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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 21 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1047) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 1heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. Troye lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Cornu présente des observations concernant le projet de loi sur la contribution personnelle. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1849

Rapport de la section centrale

M. Bruneau, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi de budget du département des travaux publics, dépose le rapport sur ce budget.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met ce budget à l'ordre du jour immédiatement après la discussion sur le projet de loi relatif au droit de succession.

Projet de loi sur les droits de succession

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. Dumortier.

M. Dumortier. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai eu l'honneur de montrer à la chambre combien le projet présenté par le gouvernement était peu nécessaire à notre situation financière; j'ai eu l'honneur de démontrer à la chambre que notre situation financière, si magnifique au mois de novembre dernier, s'est subitement changée dans la main habile de M. le ministre des finances en un fantôme noir, effrayant, qui exige du pays un sacrifice de 7 à 8 millions de nouveaux impôts.

Au mois de décembre dernier, le budget se présentait avec un excédant de 6 millions de francs. Mais en en déduisant les 1,800,000 francs proposés pour le droit de succession en ligne directe, l'excédant réel du budget, l'excédant des recettes sur les dépenses était encore de 4 millions 200,000 francs.

Aujourd'hui le ministère demande d'ajouter à cet excédant encore 7 à 8 millions de nouvelles ressources.

Il est vrai que le budget de 1850 devra nécessairement comprendre des dépenses qui ont été écartées du budget de 1849. Mais ces dépenses, quelles qu'elles puissent être, ne pouvant s'élever au-delà de l'excédant disponible du budget que nous sommes appelés à voter en ce moment, cet excédant qui, déduction faite du droit de succession en ligne directe, s'élève, je le répète, à la somme de 4,200,000 francs, doit présumablement suffire à nos dépenses ordinaires.

J'ajouterai que M. le ministre des finances lui-même nous a fait connaître qu'un million d'excédant était nécessaire.

J'aurais désiré, messieurs, pouvoir prendre connaissance des budgets de 1850 qui ont été déposés, il y a quelques jours, sur le bureau de la chambre. Malheureusement ces budgets ne se trouvent, ni au bureau, ni à la questure, ni au greffe. Il m'a été impossible d'en prendre connaissance. Je dois donc raisonner sur les données générales de M. le ministre des finances.

Or, dès l'instant que, pour l'exercice 1850, un million de plus sera nécessaire, il est évident que nous n'avons nul besoin de voter, dès aujourd'hui, une loi que le pays repousse et qui formera, d'après M. le ministre des finances, un revenu annuel de 3,000,000 de fr. Ce serait 2,000,000 de francs de plus que les nécessités, et nous n'avons pas besoin de voter, à l'avance, des impôts nouveaux au-delà des nécessités du budget.

Que si des ressources étaient nécessaires, que s'il était démontré à la chambre qu'un million est nécessaire pour équilibrer les recettes et les dépenses, inévitablement l'assemblée ne laissera jamais le trésor public en déficit. Ou bien elle opérera, suivant les uns, par voie d'économie; ou bien elle opérera, suivant les autres, par voie d'augmentation; mais (page 1048) toujours est-il que l'assemblée ne laissera pas le trésor public en déficit. Seulement elle entendra se réserver l'examen des moyens, comme elle l'a fait en 1840, et c'est certainement ce qu'elle prétend encore faire en 1850. Mais voter à l'avance des impôts sans savoir àquoi ils sont destinés, alors qu'à l'époque des élections de juin dernier, le peuple entier s'est écrié qu'il ne fallait plus d'impôts nouveaux, ce serait de notre part une imprudence que nous nous garderons bien de commettre; car nous ne pouvons établir de nouveaux impôts sans savoir à quoi ils sont destinés, quels sont les besoins du trésor public.

Or, ces besoins, nous ne les connaissons pas. Il n'est qu'une chose que nous connaissions jusqu'à présent, c'est le budget de l'exercice 1849, budget qui se balance, par un excédant de recettes sur les depenses de 4,200,000 fr. Dès lors la situation actuelle, comme l'a encore répété M. le ministre des finances, n'exige pas d'impôts nouveaux. Pourquoi donc venir, pour un exercice futur, pour des besoins qui nous sont inconnus, demander à l'assemblée le vote d'un impôt que le pays repousse, qui demanderait aux contribuables trois millions d'augmentation de revenus, alors que, d'après le dire de M. le ministre des finances lui-même, un seul million est nécessaire?

Au reste encore une fois, et je demande que cela soit bien entendu, quel que soit le chiffre du déficit que puisse présenter le budget de l'an prochain, la chambre tout entière ne consentira pas à laisser le budget en déficit. Mais elle se réservera l'examen des moyens. Elle verra si c'est au moyen des économies ou si c'est au moyen d'impôts nouveaux, ou peut-être au moyen de l'un et de l'autre, qu'elle doit pourvoir au déficit. Mais la chambre ne donnera pas à l'avance son vote à des impôts dont elle ne peut connaître l'emploi.

J'ai montré ensuite à l'assemblée que si des millions de plus étaient nécessaires, que si 7 à 8 millions étaient demandés, c'était visiblement pour faire de grandes dépenses en travaux publics; et je ne pense point, messieurs, que dans la situation financière actuelle il y ait lieu de nous livrer à de pareilles entreprises.

La situation financière n'est point aussi noire que l'a dit M. le ministre des finances. Il est vrai que nous avons voté depuis quelque temps certaines réductions sur les impôts indirects. Par exemple, M. le ministre des finances a cité lui-même la loi sur la réforme postale qui doit amener une réduction d'environ un million sur notre budget; mais si les journaux d'hier sont bien informés, la commission du sénat conclut, à l'unanimité, à l'ajournement de cette loi. C'est donc déjà un million que nous allons retrouver de ce chef. (Interruption.) Messieurs, nous ne faisons pas la loi à nous seuls ; le sénat la fait avec nous, et s'il ne l'accepte pas, force nous sera de continuer le régime dans lequel nous nous trouvons. (Interruption.) Je n'examine, messieurs, point ce que fait le sénat, je n'approuve ni ne désapprouve; je constate simplement les faits.

Vous le voyez donc, messieurs, si la proposition de la commission est adoptée par le sénat, vous aurez un million de moins en déficit. Ce n'est pas tout, vous aurez probablement des moyens de faire face aux dépenses, et des moyens beaucoup moins impopulaires que celui qui vous est présenté; mais, dans tous les cas, la différence, quelle qu'elle soit, sera couverte' par la chambre.

Au surplus, le moyen qu'on vous présente est-il le seul? Est-il indispensable? Est-il nécessaire? Personne n'oserait le dire. Et déjà j'ai été heureux d'entendre M. le ministre des finances dire, dans son discours, que si le moyen dont nous nous occupons n'est pas accepté par l'assemblée, il aura recours à d'autres moyens. Je ne puis que le féliciter de cette déclaration.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit qu'il fallait cela et d'autres ressources encore.

M. Dumortier.-— Ainsi, pour ressusciter la fameuse loi du 22 février 1848...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour payer nos dettes et pour faire face aux besoins de l’Etat.

M. Dumortier. - Vous l'affirmez, mais cela ne suffit pas; il ne suffit pas que de pareilles assertions soient émises, il faut qu'elles soient examinées. La chambre a beaucoup de confiance en vous, mais la chambre ne doit pas s'incliner devant une simple affirmation de votre part ; il ne suffit pas de dire : Le maître l'a dit. Nous sommes les mandataires du peuple, et notre devoir est d'examiner les mesures qu'on nous propose.

Je ne puis, moi, partir que d'une donnée certaine, et il n'y en a qu'une seule, c'est le budget de l'exercice dans lequel nous nous trouvons; or, encore une fois, cet exercice balance par un excédant de 4,200,000 fr. des recettes sur les dépenses.

Voyons, messieurs, maintenant le projet de loi qui nous est présenté.

Dans le discours du trône, une chose avait été accueillie avec un extrême enthousiasme par la chambre et par le pays : c'est l'annonce que de nouveaux impôts ne seraient pas nécessaires; la Belgique entière ne pouvait que se féliciter de cette déclaration, répétée, au surplus, à cette époque, par les ministres. Nous devions donc espérer de ne pas voir présenter de lois d'impôts nouveaux, et ce n'est pas sans surprise que nous avons vu apparaître tout à coup dans cette chambre le projet de loi qui est aujourd'hui en discussion.

Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis contient deux principes différents : l'impôt sur les successions en ligne directe, le serment en ligne collatérale. J'examinerai successivement l'un et l'autre de ces deux principes.

L'impôt sur les successions en ligne directe est né avec la révolution française, c'est le rétablissement de l'ancien droit de mainmorte. Cet impôt n'est pas du tout ce que prétend M. le ministre des finances: l'impôt sur la ligne directe, qui existe encore en France tel qu'il a été créé, n’est pas d'un pour cent sur tout l'avoir des familles, mais d'un quart pour cent sur les valeurs mobilières, et d'un pour cent sur les immeubles. Mais comment étaient cotés les immeubles? On les comptait d'après la valeur cadastrale, on estimait leurs revenus au denier 20; or, comme' il n'y a plus en France de propriété qui rapporte 5 p. c, il en résulte que l'impôt d'un pour cent sur les immeubles s'élevait tout au plus à 60 centimes pour cent. (Interruption.)

On me dit : « C'est une valeur brute. » Mais, messieurs, veuillez-le remarquer, l'impôt d'un p. c. sur la valeur nette mobilière et immobilière, est infiniment plus considérable que l'impôt de 60 centimes p. c. sur la valeur brute; comme l'impôt d'un p. c. sur les meubles est quatre fois plus considérable que l'impôt de 25 centimes p. c. qui existe en France.

Il y a autre chose à considérer, c'est qu'en France les rentes sur l'Etat ne payent rien pour le droit de succession, tandis que chez nous les rentes sur l'Etat ne seront pas exemptes du droit de succession.

Ainsi, l'exemple de la France, qu'on invoque, reçoit dans le projet de M. le ministre des finances une aggravation effrayante : il est plus que doublé en réalité. Voilà ce que je prie la chambre de vouloir bien remarquer.

Nous verrons dans un instant comment cet impôt a été remplacé après la chute de l'empire français en Belgique. Le droit sur les successions en ligne directe excitait en Belgique de vives réclamations. De tous les impôts perçus à cette époque, c'était sans comparaison celui qui avait soulevé la plus unanime réprobation. Aussi, à peine arrivés sur notre territoire, les alliés s'empressèrent-ils de prononcer la suppression du droit sur les successions en ligne directe.

Permettez-moi, messieurs, de vous dire ce que disaient à cette époque les commissaires des alliés, lors de leur entrée dans nos provinces. Le 26 février 1814, le gouverneur général du moyen Rhin, dont dépendait tout le pays d'Outre-Meuse, s’exprimait ainsi :

« Sans cesse occupé de faire cesser, autant que possible, les plaintes que forment les habitants du moyen Rhin, concernant les droits vexatoires et ruineux dont le gouvernement français les a chargés, j'ai résolu de supprimer l'espèce la plus importante, la plus odieuse... ce sont les droits qu'a exigés jusqu'ici l'Etat en cas de mort et de succession. »

Voilà ce qu'on considérait alors comme l'impôt le plus odieux. De même à Bruxelles, le 2 mars 1814, un mois après l'entrée des alliés, MM. Delotune et Delius, commissaires généraux de la Belgique pour les puissances alliées, abolissaient les droits de succession en ligne directe comme la mesure la plus odieuse qu'avait établie le gouvernement français. Le roi des Pays-Bas, à son entrée en Belgique, trouva l'impôt sur les successions en ligne directe supprimé; d'autres impôts l'avaient été également. On les rétablit tous, celui-là seul excepté. Dans le cours de son règne, ce souverain a passé par des temps difficiles, il s'est trouvé dans une position financière excessivement délicate, rendons-lui cette justice, jamais il n'a voulu qu'on présentât à la chambre le droit de succession en ligne directe qu'il considérait comme le droit le plus odieux; il préféré d'autres impôts que je n'ai pas besoin de rappeler qui sont encore présents à votre mémoire, plutôt que de consentir au rétablissement de droit de succession en ligne directe. Mais en revanche qu'a-t-il fait? Il y avait dans le trésor public un déficit considérable par suite de la suppression du droit sur les successions en ligne directe. Que fit-on? On doubla le droit sur les successions en ligne collatérale afin de combler le déficit résultant de la suppression du droit de succession en ligne directe, et cette modification fut accueillie par le pays avec la plus vive reconnaissance.

Par là, tandis que le droit de succession en ligne collatérale est à peine de 6 p.c. en France, il s'élève en Belgique, additionnels compris, à 15 p. c. Nous payons maintenant plus du double de ce qui se paye en France pour les successions en ligne collatérale; pourquoi cette augmentation? Pour remplacer le droit de succession' en ligne directe.

