(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1237) M. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.
« Le sieur Jacquemin, ancien militaire, décoré de la croix de Fer, prie la chambre de lui accorder une pension civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Quelques habitants de la ville de Huy demandent que la garde civique soit divisée en deux bans.
« Même demande de quelques habitants de Louvain. »
-Même renvoi.
« Quelques raffineurs de sucres, négociants et armateurs d'Anvers et de Gand, demandent le maintien de la législation actuelle sur les sucres. »
« Même demande de plusieurs constructeurs de navires à Anvers. »
M. Osy. - Je demande le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion des propositions concernant le sucre.
- Adopté.
« Plusieurs pharmaciens dans l'arrondissement de Louvain proposant des modifications à la loi sur l'enseignement supérieur, relatives à l'instruction pharmaceutique. »
M. de Luesemans. - Messieurs, les pétitionnaires demandent qu'il soit tenu compte de l'enseignement pharmaceutique dans le projet de loi qui a pour objet de modifier la loi sur l'enseignement supérieur. Ils sollicitent, entre autres, la création du grade de docteur en pharmacie.
Je demande que la chambre ordonne le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant l'enseignement supérieur.
- Adopté.
M. Moreau. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant le débit des boissons distillées.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre le met à l'ordre du jour à la suite de ceux qui y sont déjà.
Le budget est adopté à l'unanimité des 65 membres présents. Il sera transmis au sénat.
Ont adopté: MM. Liefmans, Loos, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Schumacher, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (A), Van Grootven, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Allard, Ansiau, Bruneau, Cans, Christiaens, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, Debourdeaud'huy, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, d'Hoffschmidt. Dolez, Dubus, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Jullien, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne et Verhaegen.
M. Thiéfry. - Pendant la discussion du budget de la guerre en section centrale, un lieutenant général a été mis à la pension. La section avait à délibérer sur la possibilité de mettre plus de généraux en disponibilité; avant de se prononcer, elle chargea son rapporteur de s'informer près du ministre si le lieutenant général pensionné serait remplacé :
Voici ce que l'honorable M. de Man nous dit dans son rapport à ce sujet.
« A. Officiers généraux. Sections d'activité et de réserve, fr. 368,985 80 centimes.
« Ce crédit est destiné à solder les traitements de 7 lieutenants généraux et de 18 généraux de brigade de la section d'activité.
« D'un lieutenant général et de 4 généraux de brigade de la section de réserve.
« Le gouvernement a pris l'engagement de ne pas pourvoir, à moins de nécessité, au remplacement, pendant le courant de l'année, du lieutenant général mis à la pension. »
Cette nécessité paraît avoir surgi tout à coup, puisque le Moniteur nous a appris la nomination d'un lieutenant-général ; je prierai M. le ministre de vouloir bien nous dire s'il s'est passé en Europe des événements de nature à rendre cette nomination nécessaire.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je suis prêt à répondre à l'interpellation qui m'est adressée, mais je tiens à faire observer auparavant à la chambre que cette interpellation repose sur un fait purement administratif et que toute administration serait impossible si les ministres devaient venir rendre compte à la chambre de chacune des mesures administratives qu'ils posent. Cependant, comme je n'ai rien à dissimuler, je ne refuse pas de donner les explications qui me sont demandées.
J'ai porté au budget, en vertu de la loi d'organisation de l'armée, 9 lieutenants-généraux et 18 généraux-majors au cadre d'activité ; mais j'ai dit à la section centrale que je ne remplacerais pas un des lieutenants-généraux admis à faire valoir ses droits à la retraite. J'ai dit que je ne remplacerais pas le lieutenant général Evain, à moins de nécessité absolue, et je ne l'ai pas remplacé. J'ai d'ailleurs indiqué, au budget, en toutes lettres mon intention de laisser un emploi de lieutenant-général vacant.
Le lieutenant-général récemment promu n'a pas été nommé en remplacement du général Evain, mais pour remplir un emploi disponible, celui de commandant de la 4ème division territoriale et d'infanterie. Trois emplois étaient disponibles : celui du lieutenant-général de Marneffe, décédé ; celui du lieutenant général d'Hane, admis à la retraite, et celui du général Evain. Il était nécessaire de pourvoir au commandement de la 4ème division territoriale, qui était provisoirement confié à un général-major. Le commandement d'une division de cavalerie est également rempli dans ce moment par un général-major, et ce général-major est remplacé dans le commandement de sa brigade par un colonel ; de sorte que les cadres actuels sont encore au-dessous des allocations du budget d'un lieutenant général et d'un général-major.
J'ai donc non seulement rempli mes engagements, mais je suis resté en dessous de ce qui a été voté par la majorité de la chambre.
M. Thiéfry. - M. le ministre nous dit que le lieutenant-général Evain était compris dans le cadre qu'il avait indiqué; cependant je ferai remarquer que M. le général Evain a été mis à la retraite le 6 octobre 1848, et que c'est bien après cette époque que M. le ministre a pris l'engagement dont il a été question.
Il me sera facile de prouver que la nomination dont il s'agit ne pouvait être faite.il y a, au budget de 1849, 9 lieutenants-généraux en activité et 2 dans la réserve, en tout 11. L'on a ensuite diminué les appointements du lieutenant-général ministre, qui étaient portés à l'article premier, et ceux de 2 lieutenants généraux dont l'emploi devait rester vacant, l'un dans l'activité, l'autre dans la réserve. Ainsi le crédit demandé devait suffire à la solde de 7 lieutenants généraux en activité et d'un de la réserve. Les appointements du général d'Hane figuraient dans ce crédit; cet officier ayant été pensionné, M. le ministre a pris l'engagement de ne pas pourvoir à son remplacement; ce crédit ne pouvait donc solder que 6 lieutenants-généraux en activité et 1 de la réserve. Par suite de la promotion qui a eu lieu, il y en aura 7 dans le cadre d'activité ; seulement on a nommé un lieutenant général d'infanterie au lieu d'un lieutenant général de cavalerie. Je prie l'honorable M. de Man de nous dire si je ne suis pas dans le vrai.
Le général qui a obtenu de l'avancement était aide-major-général avec 2,000 francs de frais de bureau; lorsqu'il s'est agi en section centrale de la suppression de ces 2,000 francs réclamée par plusieurs sections, M. le ministre a fait valoir des considérations très étendues pour les conserver.
Pour mon compte particulier, j'ai toujours considéré cette indemnité comme une majoration de solde ; aussi je vois avec plaisir que l'on paraît vouloir satisfaire au vœu exprimé par les sections; mais je regrette la marche suivie pour atteindre le but; je ne critique pas la nomination qui a eu lieu sous le rapport du mérite de celui qui est appelé à remplir les fonctions de lieutenant général : cet officier est un ancien militaire auquel je rends justice, je lui porte beaucoup d'estime. Je suis convaincu que quand il saura qu'ai lui donnant de l'avancement, le minière a perdu de vue les engagements pris vis-à-vis de la législature, il regrettera que cette nomination n'ait pas été retardée d'un an. Elle est d'autant plus fâcheuse qu’elle pourrait diminuer la confiance que la chambre a toujours eue dans le ministre de la guerre, dont la loyauté ne pourrait d'ailleurs être révoquée en doute.
On a nommé un lieutenant-général d'infanterie, pour commander la quatrième division, tendant que l'Europe était en feu, quand l'insurrection était à nos portes, quand des bandes poussées par ceux qui étaient à la tête du pouvoir en France, ont envahi le pays, alors que l'on pouvait supposer devoir mettre l'armée sur le pied de guerre, alors, dis-je, le besoin d'un lieutenant général de plus ne s'est pas fait sentir, la quatrième (page 1238) division était parfaitement commandée par un général-major, Et aujourd’hui que tout redevient calme, que le pays réclame des économies, que tous les ministres, pour satisfaire à ce vœu, sont obligés de mettre tant d'employés en disponibilité, dites-moi, messieurs, le moment est-il bien choisi pour pourvoir a des emplois qui peuvent rester vacants sans inconvénients ?
Je profiterai, messieurs, de la présence de M. le ministre, pour demander d'autres explications sur un fait non moins grave.
