt du trésor ne vient jamais qu'en seconde ligne. Lorsqu'une industrie donne de l'occupation à une classe nombreuse d'ouvriers, il faut la maintenir, l'intérêt du trésor dût-il quelque peu en souffrir. Si vous supprimez aujourd'hui l'exportation des sucres, avant deux ans d'ici il n'est pas d'efforts que vous ne fissiez pour la faire renaître.

Je commencerai, messieurs, par vous parler de la proposition de M. Sinave. Que l'honorable membre me permette de le dire, j'ai été singulièrement étonné de voir qu'un homme à qui les notions commerciales et industrielles doivent être très familières, vienne faire une proposition directement opposée à celle qu'il a faite il y a quelque temps : dans l'intérêt du travail national, l'honorable membre nous a fait dernièrement une proposition exagérée, et maintenant il vient nous proposer de ne plus travailler pour l'exportation. Il nous a fait une proposition dans le but de favoriser le travail agricole, et aujourd'hui il veut anéantir la fabrication du sucre de betterave. Quant à moi lorsque cette industrie languissait, j'ai proposé de l'exproprier; mais puisqu'elle a pris de la consistance je pense qu'il faut la respecter.

L'honorable M. Sinave a fait une comparaison. Supposez, a-t-il dit, qu'on fasse des toiles très fines qui, à la frontière, seraient réduites en étoupe ; c'est à peu près ce qui arrive pour le sucre. Il n'y a, messieurs, qu'une seule différence, c'est que pour ces toiles réduites en étoupe vous ne trouveriez pas d'acheteurs, tandis que pour le sucre vous trouvez des acheteurs en nombre très considérable.

L'honorable membre dit encore qu'Anvers a le plus beau fleuve du monde et que c'est déjà une faveur assez grande, qu'il ne faut pas encore lui sacrifier les intérêts du pays. Et c'est un armateur qui fait une pareille observation! Anvers a le plus beau fleuve du monde. Mais à quoi lui servira ce fleuve si vous lui enlevez tout élément de navigation, si vous ne voulez pas du commerce des sucres, la matière la plus encombrante que nous ayons?

La proposition de M. Sinave a cependant un bon côté, c'est qu'elle est sincère, qu'elle est claire, qu'il n'est permis à personne de se tromper sur sa portée. Elle diffère en cela de la proposition de M. Mercier; car, après les documents qui nous ont été présentés, je ne sais de quelle manière qualifier sa proposition. Il sait parfaitement qu'avec le travail en entrepôt l'exportation est impossible, et je le prie de vouloir bien me dire si telle n'est pas sa conviction... Je lui demande seulement de faire un signe négatif ou affirmatif... Son silence le condamne.

M. Mercier. - Je vous répondrai, mais on ne peut pas faire dégénérer la discussion en conversation particulière.

M. Delehaye. - Je dis que le système de l'honorable M. Mercier n'est pas un système sincère. L'honorable membre sait parfaitement qu'il ne serait pas possible d'exporter le sucre raffiné en entrepôt. Le travail en entrepôt n'existe que dans un seul pays en Europe, c'est en Angleterre. Eh bien, quels sont les marchés où l'Angleterre exporte ? Pour la plupart des marchés privilégiés, des marches où aucune autre nation ne peut arriver, et encore c'est à l'aide de sa marine marchande, dont le personnel consomme une quantité de sucre. Ni la France, ni la Belgique, ni la Hollande ne peuvent importer des sucres raffinés dans les colonies où l'Angleterre importe les siens. L'exportation de l'Angleterre dans les autres ports est insignifiante. Si donc vous n'avez pas de colonies privilégies, il vous est impossible d'exporter du sucre raffiné en entrepôt.

Au reste, faut-il tant s'appuyer sur ce point? L'honorable M. Mercier sait bien que sans ce privilège qui impose certains sucres aux consommateurs, le travail en entrepôt n'aurait pas de sens. L'Angleterre travaille chez elle; mais immédiatement ce sucre est envoyé dans les ports privilégiés.

J'en viens à la proposition de l'honorable M. Cools. Cette proposition doit avoir les mêmes conséquences que celle de l'honorable M. Mercier.

L'honorable M. Cools veut que le sucre produise quatre millions pour le trésor. Nous avons prouvé que la consommation intérieure est à peu près de 11 millions, en y comprenant la partie fournie par la betterave, représentant 4 millions et quelques centaines de mille francs d'impôt au profit du trésor. Vous ne pourrez donc, en tout cas, apurer vos comptes qu'à concurrence de la somme qui excède les 4 millions ; or, cet excédant est tellement minime que l'exportation deviendrait sans objet.

Un autre point qui rend l'exportation impossible, c'est la nécessité d'adopter un rendement réel qui soit forcément supérieur au rendement (page 1272) légal. Il faut également que le rendement légal ne soit pas supérieur au rendement légal admis par nos concurrents ou nos rivaux étrangers. Si donc votre rendement légal n'était pas inférieur à votre rendement réel, incontestablement vous ne pourriez faire d'exportation.

D'un autre côté, si votre rendement légal était supérieur au rendement légal admis dans d'autres pays, vous comprenez que l'exportation serait également impossible, car vos concurrents, auraient des avantages contre lesquels la lutte serait impossible.

Mais, messieurs, quel est le rendement réel en Belgique? J'ai entendu émettre différentes opinions à cet égard; il y a quelques membres de cette chambre qui l'évaluent à 88. J'avoue que lorsque j'ai entendu cette opinion se produire, je n'ai pu m'empêcher de m’écrier que ceux qui fixaient à 85 le rendement réel ne s'étaient jamais donné la peine d'entrer dans une raffinerie.

Messieurs, le rendement réel dépend incontestablement de la richesse du sucre qu'on emploie et de la perfection des procédés. C'est ainsi que l’on vous a dit hier, que si vous prenez du sucre très commun, de la moscovade, par exemple, le rendement serait très faible; mais si vous prenez du sucre de Havane blanc, le rendement sera plus considérable. Je pense que dans aucun cas le rendement moyen n'est supérieur à 68. (Interruption.)

L'honorable M. Le Hon n'admet pas ce chiffre; si l'honorable membre veut bien me le permettre, je lui fournirai la preuve incontestable que pour tous les sucres employés le rendement moyen, en tenant compte des différents procédés, n'est pas supérieure 68. J'en appelle au témoignage de ceux qui ont visité des raffineries.

Maintenant, je ne prétends pas dire qu'avec des procédés nouveaux on ne parviendra pas à obtenir un rendement moyen supérieur.

Pourquoi ne pouvons-nous pas maintenant obtenir un rendement moyen supérieur à 68? Le rendement en Hollande est supérieur à 68, parce que la législation hollandaise a pour tendance de protéger l'exportation des sucres, parce qu'elle n'a pas subi les variations de la nôtre; parce que les industriels de ce pays, sûrs de la stabilité, introduisent incessamment des perfectionnements nouveaux. Chez nous, quelques raffineurs se sont laissé prendre au piège de la loi que nous avons votée ; ces raffineurs, en petit nombre, il est vrai, ont fondé de grands établissements; mais la grande masse de nos industriels connaissant l'instabilité de nos lois, la mobilité de nos décisions, n'ont pas donné dans le piège. Ils ont maintenu leurs usines sur l'ancien système. C'est donc l'instabilité des actes législatifs qui est la cause de l'infériorité où nous nous trouvons à cet égard vis-à-vis de l'étranger.

J'en viens à la quatrième proposition, à celle qui a été formulée par le gouvernement.

L'honorable M. Cools, rapporteur de la section centrale, a supposé qu'il y avait eu une entente cordiale entre le gouvernement et les raffineurs. Je crois être l'organe sincère d'un grand nombre de raffineurs, en disant que la proposition de M. le ministre des finances est loin d'avoir obtenu leur assentiment.

M. le ministre exige une augmentation de recette de 200,000 francs, c’est-à-dire qu'il consacre à l'exportation une somme de 800,000 francs de plus que M. Cools. Eh bien, en présence des grands intérêts qui se rattachent à cette question, en présence du besoin de travail qui existe, je dis qu'on ne peut pas admettre une disposition de cette nature.

Il y a un autre danger qui est attaché à la proposition du gouvernement. Du moment que vous rétrécissez le chiffre des exportations, vous vous exposez indubitablement à la fraude.

Il y a dans la proposition du gouvernement un autre point qui m'empêche de lui donner mou assentiment. Ce troisième point est celui qui concerne la betterave. Je crois que la betterave, par suite du grand développement qu'elle a prise, et surtout par suite de l'influence incontestable qu'elle a exercée sur l'agriculture; je crois, dis-je, que la betterave mérite une protection plus forte? Quel est le moyen de lui donner cette protection plus considérable? Sera-ce en organisant le droit sur le sucre exotique ?

Il y a deux motifs pour ne pas recourir à ce moyen : c'est qu'en augmentant le droit sur le sucre exotique, d'une part, vous le mettriez dans l'impossibilité de maintenir sou commerce interlope, et d'autre part, vous auriez à accorder à l'exportation une prime encore plus grande, quand je dis prime plus forte , j'entends une marge d'apurement beaucoup plus forte. C'est donc une raison pour laquelle je n'accepte pas ce système.

Et remarquez que pour un pays qui, comme le nôtre, consomme 10 à 11 millions de kilogrammes de sucre, le commerce interlope, quelque faible qu'il soit, ne peut pas être à dédaigner. Si ce commerce est de 500 mille kilog., vous comprenez qu'en le perdant et le cédant à nos adversaires, il s'établit dans notre production une réduction d'un million de kilogrammes. C'est la dixième partie de notre consommation. C'est une trop forte perte pour que nous puissions l'admettre.

Quant à l'augmentation de l'accise, je n'ai aucune répugnance à accorder au sucre indigène une protection plus forte* si on le croit nécessaire, mais que ce soit en abaissait le chiffre du droit dont il est frappé ; jamais je ne porterai la main à l'aggravation des charges qui pèsent sur le sucre exotique.

Je pense qu'après avoir profilé de tous les avantages du commerce et du raffinage des sucres exotiques, nous serions mal venus à vouloir modifier notre législation quand cette législation a répondu à nos besoins, nous a procuré les moyens de donner du travail à un grand nombre d'ouvriers.