Maintenant le ministère veut bien perdre de vue cette différence, il veut bien perdre de vue le motif qui a fait doubler l'impôt de succession en ligne collatérale. Nous sommes donc en droit de lui dire : Si vous demandez l'établissement de l'impôt de succession en ligue directe à l'exemple de la France, pourquoi ne réduisez-vous pas l'impôt sur les successions en ligne collatérale au taux auquel il est en France? Ce serait logique. Mais je ne le veux pas, je préfère, avec tous les Belges, doubler le droit sur les successions en ligne collatérale que de voir rétablir le droit de succession en ligne directe.

Le système plein de sagesse du roi Guillaume, et qui nous régit encore, devrait servir de base au gouvernement; il devrait comprendre que puisqu'on a doublé l'impôt sur les successions en ligne collatérale pour remplacer le droit sur les successions en ligne directe, il devient superflu, inutile de représenter l'emploi sur les successions en ligne directe.

On nous demandera : Pourquoi le pays repousse-t-il avec une telle unanimité le droit qui vous est présenté? La réponse est facile: c'est que ce droit est injuste, antidémocratique, odieux, qu'il introduit des vexations dans les familles. L'impôt est injuste parce que, d'après le Code qui nous régit, la fortune du père de famille ne lui appartient pas à lui seul, mais à la famille; tout enfant en naissant apporte en quelque sorte, d'après nos lois, avec lui une partie de l'avoir du père de famille ; le père considéré comme (page 1049) membre de la famille, n'est propriétaire que de la part d'un entant, et les lois lui interdisent toute disposition au-delà de cette part.

Tout enfant en naissant apporte avec lui une part de la propriété de son père, et le père ne peut disposer de cette part.

Voilà les principes sur lesquels reposent nos lois civiles; c'est le principe qui découle des dispositions du code.

D'un autre côté, combien de fois n'arrive-t-il pas, dans les familles, que ce sont les enfants qui ont acquis la majeure partie de la fortune du père ! Rien n'est plus difficile à un homme qui s'élève que d'acquérir ses premiers capitaux. Souvent il travaille une grande partie de sa vie à acquérir une petite fortune, et lorsqu'il a acquis son premier capital, souvent il est arrivé à un âge où il ne peut le faire fructifier utilement; alors sa famille lui vient en aide, elle introduit dans la maison de commerce son activité ; elle développe les capitaux; la fortune s'augmente rapidement et considérablement, et ce sont les enfants qui ont eux-mêmes créé la plus grande partie de cette fortune. Ainsi en établissant tin droit sur les successions en ligne directe ; ce serait le travail des enfants que vous viendriez frapper le jour de la mort du père. Mais c'est une révoltante injustice ! Frapper quelqu'un pour le travail qu'il a fait, c'est quelque chose d'inconcevable !

La loi est encore injuste à un autre point de vue. Dans une succession en ligne directe, s'il n'y a pas de mineurs, on pourra faire la déclaration que l'on voudra; tandis que, s'il y a des mineurs, et par là des inventaires judiciaires, il faudra que la déclaration soit faite exactement, et le droit sera acquitté intégralement.

De manière que la loi aura deux poids et deux mesures : Le payement du droit sera forcé, lorsqu'on aura fait un inventaire pour les mineurs; il sera facultatif lorsqu'on n'aura pas besoin de cet inventaire.

J'ai dit que la loi était illibérale ; en effet elle frappe bien plus les petites familles que les grandes. Sur les grandes fortunes, la loi prend quoi ? Une part du revenu. Sur les petites familles qui ont besoin de leurs capitaux pour le travail, elle payera, quoi ? Vie part des capitaux. Or, ces capitaux sont un élément essentiel du travail. Vous venez les réduire lorsqu'ils sont en voie de production et de prospérité.

Et puis ne tiendrez-vous pas compte de cette disposition en vertu de laquelle le petit bourgeois, le petit négociant devra déposer le bilan de la famille, le jour de la mort du père? C'est tout ce qu'il y a de plus odieux.

Comment ! lors de la mort du père, il faudra que les enfants viennent déposer leur bilan! Que devient alors le crédit privé? Savez-vous, messieurs, pourquoi cette loi excite une si vive réprobation dans le pays, pourquoi elle soulève la classe industrielle plus encore que celle ces propriétaires? Ce n'est pas comme impôt ; c'est à cause de cette obligation à toutes les familles de déposer leur bilan à la mort de leurs parents. Le secret des affaires, c'est le secret de la famille. Il n'appartient pas au fisc d'y porter ses regards. C'est là, pour moi, le motif principal de la .vive réprobation que le projet de loi a rencontrée dans le pays.

Voyez au reste comment M. le ministre des finances se met en contradiction avec lui-même.

Examinez les motifs du projet de loi sur la contribution personnelle qui vous est présenté par M. le ministre des finances. Qu'y lisez-vous? M. le ministre des finances dit que cette loi qu'elle supprime le droit sur les foyers, afin d'éviter dans les maisons des investigations pour le moins vexatoires, c'est-à-dire odieuses.

M. le ministre des finances va plus loin encore. Il ne compte comme portes et fenêtres que les fenêtres extérieures et inférieures.

« La disposition, dit-il, est conçue dans la pensée d'éviter l'accès dans les habitations aux agents de la cotisation.... Le contribuable cessera ainsi d'être soumis à des investigations au moins gênantes. »

Comment ! vous ne voulez pas que les agents du fisc pénètrent dans les maisons pour compter les foyers qui s'y trouvent, vous voyez là une mesure vexatoire. Vous ne voulez pas que les agents du fisc comptent les portes et les fenêtres d'une maison ; vous voyez là une mesure vexatoire, et vous avez raison. Mais vous voulez bien que l'on compte les écus qui se trouvent dans leur caisse; vous ne trouvez pas cela vexatoire. Voilà ce que je ne conçois pas. Certes si l'une des deux mesures est vexatoire, n'est-ce pas celle qui introduit l'agent du fisc dans le secret de la famille, qui permet à son œil scrutateur de fouiller dans les replis les plus intimes, qui force une famille éplorée à lui divulguer des douleurs qu'elle cherche souvent à cacher au prix des plus durs, des plus généreux sacrifices, et l'on veut établir ce système inquisitorial dans un pays comme le nôtre, où l'on vit de crédit. C'est donc la guerre au crédit qui est ici en jeu ; c'est lui que l’on compromet par le projet de loi sur lequel on vous demande un vote.

C'est précisément parce que la Belgique est un pays de crédit que le droit sur les successions en ligne directe a toujours été repoussé par le roi Guillaume qui entendait si bien toutes les questions de crédit, et qui comprenait que tout ce qui peul y porter atteinte est fatal à la prospérité publique.

En résumé, qu'est-ce donc que cette mesure ? Il ne faut pas s'y tromper. C'est une véritable inquisition. Or, toute mesure inquisitoriale a toujours été repoussée par les Belges. De même que l'inquisition a été repoussée sous le duc d'Albe, de même la Belgique entière repousse la mesure inquisitoriale qui vous est aujourd'hui proposée ! En Belgique, pas d'inquisition !

Je dis qu'il n'y a pas de mesure plus funeste que celle qui tend à affaiblir le crédit chez le petit négociant. Allez dans les rues de nos villes, que voyez-vous sur l'enseigne des boutiques? Vous y voyez en grosses lettres inscrit sur la porte le mot Probité. C'est à cause de la probité du négociant et de sa fortune supposée qu'on lui donne un crédit. Mais le jour où vous l'aurez forcé à déposer son bilan entre les mains du fisc, à divulguer le secret de ses affaires, vous aurez ébranlé sensiblement la confiance qu'il doit inspirer au banquier.

Ici je dois combattre l'opinion qu'énonce l'honorable M. Frère, lorsqu'il dit que le crédit est, non pas matériel, mais personnel. C'est une erreur. Le crédit est à la fois personnel et matériel. Il est proportionné à la probité et aux capitaux. Il n'en est jamais autrement, toute mesure qui porte atteinte au crédit est essentiellement antidémocratique, et ce n'est pas le moindre reproche que l'on puisse adresser à la loi.

La deuxième mesure que le gouvernement propose, c'est d'établir le serment en matière de succession en ligne collatérale. Cette mesure a été jugée depuis longtemps par la Belgique. Introduite par le roi Guillaume dans la loi de 1817, vous n'ignorez pas qu'elle formait un des griefs de la Belgique, un de ces griefs qui ont donné lieu à la révolution. Aussi dès les premiers jours de la révolution le gouvernement provisoire n'a rien eu de plus empressé que de faire disparaître le serment en matière de succession.

Ouvrons le bulletin de lois ; examinons ce que dit le gouvernement provisoire lui-même; nous aurons le jugement le plus clair, le mieux motivé qu'on puisse rencontrer en cette matière.

« Considérant (dit le gouvernement provisoire) qu'indépendamment de l’immoralité dont se trouve entacher un pareil système de législation, puisqu'il tend à placer les citoyens entre leur intérêt et leur conscience, le serment qui, en matière civile, met la partie à l'abri de toute recherche ultérieure du chef de l'objet du serment, puisqu'il est décisoire (article 1357 et suivants du Code civil), ne la garantit pas des poursuites qui pourraient nonobstant être exercées en matière de succession, s'il était reconnu que dans une déclaration il y a omission et fausse évaluation (article 15 et 16 de ladite loi) ;

« Arrête :

« Le serment prescrit par l'article 13 de la loi du 27 décembre 1817 est aboli, et remise est faite de toutes les amendes encourues pour défaut de prestation de serment ou de remises des pièces qui la constatent.

« Bruxelles, le 17 octobre 1830.

« Le comité central, « (Signé) : De Potter, Comte Félix de Mérode, Ch. Rogier. A. Gendebien. Sylvain Van de Weyer. »

Voilà, messieurs, l'opinion du gouvernement provisoire, dont nous nous félicitons de trouver encore un des membres dans le sein du cabinet actuel ; voilà, dis-je, son opinion en ce qui concerne les successions en ligne collatérale dont le projet nous est aujourd'hui présenté.

Qu'est-ce que le serment en matière de successions en ligne collatérale? C'est une mesure entachée d'immoralité et qui met le citoyen entre sa conscience et son intérêt. Tel est le jugement que porte sur cette disposition le gouvernement provisoire. Eh bien! Ce que vous présente aujourd'hui M. le ministre des finances, c'est une mesure entachée d'immoralité, parce qu'elle met le citoyen entre sa conscience et ses intérêts. C'est pour cela, messieurs, que je ne veux pas d'une pareille mesure, d'une mesure qui met le citoyen entre sa conscience et son intérêt et qui l'expose chaque jour à se parjurer et qui accorde une large prime au parjure.

Je ne puis pas admettre que le serment, qui est une chose sacrée, une chose sainte, puisse servir comme instrument au fisc.

S'il est vrai que le serment est un instrument utile pour récupérer les impôts, alors soyez conséquents, soyez logiques. Etablissez le serment d*ns toutes les matières fiscales. Etablissez-le, lorsqu'il s'agit de déclarations pour les douanes, de déclarations pour les accises. Etablissez-le lorsqu'il s'agit de toute espèce de déclarations fiscales. Alors vous serez logiques. Mais aussi avant trois ans, je vous promets une chose, c'est que vous aurez complètement démoralisé le pays. Le jour où vous accordez une prune au parjure, vous y provoquez.

Messieurs, tons les hommes qui ont étudié la marche de la société en Belgique n'ont que trop observé combien l'emploi du serment en matière fiscale, sous le gouvernement hollandais, a été nuisible à la moralité publique.

J'ai souvent entendu les hommes les plus éclairés, et dans le barreau, et dans la magistrature, me dire que la loi de 1817 qui prescrivait le serment, comme mesure fiscale, avait eu des conséquences fatales pour la moralité du pays. J'ai souvent entendu les magistrats déplorer que, depuis lors, on voyait une foule de faux serments en justice; et ils l'attribuaient à cette cause principale : l'habitude qu'on avait donnée au peuple de prêter serment, en le mettant entre sa conscience et son intérêt ; la prime accordée par la loi au parjure.

Mais voyez au reste combien le système de M. le ministre des finances est singulière en pareille matière. Le serment n'existe pas sur les immeubles; il n'est établi que sur les meubles. Or, messieurs, je vous le demande, y a-t-il rien de plus bizarre qu'une pareille anomalie? Si le serment est bon, pourquoi ne l'imposez-vous pas sur les immeubles comme sur les meubles? pourquoi ne l'imposez-vous pas pour les successions en ligne (page 1050) directe? Si au contraire il est mauvais, pourquoi l'établissez-vous sur une spécialité en matière de successions?