A la suite des discussions du budget de la guerre, le gouverneur de la résidence, muni d'une lettre officielle du ministre, s'est rendu dans la caserne Sainte-Elisabeth, où il a réuni tous les officiers du régiment d'élite ; il s'est plaint avec colère que des officiers avaient la bassesse, l'imprudence de donner aux membres de la chambre des renseignements sur l'armée. Le linge sale, a-t-il dit, doit se laver en famille ; s'il y a des mécontents, ils connaissent le chemin qui leur est tracé, ils n'ont qu'à donner leur démission.
Je ne trouve pas, messieurs, d'expression assez forte pour blâmer une telle conduite. Un corps d'officiers ne doit pas être traité comme des écoliers : d'ailleurs, si l'organisation est bonne, loin de fermer la bouche par l'intimidation, il faut, au contraire, engager les officiers à s'en entretenir avec les membres de la chambre.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, un honorable député de Tournay vient de m'interpeller en ma qualité de rapporteur de la section centrale de la guerre, afin que j'aie à déclarer à la chambre quelle est la nature des engagements pris par M. le ministre de la guerre au sein de cette section.
Mon devoir est de satisfaire à cette interpellation, et je vais tâcher de rassembler mes souvenirs et de vous les communiquer avec toute la sincérité dont je suis capable.
D'après une disposition de la loi sur l'organisation de l'armée, le cadre de l'activité des lieutenants généraux est fixé à neuf officiers supérieurs.
Le gouvernement a établi en conséquence le budget de la guerre de 1849 de la manière suivante.
Il a porté neuf lieutenants généraux et le crédit nécessaire pour faire face à leurs appointements.
Ensuite pour la régularité de la comptabilité il a procédé par déduction ; il en a soustrait un chiffre égal au traitement de deux lieutenants généraux.
L'un est celui de M. le ministre de la guerre, qui est porté à l'article de l'administration centrale; l'autre est celui de l'honorable général Evain, dont la pension était en liquidation.
Le crédit demandé était donc réduit à celui qui était nécessaire pour le traitement de sept lieutenants généraux.
C'est ainsi que l'article 6 porte un crédit destiné à sept lieutenants généraux de la section d'activité, et à dix-huit généraux de brigade également de la section d'activité, et aux généraux de la section de réserve ; ce crédit est destiné à une éventualité de sept lieutenants généraux au lieu de neuf, dont la loi du budget autorise le gouvernement à disposer.
L'honorable ministre de la guerre, interpellé en section centrale sur la question de savoir s'il entendait prendre l'engagement de ne pas donner de successeur à l'honorable général Evain, prit cet engagement. Voilà ce que me disent mes souvenirs. C'est à la suite de cette déclaration, que j'ai inséré dans le rapport de la section centrale et avec son assentiment le paragraphe suivant :
« Le gouvernement a pris l'engagement de ne pas pourvoir, à moins de nécessité, au remplacement pendant le courant de l'année du lieutenant général mis à la pension. »
Il s'agissait là du lieutenant général Evain, mes souvenirs ne me font pas défaut, j'en suis convaincu ; mes honorables collègues de la section centrale ne me contrediront pas, j'espère. Or d'après les explications que vient de donner M. le ministre de la guerre, cet honorable officier général n'a pas été remplacé. Un officier général est décédé, un autre a été mis encore à la retraite. Il ne restait donc plus que 5 lieutenants généraux, tandis que le budget alloue des fonds pour en subsidier 7.
Le gouvernement a jugé à propos d'accorder une promotion à la suite de ces vacances.
Je suis obligé de convenir, pour être juste, que M. le ministre de la guerre n'a pas perdu de vue les engagements qu'il a pris avec la section centrale. Je regrette de me trouver en dissidence avec mon honorable collègue M. .Thiéfry, mais je ne puis que régler ces explications d'après mes souvenirs, et d’après la déclaration que vient de faire le chef du département de la guerre.
Je pense que, sans manquer à ses engagements, le gouvernement peut tenir au traitement d'activité, sept lieutenants généraux en sus du ministre de la guerre. Vous avez, en effet, alloué les fonds nécessaires pour ce personnel, et s'il en est ainsi, l'administration peut en disposer légitimement.
Ces explications, que j'ai cherché à rendre aussi claires que possible, suffiront sans doute pour vous faire apprécier l'état de cette question.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, j'éprouve le besoin de protester de toutes mes forces contre les assertions de l'honorable M. Thiéfry. Si j'avais pris un engagement vis-à-vis de la section centrale ou vis-à-vis de la chambre, je l'aurais tenu religieusement. Mais je n'ai pas pris l'engagement que l'honorable M. Thiéfry prétend que j'ai contracté. J'ai dit à la section centrale que la loi accordait au gouvernement le droit de nommer neuf lieutenants généraux, que j'en mettrais un à la retraite et que je ne pourvoirais à son remplacement qu'autant que des nécessités absolues se feraient sentir. Eh bien, je n'ai pas pourvu au remplacement du lieutenant général Evain, et je suis resté au-dessous du nombre des lieutenants généraux que je pouvais nommer. Le budget est là pour démontrer ce que j'avance.
Evidemment, la section centrale n'aurait pas adopté le budget, si j'avais contracté un engagement en contradiction avec les fonds que je demandais. Or, il n'a été déduit du chiffre demandé pour les lieutenants généraux du cadre d'activité que le traitement du ministre de la guerre et celui du lieutenant général Evain mis à la pension. J'ai aussi déduit le traitement d'un lieutenant général du cadre de réserve : celui de M. le lieutenant général Willmar qui n'est pas imputé sur le budget de la guerre parce qu'il fait partie du corps diplomatique.
Vous voyez, messieurs, que je me suis renfermé dans les limites du budget et que l'engagement que j'avais contracté, je l'ai tenu.
Quant à la seconde interpellation de l'honorable M. Thiéfry, j'ignore complètement ce qui s'est passé à la caserne Sainte-Elisabeth. Mais je puis dire que l'honorable membre a été très mal renseigné. Je ne crois pas que le lieutenant général dont il a parlé tout à l'heure ait tenu à un corps d'officiers le langage que l'honorable M. Thiéfry lui attribue. J'ai, messieurs, écrit une circulaire confidentielle aux lieutenants généraux, cela est vrai, j'ai devers moi cette circulaire, et bien qu'elle fût confidentielle, j'en donnerai lecture à la chambre, parce qu'elle a été très mal interprétée dans le public. Je n'en rétracte, du reste, pas un mot ; je la maintiens tout entière.
A la suite de la discussion du budget de la guerre et de différents articles de journaux, je savais qu'il régnait beaucoup de découragement dans l'armée, que beaucoup d'officiers croyaient que l'on n'appréciait pas les services qu'ils avaient rendus. J'ai alors écrit cette circulaire qui a été si mal interprétée; la voici :
« Bruxelles, le 19 mars 1849.
« Messieurs,
« Bien que l'importance pour la Belgique d'une armée fortement organisée ne puisse être mise en doute, il ressort évidemment de toutes les discussions qui ont eu lieu dans le pays, et des idées émises par certains organes de la presse, au sujet de l'armée, que les services qu'elle rend et ceux qu'elle peut être appelée à rendre, ne sont pas suffisamment appréciés. Il importe, messieurs, dans l'intérêt du pays et de son avenir, que ceux qui ont l'honneur de faire partie de l'armée contribuent de tous leurs efforts à ramener à une appréciation exacte de la vérité les esprits égarés par une sécurité trompeuse, ou par un sentiment d'imprévoyance dangereux, ou enfin par l'ignorance des faits.
« Après de nombreux efforts toujours infructueux, tentés à différentes époques de son histoire, la Belgique est enfin parvenue, en 1830, à conquérir glorieusement son indépendance; depuis, elle a su la consolider par son patriotisme, par la sagesse du Roi qui a voué son existence à nos destinées, par l'esprit d'ordre et de moralité qui anime nos populations.
« Les institutions que le pays s'est données sont les plus libérales de l'Europe, et elles sont enviées encore aujourd'hui par les nations les plus avancées ; il est donc de l'honneur et du devoir de tous les Belges de maintenir ces institutions, de veiller à la conservation de l'indépendance nationale, et de ne négliger aucun sacrifice pour atteindre ce but.