Le maintien de cette législation est de toute nécessité, si vous voulez conserver un commerce d'exportation. Car si vous renoncez au commerce des sucres, il ne vous restera plus que les cotons comme moyen de chargement et de retour. Si vous croyez que votre industrie linière et cotonnière est destinée à prendre un grand développement, pouvez-vous recevoir en échange les seuls cotons bruts ? Il vous faut évidemment une matière plus encombrante et d'une plus grande valeur. Cette matière, c'est le sucre. Si la chambre accueillait cette idée, qui semble surgir, qu'une denrée qui est plus particulièrement à la portée des personnes riches peut être frappée d'un droit nouveau, avant deux ans vous devrez modifier votre législation.

Il n'y a pas tellement péril en la demeure qu'on doive s'exposer à sacrifier une industrie qui verse au trésor le cinquième de tout l'impôt foncier. Y a-t-il une autre industrie qui contribue dans une aussi forte proportion à nos ressources, eu égard à sa consommation ? Il n'en est pas une seule qui, comme l'industrie du sucre, vient verser 3 millions au trésor, non compris les frais accessoires que le trésor reçoit également et qu'on peut évaluer à plus de 800,000 francs.

Qu'il me soit permis de le dire en terminant, si la chambre maintenait la législation existante, ce serait un moyen puissant de négociation qu'elle se réserverait auprès de la Hollande dans l'intérêt de notre industrie et de notre commerce, car en compensation de la suppression de cette législation, la Hollande serait disposée à nous accorder des avantages bien autrement grands que ceux que nous avons obtenus jusqu'ici.

L'honorable comte Le Hon ne le croit pas ; l'honorable membre se trompe sur d'importance de cette concession comme il s'est trompé sur le chiffre du rendement, ce dont je lui ai offert d'administrer la preuve. Qu'il se rende dans les ports de mer, il verra l'influence du commerce des sucres sur le mouvement dans les ports de mer.

Je finirai en engageant la chambre à ne donner son assentiment à aucune des propositions qui lui sont soumises, et à maintenir la législation actuelle; je suis convaincu qu'en agissant ainsi, elle aura bien mérité du pays. Quand le gouvernement s'ingénie à trouver des industries nouvelles, on est mal venu à enlever au pays la fabrication de 20 mille kilog. de sucre que nous ne pourrions remplacer par aucune industrie quelconque.

M. Boulez. - Messieurs, je partage l'opinion du gouvernement, que les sucres, étant un objet de luxe, doivent produire au trésor une somme de trois à quatre millions de francs, et même au-delà, si la concurrence de la fraude du sucre raffiné étranger n'était à craindre.

Dans l'intérêt de l'agriculture, je désire protéger autant que possible la fabrication du sucre indigène, afin d'engager d'établir dans les Flandres des fabriques de sucre de betteraves.

Le développement de cette culture pourrait remplacer en partie la culture du lin qui est négligée depuis que la fabrication de la toile de fil à la main est en souffrance et n'offre guère d'avantage au grand cultivateur, étant obligé de préparer lui-même le lin qu'il récolte pour le rendre propre à la vente, dont les frais de main-d'œuvre s'élèvent souvent à la valeur, le débouché de cette matière textile se trouve réduit au monopole de quelques fabriques étrangères et indigènes. On me dira que le sucre de canne offre un avantage au commerce maritime. Cette faveur ne compense nullement l'utilité qu'offre le développement de la culture de la betterave.

En premier lieu, cette culture et fabrication donne un travail considérable à un grand nombre d'ouvriers, procure l'engraissement d'une quantité de bestiaux, favorise la culture des céréales, encourage les défrichement:, améliore le terrain, est en même temps une richesse du sol. Tandis que les sucres exotiques épuisent nos ressources financières s'ils ne sont échangés centre nos produits.

Il pourrait arriver par des circonstances imprévues que la navigation sur mer fût interrompue, alors, messieurs, nous serions privés de cette douceur sans le sucre de betteraves.

La Belgique libre, indépendante, riche par son sol et sa grande population laborieuse, ne devrait se laisser exploiter par les nations étrangères qu'à des conditions de réciprocité parfaite, c'est-à-dire d'exporter la même valeur de marchandises vers ces pays que nous recevons d'eux afin de maintenir l’équilibre.

Il est évident que, lorsque vous importez plus de valeurs en denrées que vous n'exportez, vous épuisez vos ressources.

Je proposerai au cabinet (pour autant que les intérêts politiques ne s'y opposent) d'établir un droit supplémentaire de dix pour cent à l'importation de toutes les denrées coloniales et autres marchandises provenant de l'étranger (sauf quelques exceptions), et de compenser l'exportation à l'étranger de nos produits manufacturiers, métallurgiques, minéraux, sucres raffinés ou autres produits industriels, par une prime égale à dix pour cent, afin en encourager le commerce et la navigation à faire des échanges qui seraient avantageux pour toutes les branches d'industrie, et empêcheraient les navires de retourner à vide.

Cette mesure, purement fiscale, obligerait le haut commerce de chercher le débouché de nos marchandises, dont il aurait un double avantage, empêcherait le gouvernement de faire des sacrifices pour l'écoulement de nos produits industriels.

Nous recevons des pays transatlantiques des sucres, cotons, cafés, tabacs, riz, huile de baleine, potasses cuirs et une infinité d'autres objets dont les chiffres s'élèvent souvent à huit et neuf fois la valeur de nos exportations.

Pour ces motifs je prie M. le ministre des finances de prendre ma proposition en considération, d'en étudier l'importance. Si mon projet peut (page 1273) se réaliser il a pour but de balancer nos exportations avec nos importations, le bien-être du pays et l'équilibre de nos finances. Si par d'autres mesures plus efficaces on peut parvenir à ce but, je les adopterai avec plaisir. A défaut le pays pourra se soutenir difficilement.

On demande des crédits extraordinaires pour favoriser les exportations, le moyen que je propose est le plus avantageux pour la fortune publique. Il favorise les exportations sans nuire aux importations ni au commerce transatlantique. Les fabriques de toutes espèces de marchandises tant étoffes de laines, toiles, cotons, métallurgies et autres y trouveraient un écoulement. Le haut commerce et la navigation seraient encouragés à exporter, les capitaux resteraient dans le pays, et le trésor pourrait y trouver certains avantages.

J'ajouterai qu'à mesure que notre commerce et nos exportations vers les pays transatlantiques se développeraient, on pourrait diminuer graduellement les droits établis par cette disposition.

M. Loos. - J'avoue, comme l'honorable M. Delehaye, que ce qui m’a le plus frappé dans le discours de l'honorable M. Mercier que nous avons entendu hier, c'est la conséquence qu'il tire d'une foule de calculs statistiques, et qui le font arriver à cette conclusion que le commerce du sucre qui a une importance de 50 millions est, en définitive, nuisible aux intérêts du pays ; que ce commerce, en un mot, empêche l'exportation de nos autres produits.

C'est exactement mais en d'autres termes ce que l'honorable M. Mercier nous a dit; car il est arrivé, à force de calculs statistiques, à prouver que, quand le commerce des sucres prospérait, les exportations baissaient, d'où la conséquence naturelle : si nos autres industries n'ont pas pu exporter leurs produits vers les colonies, c'est le commerce des sucres qui en a été la cause , c'est le commerce des sucres qui y a mis obstacle. C'est une pauvre science que la statistique, si elle mène à de pareilles conclusions et si des faits on ne veut remonter aux causes.

Tout le pays a pu voir que dans des contrées avec lesquelles nous n'avions aucune relation, au bout de 5 ans nous sommes arrivés, au moyen du sucre, à nouer des relations d'une importance de quatre millions. Cependant les chiffres cités par l'honorable M. Mercier prouveraient le contraire.

Ainsi, par exemple, il y a quatre ans, avec un subside du gouvernement; on trouvait à peine à fréter un navire pour le Chili.

Le commerce de sucre a tenté quelques exportations qui ont réussi, et aujourd'hui indépendamment du sucre nous exportons pour plus de 2 millions de produits manufacturés au Chili. J'ai vu cela de très près, j'habite le port de mer où cela s'est passé; mais si je veux croire M. Mercier, j'ai mal vu. Ce fait se confond dans les faits généraux et dès lors la conséquence que j'en tire doit, d'après M. Mercier, être fausse.

Voilà ce que prouvent les calculs de statistique de l'honorable M. Mercier.

J'ai vu que dans les pays d'où nous tirons les sucres bruts, nous n'avions aucune agence, aucun comptoir, à la Havane notamment, et qu'il s'en est formé deux ou trois, au moyen desquels nous sommes parvenus à exporter des produits belges. Autrefois notre industrie linière occupait une très large place sur le marché de la Havane. L'industrie anglaise ayant mis ses produits à la portée des consommateurs à des prix plus réduits, a éloigné les produits liniers belges de ce marché important. Notre exportation de produits liniers a donc diminué à cette époque; il a suffi de quelques maisons belges établies à la Havane pour éclairer les industriels et leur permettre de reprendre leurs exportations, et j'ai l'espoir que bientôt l'industrie belge aura repris sa place sur le marché de la Havane.

Messieurs, permettez-moi d'entrer dans quelques considérations générales :

Le premier besoin du commerçât de l'industrie, la condition essentielle, indispensable à leur développement, à leur prospérité, c'est la stabilité des lois fiscales qui les régissent.

Sous ce rapport, aucune industrie, aucune branche de commerce n'ont dans aucun pays éprouvé plus de vicissitudes que le commerce et l'industrie des sucres en Belgique. Cette situation est déplorable. On ne se rend pas suffisamment compte qu'à chaque remaniement des lois, à chaque expérience nouvelle on met en question la fortune des particuliers, l'existence de milliers de familles.

Après tous les systèmes essayés jusqu'en 1846, il semblait qu'enfin tout le monde avait compris la nécessité d'en finir de ces tâtonnements malheureux et de fixer d'une manière définitive, aussi bien les conditions d'existence des deux sucres que l'impôt dont ils seraient tributaires envers le trésor. On reconnaissait alors les fâcheux effets de l'instabilité des lois d'impôt, on assurait que du moment que l'industrie du sucre remplirait ses obligations envers le trésor, elle pouvait se considérer désormais comme à l'abri de toute innovation fiscale,, de toute expérience nouvelle de la part des économistes présents, passés et futurs du ministère des finances. On disait à l'industrie : Perfectionnez, développez vos établissements, la loi qui vous impose 3 millions sera votre égide, elle vous mettra à couvert de toutes les utopies économiques, aussi longtemps que vous remplirez vous-même vos obligations envers le trésor.