C'est encore là une de ces anomalies dont on se rend difficilement compte. Cependant, je la comprends bien : c'est que le ministère n'ose pas aller plus loin pour le présent. Mais lorsque vous aurez consenti au serment pour une partie du projet qui vous est présenté, ne vous y trompez pas, on viendra plus tard nous le demander sur le reste ; et alors vous aurez fait du serment, de cet acte saint et religieux, un moyen financier, un moyen fiscal, et un pareil moyen a toujours été odieux dans la société chrétienne.

Messieurs, le gouvernement ne doit-il donc pas chercher à entretenir dans le peuple les sentiments de moralité dont il a si besoin ? Le gouvernement, à une époque où tant de bouleversements ont lieu en Europe, ne devrait-il pas faire tous ses efforts pour empêcher tout ce qui peut porter à la démoralisation du peuple? Or, messieurs, il est évident que rien ne peut plus porter à cette démoralisation que de mettre, comme disait le gouvernement provisoire, le citoyen entre sa conscience et son intérêt. (Interruption.)

Puisque l'honorable M. Rogier conteste ce que je dis, je vais lui donner une nouvelle lecture de ce qu'il a écrit lui-même.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je le connais parfaitement.

M. Dumortier. - Considérant, disiez-vous en 1830, qu'indépendamment de l'immortalité dont se trouve entaché le serment en matière de successions, puisqu'il place les citoyens entre leur conscience et leur intérêt...

Voilà, messieurs, ce que disait M. Charles Rogier, le 17 octobre 1830, dans cet arrêté du gouvernement provisoire, et je crois que cette vérité de 1830 est encore une vérité en 1849.

Vous savez, messieurs, que la suppression du serment en matière de succession a été accueillie avec enthousiasme par toute la Belgique et nous avons tous béni le nom de l'honorable M. Charles Rogier qui a signé cette mesure. Mais je regrette vivement que cet honorable membre, qui a attaché son nom à la constitution de la Belgique, se trouve dans le cabinet précisément quand on vient nous proposer le rétablissement d'une mesure qu'il a flétrie en termes si énergiques.

Je déplore qu'un des membres du gouvernement provisoire soit venu ainsi se mettre aussi directement en opposition avec lui-même.

Messieurs, j'ai été singulièrement surpris d'entendre M. le ministre des finances vous parler de la popularité du projet de loi qu'il vous a présenté.

La loi, dit-il, est éminemment populaire, et la preuve c'est qu'aucune pétition contre le projet n'a été déposée sur le bureau; c'est que personne ne se plaint. Mais l'honorable M. Frère était ministre en 1848, lorsque le premier projet a été présenté ; il doit se rappeler qu'alors un grand nombre de pétitions contre ce projet sont arrivées à la chambre, et spécialement de la province dont il est le représentant. L'honorable M. Frère doit savoir, d'un autre côté, qu'en Belgique il y a des organes de l'opinion publique, qu'il y a une presse, une presse libre, indépendante, et établie sur une vaste échelle. Eh bien, examinez tous les journaux de la Belgique. Il n'y en a qu'un ou deux tout au plus qui approuvent le projet. Tous les autres le combattent.

Messieurs, pourquoi n'avons-nous pas reçu de pétitions dans ces derniers temps? C'est bien simple : c'est que lorsqu'on a vu que la chambre, à l'unanimité, avait repoussé le projet dans les sections, on a cru dans le pays qu'il était complétaient inutile d'adresser des pétitions à la chambre. La Belgique a eu confiance dans ses mandataires. Elle a vu ses mandataires repousser le projet; elle leur a dit : Continuez, faites, agissez. Ses mandataires ne la trahiront pas.

Messieurs, de tous les projets qui vous ont été présentés, il n'en est pas un qui ait rencontré et qui rencontre plus d'impopularité dans le pays entier; et j'en ai dit le motif; c'est que le citoyen ne veut pas d'inquisition dans sa famille. De tout temps c'est à quoi le pays a attaché le plus grand prix. Il y a en Belgique un vieil axiome sur lequel repose toute notre société, tout notre droit public national et qui se résume en ces mots : Bourgeois est roi dans sa maison. C'est cette royauté démocratique qui a sauvé la Belgique à travers toutes les péripéties européennes, c'est cette royauté démocratique qui a donné à nos pères leur esprit d'indépendance et leur amour de la liberté. C'est elle qui a fait que la Belgique n'a pu être assimilée à aucune autre nation. C'est elle qui la sauvera encore dans tous les événements de l'avenir. Bourgeois est roi dans sa maison. Eh bien, ce vieil axiome de la royauté démocratique du bourgeois chez lui est en contradiction directe avec des mesures inquisitoriales qui viendraient placer l'agent du fisc au foyer domestique. Ah! si du temps de nos anciennes franchises, les ducs de Brabant, les comtes de Flandre avaient voulu s'ingérer dans les familles, nos pères entendaient trop bien la liberté pour jamais y consentir. Allez demander à ces fiers bourgeois de Gand, ce qu'ils auraient dit à leur comte s'il avait voulu introduire chez eux les agents du fisc pour scruter les secrets de leurs familles? Ce qu'ils auraient fait? Ils auraient envoyé ces agents percevoir le droit de succession directe ailleurs et leur auraient unaniment crié du marché du Vendredi : Bourgeois est roi dans sa maison!

Messieurs, la Belgique est un pays de liberté. Toute mesure qui n'est point empreinte de liberté est toujours repoussée par ce pays. Or, de toutes les libertés quelle est la plus grande? La plus grande de toutes les libertés, celle sur laquelle reposent toutes les autres, c'est la liberté de la famille et c'est cette liberté précisément qu'on vient frapper par le projet de loi. Ce sont les biens sacrés de la famille, les seuls qui restent aujourd'hui entiers, que l'on vient rompre par le projet de loi. Ne vous étonnez pas, après cela, si le projet de loi est l'objet d'une si vive répulsion dans le pays et s'il rencontre si peu de sympathie dans cette enceinte c'est que nous comprenons tous qu'une pareille loi, si elle était mise en vigueur, porterait atteinte aux principes les plus sacrés de la société, surtout dans le moment actuel, où ces principes sont niés de toutes parts.

M. le ministre des finances nous a dit qu'il valait beaucoup mieux avoir à supporter un impôt unique, un impôt que l'on paye une fois, à la fin de sa vie, ou plutôt que les enfants payent au moment où ils entrent en jouissance de l'avoir de leurs parents, qu'un tel impôt est préférable à celui qu'on payerait insensiblement tous les ans. Allez trouver un paysan, dit M. le ministre, et demandez-lui s'il ne préfère pas payer un droit à sa mort plutôt que de payer annuellement une part minime de l'impôt.

Eh bien, messieurs, j'accepte cette manière de poser la question; allez trouver les paysans, demandez-leur ce qu'ils préfèrent, et tous vous diront qu'ils n'aiment pas que le fisc vienne fouiller dans leurs affaires, qu'ils entendent conserver la royauté dans leur domicile; tous vous diront qu'ils préfèrent payer quelques centimes annuellement, plutôt que de voir le fisc pénétrer dans le secret de leur famille. Aujourd'hui, messieurs, comment se font les partages dans la plupart des familles ? Ils se font sans aucune intervention d'un agent quel qu'il soit, sans agent d'affaires, sans notaire, sans avocat ; ils se font en famille. Lorsque la loi sera faite, au contraire, il faudra nécessairement introduite dans la famille et les avocats et les notaires et les agents d'affaires. Eh bien, c'est ce que le pays ne veut point.

M. le ministre des finances est venu accuser la section centrale de prêcher le communisme. La thèse que soutient la section centrale, a-t-il dit, est la thèse du communisme. J'ai écouté, messieurs, avec la plus grande attention le discours de M. le ministre des finances; je l'ai écouté jusqu'à la fin et je ne l'ai pas entendu faire la démonstration de cette assertion. La thèse de la section centrale est la thèse du communisme. Mais, messieurs, qu'est-ce que le communisme ? C'est la suppression de la propriété, la suppression de l'hérédité; eh bien, selon M. le ministre des finances, ce sont précisément ceux qui invoquent la propriété, ceux qui invoquent l'hérédité, qui sont les communistes. Mais rien ne serait plus facile que de renvoyer cette accusation à M. le ministre des finances.

Comment! vous venez révoquer en doute ce qu'est la propriété, vous demandez. Qu'est-ce que l'hérédité, qu'est-ce que la propriété? vous nous parlez du système des Hébreux, des Grecs et des Romains, toutes choses que nous avons lues dans Louis Blanc, et vous venez nous dire que nous sommes communistes ! Vraiment les rôles sont singulièrement intervertis. Nous avons tous lu ce que vous êtes venu nous dire, mais où l'avons-nous lu ? Précisément dans les écrits des socialistes et des communistes.

Et vous venez nous accuser de communisme précisément lorsque vous attaquez la propriété et que vous choisissez pour cela un moment où !a propriété et l'hérédité sont remises en question et si vivement controversées dans un pays voisin? C'est là, messieurs, une chose qu'il m'est impossible de concevoir. Après tous les bouleversements qui ont eu lieu en Europe, après tous ces cataclysmes, les seules choses qui soient restées debout, c'est la propriété et la famille ; et quand M. le ministre des finances vient nous demander ? Qu'est-ce que la propriété, qu'est-ce que l'hérédité, je lui répondrai volontiers : L'hérédité, la propriété, c'est ce que tout le monde connaît, excepté Proudhon, Louis Blanc, Barbes et autres de la même catégorie! (Interruption.)

Messieurs, ce n'est pas sans une vive douleur que j'ai entendu accuser ainsi la section centrale de communisme et de socialisme ; mais ce qui m'a le plus vivement ému, c'est que ces accusations s'adressent à nous précisément au moment où nous voyons porter, par ceux qui nous accusent, une foule de mesures sur lesquelles le socialisme paraît avoir singulièrement déteint. On veut faire d'immenses travaux publics afin de donner de l’ouvrage aux ouvriers. Qu'est-ce que cette mesure? Je le disais hier, c'est la création d'ateliers nationaux, c'est du socialisme. On parle de supprimer les impôts indirects et de les remplacer par des impôts directs ! Du socialisme.

On parle de faire transporter les hommes et les marchandises pour rien sur le chemin de fer, aux dépens du trésor public, qu'est-ce que cette mesure ? Encore du socialisme. On parle de faire des maisons aux dépens du trésor public. Qu'est-ce que cette mesure ? Encore du socialisme.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est du bon socialisme.

M. Dumortier. - Encore du socialisme.

J'ai entendu parler au mois de juin d'un impôt progressif unique, destiné à remplacer tous les autres impôts. Qu'est-ce que cette mesure ? Encore du socialisme. Maintenant on vous propos un droit sur les successions en ligue directe et l'on va jusqu'à contester la propriété et l’hérédité. Qu'est-ce que c'est que cette mesure ? Du socialisme, toujours du socialisme.

Est-il possible, messieurs, de ne pas voir avec douleur, de ne pas déplorer amèrement un pareil système ?

Je dirais volontiers à M. le ministre des finances : Vous combattez le socialisme, mais en le combattant vous employez ses moyens. Vous repoussez le socialisme en théorie, et vous l'appliquez en fait. Vous le combattez comme but et vous arrivez à ses résultats par les actes que vous posez. Et lors que vous aurez introduit dans la loi l'esprit du socialisme, des mesures qui tendent à faire croire au peuple qu'il est surtaxé (page 1051) de charges, que c'est sur les personnes aisées que tous les impôts doivent, je dis que vous aurez déposé dans la loi le germe du socialisme. Alors, par l’action des lois sur les mœurs, il sera bien difficile de l’empêcher de l’infiltrer dans le pays. Vous aurez semé du vent, vous récolterez des tempêtes qui mettront en péril l'existence nationale, l'avenir de la patrie.

Chose étrange ! en France, il existe un parti social nombreux, actif, remuant; ce parti est en dehors de l'action du gouvernement, combattu dans ses tendances par le pouvoir. En Belgique, au contraire, le socialisme est inconnu dans le peuple, sa sagesse a su l'en préserver et c'est le ministre qui prend à tâche d'introduire les maximes du socialisme dans les lois, de faire des lois une chaire de socialisme ! J'adjure le ministère de bien réfléchir à l'immense danger qu'involontairement sans doute il peut faire naître pour la Belgique, en infiltrant dans nos lois de pareilles maximes; je l'adjure, au nom du pays auquel il porte de l'attachement, de vouloir bien peser mes paroles qui n'ont rien d'amer, mais qui sont un simple avertissement d'ami, afin qu'il voie le danger qu'il y a d'insérer dans notre législation les germes de ces maximes subversives qui menacent de bouleverser toute la société.