« C'est à l'armée surtout qu'est dévolue la mission de sauvegarder, de défendre nos institutions, notre indépendance; mais, pour qu'elle puisse remplir noblement, dignement cette mission, il faut qu'elle soit forte, respectée, honorée aux yeux de tous comme à ses propres yeux, et elle ne saurait l'être si elle n'a pas, si tout le monde n’a pas foi dans son utilité, et n'apprécie pas la tâche qui lui est imposée, à qui doit faire embrasser l'état militaire avec ardeur, ce qui doit rendre l'officier fier de son épaulette, le déterminer à se vouer corps et âme au service de son pays, c'est la conviction de l'utilité et de la grandeur de sa mission. En effet, l'honneur et la défense du pays sont confiés à la garde de l'armée; est-il une mission plus noble et plus sainte?
« Telles sont, messieurs, les idées qu'il importe de faire prévaloir dans l'année et dans le pays, et je vous engage à ne négliger aucune occasion d'en entretenir les officiers sous vos ordres, afin qu'ils se pénètrent de ces principes et contribuent à leur propagation.
« Vous voudrez bien également leur faire comprendre qu'ils doivent s'abstenir, en toutes circonstances, dans leurs relations avec les habitants, de nuire aux intérêts de l'armée en se livrant à des critiques souvent irréfléchies sur l'une ou l'autre partie de son organisation ; qu'ils doivent, au contraire, chercher à les éclairer en leur expliquant nos travaux, les études auxquelles chacun de nous est obligé de se livrer sans cesse pour se tenir à la hauteur de sa position et îles progrès de la science. Vous les engagerez en même temps à être pleins de modération et de procédés honnêtes dans leurs relations avec leurs concitoyens, afin de ne blesser aucune susceptibilité et d'enlever tout prétexte aux plaintes contre les envahissements prétendus de l'esprit militaire.
« Le ministre de la guerre.
« Baron Chazal. »
Voilà, messieurs, la circulaire que j'ai adressée à l'armée, circulaire dont on veut me faire un crime. Je demande si je pouvais tenir un autre langage à mes frères d'armes. Non, messieurs, ce langage, je le maintiens tout entier et je veillerai à ce que ses principes soient maintenus dans (page 1239) toute leur force, aussi longtemps que j'aurai l'honneur d'être à la tête de l'armée.
M. de Bocarmé. - L'honorable M. Thiéfry a invoqué le souvenir non seulement de l'honorable rapporteur de la section centrale, mais aussi des membres de cette section, dont j'ai eu l'honneur de faire partie ; eh bien, messieurs, après avoir échangé quelques mots avec ces honorables collègues, présentement dans cette enceinte, je puis déclarer que nos souvenirs sont identiques ; c'est-à-dire que M. le ministre de la guerre a pris envers la section l'engagement, dans un but d'économie, de ne point remplacer immédiatement le lieutenant général Evain ; mais l'honorable M. Chazal ne s'est pas engagé de même en ce qui concerne les autres vacatures existantes alors ou celles qui peuvent être survenues
Ainsi, messieurs, répondant à l'interpellation qui m'a été faite, je dois surtout déclarer que nous regardons comme exact, en tout point, ce que vient de dire l'honorable M. de Man.
M. Allard. - Messieurs, comme membre de la section centrale du budget de la guerre, je confirme en tous points ce qu'ont dit les honorables MM. de Man et de Bocarmé. M. le ministre a déclaré qu'il ne remplacerait pas le général Evain, et nous avons voté les traitements de 7 lieutenants généraux. En conséquence M. le ministre de la guerre n'a pas perdu de vue à ses engagements.
- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.
M. Verhaegen. - Messieurs, président de la section centrale mon devoir me convie aussi à dire ce qui s'est passé, et je viens confirmer en tous points la déclaration faite par l'honorable rapporteur, M. de Man.
M. Thiéfry. - Messieurs, il est on ne peut plus facile de voir pour quel général il a été pris un engagement. Il y a au budget la solde de 7 lieutenants généraux en activité. Le chiffre total est de 9, mais on déduit le traitement du lieutenant général ministre, et celui d'un autre lieutenant général; de sorte qu'il en reste 7. Or c'est pendant la discussion du budget que le général d'Hane a été mis à la pension. Si on a chargé le rapporteur de la section centrale de demander quel lieutenant général ne serait pas remplacé, il est évident qu'on n'a pu parler que de celui qui venait d'être mis à la pension.
Il est vrai que M. le rapporteur a demandé si cet officier, qui venait d'être pensionné et dont le traitement figurait dans le crédit, serait, oui ou non, remplacé.
Je maintiens donc mon observation dans son entier.
Il me reste maintenant à donner des explications pour la circulaire. Je n'ai pas parlé de son contenu, je ne l'avais pas vue ; mais ce dont j'ai rendu compte, c'est la manière dont on s'est acquitté de la mission; j'ai reproduit les paroles mêmes de celui qui les a adressées au corps d'officiers. Si M. le ministre de la guerre croit que je suis dans l'erreur, il peut faire une enquête, il peut interroger les officiers. Ce que l'on m'a dit est l'exacte vérité.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est du commérage.
M. Thiéfry. - Du commérage, dit-on. Dans des circonstances comme celles-là, tout est sérieux. Quand on réunit un corps d'officiers pour l'intimider, on ne sait comment qualifier une mesure semblable.
Messieurs, j'ai demandé la permission d'adresser en même temps une interpellation à M. le ministre de la guerre sur la mise à la retraite d'un général-major.
J'arrive à cette interpellation.
Le général Brion vient d'être retraité; si sa mise à la pension a eu lieu sur sa demande, mes observations auront moins d'à-propos. Il n'en serait pas de même si cet officier avait été pensionné contre son gré : car avant de mettre à la retraite des militaires jeunes d'âge, mais vieux de campagnes, il faut faire sortir des cadres ceux qui n'ont pas le droit d'y être.
La loi de 1836 dit : « La disponibilité est la position spéciale de l'officier général ou supérieur qui appartient aux cadres de l'armée et qui est momentanément sans emploi. » La loi est claire, on ne met à la disponibilité que celui qui est momentanément sans emploi. Peut-on alors conserver pendant 16 ans des officiers dans cette position? Evidemment non, ce n'est dans ce cas qu'une retraite de faveur! Aussi, je le répète, si le général Brion a été pensionné sans en faire la demande, on a commis une injustice à son égard.
M. Osy. - Messieurs, je dois dire que la circulaire dont M. le ministre de la guerre vient de donner lecture me paraît mériter d'être approuvée de nous tous, mais les intentions de M. le ministre de la guerre ont été méconnues. Il a été fait positivement défense aux officiers de parler des affaires militaires aux bourgeois, aux sénateurs et aux représentants. Cela a eu lieu dans la capitale et dans d'autres garnisons, entre autres à Tournay. Nous devons donc regretter que les instructions de M. le ministre de la guerre aient été si mal comprises. J'espère qu'il en donnera de plus précises pour que les membres des deux chambres ne soient pas mis à l'index dans l'armée. Il faut bien que nous nous éclairions auprès des officiers, soit en activité, soit en retraite.
Apres la discussion du budget de la guerre, nous avons vu décorer des officiers qui étaient pensionnés depuis 10 ou 14 ans. Je connais un officier depuis 14 ans et qui a été tout étonné de recevoir une décoration : il ne savait pas quels services il avait pu rendre au pays depuis 14 ans. L'opinion est que ces décorations avaient pour objet de recommander à ceux qui les obtenaient, de ne pas parler des affaires de l'armée aux bourgeois, aux représentants, et aux sénateurs. On a reproché à des officiers généraux, qui sont de mes amis, d'avoir causé avec moi d'affaires de l'armée.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je ne sais si j'ai encore besoin de protester contre ce que vient de dire l'honorable M. Osy.
Plusieurs officiers mis à la retraite ont été décorés ; cela est vrai ; pourquoi? Parce que ce sont d'anciens et honorables militaires, parce que le gouvernement a voulu prouver qu'il n'oubliait pas leurs loyaux services; que, pour être mis à la retraite, ils n'étaient pas complètement mis à l'écart ; que la sollicitude du gouvernement ne les abandonnerait pas, et que, pour être quelquefois tardive, sa reconnaissance n'en était pas moins assurée.