Trois ans à peine nous séparent de cette époque, et déjà tout est remis en question, et ceux qui, sur la foi des promesses législatives, ont consacré une partie de leur fortune à perfectionner leur industrie, à étendre leur commerce, se voient menacés de ruine. Qui donc, je vous le demande, messieurs, osera désormais s’aventurer dans une industrie quelconque régie par des lois fiscales? Vous vous plaignez de ne pas voir se développer dans le pays l'esprit d'entreprise qui chez d'autres nations a fait la fortune du commerce et de l'industrie, et du jour au lendemain vous détruisez les garanties qui dépendent de vous et sur lesquelles se sont fondées des entreprises considérables entourées déjà de trop de chances défavorables.

Nous vous disions en 1846 : Faites une bonne loi sur les sucres et vous verrez s'accroître votre marine marchande, augmenter le nombre des comptoirs belges à l'étranger, à développer votre commerce d'exportation par des débouchés nouveaux, et à peine la loi que vous avez faite a-t-elle pu fonctionner, à peine a-t-on pu en constater les effets, que déjà, oubliant le but qu'on s'était proposé, on veut renverser votre œuvre, mettre au néant tous les efforts tentés par le commerce et l’industrie pour en recueillir les fruits et décourager pour longtemps ceux qui ont eu foi dans vos promesses... Si du moins les mesures qu'on propose trouvaient leur justification dans un mécompte du trésor, si le commerce et l'industrie du sucre n'avaient point acquittés les charges que vous leur avez imposées, je comprendrais votre impatience et votre désir de changement; mais vous n'avez pas même ce prétexte, le contingent' d'impôts attribué aux sucres a été loyalement fourni, le trésor a reçu les 3 millions que la loi de 1846 avait stipulés en sa faveur.

Mais, dit-on, la condition qui vous était imposée, vous l'avez à la vérité remplie pour 1848, mais qui nous dit que vous la remplirez pour 1849? Je pourrais répondre qu'il faut attendre que la situation que vous redoutez se présente, que l'infraction au contrat se produise avant de vous croire autorisés à le déchirer. Mais j'ai hâte d'ajouter que, malgré les sombres prévisions de l'honorable rapporteur de la section centrale, cette infraction ne se produira pas; les industriels savent que l'obligation de payer 3 millions au trésor est la condition de leur existence et quoiqu'il advienne des effets de la loi, cette obligation ils la rempliront. Ne vous laissez donc pas émouvoir, messieurs, par les effrayantes prédictions de l'honorable M. Cools, ne croyez pas au déficit qu'il vous annonce; les industriels savent qu'ils y perdraient plus que le trésor, c'est là ce qui doit vous rassurer.

Mais, dit-on, 3 millions ne nous suffisent plus, le trésor est aux abois, le sucre est une denrée de luxe et doit lui venir en aide, nous voulons qu'il paye 4 millions dit la section centrale, 5 millions et plus, dit M. Mercier, 8 millions, dit enfin l'honorable comte de Mérode.

Est-ce bien sérieusement, messieurs, que l'on prétend que l'industrie des sucres doit produire plus de trois millions au trésor, ou n'est-ce là que le prétexte au moyen duquel on a voulu engager de nouveau débats dans cette enceinte, pour les faire tourner au profit du sucre de betterave? Sans me prononcer sur ce point, je puis trouver étrange, qu'en même temps qu'on exige des recettes plus importantes pour le trésor, on ne manque pas de stipuler une protection plus grande en faveur du sucre de betteraves.

La section centrale veut que le sucre produise 4 millions et ne se dissimule point que cette exigence, en nous plaçant dans des conditions d'infériorité trop grandes vis-à-vis de la concurrence hollandaise, ruinera nos exportations. C'est égal, elle veut réduire les primes, dût la concurrence devenir impossible.

Tient-on, messieurs, le même langage aux autres industries du pays ? Le gouvernement ne vient-il pas de consacrer de nouveau le principe des primes, en l'appliquant à l'exportation des tissus? N'est-il pas appliqué à la pêche nationale et à d'autres industries? La réduction des 3/4 des péages des canaux, n'est-elle pas une véritable prime qui permet de livrer le charbon sur les marchés étrangers à moins de frais même que dans nos centres de consommation à l'intérieur, à Gand et à Anvers? Croyez-vous, messieurs, que l'exportation du charbon vers la Hollande serait possible si vous ne consentiez pas à sacrifier une partie des péages?

Quelle est au surplus l'industrie que vous condamnez à produire une somme fixe au trésor? Aggravez-vous les droits d'accise sur les distilleries et les brasseries, alors que le produit annuel reste à 2 et 3 millions au-dessous de vos évaluations?

C'e>l un million de plus que l'on exigerait par an de l'industrie et du commerce des sucres. Eh bien, messieurs, faut-il pour obtenir un million, perdre ces branches importantes sur lesquelles repose, en définitive, tout l'avenir de la navigation et qui dès à présent donnent lieu à un mouvement commercial de plus de 50 millions de francs?

D'ailleurs, messieurs, il ne s'agit pas seulement de vouloir un million de plus, il faut encore pouvoir y arriver et, pour ma part, je suis très convaincu que, quelles que soient les mesures que vous adoptiez, même en sacrifiant toute l'exportation, vous n'obtiendrez jamais de l'accise sur les sucres un produit de 4 millions. Il faut en définitive compter avec la fraude, et elle s'exercera sur une grande échelle, alors que le prix de certains sucres sera de 20 à 30 p. c. plus élevé que sur les marchés de la Hollande. Il suffira à la Hollande, voire même à la France, d'ouvrir sur nos frontières des bureaux pour la décharge de l'accise, pour ruiner complètement tous nos calculs, auxquels d'ailleurs le sucre de betterave ferait une assez forte brèche lorsqu'il se trouverait un jour débarrassé de son concurrent et qu'il n'aurait plus à compter qu'avec la surveillance du fisc.

Cela me rappelle, messieurs, qu'à une autre époque, en 1844, l'honorable M. Mercier, frappé de la prospérité d'une autre branche très importante du commerce maritime, le tabac, trouva que cet article, d'une consommation de luxe, pouvait payer au trésor des sommes plus importantes que (page 1274) celles qu'il fournissait. Les droits étaient de 2 fr. 50 c, ils furent quadruplés, portés à 10 fr. On eut beau dire qu'on n'obtiendrait pas quatre fois le produit qu'on possédait alors, et qu'on ruinerait, sans profit pour le trésor, le marché de tabac, créé avec tant de peine en Belgique depuis 1830. On n'en persista pas moins à vouloir d'une aggravation d'impôt et voici les résultats qu'on a obtenus, et l'honorable membre alors comme aujourd'hui répondait à ceux qui lui prédisaient la ruine du commerce des tabacs, que les objections des intéressés étaient spécieuses, sans valeur au point de vue des intérêts du trésor; il ajoutait, comme aujourd'hui, que le commerce interlope n'éprouverait aucune atteinte de l'aggravation d'impôts qu'il proposait, et qu'au surplus, ce commerce était immoral et qu'on n'avait point à le ménager. Pour ma part, messieurs, je dois dire que je ne comprends pas quelle immoralité il peut y avoir à vendre dans nos communes frontières du tabac ou du sucre à des Français, en même temps qu'à des Belges, et c'est là ce qui se pratiquait, l'infiltration ne se faisant en général que par de faibles quantités tolérées. Du reste, voici les résultats qu'on a obtenus, ils vous démontreront que les combinaisons de l'honorable M. Mercier n'ont servi qu'à anéantir la seule conquête commerciale que depuis 1830 nous étions parvenus à faire sur la Hollande :

(suit un tableau, non repris dans la présente version numérisée)

Ainsi, en quadruplant l'impôt, on n'a fait que doubler son produit. Mais ainsi qu'on l'avait prédit, on a ruiné le marché et fait tomber les importations, de plus de 10 millions qu'elles étaient en 1842, à 5,448,202 kil. en 1848. Voilà des résultats déplorables et qui auraient dû, me parait-il, rendre plus circonspect celui sous l'autorité duquel la malheureuse loi de 1844 a été produite dans cette enceinte. Il devrait être bien convaincu aujourd'hui, qu'en fait d'impôts 2 et 2 ne font pas toujours 4. Si ces résultats ne l'ont point arrêté pour nous conseiller une nouvelle expérience, la chambre, je l'espère, jugera qu'il serait imprudent de la tenter sur la foi de sa parole. Elle se contentera du produit qu'assure au trésor la loi de 1846, sans vouloir tuer une branche de commerce, bien autrement importante encore que les tabacs qui forme, du reste, avec celle-ci l'aliment principal du commerce maritime du pays. Il ne sera pas dit que nous aurons fait deux fois les affaires de la Hollande sous la promesse trompeuse d'enrichir le trésor de la Belgique.

Pour que le sucre puisse payer un impôt de 4 ou 5 millions, il faudrait que la Hollande se trouvât dans le même système d'accise que nous. Négociez sur ce point avec elle, je le veux bien, et lorsque vous serez parvenus à vous entendre, vous pourrez obtenir 4 et 5 millions ; jusque-là j'estime ces produits impossibles. Vous n'obtiendrez pour résultat que la ruine de l'industrie et du commerce des sucres, au profit de la Hollande, sans avantages pour le trésor et au détriment des consommateurs des bas produits.

Je sais bien que les partisans de l'impôt à tout prix trouvent naturel d'abandonner à la Hollande le commerce et l'industrie du sucre et ne comprennent pas que nous puissions faire quelques sacrifices pour les conserver.

Ils prétendent que la Belgique n'étant pas dotée de ports nombreux comme la Hollande ne doit pas aspirer avec la même ardeur à une prospérité commerciale et ne doit pas dans ce but s'imposer de sacrifices.

D'autres vont jusqu'à dire qu'en retour de l'abandon qu'on ferait à la Hollande du commerce des sucres, on serait certain d'obtenir de nos voisins des compensations très importantes pour d'autres branches de notre industrie et semblent ainsi conseiller cet abandon qui équivaudrait à une véritable abdication commerciale et nous rendrait la risée du monde.

Messieurs, ce n'est pas en ce moment où, grâce aux efforts intelligents d'hommes nouveaux, nous voyons l'industrie linière se modifier, se régénérer en quelque sorte dans nos Flandres, s'apprêter à reprendre sur les marchés des colonies à sucre, les plus importants de l'Amérique, la place que naguère la perfection de ses produits lui avait permis d'occuper et dont le bon marché des produits étrangers l'avait forcée de s'éloigner , ce n'est pas en ce moment que vous prononcerez la ruine du commerce des sucres, le seul qui puisse aider efficacement l'industrie linière à reconquérir cet immense débouché, le seul capable de remplacer le débouché de la France qui lui échappe.