Messieurs, je sais qu'à l’époque où nous vivons il faut faire beaucoup pour le peuple; je sais que tous nos efforts doivent tendre, comme ils ont toujours tendu dans cette chambre, en faveur de la classe ouvrière, des travailleurs. Mais est-ce à dire pour cela qu'il faille représenter la chambre comme n'ayant encore disposé d'aucun écu en faveur de la classe ouvrière ? Mais si l'un de nous venait dire à cette assemblée : « Où est le premier écu dont vous pouvez disposer en faveur de la classe ouvrière? Que faites-vous pour la classe ouvrière? » Que dirait-on de lui? Ce qu'on dirait?.... Je n'ai pas besoin de vous le dire : la réponse est sur vos lèvres.

Sans doute, nous devons nous occuper sans relâche des besoins de la classe ouvrière ; mais il existe plusieurs moyens de porter remède aux maux des travailleurs. Le moyen des socialistes, c'est la spoliation ; notre moyen, c'est la protection. Nous voulons arriver à donner du travail aux ouvriers par la protection, et non pas en spoliant les uns au profit des autres. Ce que demande la classe ouvrière, c'est du travail; le travail, tous le lui assurerez par la protection ; vous améliorerez ainsi sa position, et vous le rendrez plus moral et plus heureux.

Messieurs, lorsque nous demandons la protection, lorsque nous voulons protéger le travail national, que faisons-nous? Nous réclamons avant tout la protection dans les lois douanières; nous ne voulons pas que le travail étranger vienne s'infiltrer chez nous et prendre la place du travail national. C'est ce que repousse encore M. le ministre des finances, qui frémit à la pensée de voir augmenter les droits protecteurs.

Voilà la différence radicale du système : c'est que ceux qui demandent la liberté illimitée du commerce devraient comprendre qu'en s'opposant à la moindre augmentation sur les droits de douanes, c'est le travail national qu'ils frappent, tandis que nous, nous voulons le protéger. C'est donc par la protection que nous voulons arriver à donner du travail à la classe ouvrière, à assurer son sort, son bien-être.

Je crois que ce système est infiniment préférable au système de spoliation que prêchent toujours les communistes.

Messieurs, je finirai ici ces observations sur la loi qui vous est présentée. J'ai démontré combien cette loi est injuste, vexatoire; que l'introduction de cette loi serait une véritable inquisition qui est repoussée parle pays entier. S'il m'est démontré que de nouveaux crédits soient nécessaires, je les voterai, pourvu qu'aucun autre moyen ne puisse atteindre le même but. Mais j'adjure la chambre de se réserver avant tout l'examen, et de notre situation financière, et des moyens nouveaux qu'il faut employer.

Si des ressources sont nécessaires, je dirai aux ministres: Proposez-nous des moyens qui ne froissent personne, ou qui froissent le moins de monde possible, qui ne désaffectionnent pas les Belges de leurs institutions, et si le pays a besoin de ces ressources nouvelles, nous les voterons. Mais qu'on ne nous propose pas des moyens tels que nous ne pourrions les adopter sans blesser notre conscience, sans froisser tous nos commettants, sans soulever un cri d'indignation dans le pays ! Ces moyens nous devons les repousser; en les repoussant, nous ne faisons que nous acquitter de notre devoir, et c'est pour remplir notre devoir que le pays nous a envoyés dans cette enceinte. Nous ne pouvons donc accorder notre vote à des dispositions injustes, antidémocratiques, odieuses, éminemment impopulaires, onéreuses aux grands contribuables, et qui constitueraient pour les petits une loi de douleur et d'humiliation.

M. Dedecker. - Messieurs, ainsi qu'on l'a dit, toute la discussion peut se résumer dans deux questions principales : la question du rétablissement d'un impôt en ligne directe, et la question du rétablissement du serment.

Je viens appuyer le projet de loi, quant au rétablissement d'un impôt en ligne directe; je viens le combattre, quant au rétablissement du serment.

Messieurs, je ne fais aucune difficulté d'avouer que, dans ce qu'on est convenu d'appeler le monde politique, le projet en discussion n'est pas populaire. J'accepte cette position devant le pays ; dans des débats aussi graves, lorsqu'il y va d'intérêts aussi sérieux, nous devons n'écouter que nos convictions, n'obéir qu'à notre conscience, sans nous laisser aller aux entraînements, aux préoccupations du dehors.

Eh bien, messieurs, en défendant le droit de succession que propose le gouvernement, j'obéis à une double conviction. J'ai d'abord la conviction qu'il y a une exagération manifeste, dangereuse, dans l'appréciation qu'on fait des conséquences sociales de la loi. En second lieu, j'ai la conviction qu'il est nécessaire, dans la situation actuelle du trésor, de créer de nouvelles ressources.

Ce dernier point a été contesté hier et aujourd'hui par mon honorable ami M. Dumortier. Je ne veux pas traiter ici la partie exclusivement financière de la discussion, je ne veux pas examiner si, pour le budget de 1850, il y aura une balance exacte entre les recettes et les dépenses. La question n'est pas là, et elle ne devrait surtout pas être là pour l'honorable M. Dumortier, qui est aujourd'hui député des Flandres.

Il est certain qu'en dehors des besoins ordinaires du budget, auxquels nous avons à satisfaire, nous avons une grande et sérieuse mission à remplir à l'égard des Flandres. Si nous avons été sincères dans la longue discussion qui a en lieu au sujet des Flandres, si nous voulons réellement améliorer la position de ces provinces, et je fais ici un appel à la loyauté de l'honorable M. Dumortier, je proclame hautement que nous devons fournir au gouvernement les moyens dont il a besoin pour secourir les Flandres. (Interruption.)

J'en demande pardon à l'honorable M. Dumortier, mais il n'a pas été exact quand il a examiné hier à quelles destinations le gouvernement a déclaré vouloir consacrer les fonds qu'il demande; l'honorable membre a parlé d'une foule d'objets de dépenses; il a prétendu que l'Etat a l'intention de se lancer dans les grandes entreprises de travaux publics; il n'a pas dit un mot de ce que le gouvernement a proclamé nécessaire pour venir en aide aux Flandres. En effet, veut-on l'émigration? Il faut pour cela de l'argent. Veut-on la création de nouveaux centres de populations et le défrichement? Il faut de l'argent. Veut-on la société d'exportation vers laquelle tous les regards se portent actuellement en Belgique? Il faut encore de l'argent.

Lorsqu'on est en présence de pareils besoins, il faut avoir le courage de donner au gouvernement, quel qu'il soit (car il m'est indifférent pour qui le bien se fait, pourvu qu'il se fasse), le moyen de faire face à cette situation.

Trois moyens se présentent : Il faut ou opérer de larges économies, ou augmenter les recettes actuellement existantes, ou créer des ressources nouvelles.

Quant aux économies, l'honorable M. Dumortier les veut-il plus larges que le gouvernement ne les a présentées? Pour moi, j'ai cru devoir me refuser aux économies plus radicales, proposées par quelques membres de la chambre, parce que je les croyais dangereuses.

J'ai en général admis les économies proposées par le gouvernement, je n'ai repoussé que celles qui me paraissaient de nature à compromettre quelqu'un de nos services publics, quelqu'une de nos institutions. Je n'oserais pas, pour ma part, en ce moment, aller plus loin dans la voie des économies ; je craindrais de compromettre de graves intérêts. Aussi le moyen des économies ne se présente donc pas à mon esprit, comme moyen de rétablir nos finances.

La chambre entend-elle augmenter les recettes actuellement existantes? Nous sommes dans une direction diamétralement opposée. En effet, la chambre a voté, dernièrement encore, la réforme postale.

Quelle que fût ma sympathie pour cette réforme, j'ai eu le courage de m'y opposer, pressé par la nécessité de conserver des ressources au trésor. D'autres projets encore sont présentés qui doivent avoir le même résultat. Veut-on augmenter les impôts actuellement existants? Je ne sache pas que ce système soit plus populaire ; toute augmentation d'impôts créerait une foule de malaises dans toutes les familles.

Il faut donc, en présence des nécessités du trésor, des ressources nouvelles; quoi que vous fassiez, il faut créer des ressources nouvelles. Maintenant celle qu'on vous propose est-elle bonne? J'arrive ainsi à la question que nous avons à discuter.

Messieurs, dans la question d'un droit à établir sur les successions en ligne directe, il y a deux choses également importantes : le principe du droit et sa quotité.

Pourquoi suis-je, sur cette question, en désaccord avec les membres de la chambre, avec qui je m'honore de marcher d'ordinaire en si parfaite intelligence? Parce qu'ils se sont exagéré la portée du principe du droit, et n'ont pas assez tenu compte de l'exiguïté du taux du droit proposé.

Sur quel principe repose le droit de succession? Ce droit est l'une des faces du droit de mutation. Le droit de mutation repose sur ce principe constamment admis par tous les peuples, à toutes les époques, qu'à chaque passage d'une propriété d'une tête sur une autre, la société vient demander une compensation pour la protection qu'elle accorde à la propriété. Loin de moi, messieurs, d'admettre la doctrine professée hier par l'honorable M. Anspach, que la propriété tire son origine de la loi seule. Je proteste, pour ma part, contre cette doctrine; et je n’entends être responsable que des doctrines que j'émets personnellement, sans me préoccuper des idées qui inspirent d'honorables collègues défendant la même opinion que moi.

D'après moi, donc, la loi n'est pas la source de la propriété ; ce serait là une funeste confusion, une erreur des plus dangereuses. L'origine de la propriété est en nous-mêmes, elle est dans le libre développement des facultés intellectuelles, morales et physiques de chaque homme.

Ce n'est donc pas la loi qui crée le droit de propriété ; elle le règle, le protège, le garantit, le sanctionne. Cette doctrine est, je pense, la seule vraie; c'est celle que viennent de réhabiliter les hommes éminents qui, dans les graves conjonctures où la France se trouve, se sont posés les défenseurs officiels de la propriété.

(page 1052) Maintenant, si cette théorie est vraie pour l'acquisition de la propriété, elle est vraie, à plus forte raison, pour lu transmission de la propriété. D'après M. Championnière, l'auteur, sans contredit, le plus compétent dans ces matières, il faut une protection plus efficace, plus réelle, de la Société, pour la transmission que pour l'acquisition de la propriété.

Ce n'est pas qu'à mes yeux la faculté de transmettre la propriété soit plus contestable que celle de l'acquérir; c'est une même chose, un même droit; la transmission est aussi sacrée que l'acquisition. Mais, nous le savons, à toutes les époques il y a eu des écrivains, des écoles même qui ont contesté la faculté de transmettre par héritage. Il faut donc, selon la remarque judicieuse de M. Championnière, une garantie plus forte de la loi et de la société pour la transmission que pour l'acquisition de la propriété. Or, cette garantie que la société accorde par les lois civiles, elle en demande le prix par les lois fiscales.

Mais, dit-on (c'est une objection qu'on fait autour de moi), la contribution foncière remplit cette destination. C’est là une confusion. D’après tous les économistes, l’impôt foncier remplace l’ancienne dîme, c’est-à-dire qu’il représente les bénéfices de l’exploitation de la propriété. C'est tout autre chose que le droit de mutation. Aussi, l'impôt foncier est-il annuel.

On paye les impôts, a dit M. Thiers, non seulement pour ce qu'on gagne, mais pour ce qu'on possède. La contribution foncière est un impôt sur ce qu'on gagne, mais le droit de mutation représente ici ce qu'on possède.

Ce droit, ainsi expliqué et justifié, a d'ailleurs reçu une consécration historique dans tous les pays.

Dans Je nôtre aussi, comme l'a dit hier M. le ministre des finances, ce droit de mutation se rattache aux origines de notre droit national; il était connu sous le nom de droit de relief, de saisine, et d'autres noms qui se sont succédé dans les différentes législations de l'Europe. Mais au fond, tous ces droits parlaient toujours du même principe. Je le sais, les légistes, lors de la renaissance du droit romain, ont contesté ces droits; mais ils le faisaient, non en haine du principe en lui-même, mais en haine de la féodalité.

A ce point de vue, ils avaient parfaitement raison, car ce droit de relief, droit féodal dans ses motifs et par sa destination, était l'objet de la réprobation des légistes, parce qu'il consacrait la double oppression du pouvoir absolu du seigneur sur le domaine de ses vassaux et de l'obligation du service personnel. C'était une double oppression à la fois matérielle et personnelle. El puis, quant à la destination, où allait le produit de ces droits ? Dans le coffre du suzerain.