J'ai dressé l'état de tous les officiers retraités ; j'ai fait établir un contrôle qui pût me mettre à même d'accorder une faveur à ceux qui s'en sont rendus dignes par la loyauté de leur conduite, leur vie irréprochable et l'ancienneté de leurs services. Voilà la mesure que j'ai adoptée dans l'intérêt de l'armée et dans celui de ces officiers; je demande si on peut lui donner la singulière interprétation qu'elle vient de recevoir dans la bouche de l'honorable M. Osy.
M. T'Kint de Naeyer. - Messieurs, je ne demande pas la parole sur l'incident; je désire adresser une interpellation à M. le ministre de la guerre sur un autre point.
Messieurs, vous avez pris en considération et renvoyé au département de la guerre plusieurs pétitions qui vous avaient été adressées par le conseil communal de Gand et par quelques habitants de la même ville, relativement au démantèlement de la citadelle et aux indemnités réclamées du chef des dégâts qui ont été causés le 29 janvier dernier par l'explosion de la poudrière ; la présence de M. le ministre de la guerre dans cette enceinte m'a engagé à lui demander quelques explications à ce sujet.
Messieurs, la question de la démolition des forteresses a, vous le savez, sommeillé pendant 15 ans. Lors de la discussion du budget de la guerre, plusieurs orateurs ont vivement insisté sur la nécessité de résoudre cette question en vue des économies à introduire dans le budget de 1850.
Je demanderai à M. le ministre de la guerre s'il a eu égard à ces recommandations, et si la citadelle de Gand figure au nombre de celles qui peuvent être considérées comme inutiles ou superflues.
Quant à l'indemnité qui a été réclamée du chef des dégâts qui ont été causés par l'explosion de la poudrière, le fait de force majeure qui a été invoqué par le département de la guerre ne me paraît pas admissible ; vous savez qu'une enquête est venue démontrer de la manière la plus évidente que la catastrophe a eu lieu par la faute des agents mêmes de l'administration. Les jurisconsultes les plus distingués, et je pourrais en citer parmi vous, messieurs, partagent cette opinion.
Avant de s'adresser aux tribunaux, les intéressés ont eu recours à l’intervention de la chambre, afin que justice leur soit rendue. J'espère que M. le ministre de la guerre, animé du même esprit de conciliation, reconnaîtra, dans l'intérêt même du trésor, qu'il n'y a pas lieu de maintenir la première décision qu'il avait prise.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je ne crois pas que le moment soit venu de traiter la question des forteresses. Cependant je répondrai à l'honorable préopinant que la citadelle de Gand n'a jamais été comprise au nombre des forteresses qui devaient être démolies.
Quant aux indemnités réclamées par des habitants de Gand, à la suite de l'explosion du magasin à poudre, j'ai fait examiner la question par l'avocat chargé au département de la guerre de ces sortes d'affaires : il a été d'avis que le département de la guerre n'était pas tenu de payer les dégâts occasionnés par l'explosion. Sur de nouvelles réclamations, j'ai prescrit un nouvel examen. S'il est reconnu que le département de la guerre doit payer ces dégâts, je ferai une proposition à la chambre. Mais jusqu'à présent l'examen de la question n'est pas terminé.
M. Thiéfry. - J'ai quelque chose à ajouter.
J'ai oublié de dire à la chambre qu'ayant vu hier l'honorable M. de Man d'Attenrode, rapporteur de la section centrale, il m'a dit, en présence de M. Jullien, qu'il avait été aussi surpris que moi, à la lecture du Moniteur, en voyant le remplacement du général d'Hane, malgré l'engagement pris par M. le ministre et consigné dans le rapport de la section centrale.
M. de Man d'Attenrode. - Il est réellement étrange que l'honorable M. Thiéfry vienne ici rendre compte de conversations particulières. Cette manière de procéder est contraire à tous nos usages. Je crois qu'on ne devrait pas en entretenir la chambre. Maintenant je conviens qu'au premier abord j'ai été étonné de voir au Moniteur la nomination dont il s'agit, mais j'ignorais en remplacement de qui cette nomination avait été faite. J'ignorais la composition du cadre des généraux. J'ai cru qu'il était opportun de la connaître. Aussi prévoyant l'interpellation qui avait été annoncée hier, me suis-je rendu chez un officier supérieur peu avant la séance pour prendre des renseignements. Car l'annuaire ne pouvait m'en donner, la composition du personnel qu'il indique ayant été modifié, par suite de diverses circonstances.
M. le ministre vient de me confirmer les renseignements que j'ai pris ce matin. Ces renseignements m'ont satisfait. J'étais dans mon droit en en faisant la déclaration, et je l'ai faite : et elle ne devait pas m'exposer à l'attaque dont je viens d'être l'objet. D'ailleurs elle a été confirmée par plusieurs membres de la section centrale.
- M. Verhaegen remonte au fauteuil.
M. Veydt, rapporteur. - Messieurs, la commission spéciale m'a chargé de vous présenter le rapport sur les amendements présentés par l'honorable M. Lelièvre et sur les articles renvoyés à un nouvel examen.
La commission n'ayant pu se réunir qu'à midi et demi, il a été impossible de faire imprimer le rapport assez à temps; il a même dû être fait si promptement que je n'ai pas pu y mettre tous les soins qu'un travail de cette nature réclame. La chambre voudra bien tenir compte de cette circonstance.
Messieurs, la commission propose l'adoption du paragraphe premier de l'amendement de M. Lelièvre sur l'article 32. Il est ainsi conçu :
« Tout capitaine ou pilote chargé de la conduite d'un navire ou autre bâtiment de commerce ou de pêche, qui, volontairement et dans une intention criminelle, l'aura échoué, perdu ou détruit par tous moyens autres que celui du feu ou d'une mine, sera puni des travaux forcés à temps. »
La peine des travaux forcés à perpétuité, qui faisait l'objet du 2° du projet, a été supprimée par 4 voix contre 2, pour le cas de blessures graves.
La commission adopte également le paragraphe 2 de l'amendement, en n'y faisant qu'une légère modification de rédaction. Elle propose de dire :
« Si du fait de l'échouement, de la perte ou de la destruction du navire, il est résulté un homicide, la peine énoncée en l'article 304, paragraphe premier, du Code pénal sera appliquée. »
Enfin le paragraphe 3, qui n'est que la reproduction de la disposition du projet, a été maintenu en ces termes :
« Les officiers et gens de l'équipage, coupables de ces crimes, encourront les mêmes peines. »
Les paragraphes 1 et 3 de l'amendement de M. Lelièvre ont également été adoptés par M. le ministre de la justice; mais ce haut fonctionnaire a pensé qu'il y avait lieu d'insérer aux articles 32 et 42 une disposition empruntée, pour le cas de mort, à la loi du 15 avril 1843, sur la police des chemins de fer.
Voici cette disposition :
« Si le fait a occasionné la mort, le coupable sera puni des peines encourues au titre II, chapitre premier, section première, paragraphe premier du livre du Code pénal, selon les distinctions qui y sont établies. »
La majorité de la commission s'est prononcée, de préférence, pour sa rédaction première, que l'amendement de l'honorable M. Lelièvre a aussi conservée.
La baraterie est punie de la peine de mort, par l'article 11 de la loi française du 10 avril 1825. Cet article est ainsi conçu :
« Tout capitaine-maître, patron ou pilote, chargé de la conduite d'un navire ou autre bâtiment de commerce, qui, volontairement et dans une intention frauduleuse, le fera périr par des moyens quelconques, sera puni de la peine de mort. »
La commission propose, d'accord avec M. le ministre de la justice, de supprimer tout l'article. Il faudrait diverses dispositions pour proportionner les peines aux délits, et prévoir tous les cas de fraude en matière d'assurances. Elles ne peuvent, par ce seul motif, trouver leur place dans un Code pénal maritime. La lacune prévue par l'article 38 du projet ne serait pas la seule qu'il y aurait à combler.
La commission propose une rédaction nouvelle ainsi conçue :
« Dans le cas prévu par le paragraphe 2 de l'article 15, le coupable subira la peine de la réclusion, si le fait a été précédé, accompagné ou suivi de coups ou blessures. »
Et elle ajoute à l'article 18, déjà adopté par la chambre, le paragraphe suivant :
« L'emprisonnement pourra être porté jusqu'à 5 ans et l'amende jusqu'à 300 francs, si les ordres ont été donnés pour le salut du navire ou de la cargaison. Cette dernière disposition est également applicable aux passagers. »
Cet article a été maintenu comme il se trouve au projet.