Vous comprendrez que dans cette question il ne s'agit pas seulement d'intérêts d'Anvers, de Gand et de Bruxelles, mais qu'il s'agit de l'intérêt de toutes les industries du pays et vous saurez, messieurs, le sauvegarder en maintenant la loi de 1846 ou en ne la modifiant que pour mieux garantir au trésor la part d'impôt qu'elle stipulait en sa faveur.

C'est dans cette seule vue que je consentirai à quelques-unes des propositions qui nous sont faites par le gouvernement et à l'égard desquelles je me réserve de parler dans la discussion des articles de son projet. C'est vous dire assez que je repousserai le projet de la section centrale, comme celui de M. Mercier.

Quant à la proposition de M. Sinave, elle a trop peu de chances d'être accueillie, pour que je croie nécessaire de m'en occuper.

M. Cools, rapporteur. - Messieurs, la proposition que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau, au mois de novembre dernier, a déjà subi plusieurs épreuves. Favorablement accueillie par les sections, concurremment avec la proposition qui avait été faite par l'honorable député de Nivelles, elle a été mûrement examinée au sein de la section centrale. La majorité de cette section centrale l'a faite sienne. C'est donc au nom de la section centrale que je la défends aujourd'hui devant vous.

Il importe, messieurs, de bien se rendre compte de la pensée première qui a donné naissance à ce projet. Cette pensée, qui est toujours le point culminant dans cette discussion, est celle-ci : diminution d'un million dans le montant des charges nouvelles qu'il faudra nécessairement établir dans un avenir rapproché. C'est à ce résultat que je tâcherai sur tout de faire aboutir la discussion. Vous examinerez si les moyens que je propose sont bien choisis. Mais dès à présent je crois pouvoir dire que tous vous seriez heureux d'en venir à reconnaître que ce résultat peut être obtenu convenablement par une simple modification de la loi des sucres; alors que tout récemment nous venons de prononcer l'ajournement d'une autre proposition qui devait procurer 3 millions de ressources à l'Etat. Cette discussion vient donc dans le moment le plus opportun; elle est digne de toute notre attention.

C'est chez moi une conviction déjà ancienne que de toutes les manières il faudra en venir à des impôts nouveaux, je l'ai exprimée sans détour, dans un écrit que j'ai livré à la presse il y aura bientôt deux ans. Cette conviction ne s'est que renforcée depuis lors. Mais c'est toujours une dure nécessité que de devoir en venir à cette extrémité. Nécessairement tous les autres moyens doivent être d'abord épuisés; et en premier lieu il importe d'introduire dans les dépenses toutes les économies compatibles avec les intérêts généraux du pays. Sous ce rapport nous nous sommes déjà mis à l'œuvre; nous comptons continuer. Mais de toutes manières, je dirai avec l'honorable M. Mercier, que quelles que soient les économies que l'on se propose de faire encore, même en y comprenant une économie considérable sur le budget de la guerre, elles ne suffiront pas pour établir l'équilibre dans nos finances. De toutes manières, il faudra un accroissement notable de ressources.

(page 1275) C'était donc bien le moment d'examiner si, après avoir épuisé la ressource des économies directes, on ne pourrait pas en opérer d'indirectes, Car, remarquez-le bien, diminuer les faveurs que l'on accorde à une catégorie spéciale d'industriels, c'est faire réellement des économies. Sans doute, il faut examiner d'abord si les faveurs exceptionnelles qu'on accorde ne sont pas compensées par les avantages qu'elles procurent à la généralité du pays. Mais lorsqu'on en vient à reconnaître que ces avantages ont été singulièrement exagérés, qu'ils n'existent pas ou qu'ils existent dans une très faible mesure, on peut tout aussi bien diminuer les primes dont jouissent certaines catégories d'habitants, industriels ou commerçants, que réduire, par exemple, les traitements des fonctionnaires. Que l'on trouve un million d'économies en opérant des réductions sur certains traitements, qui étaient déjà fort modestes en'général, ou que l'on diminue dans la même proportion les faveurs que l'on accorde à une catégorie spéciale d'autres citoyens, le résultat, au point de vue des intérêts du trésor, est exactement le même. C'est donc toujours une question d'économie qui s'agite devant vous.

Du reste, messieurs, ce n'est pas moi qui ai eu l'honneur de l'initiative, en fait de propositions de réforme de la législation sur les sucres. C'est l'honorable M. Mercier qui, le premier, a fait une proposition à cet égard.

Pourquoi ai-je cru devoir aussi en faire une ayant à peu près les mêmes tendances ? C'est d'abord parce que, je dois le dire, j'attache une grande importance aux questions commerciales et que je reconnais qu'il existe certains rapports entre les sucres et le commerce maritime. Ces rapports toutefois sont faibles, et les études que l'honorable M. Mercier à faites, les résultats auxquels il est arrivé, m'ont particulièrement frappé. J'aurais de la peine à démontrer qu'il y a un rapport direct entre notre commerce maritime et les exportations de sucre. Tout ce que je puis dire, c'est qu'à défaut de preuves matérielles, c'est par induction que je suis amené à penser que lorsque des relations s'établissent pour certaines branches de commerce, elles facilitent aussi les relations pour d'autres branches. Or, ayant la conviction que la proposition de l'honorable M. Mercier conduira à la suppression de tout commerce d'exportation des sucres, il m'a paru qu'adopter cette proposition, ce serait procéder d'une manière trop brusque.

Un second motif pour lequel j'ai fait ma proposition, c'est que je crois qu'il faut sortir au plus vite du système de 1822. Cependant il importe d'user de certains ménagements, parce que de grands capitaux sont engagés dans cette branche d'industrie. Je crois qu'il faut adopter des modifications profondes pour sortir de l'ornière ; mais que nous devons maintenir le principe de 1846 au moins provisoirement, ne fût-ce que comme mesure transitoire.

Un troisième motif, c'est que voulant une augmentation notable de produits, il m'a paru que ce résultat ne pouvait être mieux obtenu que par la loi de 1846, sans nuire d'une manière trop sensible aux intérêts divers directement engagés dans l'industrie des sucres.

Ainsi, la distance qui me sépare de l'honorable M. Mercier est très faible. Nous sommes d'accord sur le but ; nous différons seulement en ce que je veux aller un peu moins loin que lui.

Deux objections ont été faites contre ma proposition. On a dit : Elle ne réalisera pas ce qu'elle promet au point de vue financier ; en second lieu, elle portera un coup mortel au commerce des sucres. Examinons ces deux objections.

Ma proposition ne réalisera pas ce qu'elle promet au point de vue financier. Sans doute, messieurs, on ne contestera pas qu'en ce qui concerne les produits de l'accise, les 4 millions ne soient obtenus, alors que j'emploie absolument les mêmes moyens que la loi de 1846, et ceux qu'adopte encore le gouvernement dans sa nouvelle proposition. Les 4 millions seront aussi certainement atteints avec mon système, que les 3,200,000 fr. avec la proposition du gouvernement.

Mais on s'est rejeté sur les produits indirects. Vous allez voir à quoi se réduit l'objection.

Différents calculs ont été faits sur les revenus indirects. On y a fait figurer des sommes assez rondes. Mais on a toujours raisonné comme si tout commerce d'exportation devait être détruit, et alors, messieurs, il y aurait certainement une ample compensation dans l'augmentation nouvelle du produit de l'accise. Le produit s'élèverait notablement au-delà de fr. 4,000,000.

Il faut donc calculer comme si les exportations devaient se réduire dans la proportion que nous supposons.

Messieurs, je reconnais que les exportations pourront bien se réduire à environ 8 millions. Elles sont aujourd'hui de 10 millions ou 10 millions et demi de kilogrammes. Une exportation de 8 millions de kilog. suppose une importation d'environ 14 millions. Ces importations s'élèvent aujourd'hui à 18 millions de kilog. Ainsi, nous aurions une diminution de 2 millions à 2 millions et demi de kilogrammes sur l'exportation et de 4 millions sur l'importation ; voyons quelle serait la perte qui en résulterait.

J'ai calculé le chiffre moyen des droits de douane pour 1846 et 1847 et j'ai vu qu'il est de 1 fr. 50 c. 1 fr. 50 c. sur 4 millions donne 52 mille francs. A l'exportation, il n'y a qu'un droit de balance de 10 centimes et demi, et je trouve de ce chef, sur 2 millions et demi de kilogrammes, une somme de 2,625 francs. La perte sur ces deux articles est donc de 54,625 fr.

Nous avons ensuite l'entreposage, le tonnage et le pilotage.

Il est certain que tout le sucre qui s'importe ou qui s'exporte ne va pas en entrepôt; j'évalue à la moitié la quantité du sucre qui y passe. Le droit d'entrepôt n'étant que de 5 c. par 100 kil., la perte à subir de ce chef serait peu de chose; elle serait pour 3,200,000 kil. de 1,600 fr. Le tonnage est de 95 c. par tonneau; la perte serait de 5,850 fr. Total de ces deux postes 7,450 fr.

Reste le pilotage. Le pilotage, messieurs, est difficile à calculer ; il se calcule d'après le tirant d'eau du navire et il diffère de la mer à Flessingue, de Flessingue à Anvers, d'après la saison d'été ou la saison d'hiver; il s’agit d'ailleurs d'une faible somme et dès lors j'ai cru pouvoir me dispenser de rechercher quelle serait la moyenne.

Mais un point très important dont on n'a pas parlé, c'est le péage que nous payons à la Hollande. Quand nous recevons un droit de pilotage de 95 c. par tonneau, nous payons à la Hollande un péage qui est de 1 florin 50, c'est-à-dire que quand nous recevons 95 c, nous payons fr. 3-17. Nous payons de ce chef 20,540 fr. Or, cette somme couvre et probablement au-delà, et l'entreposage, et le tonnage et le pilotage.

Il ne résulterait donc qu'une perte d'une cinquantaine de mille francs sur les droits de douane.

Maintenant, comme l'a dit M. Mercier, d'après la loi des droits différentiels les produits du droit de douane doivent aller nécessairement en diminuant, ou bien la loi sur les droits différentiels n'a pas de sens.

La deuxième objection est plus importante. Elle est faite au point de vue commercial.

Messieurs, la base de tout le débat c'est la consommation réelle du pays. M. le ministre a mis en avant un chiffre qui n'a été accepté par aucun de ses prédécesseurs. Il suppose que la consommation est même inférieure à 11 millions de kilogrammes, mais comment est-il arrivé à ce résultat? C'est en s'en tenant aux chiffres des relevés officiels en ce qui concerne la production en sucre indigène des premières années de l'impôt, et en comptant pour rien toute la production qui peut avoir lieu en dehors de la production officielle.