Quand donc on dit que le droit de mutation a une origine féodale, on a raison; mais quand on s'imagine ou qu'on veut faire croire que ce droit a conservé son caractère féodal, on se trompe complètement. C'est là, d'après moi, l'erreur fondamentale que commettent les adversaires du projet actuellement en discussion. Aujourd'hui, non seulement le droit de mutation ne consacre plus le droit d'oppression féodale; au contraire, il représente la garantie donnée à la liberté, à la propriété par la protection des lois. Et, quant à sa destination, le droit de mutation par ses produits vient servir à l'avantage, au profit de la société tout entière.

Ainsi donc, messieurs, si le droit de mutation est une réminiscence féodale ( comme, du reste, toutes nos lois fiscales ne sont que la reproduction d'anciennes redevances féodales ), le caractère, l'esprit en a complètement changé. Or, c'est ce que mes honorables contradicteurs ne veulent pas comprendre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'esprit et l'emploi.

M. Dedecker. - Voilà ma manière de voir sur le principe des droits de mutation et de succession.

J'arrive à la quotité du droit proposé.

Cet impôt, dit-on, nous conduit au socialisme. Mais, je le demande à tout esprit impartial, un impôt de 1 p. c. peut-il exercer la moindre influence défavorable, ainsi qu'on l'a prétendu, soit sur la famille, soit sur la propriété? Je ne crois pas qu'on puisse le soutenir sérieusement. Je puis m’appuyer sur l'opinion des hommes qui récemment se sont posés les défenseurs d'office de la propriété.

M. Thiers, après avoir approuvé le principe du droit de succession en ligne directe et en ligue collatérale , ajoute :

« Toutefois si, par sa quotité, l'impôt était une manière hypocrite de confisquer la propriété elle-même, il serait une vraie fourberie du gouvernement. »

Voici maintenant l'opinion de Troplong :

« Nous concédons, sans aucun doute, que l'Etat, comme protecteur de la propriété, fasse payer cette protection par les propriétaires. Mais le propriétaire ne doit à l'Etat qu'un impôt, et l'impôt ne peut être une exaction ; or il mérite ce nom odieux toutes les fois qu'il manque de modération. »

Or, qu'est-ce que M. Troplong entend par modération ? Ecoutons-le : « Contre l'impôt en ligne directe (tel qu'il existe en France), il n'y a pas à se récrier; il faut reconnaître qu'il n'est pas exagéré. Là l'Etat n'a d'autre ambition que d'atteindre le revenu. Tout impôt qui se renferme dans le revenu n'est pas excessif. »

Ainsi, les défenseurs d'office de la propriété reconnaissent ouvertement la légitimité du droit de mutation ou de succession. Ce qui serait une espèce de confiscation de nature à effrayer les amis de la propriété, ce serait l'exagération de ce droit; et évidemment personne ne dira que le droit actuellement en discussion soit un droit exagéré.

Mais, dit-on, le droit est modéré aujourd'hui. (C'est l'honorable M. de Bocarmé qui a mis cet argument en avant dans la séance d'hier.) Mais qui vous dit qu'il ne deviendra pas exagéré d'ici à quelques années ? Qui vous dit qu'une fois sur cette pente, on ne sera pas amené par les besoins du pays, par les tendances de l'esprit public, à exagérer le droit.

Si l'on procède ainsi par suppositions, si l'on se laisse aller à des craintes pour un avenir plus ou moins éloigné, il n'y a plus moyen de discuter un projet de loi. Tout impôt, si l'on s'exagère ainsi ce qu'il peut devenir dans l'avenir, doit être rejeté à cause des dangers qu'il peut receler. Sur ce terrain, il n'y a plus de discussion possible. Il nous faut prendre une position plus nette et plus vraie. Examinons la loi, l'impôt en lui-même, sans nous laisser aller à des appréhensions de dangers contre lesquelles le bon sens national saura nous prémunir bien mieux, sans doute, que nos voisins. Or, il n'y a pas jusqu'à la France républicaine qui, par son exemple, ne vienne nous prouver l'inanité de ces craintes. Certes, si jamais il y a eu une assemblée animée d'un esprit hardi, avancé, c'est l'assemblée nationale de France. Eh bien, elle vient de rejeter à une immense majorité le projet présenté par M. Goudchaux, dans le but d'établir, sur toutes les successions, des droits progressifs et exagérés contre lesquels MM. Thiers et Troplong avaient déjà dirigé de vigoureuses attaques?

Messieurs, pourquoi donc cet acharnement de nos honorables adversaires contre le droit de succession proposé par le gouvernement? Le principe du droit, qu'a-t-il d'antisocial? La quotité du droit, qu'a-t-elle d'exagérer? Puis, ne dirait-on pas, en vérité, que c'est la première fois qu'il s'agit d'appliquer en Belgique cette espèce de droits ? Mais, n'avons-nous pas dans noire législation fiscale le droit de mutation, le droit de succession en ligne collatérale? Ce n'est donc pas la nouvelle application qu'on propose d'en faire, mais le principe du droit en lui-même, qu'il faudrait se hâter de combattre et d'effacer de notre législation.

Je veux qu'on soit conséquent, en matière d'impôts surtout; car là, l'inconséquence deviendrait de l'inégalité devant la loi, du privilège. Il faut donc de deux choses l'une : ou aller, avec la loi du 22 frimaire an VII, jusqu'à frapper toute transmission de propriété, ou avoir le courage de combattre les droits de mutation et de succession en ligne collatérale. C’est ce qu'on a fait en 1814, en abolissant tous ces droits indistinctement. Aussi, le gouvernement d'alors s'est montré conséquent. Mars vous êtes inconséquents si vous admettez le droit sur les mutations et sur les successions en ligne collatérale, et si vous le rejetez quand il s'agit des successions en ligne directe.

Du reste, on a si bien senti l'obligation où l'on se trouverait d'être conséquent et de frapper toutes les transmissions de propriété, que, pour justifier l'exception qu'on maintient en faveur de l'héritier en ligne directe, on dit que l'enfant ne fait que continuer la personne du père, et qu'il n'y a par conséquent, pas de succession proprement dite, pas de transmission.

Qu'il me soit permis, d'abord, de m'étonner qu'on aille chercher cette fiction dans la législation romaine, la plus aristocratique qui ait jamais existé, surtout pour ce qui concerne la constitution de la famille, dans cette législation qui a consacré le droit exorbitant de l’exhérédation.

Qu'une pareille fiction soit respectée comme garantie de l'esprit de famille, comme symbole de l'union qui doit y régner, je le conçois; mais qu'on veuille en faire un élément juridique, je ne puis point le comprendre.

En admettant une pareille fiction comme un principe de législation ou d'administration, on est amené fatalement à consacrer le principe de copropriété de la part des enfants dans les biens du père. Cela est si vrai, que ce principe a été, il n'y a qu'un instant, ouvertement soutenu et défendu par M. Dumortier.

Pour moi, messieurs, je dois protester énergiquement contre un pareil principe.

D'abord, une telle doctrine est en opposition formelle avec notre législation tout entière. Et je vais le prouver en quelques mots.

S: vous admettez la copropriété des enfants avec le père, vous devez enlever au père tout droit de lester et n'admettre que la succession ab intestat.

Cela est tellement vrai que les anciens légistes, qui combattaient l'ancien droit féodal du relief, se sont toujours élevés contre le droit de tester. De là ces axiomes connus : II n'y a pas d'institution d'héritiers ; - Dieu seul fait les héritiers; - Le mort saisit le vif.

Depuis, à une époque plus rapprochée de nous, la logique a conduit a la même conséquence. La Convention nationale partant, elle aussi, du principe dangereux d'une espèce d'égalité et de copropriété entre le père et le fils, abolit, dans sa séance du 7 mars 1793, sur la proposition du citoyen Gensonné, la faculté de rester en ligne directe.

Vous êtes fatalement amenés là, si vous voulez être conséquents.

Une autre conséquence à laquelle conduit la doctrine de la copropriété; si l'on veut être logique, c'est qu'il est injuste de faire payer des droits de mutation sur les donations faites entre vifs par le père à l'un de ses enfants.

En effet, s'il y a copropriété entre les enfants et le père, ce n’est pas seulement à l'heure de la mort, c'est, à plus forte raison, pendant la vie. Comment alors considérer les donations entre-vifs comme une transmission de propriété? Si la succession n'est pas, selon vous, une transmission de la propriété, comment envisager comme telle la donation entre-vifs qui n'est, après tout, qu'une « avance d'hoirie » ?

Je vais plus loin : si vous voulez être conséquents, vous devez interdire au père, pendant sa vie, de faire aucune espèce d'aliénation des biens de la famille. Le père, d'après nos lois (c'est même une disposition (page 1053) qui a été critiquée par beaucoup d’écrivains) peut disposer, pour ainsi dire, de toute la fortune de la famille, sans que les enfants aient le moindre droit à s'y opposer.

Si vous admettez la copropriété de ceux-ci, vous devez vouloir que le père ne puisse aliéner, pendant sa vie, quelque portion que ce soit des biens de la famille, sans le consentement de ses héritiers. Il y a eu des législations qui ont consacré un pareil principe dans l'intérêt de la famille. Dans le savant ouvrage de feu M. Rapsaet, sur l'origine de nos lois et de nos institutions, on voit que, chez les anciens Germains, le père ne pouvait aliéner les biens de la famille sans le consentement des enfants.

Une autre conséquence encore que vous devez admettre, si le principe de la copropriété est vrai, la voici.

Aujourd'hui le fils a la faculté d'accepter la succession de son père sous bénéfice d'inventaire.

Cette faculté est déjà odieuse aujourd'hui, et signalée comme telle par tous les jurisconsultes, puisqu'il donne au fils le droit de jeter la honte et la déconsidération sur |la mémoire de l'auteur de ses jours ; mais cette faculté devient quelque chose de révoltant si vous admettez que le fils est lui-même responsable en partie de cette position financière qu'il renie à la mort de son père; c'est-à-dire qu'il renonce à acquitter ses propres dettes et à subir toutes les conséquences de sa copropriété.

Mais, messieurs, il y a bien autre chose encore dans ce principe de copropriété; et l'honorable M. Dumortier a beau dire que M. le ministre des finances n'est pas parvenu à prouver que ce sont les adversaires de la loi qui soutiennent des principes destructifs de la famille, M. le ministre l'a parfaitement prouvé.

L'observation présentée par M. le ministre n'est que trop vraie; elle m'a frappé depuis longtemps, elle m'a profondément ému. En effet, admettre le principe de la copropriété des enfants avec le père, c'est porter le dernier coup, le coup le plus fatal à la puissance paternelle. La famille est une monarchie; vous en faites une république. Vous allez droit aux principes professés par Proudhon, qui ne veut plus des familles mais des ateliers. Quelle que puisse être la répugnance que vous inspire cette conséquence de la doctrine de la copropriété, il est évident que des familles vous faites des ateliers domestiques, des espèces d'associations commerciales sous la firme du père. Celle conséquence a été déjà entrevue par un écrivain qui, tout en défendant la liberté sous toutes ses formes, s'est effrayé à juste titre de l'affaiblissement de la puissance paternelle. Voici comment s'exprime à ce sujet M. Charles Dunoyer, dans son livre de la liberté du travail :

« En paraissant associer les enfants à la propriété du père, sur laquelle ils n'ont aucun droit, on court le risque d'altérer tous les sentiments qui constituent la famille; on affaiblit le légitime pouvoir du père et la juste déférence des enfants. S'il est un moyen de rendre quelque forée à l'autorité du père de famille, si essentielle et de nos jours, hélas! si affaiblie, c'est de restituer à ce père la plénitude de son droit de tester. »

C'est ce qui existe, du reste, en Angleterre et aux Etats-Unis. C'est dans cette voie qu'il faudrait se diriger, si l'on était réellement préoccupé des vrais intérêts de la famille, c'est-à-dire de la restauration du principe de la puissance paternelle.

M. de Liedekerke. - C'est le majorat.

M. Dedecker. - Je vous demande pardon. Il serait curieux que je fusse devenu le défenseur des majorats.

Non, messieurs, si l'on veut renforcer l'esprit de famille, il ne faut pas exagérer les droits des enfants, mais réhabiliter les droits légitimes de la paternité ; voilà ce que j'ai voulu dire; voilà ce que disent chaque jour les écrivains les plus distingués, qui, pour augmenter la puissance paternelle, voudraient qu'on livrât au père plus de latitude dans la disposition des biens de la famille.

C'est le majorat, me dit-on encore. Pas du tout. Le majorat suppose une substitution de génération en génération. Là le père dispose à son gré de ses biens , mais il impose sa volonté, au détriment de la liberté du chef de la génération suivante. Or, ce despotisme répugne à nos mœurs, et la plénitude du droit de tester, réclamé par ces écrivains en faveur du père, ne doit certainement pas impliquer l'idée de substitution.