Il punit la piraterie des travaux forcés à perpétuité, si les coupables sont officiers ou chefs de complot; des travaux forcés à temps pour les autres marins ou passagers.
Si, indépendamment du fait de s'être emparé du navire par fraude ou violence envers le capitaine, il y a eu mort, l'article 304, paragraphe premier du Code pénal deviendra applicable, dans l'opinion de la commission, sans qu'il y ait lieu de faire, quant à l'homicide, la distinction proposée par l'amendement de l'honorable M. Lelièvre.
L'amendement de M. Lelièvre a pour objet de rendre applicables divers articles de la loi, non encore publiée, sur la composition des cours d'assises.
L'admission de circonstances atténuantes, pour les délits prévus dans la loi spéciale, sur la marine marchande et la pêche, a été admise par quatre voix contre deux, de la part de votre commission.
Mais elle est d'avis qu'il suffirait d'une disposition générale déclarant qu'on suivra, dans tous les cas où ces circonstances se présentent, les dispositions du droit commun.
Telle n'a pas été l'opinion de M. le ministre de la justice, parce que la loi relative aux cours d'assises n'est pas publiée, et dans une note il a expliqué les raisons qui doivent rendre préférable, suivant lui, l'insertion de divers articles dont il propose la rédaction.
Si la chambre se prononce pour l'insertion d'une disposition renvoyant aux lois ordinaires, la rédaction en sera proposée lors du second vote.
Voici la note et les articles de M. le ministre :
« Comme la loi sur la cour d'assises n'est pas publiée et qu'elle ne peut l'être immédiatement, il serait préférable de reproduire les dispositions des articles 3, 4, 5 et 6 de cette loi.
« On ne pourrait pas d'ailleurs se référer purement et simplement à l'article 6. Cet article prévoit le cas de substitution d'une amende à l'emprisonnement et détermine, dans cette hypothèse, le maximum de l'amende.
« Ces dispositions ne sont pas applicables au présent Code; d'abord parce que, par suite de l'adoption de l'amendement à l'article 12, il est facultatif au juge de prononcer les peines de l'emprisonnement et de l'amende, soit séparément soit cumulativement, et qu'ensuite le maximum de l'amende n'excède pas 500 francs.
« Il m'a donc paru nécessaire de reproduire en entier les dispositions des articles 3, 4 et 5, et en partie celle de l'article 6 de la loi sur les cours d'assises, en ces termes :
« Art. 59. Dans tous les cas où la présente loi prononce la peine d'emprisonnement ou l'amende, les tribunaux, si les circonstances sont atténuantes, sont autorisés à réduire l'emprisonnement au-dessous de six jours et l'amende au-dessous de seize francs, sans qu'en aucun cas ces peines puissent être au-dessous de celles de simple police.
« Art... Dans tous les cas où la présente loi prononce la peine des travaux forcés à temps ou celle de la réclusion, la cour d'assises pourra, si les circonstances sont atténuantes, et en exprimant ces circonstances, exempter le coupable de l'exposition publique, ou même commuer les travaux forcés, soit en réclusion, soit en un emprisonnement dont le minimum est fixé à six mois, et la réclusion en un emprisonnement qui ne pourra être au-dessous de huit jours.
(page 1241) « Art... Dans tous les cas où il y aurait lien de ne prononcer qu'une peine correctionnelle, à raison soit d'une excuse, soit de circonstances atténuantes, et dans le cas où il y aurait lieu d'appliquer les articles 66 et 67 du Code pénal, la chambre du conseil pourra, à l'unanimité de ses membres, et par une ordonnance motivée, renvoyer le prévenu au tribunal de police correctionnelle.
« La chambre des mises en accusation pourra, à la simple majorité, exercer la même faculté.
« Le ministère public et la partie civile pourront former opposition à l'ordonnance de la chambre du conseil, conformément aux dispositions du Gode d'instruction criminelle.
« Art... Le tribunal de police correctionnelle, devant lequel le prévenu sera renvoyé, ne pourra décliner sa compétence en ce qui concerne l'âge, l'excuse et les circonstances atténuantes.
« Il pourra prononcer un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous des minimum fixés par l'article 59, et suivant les distinctions établies par cet article.
« Toutefois, dans le cas de l'article 67, paragraphe premier, du Code pénal, il statuera conformément à cette disposition.
« Dans tous les autres cas prévus par le même article et dans ceux de l'article 326 du même Code, il pourra prononcer un emprisonnement qui ne pourra être au-dessous de huit jours. »
« Art. 66. C'est sous ce chiffre que l'honorable M. Lelièvre a proposé son dernier amendement. Les dispositions du chapitre V du Code d'instruction criminelle , relatives à la prescription , seront, suivant les distinctions qui y sont établies, applicables aux faits prévus par la présente loi, lorsque celle-ci n'en a pas disposé autrement.
« La prescription courra à partir du moment où la poursuite peut être exercée en vertu des dispositions de la loi actuelle. »
Le premier paragraphe de l'amendement de l'honorable membre n'a pas paru nécessaire a la commission ni à M. le ministre de la justice. Les dispositions du Code d'instruction criminelle relatives à la prescription sont applicables, suivant les distinctions qui y sont établies, aux faits prévus par la loi spéciale. Il n'est pas nécessaire de le dire.
Mais la commission adopte une disposition générale ainsi conçue :
« Dans les cas prévus par la présente loi, et par dérogation à l'article 638 du Code d'instruction criminelle, l'action publique et l'action civile ne se prescriront qu'après cinq années révolues, à compter du jour où le délit a été commis. »
C'est l'application à tout le code disciplinaire du dernier paragraphe de l'article 19 déjà adopté par la chambre. Ce paragraphe devra donc être supprimé à cet article.
En accordant cinq ans pour l'action publique, la commission a pensé que le délai serait suffisant pour se dispenser de dire, comme au paragraphe 2 de l'amendement, que la prescription ne court que du moment où la poursuite peut être exercée.
Enfin le dernier article du projet (65) est maintenu avec tous les chiffres des articles qu'il déclare applicables à la loi spéciale. On second examen de ces renvois en a confirmé l'utilité.
Tel est, messieurs, le résumé sommaire, mais complet, je pense, des délibérations de la commission spéciale et des propositions qu'elle m'a chargé de faire à la chambre.
M. de Brouckere. - Je demande l'impression de ce rapport et la remise de la discussion.
M. Veydt. - Il est entendu que ce n'est pas la remise à demain, la séance de demain devant être consacrée à la discussion de la question des sucres.
M. Lelièvre. - Il me semble que nous pourrions entamer immédiatement la discussion; car les amendements de la commission rentrent dans l'esprit des miens.
M. Van Iseghem. - Il y a d'ailleurs urgence.
M. Delfosse. - Il suffit que quelques membres déclarent qu'ils n'ont pas suffisamment compris le rapport, pour qu'on leur laisse le temps de l'examiner.
Il s'agit de peines très graves.
Il faut ordonner l'impression et la distribution du rapport et ajourner la discussion jusqu'après le vote du projet de loi sur les sucres.
- Cette proposition est adoptée.
Les articles de ce budget sont successivement adoptés dans les termes suivants.