Or, nous avons vu que, la première année, cette production doit avoir été très considérable parce que les moyens de contrôle étaient complètement insuffisants, et nous avons procédé très modérément en l'évaluant à 4,000,000 de kil. De ce chef nous aurions à ajouter, pour les trois premières années environ 3 millions de kilogrammes aux chiffres du ministre.

Cependant comme il y a toujours quelque chose d'incertain pour les premières années, j'ai voulu savoir, de même que M. Mercier, quel résultat on obtient en faisant remonter les calculs seulement à l'époque à partir de laquelle la vérification a pu se faire d'une manière à peu près régulière. J'ai pris les campagnes de 1846-1847 et 1847-1848 ; je n'ai pas pu aller au-delà, parce que les données ne vont pas plus loin; mais j'ai adopté toutes les bases du ministre, c'est-à-dire que j'ai calculé la prise en charge de la betterave à raison de 1,450 grammes, et que je n'ai absolument rien ajouté pour la production extraordinaire de ce produit. J'ai de plus, comme M. le ministre, voulu calculer le déchet à raison de 5 p.c. Du reste, comme on le verra, cet objet n'a pas tant d'importance.

Savez-vous, messieurs, à quel résultat je suis arrivé, en comprenant nécessairement dans mes calculs les 688,580 kilog. de mélasse brute importée de la Havane en 1847, et qui a servi évidemment à faire du sucre ?

Eh bien, j'arrive au chiffre de 11,834,990 en moyenne. Maintenant il faut tenir compte du déchet ; car ce déchet supporte le droit. Le déchet doit entrer dans les calculs, lorsqu'on cherche à connaître le produit du sucre consommé. Car enfin on perçoit 45 francs sur 100 kilog. brut; si vous répartissez ces 45 francs sur 95 kilog. net, l'impôt sur 100 kilog. de sucre consommable n'est plus de 45 francs, mais bien de fr. 47-25 et vous obtenez exactement le même résultat que si vous calculiez la consommation à raison de 45 francs, et que vous ajoutiez ensuite le produit du déchet. Il faut donc, pour rechercher la recette que peut fournir la consommation, ajouter le déchet, et alors j'arrive à 12,900,311 kilog. en moyenne pour les 2 années. A ce compte l'impôt du sucre consommé en Belgique pourrait produire fr. 5,605,139. Il importe peu qu'une petite quantité de ce sucre s'infiltre en France, comme on le prétend, par le commerce interlope, car le sucre exporté de cette manière a également commencé par acquitter l'impôt.

Maintenant je me hâte de dire, pour qu'il ne s'établisse pas de discussion sur ce point, que mon système ne repose pas sur un produit aussi considérable. Je compte seulement sur un produit variant entre 4,500,000 fr. et 5,000,000 de fr. De même pour la production, je maintiens l'opinion que j'ai émise au sein de la section centrale, qu'on peut admettre en moyenne (produit net) une consommation s'élevant à un chiffre intermédiaire entre 11,500,000 et 12,000,000 de kil.

J'ajouterai cependant que j'ai encore plus de motifs qu'auparavant pour croire que cette consommation s'approchera beaucoup plus du dernier que du premier chiffre, pendant la période dans laquelle nous allons entrer. Ainsi vous voyez, messieurs, que nous avons calculé très modérément; me maintenant sur ce terrain de modération, je m'appuierai seulement sur une consommation de 11,500,000 kil. pour tout ce que j'ai encore à dire à la chambre.

Quelques membres se demanderont peut-être : Pourquoi M. le ministre fait-il tant d'efforts pour prouver que la consommation est inférieure à 11,000,000 de kil., contrairement à l'opinion émise par tous ses prédécesseurs, soutenant une thèse que les chiffres produits dans la séance d'hier et d'aujourd'hui renient encore plus insoutenable?

C'est que ce n'est que de cette manière qu'on peut établir que la (page 1276) recette normale est peu considérable, et quand on croit avoir fait cette démonstration, on en vient à cette conclusion, que si on commence par faire entrer 4,000,000 de francs dans les caisses de l'Etat, il ne reste presque rien pour servir d'encouragement au commerce d'exportation, les primes viennent à peu près à disparaître.

Alors on peut faire résonner des paroles telles que celles-ci : Le commerce maritime sera privé de son pain quotidien, les bassins d'Anvers resteront déserts, la métropole du commerce va déchoir de son ancienne splendeur! et d'autres phrases ronflantes par lesquelles on espère produire un grand effet sur l'esprit de quelques membres de la chambre.

Malheureusement on ne peut se laisser aller de ces nombres prédictions qu’en se plaçant sur une base dont nous venons de démontrer le peu de solidité.. Et cependant toutes les objections qu'on a faites jusqu'à présent contre notre système n'ont pas d'autre point d'appui.

Il est vrai que dans la séance d'aujourd'hui on s'est encore appuyé sur l’impossibilité absolue qu'il y aurait à faire descendre la décharge au-dessous de la décharge hollandaise. Cette thèse doit cependant être abandonnée, depuis qu'elle est condamnée par les propositions du gouvernement. M. le ministre des finances demande que rien ne s'oppose à ce que la décharge soit abaissée même au-dessous de la décharge de la Hollande, si le produit qu'il a en vue n'est pas obtenu. M. le ministre reconnaît donc qu’elle ne peut descendre au-dessous de la décharge hollandaise, sans que le commerce soit anéanti. Si le système d'argumentation que je viens d’indiquer devait faire des prosélytes, je serais peut-être forcé d'invoquer, pour ma défense, le concours de M. le ministre des finances.

Mais pour en revenir à la consommation, je dois cependant faire remarquer que si on se proposait de ne pas faire d'autres objections contre notre proposition que des calculs déduits d'une consommation inférieure à la consommation réelle, on adopterait un système d'argumentation qui serait par trop commode. Mais non, il ne saurait en être ainsi ; nous sommes persuadés que ce n'est là qu'un moyen employé pour entamer le combat. M. le ministre des finances, sans aucun doute, tient en réserve des arguments bien plus solides pour établir que notre proposition ne tiendra pas ce qu'elle promet.

En attendant cependant qu'il nous ait fait cette démonstration, je dirai que notre proposition, loin de frapper le commerce des sucres d'un coup mortel, le maintiendra encore dans une assez grande activité. Le résultat en sera que l'exportation, qui est aujourd'hui d'un peu plus de 10 millions de kilogrammes, descendra peut-être à 8 millions, mais probablement pas au-delà. Nous ne posons cependant pas ce dernier chiffre d’une manière absolue, parce qu'il y a toujours quelque chose d'incertain dans des prévisions de cette nature et nous n'oserions pas garantir que la réduction, au pis-aller, n'ira pas à un million de kilogrammes au-delà de ce chiffre. Tout ce que nous prétendons, c'est que d'après toutes les probabilités, l'exportation se maintiendra aux environs du chiffre de 8 millions, si, bien entendu, la consommation ne dépasse pas 14,200,000($chiffre à vérifier sur l’exemplaire papier) kilogrammes. Si cette consommation , comme nous le croyons, est plus considérable, l'exportation pourrait également être plus forte.

Du reste, la discussion ne porte pas sur le plus ou moins d'importance que conservera le commerce d'exportation des sucres. La question n'est pas de savoir si l'exportation devra descendre à 8, à 7 ou même à 6 millions. La thèse de nos adversaires, c'est que le commerce d'exportation sera anéanti, qu'il ne pourra cas se soutenir du tout. M. le ministre des finances, dans la séance du 17 avril, m'a dit : Il sera démontré qu'avec votre propre système le commerce d'exportation est détruit.

Je tiens pour mauvaise la tactique qui consiste à tirer parti de certaines paroles échappées dans l'improvisation. Ici cependant je pourrais m'en tenir aux termes mêmes dont M. le ministre des finances s'est servi, parce que je crois qu'ils expriment l'opinion qu'il s'était proposé de soutenir dans cette discussion. Je veux bien cependant accepter un correctif.

Admettons que M. le ministre ait voulu dire que le commerce sera à peu près détruit. J'ose, en effet, prédire que c'est la thèse sur laquelle il se rejettera. Bientôt on dira : Si votre proposition est admise, on pourra bien encore faire quelques exportations, mais elles descendront à un chiffre insignifiant. Ce ne sera plus qu'un simulacre de commerce ; j’accepte d'avance l’atténuation dans l'intérêt de la régularité et de la promptitude de la discussion.

Mais pourquoi, j'ai le droit de le demander, le commerce des sucres serait-il à peu près anéanti si notre système est admis ?

Est-ce parce que nous nous servons de mauvais moyens pour faire monter la recette? Oh ! non, sans doute; car ces moyens sont les mêmes que ceux dont le gouvernement entend se servir pour obtenir un résultat analogue. C'est donc uniquement parce que nous allons trop loin, que nous plaçons le point d'arrêt trop loin de la situation actuelle, que nous voulons un minimum de recette qui ne soit pas inférieur à 4 millions de francs. C'est ce chiffre de 4 millions de francs qui porte avec lui ce danger de ruine pour le commerce des sucres.

Je suppose que M. le ministre des finances est parfaitement rassuré sur le danger que peut présenter son propre système. Il doit être intimement convaincu que si ce système passe, les industriels se livrant au commerce d'exportation ne doivent avoir aucune inquiétude sur le sort qui leur est réserve !

Il y a cependant parmi ses amendements un article, l'article 6, § 4, où il est dit que s'il arrivait que la recette dépassât 3,700,000 fr., la décharge serait maintenue au même taux pendant une période de deux années. Une recette de 3,700,000 fr. ne présente donc pas encore de danger sérieux pour le commerce. Le gouvernement trouve, à la vérité, que cette situation ne peut pas se prolonger indéfiniment, parce que, dans son opinion, elle n'est plus assez bonne, et il demande que la décharge monte de nouveau après l'expiration de ces deux années d'épreuves. Mais ces deux années devront toujours être traversées, et bien certainement, il ne croit pas que, pendant l'intervalle, le commerce pourrait être menacé d'une interruption complète, car sans cela, il demanderait que la décharge pût monter plus tôt.

Une recette de 3,700,000 francs, avec un impôt de 48 francs, répond à une recette de 3,500,000 fr. avec un impôt de 45 francs.

Ce danger si grand pour le commerce des sucres, cette menace de destruction qu'on prétend que notre système renferme dans ses flancs, n'existerait ainsi que pour les derniers 500,000 francs.