Mais, dit-on encore, la mort d'un père n'est pas toujours une augmentation de fortune pour le fils; au contraire, c'est souvent un malheur. Messieurs, j'admets autant que qui que ce soit cette argumentation tirée des sentiments les plus respectables du cœur. Mais se laisse-t-on toucher par de semblables considérations quand il s'agit de successions collatérales? Je pourrais cependant pour aussi des hypothèses où la mort d'un frère est un immense malheur poser une famille. Oserait-on soutenir cette doctrine immorale que jamais, pour ceux qui restent, la mort puisse être un bienfait ? Quant à moi, je ne puis l'admettre.

C'est, du reste, pour obéir à des considérations de cette nature qu'on propose d'exempter du droit de succession les petites fortunes. Quant à moi, je voudrais même, si c'était possible, étendre encore cette exemption aux familles nombreuses dont tous les enfants seraient mineurs. Je suis persuadé que la diminution de recettes qui résulterait de cette exemption serait imperceptible, et l'on épargnerait bien du malaise à ces familles, qui comprendraient un certain nombre d'enfants tous mineurs, en leur accordant l'exemption du droit de succession. Mais je n'insiste pas, parce que je sais combien il est dangereux de se lancer dans cette voie d'exceptions et d'exemptions.

C'est donc sans raison, messieurs, qu'on vient prétendre qu'en cas de succession en ligne directe il n'y a pas transmission de propriété par le père, qu'il n'y a pas augmentation de fortune pour les enfants. En réalité que voyons-nous? Il est incontestable qu'en droit commun on fait la succession est un moyen d'acquérir. La succession figure, dans le Code, au premier rang des moyens d'acquérir la propriété, et c'est bien réellement par la succession que l'enfant entre dans la libre et absolue disposition de ses biens, qui constitue le droit de propriété, d'après nos lois. C'est donc ce moment que la société saisit naturellement pour demander une compensation pour le protectorat qu'elle exerce sur cette propriété réellement transmise du père aux enfants, et pour exiger de cette transmission le prix qu'elle réclame à l'occasion de toutes les autres transmissions.

Pour échapper, messieurs, à l'obligation d'être conséquent, après avoir admis le droit sur les successions en ligne collatérale, on se retranche derrière une différence radicale qui existerait entre ce genre de succession et la succession en ligne directe.

Ici encore, je crois que les adversaires de la loi sont sur une pente bien dangereuse; ici encore, c'est nous qui consacrons la vraie notion de la famille ; ici encore, c'est nous qui défendons les vrais intérêts de la propriété dans ses rapports avec la famille. Je m'explique.

De qui se compose la famille? De la ligne directe seulement? Evidemment non. Les liens qui unissent les frères entre eux sont, quant à leur nature et au point de vue social, respectables et sacrés comme le sont les liens de fils à père ; ils diffèrent sans doute quant à leur intimité, et l'on tient nécessairement compte de cette différence, puisque pour les successions en ligne directe on ne propose jamais qu'un droit bien moindre que sur les successions en ligne collatérale ; mais je soutiens qu'ils sont également respectables, et que c'est méconnaître les vrais sentiments de la famille que de faire aussi bon marché des liens fraternels.

En principe, on n'oserait pas circonscrire la famille dans le cercle du père et des enfants. On doit sentir que , si l'on veut comprendre convenablement l'idée de la famille et défendre ses intérêts, il faut étendre son cercle davantage.

Comment en effet, messieurs, des êtres qui étaient intimement liés avant la mort du père, qui ont le même sang dans les veines, deviendraient-ils étrangers pour ainsi dire l'un à l'autre, par le seul fait de la mort du père ? Je sais bien que, devenus à leur tour chefs de nouvelles familles , leurs affections principales se dirigent vers leur propre génération; mais ils restent frères et ils doivent en conserver les sentiments. Chez les nations, même barbares, la solidarité de la famille s'étend bien au-delà des enfants et des parents; cette solidarité est confirmée par nos doctrines chrétiennes. Est-ce que le Code lui-même ne reconnaît pas et ne sanctionne pas ces sentiments, puisqu'il admet, pour les frères aussi, un ordre de succession naturel ab intestat ?

Si je partageais les convictions de mes honorables contradicteurs dans la question du droit en ligne directe, si j'entrevoyais les dangers sociaux qui semblent les frapper à l'idée de l'impôt qu'on nous demande d'établir, j'irais plus loin qu'eux, pour être logique et pour défendre l'esprit de famille dans toute son étendue. Mais se montrer si impitoyable pour un léger droit sur la succession en ligne directe, et accepter sans observation un droit élevé en ligne collatérale, c'est une inconséquence que je ne saurais commettre, parce qu'elle tend à fausser la vraie notion de la famille.

Ce n'est pas tout, messieurs. Voyez à quels dangers on expose la propriété même, en voulant établir cette différence profonde , radicale, entre les deux lignes de succession.

On croit se montrer bien intelligent défenseur de la propriété, en attachant tant de prix à la conservation de l'intégralité de la succession paternelle, après avoir laissé depuis si longtemps, sans aucun scrupule, l'Etat emporter une partie des successions collatérales. Mais, c'est donner beau jeu aux saint-simoniens et aux fouriéristes qui demandent la confiscation des successions en ligne collatérale. Si l'on veut donc sauver la propriété héréditaire, ce n'est pas en paraissant circonscrire la sainteté du principe de l'hérédité dans la seule ligne directe; il faut l'étendre aussi à la ligne collatérale. Si l'on croit ce principe compromis par un droit en ligne directe, pourquoi admettre un droit en ligne collatérale ?

Il faut donc, ou ne pas attribuer au droit en ligne directe des conséquences si antisociales, ou bien, il faut, au contraire, rattacher les successions en ligne collatérale aux successions en ligne directe, et faire respecter, dans les unes comme dans les autres, le grand principe de l'hérédité.

Le danger que je signale n'est pas aussi éloigné qu'on le pense. Ce n'est pas seulement en France, messieurs, que des écoles socialistes ont proposé la suppression des successions collatérales; en Belgique même, nous sommes déjà plus avancés qu'on ne le croit dans cette voie. L'année dernière il a paru une petite brochure d'un défenseur pour ainsi dire officiel de la propriété, car c'est un article extrait du Journal des Propriétaires.

Dans cette brochure l'auteur s'indigne à la seule proposition faite par le gouvernement d'un droit d'un p. c. sur les successions en ligne directe, droit qu'il représente comme de nature à compromettre l'avenir de la société. Puis, savez-vous ce qu'il propose à son tour, lui défenseur de la propriété? Il propose une mesure, qui, selon lui, (je cite) a « pour elle l'utilité, la justice et la moralité ». Et, messieurs, quelle est cette mesure ? C’est « tout simplement » (je cite toujours) « de supprimer la totalité des successions en ligne collatérale, et de les attribuer à l'État » ! (Interruption.) C'est extrait du Journal des Propriétaires.

Voilà comment certains esprits, si effarouchés du principe d'un droit en ligne directe, se posent les intelligents défenseurs de la propriété! L'on ne se montre préoccupé que des successions en ligne directe. Eh bien, là n'est pas, là ne sera jamais, selon moi, le vrai danger pour le principe sacré de l'hérédité. Si jamais le principe de l'hérédité, ce rempart de la (page 1053) société, est enlevé, c'est par la brèche des successions collatérales que l'ennemi entrera.

Il me reste, messieurs, à rencontrer quelques autres objections que l'on a faites contre le projet de loi.

Le droit de succession, tel qu'on le propose, est, dit-on, destructif du crédit et consacre une espèce d'inquisition dans les familles.

Quant à la crainte d'anéantir par là le crédit des familles, je partage l'opinion émise hier par l'honorable ministre des finances. Je ne vois pas qu'en France, ce droit en ligne directe ait été si nuisible au crédit; je ne vois pas qu'en Angleterre, terre classique du crédit, le droit qui frappe même exclusivement les fortunes mobilières, ail été si défavorable au crédit. J'admets aussi, avec l'honorable ministre des finances, qu'en matière de crédit, il faut bien distinguer le crédit qui repose sur la dissimulation et le mensonge du crédit qui repose sur la bonne foi. Je ne pense pas que personne ici veuille favoriser le premier.

Et puis, qu'on distingue bien les deux espèces de crédit : le crédit publie, c'est-à-dire le crédit organisé par les établissements de crédit, repose sur la certitude des valeurs réelles chez l'emprunteur; les établissements publics n'accordent du crédit que lorsqu'ils sont certains de rencontrer des valeurs équivalentes. La connaissance du bilan des familles, qu'ils ont d'ailleurs bien d'autres moyens de connaître, les intéresse peu, puisqu'ils se prêtent que sur hypothèque ou contre l'échange d'autres valeurs.

Le crédit privé, celui en usage entre particuliers, est bien peu susceptible d'être compromis par des déclarations de succession, car en définitive, il repose bien plus sur la conviction que l'on a de l'activité, de l'intelligence, de la moralité de celui qui demande le crédit, que sur le calcul exact de la fortune qu'il possède.

Toutefois, messieurs, je suis, comme l'honorable M. Dumortier, convaincu de la répulsion universelle que soulève en Belgique toute immixtion de l'administration publique dans les affaires de la famille.

C'est là une chose qui répugne profondément à nos mœurs ; et, je n'hésite pas à le dire, c'est cette partie du projet de loi qui, ensemble avec le rétablissement du serment, donnent à ce projet ce caractère d'impopularité que je ne conteste pas.

Je proposerai donc de limiter le droit de succession en ligne directe aux seuls immeubles. Il ne serait ainsi qu'un droit de mutation pour cause de décès.

Réduit à la seule succession immobilière, le droit n'offrirait plus aucune espèce d’inconvénient sérieux. Je vais le prouver en deux mois.

On a peur, par le droit de succession en ligne directe, d'atteindre douloureusement les familles de la petite bourgeoisie ; eh bien, le droit étant établi sur les immeubles seuls, frapperait en réalité les plus grandes fortunes. Il est certain que les immeubles, quelle que soit aujourd'hui la division des propriétés, sont censés prouver déjà une certaine accumulation de fortune. La fortune immobilière révèle, en général, une position sociale plus aisée que la fortune mobilière. Ensuite, on craint que le droit ne soit parfois perçu avec un certain arbitraire, par l'impossibilité de constater les valeurs avec quelque exactitude. Cette objection ne peut être soulevée pour la fortune immobilière, parce que la valeur de la propriété immobilière est officiellement indiquée et garantie par le cadastre.

Un autre motif encore, messieurs, pour lequel je crois convenable de borner l'effet de la loi que nous discutons aux seuls immeubles, c'est que, comme l'ont dit quelques orateurs avant moi, si le droit de succession atteint également les fortunes mobilières, nous allons faire aux familles où il y a des mineurs, cl qui sont par cela même pourtant plus dignes d'intérêt, une position tout à fait défavorable. Elles seules payeront l'intégralité du droit, tandis que, en l'absence du serment, les déclarations seront, en général, frauduleuses, dans les autres familles, ainsi que l'expérience le prouve aujourd’hui quant aux déclarations de successions collatérales.

Mais, dira-t-on, en n'établissant le droit que pour les seuls immeubles, on va considérablement diminuer les ressources financières que le gouvernement espère trouver dans cette loi. Je ne le crois pas. De même qu'en l'absence du serment on n'a obtenu que des déclarations évidemment incomplètes, pour ne pas dire insignifiantes, sur la partie mobilière des successions en ligne collatérale, de même, l'Etat don s'attendre à des recettes peu fructueuses relativement à la partie mobilière des successions en ligne directe, pour lesquelles le serment n'existera pas, d'après le projet de loi.

Mais, ajoute-t-on, et cet argument me touche, vous allez faire à la propriété immobilière une position exceptionnelle. Vous allez ajouter encore, imposer une charge nouvelle et spéciale à la propriété.

Oui, j'avoue qu'il serait plus juste de frapper sans distinction l'une et l'autre propriété ; mais je voudrais des deux inconvénients ne subir que le moindre ; or, sans aggraver en réalité, par ma proposition, les charges de la propriété, puisqu'aussi bien c'est elle surtout qui sera frappée par le nouveau droit de succession, je tiens, avant tout, à éviter l'odieux qui s'attache, dans notre pays surtout, à toute espèce d'inquisition dans les familles de la part de l'administration.