« Art. 1er. Remboursement de cautionnements versés en numéraire dans les caisses du gouvernement, pour garantie de leur gestion, par des fonctionnaires comptables de l'Etat, par des receveurs communaux, des receveurs de bureaux de bienfaisance, des préposes de l'administration du chemin de fer, par des courtiers, des agents de change, etc., et par des contribuables, négociants ou commissionnaires, pour garantie du payement de droits de douanes, d'accises, etc. : fr. 1,200,000. »
« Art. 2. Remboursement de fonds perçus au profit de la caisse des veuves et orphelins des fonctionnaires civils : fr. 1,000,000. »
« Art. 3. Remboursement de fonds perçus au profit de la caisse des veuves et orphelins des officiers de l'armée : fr. 160,000. »
« Art. 4. Remboursement de fonds perçus au profit de la caisse des pensions et de prévoyance des instituteurs primaires : fr. 150,000. »
« Art. 5. Remboursement de fonds versés au profit de la masse d'habillement et d'équipement de la douane : fr. 250,000. »
« Art. 6. Emploi des subsides offerts pour construction de routes : fr. 300,000. »
« Art. 7. Attribution des parts des communes dans les frais de confection des atlas des chemins vicinaux : fr. 20,000. »
« Art. 8. Répartition des produits d'amendes, saisies et confiscations en matière de contributions directes, douanes et accises : fr. 120,000. »
« Art. 9. Frais d'expertise de la contribution personnelle : fr. 50,000. »
« Art. 10. Droits de magasin des entrepôts, perçus au profit des communes : fr. 40,000. »
« Art. 11. Remboursement d'impôts recouvrés au profit des provinces : fr. 2,680,000. »
« Art. 12. Remboursement d'impôts recouvrés au profit des communes= fr. 2,320,000. »
« Art. 13. Remboursement de la taxe provinciale sur les chiens : fr. 260,000. »
« Art. 14. Amendes diverses et autres recettes soumises aux frais de régie : fr. 120,000. »
« Art. 15. Idem de consignations non soumises aux frais de régie : fr. 1,000,000. »
« Art. 16. Remboursement de revenus perçus pour compte de provinces : fr. 470,000. »
« Art. 17. Remboursement de consignations de toute nature : fr. 1,500,000. »
Le texte du budget est adopté dans les termes suivants :
« Article unique. Le budget des dépenses pour ordre est fixé, pour l'exercice 1850, à la somme de onze millions six cent vingt mille francs (11,620,000), conformément au tableau ci-annexé. »
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de ce budget qui est adopté à l'unanimité des 60 membres présents.
Ce sont : MM. Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rollin, Rousselle, Schumacher, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse) , Van Grootven, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Christiaens, Clep, Cools , Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Renesse, Desoer, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Jullien, Julliot,. Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne et Verhaegen.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de projets de naturalisations ordinaires.
Le premier de ces projets est ainsi conçu :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut :
« Vu la demande du sieur Félix Pomiés, capitaine au 9ème régiment de ligne, né à Bayeux (France), le 25 janvier 1796, tendant à obtenir la naturalisation ordinaire ;
« Attendu que les formalités prescrites par les articles 7 et 8 de la loi du 27 septembre 1835 ont été observées;
« Attendu que le pétitionnaire a justifié des conditions d'âge et de résidence exigées par l'article 5 de ladite loi;
« Les chambres ont adopté et Nous sanctionnons ce qui suit :
« Article unique. La naturalisation ordinaire est accordée audit sieur Félix Pomiés. »
(page 1242) La formule qui précède est applicable à chacune des demandes des sieurs :
« Louis Magnin, adjudant sous-officier au 12ème régiment de ligne, né à Cudrefin (Suisse), le 12 février 1798.
« Joseph-Amand Wissocq, maréchal des logis chef au 2ème régiment de cuirassiers, né à Bourbourg (France), le 21 juillet 1811.
« François-Nicolas Etienne, employé de la compagnie concessionnaire du chemin de fer de la Flandre occidentale, né à Fléron (province de Liège), le 4 mai 1816, domicilié à Bruges, gouvernement belge.
« Philippe-Pierre Brandsmolier, dit Hausmann, sergent-armurier au 6ème régiment de ligne, né à Altendorff (Prusse), le 9 novembre 1796.
« Charles-Théodore Leichssenring, musicien-gagiste au 7ème régiment de ligne, né à Leipsig (Saxe), le 7 janvier 1816.
« Pierre-François-Joseph Laigle, maréchal-ferrant au 1er régiment de chasseurs à cheval, né à Fleurbaix (France), le 1er août 1797.
« Jean-Louis-Paul-Eugène Ladouce, particulier, né à Creveld (Prusse), d'un père français et d'une mère belge, le 22 mai 1812, demeurant à Anvers.
« Philippe-Auguste Ullmann, capitaine de 1ère classe au 5ème régiment de ligne, né à Darmstadt (Hesse), le 5 janvier 1805.
« Antoine-Joseph Robert, propriétaire, né à Utrecht (Pays-Bas), le 22 octobre 1801, domicilié à Capellen (Anvers).
« Jean-Louis-Alexandre Follet, ouvrier bijoutier, né à Pont-Sainte-Maxence (France), le 23 janvier 1820.
« Augustin-Scœvola Guillaumot, lieutenant-colonel, directeur de l'arsenal de construction, né à Quesnoy (France), le 20 mai 1799, domicilié à Anvers.
« Henri-Octave Valentin, sous-lieutenant au 12ème régiment de ligne, né à Lausanne (Suisse), le 21 avril 1809.
« Victor-Claude-Alexandre Guibert, étudiant, né à Meudon (France), le 5 décembre 1820, domicilié à Liège.
« Ferdinand-Isidore Chantraine, lieutenant au 1er régiment de cuirassiers, né à Wasseiges (Liège), le 20 juin 1807.
« Louis Bertrams, forgeron, né à Birgel (Prusse), le 13février 1811, domicilié à Herve.
Jean-Baptiste-Joseph Lacroix, instituteur communal, né à Dimechaux France), domicilié à Hantes-Wiheries (Hainaut).
« Jean-Jacques Bekkens, tailleur, né à Breskens (Pays-Bas), le 7 décembre 1814, domicilié à Nieuport.
« Corneille-Pierre Reniers, maréchal des logis, maître tailleur au régiment des guides, né à Anvers, le 16 janvier 1790.
« Nicolas Cheid, capitaine de 1ère classe au 9ème régiment de ligne, né à Trêves (Prusse), le 13 décembre 1807.
« André Peterson, propriétaire, né à Sowerby (Angleterre), le 3juillet 1800, domicilié à Rochefort (Namur).
« Zacharie-Zéphirin Merchie, médecin de régiment au 2ème régiment d'artillerie, né à Condé (France), le 17 mai 1806.
« Charles-Joseph Luyckx, trompette au 1er régiment de lanciers, né à Rethy (province d'Anvers), le 30 août 1806.
« Wenceslas-Joseph Henry, géomètre de 1ère classe du cadastre, né à Trêves (Prusse), le 28 septembre 1808, domicilié à Courtray.
- Ces projets sont successivement adoptés par assis et levé.
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Vu la demande du sieur Louis-Antoine Vanderomme, brigadier des douanes à Oostvleteren, né à Poperinghe (Flandre occidentale), le 22 août 1788, tendant à obtenir la naturalisation ordinaire;
« Vu l'article 2 de la loi du 15 février 1844 ;
« Attendu que les formalités prescrites par les articles 7 et 8 de la loi du 27 septembre 1835 ont été observées ;
« Attendu que le pétitionnaire a justifié des conditions d'âge et de résidence exigées par l'article 5 de ladite loi, et de la part qu'il a prise aux combats de la révolution;
« Les chambres ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit :
« Art. 1er. La naturalisation ordinaire est accordée audit sieur Louis-Antoine Vanderomme. »
- Adopté.
« Art. 2. Le sieur Louis-Antoine Vanderomme est exempté du droit d'enregistrement établi par l'article premierde la loi du 15 février 1844. »
- Adopté.
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble de ces projets.
57 membres sont présents.
45 adoptent.
8 rejettent.
4 se sont abstenus.
Ont voté l'adoption : MM. Liefmans, Loos, Mascart, Moncheur, Moreau, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Schumacher, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Van Grootven, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouckere (Henri), Delfosse, Deliége, de Meester de Renesse, Desoer, Destriveaux, Dolez, Frère-Orban, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne et Verhaegen.
Ont voté le rejet : MM. de Man d'Attenrode, de Perceval, de Royer, Dubus, Jacques, Jouret et Julliot.
MM. Prévinaire, David, de Brouwer de Hogendorp et Jullien se sont abstenus.
M. le président. - La parole est aux membres qui se sont abstenus pour motiver leur abstention.
M. Prévinaire. - Je me suis abstenu, parce que la liste contient des noms que je ne pouvais admettre et qu'il en est d'autres qui ont mes sympathies.
MM. David, de Brouwer de Hogendorp et Jullien déclarent s'être abstenus par le même motif.