Nous devrions même aller plus loin, et dire que le danger qu'on redoute ne peut commencer qu'à partir des derniers 300,000 fr., avec un impôt de 45 fr. aussi bien qu'avec un impôt de 48 fr.

En effet, M. le ministre des finances, dans une séance précédente, s'est engagé à démontrer que les 200,000 francs qu'il demande en plus atteindront le commerce d'exportation et qu'ils opéreront une réduction dans le montant des primes.

S'il en était ainsi, cette recette maxima de 3,700,000 francs devant être obtenue en moyenne pendant deux ans, avant que la décharge ne remonte et qui avait été fixée à 3,300,000 francs par la loi de 1846, parce que l'impôt le plus élevé était alors de 45 fr., cette recette plus élevée que la première de 200,000 fr. constituerait une aggravation de position pour les exportateurs, et cependant, dans la pensée du ministre, elle permettra au commerce d'exportation de se maintenir au moins jusqu'au moment où on élèvera de nouveau la décharge.

Mais nous l'avons déjà dit. Nous répudions toute polémique par laquelle on cherche à profiter des défauts de cuirasse que peut offrir le système d'argumentation adopté d'un adversaire; Nous voulons une discussion plus sérieuse.

Nous disons que le danger ne commencera pas à exister avec un minimum de recette de fr. 3,500,000, parce que nous soutenons que le commerce d'exportation, loin d'être exposé à devoir cesser, même avec un minimum de recette de fr. 4,000,000, pourra, au contraire, conserver encore alors une importance assez grande, bien qu'un peu moindre que celle qu'il a aujourd’hui.

Et la raison en est fort simple : c'est qu'il jouira toujours d'une prime de fr. 500,000 à fr. 1,000,000. Il faudrait que le commerce des sucres n'eût réellement aucune vitalité s'il devait succomber, même alors qu'on lui accorde un pareil encouragement.

Mais nous avons mieux que de simples raisonnements ou des déductions plus ou moins hypothétiques pour rester convaincus que l'industrie des sucres peut fournir au trésor une recette de 4,000,000 de fr. sans que pour cela le commerce d'exportation des sucres raffinés soit menacé de destruction. Nous avons pour nous l'enseignement des faits.

Voyons en effet quelle était la situation de ce commerce à l'époque où les sucres ont fourni de produit le plus considérable, pendant, l'année 1844.

Nous savons tout ce qui a été dit et tout ce qu'on peut dire encore sur la situation de cette époque. Nous laissons provisoirement les remarques de côté; nous n'avons en ce moment qu'un but, c'est de rappeler les faits. Les commentaires viendront après, et nous-même nous nous en permettrons quelques-uns.

Lorsque l'on compare deux époques différentes, que l'on se rend compte des effets qui se sont produits sous une législation donnée, pour prévoir ceux qui se manifesteront sous une législation différente, il y aurait de la légèreté à accepter aveuglément les faits tels qu'ils se présentent. Ils doivent être rectifiés d'après la différence des situations. C'est avec cet esprit de critique que nous voulons procéder.

Pendant l'année 1844, les sucres ont produit 3,665,111 fr.

Mais ici se présente une première remarque. L'impôt sur le sucre de betterave n'était que de 25 fr., et à défaut de contrôle suffisant, une quantité notable du sucre de cette catégorie échappait à l'impôt.

Nous dirons à l'instant quelle était à cette époque l'importance du commerce d'exportation des sucres raffinés. Mais avant d'aller plus loin, nous poserons cette question : Croit-on que ce commerce aurait été moindre qu’il ne l'a été, si l'impôt sur la betterave s'était élevé, comme aujourd'hui à 40 fr., et qu'il eût atteint tout le sucre fabriqué? Certainement personne ne le soutiendra. De quoi se plaignaient alors les fabricants travaillant pour l'exportation? Précisément de l'insuffisance de la charge que supportait le sucre indigène et de la quantité notable de ce produit qui échappait à l'impôt. Celait une des causes des embarras qu'éprouvaient les exportateurs. Si la situation de l'industrie indigène avait été telle qu'elle le sera sous le régime que nous proposons, on aurait peut-être exporté quelques kilogrammes de sucre en plus, mais bien certainement on n'en aurait pas exporté un seul de moins.

Nous avons évalué dans notre premier rapport la production réelle du sucre de betterave, eu 1844, à 4,000,000 île kit. Nous persistons à croire que cette évaluation est plutôt en-dessous qu'au-dessus de la réalité; mais voulant éviter toute discussion sur ce point, nous admettrons seulement le chiffre de 3,500.000 kil.

Si la législation que nous proposons en ce qui concerne létaux et la perception de l’impôt sur le sucre indigène avait existé à cette époque, la betterave aurait rapporté 773,393 fr. de plus qu'elle n'a produit et la recette totale se serait élevée à 4,456,504 fr.

(page 1277) Cette perception supplémentaire n'atteignant pas l'exportation des sucres raffinés, n'aurait pas pu la faire diminuer, comme nous le disions il n'y a qu'un instant.

Voyons maintenant quelle était à cette époque l'importance de ce commerce d'exportation, comparativement à la situation actuelle.

Le chiffre le plus élevé qui ait été atteint jusqu'à présent est celui de la dernière année. Il est de 10,590,000, en chiffres ronds. (M. le ministre des finances a fait miroiter quelques chiffres qui indiquent une exportation beaucoup plus forte, mais c'est en y faisant entrer le commerce de transit. Or, ce commerce n'a rien à démêler dans la question qui nous occupe. Nos propositions ne l'atteignent pas.)

En 1844, l’exportation des produits raffinés s'est élevée à 6,250,000 kil.

A la vérité l’année suivante, la recette a été beaucoup moins considérable, parce que la prise en charge en sucre exotique a diminué de 5,000.000 de kil.

Il est également vrai que pendant cette année l'exportation est tombée à 4,250,000 k.

Ce sont là des faits fâcheux, mais enfin un commerce d'exportation qui comporte une première fois 6.250,000 kil., qui tourbe pendant la plus mauvaise année à 4,650,000, pour remonter l'année suivante à 4,650,000 kil., n'est pas un commerce anéanti.

Maintenant pourquoi ces effets fâcheux se sont-ils produits? Par des causes connues depuis longtemps et qui ne peuvent renaître ni sous la législation actuelle ni sous celle que nous proposons.

C'est d'abord à cause de l'énorme quantité de parties indemnes que l'élévation excessive de la décharge de cette époque jetait sur le marché intérieur. Il suffisait d'exporter alors 57 1/2 kilog. de sucre raffiné pour obtenir la restitution de la totalité de l'impôt.

C'est ensuite à cause de cette autre quantité tout aussi importante de produits, provenant des 4/10 de retenues qui encombraient également ce .marché.

Tout cela avait produit la prime de mévente qui entravait toutes les opérations.

Nous disons, que la décharge était alors excessive. Elle s'élevait à 78 francs.

Nous proposons une décharge de 62 francs. Une décharge réduite à ce taux, avec les moyens que nous proposons et qui sont les mêmes que ceux du gouvernement au milieu des faits nouveaux qui se sont produits autour de nous ne peut avoir pour effet de faire tomber l'exportation plus bas qu'elle n'était en 1844, bien au contraire, le gouvernement ne le prétendra pas, car il se mettrait en contradiction avec ses propres propositions.

Si pour 100 k. qu'on exportera, la décharge ne doit plus être que de 62 fr., alors qu'en 1844 on accordait pour la même quantité une décharge de 78 fr., la conséquence de la situation nouvelle sera ou bien qu'avec la même exportation, on obtiendra un produit plus considérable, ou bien que la recette restant la même, l'exportation prendra plus de développement.

J'ai fait le calcul de l'influence que cette différence dans la décharge pourra avoir sur l'exportation, et j'ai trouvé que l'exportation, comparativement à ce qu'elle était en 1844, pourra augmenter de 1,500,000 kil., sans que la recette en soit altérée.

Mais la recette que nous proposons n'est pas de 4,436,504 fr., mais seulement de 4,000,000 de francs.

A raison, de cette différence dans le produit, l'exportation pourra augmenter de nouveau de 700,000 de kil.

Mais admettons même que, pour une cause quelconque, les deux augmentations d'exportation que nous venons d'indiquer en dernier lieu ne soient pas obtenues, il nous resterait toujours une exportation de plus de 4 millions de kilog. avec une recette de 4,436,504 fr.

Maintenant il s'agit de tirer les conclusions de cette démonstration.

Pourquoi venons-nous de faire ce rapprochement entre 1844 et 1850?

Est-ce pour établir que, pendant la première année, les faits auraient exactement répondu à nos calculs si la législation que nous proposons avait existé à cette époque ou que pendant la dernière année ils se présenteront, précisément comme nous venons de le supposer? Nullement.

Est-ce pour faire entendre que l'exportation de 1844 suffit pour apprécier l'exportation probable qui se fera sous le régime que nous proposons? Encore moins. Nous avons des indices plus simples et plus sûrs que nous pourrons indiquer lorsque la discussion sera plus avancée.

C'est uniquement pour faire comprendre la nécessite de faire aboutir la discussion à une argumentation plus sérieuse, c'est pour faire voir que les généralités qu'on nous oppose sont en opposition manifeste avec les faits et que dès lors il importe, si on veut faire pénétrer la conviction dans les esprits de présenter des arguments de plus de valeur.

Car enfin l'exportation ayant été en 1844 telle que nous venons de le dire, tout indiquant de plus, comme nous venons également de le démontrer, que son importance sera plus grande sous le régime que nous proposons, quel motif a-t-on de supposer que ce commerce disparaîtra complètement par un revirement subit, alors que nous nous contentons d'une recette relativement inférieure à celle qu'indique la situation de 1844 et que les moyens dont nous entendons nous servir pour obtenir cette recette sont reconnus préférables à tous autres par le gouvernement qui nous combat?

La thèse du ministère est celle-ci : Le système de M. Mercier détruit immédiatement le commerce d'exportation et le vôtre aura indirectement le même résultat.

Et lorsqu'il en vient à la démonstration, toute son argumentation ne pose sur cette seule donnée, que la consommation serait inférieure à 11,000,000 de kil. Il nous serait facile de démontrer que, même dans ce cas, le commerce d'exportation, avec notre système ne serait pas entièrement anéanti, loin de là, mais enfin ce point d'appui établi venant à manquer, l'échafaudage des chiffres de M. le ministre bâti sur une consommation fictive croule complètement.