Mais, en définitive, le sacrifice qu'on demande à la propriété est-il donc si considérable? Doit-il exercer une si grande influence sur la valeur des immeubles et en détourner les capitaux? Evidemment non; jamais personne n'a osé soutenir que le droit de mutation ait été positivement défavorable à la propriété, personne n'a osé dire que la perspective d'un droit de succession en ligne collatérale, bien autrement considérable cependant, ait empêché des frères d'acquérir ou de conserver des immeubles. D'ailleurs, la propriété foncière, par sa nature même, sera toujours l'objet d'une incontestable préférence.

Mais, dit-on, la propriété n'est-elle pas déjà dans une position fâcheuse ? Dans les moments de crise, n'est-ce pas à elle qu'on a recours par la voie des emprunts ?

Je ne dis pas que la propriété foncière soit dans une situation brillante? mais trouve-t-on des situations plus brillantes dans le monde commercial et industriel? Et si, dans les grandes crises, on a recours à la propriété foncière, il faut rechercher la cause de ce fait. Pourquoi, dans les temps de crise, frappe-t-on surtout la propriété immobilière? C'est parce que, dans les moments de crise, les autres impôts non seulement ne peuvent pas produire davantage, mais parce qu'ils ne produisent pas même alors leurs résultats ordinaires. Pourquoi? Parce que la plupart des autres impôts portent sur le travail ou sur la consommation; or, les sources du travail et de la consommation se tarissent dans les grandes crises sociales. Il est donc naturel que lorsque l'on fait peser une grande partie des charges sociales sur le travail et la consommation, dans les temps ordinaires, on fasse à la propriété un appel extraordinaire, dans les circonstances extraordinaires où l'on a besoin de plus de ressources, et où le travail et la consommation s'arrêtent. C'est là un inconvénient inséparable du système d'impôts indirects, tel qu'il est établi aujourd'hui sur la consommation et sur le travail.

Je continue l'examen des objections faites contre le projet de loi.

L'impôt proposé frappe le capital.

Messieurs, entendons-nous; c'est un impôt sur le capital; mais c'est là un véritable jeu de mots. En matière d'impôts, il faut, avant tout, pour en apprécier le caractère plus ou moins onéreux, considérer les effets qu'ils doivent produire, soit sur la richesse du contribuable, soit sur celle de la nation entière. Tout impôt est en définitive une expropriation partielle pour cause de nécessité publique, tout impôt est la confiscation d'une partie des fruits du travail national; tout impôt, même celui qui semble ne frapper que le revenu, est une diminution du capital, en ce sens qu'un capital n'est, en définitive, qu'une accumulation de revenus. Il est donc à peu près indifférent, au point de vue des contribuables, qu'un impôt, susceptible d'être acquitté par le revenu de l'objet imposé, frappe sur le capital ou sur le revenu. Il en est de même de la richesse nationale. Les principaux économistes sont d'accord là-dessus. Je me contenterai de citer l'opinion de M. Sismondi :

« Les droits de mutation et de succession enlèvent une portion du capital; mais les héritiers recouvrent toujours sur le revenu une somme au moins égale à celle qu'on leur demande, en sorte que l’effet est à peu près le même, pour la richesse nationale, que si le revenu lui-même avait été imposé. » (Nouveaux principes d'économie politique.)

Pourquoi d'ailleurs, ces scrupules tout particuliers pour la ligne directe ?

Cette considération, que le capital est atteint, vous empêche-t-elle d'admettre les droits de mutation, les droits de succession en ligne collatérale, même les droits en ligue directe sur les biens délaissés par des étrangers? A-l-elle empêché la moitié de membres de la section centrale d'accueillir favorablement un droit sur le préciput ?

Comment! vous éprouvez un scrupule parce qu'un droit d'un p. c. en ligne directe est établi sur le capital, et vous n'avez rien à dire contre le droit de patente!

S'il est cependant un capital respectable, c'est le travail de l'artisan. L'impôt des patentes frappe essentiellement le capital de l'artisan; il le frappe même, chose curieuse, d'une manière préventive, car il n'est pas même certain que l'artisan aura du travail ; on lui fait payer un impôt pour quelque chose de problématique, d'éventuel ! Et cet impôt, on ne le perçoit pas une fois seulement, on le perçoit chaque année ! A ce point de vue, ce serait donc un impôt doublement injustifiable.

Un droit sur le capital vous émeut! Eh ! que dites-vous donc de la conscription? Certainement le plus sacré des capitaux, c'est la vie; eh bien, vous demandez à une partie des Belges le sacrifice des plus belles année de leur vie, et en cas de guerre, vous leur demandez leur sang; et l'on n'a aucune parole de réprobation, on n'éprouve pas le moindre mouvement d'indignation contre un pareil impôt! (Interruption.)

Messieurs, il me reste à rencontrer une dernière objection des adversaires du projet de loi : c'est qu'en établissant un droit sur les successions en ligne directe, on compromet les intérêts les plus sérieux de la famille, puisqu'on en provoque la dissolution prématurée. Les fils, insinue-t-on, quitteront la maison paternelle; les parents se dépouilleront; plus d'autorité paternelle, plus d'accumulation de biens, etc.

Je ne sais, messieurs, s'il faut prendre au sérieux de semblables objections. Je ne comprends pas comment on peut de bonne foi, exagérer à ce point les effets de la loi.

Les fils quitteront la maison paternelle Croyez-vous donc qu'ils seront assez ingrats, assez dénués des sentiments les plus naturels, pour quitter leurs parents, parce qu'ils ont la perspective d'avoir à payer plus tard un droit de succession d'un p. c?

M. de Mérode. - On ne dit pas cela.

M. Dedecker. - Cet argument a été mis en avant par une partie de la presse, et il sera probablement reproduit dans cette enceinte.

Eh bien, c'est calomnier les enfants que de les supposer capables, pour un si utile motif, de déserter la famille et les devoirs qu'elle impose. C'est ne tenir aucun compte des vocations.

On affecte une si étrange frayeur de voir s'opérer la dissolution prématurée de la famille; qu'on soit donc conséquent : la principale cause de la dissolution prématurée des familles, n'est-ce pas la facilite des mariages, contre laquelle la puissance paternelle est aujourd'hui complètement désarmée.

(page 1055) Mais en définitive, est-ce un si grand mal, que les fils, placés dans certaines conditions d'âge et de position, quittent la maison paternelle pour s'établir? J'ai toujours entendu dire qu'il n'y a pas de plus grand sujet de satisfaction et de tranquillité pour les parents que de voir, avant leur mort, leurs enfants établis. J'ai toujours vu considérer comme un avantage que du vivant du père, tous les enfants soient lancés, chacun dans sa carrière, parce qu'alors le père peut encore guider, contrôler, surveiller les premières années de l'administration séparée et indépendante de ses enfants.

Les parents se dépouilleront ! C'est-à-dire que, pour échappe plus tard à un droit de succession d'un p. c. ils aiment mieux de payer dès à présent un droit de mutation plus considérable!

Et d'ailleurs, encore une fois, où serait le mal ? Si l'on examine la question à la lumière de la raison et de l'expérience, il n'est pas désavantageux aux familles que le père, de son vivant, fasse l'avance d'une partie de sa fortune à ses enfants qui s'établissent et vont former une famille nouvelle. Au double point de vue de la famille et de la société tout entière, l'accumulation stérile des capitaux ou des patrimoines est loin d'être toujours un bienfait. Sous ce rapport, les droits de mutation ont été considérés par beaucoup d'économistes comme bien plus funestes que les droits de succession. M. le ministre des finances citait hier, à ce sujet, un extrait remarquable d'un ouvrage récent de M. Léon Faucher. Je veux épargner à la chambre d'autres citations qui toutes viendront confirmer cette doctrine.

Nous avons un droit de mutation et pas de droit de succession en ligne directe : un pareil système d'impôts est condamné par des écrivains distingués qui soutiennent qu'il faut, ou diminuer, sinon supprimer, le droit de mutation, ou bien l'harmoniser avec le droit de succession en ligne directe, pour qu'il n'y ait pas d'obstacle à l'établissement des enfants et à la circulation des fortunes.

Pour apprécier l'influence qu'un droit de succession peut exercer sur la propriété dans ses rapports avec la famille, il importe de se rendre compte du caractère, des tendances de la société moderne. La propriété et la famille reposent de nos jours sur des bases tout autres que pendant le moyen âge, et jusqu'à la grande révolution française de 1789. C'est là une étude indispensable à faire; car il faut, avant tout, que nos lois soient en harmonie avec l'esprit dominant de la société pour laquelle elles sont faites. Peignons en quelques traits le caractère de la société actuelle, sous le rapport de la famille et de la propriété.

L'ancienne société, telle qu'elle s'était conservée jusqu'à la fin du siècle dernier, avait pour caractère principal le privilège, l'inégalité. Celle inégalité politique se reflétait dans la constitution de la famille.

On ne concevait pas la famille sans l'inégalité entre les enfants ; on ne concevait surtout pas la famille sans l'inaliénabilité du patrimoine. Et comme les privilèges étaient particulièrement attachés à la naissance et à la propriété, on sacrifiait tout à la conservation d'un nom, en ne tenant aucun compte m des sentiments d'affection, ni des idées de justice; on subordonnait les personnes aux patrimoines. Celle idée se trouve parfaitement résumée dans le remarquable mémoire académique, publié par M. Briltz relativement à l'histoire de notre ancien droit national. « Nos anciennes coutumes, dit-il, n'étaient dirigées ni par la nature ni par la justice ; elles ne respectaient ni l'égalité entre héritiers, ni l'affection présumée du défunt; elles n'avaient qu'un but, la concentration et la conservation des patrimoines. »

Aujourd'hui, les tendances sociales sont tout autres; nous sommes sous l'empire d'idées diamétralement opposées.

L'égalité est le principe fondamental de nos constitutions ; le partage égal entre les enfants est le trait caractéristique de l'organisation actuelle de la famille. Appréciant mieux les exigences de la dignité humaine et de la justice, on a aujourd'hui subordonné les biens aux personnes. L'égalité des partages à chaque génération produit infailliblement le double résultat de la division et de la mobilisation des propriétés. Toute la civilisation moderne est dans ce double fait.

Il y a dix ans, un défenseur intelligent de la propriété, prévoyant les cataclysmes qui effrayent aujourd'hui le monde, disait que le seul moyen de sauver la propriété était d'augmenter le nombre de ses défenseurs et de diminuer le nombre de ses ennemis.

Cette pensée profonde de M. Henri Fonfrède tend aujourd'hui à se réaliser par le double fait de la division et de la mobilisation de la propriété. Par la division de la propriété, presque tout le monde est aujourd'hui défenseur naturel de la propriété, tout le monde est intéressé à la défendre. Par la mobilisation de la propriété, par les vicissitudes des fortunes, tout le monde peut espérer d'arriver à son tour, et souvent promptement, à la propriété, désormais accessible à tous. Ces vicissitudes sont telles, les destinées des familles sont si incertaines, que de perpétuels bouleversements viennent constamment confondre les rangs, et faire sentir à tous la loi fatale de l'inégalité des conditions.

Un autre écrivain, M. Rubichon, a calculé, dans ses intéressantes éludes sur la propriété, que, dans la période moyenne de trois générations , les fortunes se déplacent.

Cette instabilité des fortunes , amenée par la division et la mobilisation de la propriété peut être un malheur pour les familles ; au point de vue social elle peut devenir un bienfait; c'est elle peut-être qui est appelée à sauver le principe sacré de l'hérédité.

Aujourd'hui que toutes les ambitions sont surexcitées par l'accessibilité de toutes les positions sociales, et par le développement de l'intelligence, il importait de faire disparaître le grand grief attaché à l'ancienne propriété se concentrant, se perpétuant toujours dans les mêmes familles.

La Providence semble s'être chargée de ce soin. Prévoyant les attaques formidables qu'allait subir la propriété, elle a, par les incessantes vicissitudes dont nous sommes les témoins, augmenté le nombre des défenseurs de la propriété et diminué le nombre de ses ennemis.

J'arrive à la dernière objection : les pères, en se dépouillant prématurément, perdront leur autorité. Je repousse, au nom des intérêts les plus sacrés de la famille, une doctrine qui tendrait à enlever tout ce qu'il y a de noble dans le pouvoir du père et de généreux dans l'obéissance des enfants! Non, l'intérêt n'est pas la base de l'esprit de la famille ! Non, l'union dans les familles n'est pas proportionnée à l'importance de l'héritage en perspective! Non, Dieu ne peut avoir donné à la famille une base qui n'existerait pas pour les deux tiers des familles, et qui n'admettrait à la jouissance des bienfaits de l'esprit de famille que le tiers de l'humanité! Qu'on abandonne ces arguments aussi pitoyables que faux. Le principe de l'autorité est un, dans la société comme dans la famille : bien faible, bien précaire est celle qui ne s'appuie que sur l'intérêt. Nous savons où peut conduire cet incessant appel à l'intérêt!