M. Coomans, rapporteur. - « Par pétition datée d'Anvers, le 21 mars 1849, les sieurs de Gruytters, Van Put, et Lefever-Mols, fondateurs de la société d'irrigation de la Campine, demandent l'abrogation de la loi du 10 février 1843, relative à la canalisation de la Campine, l'abolition du péage sur le canal de Maestricht à Herenthals pour le transport des engrais et des matériaux nécessaires au défrichement des landes, et la remise des droits d'enregistrement et de transcription sur les bruyères qui seront achetées par la société à des communes. »
- Renvoi à MM. les ministres des finances et de l'intérieur.
M. Coomans. - Messieurs, votre commission des pétitions m'a chargé de vous présenter son rapport sur une triple demande qui vous est faite par la Société d'irrigation de la Campine. Bien que ses conclusions ne soient pas entièrement favorables aux pétitionnaires, elle reconnaît que leurs réclamations touchent à des besoins généraux dont l'importance justifie les développements où elle m'a permis d'entrer. La sollicitude avec laquelle vous suivez les progrès de l'agriculture m'autorise à croire que vous n'accueillerez pas sans intérêt les faits que je vais avoir l’honneur de vous exposer.
Le sol de la Campine ne diffère pas essentiellement des meilleures terres de la Flandre, de celles du pays de Waes, par exemple, considéré aujourd'hui comme le jardin de l'Europe. Il y a trois siècles, le pays de Waes était un désert de sable, moins peuplé que la Campine actuelle. Le défrichement s'y opéra peu à peu, à mesure que l'accroissement de la population, le renchérissement de la terre et la construction de routes nouvelles engagèrent nos ancêtres à cultiver cette partie du pays.
On doit rendre à la Belgique émancipée la justice de reconnaîtra qu'elle a beaucoup fait en faveur de l'agriculture. Depuis dix-huit ans la situation de la Campine s'est notablement améliorée. Des canaux et des routes pavées, des travaux d'irrigation et de dessèchement y ont été exécutés sur une grande étendue. Divers essais trop peu connus ont démontré que le sol de cette contrée n'est pas ingrat. Cependant elle renferme encore 150,000 hectares environ de terres incultes, c'est-à-dire cinq fois plus de terrains qu'il n'en faudrait fertiliser pour affranchir la Belgique de la contribution annuelle qu'elle paye aux producteurs de grains étrangers. Ce ne sera pas la moins belle ni la moins féconde de nos conquêtes si nous parvenons à faire disparaître les taches que nos landes laissent encore sur le sol national. La multiplication des chemins viables et des engrais peut seule nous conduire au but. Le moment est opportun pour entreprendre sérieusement ce grand travail. Les dernières crises industrielles et l'influence malheureusement très prononcée que les événements politiques exercent sur les spéculations manufacturières et sur le commerce, ramènent les capitaux vers l'exploitation des propriétés rurales, dont les produits ne seront jamais trop abondants, quoi qu'il arrive. Ce mouvement, qu'on peut qualifier d'heureux, est favorisé par la certitude qu'on a acquise que la culture intelligente des bruyères paye avec usure le travail et les capitaux qu'elle absorbe.
Les difficultés du défrichement sont grandes, mais non insurmontables. La première est le manque d'engrais; la seconde, la rareté des voies de transport; la troisième, la pauvreté relative des habitants de la bruyère. On triomphe de toutes par la formation des prairies artificielles, combinées avec la construction de canaux et de routes. On tournait dans un cercle vicieux aussi longtemps qu'on était obligé de rendre à la prairie l'engrais produit par le bétail qu'elle nourrissait. Il ne restait plus guère de quoi alimenter les terres labourables.
L'achat et le transport du fumier étaient des entreprises désavantageuses, si elles devaient être régulièrement renouvelées. Aujourd'hui qu'il suffit d'arroser périodiquement une prairie pour y obtenir une bonne et abondante récolte, le problème peut être regardé comme résolu. Des fermes grandes et petites ne tarderont pas de s'établir dans le voisinage des prés, et l'augmentation graduelle du bétail rétrécira chaque jour le cercle de la bruyère.
Les irrigations ne sont pas une invention récente. On les exécutait en Belgique dès les premières années du XVIIIème siècle, et plusieurs prairies artificielles furent créées en Campine, de 1770 à 1785. Mais l'ingénieur Ruminer a le mérite d'avoir bien démontré l'excellence de ce système, enjoignant la pratique au précepte. Le canal de la Campine, à la construction duquel il a largement participé, permet d'arroser plus de 23,000 hectares. Toutes les bruyères situées au-dessous du niveau des eaux peuvent être transformées en prairies. Les premiers essais ont parfaitement (page 1243) réussi. Les communes d'Overpelt et de Neerpelt offrent des échantillons très remarquables de ces entreprises. Plusieurs d'entre nous ont pu s'assurer que l'herbe obtenue dans ces prés artificiels est aussi touffue que dans la plupart des prés naturels. Ajoutons que la qualité du loin est bonne.
Ce genre de défrichement est fort simple. Le sol est nivelé avec soin et défoncé à une profondeur de 40 à 50 centimètres. La terre ferrugineuse est ramenée autant que faire se peut à la surface, où elle perd bientôt ses qualités nuisibles. Puis on dispose le sol en ados ou marchites, et l'on trace de nombreuses rigoles dans lesquelles on fait couler les eaux que procurent les grandes rigoles d'alimentation, nourries par le canal.
L'engrais n'est pas indispensable. Les expériences de M. le bourgmestre d'Overpelt sont décisives à cet égard. Toutefois si l'on veut obtenir des «produits dès la première année, il faut répandre sur le sol pour 150 à 200 fr. d'engrais par hectare. Les composts sont préférés. Si l'on joint à cette somme 630 à 700 fr. de main-d'œuvre, et le prix d'achat de la bruyère, on trouve que l'hectare bien défriché revient à 950 ou 1,000 fr. Le produit moyen des dernières années a été de 150 francs, soit 15 p. c.
Ces résultats sont si avantageux et si assurés qu'on est surpris au premier abord, du peu de concurrence que les défricheurs rencontrent. Quelques centaines d'hectares seulement ont été mis en rapport depuis trois années. Mais l'étonnement cesse quand on réfléchit que les capitaux sont rares et que l'irrigation ne peut être généralement pratiquée avec bénéfice que sur des terrains d'une assez grande étendue, à cause des travaux d'art que nécessite la construction des prises d'eau et des rigoles d'alimentation. Il n'y a guère que des hommes riches ou des sociétés qui puissent faire une avance de fonds aussi considérable.
La statistique a clairement établi aujourd'hui que notre production de bétail est insuffisante, tant sous le rapport des terrains de l'agriculture que sous celui de la consommation. Nous ne possédons que 41 têtes de gros bétail par kilomètre carré, tandis que la Hollande et l'Angleterre en comptent 60 au moins pour la même étendue de territoire. La proportion nous est encore plus défavorable au point de vue de la population.
En 1846, il n'y avait en Belgique que 277 bêtes bovines par 1,000 habitants, tandis que la Hollande et la plupart des contrées de l'Allemagne, le Wurtemberg notamment, comptent un nombre de bestiaux double à peu près pour la même population, et qu'en Angleterre notre chiffre est presque triplé. A cet égard nous sommes au-dessous de la France, où il y a 292 bêtes à cornes par 1,000 habitants, ce qui indique que le peuple belge est l'un de ceux de l'Europe à qui le gros bétail fournit le moins de ressources alimentaires.
La qualité de notre bétail s'est assurément améliorée, elle s'amende tous les ans d'une manière assez sensible. D'après des calculs probables, il représente aujourd'hui 270 millions de francs. Mais, amour-propre national à part, nous devons reconnaître que tous nos voisins, à l'exception de ceux du midi, ont sur nous l'avantage de la qualité comme de la quantité,
Quant aux ressources alimentaires que notre bétail fournit annuellement au pays, elles sont comparativement restreintes. Il ne nous donne pas au-delà de 16 millions de kilog. de viande de boucherie par an. Encore faut-il défalquer de ce chiffre notre bétail gras exporté. Chaque habitant ne dispose pas de 4 kil. de viande. En y ajoutant le mouton et le porc (environ 18 millions de kil.), on trouve que la portion de denrée animale ne dépasse pas 8 kil. par individu. Il convient de remarquer en outre que nos douze principales villes, n'ayant ensemble qu'une population de 324,210 habitants, consomment plus du tiers de la viande produite dans tout le pays, quoique chaque citoyen de ces villes ne dispose pas en moyenne de 40 kil. (le mouton et le porc compris).