Or, l'honorable M. Frère s'étant mis, en ce qui concerne l'importance de la consommation, en opposition directe avec M. Mercier, avec M. Malou, avec M. Smits, en un mot avec tous les ministres des finances qui se sont occupés de la question des sucres, ne peut cependant se flatter de l'espoir qu'il fera admettre par la chambre comme suffisant un argument unique reposant sur un calcul qui s'éloigne à ce point du résultat auquel tous ses prédécesseurs sont arrivés et que les relevés officiels produits dans la séance d'hier et d'aujourd'hui viennent encore de renverser.

Jusqu'à ce que des arguments plus concluants aient été produits, je dirai : Non, le commerce d'exportation ne périra pas si nos propositions sont acceptées; la prime que nous voulons lui laisser suffit pour maintenir ce commerce jusqu'au moment où il se sera transformé par ses propres efforts. Les exportations diminueront à la vérité momentanément de 4 ou 5,000,000 kil., mais bientôt elles reprendront un essor nouveau si les intéressés veulent faire des sacrifices que la situation d'un grand nombre de fabriques, rend depuis longtemps indispensables et devant lesquels ils ont reculé jusqu'à ce jour.

. Et. ce résultat sera obtenu en même temps que nous aurons diminué de fr. 1,000,000 les charges que nous devrons bientôt imposer, sur la généralité des contribuables du pays.

M. Veydt. - C'est assurément une chose pénible, pleine d'inquiétude et de découragement pour ceux d'entre vous, messieurs; qui apprécient l'importance du commerce et de l'industrie des sucres, de voir leur existence mise en question, en péril, à chaque-session législative.

Et quand on a tenu cette conduite, on vient les accuser d'une complète stérilité!

Mais à qui faut-il s’en prendre ?

L'insécurité est pour les entreprises industrielles et commerciales le principal agent de paralysation.

Elle les chasse ; elle empêche les capitaux de se former; et que deviennent alors les classes ouvrières dont on prétend soulager les souffrances? Je le pense sincèrement, cette cause d'incertitude continuelle dans nos lois commerciale suffit seule pour faire descendre, en peu de temps, la nation la plus prospère au-dessous de la Turquie.

C'est le système que quelques-uns de nos honorables collègues voudraient voir mettre en pratique par la législature belge.

Au milieu de ce découragement, il est cependant une chose qui console, qui établit une certaine compensation. Un des discours les plus complets qui aient été prononces sur la question des sucres est sans contredit celui de M. le ministre des finances dans notre séance de mercredi dernier. Il est arrivé l’honorable M. Frère ce que je puis prédire qui arrivera à tous les ministres des finances qui auront en main les destinées de l’importante question des sucres.

J'ai voulu rechercher quelle avait été l'opinion des ministres des finances qui se sont succédé depuis 1838, époque de la première modification à la législature de 1822.

J'avais, quant à moi, en étant ministre des finances, un très grand désavantage; j'appartenais, comme aujourd'hui encore, à une ville pour laquelle les intérêts qui s’attachent aux sucres ont une importance de premier ordre; on pouvait dès lors me soupçonner de partialité, et cependant, qu'il me suit permis de le rappeler, un instant, je n'ai jamais perdu de vue le principe de la coexistence des deux industries, je l'ai acceptée et défendue, même contre mes amis. On m'a rendu cette justice. Mais l'honorable M. d'Huart qui, en 1838, tenait le portefeuille des finances, l'honorable M. Malou, auteur de la loi de 1846; l'honorable M. Frère, qui appartient à une localité qui n'est, en aucune manière, intéressée dans la question des sucres, tous ces ministres des finances se sont également placés.au point de vue des intérêts généraux du pays.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et M. Mercier !

M. Veydt. - Je voulais d'abord parler de M. d'Huart. L'honorable M. Mercier a eu l’occasion de mettre en pratique les opinions qu’il défend aujourd'hui, et il ne l'a pas fait. Cependant, que produisaient les sucres alors ? Ils produisaient, en 1843, 1,016,906 fr en moyenne ($ chiffre à vérifier) (1838-1842), et la seconde fois, sous la loi de 1843, 2,402,003 fr., aussi en moyenne. Alors l’honorable membre a eu l’occasion de faire ce bouleversement qu’il veut aujourd’hui et il ne l’a pas fait ; c’est qu’il était ministre. Il a, au contraire, lutté pour le maintien de cette loi de 1843, qui a mis toute la Belgique sur pied, à tel point que, dans les conseils provinciaux, dans les chambres de commerce, dans les conseils communaux, partout enfin où l’on se réunissait, on ne se préoccupait que de la nécessité de modifier la loi de 1843. Plusieurs d’entre nous, messiers, se rappellent ce mouvement général et les embarras qu’il menaçait de créer au gouvernement.

(page 1278) J'en viens à M. d'Huart ; voici ce que disait cet honorable ministre : « Si l'expérience de l'année 1838 venait à nous prouver que nous n'avons pas assez atteint les raffineries de sucre exotique, le mal serait peu grave et surtout bien réparable; tandis que si par un changement trop brusque, par des modifications trop sensibles dans les conditions d'existence de ces raffineries, nous allions paralyser, entraver leur activité, le mal serait peut-être irréparable, et, à part les catastrophes qui pourraient s'ensuivre, si les capitaux étaient déplacés, si nos raffineries de sucre exotique étaient forcées de quitter la Belgique, ne pouvant plus prospérer sous l'empire de notre nouvelle loi, les conséquences d'une telle perturbation seraient désastreuses pour le pays. »

Je viens, messieurs, de rappeler des faits pour prouver que tous les ministres des finances qui se sont trouvés dans l'obligation de traiter la question des sucres au point de vue gouvernemental, ont fait ce qu'a fait l'honorable M. Frère, et ce que ferait l'honorable M. Cools s'il était au banc des ministres. C'est une question qu'il faut envisager de plus haut. La loi de 1846 me semblait avoir enfin mis tous ces intérêts à couvert. La pensée du gouvernement a été ce qu'elle est encore, que les deux industries puissent prospérer ou du moins se maintenir avec des chances de progrès, en assurant au trésor la recette minimum de trois millions.

Ce résultat a été atteint. Nous devions à bon droit espérer que les deux industries seraient désormais tranquilles et que nous assisterions sans arrière-pensée au développement de leur prospérité. Mais deux honorables députés de Saint-Nicolas et de Nivelles ont jugé qu'il ne devait pas en être ainsi. Ils me semblent avoir raisonné comme si le sucre ne payait pas d'impôt au trésor.

Je vous le demande, messieurs, est-il un seul de nos impôts qui donne au pays plus de 60 p. c. de la valeur réelle de l'objet imposé?

Pas un seul ; la mesure est comble ; rien ne peut y être ajouté sans compromettre l'existence de l'industrie et du commerce des sucres.

Quand une industrie fournit au trésor une somme aussi considérable que celle de trois millions au moins, elle devrait être à l'abri de toute espèce d'aggravation.

La seule mesure que je puisse concevoir, c'est qu'on prenne des précautions pour que les intérêts du trésor soient garantis au moyen d'une disposition insérée dans la loi, afin d'être d'autant plus sûr que le tribut imposé sera réalisé.

L'honorable M. Mercier a un système tout particulier que je ne puis m'empêcher de signaler à la chambre. Que disait-il avant que le gouvernement se fût expliqué, en publiant le document du 1er mai 1848. Il faisait le reproche suivant :

« Les chiffres du ministre (c'était je crois au mois de février 1848) sans être analysés et expliqués, ne prouvent absolument rien, quant à l'influence du commerce du sucre sur l'exportation des produits de notre industrie. On avait intérêt à rester dans le vague et à fuir la lumière de la vérité. »

Ces paroles, messieurs, ont été droit au but ; elles ont eu pour effet de stimuler le zèle du ministre des finances et de le faire sortir de l'obscurité, du vague qu'on lui reprochait. Loin de fuir la lumière de la vérité, il a été au-devant d'elle. Qu'ai-je fait? Un fonctionnaire très distingué, le plus capable, sans contredit, que j'aie rencontré dans ma carrière administrative et dont l'honorable M. Mercier ne récusera pas le talent et la droiture, feu M. Morel, directeur général des contributions et douanes au ministère des finances, avec qui j'ai eu de fréquents entretiens sur la question des sucres, s'est attaché à faire ressortir l'importance de ce commerce, au point de vue du mouvement maritime et de l'exportation des produits de notre industrie.

Ce travail a été fait avec conscience et un soin tout particulier. Je ne pense pas qu'il puisse être réfuté ni critiqué. Tout ce qu'on peut lui reprocher, c'est de ne se rapporter qu'à une seule année. On pourrait le continuer ; faire pour 1848 ce qui a été exécuté pour 1847 et l'on obtiendrait un résultat non moins satisfaisant, et peut-être supérieur. Les faits ont été recueillis en compulsant les listes de chargement des navires. Ils sont positifs. On a dressé le compte de chaque navire importateur de sucre brut, c'est-à-dire on a relevé les exportations qu'il a faites, en quittant la Belgique, pour les pays producteurs de sucre brut et les importations qu'il a effectuées, à son retour en Belgique. On a opéré de la même manière à l'égard des navires exportateurs de sucres raffinés et on est arrivé à un chiffre de 51,600,000 francs pour 1847, dans lequel la marine belge entre pour une proportion de 25 p. c. Ce sont là des faits, et ces faits constatent un progrès. Et cependant l'honorable M. Mercier persiste à n'en tenir aucun compte.

Pour lui répondre, je devrais rentrer dans les considérations présentées, aujourd'hui encore, par l'honorable ministre des affaires étrangères. Les documents sont sous les yeux de la chambre.

Suivant moi, pour apprécier la véritable importance du commerce des sucres, on doit comparer l'ensemble des importations et des exportations C'est dans ce but que l'administration des finances s'est s'occupée, au commencement de 1848, du soin d'établir le mouvement auquel ce commerce a donné lieu, eu 1847.

Il y a dans cette enceinte un grand nombre de représentants de localités industrielles. Aujourd'hui que l'intérêt du trésor dans la question des sucres est sérieusement pris en considération et qu'il peut être sauvegardé, en insérant une disposition dans la loi qui le mette entièrement à couvert il me semble que tous mes honorables collègues auxquels je m'adresse doivent se montrer disposés à nous appuyer quand nous demandons le maintien de la loi de 1846, sans aucune modification que telle que j'indique.