C'est par des garanties morales bien plus que par des garanties matérielles que vous conserverez ce qui reste encore de l'esprit de famille. La vie des familles se puise à une double source : les sentiments naturels, fortifiés, ennoblis par les sentiments religieux ! Si vous cherchez ailleurs les principaux moyens de conservation pour l'esprit de famille, vous vous trompez et vous vous exposez à de graves mécomptes.

Un vieux philosophe, qu'on pourrait considérer comme l'incarnation du bon sens, Montaigne, disait, au milieu d'une société si peu faite pour comprendre ce langage, ces paroles remarquables :

« Quant à moy, je treuve que c'est cruauté et injustice de ne pas recevoir les enfans au partage et société de nos biens et compaignons en l'intelligence de nos affaires domestiques, quand ils en sont capables, et de ne retrancher et resserrer nos commoditez pour pourveoir aux leurs. C'est injustice de voir qu'un père vieil, cassé et demy mort, jouisse seul, à un coing du foyer, des biens qui suffiroient à l'advancement et entretien de plusieurs enfans, et qu'il les laisse, ce pendant, par faulte de moyens, perdre leurs meilleures années sans se poulser au service publicque et cognoissanec des hommes.

« Et si on me répond qu'un père faict espargne des richesses, non pour en tirer aultre fruict et usage, mais pour se faire honnorer et pour se maintenir en auctorilé dans sa famille, je dirai qu'un père est bien misérable qui ne tient l'affection de ses enfans que par le besoing qu'ils ont de son secours, si cela se doibt nommer affection. »

Et il ajoutait cette phrase quelque peu pittoresque :

« Et à celui-là qui diroit : Je ne veulx pas me despouiller devant que de m'aller coucher, je respondrai : Un père, s'il est sage, doit avoir le désir de se despouiller, afin de se coucher, non pas jusques à la chemise, mais jusques à une robe de nuict bien chaulde. »

Messieurs, je termine mes observations générales sur le projet de loi en discussion. Je vous en conjure; ne nous laissons pas aller, dans l'appréciation que nous faisons de ce projet, à des impressions irréfléchies, moins encore à des préventions qui tendraient à faire suspecter nos intentions. Qu'on ait la bonne foi de cesser ces accusations de tendances vers des doctrines que toute âme honnête réprouve, comme si, dans cette enceinte, il pouvait y avoir un seul membre coupable d'une complicité même indirecte avec ces systèmes qui, selon l'expression de M. Guizot, amèneraient et la dégradation de l'humanité, et la destruction de la société ! Ayons meilleure opinion les uns des autres: donnons au pays une meilleure opinion de notre tolérance à respecter toutes les convictions. Voyons le projet de loi pour ce qu'il est; examinons-le en lui-même : dans les circonstances actuelles, circonstances solennelles s'il en fut jamais, personne ne peut songer à compromettre les intérêts de la société en compromettant ceux de la famille.

Oui, messieurs, il faut avant tout aller au plus pressé et sauver la famille, parce que dans la famille se résume tout l'espoir pour la régénération de la société dans l'avenir. Nous avons même un motif particulier pour garantir la conservation de l'esprit de famille. C'est dans les gouvernements constitutionnels démocratiques qu'il faut surtout conserver intact l'esprit de famille. Plus les institutions politiques sont libres, plus il importe d'attacher de prix à la conservation des mœurs; or, la famille est l'école des mœurs.

Ainsi donc , messieurs , je comprends aussi bien que qui que ce soit la nécessité de maintenir l'esprit de famille ; mais je demande aussi qu'on ne prétende pas que cet esprit de famille est sérieusement menacé, quand il n'est en aucune façon compromis. Je demande qu'on n'accuse pas ceux dont on croit devoir combattre les opinions, de vouloir, même indirectement, mettre en péril un intérêt aussi sacré.

Messieurs, je termine ici cette longue série d'observations que la plus profonde conviction a pu seule m'inspirer et m'engager à vous communiquer.

Je comptais entamer la discussion de la deuxième question soulevée par le projet, la question du serment; mais j'aime mieux remettre mes observations à ce sujet, à l'article qui le concerne.

Projet de loi réduisant les péages sur le canal de Charleroy

Rapport de la section centrale

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, la section centrale m'a chargé de déposer le rapport sur le projet de loi de réduction des péages du canal de Charleroy. Le rapport, à l'unanimité des membres présents, conclut à l'adoption du projet. La section centrale m'a chargé de vous proposer d'en déclarer l'urgence, c'est-à-dire d'interrompre la discussion actuelle pour mettre à l'ordre du jour la discussion du projet sur lequel nous avons l'honneur de faire rapport.

(page 1056) Une fois le principe de la loi admis par la section centrale, comme il a été d'abord proposé par le gouvernement, vous devez comprendre que vous prolongez inutilement des misères que le projet de loi doit faire cesser, que vous procurez une perte au trésor, que vous suspendez les relations commerciales; car à présent que le projet est présenté, il est certain qu'avant qu'il ne soit converti en loi pas un navire ne naviguera.

La section centrale, à l'unanimité, vous demande donc de déclarer l'urgence et de mettre le projet de loi à l'ordre du jour.

Ordre des travaux de la chambre

- La chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport.

M. de Theux. - Il serait sans exemple qu'une discussion de cette importance fût interrompue par la discussion d'un autre projet ; et de quel projet ? D'un projet que nous n'avons, jusqu'ici, pu examiner. C'est à peine si le projet de la section centrale vient d'être déposé. Je demande qu'il soit imprimé et que nous ayons le temps de l'examiner avant qu'il soit mis à l'ordre du jour. Il pourrait tout au plus venir à l’ordre du jour après le premier vote sur la loi actuelle. Mais je m'oppose à ce que la discussion qui nous occupe soit suspendue. On ne pourrait citer un antécédent à l'appui de cette proposition.

M. Delehaye. - Ce projet a, je le reconnais, un caractère d'urgence. Cependant chacun de nous doit en connaître la portée. Je demande qu'il soit mis à l'ordre du jour de la séance d'après-demain. On pourra d'ici là prendre connaissance du rapport. De cette manière, la loi pourra être publiée au commencement de la semaine prochaine. On répondra ainsi à toutes les exigences.

M. Cools. - Je comprends toutes les sympathies de l'honorable rapporteur de la section centrale pour les intérêts en ce moment en souffrance. Mais il est évident que ces souffrances datent de 3 ou 4 mois. Il est évident aussi que la chambre, dont l'attention est absorbée par la discussion d'un projet de loi d'une haute importance, ne peut reporter son attention sur un autre objet. Nous devons, avant tout, terminer la discussion actuelle, ou tout au moins la discussion relative au premier vote.

J'appuie donc la proposition de l'honorable M. de Theux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Lorsque le gouvernement s'est décidé à vous présenter le projet de loi qui vous occupe, il n'avait pas perdu de vue la grande discussion qui vient de s'ouvrir. Mais il a cru qu'il y avait opportunité à présenter le projet de loi dans les circonstances actuelles. Ce que nous demandons, ce n'est pas un vote sans examen, mais un vote le plus prompt possible. Il importe que les intérêts, engagés dans cette question, sachent le plus promptement possible à quoi s'en tenir.

Que la chambre adopte ou rejette le projet de loi; mais qu'elle prenne promptement un parti. Voilà ce que nous lui demandons.

On propose d'ajourner la discussion jusqu'après le premier vote de la grande loi que la chambre discute depuis trois jours. Mais d'après les proportions qu'a prises cette discussion, il est possible que dans 15 jours elle dure encore. (Réclamations.)

Messieurs, si je mesure la longueur de la discussion à l'étendue de la liste des orateurs inscrits (et tous ceux qui doivent prendre la parole ne sont pas encore inscrits), je ne crois pas aller trop loin, en assignant à la discussion une durée de 15 jours.

Cela étant, je demande que la chambre veuille bien suspendre la discussion actuelle pendant le temps nécessaire pour discuter le projet de loi sur lequel il vient d'être fait rapport.

J'appuie la proposition qu'a faite l'honorable M. Delehaye, de mettre ce projet de loi à l'ordre du jour pour la séance d'après-demain.

M. de Theux. - Nous avons déjà plus d'une fois eu à regretter ces votes d'urgence. Le premier que nous ayons eu à regretter est un vote du congrès. Depuis il y en a eu d'autres que l'on a eu à regretter.

Lorsqu'il s'agit d'une matière importante (ici, il s'agit d'un revenu de 500,000 fr.), c'est un devoir pour la chambre d'examiner le projet de loi avec quelque maturité.

Ce n'est pas au milieu d'une discussion aussi importante, alors que chacun prête attention aux discours qui se prononcent et se prépare à prendre la parole, qu'on a le loisir d'examiner une matière tout à fait différente.

Je persiste donc à demander la mise à l'ordre du jour après le premier vote.

Qu'on ne dise pas que cette discussion durera quinze jours. Si on veut l'abréger, qu'on lui laisse suivre son cours. Mais si elle est interrompue, elle durera davantage.

M. Verhaegen. - La question a été discutée récemment, pendant trois jours. Qu'avons-nous de plus? Le rapport très court que vient de déposer l'honorable M. Charles de Brouckere et qui ne fera pas, je pense, plus d'une demi-page. Je crois donc que toutes les convenances seront conciliées par la mise à l'ordre du jour du projet pour la séance de vendredi.

M. Prévinaire. - Je voulais faire la même observation. Nous connaissons tous la question : le rapport ne nous apprendra rien, puisqu'il est conforme à la proposition du gouvernement.

En présence des graves intérêts engagés dans la question du canal de Charleroy, un ajournement serait un déni de justice. Songez qu'il s'agit des moyens d'existence de 800 familles. Il y a là un capital énorme qui reste improductif.

Les intéressés ont les yeux fixés sur la chambre, qui ne peut se dispenser d'aborder immédiatement cette discussion.

M. Delehaye. - Il y a une considération qui no peut échapper à la chambre et qui milite en faveur de ma proposition. L'urgence du projet n'est pas contestable. Or si nous tardons, le sénat ne pourra s'en occuper d'ici à un mois. Le sénat est à la veille de s'ajourner. (Interruption.)

En admettant que je me trompe en disant que le sénat est à la veille de s'ajourner, il est certain qu'il s'ajournera dans le courant de la semaine prochaine. Eh bien ! le projet sur les successions peut nous occuper encore pendant 15 jours. Je désire qu'il n'en soit pas ainsi; mais si cela est, je dis, avec le précédent orateur, que c'est un véritable déni de justice que de ne pas voter le projet sur lequel il vient de vous être fait rapport.

Messieurs, je ne demande pas pour moi la remise de ce vote à après-demain. J'ai examiné la question , je suis prêt à la discussion. Mais je crois qu'il faut laisser à tout le monde le temps d'étudier le projet. D'ailleurs demain, M. le ministre des travaux publics sera retenu au sénat par la discussion d'un projet également important. En remettant la discussion à après-demain, toutes les difficultés seront écartées et les intéressés seront, dans très peu de temps, dotés de la loi qu'ils réclament.

M. Toussaint. - Je demande la permission de faire remarquer que les objections contre la fixation de la discussion à vendredi, ont été faites au point de vue de notre propre commodité. On craint la difficulté que nous éprouverions à nous remettre au diapason de la discussion actuelle.

Eh bien !l je pense qu'à raison de l'immense intérêt que présente pour le trésor la question des successions, chacun fera volontiers les frais d'une mise en train nouvelle dans cette importante discussion.

J'insiste pour la mise à l'ordre du jour à vendredi.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, au nom de la section centrale, je me rallie à la proposition de l'honorable M. Delehaye.

- La chambre consultée décide que la discussion du projet de loi relatif à la réduction des péages sur le canal de Charleroy, sera portée à l'ordre du jour de vendredi.

Projet de loi sur les successions

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Liedekerke, inscrit contre le projet.

M. de Liedekerke. - (Nous reproduisons plus bas ce discours dont la chambre n'a entendu que la première partie dans cette séance.) (Discours intégré, pour cette version numérisée, dans son intégralité, dans la séance du 22 mars 1849)

- Plusieurs membres. - A demain.

M. de Liedekerke. - Messieurs, l'attention de la chambre doit être fatiguée. Si elle le permet, je remettrai à demain la fin de mon discours.

M. d'Elhoungne. - Continuons.

M. de Liedekerke. - Je ferai remarquer à l'honorable M. d'Elhoungne qu'il me sera impossible de terminer aujourd'hui.

- La chambre renvoie à demain la suite de la discussion.

La séance est levée à 4 heures et demie.