Ces conclusions sont justifiées par les chiffres suivants :
Sur 1,099,280 têtes de bétail que nous possédions en 1846, nous en avons engraissé 73,005. Comme le rapport des bœufs aux vaches est de 7 pour cent, et comme le poids moyen des animaux livrés à la boucherie ne dépasse pas 400 kilog. pour les bœufs, 300 kilog. pour les vaches, 250 kilog. pour les génisses, on peut déterminer d'une manière approximative la quantité de viande brute mise à la disposition du pays. On obtient ainsi les résultats suivants pour la moyenne de 1845 et 1846 : 1,477,600 kilog. de viande de bœuf, 14,724,600 de vache et 6,400,250 kilog. de viande de jeunes bêtes.
Les pays voisins, notamment la Néerlande, nous mettent largement à contribution pour cette denrée. La statistique commerciale de 1847 (la dernière publiée) constate que nos importations en bétail ont été de 15,058 bœufs et vaches, de 6,735 génisses, de 4,526 veaux et de 30,288 moutons. Ces quatre articles sont respectivement évalués à fr. 3,165,540, 1,212,300, 226,300 et 605,760, soit environ 5 millions. Nos exportations sont loin d'atteindre le chiffre de trois millions de francs. Si nous remarquons que la Hollande figure pour les cinq sixièmes dans nos achats, et la France pour quatre cinquièmes dans nos ventes, nous sommes amenés à nous convaincre que le développement de nos étables est le progrès le plus urgent et le plus profitable que notre industrie agricole puisse réaliser. Il aurait le quadruple avantage de nous affranchir du tribut que nous payons à la Hollande, de nous mettre en possession du marché français, n'étendre notre consommation et de pousser au défrichement de nos bruyères.
Malheureusement les prairies nous font défaut. Notre déficit en foin est considérable! Aucune de nos provinces n'en récolte assez pour les besoins de son bétail. Toutes doivent ou acheter à l'étranger, ce qui est la principale cause de l'état stationnaire de nos étables. Il est bien vrai que la partie de la Belgique qui voisine la France fournit à celle-ci une quantité de foin égale aux trois quarts de celle que la Hollande nous procure; mais la seule induction à tirer de ce fait, c'est que le manque de fourrage est encore plus sensible dans les départements du nord que dans nos provinces méridionales. Le tableau suivant, est curieux à constater (tableau non inséré dans cette version numérisée).
Les terres arables ont aujourd'hui trop de valeur, et notre déficit annuel de céréales est trop sensible pour que nous osions conseiller à nos cultivateurs de transformer leurs guérets en prairies. Quelques-uns l'ont fait sans perte, d'autres même y ont gagné; mais au point de vue de l'intérêt général, cette spéculation n'est pas sans offrir des inconvénients. L'exemple de certains districts de l'Angleterre et de l'Ecosse où elle s'est propagée, prouve qu'elle est particulièrement nuisible aux classes pauvres dont elle détruit les habitations et ruine l'existence. Il ne faut pas se le dissimuler, la grande culture devient difficile à mesure que la population s'accroît. Cependant, comme la nécessité d'augmenter nos fourrages n'est pas contestée, comme elle est urgente, force nous est de créer des prairies dans la partie de notre sol jusqu'à ce jour abandonnée. Le vaste plateau de la Campine se prête admirablement à cette entreprise. Les rivières et les ruisseaux qui le sillonnent, le canal qui en traverse la crête offrent de grands éléments de succès.
Après tout, la Campine renferme de beaux et fertiles villages dont le sol verdoyant, semblable à des oasis, fut conquis sur le désert par le patriotique courage de nos aïeux. Les éléments géologiques de cette contrée sont absolument les mêmes que ceux du pays de Waes, dont la culture est exemplaire. Rien n'empêche que les 130,000 hectares de landes qui font encore tache sur la carte de la Campine ne ressemblent un jour aux terres fécondes qui entourent les clochers de Gheel, Moll, Westerloo, Baelen, Rethy, Arendonck, Overpelt, Lommel, etc. Il importe grandement, selon nous, que cette vérité soit bien connue, et que des préventions, dont l'expérience démontre l'injustice, cessent d'effrayer les travailleurs et les capitalistes. Nous le disons avec bonheur, le gouvernement belge a beaucoup fait pour atteindre le but que nous devons tous avoir en vue. Quelles que soient les souffrances qu'elle endure encore, la Campine lui en sait gré. Elle a foi dans un meilleur avenir, et elle est parfaitement disposée à suivre la généreuse impulsion qu'on lui donne.
Reconnaissons aussi qu'ils méritent nos éloges, les hommes qui consacrent leur intelligence, leurs bras ou leurs capitaux à l'œuvré du défrichement. La commission des pétitions a examiné avec intérêt la demande qui vous a été adressée par les estimables fondateurs de la société d’irrigation de la Campine, demande tendant à obtenir : 1° la suppression des annuités que la loi du 10 février 1843 impose aux riverains du canal de la Campine ; 2° l'abolition du péage sur les diverses sections du canal pour le transport des engrais et des matériaux nécessaires au défrichement; et 3° la remise des droits d'enregistrement et de transcription sur les bruyères communales que la société se propose d'acheter encore.
Des motifs sérieux sont allégués à l'appui de ces trois demandes. Une (page 1244) foule de pétitions relatives à la première vous ont déjà été soumis. On prétend que le principe de la contribution extraordinaire imposée aux propriétaires riverains n'est que très exceptionnellement appliqué en Belgique, et qu'il lèse fortement les intérêts de la partie la plus pauvre et la plus abandonnée du pays.
En ce qui concerne la gratuité des transports, on assure qu'elle est indispensable aux défricheurs, attendu que la cherté des engrais leur est déjà une entrave redoutable. Quant à l'exemption de certains droits fiscaux, on prétend la justifier par le raisonnement que voici: la société anversoise, observe-t-on, n'acquiert pas les bruyères pour elle-même, ni pour les constituer en mainmorte. Elle les achète afin de les défricher et de les revendre ensuite, lorsque la valeur en aura peut-être quintuplé. La seconde mutation doit avoir lieu endéans les dix années puisque l'existence de la société ne dépassera pas ce terme. Or, ajoute-t-on, est-il équitable de lui faire payer aujourd'hui des droits pour la bruyère qu'elle achète à titre de matière première, et de lui en imposer de plus considérables encore lorsque les landes, devenues prairies et terres arables, seront remises en vente? La Société demande donc qu'il lui soit fait remise des droits d'enregistrement et de transcription pour les achats de bruyères communales. Elle pense que, loin de froisser ainsi l'intérêt du trésor, elle lui ménage des ressources précieuses pour l'époque fixée de sa dissolution.
Votre commission, messieurs, ne dissimule pas les sympathies que lui inspire la spéculation agricole des pétitionnaires, ni le vif désir qu'elle éprouve de voir le gouvernement persister dans la voie des encouragements où il est entré. Elle souhaite que l'état de nos finances permette bientôt aux pouvoirs législatifs d'accorder à l'agriculture la protection ultérieure qu'elle réclame sous forme de routes et de canaux. Si d'autres faveurs semblent utiles, elle y souscrira sans répugnance, dès que l'intérêt général les justifiera. Dans les circonstances actuelles, votre commission croit devoir se borner à renvoyer la demande des pétitionnaires à MM. les ministres des finances et des travaux publics.
M. Prévinaire. - Et au ministre de l'intérieur.
M. Coomans, rapporteur. - Non ; il n'y a là aucune demande qui le concerne; sans quoi nous aurions volontiers proposé le renvoi à l'honorable ministre dont nous connaissons la sollicitude pour les intérêts agricoles. Il s'agit d'une exemption de péages pour le transport des engrais sur les voies navigables de l'Etat, de la remise des droits d'enregistrement et de transcription, et de l'abolition de la partie fiscale de la loi du 10 février 1843, trois objets qui sont de la compétence de MM. les ministres des finances et des travaux publics. Du reste, puisque M. le ministre de l'intérieur est présent, je prends la liberté de lui recommander tout particulièrement cette pétition.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
La séance est levée à 4 heures et un quart.