Notre intérêt est le leur. Pour pouvoir vendre dans les contrées transatlantiques qui produisent le sucre, il faut pouvoir leur acheter. Elles offrent un vaste marché aux produits de notre industrie; mais, messieurs, n'est-il pas évident que plus on réduit la consommation des denrées coloniales, moins on aura de chances de placer des produits indigènes ? Ensuite, si vous sacrifiez le commerce des sucres, comment arriverons-nous à faire jamais un traité de commerce avec le Brésil ou avec l'Espagne pour Cuba !

Nous devons donc tenir à faciliter l'exportation dans les contrées tropicales, où nous avons chance de placer des produits belges. On l'a déjà dit, dans cette discussion, il y a un premier pas de fait ; tout récemment la possibilité d'entrer avantageusement en concurrence avec les nations étrangères sur les marchés lointains est devenue manifeste. Il ne s'agit plus que de marcher dans la voie qui nous est ouverte ; si, au contraire, nous renversons l'état de choses actuel, si, en anéantissant la navigation, nous détruisons la principale cause de son activité, nous perdons sans retour les avantages que nous sommes sur le point de nous assurer et nous rétrogradons à grands pas.

Vous y réfléchirez mûrement, messieurs, avant d'entrer dans un système, dont la Belgique n'a pas voulu jusqu'à présent et qui ne lui préparerait que des mécomptes et d'amers regrets.

J'ai aussi des observations à présenter sur quelques parties du discours que l'honorable M. Cools vient de prononcer. Cet honorable membre parle au nom de la section centrale.

En vérité, il se trouve dans une position tout à fait étrange. Il est rapporteur de la section centrale, et il forme, en quelque sorte, la section centrale à lui tout seul; c'est une chose singulière et, pour moi, sans antécédent. En effet, sur toutes les questions importantes trois membres se sont prononcés pour, trois contre ; l'honorable M. Cools a eu voix décisive; la section centrale, c'est lui. Il arrange les choses comme il l'entend. Quand il parle au nom de la section centrale, il ferait tout aussi bien de dire : Voici mon avis.

Il faut, dit l'honorable M. Cools, un accroissement de ressources pour le trésor. Nous sommes d'accord sur ce point; mais encore faut-il savoir où prendre ces ressources et à quelles conditions on peut conseiller de les procurer. Or, il est prouvé (et je crois que la suite de la discussion confirmera de plus en plus cette démonstration) qu'il est de toute impossibilité que les sucres produisent au-delà du chiffre indiqué par le gouvernement, et, pour moi, je ne voudrais pas aller jusque-là.

Ce n'est donc pas par une aggravation sur l'accise des sucres qu'on trouvera le moyen de mettre en équilibre les recettes et les dépenses de l'Etat. Vous n'y consentirez pas, messieurs, quand vous songerez à l'insignifiance du résultat et au dommage que vous ne manqueriez pas de causer pour l'atteindre. Celui-ci serait énorme et le produit bien peu de chose.

Il faut, dit encore l'honorable M. Cools, sortir du système de 1822. Mais aucune des législatures qui se sont succédé depuis 1830 n'a voulu sortir de ce système. La Belgique ne peut s'en affranchir sans compromettre de graves intérêts.

Si elle entrait dans la voie où on ne craint pas de l'entraîner, elle renoncerait aux principaux avantages de sa position commerciale. Ce que l'on a pu faire jusqu'à présent, c'a été de travailler à concilier les exigences du trésor avec ce qu'exige non moins impérieusement notre position géographique.

Quand on se reporte au point de départ, quand on voit où l'on est arrivé par les modifications successives du système de 1822, on doit être satisfait. La Belgique, tant qu'elle sera voisine de la Hollande, ne pourra renoncer à ce système. Si un jour la Hollande y renonce, pure hypothèse, suivant moi, je ne sais ce que nous ferons; ce sera une position tout à fait nouvelle; on ne peut dire d'avance comment il faudra se conduire.

L'honorable M. Cools dit : Mon système n'aura pas beaucoup d'influence sur le mouvement commercial; vous aurez 2 millions de kil. de moins pour les exportations, 4 ou 5 millions de moins pour les importations. Voilà toute la perte que vous ferez. Ainsi 6 à 7 millions de réduction dans le mouvement commercial pour une proposition qui ne peut produire que très peu de chose de plus au point de vue financier !

Il y aura en outre un sacrifice de 54,600 francs, que l'honorable M. Cools reconnaît que l'on perdra en adoptant son système. Je ne vois plus l'avantage qui restera au trésor.

Il prévoit que les importations conserveront une certaine activité et qu'avec le rendement qu'il propose d'adopter on pourra continuer à faire le commerce des sucres. Je m'arrêterai un moment à la fixation du rendement.

Cette question a été portée plusieurs fois devant la chambre. Elle est exposée dans les documents publiés par l'honorable M. Mercier, lors de la grande enquête qu'il a faite sur la question des sucres, en 1845 (Annexe n° 12 de cette enquête).

Là il résume le rendement admis en France, en Hollande (où il a été modifié depuis) et en Angleterre. Dans ce dernier pays, on a calculé pour le rendement, à l'exportation, 67.27 pour la première qualité, dite double raffiné et 78.26 pour la seconde qualité; ainsi, en moyenne, 72 3/4.

En France, pour les sucres entièrement épurés, 70 kilogrammes par 100 kilogrammes de sucre brut et 75 kilogramme pour les sucre lumps. Moyenne 71 1/2.

Pour la Hollande, nous connaissons le rendement; nous savons pourquoi on a pu l'élever davantage. Il est 72.97 à présent, ainsi cette question du rendement se trouve résolue par des législations (page 1279) étrangères qui, pour se rendre compte de ce qui est, n'ont pas eu à se placer au point de vue de la Belgique. Il faut en conclure que ce n'est pas une chose élastique et de pure convention. Il faut s'arrêter au possible.

Cette question, examinée à notre point de vue, a encore une autre importance. Le sucre que l'on met en raffinage en Belgique est principalement du sucre de Havane ; c'est un sucre riche. M. le ministre des finances nous a appris que les sucres de Manille et du Brésil ne prennent part au raffinage que dans la proportion de 23 p. c. Il serait heureux que nous pussions augmenter cette proportion, parce qu'alors nos relations avec ces pays, qui ne sont pas assez importantes, ne manqueraient pas de se développer de plus en plus,

Je partage l'opinion de l'honorable M. Delehaye, que le rendement moyen de toutes nos raffineries, grandes et petites, ne dépasse pas 68.18. C'est l'état actuel des choses; on ira plus loin, je l'espère; mais on n'y est pas parvenu, quant à présent. Je puise cette conviction dans un fait récent et bien connu.

Qu'est-il arrivé au mois de juin 1848? Les 3 millions n'étant pas atteints, qu'a-t-on fait? On a fait un effort; on s'est imposé un sacrifice ; on a versé 6 à 7 cent mille fr. en quinze jours et on n'a pas reculé devant ce versement considérable parce qu'il fallait à tout prix prévenir une élévation de rendement.

Si ce n'avait pas été une question vitale pour la raffinerie, on se serait certainement dit : Plutôt que de payer cette somme, nous préférons une augmentation de 1 p. c. sur le rendement. N'est-ce pas une preuve directe, messieurs, que la généralité n'était pas en mesure de supporter cette augmentation?

Au reste, je ferais désormais bon marché de cette question du rendement, si j'étais ministre des finances, pourvu qu'il fût inscrit dans la loi que les raffineurs auront à payer les 3 millions avant l'échéance de l'année ou du semestre sur le montant des prises en charge, toutes les fois qu'il y aura déficit.

Toutes les considérations que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre tendent à vous prémunir, messieurs, contre les propositions qu'on voudrait faire adopter.

Hier, l'honorable M. Mercier disait : En France, les sucres étrangers sont soumis à des droits d'entrée énormes, pour favoriser le sucre colonial et le sucre indigène. Mais les hommes qui apprécient le mieux la question ne sont pas partisans de ces droits; ils sont d'avis qu'il y a lieu à les réduire.

Depuis la révolution du 24 février, une proposition formelle a été faite dans ce sens; on a proposé de réduire à 10 p. c. maximum le droit sur les sucres étrangers, uniquement pour procurer à la marine un aliment qui lui fait défaut.

Dans un ouvrage dont on ne peut méconnaître l'imposante autorité (Considérations sur les finances, par M. d'Audiffret, ancien président de la cour des comptes de France), on lit le passage suivant :

« Peut-on, par des faveurs exorbitantes et irréfléchies accordées au sucre indigène, écarter pour toujours de nos échanges le sucre exotique qui par suite de la triple convenance de sa capacité, de son poids, de son facile débit, est devenu à peu près le seul élément utile de nos transactions lointaines et le seul moyen de lest pour le retour de nos vaisseaux marchands dans leurs expéditions du Brésil, du golfe du Mexique et des Indes orientales?

« Est-il prudent de détruire la pépinière des marins du commerce?' S'il pouvait exister une préférence entre des Français exerçant la même industrie, n'appartiendrait-elle pas, à meilleur titre, à ceux pour lesquels l'éloignement du marché est une cause de dépenses si fertiles en avantages pour la mère patrie? »

Voici encore une autre autorité qui vient à l'appui de la première. M. Thiers, dans son ouvrage : La Propriété, parle en ces termes de la question des sucres :

« Voulez-vous que je vous indique une réforme urgente? Votre grande navigation périt faute de fret, c'est-à-dire de matière à transporter. Vous avez dans une période de trente années perdu peut-être un quart des bâtiments de 4 à 500 tonneaux, allant aux Antilles, en Amérique, au-delà des deux caps. Pourquoi ? Parce que le sucre entre autres, fourni en partie par l'agriculture de la métropole, ne l'est plus par le pays d'outre-mer et que cette matière de grand encombrement manque à notre navigation. On pourrait s'en procurer d'autres, telles que le coton et la houille, matière de très grand encombrement, mais il faudrait la disputer aux Anglais et aux Américains, et ce serait commencer une affreuse guerre de tarifs. En diminuant le droit sur le sucre pour nos relations commerciales, ce qui les étendrait, on augmenterait la consommation de cette denrée alimentaire, on donnerait du fret à 200 ou 300 bâtiments, et comme ce sont 3 à 400 qu'il faudrait recouvrer pour revenir à l'état désirable et regretté, il s'agit pour relever notre marine de se résigner à perdre 15, 20 millions sur l'impôt du sucre. »

Que ce conseil nous profite pour ne pas tomber dans la même faute. Ne sacrifions pas à des avantages très contestables la législation qui est en vigueur sur les sucres, et à laquelle on n'a pu arriver qu'après de pénibles efforts et un rapprochement entre tous les intérêts engagés dans la question.

- La séance est levée à 4 heures et demie.